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Synthèse // Dossier spécial // Réflexion

Normes internationales

Le principe de matérialité vu par l’IASB


De l’art d’apprécier le caractère significatif d’une information
Par Isabelle Grauer-Gaynor, Directeur Associé, Mazars

Dans le cadre de son initiative visant à toute dernière norme IFRS 16, pour justi- Dans quel contexte la
améliorer l’information fournie par les fier à la fois l’inscription au bilan de tous matérialité s’exerce-t-elle ?
entreprises (Disclosure initiative), l’IASB les contrats de prise de location et des
a publié, pour commentaires jusqu’à la fin informations en annexe plus fournies 2. Le La matérialité s’exerce dans le contexte
février 2016, un projet de guide de mise projet de guide propose, néanmoins, des général des objectifs attribués à l’informa-
en œuvre du concept de matérialité. Ce pistes aux entreprises à titre de références tion financière dans le cadre conceptuel,
sujet est bien connu des experts-comp- à prendre en compte : les pratiques à savoir fournir aux utilisateurs des
tables et commissaires aux comptes : il sectorielles, les réponses des marchés informations sur la situation financière,
fait souvent l’objet de discussions lors de à différents types d’information, les la performance financière et les flux de
la période d’établissement des comptes demandes faites par les investisseurs au trésorerie de l’entreprise qui leur soient
entre eux et les entreprises. Le régulateur cours de présentations des entreprises, utiles dans leurs prises de décisions.
des marchés n’est en général pas en le caractère confirmatoire ou prédictif de
reste sur ce sujet lors de ses contrôles, le l’information, etc. Ce faisant, il indique A la suite de ce rappel, l’IASB reprend les
concept étant directement lié à sa mission clairement que les coûts de production de objectifs attribués aux différents états de
de protection des investisseurs. l’information pour l’entreprise n’ont pas à synthèse et propose deux objectifs pour
intervenir dans l’appréciation du caractère les notes annexes, à savoir :
Quels besoins de quels significatif ou non d’une information. • apporter des explications sur les élé-
utilisateurs ? ments inclus dans les états de synthèse ;
Quelles caractéristiques • fournir des compléments d’information
Revenons, comme l’IASB, sur les inves- de la matérialité ? permettant de remplir l’objectif général
tisseurs. En effet, les comptes sont établis attribué aux états financiers 3.
pour eux, dans l’objectif de satisfaire L’IASB développe également les carac-
leurs besoins. Le document de l’IASB le téristiques de la notion de matérialité et Pour l’IASB, l’ensemble de ces objectifs
rappelle et reprend la définition du cadre illustre son propos avec des exemples. doit permettre aux entreprises de déter-
conceptuel qui place la matérialité dans Ces caractéristiques bien connues sont miner, au titre de la matérialité :
la perspective des utilisateurs des états au cœur de la définition que nous avons • s’il est pertinent d’inclure une informa-
financiers : reprise. Il s’agit notamment de la prise en tion, que celle-ci soit requise ou non par
« Les omissions ou inexactitudes d’élé- compte individuelle et collective, quali- les normes IFRS ;
