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PRINTEMPS 2009

Volume V, No. 1

Editorial
Le Leadership, toujours le Leadership . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Rémy M. Mauduit

Perspective de leaders
Le Leadership en action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Claude Bébéar, président d’Honneur du Groupe AXA, président de l’Institut
Montaigne et président de IMS-Entreprendre pour la Cité

Le Leadership militaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Général d’armée aérienne Stéphane Abrial,
chef d’état-major de l’armée de l’Air française

Articles
Réfléchir et apprendre au sujet du leadership . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Docteur Thomas E. Cronin

Les 4 compétences qui caractérisent le leadership . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28


Docteur Warren Bennis

Les utilisations de la théorie du leadership . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36


Docteur James Owens

Profil d’un leader : L’effet Wallenberg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45


Docteur et lieutenant colonel John C. Kunich
Docteur Richard I. Lester

Un modèle de leadership situationnel pour les chefs militaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55


Colonel Donald E. Waddell III

De quoi est fait un dirigeant supérieur ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66


Docteur Morgan W. McCall, Jr.
Docteur Michael M. Lombardo

Le leadership : Créativité et innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74


Docteur William R. Klemm

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Des leaders qui communiquent efficacement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
Docteur John A. Kline

Le leader créatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100


Capitaine de corvette Anthony Kendall

L’excellence du commandement : Enseignements tirés du comportement


des unités les plus performantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
Monsieur Martin Pitt
Docteur Michael Bunamo

Leadership stratégique et étroitesse d’esprit : Ce que nous ne faisons


pas bien et pourquoi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Colonel Fernando Giancotti, armée de l’Air italienne

Théorie de l’organisation à l’intention des leaders . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120


Docteur Frank R. Hunsicker

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Le Leadership, toujours le Leadership
Encore une fois, nous sommes de retour sur le Leadership… et ce ne sera pas la dernière !
L’intérêt que ce sujet a pour les lecteurs, nous a encouragé à consacrer Air & Space Power
Journal en français du Printemps 2009 entièrement au Leadership.
Nous avions sollicité la contribution de praticiens du leadership, de politologues, d’universi-
taires, d’officiers ; le résultat a dépassé toutes nos prévisions. Nous remercions de tout cœur tous
les participants.
Nous remercions vivement le général d’armée aérienne Stéphane Abrial, chef d’état-major de
l’armée de l’Air française qui, malgré un programme surchargé, et le temps court qui lui a été
accordé durant les festivités de fin d’année, a gracieusement accepté de nous faire part de sa
vision du leadership. Le général Stéphane Abrial personnifie le leadership dans les forces armées.
De la promotion 1973 « Capitaine Marchal » de l’Ecole de l’air, il fut aussi élève officier à l’U.S.
Air Force Academy en 1974. Il fera aussi l’Air War College en 1991 à Maxwell AFB, Montgomery,
Alabama aux Etats-Unis, le siège social de notre revue. Ce pilote de chasse sera adjoint au chef
de cabinet du Chef d’état-major de l’armée de l’Air (1992) ; adjoint au chef de cabinet du Chef
d’état-major des armées (1995) ; Officier de l’Etat-major international de l’Otan à Bruxel-
les (1996) ; auditeur du Centre des hautes études militaires (CHEM) et de la 52e session natio-
nale de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) en 1999 ; adjoint au Chef
de l’état-major particulier du Président de la République (2000) ; chef du cabinet militaire du
Premier ministre (2002) ; commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes (2005) ;
puis chef d’état-major de l’armée de l’Air (16 juillet 2006).
Nous remercions chaleureusement Monsieur Claude Bébéar pour son amitié d’abord, puis
pour l’intérêt qu’il a porté à Air & Space Power Journal en français depuis sa création en 2006. Les
concepts du leadership, du long terme, de qualité et de « stakeholders » (dans notre cas les lecteurs)
de Claude Bébéar nous ont inspirés dans le développement d’Air & Space Power Journal en fran-
çais pour en faire une revue internationale. Claude Bébéar est l’épithète du leadership. En plus
du monde des affaires qu’il a profondément impacté, ses œuvres dans de nombreux domaines
sont nombreuses : il a, entre autres, préfacé et coordonné un recueil de contributions, « Le
courage de réformer », publié en mai 2002 aux Editions Odile Jacob. En février 2003, il publie
avec Philippe Manière « Ils vont tuer le capitalisme » (Editions Plon). En septembre 2006, il a
également préfacé et coordonné dans le cadre de l’Institut Montaigne « Comment fait la France
quand elle gagne ? » (Editions Plon). En novembre 2004, à la demande du Premier ministre,
Monsieur Jean-Pierre Raffarin, il publie un rapport comportant 24 propositions pour mieux
intégrer les minorités visibles, intitulé « Les entreprises aux couleurs de la France » et s’emploie
à ce que ces propositions entrent en application. Claude Bébéar est avant tout un leader et un
grand bâtisseur, mais cela ne l’empêche pas d’aimer les matchs de rugby, la chasse, la gastrono-
mie et les grands crus. Ce baroudeur (lieutenant en Algérie) épicurien, cet ardent défenseur « d’un
capitalisme moral » dont la devise est « Have fun », peut se targuer aussi d’avoir « broken all the
rules », la qualité essentielle des leaders hors-normes.

Rémy M. Mauduit, éditeur


Air & Space Power Journal en français
Maxwell AFB, Alabama

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Le Leadership en action
par Monsieur Claude Bébéar

Monsieur Claude Bébéar est actuellement Président d’Honneur du Groupe AXA qu’il a fondé en 1985
et développé pour en faire un des leaders mondiaux de la protection financière. Il est également Président
de l’Institut Montaigne, un think tank et un espace de réflexion indépendant, qu’il a créé en 2001, et
Président de IMS-Entreprendre pour la Cité qu’il a créé en 1986, un Institut qui accompagne près de
deux cents entreprises adhérentes dans la définition et la mise en place de leur démarche d’engagement
sociétal.

L
’expérience montre que, sur le 3. Chercher à savoir dans quel futur on va
moyen et à fortiori sur le long travailler. Le monde change. Et cela a
terme, une entreprise vaut ce que des conséquences pour l’entreprise.
vaut son leader. Quand je revis
l’histoire d’AXA – une petite mutuelle 4. Avoir une stratégie et des objectifs clairs,
française devenue en moins de 30 ans un connus et partager par tous les collabo-
des plus grands groupes d’assurances du rateurs : Pourquoi et comment se bat-
monde – je constate que toutes les acquisi- traient-ils pour quelque chose qu’ils ne
tions que nous avons faites l’ont été parce connaîtraient pas ?
que le leader de l’entreprise cible avait
5. Considérer que le premier des « stake-
perdu la main. Si j’analyse ce qui fait d’un
dirigeant, un leader, je vois au moins 12 holders » est le client. Sans client il n’y a
principes appliqués qui créent la diffé- pas d’entreprise. Le client est roi, oui
rence. Ils sont d’importance différente, mais dans certaines limites que les comp-
mais chacun joue son rôle : tes annuels s’empressent de rappeler.

1. D’abord comprendre que l’on ne gou- 6. Avoir des collaborateurs professionnels et


verne pas l’entreprise pour le court motivés. Une entreprise, c’est une équipe.
terme mais pour le moyen, et même, le Le capitaine est essentiel mais chaque
long terme. Cela veut dire savoir résister joueur, même le plus modeste, a son rôle
au marché de plus en plus court ter- à jouer. Il doit comprendre son rôle et se
miste : ce ne sont pas les comptes tri- sentir reconnu dans ce qu’il fait.
mestriels dépourvus de sens et la renta-
bilité des capitaux à court terme qui 7. Avoir ses actionnaires avec soi : ils doi-
doivent déterminer les actions à mener. vent comprendre et entériner la politi-
que menée. Un noyau d’actionnaires
2. Bien savoir quels métiers on sait faire et fidèles est nécessaire si l’on ne veut pas
quels métiers on veut faire. « L’herbe avoir de fâcheuses surprises quand le
est toujours plus verte dans le pré d’à bateau tangue. Et il y a forcément des
côté » : c’est en croyant cela que beau- moments où le bateau tangue.
coup d’entreprises se sont suicidées.

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LE LEADERSHIP EN ACTION    

8. Savoir déléguer : il faut très soigneuse- Et ses dirigeants avaient oublié que la
ment faire en sorte que la décision soit loyauté est une vertu cardinale !
prise au niveau le plus bas où la compé-
tence existe. Le principe de subsidiarité •  Equitable, notre grande acquisition améri-
est un gage d’efficacité. caine, avait cru que son statut de mutuelle
l’obligeait à tout faire pour le client en
9. Faire appel si nécessaire à des compé-
négligeant la rentabilité indispensable à la
tences extérieures. Mais ne pas leur
laisser le soin de la décision car « les croissance. Et ensuite ses dirigeants ont cru
conseilleurs ne sont pas les payeurs ». que le « pré d’à côté » – la finance – était
« plus vert » et que de lui viendrait le salut.
10. Gouverner selon les principes de la Et ce fut la débâcle.
« démocrature » : démocratie dans la pré-
paration de la décision, dictature dans •  L’UAP enfin, dont la devise orgueilleuse
la décision et dans son application. était « numéro un oblige », avait ignoré
11. Afficher clairement des valeurs, une beaucoup des principes ci-dessus, oubliant
éthique, les faire partager et respecter : qu’une entreprise n’est pas une adminis-
en particulier une loyauté sans faille à tration, que l’excellence demande un
l’entreprise, à l’intérieur et vis-à-vis de effort de tous les jours et que la concur-
l’extérieur. rence vous attend au coin du bois.
12. Faire preuve de courage surtout dans Toutes ces entreprises ont été leaders en
les difficultés et sanctionner la lâcheté leur temps. Mais aucune situation n’est défini-
dans l’entreprise. tive car le monde évolue et l’entreprise doit
Et si le dirigeant peut avoir en plus du cha- évoluer au moins au même rythme. La capa-
risme, ce je-ne-sais-quoi qui fait de l’on vous cité à changer concerne tous les collabora-
respecte et que l’on vous suit, l’entreprise teurs mais il est évident que c’est le leader qui
n’en tirera que des avantages. donne l’exemple et entraîne l’équipe.
Tout au long de la croissance d’AXA nous Je n’ai pas cité parmi les principes à respec-
avons pu vérifier l’importance de ces principes : ter, le souci de l’environnement et du déve-
•  Les dirigeants du Groupe Drouot – notre loppement durable. Les négliger relève d’une
première grande acquisition – avaient absence totale de bon sens aux conséquences
oublié quel était leur métier. Ce fût la fin lourdes. Mais plutôt que des déclarations
du leadership de l’entreprise… et de son incantatoires et des process lourds (mais tou-
indépendance. jours contournables) je préférerai des démar-
•  Il est clair que les Dirigeants du Groupe ches pragmatiques et efficaces, quelles soient
Présence (seconde acquisition) – ils étaient individuelles ou collectives.
deux – n’avaient pas convaincus leurs prin- En fait, le leadership est d’abord affaire de
cipaux actionnaires du bien fondé de leurs bons sens et de volonté. Et, comme on ne le dira
projets. jamais assez, une entreprise étant une équipe,
•  Le Midi, société d’assurance devenu ce bon sens et cette volonté doivent être diffuser
conglomérat, s’était trompé sur le futur par le canal de la hiérarchie et être partagés par
de son marché et avait démobilisé ses tous. Le leader ne réussira que s’il réussit à
collaborateurs qui se sentaient mal aimés. mobiliser toute l’entreprise.   ❏

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Le leadership militaire
par le général d’armée aérienne Stéphane Abrial

Le général d’armée aérienne Stéphane Abrial est actuellement chef d’état-major de l’armée de l’Air
française.

L
e leadership est un mot d’origine qu’est le leadership et d’en souligner les spéci-
anglo-saxonne, qui est apparu à la fin ficités militaires. Pour autant, les chefs militai-
du 19ème siècle. Les modes de pro- res sont confrontés comme les leaders civils à
duction et les formes d’organisation des défis communs en ce début de 21ème siècle.
qui allaient dominer le monde du travail au L’évolution des rapports sociaux, le développe-
20ème siècle se mettaient alors en place. Le ment des nouvelles technologies de l’informa-
rôle des responsables, des chefs d’équipe, des tion et de communication (NTIC) boulever-
leaders semblait se transformer en même sent la manière dont les différents acteurs se
temps. Ils devaient trouver des ressources positionnent face à l’autorité. Il est nécessaire
pour susciter la participation volontaire et de comprendre comment ces transformations
motivée d’individus libres d’un point de vue renouvellent les approches du leadership et
politique aux projets d’une entreprise écono- quelles sont les formes de commandement
mique. Cette question conserve tout son inté- qu’il faut privilégier.
rêt aujourd’hui, même transposée au domaine L’autorité n’est pas nécessairement syno-
militaire. Il s’agit alors de se demander com- nyme de contrainte. Son détenteur n’est pas
ment un chef militaire peut influencer ses toujours obligé d’employer la force pour se faire
subordonnés pour qu’ils accomplissent leurs respecter. Différents théoriciens, comme Max
tâches avec entrain, en limitant le recours à Weber au début du 20ème siècle, se sont efforcés
l’autorité fondée sur la simple hiérarchie ? de préciser cette idée. Selon lui, il existait trois
Des milliers d’ouvrages et d’articles ont été types de forme de légitimation du pouvoir au
consacrés au thème du management et du lea- sein des organisations. La forme traditionnelle
dership depuis les années 1900. Occupant les se fondait sur le respect des coutumes et de ceux
rayonnages des librairies, remplissant les revues qui détiennent du pouvoir en vertu de la tradi-
spécialisées, ils proposent souvent des recettes tion (un roi, un seigneur avec ses sujets) ; la
fondées sur le bon sens. Une synthèse de ces forme charismatique s’appuyait sur le dévoue-
travaux pourrait sans nul doute nous aider à ment de subordonnés envers leur chef qu’ils
répondre à notre problématique. Je crois pour- considéraient comme doté de qualités excep-
tant hasardeux d’associer trop étroitement les tionnelles (un général invaincu avec ses soldats),
notions de leadership civil et de leadership tandis que la forme légale reposait sur la validité
militaire. Même si les auteurs s’inspirent régu- de la loi établie rationnellement par voie législa-
lièrement de la stratégie militaire et emprun- tive ou bureaucratique (un responsable admi-
tent volontiers des termes du vocabulaire guer- nistratif avec ses subordonnés). Dans ce dernier
rier pour définir leurs concepts, le monde de cas, le savoir, la connaissance scientifique ou
l’entreprise et celui du métier des armes possè- administrative sont essentiels. Idéalement, les
dent des différences fondamentales. Les res- informations sont compilées et centralisées par
ponsables civils n’ont pas à convaincre leurs un chef sélectionné pour ses qualités intellec-
subordonnés de poursuivre leurs tâches quand tuelles, pour son aptitude avérée à synthétiser
bien même leur intégrité physique serait mena- l’ensemble des données dont il dispose. Compte
cée. Il importe donc de bien expliquer ce tenu du contexte, de la stratégie décidée, il

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LE LEADERSHIP MILITAIRE    

prendra logiquement la décision optimale en commander ses hommes et les entraîner quand
fonction des éléments en sa possession. ils font face à des difficultés.
D’une certaine manière, cette gestion des Toute organisation cherche évidemment à
affaires trouve actuellement son aboutisse- recruter de telles personnalités. Pouvoir en
ment dans la rédaction de lettres d’objectifs, définir les principaux traits rendrait plus aisée
dans la production d’indicateurs de gestion, leur sélection. De nombreux chercheurs se
dans la construction de tableaux de bord syn- sont frottés à ce défi. Pendant la Seconde
thétiques. Il est possible de mettre plus aisé- guerre mondiale, des scientifiques ont suivi
ment en évidence ce qui fonctionne et ce qui les troupes américaines pour tenter de déter-
ne fonctionne pas, selon les buts recherchés. miner quelles étaient les caractéristiques les
Tout employé, en découvrant ces données plus saillantes des officiers qui possédaient de
souvent coloriées en rouge ou en vert, com- l’ascendant sur leurs hommes. Leurs conclu-
prendra le bien-fondé des décisions prises par sions furent prudentes dans l’ensemble. Les
les responsables et ne pourra qu’y adhérer. personnalités de ces meneurs sont souvent
De telles méthodes ont sans conteste prouvé très différentes, de sorte qu’il est difficile d’en
leur efficacité. L’ensemble des entreprises et dessiner un portrait robot.
des institutions de la fonction publique investis- Certes, quelques qualités semblent indis-
sent ainsi largement dans ces outils pour mieux pensables, mais elles sont trop générales pour
rationaliser leurs processus. Néanmoins, il être utiles lors de tests de sélection. L’intelli-
convient peut-être d’en modérer la portée dans gence est ainsi indispensable pour pouvoir
le cadre du leadership. Ces outils facilitent la résoudre des problèmes. Le goût pour les ini-
gestion, la direction d’un projet. Ils rendent tiatives est requis afin de savoir transformer des
problèmes en solutions. Et puis il y a la
compte d’une situation, de l’évolution de fac-
confiance en soi, qui offre l’assurance néces-
teurs sélectionnés. Mais ils ne garantissent pas la
saire pour suivre une direction sans varier de
pertinence d’une stratégie. L’exemple du body
conduite à chaque nouvelle information. Je
count pendant la guerre du Vietnam est fameux.
crois d’ailleurs que la cohérence des actes d’un
Le conflit dans lequel les Américains étaient
responsable, plus que la nature de sa person-
engagés n’était pas une guerre d’attrition, mais nalité, est un des critères décisifs pour juger de
bien une guerre révolutionnaire, qui se jouait la vraie qualité du leadership. Si un chef com-
sur un autre registre. De même, un paramètre prend le problème et sait saisir des opportuni-
exogène, un phénomène imprévu peut déré- tés, il compte peu qu’il soit naturellement bon
gler le fonctionnement bien huilé d’une organi- ou sévère, nonchalant ou exigeant, présent ou
sation. Enfin, des sentiments, des perceptions distant. Il existe plusieurs routes pour arriver à
du personnel peuvent ne pas être quantifiés une même destination. L’impérieuse nécessité
mais avoir une influence certaine sur la produc- d’obtenir des résultats le contraindra de toute
tion. C’est dans ces circonstances difficiles, qui façon à adapter son comportement pour être
sortent de l’ordinaire, qui peuvent être mal performant. Comme le rappelait Machiavel à
appréciées, que les leaders s’imposent souvent son Prince, il faut parfois « forcer sa nature
par rapport aux autres. Lorsque la motivation pour s’adapter aux circonstances ». Ce qui
est émoussée, lorsque les énergies faillissent, peut nuire en revanche à la mobilisation des
lorsqu’il faut rompre avec les habitudes et intro- subordonnés est un chef dont le comporte-
duire de nouveaux processus, l’autorité tradi- ment devient erratique, qui passe soudaine-
tionnelle ou le savoir peuvent ne plus suffire. Il ment de l’optimisme au pessimisme, de la
faut apporter ce supplément d’âme nécessaire rigueur au laisser-faire, qui donne des ordres et
pour mobiliser ses subordonnés face à l’im- les annule aussitôt par des contre-ordres. Il
prévu, face à la complexité. Etre un leader, ce n’est pas bon de changer tout le temps d’itiné-
n’est pas simplement être capable de gérer les raire. Si le chef semble dépassé par les événe-
affaires courantes. C’est entraîner l’adhésion ments, s’il devient imprévisible, la confiance
des siens dans les périodes troublées. C’est savoir s’ébranle, le doute s’installe et toute action

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   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

devient problématique. Les hommes devien- je préfère l’approche de l’armée de l’Air dans
nent passifs, ils préfèrent attendre avant d’agir. ce domaine à d’autres plus théoriques, fon-
Ils se détournent, se désintéressent, s’abstien- dées principalement sur l’organisation de
nent. Etre un meneur, ce n’est pas toujours cours magistraux. Nonobstant les qualités de
courir seul devant les autres en espérant être chacun, le leadership s’apprend d’abord sur
suivi. Courrez en zigzag et vos hommes se met- le terrain et par la réflexion personnelle.
tront vite à marcher. Etre un meneur, ce peut A première vue, ce type de sélection possède
être aussi simplement se déplacer au milieu du des points communs avec celui de nombreuses
groupe à allure constante en veillant qu’aucun entreprises civiles. Une différence est cepen-
membre ne fléchisse et que tous arrivent dant fondamentale. L’armée de l’Air, comme
ensemble à l’endroit prévu. les autres armées, doit prendre en compte les
La sélection des cadres de l’armée de l’Air spécificités de la guerre et du combat, où les
tient évidemment compte des principes qui protagonistes recourent volontairement à la
viennent d’être présentés. Des concours d’en- violence physique pour parvenir à leurs fins.
trée de haut niveau jugent de leurs capacités à La mort occupe inévitablement les pensées de
appréhender des problèmes complexes et à tout soldat dans cet environnement, qu’elle
les traiter logiquement. La façon dont ils tra- puisse être reçue ou qu’elle puisse être donnée.
versent les événements qui surviennent au Et la peur rôde toujours. Comme le disait
cours de leur formation en école, leur carrière Ardant du Picq il y a cent cinquante ans, « tou-
opérationnelle ou dans leur temps de com- jours, il arrive un instant où l’horreur naturelle
mandement est un formidable révélateur de prend le dessus sur la discipline, et le combat-
leurs qualités de chef. Les meilleurs sont pro- tant s’enfuit ». Le leadership militaire ne se
mus rapidement. Des cours réguliers sont définit donc pas seulement par l’aptitude à
destinés à améliorer leur culture générale faire face à des situations complexes. Il se
pour qu’ils puissent mieux saisir le cadre de caractérise aussi par la capacité des sous-officiers
leurs actions, découvrir de nouvelles appro- et des officiers à mobiliser leurs hommes dans
ches et stimuler leurs réflexions. Je crois, toutes les circonstances, malgré le fait que leur
comme l’écrivait De Gaulle en 1934 dans Vers intégrité physique soit menacée.
l’armée de métier, que « la véritable école du Le chef militaire peut recourir à plusieurs
Commandement est (…) la culture générale. procédés pour parvenir à son but. Passons
Par elle la pensée est mise à même de s’exer- rapidement sur la discipline, dont Ardant du
cer avec ordre, de discerner dans les choses Picq estime qu’elle est impuissante dans cer-
l’essentiel de l’accessoire (…), bref de s’éle- tains cas extrêmes, mais qui, surtout dans le
ver à un degré où les ensembles apparaissent cadre de cet article, s’oppose théoriquement
sans préjudice des nuances. »  Appréhender au leadership en imposant plus qu’en suggé-
la manière dont les plus grands ont su traiter rant la conduite de chacun face au danger. Je
les problèmes auxquels ils devaient faire face l’estime pour ma part indispensable car elle
est une source de richesse personnelle et de repousse sensiblement les limites de chacun
réussite future. Le général Lewal notait après dans les circonstances chaotiques du champ
la guerre de 1870 que « les militaires les plus de bataille. Grâce à elle, les combattants inté-
irrésolus ont été ceux dont l’instruction était riorisent certaines règles élémentaires et l’or-
la moindre. Par contre, les hommes qui ont dre peut être maintenu au sein des unités. Les
vigoureusement commandé ont été tous des formations peuvent donc agir pleinement en
officiers dont le savoir était grand ». Finale- faisant valoir tout leur potentiel.
ment, le sens de la mesure qu’apporte la L’adhésion à une cause collective est une
culture et les leçons qui peuvent être tirées de des ressources offertes au leader pour influen-
sa propre expérience du commandement for- cer ses hommes. Il est du devoir du chef de
ment, à mon sens, une combinaison harmo- rappeler régulièrement à ses subordonnés les
nieuse pour éduquer et entraîner tout cadre raisons de leur participation à des opérations
militaire à l’art du leadership. C’est pourquoi et les causes de leur sacrifice éventuel. Le sol-

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LE LEADERSHIP MILITAIRE    

dat français n’a pas à rougir de celles-ci. Que ce Mais les règles de leadership qui étaient en
soit pour la défense de la patrie, la sauvegarde vigueur au temps du commandant Brocard
de nos intérêts dans le monde ou la protection sont-elles toujours valides cent ans plus tard ?
des valeurs fondamentales qui rassemblent nos Les sociologues s’accordent en effet pour sou-
concitoyens autour de la République, les ligner que les rapports qu’entretiennent les
enjeux collectifs sont nombreux qui dépassent individus face au pouvoir, à l’autorité ou à la
largement les simples intérêts individuels. Ils hiérarchie ont fondamentalement changé
sont à l’origine de l’engagement du citoyen depuis les années soixante. La hausse du niveau
dans les forces armées. Ils sont sources de de scolarisation, la diffusion généralisée des
dépassement de soi. Je sais que ces causes par- informations et des connaissances, l’envie de
ticipent à la motivation des aviateurs français consommer dans tous les domaines agissent
qui combattent quotidiennement sur le sol et sur les motivations des acteurs. Ils refusent plus
dans les cieux d’Afghanistan. facilement les systèmes établis, contraignants
Une autre ressource disponible pour un chef et constitués en dehors d’eux-mêmes. La fin de
est de développer les rapports de cohésion ou croyance en la toute puissance de l’autorité
les sentiments de solidarité entre ses différents étatique en est un exemple en France. A l’en-
subordonnés. Les nombreuses études sur le cadrement collectif se substitue une quête
comportement des soldats pendant les guerres identitaire individuelle. L’individu évolue dans
tendent à prouver que des rapports très forts une sorte de société de consommation des
lient les hommes qui traversent les mêmes biens culturels où il peut saisir ce qui le séduit
épreuves, les mêmes combats. Chacun se bat et repousser ce qui lui déplaît.
vigoureusement dès lors qu’il a à l’esprit l’idée Un parallèle peut être fait avec le monde
de l’entreprise. Un mode de production
de maintenir l’intégrité du groupe, de défendre
comme le Taylorisme, qui supposait que les
ses camarades et de ne pas faillir devant eux. Le
exécutants se consacrent à des tâches étroites
cadre peut s’appuyer sur ce phénomène pour
et spécialisées en ne disposant que de connais-
devenir en quelque sorte un chef de bande et
sances fragmentaires, est dépassé. Le nouveau
obtenir bien plus de ses hommes que ne le per-
régime d’autorité dans le monde du travail est
mettraient de simples rapports hiérarchiques. fondé sur la production de savoirs, d’ouver-
Bien sûr, cette approche suscite des effets per- ture, de satisfaction personnelle. Hommes et
vers. Le responsable peut avoir tendance à se femmes opèrent constamment des calculs
concentrer sur la vie et l’harmonie de son dans leur relation à leur emploi. Ils sont géné-
groupe et négliger l’environnement. Or un ralement prêts à s’investir fortement pourvu
sous-officier ou un officier a toujours un chef que leur engagement soit payant en termes
au-dessus de lui à qui il doit rendre des comptes. d’estime de soi et de construction identitaire,
S’affranchir de cette contrainte, c’est tout sim- faute de quoi la tentation du retrait n’est
plement oublier qu’on appartient à une organi- jamais éloignée. Ainsi, les gratifications finan-
sation plus vaste qui ne peut se satisfaire de la cières, les primes, si elles sont toujours appré-
recherche de buts particuliers. ciées, perdent de leur pertinence face à la
Nous avons tous en tête les exploits de cer- quête de reconnaissance des compétences et
taines escadrilles prestigieuses où des com- de réalisation personnelle. Un leader compé-
mandants d’unité ont su créer une atmos- tent doit désormais offrir un espace de liberté
phère particulière et amener leurs hommes à dans le travail, où l’individu pourra compléter
se surpasser. La première unité de ce type l’épanouissement de sa personnalité, où il
dans l’histoire de l’aviation française est cer- pourra construire son identité et mesurer sa
tainement l’escadrille des Cigognes. Le com- valeur en se confrontant au monde réel. Il ne
mandant Brocard était à sa tête, qui a su susci- suffit plus de sanctionner le travail effectué, le
ter une saine émulation entre ses hommes résultat. Il faut aussi prendre en compte la
pourtant dotés de fortes personnalités. Nom- satisfaction qu’éprouve son subordonné dans
bre d’entre eux devinrent des as. le travail en train d’être accompli.

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10   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

Les cadres doivent créer des terrains d’en- manière dont elle va toucher les uns et les autres.
tente, nouer des alliances, négocier des com- Il importe aussi de bien faire comprendre les
promis avec leurs équipes et leurs propres supé- nouveaux processus qu’elle va introduire et les
rieurs. Ce qui importe est de dialoguer avec les nouvelles organisations qu’elle va faire naître,
uns et les autres pour créer des conditions comme les bases de défense. Je suis persuadé
d’épanouissement individuel, pour informer que la réforme peut être vertueuse pourvu que
du contexte, pour expliquer ce qui est possible chacun puisse se l’approprier et comprenne les
et ce qui ne l’est pas, et pour adapter sa conduite bénéfices qu’il pourra en tirer dans ses condi-
en fonction des retours d’expérience. tions de vie et de travail.
Un mémoire du lieutenant colonel Zentner, Une autre évolution qui transforme sensible-
publié dans le cadre de ses études au College of ment la forme du leadership est l’introduction
Aerospace Doctrine, Research and Education1 évo- des NTIC. On devine déjà certaines des consé-
que l’intérêt de ne pas enfermer les équipages quences de l’utilisation de ces technologies sur
d’avion dans des fonctions trop étroites de sim- l’art de la guerre. Les écrits américains sur la
ples exécutants. Dans The Art of Wing Leadership révolution dans les affaires militaires sont éclai-
and Aircrew Morale in Combat, Zentner cherche rants de ce point de vue. Sans juger ici de leurs
à comprendre pourquoi des leaders parvien- aspects prophétiques ou utopiques, le chef
nent à maintenir le moral de leurs hommes à aérien ne peut manquer de noter que les moda-
un niveau élevé malgré des pertes lourdes en lités de son travail évoluent quelque peu. Ses
opérations ? Une des conclusions de l’auteur capacités d’action à distance augmentent sensi-
est qu’un commandant d’unité doit être assez blement. Assis devant ses écrans qui renvoient
souple pour encourager l’innovation tactique. l’image de capteurs emportés sur des drones, il
Une telle approche permet aux pilotes et équi-
peut par exemple piloter la manœuvre aérienne
pages d’exercer un contrôle supplémentaire
et projeter des vecteurs capables de tirer des
sur les situations de combat dans lesquelles ils
armements à distance des objectifs. La quantité
sont impliqués.
d’informations à traiter croît également sensi-
On comprend l’intérêt de bien connaître
blement, alors que, dans le même temps, la
ce que désirent ses propres subordonnés, de
saisir la manière dont ils appréhendent leurs durée de leur validité diminue. Face à cette
tâches. Il est indispensable de bâtir à cet effet masse de données, l’attention du chef peut être
une relation privilégiée. Il ne s’agit pas de plus facilement distraite par l’ensemble des pro-
promettre des choses impossibles, de satisfaire blèmes qui l’assaillent soudainement, s’il n’y
des besoins particuliers pour acheter une prend garde. Par ailleurs, il peut moins compter
relative tranquillité. Un travail doit être fait, sur sa présence physique pour faire valoir les
une mission accomplie et il est hors de ques- finesses du management traditionnel qui pas-
tion de faillir. Mais une certaine conception sent par les canaux visuel ou auditifs. Enfin,
du rôle de l’officier encourage simplement à l’exécutant peut ressentir un sentiment d’isole-
développer ce type de relation avec ses hom- ment du fait de la distance de son chef.
mes, dont les effets peuvent être très fructueux Différentes recettes peuvent d’ores et déjà
d’un point de vue humain et opérationnel. être appliquées. Les pertes d’information,
C’est ce à quoi s’emploient les responsables d’une manière générale, peuvent être com-
de l’armée de l’Air. J’ai décidé dans le cadre des pensées par l’amélioration de l’organisation
réformes annoncées en 2008 de mobiliser l’en- collective du travail. Le chef, quant à lui, ne
semble des responsables hiérarchiques - depuis doit pas hésiter à abandonner des postures
le commandant de base jusqu’aux chefs de ser- qui rendraient son rôle incohérent en inter-
vice – et tous les représentants du personnel venant à contre-temps, en imposant aux
pour favoriser les entretiens, pour diffuser les acteurs sur le terrain des mesures sous pré-
informations à tous les aviateurs. Il nous appar- texte qu’il possède une compréhension par-
tient de bien faire comprendre le sens de la tielle de la situation grâce à ses écrans ou
réforme en cours et son intérêt, ses modalités, la tableaux. Il doit éviter le micro-management.

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LE LEADERSHIP MILITAIRE    11

Idéalement, les habitudes de rétention Autre source d’inspiration, l’histoire mili-


d’information et de compétition interne des taire navale offre de formidables exemples de
sous-organisations doivent laisser place à des leaders et de chefs. Nelson est un des plus
comportements plus autonomes. Il est cepen- fameux d’entre eux. Il savait qu’il devait laisser
dant illusoire de croire que les responsables une part à la chance pendant la bataille et ins-
hiérarchiques abandonneront toutes leurs pirait ses officiers en leur recommandant sim-
prérogatives. La solution peut passer par l’ins- plement de suivre quelques principes simples.
titution de nouvelles règles de gouvernance Il insistait sur le fait que la conduite de chacun
fondées par exemple sur la subsidiarité. Il ne devait être dictée par les circonstances. Pour
suffit pas d’attendre les directives de ses supé- autant, il s’investissait beaucoup avec les offi-
rieurs pour agir. L’initiative doit être promue ciers de sa flotte. Avant la bataille de Trafalgar,
à tous les niveaux de responsabilité de l’armée il invita par exemple deux fois ses capitaines à
de l’air. Les comptes-rendus, les ordres doi- sa table sur son navire, le Victory, pour bien leur
vent se limiter, dans la mesure du possible, expliquer son plan de bataille et l’idée de sa
aux actions dont la décision est du ressort du manœuvre. La suite est connue.
chef, dont les conséquences doivent lui être En fait, les NTIC imposent de retrouver
connues. Il s’agit bien de redonner un espace une forme de simplicité. Les processus, les
de liberté à chacun pour lui permettre de objectifs à atteindre doivent être clairement
s’épanouir professionnellement et d’exploi- établis tandis qu’une part d’initiative, source
ter au mieux les possibilités des NTIC. d’épanouissement personnel, doit être laissée
Ce type de leadership est-il complètement à ses subordonnés. Une confiance avérée
nouveau ? Je ne le pense pas et j’estime que entre responsables et subordonnés, un même
l’histoire de la guerre nous offre dans le passé état d’esprit sincèrement partagé sont des
des exemples intéressants dont nous pouvons atouts décisifs pour faire fonctionner un tel
nous inspirer. Oublions un instant la guerre système. De nouveaux défis s’ouvrent ainsi à
aérienne et penchons nous sur l’histoire mili- nos futurs officiers et sous-officiers, qui
taire terrestre. L’Auftragstaktik, terme déve- devront apprendre peut-être plus vite que
loppé dans l’armée allemande du 19ème siècle, leurs anciens à bien comprendre ce qu’on
offre une belle matière à réflexion. Le principe leur demande, à apprécier le cadre de leur
de ce type de commandement est d’exprimer action, à s’en saisir et à savoir y évoluer tout
clairement à son subordonné le but de la mis-
en prenant les initiatives nécessaires au succès
sion, de lui indiquer quelles sont les forces qui
de leur mission. J’y vois personnellement une
sont à sa disposition, les délais qu’il doit tenir…
chance pour chacun de prouver ce dont il est
et c’est tout. Le subordonné a théoriquement
capable. Et je suis convaincu que les aviateurs
toute liberté pour atteindre son but, peut pren-
possèdent des atouts incomparables, car ils
dre toutes les initiatives qu’il souhaite, à condi-
tion bien sûr qu’il évolue à l’intérieur du cadre ont toujours été habitués à travailler et à com-
d’action qui lui a été fixé. Un tel processus est battre selon le principe du commandement
très valorisant pour l’exécutant qui se voit centralisé et de la conduite décentralisée.   ❏
confier totalement la conduite de la mission.
Le succès… ou l’échec de la mission est le sien.
Le subordonné doit impérativement compren- Note
dre l’intention de son chef, qui doit pour sa 1.  College of Aerospace Doctrine, Research and Education
part faire un effort de pédagogie, de clarté et est devenu Air Force Research Institute – AFRI en 2008. Note
avoir confiance en ses hommes. de l’éditeur.

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Réfléchir et apprendre au
sujet du leadership
par le docteur Thomas E. Cronin

Thomas E. Cronin est professeur adjoint en Sciences politiques, Université du Colorado, éditeur asso-
cié de Presidential Studies Quarterly (Etudes présidentielles - Trimestriel), éditeur consultatif du The
National Journal (Le journal national), et politologue. Ancien membre de la Maison Blanche et candi-
dat au Congrès, il a beaucoup enseigné et écrit sur la présidence américaine. Le Dr. Cronin a reçu son
doctorat à l’Université de Stanford (1969) et est entre autre l’auteur de The State of the Presidency (L’état
de la présidence), 1980.

Introduction
Le leadership est l’un des sujets de discus-
sion les plus répandus et en même temps l’un
des sujets les plus insaisissables et incompré-
hensibles. Les américains aspirent souvent à
un grand leadership transcendant pour leurs
communautés, leurs entreprises, l’armée, les
syndicats, les universités, les équipes de sport,
et pour la nation. Cependant, nous éprouvons
à la fois de l’admiration et du dédain envers
les personnes qui exercent un pouvoir. Et
nous détestons tout particulièrement celles
qui essaient de nous donner des ordres. Bien
sûr, nous admirons les Washington et Chur-
chill, mais Hitler et Al Capone étaient des
leaders eux-aussi – et cela soulève un pro-
blème fondamental. Le leadership peut être
exercé à des fins nobles, libératrices, enrichis-
santes, mais il peut également servir à mani-
puler, tromper et réprimer.
James MacGregor Burns écrit « A notre
époque, l’un des désirs impérieux les plus
universels est celui d’un leadership fascinant et
créatif ». Mais à quoi correspond exactement même déroutante. Réfléchir au sujet du lea-
un leadership créatif ? Un dessin humoristique dership ou le définir constitue donc une sorte
du Wall Street Journal représentait deux hom- de défi de leadership intellectuel en soi.
mes parlant du leadership. Finalement, l’un Voici quelques réflexions sur le leadership
des deux, exaspéré, se tourna vers l’autre et et son enseignement. Ces réflexions et ces idées
dit : « Oui, nous avons besoin de leadership, sont très personnelles et peu scientifiques.
mais nous avons aussi besoin que quelqu’un Comme je l’évoque ci-après, la quasi-totalité
nous dise quoi faire ». Cela pour dire que pour de ce qui peut être dit sur le leadership peut
la plupart des gens, le leadership est généra- être contrecarrée avec des contre-exemples.
lement une notion assez confuse, lointaine et De plus, le sujet en lui-même est plein de

12

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REFLECHIR ET APPRENDRE   13

paradoxes. Les idées exposées dans cet article ajouté que la plupart des individus ne sont et
sont le produit de mes études en leadership ne seront probablement jamais des leaders.
politique et de ma participation politique à Deuxièmement, les valeurs culturelles
des réunions municipales ou au sein de l’état- américaines soutiennent que le leadership est
major de la Maison Blanche. Certaines de mes un phénomène élitiste et donc anti-américain.
idées proviennent d’aides destinées aux uni- Platon, Machiavel et d’autres grands théori-
versités et aux fondations, et du Forum du ciens insisteraient probablement auprès de
leadership américain basé à Houston dont leurs contemporains sur la nécessité de sélec-
l’objectif est d’orienter sur les meilleures tionner et de former quelques individus afin
façons d’encourager le développement du qu’ils occupent des rôles de leadership impor-
leadership. Enfin, mes réflexions ont égale- tants. Mais cela n’est pas dans la nature améri-
ment été influencées de diverses façons par caine. Il nous plaît de penser qu’ici tout le
de nombreuses conversations que j’ai eues monde peut devenir un leader de haut rang.
avec cinq auteurs particulièrement perspica- Donc, il n’est pas nécessaire de dispenser une
ces en matière de leadership – Warren Bennis, formation particulière à quelques individus
James MacGregor Burns, David Campbell, spécialement sélectionnés.
Harlan Cleveland, et John W. Gardner. Troisièmement, il est objecté que la forma-
tion en leadership serait très probablement
axée sur les compétences, les techniques et
L’enseignement du leadership les moyens d’obtenir que les choses soient
faites. Mais le leadership pour quoi ? Le lea-
Pouvons-nous enseigner des individus à dership au service de quoi ? Le fait de se
devenir des leaders ? Pouvons-nous enseigner concentrer sur les moyens alors même qu’il
le leadership ? Les personnes sont divisées sur n’y a pas d’objectif met les individus – tout
ces questions. Il fut un temps où l’opinion particulièrement les intellectuels – mal à
selon laquelle les individus naissent leaders, et ne l’aise. Ils ne souhaitent guère être impliqués
le deviennent pas était largement répandue ; dans la formation de futurs Joe McCarthy, Hit-
mais aujourd’hui elle ne l’est plus autant. ler ou Idi Amin.
Nous avions également l’habitude d’entendre Quatrièmement, bon nombre d’individus
parler de leaders innés, mais aujourd’hui la pensent que l’étude du leadership est un sujet
plupart des leaders n’ont pas hérité de com- explicitement professionnel. Il doit être prati-
pétences en leadership, ils les ont acquises. qué et appliqué – appris pendant les jobs
Mais l’ensemble du sujet reste encore très d’été, les stages en entreprise ou sur les ter-
mystérieux. Quoi qu’il en soit, de nombreuses rains de jeu. Vous l’apprenez sur le tas. Vous
personnes pensent que les facultés et les uni- l’apprenez en gagnant de l’expérience, en
versités devraient éviter le sujet. Voici une liste faisant des erreurs et en apprenant de ces der-
de motifs pour lesquels nos institutions d’en- nières. Et vous devriez l’apprendre par l’inter-
seignement supérieur sont généralement réti- médiaire de vos mentors.
centes quant à l’enseignement du leadership. Ces Cinquièmement, le leadership implique
motifs peuvent paraître exagérés, mais il s’agit souvent un élément de manipulation ou de
là d’objections fréquemment avancées par sournoiserie, voire même de cruauté absolue.
des personnes sérieuses. Pour certains, le fait d’apprendre le leadership
Premièrement, de nombreuses personnes équivaut presque à apprendre à combattre
pensent encore que les leaders naissent ainsi. dans la jungle ou à acquérir un instinct de
Ou que, d’une façon ou d’une autre, le lea- tueur. Ce sujet n’est tout simplement pas suffi-
dership est une situation principalement acci- samment “pur” pour être embrassé par de
dentelle ; ou tout du moins que les leaders sont nombreux individus. De plus, des leaders
issus de circonstances qu’ils ne créent norma- comme Staline et Hitler ont donné une mau-
lement pas. Quoi qu’il en soit, il est souvent vaise réputation au leadership. S’ils étaient

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14   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

des leaders, alors nous nous passerons de Neuvièmement, la quasi-totalité de ce qui


leurs clones ou imitateurs. peut être dit sur le leadership peut être démen-
Sixièmement, le leadership est, au sens le tie ou réfutée. Les études en leadership, pour
plus fort du terme, un sujet tellement univer- autant qu’elles existent, ne sont pas scientifi-
sel et intellectuellement général qu’il effraie ques. Il y a un nombre incalculable de paradoxes
non seulement les personnes craintives mais et de contradictions dans chaque écrit traitant
aussi les plus cultivées. Enseigner le leadership du leadership. Ainsi, nous aspirons au lea-
est un acte d’arrogance. Cela suggère qu’un dership, mais nous aspirons tout autant à la
individu comprend beaucoup mieux – l’his- liberté et à la tranquillité. Nous admirons le lea-
toire, l’éthique, la philosophie, les lettres clas- dership entreprenant avec la prise de risque
siques, la politique, la biographie, la psycholo- qu’il comporte, mais nous critiquons ouverte-
gie, le management, la sociologie, le droit,
ment une prise de risque excessive, irréfléchie
etc.… qu’une autre personne pourtant très
ou franchement stupide. Nous voulons des lea-
cultivée... et qu’il est également profondé-
ment imprégné du monde réel. ders très sûrs d’eux et peut-être incorrigible-
Septièmement, les facultés et les universi- ment optimistes – pourtant nous détestons éga-
tés sont de plus en plus organisées en divisions lement l’orgueil et nous aspirons à ce qu’ils
et départements hautement spécialisés, tous doutent tout de même un peu d’eux-mêmes
adaptés à la formation de spécialistes. Alors (par ex., Créon dans Antigone). Les leaders
que la mission de la faculté pourrait être doivent faire preuve d’une grande détermina-
d’instruire la personne instruite et les futurs lea- tion dans leur conduite et leur engagement,
ders de la société, le système incitatif est en mais une personne trop déterminée devient
fait adapté à la formation de spécialistes. La une personne rigide, opiniâtre et intolérable.
société actuelle récompense l’expert ou le Nous voulons que les leaders écoutent attentive-
super spécialiste – les informaticiens, les pilo- ment et représentent leurs éléments, pourtant,
tes, l’as de la finance, le chirurgien cardiaque, selon Walter Lippmann, un leadership efficace
les exceptionnels retourneurs de l’équipe, consiste souvent à donner aux individus ce qu’ils
etc. Cependant, les leaders doivent apprendre apprendront à vouloir et non ce qu’ils veulent.
à devenir des généralistes, et cela souvent bien Alors, comment pouvons-nous être rigoureux et
après avoir quitté la faculté, les écoles de troi- précis dans l’enseignement du leadership ?
sième cycle et les écoles professionnelles. Dixièmement, le meilleur des leaderships
Huitièmement, le leadership apparaît pour s’apparente beaucoup à de la créativité. Et com-
de nombreux individus (et à juste titre) comme ment enseigner la créativité ? Nous sommes de
une notion insaisissable, vague et assez mysté- plus en plus sensibilisés au fait que la pensée
rieuse. Vous le saisissez, et puis l’instant d’après créative fait beaucoup appel à la pensée incons-
vous l’avez perdu. Le leadership est tellement ciente, au rêve et même à l’imaginaire. Des tra-
difficile à cerner que vous ne pouvez pas en déli-
vaux fascinants sont en cours sur l’intuition et le
miter tous les contours. Un individu peut être
non-rationnel – mais les facultés traditionnelles,
un leader exceptionnel ici, mais échouer
ailleurs. La théorie linéaire a été totalement enseignant des disciplines traditionnelles, ne
démystifiée. En fait, le leadership est hautement sont pas très à l’aise avec ce sujet.
situationnel et contextuel. Une chimie particu- Les leaders eux-mêmes se plaignent sou-
lière opère entre les leaders et les suiveurs, et vent du fait que le leadership possède moins
elle est généralement spécifique au contexte. d’avantages que d’inconvénients. De nom-
Les suiveurs ont souvent un impact plus impor- breux individus fuient les responsabilités de
tant que les leaders eux-mêmes dans la détermi- leadership en disant que cela n’en vaut tout
nation du leadership que ces derniers exerce- simplement pas la peine. Une enquête menée
ront sur eux. Donc, pourquoi ne pas enseigner sur 1700 leaders d’entreprises, du gouverne-
les individus à être très brillants et instruits, et ment et professionnels a identifié de nom-
laisser les choses suivre leur cours normal. breuses raisons frappantes à cela.

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REFLECHIR ET APPRENDRE   15

Selon les leaders, quels sont les obstacles au leadership en Amérique


(Pourcentage)

Très Assez Pas


Important Important Important
Le système ne favorise pas les individus les plus com-
54 35 11
pétents

Notre système éducatif n’apporte pas les compé-


48 37 15
tences en leadership

Les électeurs américains cherchent les mauvaises qual-


46 44 10
ités chez les leaders

Les leaders ne sont pas très appréciés 23 49 28

Les leaders ne reçoivent pas une compensation finan-


21 48 31
cière suffisante

Les pressions inhérentes aux fonctions de leadership


18 51 31
sont trop importantes

Les rôles de leadership demandent trop de temps 17 45 38

Les leaders potentiels sont dissuadés car ils


16 43 41
craignent le manque de vie privée

Les responsabilités inhérentes aux rôles de leadership


14 44 42
semblent trop importantes

L’époque fait qu’un leadership efficace est impossible 10 39 51

Source : The Connecticut Mutual Life Report on American Values in the ’80s (Le rapport de la Connecticut Mutual Life sur les valeurs américaines
dans les années 80), (Hartford, Connecticut, 1981), 188.

Les relations tie à avoir d’excellentes idées, ou un clair sens


de la direction, un sens de la mission. Mais de
Il est nécessaire d’effectuer quelques autres telles idées ou visions sont inutiles à moins
observations initiales au sujet du leadership. que le leader en devenir ne puisse les commu-
La principale d’entre elles étant que l’étude niquer et les faire accepter par ses suiveurs. Il
du leadership doit obligatoirement être liée y a constamment un engagement à double
ou associée à l’étude du principe du suiveur. sens ou une interaction à double sens. Lors-
Nous ne pouvons pas réellement étudier les que cet engagement ou cette interaction
leaders indépendamment des suiveurs, des cesse, les leaders sont perdus, déconnectés,
éléments, ou des membres du groupe. Le lea- impérieux, ou pire.
der est un produit du groupe qui est large- La question du lien entre les leaders et les
ment façonné par les aspirations, les valeurs suiveurs soulève une autre question concer-
et les ressources humaines de ce dernier. Plus nant le caractère transférable du leadership.
nous en apprenons sur le leadership et plus la Un leader efficace peut-il transférer cette
relation leader-suiveur est comprise et réaffir- capacité, cette compétence, ce style, d’une
mée. Un leader doit raisonner avec les sui- situation donnée – à une autre situation ? La
veurs. Etre un leader efficace consiste en par- réponse est mitigée. Certains individus se sont

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montrés efficaces dans diverses situations. Par bonne chose à faire puis font en sorte qu’eux-
exemple, George Washington et Dwight mêmes et leurs organisations se concentrent
Eisenhower. Jack Kemp et Bill Bradley, deux là-dessus. John Quincy Adams, Herbert Hoo-
membres respectés du Congrès, et bien ver, et Jimmy Carter étaient souvent de bons,
connus, étaient auparavant des athlètes pro- et parfois d’excellents managers. Avant de
fessionnels confirmés. rejoindre la Maison Blanche, ils étaient tous
Bon nombre de leaders d’entreprises ont été réputés pour être des accomplisseurs effica-
efficaces dans le secteur public et vice versa. Bon ces. Ils excellaient en tant qu’hommes d’affai-
nombre de leaders militaires sont devenus effi- res, diplomates, gouverneurs ou membres de
caces au sein des entreprises ou en politique. cabinet. En tant que leaders présidentiels, ils
Parfois dans les deux domaines. Cependant, il y se sont fait désirer. Aucun d’eux n’a été réélu
a un nombre incalculable d’exemples d’indivi- pour un second mandat. Même si aucun n’a
dus qui ont échoué lorsqu’ils ont essayé de connu un échec absolu, il apparaît qu’aucun
transférer leurs compétences en leadership n’a su apporter la vision nécessaire à l’épo-
d’une situation donnée à une autre situation que. Ils n’ont pas su élever l’esprit du public
complètement différente. Parfois cet échec sur- et faire en sorte que la nation prenne de nou-
vient car les objectifs ou les besoins du nouveau velles orientations plus souhaitables.
groupe sont très différents de ceux de l’organi- Comme cette brève digression le suggère,
sation précédente. Parfois il survient car les être un leader n’est pas la même chose qu’oc-
besoins en leadership sont différents. Ainsi, les cuper une fonction élevée. Un leader efficace
besoins en leadership d’un officier militaire est quelqu’un qui s’intéresse à bien d’autres
conduisant un peloton à gravir une colline au choses qu’aux mécanismes de la fonction.
cours d’un combat peuvent être très différents Alors qu’un bon manager s’intéresse, à juste
des besoins en leadership de quelqu’un à qui titre, à l’efficacité, à faire en sorte que les cho-
l’on demande de changer les attitudes et prati- ses continuent à fonctionner, aux routines et
ques sexistes au sein d’une grande société, ou aux procédures opérationnelles standard, et à
les haines racistes et ethniques au sein d’une réaffirmer les systèmes en place ; le leader
ville. Le leadership requis chez un candidat à créatif agit comme un inventeur, un entrepre-
une fonction administrative est souvent très dif- neur généraliste, et prend des risques – il se
férent de celui qui est requis chez un responsa- demande ou cherche toujours ce qui est juste,
ble de campagne. Le leadership nécessaire lors vers quoi nous nous dirigeons, il sent parfaite-
de la création d’une entreprise peut être com- ment les nouvelles orientations, les nouvelles
plètement différent de celui nécessaire à la
possibilités, et il accueille le changement. Nous
deuxième génération de l’entreprise.
avons besoin de tous les managers talentueux
Un autre aspect déroutant au sujet du lea-
possibles, mais nous avons également besoin
dership est que l’on parle souvent du lea-
de leaders créatifs. Ironiquement, un leader
dership et du management comme s’il s’agis-
efficace ne demeure pas efficace très long-
sait de la même chose. S’il est vrai qu’un
temps à moins qu’il ou elle puisse recruter des
manager efficace est souvent un leader effi-
managers afin de l’aider à faire en sorte que les
cace, et que le leadership requiert notamment
un grand nombre des compétences nécessai- choses fonctionnent sur le long terme.
res à un manager efficace, il existe tout de
même des différences. Les leaders sont les Les caractéristiques
individus qui insufflent une vision au sein
d’une organisation ou d’une société. Autant L’une des choses les plus importantes à dire
que possible, ils font attention aux valeurs, et au sujet du leadership est qu’il est générale-
aux besoins et aspirations à plus grande ment très dispersé au sein d’une société. Nos
échelle de leurs suiveurs. Les managers font besoins en leadership varient énormément.
en sorte de faire les choses de la bonne façon. Bon nombre de grandes avancées se produi-
Les leaders font plus attention à identifier la sent car des individus bien en avance sur leur

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REFLECHIR ET APPRENDRE   17

époque souhaitent que les choses changent et commenceront très probablement dans la vie
suggèrent de nouvelles approches originales en tant que spécialistes qualifiés. Notre société
qui sont encore inacceptables pour la majorité récompense tout particulièrement les spécia-
de l’opinion. Bon nombre des besoins en lea- listes. John W. Gardner l’exprime bien :
dership d’une nation sont satisfaits par des
Trop souvent, en cours de route, les jeunes lead-
personnes qui n’occupent pas une fonction ers deviennent les « serviteurs de ce qui est plu-
élevée et qui bien souvent ne ressemblent pas à tôt que les sculpteurs de ce qui devrait être ».
des leaders et n’agissent pas en tant que tels. Au cours du long processus consistant à appren-
Ce qui nous amène à la question de la défini- dre la façon dont fonctionne le système, ils sont
tion du leadership. Il est difficile d’arriver à un récompensés car ils évoluent au sein de la struc-
accord sur une définition. Mais les objectifs ture complexe des règles existantes. D’ici à ce
sont assez clairs, les leaders sont des individus qu’ils atteignent le sommet, ils seront probable-
qui perçoivent ce qui est nécessaire et ce qui ment devenus des prisonniers qualifiés de la
est juste, et qui savent comment mobiliser les structure. Cela n’est pas totalement négatif ;
personnes et les ressources en vue d’accomplir chaque système indispensable se réaffirme. Mais
aucun système ne peut rester indispensable
des objectifs communs.
bien longtemps à moins que ses leaders restent
Les leaders sont des individus qui peuvent suffisamment indépendants pour l’aider à chan-
aider à créer des options et des opportunités – ger et à se développer.
qui peuvent aider à clarifier des problèmes et
des choix, qui peuvent construire un moral et Ces leaders en devenir doivent être des géné-
des coalitions, qui peuvent inspirer les autres ralistes créatifs afin de pouvoir faire face aux
et apporter une vision sur les possibilités et la multiples groupes hautement organisés – sous-
promesse d’une meilleure organisation, ou systèmes au sein d’un plus grand système – cha-
d’une meilleure communauté. Les leaders ont cun se battant pour obtenir un traitement spé-
ces qualités indispensables et contagieuses que cial, chacun avec sa propre définition étriquée
sont la confiance en soi, l’optimisme injustifié de l’intérêt public, souvent au point de paralyser
et l’idéalisme incorrigible qui leur permettent toute action importante.
d’attirer et de mobiliser les individus afin que Le leader doit impérativement vaincre ses
ces derniers entreprennent des tâches difficiles peurs, et tout particulièrement la peur de
qu’ils n’auraient jamais pensé pouvoir entre- franchir les frontières de sa tribu. La tâche
prendre. Pour résumer, les leaders autonomi- d’un leader, en tant que personne en charge
sent et aident les autres à se libérer. Ils accrois- de renouveler les objectifs et les aspirations
sent les possibilités de liberté – à la fois pour les organisationnelles, est d’éclairer les objectifs,
individus et les organisations. Ils engagent les d’aider à identifier les ressources et les forces
suiveurs dans une voie qui permet à bon nom- individuelles et organisationnelles, de parler
bre d’entre eux de devenir des leaders, cela de aux individus afin que tout soit clair dans leur
leur propre chef. esprit. Le leader créatif efficace est celui qui
Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, de peut donner voix et forme afin que les indivi-
nombreuses avancées importantes de cette dus puissent dire « Ah, oui – c’est bien ce qu’il
nation, dans les secteurs public et privé, ont me semblait ».
été réalisées par des individus qui avaient vu Cependant, notez également que les leaders
toutes les complexités auxquelles ils devaient sont toujours au courant et au moins en partie
faire face, mais qui croyaient également telle- influencés par les désirs et les aspirations supé-
ment en eux et en leurs objectifs qu’ils ont rieurs, et par les objectifs communs de leurs
refusé de se laisser submerger et paralyser par suiveurs et de leurs éléments. Les leaders
les doutes. Ils voulaient inventer de nouvelles consultent et écoutent tout comme ils ensei-
règles et miser sur l’avenir. gnent et essaient de renouveler les objectifs
Les bons leaders ont presque toujours été d’une organisation. Ils savent comment regarder
doués pour rassembler et pour esquiver. Ils avec les oreilles. Les leaders civiques émergent
ont été des généralistes. Les leaders de demain souvent lorsque nous arrivons à nous mettre

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d’accord sur les objectifs. Un analyste a suggéré pour ne pas dire tout le temps, de la distance
que cela n’était pas bon pour nous de simple- et non de la participation.
ment partir à la recherche de leaders. Nous L’une des tâches les plus difficiles pour ceux
devons d’abord redécouvrir nos propres objec- qui auraient à mesurer et à évaluer le leadership
tifs et valeurs. Si nous obtenons les leaders dont est celle qui consiste à essayer d’observer les élé-
nous avons besoin, nous devrons d’abord nous ments qui composent le leadership. Une façon
mettre d’accord sur les priorités. Dans un sens, d’observer ces éléments consiste à suggérer
si nous souhaitons avoir des leaders à suivre, qu’un leader possède diverses compétences,
nous devrons souvent leur montrer le chemin. qu’il a ou qu’il exerce un style distinctif et, d’une
En recherchant le leadership et des affilia- façon encore plus évasive, qu’il a diverses quali-
tions organisationnelles – les personnes recher- tés qui peuvent être marquées. Lorsque je parle
chent l’importance, la compétence, l’affirmation et de compétence, je parle de la capacité à faire
l’impartialité. Pour rejoindre une organisation, quelque chose correctement. Parfois il s’agit de
un individu doit abandonner certains aspects quelque chose qui peut s’apprendre et être
de son originalité, quelques morceaux de son amélioré, comme la parole, la négociation ou la
âme. Donc, il y a un prix à payer pour être affi- planification. La plupart des leaders ont besoin
lié et suivre. Le leader sert de force et d’attrac- d’avoir des compétences techniques (comme
tion dans l’organisation – mais psychologique- celle de bien écrire) ; des compétences en rela-
ment, il y a également un effet répulsif – en tions humaines, la capacité à superviser, inspirer,
partie du fait de la dépendance au leader. John construire des coalitions, etc. ; et également des
Steinbeck disait au sujet des présidents améri- compétences que l’on pourrait qualifier de
cains que les individus croient qu’« ils nous compétences conceptuelles – la capacité à jouer
appartenaient et nous exerçons le droit de les avec les idées, à rechercher un conseil d’une
détruire ». Les leaders efficaces doivent savoir façon astucieuse, et à bâtir une grande stratégie.
comment faire disparaître ces hostilités, y com- Les compétences peuvent être examinées. Les
pris les hostilités latentes. compétences peuvent être enseignées. Et les
Le leader doit également toujours être sen- compétences constituent une part importante
sible à la distinction qu’il y a entre le pouvoir de l’aptitude au leadership. Cependant, les
et l’autorité. Le pouvoir est la puissance ou la compétences seules ne peuvent pas garantir le
force brute permettant d’exercer le contrôle succès du leadership.
sur quelqu’un, ou de le contraindre à faire Le style de leadership d’une personne peut
quelque chose, alors que l’autorité est le pou- également s’avérer essentiel à son efficacité.
voir qui est considéré comme légitime par les Le style fait référence à la façon dont une per-
subalternes. La question du leadership dans sonne interagit avec les individus, les tâches et
son ensemble soulève d’innombrables ques- les problèmes. Le style d’une personne est
tions au sujet de la participation et de l’accep- souvent une caractéristique très personnelle
tation du pouvoir dans les relations supérieur- et distinctive de sa personnalité et de son
subalterne. Quel est le niveau de participation caractère. Un style peut être démocratique ou
ou d’implication nécessaire, souhaitable ? autocratique, centralisé ou décentralisé, com-
Quel est l’impact de la participation sur l’effi- préhensif ou détaché, extraverti ou introverti,
cacité ? Jusqu’à quel point le fait de gagner affirmé ou passif, engagé ou en retrait. Il en
l’acceptation morale et sociale est important existe bien d’autres – mais il s’agit là d’être
pour son autorité ? En général, l’Amérique simplement suggestif. Différents styles peu-
accorde de la valeur à la participation dans vent fonctionner correctement dans différen-
tous les types d’organisation, tout particuliè- tes situations. Cependant, il y a souvent un
rement au sein de la vie civique et politique. ajustement précis entre les besoins d’une
Pourtant, nous devons également admettre organisation et le style de leadership néces-
qu’une part de nous aspire à un leadership saire. De nombreuses recherches ont été réa-
charismatique. Ironiquement, les sauveurs et lisées dans ce domaine – mais il reste encore
les leaders charismatiques créent souvent, beaucoup à apprendre.

