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L’Etat en Afrique face aux contraintes d’une régulation

indépendante du marché des télécommunications

L’avènement des ART (Autorités de régulation du marché des télécommunications) constitue pour les
Etats une véritable mutation politique. Il remet en question l’autorité exclusive que ces derniers
exerçaient jusque là sur ce marché. Comment les Etats s’adaptent t’ils à la présence de ce nouvel
acteur ? Respectent-ils l’autonomie décisionnelle nécessaire à l’effectivité de la mission dont cette
autorité nouvelle est chargée ? Acceptent-ils l’autolimitation de leurs propres prérogatives comme
condition d’effectivité de la mission de régulation indépendante conduite par cette autorité ?

L’observation des faits montre que quelque soit le pays, l’expérience des ART ne va pas sans heurts
avec les Etats. Une chose est certaine. Satisfaire aux conditions d’effectivité d‘une régulation
indépendante du marché des télécommunications constitue pour tout Etat un objectif impératif. Elle
seule est à même d’encourager la croissance des investissements privés nécessaire au développement
du potentiel dont est désormais porteur le marché des télécommunications en termes de progrès
politique, économique et social.

S’agissant du marché africain des télécommunications, les observateurs s’accordent pour dire, qu’il a
vocation à connaître une forte croissance des investissements privés compte tenu de que l’on est en
droit d’attendre d’un marché dont la rentabilité ne peut qu’exercer sur les investisseurs une forte
attraction. Selon une étude de l’UIT, pour l’année 2007, les principaux opérateurs ont réalisés des
1
recettes considérables en milliers USD : MTN(9040), Vodacom (5818),Orascom(3761), Zain(3957),
Vodafone(2075), Vivendi(2336),France Télecom(1795). Au premier trimestre 2008, le continent
africain, avec plus de 380 millions de lignes de téléphonie mobile, est passé devant les USA et le
2
canada qui en comptent 277 millions. Selon une étude du cabinet Ernst&Young , le marché africain
des télécommunications enregistre depuis 2002 la croissance la plus rapide au monde. Le taux de
croissance y est de 49,3% là où la France est à 7,5%, le Brésil à 28% et l’Asie à 27,4%. Quant au taux
moyen de pénétration du mobile, il est à 37% et pourrait passer à 61% d’ici 2018 selon les conclusions
de cette étude. En d’autres termes l’Afrique représente un important gisement de clientèle pour les
principaux acteurs des télécoms.

Cependant, selon une étude de l’OCDE certains experts s’étonnent du fait que la création des ART en
Afrique << n’ait pas enclenché un surcroît d’investissement privés….En Amérique latine et aux
Caraïbes, l’investissement privé dans les télécommunications est passé de 13.7 milliards USD en 1991
à 47.1 milliards en 1998, avant de refluer pendant neuf ans, pour atteindre 15.1 milliards en 2007. Si
l’investissement privé en Afrique augmente régulièrement (de 5.4 milliards USD en 2000 à 13,5
milliards en 2007), la progression aurait pu être supérieure, aux dires de certains, avec des cadres
règlementaires plus adaptés. Dans un grand nombre de pays africains, la participation du secteur privé
3
aux télécommunications a achoppé sur des décisions réglementaires discriminatoires>> .

Comment expliquer cet état des lieux ? L’observation des faits montre une inclination de l’Etat en
Afrique à empiéter sur la mission des ART. Cette ingérence ne fait que traduire l’inclination de l’Etat
en Afrique à porter atteinte à sa propre réglementation au gré des opportunités politiques. Elle n’est
sans doute pas étrangère au fait que la progression des investissements privés sur le marché des
télécoms en Afrique soit inférieure à ce qu’elle pourrait ou devrait être eu égard à l’attractivité que ne
manque pas d’exercer la rentabilité de ce marché.

1
Indicateurs des Télécommunications africaines, Rapport de l'UIT, 2008
2
L’Afrique en ligne. Enquête sur le Développement des télécommunications, juin2009, Travaux du Global
Télécommunications Center du Cabinet d’Ernst & Young
3
Rapport de l’OCDE 2009 : Perspectives économiques en Afrique, p101
C’est en tout cas ce que confirme l’enquête du cabinet Ernst&Young. Selon cette enquête <<En dépit
des tentatives pour instaurer des instances de régulation indépendantes à travers le continent, 88% des
opérateurs interviewés ont le sentiment que les organes de régulation en Afrique ne sont pas
suffisamment forts. La perception de l’ingérence politique dans le processus de régulation constitue un
point de préoccupation particulier pour les opérateurs>>.

Cette préoccupation des opérateurs indique assurément qu’il existe une corrélation entre le niveau des
investissements privés dans le secteur des télécoms, le degré d’effectivité d’une régulation
indépendante et l’existence d’un Etat impartial. De ce point de vue les performances du marché
africain des télécoms en termes de croissance des investissements privés, reste fortement
conditionnées par l’avènement d’un tel Etat. C’est dire donc que le marché africain des
télécommunications confronte les décideurs politiques africains à un challenge qu’ils se doivent de
relever. A savoir, la construction d’un Etat de Droit. Seul un tel Etat peut faire échec aux facteurs qui
contribuent à l’imprévisibilité de l’environnement politique du marché africain des
télécommunications.

De ce point de vue la question des rapports entre ART et Etat en Afrique présente un intérêt qui va au-
delà de la thématique du développement des TIC en Afrique. La pratique des ART peut constituer
pour les États africains une source d'apprentissage et d'appropriation de l’esprit et des mécanismes de
l'État de Droit. Elle constitue de ce fait un champ d’observation privilégie des balbutiements de la
construction de l’Etat de Droit en Afrique Le fonctionnement des ART en Afrique doit pour cette
raison faire l’objet d’une grande attention de la part des constitutionnalistes et des politologues car il
constitue un baromètre pertinent de l’avancée ou non de l'État de Droit en Afrique.

Nous présenterons ici dans une première partie les contraintes conventionnelles d’une régulation
indépendante du marché des télécommunications(I). Puis dans une seconde partie nous identifierons
les facteurs qui au sein du paysage politique africain opèrent comme autant d’entraves à la mission des
autorités nationales de régulation des télécommunications (II).

I Les contraintes conventionnelles d’une régulation indépendante du


marché des télécommunications
L'émergence des technologies numériques au sein des sociétés politiques ouvre à des perspectives
nouvelles en matière de progrès économique et social en raison de la charge innovante que véhiculent
ces technologies. Dans les sociétés du Nord comme dans celles du Sud, cette émergence s’est faite
dans le cadre d'une déréglementation préalable du marché des télécommunications (4). L’accord de
l’OMC sur les télécommunications de base signé en 1997, en l'espèce, le quatrième protocole annexé à
l’AGCS (5), est la traduction juridique des négociations multilatérales qui ont conduit à cette
dérèglementation (6).

La déréglementation du marché des télécommunications ne signifie pas que ce secteur soit livré à la
seule régulation des forces du marché en situation de concurrence. Les insuffisances prévisibles du
marché appellent à l’institutionnalisation d’un régulateur dont la mission est de concilier les intérêts
légitimes des trois parties concernées par la libéralisation du secteur. A savoir : les opérateurs
économiques, l’Etat souverain et le citoyen-consommateur. La conciliation de ces intérêts requiert la
mise en œuvre d’une législation concurrentielle dont l’objectif est de garantir une transparence du
marché aux uns et aux autres mais aussi à l’encontre des uns et des autres. Pour ce faire le régulateur
du marché se doit de présenter le profil d’un organisme séparé du gouvernement et son autorité sur les
acteurs du marché (Etats comme opérateurs économique) doit être incontestable.

