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Chapitre 1

Introduction : Qu’est-ce-que la
RSE ?

”Les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise :
sa réputation et ses hommes” (Henri Ford)

1.1 Genèse et développement de la Responsabilité


Sociale des entreprises
1.1.1 Les prémices
La notion de Responsabilité Sociale des Entreprises est récente mais a
été précédée par de multiples incursions des thématiques sociales au sein
des entreprises. La révolution industrielle a ainsi été accompagnée du déve-
loppement du paternalisme au sein des entreprises avec un chef d’entreprise
prenant en charge tous les aspects sociaux de la vie de ses ouvriers (logement,
loisirs). D’une certaine manière, cela permettait de maintenir les conditions
de travail et les salaires à un niveau extrêmement bas. La motivation sociale
de ce genre de comportements était tout sauf évidente.

Au cours du XXe siècle, Henri Ford, propriétaire de la marque automobile


du même nom donne son nom à un processus productif directement inspiré
du Taylorisme, le Fordisme, et basé sur l’augmentation de la productivité
du fait d’une division horizontale du travail (travail à la chaîne). Une des
croyances profondes d’Henri Ford était qu’il fallait augmenter les salaires
des travailleurs afin de permettre l’émergence d’une demande intérieure à
même d’écouler la production de l’entreprise. L’augmentation des salaires

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

permettait également à l’entreprise de limiter le “turn-over” et les départs des


salariés. Ce qui fut une réussite industrielle inspira au sortir de la deuxième
guerre mondiale un modèle de régulation que les régulationnistes (Aglietta
1976, Boyer 2004) nommèrent le modèle fordiste marqué par des mécanismes
de protection sociale des revenus sociaux s’ajoutant aux revenus salariaux
directs, et d’autre part, la fixation de norme salariale minimale par la loi. Ce
“compromis fordiste” constitua selon certains auteurs “l’age d’or du salariat”
et dura de 1945 à 1975 environ.

Peut-on dès-lors assimiler le Fordisme à une forme de responsabilité so-


ciale des entreprises ? Dans son acceptation initiale, à savoir un modèle de
production interne à l’entreprise, la dimension sociale du Fordisme (augmen-
tation des salaires) pourrait à être assimilé à une forme de RSE. Par contre
la régulation fordiste mise en place après la seconde guerre mondiale est plus
difficilement assimilable à un modèle de RSE dans la mesure où ce compro-
mis fordiste était largement basé sur une régulation forte de l’Etat. C’est
également car ce compromis fordiste a été très puissant en Europe que la
notion de RSE a eu du mal à émerger en Europe.

Dans l’exploration des prémices de la RSE, il est également important de


souligner le rôle des sociaux-démocrates européens, qui demandèrent dans la
première partie du XXe siècle des audits sociaux.

1.1.2 Des origines américaines fortement inspirées par la cha-


rité religieuse
Le terme de Responsabilité Sociale des Entreprises apparaît formellement
aux Etats-Unis et est utilisé la première fois par Bowen (1953), c’est la Cor-
porate Social Responsibility. Bowen est un pasteur protestant et sa démarche
s’inscrit dans la volonté des églises évangéliques américaines de se doter d’une
doctrine sociale. Selon Capron et Quairel-Lanoizelée (2007), il s’agit “de cor-
riger les défauts du système, de réparer les abus et les outrages plutôt que de
prévenir ou d’anticiper les nuisances ou les dommages causés par l’activité
de l’entreprise, dans le dessein de les éviter. Selon Pasquero (2005), cette dé-
marche est spécifiquement Etats-uniennes, profondément marquée par une
vision de la Société et de l’Etat. La liberté individuelle doit s’accompagner
d’un principe de responsabilité et de bienfaisance reposant sur les acteurs
eux-mêmes et non sur l’Etat ou sur la législation, perçus comme “privateurs
de libertés”. Capron et Quairel-Lanoizelée (2007) résument cette logique par
la formule “profit d’abord, philanthropie après”.

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

1.1.3 La RSE en Europe


La responsabilité sociale en Europe s’est développée avec des motiva-
tions radicalement différentes des motivations américaines. Tout d’abord le
concept de RSE n’apparaît pas explicitement avant les années 1990. Dans les
faits, cependant, le développement des différents modèles sociaux européens
s’est accompagné d’une préoccupation forte pour la dimension sociale dans
l’entreprise. Le modèle nordique s’est développé sur un Etat-providence fort
mais également sur de syndicats puissants négociant au niveau de l’entreprise
de haut niveaux de salaires et de protection sociale. Dans de nombreux pays
nordiques, il n’y a ainsi pas de salaire minimum fixé par l’Etat, celui-ci étant
négocié par les représentants des travailleurs et des employeurs. Au niveau
européen, on peut parler de RSE implicite (Matten et Moon 2005) tant
l’ensemble des modèles sociaux européens sont marqués à différents niveaux
par un haut niveau de protection sociale institutionnalisée et par de multiples
accords collectifs. Il s’agit d’une distinction importante entre la vision de la
RSE américaine, très basée sur le principe de responsabilité individuelle, et
la vision européeene dans laquelle la responsabilité est ici collective.

La RSE explicite a émergé au cours des années 1990. On peut voir


plusieurs raisons expliquant cette émergence :
– Le recul des Etats-Nations et l’effondrement du compromis fordiste
– La crise économique réduisant les marges de manoeuvre de l’Etat
– Une image de marque ternie pour les grands groupes

Du fait de l’effondrement du compromis fordiste, l’émergence de la RSE


arrive dans un contexte de substitution de la régulation privée à la régula-
tion publique. Dans un contexte de mondialisation, l’impuissance des Etats-
Nations se combine à l’incapacité des organisations internationales à impo-
ser une régulation au niveau mondial. L’émergence de firmes multinationales
dont l’activité dépasse le seul cadre des Etats implique de nouvelles formes de
régulation au niveau international. Ce qui peut également expliquer l’émer-
gence de politiques RSE à l’échelle des groupes.

1.1.4 La RSE fait-elle consensus ?


Si le large développement de stratégies de communication de firmes au-
tour de leur stratégie RSE peut laisser penser que le concept fait aujourd’hui
consensus, on a observé plusieurs controverses dans l’Histoire montrant que
la prise en compte du principe de responsabilité ne va pas de soit. Ces contro-
verses se concentrent essentiellement sur une articulation des pouvoirs et de

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

répartition des richesses crées au sein des entreprises entre actionnaires, ma-
nageurs et salariés.

La première controverse est celle qui a éclatée lors du procès Ford contre
les frères Dodge en 1919. Les frères Dodge, actionnaires minoritaires, contes-
taient la volonté d’Henri Ford de redistribuer une partie des profits, en les
réinjectant dans l’entreprise afin de financer une politique sociale. La Cour
suprême du Michigan donna tort à Henri Ford, considérant que les profits
ne pouvaient être distribués qu’aux seuls actionnaires.

Dans la même lignée, Milton Friedman (1971) considère que “la seule
responsabilité sociale de la firme est de faire du profit”. Friedman explique le
développement de la RSE par le pouvoir donné aux manageurs au sein des
entreprises, “détournant” une partie du profit au profit de politiques sociales
afin d’accroître leur influence au sein de la firme. Selon cette optique, le déve-
loppement de la RSE serait la marque d’un dysfonctionnement de l’entreprise
du fait d’une déconnection entre les manageurs et les actionnaires.

D’autres acteurs s’opposent à la RSE à partir d’un point de départ radi-


calement différent. Selon eux, le développement de la RSE symboliserait le
développement de la soft law en opposition à la hard law. La soft law renvoie à
l’établissement de normes par les acteur eux-mêmes sur le principe du volon-
tariat alors que la hard law renvoie à l’action régulatrice de l’Etat et à la mise
en place de normes contraignantes pour les entreprises. Les entreprises s’en-
gageraient dans des démarches volontaires pour mieux éviter l’établissement
de règles plus contraignantes et le développement de la soft law irait donc de
paire avec l’affaiblissement de l’Etat dans ses prérogatives de régulateur et
de producteur de normes. Selon ces acteurs, il revient à l’Etat d’établir des
normes que les entreprises doivent ensuite appliquer. Cela explique pourquoi
certains syndicats étaient, jusqu’à une période récente, réticents à s’engager
dans des démarches RSE au sein des entreprises.

1.2 Développement Durable et RSE


1.2.1 Le développement Durable
La notion de développement durable a émergé parallèlement à celle de
RSE et sont dans l’esprit de beaucoup liées. Il existe une multitude de dé-
finitions du développement durable et le concept peut sembler flou à de
nombreux égards. Formellement le développement durable fait appel à deux
notions : (1) le développement et (2) la durabilité.

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

Le développement économique renvoie à quatre notions :


– Une expansion forte et soutenue de la production matérielle (croissance
du PIB)
– Une réduction de la pauvreté monétaire
– Les progrès en matière de santé et d’éducation
– L’universalisation des libertés réelles
Le développement économique et la durabilité ne sont pas a priori an-
tinomiques mais des contradictions peuvent apparaître. Le développement
durable prend en compte ces contradictions afin que ce développement ne
remette pas en cause la capacité des générations futures à répondre à leurs
besoins.

Définition du Développement Durable


(Commission Bruntland, 1987)

Le développement durable est le développement qui répond


aux besoins du présent sans compromettre la capacité des
générations futures à répondre aux leurs.

Cette définition présente deux implications immédiates :


– Il est nécessaire de prendre en compte le concept de besoins, et plus par-
ticulièrement les besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient
d’accorder la priorité
– les ressources sont limitées : L’idée des limitations que l’état de nos
techniques et de notre organisation sociale imposent sur la capacité de
l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir

Dans les faits, on considère que la notion de développement durable re-


pose sur trois pilliers :
– Le pillier économique : il n’y a pas de développement durable sans
développement économique. Dans son acceptation initiale, il ne peut y
avoir de développement économique sans croissance économique même
s’il est important de distinguer les deux notions
– Le pillier environnemental : respect de la biodiversité et des écosys-
tèmes, réduction des émissions polluantes, non-destruction du capital
naturel
– Le pillier social : il est nécessaire de prendre en compte les consé-
quences sociales de l’activité économique, le problème des inégalités et
les conditions de travail et de vie des individus

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

Figure 1.1 – Les trois pilliers du développement durable

Décroissance et Développement Durable

La théorie de la décroissance est basée sur la réduction de


la production de biens et services afin de préserver l’envi-
ronnement. Ces théories développées notamment en France
par Serge Latouche ont par la suite été complétées afin de
prendre en compte l’exigence de développement des pays
les plus pauvres. Certains parlent aujourd’hui de décrois-
sance soutenable ou décroissance durable dans lesquels la
décroissnce est limitée à certains pays ou secteurs.

