Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
J’ai été très sage toute cette année et donc voilà, je voudrais pour Noël un livre
un peu bizarre qui rassemble tout plein de lettres qui t’ont été écrites par tout
plein de gens qui sont devenus très très connus, comme la petite Édith Piaf ou
encore Jean-Claude Van Damme ou alors même Sherlock Holmes, ou bien
encore des lettres un peu bizarres tu vois que tu aurais reçues, comme par
exemple des contraventions ou bien des lettres d’amour ou encore des publicités,
enfin c’est toi qui vois, mais c’est ça qui me ferait vraiment vraiment plaisir pour
Noël.
Claude Lévi-Strauss,
Tristes tropiques
Flaubert le dit : tout ce qu’on invente est vrai. C’est pourquoi l’Oulipo croit
au père Noël, à son manteau rouge et à son traîneau, à ses rennes et à ses lutins, à
la mère Noël et à l’élasticité infinie des conduits de cheminées, et c’est pourquoi
aussi il a œuvré avec enthousiasme à la publication de ces missives, toutes
authentiques.
Le lecteur découvrira ci-après quatre-vingt-une lettres. Certaines émanent
des enfants que furent des personnalités célèbres, de René Magritte à Ludwig
Wittgenstein. D’autres – des faux, diront des sceptiques – furent écrites par des
individus à l’existence aussi avérée que celle de leur destinataire, de Sherlock
Holmes à Superman. Les dernières enfin, issues de dossiers secrets, se voient
révélées ici pour la première fois.
C’est donc une collection exceptionnelle que vous tenez entre les mains. Et
l’Ouvroir de littérature potentielle, âgé de soixante ans en cette fin 2020, tient à
remercier le père Noël, d’excellente composition il est vrai, d’avoir accepté de se
prêter de bonne grâce à ce jeu.
L’Oulipo
Notes préparatoires à ma lettre au Père Noël
La première chose que je veux te dire, c’est que j’habite au quatrième étage
et qu’on n’a pas de cheminée, et ça, c’est une vraie source de vie quotidienne.
Madame Rosa pense que je ne dois pas croire en toi avec tes cadeaux par
milliers parce que tu n’es pas dans notre religion et qu’elle est également juive,
et nous n’avons pas ici chez nous ni sapin ni guirlandes ni les boules de neige.
Mais j’ai commencé à croire en toi quand j’avais deux ans et avant je ne croyais
en rien ou je ne me souviens pas et parfois ça me manque. Le docteur Katz pense
comme moi, que les gens de toutes les couleurs méritent un joli cadeau et tu ne
vas pas non plus te mettre à demander les papiers ou les carnets à tout le monde.
Moi, je m’appelle Mohammed mais on m’appelle Momo pour faire petit. Tu vas
me trouver sans doute. Et puis un cadeau, je serais super content parce que cela
changerait un peu cette vie comme Monsieur Walouba avec son beau parapluie.
Ce qui me plairait c’est un chien, les gens partent en vacances en les
abandonnant et ils meurent privés de l’affection des siens, mais Madame Rosa
elle a dit non, qu’elle n’irait pas le promener et que ça fait des défections dans
l’escalier. Alors ce qui serait autre chose qu’un vrai animal trop plein de vie, ce
serait une chose plus immobile pour laquelle on peut aussi avoir de l’affection,
alors j’ai pensé un poisson rouge que j’appellerais Crassus, parce que une
grenouille j’y ai pensé aussi, mais vraiment, il faut aimer.
Merci.
Momo
Cher PN,
P.-S. : Ton effort pour réduire le bilan carbone de ton activité grâce à la
traction animale est louable. Hélas, sais-tu que les flatulences des rennes
contiennent encore plus de méthane que celles des bovins ?
Caisse des allocations familiales
Helsinki, le 23 décembre
Madame, Monsieur,
Nous nous voyons dans l’obligation de retenir, à titre conservatoire, les
allocations de juillet 2019 à ce jour, qui vous sont peut-être légitimement dues,
et ce jusqu’à nouvel ordre.