4 Tendances des réformes dans les télécommunications, 2002, Une régulation efficace, Rapport de l'UIT, 2002
5 Le sigle AGCS (Accord général sur le commerce et les services) s'écrit en langue anglaise GATS (General
Agreement on Trade and Services)
6 Dominique Carreau, Patrick Juillard, Droit International Économique, 4° édition, LGDJ, 1998

2
C’est sans doute pourquoi, dans ses dispositions les plus pertinentes, l'AGCS prévoit que les
obligations des intervenants sur le marché des télécommunications seront soumises au contrôle d'une
autorité de réglementation indépendante. Il s’agit en vérité d’une autorité chargé de la mise en œuvre
d’une réglementation décidée par l’autorité politique. La rigueur terminologique invite donc à parler
plutôt d’une autorité indépendante de régulation. En posant le principe de création d’une telle autorité,
l’AGCS débouche sur une obligation inédite et opposable à tous. A savoir, l’institutionnalisation d’un
acteur tiers à l’Etat et aux opérateurs économiques dans la forme d’une ART: autorité de régulation
des télécommunications.

Cette ouverture du marché des télécommunications à la concurrence confronte les acteurs de ce


marché à des problèmes nouveaux et spécifiques. Elle devait de ce fait s'accompagner d'un ensemble
de mesures institutionnelles et législatives à même de contribuer à une régulation efficace de ce
marché dans sa configuration nouvelle. C'est à cette exigence que fait écho l'accord de l'OMC sur les
télécommunications de base. D'une part en exigeant de substituer à la législation concurrentielle
d'application ex-post alors en cours, une législation nouvelle d'application ex-ante. D'autre part, en
exigeant l’établissement de méthodes et de procédures qui garantissent la transparence du marché.
Enfin, en exigeant de dissocier sur le plan organique l'exercice des fonctions de réglementation et de
régulation puis d’attribuer au titulaire de cette dernière fonction l’autonomie décisionnelle nécessaire à
sa mission.

C’est dire donc que la dérèglementation du secteur des télécommunications ne va pas sans contraintes
pour les Etats. Il est une autre contrainte qui ne pouvait être mentionné dans l'accord de l'OMC sur les
télécommunications de base sous peine de porter atteinte au droit des Etats à déterminer librement leur
organisation politique interne. Il s’agit de la sujétion du gouvernement aux mécanismes de l’Etat de
Droit.

A) L’adoption d’une législation concurrentielle d’application ex-ante

La législation concurrentielle classique se caractérise, on le sait, par une application ex-post. Elle
organise une régulation du marché par application de mesures correctives et de sanctions en cas
d'infractions, sans fixer de règles précises à l'avance ou en n'en fixant qu'un petit nombre.

Dans le domaine des télécommunications, une telle législation ne constitue pas une garantie contre les
effets liés à des pratiques anticoncurrentielles. Les points de litiges qui peuvent surgir dans ce secteur
(colocalisation, accessibilité aux abonnés, interconnexion, tarifs d'interconnexion,
maintenance/dépannage, numérotation etc.) sont de nature à provoquer la disparition d’un opérateur du
marché avant que l’autorité en charge du respect des règles de la concurrence n’ait pu se prononcer.
De ce fait, par leur nature, ces litiges introduisent l’exigence d’une législation concurrentielle qui
organise avant tout, la transparence du marché en termes de conditions d'entrée, de fixation des prix,
d'octroi des licences, d'interconnexion, d'attribution des fréquences, de service universel, de
publication de l'information, de droit de recours ou de révision, etc.7.C'est pour répondre à cette
condition de transparence et éviter ainsi une incertitude du marché des télécommunications, que le
quatrième protocole annexé à l'AGCS exige des États l'adoption d'une législation concurrentielle
d'application ex-ante. Législation dont la mise en œuvre revient à un organe doté d'une autonomie
décisionnelle : l'Autorité nationale de régulation des télécommunications.

La législation concurrentielle d’application ex ante présente des qualités différentes de celles d’une
législation concurrentielle d’application ex post. Elle consiste à fixer des règles et des restrictions
précises pour empêcher les exploitants de se livrer à des pratiques commerciales anticoncurrentielles
ou répréhensibles. Seule une telle législation peut contribuer à réduire les incertitudes du marché des
télécoms pour toutes les parties prenantes en introduisant des mesures de régulation non pas
correctives mais préventives des pratiques commerciales anticoncurrentielles ou répréhensibles.

7
Rapport de l'UIT, 2002,op. cit.

3
En dehors d’une telle législation, le marché des télécommunications ne pourrait connaître tout le
développement dont il est porteur. Tant en ce qui concerne les innovations technologiques qu’en ce
qui concerne les avantages tarifaires pour le consommateur. C'est dire donc qu’une législation
concurrentielle d’application ex-ante s’impose avec nécessité. Elle seule permet de satisfaire à
l'exigence d'une transparence du marché.

B) L’établissement de méthodes et de procédures qui garantissent la transparence du marché

Le quatrième protocole annexé à l'AGCS fait du principe de transparence un élément constitutif de la


légitimité de l’ART 8. Selon un rapport de l'UIT << Dans le contexte de la réglementation des
télécommunications, le terme de transparence se rapporte au caractère ouvert du processus d'exercice
du pouvoir réglementaire>> 9. La transparence du marché des télécommunications requiert par
conséquent l'établissement de procédures ouvertes et complètes visant à concilier les intérêts
antagonistes en tenant compte de l'intérêt public. Cette exigence de transparence concerne l’octroi des
licences, la gestion du spectre radioélectrique et licences associées, l’Interconnexion, le numérotage,
l’homologation des équipements, le service universel et l’accès à l’universel, la réglementation des
prix, la qualité du service et la protection du consommateur.

Les méthodes opérationnelles et procédurales utilisées pour garantir cette transparence sont diverses.
Elles concernent d’abord la transparence du comportement : code de conduite, déclaration d'intérêts
et interdiction des avantages financiers, défiance à l'égard des cadeaux, invitation et faveurs, formation
et performance. Elles concernent ensuite la transparence des opérations : publication de
l'information, recours aux médias, ateliers de recherche de solutions alternatives au règlement des
litiges, règle de pratique et de procédure, établissement d'un registre public, publication des résultats
de mise en œuvre. Elles concernent enfin, la transparence des procédures : participation publique,
consultation, information du public, contenus et échéanciers, communication ex parte, auditions,
financement de la participation publique.

Par ces méthodes opérationnelles et procédurales, l’ART est à même de veiller à la prévention des
market failures qui pourraient survenir dans la forme de comportements non concurrentiels des
acteurs. Ce faisant elle contribue à garantir une saine concurrence entre les acteurs en compétition en
veillant au respect de la transparence du marché.

C) L’indépendance de l’organe national de régulation

L’effectivité des méthodes opérationnelles et procédurales que requiert la transparence du marché des
télécommunications ne va pas de soi. Elle dépend étroitement de deux conditions auxquelles une ART
peut satisfaire plus ou moins. Il s'agit d’une part de l’indépendance que lui reconnaît l’Etat, d’autre
part de la légitimité que lui confère la compétence technique, juridique et économique du personnel
que l’Etat lui alloue.