En soit, le développement durable n’implique pas forcé-


ment la décroissance. Il s’agit de deux concepts différents.
De plus, les théoriciens de la décroissance ont critiqué le
concept de développement durable dans la mesure où il
est susceptible de créer un effet rebonds. Si l’on réduit
les ressources nécessaires à la production, cela pourra créer
une incitation pour les agents à augmenter les quantités
produites (avec une utilisation des ressources équivalentes).
Les effets des économies en terme de ressources seront donc
dans ce cas compensés par des effets-production et les effets
sur l’environnement seront dans ce cas nuls.

Capron et Quairel-Lanoizelée (2007) définissent six postures types du


développement durable (voir tableau 1.1). L’humanisme raisonné se ma-

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

Table 1.1 – Les 6 postures types du développement durable


Objectifs Social Economie
Condition Environnement Economie Environnement Social
Moyen Economie Environnement Social Environnement
Postures types Humanisme Progressisme Productiviste Utilitarisme
raisonné productiviste éclairé pragmatique

Objectifs Environnement
Condition Economie Social
Moyen Social Economie
Postures types Ecologisme Environnementalisme
radical social
Source : (Capron et Quairel-Lanoizelée 2007)

nifeste par l’économie mise au service de l’homme en tenant compte des


limitations des ressources naturelles. Le progressisme productiviste se
manifeste par l’utilisation des ressources naturelles au service de l’Homme,
dans des conditions économiques imposées et non maitrisées. Le produc-
tivisme éclairé se manifeste par le travail des Hommes devant servir au
développement économique, tout en prenant en compte la limitation des
ressources naturelles. L’utilitarisme pragmatique voit les ressources na-
turelles mises au service du développement économique en respectant les
conditions sociales de l’époque. L’écologisme radical impose à l’Homme
de se donner comme priorité la protection de la nature dans des conditions
économiques données. Et enfin, l’environnementalisme social voit l’ac-
tivité économique mise au service de la sauvegarde de l’environnement en
respectant les conditions sociales données.

1.2.2 L’articulation entre RSE et développement durable


La RSE peut être vue comme l’application des principes du développe-
ment durable aux entreprises. Dans les faits, le développement durable est
un concept macroéconomique, nécessitant généralement l’intervention du po-
litique. Le concept a été forgé depuis la commission Bruntland (1987) lors
de multiples conférences intergouvernementales dans lesquels les entreprises
n’étaient pas en tant que tels représentés.

Par ailleurs, le concept de RSE est historiquement antérieur au concept de


développement durable. Les deux concepts se sont rejoints lorsque la RSE a
été précisée dans son acceptation des préoccupations économiques, sociales et
environnementales. Cependant, dans son acceptation initiale, la RSE renvoit
d’abord au principe de la responsabilité de l’entreprise par rapport à son
environnement au sens large. Le concept de développement durable vient

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

néanmoins interpeller l’entreprise dans ses finalités, et dans la conception de


son organisation. La RSE peut donc être vue comme une modalité de réponse
de l’entreprise en produisant des stratégie et des dispositions spécifiques de
management.

1.2.3 Objectifs et concepts du “management durable”


Les interactions nombreuses entre RSE et développement durable ont
amené certains experts à proposer le concept de “management durable”. Se-
lon ses promoteurs, il traduit les principes du développement durables dans
les pratiques productives, financières et commerciales en réformant l’organi-
sation de l’entreprise. Il a des conséquences à plusieurs niveaux :
– Il augmente la valeur économique et le capital social au niveau de
l’entreprise
– Il stimule le progrès technique, notamment dans le domaine des éco-
nomies d’énergies pour l’économie dans son ensemble
– Il contribue à internaliser les coûts environnementaux et sociaux jus-
qu’alors absent du prix de revient
– Il modifie les évaluations boursières et donne lieu à l’essor du finance-
ment environnemental

Nous verrons toutefois que cette notion de management durable renvoie


à une vision limitative de la RSE, axée sur l’amélioration de la valeur éco-
nomique dans une optique instrumentale.

1.3 Vers une définition de la Responsabilité Sociale


des Entreprises
1.3.1 Le principe de responsabilité
Le concept de RSE renvoie d’abord au principe de responsabilité. Encore
faut-il se mettre d’accord sur ce à quoi la responsabilité renvoie. Afin d’établir
la responsabilité d’un acteur, il faut que la condition d’imputabilité d’un acte
à quelqu’un soit remplie. Il s’agit donc de définir qui est responsable par
rapport à quoi. Il fait appel à l’obligation et aux engagements des différents
acteurs. Le principe de responsabilité consiste à “agir de façon à ce que
les actions ne soient pas destructrices pour les possibilités de vie future sur
terre (Jonas 1990). Ewald (1997) distingue trois phases dans l’évolution du
principe de responsabilité :

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

– La responsabilité par rapport à l’acte : ce type de responsabilité intro-


duit l’idée de réparations. Si une entreprise est responsable d’un acte
ayant des conséquences négatives sur son environnement, elle doit pou-
voir avoir à réparer les conséquences de ces actes. Il s’agit de pouvoir
internaliser les externalités.
– La responsabilité face aux risques : ici on n’attend plus qu’un acte se
réalise mais on agit sur la prévention de ces actes. Cela appelle par
exemple de développer une politique de prévention des accidents. Il y
a déplacement en amont du principe de responsabilité. On juge ici la
responsabilité dans la capaciter à éviter les incidents ou accidents.
– La responsabilité par rapport à l’exigence de sécurité : ce qui renvoie
au principe de précaution. L’entreprise ne doit pas seulement mettre en
place une politique de prévention efficace, elle doit s’assurer à prendre
toutes les précautions face à des innovations ayant potentiellement des
conséquences. Dans l’absence de certitude par rapport à l’existence de
risque, ce principe de responsabilité incite à ne pas faire plutôt qu’à
prendre le risque de faire.

1.3.2 Etat des lieux des différentes définitions de la RSE


La recherche d’une définition de la RSE acceptable par un plus grand
nombre nécessite de lever la contradiction originelle entre une vision anglo-
saxonne et une vision latine de la RSE. La RSE est dans l’acceptation anglo-
saxonne un engagement volontaire des entreprises, en déconnection donc
des principes réglementaires. Dans la vision latine, la RSE repose sur des
obligations contraignantes. Ce qui passe d’abord par le respect de la loi ou
par des engagements contraignants sur lesquels l’entreprise est redevable. Les
différentes définitions proposées tenteront donc de faire la synthèse entre ces
deux visions.

La Commission Européenne propose en 2001 une première définition :


“être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement
aux obligations juridiques applicables, mais aller au-delà et investir d’avan-
tage dans le capital humain, l’environnement, et les relations avec les parties
prenantes 1 .”
Cela suppose l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupa-
tions sociales et environnementales à leurs activités commerciales ou de pro-
duction, et leurs relations avec les parties prenantes.
1. Nous reviendrons sur le concept de parties prenantes dans le chapitre 2 sur les
théories de la RSE.

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

La Commission Européenne, dans la stratégie 2011-2014 2 , propose de


redéfinir ainsi la RSE : “la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets
qu’elles exercent sur la société. Pour assumer cette responsabilité, il faut au
préalable que les entreprises respectent la législation en vigueur et les conven-
tions collectives conclues entre partenaires sociaux. Afin de s’acquitter plei-
nement de leur responsabilité sociale, il convient que les entreprises aient
engagé, en collaboration étroite avec leurs parties prenantes, un processus
destiné à intégrer les préoccupations en matière sociale, environnementale,
éthique, de droits de l’homme et de consommateurs dans leurs activités com-
merciales et leur stratégie de base.”

L’agence de certification ISO dans le cadre de la préparation de la norme


ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des entreprises a également été
amenée à proposer une définition de la RSE :
“Responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ces décisions
et de ses activités sur la société et l’environnement, se traduisant par un
comportement éthique et transparent, qui :
– contribue au développement durable, à la santé et au bien-être de la
société,
– prend en compte les attentes des parties prenantes,
– respecte les lois en vigueur et est en accord avec les normes internatio-
nales de comportement,
– est intégré dans l’ensebme de l’organisation et mis en oeuvre dans les
relations.”

1.3.3 Responsable par rapport à qui ?


Une fois le principe de responsabilité définie, il reste à établir par rap-
port à qui l’entreprise doit placer son engagement de responsabilité. Pour
Friedman (1971), la réponse est simple : l’entreprise n’est responsable que
devant ses actionnaires. Les manageurs doivent ne prendre en compte
que l’objectif de maximisation du profit pour les actionnaires et ne pas “se
laisser divertir” par d’autres objectifs sortant du champ de responsabilité de
l’entreprise. Levitt, mettant en garde contre les dangers de la RSE, insiste
également sur le fait que les chefs d’entreprise ne sont pas responsables de-
vant le peuple et ne sont pas élus au suffrage universel, ce qui limite de fait
leur responsabilité et biaise toute tentative de prendre en compte l’environ-
nement extérieur à la firme. Paradoxalement, cette vision de la responsabilité
rejoint celle de ceux s’opposant à la RSE car affaiblissant la capacité de l’Etat
2. COM(2011) 681 final

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

à produire des normes au profit de la soft law. En insistant sur la responsa-


bilité de l’Etat à prendre en compte les défis sociaux et environnementaux,
ils limitent la capacité de l’entreprise à devoir assumer de son propre fait sa
propre responsabilité.

Un deuxième type de réponse est celui de la Commission Européenne.


Dans la définition retenue, l’entreprise est responsable devant les “parties
prenantes”. Par parties prenantes (stakeholders), on entend les individus et
groupes affectés par les activités de l’entreprise ou pouvant affecter l’activité
de l’entreprise. De fait, le concept de parties prenantes renvoie au concept
d’externalités, dans la mesure où celles-ci désignent les conséquences sur
autrui de l’activité économique d’un acteur. Les parties prenantes sont donc
qui sont touchés par les externalités générées par la firme ou générant des
externalités pour la firme.