À des fins de clarification de votre situation administrative, nous vous prions
de nous adresser, pour chaque enfant mineur, par lettre recommandée avec
accusé de réception, les documents suivants qui attestent de l’existence des
1 432 767 549 enfants que vous avez déclarés à votre charge :
C’est drôle de pas dire cher. Je t’ai écrit, beaucoup. Écrit comme on crie.
Comme on crie « Noël ! Noël ! ». Des lettres. Des lettres avec des lettres.
Abyme. Métaphore. Une lettre qu’on envoie. Q. Pourquoi ? Parce Q.
C’est bientôt. La cheminée. Elle se dresse dans le ciel. Elle t’attend. Puis tu
entres, oui, dans le trou noir. La suie. Le soi. Le lui. Toi, avec ton manteau,
rouge sang. Ta capuche, tes rennes, ton fouet, ton traîneau. Moi, tu sais ce que
j’ai demandé. La liste, je l’ai faite. Tu la trouveras, j’en ai rien à foutre. Je ne
veux pas qu’on m’empêche d’écrire. Alors, j’ai demandé une imprimante, une
Nikon à jet d’encre. On la branche, on écrit, elle balance sa purée noire sur la
page blanche et vierge. J’ai un très gros désir.
Alors, tu vas la sortir de ta hotte. Je n’en veux plus. Dans ma liste, déjà, je
l’ai dit que j’en voulais plus. Mais tu ne veux rien entendre, jamais, salaud. Je
pleure. Donne-moi mon cadeau.
Christine A.
Cher Père Noël
Merci de ton passage hier soir, par la cheminée, ou par d’autres moyens.
Je t’écris donc après Noël, mais bon, quand on y pense, on est toujours à la
fois après et avant Noël, n’est-ce pas ? C’est une question de perspective.
Je t’ai demandé un chat et en collant mon oreille au cadeau, je crois
discerner un ronronnement. Mais comment savoir s’il est dans la boîte avant de
l’ouvrir ? J’appelle ça la réduction de la fonction de Noël.
Que faire ? Tu me vois dans l’indétermination.
Merci. Ou pas.
Erwin S.
P.-S. : J’ai découvert qu’on ne peut pas savoir à la fois où se trouve ton
traîneau et quel jour on est.
Cher Père Noël,
La période des fêtes approche et cette année encore, des millions de dindes
vont périr, après une vie passée dans l’enfer des geôles gérées par des groupes
industriels. La peine de mort, la torture et le farcissage sont la négation absolue
des droits des dindes. Aucune dinde ni aucun dindonneau ne doit y être soumis.
Vous êtes la personnalité publique la plus médiatisée en ces fêtes de Noël.
Vous ne pouvez continuer à fermer les yeux devant la perpétuation de ce rite
barbare. Faites entendre votre voix. Exigez avec nous l’abolition de ces
traditions d’un autre temps, partout dans le monde. Les pays qui pratiquent
encore la dinde aux marrons doivent mettre en place des moratoires et cesser
toute exécution.
Tous les repas de Noël à base de dinde déjà prévus doivent être commués en
dîners végétariens.
Nous comptons sur votre engagement.
Amnesty International,
section finlandaise
Cher Père Noël, chère Athéna,
Je voudrais :
– un cheval en bois pour me cacher avec mes copains ;
– des bouchons d’oreille ;
– un déguisement de cochon ;
– une boussole ou mieux, un GPS ;
– un arc et des flèches ;
– du fil à broder pour ma petite fiancée.
Ulysse
Cher Père Noël,
J’aimerais bien ces trois choses offertes au pied de mon arbre conifère des
régions tempérées de l’hémisphère Nord :
a) un objet aérostat rond gonflé d’air ou de gaz utilisé à des fins sportives ;
b) un jeu de stratégie dans lequel deux adversaires manœuvrent, sur un
plateau de 64 cases, deux séries de 16 pièces (les blanches et les noires)
de valeurs diverses ;
c) une construction en miniature susceptible de naviguer sur les voies
intérieures, en mer ou même dans ma baignoire.
Viendras-tu avec ton véhicule à patins qu’on fait glisser sur la glace ou la
neige ?
