Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Présentoirs de Montréal
Cas produit par Emmanuel MOREAU et Louis HÉBERT.
Ce cas a été préparé par Louis Hébert dans le seul but de fournir matière à discussion en classe. Ce cas n’est pas
destiné à illustrer la bonne ou la mauvaise gestion d’une situation de management. Certains noms et certaines
informations ont été déguisés à des fins de confidentialité.
Ce cas n’est pas couvert par CanCopy, ni par aucune autre organisation de droits de reproduction. Toute reproduction,
stockage, ou transmission de ce cas est interdit.
En matinée du samedi 23 septembre 2006, Michel Lucas, président directeur général de Présentoirs
de Montréal, se prépare à rencontrer le groupe d’actionnaires de l’entreprise. Embauché trois
semaines plus tôt pour redresser l’entreprise, il met la dernière main au diagnostic qu’il doit
présenter. Il se souvient de ce que ce groupe lui avait confié lors de leur première rencontre il y a
à peine quelques semaines :
« Nous avons un mauvais pressentiment, quelque chose ne tourne pas rond dans notre
entreprise », s’exclament les actionnaires de Présentoirs de Montréal, une compagnie
dans l’industrie des présentoirs de métal.
Nous venons tout juste d’investir des millions de dollars dans la compagnie, et
pourtant, on nous demande encore de faire des chèques à chaque mois pour couvrir
les fins de mois. Même si nos actifs personnels garantissent la marge de crédit, la
banque commence à être très préoccupée par la situation. Le président précédent ne
semble pas avoir été capable d’améliorer la situation.
En tant qu’actionnaires, nous devons agir immédiatement. Nous avons trop investi
dans cette compagnie pour la laisser mourir. Il faut absolument que Présentoirs de
Montréal effectue une volte-face, sinon, dans quelques mois, nous allons devoir la
mettre en faillite. Il faut trouver quelqu’un qui saura redresser la compagnie. »
L’industrie du présentoir
L’industrie nord-américaine du présentoir est séparée en deux types : les présentoirs semi-
permanents (carton, plastique) et les présentoirs permanents1 (métal). Les présentoirs semi-
permanents sont ceux utilisés lors d’une promotion spéciale d’un produit. Ils doivent donc être
accrocheurs, mais ne doivent pas coûter cher puisque la promotion a une durée établie d’avance
(quelques mois).
Les présentoirs permanents sont ceux où l’on étale les différents produits que l’on peut retrouver
durant toute l’année. Ils font partie d’une industrie plus vaste qui comprend tous les types
d’étalages : comptoirs en verre, étagères, etc. Les présentoirs permanents doivent avoir un design
qui met en valeur le produit, tout en étant très solides, car ils doivent rester esthétiquement beaux
durant les 3 ou 4 années de leur vie utile. Ces derniers comptent pour une portion de 95 % des
ventes totales. Le profane portera peu d’attention ou ne remarquera pas ces présentoirs mais ils
sont omniprésents dans presque tous les commerces, autant les grandes surfaces que les plus petits
magasins.
Les présentoirs permanents sont pour la plupart personnalisés selon les besoins spécifiques du
client. Ils sont un amalgame de tuyaux, de broches et de feuilles d’acier pouvant atteindre des
dimensions importantes, jusqu’à 2,5 mètres de largeur, 1,8 mètres de hauteur et 1 mètre de
profondeur, sans toutefois être repliables. Quelques soit leur taille, ils conservent généralement ces
proportions, car ils doivent pouvoir accueillir les divers produits des clients tout en gardant un
esthétisme agréable.
Lors des négociations et après la signature du contrat, un dessinateur travaille de paire avec le client
pour s’assurer que les plans des présentoirs répondent à ses besoins. Leur production se fait en 6
grandes étapes. Premièrement, on achète la matière première principale du produit, c’est-à-dire la
broche, les tubes et les feuilles d’acier, en quantité nécessaire à la production de la commande. Cet
achat constitue une partie importante des coûts de production totaux (35 % des ventes).