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Le style comportemental d’une personne Bien sûr, tout le monde ne peut pas être un
fait référence à la façon dont elle interagit leader. Et il est rare qu’un seul leader puisse
avec d’autres personnes – les pairs, les subal- répondre à l’ensemble des besoins en lea-
ternes, les rivaux, les supérieurs, les conseillers, dership d’une organisation. En y regardant
la presse. Le style psychologique d’une per- de plus près, la plupart des entreprises et des
sonne fait référence à la façon dont elle gère sociétés ont toutes sortes de leaders, et le
le stress, les tensions, les problèmes d’ego, les succès de ces différents leaders dépend géné-
conflits internes. Il y a beaucoup de travail à ralement beaucoup du leadership exercé par
faire dans ces domaines – tout particulière- d’autres leaders. Certains leaders sont excel-
ment si nous souhaitons apprendre comment lents lorsqu’il s’agit de créer ou d’inventer de
mieux préparer les individus à façonner leur nouvelles structures. D’autres sont de bons
style de leadership en fonction des situations leaders de tâches – aidant le groupe à trouver
et des besoins. Mais il s’agit là d’un défi inté- l’énergie nécessaire à la résolution d’un pro-
ressant à relever. blème. D’autres encore sont d’excellents lea-
Dans son livre sur le leadership, James ders sociaux (ou affectifs), aidant à construire
MacGregor Burns nous offre pourtant une dis- le moral et à renouveler l’esprit d’une organi-
tinction supplémentaire qu’il est intéressant sation ou d’individus. Ces leaders sont souvent
d’aborder. En dernière analyse, Burns dit qu’il indispensables pour apporter ce qui pourrait
existe deux sortes de leadership social et être appelé la glue humaine qui permet de
politique prépondérants : le leadership tran- maintenir la cohésion des groupes.
sactionnel et transformationnel. Le leader De plus, le leadership le plus durable et
transactionnel s’engage dans un échange, omniprésent de tous est souvent intangible et
généralement dans son propre intérêt et avec non-institutionnel. Il s’agit du leadership qui
des intérêts à court terme en tête. Il s’agit est encouragé par les idées inscrites dans les
essentiellement d’une situation de négocia- mouvements sociaux, politiques ou artistiques,
tion : « Je voterais pour ton projet de loi si tu dans les livres, les documents, les discours, et
votes pour le mien ». Ou « Fais-moi une faveur dans la mémoire des grands vivants qui ont
et je te le revaudrais bientôt ». Dans le monde beaucoup vécu. Le leadership intellectuel ou
du travail, les personnes les plus pragmatiques d’idée est le mieux exercé par ceux – ne venant
pratiquent presque tout le temps le leadership généralement pas de fonctions politiques ou
transactionnel. Il s’agit généralement d’une d’entreprises élevées – qui peuvent clarifier les
nécessité pratique. Les individus l’utilisent valeurs et l’implication de telles valeurs pour la
généralement pour faire des affaires, faire en politique. L’essentiel ici est que le leadership
sorte que le travail soit fait – et pour garder n’est pas seulement dispersé et divers, mais
leur emploi. Le leader transformationnel ou également interdépendant. Les leaders ont
transcendantal est la personne qui, comme besoin de leaders tout autant que les suiveurs
nous l’avons vu brièvement plus tôt, s’engage ont besoin de leaders. Cela peut sembler
tellement vis-à-vis des suiveurs qu’elle leur déroutant mais il s’agit d’une part de vérité
apporte une conscience et une activité politi- concernant le puzzle du leadership.
ques et sociales accrues, et qui au cours du
processus convertit bon nombre de ces suiveurs
en leaders, ce de leur propre chef. Le leader Qualités nécessaires
transformationnel, qui se concentre sur des au leadership
aspirations supérieures et d’une plus grande
portée, est également un professeur, un men- Dans la seconde moitié de cet essai, je vais
tor et un éducateur – soulevant les possibilités, souligner d’une façon plus générale certaines
les espoirs, et souvent les rêves dont les person- des qualités qui selon moi sont essentielles au
nes ont à peine conscience, et incitant ces der- leadership. Tout le monde a sa propre liste
nières à se préparer et à faire le travail néces- énonçant les qualités nécessaires au leadership.
saire à l’atteinte de ces objectifs. Je ne pourrai pas parler en détail de toutes les

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miennes, mais permettez-moi de vous proposer dépression, l’échec personnel, le doute de


ma liste et de vous décrire plus en détail quel- soi, et le fatalisme paralysant.
ques unes des qualités les plus importantes. Si l’on me demandait de nommer les quali-
tés essentielles à un leadership réussi, je sug-
Qualités nécessaires au leadership – gèrerais les suivantes :
Une liste provisoire
Les leaders sont des personnes qui
•  Connaissance de soi / confiance en soi. savent qui elles sont et où elles vont
• Clairvoyance, capacité à insuffler des Thoreau a écrit « Ce qu’un homme pense de
valeurs importantes, transcendantes au lui-même, voilà ce qui règle ou plutôt indique
sein d’une entreprise. son destin ». La mauvaise perception de soi-
même est l’une des maladies mentales les plus
• Intelligence, sagesse, jugement. Appren-
paralysantes. Cela conduit à faire de mauvais
tissage / renouvellement.
choix, et les mauvais choix conduisent à une
• Esprit ouvert au monde / un sens de vie gâchée. Dans un sens, pour de nombreuses
l’histoire et une largeur d’esprit. personnes, le problème ne vient pas des infor-
mations qu’elles n’ont pas, il vient des informa-
• Capacité à générer une coalition / une tions qu’elles ont mais qui sont erronées.
architecture sociale. Les leaders doivent être indépendants et
• Capacité à construire un moral / une faire preuve d’une grande résistance et téna-
motivation. cité. Ce sont les personnes enthousiastes qui
font évoluer le monde. L’optimisme et des
• Résistance, énergie, ténacité, courage, motivations élevées sont très importants. Ils
enthousiasme. peuvent élever les organisations. La plupart
• Caractère, intégrité / honnêteté intellec- des individus attendent éternellement que
tuelle. quelqu’un vienne allumer la flamme qui est
en eux. Ces individus n’ont pas appris cette
• Capacité à prendre des risques / esprit importante leçon qui vous enseigne que vous
d’entreprise. êtes finalement l’unique responsable de votre
destin. Ne blâmez pas les autres. Ne blâmez
• Capacité à communiquer, persuader /
pas les circonstances. Impliquez-vous et aidez
écouter. l’entreprise à avancer.
• Compréhension de la nature du pouvoir Je suis sûr que vous êtes nombreux à avoir
et de l’autorité. été perplexes, tout comme je l’ai été, lorsque
bon nombre de vos amis talentueux se sont
• Capacité à se concentrer sur l’atteinte stabilisés plus tôt que nécessaire. Qu’est-ce
des objectifs et des résultats. qui empêche les individus de devenir ce qu’ils
• Sens de l’humour, de la perspective, de peuvent être de mieux ? Souvent cela est dû à
la flexibilité. un manque d’éducation, un handicap physi-
que ou une maladie comme l’alcoolisme. Très
Le leadership est une spirale ascendante, souvent, cependant, cela est dû au fait que les
une spirale d’auto-amélioration, de connai- individus n’ont pas été capables de prendre le
ssance de soi qui consiste à saisir et créer des contrôle de leur vie. Divers évènements effri-
opportunités afin qu’une personne puisse tent leur capacité d’autoréalisation ou ce
faire en sorte que les choses se produisent, qu’Abraham Maslow appelait l’auto-actua-
choses qui sinon ne se seraient pas produites. tion. Des problèmes familiaux, une planifica-
Tout comme il peut y avoir une spirale ascen- tion financière inappropriée, une mauvaise
dante, il peut également y avoir une spirale santé, ou des problèmes de santé mentale,
descendante – caractérisée par l’échec, la sont des facteurs clés qui endommagent l’es-

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REFLECHIR ET APPRENDRE   21

time de soi. Il est clairement difficile pour une tion, tromperie et, poussé à l’extrême, il cède la
personne de faire face à la vie, sans parler des place à la répression et à la tyrannie.
responsabilités de leadership, lorsqu’elle sent Le leader moderne efficace doit être capa-
qu’elle ne contrôle pas sa propre vie. Ce sen- ble de vivre dans une ère d’incertitude. Des
timent émotionnel de vulnérabilité conduit priorités doivent être établies et des décisions
inévitablement les individus à croire qu’ils ne doivent être prises même si toutes les infor-
sont pas capables, qu’ils ne peuvent pas faire mations nécessaires ne sont pas disponibles –
le travail. Il inhibe également la prise de ris- cela sera certainement encore plus vrai dans
que et presque toutes les qualités associées à le futur que cela ne l’a été dans le passé. La
la créativité et au leadership. révolution informationnelle a extrêmement
Imaginez une échelle avec à une extrémité accru à la fois les opportunités et les frustra-
une attitude « Je n’ai aucun contrôle sur quoi tions des leaders. Savoir ce que vous ne savez
que ce soit et je me sens comme un oiseau en pas devient tout aussi important que de savoir
cage » – et à l’autre extrémité une attitude « Je ce que vous savez. La volonté d’expérimenter
suis responsable ». Les deux extrêmes peuvent et d’explorer les stratégies possibles même
être pathologiques, mais il est clair que plus face à l’incertitude peut devenir une caracté-
une personne progresse, relativement, vers ristique plus prononcée du leader créatif.
l’attitude « Je suis responsable » et plus elle est La personne qui établit une priorité d’une
façon créative apprend à la fois à encourager
capable de faire face aux défis inhérents à un
et à remettre en question ses tendances intuiti-
leadership transformationnel ou créatif.
ves. Oliver Wendell Holmes Jr. disait que « le
Donc, le plus important est de motiver ou
fait de douter de ses propres principes pre-
de libérer l’attitude que les leaders en devenir
miers est la marque d’un homme civilisé », et
ont envers eux-mêmes et envers leurs respon- cela est toujours vrai. La capacité de voir les
sabilités vis-à-vis des autres. choses différemment, et d’obtenir un plus
Les leaders doivent également compren- grand nombre de conseils et de meilleure qua-
dre les situations dans lesquelles ils se retrou- lité est cruciale. La capacité d’admettre ses
vent. Comme on peut le voir dans Alice au erreurs et d’apprendre de ces dernières est
pays des merveilles, avant de décider où nous également d’une extrême importance. Les lea-
allons nous devons d’abord déterminer où ders doivent avoir une très grande confiance
nous sommes actuellement. Après il est possi- en eux-mêmes, mais ils doivent également
ble de s’engager au-delà de notre propre ego, avoir une part de doute. Les leaders doivent
et cela à plus long terme. Les individus peu- savoir comment communiquer leur besoin en
vent trouver une signification à leur vie uni- conseils ou en aide, appliquer une écoute créa-
quement lorsqu’ils sont capables de donner tive, s’identifier aux autres et comprendre.
et de recevoir de leur société. L’impossibilité Dans la pièce captivante de Sophocle, Anti-
d’établir des priorités et de développer des gone, le héro tragique, le roi Créon écoute les
objectifs personnels importants fragilise pres- conseils de son fils mais les rejette imprudem-
que toutes les capacités de leadership. « Lors- ment ou peut-être ne les écoute-t-il même pas.
qu’un homme ne sait pas vers quel port il Pourtant, Haemon donne des conseils dont
navigue, aucun vent ne lui est favorable ». tout leader devrait tenir compte :
Ne laissez pas votre première idée être votre
Etablir des priorités et mobiliser les énergies seule idée. Cherchez s’il ne peut pas y avoir une
Trop d’individus sont accablés par les détails, autre voie. Assurément, le fait que vous pensiez
que vous seul détenez la sagesse, que seules
avec des rencontres constantes d’un troisième
votre parole et votre volonté comptent, trahit
rang. Les leaders doivent toujours se focaliser un esprit futile, un cœur vide. Pour l’homme le
sur les aspirations et les besoins supérieurs de plus sage, il n’y a aucune faiblesse dans le fait
leurs suiveurs. Sans objectif transcendant impor- d’apprendre quand il se trompe, de savoir
tant, le leadership se transforme en manipula- quand céder . . .

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Aussi, père, arrêtez et mettez votre colère de deuxième rang : « Qu’es-tu en train de dessi-
côté. Pour peu que ma jeune opinion ait de la ner ? ». Sally dit, « Je dessine une image de
valeur, je pense que même s’il est bien de possé- Dieu ». L’enseignant dit : « Mais personne
der une sagesse infaillible ; qualité peu répan- n’a jamais vu Dieu, nous ne savons pas à quoi
due ; il est également très important d’être dis- il ressemble ». Sally ne se démonte pas et
posé à écouter de sages conseils.
répond : « Et bien lorsque j’aurai terminé,
Les leaders doivent être capables de décou- vous le saurez ! »
vrir leurs propres forces et les forces de ceux Cette petite histoire illustre la confiance en
avec qui ils travaillent. Ils doivent apprendre soi parfois irrationnelle et la certitude selon
comment partager et déléguer. Ils doivent laquelle l’échec est impossible, qui sont autant
être capables de faire en sorte que les indivi- d’éléments motivant le leader galvanisateur.
dus pensent qu’ils sont importants, qu’ils sont En Amérique, les révolutionnaires fondateurs,
ou qu’ils peuvent être des gagnants. Les indi- Susan Anthony, Martin Luther King Jr., Saul
vidus aiment penser que ce qu’ils font est Alinsky, et bon nombre d’autres, ont eu la
utile, important. Le leader transformationnel vision d’une nouvelle société meilleure et ont
ou créatif sait comment alimenter la convic- dit « Ils connaîtront une société meilleure ou
tion et le moral au sein d’une organisation. plus juste lorsque nous aurons terminé ».
Les bons leaders savent comment faire Mark Twain dit un jour « Un homme est
pour construire le moral et renouveler les considéré comme un cinglé jusqu’à ce que
objectifs afin que les individus se consacrent à son idée réussisse ». Nous avons besoin d’un
nouveau à des valeurs longtemps chéries mais environnement hospitalier pour le dissident
pas toujours bien comprises. La motivation et l’individu créatif. Nous devons éviter de
peut représenter jusqu’à 40 à 50 pour cent tuer l’étincelle d’individualité qui permet à la
des actions de leadership. Vous ne pouvez pas créativité de fleurir. Nous la tuons avec les
faire grand chose seul, avec juste de la foi et règles, la ligne rouge, les procédures, les res-
de la détermination, et pourtant vous ne pou- trictions découlant de l’application des nor-
vez pas faire grand chose non plus sans elles. mes, et les innombrables avertissements de ne
Les organisations de toutes sortes ont conti- pas faire échouer le navire.
nuellement besoin de redécouvrir ou de La créativité est la capacité à recombiner les
renouveler leur foi, leur orientation et leur choses. Voir une radio ici et une horloge là et les
sens de l’objectif. assembler. Pour faire un radioréveil. L’ouver-
ture d’esprit est essentielle. Trop d’organisations
Des leaders doivent émaner la prise de risque
sont organisées avec des structures destinées à
et l’imagination d’entreprise pour leurs résoudre des problèmes qui n’existent plus.
organisations et communautés L’intérêt personnel grandit au sein de chaque
institution humaine. Les individus deviennent
Les leaders sont capables de voir les choses trop souvent prisonniers de leurs procédures.
dans un contexte différent et nouveau. Warren Le psychologue David Campbell souligne
Bennis suggère que le leadership créatif que l’histoire enregistre une longue liste d’in-
requiert la capacité de recontextualiser une novations provenant de l’extérieure de l’organi-
situation. Willis Hannon suggère qu’un leader sation experte. (Voir également John Jewkes, The
est quelqu’un qui perçoit les situations et les Sources of Invention (Les sources de l’invention)).
problèmes sous un autre angle et qui apporte L’automobile n’a pas été inventée par les experts
de nouvelles approches, idées et solutions. en transport de cette époque, les cheminots.
Un cours de CE2 commence et l’ensei- L’avion n’a pas été inventé par des experts de
gnant dit : « Prenez vos crayons et du papier, l’automobile. Le film Polaroid n’a pas été
puis dessinez n’importe quelle chose vous inventé par Kodak. Les calculatrices de poche
venant à l’esprit ». Les élèves commencent à portables n’ont pas été inventées par IBM, les
dessiner – des ballons, des arbres, des voitu- montres digitales n’ont pas été inventées par les
res, etc. L’enseignant demande à Sally, au fabricants de montres. Les ordinateurs Apple et

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REFLECHIR ET APPRENDRE   23

le thé aux herbes sont deux autres exemples. La propre orgueil ne devienne pas surdimensionné.
liste est sans fin et la morale vivante. Dwight Eisenhower avait une devise qu’il essayait
Les leaders font en sorte que les organisa- d’appliquer : « Nul besoin de dire tout ce qu’une
tions s’intéressent à ce qu’elles vont devenir, personne peut accomplir tant qu’elle ne s’en voit
non à ce qu’elles ont été. Le leadership créatif pas attribuer tout le mérite ».
requiert également de ne pas avoir peur Ainsi, les leaders doivent avoir un sens de
d’échouer. La curiosité est l’un des aspects la proportion et du détachement. Ils doivent
essentiels du leadership créatif. La meilleure éviter d’être des bourreaux de travail et recon-
façon d’avoir des idées inventives est d’avoir naître qu’ils devront être des suiveurs dans la
beaucoup d’idées et une organisation qui plupart des entreprises de la vie et des leaders
accepte les nouvelles idées — quelle que soit seulement au cours de quelques périodes de
leur valeur. Comme le savent tous les scientifi- temps. Emerson l’a bien exprimé lorsqu’il a
ques, l’art de la recherche requiert d’innombra- essayé de répondre à la question « Qu’est-ce
bles expérimentations et échecs avant d’aboutir que le succès ? »
aux résultats attendus, ou parfois à un résultat
inattendu qui constitue une réelle avancée. Rire souvent et aimer beaucoup, gagner le res-
pect des personnes intelligentes et l’affection
Les leaders reconnaissent l’utilité du rêve,
des enfants, apprécier la beauté, identifier ce
de l’imagination et d’une pensée inconsciente. qu’il y a de meilleur chez les autres, donner de
Un défenseur de la pensée créative écrit, soi-même, laisser le monde bien meilleur soit
La production d’idées spectaculairement nou- grâce à un enfant en bonne santé, un carré de
velles semble rarement se produire par l’inter- jardin, ou une condition sociale rachetée : avoir
médiaire d’un processus de calcul purement joué et ri avec enthousiasme, et chanté avec
conscient. La pensée inconsciente, la pensée exaltation, savoir qu’au moins une vie a été faci-
dont vous n’avez pas conscience, est une contri- litée parce que vous avez vécu – c’est aussi cela
bution majeure à la production de nouvelles avoir réussi.
idées . . .
Humour, proportion et également com-
passion. Une personne capable de compren-
Les leaders doivent avoir un sens dre les émotions et la passion et au moins
de l’humour et de la proportion occasionnellement de s’exprimer avec pas-
sion et conviction. L’enthousiasme, l’espoir,
Les leaders prennent leur travail au sérieux,
la vitalité et l’énergie sont autant de qualités
mais ne se prennent pas trop au sérieux. L’hu-
mour libère les tensions et permet aux indivi- cruciales permettant d’irradier la confiance.
dus de se détendre et de voir les choses un
Les leaders doivent être des médiateurs et des
peu différemment ou sous un nouveau jour.
négociateurs qualifiés, mais ils doivent aussi être
Les leaders efficaces peuvent généralement capables de tirer les choses vers le haut
raconter des blagues, avoir le sens de l’hu- et d’encourager un conflit sain et souhaité
mour ou raconter une bonne histoire. Géné-
ralement, ils maîtrisent également l’art de Dans un ancien dessin animé de Snoopy, Char-
raconter des paraboles. Abraham Lincoln, lie Brown, dépité, sort d’un terrain de softball
Franklin D. Roosevelt, et John F. Kennedy à la fin du match. Exaspéré il se lamente « Com-
viennent tout de suite à l’esprit, alors que ment pouvons-nous perdre, nous sommes tel-
Hoover, Nixon et Carter étaient dépourvus lement sincères ? » La sincérité ou la pureté du
d’humour. Adlai Stevenson disait « Si je ne cœur ne sont pas suffisantes pour réussir à
pouvais pas rire, je ne pourrais pas vivre – sur- assumer des postes de leadership.
tout en politique ». La force des leaders réside souvent dans leur
Dans la même optique, les leaders doivent ténacité, leur connaissance de la façon dont ils
être capables de partager les mérites. Le lea- doivent gérer les rivalités, leur connaissance du
dership consiste parfois à mettre en avant la moment auquel ils doivent transiger, amplifier
dignité des autres et à faire attention à ce que son le conflit, et sortir une organisation ou une

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communauté d’une dissension paralysante pour rempli d’experts. Pour résumer « Ne faisons
amener tout le monde à adopter une vision qui rien avec prudence ». Le leader est celui qui
va dans le sens du bien commun. doit dire « Faisons le premier pas ». Il ou elle
La plupart des citoyens évitent les conflits et est l’équivalent fonctionnel de la première
les trouvent désagréables. Le leader vraiment sonnerie de téléphone sans fil, ou ce que les
efficace accepte différents types de conflits et Texans appellent la “bell cow” (la vache à clo-
considère un conflit comme l’opportunité che). Les experts ont toujours une excuse. Ils
d’un changement ou d’un nouvel essor. sont comme le joueur de tennis vaincu dont
Le fait de tirer les choses vers le haut consti- la devise est : « Il ne s’agit pas du fait de gagner
tue souvent un pré-requis aux avancées socia- ou de perdre, il s’agit de la façon dont vous
les et économiques. Les droits des femmes, les attribuez la faute ».
droits des noirs, la protection des consomma-
teurs, les mouvements de réforme des impôts Un leader efficace doit faire preuve d’intégrité
et même nos campagnes électorales sont Cela a été suggéré précédemment de plu-
autant d’occasions de divisions et de conflits. sieurs façons implicites, mais il s’agit peut-être
Il s’agit là d’une réalité que le leader doit de la qualité la plus importante nécessaire au
apprendre à accepter, à comprendre et à leadership. Un leader doit être capable de
tourner à son avantage. Harry Truman disait, voir les individus comme des personnes à part
Un président qui est sacrément bon en tout se entière, qui ont des relations et une vie, et pas
fait des ennemis, beaucoup d’ennemis. Je m’en uniquement comme des ressources permet-
suis moi-même fait quelques-uns lorsque j’étais tant qu’un travail soit accompli ou destinées à
à la Maison Blanche, et je ne serais pas là où je améliorer la productivité.
suis sans eux. Certains peuvent appeler cela du caractère,
George Bernard Shaw et d’autres l’ont d’autres de l’authenticité, de la compassion
exprimé légèrement différemment. Ils obser- ou de l’empathie. Quelle que soit la façon
vent que les individus raisonnables s’ajustent dont nous nommons cette qualité, le carac-
à la réalité et font avec ce qu’ils trouvent. Les tère et l’intégrité sont bien plus faciles à
individus déraisonnables rêvent d’un monde conserver qu’à récupérer. Les individus savent
reconnaître un imposteur. Les individus peu-
différent et meilleur, et essaient d’adapter le
vent facilement dire si une personne a du
monde à eux-mêmes. Ce mécontentement ou
respect pour les autres. Le respect et la res-
cette attitude déraisonnable constitue souvent
ponsabilité appartiennent généralement à
la première étape de la progression d’une
ceux qui sont justes, compatissants et qui font
personne ainsi que de celle de la commu-
attention aux valeurs, aux croyances et aux
nauté ou de la nation.
sentiments des autres. En général, les person-
Mais sachez que ces personnes qui tirent les
nes qui ne peuvent pas s’élever au-dessus de
choses vers le haut et qui amplifient les conflits leurs préjugés échouent. Une personne qui
sont souvent menaçantes pour toute organisa- protège son cœur à l’aide d’une carapace ne
tion ou société. Au royaume des aveugles, le sera pas capable très longtemps d’exercer un
borgne est roi. Ce proverbe pourrait bien s’avé- leadership créatif. Michael Maccoby cerne ce
rer être juste. Mais au royaume du borgne, la problème.
personne qui a ses deux yeux est observée avec
beaucoup de suspicion et peut même être L’exercice du cœur consiste à expérimenter, à
considérée comme franchement dangereuse. penser d’une façon critique, à faire preuve d’en-
Ainsi, être une personne pourvue de deux thousiasme, et à agir de telle façon à triompher de
l’égocentrisme et à partager sa passion avec
yeux au royaume des borgnes demande du d’autres personnes . . . et à répondre à leurs
courage, du cran tout autant que de l’imagi- besoins en leur apportant toute l’aide possible . . .
nation et de la résistance. Harlan Cleveland Cela demande de la discipline, d’apprendre à se
souligne le fait que tous les leaders ont vécu concentrer, à penser d’une façon critique, et à
l’expérience de se retrouver dans un bureau communiquer. L’objectif, un cœur développé,

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REFLECHIR ET APPRENDRE   25

implique de l’intégrité, un cadre spirituel, un sens Le leader politique créatif doit travailler
du « Je » qui ne soit pas motivé par la cupidité ou dans un monde rempli de tensions, entre
la peur mais par l’amour de la vie, un sentiment l’unité et les désaccords, la règle de la majo-
d’aventure et de camaraderie. rité et les droits de la minorité, et d’innom-
L’intégrité d’un leader requiert également brables autres contradictions. Tocqueville
qu’il ou elle ne soit pas oppressé(e) par des disait à propos de nous « Ces Américains aspi-
pressions imposées par ses pairs, un proto- rent au leadership, mais ils veulent aussi être
cole, des traditions stupides ou des règles tranquilles et libres ». Le leader politique
conventionnelles. Le leader réellement effi- essaie toujours de concilier cela et d’autres
cace est capable de voir au-dessus et au-delà paradoxes – mais le point important est d’être
des contraintes normales et de discerner les capable de vivre avec les paradoxes et les
dilemmes. Et au-delà de cela, le leader politi-
aspects appropriés et souhaitables. Le leader
que doit être capable de créer et de préserver
possède également un sens de l’histoire et un
un sens de la communauté et un héritage par-
intérêt pour la postérité. Cette exceptionnelle
tagé, le lien civique qui nous uni – les indivi-
capacité à ignorer les pressions externes, est
dualistes disparates, combatifs, et farouches
celle qui différencie les leaders des suiveurs. ensemble.
Les leaders efficaces d’aujourd’hui et de
Le leader doit être intelligent
demain savent également comment faire
et large d’esprit
varier leurs styles de leadership en fonction
A l’avenir, bien plus que dans le passé, seuls de la maturité de leurs subalternes. Ils impli-
les individus réellement intelligents pourront quent leurs pairs et leurs subalternes dans
être des leaders. leurs réseaux de responsabilité. Ils doivent
Harlan Cleveland souligne bien cette qua- être de bons éducateurs et de bons communi-
lité lorsqu’il écrit : cateurs. Ils doivent également avoir cette étin-
celle d’émotion ou de passion qui peut inciter
Généralement, un leader était un homme d’af- les autres à les rejoindre dans leur entreprise.
faires qui découpait les travaux qui devaient
Les leaders les plus efficaces seront égale-
être accomplis, puis qui laissait chaque per-
ment des communicateurs efficaces : de bons
sonne livrée à elle-même et qui hurlait si le tra-
vail n’était pas fait correctement . . . rédacteurs, de bons orateurs et des personnes
avec lesquelles il sera agréable de parler. Quel-
Donner des ordres peut fonctionner si une per-
ques spécialistes exceptionnels pourraient mar-
sonne connaissait tout, mais du fait de la façon monner, mais ils sont l’exception. De nos jours,
dont nous prenons désormais les décisions, à le leadership consiste pour beaucoup à persua-
travers des comités, une personne commandant der et à communiquer. Quelqu’un qui ne peut
rudement est simplement un obstacle. pas communiquer correctement, ne peut pas
réussir. Pour paraphraser George Orwell, « Si
Les leaders d’aujourd’hui doivent élargir les individus ne peuvent pas communiquer cor-
leurs perspectives et rallonger le point focal rectement, ils ne peuvent pas penser correcte-
de leur pensée. Les leaders d’aujourd’hui doi- ment, et si ils ne peuvent pas penser correcte-
vent apprendre à enfiler ou à assembler des ment, d’autres penseront pour eux ».
pièces disparates et à aller au-delà de la pen- L’Amérique est particulièrement perfor-
sée analytique vers la pensée intégrative. Pour mante pour former les experts, les spécialistes
cela, il faudra des personnes instruites, ayant et les managers. Nous avons beaucoup de ces
beaucoup voyagé, qui pourront s’élever au- leaders spécialistes, mais ils sont presque tou-
dessus de leurs spécialités et de leurs profes- jours leaders dans un seul segment. Nous
sions. Cela nécessitera également des person- avons tout particulièrement besoin d’éduquer
nes qui n’ont pas peur de la politique, mais des leaders multi-segments – des personnes
qui voient plutôt la politique comme l’art de qui ont une perspective globale et qui com-
réconcilier le difficile et le souhaitable. prennent que les lignes ordonnées entre le

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26   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

national et l’international, le public et le privé Apprendre le leadership implique de


sont irrémédiablement floues. La largeur reconnaître le mauvais et le bon leadership.
d’esprit, la capacité intellectuelle à accomplir Apprendre le leadership implique de com-
des tâches mentales complexes, à voir des prendre la relation essentielle entre les objec-
relations entre deux objets apparemment tifs et les moyens. Apprendre le leadership
sans rapport, à voir des modèles dans des implique également l’étude de la chimie spé-
informations incomplètes, à tirer des conclu- ciale qui se développe entre les leaders et les
sions précises à partir de données inachevées, suiveurs, pas seulement la chimie qui existe
sont des qualités indispensables à un leader. entre les Américains et Lincoln, mais égale-
La clairvoyance est la capacité de voir tous ment entre Mao et les paysans chinois, entre
les côtés d’un problème et d’éliminer les pré- Lénine et les Bolchéviques, entre Martin
jugés. La clairvoyance et la largeur d’esprit en Luther King Jr et les activistes des droits civils,
matière de connaissances placent la personne entre Jean Monnet et ceux qui rêvaient d’une
dans une position stratégique – et empêchent Communauté Economique Européenne.
le leader de tomber dans les pièges que sont Les étudiants peuvent apprendre à discer-
l’aveuglement et l’étroitesse d’esprit. ner et à définir les situations et les contextes
Aucune de ces qualités ne peut garantir un au sein desquels le leadership s’est développé.
leadership créatif, mais elles peuvent le favori- Les étudiants peuvent apprendre la faillibilité
ser, lorsqu’elles sont encouragées. Nous avons de la théorie linéaire. Les étudiants peuvent
besoin de tout le leadership que nous pou- apprendre les problèmes contextuels du lea-
vons avoir – au sein et en dehors du gouverne- dership, pourquoi et quand le leadership est
ment. La vitalité de l’Amérique non-gouver- parfois transférable, et parfois non. Les étu-
nementale réside dans notre capacité à diants peuvent apprendre le rôle crucial que
éduquer et à élever plus de citoyens-leaders. les conseillers et les partisans occupent dans
Ceux parmi nous qui souhaitent récolter les l’équation du leadership. Les étudiants peu-
avantages de l’autonomie et de la liberté doi- vent également apprendre d’innombrables
vent s’efforcer de les maintenir et d’exercer le stratégies et théories sur la résolution des pro-
leadership visant à les soutenir. blèmes, et participer à des exercices de jeux
de rôles qui aiguisent leurs propres compé-
tences en la matière.
Apprendre le leadership Les étudiants en leadership peuvent
apprendre beaucoup en lisant les biographies
Permettez-moi de revenir sur la possibilité des meilleurs et des pires leaders. Les Vies de
ou non d’apprendre, et éventuellement d’en- Plutarque seraient un bon début. Il est possible
seigner le leadership. Mon opinion est qu’il d’en apprendre beaucoup des mentors et de
n’est généralement pas possible d’enseigner l’observation en tant que participant interne.
des étudiants à être des leaders. Mais les étu- Il est également possible d’en apprendre
diants, et toute autre personne, peuvent être beaucoup sur le leadership en s’éloignant de
utilement exposés au leadership, aux discus- sa propre culture et en examinant la façon
sions sur les compétences et les styles de lea- dont les leaders, dans d’autres circonstances,
dership, et aux stratégies et aux théories ont réussi à motiver et mobiliser les autres. Il
concernant le leadership. Les individus peu- existe d’innombrables opportunités d’ap-
vent apprendre par eux-mêmes les forces et les prendre et d’aiguiser les compétences d’un
limites du leadership. Les individus peuvent étudiant en tant qu’orateur, débatteur, négo-
apprendre les paradoxes, les contradictions et ciateur, clarificateur de problème et planifica-
les ironies du leadership, qui bien que décon- teur. De telles compétences ne devraient pas
certants, sont essentiels pour apprécier la être minimisées. Personne ne devrait égale-
diversité et les dilemmes inhérents à la résolu- ment sous-estimer l’importance de l’histoire,
tion des problèmes et pour faire en sorte que de l’économie, de la logique, ni de tout un tas
les organisations et les nations fonctionnent. de domaines substantiels liés qui aident à

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REFLECHIR ET APPRENDRE   27

apporter la largeur d’esprit et la perspective confortable ; ils apprennent à mettre de côté


indispensable au leadership sociétal. les routines et habitudes assommantes qui
Par dessus tout, les étudiants en leadership asservissent la plupart d’entre nous. Les lea-
peuvent s’auto-évaluer et commencer à iden- ders en devenir apprennent comment devenir
tifier leurs propres forces et lacunes. La maî- des personnes réellement généreuses et atten-
trise personnelle est importante. La capacité à tionnées – au sein de leur famille, profession
utiliser son intuition et à enrichir ses poussées et communauté. Et les leaders en devenir
créatives l’est toute autant. John Gardner sug- apprennent également constamment qu’il
gère « C’est ce que vous apprenez une fois leur reste toujours plus à donner que ce qu’ils
que vous savez qui est réellement important ». ont déjà donné, quoi qu’ils aient déjà donné.
Les leaders en devenir apprennent à gérer Permettez-moi de conclure en paraphra-
leur temps d’une façon plus sage. Les leaders sant John Adams :
en devenir apprennent que le fait de s’api-
Nous devons étudier la politique [et le leader-
toyer sur son sort et d’éprouver du ressenti-
ship] et la guerre [et la paix], pour que nos fils
ment a le même effet qu’une substance toxi- [et filles] aient la liberté d’étudier les mathéma-
que. Les leaders en devenir apprennent tiques et la philosophie, la géographie, l’histoire
l’ancienne vérité qui consiste à dire que la naturelle et l’architecture navale, la navigation,
plupart des personnes ne sont pas pour vous le commerce, et l’agriculture, afin de donner à
ou contre vous, elles sont plutôt préoccupées leurs enfants le droit d’étudier la peinture, la
par elles-mêmes. Les leaders en devenir poésie, la musique, la sculpture, la tapisserie et
apprennent à rompre leur emprisonnement la porcelaine.  ❑

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Les 4 compétences qui
caractérisent le leadership
par le docteur Warren Bennis

Le docteur Warren Bennis est titulaire de la chaire Joseph DeBell de gestion et d’organisation à l’école de
gestion des entreprises de l’Université de Californie à Los Angeles. Il a été conseiller des quatre derniers
gouvernements des Etats-Unis et appartient au conseil d’administration de l’American Society for Train-
ing & Development – ASTD.

Warren Bennis s’est entretenu avec 90 leaders


exceptionnels et leurs subordonnés, avec l’inten-
tion d’apprendre ce qui motive les vrais leaders
(par opposition aux responsables efficaces). A
l’issue de cinq ans de recherche et de réflexion,
il identifia quatre compétences communes à ces
90 leaders sans exception. Elles sont présentées
ici, dans le cadre de la série d’articles publiés par
certains des plus grands spécialistes du déve-
loppement des ressources humaines à l’occasion
du quarantième anniversaire du Training &
Development Journal (août 1984).

J
’ai travaillé pendant presque cinq ans sur
un livre consacré au leadership. Pendant
cette période, j’ai voyagé dans tout le pays
pour rencontrer 90 des leaders les plus
efficaces et les plus brillants, dont 60 chefs
d’entreprise et 30 titulaires de postes de res-
ponsabilité dans des organismes publics.
Mon objectif était d’identifier les traits de
caractère communs à ces leaders, une tâche
qui a exigé une exploration beaucoup plus Malgré cette diversité, qui est profonde et
poussée que ce à quoi je m’attendais. Pendant ne doit pas être sous-estimée, j’ai identifié cer-
un certain temps, je perçus beaucoup plus de tains domaines de compétence que les 90 par-
diversité que de points communs parmi eux. tagent sans exception. Avant de présenter ces
Certains ont un tempérament analytique, conclusions, pourtant, il est important de pla-
d’autres un tempérament imaginatif ; certains cer cette étude dans son contexte, d’examiner
s’habillent pour réussir et d’autres pas ; cer- l’état d’esprit et les évènements aux Etats-Unis
tains s’expriment bien, d’autres sont laconi- juste avant et pendant mes recherches.
ques et ont du mal à s’exprimer ; certains
rappellent John Wayne et d’autres sont totale-
ment à l’opposé. Il est intéressant de noter
Déclin et malaise
que rares sont ceux qui correspondent au sté- Quand je quittai l’Université de Cincinnati à
réotype du leader charismatique. la fin de 1977, notre pays éprouvait ce que le

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4 COMPETENCES DU LEADERSHIP   29

président Carter appela un sentiment de déses- intérieurs à hauteur de 98 pourcent. La


poir ou de malaise. Entre 1960 et 1980, la cré- part des Etats-Unis sur le marché interna-
dibilité de nos institutions avait été progressive- tional est maintenant de moins de 20
ment sapée. Dans un article consacré à cette pourcent et elle continue de décliner.
période et intitulé “Where Have All the Leaders
• En 1960, la part de marché des construc-
Gone” (Où sont passés tous les leaders ?), je
teurs automobiles américains était de 96
décrivis les difficultés auxquelles devaient alors
pourcent ; elle est aujourd’hui de 71
faire face les leaders, y compris les présidents
pourcent environ. Il en est de même
d’université comme moi.
pour l’électronique grand public : en
Je soutins que, à cause de la complexité de
1960, la part de marché était de 94,4
l’époque, les leaders se sentaient impuissants. pourcent, en 1980, elle n’était plus que
L’assassinat de plusieurs leaders politiques du de 49 pourcent, et cela avant même que
pays, la guerre du Viêt-Nam, le scandale du Sony n’introduise le Baladeur !
Watergate, la crise des otages en Iran et
d’autres évènements conduisirent à une perte En plus des retards dans les domaines du
de confiance en nos institutions et nos autori- leadership et de la productivité, un « retard
tés politiques. dans le domaine des obligations » plus subtil
Je tombai sur une citation extraite d’une existait, c’est-à-dire une réticence à s’engager
lettre qu’Abigaïl Adams écrivit à Thomas Jef- vis-à-vis de son travail ou de son employeur.
ferson en 1790 : « Nous vivons les temps diffici- L’enquête menée récemment par Public
les dans lesquels un génie voudrait vivre. » Si, Agenda auprès des Américains actifs fait appa-
comme elle le croyait, les cas de force majeure raître les statistiques suivantes : moins d’un
exigent des leaders à la hauteur de la tâche, je quart des employés déclarent qu’ils travaillent
voulais avoir l’occasion de rencontrer les lea- actuellement à leur potentiel maximum. Pres-
ders qu’avait fait apparaître le malaise qui que la moitié déclare qu’ils font peu d’efforts
régnait. A un moment où les pare-chocs s’or- pour aller au-delà de ce que leur travail
naient d’autocollants sur lesquels on pouvait demande. Dans leur écrasante majorité (75
lire « Destituons quelqu’un », je décidai d’aller pourcent), ils déclarent que leur rendement
voir des leaders qui parvenaient à se montrer pourrait être largement supérieur à ce qu’il est
efficaces dans ces conditions difficiles. actuellement. En outre, presque 60 pourcent
Au moment même où l’Amérique souffrait des Américains actifs pensent que « la plupart
de ce retard dans le domaine du leadership, des gens ne travaillent pas aussi dur qu’avant. »
elle en souffrait d’un autre dans celui de la Un certain nombre d’observateurs ont sou-
productivité. Considérons ces tendances : ligné l’écart considérable qui existe entre le
nombre d’heures pour lequel les gens sont
• Pendant les années 60, la croissance payés pour travailler et celui pendant lequel
moyenne du produit national brut (PNB) ils sont productifs. Une étude menée récem-
était de 4,1 pourcent ; pendant les années ment par l’Université du Michigan indique
70, elle était de 2,9 pourcent ; en 1982, que cet écart pourrait s’élargir. Elle a constaté
elle fut négative. que la différence entre les heures payées et les
• Le niveau de vie aux Etats-Unis, le plus heures de travail effectif a augmenté de dix
élevé du monde en 1972, était alors pourcent entre 1970 et 1980.
tombé à la cinquième place. Ce retard croissant dans le domaine des obli-
gations conduit à la question principale : com-
• En 1960, alors que la reconstruction des ment pouvons-nous émanciper la main d’œuvre
économies européennes et japonaise était et recueillir le fruit de l’effort humain ?
en cours, la part des Etats-Unis dans les Si ma recherche m’a appris quelque chose,
exportations de produits manufacturés c’est que le facteur qui émancipe la main
par les pays industrialisés était de 25 pour- d’œuvre et détermine en fin de compte le
cent et le pays alimentait ses marchés succès ou l’échec d’une organisation est son

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30   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

leadership. Lorsque les stratégies, les proces- conseil d’administration de Arco, et du regretté
sus ou les cultures changent, la clé de l’amé- Ray Kroc, des restaurants McDonald’s.
lioration reste le leadership. Parmi les titulaires de hauts postes de res-
ponsabilité dans des organismes publics figu-
raient Harold Williams, président de la com-
L’échantillon : 90 leaders mission des opérations de bourse (Securities and
Pour mener mon étude, je voulais trouver Exchange Commission – SEC) ; Neil Armstrong,
90 leaders efficaces à l’expérience confirmée. un authentique héro américain qui enseignait
Le groupe définitif se compose de 60 chefs par hasard à l’Université de Cincinnati ; trois
d’entreprises, dont la plupart figurent parmi élus ; deux chefs d’orchestre et deux entraî-
les 500 premières du classement de la revue neurs au palmarès impressionnant. Je voulais
Fortune, et 30 titulaires de postes de responsa- inclure des chefs d’orchestre et des entraîneurs
bilité dans des organismes publics. Mon objec- parce que je croyais à tort qu’ils étaient les der-
tif était d’identifier des gens ayant fait la niers leaders jouissant d’un contrôle total sur
preuve de leur capacité à diriger plutôt que de ceux dont ils avaient la charge.
simples bons gestionnaires, de vrais leaders qui Après plusieurs années d’observations et
affectent la culture, sont les architectes sociaux de conversations, j’ai défini quatre compéten-
de leur organisation et qui créent et maintien- ces évidentes jusqu’à un certain point chez
nent les valeurs de celle-ci. tous les membres du groupe.
Les leaders sont ceux qui font les choses Ce sont
qu’il faut faire et les gestionnaires ceux qui •  la gestion de l’attention ;
font les choses comme il faut. Les deux rôles
sont cruciaux et ils diffèrent profondément. •  la gestion de la signification ;
J’observe souvent des gens occupant des postes •  la gestion de la confiance ;
de direction faire très bien la chose à ne pas faire.
Etant donné ma définition, l’un des pro- •  la gestion de soi-même.
blèmes clés auxquels sont confrontées les
organisations américaines (et probablement
celles de la majorité des pays du monde indus-
Gestion de l’attention
trialisé) est le fait qu’elles sont sous-dirigées et L’un des traits de caractère les plus appa-
sur-gérées. Elles ne s’efforcent pas assez de rents chez ces leaders est leur capacité à attirer
faire ce qui doit être fait tout en se préoccu- les autres, pas parce qu’ils ont une vision, un
pant trop de bien faire. Nos écoles de gestion rêve, un ensemble d’intentions, un programme,
sont en parties responsables de cette attitude ; un cadre de référence. Ils communiquent un
nous apprenons aux gens à être de bons tech- extraordinaire foyer d’attachement, qui attire
niciens et de bons employés de bureau mais les gens. L’un de ces leaders fut décrit comme
ne les formons pas au leadership. donnant aux gens l’envie de se joindre à lui ; il
Le groupe de 60 chefs d’entreprise n’était les incorpore à sa vision.
pas particulièrement différent de tout profil du Les leaders gèrent alors l’attention par l’in-
leadership au plus haut niveau en Amérique. termédiaire d’une vision convaincante qui
Leur âge moyen était de 56 ans. La plupart met les autres à une place où ils n’ont encore
étaient des hommes de race blanche, six étaient jamais été. J’arrivai à cette interprétation
des hommes de race noire et six étaient des d’une manière indirecte, comme l’illustre
femmes. La seule constatation surprenante fut l’anecdote qui suit.
que tous les présidents-directeurs généraux L’une des personnes avec laquelle j’avais le
(PDG) non seulement en étaient à leur pre- plus envie de m’entretenir était l’une des rares
mier mariage mais semblaient également très qui semblaient inaccessibles. Il refusait de répon-
attachés à l’institution du mariage. C’était par dre à mes lettres ou appels téléphoniques. J’es-
exemple le cas de Bill Kieschnick, président du sayai même d’entrer en contact avec les mem-

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4 COMPETENCES DU LEADERSHIP   31

bres du conseil auquel il appartenait. Je veux La première compétence qui caractérise


parler de Leon Fleischer, un enfant prodige donc le leadership est la gestion de l’attention
bien connu qui devint un pianiste, chef d’or- grâce à un ensemble d’intentions ou à une
chestre et musicologue éminent. Ce que j’igno- vision, pas dans un sens mystique ni religieux
rais de lui est qu’il avait perdu l’usage de sa main mais dans le sens d’un résultat final, d’un
droite et qu’il ne donnait plus de concerts. objectif ou d’une direction.
Quand je l’appelai à l’origine dans le but
de le recruter pour le corps enseignant de
l’Université de Cincinnati, il déclina mon Gestion de la signification
offre et me dit qu’il travaillait avec des ortho- Pour rendre leurs rêves apparents aux
pédistes pour retrouver l’usage de sa main. Il
autres et faire en sorte que tout le monde soit
visita le campus et je fus impressionné par sa
sur la même longueur d’ondes, les leaders
promesse de rester à Baltimore, près de l’éta-
doivent communiquer leur vision. Les deux
blissement médical où avaient lieu ses séances
vont de pair.
de thérapie.
Considérons, par exemple, le contraste entre
Fleischer fut la seule personne qui persista
les styles des présidents Reagan et Carter. Ronald
à me refuser un entretien et je finis par aban-
Reagan a été appelé « le roi de la communica-
donner. Deux étés plus tard, je me trouvais à
Aspen, dans le Colorado, pendant la période tion » ; l’un des rédacteurs de ses discours dit de
où Fleischer dirigeait le festival musical de Reagan qu’il aurait pu lire l’annuaire du télé-
cette ville. J’essayai une nouvelle fois de pren- phone et le rendre intéressant. La raison en est
dre contact avec lui, allant même jusqu’à lais- que Reagan utilisait des métaphores avec les-
ser une note sur la porte de sa loge, mais ne quelles les gens pouvaient s’identifier.
reçus aucune réponse. Lors de son premier message sur le budget,
Un jour, dans le centre d’Aspen, j’aperçus par exemple, Reagan décrivit mille milliards
deux jeunes violoncellistes transportant leur de dollars en les comparant à un empilage de
instrument et leur offris de les conduire jus- billets de la hauteur de l’Empire State Building.
qu’au chapiteau de concert. Ils montèrent à Reagan, pour utiliser un des néologismes dont
l’arrière de ma jeep et, pendant le trajet, je les Alexander Haig est coutumier, « tangibilisa »
interrogeai à propos de Fleischer. l’idée. Les leaders rendent les idées tangibles
« Je vais vous dire pourquoi il est super », et réelles aux yeux des autres, de façon à ce
me dit l’un d’eux. « Il ne nous fait pas perdre que ceux-ci puissent les soutenir. En effet,
notre temps. » aussi merveilleuse que soit la vision, le leader
Fleischer finit par accepter non seulement efficace doit utiliser une métaphore, un mot
de m’accorder un entretien mais également ou un modèle qui rendra cette vision claire
de me laisser assister aux répétitions et aux pour tout le monde.
classes de musique qu’il dirigeait. J’établis un Par contraste, le président Carter était
lien entre la façon dont il travaillait et cette ennuyeux. Carter était l’un de nos présidents
simple phrase « Il ne nous fait pas perdre les mieux informés ; il connaissait sur le bout
notre temps. » Lorsqu’il était face à l’orches- des doigts plus de faits que la plupart de ses
tre, Fleischer n’avait aucun doute quant à la prédécesseurs mais ne fit jamais ressortir leur
sonorité qu’il désirait. Il ne gaspillait pas de signification.
temps parce que ses intentions étaient tou- Je m’entretins avec une secrétaire d’état
jours très claires. Ce qui l’unissait aux autres adjointe au commerce nommé par Carter, qui
musiciens était leur préoccupation avec l’in- me dit que, après quatre ans dans le gouverne-
tention et le résultat final. ment de celui-ci, elle ne savait toujours pas ce
Quand je réfléchis à ma propre expérience, qu’étaient les positions de Jimmy Carter.
je fus frappé par le fait que j’étais le plus efficace D’après elle, travailler pour lui, c’était comme
quand je savais ce que je voulais et que j’étais le regarder une tapisserie du mauvais côté ; la
moins efficace quand j’avais des doutes. scène était floue.