Vents froids soufflant du nord,
Le petit Robert
Monsieur Noël,
Cette lettre t’est envoyée pour te porter chance. L’original vient du pôle
Nord. Elle a fait sept fois le tour du monde. La chance t’est envoyée. Il t’arrivera
un événement heureux dans les sept jours qui suivront la réception de ce
message. Ceci n’est pas une plaisanterie. Il t’arrivera par la poste. Envoie
406 457 289 cadeaux à des enfants qui ont besoin de chance… Le responsable
du rayon jouets des Galeries Lafayette a reçu cette lettre. Il ne l’a pas crue et l’a
jetée. Sept jours plus tard, il était mort !!!! Cette chaîne ne doit être interrompue
sous aucun prétexte !!
Fais passer le message et demain sera un jour meilleur pour tous ; ne brise
pas la chaîne.
Chipesaucisse
Cher Père Noël,
Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l’émotion qui nous étreint tous,
petits garçons et petites filles, qui écrivons, chez nous, cette lettre au Père Noël ?
Non ! Nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée de Noël.
N’importe quelle minute de cette nuit dépasse chacune de nos pauvres vies.
Noël ! Noël outragé ! Noël brisé ! Noël marchandisé ! mais Noël célébré !
Célébré par lui-même, célébré par ses rennes avec le concours des lutins du Père
Noël, avec l’appui et le concours de l’Enfance tout entière, de l’Enfance qui a été
bien sage, de la seule Enfance, de la vraie Enfance, de l’Enfance éternelle.
L’Enfance a des devoirs, et ce sont des devoirs de vacances. Cette lettre en
est une, et elle vise à conquérir, grâce aux jouets, grâce au jeu, le territoire de
l’Imaginaire, celui de la Construction et de l’affirmation de l’Identité et de la
Personnalité.
Alors, je voudrais, pour être précis :
1) trois divisions blindées ;
2) la capitulation de l’ennemi et son désarmement ;
3) l’occupation du territoire ennemi.
Vive Noël, vive le Père Noël, et vive ce qui nous dépasse tous, vive
l’Enfance !
Charles de G.
Gros lard,
Urgent !
Serais preneur de :
Monsieur Noël,
J’ai été très sage cette année et j’ai sauvé plein de gens : 109 passagers d’un
ferry qui coulait, 238 voyageurs d’un train qui déraillait, 7 astronautes dans une
navette spatiale au moment de son entrée dans l’atmosphère, et un chat coincé
dans un arbre, qui s’appelait Tchoupette et qui m’a griffé.
Merci pour ta cuirasse antikryptonite de l’année dernière, qui marche très
bien. Mais cette année, s’il te plaît Père Noël, je voudrais un déguisement de
petit garçon normal, pour passer inaperçu.
Je t’envoie des images, à mon avis c’est facile à trouver.
Superboy
À Paris, vendredi 19 décembre 1670
Je vous avoue que j’ai une extraordinaire envie d’avoir de vos nouvelles.
Songez, mon ami, que je ne pense à autre chose ! Je ne sais du reste rien de votre
long voyage, avec votre carrosse bien attelé. Je me dévore, en un mot ; j’ai une
impatience qui trouble mon repos et qui serait bien médiocre si je pouvais la
dépeindre.
Monsieur le Dauphin a été malade ; il se porte mieux. Il ne parle que de vous
et, je vous assure, la pensée de votre visite le console.
Savez-vous que votre souvenir fait ici la fortune de ceux que vous
favorisez ? Ah, combien les cœurs où vous êtes le premier ! On est encore fort
loin de vous oublier. Mais, hélas, il faut que vos absences ne soient pas infinies.
Combien peut-on vous aimer, quand on ne vous entend presque jamais ! Voilà
par exemple que vous pourriez passer trois fois par an. Je vous assure que nous
serions tous honorés.
Cela vous fait-il rire ? Ah, mon ami, voici dans une feuille à part une infinité
de cadeaux que je vous conjure de distribuer à Saint-Germain et à Versailles. Je
ne connais personne qui pourrait mieux le faire.