Concernant la condition de légitimité, elle est celle dont l'ART doit bénéficier auprès des opérateurs
économiques et du gouvernement lui-même, afin que ces derniers le reconnaissent comme un
interlocuteur à part entière. Les ART ne peuvent acquérir cette légitimité qu'en présentant les
meilleures garanties du point de vue de leur connaissance du marché, notamment par une maîtrise des
compétences techniques, juridiques et économiques.

8 Rapport de l'UIT, 2002, opt.cité


9 Rapport de l'UIT, 2002,op. cit.

4
Concernant la condition d’indépendance, le théoricien de la réglementation, William H.Melody,
écrit «Le terme indépendance, tel qu'il est utilisé dans le cadre de la réforme des
télécommunications…ne signifie pas l'indépendance à l'égard de la politique gouvernementale ou le
pouvoir d'élaborer une politique, mais l'indépendance dans la mise en œuvre de la politique sans
intervention abusive de la part des politiciens ou des groupes de pression industriels… »10. En d’autres
termes, le concept d’indépendance de l’ART nécessite que celle-ci bénéficie non pas d’un attribut
fonctionnel exorbitant (la définition de la politique nationale des télécommunications) mais d’un
attribut fonctionnel minimal (l’autonomie décisionnelle dans le champ de ses compétences
statutaires).

Cette autonomie décisionnelle est fondamentale. La question de la relation entre l'organisme de


régulation et le gouvernement est en effet l'aspect le plus délicat d'une régulation concurrentielle
effective du marché des télécoms. Si elle s'avère sans conséquence dans certains cas de figure, dans
d'autres, en revanche, elle peut avoir une incidence à même de remettre en question le caractère
concurrentiel du marché.

C'est le cas notamment pour les pays où précédemment à la réforme existeraient des structures
d'exploitation publiques de type PTT. Dans ces pays, les gouvernements peuvent avoir conservé une
participation considérable voire majoritaire dans le capital de l'opérateur historique. Le gouvernement
(généralement par le biais du ministère des Télécommunications) peut trouver des raisons pertinentes
telles que les programmes d'accès universel pour protéger les intérêts de l'opérateur historique dont il
est lui même un des principaux investisseurs11. Dans cette hypothèse, il n’hésitera pas à exercer une
pression sur son organisme de régulation pour que celui-ci favorise l'opérateur historique par rapport à
de nouveaux venus sur le marché. On comprend ainsi pourquoi la notion d’indépendance fait l'objet
d'acceptions diverses à l'échelle multilatérale selon que l'organe qui se prononce a une vocation
technique ou politique.

Ainsi l'UIT, dont la vocation est technique, recommande la création d'un organisme de régulation
séparé du gouvernement et indépendant à la fois à l'égard du gouvernement et des opérateurs
économiques. L'OMC en revanche – et sans doute en raison de son rôle diplomatique - recommande
certes une indépendance à l'endroit des opérateurs économiques mais n'impose à l'égard du
gouvernement ni une séparation, ni une indépendance.

Dans la pratique on observe que certaines ART répondent au schéma de l'UIT. La France par exemple
a institué une autorité de régulation12 sur le modèle d'une autorité administrative indépendante13.
D'autres en revanche répondent au schéma de l'OMC. Le Japon par exemple n'a pas créé un organisme
séparé et continue à réglementer le secteur par le biais d'un ministère. Quel que soit le schéma retenu,
l’essentiel est qu’il n’entrave point les méthodes opérationnelles et procédurales utilisées pour garantir
la transparence du marché. Celles-ci doivent permettre aux ART de sauvegarder l'équité. Par cette
équité les opérateurs et les prestataires de services obtiennent la garantie que leurs préoccupations sont
prises en considération. En apportant la preuve de la transparence et de l'impartialité dans la prise de
décisions, les régulateurs ne pourront être accusés de prendre des décisions arbitraires, à huis clos pour
des raisons de bénéfice personnel ou pour favoriser telle société ou personne. Les usagers informés
sont ainsi assurés que le régulateur s'acquitte de sa mission et que les opérateurs respectent les
prescriptions qui régissent la qualité du service, la fixation des prix, la facturation et d'autres pratiques.

10
Melody, William H, Telecom Reform : principles, Policies and regulatory processes, 1997 : consultable sur le
site : http://lirne.net
11
Rapport de l'UIT, 2002,op.cit.
12
Bruno Lassere, « L’Autorité de régulation des télécommunications », in AJDA,n°3, 20 mars 1997.
13
P.Sabourin, « Les Autorités administratives indépendantes, une catégorie nouvelle », AJDA,1983 ; Jacques
Chevalier, « Réflexion sur l’institution des autorités administratives indépendantes », JCP 1986.II.3254 ;
C.Acolliard et G.Timsit, Les Autorités administratives indépendantes, PUF, 1988).

5
D) La sujétion de l’Etat aux mécanismes de l’Etat de Droit

Les autorités nationales de régulation du secteur des télécommunications présentent une nature
juridique identique à celle des Autorités de régulation que l’on connaît en France sous le terme
d’Autorité administrative indépendante et aux USA sous le terme de Indépendant Agency. Dans un
cas comme dans l’autre nous sommes en présence d’Autorités indépendantes de régulation. Les unes
issues du Droit de l’OMC. Les autres issues du Droit interne des Etats. Toutefois au delà de cette
identité de nature juridique, une différence substantielle distingue les Autorités indépendantes de
régulation issues du Droit de l’OMC des autorités indépendantes de régulation issues du droit interne
des Etats. On verra ici que cette différence tient à la logique de régulation qu’elles véhiculent.

Au delà des analogies, la mission des unes et des autres présente en effet une différence substantielle.
La régulation assumée par les autorités de régulation issues du droit interne des Etats correspond à une
politique de réforme des modes d’intervention de l’administration. Elle s’organise << par des formules
permettant d’isoler dans l’administration d’Etat, des organes disposant d’une réelle autonomie par
rapport au gouvernement et aux départements ministériels, pour l’exercice d’attributions dans des
domaines aussi sensibles que les libertés publiques et les activités économiques >>14 . Elle relève par
conséquent d’une problématique visant à l’efficacité de l’action administrative, à la modernisation de
l'action administrative. Elle se singularise par conséquent par une philosophie d'autolimitation de
l'Etat par rapport à des droits et libertés particulièrement sensible.

A l’inverse, les Autorités de régulation issues du droit de l’OMC procèdent d'une toute autre
problématique et d’une toute autre philosophie. La mission de régulation qu’elles assument correspond
à une politique de déréglementation de l’économie des services par des mesures de libéralisation du
marché et de dissociation organique des fonctions de réglementation et de régulation. Elle relève par
conséquent d’une problématique visant à l’efficacité d’un marché marqué à la fois par l’ouverture à la
concurrence internationale et les préoccupations de service public15 . Elle se singularise dès lors par
une philosophie de limitation externe de l'Etat par rapport aux intérêts du marché à son propre
développement. Par cette philosophie, la mission de régulation assumée par les Autorité de régulation
issue du droit de l’OMC présente donc une particularité. Celle de mettre en compétition les intérêts du
marché (à son propre développement) et les intérêts de l’Etat (à la sauvegarde des sujétions de service
public).

Illustratif à cet égard est la question du traitement des inégalités entre les acteurs du marché des
télécommunications. Il peut s’agir d’une inégalité de puissance entre les acteurs en compétition
(hypothèse où un des opérateurs en concurrence sur le segment de la téléphonie mobile bénéficie
d’une licence de monopole sur le segment de la téléphonie fixe). Il peut s’agir aussi d’une inégalité des
charges qui pèsent sur les acteurs du marché (c’est le cas pour l’Etat d’accueil qui ne peut en principe
transférer aux opérateurs privés les obligations de service public au respect desquels il se doit de
veiller).