Deuxièmement, on coupe la broche, les tubes et les feuilles selon les grandeurs et le nombre
d’unités requis. Troisièmement, on soude la broche en panier alors que les tubes et les feuilles sont
pliés. Cette étape requiert l’utilisation d’équipements spécifiques. Les paniers sont créés par une
machine automatisée qui crée le treillis et le soude selon les spécifications. De plus, le pliage des
tubes et des plaques nécessite aussi des équipements imposants, capables de chauffer suffisamment
le métal pour le rendre souple afin de pouvoir ensuite le plier dans l’angle voulu. Quatrièmement,
on soude ensemble le panier de broche, les tubes et les feuilles pliés pour créer le présentoir.
Cinquièmement, on passe le présentoir d’acier dans un atelier industriel de peinture pour lui donner
l’apparence voulue. Finalement, la commande de présentoirs est envoyée chez le client par camion,
dans la forme qu’ils auront au magasin.
Clientèle et marchés
Dans l’industrie du présentoir, il y a deux grands types de clients : les détaillants et les grandes
marques. Les détaillants, comme par exemple WalMart, CostCo, Couche Tard et Canadian Tire,
ont besoin de présentoirs pour étaler leurs différents produits en vente dans leurs magasins. Les
grandes marques, comme par exemple Nike, FritoLay, Nestlé et Kraft, achètent des présentoirs
pour leurs produits afin de les installer dans les commerces des détaillants. Certaines grandes
marques fournissent les présentoirs aux détaillants. En payant pour leurs propres présentoirs, cela
leur permet d’en contrôler l’apparence tout en facilitant leur entrée en magasin puisque les
détaillants n’ont pas à s’en occuper. La santé de l’industrie du présentoir est étroitement liée à celle
de ses clients.
L’industrie est divisée en trois marchés : les présentoirs-comptoirs, les présentoirs de marques et
les présentoirs de points d’achats. Le marché des comptoirs regroupe tous les présentoirs qui se
situent à proximité des caisses enregistreuses des magasins. On y trouve très souvent du chocolat,
des bonbons, des revues et des petits objets. Pour avoir une place dans ce marché, une compagnie
doit avoir une grande capacité de production, avec une ligne de peinture haut de gamme. Toutefois,
ce qui est le plus important pour le marché du comptoir c’est la relation que la compagnie
productrice de présentoirs possède avec les détaillants et les éditeurs des diverses revues. En effet,
elle doit gérer les relations entre les différents éditeurs et les détaillants. Les présentoirs-comptoirs
sont payés par les éditeurs. Dans chaque présentoir, on peut trouver plusieurs types de revues.
Ainsi, chaque éditeur payera une partie du présentoir, proportionnellement à la quantité de place
utilisée par ses revues. Un contrat de vente pour des présentoirs-comptoirs prend beaucoup de
temps pour se négocier parce que la compagnie productrice de présentoirs doit s’entendre avec
plusieurs éditeurs et le détaillant; ces négociations peuvent prendre jusqu’à un an. De plus, pour ce
type de présentoirs, la compagnie peut attendre jusqu’à six mois avant de recevoir leur paiement.
Heureusement, chaque contrat est très lucratif; il peut rapporter plusieurs millions de dollars et
donne de bonnes marges.
Le segment des présentoirs de marques regroupe tous les présentoirs appartenant à une grande
marque et qui se trouvent sur le plancher d’un commerce. Il est important de faire la distinction
entre les étagères conventionnelles qui forment les allées et les présentoirs de marques. Ceux-ci se
retrouvent souvent entre les rangées (à la fin des étagères) et dans les sections où il n’y a pas
d’étagères (par exemple, la section des fruits d’une épicerie). Ils contiennent des produits ne
provenant que d’une seule compagnie. Par exemple, un présentoir de FritoLay ne contiendra que
des croustilles et produits connexes de cette même marque. La production de ces présentoirs
nécessite aussi une grande capacité de production parce que les grandes marques sont très sensibles
aux prix et à l’apparence de leur présentoir, et surtout parce qu’il s’agit, la plupart du temps, de
commandes urgentes qui doivent être produites le plus vite possible. Ces contrats se négocient plus
rapidement, en quelques mois habituellement, car ils ne font intervenir qu’une seule autre partie.