Vendredi au soir
Mme de Guise a fait un faux pas. Elle a accouché d’un pauvre petit garçon,
qui n’a pas été baptisé. Les médisants disent qu’il ne mérite point de vos
attentions. Méchants ! Si vous voulez me faire un véritable plaisir, ayez pitié de
lui.
Je vous embrasse avec une tendresse qui ne saurait avoir d’égale.
Marie de Rabutin-Chantal, marquisette de Sévigné.
Noël,
Mon amour,
C’est dans une semaine. Sept jours même ! Oh que je chéris ce rendez-vous
que nous avons institué voici des années. Je ne sais si tu auras changé (tu avais
un peu grossi la dernière fois, mais je te l’ai dit, j’aime ta densité), si tu auras
toujours ce manteau qui te va si bien et que tu retireras vite vite.
Je guetterai le son des clochettes de ton traîneau, pantelante de désir. Je serai
là à t’attendre, nue, sous le sapin, juste en chaussettes, je sais que tu aimes quand
je ne porte que des chaussettes. Je sais aussi que tu n’auras pas oublié de nouer
un ruban rouge autour de mon beau cadeau. Mmmmm.
Qui tu sais dormira. Je lui ai fait ma bûche traditionnelle à la glace parfum
marron glacé et benzodiazépines.
Je t’aime,
Olga
Monsieur,
Tu viens d’ouvrir une lettre d’Italo Calvino. Je la rédige sans savoir si elle
trouvera un public, comment savoir même si elle parviendra jusqu’à toi ? Peut-
être appartiens-tu à cette coterie de pervers qui se complaisent, le soir, à lire des
listes de cadeaux, sans intention aucune de satisfaire les enfants qui les ont
rédigées, sans même envisager un instant de fabriquer ces présents, de les
emballer, de les acheminer, sans parler même de les déposer en un bel
arrangement autour du sapin ? Sans doute as-tu même écarté certaines
demandes, soit que son rédacteur n’a pas été sage – mais qu’est donc la sagesse
selon les parents, sinon l’apprentissage de la conformité ? – ou bien tu te seras
fixé un ensemble de règles absurdes concernant la nature des cadeaux.
Te voilà assis dans ton fauteuil de neige, chaudement vêtu d’un épais
manteau d’un rouge vif, et tu te demandes bien sûr où je souhaite en venir
puisque tu ne vois pas venir cette satanée liste. Quel est donc cet enfant qui ne
souhaite pas de cadeau ? Que ni les trains électriques ni les poupées
n’intéressent, et pas plus ces nouveaux jeux vidéo qui te désolent. D’un regard
bienveillant, tu regardes tes lutins emplir ta hotte, et tu te dis qu’il va te falloir
t’en saisir, faire claquer le fouet au-dessus des rennes, et faire décoller le traîneau
dans le ciel boréal.
Et tu reposes cette lettre dans ton immense classeur, à côté de toutes celles
qu’année après année je t’ai écrites. Un jour arrivera, songes-tu avec un œil
mouillé, où je ne croirai plus en toi. Tu posséderas notre correspondance
complète, et tu te demanderas si ce cadeau jamais demandé mais chaque fois
déposé, ce n’était pas ma joie d’être un enfant.
Italo C.
Che.è.r.e P.M.è.re Noël.l.e,
J’ai examiné ce point : le Père Noël est. Ou il n’est pas. Mais de quel côté
pencher ? La raison n’y peut rien déterminer. Elle n’est pas plus blessée, en
choisissant l’un que l’autre, puisqu’il faut nécessairement choisir.
Parions. Je gage que tu es. Si tu n’es pas, je ne perds rien. Si tu es, je gagne
tout. Enfin, tout ? Disons une chance que tu m’apportes ce que je te demande sur
la liste que je te joins.
Bien à toi,
Blaise P.
Cher Monsieur,
Sauf erreur de nos services, vos rennes sont au nombre de neuf : quatre
femelles qui s’appellent Danseuse, Cupidon, Furie et Éclair ; cinq mâles qui
s’appellent Fringant, Tornade, Comète, Tonnerre et Rudolph.