Or de par leur mission les ART ont vocation à faire fi de ces inégalités pour faire prévaloir les intérêts
compétitifs du marché sur les inégalités compensatoires qu’appellent les inégalités entre les acteurs.
De ce point de vue, l’inégalité des obligations qui pèsent sur les acteurs du marché des
télécommunications met en perspective l’idée que la mission des autorités sectorielles issues du Droit
de l’OMC confère à la logique de régulation qu’elles assument une spécificité qui les distingue des
autorités administratives indépendantes en France.

14 Georges Vedel, Pierre Delvolvé, Le système de protection des administrés contre l’administration, Ed Sirey,
1991
15 Bruno Lassere, L’Autorité de régulation des télécommunications, in AJDA,n°3, 20 mars 1997

6
C’est cette spécificité qui fait que la mission assumé par les ART peut conduire le cas échéant à un
conflit entre intérêts du marché et intérêt général, entre intérêts du marché et intérêts nationaux. Il est
vrai que l’Autorité de régulation issue du Droit de l’OMC est censée concilier dans sa mission les
intérêts légitimes des opérateurs privés, de l’Etat souverain et du citoyen-consommateur. Il les concilie
toutefois dans une perspective de développement du marché. Or et c’est ce qui est au cœur de la
critique altermondialiste, les intérêts du marché ne coïncident pas toujours avec l’intérêt général, voir
avec l’intérêt national. Il faut voir dans ce défaut de coïncidence des intérêts la raison pour laquelle
tant dans les pays développés que dans les pays en voie de développement, la mission des autorités de
régulation issues du droit de l’OMC s’opère dans le contexte d’un conflit potentiel entre l’Etat et
l’autorité de régulation.

En France par exemple, les rapports entre l’Etat et l'Autorité de régulation des télécommunications ont
montré que cette dernière n'est pas à l'abri d'un traitement discriminatoire de la part des pouvoirs
publics par rapport aux autres institutions qui lui sont voisines. Non pas que l’Etat ait à son égard un
grief particulier. Simplement l’Etat pour des raisons d’intérêt national n’est pas disposé à voir
s’accroitre son degré d’indépendance. C’est ce qu’a illustré avec propos en 2004 l'examen du projet de
loi relatif aux communications électroniques et aux services de communications audiovisuelle. Alors
même qu’une directive européenne recommandait le renforcement des pouvoirs de l'ART, certains
députés de la majorité parlementaire ont envisagés de soumettre l’ART à des obligations qui devaient
conduire à son affaiblissement16.

Lors de l'examen du même projet de loi au Sénat, les membres de cette chambre, n'ont pas manqués de
souligner le caractère discriminatoire que représenteraient de telles obligations par rapport aux
institutions voisines de l’ART qui n'y sont pas soumises17. Par prévention, le sénateur UMP, René
Tréguouët, a suggéré d'ajouter au texte un amendement précisant que << l'ART intervient en toute
indépendance >>. Cette suggestion a été écarté par le ministre de l'industrie au prétexte -selon le
ministre- que conformément aux accords de l’OMC, le principe d’indépendance de l’ART était
opposable non pas à l’Etat mais aux seuls exploitants du réseau et fournisseurs de services.

Cette argumentation du ministre de l'industrie pour être conforme aux dispositions de l'OMC ne va pas
sans jeter un trouble concernant la mission de régulation indépendante assumé par l'ART. Elle est en
tout cas contraire à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui (dans sa décision n°96-378
DC,p99), a rangé expressément l'ART dans la catégorie des Autorités Administratives indépendantes
bien que le législateur lui même n’ait pas procédé à une telle qualification. Cette argumentation du
ministre de l’industrie en dit long sur le sort qui serait réservé à l’indépendance de l’ART française
dans l’hypothèse d’un conflit ouvert entre l’intérêt du marché à son propre développement et celui de
l’Etat du point de vue des intérêts nationaux ou de sauvegarde des obligations de service publics qui
pèsent sur lui. Elle confirme l’hypothèse qu’il existe un conflit potentiel entre l'Etat et les Autorités de
régulation issues du Droit de l’OMC. Un conflit qui oppose deux acteurs en charge d'intérêts qui leur
confèrent des obligations inégales. D'un côté l'intérêt du marché à son propre développement, de
l'autre l'intérêt de l’Etat à sauvegarder les sujétions de service public au nom de l’intérêt général dont il
a la charge.

L'intervention du ministre français évoqué ci-dessus confirme en tout cas que la logique de régulation
opérée par les autorités de régulation issue du Droit de l’OMC est spécifique. Tant dans les pays
développés que dans les pays en voie de développement, leur mission s’opère dans le contexte d’un
conflit potentiel entre l’Etat et l’autorité de régulation. C’est pourquoi nous pensons qu’il importe de
prendre acte de l’hypothèse de ce conflit potentiel dans le champ des études sur le Droit de la
régulation. Seule, cette hypothèse pourra expliquer la différence des rapports que l'Etat entretiendra
avec les Autorités indépendantes de régulation issus de son droit interne de ceux qu'il entretiendra
avec les autorités indépendantes de régulation issu du Droit de l'OMC.

16 Cas des amendements présentés par des députés de l'UMP, le 12 avril 2004, lors de l'adoption en première
lecture à l'Assemblée Nationale de la loi sur les communications électroniques et audiovisuelle.
17 Nathalie Brafman, Les sénateurs adoptent le paquet de directives sur les télécommunications, in Le monde du
14 avril, 2004,p20

7
Une question s’impose au regard de cette hypothèse. Ce conflit potentiel peut t’il conduire l’Etat à un
conflit ouvert avec l’ART? Au sens d’un conflit qui amènerait l’Etat à porter atteinte à l’indépendance
de l’ART ou au principe de transparence du marché. L’observation des faits montre que la propension
de ce conflit à devenir un conflit ouvert sera variable selon que l’Etat concerné est assujetti ou non aux
mécanismes de l’Etat de Droit. Autrement dit selon que l’Etat présente les caractères d’un système
politique démocratique ou autoritaire.

Dans le cadre d’un Etat démocratique, on sait que les intérêts poursuivis par l’Etat au nom de la nation
coïncident souvent avec l’intérêt général. Dans ce cas, un conflit ouvert entre l’Etat et l’Autorité de
régulation trouvera logiquement sa solution dans la mise en œuvre des mécanismes de règlement des
différends inhérent à l'Etat de Droit sans que pour autant il soit porté atteinte à l'indépendance de
l'ART ou au principe même de transparence du marché. C'est ce dont atteste en France par exemple le
règlement des litiges entre France télécom et l’ART (compétence du Conseil d’Etat), celui des litiges
entre l’Etat et l’ART (compétence de la Commission européenne : ainsi la divergence qui apparue
entre l'Etat et l'ART à propos de la procédure d'attribution des licences UMTS fut réglé par la mise en
œuvre des règles communautaires).