ments sont significatives si elles peuvent, tative et quantitative (nature et montant) • où il convient d’inclure cette informa-
individuellement ou collectivement, de l’événement ou de la transaction tion : dans les états de synthèse et/ou les
influencer les décisions économiques considérée ainsi que des circonstances notes annexes ;
que prennent des utilisateurs sur la base spécifiques à l’entreprise. • à quel niveau et à quel endroit ces
des états financiers. L’importance relative différentes informations doivent être
dépend de la taille et de la nature de Sur les aspects quantitatifs, la matéria- agrégées/désagrégées.
l’omission ou de l’inexactitude, appréciée lité dépendant du contexte spécifique
par rapport aux circonstances particu- de l’entreprise et d’aspects qualitatifs, Si ce processus doit évidemment être
lières. La taille ou la nature de l’élément, l’IASB souligne qu’il n’est pas pertinent mené pour chaque information, l’IASB
ou une combinaison des deux, peut être pour lui de donner des seuils de référence précise qu’il convient néanmoins de
le facteur déterminant » 1. généraux. En cela, il est cohérent avec les confirmer la pertinence de l’ensemble
normes d’audit qui n’en fournissent pas qui en résulte en effectuant une revue
A l’entreprise donc de se mettre à la place non plus. Il va même plus loin, indiquant globale à l’issue de ce processus. Par
de l’investisseur pour tenter de déterminer qu’il ne serait pas non plus approprié ailleurs, chaque clôture ayant lieu dans
ce dont il a besoin : un exercice qui n’est pour une entreprise de s’appuyer uni- des circonstances différentes, il convient
pas nécessairement facile. L’IASB pro- quement sur des niveaux chiffrés, bien de reprendre ce processus pour chaque
pose donc de caractériser l’investisseur qu’il reconnaisse qu’ils puissent être des date de clôture.
“type“. Il ne s’agit en effet pas de satisfaire outils utiles.
les marottes d’un actionnaire spécifique, Quel champ d’application ?
sans quoi les annexes aux comptes
seraient interminables – ce qui serait à Pour l’IASB, le champ d’application de la
l’inverse de leur objectif de pertinence – matérialité est bien l’ensemble des états
mais de considérer les besoins d’un large financiers, puisque les investisseurs vont
panel d’investisseurs rationnels et ayant prendre leurs décisions sur la base de
1. Cadre conceptuel (QC 11) et norme IAS 1,
un niveau de connaissance raisonnable ceux-ci.
Présentation des états financiers (IAS 1.7).
des affaires. Ces précisions sont utiles.
En pratique cependant, le document ne 2. IFRS 16 Leases, Effects analysis, Janvier En effet, la notion de matérialité
rentre pas dans les détails, notamment 2016. s’applique de manière évidente à la
sur des investisseurs qui seraient plus ou 3. Objectifs qui feront l’objet d’une présentation des états de synthèse, ainsi
moins sophistiqués et auraient donc des consultation à venir dans le cadre du projet qu’aux informations en annexe, seuls
besoins différents. L’IASB l’a pourtant fait relatif aux principes d’informations (Principles documents accessibles aux utilisateurs
dans les documents accompagnant sa of Disclosure). pour lesquels l’IASB émet des normes.