Un troisième type de réponse repose sur la responsabilité à l’égard


de l’intérêt général. Ici tout dépend de la vision de la construction de
l’intérêt général. Chez les libéraux, l’intérêt général se construit par la somme
des intérêts particuliers. C’est la fameuse main invisible définie par Adam
Smith. Dans cet esprit, cette responsabilité reposerait donc uniquement sur
la recherche de l’intérêt particulier pour la firme et cette notion rejoint donc
celle de Milton Friedman présentée ci-dessus. Si au contraire, on considère
que l’intérêt général est défini par “un contrat social” (JJ. Rousseau), on a
une vision de l’entreprise “encastrée dans la société” et contribuant par son
action à la volonté générale exprimée dans le contrat social.

1.3.4 Jusqu’où va la RSE ?


Le périmètre d’action des firmes est également à définir. Si l’on accepte
l’idée que la firme est responsable non seulement vis-à-vis de ses actionnaires
mais également d’autres acteurs, il faut se poser la question de savoir jusqu’où
la firme est responsable.

La question du périmètre renvoit au débat sur le partage des taches entre


l’Etat et les entreprises et la place relative de la soft law par rapport à la
hard law. Une firme intervenant dans tous les aspects de la vie de ses salariés
pourrait se voir accusée d’avoir un comportement néo-paternalisme que les
salariés eux-mêmes pourraient être amenés à rejetter. D’un autre côté, la
Mondialisation a changé la donne dans la mesure où les Etats ne sont plus
dans certains domaines le cadre d’action pertinent pour des firmes multina-
tionales dont les activités de production et de commercialisation dépassent

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

largement le cadre d’un seul Etat. La firme multinationale est confrontée à de


multiples législations empêchant une stratégie globale de RSE. En l’absence
de réglementations internationales, l’entreprise n’a d’autres alternatives que
de se fixer elle-même des normes s’appliquant à elle quelque soit le pays dans
lequel elle investit. Cependant, cet argument est à relativiser dans la mesure
où des normes internationales existent dans un grand nombre de domaines.
Dans le domaine du travail, l’Organisation Internationale du Travail a éta-
bli depuis sa création en 1919 tout un ensemble de normes, par le biais de
conventions et de recommandations, régissant tous les aspects de la vie au
travail. Si le respect de ces conventions repose sur l’adhésion volontaire des
Etats, les entreprises peuvent s’engager d’elle-mêmes à respecter ces prin-
cipes.

Un deuxième débat existe en ce qui concerne la responsabilité respective


des entreprises, des consommateurs et des citoyens. Le développement du
commerce équitable repose par exemple sur l’idée que les consommateurs
sont responsables des biens qu’ils achètent. Par l’acte de consommation, le
consommateur définit de lui-même le périmètre et les champs d’application
de la RSE pour les firmes. La responsabilité des entreprises consiste donc
à répondre à la demande des consommateurs, à leur niveau d’éthique et à
leurs préoccupations dans tel ou tel domaine. Néanmoins, cela ne peut être
efficace que lorsque les producteurs ne sont pas en situation d’oligopoles ou
de monopoles, dans lesquels les entreprises pourraient s’entendre sur leur
volonté de répondre ou non à la “demande sociale” des consommateurs. Se
pose également un autre problème éthique : le marché est-il légitime dans
toute activité économique ? Le fait qu’il existe une demande suffit-il à justifier
que les entreprises répondent à cette demande ?

Enfin, il faut réfléchir au champ d’action d’une entreprise à l’échelle du


groupe et non des différentes filiales du groupe. Les deux dernières décennies
ont été marquées par un processus de défragmentation des différentes acti-
vités de la firmes. Certaines activités ont été filialisées (tout en restant dans
le périmètre du groupe). D’autres activités ont été externalisées, l’entreprise
choisissant d’avoir recours à des sous-traitants sur certaines activités. Cette
défragmentation a été de deux types : elle a d’abord touché des activités
ne touchant pas au coeur d’activité de la firme (par exemple avec l’externa-
lisation des services informatiques ou des services de nettoyage). Mais cer-
taines entreprises ont également externalisé la quasi-totalité de leur activité
de production. Cette dernière évolution est devenue la norme dans un certain
nombre de secteur. Dans le secteur des équipements de sport par exemple, des

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

entreprises comme Nike ou Adidas ne produisent plus directement les chaus-


sures de sport qu’elles commercialisent ensuite. Le périmètre du groupe se
réduit aux acitivités de commercialisation, de publicité et de recherche et
développement. L’ensemble du processus productif est dès lors l’objet d’un
mécanisme complexe de sous-traitances, les sous-traitants pouvant être ame-
nés eux-mêmes à sous-traiter. Légalement le groupe et les sous-traitants sont
liés par des contrats de vente et légalement, le groupe n’est pas responsable
de ce qu’il se passe chez ses sous-traitants. Dans les faits cependant, ces
sous-traitants dépendent souvent totalement des groupes auquels ils vendent
leur production. Du fait de la pression de certaines ONG, les entreprises
ont du prendre en compte le comportement de leurs sous-traitants dans leur
stratégie RSE. Cela pose de nombreux problèmes techniques dans la mesure
où de nombreux groupes ignorent l’intégralité de la chaîne de production de
leurs propres produits. Ces groupes qui s’étaient de fait engagés dans une
politique de “sous-traitance” de la responsabilité se retrouvent aujourd’hui à
mettre en place des mécanismes de contrôle sur l’ensemble de la chaîne de
sous-traitance. Face à ces difficultés de définir le périmètre de reponsabilité,
l’OCDE essaye de définir “des zones d’influence” en prenant pour critère les
liens d’investissement. Néanmoins, ce débat ne fait pas l’objet de consensus.

1.4 Acteurs de la RSE, cadre internationaux et mo-


dalités de la RSE
1.4.1 Les acteurs de la RSE
De nombreuses entreprises ont mis en place des stratégies RSE suite à de
pressions extérieures à l’entreprise. Parmi les premiers acteurs à se mobiliser
pour obtenir des changements de comportement des firmes, on peut noter
la forte présence des Nouveaux Mouvements Sociaux. Par ce terme,
on entend “une nébuleuse aux confins incertains et à la densité variable”
(Gendron 2006). Il regroupe des groupes d’individus, des ONG, nouant des
alliances sur des thématiques spécifiques, ou ponctuellement pour faire face à
un problème donné. Il a été amené à intervenir de plus en plus fréquemment
dans la sphère économique, en dénonçant l’attitude des firmes multinatio-
nales et en lançant des boycotts pour inciter au changement de comportement
de ces firmes. C’est un mouvement particulièrement puissant aux Etats-Unis
ou “l’anti-sweatshop movement” a dénoncé le recours au travail des enfants
ou d’autres violations des droits fondamentaux de travailleurs de nombreuses
entreprises dans le secteur de l’habillement ou de l’équipement sportif. Ces

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CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

mouvements regroupent des ONG, des consommateurs, et plus récemment


des syndicats. D’une logique d’affrontement et d’opposition frontale, ce mou-
vement se tourne de plus en plus vers une logique de coopération, n’hésitant
plus à signer des accords avec des firmes multinationales souhaitant faire
certifier leur démarche RSE par la société civile.

Les consommateurs constituent un groupe à part entière même si cer-


tains ”consommateurs militants” constituent de fait l’ossature de certains
nouveaux mouvements sociaux. Si le développement du commerce équitable,
de labels, tenderaient à conforter l’idée que les consommateurs jouent un rôle
de moteur dans le développement des stratégies RSE, les entreprises mettent
en avant la demande toujours plus forte pour des biens vendus à faible coût,
qui est dans une certaine mesure contradictoire avec la possibilité de mettre
en place des démarches RSE efficaces. Dans le secteur textile par exemple,
les consommateurs se sont habitués à des produits peu chers, produit sou-
vent dans des conditions peu en adéquation avec les principes responsables
demandés par les mêmes consommateurs. De plus, même si le commerce
équitable s’est fortement développé au cours des dernières années, il ne re-
présente qu’une part marginale du commerce mondial, tendant à confirmer
que ce pouvoir des consommateurs tend encore aujourd’hui à être limité.

Une troisième famille d’acteurs est constituée par les salariés et les syndi-
cats. Longtemps réticents aux démarches RSE développées par les entreprises
du fait de leur caractère peu contraignant, on a observé un changement de
comportement au cours des dernières années, pouvant notamment s’expliquer
par l’internationalisation de leur champ d’action. Les syndicats demandent
aujourd’hui à être associés à l’élaboration des stratégies RSE et à jouer un
rôle de contrôle des engagements pris par les firmes. Ce mouvement se ma-
nifeste par le développement des accords-cadre internationaux (ACI) signés
entre des entreprises multinationales et des branches syndicales sectorielles
internationales.

La RSE s’est également développée dans le champ de la finance. Cer-


tains groupes essayent de jouer un rôle “d’actionnaires militants” en tentant
d’influencer par leurs interventions en Assemblée générales, les stratégies des
firmes. Dans les faits cependant, leur pouvoir reste extrêmement limité du fait
de leur faible capacité à obtenir des droits de vote significatifs leur permet-
tant de peser dans les décisions. Un autre aspect concerne le développement
des investissements socialement responsables, investissements finan-
ciers respectant un certain nombre de critères environnementaux et sociaux.

14
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

Ce développement de fonds éthiques explique le développement d’agences


de notation extra-financière (KLD aux Etats-Unis, Vigeo en Europe),
qui sur le modèle des agences de notations boursières attribuent des notes
aux entreprises sur leurs performances environnementales et sociales.

Enfin, certains chefs d’entreprises se sont également regroupés pour dé-


velopper des stratégies RSE. On parle de milieux d’affaires pro-actifs
et on peut citer comme exemple le World Business Council for Sustainable
Development.

1.4.2 les cadres internationaux : entre soft law et hard law


Il existe toute une série de cadres internationaux pouvant servir de base
aux démarches RSE dans les entreprises. Ces cadres différent à la fois dans
leurs objectifs et dans leur caractère contraignant.

1.4.2.1 l’OIT
L’OIT a adopté en 1998 sa déclaration sur les principes et droits
fondamentaux au travail. Cette déclaration vient reconnaître 4 normes
dites fondamentales, applicables à tous les pays quelque soit leur niveau
de développement. Si cette déclaration ne concerne pas au premier lieu les
entreprises mais s’applique aux Etats, un grand nombre de démarches RSE
font directement références au respect de ces quatre normes fondamentales.
Cette déclaration constitue par ailleurs une rupture dans la stratégie de
l’Organisation Internationale du Travail dans la mesure où elle rompt avec
le principe de volontariat dans le respect des conventions. En effet, chaque
pays est libre de ratifier ou non une convention et les conventions ne prennent
force de loi que si elles sont ratifiées. Ici, ces quatre normes fondamentales
s’appliquent à l’ensemble des membres de l’OIT même s’ils n’ont pas ratifiés
les conventions correspondantes.