Ils sont généralement payés en dedans de 30 et 45 jours. Ils sont aussi très lucratifs en raison du
volume de présentoirs dans chaque contrat.
Le segment des présentoirs de points d’achat regroupe les présentoirs que l’on retrouve un peu
n’importe où dans un commerce et qui ne sont pas attitrés à une marque en particulier. Par exemple,
les paniers de métal contenant les objets à liquider rapidement font partis des présentoirs point
d’achat. Les clients qui achètent ce type de présentoirs sont des détaillants. Ils sont extrêmement
sensibles au prix de ces présentoirs et portent peu d’attention à leur esthétisme. Les deux premiers
types de présentoirs sont rigides et sont soudés en place : on ne peut donc pas les plier. Les
présentoirs points d’achat, eux, se plient facilement et, contrairement aux deux autres types, une
fois pliés, ils ne prennent presque pas de place (idéal pour le transport). La vente de ce type de
présentoirs est la plus simple des trois, on peut même vendre ces présentoirs par catalogues ou en
ligne, puisqu’ils sont très peu personnalisés. Le volume de vente d’une commande varie beaucoup
d’un contrat à l’autre et les marges qu’ils donnent sont extrêmement minces.
Depuis les 10 dernières années, l’industrie nord-américaine du présentoir vit des moments
difficiles. Avec le nombre élevé de faillites et de fermetures, que plusieurs attribuent à la
concurrence des pays émergents dont la Chine, le nombre d’entreprises est en constante diminution.
La production de présentoirs requiert beaucoup de travail manuel. De plus, il devient difficile pour
les plus petites compagnies de rester dans les secteurs des comptoirs et des marques : les clients
qui achètent ce type de produits ont des tailles de plus en plus importantes et ont des exigences
extrêmement complexes. Par conséquent, les entreprises doivent compter sur une grande capacité
de production, des compétences en design, des habiletés de relation client hors pair, en plus de
devoir tout de même jouer sur les prix.
D’ailleurs, la gestion serrée des coûts est aussi perçue comme une condition essentielle à la survie
des entreprises de ce secteur. Les firmes essayent donc d’économiser partout où elles le peuvent.
Leurs locaux sont vieux, leur machinerie est usagée, mais en bonne état, et l’on évite le gaspillage.
Dans cette industrie, une entreprise peut espérer être rentable si elle ne laisse aucune goutte de
peinture tomber par terre, si elle diminue la température dans les pièces pendant le dîner et si elle
ferme les lumières le soir.
Le marché nord-américain du présentoir est partagé entre quelques gros joueurs et plusieurs petits.
Les grandes compagnies se concentrent dans les secteurs des marques et des comptoirs, alors que
les plus petites se spécialisent dans le secteur des points d’achat. Chaque entreprise dessert un
territoire particulier et, habituellement, ne vend pas dans une autre région parce que les coûts de
transport grugent rapidement les marges de profit. Le tableau 1 résume la structure concurrentielle
de l’industrie.
Tableau 1
Principales entreprises de l’industrie des présentoirs
La plus grande entreprise de présentoirs est Florida Racks, une division d’une entreprise qui fait
plus d’un milliard de chiffre d’affaire. Elle se spécialise surtout dans les comptoirs. Ensuite vient
Chicago Racks, qui se spécialise dans les marques et qui a peu de relation avec les détaillants,
qu’ils soient américains ou canadiens. Au troisième rang vient Présentoirs de Montréal, avec des
ventes consolidées de 14 M$, qui joue autant dans le marché des marques que celui des comptoirs.
