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cients qui semble guider le normalisateur international ? Ce dans des pays réputés libéraux mais dont la politique écono-
n’est qu’une croyance ! Elle repose en effet sur un postulat et sur mique est avant tout pragmatique, qui auraient pour effet de
une hypothèse. Le postulat consiste à dire que le cours d’une ralentir la mondialisation financière, voire d’enclencher une “dé-
action est égal à la somme des valeurs actuelles des dividendes mondialisation”. Ces décisions auraient évidemment un impact
que l’on peut en attendre et au taux requis par les investisseurs. sur la normalisation comptable internationale en cours voulue
Cette proposition n’a jamais été vérifiée et peut donc être consi- comme on l’a dit de plus en plus uniforme. A l’uniformisation
dérée comme un postulat. De la même façon, l’efficience des comptable pourrait succéder un nouveau processus de différen-
marchés, si elle ne peut cependant être considérée comme un ciation.
postulat, reste un objet de recherche ; ce n’est donc encore, et
La crise invite donc le normalisateur international à prendre
pour longtemps sans doute, qu’une hypothèse. Tenter de tirer
sérieusement en considération les besoins d’information des
des conséquences opératoires, en l’occurrence des normes,
parties prenantes autres que les investisseurs et à envisager la
d’une telle théorie relève de la croyance.
différenciation possible de ses normes.
Le grand Luca Pacioli, en bon moine franciscain, préconisait de
Ce tableau de l’évolution de la mondialisation est la toile de fond
marquer les livres de comptes du signe de la croix. On les place
de notre discussion du passage des IFRS complets (full IFRS) aux
maintenant sous le signe des marchés financiers efficients ; ce
IFRS/PME. Ce passage, et ce qu’il représente, peut s’analyser en
qui permet par exemple le recours à la juste valeur. Mais on est
termes de “ciblage” des utilisateurs de l’information comptable,
toujours dans la croyance : la comptabilité ne s’est pas encore
c'est-à-dire en fonction de la réponse donnée à la question fon-
laïcisée.
damentale : « Des normes comptables pour qui ? ».
La crise a remis en cause ces certitudes théoriques qui confinent
au religieux. L’effondrement de certains marchés a montré à qui
en doutait qu’ils étaient loin de l’efficience. 2. DES IFRS COMPLETS AUX IFRS/PME :
Mais, plutôt que de s’interroger sur les fondements théoriques LE “CIBLAGE” DES UTILISATEURS
de la normalisation mondiale, peut-être faudrait-il se demander
d’abord si l’on peut se contenter de regarder l’entreprise avec Les IFRS ont été conçus pour répondre aux seuls besoins d’in-
les yeux du marché, avec les yeux de l’investisseur. Là encore, il formation des investisseurs. Pour filer à nouveau la métaphore
y a sans doute des leçons à tirer de la crise et l’histoire peut nous religieuse, disons que le normalisateur international n’a qu’un
y aider. seul dieu, l’investisseur. Soit ou, plutôt, « ainsi soit-il » !
26 Ceci ressort clairement du cadre conceptuel de l’IASC (1989),
Rappelons qu’avant que la crise de 1929 n’éclate, l’investisseur
était roi et au faîte de la gouvernance des entreprises. L’une des repris par l’IASB.
conséquences de la crise de 1929 a été le renforcement des Dans l’article 9 de ce cadre est faite la liste des utilisateurs poten-
pouvoirs des managers professionnels, publics ou privés, aux tiels des états financiers, des investisseurs au grand public
dépens des apporteurs de capitaux et notamment des investis- (public), et reconnue la diversité de leurs besoins respectifs d’in-
seurs. Ces derniers n’ont repris du pouvoir que dans les der- formation mais c’est pour conclure de façon assez abrupte dans
nières décades du 20e siècle au cours desquelles s’est diffusée l’art. 10 que : « Bien que les besoins des (divers) utilisateurs ne
toute une idéologie néo-libérale de la valeur actionnariale, ins- puissent être comblés par des états financiers, il y a des besoins qui
crite en particulier dans des codes de gouvernance visant à dis- sont communs à tous les utilisateurs. Comme les investisseurs sont
cipliner les managers en fonction des intérêts des actionnaires. les apporteurs de capitaux à risque de l’entreprise, la fourniture
La crise actuelle ne va-t-elle pas limiter à nouveau le pouvoir de d’états financiers qui répondent à leurs besoins répondra égale-
ceux-ci ? Que vaudraient alors des normes conçues en fonction ment à la plupart des besoins des autres utilisateurs susceptibles
de leurs besoins supposés d’information ? De leurs besoins “sup- d’être satisfaits par des états financiers ».
posés” ? Oui, car nous manquons de travaux sur les besoins
réels d’information des investisseurs. Ne conviendrait-il pas de
normaliser au nom de l’intérêt social de l’entreprise et non plus
en fonction des seuls intérêts des investisseurs ?
