Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
la direction de
2005
Copyright
© Presses Universitaires de France, Paris, 2015
ISBN numérique : 9782130638216
ISBN papier : 9782130547716
Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement
réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion
au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de
cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon
prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété
intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute
atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les
juridictions civiles ou pénales.
Table des matières
Note sur l’établissement des textes (Jean-Pierre Milelli)
L’essentiel d’Al-Qaida
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Le retour du vétéran
L’histoire des années 1990, dans beaucoup de pays arabes et
particulièrement en Arabie Saoudite, peut être vue comme les ratés
de vétérans qui ne se réhabitueront jamais à la vie civile. Ben Laden
était parti en Afghanistan « accomplir » son devoir de musulman. Il
en revient militant convaincu, insatisfait d’une vie de « planqué » à
l’arrière. Dès 1989, il est à la recherche d’une cause qui remobilisera
le formidable réseau constitué en Afghanistan.
Deux causes potentielles l’intéressent. L’Irak d’abord, qui sort
exsangue mais vainqueur de sa guerre contre l’Iran. Réclamant
pêle-mêle l’effacement de ses dettes, des rectifications frontalières
avec ses voisins, une place de grande puissance dans la région, il
redevient un danger pour ses voisins. Ce pays meurtri, autre
« vétéran » [5] qui se sent trahi par « le coup de poignard » de voisins
qu’il estime avoir protégé, provoque bizarrement l’ire de Ben
Laden, qui clame à qui veut l’entendre qu’il faut en finir avec le
régime athée de Bagdad. Ce qui n’était que bravade devient sérieux
au lendemain de l’invasion du Koweït, mais les choses ne vont pas
dans le sens voulu par Ben Laden. Le ministre de la Défense, le
prince Sultan, refuse de lui confier la mission de libérer le Koweït,
bien que Ben Laden prétend aligner cent mille hommes sous sa
disposition, chiffre très exagéré. L’Arabie Saoudite préfère en
appeler aux forces occidentales sous direction américaine. Cette
décision, lourde à prendre pour les autorités du pays, va enclencher
un processus de radicalisation de beaucoup d’embryons de
mouvements d’opposition.
Cette période n’est pas un moment clef pour la compréhension du
parcours de Ben Laden, mais elle détermine probablement son
choix de l’Arabie Saoudite comme ennemi principal : en
considérant son pays comme occupé par des forces étrangères et
non musulmanes, Oussama ben Laden se facilite ce mouvement
mental qu’on retrouvera chez tous les anciens d’Afghanistan, et
plus largement dans le discours d’Al-Qaida, qui veut « afghaniser »
en quelque sorte les pays d’origine, en faire des pays en guerre
contre un occupant impie, une analogie entre le front et la vie civile
qui entretient des ressemblances avec les mouvements politiques
européens nés de démobilisations massives et frustrantes.
Oussama ben Laden se préoccupe ensuite du Yémen, pays à qui il
doit son patronyme, et qui est toujours divisé entre communistes du
sud et pro-occidentaux du nord. Il pense le « libérer », là aussi, avec
ses compagnons d’armes. Mais la famille régnante considère le
Yémen comme une affaire personnelle. Ben Laden, de trublion
inoffensif, devient vraiment préoccupant quand il lance des
manifestes condamnant les autorités saoudiennes. En 1994, après
avoir gelé ses avoirs financiers, le régime le déchoit de sa
nationalité saoudienne, une mesure exceptionnelle qui indique bien
que le personnage commence à être pris au sérieux.
Ben Laden s’exile au Soudan, où l’accueille Hassan Tourabi,
l’idéologue islamiste soudanais, alors homme fort du régime de
Khartoum, qui méprise Ben Laden mais lorgne sur son argent. Ben
Laden ouvre des camps où il accueille des anciens d’Afghanistan et
finance quelques chantiers. Bien qu’impliqué indirectement dans
les événements de Mogadiscio en 1993, les Américains ne l’obligent
à quitter la région qu’en 1996, suite à la tentative ratée d’assassinat
du président égyptien Moubarak à Addis-Abeba. Ben Laden y est
probablement impliqué par le biais de son entourage égyptien, qui
voit dans le président l’homme à abattre pour faire choir le régime
du Caire et triompher les Gama’at islamistes, elles-mêmes
composées de nombreux anciens d’Afghanistan.
Ben Laden repart en Afghanistan. C’est le dernier voyage qu’il fait à
découvert.
La rupture avec ses anciennes relations haut placées, et l’absence
en Afghanistan d’un pouvoir fort et contraignant – comme c’était
relativement le cas au Soudan – vont permettre au « système » Ben
Laden de fonctionner à plein régime. En tentant le 23 février 1998
de créer un éphémère et labile Front islamique mondial pour le
jihad contre les Juifs et les Croisés, Ben Laden cherche d’abord à
incarner ce nouvel état de fait, essayant de coaliser des membres
dispersés et éparpillés selon les tactiques locales. Le mouvement de
Ben Laden prétend alors coiffer ces énergies : six mois plus tard, le
7 août 1998, les ambassades des États-Unis à Nairobi (Kenya) et Dar
es-Salaam (Tanzanie) sont visées par un attentat meurtrier qui fait
plus de 200 morts. La représentation par l’acte, que vise Al-Qaida,
commence.
Les attentats de 1998 contre les ambassades américaines en
Tanzanie et au Kenya révèlent au monde ce système, qui se fonde
sur une double spécificité : la primauté de l’action spectaculaire au
détriment de ce qui construit traditionnellement un mouvement
(mobilisation, organisation…), et un recrutement large et
décentralisé, couplé avec des caractéristiques typiquement
messianiques. Le choix de la cible lui-même est consubstantiel à ce
système en gestation. Les deux pays visés rapprochent son action de
la Péninsule, alors que la date retenue (7 août) commémore le
huitième anniversaire de l’installation des troupes américaines en
Arabie Saoudite (7 août 1990). Désormais, le mouvement que dirige
Ben Laden choisira ses cibles, et parfois également ses dates,
comme on déplace un curseur sur une échelle signifiante. Après son
départ définitif de l’Arabie, il jure en effet la mort du régime des
Saoud qu’il rend responsable des drames du monde musulman,
faisant remonter leurs fautes au début du siècle. Révoltés, selon lui,
contre le calife d’Istanbul avec l’aide des Britanniques, ils sont
responsables de la chute du califat et de la soumission du monde
musulman à l’Occident. Il établira désormais une série d’analogies
avec cette époque. Le rétablissement d’un vicariat de Dieu unifié
pour tous les musulmans passe par l’abandon des luttes spécifiques
et la concentration de l’action contre les deux tenants du système de
domination honnie : l’Amérique et l’Arabie Saoudite.
Ces attentats introduisent également une autre caractéristique du
modus operandi d’Al-Qaida, dont il nous est difficile de connaître
l’auteur, tant d’ailleurs cette spécificité semble épouser l’air du
temps : Al-Qaida, ou tout autre groupe apparenté, opérera
dorénavant en multipliant les attaques simultanées ; de New York à
Londres, en passant par Casablanca, Istanbul et Madrid,
l’organisation fait entrer le terrorisme dans l’ère de sa
reproductibilité technique. Il s’agit d’écarter l’hypothèse de
l’accident, bien sûr, mais celle de l’événement singulier également.
Un attentat peut être imputable au hasard propice ; deux ou trois,
voire quatre attentas simultanés, comme pour l’attentat de Madrid,
engagent un processus industriel contrôlé de bout en bout,
prévisible et reproductible. À l’amplification de l’attaque par les
médias, Al-Qaida joint la possibilité de sa continuation à l’infini. La
première occurrence d’une attaque, du reste, signifie aux médias les
attaques prochaines. Les années 1990 ont vu se multiplier des cycles
d’attentats (comme en France à l’été 1995, ou en Espagne, menés
par l’ETA) ; avec Al-Qaida, il s’agit d’une concentration atemporelle
de plusieurs attaques, symbole hautement proclamé de son ubiquité
et de sa surpuissance.
Lors de l’une de ses interventions de circonstance, à la fin du mois
d’octobre 2004, quelques jours avant l’élection présidentielle
américaine, Ben Laden fait remonter sa prise de conscience envers
l’hégémonie impérialiste américaine aux événements de la guerre
du Liban, en 1982, qui auraient fait germer l’idée du 11 septembre :
une attaque, c’est la conjonction d’une volonté et de l’histoire. Cette
reconstruction est bien sûr apocryphe ; elle sert surtout à révéler,
en contrepoint, que la lutte contre l’Amérique comme constituant
une priorité est en définitive relativement récente et surtout
presque concomitante au début de son application.
Sans programme, sans idéologie structurée, il est difficile pour le
mouvement de Ben Laden de se permettre une temporisation entre
l’élaboration d’une stratégie et son application. Enfant de la
télévision, il est le premier à expérimenter une stratégie télévisuelle
de la subversion, toute en temps réel et en direct. La force d’Al-
Qaida sera d’être cette structure molle à l’idéologie omnivore,
entièrement versée dans l’événement médiatique.
Notes du chapitre
[1] ↑ Il appartient à la même génération qu’Ayman al-Zawahiri, né en 1951. Les deux
hommes sont donc, dans un monde arabo-musulman atteint dans sa grande majorité de
gérontocratie, parmi les plus jeunes acteurs politiques.
[2] ↑ Jonathan Randal, Oussama. La fabrication d’un terroriste, Paris, Albin Michel, 2004,
p. 64.
[3] ↑ Ibid., p. 70.
[4] ↑ Peter L. Bergen, Guerre Sainte, multinationale, Paris, Gallimard, 2001, p. 68.
[5] ↑ Rétrospectivement, les crises qui éclateront après le 11 septembre peuvent être vues
comme les passifs jamais réglés des deux guerres des années 1980, Iran/Irak et
Afghanistan. Ce lien existe au moins entre Ben Laden et Saddam Hussein, d’être à eux
deux des vétérans déçus, porte-épées de l’Occident dans la dernière phase de la guerre
froide.
[6] ↑ Sur ce socle social des islamistes, fait de classes moyennes et de jeunesses urbaines
pauvres, et sur la manière dont les régimes arabes réussiront à en décomposer les
éléments, voir G. Kepel, Jihad. Expansion et déclin de l’islamisme, Paris, Gallimard, 2000.
[7] ↑ Al-Zarqawi est probablement un challenger de taille, star évanescente et ubique,
plus « méchante » encore, en tout cas bénéficiant d’une valeur ajoutée liée à sa présence
sur le terrain irakien.
[8] ↑ Georges Lavau, À quoi sert le parti communiste français ?, Paris, Fayard, 1981, p. 343.
[9] ↑ Ibid., p. 342.
[10] ↑ Ibid., p. 346.
[11] ↑ Ibid., p. 343.
[12] ↑ Hadith rapporté par al-Tirmidhi.
[13] ↑ Il y a là bien sûr une influence évidente de la littérature jihadiste égyptienne des
années 1970, et le concept de l’impératif occulté, le jihad. Voir, plus largement, les
penseurs radicaux du XXe siècle, qui ont souvent eu tendance à déconstruire l’islam, à le
décomposer en des « éléments » primaires qu’il s’agirait de recomposer. À titre d’exemple,
l’idéologue pakistanais al-Mawdoudi, auteur des Quatre Topiques du Coran, présenté dans
G. Kepel, Le Prophète et Pharaon, Paris, Le Seuil, 1993.
[14] ↑ In Recommandations tactiques, de Ben Laden.
[15] ↑ Peter L. Bergen, Guerre sainte…, op. cit., p. 144-145.
[16] ↑ S. Freud, « Psychologie collective et analyse du moi », in Essais de psychanalyse,
Paris, Payot, 1967.
[17] ↑ Rapporté par Jonathan Randal, Oussama…, op. cit., p. 74.
Extraits de La Tanière des
compagnons [1]
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
L e Bureau des services [2] fut une expérience qui eut à la fois des
aspects positifs et négatifs. Le premier qui prit la responsabilité
de diriger ce bureau fut un jeune homme, Abou Akram al-
Ourdouni [3] , qui s’en chargea plusieurs mois puis rentra en
Jordanie, après s’être plaint continuellement du manque
d’organisation [...] Tous ceux qui assumèrent cette charge se
plaignirent de l’absence de fonctions définies. Mais en dépit de ces
aspects négatifs, il y en eut de positifs car c’est ce bureau qui permit
aux moujahidines arabes d’accroître leurs effectifs et de participer
activement aux combats.
C’était une sorte de grande pension, une grande villa que nous
avions louée, où étaient hébergés les jeunes Arabes [4] . Son
administration était composée de plusieurs sections, la section
militaire, la section administrative, la section de l’entraînement, la
section des départs (qui s’occupait des convois en partance pour
l’Afghanistan). Oussama ben Laden dépensait chaque mois
approximativement un demi-million de roupies rien que pour les
frais de fonctionnement, soit vingt-cinq mille dollars environ. Et
lorsque le fardeau de ce bureau devint très lourd, entre 1985 et
1986, Oussama ben Laden décida d’y résider en personne […] mais,
dans le même temps, il réfléchissait à une meilleure façon de
contribuer au jihad afghan. Et au lieu de dépenser de l’argent et de
payer le soutien au jihad, il décida de réaliser des projets utiles aux
Afghans, de construire des routes de montagne, de creuser des
tunnels et des abris pour protéger les moujahidines afghans des
bombardements aériens. Cela se fit en accord avec ses frères
propriétaires de la gigantesque société Ben Laden, qui apportèrent
une aide considérable en envoyant en Afghanistan des excavatrices,
des bulldozers et des générateurs électriques.