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32   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

L’objectif du leader n’est pas une simple ensemble. Il ne suffit pas d’utiliser le bon mot
explication ou clarification mais la création à la mode ou une technique astucieuse ni de
d’une signification. Ma blague de baseball recruter un spécialiste en relations publiques
favorite l’illustre parfaitement : lors du neu- pour écrire des discours.
vième tour de batte d’un match clé de qualifi- Considérons plutôt Frank Dale, directeur de
cation, avec trois balles nulles et deux bonnes la publication du journal Los Angeles Herald Exa-
à l’avantage du batteur, l’arbitre hésite pen- miner. La mission de Dale était de tailler dans la
dant une fraction de seconde pour juger le part de marché de son concurrent du matin, le
lancer. Le batteur se retourne brusquement Los Angeles Times. Lorsqu’il rejoignit le journal il
avec colère et dit « Alors, c’était quoi ? » L’ar- y a quelques années, il monta une campagne
bitre aboie en réponse « C’est rien tant qu’ d’affiches représentant le Herald Examiner der-
j’ai rien décidé ! » rière et légèrement au-dessus du Times. La cam-
Plus l’organisation est vaste et complexe, pagne était basée entièrement sur ce message
plus cette capacité est cruciale. Les leaders effi- convaincant montrant comment le Herald Exam-
caces peuvent communiquer au travers de iner finirait par dépasser le Times.
plusieurs couches de leur organisation sur de Je m’entretins avec Dale dans son bureau et
grandes distances, même en cas de brouillage quand il s’assit et boucla une ceinture de sécu-
par des groupes de pression et des adversaires. rité comme celles qu’on trouve dans les avions,
Lorsque j’étais président d’une université, je ne pus m’empêcher de sourire. Il le faisait
un groupe de cadres administratifs suggére- pour rappeler à tout le monde les risques qu’il
rait une idée que nous savions excellente. y avait à travailler pour le journal. Toute sa per-
Nous ferions ensuite ce qu’il faudrait : délé- sonne contribuait à renforcer le message.
guer, déléguer, encore déléguer. Mais quand Nul n’est plus cynique qu’un journaliste de la
le produit ou la politique finissait par apparaî- presse écrite. On peut imaginer les réactions qui
tre, il ne ressemblait guère à l’idée originale. circulaient dans les couloirs de l’immeuble du
Le processus se reproduisit tellement sou- Herald. Personne, dans le même temps, n’oubliait
vent que je finis par lui donner un nom : l’ef- ce que Frank Dale s’efforçait de communiquer.
fet Pinocchio (je suis sûr que Geppetto ne C’est ça la gestion de la signification.
savait pas du tout à quoi ressemblerait Pinoc-
chio une fois qu’il aurait fini de le tailler).
L’effet Pinocchio nous réserve des surprises. Gestion de la confiance
Parce que la communication n’est pas à la
hauteur, les résultats correspondent rarement La confiance est essentielle pour toutes les
à nos attentes. organisations. Le principal déterminant de la
Nous lisons et entendons tellement de cho- confiance est le sérieux, ce que j’appelle la
ses à propos de l’information que nous avons constance. Lorsque j’ai parlé aux membres
tendance à ignorer l’importance de la signifi- des conseils d’administration ou aux collabo-
cation. En fait, plus une société ou organisa- rateurs de ces leaders, j’ai entendu certaines
tion est soumise à un bombardement, à un expressions répétées maintes fois : « Elle est
déluge d’images, plus elle a soif de significa- toute d’une pièce ». « Que cela vous plaise ou
tion. Les leaders intègrent des faits, des non, vous savez toujours ce qu’il pense, quelle
concepts et des anecdotes à la signification à est sa position. »
l’intention du public. Quand Jean-Paul II visita les Etats-Unis, il
Les leaders qui composent mon groupe ne donna une conférence de presse. Un journa-
sont pas tous des maîtres de la parole. Ils s’y liste demanda au Pape comment il pouvait
prennent de différentes façons pour faire justifier l’attribution de fonds à la construc-
comprendre et soutenir leurs objectifs par tion d’une piscine dans sa résidence d’été. Il
leurs subordonnés. répondit sans hésiter : « J’aime nager. Autre
La capacité à gérer l’attention et la signifi- question. » Il n’essaya pas de justifier sa déci-
cation dérive de la personnalité dans son sion en invoquant des raisons médicales ni en

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4 COMPETENCES DU LEADERSHIP   33

prétendant qu’il avait obtenu l’argent d’une au début des années 70 que, pour lui, vivre
source particulière. c’était marcher sur la corde raide et que tout
Une étude récente a montré que les gens le reste pouvait attendre. Je fus frappé par sa
préféraient de beaucoup suivre des leaders capacité à se concentrer sur l’intention, la
sur lesquels ils peuvent compter, même quand tâche, la décision.
ils ne sont pas d’accord avec leur point de vue, Ma curiosité fut encore plus éveillée lors-
que des leaders avec lesquels ils sont d’accord que, quelques mois plus tard, Wallenda fit une
mais qui changent fréquemment d’opinion. chute mortelle en marchant sur une corde
Je ne saurai trop insister sur l’importance de tendue entre deux tours à San Juan. Tra-
la constance et de la focalisation. vaillant sans filet, Wallenda tomba en conti-
La réélection de Margaret Thatcher en nuant à serrer la perche-contrepoids qu’il
Grande-Bretagne est un autre excellent exem- avertissait les membres de sa famille de ne
ple. Lorsqu’elle fut élue en 1979, les observa- jamais laisser tomber pour éviter de blesser
teurs prédirent qu’elle reviendrait rapidement quelqu’un au sol.
aux politiques dépassées du parti travailliste. La femme de Wallenda déclara plus tard
Elle n’en fit rien. En fait, un article apparut que, pour la première fois depuis qu’ils se
dans le Times de Londres sous le titre (paro- connaissaient, son mari, avant de tomber, se
diant la pièce de Christopher Fry) The Lady’s concentra sur le risque de chute au lieu de le
Not for Returning (La dame n’aime pas revenir faire sur la marche sur la corde. Il surveilla
en arrière). Elle n’a pas pris de virage ; elle a personnellement l’accrochage des fils guides,
fait preuve de constance, elle est restée focali- chose qu’il n’avait jamais faite auparavant.
sée et s’est montrée toute d’une pièce. Comme Wallenda avant sa chute, les leaders
composant mon groupe semblaient ne pas
connaître le concept d’échec. Ce qu’on pour-
Gestion de soi-même rait qualifier d’échec, ils appelaient une faute.
La quatrième compétence de leadership Je commençai à recueillir les synonymes du
est la gestion de soi-même, la connaissance de mot échec mentionnés lors de mes entretiens
ses propres compétences et leur mise en et en identifiai plus de 20 : faute, erreur,
œuvre efficace. La gestion de soi-même est secousse, gaffe, fiasco, perte, raté, confusion,
cruciale ; sans elle, les leaders et les cadres faux pas, gâchis, maladresse… mais pas échec.
peuvent faire plus de mal que de bien. Comme Une PDG me dit que, si elle avait un don de
les docteurs incompétents, les cadres incom- leadership, c’était la capacité de commettre
pétents peuvent rendre la vie plus difficile, autant de fautes qu’elle le pouvait dès que
rendre les gens malades et réduire leur vitalité possible et ainsi de s’en débarrasser. Un autre
(au fait, le terme iatrogénique se réfère à une me dit qu’une faute n’est qu’« une autre façon
maladie causée par les docteurs et les hôpi- de faire les choses. » Ces leaders font quelque
taux). Certains cadres se donnent des crises chose qui tourne mal et en tirent des ensei-
cardiaques et des dépressions nerveuses ; ce gnements ; ce n’est pas un échec mais simple-
qui est encore pire, un grand nombre d’entre ment l’étape suivante.
eux sont des porteurs qui causent la maladie Quand je demandai à Harold Williams, pré-
affectant leurs employés. sident de la fondation Getty, de citer l’expé-
Les leaders se connaissent eux-mêmes ; ils rience qui l’influença le plus en tant que leader,
connaissent leurs points forts et les entretien- il me dit que ce fut quand on lui préféra quel-
nent. Ils jouissent également d’une faculté qu’un d’autre pour la présidence de Norton
que j’appellerai le facteur Wallenda. Simon. Lorsque cela arriva, cela le rendit
Les Flying Wallendas sont peut-être la plus furieux et il demanda les raisons de cette déci-
extraordinaire famille d’acrobates aériens et sion, qu’il considéra pour la plupart stupides.
de funambules du monde. Je fus fasciné lors- Un de ses amis finit par lui dire que certaines
que Karl Wallenda, alors âgé de 71 ans, déclara des raisons étaient valables et qu’il lui incom-

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34   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

bait de changer. C’est ce qu’il fit et, un an et • L’acquisition de connaissances et la com-


demi plus tard environ, il devint président. pétence sont importantes. Les leaders
Ou bien considérons Ray Meyer, entraîneur apprécient l’acquisition et la maîtrise de
de l’équipe de basket-ball de l’Université De connaissances, comme le font les gens qui
Paul, dont l’équipe finit par perdre sur son travaillent pour eux. Ils font comprendre
terrain après 29 victoires consécutives à domi- qu’il n’y a pas d’échecs mais seulement
cile. Je l’appelai pour lui demander comment des erreurs dont nous pourrons tirer des
il se sentait. Il me répondit « En pleine forme. enseignements et qui nous indiquent ce
Nous pouvons maintenant commencer à nous que nous devrons faire à l’avenir.
concentrer sur gagner, pas sur perdre. »
• Les gens font partie d’une collectivité.
Considérons le producteur de Broadway
Là où il y a un leadership, il y a une
Harold Prince, qui convoque une conférence de
équipe, une famille, une unité. Même les
presse le matin qui suit la première de son
gens qui ne s’apprécient pas particuliè-
spectacle, avant même de lire les critiques,
rement les uns les autres éprouvent un
pour annoncer son prochain. Ou Susan B.
sens de communauté. Lorsque Neil
Anthony, qui disait « L’échec est impossible. » Armstrong parle des vols Apollo, il décrit
Ou Fletcher Byrum, à qui, après 22 ans de pré- la façon dont une équipe accomplit un
sidence de Coopers, on demanda quelle avait ensemble de tâches interdépendantes
été sa décision la plus difficile. Il répondit qu’il d’une complexité presque impossible à
ne savait pas ce qu’était une décision difficile, imaginer. Jusqu’à l’arrivée de femmes
qu’il ne se faisait jamais de soucis et qu’il accep- astronautes, les hommes parlaient de
tait la possibilité de se tromper. Pour lui, le fraternité. Je leur suggère de rebaptiser ce
souci était un obstacle à une pensée claire. qu’ils ressentent famille.
Le facteur Wallenda est une approche de
la vie ; il va au-delà du leadership et du pou- • Le travail est passionnant. Là où il y a des
voir dans les organisations. Il s’applique à tous leaders, le travail est difficile mais stimu-
ces leaders. lant, fascinant et amusant. Un élément
essentiel du leadership des organisations
consiste à tirer plutôt que pousser les
Emancipation : les effets gens vers un objectif. Un style d’influence
du leadership visant à tirer les gens les attire et les
encourage à s’engager dans une vision
Le leadership peut être ressenti dans toute excitante de l’avenir. Il les motive par
une organisation. Il donne au travail son voie d’identification plutôt que de
rythme et son énergie et émancipe la main récompenses et de sanctions. Les leaders
d’œuvre. L’émancipation est l’effet collectif expriment et incarnent les idéaux que
du leadership. Dans les organisations dirigées l’organisation s’efforce d’atteindre.
par des leaders efficaces, l’émancipation est la
plus évidente dans quatre thèmes : On ne peut s’attendre à ce que tout le
monde s’engage dans pratiquement n’importe
• Les gens se sentent importants. Chacun quelle vision excitante. Certains concepts et
pense qu’il fait une différence pour le visions résistent mieux et sont ancrés plus pro-
succès de l’organisation. Cette différence fondément dans nos besoins que d’autres. Je
peut être minime – une prompte livrai- crois que l’absence de deux de ces concepts
son de chips à une petite épicerie ou la dans la vie des organisations modernes est lar-
création d’une pièce minuscule mais gement responsable de l’aliénation et du man-
essentielle pour un avion. Cependant, que de signification auxquels de si nombreuses
lorsqu’ils sont émancipés, les gens pen- personnes sont confrontées dans leur travail.
sent que ce qu’ils font a une signification L’un de ceux-ci est le concept de qualité.
et de l’importance. La société industrielle moderne a été orientée

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4 COMPETENCES DU LEADERSHIP   35

vers la quantité pour fournir plus de biens et est évoqué par la qualité et est la force qui sti-
de services à tout le monde. La quantité est mule les systèmes hautement performants. Lors-
mesurée en argent ; nous restons une société que nous aimons notre travail, nous n’avons pas
basée sur l’argent. La qualité n’est souvent pas besoin d’être dominé par les espoirs de récom-
mesurée du tout mais elle est intuitivement pense ou les craintes de sanction. Nous pouvons
appréciée. Notre réaction à la qualité est un créer des systèmes qui facilitent notre travail au
sentiment. Les sentiments de qualité sont inti- lieu de nous préoccuper du contrôle et de la
mement liés à notre expérience en matière de surveillance de gens qui veulent contourner ou
signification, de beauté et de valeurs. exploiter le système.
Etroitement lié au concept de qualité est Et c’est de cela que les professionnels des
celui d’attachement à notre travail, voire même ressources humaines devraient se préoccuper
de notre passion pour celui-ci. Cet attachement avant tout.  ❑

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Les utilisations de la théorie du leadership
par le docteur James Owens

Le docteur James Owens est professeur de gestion à l’Ecole de gestion des entreprises de American Univer-
sity, Ecole dont il est doyen par intérim. Il est l’auteur de livres et d’articles sur la gestion, le comportement
des organisations, ainsi que sur l’environnement social des entreprises et des organismes publics. Il a été
expert-conseil auprès d’organismes publics, d’entreprises et d’associations professionnelles.

Le présent article traite de façon frappante de


la nature, des avantages et des désavantages de
différents styles de leadership. Il oppose en outre
deux théories distinctes du leadership, celle des
traits de caractère et celle du comportement.

C
arl L. était confronté à une crise.
Technicien de formation et proche
de la quarantaine, il avait récem-
ment pris la direction d’un groupe
de techniciens et se retrouva au milieu d’une
rébellion pratiquement ouverte. Il connaissait
très bien son travail et avait de remarquables
capacités d’organisation, d’attention aux
détails, de planification et de contrôle. Ses
techniciens étaient compétents mais le moral
du groupe était tombé à un point auquel le
courage et la volonté semblaient avoir été
entièrement aspirés hors du groupe ; le talent
ne manquait certes pas à celui-ci mais sans
résultat. Qu’est-ce qui n’avait pas marché ? Et
que pouvait-il y faire ? L’avenir de sa carrière
dépendait des réponses à ces questions. compétences et ressources de gestion prennent
L’échec de la gestion de Carl et ses varian- vie et agissent ; sans lui, les compétences en
tes représentent, malheureusement, des inci- matière de gestion et les talents d’un groupe se
dents qui se produisent couramment au sein paralysent et celui-ci n’obtient plus de résultats.
des organisations, en dépit de la tragédie per- Cet article se propose 1) de présenter un
sonnelle et des cauchemars organisationnels cadre pratique, qui consiste en une théorie du
qu’ils entraînent. leadership essentiel à même de servir à faciliter
Qu’est-ce qui n’avait pas marché dans le chez un responsable la compréhension, l’ana-
groupe de Carl ? Probablement le leadership, lyse et l’évaluation de ses compétences person-
cet élément encore mystérieux et mal compris nelles en matière de leadership, et 2) de rendre
qui doit être créé et entretenu quotidiennement compte d’une opinion managériale composite
par un responsable ; s’il est présent, les autres sur les pratiques de leadership tirée du travail

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THEORIE DU LEADERSHIP   37

mené par l’auteur auprès de nombreux res- sciences sociales, sa survie même dans une car-
ponsables en activité au cours des sept derniè- rière de responsable en dépend !)
res années et résumant les idées de ces respon- Une théorie du comportement du lea-
sables eux-mêmes basées sur leurs années dership fit ensuite son apparition : ce qui rend
d’expérience pratique. un leader efficace est (tout à fait indépendam-
Mon intention est par conséquent de présen- ment de sa personnalité) simplement ce qu’il
ter un mélange de théories basé sur la recher- fait. Beaucoup moins ambitieuse que celle des
che et d’expérience pratique en matière de traits de caractère, la théorie du comportement
gestion qui constituera, je l’espère, une riche s’efforça de découvrir ce que doivent faire les
base de données pour tout responsable décidé leaders pour être efficaces, comme par exem-
sérieusement à être plus performant en termes ple la façon dont ils communiquent, donnent
de gestion et à accélérer son avancement. des directives, motivent, délèguent, planifient,
mènent les réunions, et ainsi de suite. La valeur
Théorie des traits de caractère contre théorie du de la théorie, dans la mesure où elle était
comportement valide, était son implication que « les leaders
ne doivent pas nécessairement être des respon-
Les premières études portant sur le leadership
sables nés mais pourraient être formés à faire
émirent l’hypothèse que ce qui fait l’efficacité ce qu’il faut », indépendamment de leurs traits
d’un leader (responsable) est sa personnalité, innés de caractère. Malheureusement, cette
c’est-à-dire ce qu’il est en tant que personne. approche ne comprit pas non plus l’essence du
Les partisans de cette théorie des traits de leadership et non seulement se révéla modeste
caractère recherchaient un certain ensemble mais également dégénéra trop souvent en tech-
de traits de caractère innés que possédaient les niques mécaniques et autres combines superfi-
leaders qui réussissent et dont manquaient les cielles qui apparurent sur le tas comme des
leaders inefficaces : agressivité, maîtrise de soi, contrefaçons d’un leadership authentique, et
indépendance, gentillesse, tendance à la piété par conséquent échoua.
et optimisme, entre bien d’autres. A la grande Les décennies de travail accompli par les
déception de beaucoup, des décennies de deux camps ne furent toutefois pas perdues.
recherches en sciences sociales débouchèrent Il semble clair aujourd’hui que, tout compte
en fin de compte sur des résultats très ambigus : fait, il y a des vérités et des connaissances pré-
les leaders efficaces se révélèrent parfois agres- cieuses à glaner dans chaque théorie.
sifs, autodisciplinés, indépendants, amicaux,
religieux et optimistes mais ne présentaient
souvent aucun de ces traits de caractère ou L’utilisation de la théorie des
n’en présentaient que quelques uns.
Le mystère du leadership n’allait pas être traits de caractère
révélé ni présenté définitivement en colonnes Bien que les partisans de la théorie des traits
ordonnées aussi facilement ou d’une façon de caractère n’aient pas réussi à élaborer un
aussi simpliste. Cette recherche confirma ce modèle complet de leadership, leurs travaux
que la plupart des responsables savent intuiti- exprimèrent clairement et firent passer au pre-
vement, parfois à la suite d’une expérience mier plan une vérité pratique : la personnalité
cruelle – telle que celle de Carl – à savoir qu’un de quelqu’un, c’est-à-dire ce qu’il est fonda-
leadership efficace est l’un des phénomènes mentalement en tant que personne, exerce
les plus complexes dans le domaine des rela- une influence toujours présente et massive sur
tions humaines et une énigme qui reste insai- la façon dont il joue son rôle de responsable et
sissable pour ceux qui doivent la résoudre. les succès qu’il obtient.
(L’ironie évidente est ici que le responsable La personnalité d’un homme est sa vie
efficace doit maîtriser ce phénomène en prati- intérieure, y compris des éléments tels que ses
que, sinon en théorie, et en compréhension, origines, sa biographie, ses croyances, les
parce que, à la différence des spécialistes en épreuves qu’il a connues, ses attitudes, ses

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38   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

préjugés, l’image qu’il se fait de lui-même, ses rien ! Ou bien, un responsable qui souffre
craintes, ce qu’il aime, ce qu’il a en horreur, d’une médiocre image de lui-même et d’un
ses espoirs et sa philosophie de la vie. Un faible niveau naturel de confiance en soi, évite
homme ressemble en ce sens à un iceberg ; les décisions et il émane de lui, comme un
seule une fraction réduite de ce qu’il est genre de prédiction qui se réalise d’elle-même, une
émerge à la surface (son comportement impression d’échec certain. Parmi d’autres
observable, ce qu’il fait) ; le reste est sa vie exemples, on peut citer l’effet sur le succès
intérieure, les sept huitièmes de l’iceberg qui d’un responsable de traits de caractère tels
sont submergés. que les préjugés raciaux, l’intolérance vis-à-vis
La personnalité intime du responsable d’idées mal connues, l’aversion ou la méfiance
cause toutefois, ou s’étend à, son comporte- à l’égard des jeunes (ou de leur expérience ou
ment qui, à son tour, affecte ceux avec lesquels apparence générale, etc.).
il travaille, provoquant chez ceux-ci des réac- L’opinion pratiquement unanime de ces
tions de coopération ou de résistance. C’est là milliers de responsables en exercice a été que
qu’est le sort du responsable : des réactions de tout responsable qui a vraiment l’ambition de
coopération de la part de son personnel s’épanouir en tant que responsable et d’être
représentent le succès ; des réactions de résis- promu ne peut y arriver que s’il ajoute à ses
tance, aussi irrationnelles qu’elles soient aux efforts une évaluation périodique de sa per-
yeux du responsable, garantissent générale- sonnalité globale, en particulier de ses attitu-
ment son échec (comme probablement dans des et de leur effet sur son personnel, ainsi
le cas de Carl plus haut). que du succès (ou de l’échec) qui en découle.
Toute tentative de représentation de cette Un tel responsable, qui se montre même capa-
relation de cause à effet sous forme de simples
ble de gérer sa propre carrière, s’apercevra
corrélations biunivoques telles que le trait de
que la plupart de ses traits de caractère sont
caractère « Z » causant invariablement le com-
des atouts ; si toutefois il poursuit son examen
portement « ZZ » qui, à son tour, cause inva-
objectivement, il se rendra compte également
riablement l’effet « Z3 », est vouée à l’échec,
que certains sont des handicaps. Ce sont ces
comme l’on prouvé les efforts des partisans de
la théorie des traits de caractère. Il est toute- derniers qu’il doit commencer à changer, s’il
fois clair qu’il y a un rapport déterminant le peut ou le souhaite ; et, s’il ne le peut pas, il
entre la personnalité globale d’un responsa- doit alors, comme le ferait une personne mûre
ble et son succès en cette qualité. J’ai présenté faisant preuve de discernement, s’évaluer soi-
ce concept précis à plusieurs milliers de res- gneusement et trouver le genre de travail
ponsables en exercice au fil des ans et, sur la adapté à sa personnalité.
base de leur expérience, ils ont pratiquement En bref, ces responsables pensent – et c’est
tous reconnu sa validité. Par exemple, la plu- aussi mon avis – qu’un responsable ne peut
part de ces responsables conclurent qu’un s’épanouir dans sa carrière que s’il s’épanouit
responsable qui éprouve naturellement des dans sa personnalité globale, ce qu’il doit faire
difficultés à faire confiance aux autres a peu longtemps avant d’occuper des fonctions de
de chances de réussir ; en dépit de tous ses direction. Ce qu’un homme représente et ce
efforts, il se montrera incapable de déléguer qu’il apporte à son service sous la forme d’une
comme il convient et devient ainsi un goulet personnalité globale détermine largement ce
d’étranglement alors que le travail s’entasse sur qu’il fait, comment il le fait et avec quel degré
son bureau et que cette attitude est une source de succès. Cela veut dire qu’un épanouisse-
de frustration pour les gens qui veulent avoir ment personnel en tant qu’être humain sous-
une chance de participer et de s’épanouir. Ou tend l’épanouissement en termes de fonctions
bien, un responsable dont la personnalité de direction et de carrière et devient, dans
exige un degré élevé de sécurité dans sa vie est une large mesure, la vraie base sur laquelle il
incapable de prendre des risques quelconques peut se développer. Le succès dans l’encadre-
et échoue donc parce qu’il ne décide et ne fait ment n’est pas un ensemble périphérique de

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THEORIE DU LEADERSHIP   39

techniques mais la matérialisation de l’essence cation et de l’analyse. Les styles sont en outre
d’un être sous la forme de l’action. définis dans un langage neutre afin d’éviter,
autant que possible, toute connotation de pré-
férence ou de dénigrement à ce stade.
Les utilisations de la théorie Les cinq styles de leadership qui constituent
du comportement la matrice sont les suivants :
La théorie du comportement nous a appris 1. Le responsable autocratique : l’auto-
au fil des ans que, dans certaines limites impo- crate jouit d’une autorité dérivant de
sées par la personnalité de l’individu, chaque quelque source telle que son poste, ses
personne a la capacité de cultiver des habitu- connaissances, sa fermeté ou le pouvoir
des de comportement (si elle veut le faire), ce de récompenser et de punir, et il se sert
qui optimise ses effets sur le personnel. Nous de cette autorité comme méthode prin-
sommes nombreux à être d’humeur chan- cipale, voire unique, d’obtention des
geante mais pouvons, si nous le voulons, ne résultats. Il ne se cache pas d’être autori-
pratiquement jamais le montrer. Les habitu- taire, sait ce qu’il veut voir accomplir et
des constructives de politesse, de contrôle de comment, dit au gens ce qu’ils doivent
soi, de communication bilatérale, de déléga- faire et exige une obéissance incondi-
tion et d’intérêt vis-à-vis des problèmes des tionnelle. L’autocrate va de dur à pater-
autres peuvent s’apprendre et être mises en naliste suivant qu’il privilégie la motiva-
pratique, si on en a la volonté. tion, la menace et la punition dans le
La contribution la plus importante de la premier cas ou les récompenses dans le
théorie du comportement est toutefois l’éla- second. L’autocrate dur exige et obtient
boration d’une classification des comporte- l’obéissance à ses ordres ou gare. L’auto-
ments (styles) de leadership qui offre à un crate paternaliste demande et attend
responsable un outil d’analyse grâce auquel il l’obéissance à ses ordres mais principa-
peut consciemment et intelligemment établir lement en agissant en père dans le cadre
un style personnel de leadership qui lui per- de rapports souvent très personnels qui
met de réussir. impliquent dépendance personnelle,
récompenses et sécurité. L’autocrate
accorde peu ou pas de liberté.
Une matrice des styles 2. Le responsable bureaucratique : comme
de leadership l’autocrate, le bureaucrate dit aux gens ce
qu’ils doivent faire et comment, mais ses
La contribution probablement la plus satis-
ordres reposent presque exclusivement
faisante, du point de vue pratique, de la recher-
sur les politiques, procédures et règle-
che à la vie quotidienne du responsable est le
ments de l’organisation. Pour le bureau-
modèle analytique de styles de leadership,
crate, ces règlements sont absolus. Pour
c’est-à-dire leur description et leurs attributs.
lui, le règlement c’est le règlement et il ne
Pratiquement tous les responsables auxquels
tolère jamais d’exceptions. Il traite les
j’ai présenté ce modèle classique conviennent
règlements et imposent leur respect aux
qu’il clarifie leurs options et leur rend bien
gens comme un juge pourrait traiter le
service en tant que moyen d’analyse et d’éva-
droit, en n’autorisant aucune entorse ni
luation constructive de leur style personnel de
exception, jusqu’à la moindre formalité.
leadership, ainsi que de leur succès respectif.
Comme l’autocrate, le bureaucrate
La forme exacte de la matrice de leadership
accorde peu ou pas de liberté.
varie, comme le font ses détails, mais celle qui
suit en est la version standard. La brève descrip- 3. Le responsable diplomate : le diplomate
tion de chaque style est, bien entendu, stéréoty- est un artiste qui, comme le vendeur, vit
pée et schématisée pour la clarté de l’identifi- de l’art de persuasion personnelle. Bien

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40   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

qu’il jouisse de la même autorité incon- der un degré élevé de liberté car il est lui
testée que l’autocrate, le diplomate pré- aussi dans le style bride sur le cou.
fère faire l’article aux gens et opère,
autant que possible, par persuasion et 5. Le responsable bride sur le cou : le res-
motivation individuelle sur une grande ponsable bride sur le cou (par analogie,
échelle. Il reviendra si nécessaire au style bien entendu, au cavalier qui a lâché la
autocratique mais préfère l’éviter. Cer- bride) n’abandonne pas, au sens littéral,
tains le qualifient de responsable du type tout contrôle. Il définit un objectif pour
vendeur, qui utilise à des degrés divers ses subordonnés, ainsi que des paramè-
des tactiques de persuasion très variées tres très clairs tels que politiques, délais
allant d’une simple explication des rai- et budget, puis lâche les rênes et permet
sons d’un ordre à un véritable marchan- à ses subordonnés d’opérer librement
dage avec les gens. Il associe générale- sans autre directive ni contrôle, sauf s’ils
ment ses objectifs dans l’organisation le demandent eux-mêmes.
aux besoins et aspirations personnels de
ses subordonnés. Un tel responsable
garde son autorité en ce qu’il connaît Le « meilleur » style
une ligne de conduite particulière et de leadership
insiste pour qu’elle soit suivie mais
accorde une certaine liberté, limitée, à En dépit de certaines suggestions offertes
son personnel en ce qu’il leur permet dans les ouvrages consacrés au sujet, d’après
de réagir, contester, soulever des objec- lesquelles un style de leadership est le meilleur
tions, débattre et même exprimer leur et l’idéal, les responsables que j’ai interrogés
point sur la question. rejettent catégoriquement cette simple solu-
tion suggérée par certains spécialistes des
4. Le responsable participatif : le responsa- sciences sociales. Leur opinion pratiquement
ble participatif invite ouvertement son unanime est que le meilleur style de leadership
personnel à participer ou contribuer, DEPEND DES FACTEURS SUIVANTS :
dans une plus ou moins large mesure, à
la prise de décisions et aux méthodes a. la personnalité individuelle du respon-
d’exploitation. Il n’est pas un responsa- sable lui-même (retour à la théorie des
ble démocratique ni consultatif. traits de caractère) ;
4. Le responsable démocratique adhère à son b. les subordonnés individuels, le genre de
groupe et fait bien comprendre d’avance personnes qu’ils sont et le type de travail
qu’il respectera la décision du groupe, qu’ils font ; ainsi que
qu’elle ait été prise par voie de consensus c. la situation et les circonstances particu-
ou de vote à la majorité. (Ce style se ren- lières à tout moment donné.
contre parfois dans les groupes d’exploita-
tion ou de recherche et développement.) En bref, aucun livre de recettes ni formule de
leadership efficace ne sonnait juste en termes
4. Le responsable consultatif consulte son de réalisme pour ces responsables. La com-
personnel et invite une franche partici- plexité et le mystère du leadership ne permet-
pation, la discussion, un débat sur les tent pas les approches simplistes.
avantages et les inconvénients, ainsi que
Seul un responsable lui-même, examinant
des recommandations de la part du
et explorant les variétés de styles de leadership,
groupe mais fait bien comprendre que
leurs avantages et leurs faiblesses, ainsi que le
lui seul est responsable et se réserve la
personnel et la situation auxquels il a affaire,
décision finale.
peut décider quel style de leadership lui
4. Dans les deux formes de style participatif convient le mieux, ainsi qu’au personnel et à
de leadership, le personnel se voit accor- la situation particulière. Cela doit constituer

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THEORIE DU LEADERSHIP   41

un acte de jugement individuel. Un cadre culier en période de crise ou dans


théorique peut l’aider, comme le peuvent les une situation d’urgence.
opinions de milliers de responsables mais le
(2) La forme paternaliste de ce style
choix et la pratique d’un style de leadership
de leadership donne de bons
doit toujours rester l’acte de jugement du res-
résultats avec les employés qui
ponsable individuel.
tolèrent mal l’ambiguïté, sont
Certains auteurs ont forgé l’expression mal à l’aise lorsqu’on leur donne
« approche boîte à outils » pour cette nécessité une certaine liberté et qu’ils doi-
pour les responsables de choisir le bon style au vent prendre des décisions, même
bon moment dans la bonne situation (contraire- mineures, mais réussissent quand
ment à la formule facile et utopique d’un seul ils reçoivent des directives claires,
style de leadership prédominant applicable à détaillées et exécutables.
tout le monde dans toutes les situations).
(3) La voie hiérarchique et la division
du travail (qui est censé faire
Un résumé des opinions des quoi) sont claires et bien compri-
responsables ses de tout le monde.

Ayant travaillé étroitement au fil des ans b.  Inconvénients :


avec de nombreux responsables en exercice, (1) L’efficacité apparente de la com-
j’ai eu la possibilité d’apprendre une grande munication unidirectionnelle
partie de ce qu’ils ont appris en matière de devient souvent une fausse effica-
leadership, qui repose non sur des abstrac- cité dans la mesure où cette com-
tions livresques mais sur la réalité de nom- munication, lorsqu’elle ne s’ac-
breuses années d’expérience concrète. Les compagne pas d’une remontée de
résultats essentiels de cette enquête informelle l’information, conduit générale-
de sept ans menée auprès de ces responsables ment à des malentendus, à des
sont disposés ci-dessous sous forme de propo- ruptures de communication et à
sitions en style télégraphique exprimées des erreurs coûteuses.
comme avantages ou inconvénients de chaque
(2) Le responsable autocratique doit
style classique de leadership. Chaque proposi- réellement être un spécialiste, pas
tion est une sorte de vue composite représen- simplement croire qu’il en est un,
tant un consensus virtuel quant aux opinions parce que son personnel ne lui
de ces dirigeants. Il s’agit naturellement de apporte que peu d’informations
déclarations générales qui, comme telles, tien- et d’idées pouvant contribuer à sa
nent compte des exceptions affectant des cas prise de décisions. Il est donc vrai-
individuels. Ces propositions représentent ment isolé, ce qui crée une situa-
quand même des idées exprimées par ces res- tion généralement dangereuse
ponsables eux-mêmes sur la base de leur expé- dans l’environnement de com-
rience et devraient se révéler utiles pour tout plexité technologique et organisa-
responsable résolu sérieusement à évaluer et tionnelle d’aujourd’hui.
améliorer son propre leadership.
(3) L’inconvénient crucial du style
1.  Le style autocratique de leadership. autocratique est toutefois l’effet
a.  Avantages : qu’il exerce sur le personnel.
Nombreux sont les responsables
(1) Lorsqu’il est approprié, peut aug- qui ont la nostalgie du bon vieux
menter le rendement, faire gagner temps où le patron donnait les
du temps et permettre d’obtenir ordres et le personnel obéissait
des résultats rapidement, en parti- docilement sans poser de ques-

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tion. Ces responsables reconnais- ou de l’humeur d’un responsable).


sent toutefois que, que cela leur Le personnel éprouve un senti-
plaise ou non, ce temps ne revien- ment de sécurité et de justice.
dra jamais. Aujourd’hui, la plu-
b.  Inconvénients :
part des gens ne supportent pas
une hiérarchie autoritaire qui les
exclut de toute participation aux (1) Rigidité dans des situations où des
décisions et les réduit à ressem- exceptions aux règlements devraient
bler à de simples rouages de être faites ou demandées.
machines dépourvus de dignité (2) Paralysie dans les situations non
humaine ou d’importance. Ils couvertes par des règlements ou
expriment leur mécontentement dans lesquelles les règlements
sous forme de résistance passive, sont ambigus (comme cela est
de mauvais moral et de faible souvent le cas : les politiques et les
productivité (quand ce n’est pas règlements représentent la légis-
carrément d’arrêts de travail, lation applicable à la majorité des
voire de sabotage). Cela est parti- situations mais ne peuvent jamais
culièrement vrai aujourd’hui se substituer au jugement humain
dans le cas des personnes ayant individuel dans une situation pré-
un bon niveau technique ou cise particulière).
d’éducation, des jeunes arrivant
sur le marché du travail et des (3) La réaction du personnel tra-
membres de la plupart des grou- vaillant sous l’autorité d’un respon-
pes minoritaires. sable à fortes tendances bureaucra-
tiques est essentiellement la même
2.  Le style bureaucratique de leadership. que celle décrite plus haut dans le
cas du responsable autocratique :
a.  Avantages :
mécontentement, résistance et
(1) Il garantit la logique des décisions mauvais moral.
et de l’exploitation, ce qui peut se
3.  Le style diplomatique de leadership.
révéler crucial dans les secteurs
d’activité dans lesquels les paramè- . a.  Avantages :
tres juridiques sont courants (ban-
que, commerce, etc.). Chaque res- a (1) Les gens coopèrent et travaillent
ponsable doit jusqu’à un certain avec plus d’enthousiasme si les
point être un bureaucrate. responsables prennent ne serait-
ce que quelques minutes, et leur
(2) L’application uniforme des règle- manifestent suffisamment de res-
ments relatifs au personnel à pect, pour leur donner les raisons,
l’ensemble de celui-ci introduit en les expliquant simplement,
une notion de justice et d’impar- pour lesquelles une tâche particu-
tialité dans les nombreuses rela- lière est importante plutôt qu’une
tions complexes du responsable corvée à exécuter aveuglément.
avec le personnel.
a (2) L’effort que fait un responsable
(3) Les gens connaissent leur place. La pour donner personnellement
plupart des décisions les concer- une explication à un subordonné
nant sont prises sur la base de ou le persuader est généralement
règlements connus et acceptés, perçu comme un compliment
elles sont prévisibles et objectives important et une manifestation
(plutôt que tributaires d’un caprice de respect ; il est habituellement

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THEORIE DU LEADERSHIP   43

apprécié et le subordonné y réa- ble opérant de cette façon doit


git par un degré élevé de coopé- pouvoir convaincre son person-
ration et d’effort. nel ; sinon, il sera obligé de reve-
nir (hypocritement) à un style
a (3) Ce style de leadership est indispen- franchement autocratique. L’ef-
sable pour la multitude d’employés fet d’une telle démarche sur le
de bureau (et même pour le per- personnel est aussi évident que
sonnel d’exploitation conscient de désastreux.
l’insuffisance de son autorité
réelle). Ils doivent obtenir les résul- 4.  Le style participatif de leadership.
tats dont ils sont tenus pour res- a.  Avantages :
ponsables tout en étant injustement
privés de l’autorité bien définie a (1) Lorsque les gens participent à la
requise et par conséquent se repo- prise d’une décision et aident à
sent totalement sur leur force de formuler celle-ci, ils la soutien-
persuasion pour obtenir l’aide et la nent (au lieu de la combattre ou
coopération nécessaires. de l’ignorer) et font l’effort
nécessaire pour assurer son
b.  Inconvénients : succès parce qu’elle est leur idée
a (1) Certaines personnes interprètent et qu’elle fait désormais partie de
les efforts visant à les persuader leur vie et de leur moi.
plutôt qu’à leur donner des ordres a (2) Le responsable bénéficie constam-
comme un signe de faiblesse et, ment de ce que son personnel a
par conséquent, perdent leur res- de mieux à offrir en termes d’in-
pect pour un responsable. formation, d’idées, de suggestions,
a (2) La faiblesse fondamentale du style de talent et d’expérience profes-
diplomatique est toutefois la sionnelle. Il fait sienne la riche
même que l’écueil auquel se heur- source d’informations que repré-
tent toujours ceux qui utilisent sente son personnel et elle devient
systématiquement l’approche boîte une contribution clé à sa prise de
à outils du leadership, à savoir l’hy- décisions.
pocrisie. A moins d’être pratiqué a (3) Une discussion de groupe menée
avec discernement, habileté et sin- avant qu’une décision soit prise,
cérité, le style diplomatique – ainsi même si elle prend du temps,
que toute approche boîte à outils peut faire monter à la surface des
utilisée avec le personnel – dégé- informations cruciales qui, lors-
nère rapidement et passe aux yeux qu’elles sont prises en considéra-
des gens pour de l’hypocrisie, une tion, améliorent la prise de déci-
franche manipulation et de l’ex- sion ou, dans certains cas,
ploitation. Il est donc très mal permettent en fait d’éviter un
supporté et donne lieu à une forte désastre qui se serait produit si
résistance. Naturellement, c’est des informations clés au niveau
alors un échec complet. de l’exploitation n’avaient pas
été rendues disponibles.
a (3) Quiconque emploie le style diplo-
matique doit être un vendeur a (4) Ce style de leadership autorise et
habile et compétent qui conclut encourage les gens à se dévelop-
généralement la vente. Un ven- per, s’épanouir et s’élever au sein
deur attend et invite régulière- de l’organisation (aussi bien en
ment les objections. Un responsa- termes de responsabilité qu’ils

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44   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

peuvent assumer que de service de rejeter une recommandation


qu’ils peuvent rendre). doit expliquer sans perdre de
temps la raison pour laquelle il
a (5) La plupart des gens travaillent
mieux, avec plus d’enthousiasme était obligé de la rejeter.
et à un niveau élevé de motivation (4) L’emploi des styles participatifs
lorsqu’on leur accorde un degré peut aisément, si on n’y prend pas
raisonnable de liberté pour agir et garde, dégénérer en une perte
apporter une contribution. La totale de contrôle de la gestion.
raison en est qu’ils éprouvent une
sensation d’importance, de valeur 5.  Le style bride sur le cou de leadership.
et de réussite personnelles (à la
a.  Avantages :
différence des rouages humains
dans les systèmes d’organisation (1)  Ce style représente l’essence de
semblables à des machines). la délégation totale de responsabilité, avec ses
a (6) Ce qui est très important, comme avantages d’utilisation optimale du temps et
on l’a laissé entendre plus haut, des ressources.
est que le responsable participatif a (2)  Nombreux sont les gens qui ne
établit une ambiance de travail sont motivés à faire un effort maximum que si
qui libère facilement l’énorme on leur donne ce genre de carte blanche.
énergie de gens qui sont motivés
par, et totalement focalisés sur, b.  Inconvénients :
des objectifs qu’ils ont aidé à
a (1) Très peu de contrôle de la ges-
définir et dont la réalisation leur
procure une profonde satisfac- tion et degré élevé de risque.
tion personnelle sous la forme a (2) Ce style peut se révéler désastreux
d’une reconnaissance ainsi que si le responsable ne connaît pas
d’un sens de leur réussite, de leur bien la compétence et l’intégrité
importance et de leur valeur per- de son personnel ni sa capacité à
sonnelle. En bref, le responsable exploiter ce genre de liberté.
participatif peut compter sur le
facteur crucial que représente la
motivation personnelle innée. Conclusion
b.  Inconvénients : Le leadership reste un art en dépit des
a (1) Le style participatif peut deman- efforts des spécialistes des sciences sociales
der un temps considérable et, visant à en faire une science. Les résumés des
lorsqu’il est appliqué d’une éléments essentiels de la théorie du leadership
manière incorrecte, se révéler et de l’opinion de responsables (fondée sur
simplement inefficace. l’expérience) ne sont présentés ici que pour
aider (pas pour remplacer) le jugement per-
a (2) Certains responsables exploitent le sonnel final du responsable lorsqu’il opère
style démocratique comme un avec son personnel particulier dans sa situa-
moyen d’éviter (ou d’abdiquer) tion particulière.
toute responsabilité. Chacun de ces responsables doit toutefois
a (3) Les gens ne supportent pas l’invita- opérer en utilisant un ou plusieurs styles de
tion à offrir des recommandations leadership et il est à souhaiter que les idées
lorsque celles-ci sont constamment présentées plus haut aideront le responsable
ignorées et rejetées. Il s’ensuit que à analyser, évaluer et développer son propre
tout responsable dans l’obligation style personnel de leadership.  ❑

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Profil d’un leader
L’effet Wallenberg
par le docteur et lieutenant colonel John C. Kunich et
le docteur Richard I. Lester

Le docteur John C. Kunich, promu au rang de lieutenant colonel, est un assesseur d’active auprès du Tribunal
de cassation de l’armée de l’Air, actuellement affecté au quartier général du Commandement spatial de l’armée
de l’Air à la base aérienne Peterson de Colorado Springs, au Colorado. Il est titulaire d’une licence et d’une
maîtrise de sciences avec mention très bien de l’Université d’Illinois à Chicago. Il reçut son doctorat en droit
avec mention à la faculté de droit de l’Université Harvard en 1985 et sa maîtrise en droit de l’environnement
avec mention très bien à la faculté de droit de l’Université George Washington en 1993.
Le docteur Richard I. Lester est le conseiller pédagogique du Ira C. Eaker College for Professional Deve-
lopment à la base aérienne Maxwell, en Alabama. Le docteur Lester étudia à l’Université de Londres et
termina son doctorat à l’Université de Manchester. Il a publié plus de 30 articles sur divers sujets dans
des revues spécialisées américaines et étrangères.

L
e présent article est une étude des prin- l’Holocauste à Washington, D.C., a été rebap-
cipes de leadership employés par Raoul tisée Raoul Wallenberg Plaza.
Wallenberg, un diplomate suédois qui Le leadership est le mouvement dans un
se rendit à Budapest en 1944 pour intervenir milieu qui lui résiste. C’est également la capa-
en faveur des 700 000 Juifs de Hongrie, qui cité à traduire les intentions en réalité et à les
étaient en cours de déportation par les Nazis appuyer. Les leaders prennent les choses en
à destination des camps d’extermination. Ce main et obtiennent des résultats. Ils créent
récit détaillé présente l’œuvre extraordinaire une nouvelle réalité à leur usage. Cette étude
accomplie par un leader véritablement uni- de cas a pour objet de démontrer en quoi
Wallenberg fit preuve de leadership et com-
que. Les implications en termes de leadership
ment il refusa de se montrer indifférent, passif
traitées dans cet article tombent à point
ou ignorant des souffrances des autres. A la
nommé dans la mesure où l’étude du lea- fin d’un chapitre sordide de l’histoire de l’hu-
dership commence à triompher de nombreu- manité, Wallenberg se révèle être un leader
ses décennies d’indifférence intellectuelle. courageux et plein de pitié – un symbole de
On attribue à Wallenberg le sauvetage de ce que l’humanité a de mieux à offrir.
pas loin de 100 000 vies. Le 5 octobre 1981, le
président [des Etats-Unis] et le Congrès
reconnurent la contribution qu’il apporta à L’effet Wallenberg
l’humanité lorsqu’ils firent de lui la deuxième Lors des derniers mois de la seconde guerre
personne seulement, aux côtés de Winston mondiale, les Alliés recherchaient désespéré-
Churchill, à jamais se voir conférer le titre de ment des moyens d’arrêter le massacre par
citoyen honoraire des Etats-Unis. Par une Hitler d’innocents civils en Europe orientale.
résolution commune, le Congrès des Etats- Alors même que les espoirs d’une victoire mili-
Unis désigna en outre le 5 octobre 1989 jour- taire de l’Axe s’estompaient, les Nazis devin-
née Raoul Wallenberg. De surcroît, la rue qui rent encore plus déterminés à mener la solution
se trouve devant le musée à la mémoire de finale à son terme. Les camps de la mort opé-

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46   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

raient à leur capacité maximum dans un effort sans risques hors du territoire contrôlé par les
effréné visant à débarrasser l’Europe des Juifs Nazis. Parallèlement, une série de planques
et des autres groupes visés. Jusqu’à ce qu’ils seraient établies à l’intérieur de la Hongrie
puissent remporter un triomphe militaire total, sous la forme de bâtiments officiels apparte-
les Alliés étaient impuissants pour mettre fin nant à la légation de Suède et bénéficiant de
au génocide qui faisait rage derrière les lignes l’immunité diplomatique. Alors que ce plan
ennemies. C’est la raison pour laquelle ils se continuait à prendre forme dans son esprit, le
mirent à la recherche d’un volontaire, quel- diplomate suédois Wallenberg arriva en Hongrie
qu’un qui pourrait aller là où les chars et les à la demande du Conseil américain des réfu-
avions alliés ne pouvaient le faire, et perturber giés de guerre et de son propre gouvernement
l’insidieuse machine de mort nazie. le 6 juillet 1944, avec pour mission de sauver
Il aurait été difficile de trouver quelqu’un autant de Juifs hongrois que possible de la
dont le choix aurait été moins évident pour liquidation par les Nazis.
une telle mission que Raoul Wallenberg. Agé Il conçut les faux passeports lui-même. Ils
de 32 ans en 1944, Wallenberg était un riche étaient des chefs d’œuvre du type de pompe
Suédois appartenant à une famille très en vue formel et d’apparence officielle – tellement
et respectée de la haute bourgeoise. La neu- prisé des Nazis. Wallenberg, bien qu’encore
tralité de la Suède dans la guerre n’était que jeune, avait beaucoup voyagé et fait des études
l’une des nombreuses excuses toutes faites à l’étranger, à la fois aux Etats-Unis (où il avait
que la vie avait apportées au jeune Wallenberg étudié l’architecture à l’Université du Michi-
s’il avait voulu s’en servir pour refuser cette gan) et en Europe, et il savait comment traiter
mission de sauvetage. Il n’était pas juif ; était avec les gens et obtenir des résultats. Il fit tous
riche et avait de nombreuses relations dans les efforts nécessaires pour comprendre aussi
les milieux politiques ; il avait des chances de bien ses ennemis que ses alliés, de connaître ce
prendre les rênes du vaste empire financier qui les motivaient, ce qu’ils admiraient, ce
Wallenberg ; il avait tout à perdre et rien à qu’ils craignaient et ce qu’ils respectaient. Il en
gagner en acceptant de relever ce défi. conclut à juste titre que les Nazis et les fascistes
Wallenberg fut recommandé pour ce pro- hongrois (du parti de la Croix Fléchée) aux-
jet par Koloman Lauer, une relation d’affaires quels il aurait affaire réagissaient le mieux à
proche du nouveau Conseil des réfugiés de l’autorité absolue et à un statut officiel. Il uti-
guerre. Lauer pensait que Raoul possédait la lisa ce principe pour confectionner ses passe-
combinaison idéale de dévouement, de com- ports ainsi que pour définir ses contacts per-
pétence et de courage – en dépit de sa jeu- sonnels avec l’ennemi.
nesse et de son inexpérience – et que la célé- Wallenberg commença avec 40 relations
brité de son nom lui assurerait une certaine importantes à Budapest et en cultiva rapi-
protection. Wallenberg se révéla impatient de dement d’autres prêtes à l’aider. On estime
servir mais il exigea audacieusement, et se vit que, sous la direction de Wallenberg, lui et ses
accorder, une grande latitude quant aux associés distribuèrent des passeports suédois
méthodes qu’il utiliserait. à 20 000 Juifs de Budapest et en protégèrent
Lorsqu’il apprit qu’Adolf Eichmann trans- 13 000 autres dans des planques qu’il louait et
portait approximativement 10 000 à 12 000 sur lesquelles flottait le drapeau suédois. Eich-
Juifs hongrois chaque jour à destination des mann continua toutefois à poursuivre sa pro-
chambres à gaz, Wallenberg se prépara préci- pre mission avec une dévotion aussi zélée que
pitamment à se rendre à Budapest. Sa « cou- fanatique et les camps de la mort tournaient
verture » était celle d’un diplomate, avec le 24 heures sur 24. Des trains bondés, dans cha-
titre officiel de premier secrétaire de la léga- que wagon à bestiaux desquels s’entassaient 80
tion de Suède. Il élabora un plan aux termes personnes ne disposant que d’un peu d’eau
duquel des faux passeports suédois (Schütz- et d’un seau hygiénique, effectuaient sans
passe) seraient confectionnés et utilisés pour interruption le trajet de quatre jours entre
assurer aux victimes potentielles un passage Budapest et Auschwitz et retour. La campagne

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EFFET WALLENBERG    47

hongroise était déjà vide de Juifs et la situation « Eh vous là-bas ! » lança le Suédois en pointant
dans les dernières enclaves urbaines restantes le doigt sur un homme stupéfait attendant son
était critique. Et c’est ainsi que Wallenberg se tour d’être livré au bourreau. « Donnez-moi
plongea lui-même au milieu de la lutte. votre passeport suédois et faites la queue ici »,
aboya-t-il. « Et vous, mettez-vous derrière lui. Je
La résistance juive envoya à Wallenberg
sais que je vous ai donné un passeport. » Wal-
Sandor Ardai pour lui servir de chauffeur. lenberg continua, marchant vite, parlant haut,
Ardai relata plus tard un évènement à l’occa- espérant que l’autorité qu’exprimait sa voix
sion duquel Wallenberg intercepta un charge- déteindrait un peu sur ces gens vaincus… Les
ment de Juifs sur le point de partir pour Aus- Juifs finirent par comprendre. Ils commencè-
chwitz. Wallenberg écarta l’officier SS, qui lui rent à fouiller leurs poches à la recherche de
ordonna de s’en aller. Aux dires de Ardai, pièces d’identité. Un permis de conduire ou
certificat de naissance semblait faire l’affaire.
Il grimpa ensuite sur le toit du train et com- Le Suédois s’en saisissait tellement vite que les
mença à distribuer des sauf-conduits par les Nazis, qui de toute façon ne pouvaient pas lire
portes qui n’étaient pas encore scellées. Il ignora le Hongrois, semblaient n’effectuer aucun
les ordres de descendre que lui donnaient les contrôle. Plus vite, Wallenberg les encourageait
Allemands. Les Croix Fléchées commencèrent des yeux, plus vite, avant que la supercherie ne
alors à tirer et à lui crier de quitter les lieux. Il soit découverte. En quelques minutes, plusieurs
les ignora et continua calmement à distribuer centaines de personnes avaient rejoint son
des passeports aux mains qui se tendaient. Je convoi. Des camions de la Croix Rouge Inter-
crois que les Croix Fléchée visèrent délibéré- nationale, rassemblés sur l’ordre de Wallen-
ment plus haut que sa tête car aucun ne le tou- berg, arrivèrent et les Juifs se hissèrent pénible-
cha, ce qui sinon aurait été impossible. Je crois ment dessus… Wallenberg sauta dans sa propre
qu’ils agirent ainsi parce qu’ils étaient tellement voiture. Il se pencha par la fenêtre et chuchota
impressionnés par son courage. Après que Wal- « Je suis désolé » aux gens qu’il laissait derrière.
lenberg eut distribué le dernier des passeports, « J’essaie de choisir d’abord les plus jeunes »,
il ordonna à tous ceux qui en avaient un de quit- expliqua-t-il. « Je veux sauver une nation. »2
ter le train et de marcher jusqu’à une caravane
de voitures garées aux environs, portant toutes Ce type d’action réussit à de nombreuses
les couleurs suédoises. Je ne me souviens plus reprises. Wallenberg et ses collaborateurs
du nombre exact mais il sauva des douzaines de tombaient sur une marche à la mort et, pen-
personnes en les faisant quitter ce train. Les dant que Raoul hurlait des ordres intimant à
Allemands et les Croix Fléchées étaient telle-
tous ceux en possession d’un passeport sué-
ment abasourdis qu’ils le laissèrent faire !1
dois de lever la main, ses assistants parcou-
Alors que la situation militaire se détério- raient en courant les rangs de prisonniers leur
rait pour les allemands, Eichmann dérouta les disant de lever la main, qu’ils disposent ou
trains circulant sur les itinéraires des camps non d’un tel document. Wallenberg « reven-
de la mort pour les affecter à la tâche plus diquait ensuite la garde de tous ceux qui
directe de transport de troupes. Toutefois, avaient levé la main et sa conduite était telle
cela voulait simplement dire pour ses victimes qu’aucun des gardes hongrois ne s’opposait à
qu’elles devaient désormais marcher jusqu’au lui. Ce qui était extraordinaire était le pouvoir
lieu de leur destruction. En novembre 1944, absolument convainquant qui se dégageait de
Eichmann ordonna les marches à la mort de son comportement », d’après Joni Moser.3
200 km et les intempéries s’ajoutèrent bientôt Nombreux furent ceux que Wallenberg
à la privation de nourriture et de sommeil aida indirectement sans même qu’ils l’aient
pour transformer les bords des routes menant jamais vu parce que, dans la mesure où on
de Budapest aux camps en gigantesque cime- parlait de ses actes, ils encourageaient l’espoir,
tière. Wallenberg fit de fréquentes visites aux le courage et l’action chez de nombreuses
points d’arrêt pour faire ce qu’il pouvait. Dans personnes qui, sinon, se sentaient impuissan-
un cas, Wallenberg annonça son arrivée avec tes à échapper à leur destruction. Il devint un
toute l’autorité dont il était capable puis, symbole du bien dans une partie du monde

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48   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

dominée par le mal et un rappel de l’existence leadership était toujours en évidence. Les Nazis
de forces cachées dans chaque esprit humain. et le parti de la Croix Fléchée ne savaient pas
Tommy Lapid avait 13 ans en 1944 quand il comment traiter un tel homme. C’était quel-
était l’une des 900 personnes s’entassant à 15 qu’un qui s’enveloppait d’un épais voile d’auto-
ou 20 par pièce dans l’une des planques suédoi- rité apparente mais totalement privé de pou-
ses. Son récit illustre non seulement des tacti- voir politique ou militaire réel. C’était un
ques représentatives du Wallenberg du meilleur homme qui était tout ce qu’ils auraient voulu
cru mais également la façon dont Wallenberg être en termes de force de caractère, si ce n’est
personnifiait l’espoir et la droiture et celle dont que leur objectif était diamétralement opposé.
son influence s’étendait à l’ensemble du pays Il est impossible de calculer avec précision
comme un flambeau pour ceux qui étaient en le nombre de personnes sauvées directement
proie au désespoir le plus profond. ou indirectement d’une mort certaine par
Un matin, un groupe de ces fascistes hongrois Raoul Wallenberg. Certains estiment ce nom-
pénétrèrent dans la maison en déclarant que toutes bre à presque 100 000 et il est possible que
les femmes valides devaient les accompagner. Nous d’innombrables autres aient survécu en partie
savions ce que cela voulait dire. Ma mère m’em- grâce à l’espoir et à la détermination que leur
brassa et je me mis à pleurer, ce qu’elle fit égale-
ment. Nous savions que nous nous quittions pour
inspirèrent son leadership et son exemple.5 Il
toujours et qu’elle me laissait là à tout égard orphe- encouragea en outre les ambassades d’autres
lin. Deux ou trois heures plus tard, à ma grande pays neutres et le bureau de la Croix Rouge
surprise, ma mère revint avec les autres femmes. Internationale à Budapest à se joindre à ses
Cela ressemblait à un mirage, un miracle. Ma mère efforts de protection des Juifs. Ce furent tou-
était là – elle était vivante, me serrait dans ses bras, tefois les jours de désespoir qui précédèrent
m’embrassait et ne dit qu’un mot : l’occupation de Budapest par les forces sovié-
« Wallenberg ». Je savais ce dont elle parlait tiques qui représentèrent pour Wallenberg le
parce que Wallenberg était légendaire chez les plus grand défi mais aussi son triomphe le
Juifs. Dans l’enfer complet et total dans lequel plus extraordinaire.
nous vivions, il y avait quelque part un ange sau- Eichmann prévoyait de terminer l’extermi-
veur perpétuellement en mouvement. Après nation des 100 000 Juifs qui restaient à Buda-
avoir retrouvé son calme, ma mère me dit qu’on pest par un énorme massacre ; s’il n’avait pas
les transportait au fleuve quand arriva une voi- le temps de les faire transporter jusqu’aux
ture dont descendit Wallenberg – et elles surent camps de la mort, il ferait de leurs propres
immédiatement qui il était parce qu’il n’y avait
quartiers des abattoirs. Pour priver les Alliés
qu’une seule personne comme lui au monde. Il
se présenta au chef des Croix Fléchées et affirma d’au moins une partie de leur victoire, il
que les femmes étaient sous sa protection. Ils le ordonnerait à quelques 500 SS et à un grand
contestèrent mais il doit avoir un charisme nombre de Croix Fléchées d’encercler le
incroyable, une grande autorité personnelle, ghetto et de massacrer les Juifs qui s’y trou-
parce qu’il ne s’appuyait sur absolument rien. Il vaient. Wallenberg entendit parler de ce com-
était là dans la rue, se sentant probablement plot grâce à son réseau de contacts et essaya
l’homme plus solitaire du monde, essayant de d’intimider certaines autorités subalternes
prétendre qu’il était investi d’une autorité. Ils pour qu’elles reconsidèrent ce plan mais, avec
auraient pu l’abattre directement dans la rue et la présence des Soviétiques à proximité, nom-
on n’en aurait rien su. Au lieu de cela, ils cédè-
breux étaient ceux qui ne se souciaient plus
rent et libérèrent les femmes.4
de ce qui leur arrivait. Son seul espoir, et celui
Pratiquement seul en plein territoire des 100 000 Juifs survivants, était représenté
ennemi, incroyablement isolé et désarmé, Wal- par le commandant de l’ensemble des troupes
lenberg accomplissait quotidiennement des SS, le général August Schmidthuber.
miracles. Ses armes étaient le courage, l’assu- Wallenberg fit parvenir à Schmidthuber un
rance, l’ingéniosité, la compréhension de ses message lui disant que, si le massacre avait lieu,
adversaires et la capacité à encourager les il ferait en sorte que Schmidthuber soit tenu
autres à atteindre les objectifs qu’il fixait. Son pour personnellement responsable et pendu

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EFFET WALLENBERG    49

comme criminel de guerre. Le bluff réussit. Le L’arbre immortalisant Raoul Wallenberg est
massacre fut annulé et la ville fut abandonnée accompagné d’une médaille. Cette médaille
par les Nazi peu de temps après lorsque les est dans la langue du Talmud et résume sa mis-
troupes soviétiques y entrèrent. C’est ainsi que sion en ces termes : « Quand quelqu’un sauve
des dizaines de milliers de personnes furent un seul être, c’est comme s’il avait sauvé le
sauvées à l’occasion de ce seul incident. monde entier. »
Toutefois, alors que la paix s’installait en Le président de Yad Vashem, Gidéon Hausner,
Europe, le destin de Wallenberg prit une tour- qui était également le procureur lors du procès
nure très différente. Il disparut et toute la vérité d’Adolf Eichmann, résuma ainsi ses sentiments
sur ce qui lui arriva reste aujourd’hui à faire envers Raoul Wallenberg :
[Note de l’éditeur : voir l’addendum à cet arti- Voici un homme qui avait le choix de rester à
cle]. D’après diverses sources, toutefois, les l’abri en Suède neutre quand le nazisme régnait
choses semblent s’être déroulées comme suit. en Europe. Au lieu de cela, il quitta ce havre de
Les Soviétiques arrêtèrent Wallenberg lors- paix et se rendit dans ce qui était alors l’un des
qu’ils occupèrent Budapest, probablement endroits les plus dangereux en Europe, la Hon-
parce qu’ils le soupçonnaient d’être un espion grie. Et pour quoi faire ? Pour sauver des Juifs. Il
antisoviétique. Pendant une décennie, ils niè- gagna son combat et je pense qu’à notre épo-
que, dans laquelle il y a si peu de choses en les-
rent avoir joué un rôle quelconque dans sa
quelles croire – si peu de choses avec lesquelles
disparition. Ils admirent ensuite l’avoir incar- nos jeunes peuvent identifier leurs espoirs et
céré mais prétendirent qu’il était mort en leurs idéaux – il est quelqu’un qu’il faut présen-
prison d’une crise cardiaque en 1947, à l’âge ter au monde, qui ne connaît pratiquement
de 35 ans. Depuis lors, toutefois, de nombreu- rien de lui. C’est la raison pour laquelle je crois
ses personnes qui firent de la prison en Union que l’histoire de Raoul Wallenberg devrait être
Soviétique ont déclaré avoir vu Wallenberg, racontée et son personnage, dans toute sa
lui avoir parlé ou avoir communiqué avec lui gloire, projeté dans l’esprit humain.7
par voie de tapotements codés. D’autres Nous pouvons tous tirer de nombreux
entendirent parler de lui et de sa présence enseignements de la vie de Raoul Wallenberg.
dans les prisons mais sans contact direct. Les Quel que soit notre âge, nous avons tous
Soviétiques ont nié la véracité de tous ces besoin de héros, de modèles, de gens qui nous
témoignages et n’ont jamais dévié de leur rappellent que l’homme a un potentiel
position officielle. Toutefois, des fonctionnai- immense de faire le bien au milieu du mal.
res soviétiques rencontrèrent en 1989 des C’est ce que reconnut le Congrès des Etats-
membres de la famille Wallenberg et leur Unis lorsqu’il fit de Wallenberg la seconde
remirent certains de ses effets personnels. personne seulement, aux côtés de Winston
Une enquête sérieuse fut soi-disant lancée Churchill, à jamais se voir conférer le titre de
pour s’efforcer de déterminer la vérité. Il citoyen honoraire des Etats-Unis. A cette
reste à voir si les années et les prisons ne livre- occasion, un commentateur de la télévision
ront jamais leurs secrets. parla pour des millions lorsqu’il déclara «
Il y a aujourd’hui en Israël une plantation c’est grâce à des gens comme Raoul Wallen-
d’arbres réalisée par l’Autorité du Souvenir berg que la vie vaut la peine d’être vécue. »
des Martyrs et des Héros, ou Yad Vashem. Elle Les leaders à tous les niveaux peuvent utili-
est connue sous le nom d’Avenue des Ver- ser la vie et l’exemple de Wallenberg pour
tueux et chaque arbre immortalise un Gentil accroître leur capacité à inspirer, motiver et
vertueux, quelqu’un qui risqua sa vie pour réussir. Le leadership est difficile à définir
aider des Juifs pendant l’Holocauste. Les mais vous le reconnaissez quand vous le voyez.
arbres représentent un hommage silencieux Lorsqu’on regarde le travail héroïque accom-
à ceux qui, pour citer un ancien président du pli par Wallenberg en Hongrie, on voit le lea-
parlement israélien, « sauvèrent non seulement dership en action. Nous allons maintenant
les Juifs mais l’honneur de l’humanité. »6 examiner de plus prêt son style de leadership.