Revue Française de Comptabilité // N°497 Avril 2016 // 5


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Normes internationales

Le projet de guide y consacre d’ailleurs (à ne pas confondre avec les pratiques raisonnablement influencer les décisions
de longs développements, notamment comptables internes sus-évoquées), des investisseurs, tout cela relève bien
sur l’agrégation ou la désagrégation de termes fondateurs de la définition de la du jugement. Ceci n’est pas surprenant
certains montants (sujet traité par ailleurs matérialité. En particulier, l’appréciation tant le jugement est une notion bien
dans la norme IAS 1) et sur le placement du caractère significatif dépend du degré connue en normes IFRS. L’entreprise
de l’information (dans les états financiers de précision avec lequel une transaction est d’ailleurs tenue d’apporter des expli-
et/ou en annexe). Il rappelle également peut être évaluée. Le corollaire d’un cations en annexe selon la norme IAS 1,
les aspects suivants, d’ailleurs formalisés degré d’imprécision élevé est bien connu Présentation des états financiers, au titre
dans des amendements récents 4 : en IFRS puisqu’il implique en général du jugement exercé et des incertitudes.
• trop d’information tue l’information ; des informations supplémentaires en
• les informations requises par les IFRS ne annexe, relatives notamment aux juge- La mise en œuvre du principe de matéria-
doivent pas être fournies si elles ne sont ments effectués, aux incertitudes consi- lité s’inscrit bien dans un processus qui
pas significatives ; dérées et à la sensibilité des évaluations va de la comptabilisation à la présentation
• des informations non requises par les à des hypothèses-clé. L’IASB rappelle des états financiers. Ce processus est
IFRS peuvent devoir être fournies car elles qu’une inexactitude significative doit être itératif car il doit être repris pour chaque
sont significatives. corrigée dans les comptes et va même arrêté, voire pour chaque nouveau
plus loin, considérant de bonne pratique type de transaction ou d’événement.
L’IASB va plus loin dans ce document que qu’une inexactitude non significative le D’ailleurs, les objectifs affichés de l’IASB
les aspects de présentation et d’informa- soit également. Enfin, il affirme dans ce avec la publication de ce document sont
tion, rappelant que la notion de matérialité document que le caractère significatif bien de :
trouve également à s’appliquer en amont, d’une inexactitude est avéré lorsque • guider les entreprises dans l’exercice
en matière de comptabilisation et d’éva- celle-ci est intentionnelle et a pour de leur jugement, pour la mise en œuvre
luation. L’IASB n’est néanmoins pas très objectif d’influencer les décisions des du principe de matérialité pour la prépa-
disert sur ce sujet : ces aspects relèvent utilisateurs des états financiers. ration des états financiers et des notes
de la partie immergée de l’iceberg, et annexes ;
notamment de politiques et de pratiques De quoi s’agit-il • faciliter le dialogue avec ses commis-
comptables internes dans lesquelles les finalement ? saires aux comptes et le régulateur de
IFRS ne s’immiscent d’ordinaire pas. Sont marché.
visés par exemple le recours à un système De ce qui précède, deux mots sont à
d’inventaire périodique, la non-capita- retenir : jugement et processus. Le document proposé n’est pas un projet
lisation de dépenses d’investissement de norme : s’il avait été de force obliga-
en-deçà d’un certain montant, ou bien Se mettre à la place des investisseurs toire, il aurait potentiellement pu contre-
encore la non-application de dispositions tout en restant dans le contexte spéci- venir à des dispositions juridiques qui
IFRS à des éléments non significatifs, fique de l’entreprise, prendre en compte pourraient avoir été formulées sur ce sujet
du moment qu’une revue périodique de tel ou tel aspect, apprécier ce qui pourrait dans certaines juridictions. Cependant,
ces politiques et pratiques comptables pour l’IASB, le statut d’ « énoncé de pra-
confirme la persistance de leur caractère tique » ne devrait pas l’empêcher d’être
non-significatif. une référence pour les entreprises, les
4. Amendements à la norme IAS 1, auditeurs, les régulateurs et les inves-
Pour finir, l’IASB consacre également un décembre 2014, dans le cadre de cette tisseurs. C’est justement l’objet de sa
chapitre aux omissions et inexactitudes même « Disclosure initiative ». consultation.

Les IFRS
Les IFRS constituent un véritable espéranto comptable avec plus de 120 pays (Chine, Brésil, Canada...)
qui les appliquent ou s’en inspirent fortement. L’approche économique de nature anglo-saxonne de ce
référentiel, donne une vision de l’information financière très différente de l’approche patrimoniale française.
L’évolution des règles comptables aux plans européen et national rend incontournable l’acquisition d’une
« culture IFRS ».
Cet ouvrage présente le contexte et les modalités de la normalisation comptable internationale et euro-
péenne, ainsi que le cadre conceptuel et les caractéristiques fondamentales du référentiel IFRS.
Les principales normes du référentiel sont ensuite présentées sous forme de fiches techniques avec une
vision très pédagogique et concrète. De nombreux exemples et illustrations sont fournis pour chaque
norme, ainsi qu’une synthèse des principales divergences avec les règles comptables françaises.
Cet ouvrage a été rédigé par Odile BARBE, Expert-comptable diplômée, Professeur au Groupe ESC DIJON
BOURGOGNE et Laurent DIDELOT, Diplômé d’expertise comptable, PRAG à l’Université de Bourgogne,
Professeur au Groupe ESC DIJON BOURGOGNE

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