Les Afghans nous aimaient tant qu’ils nous considéraient comme
des hôtes [5] , et ne confiaient aux Arabes aucune mission militaire
au combat, ce dont souffraient les jeunes Arabes car ils voulaient
participer en tant que moujahidines. C’est pourquoi j’ai pensé à
créer une structure d’entraînement pour les combattants et j’ai
demandé, en 1404 de l’hégire [6] , à l’émir de l’Union des
moujahidines d’Afghanistan [7] l’autorisation de créer un camp dans
la région proche de la frontière, afin que les frères arabes s’y
entraînent. Le nombre de frères ayant rejoint ce camp s’élevait
alors à une centaine, ce qui était peu parce que, dans leurs pays, les
jeunes Arabes sont élevés loin de tout goût pour le jihad et de toute
défense de la religion, nombre d’entre eux considérant le jihad
comme un acte surérogatoire [8] , qui peut être délégué. C’était l’été,
mais lorsque la période de la rentrée universitaire arriva, la plupart
des jeunes gens s’en retournèrent dans leur pays pour reprendre
leurs études, bien que ceux-ci fussent les meilleurs des frères. Seul
un petit nombre resta, moins de dix. Mais Dieu nous gratifia et nous
trouvâmes un camp à Jaji, en Afghanistan [9] . […]
Nous nous entraînions nous-mêmes avec le peu d’expérience dont
nous disposions. Nous étions environ cinquante personnes, mais la
même chose se reproduisit. En hiver, la plupart des combattants
étaient rentrés chez eux. Il n’y avait donc pas de conscience totale
de la nécessité de soutenir cette religion, et de combattre les
infidèles afin que la religion en son entier soit celle de Dieu. Puis,
[10]
Dieu nous gratifia, à la fin de 1406, au début de 1407 , en nous
incitant à rester dans la région de Jaji, même si nous n’étions qu’une
douzaine de personnes, la plupart de Médine, la ville du
[11]
Prophète (que la prière et la bénédiction de Dieu soient sur
lui !) [12] . […]
Nous étions onze frères travaillant à creuser une route, des tunnels
et des abris pour les moujahidines afghans. Mais nous chargeâmes
Chafiq (que Dieu ait son âme !) et Oussama Haydar de suivre les
développements militaires dans la région. Il faut noter que tous ces
frères avaient environ une vingtaine d’années (que Dieu les
honore !). Ils avaient abandonné leurs études pour mener le jihad
sur la voie de Dieu. Les choses continuèrent ainsi. Mais Chafiq et
Oussama nous informèrent qu’il y avait une haute montagne qui
surplombait les positions de l’ennemi, sans aucun moujahidine ; je
me suis alors rendu à cet endroit et trouvai que c’était effectivement
une position remarquable et très sensible. Alors, quand j’ai
demandé pourquoi il n’y avait pas de moujahidines dans cet endroit
malgré son importance, on me répondit que la neige bloquait les
routes et que les renforts étaient arrêtés à cause du pilonnage
d’artillerie auquel était soumise la région.
Et comme nous souhaitions avoir un centre à nous, les Arabes,
parmi les centres en construction, nous décidâmes de l’établir à cet
endroit. Mais lorsque nous nous mîmes au travail, nous n’étions
plus que trois : le frère Chafiq, le frère Oussama et moi-même.
Quant aux autres frères, ils étaient soit en vacances, soit occupés à
[13]
d’autres tâches . Nous avions alors un besoin pressant de tout
frère qui puisse se joindre à nous, vu la dureté du climat, notre
éloignement des moujahidines afghans et notre proximité avec
l’ennemi ; car à trois, nous ne pouvions à la fois travailler et monter
la garde.
Un frère en visite chez nous essaya même de nous dissuader de
travailler ; il essaya aussi avec le frère Chafiq et Oussama, mais
Dieu nous envoya deux autres frères dont l’un s’appelait Abou al-
Dhahab, un Égyptien d’origine soudanaise qui, avant de partir, vint
me voir pour me dire : « Nous souhaiterions rester avec vous », ce
qui me combla de joie. Durant notre travail dans l’endroit que nous
avions choisi, la route était découverte et exposée au regard de
l’ennemi, et lorsqu’il se mettait à nous tirer dessus, nous
descendions et nous nous cachions derrière les arbres, avant de
nous remettre au travail.
C’est ainsi que nous choisîmes l’endroit qui fut ensuite appelé « La
tanière des compagnons » [14] . Cette période était magnifique, nous
campions près de l’ennemi, et dans le même temps, nous creusions
des routes et des fossés, nous dormions sous une seule tente […].
Nous priions ensemble, nous prenions les décisions ensemble, nous
mangions au même endroit [15] . Nous nous relevions pour monter la
garde, avec crainte car l’endroit était effrayant, pour l’ennemi
comme pour nous. Personne ne pouvait s’éloigner beaucoup de la
tente parce que c’était un lieu couvert d’arbustes, sans parler de la
proximité de l’ennemi. […] Puis vint Mohammad al-Sakhri, qui
n’avait pas hésité une seconde [à nous rejoindre]. Je l’avais
rencontré dans le sanctuaire du Prophète [16] , alors que j’étais
décidé à partir ; c’était juste après la prière de l’aurore, Abou Hanifa
m’ayant averti qu’il y avait là un frère voulant partir en
Afghanistan, mais que ce frère souhaitait d’abord terminer ses
études puis venir l’été suivant. J’ai rencontré al-Sakhri, lui ai parlé
quelques secondes, il fut emballé et décida de partir avec nous le
lendemain. Il avait compris où était son devoir, abandonné les
études, les diplômes… et le monde tout entier. Il resta avec nous
près de quatre ans jusqu’à ce que Dieu le gratifie du martyre à
[17]
Jalalabad .
Nous nous sommes demandés quel nom à donner à cet endroit ; les
frères proposèrent plusieurs noms et « La tanière des compagnons »
nous plut. Nous l’avions trouvé dans un vers d’un des
compagnons [18] (que Dieu les agrée !) louant le Prophète (que le
salut et la prière de Dieu soit sur lui !) :
Qui veut s’étriper au cœur d’une mêlée, crépitante comme un
champ de roseaux enflammé,
Qu’il approche de la tanière, nos sabres sont aiguisés, entre la
prairie et la tranchée [19] .
Nous étions parvenu à un stade important et avancé de création de
« La tanière » lorsque nous entendîmes parler, au mois de Ramadan
de 1407 [20] , de mouvements de l’ennemi, mais nos informations
étaient incomplètes. Nous commençâmes à creuser des tranchées,
décidés à mener une opération contre l’ennemi, vers le 14 du
mois [21] . Le chef afghan Gulbuddin Hekmatyar [22] était dans la
région, ainsi que le cheikh Sayyaf [23] , qui nous incita à attaquer
l’ennemi le 26 [24] . Nous commençâmes à bombarder les positions
ennemies situées en-dessous de nous, lorsque la riposte vint de très
loin par des lance-roquettes BM-21, ce qui fut le début d’une longue
bataille de trois semaines que l’ennemi avait planifiée alors que
nous n’avions programmé qu’une bataille d’une journée ! Le but de
cette offensive était de détruire ces positions ainsi que de fermer la
route de Jaji, une des principales voies d’arrivée des renforts en
Afghanistan. Le 29 [25] fut le jour le plus violent de cette bataille. Et
nous avions entre-temps appris que les forces qui approchaient
s’élevaient à dix mille hommes, dont trois brigades russes et une
unité de commandos [26] . […]
Durant cette bataille, le frère Ahmad al-Zahrani tomba en martyr ;
portant une mitrailleuse lourde, il fut touché par un obus de
mortier. C’était (que Dieu ait son âme !) un jeune homme excellent,
le premier martyr de « La tanière ». Il avait vingt ans et était
originaire de la ville d’al-Taïf [27] […] Les opérations continuèrent
[28]
sous la direction d’Abou Oubayda al-Misri […]
C’est la bataille de Jalalabad qui fut la première et la plus
importante bataille à laquelle participèrent les Arabes, la nouveauté
étant que les précédentes se déroulaient sur des positions et des
forteresses, alors que Jalalabad est l’une des principales villes
d’Afghanistan, c’est même la plus proche de Kaboul. Durant la
bataille de Jalalabad, nous n’avions pas le choix. Après la chute de
nombreuses positions autour de la ville et la prise de ses forteresses
aux mains de moujahidines afghans, lesquels parvinrent à
l’aéroport de Jalalabad, l’ennemi se montra résolu à défendre la
ville par tous les moyens […] C’est ainsi qu’ont commencé plusieurs
mois de bataille d’une rare violence, durant lesquels les frères
acquirent la grande expérience qu’ils n’avaient auparavant. Nous
avions autour de Jalalabad dix-huit positions arabes (formées à « La
tanière des compagnons »), mais il fut difficile d’organiser la
bataille pendant des mois, durant lesquels nos forces devaient être
toujours en action. Nous avions constamment besoin de munitions
et de renforts ; les munitions, dont les roquettes et lance-roquettes,
devaient être disponibles au moment voulu. Il nous fallut organiser
des services d’évacuation des blessés et des tués, dont nous
espérons que Dieu les acceptera comme martyrs [29] . Il nous fallait
aussi des frères pour surveiller les mouvements de l’ennemi, et
diriger le tir vers lui. C’est ainsi que les frères apprirent le
maniement des missiles, des mortiers, et de l’artillerie en général,
en utilisant les cartes afin de déterminer les coordonnées de
l’objectif, selon le terme militaire, puis le viser. Dans cette
expérience nouvelle, les ressources des frères arabes apparurent,
car ils se montrèrent fermes et endurants. Rester tendu pendant des
mois d’un combat ininterrompu n’est pas chose facile, mais nos
frères furent, grâce à Dieu, le groupe le plus mobile par ses moyens
de transport, ses armes et ses munitions. Nous avions réparti les
voitures dans les divers commandos, ainsi que les unités de combat.
Il y avait une unité d’assaut dirigée par le commandant Khalil, l’un
des plus célèbres chefs militaires afghans à Jalalabad. De
nombreuses positions furent prises par ce chef, et les frères arabes
furent l’une des plus remarquables unités. Car, au cours de
certaines opérations d’assaut, la plupart des hommes étaient des
Arabes, lui étant le seul Afghan parce que la plupart de ceux sous
ses ordres étaient tombés en martyrs dans des batailles
antérieures [30] . […]
Le 10 de Dhou al-Hijja 1409 [3 juillet 1989] [31] , nous subîmes une
énorme attaque visant à détruire les positions des frères arabes, les
encercler et les capturer, parce que nous avions beaucoup de
munitions achetées au marché des armes du Pakistan [32] . C’est
d’ailleurs ce qui nous permit de bombarder, lourdement et
régulièrement, les concentrations de l’armée afghane autour de
Jalalabad, où nous apprîmes que de grandes concentrations de
troupes avaient eu lieu. Nous les bombardâmes trois jours durant,
sans interruption, ce qui fit 80 morts parmi les Indiens, car le
gouvernement de Kaboul avait fait venir des troupes indiennes
pour combler le manque d’hommes de l’armée afghane, consécutif
au départ de l’armée russe. Et ce, bien qu’il restât environ 20 000
Russes après le retrait de cette armée. […]
Les pertes de l’ennemi furent importantes, 42 chars, dont plus d’une
vingtaine tombèrent entre nos mains, et nous héritâmes de 5 chars,
dont deux T-62. Ces batailles trouvèrent leur terme à Jalalabad, où
tombèrent plus de martyrs arabes que durant toute la guerre
d’Afghanistan. Nous implorons Dieu de les accepter comme
martyrs !
Notes du chapitre
[1] ↑ Les textes présentés ici ont été « authentifiés » par leur publication dans un livre
intitulé La Tanière des compagnons arabes en Afghanistan ([ma’sadat al-ansâr al-‘arab bi-
afghânistân]), écrit par l’Égyptien Issam Diraz et publié au Caire en 1991. Issam Diraz est
un cinéaste égyptien qui s’est rendu en Afghanistan dans les années 1980 pour filmer sur
le front afghan et qui a visité les camps des Arabes afghans. Il a notamment fréquenté Al-
ma’sada, le fameux camp d’entraînement établi par Oussama ben Laden en 1986 pour
former les premiers cadres jihadistes exclusivement arabes. Les tournages de Diraz sont
parmi les très rares images des milieux arabes afghans de ces années-là, et surtout, ils
incluent les premiers entretiens jamais réalisés avec Ben Laden. Une fois de retour en
Egypte, Diraz rédigea ce livre dans lequel il raconte ses expériences, transmet les histoires
qu’il a entendues chez les Arabes afghans, et reproduit des transcriptions d’entretiens avec
Oussama ben Laden.
[2] ↑ Les deux premiers paragraphes sont le témoignage d’un Arabe afghan, Abou
Mohammad al-Soun (« le Syrien ») ; sur le Bureau des services, voir « Abdallah Azzam,
l’imam du jihad », p. 128.
[3] ↑ Al-Ourdouni signifie « le Jordanien ». Pour les noms de guerre des jihadistes, voir la
note n° 1 de l’introduction à al-Zarqawi, p. 367.
[4] ↑ Il s’agit de la première pension ([madhâfa]) jihadiste de Peshawar, surnommée « La
maison des partisans » ([bayt al-ansâr]). Il y eut bientôt des dizaines de pensions dans cette
ville frontière avec l’Afghanistan.
[5] ↑ C’est maintenant Oussama ben Laden qui raconte.
[6] ↑ Soit 1984.
[7] ↑ Il s’agit ici d’Abd al-Rassoul Sayyaf. Voir note 18, p. 140 dans Abdallah Azzam, La
Défense des territoires musulmans.
[8] ↑ En arabe, [nâfila], acte de dévotion qui n’est pas obligatoire, comme une prière
supplémentaire après les cinq prières rituelles. Or, comme nous l’avons déjà souligné, le
« jihad » en Afghanistan avait été déclaré par Abdallah Azzam – et ses disciples, dont Ben
Laden – obligation individuelle ([fard ‘ayn]).
[9] ↑ Le village de Jaji est situé dans la province orientale de Paktia, non loin de la
frontière pakistanaise.
[10] ↑ Soit octobre 1986.
[11] ↑ Les Mecquois se montrant en grande partie insensibles au message du Prophète,
c’est à Médine, où il avait fui en 622, qu’il trouva de nombreux partisans. Ici, le parallèle
avec l’histoire prophétique est clair puisque les premiers convertis, non pas à l’islam mais
au « jihad », sont également – c’est le sens de cette phrase de Ben Laden – des Médinois. De
tels récits visent à donner une dimension mythique à l’action entreprise par les
moujahidines en Afghanistan. Il est possible que la notion de « Médinois » ait été élargie
par Ben Laden pour inclure les originaires d’autres endroits du Hedjaz ou des alentours de
Médine, ce qui explique pourquoi Ben Laden, qui est incontestablement de la ville de
Djedda et non pas de Médine – se présente comme médinois.
[12] ↑ D’autres sources insistent sur la forte présence d’instructeurs égyptiens dans la
première phase de « La tanière », pour la plupart d anciens officiers de l’armée ou la
police, tel e fameux Égyptien Abou Oubayda al-Banchiri. Voir infra, note 28, p. 46.
[13] ↑ Cette difficulté à mobiliser les combattants arabes illustre le phénomène du
« tourisme du jihad » que pratiquaient de nombreux jeunes Arabes, lesquels partaient à
Peshawar durant les vacances d’été pour ensuite repartir pour la rentrée en considérant
qu’ils avaient participé au jihad.