15
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

Normes Fondamentales du Travail et Conventions de l’OIT

La déclaration de l’OIT sur les principes et Droits Fondamentaux au Travail


reconnaît quatre normes fondamentales : (1) la liberté d’association et la
reconnaissance effective du droit de négociation collective ; (2) l’élimination
de toute forme de travail forcé ou obligatoire ; (3) l’abolition effective du
travail des enfants ; (4) l’élimination de la discrimination en matière d’emploi
et de profession.

A ces quatre normes fondamentales correspondent huit normes dites fonda-


mentales :
(1) Liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de
négociation collective
– Convention 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical
(1948), 148 ratifications a
– Convention 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective
(1949), 159 ratifications
(2) l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire
– Convention 29 sur le travail forcé (1930), 172 ratifications
– Convention 105 sur l’abolition du travail forcé (1957), 167 ratifications
(3) l’abolition effective du travail des enfants
– Convention 138 sur l’âge minimum (1973), 150 ratifications
– Convention 182 sur les formes intolérables du travail des enfants (1999),
164 ratifications
(4) l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de
profession
– Convention 100 sur l’égalité de rémunération (1951), 164 ratifications
– Convention 111 sur la discrimination (1958), 166 ratifications
a. Nombre de ratifications au 30 Juillet 2007. Source : Site Internet ILOLEX

En 2008, l’OIT a adopté une Déclaration sur la Justice Sociale


pour une Mondialisation équitable. Cette déclaration institutionnalise
le concept de Travail Décent qui repose sur quatre pilliers : (1) accès à un
emploi productif avec une rémunération décente, (2) respect des principes
et droits au travail, (3) droit à la protection sociale, (4) dialogue social. Ce
concept est plus large que les normes fondamentales du travail et peut servir
de base à des codes de conduite sociaux pour nombreuses firmes, notamment
multinationales.

16
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

L’OIT a par contre adopté une déclaration portant spécifiquement sur les
entreprises multinationales. La Déclaration tripartite sur les principes
concernant les entreprises multinationales et la politique sociale a
été adopté en 1997 et révisé en 2000 pour y intégrer les principes et droits fon-
damentaux au travail. Elle énonce une série de principes relatifs à l’emploi,
à la formation, aux conditions de travail et de vie, et aux relations profes-
sionnelles. L’aspect intéressant de cette déclaration est qu’elle constitue un
accord entre représentants des gouvernements, syndicats de travailleurs et
représentants des travailleurs. Elle n’a cependant pas de force contraignante
et ne constitue pas à proprement parler un code de conduite mais plus un
ensemble de principes 3 .

1.4.2.2 L’OCDE
L’OCDE a proposé dès 1976 des principes directeurs de l’OCDE à
l’intention des firmes multinationales. Ces principes ont été réactuélisés
en 2000 et 2010. Il s’agit du seul de conduite établi au niveau international,
approuvé au niveau multilatéral par les gouvernements. Il comporte un cer-
tain nombre d’éléments relatifs à la divulgation de l’information, à l’emploi
et aux relations industrielles, aux droits de l’Homme, à l’environnement, à la
lutte contre la corruption, aux intérêts des consommateurs, à la science et à
la technologie, à la concurrence et à la charge fiscale. Leur objectif est “d’ai-
der les entreprises multinationales à agir en conformité avec les politiques
gouvernementales et les attentes de la société”. Il repose également sur la
base du volontariat.

1.4.2.3 Le Pacte Mondial des Nations-Unies


Adopté en 2000 dans la foulée des objectifs du millénaire, le Pacte Mon-
dial propose aux entreprises de s’engager volontairement à contribuer à “la
promotion d’une mondialisation à visage humain”. Il s’agit de principes ex-
trêmement généraux auxquels les entreprises sont invitées à adhérer. En
échange, elles peuvent utiliser le logo du pacte mondial, sans qu’aucun contrôle
a posteriori ne soit effectué sur la réalité des engagements. Les entreprises
sont invitées cependant depuis 2003 à réaliser annuellement une “communica-
tion sur le progrès” détaillant les avancées réalisées dans les domaines sociaux
et environnementaux. En 2008, plus de 1900 entreprises ont été supprimées
de la liste des participants au Pacte Mondial par défaut de communication.
3. La déclaration sur Internet : www.ilo.org/public/english/employment/multi/download/french.pdf

17
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

Au 1 février 2011, le Pacte Mondial comptait 8695 adhérents dont 6047 en-
treprises. En France, on compte 702 adhérents dont 621 entreprises.

1.4.2.4 L’Union Européenne


L’Union Européenne a publié en 2001 un livre vert sur la Responsa-
bilité Sociale des Entreprises qui traçait les grandes lignes d’une politique
européenne partant de la définition suivante : “Etre socialement responsable
signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques ap-
plicables, mais aller au-delà et “investir” davantage dans le capital humain,
l’environnement et les relations avec les parties prenantes.” Cela a amené
la Commission à proposer une publication en 2002 lançant un forum multi-
parties prenantes. Ce forum a communiqué ses conclusions qui devaient ser-
vir à l’élaboration d’une nouvelle communication par l’Union Européenne.
Cette nouvelle communication fut réalisée en 18 mois et la Commission ne
consulta uniquement que les représentants business en laissant de côté les
autres acteurs (syndicats, ONG...). Cela a abouti en 2006 à une commu-
nication intitulée : “mise en oeuvre du partenariat pour la crois-
sance et l’emploi : faire de l’Europe un pôle d’excellence en matière
de responsabilité sociale des entreprises”. Selon Capron (2006), cette
communication constitue un recul en rejettant toute idée de régulation euro-
péenne et de réglementation : “La Commission officialise sa position en re-
jetant toute idée de réglementation, donc toute possibilité de prise en compte
contraignante d’un intérêt public. Et en faisant des entreprises les acteurs
principaux de la RSE, elle fait fi de tout contrôle démocratique et citoyen sur
les activités économiques et leurs effets. S’il est évident que la RSE concerne
en premier lieu les comportements des entreprises, on ne peut ignorer l’atten-
tion croissante que la société civile accorde aux risques environnementaux,
sanitaires et sociaux qu’elles lui font courir et la place légitime qui lui revient
dans tout débat sur ces questions”.

La Commission a publié en 2011 un document stratégique 4 pour la pé-


riode 2011-2014. La Commission se propose d’élaborer un code des bonnes
pratiques, de renforcer l’attrait pour la RSE en adaptant les politiques en ma-
tière de consommation, d’investissement et de marchés publics. Elle prévoit
également de prendre des mesures législatives concernant les informations
sociales et environnementales des entreprises.
4. COM(2011) 681 final

18
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

1.4.3 Modalités de régulation de l’activité des entreprises


Les entreprises désirant s’engager dans des démarches RSE ont à dispo-
sition toute une série d’outils plus ou moins contraignants.

1.4.3.1 Les codes de conduite


L’outil le plus utilisé est le code de conduite. Il n’existe pas de formes
uniques et sont du ressort plein et entier des entreprises. Dans un grand
nombre de cas, ils sont fixés unilatéralement par l’entreprise et rien ne garan-
tit que les salariés et les autres parties prenantes aient participé au processus
d’élaboration. Ils n’ont pas de forme légale ou contraignant pour l’entreprise.
Il n’y a pas de contrôle des engagements pris. Les codes de conduite souffrent
de problème de visibilité et de crédibilité du fait de leur prolifération et du
peu de contrôle.

Il existe cependant des codes de conduite proposés par des ONG, comme
celui proposé à l’industrie textile par le collectif “Clean Clothes Campaign” 5 .
Le code insiste sur la nécessité d’avoir recours à des organismes indépendants
chargés de s’assurer du respect du code.

1.4.3.2 Les certifications


Du fait de l’hétérogénéité des engagements en terme de RSE et de l’im-
possibilité à vérifier le respect effectif des codes de conduite, de nombreuses
entreprises ont prolongé leur engagement en faisant certifier leur démarche
RSE. On peut citer trois certifications principales : la norme SA 8000 de
certification sociale, la norme 14001 sur la démarche environnementale et la
norme ISO 26000 en cours de réalisation sur la responsabilité sociétale des
firmes. On peut également citer la norme NF environnement et l’écolabel
européen sur la réduction de l’impact environnemental d’un produit.

– NF environnement et l’écolabel européen reprennent les mêmes


caractéristiques. NF environnement concerne les entreprises travaillant
uniquement sur le marché français tandis que l’écolabel est adapté aux
entreprises ayant une activité dans plusieurs pays européens. Ces deux
normes reprennent les critères fixés par la certification ISO 14024 sur le
marquage et les déclaration environmentaux 6 . Ils doivent respecter six
5. Disponible ici : http://www.cleanclothes.org/resources/ccc/
corporate-accountability/the-ccc-model-code
6. Voir http://www.iso.org/iso/fr/catalogue_detail.htm?csnumber=23145

19
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

critères : (1) la définition d’exigences précises par un cahier des charges,


(2) la prise en compte de l’ensemble du cycle de vie du produit, (3) la
concertation avec les parties prenantes, (4) le libre-accès, (4) la révision
régulière des exigences et (5) la certification par tierce partie.

– La norme SA 8000 consiste en un engagement à ce que les fournis-


seurs et sites de production assurent des conditions de travail juste et
éthiques partout dans le Monde. Elle couvre 9 domaines : le travail
des enfants, le travail forcé, l’hygiène et la sécurité, les pratiques, la
discrimination, le droit de réunion et de paroles (syndicats), le temps
de travail, la rémunération, le système de gestion.

– La norme ISO 14001 est la norme ISO la plus utilisée de la série


14000 sur le management environnemental. Il existe 18 exigences répar-
ties en 6 chapitres : les exigences générales (intention de l’enteprise), la
politique environnementale (objectifs de l’entreprise), la planification,
la mise en oeuvre (réalisation des objectifs), les contrôles et actions
correctives, la revue de direction. La principale limite est qu’il n’existe
pas d’exigence absolue en terme de performance environnementale. Il
y a un processus d’amélioration continue et de respect des législations.
Mais pas d’objectifs précis à atteindre, hors ceux définis par l’entre-
prise elle-même. Plus de la moitié des 160 membres nationaux de l’ISO
l’ont adoptée comme norme nationale. La certification de conformité
à l’ISO 14001 n’est pas une exigence de la norme mais on dénombre
154572 certificats fin 2007 dans 148 pays 7 .
– La norme ISO 14004 est une norme complémentaire, fournissant des
lignes directrices et des explications utiles pour l’application d’ISO
14001.
– La norme ISO 14031 donne des lignes directrices sur l’évaluation de
la performance environnementale. Il définit des indicateurs de perfor-
mance.
– La norme ISO 14020 fournit un cadre à l’étiquettage et aux déclara-
tions environnementales (ecolabels, autodéclrations environnementales
et informations environnementales chiffrées sur les produits et services)
– La norme ISO 14040 est l’équivalent de la ISO14001, mais portant
sur les principes et la conduite de l’analyse du cycle de vie (outil pour
identifier et évaluer les aspects environnementaux des produits et ser-
vices du “berceau à la tombe”). ISO 14001 concerne les processus de
7. Source : ISO “La famille ISO 14000 des normes internationales pour le management
environnemental”.