Autre question importante que pose la crise actuelle et qui
devrait interpeller le normalisateur international : ne va-t-elle Abstract
pas ralentir, voire arrêter momentanément la mondialisation
financière ? L’histoire nous apprend que l’on a connu d’autres Is a reference source based on a simplified version of the full
phénomènes, d’autres épisodes de mondialisation qui ont été IFRS suitable to provide accounting information destined for
stoppés. Prenons un exemple qui touche à l’Afrique. Le com- SMEs? Doubts may be raised due to the fact that the full IFRS
merce triangulaire - ce commerce entre l’Europe, l’Afrique et were originally intended to provide investors with finan-
l’Amérique fondé sur l’esclavage - fut un épisode particulière- cial information concerning listed companies. However, an
ment sinistre de mondialisation que l’on a heureusement arrêté. SME is not a listed group and its accounting system is inten-
En d’autres termes, la mondialisation n’est pas, tel un tsunami, ded to provide financial information to various business
un phénomène naturel. C’est un phénomène qui procède prin- partners, including its directors. This article presents the
cipalement de décisions politiques relatives à l’espace mondial SYSCOA-OHADA system found in many African countries.
et qui peut être arrêté par d’autres décisions politiques. Si la This system may not be the ideal alternative to a simplified
crise s’aggravait, on ne sait quelles décisions pourraient être version of the full IFRS but it does include several ideas for
prises par certains pays mais il n’est pas exclu que des décisions effective simplification.
à caractère dirigiste et protectionniste soient prises, y compris
Les articles 12, 13 et 14 précisent quant à eux les “objectifs” rémunération supérieure à ce coût est considérée comme créa-
assignés par le cadre à l’information comptable : aider les utili- trice de valeur (actionnariale). Nous sommes alors loin de l’ima-
sateurs, au premier rang desquels les investisseurs, à prendre ge d’Epinal de l’investisseur preneur de risque à laquelle adhère
des décisions économiques (art. 12 et 13) et montrer la gestion l’IASC/IASB.
des dirigeants (art. 14) ; l’art. 14 lie étroitement ce second D’autre part, lorsque l’entreprise est cotée, la négociabilité de
objectif au premier : « (Les) utilisateurs qui veulent apprécier la leurs titres leur donne une capacité de désertion, le fameux
gestion et la reddition de comptes par les dirigeants le font afin de “vote avec les pieds”, que n’ont pas, par exemple, certains
prendre leurs propres décisions économiques. Ces décisions peuvent créanciers ou les salariés, surtout si le marché de l’emploi est
inclure, par exemple, la conservation ou la vente de leur participa- déprimé ; dans les économies financiarisées, la mobilité du tra-
tion dans l’entreprise ou la reconduction ou le remplacement des vail est incontestablement plus faible que celle du capital.
dirigeants de l’entreprise ».
Il ne s’agit pas de faire ici une critique approfondie de cette pri-
DE LA PRIMAUTÉ DES INVESTISSEURS mauté donnée aux investisseurs, il s’agit surtout de souligner
que les IFRS/PME s’écartent, sur cette question des utilisateurs,
Satisfaire les besoins d’information des investisseurs (“investors”)
radicalement des IFRS complets. En effet, ils s’adressent, explici-
et les aider à prendre leurs décisions est donc la “fin” que dans
tement, tout comme le SYSCOA/OHADA, à toute une gamme
son cadre l’IASC propose à la pratique comptable.
d’utilisateurs : les apporteurs de capitaux (propriétaires et créan-
Quels arguments peut-on avancer pour justifier cette primauté ciers), les autres partenaires économiques, les partenaires
donnée aux actionnaires-investisseurs en matière de gouvernan- publics (Etat, organisations inter-étatiques, collectivités
ce de l’entreprise ? Les deux les plus couramment avancés sont publiques, etc.) et… les dirigeants. En d’autres termes, les
la maximisation du profit et la prise de risque. Quelle est la IFRS/PME se réfèrent implicitement à une conception partena-
valeur de ces arguments ? riale de l’entreprise alors que, nous l’avons vu, les IFRS complets
L’argument de la maximisation du profit comme objectif de l’en- se réfèrent à une conception actionnariale assez étroite.