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Ce que nous appellerons l’effet Wallenberg a raison pour laquelle il demanda aux Alliés et
plusieurs éléments qui peuvent être adaptés et obtint de ceux-ci l’autorisation d’utiliser la
incorporés au style et à la situation personnels duperie, la corruption et les menaces, ainsi
de chaque leader. que d’invoquer l’immunité suédoise selon le
besoin. Il évoluait dans un environnement où
Connaissance de telles tactiques étaient la règle plutôt que
l’exception ; elles donnaient de bons résultats
Le succès de Wallenberg fut basé largement pour d’autres et il savait qu’il pourrait faire en
sur la connaissance – de ses ennemis, des res- sorte qu’il en soit de même pour lui. En tant
sources dont disposaient les deux camps, des que leader, Wallenberg était aux premières
limites quant à ce qui était acceptable et de loges au lieu de se cacher derrière un bureau
lui-même. Ces informations permettent à un ou l’inertie bureaucratique. Il faisait preuve
leader de comprendre chaque situation dans d’initiative. Il répondait à un besoin évident
un contexte qui autorisera une ligne de avec imagination et créativité. Il comprenait
conduite raisonnée. C’est la raison pour ce que sa tâche impliquait et en acceptait tota-
laquelle la connaissance des faits et des détails lement les conséquences.
importants qui entourent les problèmes a tou- Enfin, il se connaissait lui-même. Il avait la
jours fait et fera toujours partie intégrante de notion de ses talents et de ses faiblesses et de la
la capacité d’un leader à prendre des déci- façon dont ils se comparaient à ceux de ses
sions et à résoudre les problèmes. adversaires. Ainsi, pour faire ce qu’il lui aurait
Les types traditionnels d’informations été impossible d’accomplir par la force mili-
recueillies, tels que les actions planifiées, la taire ou la violence physique, il eut recours à la
position, les mouvements, les effectifs, le type bravade, à l’intimidation et à l’illusion. Toute
et la situation des circonstances, ainsi que la autre tactique aurait conduit à une défaite
disponibilité des ressources matérielles sont écrasante. Cela ne veut pas dire que les leaders
évidemment importants. Wallenberg prouva devraient toujours se comporter de cette
toutefois l’utilité d’informations plus subtiles. manière mais suggère simplement que les stra-
Parce qu’il comprenait la pensée et les senti- tégies employées par Wallenberg étaient essen-
ments de ses ennemis, parce qu’il saisissait ce tielles pour atteindre son objectif dans les
qui les motivait, il savait comment réagir à conditions les plus extraordinaires et qu’ils les
chaque situation individuelle. Il connaissait le avaient choisies en comprenant parfaitement
respect absolu de l’autorité et la crainte des les alternatives et leurs conséquences.
détenteurs du pouvoir qui faisaient partie de L’effet Wallenberg suggère essentiellement
la mentalité des Nazis et du parti de la Croix que, pour devenir un leader accompli, vous
Fléchée. Cela lui permit de les tromper avec devez d’abord devenir vous-même, apprendre
ses faux passeports et avec son air officiel pour qui vous êtes et ce que sont vos convictions.
obtenir d’excellents résultats apparemment Implicite dans cette notion est la théorie de la
inaccessibles. Wallenberg avait une présence découverte de soi, de la mise en communication
imposante, qui est l’une des marques d’un avec soi-même. Wallenberg nous enseigne que
leader efficace, mais cette présence était ren- la venue à maturité en tant que leader implique
forcée par une connaissance de la façon dont de réfléchir sur soi-même, de relativiser ses
il serait perçu par ses adversaires. valeurs, de penser à la tâche à accomplir et d’en-
Il comprenait également les règles du jeu courager les autres à la mener à bien. Le travail
auquel il participait telles qu’elles s’appli- accompli par Wallenberg en Hongrie témoigne
quaient à lui-même, à ses associés et à leurs du fait que les leaders sont des fantassins qui se
adversaires. Wallenberg avait effectivement battent pour les idéaux en lesquels ils croient et
beaucoup d’un leader situationnel. Il était que le leadership concerne beaucoup moins
capable d’adapter son comportement pour l’utilisation d’autres personnes qu’être à leur
répondre aux exigences des circonstances service. Platon a dit que « l’homme est un être
uniques auxquelles il était confronté. C’est la en quête de signification. » Rendre service est

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EFFET WALLENBERG    51

essentiellement la clé d’un leadership efficace, sentiment d’avoir une mission et être sincère-
qui peut à son tour résulter en réussites signifi- ment convaincus de l’importance de leur
catives. Raoul Wallenberg se trouva lui-même et objectif. Rien de moins n’a le pouvoir néces-
découvrit la signification de sa vie en la perdant saire pour motiver les leaders ou leurs parti-
au service des autres. sans à pousser les limites de leurs capacités.
L’acquisition d’une connaissance approfon- Un engagement total ne résulte que d’une
die de soi-même et des autres demande beau- conviction absolue quant à l’importance et à
coup de travail. Ce n’est pas quelque chose que la légitimité de l’objectif.
l’on peut obtenir de la seule étude livresque. Ce sens moral de la mission naît d’une vie
Elle se développe le mieux via l’introspection d’étude et d’expérience consacrée au déve-
personnelle, l’interaction humaine et la remon- loppement de valeurs. L’expérience Wallen-
tée de l’information, ainsi que par le recours berg nous enseigne toutefois que beaucoup
aux expériences de la vie, aux observations et à peut être accompli en peu de temps pour
l’analyse. Elle implique une abondance de bon communiquer les principes sur lesquels un
sens et une perspective réaliste. Mais son ren- objectif donné est basé. Tous les leaders
dement est élevé ; elle rapporte des dividendes devraient étudier les grandes œuvres fonda-
considérables aux leaders qui prennent le mentales de leur pays pour se familiariser avec
temps et font l’effort supplémentaire d’aller les luttes que durent mener les générations
sous la surface pour découvrir ce qui motive précédentes, y réfléchir, en faire des parties
une personne parce que la vie et ses activités intégrantes de leur être, déterminer comment
font toutes partie de l’expérience humaine. Au les appliquer à la situation à laquelle ils sont
fond, c’est entièrement une question de per- confrontés puis en transmettre les principes
sonnes et le leader qui comprend les gens est clés à leurs partisans. L’histoire et la philoso-
préparé pour la victoire. phie forment les fondements du mode de vie
pour lequel les gens vivent et meurent. Si les
Objectif valeurs ne sont considérées que relatives, s’il
n’y a pas de vrai ni de faux, si un système de
Tout leader doit en permanence garder à l’es-
gouvernement est moralement équivalent à
prit un objectif clair et précis, une destination
tous les autres, rien ne vaut la peine d’un
vers laquelle toutes les actions sont dirigées.
sacrifice. Le leader devra alors s’en tenir à des
Lorsque le leader dit « en avant, marche ! », tout
appels à l’orgueil local et à l’intérêt personnel
le monde doit savoir dans quel sens est l’avant.
pour essayer d’encourager l’excellence. Le
Si le leader n’a aucun sens de direction, ceux
résultat sera souvent un effort sans conviction –
qui le suivent se retrouveront à une certaine
et l’échec.
distance de l’objectif, comme des explorateurs
sans boussole ni étoile pour les guider.
Ingéniosité
Intimement liée à l’objectif est la vision,
qui implique la possession d’un sens aigu du Lorsque seule une obéissance incondition-
possible. Tous les leaders efficaces possèdent nelle est appréciée et que seule une stricte
cette capacité ; ils sont capables de concentrer adhésion à des procédures rigides est permise,
leur attention comme un laser sur la tâche à les conséquences sont la rigidité et la prévisi-
accomplir, apercevant l’objectif comme au bilité. Toutefois, pour réussir en tant que lea-
travers d’un puissant télescope. der, voire même pour survivre dans un envi-
Wallenberg illustre le principe selon lequel ronnement dangereux en changement
un objectif clairement défini est absolument constant, la créativité et la faculté d’adapta-
essentiel en tant que point de convergence de tion sont essentielles. C’est alors que les lea-
nos énergies. La tâche qu’il accomplit en ders doivent appliquer leur connaissance
Hongrie suggère qu’un leadership efficace fondamentale à l’objectif à atteindre et élabo-
n’est pas neutre ni stérile mais profondément rer des solutions, même dans les situations où
émotionnel et que les leaders doivent avoir le n’existe aucune réponse parfaite.

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Wallenberg savait qu’il ne disposait de pra- humains en sont réduits à être des automates
tiquement aucune ressource tangible et que programmés seulement pour échouer.
de quelques alliés. Il connaissait également le L’ingéniosité doit se nourrir d’information.
type de personne qui lui bloquait le passage. L’objectif établi ainsi que les outils et procé-
Et c’est ainsi que, grâce à des bouts de papier dures disponibles constituent la matière pre-
ainsi qu’à un surplus de courage et de person- mière de toute action de leadership. Il est
nalité, il intimida et défit maintes fois des toutefois possible d’obtenir des résultats signi-
ennemis qui semblaient invincibles. La supé- ficatifs lorsque les leaders réagissent au-delà
riorité en nombre des Nazis et la force de leurs des méthodes et considèrent le statu quo
armes se révélèrent impuissantes lorsqu’elles comme un plancher plutôt que comme un
furent confrontées à un homme qui connais- plafond. Les leaders doivent être évalués sur
sait leur jeu mieux qu’eux et pouvait réfléchir la base de ce qu’ils accomplissent. Ce sont les
plus vite qu’eux. résultats qui comptent, pas une adhésion
Lors de toutes ses aventures en Hongrie, convenue aux précédents. Wallenberg était
Wallenberg eut l’audace de s’accepter comme un gagneur ; il opérait par objectifs. Comme
un ensemble de possibilités et se lança hardi- lui, nous pouvons faire plus avec moins quand
ment dans le jeu consistant à tirer un maxi- nous réfléchissons avec créativité et ne nous
mum de ce qu’il avait de mieux à offrir. Wal- limitons pas à ce qui a déjà été fait. Les chefs
lenberg nous enseigne que le leader n’est pas militaires sont souvent critiqués pour prépa-
un surhomme mais simplement un être rer la dernière guerre. Les meilleurs leaders
humain exploitant toutes ses capacités. Les pensent à tous les moyens possibles d’utilisa-
leaders efficaces sont conscients de leurs pos- tion ou de modification des ressources dispo-
sibilités. Erich Fromm a dit que ce qui est nibles pour atteindre l’objectif, ainsi qu’à la
dommage dans la vie d’aujourd’hui, c’est que façon dont l’opposition pourrait en faire de
la plupart d’entre nous mourront avant d’être même. Qui aurait cru, par exemple, que le
complètement nés. Les leaders tels que Wal- silicium, c’est-à-dire le sable ordinaire, serait à
lenberg ne sont pas simplement des observa- la base du phénomène des puces de micro-
teurs de la vie mais des participants actifs. Ils ordinateur et révolutionnerait la société
prennent les risques calculés qu’exigent moderne ? Voir chaque problème sous des
l’exercice du leadership et l’essai de ce qui n’a perspectives différentes, c’est multiplier les
jamais été mis à l’épreuve. Cela peut surpren- solutions possibles et ouvrir la porte à des vic-
dre (et la plupart des leaders en herbe ne le toires qui seraient inconcevables si on s’en
réalisent pas) mais la plupart des échecs sont tenait à la sagesse populaire.
rencontrés par des gens qui bloquent littérale-
ment leur propre passage, empêchant leur Confiance
propre progression. Wallenberg ne bloqua Les leaders créent un environnement dans
jamais son propre passage ; au contraire, il en lequel les idées peuvent s’épanouir et voir le
créa des nouveaux à des points où les autres jour. Pour ce faire, les leaders doivent être
ne voyaient que des murs impénétrables et, ce sûrs d’eux-mêmes et avoir foi en eux-mêmes
faisant, put motiver les autres à en faire autant. et en les autres. Les gens occupant des postes
Il était un dispensateur d’espoir dans un envi- de responsabilité doivent avoir un sens solide
ronnement rempli de désespoir. de leurs capacités. Cela leur rend bien service
L’histoire est pleine d’exemples dans les- aux heures de désarroi, qui attendent inévita-
quels des forces moins nombreuses et militaire- blement ceux qui aspirent à diriger. La façon
ment inférieures triomphèrent d’une stratégie dont les gens se ressentent affecte pratique-
et de tactiques supérieures. L’ingéniosité rend ment tous les aspects de leur vie. L’amour-pro-
la surprise possible tout en permettant une pre, qui dérive d’un sens de confiance en soi,
adaptation et une réaction rapides aux actions devient ainsi la clé du succès ou de l’échec.
d’un adversaire. Sans faculté d’adaptation, les Les leaders tels que Wallenberg défient en fait

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EFFET WALLENBERG    53

la loi des moyennes et sont victorieux parce encouragera leurs adversaires. Il finira par
qu’ils attendent d’eux-mêmes le succès. contribuer à la défaite et à l’échec.
Un ingrédient indispensable du succès de Wallenberg nous enseigne qu’il est impor-
Wallenberg était une assurance presque tangi- tant pour chaque leader de se convaincre du
ble. Il rayonnait la certitude, le calme et l’auto- mérite de la mission à un niveau profondé-
rité, ce qui donnait la vie à ses actions par ment ressenti. Même lorsque l’objectif immé-
ailleurs téméraires. Il contraignit ses ennemis à diat semble discutable, le leader doit trouver
accepter comme passeports valides des articles une justification dans quelque valeur indiscu-
tels que cartes de bibliothèque, tickets de blan- table telle que le soutien de l’honneur du
chisserie, voire même rien du tout… et il le fit pays. Cette conviction doit ensuite fortifier
en insufflant la force même de sa personnalité toutes les actions du leader. Wallenberg est un
à toutes ses actions. Grâce à son aura de convic- exemple clair du fait que, quand un leader
tion, il encouragea également des gens qui, dégage une impression de calme confiance
dans bien des cas, s’étaient déjà résignés à être en soi, d’assurance et d’esprit de décision, ses
exécutés à se joindre à ses actions et à se sauver partisans seront inspirés et son opposition
eux-mêmes ainsi que d’autres. sera affaiblie. Les leaders ont été décrits
Certains soutiennent que la qualité indéfi- comme « forts, puissants, irrésistibles et charisma-
nissable que nous appelons le charisme est un tiques » mais quelles que puissent être leurs
don dont certaines personnes jouissent dès autres caractéristiques, il ne fait aucun doute
leur naissance mais, même si c’est vrai, cha- qu’ils sont sûrs d’eux et que, s’appuyant sur
cun peut cultiver une attitude positive et un cette confiance en eux-mêmes, ils sont capa-
air d’assurance dans les limites de sa propre bles de mobiliser et d’encourager des indivi-
personnalité. dus et des groupes à réaliser leurs propres
Cet aspect propre au leadership tend à se rêves et objectifs personnels.
développer comme une conséquence naturelle
des qualités examinées précédemment. Au fur Courage
et à mesure que les leaders apprennent des Lorsqu’un sens de la mission devient suffi-
détails sur eux-mêmes et leur opposition, ils samment fort pour motiver les gens à agir,
identifient leurs forces et faiblesses respectives même devant le danger personnel voire une
et élaborent une stratégie créative visant à mort certaine, c’est de courage qu’il s’agit. Il
pointer leurs meilleurs atouts sur les plus gran- n’est pas nécessaire d’être intrépide pour être
des vulnérabilités de leurs adversaires. Wallen- courageux ; il est naturel et bon d’avoir peur
berg comprenait, comme le faisait Napoléon, quand on est confronté à de vrais risques
que « la stratégie est un art simple, elle n’est mais, tant que cette crainte n’est pas paraly-
qu’une question d’exécution. » Lorsque les sante, c’est au courage qu’on a affaire.
leaders agissent depuis une position avanta- Wallenberg savait qu’il entrait dans une
geuse, ils sont confiants quant à leurs chances fosse aux lions quand il accepta sa mission en
de l’emporter… et cette confiance sera perçue Hongrie. Il ignora à d’innombrables reprises
par les amis comme par les ennemis. les soldats en armes et même les balles qui
Les actions des leaders seront en outre sifflaient pour poursuivre ses opérations de
focalisées sur un objectif dont les leaders sont sauvetage. Il eut l’audace de menacer des offi-
convaincus qu’il est juste. Ce sens du carac- ciers nazis de haut rang, qui avaient fait la
tère juste de la cause renforce également la preuve de leur volonté de massacrer d’inno-
détermination. Par contre, lorsque les leaders cents civils, à plus forte raison des opposants
ne croient pas en la vertu de leurs actions, ils gênants, dans des situations dans lesquelles ils
manquent de détermination et sont freinés auraient pu facilement le tuer. Bien que crai-
par le doute d’eux-mêmes. Un tel manque de gnant constamment pour sa vie, il alla de
certitude sera apparent pour les autres, ce qui l’avant, risquant et en fin de compte sacrifiant
sapera la confiance de leurs partisans et sa propre vie pour accomplir sa mission.

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Peut-on apprendre le courage ? On peut, Peu de leaders auront jamais la chance


dans la mesure où le développement d’une pro- d’aider autant de gens que le fit Raoul Wal-
fonde dévotion à une cause pousse une per- lenberg. Pourtant, chaque victoire est infini-
sonne à agir en faveur de cette cause. Ce type de ment précieuse pour ceux dont l’avenir a été
croyance fondamentale en la valeur de la mis- épargné. Ils ou elles, ainsi que leurs enfants,
sion est essentiel pour cultiver le courage. leurs petits-enfants, l’ensemble de leur posté-
Si l’intérêt personnel était l’élément rité et tous ceux dont ils ou elles toucheront
moteur le plus important, l’abnégation serait la vie, doivent leur existence à ce moment où,
hors de question. Seule une profonde convic- en l’espace d’un battement de cœur, quel-
tion selon laquelle il y a un plus grand bien qu’un décida d’agir en dépit des dangers.
que le moi, peut inciter une personne à tout Même si les conditions peuvent être différen-
risquer pour les autres. L’abnégation et le tes, les enseignements en termes de leadership
courage de prendre ces risques représentent dont l’effet Wallenberg apporte la preuve
l’antithèse de la philosophie de la génération devraient se révéler utiles pour tous ceux qui
du moi. Lorsqu’on accorde à la vie ou à la aspirent à assurer un leadership plus efficace.
liberté des autres une plus grande valeur qu’à Si l’on sait se montrer patient, on peut le
sa propre vie, le vrai courage peut susciter des transférer et l’appliquer aux problèmes quoti-
réussites remarquables. diens de leadership, que ce soit au niveau des
La vie de Wallenberg peut aider d’autres pays ou des individus. Comme la médaille de
personnes à former une série de constella- Wallenberg en témoigne, « Quand quelqu’un
tions leur permettant d’organiser avec succès sauve un seul être, c’est comme s’il avait sauvé
leurs propres contributions au profit de l’hu- le monde entier. »  ❑
manité. Un élément clé de ce que nous appe-
lons l’effet Wallenberg est l’idée suivante : ne
Notes
capitulez pas devant la vie ni ses défis. Soyez
fin prêt ! Acceptez votre responsabilité et, par 1.  J. Bierman, Righteous Gentile (Un gentil vertueux),
la même occasion, faites la différence. (New York: Viking Press, 1981), 91.
Pour certains, la vie est comme la météo ; 2.  K. Marton, Wallenberg (New York: Random House,
ils ne peuvent que la subir. Mais pour ceux qui 1982), 110–11.
3.  Bierman, 90.
font une démonstration de l’effet Wallenberg
4.  Ibid., 88–89.
(un leadership héroïque dans des conditions 5.  Chambre des Représentants, Human Rights in Eas-
défavorables), la vie est un grand voyage dans tern Europe and the Soviet Union (Les droits de l’homme en
la réussite de l’humanité. Wallenberg, comme Europe orientale et en Union Soviétique), 96e Congrès,
les arbres de l’avenue des Vertueux, garde la 1980.
tête haute dans les annales de l’humanité de 6.  Bierman, viii.
l’homme envers l’homme. 7.  Ibid., viii–ix.

ADDENDUM
Extrait de USA Today, jeudi 21 mars 1991
AFFAIRE WALLENBERG : L’Union Soviétique a remis à la Suède 70 documents jus-
qu’alors secrets relatifs au diplomate suédois disparu Raoul Wallenberg. Wallenberg, qui
sauva des milliers de Juifs hongrois des camps de la mort nazis, disparut après l’entrée des
troupes soviétiques à Budapest lors des derniers jours de la seconde guerre mondiale. La
radio suédoise et les documents confirmeraient l’assertion des Soviétiques selon laquelle
Wallenberg mourut d’une crise cardiaque dans une prison moscovite en 1947.

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Un modèle de leadership situationnel
pour les chefs militaires
par le colonel Donald E. Waddell III

Le colonel Donald Waddell III est professeur d’études du Commandement à l’Ecole de guerre aérienne
(Air War College). Il est pilote de chasse de carrière, avec à son actif plus de 2 500 heures de vol sur F-4
et F-15. Le colonel Waddell a occupé un certain nombre de postes de commandement supérieur, y compris
ceux de commandant de l’escadre 7100 d’appui tactique et de commandant adjoint puis de commandant
de la 17e force aérienne. Il est diplômé avec mention de l’Air Command and Staff College et diplômé du
Industrial College of the Armed Forces.

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Le leadership reste le plus déroutant des arts… tant que nous ne savons pas exactement ce qui
fait sortir les hommes d’un trou dans le sol et avancer au devant de la mort sur un simple mot
d’un autre homme, le leadership restera l’une des plus grandes et des plus indéfinissables quali-
tés. Il restera un art.
James L. Stokesbury

L
’art auquel Stokesbury fait allusion est Evolution de la théorie du
un sujet étudié plus sérieusement
dans les écoles militaires que dans les leadership
établissements civils. Compte tenu de Comme toile de fond, nous devrions
la nature cruciale de notre métier et de l’im- d’abord passer en revue l’évolution de la
portance des forces armées pour la survie d’un théorie du leadership au cours du siècle der-
pays, cela ne devrait surprendre personne. Ce nier. Pratiquement toute la théorie du lea-
qui toutefois est surprenant est que la plupart dership est basée sur l’importance relative
des établissements d’enseignement profession- accordée au leader par rapport aux exécu-
nel militaire (Professional Military Education – tants pour l’accomplissement de la mission.
PME) de l’armée de l’Air s’en remettent pres- Ceux qui pensent que les leaders sont suffi-
que exclusivement au modèle de leadership samment éclairés ou héroïques1 (pour repren-
situationnel à orientation civile de Paul Hersey dre les termes de Morris Janowitz) citent les
et Kenneth Blanchard pour enseigner le com- exemples de leaders hardis, plus vrais que
mandement et la gestion militaires. nature, tels que Napoléon, Alexandre le Grand
Même si le modèle de Hersey et Blanchard et Frédéric le Grand, et sont favorables au
est utile, il présente certaines limitations signi- modèle autoritaire de leadership. Ceux qui
ficatives. Il réussit en particulier à mettre en font plus confiance à la maturité, aux capaci-
lumière le style de leadership approprié basé tés et à l’intuition des exécutants sont favora-
sur la maturité ou le niveau de développement des bles au modèle démocratique.
exécutants mais n’aborde pas suffisamment Notre perspective du leadership en termes
d’autres considérations militaires telles que le de rôles respectifs du leader et des exécutants
niveau auquel le leadership est exercé ; les a changé de manière spectaculaire au siècle
différents styles qui peuvent s’avérer nécessai- dernier. Au dix-neuvième siècle, la révolution
res par suite des exigences du combat ; la industrielle avait conduit de nombreux Amé-
direction d’un état-major comparée au com- ricains à quitter les zones rurales pour la ville,
mandement opérationnel ou les différents où l’industrie produisait une richesse sans
styles adaptés au commandement d’une précédent aux dépens des travailleurs. Les
Arme, de forces interarmées ou multinationa- conditions de travail étaient épouvantables et
les. Le présent article a pour objet de suggérer la direction régnait en tyran, jouissant de
un autre modèle de leadership utile pour l’énorme pouvoir d’embaucher, de licencier
modéliser des situations de leadership pro- et, de façon générale, d’imposer les condi-
pres aux forces armées. Bien que ce modèle tions de travail. Lorsque commença le ving-
figure au programme d’études de l’Ecole de tième siècle, nous étions focalisés presque
guerre aérienne (Air War College – AWC), il a exclusivement sur une théorie du leadership
de nombreuses applications et est particuliè- privilégiant le leader qui exprimait une piètre
rement bien adapté aux officiers en milieu de opinion de la motivation, de la maturité et des
carrière confrontés à la transition entre le capacités des exécutants. Dans les premières
niveau de l’unité et les postes de commande- années du vingtième siècle, les lois sur le tra-
ment impliquant un personnel plus nom- vail des enfants et le syndicalisme contribuè-
breux et des missions plus complexes. rent à améliorer les conditions de travail en

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LEADERSHIP SITUATIONNEL   57

Amérique mais également à exacerber la dis- employés se révéla moins sensible au change-
corde entre la direction et la main d’œuvre – le ment des conditions d’éclairage qu’à la per-
leader et les exécutants. Les forces armées, ception de la part des employés selon laquelle
longtemps un bastion des leaders autoritaires, la direction était intéressée par l’étude de leur
conservaient elles aussi un style de leadership comportement. Hersey et Blanchard firent
essentiellement autoritaire. observer que
Au début du siècle, toutefois, les spécialis- La fonction du leader aux termes de la théorie
tes des sciences sociales commencèrent à s’in- des relations humaines était de faciliter la réalisa-
téresser au travailleur dans le but d’améliorer tion d’un objectif conjoint parmi les exécutants
la production. Dans leur ouvrage Management tout en offrant à ceux-ci des chances d’épanouis-
of Organizational Behavior: Utilizing Human sement personnel. Contrairement à la théorie de
Resources (Gestion du comportement de l’or- la gestion scientifique, l’accent était mis principa-
ganisation : L’utilisation des ressources humai- lement sur les besoins individuels, pas sur ceux
nes), Hersey et Blanchard font un excellent de l’organisation. Le mouvement de la gestion
travail de suivi de l’évolution de la théorie du scientifique se préoccupait essentiellement de la
tâche (production), alors que celui des relations
leadership au cours du vingtième siècle. Leur
humaines le faisait de la communication (per-
schéma du « continuum du comportement de sonnel). C’est la reconnaissance de ces deux
leader »2, adapté pour être utilisé dans cet préoccupations qui a caractérisé ce qui a été écrit
article, illustre la façon dont toute la théorie sur le leadership depuis l’apparition de l’opposi-
du leadership est basée sur l’accent relatif mis tion entre l’école de la gestion scientifique et
sur les exécutants et le leader. celle des relations humaines.4
Hersey et Blanchard décrivent la façon
dont la théorie du leadership a évolué depuis La grande dépression et la seconde guerre
mondiale entraînèrent une interruption des
les travaux de Frederick Winslow Taylor, dont
recherches sur le leadership dans les organisa-
le mouvement de gestion scientifique se pro-
tions mais juste après cette guerre jusque dans
posait lors des premières années du vingtième
les années 60, d’autres commencèrent à exa-
siècle d’améliorer la production via un accrois-
miner sérieusement l’interaction entre leader
sement de la productivité du travail en menant
et exécutants. Les études menées par les uni-
des études des temps et des mouvements.
versités de l’état de l’Ohio, du Michigan et de
Dans leur ouvrage, Hersey et Blanchard font
l’Iowa traitèrent toutes du rôle joué par le lea-
observer que
der dans l’équilibre entre les exigences
La fonction du leader aux termes de la gestion concurrentes de la mission (orientation des
scientifique ou de la théorie classique était tâches) et de l’employé (comportement de
manifestement d’établir et d’appliquer les critè- communication). Chaque étude élabora des
res de rendement permettant d’atteindre les termes nouveaux pour décrire son orientation
objectifs de l’organisation. Un leader se focali-
particulière mais la question fondamentale
sait principalement sur les besoins de l’organisa-
tion, pas sur ceux de l’individu.3
dans chaque cas était l’autorité relative confé-
rée à l’employé ou aux exécutants.
Sous l’impulsion d’Elton Mayo, le mouve- L’une des études les plus récentes, la théorie
ment des relations humaines devint dominant X et la théorie Y de Douglas McGregor, offre
dans les années 20. Ce mouvement visait à un cadre utile pour l’analyse de l’attitude d’un
prendre en considération les besoins et la leader vis-à-vis de ses exécutants. Dans la théo-
motivation des employés pour augmenter la rie X, les leaders présument que les exécutants
production. L’étude la plus connue de Mayo sont insuffisamment mûrs ou motivés pour se
fut l’expérience Hawthorne menée dans la voir accorder une grande autonomie. La théo-
société Western Electric. Lors de cette étude, on rie Y, au contraire, présume juste l’inverse.
fit varier les conditions d’éclairage pour obser- Quant à Hersey et Blanchard, concluant
ver l’effet de cette action sur la productivité. qu’aucune théorie du leadership n’est tout à
De façon surprenante, la productivité des fait correcte, élaborèrent le modèle de leader-

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58   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

ship situationnel. Aux termes de ce modèle, le ou un environnement particulier. » Dans


style de leadership utilisé dépend principale- Management of Organizational Behavior, Hersey
ment de la maturité des exécutants. et Blanchard suggérèrent que la modification
En résumé, la substance de ces études et précédente de la définition donnée par l’ar-
théories reflète une évolution progressive mée de l’Air pourrait être appropriée. Ils
d’un style de leadership autoritaire basé sur notèrent qu’« il n’y a pas de style ou stimulus
une orientation vers la théorie X à une orien- de leadership supérieur aux autres. Tout style
tation démocratique qui s’efforce de motiver de leadership peut être efficace ou ne pas
l’employé pour qu’il ait la sensation d’appor- l’être suivant la réaction qu’attire ce style dans
ter une contribution à l’organisation. Cette une situation particulière. » Ils en concluent
évolution a récemment abouti au développe- que « les études empiriques tendent à mon-
ment de la TQM et d’une armée de l’Air de trer qu’il n’existe pas de style normatif (supé-
qualité (Quality Air Force – QAF) qui s’efforce rieur aux autres). Les leaders efficaces adap-
d’émanciper l’employé. D’après la philoso- tent leur comportement pour répondre aux
phie de la qualité totale, « nos leaders doivent besoins de ceux qui les suivent et à l’environ-
faire face au défi que représentent l’inversion nement particulier. »9 (C’est moi qui insiste)
de la pyramide de l’organisation et le change- Dans son introduction à The Mask of Com-
ment du rôle du leader ou du gestionnaire mand (Le masque du commandement), John
insistant plus sur la fonction de soutien et Keegan fit allusion à une pensée similaire lors-
d’émancipation. »6 Comparé au modèle fran- qu’il parla de « la particularité du leadership »
chement autocratique des forces armées amé- ou de la nécessité d’étudier et de comprendre
ricaines dans le passé, l’approche de TQ du le leadership « dans son contexte. »10 Le
leadership est un système orienté vers les exé- modèle suivant insiste sur les éléments du lea-
cutants autant que cela est pratiquement pos- dership identifiés dans la définition donnée
sible. Le général John M. Loh, chef du com- par l’AFP 35-49 (leader, exécutant, mission)
mandement du Combat aérien (Air Combat tels qu’ils sont influencés par la situation ou le
Command – ACC) et partisan de la QAF, énonça contexte dans lequel le leadership est exercé.
le chemin que nous avons parcouru depuis le Ce sont les exécutants, pas le leader, qui
début du vingtième siècle lorsqu’il déclara à font réellement le travail et accomplissent la
propos de l’environnement de QAF que « per- mission. Même s’il se peut que le leader se
sonne dans mon organisation n’est plus salisse les mains de temps en temps, ce sont les
important que les autres. »7 exécutants qui font le travail. Ce sont égale-
ment les exécutants qui assurent au profit du
leader la remontée de l’information sur la
Le modèle de l’Ecole de progression de l’accomplissement de la mis-
guerre aérienne sion. C’est la raison, entre autres, pour laquelle
la communication entre leader et exécutants
Le modèle de l’Ecole de guerre aérienne doit circuler librement, autant que possible
est conçu pour décrire le leadership situation- sans être gênée par des obstacles administra-
nel dans un contexte militaire, bien qu’il soit tifs ni des barrières psychologiques.
applicable à d’autres circonstances. Nous pou- La communication entre leader et exécu-
vons commencer à bâtir ce modèle en exami- tants doit se faire sous forme de dialogue, pas
nant la définition du leadership. Aux termes de monologue. De nombreux spécialistes ont
de la brochure de l’armée de l’Air (Air Force suggéré que le facteur crucial de détermina-
Pamphlet – FP) 35-49, Air Force Leadership (Le tion de l’efficacité de ces rapports est la com-
leadership dans l’armée de l’Air), « Le lea- munication. « Le Congrès peut créer un géné-
dership est l’art d’influencer et de diriger les ral », fit un jour observer le général Omar
gens (les exécutants) pour qu’ils accomplis- Bradley, « mais seule la communication peut
sent la mission. »8 J’ajouterais « pour qu’ils faire de lui un commandant. »11 Comme l’a
accomplissent la mission dans une situation noté John Kline,

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LEADERSHIP SITUATIONNEL   59

La preuve de l’importance d’une communica- niveau tactique au niveau opérationnel et au-


tion efficace de la part des leaders est apportée dessus. La mission est très précise au niveau
quotidiennement dans toutes les organisations. tactique mais elle s’élargit aux niveaux plus
En fait, depuis 1938 lorsque Chester Barnard élevés de commandement. Par exemple, les
conclut que la communication représentait la officiers subalternes opèrent principalement
tâche principale des gestionnaires et des diri-
geants, l’accent a été mis sur l’amélioration des
au niveau tactique. Leurs missions sont préci-
communications dans les organisations… Non ses : bombarder un objectif, s’emparer d’un
seulement la communication redescendant la terrain et le tenir, appuyer une opération par-
voie hiérarchique est importante mais les subor- ticulière, etc.
donnés doivent maintenir leurs collègues et Par contre, les niveaux plus élevés de com-
leurs supérieurs informés. En d’autres termes, mandement ont des missions plus larges. Un
pour être efficaces, les canaux de communica- excellent exemple d’attribution de missions au
tion doivent être ouverts vers le bas, vers le haut niveau opérationnel fut la directive relative à
et dans toute l’organisation.12 l’opération Overlord donnée au général Dwight
Comme indiqué plus haut, une considéra- D. Eisenhower par les chefs de l’état-major
tion importante intervenant dans la compré- combiné : « Vous pénétrerez sur le continent
hension du leadership est les rapports entre européen et, conjointement avec les forces des
leader et exécutants. L’autre élément variable autres pays alliés, lancerez des opérations visant
important (compte tenu du fait que la mission le cœur de l’Allemagne et la destruction de ses
reste un élément fixe pour une situation parti- forces armées. »13 Le modèle nous aide à voir
culière) est la situation, l’environnement ou le que, au fur et à mesure que la situation du
contexte dans lequel le leadership est exercé. commandement passe du niveau tactique au
C’est ici où je pense que le modèle de lea- niveau opérationnel et au-dessus, l’attribution
dership de l’Ecole de guerre aérienne est le des missions devrait devenir moins précise.
plus utile dans la mesure où il nous aide à com- Le modèle nous permet de visualiser les
prendre la façon dont la dynamique des changements affectant l’interaction entre le
rapports de commandement change au fur et leader et les exécutants au fur et à mesure que
à mesure que la situation évolue. C’est la raison les niveaux de leadership changent. Au fur et
pour laquelle l’élément situation de ce modèle à mesure que le commandant s’élève au-des-
englobe tous les autres éléments. Nous exami- sus du niveau tactique, le nombre de person-
nerons les diverses situations suivantes : nes dont il est responsable augmente. C’est la
raison pour laquelle son interaction avec les
1. Les niveaux auxquels le leadership est troupes devient de moins en moins directe. Par
exercé. exemple, le nombre relativement faible de
personnes appartenant à un escadron permet
2. Le commandement en temps de paix
au commandant d’escadrille et même au chef
comparé à celui des opérations en temps
d’escadron d’avoir une interaction fréquente
de guerre.
et directe avec son personnel. Pour parler
3. La direction d’un état-major comparée d’un problème, il suffit au commandant de se
au commandement des unités opéra- servir de l’interphone ou d’aller voir la per-
tionnelles. sonne chargée de la tâche à accomplir.
Toutefois, lorsqu’un officier devient com-
4. Une comparaison du commandement mandant d’escadre aérienne ou lieutenant
d’une Arme, de forces interarmées et colonel ou au-dessus, il devient inévitable-
multinationales. ment isolé et la communication est alors
moins directe et passe de plus en plus par des
Niveaux de leadership intermédiaires. Les commandants les plus
efficaces se sont efforcés de limiter l’effet de
Le leadership varie au fur et à mesure que ce phénomène d’isolation en rendant visite à
le niveau de commandement s’élève du leurs troupes sur le champ de bataille aussi

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60   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

souvent que possible. Robert E. Lee fut capa- celui-ci et un chef de bataillon mène ses hom-
ble de maintenir des rapports extraordinaires mes au combat. Lorsque le commandement
avec ses troupes même pendant son service en est exercé aux niveaux plus élevés, le techni-
tant que commandant opérationnel. De cien devient un généraliste qui se soucie
même, le général Omar Bradley et le général moins des opérations au niveau tactique et
George Patton faisaient sentir leur présence plus de l’application plus large de la puissance
parmi les soldats qu’ils dirigeaient. Même le militaire aux niveaux stratégiques.
distant Napoléon fit l’effort d’être visible pour
ses fidèles en distribuant des récompenses et
en rendant visite à ses troupes sur le champ de Et après ?
bataille. Le principe mis en pratique par ces Qu’est ce que tout cela signifie pour le chef
leaders aux échelons les plus élevés s’applique
militaire ? Sur la base de ce qui précède, nous
également aux niveaux inférieurs. Les leaders
pouvons opérer cinq généralisations sur le com-
les plus efficaces d’aujourd’hui sont haute-
mandement au niveau tactique et au-dessus.
ment visibles.
Par contre, les leaders qui, au fur et à 1. Votre style de commandement devrait
mesure qu’ils s’élèvent au-dessus des niveaux probablement changer lorsque vous pas-
de leadership inférieurs et plus directs, s’ef- sez du grade de capitaine à celui d’offi-
forcent de maintenir la même interaction cier supérieur et au-dessus. On peut dire
avec les exécutants et le même contrôle de que le style dominateur de commande-
l’accomplissement des missions sont appelés ment pour les officiers en milieu de car-
gestionnaires tatillons. La gestion tatillonne est rière combine donner des ordres, faire accep-
peut-être la maladie la plus pernicieuse et la ter et participer suivant la maturité des
plus répandue au sein du commandement au- exécutants. On peut également noter à
dessus du niveau tactique. juste titre que les styles de commande-
Au lieu de se livrer à une gestion tatillonne, le ment consistant à faire accepter et don-
leader a besoin de devenir un spécialiste de ce ner des ordres sont moins courants
que j’appellerais la régulation du climat. Le leader aujourd’hui par suite des effets d’émanci-
efficace à l’échelon supérieur assure la régula- pation de la QAF. Au fur et à mesure que
tion du climat régnant dans l’organisation en nous intégrons nos plus jeunes aviateurs
veillant à ce que sa vision, ses valeurs et sa vitalité à des équipes d’évaluation des processus
imprègnent celle-ci. Il obtient ce résultat en (Process Action Teams – PAT) et sollicitons
définissant sa vision de l’organisation, en la pré- leur contribution lors de la prise des déci-
sentant de façon à ce que tout le monde puisse sions de production et d’opérations, les
la comprendre et en transmettant ce message styles de commandement S1 et S2 se limi-
de façon répétée par divers moyens. Le concept teront plus ou moins à l’entraînement de
de régulation du climat inclut la délégation des base et à d’autres tâches de routine très
tâches et l’attribution aux subordonnés des structurées.
moyens d’accomplir la mission.
Les changements qui affectent la mission et 1.  Lorsque vous arrivez à des positions de
les exécutants et sont associés à l’élévation au- commandement à des échelons plus éle-
dessus du niveau tactique imposent également vés, la maturité des exécutants (ligne hori-
certains changements au commandant. Le zontale du bas) augmente. Cette maturité
commandant au niveau tactique est principa- accrue est associée au comportement
lement un technicien, un praticien, qui parti- moins satisfaisant d’exécution des tâches.
cipe effectivement à une opération. Par exem- Cela veut dire qu’au-dessus du niveau de
ple, au niveau tactique un commandant l’unité, vous vous occupez moins de char-
d’escadrille ou chef d’escadron pilote un ger le personnel d’exécuter des tâches et
aéronef, un officier de sous-marin dirige la comptez sur lui pour mener celles-ci à
navigation et l’emploi du système d’armes de bien avec un moindre contrôle.

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LEADERSHIP SITUATIONNEL   61

1. Au fur et à mesure que le comportement sation et il est moins au courant de ce qui
d’exécution des tâches devient moins se passe vraiment. En conséquence, les
satisfaisant, il s’accompagne d’une dimi- décisions prises au-dessus du niveau tacti-
nution de l’interaction (ou du comporte- que le sont fréquemment avec une partie
ment de communication) du leader à seulement des informations nécessaires.
l’échelon le plus élevé avec les exécu- Dans son livre Taking Charge (Prendre la
tants. D’après Hersey et Blanchard, tout direction des opérations), le général
cela signifie que votre style de comman- Perry Smith se réfère à ce fait comme la
dement devrait passer de la participation « règle des 60 pourcent », qui signifie
(le style le plus courant au niveau de qu’un commandant prend une décision
l’unité) à la délégation (le style que les quand 60 pourcent des informations uti-
commandants au-dessus du niveau de les sont disponibles.15 C’est souvent une
l’escadron devraient adopter).14 décision difficile à prendre pour le com-
mandant qui passe à l’échelon supérieur
2. Dans la mesure où les exécutants qui tra- parce qu’elle implique des risques. Il
vaillent pour un commandant sont plus s’agit, à bien des égards, d’un acte de foi
nombreux au-dessus du niveau tactique, mais c’est une décision qui doit être prise
il aura moins de contacts directs avec la parce que, si elle ne l’est pas, la consé-
majorité d’entre eux. Par exemple, l’offi- quence sera au mieux l’inefficacité, au
cier responsable (Officer In Charge – OIC) pire la paralysie.
d’un escadron d’entretien a entre 50 et
100 personnes travaillant pour lui. Ces 5. Au-dessus du niveau tactique, la vision
subordonnés ont de fréquents contacts devient plus importante. La vision est
directs avec leur supérieur. Le résultat essentiellement la capacité de voir l’avenir.
est qu’il est relativement facile de com- D’après Warren Bennis et Burt Nanus :
muniquer des valeurs, des objectifs et des
conseils. Par contre, lorsque l’officier en 5.  Pour choisir une direction, un leader doit
milieu de carrière d’aujourd’hui devient d’abord avoir créé une image mentale de
l’officier supérieur de demain, le nom- l’état futur possible et souhaitable de l’or-
ganisation. Cette image, que nous appe-
bre accru de ses subordonnés rendra lons vision, peut être aussi vague qu’un
les contacts directs fréquents difficiles et rêve ou aussi précise qu’un objectif ou un
finalement impossibles. En conséquence, énoncé de mission. Le point crucial est
un commandant à l’échelon le plus élevé qu’une vision exprime une vue d’un autre
a pour responsabilité significative la créa- avenir réaliste et crédible pour l’organisa-
tion de l’atmosphère opérationnelle et tion, une situation meilleure d’une façon
morale appropriée dans laquelle chacun ou d’une autre que celle qui existe
sait ce qu’on attend de lui – la régulation aujourd’hui. Une vision est un objectif
du climat. vers lequel on se sent attiré.16

3. Le commandement au-dessus du niveau La vision du commandant en milieu de car-


de l’unité doit devenir moins direct, moins rière est à court terme. A un extrême, un capi-
technique. Le commandant ne doit pas taine ou commandant engagé dans un combat
perdre de vue la mission accomplie par peut devoir concentrer 100 pourcent de son
l’unité mais il a maintenant plus du géné- attention sur la prochaine mission. Dans des
raliste qui abandonne les détails de l’opé- circonstances normales, les limites extrêmes
ration à ceux qui sont les plus familiarisés de la vision d’un commandant au niveau de
avec les opérations quotidiennes. l’unité ne vont probablement pas beaucoup
plus loin que l’exercice financier. Lorsque les
4. Lorsque l’individu s’élève au-dessus du commandants s’élèvent au-dessus du niveau
niveau de l’unité, le commandant se tient tactique, toutefois, le bloc de temps pour
plus loin de la zone d’activité de l’organi- lequel ils doivent planifier s’allonge considé-

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rablement. Dans son article “Building Strategic la dynamique du commandement. En règle


Leadership for the 21st Century” (Etablir un com- générale, la mission est plus cruciale en temps
mandement stratégique pour le 21e siècle), le de guerre et les conséquences d’un échec sont
commandant Roderick R. Magee note que potentiellement tragiques. Une unité qui n’ac-
complit pas sa mission du temps de paix peut
L’une des principales responsabilités du com-
mandement stratégique est de se préparer aux échouer à une inspection de l’état de prépara-
10 à 20 années qui viennent et de déterminer les tion opérationnelle (Operational Readiness Ins-
missions qu’il sera demandé à l’armée d’accom- pection – ORI) ou voir son commandant limogé.
plir et, par conséquent, ce que devra être sa Par contre, l’opération Desert One, Gallipoli,
structure pour atteindre les objectifs nationaux. l’absence du général J. E. B. Stuart à Gettysburg
Tout le monde reconnaît que la vision est un et le désastre allié à la passe de Kasserine sont
facteur clé du succès et de la survie d’une orga- des exemples des conséquences tragiques de
nisation. C’est bien entendu au commandement l’échec d’une mission du temps de guerre.
stratégique qu’il incombe d’établir la vision.17 En temps de guerre, l’état mental des exécu-
La création d’une vision stratégique à long tants acquiert une plus grande signification
terme pour l’organisation exige du comman- dans la mesure où la crainte rend l’accomplis-
dement qu’il traite de questions plus comple- sement de leurs tâches plus difficile. Les com-
xes, conceptuelles et abstraites que les préoccu- mandants doivent prendre ce facteur en consi-
pations tactiques d’un commandant d’unité. A dération lors du passage de la paix à la guerre.
cet égard, le commandement est une activité Pour tenir compte de la crainte et de l’impor-
plus intellectuelle. Clausewitz exprima une opi- tance accrue que revêt l’accomplissement de la
nion similaire lorsqu’il dit « Chaque niveau de mission, il est normal qu’il puisse s’avérer
commandement a sa propre norme intellec- nécessaire pour les commandants de devenir
tuelle. »18 Le commandant Magee se réfère à la plus autoritaires. Le film Twelve O’clock High,
théorie des systèmes stratifiés (Stratified Systems que l’on étudie dans divers établissements
Theory – SST) de Jacques et Jacob pour faire la d’enseignement professionnel militaire, illus-
même remarque. tre ce point. Rappelez-vous que le général
Il note : Savage prit le commandement d’une escadre
de bombardiers de la seconde guerre mondiale
Une des bases de leur modèle (SST) est que la dont les équipages souffraient d’un mauvais
complexité cognitive augmente de façon hiérar- moral dû aux pertes subies au combat. Pour
chisée lorsqu’on s’élève dans l’organisation et rétablir la situation, le nouveau commandant
que la complexité cognitive du leader doit cor-
adopta un style de commandement très autori-
respondre à ce qu’exige son niveau dans l’organi-
sation. D’après la SST, on peut penser à la com- taire. L’accent mis de nouveau sur une disci-
plexité cognitive en termes de « différenciation pline stricte et l’hostilité que cela entraîna vis-à-
et d’intégration ». La complexité associée au vis du chef exigeant conduisirent à un meilleur
niveau dans l’organisation ou aux couches de accomplissement des missions et en fin de
celle-ci est basée sur la durée du rôle du leader.19 compte à un meilleur moral.
Pour éviter que nous tirions trop d’ensei-
gnements de l’exemple qui précède, je sug-
La situation : Paix ou guerre ? gère qu’un style autoritaire ne constitue pas
une réaction automatique à un environne-
Ce qui précède avait principalement pour ment de combat. Dans des circonstances nor-
but d’aider les commandants à comprendre en males, un commandant ne changera pas son
quoi l’équation du commandement change au style simplement parce que les balles sifflent
fur et à mesure que le commandant passe du autour de lui. Cela dépend de la situation et
commandement tactique aux niveaux plus éle- du commandant.
vés. Le modèle peut également servir à exami- Si nous examinons de nouveau le modèle,
ner d’autres situations de commandement. nous pouvons faire quelques observations sur
L’environnement du temps de guerre affecte l’interaction entre commandant et exécutants

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LEADERSHIP SITUATIONNEL   63

dans un environnement de combat. Pendant Commandement interarmées


les opérations du temps de paix, cette interac-
tion est complexe et difficile. En temps de et multinational
guerre, elle est encore plus difficile dans la Une autre variation de l’équation de com-
mesure où elle est exacerbée par le brouillard mandement qui deviendra de plus en plus
et la friction de la guerre. L’observation bien importante dans l’environnement d’aujourd’hui
connue de Clausewitz s’applique : concerne la composition des forces amies. Une
opération dans laquelle n’intervient qu’une seule
Si on n’a jamais fait personnellement l’expé- Arme est relativement aisée à coordonner dans la
rience de la guerre, on ne peut comprendre en mesure où la mission est exécutée par des gens
quoi consistent réellement les difficultés de même sensibilité. Leur interaction est facilitée
constamment mentionnées ni pourquoi un par un même vocabulaire et une orientation
commandant devrait faire preuve d’un génie commune vers leur méthode particulière de
quelconque ni de facultés exceptionnelles…
combat. Lorsqu’on intègre des membres d’une
Tout est simple dans la guerre mais la chose la
autre Arme, toutefois, il est nécessaire de tenir
plus simple est difficile. Les difficultés s’accu-
compte d’autres considérations et sensibilités.
mulent et finissent par produire un genre de
Les différences en termes de doctrine et de
friction qu’on ne peut concevoir si on n’a pas
méthodes opérationnelles entre les Armes non
fait l’expérience de la guerre.20
seulement créent des obstacles à la collaboration
Examinons maintenant une question liée à mais peuvent également avoir un effet nuisible,
l’opposition entre guerre et paix. Lorsque voire même fatal, sur les opérations. A titre
nous passons à un modèle de commandement d’exemple, on pourrait réfléchir aux difficultés
plus axé sur les exécutants et l’émancipation en qui apparurent par suite de divergences doctri-
temps de paix tel que la TQM, des pièges nales entre les commandants des composantes
potentiels nous attendent lorsque nous som- terrestre et aérienne de l’armée en Afrique du
Nord pendant la seconde guerre mondiale.
mes engagés dans des opérations de combat.
En outre, les rivalités interarmes ont com-
L’objectif fondamental de l’entraînement de pliqué l’accomplissement des missions et
base au fil des ans a été de briser la mentalité continueront de le faire. La compétition
civile de l’individu qui se montre naturelle- opposant le général Douglas MacArthur à
ment réfractaire à l’obéissance sur le champ l’amiral Ernest J. King et à l’amiral Chester W.
de bataille aux ordres dont les conséquences Nimitz sur le théâtre du Pacifique pendant la
sont potentiellement très graves. Lors de l’en- seconde guerre mondiale conduisit à une
traînement de base, nous remplaçons la men- coordination loin d’être optimale des opéra-
talité civile par la discipline militaire, qui tions. Par contre, le général Omar Bradley, de
implique une soumission instinctive à un style l’armée de Terre, et le général Elwood R.
de commandement autoritaire. Le dessein de Quesada, des forces aériennes, collaborèrent
la QAF est juste le contraire. Elle cherche à d’une façon satisfaisante.
transférer le pouvoir du commandant à ses La situation devient encore plus complexe
subordonnés, à solliciter des idées et perspec- lorsque des alliés interviennent. En plus des
tives auprès des exécutants dans un environ- différences en termes de doctrine et de ser-
vice, les différences culturelles et historiques
nement très convivial et sans danger. Dans la
rendent les efforts de coordination des opéra-
QAF, comment réagira l’exécutant auquel tions multinationales plus difficiles. Dans son
tous les principes de celle-ci ont été inculqués article “Staff Experience and Leadership Develop-
et qui a été totalement émancipé si le com- ment” (Expérience de l’état-major et dével-
mandement de l’unité adopte un style plus oppement du commandement) publié dans
autocratique lors du combat ? C’est un pro- le Airpower Journal, le général John Shaud nota
blème que les futurs commandants, en parti- que « les chances d’affectation à l’état-major
culier au niveau de l’unité, doivent aborder. d’une coalition interarmées dans le monde

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64   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

de l’après-guerre froide ont décuplé. »21 Il Curieusement, le mauvais caractère de Schwarz-


servit en qualité de chef d’état-major du com- kopf contribua également à étouffer les chamaille-
mandant suprême des forces alliées en Europe ries interarmes, en unifiant des rivaux naturels,
(Supreme Allied Commander, Europe – SACEUR) sous une crainte partagée. En outre, il épargna
prudemment aux alliés sa colère. C’est là qu’il se
jusqu’à une date récente et fit l’observation
montra le plus compétent dans la fonction pour
suivante sur la base de cette expérience : laquelle on le présumait le moins bien préparé par
Dans l’état-major de la coalition, comme c’est le sa formation et son tempérament : rassembleur
cas de tout nouveau poste de commandement… et maître d’une gigantesque coalition formée de
ma mission principale consistait à coordonner troupes de trois douzaines de pays.24
les activités de l’état-major… En plus de ce que
cela pourrait normalement impliquer, je me
suis aperçu que je devais en outre être un négo- Direction d’un état-major comparée au
commandement opérationnel
ciateur, un diplomate, un maître exigeant et un
chef de claque. J’ai également appris qu’à l’état- Une dernière situation de commandement
major du SHAPE (ainsi que dans la plupart des que nous pouvons examiner est la différence
états-majors de coalition), certains des facteurs entre l’environnement d’état-major et celui
les plus importants à prendre en considération
étaient la réalisation des différences culturelles
d’opérations – un problème clé pour les offi-
et linguistiques intrinsèques et la possession ciers en milieu de carrière s’élevant au-dessus
d’un solide sens de l’histoire.22 du niveau de l’unité pour la première fois. Les
commandants des unités opérationnelles sont
L’alliance de l’Axe lors de la seconde probablement plus efficaces s’ils se conforment
guerre mondiale offre un exemple des désa- au style de commandement héroïque, alors
vantages de la guerre en coalition. L’Allema- que le style d’un chef d’état-major est à juste
gne se retrouva entraînée dans une campagne titre plus bureaucratique et participatif. L’inte-
en Afrique du Nord et dans le combat en raction entre commandant et exécutants est
Grèce par son allié italien dont les forces, de principalement verbale et informelle dans un
l’avis des généraux allemands Albert Kes- environnement opérationnel mais devient plus
selring et Erwin Rommel, se montrèrent inca- formelle et par écrit dans l’état-major. De
pables.23 Par contre le style collégial et conci- même, les exécutants sont plus sophistiqués
liant de commandement d’Eisenhower fut dans l’environnement d’état-major et la mis-
une des clés du succès de l’opération Overlord. sion réside plus dans le domaine de la politique
Il est douteux qu’un style de commandement et des plans. Dans l’armée de l’Air, plus on
comme celui de Patton aurait réussi. s’écarte de la ligne de vol, plus il est difficile
La sensibilité du général H. Norman pour le commandant de garder les exécutants
Schwarzkopf à la culture arabe, acquise lors focalisés sur le pilotage et le combat, ainsi que
de son enfance en Iran, représenta un facteur de promouvoir les valeurs institutionnelles plu-
important dans la création de la coalition tôt que professionnelles.
pendant la guerre du Golfe Persique. Norman James Stokesbury a appelé le leadership le
la tempête est peut-être le parfait praticien du plus déroutant des arts et ceux d’entre nous
commandement situationnel souple de coali- qui appartiennent aux forces armées en
tion lors du passé récent. Dans Crusade (La conviendraient certainement. Au même
croisade), Rick Atkinson décrit Schwarzkopf moment, les programmes d’études de nos
comme un tyran, un autocrate braillard, gros- établissements d’enseignement professionnel
sier envers les membres américains de la coa- militaire sont conçus pour rendre l’art du
lition. Au même moment, il se montrait diplo- commandement moins déroutant pour le
mate et conciliant vis-à-vis de la plupart des militaire professionnel. Le modèle de lea-
alliés. On peut se demander si ce n’était pas dership situationnel de l’école de guerre
précisément le style de commandement qui aérienne décrit plus haut représente, je crois,
était nécessaire pour que la coalition ne se un cadre utile pour évaluer les commandants
désintègre pas. Comme l’observa Atkinson, et leur commandement dans leur contexte.