20
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

l’organisation et ISO 14040 plus spécifiquement les produits et services.


– La norme ISO 14064 concerne la quantification et la vérification des
gaz à effet de serre (GES).
– La norme ISO 14063 donne des lignes directrices concernant la com-
munication sur le management environnemental.

Au cours des dernières années, une multitude de labels privés se sont


également multipliés, entraînant de fait une concurrence entre labels pouvant
être négative en ce qui concerne la lisilité pour le consommateur, et même
la qualité réelle de ces labels crées par les entreprises elles-mêmes.

Figure 1.2 – Le développement de l’écolabel européen

Source : www.ecolabels.fr

1.4.3.3 Les lignes directrices ISO 26000


Le projet de création d’une norme globale émerge en 2001, sous la pres-
sion des associations de consommateurs inquiets face aux pratiques de cer-
taines entreprises multinationales. Par le biais du comité ISO en charge des
relations avec les consommateurs (COPOLCO), elles ont souhaité la réalisa-
tion d’une étude de faisabilité sur la normalisation de la Responsabilité So-

21
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

ciétale des Entreprises. Suite à cette étude, un groupe consultatif stratégique


(SAG) composé de diverses parties prenantes a émis des recommandations.
En juin 2004, la conférence internationale de Stockholm a accordé à l’ISO la
responsabimité d’élaboration de cette norme. La norme a commencé à être
rédigée en 2005 et est finalement adoptée en février 2010.

Il s’agit d’élaborer une norme donnant des orientations et des lignes direc-
trices, non certifiable, “qui ne permettra donc pas une mise en oeuvre unique
des politiques de responsabilité sociétale, mais qui constituera une référence
en tant que texte de consensus international”. Il ne s’agit donc pas à propre-
ment parler d’un label récompensant les entreprises responsables. Bien que
de multiples organismes se soient lancés dans la “certification” des démarches
ISO 26000, il ne peut y avoir en tant que tel de “respect d’ISO 26000” puis-
qu’il s’agit d’une démarche de progrès. Autrement dit, l’entreprise ne doit
pas en tant que tel “respecter des objectifs” mais s’engager à améliorer ses
pratiques.

Le premier rôle de la norme est d’établir une définition consentuelle de la


RSE au niveau mondial. Il s’agit notamment de concilier la vision américaine
(qui lie la RSE au développement durable et avec une approche morale des
parties prenantes), la vision européenne (mise en oeuvre de l’organisation
du développement durable dans le cadre d’institutions garantes d’un intérêt
supérieur) et la vision fondée sur la garantie contre un risque financier ou un
risque de réputation.

Le processus aboutit à la définition suivante :


“Responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ces décisions
et de ses activités sur la société et l’environnement, se traduisant par un
comportement éthique et transparent, qui :
– contribue au développement durable, à la santé et au bien-être de la
société,
– prend en compte les attentes des parties prenantes,
– respecte les lois en vigueur et est en accord avec les normes internatio-
nales de comportement,
– est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en oeuvre dans les
relations.”

La norme définit ensuite sept principes devant guider les actions en terme
de RSE :
– Responsabilité de rendre compte : une organisation doit répondre des
impacts qu’elle génère sur la société et l’environnement. Pour cela,

22
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

elle doit accepter un droit de regard approprié et le devoir de réponse


correspondant.
– Transparence : une organisation doit assurer la transparence de ses
décisions et actions même lorsque celles-ci ont un impact sur l’environ-
nement et la société.
– Comportement éthique : le comportement de l’organisation doit repo-
ser sur l’honnêteté, l’équité et l’intégrité.
– Respect des intérêts des parties prenantes : l’organisation doit respecte
et prendre en considération les intérêts des parties prenantes et y ré-
pondre.
– Respect de la loi : respect du principe de légalité.
– Respect des normes internationales de comportement : dans le respect
du principe de légalité (si les lois d’un pays contredisent les normes
internationales, l’organisation doit s’efforcer de respecter les normes
internationales dans la mesure du possible).
– Respect des droits de l’Homme : l’organisation doit reconnaître leur
importance et leur universalité, même dans le cas où la législation
n’assure aucune protection adéquate des droits de l’Homme

Elle précise également sept questions centrales (voir 1.3) :


– Environnement
– Bonne pratique des affaires
– Contribution au développement local
– Gouvernance de l’organisation
– Relations et conditions de travail
– Protection du consommateur
– Droits de l’Homme

1.4.3.4 Les Accords-cadres internationaux


Ici, il s’agit d’accords entre une entreprise et un syndicat de branche au
niveau international. Les instances représentatives du personnel jouent donc
un rôle de contrôle des engagements pris. Dans les faits, ils s’apparentent aux
accords salariaux, mais en prenant en compte la dimension internationale
des groupes en donnant une série de principes uniques. Ils sont en forte
augmentation au cours des dernières années. L’ORSE (2006) 8 comptabilise
61 ACI au niveau mondial.
8. Voir ORSE (2007b) pour une mise-à-jour du recensement des ACI en 2007.

23
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

Figure 1.3 – Les questions centrales de RSE

Source : AFNOR

1.4.3.5 Les points de contacts nationaux


Les principes directeurs de l’OCDE prévoient la mise en place de points de
contacts nationaux. Les syndicats et ONG peuvent y dénoncer des pratiques
en violation des principes directeurs. Il n’y a pas en tant que tel de sanctions
mais une dénonciation possible des mauvaises pratiques. Cependant, comme
expliqué après, il existe de multiples conciliations avant que le PCN puisse
émettre un communiqué public pour dénoncer une violations des principes
directeurs.

24
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

Figure 1.4 – Signatures d’accords cadre internationaux - jusqu’en octobre


2007

Source : ORSE (2007b)

25
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

Le Point de contact national français

Le Point de contact national français est une structure tripartite rassemblant


les syndicats, les entreprises et l’administration. Son activité est coordonnée
par la Direction générale du Trésor et de la politique économique au ministère
de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi.

Composition du Point de contact national :


Syndicats : CFDT, CGT, FO, CFE–CGC, CFTC, UNSA.
Entreprises : MEDEF.
Administration : Ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, Minis-
tère du Travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, Ministère
de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement
du territoire, Ministère des Affaires étrangères et européennes.

En ce qui concerne la promotion et la diffusion des principes directeurs de


l’OCDE, le Point de contact national est un lieu d’échange d’informations
sur les activités et les initiatives de ses différents membres liées aux principes
directeurs (cf. autres activités liées aux principes directeurs de l’OCDE et à
la responsabilité d’entreprise).
En ce qui concerne la mise en œuvre des principes directeurs de l’OCDE, le
PCN est chargé de répondre aux saisines dont il est l’objet au sujet de la
conformité du comportement d’une entreprise multinationale au regard des
principes directeurs de l’OCDE.
Source : Point de Contact National, MINEFI,
http ://www.minefi.gouv.fr/directionss ervices/dgtpe/pcn/pcn.php

Dans le cadre de la mise en œuvre des principes directeurs de l’OCDE, le


Point de contact national doit répondre aux demandes qui lui sont soumises
au sujet de la conformité du comportement d’une entreprise multinationale
au regard des principes directeurs de l’OCDE. La procédure prévue en ce
cas est la suivante.
Le Point de contact national étudie la recevabilité de la demande. A cet
égard, la demande doit être suffisamment précise et faire clairement référence
aux principes directeurs de l’OCDE.
Si cette demande est jugée recevable, le Point de contact national s’ef-
forcera d’organiser entre les parties impliquées un règlement consensuel de
la question soulevée. A cette fin, il consultera, le cas échéant, le Point de
contact national de l’autre pays concerné ou des autres pays concernés.
Si les parties ne parviennent pas à un accord, le Point de contact natio-

26
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

nal devra publier un communiqué et, éventuellement, des recommandations


concernant la mise en œuvre des principes directeurs de l’OCDE. Ces recom-
mandations devront veiller à respecter la confidentialité des données sensibles
de l’entreprise.
Si le Point de contact national l’estime nécessaire, il peut demander une
clarification, dans le cas d’espèce, des principes directeurs de l’OCDE au-
près du comité de l’investissement de l’OCDE. De même, si un autre pays
adhérant aux principes directeurs ou l’un des organes consultatifs de l’OCDE
(BIAC pour les milieux d’affaires et TUAC pour les syndicats) estime erronée
l’interprétation donnée par le Point de contact national, il peut demander une
clarification auprès du comité de l’investissement. Dans une telle situation,
l’entreprise concernée aura la possibilité d’exprimer ses vues. Elle pourra être
auditionnée à sa demande ou à la demande des membres du PCN. En tout
état de cause, le comité de l’investissement ne devra pas tirer de conclusions
sur le comportement de cette entreprise.

1.4.3.6 En France : la loi NRE et la loi Grenelle II


En France, la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) oblige
les entreprises de droit français côtées en bourse (soit environ 700 entreprises)
à indiquer dans leur rapport annuel une série d’informations relatives aux
conséquences sociales et environnementales de leurs activités. Par exemple :
– Des indicateurs sociaux (effectifs, non-discrimination)
– la politique d’acceuil des personnes handicapées
– consommation d’énergie, d’eau
– émissions de CO2
Mais la loi NRE ne prévoit pas de sanctions en cas de non-respect de ces
obligations et la certification extérieure n’est pas exigée. L’application est
toute relative (voir figure 1.5).

Cette première disposition légale a été complétée par la loi Grenelle II.
L’article 225 de cette loi prévoit d’étendre à toutes les grandes entreprises
cette obligation de rendre compte des conséquences environnementales et
sociales de son activité. Néanmoins, après de longs débats, le décrêt d’appli-
cation est en retrait par rapport aux objectifs de la loi. En 2011, seules les
entreprises de plus de 5000 salariés et 1 milliard de chiffres d’affaires sont
concernés. En 2012, l’obligation concerne les entreprises de plus de 2000 sa-
lariés et 400 millions d’euros de chiffre d’affaires. Et en 2013, les entreprises
de plus de 500 salariés et 100 millions de chiffres d’affaires.