[14] ↑ En arabe, [ma’sadat al-ansâr]. Le mot [ma’sada] signifie tanière, ou région infestée
de lions. La symbolique du « lion » est largement employée par les moujahidines et, plus
tard, par des membres et des groupes du réseau Al-Qaida. Ajoutons que le prénom
Oussama signifie « lion ». Quant au terme [al-ansâr], il désigne justement les « Médinois »
qui rejoignirent le Prophète après son arrivée de La Mecque et se convertirent à l’islam.
Quoique le terme ait été largement utilisé par les mouvements islamistes, étant donné
l’idée d’« avant-garde de l’islam » qu’il implique, son choix ici a peut-être aussi été motivé
par le fait que, comme Ben Laden l’a expliqué précédemment, la plupart des membres du
groupe étaient de Médine (ou bien du Hedjaz).
[15] ↑ C’était précisément ce type d’expériences sociales collectives vécues dans les camps
d’entraînement en Afghanistan qui produisirent la forte cohésion intérieure des « réseaux
arabes afghans », aussi bien dans la génération des années 1980 que dans celle de la
période Al-Qaida, c’est à dire de 1996 à 2001.
[16] ↑ La mosquée du Prophète à Médine.
[17] ↑ Ville de l’est de l’Afghanistan, située à mi-chemin entre Kaboul et Peshawar. Au
printemps 1987, la région de Jalalabad fut le théâtre d’une série de batailles violentes entre
l’Armée rouge et les moujahidines. Les événements de Jalalabad occupent une place
importante dans la mythologie des Arabes afghans, puisque à ces batailles participèrent
les premières unités de combat purement arabes, entraînées à « La tanière ».
[18] ↑ Le terme [al-ansâr] désigne les compagnons de Mohammad. Voir note 21, p. 156
dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[19] ↑ Vers qui auraient été déclamés par Kaab ibn Matik, le jour où la tranchée autour de
Médine fut creusée, en 627. La citation est sans doute faite de mémoire car elle est
inexacte. On peut trouver le vers dans le dictionnaire classique La Langue des Arabes (cité
comme illustration à l’entrée de la racine : [bamza bâ’ yâ’]. Voir Ibn Manzûr, [lisân
al-‘arab], Beyrouth, Dâr bayrût, sans date, vol. 14, p. 6.
[20] ↑ Soit mai 1987.
[21] ↑ Soit le 12 mai.
[22] ↑ Gulbuddin Hekmatyar (né en 1947), chef de guerre afghan, fondateur du Hizb-e-
islami en Afghanistan. Figure très importante sur la scène politique afghane depuis le
début des années 1970.
[23] ↑ Voir la note 18, p. 156 dans La Défense des territoires musulmans.
[24] ↑ Soit le 24 mai.
[25] ↑ Soit le 27 mai.
[26] ↑ Les Spetnatz, forces spéciales russes.
[27] ↑ Ville d’Arabie Saoudite, située au sud-est de La Mecque.
[28] ↑ Abou Oubayda al-Misri (l’Egyptien) ou al-Banchiri (le Panchirois) était considéré
comme le « commandant militaire en cher » d’Al-Qaida. Cet ex-policier égyptien, qu’on
appelait le Panchirois pour ses faits d’armes en Afghanistan, mourut, au printemps 1996,
dans le naufrage d’un ferry au Kenya, où il préparait sans doute les attentats du 7 août
1998, à Nairobi et Dar es-Salam.
[29] ↑ Voir « Peut-on appeler quelqu’un martyr ? » dans Mœurs et jurisprudence du jihad
d’Abdallah Azzam, p. 199.
[30] ↑ Selon certaines estimations, 50 000 Arabes participèrent aux combats sur 175 000 à
250 000 Afghans chaque année. Voir Mark Urban, War in Afghanistan, Londres, MacMillan,
1988, p. 244. Cela dit, toute estimation du nombre d’Arabes afghans qui ont participé au
jihad afghan reste imprécise.
[31] ↑ L’Armée rouge s’est retirée d’Afghanistan le 15 février 1989. Les forces
qu’affrontèrent les moujahidines de « La tanière » étaient donc celles loyales au président
communiste de l’Afghanistan, Mohammed Najibullah.
[32] ↑ Les zones tribales de la frontière afghano-pakistanaise sont le lieu d’un
gigantesque marché aux armes de toutes sortes, à ciel ouvert.
Extraits de « Déclaration de jihad
contre les Américains qui occupent le
pays des deux lieux saints » [1]
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Notes du chapitre
[1] ↑ Le 23 août 1996, un fax fut envoyé depuis les montagnes de l’Hindou Kouch, en
Afghanistan, à plusieurs journaux arabes. Il était signé comme suit : « Message d’Oussama
ben Laden à ses frères musulmans du monde entier, et de la péninsule Arabique en
particulier, daté du vendredi 9 avril 1417/23 août 1996. Des montagnes de l’Hindou Kouch,
Khorassan, Afghanistan. » Il portait aussi le titre : « Expulsez les Juifs et les chrétiens de la
péninsule Arabique », ou encore : « Expulsez les païens de la péninsule Arabique ». Ce titre
est extrait d’un hadith non authentifié qu’aurait prononcé le Prophète peu avant sa mort.
[2] ↑ Le 18 avril 1996, plus d’une centaine de civils furent tués dans le bombardement
israélien – dans le cadre de l’opération « Raisins de la colère » – d’un camp de l’ONU, à
Qana, au sud du Liban, provoquant l’indignation de la communauté internationale. C’est
quelques mois plus tard que Ben Laden fit cette déclaration.
[3] ↑ L’indépendance du Tadjikistan, acquise à la suite de l’effondrement de l’URSS en
1991, déboucha sur une guerre civile entre les « néo-communistes » et une coalition
d’islamistes (liés au Parti de la Renaissance islamique) et de démocrates, entraînant des
dizaines de milliers de victimes. Un accord de paix entre les différentes factions intervint
en 1997, dont l’application fut lente et incertaine. En août 1996, les combats faisaient donc
encore rage.
[4] ↑ La Birmanie compte une minorité musulmane vivant surtout dans la région de
l’Arakan, frontalière du Bangladesh. Depuis le début des années 1990, l’islam a
régulièrement servi d’exutoire au nationalisme birman, et répressions et pogroms se sont
multipliés. Le mouvement ARNO (Arakan Rohingya National Organisation), qui réclame
l’indépendance de l’Arakan, est actif dans cette région depuis 1988. Des rumeurs de liens
existant entre l’ARNO et la mouvance Al-Qaida ont été propagées, rumeurs qu’un
spécialiste de la question, Michel Gilquin, juge sans fondement (voir
http://www.religioscope.com/info/notes/2002_033_myanmar_islam.htm).
[5] ↑ Voir note 47, p. 148 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
Notons que différents mouvements entretenant des liens plus ou moins étroits avec la
mouvance Al-Qaida (notamment Jaysh-e-Muhammad et Lashkar-e-Tayyiba) sont
aujourd’hui actifs au Cachemire.
[6] ↑ L’Assam est un État fédéral de l’Union indienne, situé à la frontière du Bangladesh,
où vit une importante minorité musulmane. Le principal mouvement séparatiste qui y est
actif est le Front Uni de Libération du Assam, fondé en 1979. Originellement d’orientation
marxiste, il s’est, selon certaines sources, rapproché de la mouvance Al-Qaida au cours des
années 1990.
[7] ↑ Pour les Philippines, voir note 46, p. 148 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[8] ↑ Il s’agit de la province thaïlandaise de Pattani, où la population est en majorité
malaise de confession musulmane. Un mouvement séparatiste s’y est développé depuis les
années 1960, mené notamment par l’Organisation unifiée de Libération de Pattani qui a
adopté, avec le temps et comme beaucoup des mouvements de la région, une rhétorique
islamique.
[9] ↑ L’Ogaden est une région à majorité musulmane de l’Ethiopie, située aux confins de
la Somalie, où sont actifs des mouvements séparatistes exigeant, soit l’indépendance
complète, soit le rattachement à la Somalie. Dans les années 1990, le mouvement islamiste
somalien al-Ittihad al-Islami, dont certains membres sont soupçonnés de liens avec Al-
Qaida, a fait de cette revendication le cœur de son programme politique. Il a perpétré
plusieurs attentats à Addis-Adeba en 1996 et 1997, auquel le pouvoir éthiopien a répondu
par la répression.
[10] ↑ La principale organisation islamiste somalienne al-Ittihad al-Islami s’est, au cours
des années 1990, heurtée à la volonté de puissance de plusieurs chefs de guerre locaux et a
dû combattre l’armée éthiopienne en Ogaden ; elle est sortie laminée de ces conflits, et a
presque cessé d’exister.
[11] ↑ Voir note 49, p. 148 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[12] ↑ En 1991, la République de Tchétchénie, peuplée de musulmans dans une Russie à
majorité chrétienne orthodoxe, fit sécession. En 1994, Boris Eltsine, le président russe,
ordonna une expédition militaire pour la réintégrer à la fédération. Après de très violents
combats, l’armée russe dut reconnaître sa défaite et quitta la Tchétchénie. Des Arabes
afghans, en petit nombre, participèrent aux combats.
[13] ↑ Les accords de Dayton, signés en 1995, ont officiellement mis fin à la guerre de
Bosnie, divisant la République de Bosnie-Herzégovine en deux entités : la fédération
croato-musulmane, et la République des Serbes de Bosnie. Mais les horreurs de la guerre,
notamment celles perpétrées contre les musulmans à Srebrenica, restent dans toutes les
mémoires. C’est à ce passé, alors très proche, que Ben Laden fait référence.
[14] ↑ Il est intéressant de noter que Ben Laden ne fait aucunement la distinction ici entre
les cas de massacres ethniques de musulmans, et ceux de répression politique de
mouvements islamistes.
[15] ↑ En arabe, [dâr al-islâm], qui peut se lire « maison de l’islam » pour filer la
métaphore du foyer, ou « ensemble des territoires musulmans » selon la conception
géographique médiévale musulmane. Il s’agit du stationnement de troupes non
musulmanes, américaines et alliées, à l’appel du roi Fahd, en Arabie Saoudite, le 7 août
1990, cinq jours après l’invasion du Koweit par Saddam Hussein.
[16] ↑ Sur Ibn Taymiyya, voir la note 60, p. 166 dans Abdallah Azzam, Rejoins la
caravane ! Le second est un savant religieux damascène de l’école de jurisprudence
chafi’ite, mort en 1262. Il est notamment l’auteur des Règles des jugements ([qawâ‘id al-
ahkâm]). À l’instar d’Ibn Taymiyya, Abd al-Aziz ibn Abd al-Salam n’a pas hésité à s’en
prendre au pouvoir politique, alors entre les mains d’al-Salih Ismail ibn al-Adil, auquel il
reprochait d’avoir livré la forteresse de Safed aux croisés. Comme dans le cas d’Ibn
Taymiyya, cela lui valut d’échouer en prison. C’est cet exemple du savant « libre » que
célèbre ici Ben Laden, en l’opposant à celui des « oulémas de palais » inféodés aux régimes
en place.
[17] ↑ Allusion au verset coranique (24/21) : {Sans la grâce de Dieu sur vous et sa
miséricorde, nul, parmi vous, ne serait jamais pur}.
[18] ↑ Voir à ce sujet « Abdallah Azzam, l’imam du jihad », p. 131. Ben Laden accuse ici les
Américains de l’assassinat d’Azzam. C’est la version des faits la plus répandue dans les
milieux islamistes.
[19] ↑ Ahmad Yassine est né en 1936 dans la bande de Gaza. Diplômé de l’université d’al-
Azhar au Caire, il travailla d’abord comme prêcheur dans les mosquées de Gaza avant de
fonder en décembre 1987 le mouvement de la résistance islamique Hamas. Arrêté par
Israël en 1989, il fut libéré en 1997 suite à un échange de prisonniers avec la Jordanie. Il
reprit alors la tête du mouvement mais fut tué par Israël en mars 2004 dans le cadre de la
politique d’assassinats ciblés menée par le gouvernement d’Ariel Sharon. Au moment de
cette déclaration de Ben Laden, en août 1996, Yassine était donc toujours prisonnier en
Israël.
[20] ↑ Le « voyage nocturne » [isrâ’] aurait, selon la tradition musulmane, été accompli
par Mohammad entre « la mosquée la plus proche » (La Mecque) et la « mosquée la plus
éloignée » (littéralement [al-masjid al-aqsâ], comprise comme désignant le Dôme du
Rocher à Jérusalem) (Coran 17/1). En effet, « il est à noter que le Coran ne mentionne ni
Jérusalem, ni une ascension mais, dès le VIIIe siècle, l’expression mosquée lointaine (ou
très éloignée, ou extrême, ou Oratoire ultime, selon les traductions) fut comprise comme
un lieu de culte à Jérusalem » Oleg Grabbar, Saïd Nuseibeh, Le Dôme du Rocher, joyau de
Jérusalem, Paris, Albin Michel, 1997, p. 43-47. La métonymie désigne dans le texte la
Palestine.
[21] ↑ Omar Abd al-Rahman est un cheikh égyptien aveugle, diplômé de l’université d’al-
Azhar, qui joua un rôle important dans l’assassinat du président égyptien Anouar al-
Sadate en servant de moufti au groupe d’assassins. Lors, du procès qui s’ensuivit, il fut jugé
mais acquitté, officiellement faute de preuve. Il quitta l’Egypte pour le Soudan en 1989,
puis pour les États-Unis, pour lesquels il oDtint un visa de résidence en juillet 1990. Il
entama alors une carrière de prêcheur radical à New York. En août 1993, il fut arrêté par
le FBI qui l’accusait d’être impliqué dans l’attentat perpétré contre le World Trade Center
en février de la même année. En 1995, il fut condamné à la prison à vie.
[22] ↑ Les cheikhs Salman al-Awda et Safar al-Hawali, figures de proue de l’opposition
islamiste à la monarchie saoudienne, qui, s’en étaient notamment pris à la présence
américaine dans le pays au début des années 1990, furent arrêtés en 1994. Ils ne furent
libérés qu’en 1999, donc trois ans après ce texte.
[23] ↑ Ben Laden met ici sur le même plan son départ d’Afghanistan, qu’il décide de son
plein gré parce que la guerre civile fait rage entre ex-commandants moujahidines, et son
départ du Soudan, sous la pression de la communauté internationale, en particulier les
États-Unis.
[24] ↑ En arabe, [qâ‘ida âmina], expression qui fait écho à la notion de la « base solide »
([al-qâ‘ida al-sulba]) développée par Azzam. Voir note 10, p. 154 dans Abdallah Azzam,
Rejoins la caravane !