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LEADERSHIP SITUATIONNEL   65

Dans un monde en évolution rapide, cette giques sans précédent, des évènements qui se
vision du commandement peut également déroulent dans un monde en évolution rapide
vous aider à adapter votre style de commande- et du raccourcissement des cycles d’évolution
ment à la situation lorsque vous êtes affecté à de la société, le besoin d’un commandement
des échelons de commandement plus élevés. mettant l’accent sur la souplesse et l’émanci-
Compte tenu des développements technolo- pation est plus grand que jamais.  ❑

Notes
1.  Dans son article “The User of Leadership Theory” (L’uti- 9.  Hersey et Blanchard, 102.
lisateur de la théorie du leadership), (Michigan Business 10.  Ibid., 103.
Review, janvier 1973), James Owen définit le style de lead- 11.  John Keegan, The Mask of Command (Le masque du
ership bureaucratique en termes que nous pouvons tous commandement), (Middlesex, Grande-Bretagne: Penguin
comprendre. Le leadership héroïque ou charismatique est Books, Ltd., 1987), 1–4.
plus difficile à identifier. Dans son livre Leadership, James 12.  Omar Bradley, A Soldier’s Story (Histoire d’un sol-
MacGregor Burns nota que l’expression leadership charis- dat), (New York: Henry Holt and Co., 1951), 474.
matique peut signifier « un lien émotif entre leader et 13.  John Kline, “Communications for the Leader” (Com-
exécutants ; l’idée courante selon laquelle un leader est munications pour le commandant), in AU-24, Concepts for
fort, omniscient et vertueux ; l’attribution d’énormes pou- Air Force Leadership (Concepts de commandement pour
voirs surnaturels aux leaders (religieux ou civils, ou aux l’armée de l’Air), sous la direction de Richard I. Lester et
deux) et tout simplement l’apport à un leader d’un sou- A. Glenn Morton (Maxwell AFB, Alabama Air University
tien populaire frisant l’amour. » Le sens dans lequel j’uti- Press, 1990), 261.
lise l’expression leadership héroïque ou charismatique 14.  Hersey et Blanchard, 236–37.
implique un style de leadership reflétant une forte person- 15.  Perry M. Smith, Taking Charge: A Practical Guide for
nalité qui inspire les exécutants et les encourage à accom- Leaders (Prendre la direction des opérations : Un guide
plir des exploits extraordinaires. Dans ce sens, il est très pratique à l’intention des commandants), (Washington,
semblable à la définition donnée par Morris Janowitz dans D.C.: National Defense University Press, 1986), 108.
The Professional Soldier (Le soldat de métier) aux termes de 16.  Warren Bennis et Burt Nanus, Leaders: The Strate-
laquelle le commandant héroïque perpétue le type du gies for Taking Charge (Leaders : Les stratégies de prise de
guerrier, l’officier à cheval qui incarne l’esprit martial et le la direction des opérations), (New York: Harper and Row,
thème de la bravoure personnelle 1985), 89.
2.  Paul Hersey et Kenneth Blanchard, Management of 17.  Commandant Roderick R. Magee, “Building Stra-
Organizational Behavior: Utilizing Human Resources (La ges- tegic Leadership for the 21st Century” (Etablir un commande-
tion du comportement de l’organisation : Utilisation des ment stratégique pour le 21e siècle), Military Review,
ressources humaines), (Englewood Cliffs, New Jersey: février 1993, 39.
Prentice-Hall, Inc., 1982), 86. 18.  Carl von Clausewitz, Vom Kriege, De la guerre,
3.  Ibid., 85. adaptation et traduction anglaise de Michael Howard et
4.  Ibid. Peter Paret (Princeton, New Jersey: Princeton University
5.  Ibid., 152. Suivant l’édition de leur ouvrage, il se Press, 1976), 111.
peut que vous rencontriez différents termes utilisés pour 19.  Magee, 37.
décrire le modèle de Hersey et Blanchard. Leurs signifi- 20.  Clausewitz, 119.
cations sont néanmoins essentiellement les mêmes. 21.  Général en retraite John Shaud, USAF, “The Staff
6.  The Quality Approach (L’approche qualité), publié Experience and Leadership Development” (L’expérience de
par le Air Force Quality Center, Maxwell AFB, Alabama, l’état-major et le développement du commandement),
II-7. Airpower Journal 7, n° 1 (printemps 1993) : 9.
7.  Général Mike Loh, allocation prononcée à l’occa- 22.  Ibid.
sion du lancement du mois national de la qualité, Hamp- 23.  Norman Polmar et Thomas Allen, World War II:
ton Roads Quality Council, Hampton, Virginie, Holiday America at War (La seconde guerre mondiale : l’Amérique
Inn, 1er octobre 1992. en guerre), (New York: Random House, 1991), 537.
8.  Brochure de l’armée de l’Air (Air Force Pamphlet – 24.  Rick Atkinson, “Desert Storm’s Angry Caesar” (Le
AFP) 35-49, Air Force Leadership (Le leadership dans l’ar- César colérique de l’opération Desert Storm), Washington
mée de l’Air), 1985, 2. Post National Weekly, 4–10 octobre 1993.

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De quoi est fait un dirigeant supérieur?
par le docteur Morgan W. McCall, Jr. et
le docteur Michael M. Lombardo

Morgan W. McCall, Jr. et Michael M. Lombardo sont spécialisés dans l’étude du comportement et sont
chefs de projet au Centre de leadership créatif (Center for Creative Leadership) de Greensboro, en
Caroline du Nord. Le docteur McCall, diplômé de l’Université Cornell, a passé huit ans à étudier le lea-
dership et la gestion dans les organisations complexes. M. Lombardo, titulaire d’un doctorat d’éducation
de l’Université de Caroline du Nord à Greensboro, a passé une période comparable à étudier la manière
dont les leaders des organisations résolvent les problèmes.

C
adre supérieur : A un certain Cadre supérieur : En partie un manque de
moment, Jim était le candidat le chance, du fait que l’entreprise périclitait quand
mieux placé, peut-être même le seul, il en hérita. En partie son choix de s’entourer
de spécialistes qui, inévitablement, portent les
pour devenir président-directeur
œillères de leur domaine particulier. En partie
général. Et puis il se heurta à quelque chose enfin le fait qu’il n’avait jamais appris à délé-
qu’il n’avait jamais eu à confronter aupara- guer. Il n’avait aucune idée sur la façon de diri-
vant – une entreprise non rentable. Il sembla ger en écoutant.
par la suite se retrouver sur une pente glis-
Le cas de Jim n’est en rien inhabituel.
sante, devenant de jour en jour plus détaché,
Nombreux sont les cadres extrêmement talen-
incapable de collaborer avec ses principaux
tueux qui s’élèvent à de très hauts niveaux
subordonnés. mais se voient refuser les postes suprêmes. Les
Enquêteur : A votre avis, qu’est-ce qui l’a fait brèves explications de ce qu’on pourrait
quitter la voie ? appeler leur sortie de voie sont le principe de

66

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DIRIGEANT SUPERIEUR   67

Peter, que l’on cite toujours, d’après lequel ils n’avaient pu se montrer à la hauteur de leur
furent promus au-dessus de leur niveau de potentiel apparent.
compétence, ou, ce qui est plus inquiétant, le Avec l’aide de notre collaboratrice Ann
fait qu’ils présentaient quelque défaut fatal. Morrison, nous avons travaillé avec plusieurs
Le brin de vérité contenu dans ces explica- sociétés figurant au classement des 500 plus
tions masque la vraie complexité du proces- importantes établi par la revue Fortune pour
sus. C’est ce que nous a appris une étude que identifier des initiés futés, des gens qui avaient
nous avons récemment menée au Centre de vu passer de nombreux dirigeants supérieurs
leadership créatif (Center for Creative Lea- dont rien dans leur carrière ne leur était
dership), un établissement de recherche et étranger. Dans chaque entreprise, l’un d’en-
d’enseignement à but non lucratif situé à tre nous s’entretint avec plusieurs initiés,
Greensboro, en Caroline du Nord, et créé généralement quelques cadres parmi les dix
pour améliorer la pratique de la gestion. les plus haut placés et un petit nombre de
Lors d’une comparaison entre 21 cadres professionnels des ressources humaines, c’est-
ayant quitté la voie – des gens efficaces dont à-dire des gens participant à la prise des déci-
on s’attendait à ce qu’ils s’élèvent encore plus sions d’avancement. Nous leur avons demandé
haut dans l’organisation mais qui avaient de nous relater l’histoire d’une réussite et
atteint un palier en fin de carrière, été licen- celle d’une sortie de voie.
ciés ou obligés de prendre une retraite antici-
pée – et 20 homologues arrivés – ceux qui avait
atteint les postes suprêmes – nous avons Défauts fatals
trouvé les deux groupes étonnamment sem- Lorsqu’il leur fut demandé d’indiquer ce
blables. Chacun de ces 41 cadres possédait qui avait décidé du sort des hommes (tous les
des qualités remarquables et présentait au cadres cités étaient des hommes) qui n’avaient
moins une faiblesse significative. pas connu la réussite suprême, nos sources
Une insensibilité envers les autres fut citée mentionnèrent 65 facteurs, que nous avons
comme une raison de sortie de voie plus sou- regroupés en 10 catégories :
vent que tout autre défaut mais elle n’était
jamais la seule. Très souvent, ce fut une com- 1. Insensibilité envers les autres : style
binaison de qualités personnelles et de cir- caustique, intimidant, brutal
constances extérieures qui mit fin à l’ascen-
2. Froideur, réserve, arrogance
sion d’un cadre. Certains de ces cadres se
retrouvèrent dans une situation changée, 3.  Abus de confiance
dans laquelle les qualités qui leur avaient été
très utiles plus tôt dans leur carrière devinrent 4. Excès d’ambition : fixation sur la pro-
des handicaps qui leur firent quitter la voie. chaine promotion, intrigues de bureau
D’autres s’aperçurent que des faiblesses dont 5. Problèmes précis de performances
ils avaient toujours souffert, et qui furent pen- affectant l’entreprise
dant un certain temps compensées par les
atouts dont ils disposaient, devinrent des 6. Gestion trop tatillonne : incapacité à
défauts cruciaux dans une situation nouvelle déléguer ou à constituer une équipe
exigeant des compétences particulières pour 7. Incapacité à recruter efficacement
résoudre quelque problème particulier.
Notre objectif était de découvrir ce dont 8. Incapacité à réfléchir dans une optique
était fait un cadre efficace et notre plan était à stratégique
l’origine de nous concentrer sur ceux qui 9. Incapacité à s’adapter à un supérieur au
étaient arrivés. Nous avons toutefois réalisé style différent
rapidement que, paradoxalement, nous pour-
rions apprendre beaucoup sur l’efficacité en 10. Dépendance excessive vis-à-vis d’un
nous intéressant de plus près à des cadres qui protecteur ou mentor

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68   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

rieurs de la direction. Cela les conduisait par-


Aucun cadre ne souffrait de tous les défauts fois à conserver le même protecteur ou men-
cités ; en fait, deux seulement en moyenne furent tor pendant trop longtemps. Quand le mentor
identifiés chez les cadres sortis de la voie. cessait de trouver grâce, il en était de même
Comme nous l’avons noté, la cause de sor- pour eux. Même si le mentor restait au pou-
tie de voie la plus fréquente était l’insensibilité voir, les gens remettaient en question la capa-
envers les autres. « Il ne négociait pas ; il n’y cité du cadre à émettre des jugements indé-
avait pas de place pour des opinions divergen- pendants. Pouvait-il être autonome ? Un cadre
tes. Il aurait pu suivre un taureau dans un avait travaillé pour le même supérieur pen-
magasin de porcelaine et trouvé le moyen de dant presque 15 ans, le suivant d’une affecta-
casser celle qui restait », nous déclara un cadre tion à l’autre. La direction au plus haut niveau
supérieur à propos d’un collègue ayant quitté changea et le supérieur ne s’intégrait plus aux
la voie. plans de la nouvelle direction. Le cadre,
Lorsqu’ils étaient stressés, certains des res- n’ayant aucune réputation en propre, était
ponsables ayant quitté la voie devenaient caus- considéré comme un clone de son supérieur
tiques et intimidants. L’un d’eux entra dans le et, comme pour ce dernier, on lui préféra
bureau d’un subordonné, interrompant une quelqu’un d’autre.
réunion, et lui dit « J’ai besoin de vous voir. » Une série de problèmes de performance
Quand le subordonné essaya de lui expliquer apparurent parfois. Certains responsables ne
qu’il était occupé, il rétorqua rageusement réussirent pas à atteindre les objectifs de ren-
« J’en ai rien à foutre. Je vous ai dit que je tabilité, furent gagnés par la paresse ou prou-
voulais vous voir maintenant. » vèrent que certains postes dépassaient leur
D’autres étaient tellement brillants qu’ils niveau de compétences (généralement dans
devinrent arrogants, intimidant les autres par de nouvelles entreprises ou des postes exi-
leurs connaissances. Les remarques les plus geant un grand pouvoir de persuasion). Ce
courantes furent : « Il amenait les autres à se qui est plus important dans de tels cas, les res-
sentir stupides » ou « Il vous ignorait si vous ponsables en question montrèrent qu’ils
n’étiez pas brillant vous aussi. » étaient incapables de changer ; refusèrent
Lorsqu’on fait un travail extrêmement d’admettre leurs problèmes, les dissimulèrent
complexe et déroutant, il est absolument ou essayèrent d’en attribuer la responsabilité
nécessaire d’avoir confiance en les autres. à d’autres. Un cadre nargua les échelons supé-
Certains cadres commirent ce qui est peut- rieurs de direction en refusant de collaborer
être le péché impardonnable pour un respon- avec quelqu’un envoyé spécialement pour
sable : ils commirent un abus de confiance. résoudre un problème de rentabilité.
Cela avait rarement quoi que ce soit à voir Une fois qu’ils sont arrivés à certain point
avec l’honnêteté, qui était acquise dans pres- de leur carrière, les responsables doivent ces-
que tous les cas. C’était plutôt une surenchère ser de tout faire eux-mêmes et devenir des
à l’encontre des autres ou le fait de ne pas cadres qui s’assurent que le travail est fait.
tenir des promesses qui avait des conséquen- Toutefois, certains de ceux que nous avons
ces désastreuses en termes d’efficacité de l’or- étudiés n’opérèrent jamais cette transition,
ganisation. Un cadre n’appliqua pas une déci- n’ayant jamais appris à déléguer ni à consti-
sion comme il avait promis de le faire, causant tuer une équipe de subordonnés. Bien qu’une
ainsi entre les divisions du marketing et de la gestion tatillonne soit agaçante à n’importe
production des conflits qui se propagèrent quel niveau, elle peut être fatale au niveau de
dans quatre niveaux de subordonnés frustrés. l’encadrement. Lorsque des cadres s’immis-
D’autres, comme Cassius, souffraient d’un cent dans les affaires des autres, ils ne le font
excès d’ambition. Ils semblaient ne penser pas dans celles de subordonnés mais dans cel-
qu’à leur prochaine promotion, froissaient les d’autres cadres, dont beaucoup connais-
des gens dans leur hâte et passaient trop de sent beaucoup mieux leur spécialité particu-
temps à essayer de plaire aux échelons supé- lière que ne le fera jamais leur supérieur. Un

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DIRIGEANT SUPERIEUR   69

responsable des relations publiques qui ne passer sur son insensibilité aux niveaux
connaissait pas grand chose des règlements inférieurs mais pas aux niveaux supérieurs,
administratifs essaya de dire à un spécialiste où ses subordonnés et collègues sont
ayant 30 ans d’expérience ce qu’il devait faire. influents et probablement brillants eux
Le spécialiste regimba et le cadre perdit une aussi. Celles qui sont charmantes mais pas
bataille qu’il n’aurait jamais dû déclencher. brillantes s’aperçoivent que leur travail
D’autres avaient de bons rapports avec leur devient trop difficile et leurs problèmes
équipe mais choisissaient simplement les gens trop complexes pour leurs aptitudes en
qu’il ne fallait pas. Ils recrutaient parfois à termes de communication.
leur image, choisissant par exemple un ingé-
nieur comme eux, alors qu’une personne 3.  Le succès monte à la tête. Après avoir
ayant une expérience de marketing aurait reçu des compliments pendant trop
mieux convenu pour la tâche à accomplir. longtemps, certains cadres perdent sim-
Parfois, ils sélectionnèrent simplement des plement toute humilité et deviennent
gens qui finirent par échouer. froids et arrogants. Une fois que cela
Une incapacité à réfléchir dans une opti- arrive, leurs sources d’information com-
que stratégique, c’est-à-dire globalement et à mencent à se tarir et les gens n’ont plus
long terme, était masquée par une attention envie de travailler avec eux.
au détail et un enlisement dans les problèmes
techniques, lorsque certains cadres ne pou- 4.  Les évènements conspirent. Quelques
vaient simplement pas réussir la transition uns de ceux qui quittèrent la voie ne
d’homme d’action à planificateur. Un autre commirent apparemment que peu d’er-
échec courant se manifestait sous la forme reurs. Ils furent liquidés suite à des intri-
d’un conflit de styles avec un nouveau supé- gues de bureau ou à des bouleverse-
rieur. Un responsable incapable de changer ments économiques. Avant tout, ils
de fonceur à penseur/planificateur finit par furent simplement malchanceux.
s’attirer des ennuis avec un supérieur qui pré- A l’occasion de nos entretiens, on nous
férait prendre le temps de réfléchir. Même si
raconta quelques histoires de marcheurs sur
les responsables efficaces avaient parfois des
l’eau. En fait, le cadre qui correspondait le
problèmes analogues, ceux-ci ne dégénéraient
mieux à cette catégorie, le seul leader naturel,
pas en bagarres et prenaient rarement un ton
personnel. Les responsables ayant quitté la quitta la voie justement parce que tout le
voie eurent une série de réactions improducti- monde présumait qu’il pouvait absolument
ves – devinrent de mauvaise humeur, essayè- tout faire. Aux niveaux supérieurs de direc-
rent de faire taire leur supérieur ou firent tion, il se perdit dans les détails, se concentra
simplement la tête. trop sur ses subordonnés et sembla manquer
Pour récapituler, nous conclûmes que les de la capacité intellectuelle nécessaire pour
cadres quittent la voie pour quatre raisons traiter les problèmes complexes. Pourtant
fondamentales, toutes liées au fait que les personne ne l’aida parce qu’on présumait
situations changent quand on s’élève dans la qu’il réussirait de toute façon.
hiérarchie d’une organisation : En bref, ceux qui étaient arrivés comme
ceux qui avaient quitté la voie ne manquaient
1.  Des forces deviennent des faiblesses. La pas de défauts, même si ceux-ci ne devinrent
loyauté devient une dépendance exces- généralement apparents que tard dans la car-
sive, une étroitesse d’esprit ou du copi- rière de ces hommes. Les évènements qui
nage. L’ambition finit par être assimilée à exposèrent ces défauts furent rarement cata-
une participation aux intrigues de bureau
clysmiques. Le plus souvent, les défauts eux-
et détruit la base de soutien d’un cadre.
mêmes eurent un impact cumulatif. Comme
2.  Les faiblesses finissent par compter. Si une le fit observer un cadre, « Les carrières sont
personne a suffisamment de talent, on peut tellement longues. Laissez des traces d’erreurs

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et vous finirez par vous retrouver encerclés Savoir comment faire face à l’adversité est en
par votre passé. » partie savoir ce qu’il ne faut pas faire. Comme
En général, les défauts de ceux qui sont nous l’avons appris, de nombreux modèles dif-
arrivés comme de ceux qui ont quitté la voie férents de comportement des responsables pou-
se manifestèrent lorsque l’un des cinq évène- vaient être acceptés par les autres. La clé était de
ments suivants se produisit : (1) Ils perdirent savoir lesquels les collègues et les supérieurs
un supérieur qui avait dissimulé ou compensé trouveraient intolérables.
leurs faiblesses ; (2) Ils furent affectés à un Comme nous l’avons dit au début, les
poste auquel ils n’étaient pas préparés, soit membres des deux groupes étaient étonnam-
parce qu’il impliquait une beaucoup plus ment comparables : extrêmement brillants,
grande responsabilité, soit parce qu’il exigeait identifiés comme prometteurs dès les premiè-
des cadres qu’ils remplissent des fonctions res phases de leur carrière, offrant de remar-
auxquelles ils n’étaient pas accoutumés. Les quables antécédents professionnels, ambi-
difficultés furent généralement aggravées par tieux, prêts à accepter les sacrifices – mais
le fait que les cadres vinrent travailler pour un néanmoins imparfaits. Un examen de plus
nouveau supérieur dont le style était très dif- prêt révélera toutefois quelques différences
férent de celui de son subordonné nouvelle- et, aux niveaux d’excellence caractéristiques
ment promu ; (3) Ils laissèrent derrière eux de l’encadrement, une différence, même
des traces de petits problèmes ou de gens légère, est plus que suffisantes pour créer des
froissés, soit parce qu’ils les traitèrent d’une gagnants et des perdants.
façon médiocre, soit parce qu’ils agirent telle-
ment rapidement qu’ils ne réussirent pas du Ceux qui arrivent comparés à ceux qui quittent
tout à les traiter ; (4) Ils furent promus pen- les voies
dant une restructuration de l’organisation et
furent laissés sans surveillance jusqu’à la Pour commencer, les cadres ayant quitté la
période finale d’essai ; (5) Ils accédèrent aux voie connurent une série de succès, mais géné-
bureaux de la direction, où il est crucial de ralement dans des situations comparables. Ils
s’entendre avec les autres. avaient redressé deux entreprises ou avaient
La plupart des cadres eurent à faire face à occupé des postes progressivement plus impor-
au moins un de ces évènements. L’évènement tants dans la même fonction. Par contraste,
lui-même n’était révélateur qu’en ce que son ceux qui étaient arrivés avaient connu des
impact commença à séparer les deux groupes. succès plus divers – ils avaient redressé une
La façon dont une personne faisait face à ses entreprise et étaient passés avec succès de la
défauts sous la contrainte fit beaucoup pour production au personnel et retour, ou avaient
expliquer pourquoi certains arrivèrent et lancé une nouvelle entreprise en partant de
d’autres quittèrent la voie avant d’arriver. Un zéro et avaient accompli une mission spéciale
bout de dialogue enregistré lors d’un entre- qui leur valut des félicitations. Ils construisirent
tien fait ressortir ce point : des usines dans des régions désertes et dans la
jungle amazonienne, sauvèrent des entreprises
Cadre supérieur : Les gens qui réussissent vouées au désastre et mirent fin sans effusion
n’aiment pas admettre qu’ils commettent de de sang à des guerres totales entre divisions
grosses fautes mais il n’empêche que certaines
sont énormes. Je n’ai jamais connu de PDG
d’une même société. L’un d’eux bâtit même
[président-directeur général] qui n’en ait pas une ville.
commis au moins une grosse et plein de petites Les responsables ayant quitté la voie furent
mais ils n’en ont jamais souffert. souvent décrits comme lunatiques ou insta-
bles lorsque soumis à une pression. L’un
Enquêteur : Pourquoi ? d’eux pouvait se contrôler en présence des
échelons supérieurs de direction qu’il cher-
Cadre supérieur : Parce qu’ils savent comment chait à impressionner mais était ouvertement
faire face à l’adversité. jaloux des collègues qu’il considérait comme

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DIRIGEANT SUPERIEUR   71

des concurrents. Ses trop fréquentes explo- gants ni directs mais sans tact, mais plutôt
sions de colère sapèrent la coopération néces- directs et diplomates. L’un de ceux qui sont
saire au succès, lorsque ses collègues commen- arrivés était en désaccord total avec une straté-
cèrent à se demander s’il n’essayait pas de leur gie commerciale qui avait la faveur de son
faire du tort. Au contraire, ceux qui étaient supérieur. Il présenta ses objections avec fran-
arrivés étaient calmes, confiants et sans sur- chise et donna les raisons de ses inquiétudes
prise. Les gens savaient comment ils réagi- ainsi que l’alternative qui avait sa préférence.
raient et pouvaient planifier leurs propres Toutefois, une fois que la décision qu’il oppo-
actions en conséquence. sait fut prise, il consacra son énergie à tra-
Bien qu’aucun membre des deux groupes vailler à la réussite de cette décision. Lorsqu’il
n’ait commis de nombreuses erreurs, tous apparut que son supérieur avait commis une
ceux qui étaient arrivés firent face aux leurs erreur, il ne s’en réjouit pas méchamment ; il
avec assurance et de bonne grâce. Presque laissa la situation parler d’elle-même sans
sans exception, ils admirent leur erreur, en embarrasser encore plus son supérieur.
avertirent les autres pour leur éviter d’être L’un des cadres supérieurs avec lesquels
mis dans une position vulnérable par elle puis nous nous sommes entretenus établit une dis-
procédèrent à son analyse et à sa correction. tinction simple mais pas simpliste entre les
Egalement révélatrices étaient deux choses deux. Deux choses seulement, nous dit il, dif-
que ceux qui étaient arrivés ne firent pas : Ils férenciaient ceux qui réussissaient de ceux
n’accusèrent personne d’autre et une fois qui quittaient la voie : l’intégrité totale et la
qu’ils eurent réglé la situation, ils ne s’appe- compréhension des autres.
santirent pas dessus. L’intégrité semble avoir une signification
En outre, les cadres ayant quitté la voie ten- particulière pour les cadres. Le mot ne se
daient à réagir à un échec en passant à la réfère pas à la simple honnêteté mais exprime
défensive, en essayant de le dissimuler pen- une constance et une prévisibilité développées
dant qu’ils prenaient des mesures correctrices au fil des ans qui disent « Je ferai exactement
ou, une fois que le problème était devenu ce que je dis quand je dirai que je vais le faire.
apparent, en en rejetant la responsabilité sur Si je change d’avis, je vous le ferai savoir large-
quelqu’un d’autre. ment à l’avance pour que vous n’ayez pas à
Bien que les deux groupes aient su s’atta- souffrir de mes actions. » Une telle déclara-
quer aux problèmes, ceux qui étaient arrivés tion est en partie une question de morale
étaient particulièrement résolus. Cette menta- mais, encore plus, de sens pratique vital. Ce
lité « Où est le problème ? » leur épargnait genre d’intégrité semble l’élément fondamen-
trois des défauts courants chez ceux qui tal empêchant une vaste organisation amor-
avaient quitté la voie : ils étaient trop occupés phe de s’effondrer dans sa propre confusion.
à faire leur travail pour se montrer trop impa- La capacité – ou l’incapacité – à compren-
tients d’être promus ; ils attendaient de leur dre les perspectives des autres représentait la
personnel qu’il excelle à résoudre les problè- différence la plus flagrante entre ceux qui sont
mes et établirent de nombreux contacts, ce arrivés et ceux qui ont quitté la voie. Seuls 25
qui leur évita de souffrir du syndrome du pourcent de ces derniers furent décrits comme
mentor unique. En fait, pratiquement aucun ayant une aptitude particulière aux relations
responsable efficace n’indiqua qu’il avait un humaines ; parmi ceux qui sont arrivés, le chif-
seul mentor. fre correspondant était de 75 pourcent.
Enfin, ceux qui étaient arrivés, peut-être à Il est intéressant de noter que deux de ceux
cause de la diversité de leurs antécédents, qui sont arrivés étaient froids et stupides lors-
étaient capables de s’entendre avec toutes sor- qu’ils étaient plus jeunes mais, pour une rai-
tes de gens. Ils possédaient ou développèrent son ou pour une autre, changèrent complète-
les aptitudes nécessaires pour avoir leur franc ment de style. « Je ne sais pas du tout comment
parler sans offenser quiconque. Ils n’étaient il l’a fait », nous déclara un cadre. « C’est
pas considérés comme charmants mais intri- comme s’il s’était couché un soir et s’était

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réveillé une personne différente. » En géné- réaliser, les cadres, comme le reste d’entre
ral, une certaine conscience d’eux-mêmes et nous, sont une mosaïque de forces et de fai-
volonté de changement caractérisaient ceux blesses. Les raisons pour lesquelles certains
qui étaient arrivés. Cette même souplesse est cadres finirent par quitter la voie et d’autres
naturellement ce qui est nécessaire pour s’en- arrivèrent en haut de l’échelle confirment ce
tendre avec toutes sortes de gens. que nous savons tous mais avons hésité à
Un dernier mot – un enseignement, peut- admettre : il n’y a pas une seule meilleure
être à tirer de nos conclusions. Au fil des ans, façon de réussir (ou même d’échouer). La
les « spécialistes » ont établi de longues listes formule progressive infaillible n’est pas sim-
de compétences cruciales pour essayer de plement insaisissable, elle équivaut, comme
définir le responsable complet. Après coup, il Kierkegaard disait de la vérité, à chercher
semble évident que personne, y compris le dans une pièce où il fait noir comme dans un
cadre talentueux, ne peut posséder toutes ces four un chat noir qui ne s’y trouve pas.  ❑
compétences. Comme nous avons fini par le

Deux cadres : Une étude en termes de contrastes

LES DEUX CAS QUI SUIVENT


SONT DECRITS EN UTILISANT LES MOTS DE CADRES
D’ENTREPRISE QUI EN CONNAISSAIENT LES DÉTAILS.

CELUI QUI EST ARRIVE


L’homme
« C’était un type intelligent avec un pétillement malicieux dans les yeux. Il pouvait se
moquer de lui-même dans les situations les plus difficiles. »
Points forts notables
« C’était un superbe négociateur. Il pouvait, je ne sais comment, émerger d’un conflit du
travail ou entre responsables en brandissant un accord dont tout le monde pouvait s’accom-
moder. Je pense qu’il y arrivait en circonscrivant complètement un problème pour l’empê-
cher d’échapper à son contrôle. Si quelque chose risquait de mal tourner, les gens le savaient
longtemps à l’avance. »
Défauts
« Il n’était parfois pas assez dur vis-à-vis de ses subordonnés et de ses collègues. Le person-
nel d’exploitation se demandait s’il était assez dur et parfois pourquoi il passait autant de
temps à se préoccuper de son personnel. »
Carrière
« On lui confiait des missions spéciales – négociations, relations avec la presse, problèmes
à régler d’urgence. Il trouvait toujours moyen de faire bouger les choses. »
Et il termina…
Vice-président directeur

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DIRIGEANT SUPERIEUR   73

CELUI QUI QUITTA LA VOIE

L’homme
« Il obtenait des résultats mais il s’en moquait éperdument. Bien qu’il puisse se montrer
charmant quand il le voulait, il avait surtout tendance à jouer des coudes. »
Points forts notables
« C’était un remarquable ingénieur qui avait gravi tous les échelons de la hiérarchie d’ex-
ploitation. Il avait une capacité rare d’analyse des problèmes sous tous leurs angles puis de
reconfiguration des pièces pour en faire quelque chose de nouveau. »
Défauts
« Lors du développement de quelque chose, il apportait à ses subordonnés plus d’aide que
nécessaire mais, une fois qu’un système était en place, il oubliait de le surveiller. Quand les
choses tournaient mal, il se comportait généralement en tyran ou faisait de l’obstruction,
embauchant un jour un employé difficile et s’en déchargeant sur un subordonné en décla-
rant à celui-ci « Maintenant, c’est votre problème. »
Carrière
« Il monta en flèche dans les filières technique et d’exploitation. Une fois qu’il arriva suffi-
samment haut, ses faiblesses finirent par le rattraper. Son poste dépassait ses compétences ou
il ne pouvait s’accommoder de la complexité de nouveaux projets. »
Et il termina…
« Sans avoir reçu la promotion qu’il attendait, et c’est dommage. C’était un type de talent
et qui n’était pas mauvais gestionnaire non plus. Je suppose que sa gestion trop tatillonne, son
style caustique ne permirent jamais à ses collègues de se développer et l’empêchèrent d’ap-
prendre d’eux. »

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Le leadership
Créativité et innovation
par le docteur William R. Klemm

Le docteur William R. Klemm est professeur de médecine vétérinaire à Texas A&M University. Avant
de prendre sa retraite de colonel de l’armée de l’Air des Etats-Unis, il travailla pendant huit ans comme
chercheur scientifique dans le service de développement et de planification de la division des systèmes à
orientation humaine, base aérienne de Brooks au Texas.

L
es leaders savent instinctivement que
la créativité et l’innovation sont la
force vitale de leur organisation. Des
idées nouvelles peuvent conduire à
des programmes supérieurs à ceux qui sont
déjà en cours d’exécution ou planifiés dans
l’organisation et qui auraient été abandonnés
ou n’auraient jamais été lancés si un meilleur
programme ou idée s’était présenté. La mis-
sion de chaque leader devrait donc consister à
rechercher constamment des idées et pro-
grammes supérieurs à ceux que l’organisation
s’est engagée à poursuivre. En un mot, c’est ce
qu’on appelle le PROGRES.
Mais que peuvent faire les leaders pour
encourager la créativité et l’innovation ? La
réponse la plus évidente, à moins d’embaucher
une main d’œuvre nouvelle, est de prendre des
initiatives de gestion qui créent un cadre de tra-
vail encourageant le personnel existant à faire
preuve de plus de créativité et d’innovation.

La créativité PEUT être stimulée


par les leaders que pouvoir mystique que seuls les heureux
Nombreux sont ceux qui contesteraient élus possèdent. Mais pourquoi, alors, tous les
l’hypothèse implicite selon laquelle les leaders enfants font-ils preuve de créativité ?
peuvent faire n’importe quoi pour encoura-
ger la créativité. Ils soutiendraient que la créa- Les anecdotes courantes sur la
créativité sont dans l’erreur
tivité, comme les dons de batteur dont fait
preuve un joueur de baseball, est innée et ne Ceux qui ont examiné soigneusement le pro-
s’apprend pas. D’ailleurs, une bonne partie cessus de création se sont aperçus que tous les
des écrits anecdotiques consacrés à la créati- gens doués d’une intelligence ordinaire ont
vité tendraient à suggérer que celle-ci est quel- des capacités créatrices qui peuvent être ren-

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CREATIVITE ET INNOVATION   75

forcées par une formation adaptée et un envi- que notre personnel suggère des idées de
ronnement favorable. Un ouvrage récent réduction de nos coûts, d’amélioration de notre
consacré à la défense de cette proposition est efficacité. Ce qui serait vraiment formidable
celui de D. N. Perkins, intitulé The Mind’s Best serait d’avoir des idées de nouveaux plans, pro-
Work (La plus grande réussite de l’esprit).1 Il duits et services sensationnels ! Si nous avions
s’aperçut que les anecdotes a posteriori sur des alors des idées créatrices, je voudrais que nous
exemples bien connus de jaillissements majeurs ayons en place une structure de gestion qui
de pensée créatrice ont rarement été examinés pourrait mettre ces idées nouvelles en œuvre.
de près, ou ne l’ont pas été du tout, quant aux Mon supérieur pourrait toutefois dire : nous
processus mentaux qui y conduisirent. Il y a ne pouvons pas nous permettre plus de créati-
trop d’occasions de perte des corrélats men-
vité ! « Que ferais-je de nouvelles idées ? » pour-
taux réels de la créativité par suite d’excitation
rait-il dire. « Je n’ai pas le temps ni les ressour-
et de distraction (en tant qu’élément du phé-
nomène eurêka, d’absence de besoin ou de ces nécessaires pour appliquer les anciennes. »
désir de reconstitution des processus de pen- Je lui répondrai « Je suis d’accord » ; mais je lui
sée, ainsi que d’insuffisances de compétence et rappellerai également les innovations de nos
de mémoire lors de la reconstitution du pro- concurrents dans la bureaucratie – sans parler
cessus. Les expériences au cours desquelles il a de celles de l’ennemi ! Je lui rappellerai que ce
été demandé aux sujets de penser à haute voix qui nous coûtera le moins cher pour obtenir
ou de communiquer leurs pensées pendant un de meilleures idées est de stimuler le processus
épisode d’invention conduisirent Perkins à de création et celui d’innovation dans notre
conclure que la créativité résulte naturellement propre organisation.
et intelligiblement de certaines capacités cou-
rantes de perception, de compréhension, de
logique, de mémoire et de style de pensée. Raisons pour lesquelles les leaders
L’inconscient n’a rien de magique
devraient stimuler la créativité
Les leaders devraient stimuler la créativité
Certains croient que la créativité émerge de la
pour deux raisons très importantes : pour évi-
pensée inconsciente. Même s’il en était ainsi,
cela ne veut pas nécessairement dire que la ter l’obsolescence et pour augmenter la pro-
créativité est particulièrement mystérieuse ductivité. Examinons-les l’une après l’autre.
quand on la compare à d’autres aspects de la
pensée et du comportement. La pensée incons- Obsolescence interne
ciente ne semble pas contribuer plus ni moins Si l’organisation ne reçoit pas un flot continu
à la créativité qu’aux activités courantes. L’es- d’idées nouvelles, une focalisation sur les
sentiel de la pensée se déroule dans l’incons- anciennes fait courir au travail en cours le
cient, y compris tout ce que nous faisons depuis
risque d’être dépassé avant même d’être ter-
sortir les poubelles jusqu’à lacer nos chaussu-
res, conduire notre voiture et exécuter des miné. En outre, comment pouvez-vous être
centaines d’autres processus mentaux cachés. vraiment sûr que les anciennes idées sont les
meilleures ? Vous dites que vous ne pouvez
pas vous permettre de faire des choses nouvel-
Raisons pour lesquelles les leaders les. Il est possible que vous ne puissiez pas
hésitent à encourager la créativité vous permettre de NE PAS faire des choses
nouvelles. La gestion des programmes devrait
Ecoutons un commandant typique lors- se faire en gardant un œil ouvert pour incorpo-
qu’il réfléchit aux problèmes : rer à ceux-ci des changements qui améliore-
J’ai besoin que mon personnel fasse preuve ront la qualité, abaisseront le coût ou accélè-
d’une plus grande créativité. Je voudrais bien reront l’exécution du travail.

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Il est toujours possible d’améliorer la productivité façon à pouvoir envisager de nombreuses com-
des employés binaisons et perspectives. Il souligne qu’un
Les professionnels tendent à avoir les mêmes meilleur effort de créativité implique la recher-
capacités dans toutes les organisations et il ne che délibérée de nombreuses alternatives. La
fait aucun doute que leur productivité peut créativité a beaucoup plus de chances d’émer-
être améliorée. L’enquête menée auprès de ger quand une personne examine de nom-
1300 spécialistes et ingénieurs de recherche et breuses options et investit le temps et l’effort
de développement (R&D) par Pelz et Andrews,2 nécessaires pour continuer à chercher au lieu
par exemple, révéla que la moitié des ingé- de se contenter de solutions médiocres.
nieurs interrogés n’avaient déposé aucun bre-
vet lors des cinq dernières années ; deux jeunes Bloc-notes de l’esprit
scientifiques sur cinq n’avaient rien publié, pas La première étape fondamentale du proces-
même un rapport, lors des trois années précé- sus de création consiste à avoir une notion
dentes. Le célèbre historien des sciences Derek claire de la nature du problème et être capa-
de Solla Price a montré que les articles de ble de l’énoncer clairement. Le penseur effi-
recherche scientifique sont publiés par une cace commence par se focaliser d’abord sur la
élite très réduite dont on a calculé qu’elle structure du problème plutôt que sur ses
représente approximativement la racine carrée détails techniques. Je symbolise la transcrip-
du nombre total de chercheurs ; dans une tion de la description du problème sur un
population de 10 000 chercheurs, par exemple, bloc-notes parce que la série suivante d’opéra-
plus de 50 pourcent des articles sont publiés tions mentales se déroule dans le bloc-notes de
par 100 personnes seulement. l’esprit, la soi-disant mémoire de travail (qui
La masse salariale va être à peu près la ressemble à la mémoire dont vous vous servez
même, que le personnel devienne plus inno-
pour vous rappeler du numéro de téléphone
vateur ou non. Ne serait-il pas agréable pour
que vous composez).
vous d’en avoir plus pour votre argent ?
Chargées également dans la mémoire de
travail comme résultats des opérations créatri-
Que savons-nous du ces, on trouve les solutions potentielles. Cel-
les-ci viennent de la mémoire permanente de
processus de création ? chaque personne, qui est la base de données
Beaucoup a été écrit sur le processus de de connaissances et d’expérience accumulée
création3 et nous ne pouvons que résumer ici. dans le cours de sa vie. D’autres alternatives
Avez-vous vu la publicité d’IBM, dans potentielles sont chargées à partir de sources
laquelle figurait une longue liste alphabétique extérieures d’information telles que les lectu-
de mots du vieil anglais ? La légende de cette res, les idées de collègues, les bases de don-
publicité disait « N’importe qui aurait pu utili- nées et d’autres sources. Ces alternatives peu-
ser ces 4178 mots. Aux mains de William vent ensuite être traitées logiquement (par
Shakespeare, ils devinrent Le roi Lear. Le roi association, tri et alignement dans des catégo-
Lear personnifie l’essence de la créativité : ries et contextes nouveaux et inhabituels) ou
prendre des idées communément appliquées plus illogiquement par l’emploi d’images, d’abs-
et comprises puis les recombiner de nouvelles tractions, de modèles, de métaphores et
manières élégantes ; les combinaisons doivent d’analogies. Les étapes suivantes font interve-
naturellement ajouter de la valeur.4 nir la perception des indices et des pistes
La condition de base qu’exige un acte créa- potentielles, la réalisation de permutations
teur est l’association d’éléments connus pour d’alternatives qui apparaissent significatives
créer des combinaisons ou perspectives nouvel- et, enfin, la sélection des pensées qui condui-
les qui n’ont jamais été envisagées auparavant.5 sent à une idée nouvelle. Le processus d’exa-
Perkins parle de l’utilité d’une recherche déli- men et de choix entre des approches alterna-
bérée d’un grand nombre d’alternatives de tives implique une limitation progressive des

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options lors des premières phases de la créa- saire de le reformuler. L’idée lumineuse finira
tion et un empressement à réviser et réexami- par émerger de ces itérations.
ner lors des phases ultérieures des décisions
prises antérieurement. Ce processus de limita- La créativité ne peut être planifiée – directement
tion exige du créateur qu’il décompose et
Nous savons que la pensée révélatrice et créa-
reformule les catégories et les corrélations de
trice ne peut pas être planifiée par un leader ;
pensées et de faits qui sont communément
une telle pensée arrive toute seule, émergeant
appliqués aux problèmes et à leurs solutions
souvent au milieu d’une activité en cours qui
habituelles. Le penseur créateur examine tou-
peut n’avoir rien à voir avec les idées nouvelles.
tes les alternatives raisonnables, y compris un
Passant en revue ce qui a été écrit sur le pro-
grand nombre qui peuvent ne pas sembler
cessus de création, Arieti6 conclut qu’il y a trois
raisonnables. Chaque alternative doit être exa-
phases de travail créateur : 1) une analyse ini-
minée, non seulement isolément mais aussi
tiale qui prend fin quand on aboutit à une
par rapport aux autres et au problème initial
impasse, 2) une période de repos, de récupéra-
exprimé de différentes façons. Le problème
tion et de manque relatif d’attention au pro-
pratique devient alors une question de réduc-
blème et 3) un jaillissement soudain et inattendu
tion de l’ampleur du problème et de l’espace
d’intuition et de solutions. Perkins maintient
occupé par les solutions de remplacement
que la soudaineté de cette dernière phase n’est
pour lui donner des dimensions pratiques. Il
qu’apparente ; les processus réels décrits plus
se pourrait bien que ce soit la raison pour
haut sur notre bloc-notes mental se sont proba-
laquelle on doit s’absorber dans le problème
blement déroulés consciemment et inconsciem-
pendant des périodes prolongées, avec une
ment pendant un temps non négligeable.
incubation subconsciente agissant pour aider à
passer en revue diverses alternatives et combi-
La façon dont nous classons les choses
naisons de celles-ci. crée un embouteillage d’idées nouvelles
Il convient de noter que toutes ces opéra-
tions doivent se dérouler dans la mémoire de Quelque chose dans le monde sensoriel ou
travail qui, malheureusement, n’a qu’une cognitif de Newton le conduisit à voir la res-
capacité très limitée. C’est probablement la semblance entre une pomme et la lune sous
raison pour laquelle l’intuition et la créativité un angle nouveau ; elles étaient bien entendu
sont si dures à obtenir. Les spécialistes de la toutes les deux des solides ronds. On n’est
créativité feraient bien de rechercher des toutefois pas certain de ce qui le conduisit à
moyens permettant de créer une plus grande percevoir ce qui est aujourd’hui évident, à
capacité pour notre mémoire de travail et de savoir le fait qu’elles sont toutes deux soumi-
la rendre plus performante. Le facteur le plus ses à l’effet de la gravité. Même le fait de voir
facile à manipuler semblerait être le méca- la pomme tomber d’un arbre ne constituerait
nisme d’acquisition d’informations fournies pas un stimulus mental significatif pour la plu-
par des sources extérieures. Un exemple de part des gens dans la mesure où ils ne sont pas
moyen que nous employons déjà pour aug- habitués à penser à la lune comme quelque
menter l’efficacité de cette acquisition est chose qui tombe. La pensée créatrice est affec-
l’utilisation du brainstorming. tée par les façons dont nous classons les cho-
Les phases finales de la créativité sont plus ses. Nous plaçons les pommes et les lunes dans
simples et directes. Elles font intervenir une des catégories mais, en tenant à les décrire et
analyse logique critique qui oblige générale- à leur donner un nom, nous limitons les caté-
ment à affiner les idées qui émergent. Cette gories auxquelles elles appartiennent. Les
analyse devrait imposer le rejet des idées pré- pommes sont supposées être rondes, rouges
maturées, ainsi que la relance des processus et sucrées, alors que les lunes sont grosses,
de recherche et de sélection. L’analyse conduit jaunes, rocailleuses et très éloignées. Les noms
parfois à réaliser que le problème qu’on essaye eux-mêmes empêchent de considérer les unes
de résoudre n’est pas le bon ou qu’il est néces- ou les autres comme des objets non classés

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soumis à la gravité. On trouve communément Que savons-nous des


une classe inférieure de créativité dans la sim-
ple réalisation de la signification des associa-
leaders créatifs ?
tions évidentes. Celles-ci peuvent même être Nous connaissons quelques faits relatifs
négatives (p. ex., si de la pénicilline est pré- aux leaders créatifs. Ils peuvent être résumés
sente dans une boîte bactériologique, les comme suit :
micro-organismes ne se développeront PAS).
Les leaders créatifs sont d’une intelligence modeste
L’imagerie a plus de chances de stimuler Lors de sa récapitulation des caractéristiques
une pensée nouvelle que le langage personnelles des penseurs créatifs, Arieti7
conclut qu’ils doivent être intelligents. Le
Les grandes découvertes peuvent émerger paradoxe est qu’ils ne sont généralement pas
d’une imagerie primitive. Si on en croit Eins- TROP intelligents. Une intelligence excessive
tein, les mots et le langage n’avaient aucun paralyse la créativité en imposant un examen
rôle dans sa pensée créatrice. Certains savants de soi-même et des idées qui est trop strict,
célèbres affirment qu’ils réfléchissent le trop logique.
mieux sous forme d’images visuelles, même
au niveau du rêve. Einstein, par exemple, se Les leaders créatifs sont bien informés
vit lui-même dans un de ses rêves chevauchant Une connaissance approfondie d’une source
un rayon lumineux et tenant un miroir devant de difficultés est nécessaire pour comprendre
lui. Puisque la lumière et le miroir se dépla- les limites du dogme en vigueur et identifier
çaient à la même vitesse dans le même sens et les domaines dans lesquels la pensée créatrice
que le miroir était légèrement en avant du sera la plus féconde. Une connaissance trop
front du rayon lumineux, la lumière ne pou- approfondie entrave toutefois le processus de
vait jamais rattraper le miroir pour réfléchir création, produisant le mal qui affecte ce der-
nier et que l’on connaît sous le nom de durcis-
une image. Einstein ne pouvait donc se voir
sement des catégories. Cela devient un problème
lui-même. Bien qu’étant un rêve, une telle particulier lorsque la connaissance est focalisée
réflexion n’est pas le produit d’un esprit en sur une spécialité étroite parce que les autres
proie aux hallucinations ; une logique et un informations qui pourraient être utilisées dans
ordre clair sont incorporés au rêve. la synthèse créatrice sont restreintes.
Les spécialistes de la neuroscience savent
que les humains ont un cerveau divisé dont la Les leaders créatifs sont des penseurs originaux
moitié gauche contrôle la pensée analytique, Une pensée originale n’est pas la même chose
qui intervient dans les fonctions verbales et de que la créativité mais représente manifeste-
calcul, alors que sa moitié droite se charge ment un préalable à la pensée créatrice. L’ori-
d’une façon plus holistique des images, de la ginalité demande une recherche active de ce
musique, des autres arts et de diverses formes qui est différent. Cela peut impliquer des ten-
de pensée non verbale. Le processus de créa- tatives délibérées d’évocation de contrastes,
tion semble dépendre de la libération de la de contraires, d’associations bizarres et d’une
moitié droite de notre cerveau du contrôle pensée symbolique. Une pensée originale
n’est parfois rien de plus qu’une simple réali-
despotique exercée par la moitié gauche de
sation du fait que ce qui est accepté par tous
celui-ci. Les responsables ont tendance à les autres présente des défauts, n’est pas suffi-
récompenser leurs subordonnés pour une sant ou doit être accompli différemment.
réflexion menée avec la moitié gauche de leur Mener à bien le processus de création
cerveau, qui est rigoureuse et précise. Etouf- demande toutefois plus que de l’originalité.
fons-nous ainsi la créativité ? Les pensées originales qui ne font pas l’objet

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d’un examen critique ne peuvent être affinées Certaines caractéristiques de la


pour devenir des concepts utiles et corrects ; personne créative sont innées
les gens qui montrent une moindre créativité Nous savons que les gens créatifs sont autodi-
tendent à évaluer ou rejeter les idées trop vite. rigés et motivés. La puissance créatrice des
Les créateurs réfléchissent soigneusement à scientifiques et des ingénieurs, telle qu’elle est
ce qu’ils recherchent et éclaircissent les rai- examinée expressément dans l’étude de Pelz
sons de leurs réactions aux idées qui émer- et d’Andrews, fut détectée chez ceux qui
gent. Ils ont tendance à rechercher pendant maintenaient des styles et des stratégies de
plus longtemps des pensées originales qui travail caractéristiques.
peuvent améliorer voire même remplacer les Dans une certaine mesure, les attributs qui
idées qui émergent. encouragent la créativité sont innés et ne peu-
Une question suscite une réponse et un vent donner lieu à une formation. Par exemple,
problème sa solution. Le truc est non seule- une évaluation de plusieurs études portant
ment de poser des questions mais également sur des physiciens ayant fait preuve d’une très
de le faire ou d’énoncer des problèmes le plus grande créativité révéla les communs dénomi-
efficacement possible. Une question peut faci- nateurs suivants, qui indiquaient que de tels
lement limiter la pensée créatrice si elle res- scientifiques étaient très probablement
treint l’espace réservé aux réponses potentiel- 1.  des hommes,
les. Il est par conséquent important de poser
des questions d’une façon ouverte qui ne fait 2. intensément masculins en termes de centres
d’intérêt et de perspective,
pas trop d’hypothèses quant à une réponse
acceptable. Une partie essentielle de la tâche 3.  issus de familles protestantes intégristes,
de créativité est la formulation correcte du 4.  peu portés eux-mêmes sur la religion,
problème lui-même.
5.  peu portés sur le contact humain,
Les leaders créatifs sont 6. troublés par les émotions humaines comple-
prêts à faire preuve de créativité xes, l’agressivité en particulier,
Cela signifie que les gens créatifs ont une 7. très travailleurs, jusqu’à être obsédés par leur
façon de penser qui permet à la créativité de travail,
se matérialiser comme par hasard. Nous avons 8. mélomanes, tout en n’appréciant pas les
tous entendu le célèbre axiome autres arts ni la poésie et
Le hasard ne favorise que les esprits préparés. 9. intéressés par l’analyse et la structure des
Pasteur choses.8

Mais l’explication plus complète est la sui-


vante Pouvons-nous attendre
Un accident survient en dehors de l’intention…
L’essence de l’invention n’est pas le processus
des leaders
mais l’intention. qu’ils fassent la différence ?
Perkins La capacité créatrice de tout individu donné
va de limitée à forte. Tous les professionnels
En d’autres termes, les gens créatifs ont une certaine capacité créatrice mais les
1.  désirent faire preuve de créativité, actes créateurs ne peuvent s’accomplir dans le
vide. Les créateurs doivent identifier un pro-
2. sont convaincus qu’il existe une solution
blème, être motivés pour le résoudre et connaî-
créative et
tre au moins certains faits (mais pas trop)
3. s’attendent à être ceux qui la découvriront. concernant le problème. Ils doivent faire la

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critique de leurs idées et les affiner pour faire la créativité et l’innovation, ainsi que d’autres
en sorte qu’elles se prêtent à la création d’un qui les entravent.
concept, procédé ou produit novateur.
Lors d’une étude du processus de création In Search of Excellence (A la recherche
et d’innovation, la capacité créatrice naturelle de l’excellence)11
de 115 maîtres de recherches fut évaluée à
l’aide d’un test psychologique spécial de puis- Ce livre à succès fut publié en 1982 par T. J.
sance créatrice (le test « RAT »).9 Certaines Peters et R. H. Waterman Jr. Il était basé sur
caractéristiques personnelles telles que la l’analyse de la gestion effectuée par les auteurs
capacité créatrice innée et le quotient intel- dans des dizaines d’entreprises du secteur de
lectuel (QI) n’étaient manifestement PAS la haute technologie figurant au classement
liées à la puissance d’innovation. L’analyste des 500 premières établie par la revue Fortune
conclut donc que ce qui comptait réellement et particulièrement bien connue pour leur
était l’environnement dans lequel l’innova- capacité de développer de nombreux produits
tion est supposée se produire. nouveaux qui rencontrèrent un grand succès
commercial. Parmi ces sociétés, on peut citer
IBM, 3M, GE, Boeing et Hewlett-Packard.
Se jeter à l’eau
Peters et Waterman commencèrent par sup-
Comment démarrons-nous ? poser que ces sociétés doivent faire quelque chose
« O.K. » dit le patron, « Je suis convaincu comme il faut et voulurent découvrir de quoi il
qu’il nous faut changer de style de leadership s’agissait. Ils identifièrent certains communs
pour encourager la créativité mais par quoi dénominateurs utilisés par ces sociétés pour
commençons-nous ? » encourager la créativité et l’innovation. Tou-
Pour commencer, regardons autour de tes ces entreprises disposent de mécanismes
nous pour voir comment d’autres organisa- de gestion intégrés pour pousser les individus
tions ont fait pour réussir à produire des idées entreprenants à prendre la tête de la généra-
nouvelles. tion d’idées nouvelles et à poursuivre celles-ci
jusqu’à la phase de produit ou de service nou-
Les scientifiques dans les organisations10
veau. Ces individus se font les champions de
Pelz et Andrews résument leurs conclusions leur propre cause et recrutent des passionnés
sur l’effet des méthodes de gestion sur la pro- comme eux dans une équipe de développe-
ductivité de plus de 1300 scientifiques et ingé- ment. L’équipe se voit souvent affecter un
nieurs travaillant dans 11 laboratoires des ordonnancier qui a pour fonction de combat-
secteurs public et industriel. Une note de pro- tre la paperasserie et d’apporter le soutien
ductivité composite attribuée à chaque scien- logistique et autre nécessaire. L’équipe de
tifique et ingénieur fut déterminée en tenant développement inclut généralement un cadre
compte du nombre d’articles publiés et de champion qui a suffisamment d’influence dans
brevets déposés ainsi que des notes attribuées
la hiérarchie pour protéger l’équipe de tout
par un jury de collègues et basées sur la contri-
harcèlement ou confusion administratif.
bution qu’ils apportaient à l’organisation et
sur celle, plus générale, qu’ils apportaient à la Les études mentionnées plus haut préci-
science et à la technologie. Ces notes furent sent toutes les deux que la créativité et l’inno-
ensuite utilisées pour calculer les coefficients vation n’échappent pas au contrôle de leaders
de corrélation des rapports entre la note de éclairés. Même si les leaders ne peuvent créer
productivité et diverses méthodes de gestion. le génie là où il n’existe pas, de nombreuses
L’analyse leur permit d’identifier de nom- pratiques influencent la créativité et l’innova-
breuses méthodes de gestion qui encouragent tion, pour le meilleur ou pour le pire.