Les « Autres » sont en fait 8 ateliers d’acier indépendants qui ne peuvent qu’œuvrer dans le secteur
des points d’achat, faute de capacité et de relations.
Présentoirs de Montréal
Présentoirs de Montréal a débuté ses activités à Montréal il y a 30 ans. De 1975 à 1995, les affaires
vont plutôt bien : la croissance est constante et permet de bons profits à la fin de l’année. La
compagnie tisse des liens étroits avec les détaillants et se forge une solide réputation dans le secteur
des comptoirs. De 1995 à 1999, la situation se détériore. La croissance n’a plus la vigueur d’antan,
et les profits fondent totalement.
En 1999, la compagnie est obligée de se mettre sous la protection de la Loi pour les arrangements
avec les créanciers de compagnies (LACC), car elle n’arrive plus à rencontrer ses obligations à
court terme. Elle cherche alors désespérément quelqu’un pour l’acheter. C’est finalement un petit
groupe d’hommes d’affaires œuvrant dans un secteur connexe qui fait l’acquisition de la
compagnie. Ce groupe avait décidé d’acheter la compagnie afin de diversifier ses activités. Il
possédait une entreprise qui utilisait cette compagnie comme fournisseur de présentoirs. Pour ce
groupe, acheter un fournisseur en faillite représentait à la fois une aubaine et un investissement
intéressant.
En 2002, une fois la situation de Présentoirs de Montréal stabilisée, les actionnaires n’ont plus le
temps de s’occuper de la production de présentoirs, car cela ne représente que 10 % de leurs
activités. Ils confient la direction et la gestion à Sylvain Ladouceur, un comptable agréé. Compte
tenu de sa grande expérience en finance corporative, les actionnaires lui vouent une confiance
aveugle.
De 2002 à 2004, la compagnie ne fait pratiquement aucun profit. La croissance est bonne, les ventes
atteignent environ 7 M$, mais les profits stagnent et restent autour de zéro. M. Ladouceur
s’intéresse peu aux opérations et aux affaires commerciales et se concentrent sur la situation
financière et comptable de l’entreprise. Il est souvent absent, et les contacts avec les employés,
qu’ils soient vendeurs, ouvriers ou dessinateurs sont minimaux. Les relations patronale-syndicales
sont à un niveau stable, il n’y a pas vraiment de conflits, mais l’absence de communication agace
les employés.
Devant une performance qui fait du surplace en 2004, M. Ladouceur décide d’acquérir Longueuil
Broche, une petite compagnie en faillite qui se concentre sur le segment des points d’achats. En
espérant que cette diversification relancera l’entreprise, il ne garde de la cible que les vendeurs,
quelques ouvriers clés ainsi que quelques machines à travailler la broche.
un facteur important dans cette industrie notamment en raison des coûts élevés de transport. Par
conséquent, comme Présentoirs de Montréal est un peu trop loin, Toronto Racks dominait le
marché canadien du segment des marques. Toutefois, cette compagnie a aussi des difficultés à faire
des profits. Depuis plus de 5 ans, ses profits et sa croissance gravitent autour de zéro. Fusionner
deux des plus importantes entreprises pourrait devenir une façon simple de régler ce problème.
En janvier 2006, alors qu’il s’apprêtait à préparer le déménagement dans la nouvelle usine, Sylvain
Ladouceur démissionne afin d’accepter un poste de direction dans une compagnie d’un autre
domaine. Suite à ce départ précipité, les actionnaires cherchent un nouveau président, quelqu’un
d’expérience, un entrepreneur en qui ils pourraient avoir une confiance totale pour la direction de
l’entreprise.
Ils se tournent rapidement vers Paul Girard, 54 ans, qui détient une vaste expérience dans la gestion
d’entreprise. Ne possédant pas de formation universitaire, il a une réputation d’autodidacte, d’une
personne d’action capable de faire bouger les choses. Déterminé, il déteste que l’on conteste ses
décisions. La transition est brève et ne porte que sur quelques commandes. M. Girard se met donc
rapidement au travail; la fusion des entreprises, le déménagement et l’aménagement des nouvelles
installations à Anjou, en plus de la direction des opérations occupent tout son temps.