Suite aux nouvelles mesures, vous êtes invité à ajouter une cinquième
femelle (ce qui vous fera dix rennes, toujours selon nos services) ou à supprimer
l’un des cinq mâles, par exemple (si je puis me permettre) ce Rudolph qui est
loin d’être vraiment populaire.
Bien à vous,
Dominique de Saint-Sphynx,
ministre de la Parité
Bonjour à vous, Noël père, bien-aimé en Jésus Christ,
Bien à vous en tout cas,
Ludwig W.
Bonjour, Père Noël,
Cette lettre, je vous le dis tout de suite, ne vous plaira pas. Elle est le cri de
colère d’une femme qui a consacré plus de cinquante ans de sa vie à la défense et
à la protection de nos frères animaux.
Depuis que vous êtes apparu sous nos climats, vous avez su, avec une
habileté diabolique, vous donner la réputation d’un inoffensif bienfaiteur. Cette
réputation usurpée, je veux la dénoncer ! Oui, la religion dont vous vous
réclamez, qui devrait servir à élever les âmes, à les guider vers l’amour et la
générosité, ne vous empêche pas de participer, comme la majorité des humains,
à l’exploitation éhontée des animaux.
Ne faites pas l’étonné !
Vous ne pouvez nier ces faits connus de tous : vous faites travailler les
rennes de votre traîneau en dehors des heures normales de service, par des
températures polaires. Vous à qui des enfants pleins de niaiserie serinent
rituellement, d’année en année, qu’il faudra bien vous couvrir, avez-vous jamais
songé à munir vos rennes des couvertures indispensables ?
Ne venez donc plus me visiter tant que vous n’aurez pas changé vos horaires
et pris les dispositions nécessaires au bien-être des animaux qui vous servent.
Vous n’avez que mon mépris.
Brigitte B.
Cher Père Noël,
Tant vont les doigts au clavier qu’ils finissent par écrire. Et, enfin, qui sème
des lettres récolte des surprises, n’est-ce pas ?
J’ai souvent dit que les cadeaux ne font pas le bonheur, mais il n’y a que les
imbéciles qui ne changent jamais d’avis.
Donc, il n’est jamais trop tard pour faire une liste et, fort heureusement, tout
vient à point à qui sait attendre.
J’aimerais bien des outils pour mon travail. Tous nouveaux, tous beaux. J’en
ai marre d’entendre dire qu’un mauvais ouvrier a des mauvais outils.
Chose demandée, chose due ? En tout cas, ne remettez pas à Noël prochain
ce que vous pourriez faire maintenant.
Le sentiment du plus fort est toujours le meilleur.
A. Dages
Cher Père Noël,
Pierre S.
Cher Santa,
Avoue que c’est bien étrange : tu es supposé venir des terres lointaines et
cependant les cadeaux que tu as laissés chez moi présentent tous des étiquettes et
des inscriptions des commerces du quartier. J’ai aussi remarqué que le papier
d’emballage de deux de mes cadeaux est identique à celui de certain rouleau de
papier que j’avais vu traîner la semaine dernière dans le bureau de mon père.
Mais le plus flagrant me semble le fait qu’un de mes cadeaux était imbibé du
même parfum douceâtre qu’aime porter ma tante Geneviève depuis quinze mois.
Ne nie pas. J’ai analysé le trottoir, lequel a confirmé mes soupçons : pas la
moindre trace d’un traîneau, pas le moindre poil de renne. Quant à notre
cheminée, j’avais laissé à l’intérieur de son conduit deux petites boules de papier
qui auraient chu, sans aucun doute, en cas de descente humaine : elles sont
toujours intactes. Je tire de tout cela un certain nombre de déductions. Et
lorsqu’on élimine tout ce qui est impossible, il ne reste plus que la vérité.
Élémentaire, n’est-ce pas ?
Cela dit, je t’aime bien. Comme si tu étais de la famille.
Sherlock H.
Préfecture de Police
Service des permis de conduire et de la sécurité routière
Madame, Monsieur,
J’ai fait appel à votre entreprise afin de recevoir des cadeaux dans ma
maison, située 32, rue Montjoux, 33000 Bordeaux.