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CREATIVITE ET INNOVATION   81

Graisser les rouages de avait été un élève de Claude Louis Berthollet,


qui avait contribué à introduire le concept de
cette machinerie créatrice la combustion et élucidé la chimie de compo-
Le moi est quelque chose qui se développe, sés tels que le chlore, l’ammoniaque et le cya-
qui est façonné en réaction à toutes sortes de nure. Le mentor de Berthollet avait été le
forces. célèbre Antoine Laurent Lavoisier. Cet arbre
généalogique s’étendait donc sans interrup-
R. B. McCloud tion sur plus de 200 ans.
Le moi créateur est également quelque La contagion de la fièvre créatrice peut
chose qui se développe et subit l’influence de également être observée dans des laboratoires
l’environnement et de l’auto-instruction.12 industriels ; les célèbres Bell Labs en sont un
Les leaders contrôlent le processus de créa- bon exemple. Sept de leurs chercheurs reçu-
tion mieux qu’ils ne le pensent. Pour com- rent un prix Nobel. Il existe peu de cadres de
mencer, s’ils savent quels genres de personnes travail ayant à eux seuls engendré des innova-
font preuve d’une plus grande créativité, ils tions fondamentales telles que le transistor, le
peuvent s’efforcer de recruter de telles per- laser et les fibres optiques. Mais l’atmosphère
sonnes. Ils peuvent enseigner aux gens déjà créatrice aux laboratoires Bell ne se canton-
en place ce que la créativité implique et leur nait pas à l’innovation spectaculaire. Leur
montrer qu’un certain degré de créativité est personnel détient plus de 31 800 brevets
à la portée de tout le monde. Il existe enfin de déposés depuis la création des laboratoires en
nombreuses méthodes de gestion qui créent 1925 et, au rythme actuel, il en dépose
un cadre de travail favorisant la créativité. approximativement un par jour !14

Créez l’environnement qui convient Comptez sur la créativité


La créativité est contagieuse
Il y a une forte corrélation entre l’innovation
Même si nous ne comprenons peut-être pas et la perception qu’à une personne de ce
totalement les processus de création, nous qu’on attend d’elle (être innovatrice ou pas).15
savons qu’ils sont contagieux. Certains environ- Lorsque les leaders se chargent de la respon-
nements contiennent quelque chose qui amé- sabilité de l’innovation, les employés la fuient.
liore le processus de création. Hans Krebs,13 le Cela peut être en partie dû au fait que de tels
biochimiste prix Nobel de médecine, a éla- environnements peuvent à vrai dire découra-
boré les « généalogies scientifiques » de cer- ger l’innovation de la part des employés voire
tains savants célèbres. Krebs lui-même eut un les pénaliser.
professeur prix Nobel, Otto Warburg, qui
avait à son tour été l’élève d’Emil Fischer, lau- Mettez les gens à l’épreuve
réat d’un prix Nobel pour ses travaux sur la
chimie des sucres. Fischer avait quant à lui été Sans mise à l’épreuve, le stimulus n’est pas
l’élève d’un autre lauréat, Adolph von Baeyer, suffisant pour entraîner des réactions créatri-
qui s’était vu décerner un prix pour ses tra- ces mais un excès de mise à l’épreuve sur-
vaux sur la chimie des colorants. Le mentor charge et submerge les émotions et l’esprit,
d’Adolph von Baeyer avait été Reinhard neutralisant la capacité de pensée créatrice.
Kekule von Stradonitz, célèbre pour ses étu- Avez-vous remarqué comme certaines de vos
des des composés organiques à structures meilleures idées vous viennent lorsque vous
cycliques. Kekule avait été un élève de Justus ne travaillez PAS, voire même pendant vos
von Liebig, reconnu comme étant le père de la vacances ? La plupart des théoriciens de la
chimie organique. Le professeur de Liebig créativité croient qu’il est important, même
avait été l’un des géants de la chimie organi- essentiel, de se débattre vigoureusement et de
que, Joseph-Louis Gay-Lussac, qui avait décou- façon prolongée avec un problème si on veut
vert de nombreuses lois sur les gaz. Gay-Lussac qu’il en émerge des solutions créatrices mais

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82   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

l’illumination ne se produira souvent que d’en produire. Le meilleur moyen pour la


quand on cesse de réfléchir au dit problème. direction de faire connaître ses besoins d’une
En termes de pratiques de leadership, Pelz façon crédible est de distribuer des récom-
et Andrews conclurent de leur étude qu’une penses tangibles à ceux qui suggèrent des
certaine « tension créatrice » devait exister idées nouvelles. Les récompenses peuvent
entre les états contradictoires de sécurité et de prendre les formes habituelles, allant de cel-
mise à l’épreuve des employés. Ils firent remar- les de nature pécuniaire (primes ou augmen-
quer en particulier que la productivité des tations de salaire) à des à-côtés très divers.
scientifiques et des ingénieurs augmentait Parmi des systèmes plus subtils et plus écono-
quand le laboratoire changeait des attitudes miques, figure la possibilité donnée aux pro-
établies ou quand des controverses techniques fessionnels de présenter leurs idées lors de
survenaient. La productivité augmentait quand réunions semi-officielles avec leurs pairs et
les scientifiques et les ingénieurs recevaient un leurs supérieurs. Il est particulièrement
renforcement positif et étaient encouragés à important d’offrir un accès direct aux pre-
participer à la prise de décisions. Peters et neurs de décisions, non seulement pour l’ef-
Waterman s’aperçurent que les entreprises de fet de satisfaction d’amour-propre sur les
haute technologie les plus performantes insti- employés mais également parce que c’est la
tuaient des méthodes de gestion conçues déli- seule façon de garantir que les preneurs de
bérément pour stimuler la concurrence, par- décisions restent bien informés et stimulés.
fois même au point de confier la résolution Les professionnels peuvent avoir besoin
d’un même problème à deux équipes différen- d’être fréquemment poussés à produire des
tes et de créer une atmosphère de compétition rapports ou articles portant leur nom. De tels
pour voir laquelle proposerait la meilleure efforts entraînent néanmoins un retour d’in-
solution. formation positif qui encouragera l’employé
à mener une activité créatrice à l’avenir.
Etablissez un système quelconque d’examen critique Pelz et Andrews s’aperçurent que la pro-
par les pairs ductivité des scientifiques et des ingénieurs
L’objectif ultime du vrai professionnel est d’ac- était stimulée lorsque ceux-ci savaient que
quérir le respect de ses pairs. Si des profession- leurs idées et leur travail étaient évalués par
nels n’ont aucun moyen de savoir ce que leurs quelqu’un d’autre que leur supérieur immé-
pairs pensent d’eux, cela signifie également diat, en particulier par des gens à l’extérieur
qu’il leur manque une incitation importante à de la hiérarchie ou à des échelons élevés de
donner le meilleur d’eux-mêmes. Lorsqu’il celle-ci. Les évaluations par les pairs et les uti-
existe des programmes d’examen critique par lisateurs finals avaient un impact important
les pairs, ils sont souvent administrés de sur la motivation des scientifiques et des ingé-
manière très négative où l’accent est mis sur le nieurs lorsque ceux-ci savaient que les éche-
jugement et la sanction. L’objet devrait en réa- lons supérieurs de la direction recherchaient
lité être de préciser la définition de la réussite de telles évaluations et y prêtaient une oreille
et la détermination de celui qui réussit, rassu- attentive.
rer les employés en leur indiquant qu’ils seront
jugés sur leur mérite et leur productivité tech- Mêlez les gens à la résolution des problèmes et
nique plutôt que sur la base de motifs accessoi- faites en sorte qu’ils soient absorbés dans celle-ci
res ou politiques et inciter tous les employés à De nombreuses anecdotes relatives aux gran-
maintenir la cadence. des réussites créatrices ont en commun le fait
que le créateur était profondément absorbé
Etablissez un système permettant de récompenser
dans la source de difficultés.16 Même Einstein
la créativité
se débattit pendant plusieurs années avec sa
Lorsque les employés savent que la direction tentative de clarification du rapport entre le
récompense les idées nouvelles, ils essayent mouvement et l’électromagnétisme. Il n’est

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CREATIVITE ET INNOVATION   83

pas surprenant que les meilleures idées soient lement conçus spécialement pour libérer les
habituellement apparues dans les domaines membres d’une équipe de toutes leurs autres
que ceux qui les suggérèrent connaissaient tâches pendant la durée du projet. L’équipe
bien. Cela est pourtant quelque peu paradoxal : est protégée des forces extérieures, des boule-
les connaissances gênent souvent la créativité. versements et des sanctions pour cause
Les professionnels formant un groupe trop d’échec par le cadre champion. Elle est proté-
spécialisé sont moins productifs que leurs col- gée de la paperasserie imposée par la bureau-
lègues ayant des connaissances plus généra- cratie de l’entreprise par le médiateur/ordon-
les.17 Je soupçonne que le paradoxe existe nancier. Les programmes de champion des
parce que la personne créative adopte une atti- entreprises évaluées par Peters et Waterman
tude différente, plus détachée et neutre vis-à- illustrent exactement l’inverse de la gestion
vis de ses connaissances, alors que la personne tatillonne – du moins une fois qu’un(e)
qui ne fait pas preuve de créativité a plus ten- champion(ne) et son équipe sont en place.
dance à croire ce qu’elle connaît. Les phases initiales d’approbation du projet,
En l’absence d’une direction et d’objectifs de définition des objectifs, d’allocation des
précis, les programmes de recherche ont ten- ressources et d’établissement de la procédure
dance à être ballottés et à battre de l’aile. que devra suivre l’équipe imposent une ges-
Dans leur récente critique des efforts de RD tion relativement stricte. Toutefois, une fois
dans l’industrie américaine,18 Deborah Sha- l’équipe formée et en route, une gestion effi-
pley et Rustum Roy accusent les responsables cace semble exiger qu’on la laisse tranquille.
RD d’avoir en grande partie échoué quand il L’équipe se charge de sa propre gestion, au
s’agissait de montrer la voie à leurs employés. moins dans la limite de ses compétences.
Ils nous accusent de consacrer trop de temps, Eviter une gestion tatillonne équivaut à
d’efforts et d’argent à une recherche fonda- donner une plus grande autonomie aux pro-
mentale qui ne mène à rien. Ce dont nous fessionnels et à leurs équipes. Il est toutefois
avons besoin, soutiennent-ils, est une recher- probable qu’une autonomie excessive n’est
che fondamentale plus intentionnelle, dans pas souhaitable. Pelz et Andrews se sont aper-
laquelle les employés se voient donner un but çus que les scientifiques et les ingénieurs
et des conseils, même pour leur recherche jouissant de la plus grande autonomie obte-
fondamentale. Il convient de toujours garder naient des résultats médiocres, sans doute
un certain objectif pratique à l’esprit, même parce qu’ils étaient isolés de toute stimulation ;
pour la recherche la plus fondamentale. Cela une certaine dose de coordination et de direc-
n’a pas à diminuer la valeur purement scienti- tion centrales est nécessaire pour maximiser
fique de la recherche fondamentale ; les tra- la productivité. Les personnes sûres d’elles et
vaux de Louis Pasteur devraient suffire à le autonomes devraient pouvoir produire plus ;
démontrer amplement. en fait, si leurs supérieurs ne leur donnent
pas d’instructions, elles doivent être indépen-
Débarrassez-vous des facteurs décourageants dantes pour réussir. Dans un climat de liberté
totale, les personnes autonomes doivent être
Les facteurs les plus courants décourageant la
créativité et l’innovation se manifestent dans exceptionnellement dynamiques et motivées
une atmosphère de crainte – crainte d’être pour continuer à réussir. Par contre, dans les
pénalisé en cas d’échec, de ne pas obtenir un situations de gestion tatillonne et rigoureuse,
soutien administratif suffisant ou de ne pas la productivité des personnes indépendantes
avoir le temps. C’est une des raisons pour les- ne s’améliore pas.
quelles les programmes d’équipes de projets
Relâchez quelque peu la pression sur votre personnel,
nouveaux dans les entreprises figurant au
donnez-lui une certaine liberté et le temps de méditer
classement des 500 premières établie par la
revue Fortune et ayant fait l’objet de l’enquête Nous nous référons ici à la liberté mentale,
menée par Peters et Waterman sont habituel- ainsi qu’à l’immunité contre les contraintes

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extérieures, qui permettent aux idées qui Reconnaissez – et exploitez – rapidement une erreur
émergent de conduire quelqu’un à un point Un rat exploite ses erreurs pour trouver la
déterminé, même si elles ne respectent pas le sortie d’un labyrinthe et, d’une façon compa-
bon sens ni les contraintes de temps, d’argent rable mais plus sophistiquée, les penseurs
et d’installations. créatifs doivent recevoir l’assistance de leurs
Arieti fait également remarquer que la per- supérieurs et collègues pour reconnaître et
sonne créative doit se voir accorder le temps exploiter leurs erreurs de réflexion lorsqu’ils
de ne rien faire, dans le sens traditionnel que s’efforcent de trouver la solution créative d’un
donnent à cette expression les cadres supé- problème. Dans les sphères scientifique et
rieurs d’une organisation, par exemple. Si les technique de la pensée, les fautes peuvent
employés doivent toujours être en train de être très utiles pour exposer les différents
faire quelque chose (procéder à une expé- points de façon nouvelle et inviter des appro-
rience, brasser de la paperasse), ils n’ont pas ches uniques d’un problème.
la possibilité de réfléchir à leur travail sans
être interrompus. Il est possible de soutenir Reconnaissez – et exploitez – rapidement les
qu’on peut être trop productif tel qu’on l’en- bonnes idées
tend habituellement. Un jeune scientifique Bien que les leaders ne puissent imposer la
de ma connaissance reçut un sage conseil de pensée créatrice, ils peuvent certainement se
son mentor plus expérimenté : « Tu ferais montrer ouverts à celle-ci, ainsi que la recon-
bien de publier moins pour que ce que tu naître et l’apprécier quand elle se manifeste.
publies soit meilleur. » La meilleure façon de montrer qu’on appré-
Arieti soutient que la pensée créatrice cie une idée est de l’appliquer.
implique généralement une période de médi-
tation et d’isolement. L’isolement s’apparente Faites en sorte que votre personnel se sente
à la privation sensorielle, un état dans lequel protégé, pas menacé
le sujet est moins distrait par les stimuli, lieux
communs et modes de pensée traditionnels, Les entreprises ayant fait l’objet de l’enquête
menée par Pelz et Andrews se sont aperçues
tout en étant libre d’exploiter ses ressources
qu’il est important de donner aux scientifi-
intérieures de base.
ques et aux ingénieurs la chance de voir leur
L’insistance courante sur le travail d’équipe
nom associés à un produit, un rapport ou un
est justifiée, comme l’indique l’étude menée procédé.
par Pelz et Andrews. Chaque membre de Ces entreprises favorisaient également des
l’équipe doit pourtant pouvoir parfois s’isoler, pratiques qui élevaient le statut des individus,
à l’abri des distractions et des interruptions, telles que
pour réfléchir de façon créative aux problè-
mes rencontrés par l’équipe. 1. permettre aux professionnels de présenter
Il est souvent nécessaire d’apporter une leur travail (réunions d’information, rapports,
etc.),
attention continue à un problème avant que
la solution créative n’émerge.19 Les leaders 2.  leur accorder une certaine autonomie,
devraient donner aux gens le temps de s’atta- 3. minimiser la supervision exercée par les
quer aux problèmes non résolus et ne pas les échelons supérieurs et
sanctionner tant qu’ils font des efforts sérieux.
Jung aurait dit que, pour faire émerger la 4.  les laisser définir leurs objectifs et priorités.
pensée créatrice de sa phase d’incubation, on L’étude menée par Pelz et Andrews fit
doit être « entraîné spécialement à couper le apparaître une augmentation évidente de
conscient, du moins jusqu’à un certain point, productivité chez les employés que leurs supé-
et donner ainsi au contenu de l’inconscient rieurs laissaient définir leurs propres objectifs
une chance de se développer. » et priorités et influencer la prise de décisions.

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CREATIVITE ET INNOVATION   85

Ce principe est explicitement incorporé aux Pour remédier pratiquement à de tels pro-
programmes de champion des entreprises du blèmes d’œillères, Hickman et Silva suggèrent
secteur de la haute technologie figurant au plusieurs exercices qui aideront aussi bien les
classement des 500 premières établie par la leaders que les employés : 1) établir un quota
revue Fortune ayant fait l’objet de l’étude de personnel d’une nouvelle idée par jour,
Peters et Waterman. 2) choisir une règle gênante de l’organisation
et ne pas la respecter (d’une façon inoffensive
Changez les attitudes envers les béni-oui-oui pour soi-même ou l’organisation), 3) lire des
et le conformisme articles traitant de la créativité, 4) céder au
Le conformisme est l’ennemi de la pensée rêve et aux idées folles, particulièrement lors-
créatrice. Comme on pourrait s’y attendre, les qu’on est noyé dans les détails techniques,
gens sont très différents en termes de tendan- 5) pour tout problème, se forcer à envisager
ces au conformisme. Un certain conformisme de nombreuses solutions et 6) remettre à
est probablement imposé par les conditions plus tard l’évaluation d’une idée (la caresser,
de culture et d’enseignement. Par exemple, explorer ses ramifications).
lors d’un test visant à quantifier les tendances
au conformisme en termes de pourcentage Montrez aux non-conformistes que vous les tolérez
de réponses à des questions influencées par la voire même les appréciez
pression collective, les officiers des forces
Les gens créatifs ont, par définition, plus de
armées manifestèrent le plus grand confor-
chances d’être non-conformistes, non seule-
misme, avec un score de 33 pourcent ; à titre
de comparaison, les étudiants en deuxième ment en termes de pensée mais parfois aussi
année d’université avaient un score de confor- d’attitudes et de comportement. Si de telles
misme de 26 pourcent, alors que celui des personnes sont appréciées dans une organisa-
scientifiques du secteur industriel n’était que tion pour ce que leurs idées peuvent apporter
de 14 pourcent.20 Il est remarquable que les au groupe, une certaine tolérance d’un com-
scores individuels enregistrés dans chaque portement original représente le prix à payer.
groupe allaient de 0 à 100 pourcent, ce qui Les créateurs et innovateurs sont parfois
signifie que des personne potentiellement trop agressifs. Ils peuvent être motivés par
créatives figurent dans tous les groupes, même l’ambition et tolèrent mal les obstacles, qu’ils
si le conformisme peut être flagrant dans cer- soient matériels ou liés à la gestion.
tains de ceux-ci. « Les meilleurs employés sont ceux qui se
Lorsqu’ils examinèrent les pratiques cou- plaignent le plus » fut la conclusion tirée par
rantes qui entravent la créativité et l’innova- un analyste à l’issue d’une enquête sur la pro-
tion, Hickman et Silva21 établirent une liste de ductivité industrielle. S’il est évident que les
six œillères qui cachent fréquemment la créa- mécontents et les rouspéteurs chroniques ne
tivité et l’innovation aux leaders. Ce sont représentent pas un très grand atout pour
1.  la résistance au changement,
une organisation, il est axiomatique que les
meilleurs producteurs et les personnes moti-
2. la dépendance vis-à-vis des règles et de la vées sont sûrs d’eux, parfois plastronneurs,
conformité, voire même odieux. L’enquête de Pelz et
3.  la crainte et le doute de soi-même, Andrews fit apparaître une corrélation frap-
pante entre la productivité et le fait que les
4. une dépendance excessive vis-à-vis de la logi-
que et de la précision,
scientifiques et les ingénieurs ne partageaient
PAS totalement les objectifs et les centres
5. la tendance à voir les choses en noir et blanc, d’intérêt des échelons supérieurs de la direc-
et tion. Ils étaient toutefois réceptifs aux sugges-
6. une dépendance excessive sur l’esprit prati- tions et instructions de la part aussi bien de
que et l’efficacité. l’encadrement que de leurs collègues.

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Prévoyez un moyen officiel de génération d’idées mations et d’intuitions, suivis de quelque criti-
que de toutes les contributions individuelles,
Parmi les diverses tactiques que l’on peut
elle-même suivie des réponses des individus et
appliquer figurent l’utilisation fréquente de
des révisions de leurs idées initiales. Pour
séminaires et symposia, au cours desquels il
modifier l’approche des fonctions de brains-
est demandé aux employés maison de faire des
torming, il serait idéal d’utiliser une approche
présentations. Les discussions doivent être
de conférence informatisée, dans laquelle un
encouragées mais elles doivent être menées
ordinateur fait le compte de toutes les contri-
d’une façon positive, exempte de menaces.
butions et les met à disposition en temps réel.
Les sessions de brainstorming peuvent être
particulièrement utiles, à condition qu’elles
Créez un climat de débats
soient bien structurées et contrôlées. L’envi- et de désaccords
ronnement se prêtant à un brainstorming
efficace a été décrit par Osborn.22 La prémisse Dans leur analyse des cadres efficaces, Hick-
de base est que la créativité exige une réflexion man et Silva conclurent qu’ils ne cessaient
libre et sans retenue associée à une analyse jamais leurs investigations pleines de curio-
critique et une synthèse. L’homme typique ne sité. « Ce sont des développeurs pleins d’ima-
peut toutefois pas réfléchir d’une façon simul- gination et d’innovation qui peuvent trans-
tanément imaginative et critique. C’est la rai- cender les vieilles habitudes… Ils s’attachent
son pour laquelle Osborn recommande une constamment à la créativité, mettant toujours
séance de brainstorming dans laquelle 1) la de côté le temps et les ressources nécessaires
critique est exclue, 2) l’imagination débridée pour l’entretenir. »24 Un tel climat encourage
est la bienvenue (plus l’idée est folle, mieux les employés à présenter leurs idées, en don-
cela vaut), 3) de nombreuses idées valent nant à l’encadrement une chance d’utiliser
mieux que quelques unes et 4) les nouvelles ces contributions pour générer des idées
combinaisons d’idées sont encouragées. Pour encore meilleures, plus réalisables. La créati-
être sûr que la campagne d’imagination est vité s’auto-alimente, produisant plus idées
totalement stimulée, on a besoin d’une atmos- plus créatives.
phère d’excitation et d’enthousiasme, ainsi La puissance créatrice des professionnels
que d’une attitude tolérante et non critique est directement proportionnelle à la mesure
vis-à-vis des idées loufoques. Si toutefois une dans laquelle ils peuvent communiquer aussi
séance de brainstorming se termine à ce stade, bien avec leurs supérieurs qu’avec leurs pairs.
tout ce qu’on a est une collection d’idées Les leaders devraient solliciter ouvertement
ingénieuses, dont il se peut qu’aucune n’ait les idées des employés – puis ÉCOUTER ce
une valeur réelle. Une analyse critique ulté- que disent ceux-ci. Non seulement cela est
rieure est nécessaire pour séparer les idées utile en termes de motivation positive pour
qui peuvent être critiquées, reformulées et que les employés se sentent importants mais
recombinées en concepts utiles qui peuvent donne également à la direction accès à des
conduire à une véritable innovation. informations et des idées qu’elle pourrait
Qu’en est-il des conférences Delphi infor- sinon ne pas obtenir. Ce principe réside au
matisées ? Je ne pense pas que quelqu’un s’en cœur de la philosophie du contrôle de la qua-
serve mais la technologie existe. Une techni- lité de Deming, qui a été appliquée avec tant
que populaire permettant de mieux systémati- de succès par l’industrie japonaise.
ser la communication de résolution des pro- Les employés ont besoin de bons canaux
blèmes pourrait employer une variante de la clairs de communications avec leurs supérieurs,
soi-disant méthode Delphi.23 Il s’agit d’une en particulier avec les leaders qui opèrent aux
approche de communication structurée appli- niveaux de prise de décisions. Entre autres rai-
cable à la résolution des problèmes, à la plani- sons, cela est important parce que, dans un tel
fication, à la prévision et à la prise de décisions climat, les employés ont quelque espoir d’avoir
qui implique des apports individuels d’infor- accès à ceux qui prennent les décisions quand

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CREATIVITE ET INNOVATION   87

ils ont une bonne idée. Ils n’ont aucune raison Pour les employés, avoir une bonne idée
de craindre que quelqu’un d’autre leur cou- est une chose; lui faire faire surface en est une
pera l’herbe sous le pied et se verra attribuer le autre. Certains cadres de travail découragent
mérite d’avoir eu cette idée. La direction, en l’innovation, sinon activement, du moins
ce qui la concerne, n’encourage l’apparition involontairement. Les dirigeants de la société
d’idées nouvelles que si elle l’apprécie ouverte- 3M, bien connue pour le nombre et la diver-
ment et offre un renforcement positif à ceux sité de ses produits novateurs, ont un slogan :
qui avancent de nouvelles idées, même si cel- « Tu ne tueras pas une idée de produit nou-
les-ci ne sont pas réalistes. veau. »26 Bien entendu, ils n’appliquent pas
Dans le cas de la communication entre toutes les idées de leurs employés mais ils font
pairs, Pelz et Andrews se sont aperçus qu’il y en sorte que la politique officielle de l’entre-
avait une corrélation directe entre une aug-
prise soit l’encouragement de toutes les sug-
mentation de la productivité et le nombre de
gestions. Ils n’intimident pas leurs employés
pairs contactés par un employé quelconque
par des critiques mais les encouragent et les
ainsi que le nombre total de contacts.
aident plutôt à transformer leurs idées en
Permettez à votre personnel d’influencer la produits commercialisables.
prise de décisions Pour faire adopter une idée, on doit la
communiquer d’une façon compréhensible.
Un autre facteur à corrélation positive avec Bien qu’on puisse obtenir l’illusion du succès
l’innovation est le degré auquel les employés en emberlificotant ses supérieurs avec des idées
exercent une influence sur la prise de déci- complexes qu’ils ne comprennent pas vrai-
sions.25 Il n’est pas surprenant que, si les
ment, leur soutien prolongé exigera en fin de
employés savent qu’ils n’ont aucune influence
compte qu’ils comprennent en fait ce qu’ils
sur les leaders, ils doutent que leurs idées
soutiennent. Dans la plupart des cas, ce sou-
puissent être acceptées et appliquées. Pour-
quoi donc risquer d’exposer ses idées à de tien n’est pas accordé au départ si l’idée n’est
possibles critiques ? Les leaders et leur organi- pas claire ni compréhensible. Quiconque se
sation ont donc tout intérêt à faire en sorte fait le champion d’idées doit également jouir
que tous les employés se sentent importants d’un statut et d’une crédibilité suffisants pour
et à solliciter leurs idées sans les menacer. que ces idées soient prises au sérieux.
Dans toute hiérarchie, l’un des obstacles
qu’une idée nouvelle doit surmonter est le Optimisez la communication
supérieur administratif immédiat de l’em- Les leaders modernes recherchent activement
ployé. Le supérieur définit le ton psychologi- des moyens de développer la communication
que de son unité et ce ton peut encourager la
parmi leurs employés et de faire tomber les
créativité ou la décourager activement. Les
barrières qui existent entre les différents ser-
professionnels aux niveaux subalternes sont
vices. Les actions spécifiques vont de la
facilement intimidés ou démoralisés lorsqu’ils
essayent de faire accepter leurs idées. Les conception matérielle des espaces de travail
scientifiques de haut rang observés par Pelz et et de détente aux forums ouverts à l’occasion
Andrews qui se montraient les plus efficaces desquels des employés effectuent des présen-
pour appliquer des idées nouvelles étaient tations devant leurs pairs et leurs supérieurs.
ceux dont les supérieurs se tenaient à l’écart De telles mesures non seulement améliorent
quand il s’agissait effectivement de mener la la communication technique en soi mais éga-
recherche. Pour les employés de ce niveau, le lement rendent les employés plus conscients
rôle bien entendu des leaders semblerait se des compétences et des succès de leurs pairs
limiter aux encouragements, aux critiques avec lesquels ils sont en concurrence. Un tel
amicales et à la mise à disposition des ressour- environnement fait naître un désir de courir
ces nécessaires. plus vite juste pour ne pas perdre de terrain.

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Regroupez les gens idoines Regroupez périodiquement les équipes de


l’organisation
Le principe de la masse critique en matière
de gestion du personnel est bien connu. Les Les équipes de recherche s’encroûtent avec
gens brillants se stimulent les uns les autres, l’âge et leur productivité baisse généralement
en particulier si chaque personne a des anté- au bout de quatre ou cinq ans, comme le
montra clairement l’étude de Pelz et Andrews.
cédents et des compétences techniques diffé-
Ils apprirent également, toutefois, que trans-
rents qu’elle apporte comme contribution à férer des gens dans de nouvelles équipes de
la résolution d’un problème commun. Ce recherche n’était pas efficace si cela se faisait
concept d’équipe est explicitement encou- contre leur gré.
ragé dans de nombreuses sociétés de RD.
Dans de nombreuses organisations, il n’est Rendez les équipes autonomes
pas réaliste d’essayer d’atteindre la masse cri-
Le succès des équipes de projets nouveaux
tique ; elles n’ont tout simplement pas assez
dérive non seulement de la motivation posi-
d’argent pour recruter les nouveaux gens de tive à laquelle conduit la défense d’une cause
talent nécessaires. Dans certains cas, le pro- mais également du fait que l’équipe est auto-
blème peut toutefois être surmonté en faisant nome. Chacun de ses membres sait qu’il ou
tomber les barrières qui séparent les pavés elle est responsable vis-à-vis de l’équipe et que
d’un organigramme et en établissant des celle-ci est elle-même responsable de son pro-
liaisons en pointillés entre ceux-ci de façon à pre succès ou échec. Si on laisse des équipes
ce que des liens étroits puissent se développer opérer dans un environnement où personne
entre les gens qui ont des centres d’intérêt ne peut se voir attribuer le mérite d’une réus-
communs mais sont affectés à des services dif- site ni assumer la responsabilité de cafouilla-
férents. Les cadres administratifs qui sont de ges, personne n’est vraiment incité à donner
vrais leaders gravissent tous les échelons de la le meilleur de soi-même.
hiérarchie et imposent une réorganisation
Empêchez les gens de trop se spécialiser
massive là où c’est nécessaire pour réaffecter
des gens afin d’arriver à la masse critique et Un excès de spécialisation barre la route à la
d’optimiser l’efficacité. Les lignes d’autorité pensée créatrice. Une équipe de recherche
et de responsabilité doivent toutefois être composée de gens offrant des antécédents
bien claires. L’utilisation cavalière de lignes variés crée un environnement intellectuel sti-
en pointillés sur un organigramme conduit à mulant qui favorise l’évaluation des problè-
mes avec une perspective plus large et conduit
des situations où personne n’est responsable
à des façons nouvelles d’envisager les problè-
de quoi que ce soit auprès de quiconque. mes et leurs solutions. De nombreux projets
exigent en outre une grande diversité de
Créez des groupes d’études et d’évaluation compétences techniques, que l’on peut mani-
De nombreuses sociétés de RD à gestion tradi- festement obtenir d’une équipe dont la struc-
tionnelle ont historiquement compris la valeur ture est diversifiée.
qui s’attache à la création d’équipes interdisci- Nous sommes nombreux à avoir habituelle-
ment considéré les compétences techniques
plinaires chargées de résoudre les problèmes.
comme un élément crucial pour la producti-
Un examen récent de cette pratique de gestion vité. C’est la raison pour laquelle les employés
mené à la NASA dans le cadre d’un atelier qui qui se spécialisent sont considérés comme des
lui était consacré a confirmé son utilité.27 Il experts. Pelz et Andrews se sont toutefois aper-
arrive souvent que la direction n’arrive pas à çus que les employés les plus productifs étaient
appliquer les bonnes idées qui émergent de ceux qui se spécialisaient dans plusieurs domai-
tels groupes d’études et d’évaluation. nes techniques. Cela servait sans doute à stimu-

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CREATIVITE ET INNOVATION   89

ler la puissance créatrice. Une observation particulier chez ceux qui travaillaient dans le
connexe était que les équipes de recherche qui secteur public comparés à leurs collègues des
avaient travaillé pendant longtemps dans un laboratoires industriels ou universitaires.
certain domaine et avaient acquis le statut de Quels que soient l’âge et le cadre de travail, la
spécialistes maison virent leur productivité productivité était la plus élevée chez les scien-
décliner progressivement. De meilleurs résul- tifiques qui étaient motivés par leurs propres
tats sont parfois obtenus lorsque la direction idées plutôt que par celles de la direction.
confie délibérément un projet à une équipe Les groupes de recherche nouvellement
autre que celle qui est la plus compétente dans formés sont les plus créatifs et productifs. Par
le domaine en question. exemple, quand il fut demandé aux directeurs
Pelz et Andrews se sont également aperçus, de la recherche dans 21 laboratoires indus-
à leur grande surprise, que la productivité triels de classer leurs équipes ou sections sur
était supérieure chez les scientifiques et ingé- la base de critères tels que la créativité, il
nieurs qui travaillaient à plusieurs niveaux, y apparut que les groupes les plus créatifs
compris à la fois la recherche fondamentale avaient moins de 16 mois d’existence. D’après
et la recherche appliquée. Ceux qui se concen- l’enquête menée par Pelz et Andrews, un
traient exclusivement sur l’une ou l’autre groupe conserve sa puissance créatrice maxi-
étaient généralement beaucoup moins pro- mum pendant cinq ans environ, après quoi
ductifs. Cela peut indiquer que les scientifi- elle décline généralement. Ils expliquent ce
ques et les ingénieurs les plus productifs le phénomène en se fondant sur leur idée selon
sont parce qu’ils ont une capacité suffisante laquelle une certaine tension créatrice est
de travailler à plusieurs niveaux différents. nécessaire ; dans ce cas, la tension et la stimu-
Toutefois, il est également possible que les lation sont obtenues par l’affectation de per-
efforts visant à les faire travailler à différents sonnel à une nouvelle équipe dans laquelle
niveaux puissent stimuler leur créativité et l’insécurité causée par le besoin de faire ses
leur productivité. preuves auprès de nouveaux pairs conduit
De façon inattendue, c’étaient les employés chaque employé à se montrer sous son
les plus jeunes dont la productivité était la meilleur jour.
plus compromise par le fait qu’ils devaient se Le déclin typique du groupe avec l’âge
concentrer à fond sur un sujet. Il est conseillé peut être partiellement compensé si le groupe
aux leaders de ne pas affecter de jeunes devient particulièrement uni, tout en deve-
employés à la résolution d’un aspect limité du nant simultanément compétitif sur le plan
problème mais de veiller plutôt à ce qu’ils intellectuel. La cohésion est illustrée par la
s’informent sur ce dernier et en discutent fréquence de la communication parmi les
sous des angles différents. membres de l’équipe qui, dans les circonstan-
ces normales, est très élevée pendant la pre-
Reconnaissez et exploitez les effets de l’âge mière année mais diminue sérieusement au
fil des ans. L’esprit de compétition marquait
Si on en croit la sagesse populaire, les jeunes les relations entre les membres de l’équipe
sont les plus créatifs. En physique, par exem- ainsi que celles entre l’équipe et les autres.
ple, il est communément admis que, pour La stagnation s’installe également parce
avoir une chance de faire une découverte qu’un groupe plus ancien tend à se spécialiser
majeure, on doit la faire avant l’âge de 35 ans. et que les membres approchent les problèmes
Lorsque Pelz et Andrews examinèrent ce d’une façon plus stable et stéréotypée. La
point, ils arrivèrent à une courbe biphasique meilleure façon de compenser la perte d’une
présentant une pointe à la trentaine suivie perspective plus large et de la créativité qui
d’un déclin, en particulier en fin de quaran- l’accompagne consiste pour la direction à
taine. Il y avait toutefois un autre sursaut de mettre un groupe relativement ancien au défi
productivité créative après 50 ans. Le déclin de résoudre des problèmes sortant de sa com-
en fin de quarantaine était bien visible, en pétence. Il est conseillé aux leaders d’éviter

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de laisser croire à un groupe qu’il est le spé- peut produire la succession de processus
cialiste maison dans un domaine particulier ; conduisant à une innovation réussie tels que
en fait, certains leaders confieront délibéré-
1.  génération de l’idée,
ment la résolution d’un problème relevant de
la compétence d’un groupe relativement 2.  information des gens importants,
ancien à un autre groupe qui n’offre pas cette 3.  vente efficace de l’idée,
même compétence.
4. planification du processus de développe-
Réorganisez ment et

Les professionnels les plus productifs cités 5. maîtrise des contraintes (temps, argent,
dans l’étude menée par Pelz et Andrews intérêt).
étaient ceux qui appartenaient à des organisa- Même si une organisation peut compter
tions dont l’organigramme était relativement dans ses rangs de nombreuses personnes de
plat, avec peu de niveaux auxquels un veto ou ce type, ce sont les pratiques de gestion qui
une ingérence peut avoir lieu. Pelz et Andrews détermineront la mesure dans laquelle ces
s’aperçurent également que les plans de ges- caractéristiques personnelles peuvent s’expri-
tion traditionnels conçus pour rendre les mer. La transition technologique est le thème
employés dépendant de leurs supérieurs d’un nombre croissant d’articles et d’ouvra-
étaient contre-productifs. ges dans le domaine de la gestion des entre-
En particulier, la productivité réelle décli- prises sur lequel nous n’avons pas besoin de
nait lorsque la source principale d’évaluation nous appesantir ici.
était le supérieur direct. Comme le font obser-
ver Pelz et Andrews, « Si vous vouliez délibéré-
ment éradiquer toute pensée indépendante Conclusion
chez les subordonnés, il serait difficile de
concevoir un meilleur système ! » La créativité et l’innovation ne sont pas des
forces mystérieuses échappant au contrôle des
leaders. Le leadership moderne peut créer, et
La transition entre la créativité ne s’en prive pas, un climat qui encourage la
créativité et l’innovation. Comme nous l’avons
et l’innovation vu ici, il existe de nombreuses initiatives préci-
Avoir une idée créatrice est une chose mais ses de leadership, validées par le succès ren-
la transformer en innovation débouchant sur contré par certaines sociétés du secteur de la
un produit ou service nouveau exige d’autres haute technologie, que les leaders éclairés peu-
caractéristiques personnelles. Les innovateurs vent prendre pour stimuler la créativité et l’in-
doivent avoir le type de façon de penser qui novation dans tout cadre de travail.  ❑

Notes
1.  D. N. Perkins, The Mind’s Best Work (La plus grande 1975) ; H. Selye, From Dream to Discovery: On Being a Scien-
réussite de l’esprit), (Cambridge, Massachusetts: Harvard tist (Du rêve à la découverte : La vie d’un scientifique),
University Press, 1981). (New York: McGraw-Hill, 1964) ; G. Nierenberg, The Art
2.  Donald C. Pelz et F. M. Andrews, Scientists in Orga- of Creative Thinking (L’art de la pensée créatrice), (New
nizations: Productive Climates for Research and Development York: Simon and Schuster, 1982) ; C. R. Hickman et M. A.
(Les scientifiques dans les organisations : Climats produc- Silva, Creating Excellence (Créer l’excellence), (New York:
tifs de recherche et développement), (Ann Arbor, Michi- New American Library, 1984).
gan: University of Michigan, 1976). 4.  J. S. Bruner, in Contemporary Approaches to Creative
3.  Références recommandées : Perspectives in Creativity Thinking (Approches contemporaines de la pensée créa-
(Les perspectives de la créativité), sous la direction de A. trice), sous la direction de H. E. Gruber, G. Terrell et M.
Taylor et J. W. Getzels (Chicago: Aldine Publishing Co., Wertheimer (New York: Atherton Press, 1964), 1–30.

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CREATIVITE ET INNOVATION   91

5.  Pelz et Andrews. 13.  H. Krebs, “The Making of a Scientist” (La formation
6.  S. Arieti, Creativity: The Magic Synthesis (Créativité : d’un scientifique), Nature 215 (1967) : 1441 –45.
la synthèse magique), (New York: Basic Books, 1976). 14.  “Bell Labs on the Brink” (Les laboratoires Bell, toujours
7.  Ibid. à la veille d’une découverte), Science 221 (1983) : 1267.
8.  D. G. McClelland, in Contemporary Approaches to 15.  Pelz et Andrews,
Creative Thinking, 141–74. 16.  Arieti.
9.  F. M. Andrews, “Social and Psychological Factors Which 17.  Pelz et Andrews.
Influence the Creative Process” (Les facteurs sociaux et psy- 18.  D. Shapley et Rustum Roy, Lost at the Frontier: U.S.
chologiques qui influencent le processus de création), in Science Policy Adrift (Oubliée à la frontière : La politique
Perspectives in Creativity. scientifique américaine à la dérive, (Philadelphie: ISI
10.  Pelz et Andrews. Press, 1985).
11.  T.J. Peters et R. H. Waterman Jr., In Search of Excel- 19.  Arieti.
lence (A la recherche de l’excellence), (New York: Harper 20.  R. S. Crutchfield, in Contemporary Approaches to
and Row, 1982). Creative Thinking, 120–40.
12.  De nombreux auteurs ont écrit des livres visant à 21.  C. R. Hickman et M. A. Silva.
aider les gens à développer leur propre pouvoir de créa- 22.  A. F. Osborn, Applied Imagination (L’imagination
tion. Parmi eux, on peut citer Eugene Raudsepp, How appliquée),(New York: Scribner, 1953).
Creative Are You (Quelle est votre créativité ?), (New York: 23.  H. A. Linstone et M. Turoff, The Delphi Method (La
Putnam’s Sons, 1981) ; Roger yon Oech, A Whack on the méthode Delphi), (Reading, Massachusetts: Addison-
Side of the Head (Un bon coup sur le coin de la tête), (New Wesley Publishing Co., 1975).
York: Warner Books, 1983) ; Gerald Nierenberg, The Art 24.  Hickman et Silva.
of Creative Thinking (L’art de la pensée créatrice) ; A. 25.  Pelz et Andrews.
Koestler, The Act of Creation (L’acte de création), (New 26.  Peters et Waterman.
York: Dell, 1964) ; A. S. Parkes, “The Art of Scientific Discov- 27.  White-Collar Productivity and Quality Issues (Produc-
ery” (L’art de la découverte scientifique), Perspectives in tivité des cols blancs et problèmes de qualité), (Washing-
Biological Medicine I (Perspectives de la médecine biologi- ton, D.C.: American Institute of Aeronautics and Astro-
que I), (1959) : 366–78. nautics, 1985), 143–50.

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Des leaders qui
communiquent efficacement
par le docteur John A. Kline

Le docteur John A. Kline est professeur à Troy State University, Troy, Alabama, et est actuellement un pro-
fesseur visiteur distingué en communication et leadership à Air University (AU). Entre 1986 et début 2000,
le Dr Kline a été cadre supérieur et (SES) recteur académique à AU. Le Dr. Kline est diplômé de l’Iowa State
University en anglais et en éducation orale. Il a obtenu sa maîtrise et son doctorat en communication à
l’Université de l’Iowa. Il est diplômé du programme JFK de Harvard en Sécurité nationale et internationale.
Entre 1975 et 1986 il a enseigné la communication à Air University. Auparavant, il avait enseigné la
communication à l’Université du Nouveau-Mexique et à l’Université du Missouri-Colombia.

L
a valeur des leaders qui communi- leaders ont mis l’accent sur l’amélioration de
quent efficacement est quotidienne- la communication au sein des organisations.1
ment démontrée dans toutes les Des années plus tard, des études, dont celle
organisations. En effet, depuis 1938, menée par le Dr. Dan B. Curtis, ont confirmé
année au cours de laquelle Chester Barnard a ce que les études précédentes menées par
conclu que la communication était la princi- d’autres chercheurs avaient identifié : La
pale tâche des managers et des cadres, les capacité à communiquer efficacement est la

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clé du succès d’une organisation.2 Les résul- influençant la communication est le climat
tats de cette enquête nationale, et de celles organisationnel imposé par les leaders. Trois
menées ultérieurement par Curtis, ont conclu climats de base pourraient être définis, 1) le
que les directeurs et autres leaders supérieurs climat déshumanisé, 2) le climat sur-huma-
confèrent la plus grande importance à une nisé, et 3) le climat situationnel.
communication interpersonnelle efficace car
ils savent que la productivité dépend d’une Le climat déshumanisé
communication efficace.3
Pendant des années, de nombreuses organisa-
Les commandants et les superviseurs doi-
tions étaient fondées sur le modèle relation-
vent communiquer efficacement. Les mem-
nel maître-esclave. Assurément, les militaires
bres militaires et civils de l’armée de l’Air
n’ont pas été exempts de ce type de pensée.
doivent être informés. Mais, si la communica-
Le travail de Frederick W. Taylor, au début du
tion descendant de la chaîne de commande-
vingtième siècle, est souvent associé au climat
ment est importante, il est tout aussi impor-
déshumanisé.6 Taylor était crédité de suggé-
tant que les subalternes se tiennent informés
rer une philosophie de leadership négligeant
entre eux, et tiennent leurs leaders informés.
les relations humaines sur le lieu de travail.
En d’autres termes, pour être efficaces, les
Les hypothèses de base du climat déshuma-
canaux de communication doivent être des-
nisé sont que les subalternes sont fainéants,
cendants, ascendants, et ouverts au sein de ne souhaitent pas prendre de responsabilités,
toute l’organisation. ne sont pas motivés pour obtenir des résultats
Une communication efficace est tout parti- significatifs, démontrent une incapacité à
culièrement importante pour les leaders de contrôler leur propre comportement, sont
l’armée de l’Air. Dans une étude menée auprès indifférents aux besoins organisationnels,
de plus de 500 leaders en provenance de diffé- préfèrent être dirigés par les autres, et évitent
rentes organisations de l’armée de l’Air, le Dr. autant que possible de prendre des décisions.
Richard I. Lester a déterminé qu’une commu- Les leaders communiquent leur conviction
nication inefficace était la préoccupation vis-à-vis de telles hypothèses en ne divulguant
numéro un.4 pas les informations (puisque des informa-
Au sein d’une organisation, la principale tions confidentielles ne sont pas en sécurité
responsabilité en matière de communication avec les subalternes), en disant aux subalter-
repose sur les personnes qui occupent les pos- nes non seulement quoi faire mais également
tes de leadership, puisque les subalternes comment le faire, en faisant toute la commu-
prennent exemple sur eux pour la façon de nication ascendante et latérale eux-mêmes (si
communiquer. En tant que leaders, que pou- l’idée du subalterne est bonne, les leaders
vons-nous donc faire pour améliorer la com- s’en occupent eux-mêmes ; si ils pensent
munication au sein de nos organisations ? qu’elle est mauvaise, ils la répriment), et en
parlant individuellement aux subalternes
Etablir le climat de travail (rarement en groupes) afin que chaque per-
sonne continue à concourir en leur faveur.
Pour améliorer la communication, la pre- Ce comportement de communication
mière étape consiste à créer un bon climat de adopté par les leaders affecte à son tour le
travail. Il y a presque quatre décennies, une comportement de communication des subal-
importante autorité dans le domaine de la ternes. Puisque les informations ne sont pas
communication et du leadership, W. Charles partagées, les subalternes font preuve d’ingé-
Redding, a dit « Un membre d’une organisa- niosité pour dénicher les secrets. Et un secret
tion est, dans une large mesure, le type de n’a pas d’intérêt à moins qu’il puisse être par-
communicateur que l’organisation lui impose tagé. C’est ainsi qu’il y a des fuites. Parce que
d’être »5. Cela est toujours vrai aujourd’hui. les leaders montrent également un manque de
Et l’un des facteurs les plus contraignants confiance en disant aux subalternes comment

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faire leur travail, les subalternes répondent à ce peut parfois mener à la destruction de l’organi-
manque de confiance en rechignant à assumer sation. Puisque l’accent est mis sur l’absence de
de nouvelles tâches. Etant donné que les lead- conflit, des efforts sont souvent faits pour créer
ers essayent de prendre en charge toute la l’apparence d’une harmonie et pour réchauffer
communication ascendante et latérale, les les relations interpersonnelles, même en cas de
subalternes apprennent peu des autres parties tensions et de conflits. En conséquence, au lieu
de l’organisation, et, en conséquence, confir- de se manifester à travers un conflit sur le lieu
ment ainsi la supposition selon laquelle ils sont de travail, les tensions et les émotions sont sou-
indifférents aux besoins de l’organisation. Puis- vent libérées sur les maris, femmes, familles, et
que les leaders de ce genre tuent les mauvaises amis – ce qui est en fin de compte plus préjudi-
idées ou envoient eux-mêmes les bonnes, les ciable pour les individus qu’un conflit au travail.
subalternes ne sont pas motivés pour proposer L’importance excessive portée à la motivation
de nouvelles idées. Lorsque les leaders ne com- intrinsèque suggère qu’il y a un problème avec
muniquent pas en groupe avec les subalternes, les individus qui sont motivés par des facteurs
les subalternes forment des alliances informel- externes, tels que les augmentations ou les pro-
les pour diffuser les informations. motions. Lorsque les décisions sont prises exclu-
sivement par le groupe, cela provoque une
Le climat sur-humanisé insatisfaction des subalternes quant aux directi-
ves venant de la hiérarchie.
Le climat sur-humanisé se situe à l’autre extré-
mité du continuum. Au lieu de déshumaniser,
Le climat situationnel
il y a une préoccupation excessive des rela-
tions humaines. Alors que le climat déshuma- Le climat situationnel peut être considéré
nisé peut être retrouvé dans le travail de Tay- comme se situant à mi-chemin entre les cli-
lor, le climat sur-humanisé trouve racines dans mats déshumanisé et sur-humanisé. Cepen-
les fameuses études Hawthorne qui souli- dant, pour le définir d’une façon plus juste,
gnaient l’importance des relations sociales cette approche soutient que les objectifs orga-
pour la production. nisationnels et les objectifs individuels ne doi-
Les hypothèses de base de l’approche sur- vent pas nécessairement être incompatibles.
humanisée sont que les relations humaines L’un des avocats les plus connus de cette vision
sont plus importantes que les objectifs organi- était certainement Douglas McGregor.7
sationnels, les conflits et les tensions devraient McGregor appelait à une approche « appro-
à tout prix être réduits, la motivation des priée », basée sur une évaluation des besoins
subalternes devrait être presque totalement individuels et organisationnels. Par définition,
intrinsèque et autodirigée, et la prise de déci- l’approche situationnelle suggère qu’un cli-
sion participative devrait toujours primer sur mat « approprié » soit établi pour chaque
les décisions prises par une seule ou quelques situation. Lorsqu’il est nécessaire d’utiliser
personnes. Les leaders communiquent leur une discipline stricte et intransigeante, elle est
conviction vis-à-vis de cette approche en privi- utilisée. Lorsqu’il est nécessaire de structurer
légiant les besoins individuels plutôt que les une expérience professionnelle pour amélio-
besoins organisationnels. rer le développement personnel d’un indi-
Dans certains cas, ces hypothèses produiront vidu, cela est fait.
des résultats positifs et productifs, mais il y a très Il existe trois hypothèses de base pour établir
fréquemment des réactions indésirables. Les un climat situationnel. Tout d’abord, un climat
subalternes réagissent souvent au climat sur- flexible qui peut s’adapter à la nature complexe
humanisé de façons peu bénéfiques pour l’orga- et changeante des besoins individuels et organi-
nisation. La préoccupation constante pour les sationnels est plus bénéfique qu’un climat fixe.
besoins et le bien-être des individus accentue Ensuite, par nature, les individus ne sont pas
encore plus le fait que ces derniers sont plus passifs ou hermétiques aux besoins organisa-
importants que les objectifs organisationnels et tionnels, ni frileux à l’idée d’assumer des res-

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ponsabilités. Enfin, puisque les individus ne sont apportant de mauvaises nouvelles, d’être
pas fondamentalement fainéants, le travail peut punis. L’histoire bien connue « Les nouveaux
être structuré de telle sorte à ce que les objectifs habits de l’empereur » illustre cette réticence
individuels et organisationnels soient en ligne des subalternes à communiquer honnêtement
les uns avec les autres. auprès de leurs supérieurs.
Le leader qui communique sa volonté d’éta- Alors que pouvez-vous faire pour obtenir
blir un climat situationnel – qui s’adapte aux un feedback précis ?
individus et aux situations – peut s’attendre à 1. Dites aux subalternes que vous voulez du
certaines réactions de la part de ses subalter- feedback. Encouragez-les à vous commu-
nes. Tout d’abord, le sentiment de richesse niquer les bonnes et les mauvaises nou-
intérieure et de respect pour les autres aug- velles. Acceptez les désaccords. Ensuite,
mentera vraisemblablement chez les subalter- assurez-vous d’être constructif plutôt que
nes. Cette augmentation entraînera probable- de les punir pour ces informations.
ment une meilleure communication. Elle
pourra également provoquer l’expression de 2. Identifiez les domaines dans lesquels
désaccords qui pourront alors être gérés. vous souhaitez du feedback. N’encoura-
Ensuite, la perception de l’adéquation entre gez pas un feedback hasardeux consis-
les objectifs personnels et organisationnels tant en des propos déplacés ou des
pourra favoriser une productivité accrue, qui, plaintes personnelles à propos d’autres
en retour, pourra entraîner l’accroissement de individus de l’organisation. Communi-
la motivation intrinsèque et du sens des res- quez votre désir de feedbacks concer-
ponsabilités chez les subalternes. Enfin, les nant des thèmes et des domaines qui
subalternes adopteront probablement d’autres peuvent aider l’organisation.
comportements professionnels en ligne avec 3. Utilisez le silence pour favoriser le feed-
les objectifs organisationnels. L’établissement back. Ecoutez et encouragez les feed-
du climat organisationnel approprié favorise backs au lieu de contester les commen-
une communication efficace. Il y a également taires avancés par les subalternes.
des mesures positives qu’un leader peut pren-
dre pour améliorer la communication au sein 4. Soyez attentif aux signaux non-verbaux.
de l’organisation. La plupart des individus ne contrôlent
pas les réactions non-verbales aussi bien
que les réactions verbales. Quelqu’un qui
Des moyens d’améliorer la dit « Je suis vraiment ravi de vous rencon-
trer » tout en s’écartant de son interlocu-
communication teur communique probablement plus
Les leaders évitent souvent les simples listes par ses actions que par ses mots.
de suggestions et de conseils. Pourtant, en 5. Envisagez de programmer des séances de
suivant des suggestions de base, nous pouvons feedback. Puisqu’il est plus facile de préve-
devenir de meilleurs leaders et améliorer la nir que de guérir, gardez du temps pour
communication. Voici quelques suggestions les feedbacks. Une séance de feedback
pratiques pour une communication efficace. planifiée apportera généralement plus de
réponses qu’une question spontanée
Encourager le feedback comme « Comment vont les choses ? ».
Les subalternes découvrent rapidement ce 6. Utilisez des formulations pour encourager
que veulent les leaders, et leur fournissent ces le feedback. Des formulations telles que
informations. Mais il est peu probable que les « Dites-moi en plus sur ce sujet » ou « C’est
subalternes fassent un feedback négatif ou intéressant », ou bien des questions aux-
communiquent de mauvaises nouvelles à leur quelles il est impossible de répondre par
hiérarchie de peur, tels les anciens messagers oui ou par non, vous aideront à identifier

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ce qui se passe au sein de votre organisa- sage, ou à simplement écouter ce qu’il


tion. Commencez vos questions par que, veut entendre. Une écoute efficace exige
pourquoi, quand, où et comment afin une ouverture d’esprit.
d’encourager le feedback.
4. Profitez de la différence de vitesse. La
Ecouter efficacement vitesse de la pensée est plusieurs fois
supérieure à la vitesse d’un débit de
Pour recevoir du feedback, les leaders doivent parole normal. En d’autres termes,
écouter. L’écoute est la compétence négligée l’auditoire écoute plus vite que l’interlo-
en matière de communication. Tous les lea- cuteur ne parle. Ne tombez pas dans le
ders ont appris à lire, à écrire et à parler. Mais piège de rêvasser ou d’essayer de penser
peu ont reçu une formation formelle destinée à autre chose pendant que vous écoutez.
à leur apprendre à écouter. Ce manque de Utilisez cette différence temporelle
formation est tout particulièrement intéres- pour résumer et assimiler le message.
sant à la lumière d’une recherche qui démon-
tre que les individus passent sept minutes sur 5. Mettez-vous à la place de votre interlo-
dix de leur temps d’activité à utiliser une cuteur. Comprenez la perspective de
forme de communication ou une autre – 10 votre interlocuteur. Que savez-vous de
pour cent à écrire, 15 pour cent à lire, 30 pour ses connaissances, de son expérience, et
cent à parler, et 45 pour cent à écouter. Voici de sa compréhension du sujet ? Que
quelques pistes qui vous permettront d’amé- cherchent à dire les interlocuteurs par
liorer votre écoute.8 l’intermédiaire de la communication
verbale ou non-verbale qu’ils utilisent ?
1. Préparez-vous à écouter. Une écoute effi-
cace nécessite une préparation physique Réduire les malentendus de communication
et mentale. Mettez de côté les papiers,
livres et autres matériels qui pourraient Même s’il existe de nombreuses barrières à
vous distraire. Demandez à votre secré- une compréhension efficace, quatre d’entre
taire de mettre vos appels en attente, ou elles résultent directement d’une mauvaise
demandez aux personnes qui vous appel- compréhension du message. Connaître ces
lent de laisser un message sur votre boîte barrières peut vous aider à réduire les problè-
vocale. Evitez les interruptions inutiles. mes de communication.
Soyez prêt à saisir les remarques prélimi- 1. Barrière #1 : La mauvaise interprétation
naires de votre interlocuteur. Le reste du de la signification des mots. Il y a deux
message est souvent construit autour de problèmes essentiels.
la déclaration préliminaire.
1.  a. Un même mot peut signifier différen-
2. Ecoutez les idées, pas juste les faits. tes choses pour différentes personnes.
Lorsque les leaders se concentrent Ce problème est courant lorsque deux
exclusivement sur les faits, ils passent personnes ou plus essayent de com-
souvent à côté des idées principales. Les
muniquer. Vous pouvez dire à une
faits peuvent être intéressants en soi,
collègue que la température du
mais ils sont généralement énoncés
bureau est plutôt confortable. Pour
pour développer une généralisation
vous une température de 24 degrés est
basée sur ces derniers.
confortable. Pour elle une tempéra-
3. Soyez ouvert d’esprit. Souvent le sujet ou ture confortable est une température
le message de l’interlocuteur peut sem- de 20 degrés. Ce même mot peut
bler ennuyeux ou inintéressant. Certains signifier différentes choses pour diffé-
sujets ou individus peuvent inciter leur rentes personnes. Un ami vous dit
auditoire à porter un jugement, à écou- qu’il partira dans cinq minutes. Pour
ter seulement certaines parties du mes- lui, cinq minutes veulent dire bientôt –

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peut-être n’importe quand dans la 4. Barrière #4 : La mauvaise interprétation


prochaine demi-heure. En ce qui vous de la voix. La qualité, l’intelligibilité, et la
concerne, vous gardez la signification variété de la voix affectent la compréhen-
littérale. Cinq minutes signifient cinq sion. La qualité fait référence à l’impres-
minutes – 300 secondes. sion générale que la voix fait aux autres.
1.  b. Différents mots ont une même signi- L’auditoire déduit souvent à partir de la
fication. Beaucoup de choses sont voix que l’interlocuteur est heureux,
nommées de différentes façons. Bois- triste, apeuré ou confiant. L’intelligibilité
son pétillante, soda, et limonade qua- ou la compréhensibilité dépend de cho-
lifient tous la même chose. Le nom ses telles que l’articulation, la prononcia-
utilisé dépend de la personne qui tion et l’exactitude grammaticale. La
parle. Ces deux barrières peuvent variété est l’épice de la parole. La vitesse,
être surmontées en tenant compte le volume, la force, le ton et l’accentua-
du fait suivant : Les significations ne tion sont tous des facteurs de variété qui
sont pas dans les mots, les significa- influencent la compréhension.9
tions sont dans les individus. Les lea-
ders communiquent plus efficace-
ment lorsqu’ils réfléchissent au Communiquer avec
message en fonction de sa source et le personnel clé
de ses destinataires.
Cela va sans dire que vous devriez souvent
2. Barrière #2 : La mauvaise interprétation communiquer en face à face avec vos collabo-
des actions. Le contact visuel, les gestes, rateurs clés. Voici quelques conseils à suivre
l’expression du visage sont tous des fac- pour établir et maintenir une communication
teurs d’action. Lorsqu’une personne efficace avec vos subalternes clés :
sort rapidement de la pièce au cours
d’une réunion ou tape sur la table avec 1. Intéressez-vous et faites attention à l’ex-
un stylo au cours d’une conversation, les pression du visage, aux hochements de
leaders peuvent conclure qu’elle est tête, à la gestuelle, et à la position du
pressée ou qu’elle s’ennuie. Ces conclu- corps qui reflètent une ouverture et un
sions peuvent être correctes ou non. Si renforcement positif.
d’autres s’agitent ou paraissent hésitan-
tes lorsqu’elles parlent, nous pouvons 2. Mettez l’autre personne à l’aise en vous
conclure qu’elles sont nerveuses alors montrant détendu et en abattant les bar-
qu’en fait elles ne le sont peut-être pas. rières à l’aide d’une attitude amicale.
3. Barrière #3 : La mauvaise interprétation 3. Soyez naturel, parce que l’authenticité
des symboles ne découlant pas d’une et la sincérité sont à la base d’une com-
action. Les vêtements que vous portez, la munication efficace.
voiture que vous conduisez, les objets
disposés sur votre bureau sont autant 4. N’adoptez pas un comportement supé-
d’éléments qui communiquent des infor- rieur ou ne prétendez pas être ce que
mations à votre sujet. De plus, votre res- vous n’êtes pas.
pect des besoins en temps et en espace 5. Adaptez-vous au développement de la
des autres affecte la façon dont vous conversation avec des commentaires spon-
interprétez leurs messages. Par exemple, tanés plutôt que de poursuivre avec des
si un subalterne doit vous voir à midi, commentaires ou des arguments préparés.
mais arrive avec quinze minutes de
retard, ce retard pourra affecter la façon 6. Respectez le point de vue de l’autre per-
dont vous interprétez ce qu’il vous dit. sonne.