Voir également sur ce thème le chapitre 3 sur le reporting.

27
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

Figure 1.5 – Analyse des pratiques de reporting RSE pour les entreprises
du CAC40 (Etude Alpha Etudes)

Source : Alpha Etudes, AFNOR


28
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

1.5 Le problème de la communication verte et du


“Greenwashing”
La notion de Greenwashing (littéralement “blanchiment vert”) est appa-
rue dans les années 1980 du fait du scepticisme d’une partie de la société civile
sur la tangibilité des engagements sociaux et environnementaux des grandes
entreprises. Greenpeace définit ainsi le greenwashing comme le fait d’induire
en erreur le consommateur, sur les pratiques environnementales d’une firme
ou les caractéristiques environnementales d’un bien ou service. Cette notion
de greenwashing peut d’ailleurs être étendue aux enjeux sociaux.

Ce phénomène peut altérer la confiance des consommateurs dans les pra-


tiques RSE des firmes et à terme fragiliser les firmes s’engageant effective-
ment dans des pratiques responsables. Selon un rapport de Futerra Sustai-
nibility Communications (“The Greenwashing guide”), on peut reconnaître à
dix signes de telles pratiques :
– Mots flous, termes sans définitions claires
– Produits verts d’une entreprise qui ne l’est pas (example d’ampoules
basse consommation produite par une entreprise très polluante)
– Image suggestive, qui induit une qualité écologique injustifié
– Slogan abusif (mettre en avant un aspect écologique mineur quand
l’ensemble du produit ou de l’activité ne l’est pas)
– Premier de la classe (dire que l’on est meilleur que les autres alors que
les autres sont très mauvais)
– Pas crédible (rendre plus vert un produit dangereux)
– “eco-volapuk” (utiliser un jargon compréhensible par les seuls experts)
– Amis imaginaires (utiliser un label fabriqué de toute pièce)
– Absence de preuve
– Contre-vérité (mensonge pure et simple)

Dès 1992, l’United States Environmental Protection Agency et la Federal


Trade Commission ont conjointement publié un guide réunissant des recom-
mandations pour un marketing et une communication plus respectueuse de
l’environnement. En 2003, le gouvernement anglais lance le “Green Claims
Code” (code des slogans verts). En France, la régulation s’officie via l’ARPP
(autorité de régulation professionnelle de la publicité) qui est une instance
privée gérée par les professionnels eux-mêmes. Depuis 2006, l’ARPP mène en
collaboration avec l’ADEME une étude sur la publicité et l’environnement.
Les règles déontologiques applicables sont définies dans la charte dévelop-

29
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

pement durable adoptée en 2009 9 . Le BVP (ancêtre de l’ARPP) avait déjà


édicté des recommandations sur les arguments écologiques (1998) et sur le
développement durable (2003). Selon l’ARPP, le taux de conformité des pu-
blicités est globalement bon (autour de 90%, voir figure 1.6).

Figure 1.6 – L’argument vert dans les publicités et sa conformité aux règles
déontologiques de l’ARPP

Source : ARPP et ADEME (2010), Bilan 2010 publicité et environnement

Selon l’ARPP, le phénomène de greenwashing est donc globalement li-


mité même s’il convient d’être vigilant. Pour nuancer ce bon bilan, il convient
cependant de rappeler que l’ARPP se contente de vérifier que la publicité
respecte certains critères. Il s’agit de vérifier le contenu du message et pas
le produit lui même. C’est à dire que l’ARPP n’est pas compétente pour
dire si le produit faisant l’objet de la publicité est effectivement vert. Les
médias étudiés sont uniquement la presse (hors presse régionale et profes-
sionnelle) et les banières internet sur les 36 sites les plus visités. Les règles
applicables pour détecter un manquement peuvent être considérées comme
limitatives. A titre d’exemple, la plupart des signalements concernant les pu-
blicités automobiles concerne des visuels dans lequel des voitures à moteur
sont présentées hors des voies ouvertes à la circulation (“Il n’y a aucun doute
sur la réalité et la portée « anti-environnement » du comportement”). Mais
l’ARPP n’a pas pouvoir à juger de la réalité d’un label ECO2 créé par une
9. Disponible ici : http : //www.arpp pub.org/IM G/pdf /Recommandationd eveloppementd urable.pdf

30
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

marque automobile. Pour l’ARPP, le problème du greenwashing concerne


aujourd’hui essentielement le secteur du batîment et de la construction.
Qu’est-ce qu’un manquement pour l’ARPP ?

Les publicités constituent un « manquement » dès lors que le non-respect des


normes en vigueur (légales et déontologiques) est flagrant.

Critères d’appréciation des fondements des manquements : Pour les publicités

« incitant à un comportement non éco-responsable » :


- Il n’y a aucun doute sur la réalité et la portée « anti-environnement » du
comportement ;
- Le comportement est manifeste et présent au coeur de l’argumentation
principale du message.

Pour les publicités « de nature à induire en erreur » :


- L’argument écologique est au coeur de l’argumentation principale de la
publicité ;
- L’allégation est infondée ou très excessive ;
- Le non respect des règles est démultiplié : plusieurs éléments redondants,
(texte, visuels) convergent pour installer
fortement un positionnement écologique abusif ;
- L’information qui pourrait renseigner le consommateur sur le fondement et
la portée de l’allégation environnementale est inexistante ;
- Plusieurs de ces manquements sont combinés au sein d’un même message

Mais il est également possible d’avoir une vision plus extensive du green-
washing. Lorsqu’une marque célèbre d’essence repeint toutes ses stations-
service en vert en adoptant des slogans écologiques, il est possible d’assimi-
ler cela à du greenwashing. Mais ce comportement ne sera pas détecté par
les autorités de régulation de la publicité. Dans cet esprit, les Amis de la
Terre attribuent chaque année les Prix Pinocchio, dans le but “d’illustrer et
de dénoncer les impacts négatifs de certaines entreprises françaises, en to-
tale contradiction avec le concept de développement durable qu’elles utilisent
abondamment”. Le point de vue de cette ONG reflète bien le scepticisme
sur la réalité des engagments des firmes : “Tandis que les entreprises bénéfi-
cient de retombées positives en termes d’image auprès de leurs actionnaires,
de leurs clients et des citoyens, elles ne s’engagent en contrepartie que sur

31
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

des grands principes généraux peu opérationnels, et ne sont pas redevables de


leurs actes en cas de non-respect de ces approches volontaires.”

1.6 Conclusion du premier chapitre


La Responsabilité Sociale des Entreprises est un concept beaucoup plus
large que son appellation le suggère. Il ne s’agit pas de la simple trans-
position des principes de développement durable aux entreprises même si
les deux notions sont intimement liées. Nous l’avons vu, il existe de nom-
breuses acceptations différentes de ce concept, ce qui renforce la difficulté à
voir émerger une responsabilité sociale “naturelle” au niveau international.
Le développement de la RSE renvoie par ailleurs à la question de la régu-
lation et de l’autorégulation. De plus en plus d’entreprises font référence à
des principes sociaux et environnementaux. Il devient plus difficile pour les
entreprises de se distinguer. La vérifiabilité des engagements est par ailleurs
faible, renforcée par le comportement de communication abusive de nom-
breuses firmes sur la question (phénomène de greenwashing). Face à cela, les
questions de la régulation d’une part, et de la certification d’une autre part
sont amenées à prendre une importance croissante.

32
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

Annexes : Partage d’expériences RSE (source AFNOR)

1.6.1 Partage d’expériences RSE (source AFNOR)/ Parties


prenantes : la société REFRESCO
Le groupe Refresco France est un groupe de 550 salariés qui fabrique et
conditionne des boissons gazeuses et jus de fruits pour son compte et pour
le compte d’autres marques. La société est implantée sur 3 sites en France.
Il a été élu en 2009 par Coca Cola Entreprise, fournisseur de l’année en
terme de Responsabilité d’Entreprise et de Durabilité pour avoir fourni un
service exceptionnel à Coca Cola Entreprises en 2008, selon des critères de
responsabilité des entreprises et de durabilité (RED).
Sa démarche de RSE inclut de nombreuses parties prenantes :
Fournisseurs :
– Refresco a mis en place une filière équitable pour se fournir en purée
de mangue au Burkina Faso.
– La société travaille avec son fournisseur d’emballage plastique :
– sur la diminution de leur poids et l’augmentation de la part de ma-
tière recyclée
– Les emballages qui étaient produits à Dunkerque, le sont mainte-
nant à proximité du site Refresco de Beaune, évitant 200 000 km de
transport par an et des économies conséquentes.
Salariés :
– Signature d’une charte “développement durable”

Clients :
– Développement d’une offre de produits avec un taux de sucre diminué
de 15

Acteurs locaux :
– Mise en place dans la Drôme, près du site Delifruits, d’un partenariat
avec des agriculteurs locaux qui épandent de façon agronomique les
déchets de l’entreprise sur une centaine d’hectares

1.6.2 Partage d’expériences RSE (source AFNOR)/ Rela-


tions sociales : la société Philibert
Philibert est une entreprise familiale lyonnaise de 600 salariés. Elle par-
tage son activité entre transport, tourisme, vente et entretien de camions.
Son approche du développement durable a une large part sociale.

33
CHAPITRE 1 : Qu’est-ce que la RSE ?

Ses actions ont pour but “d’améliorer les conditions nécessaires à l’épa-
nouissement des collaborateurs” :
– Recrutement sans discrimination : un effectif constitué à 30% de femmes
et à 26% de seniors
– Formation : Selon le responsable développement durable de Philibert,
“toute formation améliore les compétences du salarié et donc son em-
ployabilité. Ainsi conçue, elle s’inscrit pleinement dans le développe-
ment durable”. Chez Philibert, 2% de la masse salariale est consacrée
à la formation (l’obligation légale est de 1%) et l’entreprise accueille
d’une vingtaine de jeunes en formation.
– Attention portée à la santé et la sécurité des salariés
– Implication des salariés dans les décisions
– Faible part des contrats de travail sous forme de CDD : 2% contre 7%
au niveau national.