Ces cadeaux ont bien été livrés le 24 décembre dernier. Cependant, après
votre passage, j’ai pu constater que vous aviez causé des dégâts considérables
dans ma cheminée.
Je vous rappelle que, selon le Code civil (art. 1382 et 1383), vous êtes tenu
de réparer les dommages commis. Je vous demande donc de bien vouloir me
rembourser, sous huit jours, la somme engagée pour les réparations. Vous
trouverez ci-joint la facture de 1 580 euros, émise par l’artisan qui a effectué les
réparations.
Sans nouvelle de votre part sous 8 jours, je ferai appel à la justice afin de
faire valoir mes droits.
Je vous prie d’agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.
Lucien T., copropriétaire
Notre Père Noël
qui êtes au pôle Nord
que ton traîneau soit attelé,
que tes rennes viennent,
que ta hotte soit pleine,
de jouets par milliers.
Donne-nous au jour J notre cadeau annuel,
pardonne-nous tes cadences,
comme nous pardonnons aussi
à ceux qui nous font patienter
et ne nous laisse pas entrer en déception,
mais livre-nous à temps (liste suit).
Amen.
Non ! Rien de rien…
Non ! Je ne commande rien…
C’est payé, balayé, oublié
Je me fous de Noël !
Avec mes vieux cadeaux
J’ai allumé le feu
Mes poupées, mes Légo
Je n’ai plus besoin d’eux !
Balayées les Barbie
Avec leurs trémolos
Balayées pour la vie
Je repars à zéro…
Non ! Rien de rien…
Non ! Je ne commande rien…
Je r’vends tout sur eBay,
Leboncoin, tout ça m’est bien égal !
Édith P.
Paris, le 9 avril
Monsieur Noël,
Je vous prie de lire cette lettre sciemment écrite afin de contrer l’illusion
superficielle du pseudo-sacré et votre célébration spectaculaire de la forme-
marchandise.
Instrument du marché mondial devenu abondant, cœur de l’irréalité de la
société réelle, votre spectacle (dans lequel la soif de consommation se
personnifie) n’est qu’une justification totale de la trivialité quantitative.
La satisfaction que la marchandise ne peut plus donner dans l’usage en vient
à être recherchée dans l’indulgence de votre fétichisme, avec ses couleurs
fulgurantes où l’on croit reconnaître (parodie du don) une transcendance vers la
terre promise de la consommation.
Votre mise en scène spectacliste (portée par vos objets et vos rituels
dérisoires) plonge les hommes dans l’isolement luxueux des « foules solitaires ».
Et chacun de nous le sait.
Guy E. Debord
Eta Paĉjo Noël,
Cher Monsieur,
J’écris depuis quelque temps de petits contes de Noël. Je les aime bien,
qu’en penses-tu ?
À Souillac (Lot), chez les Laget, une bougie a mis le feu au sapin de Noël,
puis aux cadeaux, puis au pavillon, puis à la niche du chien Choupi.
Félix F.
Cher Monsieur,
P.-S. : Notre service client est actuellement très sollicité. Il est possible que
plusieurs tentatives soient nécessaires avant de nous joindre par téléphone ou par
le chat. Toutes nos équipes sont mobilisées pour améliorer cette situation
rapidement.
Salut Santa Klaus,
Gargas Parac
Cher Monsieur Noël,
Simon, 5e L
Cher Père Noël,
Bien à toi,
Patrick M.
Cher Père Noël,
Voilà que je suis obligée de t’écrire sur papier et au stylo… Je t’ai googlé.
Rien. Pas d’adresse mail, pas de site web, de blog, pas de compte Facebook,
Twitter, Instagram, même pas sur WhatsApp ou Telegram ? Si je tape ton nom
sur Google Images je tombe sur Gérard Jugnot. Par contre, tu as une hitlist de
ouf. Avec un peu de travail, tu pourrais entrer dans le top 10 des influenceurs.