[25] ↑ « Khorassan » est l’appellation classique de la vaste région comprenant l’est de
l’Iran et la majeure partie de l’Afghanistan. Ben Laden, comme l’ensemble des idéologues
de la mouvance jihadiste, utilise sciemment une toponymie datée quand il s’agit de
certains territoires musulmans pour retirer symboliquement ces zones à 1 arpentage
occidental. La même lutte symbolique se déroule à propos des datations (souvent données
selon le calendrier de l’hégire). Dans les milieux des Arabes afghans des annéçs 1980, il y
eut un débat sur la question de la désignation de l’Afghanistan par son nom d’État-nation
ou par son nom ancien de « Khorassan ». Azzam a notamment écrit sur cette question un
article intitulé « Afghanistan ou Khorassan ? », publié dans la revue Al-Jihad, n° 40, 1988.
[26] ↑ Ben Laden entretient le mythe d’un Afghanistan tombé sous les coups de
moujahidines, alors que ce facteur n’a certainement pas été décisif dans l’issue du conflit.
[27] ↑ Là encore, c’est une figure pour désigner la Palestine (voir note 20, supra). Le
« pays des deux sanctuaires » est l’Arabie Saoudite.
[28] ↑ Ben Laden reprend ici la fameuse citation d’Ibn Taymiyya, la plus fréquente dans
la littérature jihadiste depuis Abd al-Salam Faraj. Voir notamment dans Abdallah Azzam,
Rejoins la caravane !, p. 167, et Ayman al-Zawahiri, L’Allégeance et la Rupture, p. 335.
[29] ↑ L’œcuménisme de Ben Laden prend ici tout son sens et toute son ampleur : il ne
s’agit pas de nier les divisions dogmatiques qui fractionnent l’oumma, ni les convictions
profondes qui séparent les « vrais » musulmans des « faux » croyants, mais cette division
doit être subordonnée, donc ajournée, au bénéfice d’une autre, plus importante, entre les
musulmans et les agresseurs occidentaux.
[30] ↑ Il s’agit du secrétaire d’État à la Défense de Bill Clinton, William Cohen.
[31] ↑ Le 13 novembre 1995, cinq Américains et deux Indiens furent tués dans l’explosion
d’une voiture piégée garée devant le siège de la garde nationale à Riyad. Trois groupes
inconnus revendiquèrent l’action. Quatre islamistes sunnites radicaux saoudiens furent
finalement condamnés et exécutés. Quoiqu’ils n’aient vraisemblablement pas agi pour le
compte de Ben Laden, plusieurs d’entre eux avaient séjourné en Afghanistan dans les
années 1980 et au début des années 1990, et noué des liens avec des membres de, son
organisation. Le 26 juin 1996, l’explosion d’un camion piégé sur une base militaire des
États-Unis à al-Khobar fit 19 morts américains. Les regards se tournèrent d’abord vers le
Hezbollah saoudien, soutenu par l’Iran, qui fut officiellement accusé par les autorités
saoudiennes et américaines. Mais il semble aujourd’hui de plus en plus probable que les
attentats aient été perpétrés par des militants jihadistes proches du réseau d’Oussama ben
Laden.
[32] ↑ En 1983, 241 Marines américains mandatés par les Nations unies au sein d’une
force multinationale de maintien de la paix furent tués à Beyrouth dans un attentat-
suicide au camion piégé revendiqué par le mouvement radical chiite Hezbollah. Les
troupes américaines furent, peu après, rappelées au pays.
[33] ↑ Ben Laden fait ici allusion aux attentats terroristes contre les deux hôtels Gold
Mohur et Mövenpick à Aden, le 29 décembre 1992, perpétrés pour tuer des soldats
américains qui transitaient par le Yémen en route vers la Somalie. Les attentats ne tuèrent
aucun soldat américain (deux touristes moururent et sept furent blessés), car les jihadistes
s’étaient trompés d’hôtels. Cependant, les attentats entrèrent dans la mythologie jihadiste
comme un véritable succès, car les forces américaines quittèrent le Yémen quelques jours
seulement après les explosions.
[34] ↑ Ben Laden oppose ici le courage des jeunes jihadistes à la lâcheté des soldats
américains en utilisant une expression tirée d’un hadith fréquemment cité dans la
littérature islamiste : « Dieu fera que vos ennemis ne vous craindront plus et il placera la
faiblesse dans vos cœurs (…) – Qu’est-ce à dire, ô Envoyé de Dieu ? (…) – L’amour de la vie
et l’aversion pour la mort ». Voir note 3, p. 154, dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[35] ↑ En arabe, [al-jâhiliyya] ; voir note 38, p. 160 dans Abdallah Azzam, Rejoins la
caravane !
Extraits d’un « Entretien avec CNN » [1]
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Notes du chapitre
[1] ↑ Entretien effectué en Afghanistan par Peter Arnett et Peter Bergen, diffusé le 12 mai
1997. Pour une description du déroulement de cet entretien, voir Peter Bergen, Guerre
sainte, multinationale, op. cit., p. 24-31.
[2] ↑ Nous n’avons pas connaissance de tentatives d’assassinat de Ben Laden par les
autorités saoudiennes. Les seules tentatives connues proviennent d’autres islamistes : au
début de 1994, des islamistes soudanais, avec qui il entretenait des divergences
idéologiques, auraient essayé à deux reprises de l’assassiner au Soudan, sans succès.
[3] ↑ Le culte de la mort et du martyre est central dans la culture jihadiste. C’est ce qui,
aux yeux des militants jihadistes, constitue leur force puisque, contrairement à leurs
ennemis, ils n’ont pas peur de mourir. Voir supra, note 34 dans « Déclaration de Jihad… ».
[4] ↑ Le lien entre l’action et les médias est consubstantiel : les plans doivent être « vus »
et « entendus dans les médias ». Cela fait partie de la définition d’une action selon Al-
Qaida : il faut qu’elle soit inscrite sur une surface médiatique.
[5] ↑ Les années 1990, considérées aujourd’hui comme une parenthèse « post-
historique », voire une période « sabbatique » (George W. Bush), furent au contraire au
Moyen-Orient des années d’intense frustration suite à la persistance de la présence
américaine en Arabie Saoudite et à l’embargo contre l’Irak. Le lien établi entre
l’administration Clinton et les affres de la région pendant cette période rappelle que la
haine de l’Amérique n’est pas seulement liée au mandat de Bush.
[6] ↑ Le milieu des années 1990 a vu tensions et violence reprendre au Proche-Orient,
après la période d’accalmie qui avait suivi la signature des accords d’Oslo. Quelques
semaines avant la diffusion de cet entretien, en mars 1997, le lancement du chantier de la
colonie juive de Har Homa, à Jérusalem-Est, avait notamment conduit à une crise grave.
[7] ↑ Il s’agit là d’un leitmotiv dans le discours de Ben Laden : le passage à l’acte, une
sorte de pédagogie par l’exemple, est nécessaire étant donné l’impossibilité de se faire
entendre du pouvoir américain. Ben Laden semble par cette phrase annoncer des attentats
prochains en Arabie Saoudite (après ceux de 1995 et 1996). Or, le pays ne sera de nouveau
frappé par le terrorisme jihadiste qu’en mai 2003, lorsqu’un attentat-suicide de grande
ampleur tuera 34 personnes, dont une majorité d’Occidentaux, dans plusieurs habitations
réservées aux étrangers à Riyad.
[8] ↑ Ben Laden semble ici souligner que le fait que l’armée américaine ne soit pas une
armée de conscription, mais composée de professionnels qui ont choisi d’en faire partie,
constitue une circonstance aggravante. On est encore loin de la logique qui prévaudra
l’année suivante, faisant de tout citoyen américain, quel qu’il soit et où qu’il soit, une cible
légitime.
[9] ↑ Il fait ici référence à l’emprisonnement, par le pouvoir saoudien en 1994, de
plusieurs figures de l’opposition islamiste qui avaient, notamment, dénoncé « l’occupation
américaine du pays et la corruption de la famille royale ». Parmi celles-ci, se trouvent les
deux cheikhs Salman al-Awda et Safar al-Hawali, auxquels Ben Laden avait déjà fait
référence dans sa déclaration de jihad de 1996 (voir note 22, p. 52 dans Ben Laden,
« Déclaration de jihad »). L’ironie du sort voudra qu’après leur libération en 1999, ceux-ci
se rapprocheront du pouvoir et condamneront l’élan de violence jihadiste qui débute avec
les attentats du 11 septembre 2001.
[10] ↑ Voir infra, note 13, p. 72 dans « Entretien avec Al-Jazira ».
« Déclaration du Front islamique
mondial pour le jihad contre les Juifs
et les Croisés » [1]
Oussama ben Laden
Chef de l’organisation Al-Qaida
Ayman al-Zawahiri
Chef de l’organisation égyptienne Al-Jihad
Mounir Hamza [2]
Secrétaire de l’Organisation des oulémas (Pakistan)
G loire à Dieu qui a révélé le Livre, dispersé les nuées, défait les
opposants et affirmé dans Son livre : {Après que les mois
sacrés se seront écoulés, tuez les polythéistes, partout où vous les
trouverez ; capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des
embuscades} [6] .
Prière et salut sur notre Prophète, Mohammad ben Abdallah, qui a
dit : « J’ai été envoyé avec le sabre, avant le jour du Jugement, pour
que seul Dieu soit adoré. Il a fait de ma lance mon gagne-pain et a
promis l’humiliation et le malheur à celui qui me désobéira. » [7]
Depuis que Dieu a déployé la péninsule Arabique [8] , créé son désert
et l’a bordé de mers, aucune calamité ne l’a affligée comme ces
armées croisées qui s’y sont déployées tels des criquets, couvrant sa
terre, dévorant sa verdure et profitant de ses ressources. Tout cela
alors que les nations s’accordent pour attaquer les musulmans
comme des sangsues. Il nous faut donc, au moment où les périls
s’accumulent et les aides se font rares, faire face à ce que cachent
les événements actuels, avant de nous mettre d’accord pour les
affronter.
Aujourd’hui, personne ne peut contester trois vérités dont les
preuves abondent et sur lesquelles s’accordent les hommes justes ;
nous les citons pour qui peut les entendre, qu’il en meure ou vive, à
savoir :
1. depuis plus de sept ans, l’Amérique occupe le plus sacré des
territoires musulmans (la péninsule Arabique), pille ses
richesses, donne ses ordres à ses gouvernants, humilie ses
habitants, effraie ses voisins et a fait de ses bases des fers de
lance pour combattre les peuples musulmans voisins. Si jamais
quelqu’un a contesté cette occupation, tous les habitants de la
péninsule la reconnaissent aujourd’hui, et rien ne le montre
mieux que la persistance de l’agression américaine contre le
peuple d’Irak [9] à partir de la péninsule, bien que tous ses
gouvernants refusent d’utiliser leur territoire à cette fin, tout en
y étant contraints [10] ;
2. en dépit des immenses destructions subies par le peuple irakien
du fait de la coalition judéo-croisée et malgré le nombre
immense de victimes qui approche le million [11] , en dépit de tout
cela, les Américains essaient encore de répéter ces massacres
effrayants ; comme s’ils ne se contentaient pas de l’embargo suite
à la guerre violente, et du déchirement et de la destruction, ils
viennent aujourd’hui anéantir ce qui reste de ce peuple, et
humilier ses voisins musulmans ;
3. si les buts de guerre des Américains sont religieux et
économiques, ils viennent aussi servir le petit État des Juifs, et
son occupation de Jérusalem, sans parler des assassinats de
musulmans. Rien ne le montre mieux que leur ardeur à détruire
l’Irak, l’État arabe le plus puissant dans la région [12] , et leur souci
de démanteler tous les États de la région comme l’Irak, l’Arabie
Saoudite, l’Égypte et le Soudan pour en faire des États de carton-
pâte [13] qui assureront, par leur division et leur faiblesse, la
survie d’Israël ainsi que la poursuite de l’inique occupation
croisée de la péninsule Arabique.
Tous ces événements et crimes constituent de la part des
Américains une franche déclaration de guerre contre Dieu et Son
Prophète, et les oulémas savants de toutes les écoles, tout au long
des siècles musulmans, sont d’accord pour affirmer que la guerre
sainte est un devoir individuel [14] . Citons l’imam Ibn Qoudama [15]
(L’Indispensable), l’imam al-Ghazali [16] (Les Merveilles) et al-
Qourtoubi [17] dans son Commentaire, ainsi que le cheikh de
l’islam [18] dans ses Morceaux choisis, où il écrit : « Quant au combat
défensif, c’est le plus nécessaire de tous, et repousser celui qui
agresse l’honneur et la religion est, de l’avis unanime, un devoir.
Repoussez donc l’agresseur qui corrompt la religion et la vie. » Rien,
sinon la foi, n’est plus nécessaire.
En conséquence, et conformément à l’ordre de Dieu, nous rendons à
tous les musulmans le jugement suivant.
Tuer les Américains et leurs alliés, qu’ils soient civils ou militaires,
est un devoir qui s’impose à tout musulman qui le pourra, dans tout
pays où il se trouvera [19] , et ce jusqu’à ce que soient libérées de leur
emprise la mosquée al-Aqsa comme la grande mosquée de La
Mecque, et jusqu’à ce que leurs armées sortent de tout territoire
musulman, les mains paralysées, les ailes brisées, incapables de
menacer un seul musulman, conformément à Son ordre, qu’Il soit
loué ! : {Combattez les polythéistes totalement, comme ils vous
combattent totalement, et sachez que Dieu est avec ceux qui le
craignent} [20] ,
ainsi qu’à Sa parole : {Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de
[21] [22]
sédition et que le culte de Dieu soit rétabli} ,
ainsi qu’à Sa parole : {Pourquoi ne combattez-vous pas dans le
chemin de Dieu, alors que les plus faibles parmi les hommes, les
femmes et les enfants disent : « Notre Seigneur ! Fais-nous sortir de
cette cité dont les habitants sont injustes. Donne-nous un protecteur
choisi par toi ; donne-nous un défenseur choisi par toi !} [23] .
Nous appelons, si Dieu le permet, tout musulman croyant en Dieu et
souhaitant être récompensé par Lui à obtempérer à l’ordre de Dieu
de tuer les Américains et de piller leurs biens [24] en tout lieu qu’il
les trouve, et à tout moment qu’il pourra. Nous appelons les
oulémas musulmans, leurs chefs [25] , leurs jeunes gens et leurs
soldats à attaquer les soldats de Satan américains ainsi que leurs
alliés, suppôts de Satan, et à les disperser ; alors peut-être se
souviendront-ils. Dieu a dit : {Sachez qu’en vérité, Dieu se place
entre l’homme et son cœur, et que vous serez tous rassemblés
devant lui} [26] ,
et : {Ô vous qui croyez ! Répondez à Dieu et à Son Prophète, lorsqu’il
vous appelle à ce qui fait vivre} [27] ,
et : {Ô vous qui croyez ! Lorsque l’on vous a dit : « Élancez-vous
dans le chemin de Dieu », vous vous êtes appesantis sur la terre.