34
Chapitre 2

Théories de la Responsabilité
Sociale des Entreprises

”La responsabilité sociale des entreprises veut dire quelquechose mais pas la même
chose à tout le monde” (Votaw, 1973)

La Responsabilité sociale des entreprises a fait l’objet de nombreuses


études théoriques et empiriques. Dans le champ de la gestion, des centaines
d’articles de recherches ont été publiés visant à la fois à déterminer les rai-
sons déterminant les entreprises à engager des démarches RSE et à étudier
les interactions existant avec les performances financières et économiques
des entreprises. Les économistes se sont mis beaucoup plus récemment à
étudier ce phénomène en se basant sur des modèles d’économie industrielle.
Si les recherche en gestion ou en économie se rejoignent sur leurs finalités
notamment, les méthodes de recherche utilisées diffèrent largement et nous
étudierons successivement les deux champs de recherche.

2.1 Les théories de la RSE en Gestion


Nous nous baserons dans cette section sur la typologie proposée par Gar-
riga et Melé (2004), distinguant quatre principales approches pouvant ex-
pliquer le développement de la RSE : (1) les théories instrumentales, dans
lesquelles les entreprises ne cherchent qu’à maximiser leur profit et la RSE
n’est alors perçue que comme un moyen pour améliorer les performances
de l’entreprise, (2) les théories politiques qui perçoivent les entreprises dans
leurs interactions dans la sphère sociale et le rôle politique que les firmes
jouent en fonction de leur pouvoir au sein de la société, (3) les théories inté-

35
CHAPITRE 2 : Théories de la Responsabilité Sociale des Entreprises

gratives dans lesquelles les firmes contribuent aux demandes sociales, et (4)
les théories éthiques basées sur la responsabilité éthique des firmes dans la
société.

2.1.1 Les théories instrumentales de la RSE


Le principal “ambassadeur” de ce courant de pensée est Milton Friedman
(1971). Selon lui, ”La seule responsabilité sociale de la firme vis-à-vis de la
société est la maximisation du profit pour les actionnaires dans le cadre légal
et les coutumes éthiques du pays”. Windsor (2001) considère qu’il s’agit de
la vision managériale prédominante de la responsabilité. En sciences écono-
miques, on fait parfois référence à la notion de RSE stratégique qui renvoie à
une même notion utilitariste : une entreprise se lancera dans une démarche
RSE si et seulement si elle y trouve un intérêt financier.

Cette recherche de profit n’est pas forcément incompatible avec la prise


en compte des intérêts des parties prenantes. Certains auteurs ont même
montré que la satisfaction des parties prenantes pouvaient constituer un
atout susceptible d’améliorer la profitabilité des firmes (Mitchell, Agle, et
Wood 1997, Odgen et Watson 1999) 1 .

Il y a trois principales théories instrumentales : celles se concentrant sur


la performance boursière, celles se concentrant sur les avantages comparatifs
et celles sur des arguments marketing.

2.1.1.1 La maximisation de la valeur actionnariale


Selon cette conception, toute les demandes sociales qui permettront d’aug-
menter la valeur actionnariale devront être satisfaites. Par contre, si les de-
mandes sociales n’entraînent qu’un coût pour l’entreprise, elles doivent être
rejetées. Cette approche prend généralement la maximisation de la valeur
actionnariale comme référence suprème de la prise de décision du manage-
ment. La théorie de l’agence permet d’expliciter les relations actionnaires-
managers dans un contexte d’imperfection de l’information. Toutefois cette
1. Une littérature abondante s’est développée pour étudier les liens existants entre
performance financière des firmes et RSE. Malgré le nombre foisonnant d’études, les cher-
cheurs peinent à faire émerger un consensus, notamment du fait de la difficulté d’isoler
l’effet de la RSE dans la performance financière et de la possible relation de double-
causalité existant entre ces deux paramètres. Les firmes les plus profitables sont en effet
également plus en mesure de dégager des fonds pour engager une démarche RSE. Voir
Margolis, Elfenbein, et Walsh (2007) pour une meta-analyse des études sur performances
financières et RSE.

36
CHAPITRE 2 : Théories de la Responsabilité Sociale des Entreprises

conception n’est pas forcément contradictoire avec la prise en compte des


demandes d’autres parties prenantes. C’est ce que Jensen (2000) appelle la
maximisation éclairée de la valeur. Ce concept spécifie un objectif de maxi-
misation de long-terme. Cet objectif est ensuite utilisé comme un outil pour
arbitrer entre les différentes demandes des différentes parties prenantes.

2.1.1.2 Stratégies pour acquérir un avantage comparatif


Un second groupe de théories vise à définir la recherche d’objectifs so-
ciaux de long-terme de manière à créer un avantage comparatif (Husted et
Allen 2000). Dans ce groupe, Garriga et Melé (2004) distingue trois ap-
proches.

Les investissements sociaux dans un contexte compétitif. Porter


et Van der Linde (2002) appliquent le modèle de Porter sur les avantages
comparatifs pour apréhender les investissements relevant du “contexte insti-
tutionnel”. Ils montrent que l’investissement dans des activités philanthro-
piques est le meilleur moyen pour une firme d’améliorer son avantage compa-
ratif et est également plus efficace que si des donneurs individuels ou si des
gouvernements le faisaient eux-mêmes. la raison avancée est que l’entreprise
a la connaissance et les ressources permettant une meilleure compréhension
des problèmes rattachés à la mission de l’entreprise. Cela est par exemple
le cas lorsqu’une entreprise de télécommunication lance des actions de phi-
lanthropie dans l’enseignement des réseaux de communication aux étudiants
d’une communauté locale. Cela peut en retour favoriser la compétitivité dans
l’entreprise dans le sens où cela crée des “clusters” locaux améliorant la per-
formance de toutes les entités de l’entreprise.

la vision de la firme basée sur les ressources naturelles. Selon la


théorie des ressources de la firme, l’entreprise est à même de mieux faire que
ses concurrents si elle peut jouer sur les interdépendances entre les ressources
humaines et physiques. Les ressources qui ont le plus de chance de créer un
avantage comparatif sont les ressources de valeur, rares, inimitables. L’orga-
nisation de la firme doit ensuite se faire de manière à combiner au mieux ces
ressources (Voir table 2.1)..
Cette approche a été complétée par celle des “capacités dynamiques”.
Ces capacités dynamiques sont “des routines organisationnelles ou straté-
giques par lesquelles les managers acquièrent des ressources, les modifient,
les intègrent et les recombinent de manière à créer de nouvelles stratégies
créatrices de valeur”. Certains auteurs se sont basés sur ces approches pour

37
CHAPITRE 2 : Théories de la Responsabilité Sociale des Entreprises

Figure 2.1 – Vision de la firme basée sur les ressources

Source : Hart (1995)

38
CHAPITRE 2 : Théories de la Responsabilité Sociale des Entreprises

identifier des ressources éthiques ou sociales permettant de développer des


stratégies vis-à-vis des principales parties prenantes (employés, clients, four-
nisseurs, communautés). Hart (1995) propose un modèle de capacités dyna-
miques basé sur l’environnement extérieur (voir table 2.2). Il prend en compte
l’environnement naturel et la biosphère et trois capacités liées : la prévention
de l’environnement, la fabrication du produit, et le développement durable.

Figure 2.2 – Vision de la firme basée sur les ressources naturelles : cadre
conceptuel (Hart 1995)

Source : Hart (1995)

Les stratégies visant le bas de la pyramide économique et so-


ciale (Yunus 2008) La plupart des stratégies commerciales visent les classes
moyennes et supérieures. Pourtant, la majorité de la population mondiale est
pauvre. Le bas de la pyramide économique et sociale représenterait 4000 mil-
lions de personnes. Prahalad (2002) analyse l’expérience indienne et montre
que de nombreuses entreprises se sont appuyées sur les pauvres, comme
source potentielle d’innovations. Un des moyens de toucher les plus pauvres
est de réaliser des innovations “disruptives”, consistant à adapter un produit
conçue pour les couches supérieures de la population aux besoins et aux res-
sources des plus pauvres. Un exemple parfait de cette stratégie est la Logan
fabriquée par Renault pour toucher les pays émergents et les faibles reve-
nus. Cette stratégie peut être hautement profitable et créer les conditions du
développement d’un marché intérieur dans de nombreux pays.

39
CHAPITRE 2 : Théories de la Responsabilité Sociale des Entreprises

2.1.1.3 Le marketing relié à une cause


Le marketing relié à une cause se définit comme “le processus de formu-
lation et d’application d’activités de marketing caractérisées par la contribu-
tion d’une firme pour un montant spécifique à une cause donnée, lorsque les
clients achètent un bien particulier étant à même de satisfaire leurs objec-
tifs individuels”. La firme recherche une différenciation de produits en créant
des attributs socialement responsables qui affecte positivement la réputation
sociale de la firme. Les consommateurs percevront alors la firme comme pro-
duisant des biens de plus grande qualité. Par exemple, une firme s’engageant
sur des produits garantis sans pesticide verra ses clients penser à une qualité
supérieure du produit.
Les entreprises pourront également se lancer dans des activités de spon-
soring ou de charité de manière à sécuriser leur avantage comparatif. Il s’agit
d’une situation “gagnant-gagnant”. L’entprise utilise la préoccupation sociale
de ses consommateurs pour sécuriser son avantage comparatif et la cause re-
cevra plus de fonds de la part de la firme.

2.1.2 Les théories politiques


2.1.2.1 Le constitutionnalisme corporatif
Davis (1960) fut l’un des premiers à étudier le rôle du monde des affaires
dans la société et l’impact social de ce pouvoir. Il assimile le monde des
affaires à une institution sociale qui a un pouvoir à l’intérieur mais également
à l’extérieur de l’entreprise. Davis critique l’hypothèse de concurrence pure
et parfaite et considère que dans la majorité des cas, les entreprises ont un
pouvoir de marché. Davis formule deux principes quant à l’utilisation de ce
pouvoir de marché :
– L’équation du pouvoir social : le niveau de responsabilité sociale
provient du niveau de pouvoir social qu’a le businessman.
– La loi de fer de la responsabilité provient des conséquences né-
gatives de l’absence d’utilisation de ce pouvoir. Ceux qui n’utilisent
pas ce pouvoir le perdent et ce pouvoir sera utilisé par d’autres. Si
les firmes n’utilisent pas ce pouvoir, d’autres acteurs dans la société
rempliront ce rôle.
Ce pouvoir est restreint exactement de la même manière que le pouvoir
politique est restreint. La pression d’autres groupes sociaux vient constituer
à la fois une limite et un contrôle du pouvoir des firmes. Ces groupes ne
détruisent pas le pouvoir des firmes mais ils concourent à un usage rationnel
de ce dernier. Chaque groupe garantit et protège le pouvoir de l’autre. Pour

40
CHAPITRE 2 : Théories de la Responsabilité Sociale des Entreprises

cette raison, Davis appelle sa théorie le “constitutionnalisme corporatif ”.