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7. Cherchez à comprendre ce que l’autre 2. Utilisez des formulations incitant à la dis-


personne veut réellement dire, pas cussion. Ces formulations ont un rapport
nécessairement ce qu’elle dit. avec ce qui se passe dans le groupe. Elles
peuvent être liées au contenu, mais elles
8.  Réduisez votre attitude défensive. stimulent et favorisent avant tout la discus-
9. Ne monopolisez pas la conversation au sion : « Ce que vous venez de dire semble
point que l’autre personne ne puisse avoir du sens. Qu’en pense le reste du
pas s’exprimer. groupe ? » ou « Bien, tout le monde semble
d’accord sur les deux premiers points. Pas-
10. Ecoutez attentivement en vous intéres- sons donc au troisième. » ou « Avons-nous
sant à ce que l’autre personne est en écouté ce que Joe a à dire ? » ou « Voilà une
train de dire au lieu de préparer ce discussion très productive ». Lorsqu’à la
que vous allez dire. fois le leader et les membres du groupe
utilisent efficacement ces formulations,
Favoriser le consensus l’accord arrive plus facilement et la satisfac-
tion est accrue.
L’un des problèmes les plus importants aux-
quels doivent faire face les leaders est de faire 3. Recherchez différentes opinions. Tou-
en sorte qu’un groupe arrive à un consensus. tes les personnes devraient être encou-
Il arrive souvent, bien sûr, que vous deviez ragées à donner leurs opinions et à
prendre une décision indépendante et vous y apporter des informations et des preu-
tenir. Mais généralement, les décisions politi- ves permettant de les étayer. L’expres-
ques sont entérinées à la suite de concessions sion d’un large éventail d’opinions et de
mutuelles obtenues dans le cadre de petits points de vue représente une impor-
groupes de discussion. La résolution d’un tante opportunité d’apprendre. En
problème est assurément l’un des objectifs même temps, la participation de toutes
des groupes de prise de décision, à quelque les personnes permettra qu’elles se fas-
niveau que ce soit, mais souvent un consensus sent entendre et qu’elles ressentent une
ou un accord est tout aussi important. Si une satisfaction accrue en ce qui concerne la
décision est prise sans consensus, le moral et discussion et les conclusions apportées.
la satisfaction de l’unité en pâtiront. Avec un 4. Restez ouvert aux différentes opinions.
véritable consensus, une unité tend à soutenir Cette suggestion est clairement le corol-
et à mettre en œuvre la nouvelle politique laire du conseil précédent. Nous avons
d’une façon volontaire. tous connu des personnes qui recher-
Les cinq suggestions suivantes visant à chaient l’opinion des autres sans avoir
aboutir à un consensus sont basées sur une l’intention d’être influencées par ces
liste plus longue établie à la suite de nom- dernières : « Ne m’embrouille pas avec
breuses recherches et analyses minutieuses de les faits, mon opinion est faite ». Lorsque
groupes de prise de décision.10 les autres présentent des faits et des chif-
fres irréfutables, ou même une bonne
1. Clarifiez la discussion. Assurez-vous que idée à laquelle vous n’aviez pas pensé,
l’activité du groupe soit compréhensi- n’ayez pas peur de revoir votre position
ble, méthodique et focalisée sur un pro- ou d’admettre que vous avez pu vous
blème à la fois. Le consensus arrive plus tromper. Les bons leaders apprennent
facilement si les facteurs sont considérés souvent de leurs subalternes. Les leaders
de façon individuelle et systématique. peuvent également montrer l’exemple
Encouragez chaque personne à rester afin que les autres ne restent pas campés
concentrée sur le sujet, à éviter les dis- sur leurs opinions. Des études ont
cussions parallèles, et à clarifier les pro- démontré que les leaders qui ne campent
blèmes avec des questions. pas trop, ou de façon modérée, sur leurs

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COMMUNICATION EFFICACE   99

opinions, sont plus estimés par les autres aussi important de s’intéresser aux besoins
que les leaders qui n’acceptent pas de des autres membres du groupe.
revoir leurs opinions.
5. Utilisez des pronoms se rapportant au Conclusion
groupe. Des études démontrent que des
groupes moins soudés – des groupes qui Les leaders efficaces reconnaissent l’impor-
arrivent moins facilement à un consensus tance d’une bonne communication. Les pro-
– ont tendance à utiliser plus de mots blèmes de communication peuvent causer des
auto-référents, tels que je, moi, mon et le goulots d’étranglement au sein de l’organisa-
mien. Les groupes qui arrivent à un tion. Mais avant de blâmer vos subalternes pour
consensus et qui sont plus soudés sont ces goulots d’étranglement, arrêtez-vous et exa-
quant à eux plus enclins à utiliser des mots minez une bouteille. Vous remarquerez que le
se rapportant au groupe tels que nous, nos goulot ne se situe pas en bas de la bouteille.
et le nôtre. En tant que leader, parlez du Les leaders responsables communiquent
groupe. Parlez de ce que vous espérez efficacement. Ils travaillent dur pour prévenir
accomplir ensemble et sur la façon dont les goulots d’étranglement et pour maintenir
vous pouvez travailler ensemble pour les canaux ascendants et descendants ouverts
atteindre vos objectifs. Ne mettez pas en partout dans l’organisation en 1) établissant
avant ce que vous souhaitez faire person- un climat de travail approprié et en ajustant
nellement ou ce qui serait mieux pour vos leur comportement de communication à la
propres intérêts. Insistez sur le fait que situation, et 2) en utilisant des techniques
même s’il est important d’être concerné visant à améliorer la communication au sein
par sa propre unité ou division, il est tout de leur organisation.  ❑

Notes
1.  Chester Barnard, The Function of the Executive (La 6.  Frederick W. Taylor, Principles of Scientific Manage-
fonction du cadre), (Cambridge: Harvard University ment (Principes du management scientifique), (New York:
Press, 1938). Harper and Brothers, 1911).
2.  Dan B. Curtis, Jerry L. Winsor, et Ron Stephens, The 7.  Douglas McGregor, The Human Side of Enterprise
Ideal Entry–Level and Management Profile (Le niveau d’en- (Le côté humain de l’entreprise), (New York: McGraw-
trée idéal et le profil du management), (Central Missouri Hill Book Co., 1960).
State University Research, 1985–1986), 21–25. 8.  Pour plus d’informations sur l’écoute, voir John A.
3.  Dr. Dan B. Curtis, interviewé par l’auteur, 16 février Kline, Listening Effectively (Ecouter efficacement), (Maxwell
1995. Air Force Base [AFB], Alabama: Air University Press,
4.  Richard I. Lester, PhD, “Top Ten Management 1996).
Concerns” (Le top dix des préoccupations en matière de 9.  Voir John A. Kline, Speaking Effectively (Parler effica-
management) dans Management of Organizational cement), (Maxwell AFB, Alabama: Air University Press,
Behavior (Gestion du comportement organisationnel), 1989).
7ème ed., Paul Hersey, Kenneth Blanchard, et Dewey 10.  Pour une discussion approfondie, voir John A.
Johnson (Upper Saddle River, New Jersey: Prentice-Hall, Kline, “Consensus in Small Groups: Deriving Suggestions from
1996), 8. Research” (Consensus au sein des petits groupes : Suggestions
5.  W. Charles Redding et George A. Sanborn, Business issues de la recherche) dans Small Group Communication: A
and Industrial Communication: A Source Book (Communica- Reader (Communication au sein d’un petit groupe : Un lec-
tion commerciale et industrielle : Un livre de référence), teur), ed. Robert S. Cathcart et Larry A. Samovar, 4ème ed.
(New York: Harper and Row, 1964), 29. (Dubuque, Iowa: Wm. C. Brown Publishers, 1984).

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Le leader créatif
par le capitaine de corvette Anthony Kendall

Le capitaine de corvette Anthony Kendall a servi aux Etats-Unis et outre-mer comme officier aviateur de
l’aéronavale et officier de communications aériennes. La spécialité du capitaine Kendall est C3 (consul-
tation, commandement et contrôle) et sa sous-spécialité C2I (commandement et contrôle, renseignement).
Il est titulaire d’une maîtrise d’analyse de personnel de la Naval Postgraduate School et participe au
programme hors campus de l’école de guerre navale. Le capitaine Kendall remporta en 1984 le concours
d’articles sur le commandement du US Naval Institute.

L
a préparation professionnelle et certain nombre d’officiers ont appris à n’anti-
intellectuelle est l’un des principaux ciper que les demandes de routine et ont été
défis auxquels doit faire face un offi- conditionnés à réagir, pas à agir. Le rôle des
cier. On peut toutefois observer une forces armées n’est pas d’accomplir des tâches
tendance à ignorer ou minimiser ce défi et à de routine mais de réagir rapidement et
ne progresser que jusqu’au niveau qui satisfait comme il convient à des crises avec un maxi-
les exigences minima d’aujourd’hui. Même si mum d’efficacité.
une telle généralisation est peut-être injuste Cet article met l’accent sur la nature de la
pour certains, il ne fait aucun doute qu’un créativité : la façon de la reconnaître, son objet

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LEADER CREATIF   101

et ses rapports avec le corps des officiers, le Après Pearl Harbor, comme dans le cas de
besoin auquel elle répond. En reconnaissant et nombreuses autres guerres et crises, se pro-
en encourageant le talent créateur, les forces duisit un exode massif d’officiers qui avaient
armées peuvent augmenter leur efficacité qui, passé leur vie dans les forces armées mais pri-
en fin de compte, contribue au bien-être du rent leur retraite quand on avait le plus besoin
pays. La guerre nucléaire, conventionnelle et d’eux ; la guerre les avait trouvés mal préparés
non conventionnelle représentera sans aucun intellectuellement pour faire face aux réalités
doute un défi mais l’officier qui fait preuve de de l’imprévu. On peut dire que l’assaut de la
souplesse et réfléchit peut le relever en assu- guerre s’apparente aux premières tempêtes
rant un commandement créatif. de neige d’un hiver rigoureux – les branches
Les leaders efficaces doivent posséder deux les moins solides tombent de l’arbre mais les
types de créativité pour commander et pour autres survivent. Un exemple d’officier
prendre les bonnes décisions. Le premier est sérieux qui s’adapta, survécut et fit preuve de
la créativité intuitive, c’est-à-dire tactique, à créativité réflexive est le lieutenant (futur
court terme. Ce type de créativité peut repré- amiral) F. H. Michaelis. Après l’attaque inat-
senter un élément clé du commandement au tendue de Pearl Harbor, Michaelis réévalua sa
combat. Le deuxième type est la créativité carrière et ses objectifs et surmonta sa fixation
réflexive, c’est-à-dire stratégique, à long sur la guerre de cuirassés. Il devint pilote de
terme. Sans la créativité réflexive, un officier l’aéronavale et connut une grande réussite
manquera d’intuition et ne pourra probable- dans son nouveau rôle.2 Le rythme rapide
ment pas percevoir l’avenir. Cet article exa- propre à la guerre nucléaire et au terrorisme
mine les deux types de créativité et ce qui pourrait toutefois ne pas se montrer indulgent
arrive quand l’un ou l’autre est absent dans le au point de donner à des officiers mal prépa-
corps des officiers. rés incapables de percevoir l’avenir avec pré-
Le corps des officiers de toutes les Armes a cision le temps dont Michaelis disposa pour
été maintes et maintes fois saisi par la surprise changer et s’adapter.
lorsque des guerres ou des crises importantes Le problème auquel sont confrontés les
ont éclaté. Lors d’une crise, la courbe de officiers, aussi bien subalternes que supé-
rieurs, n’est pas la guerre nucléaire ni l’appa-
demande se déplace et les exécutants margi-
rition du terrorisme mais l’incapacité à
naux deviennent un handicap, en particulier
s’adapter à l’imprévu – l’élément de surprise.
s’ils occupent des postes de responsabilité.
Voici plus de cent ans, Carl von Clausewitz
Un général de l’armée de Terre succomba à la
identifia la surprise comme l’un des éléments
routine lors de la bataille de St. Vith lorsque les
clés de la guerre mais cela ne nous empêcha
troupes qu’il commandait furent décimées
pas de devenir la proie de celle-ci à Pearl Har-
par une féroce contre-attaque allemande. bor et à Beyrouth lors de l’attaque à l’explosif
Arrivé à la cinquantaine, il avait passé toute sa du cantonnement de nos Marines.
vie – un quart de siècle de celle-ci – à se prépa- Le terrorisme, presque par définition, impli-
rer à la guerre. Année après année, lorsqu’on que un acte imprévu. Le vice-amiral d’escadre
avait pensé à l’armée comme refuge pour imbé- William P. Lawrence, chef du personnel de la
ciles ou fainéants, il avait participé laborieuse- Marine, déclara que l’un des défis auxquels
ment aux défilés matinaux sous le soleil impla- celle-ci est confrontée est l’apprentissage de la
cable du Texas, participé à de longues marches façon de s’y prendre avec le terrorisme interna-
dans la semi-obscurité de manœuvres exécutées
dans le Midwest, fait face aux regards renfro-
tional.3 Trop souvent pourtant, la réponse est
gnés pleins de ressentiment des deux généra- un cours d’une semaine suivi d’un exercice pra-
tions de jeunes soldats qu’il avait épinglés pour tique. La promulgation d’instructions perma-
maudire un sergent ou ne pas saluer, écouté nentes (Standard Operating Procedures – SOP) et
cent fois les mêmes bavardages éculés dans les autres ainsi que l’érection de barricades pour
clubs des officiers – pour s’apercevoir en une protéger des installations militaires dans le
courte semaine qu’il était un raté.1 monde entier ne constituent que des solutions

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102   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

superficielles, quelque peu hystériques, au vrai Qu’est-ce que la créativité ?


problème. L’ajout de règles d’engagement ou
de programmes informatiques modifiés, ces Avant d’examiner la créativité et la mesure
derniers n’étant que des algorithmes automati- dans laquelle le fait de l’encourager peut se
sés d’origine humaine conçus pour penser à la révéler une approche pragmatique de l’amé-
place de l’officier, ne fait pas non plus partie de lioration de la qualité du corps des officiers, il
la solution. Aucune formation, réprimande ni faut d’abord la définir. Les psychologues ont
mise à mort des boucs émissaires ne suffira à appren- décrit la créativité de nombreuses façons diffé-
dre aux officiers à s’adapter à l’imprévu. rentes mais ils se retrouvent essentiellement
Quelle est alors la solution ? Il y a des années, tous d’accord pour dire qu’il s’agit de tout pro-
l’amiral Ernest Joseph King donna une indica- cessus par lequel quelque chose de nouveau est
tion quant à la réponse à cette question dans la un produit, une idée ou un objet, y compris
consigne permanente bien connue qu’il donna une nouvelle forme ou organisation d’éléments
avant la seconde guerre mondiale : existants. La nouvelle création doit en outre
contribuer à la solution du problème.5
Nous n’aurons pas le temps ni la chance de faire
Le processus lui-même est traditionnelle-
plus que prescrire les diverses tâches des diffé-
rents subordonnés… s’ils rechignent à agir ment divisé en quatre phases de base : prépara-
parce qu’ils sont accoutumés à des ordres et tion, incubation, illumination et vérification.
instruction détaillés – s’ils ne sont pas habitués à La préparation est peut-être la phase la plus
penser, juger, décider ni agir par eux-mêmes à importante du processus de création. Sans
leurs différents échelons du commandement – elle, les autres phases seraient impossibles. Il
nous serons en piteux état quand arrivera s’agit d’une période au cours de laquelle sont
l’heure des opérations actives.4 recueillies des données relatives à un sujet
De nombreuses caractéristiques distinguent particulier. On l’appelle également immer-
un leader efficace d’un autre qui ne l’est pas, sion ; le penseur s’immerge littéralement dans
telles que son univers moral, son intelligence un flot de données.6 La personne dépourvue
et sa détermination. La distinction est toute- de créativité peut être confrontée au même
fois liée au niveau de créativité d’un individu. phénomène mais la personne créative est
Le général George Brinton McClellan, par capable de séparer ce qui est significatif de ce
exemple, était très intelligent et jouissait d’un qui ne l’est pas. Albert Einstein déclara pré-
très grand respect de la part de ses hommes ; tendument qu’il lui fallut un an après avoir
par contre, le général Robert E. Lee était créa- obtenu son diplôme avant de pouvoir faire
tif. Lee réalisa que la technologie du dix-neu- preuve de créativité parce qu’il avait dû
vième siècle avait changé certains aspects de la séparer le vrai de la grande quantité d’infor-
guerre, alors que McClellan ne profita pas de mations inutiles et inexactes qu’il avait dû
tous les avantages offerts par ladite technolo- absorber à l’université.7 Le général Douglas
gie, tels que l’utilisation des chemins de fer MacArthur passa ses premières années aux
pour accroître la mobilité des forces. Philippines et en Extrême-Orient à acquérir
Les leaders créatifs saisissent ce que des l’expérience dont il profita pendant les années
hommes qui le sont moins appellent des mena- de crise. Pour le jeune officier d’aujourd’hui,
ces et les utilisent comme des chances à saisir les écoles militaires, les écoles d’élèves-offi-
ou des défis à relever. La puissance créatrice ne ciers (Officer Candidate School – OCS) ou la
garantit pas le succès d’une adaptation à des préparation militaire supérieure (Reserve Offi-
règles de la guerre nouvelles ou modifiées mais un cers Training Corps – ROTC) représentent le
officier dépourvu de créativité et inflexible sera fondement de la collecte de données. Si on
presque certainement voué à l’échec. La créati- l’applique à la Marine, les moments que
vité ne se cantonne donc pas à l’auteur ou l’ar- connaît un jeune officier à l’occasion des croi-
tiste, pas plus qu’elle ne se limite au domaine sières d’élèves de l’Ecole Navale devraient lui
de la théorie, bien qu’elle y ait son origine. être utiles au vingt-et-unième siècle s’il peut

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LEADER CREATIF   103

distinguer entre ce qui est utile et ce qui n’a peut parfois avoir des résultats très spectacu-
aucune valeur.8 laires. Les gens ont réagi à l’illumination par
L’incubation est la phase la plus mal com- des exclamations telles que « Ah, ha ! »
prise et la plus controversée de la créativité. « Eurêka ! » et « Mais bien sûr ! » James Watt
Incubation signifie littéralement faire éclore, travailla sans succès pendant deux ans à la mise
développer ou prendre forme. La significa- au point d’un condenseur destiné à la machine
tion suggère une période d’activité incons- à vapeur Newcomen et puis, un jour, pendant
ciente ou de prise de recul par rapport au une promenade dominicale, Watt trouva la
problème. (Cela facilite la perte des idées pré- solution en l’affaire de quelques minutes.11
conçues ou des fixations concernant la Avant la bataille de Midway, le capitaine de fré-
méthode de résolution.)9 gate Joseph J. Rochefort Jr., de l’unité de ren-
Intuitivement, l’incubation semble effective- seignement opérationnel à Pearl Harbor, eut
ment se matérialiser, en dépit de l’absence l’idée d’envoyer un faux message en clair qui
d’une preuve solide soutenant cette assertion. serait intercepté par les Japonais et qui annon-
Plusieurs tentatives visant à démontrer l’exis- cerait que les installations de désalinisation de
tence de l’incubation ont eu lieu, sans succès. l’eau de mer à Midway étaient tombées en
Une étude testa l’existence de plusieurs fac- panne. Il fut découvert, à partir de messages
teurs possibles liés à l’incubation.10 Parmi ceux- interceptés et décodés, que les Japonais se pré-
ci figuraient l’incubation libre, une pause dans paraient à attaquer la nébuleuse « AF ». La
les tentatives de résolution du problème ; une Marine confirma que « AF » se référait à Mid-
activité cognitive difficile, la réorientation way lorsqu’un message japonais ultérieur réa-
d’une personne vers d’autres préoccupations ; gissant au faux message signala que « AF »
le réexamen actif, une conviction que l’incuba- manquait d’eau douce.12 Cet acte créatif limité
tion se produit parce que l’éloignement par contribua à la victoire finale à Midway.
rapport à un problème oblige un penseur à se La vérification est essentielle parce qu’elle
remémorer des idées oubliées mais importan- fait sortir une idée du domaine théorique
tes ; le dépareillage, qui consiste à rendre pour la soumettre aux rigueurs de la réalité.
incomplet un ensemble improductif ou à sur- La vérification met à l’épreuve la valeur de la
monter une fixation ; la réduction de tension, solution. Malheureusement, la vérification
l’échec de la résolution d’un problème par peut arriver trop tard. Le 7 décembre 1941
suite d’une pression ou d’une motivation confirma de façon tragique ce que certains
excessive ; enfin, les analogies visuelles, une officiers disaient depuis de nombreuses
assertion selon laquelle l’incubation se produit
années, c’est-à-dire que Pearl Harbor était vul-
parce qu’un évènement ressemble à la résolu-
nérable à une attaque aérienne.
tion du problème. (Exemple : la vue d’un chat
essayant de se saisir d’un oiseau pour l’extraire
de sa cage donna à Eli Whitney l’idée de l’égre- Entretenir la créativité
neuse de coton.) L’officier qui ne fait pas de
bruit peut par conséquent ne pas être impro- Les behavioristes pensent que la meilleure
ductif après tout ; il peut être en train d’élabo- façon d’accroître la créativité est de créer un envi-
rer des principes qui contribueront un jour au ronnement qui l’entretient et l’encourage. La
bien-être du pays et des forces armées. créativité peut être encouragée par le « renforce-
L’illumination est une soudaine intuition ment de comportements choisis et leur dévelop-
éclairant le problème. Parmi les éléments qui pement à des niveaux progressivement plus
précipitent cette intuition figurent un travail élevés. »13 Les supérieurs peuvent apporter un
intense mais sans succès à la résolution du leadership non seulement par leur exemple mais
problème, un laps de temps entre ce travail et également en jouant un rôle d’éducateur. Cer-
l’illumination qui finit par arriver et, enfin, un tains officiers confondent caractère énigmatique
moment de réflexion fortuit qui ramène la et leadership mais, lorsque la situation le permet,
personne au problème précédent. Ce hiatus un vrai leader devrait encourager un comporte-

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104   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

ment créatif en expliquant ses propres processus La structure d’une organisation peut avoir
de prise de décisions. Il devrait agressivement une influence négative en termes d’environ-
explorer et critiquer les processus de création de nement et institutionnaliser le conformisme.
ses subordonnés et les encourager à son tour à en La créativité est entravée quand on met trop
faire de même avec leurs propres subordonnés. l’accent sur les éléments suivants :
Les instructions permanentes et autres, ainsi que
les règlements n’apportent pas aux officiers Spécialisation
subalternes le « renforcement de comportements
choisis » nécessaire. C’est d’éducateurs, pas de Les forces armées tendent à pousser l’effica-
leaders de cultes, dont nous avons besoin pour cité et la stabilité à l’extrême et à isoler les
préparer les officiers subalternes d’aujourd’hui à officiers de la vue d’ensemble.
être les leaders de demain.
Une entrave majeure à la créativité est le Départementalisation
conformisme. Le conformisme est défini Elle présente certains avantages mais peut éga-
comme la perte d’autonomie et l’amoindrisse- lement limiter les canaux d’information. Une
ment du pouvoir de création par l’accent mis étude empirique conclut que la départementali-
sur l’environnement extérieur aux dépens du sation d’une organisation s’accompagne de la
processus de pensée et de l’imagination de mise en place de nombreux responsables qui
l’individu. Un commandant nous avertit que peuvent détecter et résoudre les problèmes qui
nous ne devons pas avoir un corps des officiers les concernent exclusivement.19
qui « sait comment être conformiste mais pas
créer, interpréter ni innover. » 14 Structuralisation
Le conformisme pourrait être une des rai-
sons pour lesquelles les officiers obtiennent Une structure militaire est nécessaire mais
généralement des résultats médiocres lors de elle peut contraindre les individus à atteindre
tests de créativité. Les études tendent à justi- des résultats à tout prix, réduisant ainsi la
fier cette hypothèse. Les officiers sont généra- créativité.20
lement très conformistes et peu créatifs.15 Ils Même si l’environnement n’est pas vraiment
obtiennent également des résultats médiocres conformiste, il peut avoir un effet nuisible si
en matière de résistance ou d’indépendance l’officier estime qu’il justifie la conformité.
(qui constituent une approximation du non- L’officier passe ainsi beaucoup de temps à
conformisme).16 essayer de se conformer. Le conformisme peut
Il arrive souvent que les officiers non- séparer l’individu créatif du groupe et, ce fai-
conformistes ne progressent pas dans leur sant, limiter les canaux d’information. 21
carrière parce que le non-conformisme est
fréquemment confondu avec le contre-confor-
misme. Les non-conformistes ne sont pas des La créativité est-elle nécessaire
rebelles. Les officiers créatifs et non-confor- dans les forces armées ?
mistes ne cherchent pas à atteindre l’objectif
superficiel que représente le changement La créativité est-elle réellement nécessaire
pour le plaisir de changer ou pour se faire de dans les forces armées et est-elle aisément
la publicité. Ce ne sont généralement pas des reconnue ? Historiquement, les gens n’ont pas
martyrs mais plutôt des pragmatistes qui reconnu les individus créatifs. Une étude s’est
recherchent le changement dans un but aperçue que la plupart des membres d’un
d’amélioration de l’organisation.17 Les études groupe de futurs éducateurs rejetèrent une
font apparaître que les gens créatifs tendent à liste de certains traits de caractères lorsqu’on la
avoir une tolérance élevée à l’égard de l’ambi- leur présenta. Ils estimèrent que ces traits
guïté, des aptitudes peu communes de résolu- étaient peu souhaitables bien que la liste ait été
tion des problèmes et des approches non- élaborée à partir d’exemples pris sur des gens
conformistes de résolution des problèmes.18 identifiés comme étant très créatifs.22

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LEADER CREATIF   105

Les chefs militaires sont des éducateurs suit est une liste des politiques que la Marine
mais ils peuvent également ne pas reconnaître devrait continuer à soutenir, ainsi que d’autres
ni apprécier un potentiel de créativité. Un recommandations susceptibles d’entretenir et
ancien directeur de l’une des écoles militai- d’accroître la créativité dans toutes les Armes :
res, responsable du développement de la créa-
tivité chez les futurs leaders, déclare : « Le Soutenez la créativité
succès ou l’échec dans un combat naval ne
dépend en rien des connaissances dans les Il arrive souvent que les gens créatifs ne commu-
domaines de la biologie, de la géologie, de la niquent pas les résultats qu’ils obtiennent parce
morale, des sciences sociales, de la littérature qu’ils n’excellent pas nécessairement à la com-
en langues étrangères ni des beaux-arts. »23 Il munication verbale. Un officier supérieur peut
y a de nombreuses années, un supérieur de utiliser son pouvoir en agissant comme parrain
l’amiral Alfred Mahan déclara à propos de et champion. Il peut également agir avec agres-
celui-ci, « La mission d’un officier de marine sivité et décision comme « éducateur » pour
n’est pas d’écrire des livres. »24 Si Mahan avait aider un officier subalterne à améliorer son apti-
reçu plus d’encouragements de la part de ses tude à la communication.
supérieurs, combien d’autres jeunes officiers
subalternes auraient-ils peut-être aspiré au Mettez fin à la spécialisation croissante
dans les écoles de guerre et le troisième
même genre de réussite ?
cycle d’université ou ralentissez-la
Lorsque la créativité est dénigrée ou igno-
rée, les résultats peuvent être désastreux : La créativité prospère dans un environnement
théorique ; il convient de mettre l’accent sur
• Alfred Mahan : ignoré par beaucoup (à
l’idée qui est derrière le « matériel », pas sur
l’exception de Théodore Roosevelt) mais
celui-ci. Une grande partie de la formation
pas par les Japonais, qui appliquèrent un
spécialisée nécessaire devrait être dispensée
grand nombre de ses principes pour le
dans le cadre de cours spécialisés avant que
plus grand chagrin de l’Amérique. Ses
l’officier entre à l’école de guerre ou en troi-
écrits influencèrent également la déci-
sième cycle d’université.
sion de l’empereur Guillaume II de faire
construire une puissante marine de
Réévaluez constamment la structure de
guerre allemande. l’organisation en termes d’encouragement de
• Robert Goddard : tourné en ridicule la créativité
comme « homme sur la lune » dans son Sans violer la voie hiérarchique, encouragez une
pays, les plans de Goddard, en avance sur communication informelle entre les services au
leur temps, aidèrent les Allemands à met- niveau de l’escadron ou du navire. Il arrive fré-
tre la fusée V2 au point. quemment qu’un officier subalterne puisse
• Charles De Gaulle : les chefs militaires n’avoir qu’une ou deux fonctions lors de sa pre-
français ne prirent pas la peine de lire mière période de service ; un commandant
son livre Vers l’armée de métier, dans lequel compétent s’assurera toutefois que l’officier
il exposait les grandes lignes de la théo- subalterne étudie les tâches et les responsabilités
rie de la guerre mécanisée. Inutile de des autres services. Le commandant devrait évi-
dire que les Allemands le lurent et le ter de récompenser l’officier subalterne qui se dis-
mirent en pratique. tingue en le maintenant dans un même déta-
chement pendant toute sa période de service.

Recommandations Etudiez les effets de la formation des officiers


(écoles militaires, OCS, ROTC) sur la créativité
Il est admis qu’il y a de nombreux officiers
de talent et que toutes les Armes ont fait des Identifiez les situations dans lesquelles le confor-
efforts visant à encourager la créativité. Ce qui misme est essentiel et éliminez-le quand il ne

12-Kendal.indd 105 2/17/09 9:15:31 AM


106   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

l’est pas. Déterminez également à quel point la des officiers à des conférences importantes ;
standardisation est poussée trop loin. envoyez des officiers subalternes participer à
des réunions importantes, même si c’est juste
Investissez dans la créativité en pour qu’ils écoutent et apprennent. En outre,
prévoyant de courtes périodes préparez et distribuez plus de données bio-
pour les projets spéciaux graphiques, aux niveaux aussi bien intracom-
Les temps d’arrêt sont un élément essentiel munautaires qu’intercommunautaire. La
de la créativité. Si un officier passe tout son Marine devrait continuer à parrainer et à
temps à accomplir des tâches terre-à-terre et encourager l’utilisation de revues tactiques
de routine, tout ce qu’il produira aura ces parmi les communautés combattantes.
mêmes caractères. Un commandant devrait
encourager la créativité en accordant à un Reconnaissez les officiers créatifs
officier subalterne prometteur deux semaines C’est en fin de compte le gouvernement qui
pour accomplir toute tâche dont celui-ci approuve la politique de défense mais il est extrê-
estime qu’elle facilitera les opérations de l’es- mement dépendant de la sagesse des conseils
cadron ou du navire. Cette tâche non structu- qu’il reçoit des différentes Armes. Malheureuse-
rée mettra l’officier subalterne au défi de ment, le conformisme et le manque d’intuition
réfléchir. Les opérations du navire pourraient conduisirent les chefs militaires à ne pas présen-
peut-être être améliorées par l’infusion ter au gouvernement une image fidèle de la
d’idées nouvelles. Le commandant ou son situation pendant la guerre du Viêt-Nam, la crise
second pourraient également élaborer des des otages en Iran et l’attaque à la bombe de Bey-
scénarios sortant de la routine qui demandent routh. Les conformistes travaillent bien dans le
aux décisions de commandement de mettre système militaire mais craquent en cas de crise.
les officiers subalternes au défi de trouver des Une crise est généralement inattendue, une sur-
solutions. Cela les encouragera à résoudre les prise qui cause un bouleversement dans le sys-
problèmes et à prendre des décisions crucia- tème qui leur apportent les conseils dont ils ont
les. Le commandant pourrait également tirer besoin. Un officier, quel que soit son rang, qui
des enseignements de l’exercice. souffre de myopie dans sa vision du monde n’est
ni un atout ni un leader. Le corps des officiers des
Empêchez les canaux d’information
Etats-Unis ne doit pas échouer dans un monde
d’être restreints
toujours changeant parce que, s’il échoue, le lea-
Réévaluez le principe du besoin de savoir. Sou- dership échouera car leadership et statut d’offi-
ciez-vous moins du coût lorsque vous inscrivez cier sont synonymes.  ❑

Notes
1.  C. Whiting, Decision of St. Vith (Décision à St. Vith), Conference on the Identification of Creative Scientifïc Talent
(New York: Ballantine Books, 1973). (Conférence de recherche sur l’identification des talents
2.  Amiral en retraite F. H. Michaelis, U.S. Navy, “Naval créatifs dans le domaine scientifique à l’Université
Lessons Yesterday and Tomorrow” (Enseignements navals d’Utah, 1955), sous la direction de C. Taylor (Salt Lake
pour aujourd’hui et pour demain), Vital Speeches (Allo- City: University of Utah Press, 1956), 42.
cutions essentielles) (15 janvier 1976) : 213.
6.  M. Henle, “The Birth and Death of Ideas” (La nais-
3.  Vice-admiral d’escadre W. P. Lawrence, U.S. Navy,
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4.  M. Janowitz, Sociology and the Military Establishment
(La sociologie et l’establishment militaire), (Beverly créatrice), sous la direction de H. E. Gruder (New York:
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12-Kendal.indd 106 2/17/09 9:15:31 AM


LEADER CREATIF   107

8.  H. Poincaré, Science and Method (Science et 16.  F. Barron, Creative Person and Creative Process (La
méthode), (New York: Dover Publications, 1952). personne créative et le processus de création), (New York:
9.  Henle, 31–62. Holt, Rinehart, and Winston, Inc., 1969).
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bation dans la résolution créative des problèmes), Ameri- Other Good Behavior (Modification du comportement et
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of Illinois Press, 1976), 617–30. Boxwood Press, 1975).
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ber, 120–40.

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L’excellence du commandement
Enseignements tirés du comportement
des unités les plus performantes
Monsieur Martin Pitt et
Docteur Michael Bunamo

M. Pitt, qui appartient au Bureau des enquêtes spéciales (Office of Special Investigations – OSI) de
l’armée de l’Air, à Andrews AFB, dans le Maryland, est conseiller en développement du commande-
ment auprès du commandement et le docteur Bunamo, aujourd’hui à la retraite, servit comme analyste
contractuel du commandement à l’OSI.

E
n 2004, je devins le nouvel adjoint de jamais oublier l’importance du personnel lui-
direction chargé du commandement même dans l’exécution de cette mission.
dans le bureau des enquêtes spécia- Il suggéra une étude à rebours de l’excel-
les (Office of Special Investigations – lence en termes de performances pour iden-
OSI) de l’armée de l’Air des Etats-Unis. Etant tifier un commandement efficace. Le docteur
chargé de la formation du personnel de l’OSI Bunamo voulait exploiter les moyens d’explo-
affecté à des postes de responsabilité, il était ration de données de l’OSI pour identifier
particulièrement intéressant pour moi d’ap- les unités les plus performantes et valider ces
prendre comment les responsables primés du choix avec les échelons supérieurs de l’OSI. Il
commandement s’y prenaient pour influen- proposa ensuite que nous nous entretenions
cer leur personnel afin qu’il remplisse sa mis- avec les chefs de ces unités pour apprendre
sion. Un jour, je demandai à mon collègue et comment ils encourageaient l’excellence en
coauteur le docteur Bunamo s’il existait une termes de performances, s’empressant d’ajou-
façon basée sur les faits d’identifier les métho- ter qu’il s’agissait d’une méthode risquée sans
des de direction et de gestion utilisées dans le garantie de succès. Cela dit, je demandai et
commandement pour encourager l’excel- reçus l’appui du général de brigade L. Eric
lence en termes de performances. Après avoir Patterson, qui commandait alors l’OSI, pour
réfléchi à cette question, il recommanda une le programme d’excellence du commande-
approche en accord avec la doctrine de l’ar- ment. Cette séquence d’événements nous
mée de l’Air, en attirant mon attention sur conduisit à un parcours remarquable qui
deux passages du document doctrinal de l’ar-
donna quelques résultats étonnants.
mée de l’Air (Air Force Doctrine Document –
AFDD) 1-1, Leadership and Force Development
(Commandement et développement de la Contexte
force) : Un commandement efficace convertit
le potentiel humain en performances impres- Pour identifier les unités ayant fait la preuve
sionnantes aujourd’hui et prépare les chefs de leur excellence, nous avons utilisé quelques
compétents de demain. . . . merveilles de haute technologie. Nous avons
La tâche principale d’une organisation mili- défini comme excellent un détachement qui
taire est l’exécution de sa mission. Il incombe avait démontré les qualités suivantes : Produc-
principalement à un commandant de motiver tivité élevée, mesurée par la capacité de l’unité
et de diriger son personnel pour mener à bien à avoir un rendement horaire supérieur à celui
la mission de l’unité. Un commandant ne doit de ses homologues. Dans l’OSI, la production

108

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EXCELLENCE DU COMMANDEMENT   109

inclut les enquêtes, les rapports de renseigne- encourageait l’excellence en termes de per-
ment-information, les réunions d’information formances. Nous espérions déterminer si ces
sur la contre-ingérence et les services d’enquête responsables appliquaient des politiques et
spécialisés ; polyvalence dans l’exécution des des méthodes communes d’encouragement
missions, démontrée par des performances au- de l’excellence.
dessus de la moyenne dans diverses zones de
mission, en particulier dans des circonstances
difficiles telles que les déploiements ; efficacité Les facteurs qui ont rendu ces
mesurée par la capacité d’une unité à accomplir responsables différents
à temps les tâches liées à une mission et compa-
rée à une métrique établie. Dans l’OSI, la métri- Lors de ces séances, nous avons été frappés
que d’efficacité assure le suivi de l’achèvement à par la mesure dans laquelle nos interlocu-
temps des enquêtes criminelles et de la diffusion teurs ne correspondaient pas aux stéréotypes
rapide des informations sur les menaces ; action de parfaits responsables. Nous nous sommes,
axée sur les résultats ou efficacité de l’unité par exemple, aperçus qu’une réputation
dans l’exécution de ses missions mesurée par les d’extrême amabilité ne reflétait pas nécessai-
résultats de ses efforts, tels que le pourcentage rement l’excellence, pas plus que le fait de se
d’inculpations lors des enquêtes criminelles, comporter en véritable tyran n’encourageait
le nombre de recouvrements réalisés dans les obligatoirement cette qualité.
affaires d’escroquerie ou la façon dont les don- Les participants constituaient un groupe
nées de contre-ingérence recueillies répondent d’une grande diversité. Nous nous sommes
aux besoins de collecte les plus prioritaires du entretenus avec des hommes et des femmes,
département de la défense. militaires d’active et civils, qui ne parta-
Nous avons utilisé un logiciel d’exploration geaient aucun type unique de comportement.
de données et des algorithmes statistiques Certains parlaient d’une vois douce, d’autres
pour examiner les données de performances d’une façon plus énergique. L’expérience du
concernant 150 antennes de l’OSI stationnées commandement variait également ; certains
dans le monde entier entre 2001 et 2004. Nous avaient déjà été affectés trois ou quatre fois
avons extrait toutes les données des systèmes à des postes de responsabilité, d’autres juste
de gestion de l’information patrimoniaux et une ou deux fois.
actuels du commandement. Après examen Bien que différents, ils possédaient des com-
des indicateurs, nous avons sélectionné sept pétences de commandement similaires. Les
unités pour une étude en profondeur. personnes interrogées tendaient à considérer
Tirant parti des compétences traditionnel- le commandement comme une méthode
les de l’OSI en matière d’application de la plutôt que comme un poste, dirigeant leur
loi, nous nous sommes aperçus que les entre- énergie vers la création d’un environnement
tiens structurés nous aidaient à identifier dans lequel d’autres pourraient réussir. Ces
les méthodes de commandement efficaces personnes se révélèrent également efficaces
employées dans ces unités. Lors de chaque en termes de réalisation des objectifs de la
entretien, nous avons posé les mêmes ques- mission tout en maintenant des rapports de
tions sur les méthodes de commandement et travail productifs au sein de l’unité.
les procédés de gestion utilisés pour encou- Ils reconnaissaient qu’il était parfaitement
rager l’excellence en termes de performan- naturel d’exercer un commandement, réa-
ces dans les unités en garnison en temps de lisant qu’un exercice énergique de celui-ci
paix. Nous avons recueilli des informations n’a pas à être synonyme d’odieux. Lors des
auprès de chefs d’unité (à la fois militaires entretiens, nous nous sommes aperçus que
d’active et civils), de leurs supérieurs ou du ces responsables étaient bien dans leur peau
sous-officier le plus gradé sur place, ainsi que et que l’exercice du commandement tout
des agents et du personnel de soutien appar- comme leurs contacts avec leurs subordonnés
tenant à ces unités, en leur demandant ce qui sur le plan aussi bien personnel que profes-

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110   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

sionnel ne leur posaient aucun problème. Ils faisaient des efforts considérables pour pro-
accomplissaient leurs tâches avec une menta- mouvoir un sens d’appartenance.
lité différente, nous déclarant qu’ils plaçaient Ces responsables obtenaient des résultats
le service avant leur propre personne, en le en s’assurant la collaboration des autres. Ils
prouvant de trois façons : en garantissant que faisaient tous les efforts possibles pour s’attirer
leurs clients recevaient en temps utile d’excel- la confiance de leur personnel en insistant sur
lents produits et services ; en offrant à leurs une attitude positive, l’équité et l’honnêteté,
unités les ressources et la formation nécessai- ainsi qu’en créant un sens de « même équipe,
res à l’accomplissement de leur tâche ; et en même combat ». Les équipes savaient ce que
se montrant compréhensifs vis-à-vis de leurs leurs supérieurs attendaient d’elles. Les res-
subordonnés et de leurs familles. ponsables mettaient les membres de leur unité
à l’épreuve et les poussaient au maximum de
leurs possibilités. Explorant des problèmes déli-
Les meilleures pratiques cats en équipe, ils encourageaient la réflexion
en temps de paix « hors des sentiers battus » et affichaient une
volonté d’apprendre de leur personnel. Faisant
Nos interlocuteurs prenaient le comman- preuve de respect et d’appréciation à l’égard de
dement de petites unités très au sérieux, dès la tous, ils créaient un cadre de travail totalement
nouvelle de leur affectation. Ils se préparaient professionnel. Ces responsables assuraient la
avec zèle à la prise de leur nouveau comman- « couverture en altitude », ce qui permettait
dement en se renseignant sur l’unité et sa aux membres de leur équipe de se concentrer
mission, sur les difficultés qui les attendaient sur les tâches liées à la mission.
et sur le personnel qu’ils allaient diriger. Une Ces attributs sont devenus particulièrement
fois qu’ils avaient pris le commandement, ils évidents lorsque nous avons observé leur effet
définissaient les rôles et responsabilités de sur les agents à l’essai, c’est-à-dire tout agent
tous les membres de l’unité et mettaient la de l’OSI employé depuis moins d’un an. Les
main à la pâte pour accomplir la mission. La responsables considéraient ces agents comme
plupart d’entre eux contrôlaient eux-mêmes un cadeau dont l’énergie et l’enthousiasme
les programmes clés en se reportant à la liste pouvaient conduire une unité à l’excellence.
de vérifications établie par l’inspecteur géné- Reconnaissant que les agents manquant d’ex-
ral de l’OSI et passaient le temps qu’il fallait périence commettent des erreurs, ils compen-
pour mettre tous les programmes en confor- saient celles-ci en créant un environnement
mité avec les normes établies. Ils surveillaient d’apprentissage basé sur un soutien, un men-
et mesuraient le rendement, en tenant leur torat et une formation continus, ainsi qu’en
personnel responsable des résultats de ses expliquant à leur personnel ce qu’il devait
actions. Ils récompensaient et sanctionnaient faire puis en leur montrant comment le faire.
comme il convenait mais ne pratiquaient pas Ils travaillaient avec différentes personnes de
une gestion tatillonne, ayant plutôt recours au différentes façons, en aidant certaines plus que
soutien et au mentorat pour aider les mem- d’autres. Lorsque des erreurs étaient commises,
bres de l’unité à réussir et à progresser. ces responsables prenaient des mesures correc-
Ces responsables avaient une vision de trices sans décrier le personnel concerné puis
l’aboutissement des efforts de leurs équi- passaient au prochain défi qui les attendait.
pes, une vision fondée sur les priorités et les Excellent communicateurs, ils maintenaient
besoins de leurs clients les plus importants une politique d’ouverture et « géraient en fai-
mais reflétant également des objectifs inter- sant une tournée ». Ils offraient une remontée
nes établis dans un esprit de collaboration. Ils honnête de l’information et restaient à l’écoute.
concrétisaient cette vision en élaborant des Ils étaient obligeants, respectueux, prêts à pro-
plans détaillés destinés à en guider l’exécu- diguer leurs encouragements et enthousiastes.
tion, comptant sur chacun pour apporter sa Cela permettait à ces responsables de faire savoir
contribution au plan et en faire un succès. Ils aux membres de leur unité qu’ils les considé-

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EXCELLENCE DU COMMANDEMENT   111

raient comme importants et se souciaient d’eux. et ce que les commandants attendaient d’eux ; et
Leurs subordonnés, à leur tour, les décrivaient évitaient une gestion tatillonne.
souvent comme sincères, réalistes, compréhen- Ils nous indiquèrent également que les
sifs, honnêtes et dignes de confiance. affectations en temps de guerre présentaient
Décisifs et déterminés, ces responsables tra- des différences significatives, citant comme
vaillaient dur et savaient ce qu’ils voulaient. Ils exemple l’importance d’une entrée en action
agissaient honorablement. Ils se considéraient rapide de la part des nouveaux responsables.
comme responsables. Personne ne mettait Ne disposant que de quatre ou cinq jours pour
leur intégrité en question. Ils s’engageaient établir des liens avec leur unité, les nouveaux
résolument à parvenir à l’excellence, à être responsables devaient faire la preuve de leur
les meilleurs. attachement à l’exécution de la mission. Ils
avaient besoin de passer du temps avec les
membres de leur unité, de travailler aussi long-
Changements en temps de guerre temps que tous les autres, ainsi que de partager
les mêmes expériences et tensions. Les chefs
Au fur à mesure que le rythme du déploie-
d’unités devaient en outre se préparer au fait
ment de personnel de l’OSI en soutien des
que tout arrive plus vite au combat. Nos inter-
opérations menées en Afghanistan et en Irak
locuteurs avaient rédigé leur lettre sur la phi-
s’accélérait, le débat interne portant sur la losophie et les attentes du commandement à
question de savoir si oui ou non les politiques l’avance de façon à pouvoir la rendre publique
et les pratiques de commandement devraient et en parler avec les membres de leur unité
changer en temps de guerre s’intensifia. Avec le dès leur prise de commandement. Ils avaient
soutien du général de brigade Dana Simmons, également établi les lignes essentielles d’un
commandant actuellement l’OSI, nous avons plan de conduite de leur unité dans l’espace
élargi la portée du programme et nous sommes de bataille mais apporté des ajustements après
entretenus avec des personnes identifiées par s’être entretenu avec leur personnel.
les échelons supérieurs de l’OSI comme ayant L’accélération du rythme dans une zone de
excellé dans un environnement de guerre. guerre reflétait deux faits concrets : les chefs
Toutes les personnes avec lesquelles nous d’unités entraient en action avec un handicap
nous sommes entretenus décrivirent le comman- marqué en combattant un ennemi impitoyable
dement en temps de guerre comme l’affectation et compétent « chez lui » et, dans le cas des
la plus importante de leur carrière. La plupart unités de l’OSI, en combattant avec une équipe
d’entre elles indiquèrent que leurs pratiques clés dont certains membres n’avaient travaillé ni ne
de commandement, qui encourageaient l’excel- s’étaient entraînés ensemble. Pour contrebalan-
lence en termes de performances en temps de cer ces handicaps, les chefs des unités de l’OSI
paix, pouvaient être transposées dans une zone doivent faire partie de l’équipe interarmées sur
de guerre. Les responsables de l’OSI dans les le théâtre d’opérations ; affûter au maximum
zones de combats nous indiquèrent qu’ils : se pré- leurs connaissances, leurs compétences et leur
paraient soigneusement à leurs missions ; appre- art ; mener leur unité avec courage et en mon-
naient à bien connaître leur environnement, en trant l’exemple ; tolérer plus difficilement les
particulier les besoins des commandants des for- erreurs ; confronter les problèmes rapidement ;
ces combattantes ; constituaient des équipes bien apprendre à comparer les risques et les avanta-
rodées par voie de collaboration et de commu- ges de différentes lignes de conduite ; travailler
nications ouvertes ; créaient des environnements et s’entraîner constamment pour améliorer
conviviaux ; avaient une vision de l’objectif final l’exécution des missions ; être prêts à s’adapter
de l’unité et la faisait approuver par les membres et à improviser ; faire preuve d’assurance et d’es-
de celle-ci ; établissaient des plans d’opérations prit de décision ; et avoir toujours conscience
détaillés destinés à guider l’exécution de la mis- des signes de tension au sein de l’unité.
sion, en s’assurant que l’ensemble du personnel D’après nos interlocuteurs, ils devaient dans
participant à une opération connaissait son rôle une zone de guerre agir comme commandants

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112   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

24 heures sur 24 et laisser leurs actions parler niveau d’une unité offert conjointement avec
d’elles-mêmes parce que les aviateurs suivent ce l’enseignement professionnel militaire. Le LCF
que leurs chefs font, pas nécessairement ce qu’ils est conçu pour les commandants d’active et
disent. Les responsables doivent négocier et de réserve, les agents spéciaux responsables et
faire négocier par les membres de leur unité des leurs supérieurs récemment affectés, en parti-
situations difficiles dans la mesure où ils peuvent culier ceux qui viennent de se voir confier leur
être dans l’impossibilité de recourir à l’assistance premier commandement. Les cours magistraux
de spécialistes. Ils doivent également identifier et les présentations de représentants des éche-
des moyens de soulager la pression et la tension. lons supérieurs de commandement de l’OSI
Enfin, tous nos interlocuteurs reconnurent que mettent l’accent sur les compétences essentiel-
les responsables devraient réaliser que l’expé- les de commandement et de gestion qu’exige le
rience du temps de guerre les transformerait, en fonctionnement d’une unité de l’OSI, alors que
particulier lors de leur retour chez eux.
des exercices pratiques préparent les stagiaires à
leurs nouveaux rôles.
Conclusion A l’occasion du LCF, nous avons fait la
preuve d’un lien direct entre le commande-
Nous nous sommes aperçus que les respon- ment d’une unité et l’efficacité de l’exécution
sables ayant fait la preuve de leur excellence en d’une mission. Même si tous les responsables
temps de guerre partageaient plusieurs traits de de l’armée de l’air partagent le même objec-
caractère. Ils pouvaient se focaliser, ne se décou-
tif, qui est d’accomplir la mission avec succès,
rageaient jamais et réagissaient de façon créative
seuls ceux qui font preuve d’un attachement
aux défis et à l’adversité. Ils prenaient tous très
inébranlable à la fonction de commandement
au sérieux leur responsabilité de ramener leurs
collègues sains et saufs dans leur base. permettent au personnel de leur unité de se
Le programme d’excellence du commande- montrer sous son meilleur jour. Les résultats
ment nous a apporté une abondante moisson de l’étude sur l’excellence du commande-
d’enseignements tirés, de suggestions concrètes ment indiquent que ceux qui sont très exi-
en termes de commandement et de conseils uti- geants, tout en motivant et inspirant les avia-
les. Nous avons mis ces résultats à la disposition teurs, peuvent systématiquement encourager
de tous les responsables de l’OSI en téléchar- l’excellence en termes de performances. Ces
geant l’étude sur l’intranet du commandement. conclusions empiriques mettent en évidence
L’étude fait désormais partie du programme et renforcent exactement les mêmes points
du symposium sur les défis lancés au comman- que ceux qui sont mentionnés dans l’AFDD
dement (Leadership Challenge Forum – LCF), un 1-1 et que nous avons examinés dans l’intro-
atelier sur les principes du commandement au duction du présent article.  ❑

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Leadership stratégique et
étroitesse d’esprit
Ce que nous ne faisons pas bien et pourquoi
par le colonel Fernando Giancotti

Le colonel Fernando Giancotti est un ancien élève de l’école de l’Air italienne, de l’école de Guerre ita-
lienne, de l’Officer Training School et du USAF Air War College. Il commande actuellement une escadre
de l’armée de l’Air italienne.