Préférez-vous la vie de ce monde à la vie future ? Qu’est donc la
jouissance éphémère de cette vie comparée à la vie future sinon
bien peu de chose !} [28] ,
et : {Si vous ne vous lancez pas au combat, Dieu vous châtiera d’un
châtiment douloureux ; il vous remplacera par un autre peuple ;
vous ne lui occasionnerez aucun dommage. – Dieu est puissant sur
toute chose} [29] ,
et : {Ne perdez pas courage ; ne vous affligez pas, alors que vous
êtes des hommes supérieurs, si vous êtes croyants} [30] .
23 février 1998
Notes du chapitre
[1] ↑ Les « croisés » désignent, dans le lexique jihadiste, les États occidentaux perçus
comme étant en guerre contre l’islam et la « nation musulmane ». L’emploi de ce terme
permet d’établir un lien de continuité directe entre les croisades médiévales et les
ingérences politico-militaires actuelles de certains pays occidentaux au Mqven-Orient. Le
terme permet également d’inscrire la politique de l’État d’Israël, vu comme un Etat croisé,
dans la même filiation.
[2] ↑ Mir Hamza, islamiste pakistanais.
[3] ↑ Fazlur Rahman Khalil, célèbre islamiste radical pakistanais.
[4] ↑ Cheikh Abd al-Salam Mohammad Khan, émir du Harakat al-jihad au Bangladesh.
Notons la signature de représentants d’organisations de petite taille, relativement
marginales dans les pays où s’inscrivent leurs luttes. L’accumulation de noms
d’organisations et de pays a pour principale fonction de produire l’impression d’un appel
très largement soutenu dans le monde musulman.
[5] ↑ Abou Yassir Rifai Ahmad Taha, membre éminent du groupe islamiste égyptien Al-
jamaa al-islamiyya. Il se retira du Front islamique mondial par la suite, fut arrêté en Syrie
puis livré aux autorités égyptiennes qui l’exécutèrent. Signant ici à titre personnel, il fut
désavoué par son organisation, dont le guide spirituel, le cheikh Omar Abdel Rahman, est
emprisonné aux États-Unis. La majorité de sa direction fut engagée dans un processus de
« trêve » avec le pouvoir égyptien, à la suite de la tuerie de dizaines de touristes étrangers
à Louxor, à l’automne 1997, qui coupa le groupe d’une partie de ses soutiens.
[6] ↑ Coran, 9/5. La sourate 9, sourate de la rupture ([al-barâ’a]) ou de la repentance ([al-
tawba]), contient certains des passages les plus belliqueux du Coran et se trouve par
conséquent abondamment citée par les idéologues jihadistes. Le cinquième verset de cette
sourate, ont seule la première partie est citée ici, est le fameux « verset de l’épée » ([âyat al-
sayfl). Pour les islamistes, le verset de l’épée abroge tout autre verset appelant à une
attitude conciliante à l’égard des non-musulmans.
[7] ↑ Ce hadith figure dans le Musnad d’Ahmad Ibn Hanbal.
[8] ↑ En arabe, [jazîrat al-‘arab], l’île des Arabes, allusion à la fois à la géographie assez
hostile, mais protectrice, de la péninsule, et à son histoire rétive aux invasions étrangères.
Techniquement, le terme « péninsule Arabique » inclut tous les pays de la péninsule, c’est-
à-dire l’Arabie Saoudite, le Yémen, ainsi que les pays du golfe, d’Oman jusqu’au Koweït.
C’est pourtant, avec l’expression « le pays des deux lieux saints », la manière dont Ben
Laden, et plus généralement l’opposition saoudienne, désigne l’Arabie Saoudite. Ce qui
rappelle aussi le hadith, répété à l’envi par Ben Laden, qui ordonne : « Expulsez les Juifs et
les chrétiens de jazîrat al-‘arab » une des dernières volontés de Mohammad, qu’il aurait
prononcée à l’article de la mort.
[9] ↑ La défense du peuple d’Irak – à majorité chiite – par Ben Laden est exemplaire de la
manière dont il occulte une réalité dérangeante – les chiites – au profit de la mobilisation
d’un symbole porteur dans le monde arabe – Bagdad, et plus généralement l’Irak comme
emblème du califat et de l’âge d’or arabe-musulman.
[10] ↑ L’un des nombreux reproches alors adressés par Ben Laden au régime saoudien
est de permettre aux États-Unis et à la Grande-Bretagne de se servir des bases présentes
sur son territoire pour lancer des raids dans les zones d’exclusion aérienne de l’ONU en
territoire irakien.
[11] ↑ Cette estimation des victimes indirectes de l’embargo est également celle donnée à
l’époque par diverses ONG occidentales, notamment en raison de la très forte augmentation
de la mortalité infantile.
[12] ↑ L’Irak a été considéré par la littérature arabe nationaliste d’obédience baathiste
comme un « État-pivot », en concurrence avec la Syrie, d’où pouvait s’organiser une nation
arabe unifiée. Ben Laden n’hésite donc pas ici à récupérer la rhétorique nationaliste arabe
pour appuyer sa démonstration.
[13] ↑ L’auteur oppose délibérément une liste d’États de grande superficie, avec
d’importantes populations, aux États de « carton-pâte », qui ne sont pas cités nommément,
mais on sait que sont visées ici les petites principautés pétrolières du Golfe. L’auteur
reprend un lieu commun du nationalisme arabe, qui stigmatise le morcellement
([inqisâm]) de la nation par l’impérialisme occidental. L’expression se retrouve chez al-
Zarqawi (voir p. 389).
[14] ↑ En arabe, [fard ‘ayn]. Voir note 45, p. 146 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[15] ↑ Théologien hanbalite (1147-1223), Mouwwafaq ibn Qoudama al-Maqdissi est
surtout connu comme l’auteur de L’Indispensable ([Al-mughnî fî charh mukhtasar al-
khiraqî]). Né près de Jérusalem, il quitta sa localité natale avec sa famille alors qu’il était
encore enfant, probablement suite à la persécution des musulmans par les Francs. Établi à
Damas, il y reçut son éducation par des maîtres hanbalites, et la compléta à Bagdad.
L’Indispensable est un manuel de droit hanbalite. Al-Maqdissi est également connu pour
des écrits polémiques contre les philosophes. Comme plusieurs autres savants,
spécialement hanbalites, de l’époque, il participa lui-même à une expédition militaire, celle
de 1187, menée par Saladin et qui devait déboucher sur la reconquête de Jérusalem,
occupée par les croisés. L auteur se plaît à se référer à des oulémas ayant également
endossé l’habit du militant à des moments cruciaux ou critiques de l’histoire musulmane.
C’est le cas d’Ibn Hanbal, Ibn Qoudama et Ibn Taymiyya, qui furent à la fois des
théologiens, des juristes et des individus extrêmement engagés, parfois au risque de leur
vie, dans la vie politique et militaire de leur époque.
[16] ↑ Mohammad al-Ghazali, né à Tous (Khorassan, nord-est de l’actuel Iran, près de
Mechhed) en 1058, se fit une renommée à la cour du vizir Nizam al-Mulk en tant que
théologien. Nommé professeur à l’école Nizamiyya, fondée par le vizir de Bagdad pour
revaloriser le sunnisme face aux poussées doctrinales des chiites de toutes obédiences, il y
resta quatre ans, au cours desquels il écrivit également des ouvrages de philosophie. En
1095, il abandonna son enseignement et se retira de la vie publique pour une période de
onze ans, durant laquelle il voyagea dans tout le Moyen-Orient et fit le pèlerinage. Én 1106,
il reprit l’enseignement jusqu’à sa mort en 1111, dans sa ville natale. Parmi ses principales
œuvres, le fameux La Confusion des philosophes ([tahâfut al-falâsifa]), terminé peu avant sa
retraite en 1095, ouvrage dans lequel il attaque les philosophes hellénisants sur des points
de doctrine qui sont, selon lui, en contradiction avec le dogme sunnite. La Revivification
des sciences religieuses ([ihyâ’ ‘ulûm al-dîn]), traité en quatre volumes qui expose
l’ensemble des dimensions de la vie religieuse du musulman, vise à épurer le sunnisme et
à conduire le croyant sur la voie du salut. Son œuvre demeure très lue et étudiée
aujourd’hui au sein du monde musulman.
[17] ↑ Le cheikh Mohammad al-Qourtoubi est un ouléma malékite andalou du XIIIe siècle
(mort en 1272), né à Cordoue. Célèbre dans l’ensemble du monde, musulman pour son
savoir religieux et philologique, il voyagea en Orient et mourut en Haute-Egypte. Son
commentaire du Coran constitue aujourd’hui l’une des références en la matière. Parmi les
qualités reconnues de son commentaire, les références réduites aux sources apocryphes
ou externes (gnose, légendes pré-islamiques ou bibliques) telles qu’elles existent en grand
nombre chez les autres commentateurs. C’est cet aspect de son travail, épuré, qui le
rendrait séduisant aux yeux de Ben Laden.
[18] ↑ Le « cheikh de l’islam » est un titre honorifique désignant le fameux ouléma
hanbalite Taqi al-Din ibn Taymiyya (1263-1328). Voir note 60, p. 166 dans Abdallah Azzam,
Rejoins la caravane !
[19] ↑ Le jihad, qui est en général attaché à un territoire, se voit donc ici déterritorialisé et
étendu à l’univers par les signataires de la fatwa, ce qui constitue une rupture claire avec
la tradition classique. Cela avait déjà été le cas en 1989 avec la fatwa de Khomeyni faisant
du meurtre de Salman Rushdie un devoir pour tous les musulmans du monde. Ici, les
« Américains » ne sont pas considérés comme des apostats ([ahl al-ridda]), tel le romancier
Salman Rushdie (auteur des Versets sataniques) condamné par Khomeyni, mais plutôt
comme des ennemis universels, et le châtiment qu’ils encourent est donc d’une valeur
universelle, applicable partout dans le monde.
[20] ↑ Coran, 9/36.
[21] ↑ Le terme de [fitna] tel qu’employé ici désigne toute division au sein de la
communauté des musulmans. Ce terme, à l’origine, renvoie à l’idée d’épreuve, de
tentation, de mise en examen de la foi de celui qui est éprouvé. La [fitna], dans le même
ordre d’idée, désigne les épreuves que subirait le défunt. Historiquement, le terme renvoie
aux guerres de succession qui ont déchiré la communauté musulmane primitive, opposant
les partisans d’Ali, gendre et cousin du Prophète, à ceux des califes qoraychites (d’abord
Omar et Othman, ensuite la famille de Mouawiya). Le terme est hautement polémique et
s’utilise en fonction de la position de l’un ou de l’autre : ainsi, la répression des Hanbalites
par le pouvoir abbasside au IXe siècle fut menée au nom de la lutte contre la fitna, ici dans
le sens de sédition, d’irrédentisme fatal à l’unité. Les Hanbalites, eux, parleront plutôt
d’épreuve [mihna], imposée aux justes par les despotes. Ces jeux de langages se retrouvent
de nos jours : les mouvements islamistes jihadistes sont souvent accusés de provoquer la
fitna, alors qu’eux-mêmes disent préférer le jihad à l’impiété, au risque du chaos, à la
soumission. (Sur cette dialectique du jihad et de la fitna, voir les deux livres de G. Kepel :
Jihad. Expansion et déclin de l’islamisme, op. cit., et Fitna. Guerre au cœur de l’Islam, op. cit.)
[22] ↑ Coran, 2/193.
[23] ↑ Coran, 4/75.
[24] ↑ La doctrine classique du jihad permet de saisir les biens de l’ennemi non-
musulman vaincu, y compris les femmes et les enfants, qui, une fois aux mains des
musulmans, sont convertis ou réduits en esclavage.
[25] ↑ Ben Laden se pose donc ici plus en conseiller du prince qu’en chef de la
communauté des musulmans. On est loin de certaines déclarations où il dénie aux
gouvernements en place dans les pays musulmans toute légitimité. Cette posture
« légaliste » s’insère dans son discours en concurrence avec une vision plus
révolutionnaire.
[26] ↑ Coran, 8/24. La seconde partie du verset est citée avant la première.
[27] ↑ Coran, 8/24.
[28] ↑ Coran, 9/38.
[29] ↑ Coran, 9/39.
[30] ↑ Coran, 3/139. Cette litanie de versets du Coran en conclusion est typique des fatwas
classiques, et permet d’insérer celle-ci dans une filiation scolastique reconnue. L’objectif
est de faire de ce texte très politique une « fatwa comme les autres ».
Extraits d’un « Entretien avec Al-
Jazira » [1]
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
O ussama ben Mohammad ben Awad ben Laden, Dieu (qu’Il soit
loué et exalté !) lui a accordé de naître de parents musulmans
dans la péninsule Arabique, à Ryad, dans le quartier d’al-Malazz [2] ,
en 1377 de l’hégire [3] . Ensuite Dieu (qu’Il soit loué et exalté !) nous a
accordé de partir à Médine six mois après ma naissance, puis nous
avons résidé au Hedjaz, dans les villes de La Mecque, Jeddah et
Médine [4] .
Mon père, le cheikh [5] Mohammad ben Awad ben Laden était,
comme chacun sait, né au Hadramawt [6] , qu’il quitta pour venir
travailler au Hedjaz, il y a un certain temps, plus de soixante-dix
ans. Puis Dieu le favorisa, en l’honorant comme aucun constructeur
ne l’avait été, car il œuvra à l’agrandissement de la grande mosquée
de La Mecque [7] où se trouve la sainte Kaaba [8] . Dans le même
temps, grâce à Dieu (qu’Il soit loué et exalté !), il travailla à
l’agrandissement de la mosquée du Prophète [9] (que Dieu accorde à
notre prophète la meilleure prière et le meilleur salut !).
Lorsqu’il apprit que le gouvernement jordanien avait publié un
appel d’offre pour la restauration du Dôme du Rocher [10] , il réunit
ses ingénieurs et leur demanda d’établir un devis à prix coûtant. Ils
lui dirent alors :
– « Nous emporterons, si Dieu le veut, ce projet tout en gagnant de
l’argent. »
À quoi il répondit : « Établissez un devis sans intérêt. » [11]
Lorsque cela fut fait, ils eurent la surprise de constater qu’il (que
Dieu ait son âme !) avait rabaissé le prix du devis afin d’assurer lui-
même ce service des maisons de Dieu [12] , et notamment de cette
mosquée. Ainsi il emporta le projet et, grâce à Dieu, il lui arrivait
parfois de prier le même jour dans les trois mosquées [13] (que Dieu
ait son âme !). On sait qu’il fût l’un des fondateurs des
infrastructures du royaume d’Arabie Saoudite [14] .