treprise ne tient que dans la mesure où le profit va dans son inté-
UNE DÉFINITION NÉGATIVE DE LA PME
gralité aux actionnaires. Ce qui n’est vrai que lorsque ceux-ci
assument à la fois la fonction de propriétaires et de dirigeants : ce D’où une question qui, selon la réponse qu’on lui donne, est
qui reste des produits de l’entreprise quand toutes les charges susceptible de remettre en cause la stratégie du normalisateur
ont été couvertes peut être alors considéré comme ce qui leur international en ce qui concerne les normes pour PME : les
revient de droit en raison des risques qu’ils prennent, le profit. IFRS/PME peuvent-elles être des IFRS complets simplifiés ? A 27
cette question, le normalisateur international répond par l’affir-
Mais l’argument est beaucoup plus faible dans le cas de l’entre-
mative. Comment est-ce possible ?
prise managériale où, par définition, les actionnaires n’exercent
pas la fonction de direction et la délèguent à des managers dont Sur la base d’une définition négative de la PME ; selon l’IASB,
l’autonomie est plus ou moins grande. Apparaissent alors des une PME est en effet : « Une entité qui n’exerce pas de responsa-
conflits d’intérêts qui rendent peu claire la notion de profit. bilité publique (public accountability) et publie des états financiers
Celle-ci se disperse : la part des actionnaires tend à se réduire présentant un caractère général ». Définition négative dont l’en-
aux dividendes, les managers en prennent sans doute une part, vers positif pourrait être : « Une PME est une entité qui, un jour ou
en nature ou en monnaie, et les salariés peuvent éventuellement l’autre, exercera une responsabilité publique et devra appliquer les
en prendre également une part. En admettant que la maximisa- IFRS dont les IFRS/PME sont un moyen d’apprentissage ».
tion du profit soit l’objectif de l’entreprise managériale, cet Soit, mais cette définition négative et son envers positif ont
objectif ne peut plus justifier, comme dans le cas de l’entreprise leurs limites.
entrepreneuriale, que les actionnaires soient les destinataires pri- Premièrement, un certain nombre de PME n’exerceront jamais
vilégiés de l’information comptable ; tous ceux qui prennent de responsabilité publique et doivent normalement échapper
une part du profit peuvent légitimement revendiquer un droit aux IFRS/PME. Car il y a bien, comme se plaît à le dire un ancien
de regard sur sa mesure comptable. président du CNPF, Yvon Gattaz, deux catégories de PME : les
L’autre grand argument pour justifier la primauté de l’actionnaire “gros chats” et les “petits tigres”. A première vue et dans l’im-
est celui énoncé dans l’article 10 du cadre : la primauté est don- médiat, elles se ressemblent mais ne doivent pas pour autant
née aux actionnaires-investisseurs parce qu’ils supportent le risque être confondues. Les « gros chats » ne grandiront plus et n’au-
(plus précisément, ils apportent “les capitaux à risque”) et que leur ront probablement jamais de responsabilité publique, ce sont
rémunération n’est pas pré-déterminée - elle est résiduelle - les PME les plus nombreuses. Les “petits tigres”, par contre,
comme celle des salariés ou des prêteurs. Cet argument est éga- continueront de croître jusqu’à devenir de superbes félins et cer-
lement assez fragile à la fois sur le fond et au regard de l’évolution tains auront sans doute une responsabilité publique et, aussi,
de la situation de l’actionnaire dans les économies modernes. besoin des marchés financiers ; ce sont les PME les moins nom-
breuses.
Tout d’abord, ils assument juridiquement une responsabilité limi-
tée à leurs apports et, en cas de liquidation de l’entreprise, il peut Deuxièmement, exercer une responsabilité publique ne signifie
arriver que certains créanciers, voire tous les créanciers, perdent pas nécessairement que l’entreprise qui l’exerce soit cotée et
tout comme eux l’intégralité de leur mise. Ajoutons que de nou- doivent rendre des comptes aux investisseurs. Pourquoi alors
veaux instruments de gestion créés pour l’actionnaire, comme exiger d’elle qu’elle produise des comptes en IFRS/PME dérivés
ceux appuyés sur la notion d’Economic Value Added (EVA), ten- d’IFRS complets dédiés aux investisseurs ?
dent à faire de l’actionnaire un créancier privilégié auquel l’en- Ceci laisse penser que des normes qui seraient adaptées plus
treprise doit assurer une rémunération minimale correspondant spécifiquement aux PME que les IFRS/PME pourraient avoir leur
au coût du capital tel qu’il est évalué par le marché ; seule une justification. D’où l’intérêt et l’actualité du SYSCOA-OHADA.