Dans le cadre d’un Etat autoritaire en revanche, on sait que les intérêts poursuivis par l’Etat au nom de
la nation ne coïncident pas toujours avec l’intérêt général. Dans ce cas, un conflit ouvert entre l’Etat et
l’Autorité de régulation, est un conflit qui se déroulera dans un contexte où n'existe pas de recours aux
mécanismes de l'Etat de Droit. L'ART sera de ce fait livré à un face à face inégal avec l'Etat et pourra
souffrir d’une atteinte à son indépendance et au principe même de transparence du marché. C’est ce
que confirme l’expérience des Autorités de régulation en Afrique où la primauté de la volonté du
pouvoir exécutif sur les mécanismes de l’Etat de Droit ne va pas sans rendre arbitraire les solutions
apportées aux conflits qui surgissent entre l'ART et l'Etat. Conflits à l’issue desquels l’ART ne sort
jamais vainqueur, faute pour elle de pouvoir s’appuyer sur les mécanismes impartiaux de l’Etat de
Droit. Cette réalité ne va pas sans créer des entraves à l’effectivité du principe de transparence du
marché.

II Les pesanteurs de l’environnement politique africain comme entraves à


une régulation indépendante du marché des télécommunications

La mission qu’accomplissent les ART pour le respect de la transparence du marché est loin d’être
négligeable en Afrique. Celles-ci comptent à leur actif un certain nombre de succès. Selon l’étude du
cabinet Ernst&Young <<Les organes de régulation prennent….de plus en plus au sérieux leur rôle de
protection des consommateurs, compte tenu de la qualité de services des réseaux opérant sur le
continent. La Zambie, le Nigeria et le Sénégal sont trois exemples de pays où de grands opérateurs ont
été obligés de pallier les faiblesses de leur offre sous peine d’amende ou d’interdiction de publicité de
leurs produits ou de leurs services.>>18

Toutefois force est de constater que l’effectivité de la mission des ART en Afrique demeure largement
en deçà de ce qu’elle devrait et pourrait être. Selon Nancy Sundberg du BDT à l’UIT << Prendre la
décision de créer un organisme de réglementation indépendant est une chose, habiliter cet organisme à
agir de façon indépendante dans la pratique est toute autre chose. Les organismes de réglementation ne
sont pas le fruit d’une génération spontanée mais le résultat de conditions politiques, sociales,
juridiques et économiques propres à un pays, à un moment donné. De plus, ces conditions évoluent :
les approches et les politiques en matière de réglementation changent et, de ce fait, les organismes
changent>> ( cf www.anrt.net.ma).

18
L’Afrique en ligne. Enquête sur le Développement des télécommunications, juin2009, Travaux du Global
Télécommunications Center du Cabinet d’Ernst & Young

8
L’observation des faits dans le champ africain des télécommunications confirme cette analyse. Elle
montre que le fonctionnement des ART en Afrique se heurte à un certain nombre de difficultés
qu’elles se doivent de surmonter sous peine d’être inefficace. Ces difficultés concernent la question de
l’indépendance, celle des compétences techniques, celle du recrutement et de la formation d’un
personnel qualifié, celle liée au financement etc. Certes il s’agit de difficultés communes à tous les
ART dans le monde. Toutefois le traitement de ces difficultés prend dans le contexte africain une
tournure particulière en raison des caractéristiques politique et économique du continent.

D’abord l’environnement économique : celui-ci est conditionné par l’idéologie du développement. Or


dans le cadre de cette idéologie, le financement des prestations de formation du personnel de l’ART
n’est pas considéré comme un secteur prioritaire comparativement aux secteurs de la santé, de
l’éducation, des infrastructures etc.…L’Etat en Afrique s’appuie volontiers sur cette argumentation
pour ne pas consacrer une partie de ses ressources financières aux prestations de formation du
personnel de l’ART.

Ensuite l’environnement politique : la nature du système politique, la nature du régime politique et


enfin les mœurs politiques sont des facteurs qui favorisent en Afrique les atteintes à une régulation
indépendante du marché des télécommunications. Dès lors qu’une question dont est saisie l’ART
pourrait être tranché dans un sens défavorable à l’Etat, les ART sont alors contournées ou dessaisies. Il
arrive même que ce soit l’ART elle même qui adopte une attitude partiale mais favorable à l’Etat. Ces
atteintes sont dommageables. Car non seulement elles privent les Etats africains d’investissements
potentiels mais en plus elles privent les consommateurs africains des avantages que l’effectivité d’une
telle régulation leur apporterait en termes de baisse tarifaire.

Conscientes du poids de ces entraves les institutions financières internationales essaient autant que
faire se peut de les neutraliser. Selon l’OCDE << La banque mondiale a naturellement introduit dans
ses contrats de prêts des clauses devant protégés les organismes de régulation de toute ingérence du
politique. Mais l’environnement politique n’a pas souvent admis le développement de ces organismes,
et sitôt le prêt de la banque mondiale arrivé à son terme, la plupart d’entre eux ont perdu le soutien des
autorités, et ils ont alors été contournés ou sont tombés sous la coupe des entreprises qu’ils étaient
censés contrôler>>19.

Nous illustrerons ici les atteintes portés en Afrique à l’effectivité d’une régulation indépendante du
marché des télécommunications. Les exemples que nous présentons ne renvoient pas aux affaires les
plus récentes. Nous les avons cependant sélectionnés pour deux raisons. D’abord parce qu’ils sont
pleinement explicites et illustratifs au regard de notre sujet. Ensuite parce que la pratique récente des
rapports entre Etats et ART ne remet pas en cause les conclusions auxquelles conduisent les exemples
retenus.

A) la neutralisation statutaire de l’organe de régulation : le statut de l’ART à l’épreuve de la nature


du système politique

Par la nature de leur mission, les ART ont vocation à bénéficier d'un statut similaire à celui que
connaissent en France les autorités administratives indépendantes. Mais les institutions administratives
qui, en France, bénéficient d’un tel statut relèvent d'une philosophie démocratique de l’exercice du
pouvoir. Elles attestent d’une volonté d'autolimitation de l'Etat par rapport à des droits et libertés
particulièrement sensible. Elles doivent la qualité de leur statut et l’effectivité de ce statut à la nature
démocratique du système politique au sein duquel elles opèrent.

19
Rapport de l’OCDE 2009 : Perspectives économiques en Afrique, p101

9
Or les États africains ne participent pas encore de ce type de système politique. Ils attestent encore
d’une philosophie autoritaire de l’exercice du pouvoir. Il s’ensuit qu’ils tolèrent donc difficilement, le
transfert de prérogatives de puissance publique à un acteur qui échappe à la tutelle hiérarchique de
l’Etat. C'est ce que confirment les choix qu’ils ont fait sur la question du statut à accorder aux ART.
Ces choix convergent tous vers une neutralisation statutaire de l’ART. En fait, tout se passe comme si
les États africains respectaient les conditions formelles de l'AGCS (création d’une autorité de
régulation sectorielle) tout en s’exonérant des obligations de fonds (non attribution d’une autonomie
décisionnelle à l’organe de régulation sectorielle).

Les États africains ne récusent donc pas l'idée d'une autorité de régulation séparée du gouvernement.
Simplement, ils ne peuvent concevoir que cette séparation entraîne la suppression de leur pouvoir de
tutelle hiérarchique. La préoccupation de ces Etats a donc été de trouver une formule qui laisserait
intacte leur capacité à orienter la jurisprudence des ART. Une formule qui rendrait possible l’activité
d’une ART sans que cette dernière puisse s’ériger en une volonté autonome ou indépendante du
gouvernement.