Ensuite, j’ai étudié l’économie au Hedjaz, à l’université de Jedda, ou
ce que l’on appelle l’université du Roi Abd al-Aziz [15] , mais très tôt
j’ai travaillé sur les routes [16] , dans la société de mon père (que Dieu
ait son âme !), sachant que lorsque mon père mourut, je n’avais que
dix ans [17] . Voilà ce que l’on peut dire brièvement d’Oussama ben
Laden.
Quant à ce que nous voulons, nous voulons et réclamons ce qui est
un droit pour toute créature vivante [18] , à savoir que notre terre
soit délivrée des ennemis, qu’elle soit délivrée des Américains [19] .
Toute créature vivante a été pourvue par Dieu (qu’Il soit loué et
exalté !) d’une ardeur instinctive qui fait qu’elle refuse tout
envahisseur ; prenez, excusez-moi du peu, l’exemple des animaux
domestiques. Si un homme armé pénètre sur son territoire, une
poule le combattra même si elle n’est qu’une poule… Nous
réclamons donc un droit commun à toutes les créatures vivantes, à
tous les hommes, sans parler des musulmans [20] . Au vu de ce que
les pays musulmans ont subi comme agression, notamment les
lieux saints, à commencer par la mosquée al-Aqsa, qui fut la
[21]
première qibla du Prophète (que la prière et le salut soient sur
lui !), puis la persistance de l’agression [22] de la coalition judéo-
croisée dirigée par l’Amérique et Israël qui a pris le pays des deux
sanctuaires [23] (nulle puissance et nulle force sinon par Lui !), nous
tentons d’inciter la communauté musulmane mondiale à libérer
notre terre et à mener un jihad pour la cause de Dieu (qu’Il soit loué
et exalté !) afin que la loi révélée règne et que la parole de Dieu
l’emporte [24] .
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Notes du chapitre
[1] ↑ Texte qui date probablement de décembre 2002. Il n’est en tout cas pas antérieur,
étant donné la mention de l’attentat de Mombassa du 28 novembre 2002.
[2] ↑ Voir note 28 dans Ben Laden, « Entretien avec Al-Jazira ».
[3] ↑ Capitale du califat sous le règne d’Omar ibn al-Khattab, entre 634 et 644.
[4] ↑ Noter l’anachronisme délibéré du terme moderne de « superpuissance » dans le
contexte du VIIe siècle.
[5] ↑ Héros de la conquête arabe, mort au combat en 634.
[6] ↑ Œuvre encyclopédique de l’historien irakien Ibn al-Athir (1160-1234). Voir [al-kâmil
fî al-târîkh], Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, vol. 2, p. 282.
[7] ↑ Les combats de Tora Bora engagés le 30 novembre 2001 par l’armée américaine en
Afghanistan afin d’arrêter Oussama ben Laden. Certains responsables militaires
américains ont laissé filtrer dans la presse des critiques contre la stratégie suivie lors de
ces combats (The Washington Post, 17 avril 2002).
[8] ↑ Comme on le voit de nouveau ici, Ben Laden fonde sa rhétorique sur une
récupération à son compte de la victoire sur l’Union soviétique, tout en taisant
complètement le rôle des États-Unis, pourtant décisif.
[9] ↑ Les plus célèbres des combattants arabes en Tchétchénie sont deux Saoudiens : le
premier, Samir Salih Abdallah al-Souwaylim, dit « commandant Khattab », tué par les
Russes le 19 mars 2002, a été remplacé par le second, Abou al-Walid al-Ghamidi, à la tête
des combattants étrangers. La tribu des Ghamid, à laquelle Abou al-Walid appartient, est
très représentée parmi les jihadistes saoudiens ; quatre des pirates de l’air du
11 septembre 2001 en faisaient partie.
[10] ↑ Ben Laden fait ici référence aux deux guerres de Tchétchénie. La première, lancée
en 1994 par le gouvernement de Boris Eltsine pour reprendre le contrôle de la république
séparatiste qui avait déclaré son indépendance en 1991, s’est soldée par le retrait d’une
armée russe exsangue. La seconde a été lancée par Vladimir Poutine en 1999, dans le but
non avoué de laver l’honneur d’une Russie humiliée trois ans plus tôt par les rebelles.
Après des critiques initiales assez virulentes, le président Poutine est parvenu, au
lendemain du 11 septembre 2001, à gagner, au nom de la guerre contre le terrorisme,
sinon – comme l’affirme ici Ben Laden – le soutien, du moins l’indifférence des États-Unis.
Pendant ces dix années d’instabilité et de conflit, la Tchétchénie a vu affluer des milliers de
combattants jihadistes venus des quatre coins du monde musulman, et en particulier du
monde arabe. C’est à eux que Ben Laden fait ici allusion.
[11] ↑ En 1982, alors que la guerre civile libanaise faisait rage, Israël lança l’opération
« Paix en Galilée ». L’État hébreu envahit le pays et fit le siège de Beyrouth. L’année
suivante, 241 Marines américains mandatés par les Nations unies au sein d’une force
multinationale de maintien de la paix furent tués à Beyrouth dans un attentat-suicide au
camion piégé. Les troupes américaines furent, peu après, rappelées au pays. Dans l’un des
derniers enregistrements connus d’Oussama ben Laden (29 octobre 2004), celui-ci affirma
que ce furent les événements du Liban en 1982 qui avaient été à l’origine de sa décision de
mener une opération contre l’Amérique. (Voir Ben Laden, « Message au peuple
américain », p. 103). Il est intéressant de noter que ces attentats ont été perpétrés par un
groupe radical chiite, le Hezbollah, a priori sans lien avec Ben Laden ou les individus de sa
mouvance. Leur récupération témoigne, d’une part, de l’œcuménisme rhétorique de Ben
Laden, d’autre part, d’une volonté d’exproprier ce mouvement chiite de la légitimité
publique que lui confère une de ses célèbres actions.
[12] ↑ Cette expression s’emploie habituellement lorsqu’on évoque un malheur ou qu’on
déplore un événement.
[13] ↑ Là encore, Ben Laden exagère le rôle des Arabes afghans, qui, dans le cas de la
Somalie, semble avoir été minime.
[14] ↑ En décembre 1992, une force multinationale composée majoritairement de
militaires américains débarque en Somalie dans le cadre de l’opération « Restore Hope »
avec l’objectif de ramener la paix et la stabilité dans ce pays en proie à une sanglante
guerre civile. Ben Laden fait ici référence aux événements d’octobre 1993, lorsque les
troupes du général Muhammad Aydid, vraisemblablement aidées par des hommes de Ben
Laden, parvinrent à infliger de lourdes pertes au contingent américain : 18 soldats furent
tués, et les télévisions diffusèrent les images 4e cadavres portant l’uniforme des Marines
traînés dans les rues de Mogadiscio. Peu après, les États-Unis, traumatisés, retirèrent leurs
troupes de Somalie.
[15] ↑ Voir note 31, p. 54 dans Ben Laden, « Déclaration de jihad ».
[16] ↑ Pour les attentats d’al-Khobar en juin 1996, voir note 31, p. 54 dans Ben Laden,
« Déclaration de jihad ». Trois mois plus tard, en octobre 1996, les contingents américains
chargés de surveiller les zones d’exclusion aérienne en Irak reçurent l’ordre de quitter al-
Khobar et furent regroupés dans la base militaire d’al-Kharj, dans le désert, à une
soixantaine de kilomètres au sud de Riyad. C’est à cela que Ben Laden fait ici référence.
[17] ↑ Ben Laden fait ici référence à l’annonce de la création du « Front islamique
mondial pour la guerre sainte contre les Juifs et les Croisés » le 23 février 1998 (voir p. 63),
ainsi qu’à la conférence de presse organisée par Ben Laden et al-Zawahiri à Qandanar en
mai 1998. Moins de six moisplus tard, le 7 août 1998, les ambassades des États-Unis à
Nairobi (Kenya) et Dar es-Salaam (Tanzanie) furent frappées, le même jour, par un attentat
qui fit plus de 200 morts.
[18] ↑ Le 12 octobre 2000, le navire de guerre américain USS Cole a subi un attentat dans
le Fort d’Aden au Yémen, ce qui provoqua la mort de 19 marins. Selon l’interprétation qu’il
fait de attaque, il s’agissait à la fois de punir l’Amérique, mais aussi de montrer
publiquement la collaboration du gouvernement yéménite avec les forces américaines. Ce
double objectif se retrouve dans les attaques menées dans d’autres pays de la région, où la
couverture médiatique d’un attentat contre une base américaine révèle publiquement
l’ampleur de la présence étrangère dans ces pays.
[19] ↑ Symbole du pouvoir injuste dans le Coran, d’après l’épisode du séjour de Moïse en
Égypte.
[20] ↑ Coran, 18/13. Ce verset désigne les Sept, Dormants, héros de l’un des récits du
Coran reprenant la légende chrétienne des Dormants d’Éphèse.
[21] ↑ Ainsi, pour l’instigateur des attentats du 11 septembre 2001, leur valeur n’est pas
plus stratégique ou opérationnelle qu’elle n’est médiatique : il s’agit là aussi selon Ben
Laden de révéler par un attentat la réalité des rapports entre les États-Unis et le monde
musulman, en poussant l’Amérique à se départir de sa retenue médiatique.
[22] ↑ Voir L’Allégeance et la Rupture, d’Ayman al-Zawahiri (p. 311).
[23] ↑ Le but ultime des islamistes est la restauration d’une structure politique unique
pour tous les musulmans du monde. Le modèle n’est cependant pas le califat médiéval
abbasside, mais le « califat bien guidé », se rapportant au règne des quatre premiers califes
(traditionnellement appelés [al-khulafâ’ al-râchidun], les califes bien guidés). Sur le califat
dans le discours salafiste jihadiste, voir note 49, p. 296 dans Ayman al-Zawahiri, Cavaliers
sous l’étendard du Prophète.
[24] ↑ Abou Ishaq al-Chatibi est un savant malékite, né à Grenade, mort en 1388, auteur
d’[Al-muwâfaqât fî usûl al-fiqh]. Il est célèbre pour avoir été l’un des premiers oulémas à
insister sur l’importance de la détermination des objectifs ([maqâsid]) de la loi divine pour
son interprétation. C’est sur cette idée que se fondera, six siècles plus tard, la pensée
réformiste musulmane, telle que formulée en Égypte par Mohammad Abdouh. Il est
intéressant de voir al-Chatibi, considéré comme un précurseur du modernisme islamique,
cité ici par Ben Laden. Il s’agit encore une fois d’une illustration de l’œcuménisme
rhétorique – qui consiste à piocher dans toutes les traditions juridiques ce qui appuie son
propos – dont ce dernier est capable.
[25] ↑ Tentative d’abattre un avion de ligne israélien et attentat contre un hôtel israélien
au Kenya, le 28 novembre 2002, opérations revendiquées, le 8 décembre 2002, par
Soulayman Abou Ghaith au nom d’Al-Qaida.
[26] ↑ Extrait d’un poème d’al-Tirrimah, poète arabe de Syrie mort en 723, par ailleurs
proche de la secte des Kharijites.
[27] ↑ Coran, 2/201.
[28] ↑ Pour des éléments biographiques sur Omar Abd al-Rahman, emprisonné à vie aux
États-Unis depuis 1995, voir note 21, p. 52 dans Ben Laden, « Déclaration de Jihad ».
[29] ↑ Said Ibn Zouair est un ancien responsable du département de sciences de
l’information de l’université de l’Imam Mohammad Ibn Saoud à Riyad, qui participa
activement à l’agitation islamiste du début des années 1990, ce qui lui valut d’être
emprisonné, tout comme Salman al-Awda et Safar al-Hawali, lors des grandes vagues
d’arrestation de 1994 et 1995. Mais alors que ceux-ci furent libérés en 1999, Zouair
demeura derrière les barreaux jusqu’à sa libération en 2003. C’est ainsi qu’il devint le
prisonnier politique islamiste le plus célèbre d’Arabie Saoudite, ce qui explique que Ben
Laden, s’exprimant ici en 2002, le mentionne. Mais l’histoire ne s’arrêta pas là : en avril
2004, Zouair fut, à la suite de déclarations à la chaîne de télévision par satellite Al-Jazira,
de nouveau incarcéré. Il est en prison au printemps 2005.
[30] ↑ Enclave des États-Unis sur l’île de Cuba, où sont emprisonnés depuis 2001 les
prisonniers de la « guerre contre la terreur ».
« Seconde lettre aux musulmans
d’Irak » [1]
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Notes du chapitre
[1] ↑ Transcription d’une déclaration enregistrée par Ben Laden et diffusée le 18 octobre
2003, en même temps qu’une autre déclaration destinée – alors que la première s’adressait
aux Irakiens – aux Américains.
[2] ↑ Coran, 9/73. Dans ce texte, Ben Laden suit les règles classiques du discours
musulman depuis le vir siècle : introduction par une louange de Dieu et du Prophète,
citation de vers de poésie et de versets coraniques, conclusion par une invocation.
[3] ↑ Les noms cités sont ceux de compagnons du Prophète ayant participé à la conquête
de l’Irak. Saad ibn Abi Waqqas est connu pour avoir joué un rôle important dans les
grandes batailles contre les Perses, notamment celle d’al-Qadissiyya (au sud du territoire
de l’Irak moderne), qui scella le sort de l’empire sassanide, et la prise de Ctésiphon, sa
capitale (Ben Laden a prénommé l’un de ses fils Saad, dénotant peut-être l’admiration
particulière qu’il porte à ce personnage). Khalid Ibn al-Walid est le plus célèbre des
généraux des armées musulmanes en Irak, qu’il commanda jusqu’à ce qu’al-Mouthanna le
remplace à leur tête. Al-Mouthanna est quant à lui célèbre pour ses victoires sur les
armées perses en Irak (c’est aussi le nom donné à la province méridionale de l’Irak,
frontalière de l’Arabie Saoudite). Al-Mouanna était le frère d’al-Mouthanna.
[4] ↑ Saladin (1138-1193), le grand chef musulman, célèbre pour ses victoires sur les
croisés et pour sa prise de Jérusalem, était d’origine kurde. Voir Malcolm Cameron Lyons,
D.E.P. Jackson, Saladin, the Politics of Holy War, Oxford, Oxford University Press, 1982.