L
a pensée stratégique est le cœur et concentrer sur les limites de notre intellect. Les
l’âme du leadership stratégique. Ce défis et les problèmes que le monde que nous
dernier est quant à lui, par définition, avons bâti nous pose sont toutefois tels qu’ils
un atout décisif extrêmement pré- nous obligent à comprendre ce que nous som-
cieux dans la mesure où il oriente les organi- mes et ce que sont nos insuffisances pour être
sations vers leurs objectifs, influence les capables d’y faire face. Un examen de l’origine
actions et la vie de beaucoup de monde et de notre intellect est particulièrement utile à ce
détermine en fin de compte les résultats obte- titre. Pour avoir une idée approximative de la
nus. Dans le domaine militaire, le leadership façon dont l’intelligence humaine s’est formée,
stratégique s’identifie habituellement au nous devons nous concentrer sur le monde des
succès ou à l’échec, à la victoire ou à la défaite. premiers hommes.1 Comparé aux normes
Malheureusement, il semble souvent y avoir actuelles, nous pouvons dire que c’était un
pénurie de pensée et de leadership stratégi- monde simple. Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs
ques dans un monde où les grandes organisa- devaient s’accommoder d’un horizon spatio-
tions croissent, se multiplient et opèrent dans temporel caractérisé principalement par l’in-
un environnement complexe où elles ont fluence des saisons de chasse sur leurs migra-
beaucoup à perdre. tions. Leur interaction sociale était simple mais
Le présent article se propose d’examiner les intense dans la mesure où ils vivaient principale-
raisons pour lesquelles le leadership stratégi- ment en petits groupes de 20 à 30 personnes,
que est une compétence aussi difficile à maîtri- entretenant des relations rares mais régulières
ser et d’offrir quelques idées sur la façon d’y avec une tribu plus étendue comptant jusqu’à
arriver. Nous commencerons par examiner 500 personnes. Ils n’avaient que peu de contacts,
quelques limitations biologiques et culturelles essentiellement avec des gens qui leur étaient
affectant notre capacité de réfléchir et de don- familiers. La dynamique des petits groupes était
ner l’exemple dans un environnement straté- ancrée dans leurs comportements car ils devai-
gique. Nous explorerons ensuite des façons ent évoluer dans un tel cadre s’ils voulaient sur-
possibles de réduire l’impact de ces limitations vivre. L’homme exploitait une économie simple,
sur la pensée et le leadership stratégiques. focalisée sur deux activités principales, la chasse
et la cueillette, s’appuyant sur la confection
d’outils essentiels et, dans le cas de l’ultime
La naissance de l’étroitesse espèce, l’homo sapiens, de quelques ornements.
Les gens étaient physiquement très actifs. La
d’esprit cueillette, la confection d’outils et l’errance se
Nous sommes souvent trop occupés à célé- mêlaient à des périodes d’intenses activités de
brer notre intelligence et les choses extraordi- chasse en équipe caractérisées par des montées
naires que celle-ci a produites pour nous d’adrénaline, qui étaient physiquement et intel-

113

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114   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

lectuellement enrichissantes. Ils vivaient en influencer le résultat.5 Nous pouvons traiter, en


contact constant avec le milieu naturel. prenant notre temps, un nombre limité de
Une exposition aux maladies, aux accidents variables, l’une après l’autre de préférence.
et à l’environnement entraînait une espérance Nous avons du mal à prévoir les conséquences
moyenne de vie très courte et un vieillissement indirectes, en particulier au-delà du second
rapide ainsi que, parfois, de grandes souffran- ordre. Nous avons une tendance irrésistible à
ces. Nous pouvons dire que nos aïeux, du moins voir le monde de notre point de vue personnel.
ceux qui survivaient aux nombreux défis aux- Nos émotions influencent fortement notre
quels ils devaient faire face, menaient une vie jugement et se substituent parfois complète-
rude mais simple dans le milieu même qui les ment à lui,6 ce qui rend une compréhension
façonnait. Ils n’avaient que peu de contacts et efficace encore plus difficile, parfois même
traitaient un volume limité d’informations, qui impossible. L’évolution n’a pas adapté notre
étaient principalement disponibles dans des cerveau aux systèmes très complexes. Elle nous
situations familières et pendant un temps limité. a essentiellement donné un instrument parfois
Lorsqu’ils ne pouvaient expliquer quelque pénétrant mais à focalisation étroite, un ordina-
chose, ils s’en remettaient à des divinités, ce qui teur à refroidissement liquide de capacité limitée
semble bien être la situation actuelle. Pourquoi fortement tributaire des niveaux hormonaux.
devrions-nous nous intéresser à ces racines ances- Même si notre matériel n’a peut-être pas
trales, si lointaines en termes aussi bien de temps beaucoup changé, tout le reste l’a fait. Nous
que de mode de vie ? D’abord, parce qu’elles ne vivons dans un environnement qui est devenu
sont pas lointaines du tout. En termes d’évolu- de plus en plus complexe en très peu de
tion, elles sont en fait très proches. Une fois temps. La révolution industrielle et l’explo-
qu’un mode de vie axé sur la chasse et la sion technologique qui l’a suivie ont entraîné
cueillette fut acquis, l’humanité le maintint pen- chez l’homme un changement de mode de
dant plus de 99 % du reste de l’histoire de son vie plus grand que celui que connurent les
évolution, soit deux millions d’années environ. 100 générations précédentes. L’âge postin-
Le patrimoine héréditaire sélectionné au fil de dustriel de l’information semble encourager
milliers de générations a bien dû être maintenu une accélération toujours plus rapide des
jusqu’à aujourd’hui puisque l’« explosion » de changements qui affectent le monde. Et tout
culture humaine a été extrêmement brève com- cela conduit à une interaction des hommes et
parée à la durée de l’évolution. Les peuples de d’un environnement pour lequel nous ne
chasseurs survivants, que leur isolement a main- sommes pas conçus : un environnement d’une
tenu dans la phase paléolithique du développe- complexité croissante.7
ment culturel, ont un potentiel intellectuel et La réponse de la culture industrielle à cette
un patrimoine héréditaire identiques aux complexité fut de la simplifier par voie de spé-
nôtres.2 Quelques milliers d’années, allant de la cialisation et de compartimentalisation des
transition néolithique à l’agriculture puis à la connaissances. Des progrès impressionnants
révolution de l’information, ne purent défaire furent accomplis grâce au simple pouvoir de
ce qui avait été établi au cours de milliers de focalisation qu’implique la spécialisation. Cette
millénaires.3 Nous continuons à acquérir des approche conduisit toutefois trop souvent à
connaissances au travers de schémas simples. une fascination dont le résultat fut que les
Nous décomposons les problèmes en éléments arbres nous cachèrent la forêt. Nous n’avons
simples qui peuvent être traités dans notre pas vu venir de nombreuses conséquences non
mémoire à court terme, qui est très limitée, afin voulues et n’avons pas bien réfléchi aux solu-
de les comprendre par voie de raisonnement tions aux problèmes que nous créions.
(analyse).4 Nous associons ensuite ces éléments Les progrès technologiques enregistrés dans
pour établir leurs rapports réciproques et les des domaines particuliers ont donc eu un
comprendre comme un tout (synthèse) et, dans impact dévastateur en d’autres points de l’envi-
la mesure du possible, identifier le meilleur ronnement. L’organisation scientifique du travail
moyen d’intervenir dans le processus pour mise en avant par Taylor signifia une aliénation

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LEADERSHIP ET ETROITESSE D’ESPRIT   115

généralisée. Les rationalisations menées dans les Tendances à l’élargissement


organisations conduisirent à de gigantesques
structures centralisées dans lesquelles les indi- Le besoin de développer les capacités de
vidus ne ressentaient qu’un minimum de res- réflexion, en particulier pour le leadership,
ponsabilité ou de sentiment d’y avoir leur n’est certainement pas neuf. De nombreux éta-
place. En outre, les systèmes de valeurs, qui blissements et publications, d’enseignement
sont le ciment d’une société, semblent être en en particulier, s’intéressant au leadership stra-
équilibre constamment instable, comme des tégique abordent ce problème. Il n’empêche
phénomènes répandus tels que la toxicomanie, que des lacunes et contradictions non résolues
la criminalité, la violence et l’effondrement de apparaissent dans un grand nombre des straté-
la famille nous le rappellent trop souvent. gies d’encouragement de la pensée stratégique.
La culture moderne a produit la com- J’examinerai certains des ces problèmes pour
plexité. Le volume d’informations disponible identifier les domaines dans lesquels le déve-
aujourd’hui dépasse à lui seul l’entendement. loppement du leadership peut être amélioré.
Le nombre d’interactions affectant aujourd’hui
n’importe quel acteur, que ce soit un état « Connais-toi toi-même »
nation, une entreprise commerciale, un chef
La toute première lacune est l’absence d’une
militaire ou un individu isolé, est largement
prise de conscience explicite de « la naissance
supérieur à ce qui existait il y a juste quelques
décennies et totalement disproportionné à ce de l’étroitesse d’esprit » et des limitations affec-
qu’il était aux siècles précédents. L’économie à tant ce dernier. Le fait de ne pas connaître clai-
l’échelle planétaire, le réseau de télécommuni- rement les limites du « facteur le plus important
cations, les médias, les bureaucraties hypertro- de l’équation de conduite de la guerre : l’esprit
phiées, les transports rapides et à la portée du humain »8 peut entraîner de graves erreurs de
plus grand nombre, la dialectique politique, la calcul au niveau stratégique. Le leadership est
technologie sous toutes ses formes et en parti- essentiellement un « rapport d’influence avec
culier celle de l’information, ainsi que le simple les gens ». 9 La connaissance de soi-même et de
nombre de personnes avec lesquelles nous ses semblables est fondamentale pour l’exercer.
avons des contacts, rendent la vie beaucoup Comment peut-on y arriver ? Certainement pas
plus complexe que jamais auparavant. en transformant un système de formation pro-
Toute culture, c’est-à-dire la compréhension fessionnelle militaire (Professional Military Educa-
du monde que partagent tous les membres de tion – PME) en université des sciences sociales. Il
tout corps social, se développe à partir de l’hé- existe toutefois des options raisonnables entre
ritage biologique dont nous avons parlé. La cela et une négligence presque complète. Il est
culture reflète en fait les caractéristiques possible de synthétiser la contribution que les
humaines de base. Chaque culture tend à être sciences humaines telles que la psychologie, la
égocentrique et fortement influencée par les sociologie, l’anthropologie et d’autres appor-
émotions collectives. Les préjugés sont large- tent à l’enseignement du leadership. Ces fonde-
ment répandus et le niveau moyen d’analyse ments du leadership serviraient de cadre vali-
(la soi-disant compréhension du profane ou de dant de référence au programme d’études
l’homme de la rue) est généralement plutôt traditionnel, prenant le pas sur les listes de pré-
bas. La plupart du temps, l’accent est mis sur ceptes énoncés ou les études de cas que l’on
des aspects particuliers plutôt que sur la vue rencontre habituellement. De nouveaux pro-
d’ensemble. Notre culture, en dépit de ses réa- grammes d’études peuvent être conçus pour
lisations technologiques et scientifiques impres- contribuer efficacement à cette compréhension.
sionnantes, semble rapprocher la matrice de Il est d’une importance capitale de comprendre
son évolution d’une étroitesse d’esprit par le rôle de notre héritage biologique et culturel
défaut. La pensée et le leadership stratégiques en termes de dynamique des petits groupes, de
n’émergent malheureusement pas des esprits moralité, de capacités de réflexion et de mise en
étroits. Que devrions-nous donc faire ? application de tous ces éléments dans nos vastes

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116   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

organisations. Apprendre aux leaders à recourir pour nous permettre d’accepter des autoéva-
largement à l’introspection, à se montrer capa- luations en toute franchise et un esprit très
bles de détecter l’influence de leurs propres critique, nous finissons par ne regarder que la
émotions sur leur réflexion et à les gérer est pos- partie de la situation qui correspond à notre
sible, bien que difficile, et précieux pour la clarté perspective. Cela nuit à tout processus de prise
de la pensée stratégique. C’est en outre un de décisions stratégiques. Il semble qu’un exa-
moyen efficace d’apprendre à connaître notre men réfléchi de cette question morale aurait
peuple dans la mesure où nous partageons l’ar- déjà dû avoir lieu dans le cadre du développe-
chitecture générale de notre monde intérieur. ment classique du leadership.

Historia Magistra Vitae (L’histoire Les détails pratiques de la pensée stratégique


est l’école de la vie)
Lorsque nous arrivons à la mécanique de la
Un autre problème rencontré fréquemment pensée stratégique, il y a beaucoup à dire. Très
dans l’enseignement du leadership stratégique peu d’efforts sont consacrés à l’encourage-
est une insuffisance de focalisation sur l’assurance ment chez les stratèges en herbe d’une prise de
d’une compréhension des principaux fonde- conscience de la façon dont ils réfléchissent
ments de l’histoire. La nature dialectique et au lieu simplement de l’objet de cette
contradictoire de la réalité, la nature antagoniste réflexion. La discussion de groupe des problè-
des processus et la relativité des systèmes de mes est certainement un bon moyen d’élargir
valeurs représentent certaines des percées réali- les perspectives mais on laisse généralement
sées par la pensée philosophique occidentale que de côté la meilleure façon de le faire, ainsi
ne peuvent ignorer les stratèges. Encore une fois, que les facteurs et les principes qui influen-
ces derniers n’ont pas besoin d’être diplômés de cent le processus de réflexion. Même si une
philosophie ; nous devons toutefois veiller à ne étude détaillée serait nécessaire pour établir
pas développer des leaders ayant une vision étroi- ce qui doit être enseigné dans ce but, nous
tement moralisatrice d’un monde tout noir ou tout examinerons quelques aspects importants
blanc ou souffrant d’une incapacité à compren- pour illustrer le concept.
dre le rôle joué par les acteurs dans les processus Raisonnement déductif. Apprendre à réflé-
complexes, au-delà des préjugés personnels. chir du tout à la partie (raisonnement déduc-
tif) plutôt que dans l’autre sens (raisonnement
Leadership et moralité inductif), ce qui est courant au niveau tactique,
La moralité fait déjà l’objet d’une attention est indispensable au leadership stratégique. Le
particulière dans nos programmes d’études stratège doit rechercher la vue d’ensemble et
consacrés au développement du leadership. pouvoir utiliser des cadres généraux de réfé-
Toutefois, le fait d’opérer dans des environne- rence pour interpréter les évènements et éta-
ments complexes dans lesquels les évènements blir des plans. John A. Warden III, considéré
et les gens agissent les uns sur les autres d’une comme l’un des principaux penseurs stratégi-
manière imprécise et dans lesquels les valeurs ques d’aujourd’hui, fait efficacement ressortir
semblent relatives accroît le risque d’incerti- le besoin de cette approche dans l’introduction
tude morale. Le passage à une moralité plus de son modèle des « cinq anneaux ».10 La façon
complète et moins fragile que la bonne ou mau- de penser des gens dépend à la fois de la per-
vaise est nécessaire pour produire des répon- sonnalité11 et de la culture.12 Il est très impor-
ses morales, et non cyniques, à l’ambiguïté et tants pour l’efficacité de la réflexion de com-
aux contradictions de notre époque. Le fon- prendre les tendances individuelles et de
dement conceptuel évoqué plus haut en ter- mettre l’accent sur la compensation des faibles-
mes de compréhension de l’homme et de ses personnelles dans le mode inductif ou
l’histoire est nécessaire pour enseigner la déductif de raisonnement. Notre culture mili-
moralité. Si nous n’arrivons pas à une taire semble demander que l’accent soit mis
conscience morale plus profonde structurée sur le mode déductif, celui de la vue d’ensem-

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LEADERSHIP ET ETROITESSE D’ESPRIT   117

ble. Il est nécessaire d’insister sur cet aspect mettre d’accord ou pas. Ne pas aller au-delà du
dans les programmes d’études consacrés au niveau de l’analyse risque d’en laisser beaucoup
développement du leadership. dans le mode pinaillage (beaucoup de détails,
Cadres de référence. Une fois que la aucune vue d’ensemble).
capacité de rechercher la vue d’ensemble est « Savoir-penser ». Dans certaines spécialités,
acquise, les stratèges doivent chercher et trou- des principes, procédures et techniques sont
ver autant de cadres différents que possible. Ils utilisés pour assister le processus de réflexion
doivent devenir des spécialistes et utilisateurs dans des environnements complexes, ambigus,
habituels de différents cadres de référence, instables et incertains. Un tel environnement
capables d’associer ceux-ci l’un à l’autre ainsi existe souvent, par exemple, autour des débris
qu’à leur propre cadre, de façon à pouvoir éparpillés et en flammes d’un aéronef qui s’est
constamment évoluer et s’améliorer. La théo- écrasé. A partir de ceux-ci, les enquêteurs doi-
rie du développement considère le développe- vent reconstituer dans les détails une séquence
ment du leadership comme des « changements complète d’évènements, qui commencèrent
adaptatifs apportés aux cadres de référence de peut-être des années plus tôt dans une usine
leadership du soldat au fur et à mesure qu’il ou dans le cœur et l’esprit de gens qui ne sont
s’élève dans la hiérarchie de l’organisation. plus. Des principes tels que « ne tirez jamais de
»13 Le soldat doit, pour progresser, s’habituer conclusions hâtives »,15 recherchez et rassem-
à comprendre d’autres points de vue, d’autres blez tous les faits et données avant même de
cadres de référence. Les cadres de référence penser à des déductions, n’ignorez pas vos pro-
apparaissent la plupart du temps transparents à pres préjugés ni ceux des témoins, etc., sont les
l’utilisateur sans expérience. Les penseurs stra- principes conceptuels fondamentaux que doit
tégiques doivent toutefois être des gestionnai- respecter un enquêteur professionnel. Dans le
res conscients de ceux avec lesquels ils opèrent. monde des entreprises, une pensée créatrice et
Nous ne pouvons commencer à enseigner ces des techniques de résolution des problèmes
capacités à des colonels. Un enseignement ont également été créées. Le développement
encourageant l’acquisition de cette compé- du leadership va bien au-delà des techniques
tence, qui ne vient pas naturellement, devrait d’enseignement. Néanmoins, lorsque la
être officiellement intégré aux premières pha- réflexion est employée dans des domaines liés
ses du continuum de l’enseignement militaire à la stratégie, il est inexcusable de ne pas
avec une progression appropriée. exploiter le savoir-penser existant. Les program-
Réflexion convergente. Apprendre à voir les mes d’études consacrés au développement du
choses en grand et à prendre l’habitude de se réfé- leadership doivent alors faire en sorte que les
rer à différents cadres de référence augmente leaders puissent utiliser un tel savoir-penser.
grandement le pouvoir d’analyse sans affecter Gestion des conflits. La gestion des conflits est
nécessairement la synthèse. Les leaders doivent liée à tout ce que nous avons examiné jusqu’ici.
également savoir appliquer la « réflexion conver- Nous avons vu comment nous continuons à
gente »14 quand tous les éléments disponibles partager le patrimoine héréditaire de nos
sont corrélés et la synthèse axée sur les objectifs. ancêtres chasseurs-cueilleurs. Les modèles fon-
Les discussions de groupe non dirigées, bien damentaux de nos rapports sociaux ont leur
que représentant une approche potentielle- origine dans la dynamique de petit groupe de
ment excellente de différentes perspectives, la bande de chasseurs. Le conflit y était généra-
ne suffisent pas à développer la réflexion syn- lement désamorcé par des liens personnels
thétique : une certaine pratique partagée est étroits, par un soutien mutuel pour survivre et
nécessaire, au-delà du processus qui se déroule par des communications verbales et non verba-
dans le cerveau de chacun. Synthèse ne signifie les constantes. Toutefois, nous opérons désor-
pas solution académique ni la solution pour la dis- mais dans des organisations complexes, en
cussion. Cela ne signifie pas essayer d’élaborer, relations constantes avec des gens que nous
d’une façon dialectique, une vue d’ensemble connaissons à peine, que, souvent, nous ne
sur laquelle il est légitimement possible de se voyons même pas et, par conséquent, auxquels

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nous ne nous intéressons vraiment pas beau- processus, faisant de celui-ci l’ennemi juré d’un
coup. Notre culture est basée sur l’individua- leadership efficient. La conscience de soi, la
lisme, l’esprit de compétition et la famille vue d’ensemble et la réflexion faisant interve-
mononucléaire. Dans cet environnement, une nir plusieurs cadres de référence devraient
communication efficace est beaucoup plus dif- aider à l’éviter. Le développement du lea-
ficile et les chances d’y arriver diminuent consi- dership stratégique peut, et devrait, améliorer
dérablement. Nous cherchons alors notre la compréhension spécifique de ce phénomène
bande perdue, revenant à la création artificielle et la capacité de l’influencer.
et contradictoire d’un réseau de dichotomies
eux-nous : combattants contre huiles, spécialistes
contre non spécialistes, le terrain contre le Pentagone, Conclusion
l’armée de l’Air contre les autres Armes, etc. On
La simple vérité est que nous entrons dans
retrouve le même phénomène aussi bien dans
le siècle de l’exploration interplanétaire avec
le sport qu’aux niveaux politique, institution-
notre esprit paléolithique d’origine. Notre
nel, national et international. Les conflits, qui
culture a jusqu’ici ignoré pour l’essentiel les
sont basés sur le manque d’une confiance entre
limitations et les performances de notre intel-
les groupes sur laquelle notre survie dépendait
lect, mettant au contraire l’accent sur ses réa-
autrefois, se multiplient. Pour opérer efficace-
ment dans un tel environnement, les leaders lisations notables. La complexité vient à bout
doivent comprendre parfaitement la dynami- de la capacité culturelle dont nous disposons
que du conflit et la façon de la réduire ou de actuellement pour faire face. La culture est
l’exploiter pour le bien de leurs organisations. toutefois, par définition, adaptable et nous
La communication est le principal outil de ges- avons le pouvoir de faciliter cette adaptation.
tion des conflits et les cours de développement Le leadership stratégique est le protagoniste
du leadership doivent faire en sorte que son de cette adaptation et, parmi ses responsabili-
potentiel et ses pièges soient bien compris. tés, figure celle de se redéfinir, qui est cruciale.
D’autres techniques de gestion des conflits Ce qui précède n’est qu’une tentative, loin
peuvent et devraient être acquises, en même d’être exhaustive, de contribution à cette
temps qu’une familiarisation avec la nature redéfinition. Elle envisage un cadre de réfé-
humaine dans ses grandes lignes comme indi- rence plus large fondé sur une meilleure com-
qué plus haut. En particulier, la compétence en préhension de l’homme, accompagnée d’un
matière de leadership devrait inclure une com- développement délibéré des processus de
préhension parfaite de la boucle de contre-réaction réflexion. Une focalisation multidisciplinaire
ou de la spirale des conflits. Il s’agit du phéno- sur les problèmes de leadership dans l’optique
mène très courant qui se produit souvent lors- des sciences humaines et des méthodes de
que la perception du comportement des autres résolution des problèmes est l’outil qui per-
acteurs est, ne serait-ce que marginalement, met d’y arriver. Même si cela peut ressembler
négative. Il se produit lorsque la confiance à une pensée toute faite, le général de corps
baisse, souvent par suite d’un manque de com- d’armée Jay W. Kelley observa dans sa contri-
préhension de la perspective d’autrui, lui- bution à l’étude de l’horizon 2025 intitulée
même dû à un manque de communication ou “Brilliant Warrior” (Un combattant brillant)
à des préjugés culturels. La contre-réaction à la que « la compréhension des raisons pour les-
mauvaise conduite perçue entraîne elle-même quelles des hommes d’origines et de cultures
une autre réaction négative et il ne faut pas différentes se comportent d’une certaine
longtemps pour qu’un conflit survienne. Cette façon dans différentes circonstances est intrin-
dynamique se retrouve aussi bien dans les que- sèque à la compréhension des sources et de la
relles familiales que dans un conflit internatio- nature de la coopération, des frictions et des
nal. Il arrive trop souvent que des conflits dis- conflits entre les hommes. Les militaires de
proportionnés par rapport aux intérêts carrière qui préparent leur future réussite à
réellement en jeu surviennent à cause de ce long terme doivent améliorer leur connai-

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LEADERSHIP ET ETROITESSE D’ESPRIT   119

ssance du leadership et du comportement être créée et partagée, une nouvelle base


humain – que ce soit le leur ou celui de leurs culturelle établie et une méthodologie élabo-
subordonnés et de leurs adversaires ».16 Il rée. En un mot, un nouveau paradigme doit
existe déjà quelques initiatives en ce sens, tel- naître. Sans lui, nous resterons probablement
les que l’emploi de tests de conscience de
personnalité dans certains établissements de doués pour faire les choses comme il faut mais
formation professionnelle militaires.17 éprouverons des difficultés croissantes à faire
Toutefois, pour que le bond en avant néces- ce qu’il faut18, ce qui est justement ce qui
saire se produise, une vision organique doit compte dans le leadership stratégique.  ❑

Notes
1.  Pour un examen clair et actualisé de nos origines, 8.  Général de corps d’armée Jay W. Kelley, “Brilliant
voir Richard E. Leakey, The Origin of Humankind (Les ori- Warrior” (Un combattant brillant), in 2025 White Papers
gines de l’humanité), (New York: Basic Books, 1994), (Livres Blancs 2025), volume 1 (Maxwell AFB, Alabama:
xiii–xv, 8–9. Air University, 1996), 239.
2.  Joseph B. Birdsell, Human Evolution: An Introduc- 9.  Joseph C. Rost, “Leadership Development in the New
tion to the New Physical Anthropology (L’évolution de Millennium” (Développement du leadership dans le nou-
l’homme : Introduction à la nouvelle anthropologie phy- veau millénaire), Journal of Leadership Studies 1, n° 1
sique), (Boston: Houghton Mifflin, 1981). (1993) : 99.
3.  On peut trouver un examen plus approfondi des 10.  John A. Warden III, “The Enemy as a System” (L’en-
caractéristiques inchangées de l’homme depuis au moins nemi en tant que système), Airpower Journal, printemps
40 000 ans environ dans l’ouvrage de Desmond Morris, The 1995, 41–55.
Naked Ape: A Zoologist Study of the Human Animal (Le singe 11.  On trouvera un aperçu intéressant sur l’influence
nu : Une étude éthologique de l’espèce humaine), (New qu’exerce la personnalité sur la façon dont les gens réflé-
York: McGraw-Hill, 1967), 147 ; Birdsell ; Leakey, 8–9. chissent dans l’indicateur de type psychologique Myers-
4.  Pour référence en matière de comportements cogni- Briggs (Myers Briggs Type Indicator – MBTI). Voir Bill
tifs, voir concepts, émotions, inférences, mémoire à long Knowlton et Mike McGee, “Strategic Leadership and Perso-
terme, mémoire à court terme, résolution des problèmes,
nality: Making the MBTI Relevant” (Leadership et person-
raisonnement et autres termes dans l’ouvrage de Michael
nalité : Rendre le MBTI applicable), in The MBTI and
W. Eysenck, The Blackwell Dictionary of Cognitive Psychology (Le
Strategic Leadership (Le MBTI et le leadership stratégique),
dictionnaire Blackwell de psychologie cognitive), (Oxford,
(Washington, D.C.: National Defense University, Indus-
Royaume Uni: Basil Blackwell, 1990). Parmi d’autres bon-
trial College of the Armed Forces, 1994).
nes références, on peut citer l’étude comparative des pro-
12.  On trouvera une discussion intéressante de la
cessus cognitifs menée par Joan Markessini dans Strategic
perspective culturelle américaine dominante dans le
Leadership in a Changing World Order: Requisite Cognitive Skills
guide international des écoles d’officiers (International
(Le leadership stratégique dans un ordre mondial en évolu-
Officer School Handbook), Air University, 1998, 3-2, 3-9.
tion : Aptitudes cognitives nécessaires), (Alexandria, Virgi-
nie: CAE-Link Allen-Army Research Institute for the Beha- 13.  George B. Forsythe, “The Preparation of Strategic
vioral and Social Sciences, 1990) ; Elliott Jacques et Stephen Leaders” (La préparations des stratèges), Parameters 22,
n° 1 (printemps 1992) : 38–49.
D. Clement, Executive Leadership: A Practical Guide to Mana-
14.  Markessini, tableau 10, 57–59.
ging Complexity (Le leadership exécutif : Un guide pratique
de gestion de la complexité), (Cambridge, Massachusetts: 15.  C’était un refrain, presque une devise de classe,
Blackwell Business, Inc.,1991–1994). lors du cours de sécurité aérienne et des classes d’enquête
5.  Ce dernier point est une définition de la résolution sur les accidents à Norton AFB, en Californie, en 1989.
des problèmes. Il est intéressant de noter en quoi cinq 16.  Kelley, 243.
modèles principaux de processus cognitifs humains sont 17.  Des tests basés sur le MBTI et sur l’inventaire
essentiellement identiques au schéma proposé qui, au d’adaptation-innovation de Kirton (Kirton Adaption-Inno-
fait, est bien connu depuis le règne de la pensée philoso- vation Inventory – KAI) ont régulièrement lieu dans les
phique grecque. Voir Markessini, tableau 10, 57–59. établissements de formation professionnelle militaire.
6.  Eysenck, 131. 18.  Richard I. Lester et John C. Kunich, “Leadership
7.  Pour des références sur l’avenir et la complexité, and Management: The Quality Quadrants” (Leadership et
voir John L. Petersen, The Road to 2015 (La route de 2015), gestion : Les quadrants de la qualité), Journal of Lea-
(Corte Madera, Californie: Waite Group Press, 1994). dership Studies 4, n° 4 (1997) : 17–31.

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Théorie de l’organisation
à l’intention des leaders
par le docteur Frank R. Hunsicker

Le docteur Hunsicker est président du département de Gestion et de marketing de West Georgia College,
Carrollton, Georgie.

La théorie de l’organisation est plus qu’une simple quête intellectuelle ; elle est nécessaire à un
bon leadership. Cet article contribue à répondre à ce besoin en envisageant les organisations
comme une partie d’un environnement global plus large et donne un aperçu de la façon dont les
organisations communiquent avec des secteurs particuliers de leur environnement. Il se termine
par une analyse du rôle des échelons supérieurs de direction dans les organisations.

L
a société est devenue au siècle der- l’histoire militaire tels qu’Alexandre le Grand,
nier une société d’organisations.1 Napoléon et Clausewitz reconnurent l’impor-
L’examen de la croissance d’une civi- tance des organisations et en tirèrent parti. Le
lisation est vraiment une étude de la leader d’aujourd’hui, plus encore que par le
capacité des gens à s’organiser d’une façon passé, doit posséder une connaissance de base
constructive. Les principaux participants à des facteurs affectant les organisations.

120

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THEORIE D’ORGANISATION   121

Que sont les organisations ? Quels sont ajustements terminologiques, nous pourrions
leurs caractères et comment fonctionnent- parler d’IBM ou de US Steel.
elles ? Ces questions sont fondamentales pour
qui étudie les organisations. Elles sont égale-
ment d’une importance vitale pour ceux qui Une organisation et son
se qualifient eux-mêmes de leaders car les lea- environnement
ders n’existent que par rapport à quelque
type d’organisation. Dans la mesure où les Même si la définition précédente indiquait
leaders sont chargés d’organiser, de diriger et que les organisations étaient essentiellement
de contrôler les divers éléments d’une organi- des entités à part et distinctes, elle ne disait pas
sation, il est évident qu’ils doivent compren- qu’elles étaient autonomes et totalement indé-
dre ce qu’ils sont chargés de mener. Com- pendantes de leur environnement. Effective-
prendre les organisations est plus qu’une ment, elles ne le sont pas. Le docteur William
simple quête intellectuelle ; c’est l’une des B. Wolf, dans son article intitulé “Reflections on
principales conditions qu’exige un leadership the Theory of Management” (Réflexions sur la
de qualité. Le présent article se propose théorie de la gestion), observe que « l’orga-
d’aider à satisfaire cette exigence.2 nisation ne peut être isolée de la société plus
Pour comprendre quelque chose aux orga- large dont elle constitue une partie. »3 Philip
nisations, on doit aborder le sujet d’une façon Selznick déclare qu’« une organisation est sou-
logique. C’est la raison pour laquelle cet article ple, s’adaptant à l’influence exercée sur elle
envisage d’abord les organisations comme une par un environnement extérieur »4 et Chester
partie d’un environnement global plus large. Il I. Barnard, écrivant dans The Functions of the
examine ensuite la façon dont les organisations Executive (Les fonctions du cadre), note que
communiquent avec des secteurs particuliers « la survie même d’une organisation dépend
au sein de cet environnement extérieur et cata- d’un bon équilibre de son environnement. »5
logue enfin les caractères intrinsèques fonda- Si par exemple l’organisation est une
mentaux des organisations sur lesquels baser entreprise, elle doit faire de la publicité pour
l’examen du rôle du leader. Bien que la théo- ses produits et les vendre à des clients qui se
rie présentée ci-après se rapporte aussi bien
trouvent dans l’environnement plus large.
aux entreprises qu’aux organisations militai-
Si l’entreprise ne peut vendre ses produits,
res, elle isole explicitement les aspects particu-
elle ne pourra survivre. Par conséquent, une
liers qui les différencient.
entreprise tire sa nourriture même de l’envi-
On doit toutefois, pour commencer, défi-
nir d’abord ce qu’est une organisation et le ronnement et, si elle ne peut le faire, elle cesse
bref composite qui suit peut servir d’excel- d’être une organisation viable. De même, une
lente introduction : « Une organisation est organisation militaire doit satisfaire l’envi-
essentiellement un groupe à part et distinct ronnement politique dont elle tire le budget
de personnes (et de ressources) qui ont été dont sa base de ressources a impérativement
réunies pour atteindre un objectif partagé. besoin pour survivre.
En outre, l’interaction de ses membres est Cet échange avec l’environnement est
coordonnée consciemment pour atteindre constant. Une entreprise met ses produits à la
cet objectif. » Par exemple, l’armée de l’Air disposition des clients et ceux-ci lui procurent
des Etats-Unis est une entité organisationnelle des recettes lorsqu’ils achètent ses produits.
à part et distincte. Elle a pour objectif partagé Les employés sont recrutés dans l’environne-
la défense du pays et de ses ressources. L’em- ment et la législation impose certaines
ploi de tous ses pilotes, mécaniciens, équipes contraintes quant à la façon dont l’entreprise
au sol et aéronefs a été coordonné dans le but peut les traiter. Ces rapports sont en fait telle-
d’atteindre cet objectif. Une description simi- ment complexes et cruciaux qu’il vaut de
laire pourrait s’appliquer aux escadres et noter divers secteurs de l’environnement avec
escadrons tactiques et, moyennant quelques lesquels cette interaction se déroule.

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122   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

Pour les besoins de notre analyse, l’environ- motivation de leurs employés et à réexaminer
nement se limitera à cinq secteurs principaux : la vraie nature du travail lui-même.
économique, culturel, politique, concurrentiel Une entreprise commerciale communique
et technologique. On pourrait leur en ajouter également avec le secteur politique de son
d’autres tels que les organisations internationa- environnement. Le gouvernement peut par
les, les collectivités locales et d’autres organisa- exemple, à n’importe quel niveau, faire pres-
tions. Pour communiquer avec ces secteurs sion sur les organisations pour les inciter à
principaux, une organisation doit opérer au changer leurs méthodes ou promulguer des
sein d’un complexe de structures et de condi- lois destinées à les contrôler, et l’entreprise
tions. Pour illustrer cet échange, considérons la n’existe qu’avec l’accord de la société. La pré-
façon dont une entreprise commerciale com- occupation croissante en matière de protection
munique avec les divers secteurs de son environ- du consommateur est un exemple de l’effet du
nement. Nous effectuerons plus loin la même secteur politique sur les entreprises. Les métho-
analyse avec des organisations militaires. des de recrutement sont également réglemen-
S’il est vrai qu’une entreprise communique tées par le secteur politique. La législation
généralement avec tous les principaux sec- applicable déclare désormais que les deman-
teurs, son objectif principal est de dégager deurs d’emploi ne peuvent être rejetés pour
une marge bénéficiaire. Dans la mesure où des raisons d’âge, de race ou de sexe.
elle est essentiellement une organisation éco- La situation de la technologie dans l’envi-
nomique, ses dirigeants définissent soigneuse- ronnement est également importante. Aux
ment un segment particulier de l’environne- Etats-Unis, une entreprise peut compter sur
ment économique qu’ils désirent exploiter, un plus grand nombre de sous-traitants et de
analysent le marché que représente la
spécialistes à la pointe de la technologie pour
demande du secteur culturel pour un produit
l’aider à régler ses problèmes d’organisation.
particulier et mettent en œuvre dans l’organi-
Vu sous cet angle, l’environnement technolo-
sation des politiques visant à encourager ce
gique représente généralement un facteur
marché à acheter leur produit. Si les gens
positif. Toutefois, lorsque les secteurs techno-
achètent le produit et que les ventes sont bon-
nes, cela procure des recettes à l’entreprise et logique et concurrentiel de l’environnement
l’échange se poursuit. Si le produit se vend se combinent, cela peut poser des problèmes.
mal, le chiffre d’affaires en souffre et l’entre- A titre d’exemple, en 1961, une société du
prise doit opérer certains ajustements. Par nom de American Photocopy annonça avec assu-
exemple, les constructeurs automobiles amé- rance qu’elle allait dominer, avec deux autres
ricains s’efforcent actuellement de s’adapter à entreprises, le marché de la photocopie grâce
un changement de la demande dans l’envi- à sa nouvelle photocopieuse à voie humide.
ronnement économique en produisant des Malheureusement, elles n’avaient pas
voitures plus petites. Le secteur économique conscience des compétences technologiques
ne constitue toutefois pas l’unique préoccu- d’une petite entreprise nommée Xerox. La
pation d’une entreprise – il en est d’autres. concurrence existe toujours et la technologie
Le secteur culturel de l’environnement est souvent utilisée pour exploiter cette
affecte également les entreprises dans la mesure concurrence.
où il détermine les attitudes de base des Pour résumer, on peut dire qu’une entre-
employés vis-à-vis de leur travail et de leur ser- prise n’est en aucun cas un îlot replié sur lui-
vice ou produit. Historiquement, notre société même. Elle communique constamment avec
s’est caractérisée par une déontologie très forte les divers secteurs de son environnement et,
qui, si on en croit les recherches menées sur le lorsque celui-ci change, l’entreprise doit en
sujet, est actuellement dans une période de faire autant si elle espère rester une institution
changement. Ce changement affectant les viable. De tous les secteurs de l’environne-
valeurs culturelles peut conduire les entrepri- ment, toutefois, le secteur économique a l’ef-
ses à rechercher de nouvelles méthodes de fet le plus profond sur les entreprises. Privez

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une entreprise des recettes que lui procure L’interaction d’un organisme militaire avec
son environnement et elle cessera d’exister. les secteurs culturel et technologique est à peu
Qu’en est-il des organisations militaires ? près la même que celle des entreprises. Il existe
Sont-elles uniques en leur genre ou ont-elles toutefois une nette différence dans le secteur
beaucoup de points communs avec le modèle concurrentiel de l’environnement. Les orga-
de base d’une entreprise ? nismes militaires ne sont généralement pas en
Au sens le plus large, les organismes publics concurrence avec d’autres organismes sur le
et les entreprises commerciales sont similaires marché. Pourtant, même cette règle connaît
dans la mesure où ni les uns ni les autres ne des exceptions. L’armée de l’Air et la Marine
sont des structures autonomes. Il n’est pas non des Etats-Unis se sont certainement fait concur-
plus nécessaire de s’appesantir sur ce point. Le rence pour voir qui fournira l’armement straté-
plus grand de nos organismes publics, le dépar- gique principal dans l’avenir. L’armée de l’Air
tement de la Défense (Department of Defense – pousse le bombardier furtif et la Marine recom-
DOD ), sait très bien à quel point un sénateur mande le Trident. En outre, le département de
et ses collègues sont importants pour la conti- la Défense est en concurrence en termes de
nuation de son bien-être. Si vous avez encore priorités nationales avec l’assurance maladie et
des doutes à ce sujet, lisez le compte-rendu des l’assurance vieillesse.
séances annuelles consacrées aux crédits bud- Les entreprises et les organismes militaires
gétaires pour les dissiper. En fait, pour élargir ont par conséquent de nombreux points com-
cet exemple, tous les organismes publics (aux muns mais présentent certaines différences
niveaux Fédéral, des Etats ou local) doivent qui leur sont propres. Ces deux facettes se
s’exposer au feu politique et économique de résument le mieux aux points suivants :
l’affectation des crédits budgétaires. 1. Les organisations, aussi bien militaires
Les organismes militaires communiquent que commerciales, communiquent avec
donc avec leurs environnements et une grande leurs environnements et sont tributaires
partie de ce qui a été dit des entreprises leur de ceux-ci.
est également applicable. Il existe toutefois
quelques différences fondamentales. Un orga- 2. Les deux types d’organisations sont
nisme militaire a beaucoup plus de relations influencés par cinq secteurs principaux
avec le secteur politique qu’une entreprise. (économique, culturel, politique,
En dernière analyse, les deux types d’organi- concurrentiel et technologique) de l’en-
sations doivent compter sur la réaction favora- vironnement global.
ble des citoyens individuels mais l’entreprise 3. Il existe quelques différences très nettes
reçoit son soutien essentiellement du marché, entre les deux types d’organisations, en
alors que l’organisme militaire est plus tribu- particulier la façon dont ils communi-
taire du processus politique. quent avec les secteurs économique,
Le secteur économique influence égale- politique et concurrentiel de l’environ-
ment les organismes militaires car, comme les nement.
entreprises, ils doivent eux aussi faire face aux
problèmes d’inflation. En outre, ils doivent 4. Même si les organisations militaires et
tous deux retirer des fonds de l’environne- commerciales diffèrent, leurs ressem-
ment économique. Alors qu’une entreprise blances l’emportent sur leurs différen-
ces. Ces dernières semblent en outre
reçoit son financement directement de son
plus procédurales et techniques que
chiffre d’affaires, une Arme reçoit ses fonds
fondamentales.
par l’intermédiaire du processus d’affectation
des crédits budgétaires. Dans un cas comme Avant de mettre fin à cet examen des organi-
dans l’autre, le montant reçu est basé pour sations et de leur environnement, il convient
une bonne part sur les conditions régnant d’insister de nouveau sur le concept suivant :
dans les secteurs économique et politique. une organisation est tributaire de son environ-

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nement et, au fur et à mesure que celui-ci sation ; c’est-à-dire les buts que se fixent les
change, l’organisation doit en faire de même si éléments de celle-ci. En tant que tels, ils jouent
elle veut rester totalement opérationnelle. un rôle central dans la coordination des
Bien que de nombreuses organisations existent efforts. En outre, les objectifs généraux de
dans un environnement pacifique et favorable, l’organisation globale se décomposent en
il n’en est pas toujours ainsi. Pour arriver à une objectifs secondaires plus étroits attribués aux
harmonie relative avec son environnement et organisations subordonnées. On l’appelle
la maintenir, une organisation doit identifier souvent l’effet de cascade par lequel les
les réalités de cet environnement et y réagir. Si niveaux inférieurs de l’organisation s’intè-
l’organisation est un système fermé qui ne res- grent au tout. Le département de la Défense a
pecte pas, ne comprend pas ou rejette les pour mission ou objectif général d’assurer
informations qu’il reçoit de son environne- une défense nationale efficace. L’armée de
ment, il est douteux qu’elle s’y adaptera comme l’Air, celle de Terre et la Marine ont chacune
il convient. Si par contre l’organisation est dis- un énoncé de mission sur lequel elles s’ap-
posée à tenir compte de la remontée de l’infor- puient, comme le font les organisations qui
mation et peut s’y adapter, elle restera proba- leur sont subordonnées, jusqu’à la plus petite
blement une institution viable. Si on se base unité dans l’endroit le plus retiré.
sur ce concept, il y a peu ou pas de différence Certains aspects des objectifs sont mal
entre les organismes publics et les entreprises. compris. Pour commencer, et c’est ce qui est
Le changement le plus important qui, lors le plus important, les énoncés d’objectifs des
des années récentes, a affecté les organisa- organisations devraient traiter de la façon
tions est l’interdépendance croissante de ces dont une organisation communique avec son
dernières et de leurs environnements. Dans environnement extérieur. Une organisation
les vieux westerns, Fort Apache pouvait fermer est tributaire de son environnement et, si elle
ses portes au monde environnant. Les organi- ne peut maintenir des rapports harmonieux
sations militaires d’aujourd’hui ont beaucoup avec cet environnement, elle cesse d’être une
de responsabilités vis-à-vis de l’environnement institution viable. Dans la mesure où l’exis-
extérieur. La nature de notre monde com- tence même d’une organisation dépend du
plexe tendrait à suggérer qu’aucune organisa- maintien de ces rapports, les organisations
tion ne peut être un îlot. devraient énoncer les éléments fondamen-
taux de ce qu’elles doivent faire pour garantir
l’harmonie. L’énoncé général de la mission
Les caractères internes d’une d’un département tel que celui de la Défense
indique ce qu’il doit faire pour se voir attribué
organisation des crédits budgétaires. Par exemple, pendant
Toutes les organisations partagent certains les années 50, les Américains avaient peur de
caractères internes. Même si tous les spécialistes l’Union Soviétique. Ils demandaient au dépar-
ne sont pas d’accord quant à ce que sont ces tement de la Défense de réagir à la menace à
caractères communs ou à la façon de les catalo- n’importe quel prix raisonnable et cela devint
guer, quatre sont fréquemment identifiés : l’objectif de ce département. A la fin des
objectifs, structure, processus et comporte- années 60 et pendant les années 70, la menace
ment.6 L’examen de toute organisation révèle la sembla diminuer et, au fur et à mesure que les
preuve de ces caractères communs. Ce qui suit idées culturelles et politiques changeaient, un
est un examen détaillé de ces caractéristiques profil militaire beaucoup plus bas fut suggéré.
internes que partagent les organisations. Dans les années 80, les idées changèrent de
nouveau et les forces culturelles, politiques et
Objectifs
économiques suggérèrent un changement
pour les forces militaires.
Les objectifs sont sensés, par définition, repré- La chose importante à noter dans cet exem-
senter la focalisation des efforts d’une organi- ple est qu’un changement important affectant

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ce que demandait le peuple (environnement) il n’est pas nécessaire de passer du temps à


provoqua un changement d’objectifs. L’har- justifier le fait que la plupart des organisations
monie antérieure avait été bouleversée et une sont structurées suivant des modèles établis à
nouvelle direction interne (objectifs) était l’avance. Ce qui toutefois semble nécessaire
nécessaire si l’harmonie devait être rétablie. est un bref examen de certains des aspects
L’objectif général d’une entreprise est causaux et dysfonctionnels de la structure.
déterminé d’une manière légèrement diffé- La structure dérive de la taille et de la techno-
rente mais, comme dans le cas d’un organisme logie. Au fur et à mesure qu’une organisation
militaire, cet objectif implique le souhait croît et incorpore de nouvelles activités comple-
d’une harmonie avec l’environnement. L’ob- xes, le travail dépasse les capacités d’une seule
jectif pourrait par exemple être d’obtenir un personne. Un autre employé est embauché et la
taux de rendement de l’investissement de dix tâche est divisée en deux. Une personne se spé-
pourcent après impôts. Cet énoncé d’objectif cialise dans une partie du travail et l’exécute,
implique un corollaire : l’entreprise n’obtien- l’autre se spécialise dans les autres tâches, et
dra un tel taux sur un segment de marché
ainsi de suite. Plus une organisation est vaste et
limité que si elle répond de façon satisfaisante
plus les activités qu’elle implique sont nombreu-
aux besoins de ses clients. En d’autres termes,
ses, plus elle devient spécialisée et structurée. La
l’entreprise doit adapter son produit et son
spécialisation et la structuration sont donc les
prix aux conditions de l’environnement.
Lorsqu’on examine le concept d’objectifs, corollaires naturels d’une taille et d’une com-
il convient d’introduire deux autres considé- plexité croissantes et on les rencontre dans tou-
rations. D’abord, les objectifs peuvent chan- tes les grandes organisations.
ger et le font effectivement. Si les exigences Malheureusement, certaines difficultés sont
de l’environnement changent d’une manière associées à la structure, et la rigidité en est une.
significative, l’objectif devrait probablement Une fois qu’une structure est établie, elle est
changer – et le plus tôt sera le mieux. Ensuite, difficile à modifier et la rigidité peut dissuader
les objectifs d’une organisation ne sont pas une organisation d’essayer de s’adapter aux
nécessairement partagés par ses membres. Le changements de l’environnement.
simple fait d’officialiser les objectifs d’une Un autre problème tient au fait que l’esprit
organisation ne signifie pas que la direction et de clocher tend à s’installer et à causer un conflit
les employés travaillent toujours à atteindre dysfonctionnel. Les membres de l’escadron A
ces objectifs. Cette considération est particu- ont tendance à penser que la totalité de l’organi-
lièrement applicable dans la société sation opère en soutien de celui-ci quels que
d’aujourd’hui, où un engagement est crucial soient les besoins de l’escadron B. Le personnel
pour la réussite d’une organisation. Un leader d’entretien et celui chargé des approvisionne-
est confronté au défi de comprendre les objec- ments se disputent pour déterminer qui est res-
tifs de l’organisation, de les communiquer ponsable de la mise hors service d’un aéronef.
aux membres de l’unité et de s’efforcer d’ob- Chaque spécialité tend à mettre l’accent sur ce
tenir l’engagement de ces derniers. qui l’intéresse et à oublier les objectifs de l’orga-
En résumé, une organisation et son envi- nisation dans son ensemble.
ronnement sont directement liés. Les objectifs La structure d’une organisation doit être
devraient non seulement définir ce qu’exigent adaptée aux objectifs de celle-ci. Une escadre
des rapports harmonieux mais également ser- du commandement aérien stratégique et une
vir de guide au comportement interne. du commandement du transport aérien mili-
taire ont des structures différentes parce que
Structure
leurs objectifs sont différents. Les leaders sont
Compte tenu de tous les « schémas de prin- confrontés au défi que représente l’adapta-
cipe » (organigrammes) que l’on rencontre tion de la structure de leurs organisations aux
dans les organismes publics et les entreprises, objectifs de celles-ci.

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Processus se déroulant dans les organisations nisations se trouvent de nombreuses person-


et structure nes exécutant des tâches très diverses et exer-
Ni l’un ni l’autre ne sert à décrire l’activité au çant une influence qui se fait sentir dans toute
sein d’une organisation. Les organisations se cette organisation. Vous devez réfléchir à ce
caractérisent par des types d’activités continues qu’est votre rôle dans votre organisation pour
et, dans toute organisation, de nombreux pro- bien la comprendre.
cessus différents se déroulent simultanément. Le premier point est qu’il y a du bon et du
Même si les processus physiques sont les plus mauvais dans les membres des organisations.
visibles (par exemple, une chaîne de fabrica- Ils sont nécessaires et précieux dans la mesure
tion dans une usine), d’autres qui sont moins où ils font marcher les machines, exécutent
visibles se déroulent dans les organisations. les opérations, rédigent les rapports et font
La compréhension des processus informels leur travail. Dans ce sens, ils représentent un
et formels de communication dans les organi- atout pour l’organisation et ont une valeur
sations représente un défi majeur pour les lea- considérable pour elle.
ders. L’information est cruciale pour le proces- Malheureusement, ils peuvent également
sus de prise de décisions dans une organisation représenter un problème pour l’organisation.
et le leader efficace doit connaître les canaux Ils peuvent détourner des fonds, mal travailler,
formels et informels de communication. demander des congés, bâtir leur propre fief,
Les processus de prise de décisions dans les établir des normes qui limitent la production
organisations prennent souvent une forme et soumettre des rapports mensongers.
très précise, qu’il s’agisse de décisions budgé- Le concept important est ici qu’il y a du
taires ou d’acquisition de matériel. Les orga- bon et du mauvais dans les membres d’une
nisations militaires ont élaboré des processus organisation ! Leurs efforts de production
de prise de décisions programmés dans des sont précieux et fonctionnels pour l’organisa-
règlements et directives conçus pour optimi- tion et leur comportement est dysfonctionnel.
ser l’emploi des ressources. Les leaders effica- Les comportements fonctionnels et dysfonc-
ces connaissent ces processus, l’étendue de tionnels font tous deux partie de la réalité
l’autorité discrétionnaire dont ils disposent et d’une organisation. Pour comprendre une
le moment auquel l’exercer. organisation, par conséquent, on doit être
Ces processus constituent une importante conscient de certains des types de comporte-
caractéristique de toutes les organisations et ment rencontrés au sein de l’organisation et
la compréhension d’une organisation impli- de leur effet sur les fonctions de celle-ci. C’est
que celle de ses processus. Une organisation ce qu’on appelle souvent le micro aspects
n’est pas simplement une structure telle que d’une organisation.
la décrit son schéma de principe. Une organi- Un autre point crucial concernant le com-
sation est également un complexe de proces- portement dans l’organisation est le fait que
sus étroitement liés et c’est grâce à la connais- les employés sont essentiellement intéressés.
sance de ceux-ci que l’on comprend l’activité Leur comportement ne vise pas nécessaire-
officielle d’une organisation. ment à atteindre les objectifs de l’organisation
mais plutôt de satisfaire leurs propres aspira-
Comportement
tions et besoins. Le psychologue Carl Rogers
indique que les gens agissent pour maintenir
La compréhension des objectifs, de la struc- et renforcer l’image qu’ils se font d’eux-
ture et des processus formels d’une organisa- mêmes.7 Abraham H. Maslow affirme que le
tion permet d’acquérir une idée de base de la comportement a ses origines dans les besoins
nature de cette organisation. L’image est des individus.8 Fredrick I. Herzberg suggère
néanmoins incomplète tant qu’on ne prend que les employés ne sont motivés que lorsque
pas en considération l’aspect réellement les conditions de travail satisfont leurs besoins
dynamique des organisations : le personnel et et qu’ils sont relativement isolés des sources
son comportement. Dans la plupart des orga- de mécontentement personnel.9 La théorie

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actuelle de l’expectative suggère que les gens offrent tous au dirigeant astucieux une base
accomplissent des tâches pour être récom- fondamentale d’étude et de compréhension
pensés par une promotion, une augmentation des organisations.
de salaire ou quelque autre avantage, ainsi
que sur la base de la solidité de leurs rapports
et de leurs sentiments.10 Le rôle du leadership au
Le but n’est pas ici de présenter ici quelque plus haut niveau
concept cynique de la personne car la plupart
des gens sont certainement capables de faire Il est souvent difficile de distinguer le rôle
preuve de bienveillance. Néanmoins, les gens du leadership au plus haut niveau dans les
jouissent ou sont affligés de besoins personnels situations de forces internes dynamiques, avec
et de pulsions auxquels ils sont essentiellement le problème persistant d’adaptation au chan-
obligés de réagir. Ce type de réaction est un gement continuel dans l’environnement exté-
élément de la réalité du comportement dans rieur. Les leaders au plus haut niveau doivent
l’organisation et détermine un grand nombre clarifier leurs positions par rapports aux
des méthodes de motivation du leader. besoins internes de l’organisation en termes
Il est important de noter que les gens recher- de planification, de coordination et d’orienta-
chent la satisfaction de leurs besoins indivi- tion en tenant compte des besoins externes
duellement et en tant que membres de petits de faire face aux forces environnementales.
groupes informels. Ces groupes représentent Le rôle des leaders au plus haut niveau
un élément important de la matrice de l’orga- devient celui d’harmonisateur et de compen-
nisation. Ces groupes informels (l’organisation sateur. Ceux qui s’efforcent d’être informés
informelle) sont des mécanismes sociaux utili- doivent considérer, équilibrer et intégrer les
sés par les employés pour exercer des pressions facteurs et forces internes et ceux qui sont
internes sur les organisations. extérieurs à l’organisation. Pour illustrer ce
Les individus se comportent souvent diffé- point, voyons ce qui arrive lorsqu’un leader
remment lorsqu’ils deviennent membres d’un au plus haut niveau néglige l’une ou l’autre
groupe. Leur comportement est affecté par de ces responsabilités.
l’association et l’unité, ainsi que par les nor- Examinons d’abord le cas des chefs militai-
mes, les valeurs et les objectifs du groupe. Les res qui concentrent leurs efforts sur les facteurs
types de comportement du groupe peuvent externes de l’organisation. Leurs efforts sont
être fonctionnels ou dysfonctionnels. Les pour l’essentiel dirigés vers l’image perçue par
efforts des groupes peuvent souvent conduire le public. Ils se concentrent sur l’interface avec
les organisations à dépasser leurs objectifs l’environnement, tout en négligeant la situa-
opérationnels. A l’inverse, ils peuvent empê- tion intérieure. Aux yeux du public, leurs orga-
cher la production d’atteindre les objectifs nisations apparaissent saines et efficaces. Le
raisonnables que s’est fixée l’organisation. Il test suprême pour toutes les organisations mili-
convient aux leaders d’acquérir une parfaite taires, toutefois, est la capacité de leurs systè-
compréhension de la dynamique de compor- mes internes à défendre efficacement le pays.
tement des groupes et de maîtriser les compé- Le fait de négliger les facteurs internes com-
tences nécessaires pour faire face à ses promet cette possibilité.
influences positives et négatives. Les leaders à orientation externe adoptent
En résumé, les organisations ont des carac- généralement une perspective à court terme
tères internes communs tels que des objectifs, et peuvent très bien réussir dans l’avenir
une structure, des processus et un comporte- immédiat. Les leaders doivent néanmoins
ment. En outre, ces caractères ne sont pas à faire plus qu’une bonne impression : ils doi-
part ni distincts ; ce sont des facteurs interdé- vent également s’attaquer aux problèmes,
pendants qui se chevauchent dans le système plus difficiles à long terme, de solidité interne.
de l’organisation au sens large. Ils affectent Les unités militaires dont les chefs sont nom-
tous le comportement de l’organisation et més intentionnellement ou par mégarde pour

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128   AIR & SPACE POWER JOURNAL  

une courte durée ont de fortes chances d’en- Cette analyse et ces exemples montrent que
courager ce type de leadership. les leaders au plus haut niveau sont plus que de
A l’autre bout de la gamme, on trouve des simples fonctionnaires internes ou agents de
leaders qui se concentrent sur les caractéristi- relations publiques. Les leaders efficaces à ce
ques internes de l’organisation et ignorent les niveau ont plusieurs responsabilités. Ils doivent
forces extérieures. Ils estiment que la valeur d’abord connaître et prendre en considération
d’une organisation efficace sera reconnue les facteurs et les forces de l’environnement. Ils
automatiquement. Ce point de vue n’est pas doivent ensuite connaître, prendre en considé-
non plus sans faille. Henry Ford se concentra ration et pouvoir influencer les facteurs et for-
sur le processus interne de fabrication pour ces internes de leurs organisations. Ils doivent
bâtir une formidable organisation. Sa préten- enfin pouvoir équilibrer, intégrer et harmoni-
due attitude selon laquelle les gens pourraient ser raisonnablement les deux, tout en orientant
acheter des voitures de n’importe quelle cou- leurs organisations vers des objectifs produc-
leur tant qu’elles étaient noires est un indica- tifs.12 La façon dont les leaders s’acquittent de
teur de la différence entre Ford et General cette troisième et dernière responsabilité
Motors. Alfred Sloan, de General Motors, dépend, dans une certaine mesure, de leur
reconnut la nécessité d’équilibrer les facteurs compréhension des principes fondamentaux
internes et externes et, en conséquence, délo- de la théorie de l’organisation.  ❑
gea Ford de sa position initialement domi-
nante dans l’industrie automobile.11

Notes
1.  Peter F. Drucker, Management Tasks Responsibilities 6.  Edmund P. Learned et Audrey T. Sproat, Organiza-
(Responsabilités et tâches de gestion), (New York: Har- tion Theory and Policy (Théorie et politique de l’organisa-
per and Row, 1947), 807. tion), (Homewood, Illinois: Richard D. Irwin, Inc., 1966).
2.  Frank R. Hunsicker et M. J. Christenson, “Organiza- 7.  Carl R. Rogers, Counseling and Psychotherapy (Aide
tional Theory for Managers” (Théorie de l’organisation à psychosociale et psychothérapie), (Boston, Massachusetts
l’intention des gestionnaires), Readings and Seminar, Com- Houghton Mifflin Co., 1942), 28–30.
mand and Management I (Maxwell Air Force Base, Ala- 8.  Abraham H. Maslow, Motivation and Personality
(Motivation et personnalité), (New York: Harper and
bama: Air Command and Staff College, août 1976) : 144.
Row, 1954), 80–106.
(Cet article est basé sur un article antérieur.)
9.  Fredrick I. Herzberg, “The Motivation-Hygiene
3.  William B. Wolf, “Reflections on the Theory of Manage-
Concept and Problems of Manpower” (Le concept bifactoriel
ment” (Réflexions sur la théorie de la gestion), Manage-
et les problèmes de main d’œuvre), Personnel Adminis-
ment Readings Toward a General Theory (Belmont, Califor- tration (janvier–février 1964), 480–87.
nie: Wadsworth Publishing Co., Inc., 1964), 316. 10.  Victor Vroom, Work and Motivation (Travail et
4.  Philip Selznick, American Sociological Review, février motivation), (New York: John Wiley & Sons, 1964).
1948, 5–35. 11.  Alfred Sloan, My Years with General Motors (Mes
5.  Chester I. Barnard, The Functions of the Executive années à General Motors), (Garden City, New York: Dou-
(Les fonctions du cadre), 15e édition (Cambridge, Massa- bleday and Co., 1964).
chusetts: Harvard University Press, 1962), 6. 12.  Drucker, 400.

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Comité de rédaction
(par ordre alphabétique)
Chef d’état-major de l’armée de l’air américaine Paul D. BERG, docteur en histoire et lieutenant colonel, Maxwell AFB, Alabama, Etats-Unis.
Général Norton A. Schwartz Xavier CABANNES, docteur en droit, Paris, France.
Murielle Lucie CLEMENT, docteur ès lettres, Amsterdam, Pays-Bas.
Commandant, commandement de l’éducation et Virginie DOUBLI, docteur en sciences du langage, Montréal, Canada.
de la formation de la force aérienne Abdallah EL MOUNTASSIR, docteur ès lettres, Agadir, Maroc.
Général Stephen R. Lorenz Tim LARRIBAU, officier de réserve, Bordeaux, France.
http://www.af.mil Paul MANSIANGI MANKADI, doctorant, Kinshasa, République Démocratique du Congo (RDC).  
Commandant de Air University Silviu MATEI, directeur de recherches et doctorant, Bucarest, Roumanie.
Général de corps d’armée aérienne Allen G. Peck Juan Carlos MORENO ROMO, docteur en philosophie, Querétaro, Mexique.
Wautabouna OUATTARA, docteur en sciences économiques, Abidjan, Côte d’Ivoire.
Andrianjaka Hanitriniala RAJAONARISON, président Esprit d’Entreprise, Madagascar.
Directeur des Revues professionnelles Tafita RAVELOJAONA, doctorant en sociologie, Antananarivo, Madagascar.
Alain Joseph SISSAO, docteur en sciences littéraires et humaines, Ouagadougou, Burkina Faso.
Lieutenant colonel Paul D. Berg

Editeur
Rémy M. Mauduit
Ashley B. Lowe
   Assistante à l’éditeur http://www.aetc.randolph.af.mil

L’équipe
Colonel Robyn S. Read (c.f.), USAF,
  analyste en défense militaire
Colonel John Conway (c.f.), USAF,
  analyste en défense militaire
Catherine Parker, éditrice du site web ASPJ
Steven C. Garst, Directeur Art et Production
Daniel M. Armstrong, Illustrateur
L. Susan Fair, Illustratrice
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Air and Space Power Journal (ISSN 1931-728X) est publié


trimestriellement. Cette revue est conçue pour servir de
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Forces aériennes, de l’Air University, ou d’autres agences ou Visitez Air and Space Power Journal en ligne
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Dans cette édition, les articles peuvent être reproduits http://www.af.mil/subscribe


Photo prise lors des Ateliers de l’armée de l’Air 2008 « Les défis de la Transformation pour l’armée de
entièrement ou partiellement sans permission au préalable. l’air » à l’amphithéâtre Foch de l’Ecole militaire, organisés annuellement par le Centre d’études
S’ils sont reproduits, nous demandons à ce que Air & Space stratégiques aérospatiales sous la forme d’un colloque international.
Power Journal soit référé.
A gauche, le lieutenant colonel Paul D. Berg, directeur de la division des revues professionnelles
de l’United States Air Force. Au milieu, le général de brigade aérienne Guillaume Gelée, alors
directeur du Centre d’études stratégiques aérospatiales. A droite, Rémy M. Mauduit, éditeur de
l’Air & Space Power Journal en français.

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