2.1.2.2 la théorie du contrat social intégratif


Donaldson (1982) considère que la société et le monde des affaires sont
reliés entre eux par un contrat social implicite. Ce contrat social exige de
la firme des obligations indirectes. Donaldson et Dunfee (1994) propose la
théorie du contrat social intégratif dans laquelle les firmes doivent prendre en
compte le contexte socio-culturel dans lequel elles agissent. Ils présupposent
deux niveaux de contraintes : les contraintes “macrosociales” s’appliquant à
tous les acteurs (“les hyper-normes”) et une multitude de contraintes “micro-
sociales” spécifiques à chacune des microcommunautés (les “normes authen-
tiques”). Pour être légitimes, les normes authentiques doivent être en accord
avec les hyper-normes.

2.1.2.3 La citoyenneté d’entreprise


Cette notion de citoyenneté d’entreprise (“ ‘corporate citizenship” est an-
cienne et a de multiples significations. Matten, Crane, et Chapple (2003)
considèrent que ce concept peut être entendu de multiples manières : (1) de
manière limitée, (2) comme équivalent à la RSE, (3) de manière étendue.
La vision limité de la citoyenneté d’entreprise se limite aux actions philan-
thropiques ou certains engagements devant les communautés locales. Dans
la vision étendue, les entreprises font face à l’échec de l’Etat à protéger les
citoyens et se substituent à lui pour assumer ce rôle.

2.1.3 Les théories intégratives


Ces théories étudient comment le monde des affaires intègrent les de-
mandes sociales. Cette intégration est nécessaire du fait de la dépendance
des entreprises à leur environnement et à la société en général. Les demandes
sociales peuvent être définies comme la manière dont la société interagit avec
les entreprises en lui donnant une certaine légitimité et un certain prestige.
Les firmes doivent prendre en compte ces demandes sociales de manière à ce
que les activités économiques soient en adéquation avec les valeurs collectives.

2.1.3.1 La théorie des parties prenantes


La théorie des parties prenantes inscrit l’entreprise au coeur d’un en-
semble de relations avec des partenaires qui ne sont plus uniquement les

41
CHAPITRE 2 : Théories de la Responsabilité Sociale des Entreprises

actionnaires mais des acteurs intéressés par les activités et décisions des en-
treprises.

Table 2.1 – Exemples de définitions des “parties prenantes”


Auteurs Définitions
Freeman (1984) Individu ou groupe d’individus qui peut influencer
ou être influencé par la réalisation
des objectifs de l’organisation
Hill et Jones (1992) Participants possédant un droit légitime sur l’entreprise
Clarkson (1995) Personnes ou groupes qui encourent un risque
en ayant investi une forme de capital humain
ou financier dans la firme
Source : Capron et Quairel-Lanoizelée (2007)

Le chef d’entreprise ne peut prendre en compte l’ensemble des parties


prenantes (du fait de la divergence de leurs intérêts, par exemple actionnaires
vs salariés). Il doit donc les prioriser ou les classifier. Pour cela, différentes
techniques sont possibles. Plusieurs typologies ont ainsi été proposées pour
classifier les différentes parties prenantes.

– Parties prenantes primaires et secondaires : les parties prenantes


primaires sont celles liées à la firme par un contrat explicite (salarié
relié à l’entreprise par un contrat de travail, fournisseur lié par un
contrat de vente...). Les parties prenantes secondaires n’ont pas de
liens explicites avec l’entreprise mais on peut considérer qu’elles sont
liées par un contrat implicite ou moral (société civile, ONG...).
– Parties prenantes volontaires ou involontaires : les parties pre-
nantes volontaires acceptent d’être exposées à certains risques alors
ques les parties prenantes involontaires subissent un risque sans avoir
noué aucune relation contractuelle avec la firme.
– Parties prenantes urgentes, puissantes, ou légitimes : la légi-
timité d’un groupe correspond à sa reconnaissance et son acceptation
sociale. L’entreprise discrimine les parties prenantes en fonction de la
nature du risque auquel elle est confrontée.

Les entreprises peuvent être amenées à intégrer les demandes émanant


des parties prenantes pour deux raisons distinctes, rejoignant de fait d’autres
théories des déterminants de la RSE :

42
CHAPITRE 2 : Théories de la Responsabilité Sociale des Entreprises

– Les entreprises prennent en compte les demandes des parties prenantes


de manière utilitariste : on rejoint ici la théorie instrumentale de la
RSE. Les entreprises voient dans la satisfaction des besoins des parties
prenantes un moyen pour maximiser la valeur actionnariale de la firme.
La prise en compte de ces intérêts est alors une condition pour une
meilleure performance économique et financière de la firme. Il s’agit
d’une vision partenariale de la gouvernance dans la mesure ou à long-
terme, les intérêts entre différentes parties sont amenés à converger.
– Une autre vision est orientée éthique. La RSE est alors un idéal pour
la firme. On se rapproche des approches normatives dans lesquelles
les entreprises sont redevables vis-à-vis de la société. La firme a des
obligations morales par rapport aux parties prenantes. Dans cette ap-
proche, la théorie des parties prenantes peut se rapprocher des théories
éthiques que nous développons ci-dessous.

La principale lacune de cette théorie est qu’elle laisse de côté les par-
ties prenantes invisibles. Par exemple, les générations futures ou l’écosys-
tème ne sont pas à même de formuler leurs demandes entrant en compte
dans les stratégies de choix des firmes. De la même manière, des groupes so-
ciaux peuvent ignorer que l’activité d’une entreprise est susceptible d’avoir
des conséquences sur leur bien-être, du fait de l’éloignement géographique,
de problèmes d’information ou de chaîne d’impact complexe. Ces groupes
peuvent ne pas être à même de formuler des demandes à la firme qui ne se
sentira pas tenue d’y répondre.

2.1.3.2 La performance sociale des entreprises


La théorie de la performance sociale des entreprises (PSE) inclut la re-
cherche de légitimité sociale et les différents moyens d’y parvenir. Cette théo-
rie a été développée principalement par Carroll (1979) avec son modèle de
“corporate performance”. Ce modèle a trois composantes : une définition ba-
sique de la responsabilité sociale, une liste de sujets pour lesquels la res-
ponsabilité sociale existe, et une spécification des réponses possibles. Ces
réponses couvrent l’ensemble du champ des obligations des entreprises vis-à-
vis de la société dans les dimensions économiques, légales, éthiques et dans
des catégories spécifiques propres à l’activité de l’entreprise.
Il proposa dans un second temps une quatrième composante avec la pyra-
mide de la responsabilité sociale des entreprises (Carroll 1991) catégorisant
les différentes formes de RSE en fonction des objectifs de la firme (Voir figure
2.3).

43
CHAPITRE 2 : Théories de la Responsabilité Sociale des Entreprises

Figure 2.3 – La pyramide de la RSE (Carroll 1991)

Source : Carroll (1991)

2.1.4 Les théories éthiques


Les interactions entre les différentes familles de théories de RSE sont
multiples et nombreuses. On le voit, par exemple, la théorie des parties
prenantes définie ci-dessus pourrait être assimilée à une théorie éthique
dans sa seconde acceptation. D’autres justifications peuvent être apportées
aux démarches RSE basées sur des principes moraux : les Droits Humains
Universels, le développement durable et la théorie des biens communs.

2.1.4.1 Les Droits universels


Cette question des Droits Humains constitue une motivation forte à des
démarches RSE, notamment pour des firmes multinationales fragmentant
leur processus productif et de commercialisation dans un large nombre de
pays aux niveaux de développement très différents. C’est dans cette optique
par exemple que les Nations-Unis ont construit le Pacte Mondial (Global
Compact). La certification SA 8000 est également basée sur une approche
“Droits Humains”. Ces approches se fondent d’abord sur la déclaration uni-
verselle des droits de l’Homme de 1948 et de manière secondaire sur les
déclarations internationales relatives aux droits humains, aux droits dans le
travail (Déclaration de l’OIT sur les principes et droits fondamentaux au
travail), ou à l’environnement.

44
CHAPITRE 2 : Théories de la Responsabilité Sociale des Entreprises

2.1.4.2 Le développement Durable


Même si la notion de développement durable a d’abord été pensée comme
un concept macroéconomique, son application à la firme constitue un des fon-
dements en développement des approches basées sur les valeurs, de RSE au
sein des firmes. Il s’agit notamment de l’approche du World Business Coun-
cil for Sustainable Development. Cela a conduit les firmes à développer des
rapports développement durable se substituant aux rapports d’activité des
firmes jusqu’alors uniquement centrés sur les aspects économiques et finan-
ciers. La loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) en France, qui
date de 2001, oblige 2 les grandes entreprises à réaliser un rapport développe-
ment durable présentant leur bilan social et écologique en plus de leur bilan
économique ou financier.

2.1.4.3 L’approche des biens communs


La notion des biens communs peut également servir d’appui aux ap-
proches RSE (Mahon et Mcgowan 1991, Velasquez 1992). Les biens com-
muns représentent les biens auxquels l’ensemble des groupes sociaux doivent
contribuer à la production du fait de leurs bénéfices universels. Le monde des
affaires doit donc, comme d’autres groupes, y contribuer, du fait de leur ap-
partenance à la société. Cette contribution peut se faire par différents biais :
la création de valeur et de bien-être, la fourniture de biens et de services de
manière juste et efficace, tout en respectant la dignité et les droits fonda-
mentaux des individus. D’une certaine manière, cette approche a beaucoup
de points communs avec la théorie des parties prenantes et celle du dévelop-
pement durable. Mais les motivations sont différentes. Elle permet d’adapter
à chaque société les réponses demandées aux entreprises et autoriserait donc
un certain “relativisme culturel”, par rapport aux approches universelles.

2.1.5 Conclusions des approches en science de gestion


Garriga et Melé (2004) résument les différentes théories de la RSE en
les classifiant en quatre familles : les théories instrumentales, les théories
politiques, les théories intégratrices et les théories éthiques. Selon eux, ces
théories se fondent d’abord sur quatre aspects : (1) atteindre des objectifs
permettant de maximiser le profit à long-terme, (2) utiliser le pouvoir des
2. Néanmoins la loi ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect de l’obligation de
reporting et un grand nombre de groupes n’applique toujours pas cette obligation formelle
prévue par la loi.

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