L’aigle, emblème de Saladin, figure sur plusieurs drapeaux arabes, le personnage
historique restant un symbole de la résistance aux invasions occidentales pour les
musulmans, et les Arabes en particulier.
[5] ↑ C’est ici une référence à la coalition formée par les États-Unis.
[6] ↑ Le « cavalier » désigne généralement le guerrier de l’islam. Voir, d’al-Zawahiri par
exemple, Cavaliers sous l’étendard du Prophète.
[7] ↑ Dans la tradition arabo-islamique, la Chine est le symbole de l’Orient lointain. Un
hadith exhorte les musulmans à aller chercher le savoir jusqu’en Chine, s’il le faut.
[8] ↑ En arabe, [dîn jâhiliyya]. Comme on le verra plus loin avec al-Zawahiri, ces deux
termes ne sont pas antinomiques puisque la religion ([dîn]) ne jouit pas nécessairement
d’une connotation positive, désignant simplement un système de croyance.
[9] ↑ Depuis Qotb, c’est là la principale distinction entre société islamique et société de
l’ignorance païenne [al-jâhiliyya] : dans la première, la souveraineté est à Dieu, dans la
seconde, au peuple à travers ses représentants, libres de décider et de contester la loi de
Dieu.
[10] ↑ La mouvance salafiste jihadiste à laquelle appartient Ben Laden considère les
parlements comme une innovation blâmable, contraire à l’islam des [al-salaf al-sâlih], des
pieux ancêtres ; voir note 55, p. 150 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires
musulmans. Pour ces militants, accepter le jeu démocratique revient à reconnaître la
légitimité d’une juridiction autre que divine, ce qui est une marque d’impiété. Voir le texte
d’Ayman al-Zawahiri Conseils à l’oumma, p. 263.
[11] ↑ Pour les mouvements islamistes, le Baath est par excellence le parti païen :
nationaliste arabe, contestant la primauté de l’islam, fortement soutenu par les minorités
chrétiennes, laïque, il n’est jusqu’à son nom (qui signifie en arabe « résurrection ») qui ne
concurrence la religion en montrant sa volonté de substituer au culte divin un culte
national.
[12] ↑ Partis doublement néfastes selon les militants jihadistes : leur particularisme kurde
brise la compacité de l’oumma, et leur statut démocratique (encore qu’il ne s’agisse là
véritablement que d’un emblème) conteste la souveraineté de Dieu.
[13] ↑ Hamid Karzaï, qui dirige l’Afghanistan depuis le renversement des talibans par les
forces américaines, et Mahmoud Abbas, Premier ministre de l’autorité palestinienne de
mars à septembre 2003, et de nouveau depuis sa victoire aux élections palestiniennes de
janvier 2005, sont considérés par Ben Laden et son groupe comme des traîtres nommés
par les Américains pour servir leurs intérêts au Moyen-Orient.
[14] ↑ Désigne ici la deuxième Intifada, qui a débuté en septembre 2000. Aussi appelée
« Intifada d’al-Aqsa », du nom de la mosquée de Jérusalem (voir supra, note 20, p. 52 dans
« Déclaration de Jihad »), située sur l’esplanade où Ariel Sharon avait effectué une
« promenade » le 28 septembre 2000. Cet autre nom avait aussi pour vocation de lier en un
même front le discours national strict du Fatah et le discours plus religieux des
mouvements islamistes palestiniens. La « feuille de route », présentée en septembre 2003,
est, après l’échec du processus d’Oslo, le dernier plan de paix pour le Moyen-Orient
proposé et soutenu par la communauté internationale.
[15] ↑ Ben Laden semble ici reconnaître être privé de sa liberté de mouvement. De plus,
par ces paroles il fait du jihad en Irak le jihad prioritaire, notamment par rapport à celui
en cours dans la péninsule Arabique depuis mai 2003.
[16] ↑ La revendication de la création d’un État islamique, somme toute assez secondaire
dans la rhétorique de Ben Laden, apparaît néanmoins de temps à autre, comme on le voit
ici. Mais, la définition de cet « État islamique » reste toujours très vague, Ben Laden et les
autres idéologues de sa mouvance se contentant de le lier à l’application de la charia.
[17] ↑ Il s’agit de deux anciennes tribus d’Arabie, disparues depuis longtemps. De la tribu
de Rabia, descendrait l’actuelle tribu d’Anaza, très présente dans le nord de l’Arabie
Saoudite. De celle de Moudar, descendrait Qouraych, qui dominait La Mecque à l’époque
du Prophète.
[18] ↑ En arabe, [‘ulûj]. Voir note 30, p. 74 dans l’extrait de Ben Laden, « Entretien avec Al-
Jazira ».
[19] ↑ La dimension économique de la guerre qu’il livre aux États-Unis est toujours
présente à l’esprit de Ben Laden. En décembre 2004, il appelait ses partisans en Arabie
Saoudite à s’en prendre aux infrastructures pétrolières, espérant provoquer une hausse
démesurée du prix du pétrole qui mettrait l’économie américaine en crise.
[20] ↑ Le califat avait pour capitale Bagdad sous le règne de la dynastie abbasside, de 762
à 1257 (hormis durant une période de cinquante ans, où ce fut Samarra). La charge
symbolique de la ville de Bagdad est très grande dans le monde arabo-musulman.
[21] ↑ En arabe : Ansâr al-islâm (Les partisans de l’islam), groupe islamiste du nord de
l’Irak composé majoritairement de Kurdes, l’ethnie de Saladin (1138-1193). Au début de
l’offensive américaine, le 23 mars 2003, ce groupe a subi de lourdes pertes dans des
bombardements américains conjoints à une offensive terrestre des combattants kurdes
laïques, qui auraient fait 180 morts et permis de capturer 150 prisonniers. Mais en juin
2003, une nouvelle organisation prit la relève : Ansâr al-sunna (Les partisans du
sunnisme). Voir l’introduction sur al-Zarqawi, p. 373.
[22] ↑ Trois villes irakiennes à population majoritairement sunnite.
[23] ↑ Le terme employé est ici [al-rûm], dénomination coranique des Byzantins (Coran,
30/2). Ce terme est plus péjorativement connoté que [al-nasâra], utilisé habituellement.
[24] ↑ Cette bataille devait opposer les païens aux premiers musulmans à Médine, mais
elle n’eut pas lieu grâce à un fossé creusé par les assiégés. Voir note 66, p. 166 dans Azzam,
Rejoins la caravane !
[25] ↑ Vers attribué à Saad ibn Abi Waqqas, déjà mentionné (voir note 3, p. 90).
[26] ↑ Oscillation entre des revendications nationales localisées et l’affirmation de
l’universalité de son combat, coutumière dans les textes de Ben Laden.
[27] ↑ Coran, 12/21.
« Message au peuple américain » [1]
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Notes du chapitre
[1] ↑ Texte de l’allocution diffusée par Al-Jazira le 30 octobre, à deux jours de l’élection
présidentielle américaine. La mise en scène y est ici très différente des autres vidéos de
Ben Laden : il y apparaît drapé dans une belle [‘abâya], robe qui se porte par-dessus le
[thawb], l’équivalent saoudien de la djellaba, telle qu’en portent les notables dans le Golfe.
Il est assis à un bureau, et à aucun endroit n’apparaît la traditionnelle kalashnikov,
pourtant jusqu’alors véritable marque de fabrique des vidéos produites par la mouvance
Al-Qaida. Il parle calmement, sur un ton didactique. En un mot, il cherche à apparaître en
homme politique – avec toute la respectabilité que cela implique –, et à se départir de
l’image de guérillero sanguinaire qui continue, aux yeux de beaucoup, de le caractériser.
[2] ↑ Une répétition des événements du 11 septembre 2001.
[3] ↑ Cette rhétorique a été, depuis le 11 septembre et après chaque attentat commis par
la mouvance Al-Qaida, reprise par le président Bush et son équipe. Dès le 17 septembre
2001, il déclare dans une conférence de presse au Pentagone : « Ces gens détestent la
liberté. C’est un combat pour la liberté. C’est un combat pour dire à ceux qui aiment la
liberté : “Nous ne nous laisserons pas terroriser par quelqu’un qui pense pouvoir nous
frapper puis se cacher quelque part dans une grotte” ». Plus récemment, le 5 mai 2004,
dans une interview à la télévision Al-Arabiyya, il disait : « Ils nous ont déclaré la guerre. Et
les États-Unis vont les traquer. Aussi longtemps que je serai président, nous serons
déterminés, fermes et forts dans notre traque de ces gens qui tuent des innocents car ils
détestent la liberté. »
[4] ↑ Les dix-neuf membres des commandos qui s’emparèrent des avions de ligne
américains pour les abattre sur le World Trade Center, le Pentagone et le Congrès (qui était
probablement la cible visée par le quatrième avion, plutôt que la Maison-Blanche).
[5] ↑ Dans tout ce passage, Ben Laden mobilise un argumentaire où il reprend des
thématiques auxquelles l’opinion publique mondiale peut être sensible (« liberté »,
« oppression », etc.). C’est là un autre exemple de l’oscillation stratégique de son discours
entre plusieurs registres de légitimation.
[6] ↑ Dans cette intervention, Ben Laden prend plus de recul historique et adopte un ton
plus personnel que dans aucune de ses adresses (une quinzaine) de l’époque post-
11 septembre 2001. La plupart de ses interventions depuis le 11 septembre ont visiblement
eu pour objet de mobiliser les croyants [tahrîd] et de menacer l’ennemi [tahdîd]. Cette
intervention vise plutôt à expliquer et justifier, ce qui rend son discours beaucoup plus
proche de celui des textes et des entretiens de la période antérieure au 11 septembre 2001.
[7] ↑ L’intervention israélienne a commencé le 6 juin 1982, et, du 13 juin au 18 août, la
partie occidentale de la capitale (« Beyrouth-Ouest »), où s’étaient retranchés les
combattants palestiniens et libanais de gauche, fut bombardée sans interruption. Voir
Ghassan Tueni, Une guerre pour les autres, Paris, J.-C. Lattes, 1985. p. 221-222. Ben Laden
veut sans doute parler de la Ve flotte, la IIIe étant basée dans le Pacifique.
[8] ↑ Bien que ce lien entre l’invasion israélienne de 1982 et le 11 septembre 2001 soit
probablement une construction a posteriori, il ne faut pas oublier que Ben Laden est
d’origine syrienne par sa mère et que ses premiers engagements politiques furent auprès
des Frères musulmans soulevés en Syrie ; il était donc assez sensible à ce qui se passait au
Levant à ce moment-là.
[9] ↑ Les deux principales tours de Beyrouth, le Holiday Inn et la tour Murr, avaient été le
théâtre de combats dès le début de la guerre civile libanaise, notamment lors de la
« bataille des hôtels » en septembre 1975.
[10] ↑ Selon un responsable des Nations unies, 500 000 enfants de moins de cinq ans sont
morts en Irak du fait des conséquences de l’embargo entre 1991 et 2000 (Reuters,
21/07/2000).
[11] ↑ Saddam était en effet considéré, tout au long des années 1980, comme l’un des
alliés privilégiés de l’Occident et des États-Unis au Moyen-Orient. L’Irak était alors perçu
comme un rempart contre le redouté Iran, contre lequel il mena – avec l’appui des
Occidentaux – une guerre de huit ans (1980-1988) qui fit de très nombreuses victimes.
[12] ↑ Entretien avec Scott Mac Leod, à Khartoum, publié le 6 mai 1996.
[13] ↑ 10 mai 1997.
[14] ↑ John Water (sic), en réalité : John Miller, ABC News, 28 mai 1998.
[15] ↑ Trois attentats : Nairobi et Dar es-Salaam, le 7 août 1998 (201 morts kenyans, 11
tanzaniens et 12 américains), Aden le 12 octobre 2000 (17 morts américains).
[16] ↑ Al-Quds al-Arabi, novembre 1996.
[17] ↑ En réalité, Robert Fisk a interviewé Ben Laden à trois occasions : d’abord au
Soudan en décembre 1993 – rencontre qui fut le premier entretien accordé par Ben Laden
à un journaliste occidental -, ensuite en Afghanistan, en juillet 1996 et en 1997.
[18] ↑ Il s’agit ici du Patriot Act, la loi anti-terroriste adoptée presque sans débat le
24 octobre 2001 par un congrès américain encore sous le choc des attentats du
11 septembre 2001. Entre autres conséquences, elle étend considérablement les pouvoirs
du FBI dans les affaires liées au terrorisme. L’auteur donne ici un exemple de ce
mimétisme entre le gouvernement américain et les régimes du Moyen-Orient, et semble
vouloir montrer au peuple américain ce qu’est une vie sous l’oppression.
[19] ↑ C’est dans l’État de Floride, dont le fils aîné de George Bush, Jeb, est gouverneur,
que se joua l’issue contestée des élections américaines de 2000, qui permirent l’accession à
la présidence de son frère George Walker Bush.
[20] ↑ Le mot moujahidines – qui signifie littéralement « ceux qui accomplissent le jihad »
– désigne ici, comme c’était le cas tout au long des années 1980, la résistance armée
afghane. Aujourd’hui, dans le langage des islamistes radicaux, il désigne plus
généralement les combattants liés à la mouvance jihadiste.
[21] ↑ Expression figurant à neuf reprises dans le Coran, l’« une des nombreuses formules
répétitives qui scandent la fin des versets pour en assurer la rime ». Voir Alfred-Louis de
Prémare, Aux origines du Coran, Paris, Téraèdre, 2004, p. 32.
[22] ↑ Ben Laden se réfère ici à l’accusation formulée à l’encontre de l’administration
Bush d’avoir tiré parti de la guerre en Irak pour offrir de nouveaux marchés aux
entreprises américaines, notamment de construction (Halliburton), de pétrole et
d’armement
[23] ↑ Royal Institute of International Affairs de Londres.
[24] ↑ Ce rapport entre la dépense d’Al-Qaida et la perte américaine est bien sûr à mettre
en relation avec le rapport entre le nombre de membres d’Al-Qaida et les armées
ennemies. Pour Ben Laden, le soutien de Dieu à une minorité d’élus a aussi un aspect
financier. Les conséquences économiques des attentats du 11 septembre ont suscité
beaucoup d’intérêt dans les milieux jihadistes, ce dont témoigne le livret de 40 pages
intitulé Les Pertes américaines qui fut publié sur le site Internet du « Centre d’études et de
recherche islamiques » (Markaz al-dirâsât wal-buhûth al-islâmiyya), considéré comme le
porte-parole d’Al-Qaida de 2000 à 2003.
[25] ↑ En septembre 2003, le président Bush a dû demander au Congrès une rallonge
budgétaire de 87 milliards de dollars « pour lutter contre le terrorisme en Irait et en
Afghanistan ».