Mon conseil :
Il y a longtemps que je vous observe, que je vous vois chaque année préparer
pendant des jours et des jours votre tournée. Je vois les paquets qui s’accumulent
sur votre traîneau, et je pense à tous mes frères qui, au moment voulu, tireront
votre attelage. Je les connais tous par leur nom, et je sais ce que chacun
représente. Ils étaient d’abord huit : Éclair qui apporte la lumière, Cupidon qui
apporte l’amour, Comète, qui apporte le bonheur, Danseuse qui apporte la grâce,
Tornade, qui apporte la vitesse, Tonnerre, qui apporte la force, Furie, qui apporte
la puissance, Fringante, qui apporte Force et Beauté. Je sais aussi qu’un 9e est
apparu plus tard, Rudolph, et qu’il a pour fonction, grâce à son nez rouge
lumineux, de guider l’attelage dans la nuit, la neige et le mauvais temps. Mon
rêve, depuis le premier jour où je vous ai vus tous à l’œuvre, est d’être le
dixième de cette glorieuse troupe.
Je vous demande donc de bien vouloir examiner ma candidature avec la
bienveillance qui est la vôtre, universellement reconnue et célébrée. Dix est un
chiffre rond, et j’aurai pour tâche d’apporter une denrée bien nécessaire à
distribuer dans le monde comme il va : le respect.
Votre très dévouée,
Galante
Cher PÈre NoË~l, mon cochon amateur,
J’ai été très schtroumpf cette année, et Maman m’a dit de vous schtroumpfer
pour mes cadeaux de Schtroumpf. Alors, j’ai bien schtroumpfé, et ce qui me
ferait vraiment plaisir, ce serait un schtroumpf, mais pas un schtroumpf comme
celui de l’année dernière, je suis trop schtroumpf maintenant pour ça. Non,
plutôt un électrique.
Et puis, si ce n’est pas trop vous demander, j’aimerais bien aussi une
schtroumpfe, mais il y a plein de modèles et je ne sais pas laquelle est la plus
schtroumpf : disons pas trop schtroumpf que je puisse la schtroumpfer.
Je vous embrasse, je vous schtroumpfe d’avance et à bientôt. J’ai déjà mis
mes schtroumpfs en bas de la schtroumpf, je suis tellement impatient.
Un petit Schtroumpf bien schtroumpf
Mon cher Père Noël, canon de l’orthodoxe,
Toi qui es rituel et constitutionnel,
Sous la nuit de décembre, au son du paradoxe,
Je suis chez moi : j’attends ton divin carrousel.
Aboli colibri qui me bat et me boxe,
Je suis de toi le fan inconditionnel.
Je bondis, je vrombis, bien semblable au stomoxe,
Toi dans l’ubiquité, multidimensionnel.
Tu es l’offrande même, et dans ton escarcelle,
Surgissent les présents, au son du violoncelle.
Dessous le sapin, au salon vide : nul ptox.
Ce soir quand tu seras dedans ma citadelle,
Au feu réchauffe-toi en prenant un Viandox :
Je te chanterai là certaine pastourelle.
Stéphane M.
– Bienvenue sur le serveur vocal de « Lettres au Père Noël » ! Si vous êtes
une petite fille dite « fille » ! Si vous êtes un petit garçon, dites « garçon »…
– Açon !
– Si votre appel concerne une livraison, dites « livraison » ! Si votre appel
concerne une commande, dites « commande ». S’il s’agit d…
– Nomande !
– Désolé, nous n’avons pas compris votre message. Pour passer une nouvelle
commande, dites « nouvelle » ! Pour modifier une commande passée
précédemment, dites « passée précédemment » ! Si vous ignorez compl…
– Déssé rédamant.
– Désolé, nous n’avons pas compris votre message, veuillez rép…
– DÉS-SÉ RÉ-DA-MANT !
– Veuillez taper les 21 caractères de votre numéro de commande inscrit sur
le bon de…
– éæø<µ@≤ß∞®Ç†$¶§ŸåÁ
– Bonjour M. Maël, 3 ans et demi. Quel article désirez-vous modifier ? Par
exemple, s’il s’agit d’une mortaiseuse à bédane, dites « mortaiseuse à bédane » !