M. Girard commence par fermer l’usine de Toronto, tel que prévu initialement par l’ancien
président. Il licencie tous les employés de production quelque soit leur compétence ou expérience.
Seuls les dessinateurs et les vendeurs gardent leur poste, parce qu’ils ont une expertise que ceux de
Montréal n’ont pas, surtout avec les grandes marques. Un bureau reste ouvert à Toronto pour
permettre à ces 7 employés d’y travailler, ils n’ont donc jamais à se déplacer à Montréal pour
échanger avec leurs collègues.
Le déménagement dans la nouvelle usine devient rapidement la grande priorité du président. C’est
un gros projet qu’il fait sien et dans lequel il s’investit totalement. Il veut que ce soit la meilleure
usine et tous ses efforts sont dirigés en ce sens. Les employés, voyant le président faire, ont vite
saisi ce qui était le plus important pour la compagnie et se sont eux aussi occupés du
déménagement. Tous les employés, qu’ils soient de bureau ou de la production, consacrent
l’essentiel de leur temps pendant trois mois à ce projet. Toutes les énergies de l’entreprise y sont
dirigées.
L’usine sera une des plus modernes et la plus belle de toute l’industrie. Même si la plupart des
équipements demeurent vieux et manuels, certaines machines ont été achetées neuves, à grand
frais. L’atelier de peinture à elle seule coûte près de 1,5 M$, financée par un prêt d’une grande
institution financière canadienne. M. Girard ne ménage pas les dépenses pour les bureaux non plus.
Leur esthétique est recherchée, le design est dernier cri et les postes de travail ergonomiques
s’agencent avec les couleurs de l’entreprise. De plus, la superficie de la nouvelle usine est presque
le double de l’ancienne.
C’est finalement en mars 2006 que l’entreprise déménage dans ses nouvelles installations.
M. Girard veut que l’ouverture de l’usine soit grandiose et dépense près de 30 000 $ pour une
grande fête de bienvenue à laquelle sont invités tous les employés. À cette date, Présentoirs de
Montréal compte 109 employés dont 81 ouvriers syndiqués dans l’usine, huit superviseurs de
production, six vendeurs, cinq dessinateurs, sept employés de soutien, la responsable des finances
et le président, M. Girard.
Michel veut relever de nouveaux défis et être aux commandes d’une entreprise. À ses yeux,
l’opportunité qui s’offre à lui est inestimable pour quelqu’un de son âge. Il est aussi conscient du
défi qui l’attend : apprendre le fonctionnement d’une industrie dans laquelle il n’a jamais travaillé,
et redresser une entreprise manufacturière avec une forte présence syndicale. S’il réussit, sa carrière
prendra un envol inespéré. C’est le plus grand défi de sa jeune carrière.
Lors de sa rencontre avec les actionnaires, ceux-ci n’ont pas caché leurs inquiétudes. Toutefois,
Michel pense qu’il ne peut pas laisser passer une telle opportunité.
Le premier jour
Premier jour dans ses nouvelles fonctions. M. Lucas se lève tôt ce matin-là, en fait, il n’a même
pas pu dormir tellement il est excité. À 6 heures, il rencontre les actionnaires dans les bureaux de
l’entreprise pour la réunion de départ. Ces derniers l’accueillent et lui résument la situation :
«Nous ne savons pas à quel point la situation est critique, parce qu’on n’a pu nous
fournir de données financières, mais nous savons que notre réputation dans l’industrie
s’effrite, autant chez les clients que chez les fournisseurs. Les relations avec le syndicat
n’ont jamais été aussi mauvaises. En six mois, une quantité incroyable de griefs ont
été portés contre M. Girard. Son style de gestion a eu un effet catastrophique sur la
motivation des employés. Il exigeait de prendre toutes les décisions et allait même
jusqu’à recommander à ses employés d’arrêter de penser. Quand il marchait dans
l’usine, il pouvait donner des directives complètement opposées de ce que disait le
directeur de l’usine, et quand il parlait à quelqu’un, il le faisait en criant à tue-tête.