Concrètement, on observe une diversité de statuts accordés aux ART. Certaines sont sous tutelle
express des États, d'autres bénéficient de l'autonomie ou de l'indépendance. Une minorité d'États (15
au total) ont fait le choix d’une ART non séparé du gouvernement. C'est le cas pour le Swaziland, le
Bénin, le Congo, la RDC, Djibouti, la Gambie, la Guinée équatoriale, le Liberia, la Libye, le Niger, le
Rwanda, la Somalie, Sao-Tome et Principe, les Seychelles, la Sierra-Leone. Ces ART non séparés du
gouvernement sont à l’évidence dans un rapport de tutelle. Ce qui signifie qu'elles ne bénéficient
nullement de l'autonomie décisionnelle nécessaire à une régulation efficace. La majorité des États (37
au total) ont fait le choix d'une ART séparée du gouvernement. C'est le cas en Afrique du Nord pour
l'Algérie, le Maroc, la Tunisie et pour l'Égypte. C'est aussi le cas en Afrique de l'Ouest pour le Togo,
le Burkina faso, le Cap-Vert, la Côte d'Ivoire, le Ghana, la Guinée, la Guinée Bissau, le Mali, la
Mauritanie, le Nigeria, le Sénégal. En Afrique centrale, c'est le cas pour le Tchad, le Burundi, le
Cameroun, la Centrafrique, le Gabon. En Afrique Australe, c'est le cas pour le Zimbabwe, l'Angola, le
Botswana, le Lesotho, Madagascar, l'île Maurice, le Malawi, le Mozambique, la Namibie, la RSA, la
Zambie. Enfin en Afrique de l'Est, c'est le cas pour l'Érythrée, l'Éthiopie, le Kenya, l'Ouganda, le
Soudan, la Tanzanie.

Concernant les ART séparées du gouvernement, certaines bénéficient d’un régime d’autonomie vis-à-
vis du gouvernement tandis que d’autres bénéficient d’un régime d’indépendance. Que signifie la
diversité des statuts entre autonomie et indépendance ? Elle n'a en vérité aucune portée pratique. Elle
ne correspond pas dans la pratique à des rapports différents vis-à-vis de l'État. D’abord parce que le
statut attribué aux ART est souvent celui de l'établissement public. Ensuite lorsqu’une ART échappe à
ce statut d'établissement public, sa marge de manœuvre est de toutes les façons limitées. Soit parce
que ses membres sont en Droit désignés et révocables par l’exécutif. Soit parce que ses organes de
direction sont en Droit composés de membres de l’exécutif. Ce qui permet aux gouvernements
d’exercer en toute légalité un pouvoir d’injonction sur ces organismes.

Paradoxalement c’est le droit même de l’OMC qui permet aux Etats africains de procéder à une
neutralisation statutaire des ART. Pour créer une ART qui satisfasse aux critères d'une régulation
efficace, l’OMC n’impose pas aux États un modèle statutaire universel. Diverses options s'offrent
donc aux Etats : celle d’un organe de régulation indépendant, autonome, ou sous tutelle du
gouvernement. Cette diversité des options ouverte aux États a pour objet de tenir compte du contexte
économique, politique et social et partant de respecter les traditions juridiques et politiques propres à
chaque pays. Toutefois, par le jeu de ces options, les États peuvent plus ou moins limiter l'autonomie
décisionnelle des ART, voire instrumentaliser ces institutions. Un tel scénario conduit à fausser la
transparence du marché. C'est ce qui s’est passé en Afrique où les États ont su mettre à profit le jeu de
ces diverses options pour contrer la vocation de ces organes à bénéficier d’une autonomie
décisionnelle.

10
B) l’ingérence de l’Etat dans les compétences de l’ART : l’autonomie décisionnelle de l’ART à
l’épreuve de la nature du régime politique

Les constitutions africaines organisent l’exercice du pouvoir politique sur le mode de la séparation des
pouvoirs. Dans la pratique il en va autrement. L'État fonctionne selon une logique de confusion des
pouvoirs au bénéfice de l’exécutif. Autrement dit sa pratique constitutionnelle est celle d’une
hégémonie de l’exécutif. Or, dans le contexte d’un secteur en transition vers la concurrence, cette
pratique constitutionnelle peut conduire l'État à une ingérence flagrante dans les compétences de
l'ART. Et, de ce fait, porter atteinte à son autonomie décisionnelle. Ce scénario peut se produire
lorsque les rapports concurrentiels sont défavorables à l'opérateur historique. Deux affaires illustrent
cette hypothèse : l’affaire ARNT contre Septi au Maroc et l’affaire ministère des Communications
contre Icaza en Afrique du sud.

1°) l’affaire ARNT contre Septi au Maroc : l’issue d’un conflit ouvert entre l'ARNT et l’exécutif
L’ARNT du Maroc a très tôt bénéficié de la confiance des opérateurs historique en raison d’une
régulation réellement indépendante et des compétences techniques de son personnel. En 2001
cependant, le hasard d’un conflit ouvert avec le pouvoir exécutif allait lui rappeler combien son
indépendance pouvait s’exercer à l’encontre de tous certes mais à l’exception de l’exécutif.

En février 2001, l’ARNT du Maroc est saisie d'un litige qui oppose l'opérateur historique (Maroc
Télécom) à son concurrent sur le secteur mobile (Medi-Télécom). Sur requête de ce dernier, l'ARNT
adresse à Maroc Télécom une mise en demeure par laquelle elle lui intime de mettre fin à une offre
considérée comme discriminatoire et constitutive d’un abus de position dominante. En cas de refus de
Maroc Télécom, l'ARNT ne disposait à l'encontre de ce dernier que de sanctions impossibles à mettre
en œuvre en raison de la qualité statutaire de Maroc Télécom. Ces sanctions étaient les suivantes : la
suspension totale ou partielle de la licence de téléphonie mobile pendant 30 jours, la suspension
temporaire de la licence pendant une période allant jusqu' à un an, le retrait définitif de la licence. Ce
ne fut qu’au terme d’une deuxième mise en demeure que l’opérateur historique obtempéra. Il s'est
donc agi d'une capitulation de Maroc Télécom face à l'ARNT. Mais il faut voir dans cette capitulation
de Maroc Télécom, non pas l'indice d'une crainte des sanctions que pouvait lui infliger l'ARNT mais
plutôt un indice de l’intérêt du pouvoir politique à une libéralisation du marché des
télécommunications. Il n’a pas dû échapper à Maroc Télécom et donc au ministre de tutelle que
l'opérateur historique ne pouvait tenir tête à cet organisme sans compromettre la confiance des
investisseurs étrangers et des bailleurs de fonds à l'égard du marché marocain.