C’est à vous !
– Nounouss enfluche !
– Désolé, nous n’avons pas compris votre message, veuil…
– NOU-NOUSS EN-FLU-CHE !
– Désolé, nous n’avons pas trouvé de moumoute-fanfreluche dans votre
commande. Pour être mis en relation avec un lutin, dites « lutin » !
– UTIN !
– Tous nos lutins sont actuellement en ligne. Votre temps d’attente est
estimé à 365 jours.
La pensée moderne a réalisé un progrès considérable en réduisant Noël aux
cadeaux qui le manifestent. On visait par là à supprimer les Pères Noël qui
encombraient la festivité par le monisme du divertissement. Y est-on parvenu ?
Il est certain qu’on s’est débarrassé de ce « Père Noël » qui oppose dans Noël le
merveilleux à l’ordinaire. Il n’y a plus d’ordinaire de Noël, si l’on entend par là
une peau superficielle qui dissimulerait aux regards la véritable nature de l’objet.
Et cette véritable nature, à son tour, si elle doit être le petit soulier secret de la
chose, qu’on peut pressentir mais jamais atteindre parce qu’elle est
« merveilleuse » à l’objet considéré, n’existe pas non plus. Les cadeaux qui
manifestent Noël ne sont ni merveilleux ni ordinaires : ils renvoient tous à
d’autres cadeaux et aucun d’eux n’est privilégié. Le nounours, par exemple,
n’est pas un conatus métaphysique et d’espèce inconnue qui se masquerait
derrière ses effets (calins, doudous, etc.) : il est l’ensemble de ces effets. Aucune
de ces actions ne suffit à le révéler, aucune n’indique rien qui soit derrière lui,
elle indique elle-même et la série totale. Le sapin de Noël renvoie à la série
totale des sapins de Noël et non à un réel caché qui aurait drainé pour lui toute la
guirlande de Noël. Il n’est pas/plus une manifestation inconsistante de cette
guirlande. Tant qu’on a pu croire aux petits souliers nouménaux, on a présenté le
sapin de Noël comme un négatif pur. C’était « ce qui n’est pas la guirlande » ;
elle n’était autre qu’illusion. Cette guirlande même était un faux-semblant. La
difficulté la plus grande que l’on pouvait rencontrer, c’était de maintenir assez
de cohésion au sapin pour qu’elle ne se résorbe pas d’elle-même au sein de la
guirlande non phénoménale.
Jean-Paul S.
Mon cher PN,
Identité
Copyright
Couverture
Exergues
Préface
Le corbeau
Greta Thunberg
La CAF
Christine Angot
Erwin Shrödinger
Amnesty International
Ulysse
Francis Ponge
Le petit Robert
Roland Barthes
Chaîne de chance
Charles de Gaulle
Marguerite Duras
Chuck Norris
Pierre Dac
René Magritte
Edward Lear
Raymond Queneau
Jacques Prévert
Bashô
Ghérasim Luca
Superboy
Mademoiselle de Sévigné
Warner Records
Italo Calvino
Gabriel.le
Saint Nicolas
Blaise Pascal
Ministre de la Parité
L'arnaqueur du web
Ludwig Wittgenstein
Brigitte Bardot
La psychologue scolaire
A. Dages
Soulages
Sherlock Holmes
Avis de contravention
Donald Trump
Georges Perec
L'intermittent du spectacle
Jacques-Yves Cousteau
Pierre Bayard
Mise en demeure
Le plagiaire
Édith Piaf
Le comité éditorial
Guy Debord
L'espérantiste
La demande de rançon
Le commissaire divisionnaire
Le fan d'ABBA
Grand-Père Noël
Le poète typographe
UberXmas
Le petit Nicolas
Le copropriétaire
Félix Fénéon
Errata
Gargas Parac
Le Hem Club
Le collégien
Patrick Modiano
La community manager
La candidature
Le spam
Le petit Schtroumpf
Stéphane Mallarmé
L'Oulipo
Du même auteur
DU MÊME AUTEUR
(œuvres collectives)