Aussi, nous venons d’investir près de 6 M$ dans l’entreprise et à chaque mois, nous
devions faire des chèques de plus en plus gros pour couvrir certaines dépenses, dont
les intérêts de la marge de crédit de 2,1 M$. C’est pourquoi nous avons décidé de
congédier le président et de vous engager pour tenter de redresser la situation.
Après cette brève réunion, les actionnaires et M. Lucas se dirigent vers l’usine pour une tournée
des lieux. Lorsqu’ils ouvrent les portes, le cœur du nouveau président arrête de battre : l’usine fait
200 m de longueur par 200 m de largeur et près d’une centaine de personnes travaillent sur des
machines énormes qui font tout un vacarme. Michel Lucas pense alors : « Oh mon dieu… qu’est-
ce que je viens de faire là! »
La situation de l’entreprise
M. Lucas démarre son analyse de l’entreprise afin d’en arriver à un diagnostic solide. Pour débuter,
il s’attarde à l’équipe de gestion, la situation, la structure et les employés, tout en sachant que
l’entreprise n’est plus véritablement rentable depuis au moins cinq ans.
L’équipe de gestion
M. Lucas sait qu’il doit pouvoir compter à 100 % sur chaque personne de son entourage.
Si on n’a pas une confiance totale dans les employés clé, on doit perdre du temps à
revérifier leur travail. En temps de crise, quand une entreprise est sur le bord de la
faillite, le temps devient la ressource la plus précieuse, et en même temps celle qui est
la plus rare. Il est alors impératif de s’entourer de gens compétents sur qui on peut
compter.
M. Lucas passe en revue chaque personne qui a un rôle clé pour savoir s’il peut compter sur elle.
Rapidement il décide de congédier la directrice des finances. MBA de formation, elle n’a pas
vraiment les connaissances nécessaires pour tenir les livres comptables à jour et produire des états
financiers représentatifs. Lorsque M. Ladouceur était président, cela ne paraissait pas trop puisqu’il
faisait lui-même la comptabilité. Quand M. Girard est arrivé, la production de données financières
est devenue moins importante que le déménagement. Ainsi, la directrice a pu garder son poste tout
ce temps sans réellement être compétente.
Il nous faut des états financiers, et vite. Quand tu es malade, tu as besoin d’un
thermomètre pour savoir quelle est ta température. Sans états financiers, je ne peux
pas savoir la gravité de la situation. Si tu n’es pas capable de faire des états financiers,
tu ne peux pas être directrice des finances.
Ainsi, M. Lucas la remplace immédiatement par une personne de l’extérieur qu’il connait très bien
et en qui il a totalement confiance. Ensuite, il continue sa tournée pour apprendre sur l’industrie et
analyser pourquoi la compagnie est si mal en point.
Pour ce qui est de la structure, c’est une hiérarchie à deux niveaux : le président et tous les autres
employés. L’ancien président voulait absolument tout contrôler, même les choses pour lesquelles
il n’avait aucune expertise. Tous les employés se rapportaient directement à lui et lui demandaient
les directives à suivre. La révision de cette structure est à faire dans les plus brefs délais.
Michel est surpris de constater que la majorité des employés ne croient pas que l’entreprise est en
mauvais état. Certains syndiqués sont campés dans leur perspective d’affrontement
syndical/patronal et pensent que c’est seulement une autre tactique patronale pour augmenter les
profits à leur dépens. D’autres sont blasés et démotivés par les changements de président et surtout
par les conflits des derniers mois.