Principes et critères comptables Le principe de "true and fair view" Le principe de régularité
privilégiés Le principe "substance over form" (conformité de la pratique à la règle)
Valeur courante Coût amorti
D’un côté, un modèle, le modèle anglo-saxon, qui privilégie les ■ Deuxième exemple : le compte de résultat. Certes, la présen-
investisseurs, qui accorde la prééminence à la réalité écono- tation du compte de résultat et le tableau des soldes caractéris-
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mique des opérations sur leur qualification juridique (substance tiques de gestion prévu par le SYSCOA peut apparaître bien
over form), qui utilise la valeur courante (rebaptisée fair value, lourde mais elle a le grand mérite, à la différence de celle du
juste valeur) comme critère d’évaluation, qui ignore la fiscalité compte de résultat des IFRS/PME, de répondre à la demande
et qui se veut avant tout une aide à la décision (sous-entendu d’informations d’utilisateurs multiples et en particulier de diri-
des investisseurs) ; un modèle aussi qui laisse une assez grande geants de PME souvent dépourvus de comptabilité de gestion.
latitude aux professionnels. Là encore, il pourrait y avoir une source d’inspiration pour le
D’un autre côté, un modèle qui répond aux besoins d’informa- normalisateur international.
tion d’une gamme relativement étendue d’utilisateurs, qui ■ Troisième exemple : le Tableau Financier des Ressources et des
accorde une grande importance à la conformité de la pratique Emplois (TAFIRE). Le document est complexe mais un tableau
avec la norme (à sa régularité), qui reste attaché au critère du des flux de trésorerie l’est tout autant. Il conviendrait de
coût amorti, qui fait une place à la fiscalité et veut contribuer à confronter les deux documents afin d’en comparer les avan-
la reddition des comptes. C’est aussi un modèle qui laisse une
tages et les inconvénients respectifs, toujours par référence aux
marge de manœuvre assez faible aux professionnels et l’on
besoins d’information d’utilisateurs multiples.
comprend qu’il puisse séduire des pays où la profession comp-
table est récente. Une mise en convergence des IFRS/PME et du SYSCOA-OHADA
serait donc fructueuse. Elle serait néanmoins difficile en raison de
Par rapport à ces deux modèles, bien qu’il procède du modèle de
l’extrême cohérence du jeu d’états financiers proposé dans le SYS-
l’Europe continentale, le SYSCOA est un modèle intermédiaire qui
COA-OHADA : toucher à l’un de ces états implique en effet sou-
présente des caractéristiques des deux modèles évoqués. Ainsi, s’il
conserve un plan de comptes assez typique du modèle de vent que l’on touche aux autres. Mais elle mérite d’être tentée.
l’Europe continentale, il comporte également des principes (huit
au total) et des concepts hérités du modèle anglo-saxon. Mais il CONCLUSION
a aussi des originalités qui en font un modèle spécifique.
Si donc on parle de convergence et non d’alignement, il est cer- La crise invite le normalisateur comptable mondial à tenir
tain que certains éléments du SYSCOA/OHADA pourraient être davantage compte des contingences locales (nationales, secto-
pris en considération par le normalisateur international. Bien rielles ou dimensionnelles) et à méditer, bien que le propos soit
évidemment, il ne peut être question de reprendre un plan de daté, ce que disait Montesquieu dans “L’Esprit des lois” (1748) :
comptes au niveau international ; par contre, les états financiers, « Elles (les lois ou les normes) doivent être relatives au physique du
dans leur contenu et leur présentation pourraient faire l’objet pays : au climat glacé, brûlant ou tempéré ; à la qualité du terrain,
d’un travail de convergence. à sa situation ; au genre de vie des peuples : laboureurs, chasseurs
ou pasteurs. Elles doivent se rapporter au degré de liberté que la
QUELQUES EXEMPLES D’UN TEL TRAVAIL constitution peut souffrir, à la religion des habitants, à leur riches-
■ Premier exemple : la mise en convergence des critères d’éva- se, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs, à leurs
luation et surtout de leur domaine d’application. A beaucoup manières ». Belle leçon de relativité d’un penseur du 18e siècle !
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d’application, l’entrepreneur, et son expert-comptable, sont souvent démunis.
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