Tirant les leçons de la nature irréaliste des sanctions dont elle disposait à l'endroit de Maroc Télécom,
l'ARNT proposa un projet de réforme de la loi marocaine sur les Télécommunications. Une réforme
qui lui octroierait des sanctions effectivement applicables, quelle que soit la qualité statutaire de
l'opérateur concerné. Pour l'essentiel, des sanctions de nature financière. Cette proposition de l'ARNT
lui attira, comme on pouvait s'y attendre, les foudres du SEPTI (Secrétariat d'Etat à la Poste et aux
Technologies de l'Information) qui entendait exercer seul le droit de proposition en matière de réforme
réglementaire. Le SEPTI décida d'élaborer lui même un projet de réforme et demanda à l'ARNT de le
communiquer aux opérateurs et intervenants du secteur des télécommunications. Mais ce projet ne
répondait pas aux attentes de l'ARNT. Il visait à réduire cette dernière au rang d'une simple annexe du
SEPTI. Selon les termes de ce projet, le pouvoir de sanction relèverait dorénavant du SEPTI, les
actions et attributions de l'ARNT seraient désormais menées sous la houlette du SEPTI ; le pouvoir
réglementaire deviendrait l'apanage du SEPTI, lequel se chargerait d'instruire l'octroi des licences et de
gérer les deux fonds qui seront créés pour financer, l'un la formation et la recherche et l'autre, le
développement du service universel. Le bras de fer qui s'ensuivit alors entre l'ARNT et le SEPTI
déboucha sur un compromis : le projet de loi 55-01 qui modifie et complète la loi 24-96. Ce texte
place l’ARNT sous la tutelle express de l’exécutif. On remarque aussi que le directeur de l'ARNT qui
orchestra le bras de fer avec le SEPTI fut nommé à des plus hautes fonctions. Ce qui peut être
interprété non seulement comme une démission-révocation mais aussi comme un signal de l'exécutif
qu'il ne saurait tolérer dans le secteur des télécommunications une volonté décisionnelle autre que la
sienne.

11
2°) L’affaire ministère des Communications contre Icaza en Afrique du Sud : l’atteinte aux
compétences d’une ART

En Afrique du Sud la fin de l’apartheid n’a pas entraîné une fuite massive des capitaux en raison
notamment de la garantie que constituait pour les opérateurs économiques le maintien d’un régime de
séparation des pouvoirs. Le hasard d’un contentieux relatif à la vente d’une licence de téléphonie
mobile allait montrer combien la nouvelle administration pouvait ne pas hésiter à faire sienne la
pratique de la confusion des pouvoirs. C’est le cas de l’appel d’offres concernant la vente de la
deuxième licence en téléphonie fixe qui a donné lieu à une ingérence de l'exécutif dans le champ des
compétences de l'ART.

Lancé au début de l'année 2000, cet appel d'offres prévoyait que 51% des parts devaient revenir à 2
branches privées de sociétés nationales. En l'espèce Eskom Entreprises et Transtel. Les candidats
étrangers qui se sont portés acquéreurs de cette licence (les sociétés Goldleaf et Optis Communication)
firent l'objet de vives critiques de la part de Eskom Entreprises et de Transtel. Ces derniers leur
reprochant de ne pas remplir le critère de sélection posé par l'État sud-africain en termes d'assise
financière. Cette affaire allait de façon inattendue avoir un grand retentissement dans le milieu
politico-financier. Une polémique éclata en effet entre les deux candidats étrangers. Et à cette occasion
la réputation de personnalités tierce fut mise en cause.

Chargée d'instruire le dossier, l'autorité de régulation (l’Icasa) rejeta en janvier 2003 les deux
candidatures étrangères en raison de leur trop faible niveau de financement et d’expertise. Mais contre
toute attente, le ministère des Communications décida de dessaisir l'Icasa de ce dossier. Le ministère
nomma un comité chargé de négocier avec tout investisseur intéressé par la fin du monopole de
Telkom. Ce comité, dirigé par le directeur général adjoint du ministère, devait prendre en charge un
processus accéléré de l'octroi de la licence. Processus accéléré duquel l’Icasa devait être écarté. Ce
comité, après des négociations avec d'éventuels candidats, devait opérer lui-même sa présélection. Le
ministre prendrait une décision finale dans les 90 jours, après simple consultation avec l'Icasa et les
autres partenaires du second opérateur de lignes fixes, les sociétés Eskom et Transnet, ainsi que leur
partenaire noir (Nexus). Goldleaf et Optis Communication, éconduits par l'Icasa, étant cependant
habilités à postuler de nouveau dans le cadre de la nouvelle règle édictée par le ministre : la
confidentialité des négociations.

La volonté de l’exécutif sud-africain de passer outre l’autonomie décisionnelle de l’ART est ici
manifeste. Non seulement le ministre des Télécommunications n'hésite pas à dessaisir de ses
compétences une autorité spécialisée. Mais en outre il introduit une règle de négociation qui va à
l'encontre du principe de transparence devant présider l’octroi de toute licence. Pire encore, il n’hésite
pas à outrepasser ses pouvoirs en formant à l'intérieur même de son ministère un nouveau comité
chargé de sélectionner le titulaire de la seconde licence en téléphonie fixe. Afin de ne pas porter leur
contentieux devant les instances judiciaires, l'Icasa et le ministère décidèrent d'entamer des
négociations.

Le compromis suivant fut retenu : lancement d’un nouvel appel d’offres au 1er avril 2003, les
candidatures seront reçues par le comité de travail créé par le ministère ; ce comité sélectionnera les
candidats et fera ses recommandations au ministre, l’Icasa procédera ensuite à l’examen des dossiers
des candidats et fera ses propres recommandations au ministère.
Ici, comme dans l'affaire du SEPTI/ARNT Maroc, on vérifie combien en Afrique la tendance de
l’exécutif à la confusion des pouvoirs est peu favorable à l’autonomie décisionnelle d’une ART.

12
C) la pratique des collusions et de connivences d’intérêts : la marge de manœuvre de l’ART à
l’épreuve des mœurs politiques

En Afrique les mœurs politiques introduisent encore une grande part d’imprévisibilité dans la sphère
économique en raison de la participation des acteurs politiques dans le monde des affaires. Il en résulte
soit une collusion d’intérêts entre un opérateur économique et un acteur public au détriment de
l’intérêt général, soit une connivence d’intérêt entre l’Etat et un partenaire étranger au détriment de
l’intérêt général. Dans un cas comme dans l’autre, ces pratiques peuvent faire échec à l'impartialité de
l'État à l'endroit des opérateurs économiques en compétition. Elles peuvent conduire l'État à prendre le
parti d'un opérateur économique au détriment d'un autre, portant ainsi atteinte à l'obligation
d'impartialité qui lui incombe au regard de l'exigence d'une transparence du marché. La conséquence
est que même là où la neutralisation statutaire de l’ART lui laisse une marge de manœuvre
technique celle-ci est mit en échec par l’impact des mœurs politiques dans le champ économique.

1°) L’organe de régulation au risque des pratiques de collusion d’intérêts

La scène politique africaine s'accommode du fait que des personnalités politiques et des hauts
fonctionnaires puissent avoir des participations financières dans le capital des sociétés privés. Or dans
le contexte d'un secteur où l'octroi des licences se fait selon la procédure de l'appel d'offres, cela peut
conduire à un détournement de réglementation, si d'aventure un des membres de l'instance de
régulation atteste de tels intéressements.

Entre autres exemples, cette hypothèse s’est vérifiée en Afrique du Sud où la vente de la troisième
licence de téléphonie mobile a donné lieu à la mise en cause judiciaire de certaines personnalités de
l'ART sud-africaine. Soupçonnés d'avoir des liens financiers avec certains des opérateurs candidats à
l’achat de la licence, plusieurs membres de l'ART sud-africaine, notamment son président, Nape
Maepa, furent contraints à la démission. Après une enquête parlementaire, cette licence fut finalement
attribuée au groupe Cell C soutenu par l'investisseur saoudien Saudi Oger. Contestant cette décision,
l'un des candidats malheureux à la licence, le groupe Nextcom, porta plainte contre l'ART sud-
africaine pour irrégularité et corruption dans les procédures. Le ministre des communications porta
alors l'affaire devant la Cour Constitutionnelle. Le verdict de la Cour donna gain de cause à Netxcom
pour le réexamen des procédures. Toutefois après réexamen de la procédure, l'ART sud-africaine
(entre temps devenu ICAZA : Independent Communications Authority of South Africa après sa fusion
avec l'Independent Broadcasting Authority) confirma son choix pour le groupe CELL C. Pour éviter
un nouveau contentieux judiciaire, Cell C et Nextcom réglèrent leur différend officieusement par un
compromis en forme de compensation financière.