De plus, l’absentéisme est devenu un problème évident chez les ouvriers syndiqués dans l’usine
avec un taux anormalement élevé (Tableau 2). Sur un total de 8922 heures/travail manquées, 1951
sont dues aux congés normaux, 1014 aux congés de maladie réglementaires, 2860 à des absences
non motivées et 3096 à des cas de CSST. Pourtant, la convention collective limite le nombre de
jours d’absences non motivées à 5. Il n’y a aucun contrôle ou registre qui garde en compte le
nombre de jours d’absences non motivées par personne. Il est fort probable que plusieurs personnes
dépassent la limite permise de façon volontaire. L’entreprise a accumulé 21 cas d’employés en
arrêt de travail pour cause de blessure. Elle doit donc assumer une hausse des primes de CSST en
plus d’avoir des ouvriers qui restent chez eux. Aucun suivi de ces cas n’a été effectué depuis
plusieurs mois.
Tableau 2
Absentéisme
Du côté des bureaux, certains se doutent que l’entreprise est en difficulté. Ils ont vu le style de
gestion des anciens présidents, ainsi que les décisions qu’ils ont prises. Ils savent que leur entreprise
traverse une crise, mais n’ont tout simplement plus la motivation nécessaire pour offrir un effort
supplémentaire. Ils ne semblent plus vraiment croire aux chances de survie de Présentoirs de
Montréal. Si la plupart des employés qualifiés sont restés, autant du côté de l’usine que des bureaux,
ils sont toutefois démotivés.
Les ventes
L’équipe des ventes regroupe 6 personnes. Les anciens de Toronto Racks, au nombre de 5, sont
toujours à Toronto. À Montréal, il n’y a qu’un seul vendeur issu de l’ancienne compagnie. Cette
équipe est jugée d’une taille et d’une compétence raisonnable. La rémunération est fixe et ne
comporte aucun incitatif au rendement ni de cibles personnelles à atteindre. De plus, la supervision
et l’encadrement sont quasi-inexistants, comme le démontre l’absence de comptes-rendus de ventes
et marketing. Depuis le début du déménagement, les vendeurs, tout comme tous les autres
employés, ont cessé de faire leurs activités normales pour se concentrer sur la transition vers la
nouvelle usine. Les activités normales n’ont réellement repris qu’au jour de la rentrée du nouveau
président. Les relations avec les clients sont jugées soit distantes, soit difficiles. Plusieurs
commandes ont été annulées à cause de retards, et celles qui n’ont pas été annulées seront en retard
de quelques mois et devront être produites plusieurs mois après avoir comptabilisé la vente. Il va
donc falloir reforger le lien de confiance avec les clients.
Le positionnement marketing
Présentoirs de Montréal combine les expertises des deux compagnies dont elle est issue. Les ventes
totales de la compagnie se répartissent donc en 40 % pour les comptoirs, 50 % pour les marques et
10 % pour le point d’achat. Elle fait affaires avec quelques très gros clients : près de 90 % des
revenus proviennent de 10 % des clients. Depuis quelques années, les priorités marketing n’ont
jamais été claires.
Le prix qu’elle demande pour ses services est jugé compétitif. L’entreprise est reconnue pour offrir
beaucoup de petits services aux clients qu’ils devraient normalement assumés eux-mêmes; par
exemple imprimer et coller leurs logos sur le présentoir ainsi que remplir le présentoir de leurs
produits avant la livraison à la destination finale pour qu’ils soient prêts à utiliser chez le
commerçant. Dans l’industrie, Présentoirs de Montréal est perçue comme l’une des meilleures en
termes de design. L’équipe de dessinateurs a beaucoup d’expérience et est considérée comme très
créative.
Production
L’ancienne usine avait une superficie de 24 000 m2 pour une capacité maximale de production
d’environ 8 M$ de ventes annuelles. L’intégration d’une compagnie de 7 M$ à une autre de la
même taille nécessitait donc de déménager dans des installations plus grandes. Le choix a été arrêté
sur la location d’une usine de 42 000 m2 à Anjou, avec une capacité de production correspondant
à environ 30 M$. Si la superficie de l’usine a presque doublé, il en est de même pour le loyer. La
production des présentoirs se fait sur trois quarts de travail de huit heures, les jours de semaines.
D’ailleurs, le quart de nuit fonctionne au ralenti à cause de l’annulation de plusieurs contrats suite
au déménagement.
L’usine est dotée de certains équipements des plus modernes (e.g. l’atelier de peinture), mais
conserve une majorité de machines nécessitant un travail manuel. Malgré l’arrivée de nouvelles
technologies, les coûts énergétiques sont importants. Avec la taille du bâtiment et la nature des
opérations de fabrication, la consommation en électricité et en gaz est élevée. De plus, Présentoirs
de Montréal est reconnue pour la qualité de ses présentoirs. Ses standards de qualité sont élevés,
elle n’accepte donc aucun défaut sur ses produits. Pourtant, le taux de rejet est beaucoup plus élevé
que la moyenne de l’industrie. Plusieurs présentoirs terminés sont renvoyés au recyclage parce
qu’ils comportent des défauts. Depuis le déménagement, près de 7% de l’acier a été gaspillé suite
à des erreurs de production.
La prochaine étape
Trois semaines après son entrée, un vendredi après-midi de septembre, Michel Lucas est dans son
bureau en train de préparer sa réunion avec les actionnaires. Il met la dernière main à un document
présentant son diagnostic de l’entreprise, un document sans raffinement, presque brouillon, parce
qu’il n’a pas de temps à perdre sur l’apparence de celui-ci. En trois semaines, il a travaillé à tous
les jours près de 16 heures, incluant les fins de semaines. Il commence à être fatigué, mais ce qu’il
s’apprête à annoncer aux actionnaires lui donne de l’énergie.
Ses réflexions sont interrompues par l’appel d’un important fournisseur d’acier. N’ayant pas été
payé depuis plusieurs mois, il menace d’arrêter ses livraisons s’il n’est pas payé sur le champ.
Dorénavant, il n’acceptera aucun autre mode de paiement que comptant sur livraison.
Au moment même où M. Lucas raccroche le téléphone, les actionnaires entrent dans le bureau pour
la réunion. Ils ont pu voir une lueur de panique pour une fraction de seconde dans les yeux du
président alors qu’il replace le combiné du téléphone. Se ressaisissant, il prend la parole :
Excusez mon retard. Voici les états financiers complétés, mis à jour, pour les derniers
mois. La situation financière n’est vraiment pas bonne. En déposant ce document, je
dépose aussi ma démission…
Puis, il quitte le bureau. Les actionnaires et le président restent silencieux pendant une longue
minute. Cette minute paraît à M. Lucas comme une éternité. Une fois remis de leurs émotions, ils
conviennent de réfléchir à la situation et de se revoir le lendemain matin.
M. Lucas se dirige vers sa voiture dans le stationnement de l’usine. C’est la dernière à quitter la
cours avant de l’usine (celle attitrée au personnel de bureau), comme à chaque soir. Avant d’ouvrir
la portière, il remarque un papier dans son essuie-glace. C’est une lettre anonyme qui lui dit que
s’il coupe des emplois, quelque chose de grave va lui arriver.
Michel Lucas roule alors les yeux vers le ciel et se dit : « Mon dieu, dans quoi me suis-je embarqué?
»
Total de l'avoir des actionnaires (4 884 106,75) (5 467 197,87) (6 109 438,23)
Coûts
Coût des ventes passé 253 728,47 200 303,68 302 901,15
Achat – métal 3 438,89 2 157,30 3 353,94
Achat - autres 41 904,07 31 585,95 53 189,12
Autre coûts des MP 120 920,99 73 414,27 44 454,08
Énergie 39 964,10 45 937,33 56 567,93
Salaires ouvriers 351 104,59 332 319,21 362 752,52
Total des coûts de production 890 004,96 778 940,09 923 767,74
Frais de vente
Administration
Frais financiers
Total des frais généraux 284 423,52 331 586,74 263 810,43