Cette affaire, qui n'est pas l'exception en Afrique, montre combien l’exigence d’une transparence du
marché peut y être mise en échec par cette pratique répandue de l’intéressement des hauts
fonctionnaires et des hommes politiques au capital de sociétés privées.

2°) L’organe de régulation au risque des pratiques de connivence d’intérêts

En Afrique, l'État est souvent en situation de partenariat avec une multinationale étrangère. Or, dans le
contexte d'un secteur en transition vers la concurrence, un tel partenariat peut conduire à des pratiques
anticoncurrentielles, préjudiciables aux autres opérateurs du marché, en raison d’une connivence
d’intérêts entre l'État et son partenaire étranger. C’est le cas lorsque d'une part le marché est divisé en
deux segments (l'un concurrentiel, l'autre monopolistique) et que d'autre part le segment concurrentiel
reste tributaire du segment monopolistique pour certaines de ses prestations.

13
C'est à ce schéma que répondait par exemple le marché des télécommunications au Sénégal. jusqu’en
2007. Le monopole en téléphonie fixe dont jouissait alors la Sonatel (ancien opérateur historique
privatisé à 42% au profit de France Télécom) conduit à des abus de position dominante qui portent
gravement préjudice à ses concurrents. Il en est ainsi des fournisseurs de services Internet, des
utilisateurs du service SMS et des opérateurs privés de terminaisons d'appel, qui sur le plan technique
sont tributaires des prestations de la Sonatel. Ces derniers subissent des préjudices considérables du
fait de pratiques concurrentielles déloyales de la Sonatel, qui les acculent ainsi à la faillite. Ils se sont
organisés au sein d'un collectif chargé de défendre leurs intérêts (le COPTA).

Si la Sonatel use et abuse de sa situation de monopole, c'est qu'elle est assurée de n’encourir pour cela
aucune sanction. L'État sénégalais laisse faire. Ce laisser faire et laisser aller traduit pour ainsi dire une
connivence d’intérêts entre la firme multinationale et l'État sénégalais. Une connivence contraire à
l’intérêt général dès lors qu’elle exclut les intérêts des nationaux tant en leur qualité de consommateur
qu’en leur qualité de prestataires de services en télécommunications. Ce sont ces conflits entre la
Sonatel et les prestataires de services qui ont accéléré la création d'une ART au Senegal : Loi N° 2001-
15 du 27 décembre 2001 portant code des télécommunications. Toutefois, dépourvue de moyens
techniques et juridiques indispensables à son fonctionnement, dépourvue pour ainsi dire de moyens
d'actions et de sanctions, l'ART du Sénégal n'a pu s'ériger en arbitre du conflit qui oppose les membres
de la Copta avec la Sonatel. Le Directeur Général de l’ART du Sénégal, Mactar Seck, nommé en
Conseil des ministres du 17 janvier 2002, a su toutefois gagner la confiance des membres du Copta, en
prêtant une oreille attentive à leurs revendications et en se faisant l'écho de leur doléances auprès du
gouvernement.

Cette ouverture de l'ART à l'endroit du COPTA a t’elle rencontré une désapprobation non officielle du
gouvernement ? Ce dernier entendait-il favoriser son partenaire stratégique étranger (France
Télécom/Sonatel) au détriment de ses concurrents locaux ? Toujours est il qu'à la fin de l'année 2002,
l'ART va faire l'objet d'un certain nombre de mesures visant à étouffer dans l’œuf toute velléité de
transparence du marché. Ainsi, en novembre 2002, l'ART s'est vu rattachée au Secrétariat Général de
la présidence de la République. En avril 2003, à l'occasion d'un décret portant organisation des règles
de fonctionnement et d'organisation de l'ART (décret n°2003-63 du 17 avril), celle-ci a été placée sous
l’autorité directe du Président de la République. Enfin en juin 2003 on apprenait, de façon inattendue,
la nomination d'un nouveau Directeur Général. Dans le contexte que l'on connaît du conflit entre la
Sonatel et divers autres acteurs des télécommunications au Sénégal, la nomination soudaine et
inattendue d’un nouveau Directeur général de l’ART peut être interprétée comme une démission–
révocation de son prédécesseur, et par là même comme une volonté d’instrumentalisation de l’ART.
D’ailleurs l'article 2 du décret n°2003-63 du 17 avril dénote une volonté claire de l'État de conserver
non pas une marge d’autorité mais un pouvoir d’injonction sur l'ART.

Conclusion
Les performances du marché africain des télécoms en terme de croissance des investissements privés,
reste fortement conditionnées par un challenge auquel doivent répondre les décideurs politiques en
Afrique. A savoir la construction d’un Etat de Droit. Seul un tel Etat peut faire échec aux facteurs qui
au sein du paysage politique africain favorisent les atteintes à une régulation indépendante et limitent
la croissance des investissements privés dans le secteur des télécommunications. Seul en effet un tel
Etat est à même de garantir aux opérateurs économiques l’existence de règles de jeu transparentes.
Transparentes parce que opposables à tous y compris à l’Etat lui même.

A travers l’exemple des ART il apparaît que la question du développement de la société de


l'information en Afrique est inséparable de celle d'une démocratisation à part entière des régimes
politiques. Une société de l'information ne peut en effet se développer que dans le contexte d'une
régulation indépendante du marché des TIC.

14
De ce point de vue la question des rapports entre ART et Etat en Afrique présente un intérêt qui va au-
delà de la thématique du développement des TIC en Afrique. La pratique des ART peut constituer
pour les États africains une source d'apprentissage et d'appropriation de l’esprit et des mécanismes de
l'État de Droit. Elle constitue de ce fait un champ d’observation privilégie des balbutiements de la
construction de l’Etat de Droit en Afrique Le fonctionnement des ART en Afrique doit pour cette
raison faire l’objet d’une grande attention de la part des constitutionnalistes et des politologues car il
constitue un baromètre pertinent de l’avancée ou non de l'État de Droit en Afrique.

Quant aux populations africaines, elles doivent par le biais des associations de consommateurs,
exercer sur leurs Etats une pression en faveur de l’indépendance des ART. Ce n’est en effet que par le
biais des ART que ces populations pourront faire échec aux pratiques abusives que l’on rencontre dans
le domaine des télécommunications. On pense à la pratique d’une durée exorbitante de validité du
crédit de communication. Ce qui dans le contexte de sociétés à faible pouvoir d’achat apparaît comme
une pratique scandaleuse20. Ce n’est également que par ce biais qu’elles pourront bénéficier de
campagnes d’information dont elles se retrouvent très souvent écarter : on pense à l’information sur la
nécessité de doter les appareils portable d’une oreillette pour éviter les troubles de santé liés aux ondes
émises.

Do-Nascimento jose

Ingénieur Méthode en Sciences Sociales

Université PARIS SUD

Mail: jose.do-nascimento-psud.fr

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Indicateurs des Télécommunications africaines, Rapport de l'UIT, 2004

20
Cf Le modou-modou des télécoms : Téléphonie : l’existence d’une durée de validité du crédit de
communication est elle légale ? in L’Afrique des télécoms, 10 juillet 2009

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16
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