[26] ↑ Le vice-président de George W. Bush, Dick Cheney, a en effet dirigé, de 1995 à 2000,
l’entreprise américaine Halliburton, avec laquelle il est accusé par beaucoup d’avoir
conservé des liens.
[27] ↑ [al-amîr al-’âmm], chef des commandos terroristes du 11 septembre 2001.
[28] ↑ Le 11 septembre au matin, le président George W. Bush se trouvait en visite dans
une école primaire. Au moment où l’un de ses conseillers vint lui annoncer qu’un avion
venait de s’écraser sur le World Trade Center, il participait avec des enfants à la lecture
d’un conte parlant d’une chèvre. Il resta alors quelques minutes interloqué, continuant à
écouter la lecture, visiblement désemparé. C’est à cette scène, que l’on peut, entre autres,
voir dans le film Fahrenheit 9-11 du cinéaste américain Michael Moore, que Ben Laden fait
ici allusion. Outre cette séquence, une grande partie des attaques formulées par Ben Laden
dans ce « message au peuple américain » se retrouvent également dans le film de Michael
Moore : Patriot Ad, liens Cheney-Halliburton, fraude électorale, etc. On peut même
imaginer que Ben Laden ait vu le film, et s’en soit inspiré pour la présente déclaration. Ce
ne serait pas étonnant, étant donné le fort succès qu’a connu le film de Moore au Moyen-
Orient, et la manière dont il a circulé sur les forums internet islamistes.
[29] ↑ Jeu de mots sur le terme [nath], coup de corne, et [nâtihat al-sahâb], gratte-ciel.
[30] ↑ Allusion à une fable arabe où une chèvre que l’on voulait égorger avait survécu,
faute de couteau, jusqu’à ce qu’elle découvre, à force de gratter le sol, celui avec lequel on
la tua.
[31] ↑ Passage inaudible sur la bande son de la vidéo.
[32] ↑ En arabe, [wilâya], et non [dawla]. La différence est d’importance car, si [dawla]
signifie un État, au sens d’une entité politique indépendante, [wilâya] désigne plutôt une
province. Dans le cas américain, la distinction est fondamentale car les États-Unis sont le
[dawla], et chacun des 52 États est une [wilâya]. Certains commentateurs ont donc vu dans
ce choix des termes une menace proférée à l’encontre de chacun des États, pris
individuellement, qui risquerait, selon le résultat de son vote, d’être frappé par un attentat.
[33] ↑ Au moment de la diffusion de cette déclaration, quelques jours seulement avant la
date des élections américaines de novembre 2004, une polémique a éclaté pour savoir si
Ben Laden avait voulu, par son moyen, faire pencher la balance en faveur de l’un ou
l’autre candidat. De nombreux commentateurs en ont conclu que c’est Bush qui en tirerait
bénéfice, ce qui est probable, étant donné sa victoire confortable sur son rival. Or, à lire le
texte de cette déclaration, on s’aperçoit que Ben Laden, au-delà de proférer les menaces
habituelles, fait tout pour y démontrer l’inefficacité de Bush dans sa lutte contre le
mouvement jihadiste.
Chapitre II. Abdallah Azzam
Introduction
Halte à Djedda
Au milieu de l’année 1980, Azzam devint professeur à l’université
du Roi Abd al-Aziz ibn Saoud à Djedda, probablement grâce à ses
relations parmi les Frères musulmans. Dans les années 1960 et le
début des années 1970, le pays avait accueilli nombre de Frères
égyptiens et syriens fuyant les persécutions, qui y trouvèrent du
travail, surtout dans l’enseignement supérieur, nouvellement
institué et manquant de ressources intellectuelles. Par conséquent,
de nombreuses universités saoudiennes, notamment au Hedjaz,
furent fortement influencées par eux. L’une des figures de premier
plan était Mohammad Qotb, le frère de Sayyid Qotb, dont Azzam
avait fréquenté la famille durant ses études au Caire. Il est possible
que Qotb, qui enseignait alors à l’université du Roi Saoud, ait facilité
la venue d’Azzam.
Il est tentant de penser qu’Azzam fit la connaissance du jeune
Oussama ben Laden à cette époque. En 1980, ce dernier avait vingt-
trois ans et étudiait la gestion dans cette université. Il était plus
pieux que les autres membres de sa riche famille, et commençait à
s’intéresser à la politique, en suivant les développements de
l’opposition islamiste au pays de sa mère, la Syrie [12] . Il devait
sûrement être intéressé par les cours de ce nouvel et brillant
orateur qui commençait à prêcher sur le campus. Une source
affirme qu’Azzam et sa famille vivaient à Djedda dans un
appartement loué par Ben Laden [13] . Cependant, il n’existe pas de
preuve que les deux hommes se rencontrèrent, et aucun des deux
n’a dit qu’ils firent connaissance à Djedda. Même si Ben Laden
assista aux cours de Azzam ou si leurs chemins se croisèrent d’une
autre manière, on peut penser qu’Azzam a difficilement pu avoir
une influence idéologique profonde et formatrice sur Ben Laden,
pour la simple raison qu’il ne resta pas longtemps en Arabie
Saoudite.
En octobre 1980, peu après le début de l’année universitaire, Azzam
parcourut les quatre-vingt kilomètres qui séparent Djedda de La
Mecque pour accomplir le pèlerinage, où il devait rencontrer le
cheikh Kamal al-Sananiri, l’individu qui lui ouvrit les yeux sur ce
qui allait devenir le grand dessein de sa vie : le jihad en
Afghanistan. Al-Sananiri était un membre des Frères musulmans
égyptiens et s’était rendu en Afghanistan dès 1979. En 1980, il servit
de médiateur entre les factions de moujahidines dont les querelles
intestines empêchaient toute résistance effective contre le régime
soutenu par les Soviétiques. Al-Sananiri forgea un accord qui servit
de base pour la création de l’Union islamique des moujahidines
afghans, dirigée par Abd al-Rassoul Sayyaf [14] , et qui fut signée
durant le pèlerinage de 1980. Nous ne connaissons pas les
circonstances dans lesquelles Azzam rencontra al-Sananiri, mais
cela constitua certainement un tournant de sa vie, puisqu’il fut si
influencé par les récits de son interlocuteur qu’il décida de se
rendre lui-même en Afghanistan [15] .
Il interrogea alors le recteur de son université sur la possibilité
d’aller enseigner dans la nouvelle université internationale
islamique d’Islamabad, qui était financée par l’université du Roi
Abd al-Aziz. En 1981, probablement à la fin de l’année universitaire
à Djedda, Azzam partit pour Islamabad.
Notes du chapitre
[1] ↑ Extrait du site Internet (aujourd’hui fermé) www.azzam.com
[2] ↑ Aucune étude biographique sérieuse d’Abdallah Azzam n’a été publiée à ce jour. La
meilleure référence sur le sujet en langue occidentale est Bernard Rougier, Le Jihad au
quotidien, Paris, PUF, 2004. Un certain nombre de biographies en anglais, courtes, partielles
et médiocres, circulent sur Internet (par exemple « Shaykh Abdallah Azzam » à l’origine
sur www.azzam.com, et maintenant disponible à l’adresse :
www.youngmuslims.ca/biographies/display.asp?ID=9 ; « The Striving Sheikh : Abdullah
Azzam », Nida’ al-Islam 14, 1996, disponible sur
http://www.islam.org.au/articles/14/A22AM.HTM ; Jonathan Fighel, « Sheikh Abdallah
Azzam : Bin Laden’s Spiritual Mentor », sur www.ict.org.il ; Steve Emerson « Abdullah
Assam : The Man Before Osama Bin Laden », www.iascp.com/itobli3.html ; Chris
Suellentrop, « Abdullah Azzam, The Godfather of Jihad », www.slate.masn.com/, 16 avril
2002). La meilleure de ces notices biographiques est l’article « Abdullah Yusuf Azzam », sur
www.wikipedia.org. Notre principale source est une compilation de 56 pages d’articles en
arabe intitulée « Le cheikh Azzam : de la naissance au martyre » ([al-chaykh ‘abd allâh
azzâm : bayna al-mîlâd wa-l-istichhâd]). Elle est disponible sur la bibliothèque jihadiste en
ligne : Minbar al-Tawhid wa-l-Jihad (www.tawhed.ws). Cette compilation, attribuée à un
certain Dr. Abou Moujahid du « Centre de communication du martyr Azzam » de Peshawar
(sans date), consiste en une série d’articles à caractère biographique sur Abdallah Azzam
publiés à l’origine dans des magazines jihadistes de Peshawar entre 1990 et 1992. Écrits
par divers auteurs, dont des parents de Azzam, certains sont de pures hagiographies,
tandis que d’autres sont plus nuancés et parfaitement informés.
[3] ↑ Pour la biographie de cette figure importante des Frères musulmans syriens, voir
note 7, p. 138 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[4] ↑ Mohammad al-Bouti fait partie de l’establishment religieux syrien et il est même le
religieux le plus connu en Syrie, où il anime une émission hebdomadaire à la télévision. Il
possède aussi son propre site Internet : www.bouti.com. Il est resté relativement proche
des Frères musulmans sans s’engager ouvertement dans la politique. Il donne
régulièrement des conférences à Paris à la mosquée Da’wa, rue de Tanger, dans le XIXe
arrondissement.
[5] ↑ Mollah Ramadan est le père de Mohammad al-Bouti, mais les deux hommes étaient
en désaccord sur l’attitude à adopter à l’égard du régime syrien.
[6] ↑ Marwan Hadid est, à l’instar de Sayyid Qotb, une figure légendaire de la mouvance
islamiste en général et la figure de proue du mouvement islamiste syrien. Il étudia en
Egypte, où il fut proche de Sayyid Qotb, avant de rentrer en Syrie en 1966. Au début des
années 1970, il devint le chef d’une aile révolutionnaire des Frères musulmans à Hama,
avant d’être arrêté suite aux émeutes de 1973. Il mourut en prison dans des circonstances
troubles, assassiné selon certains, à la suite d’une grève de la faim selon d’autres.
[7] ↑ Al-Hayat, 14-16 décembre 2004.
[8] ↑ Autre nom de Jérusalem en arabe, moins courant qu’[al-Quds].
[9] ↑ En arabe, [qawâ‘id al-chuyûkh].
[10] ↑ Voir La Défense des territoires musulmans.
[11] ↑ Les autres étant Ahmad Nawfal, Mohammad Abou Faris, Houmam Said et Ibrahim
Khraisat. Le [majlis al-chûrâ] correspond approximativement au bureau politique.
[12] ↑ Voir Jonathan Randall, Oussama. La fabrication d’un terroriste, op. cit.
[13] ↑ Le beau-fils d’Azzam, Abdallah Anas, cité dans la biographie de Randall.
[14] ↑ Voir note 18, p. 140 dans La Défense des territoires musulmans.
[15] ↑ Par la suite, al-Sananiri fut emprisonné en Égypte et torturé à mort, ce que relate
Ayman al-Zawahiri dans Cavaliers sous l’étendard du Prophète.
[16] ↑ Mishari al-Dhaidi, « Matbakh Bishâwar », Al-Sharq al-Awsat, Voir La Tanière des
compagnons, p. 39.
[17] ↑ En arabe, [ma’sadat al-ansâr].
[18] ↑ Voir La Tanière des compagnons, p. 47.
[19] ↑ Les deux chefs de guerre afghans Gulbuddin Hekmatyar (né en 1947) et Ahmed
Chah Massoud (1953-2001) furent, depuis le début des années 1980, des rivaux sur la scène
politique et militaire afghane. Entre 1992 et 1996, une guerre civile opposa Hekmatyar (et
son allié Abdul Rashid Dostum) à Massoud (et son allié Burhanuddin Rabbani).
[20] ↑ [majlis al-tansîq al-islâmî]. Voir Gilles Kepel, Jihad…, op. cit.
[21] ↑ Voir G. Kepel, Le Prophète et le Pharaon, op. cit., chap. 5.
[22] ↑ Abdallah Azzam, « Bachâ’ir al-nasr ».
[23] ↑ Abdallah Azzam, « al-Qâ‘ida al-sulba », Al-Jihad, avril 1988, n° 41. Voir p. 211.
[24] ↑ Abou Hamza al-Masri, islamiste radical égyptien résidant à Londres (et
emprisonné depuis mai 2004, en attente d’extradition vers les États-Unis), cité par Michael
Collins Dunn dans : « Osama bin Laden : The Nature of the Challenge », Middle East Policy,
6, (octobre 1998) n° 2, p. 24-25.
Extraits de La Défense des territoires
musulmans constitue le principal devoir
individuel
Dr Abdallah Azzam
Introduction
C ’est à Dieu que revient toute louange, c’est Son secours que
nous implorons et c’est à Lui que nous demandons de nous
protéger de notre propre mal comme de nos mauvaises actions ;
celui qui est guidé par Lui ne se fourvoiera pas mais celui qui par
Lui est égaré ne pourra être guidé ; je témoigne qu’il n’y a d’autre
dieu que Dieu et que Mohammad est son esclave et son messager, ô
Dieu, rien n’est simple que par Toi, et Tu peux même rendre simple
la tristesse !
Lorsque j’écrivis cette fatwa, elle était plus longue ; je l’ai montrée à
notre grand et respecté cheikh Abd al-Aziz ibn Baz [1] , puis la lui ai
lue et il l’a appréciée, me disant : « C’est une bonne fatwa » et
l’approuvant, mais il me proposa de l’abréger avant qu’il n’écrive
une introduction, ce que je fis. Toutefois, le temps du cheikh était
compté à cause du pèlerinage [2] , et je n’eus pas le temps de la lui
représenter [3] .
Puis le cheikh (que Dieu le garde !) a décrété, dans la mosquée Ben
Laden [4] de Djedda ainsi que dans la grande mosquée de Riyad,
qu’aujourd’hui le jihad [5] en personne est une obligation
individuelle. Ensuite, j’ai montré cette fatwa telle quelle (sans les six
autres questions qui y sont abordées) au cheikh Abdallah Alwan [6] ,
à Said Hawa [7] , à Mohammad Najib al-Mouti’i [8] , à Hussayn Hamid
Hassan [9] et à Omar Sayf [10] , je la leur ai lue, ils l’approuvèrent et
pour la plupart la signèrent [11] ; ce fut aussi le cas du cheikh
Mohammad ibn Salih ibn Outhaymine [12] , à qui je la lus et qui la
[13] [14]
signa. Les nobles cheikhs Abd al-Razzaq’Afifi , Hassan Ayoub
et Dr. Ahmad al-Assal [15] firent de même [16] .
Ensuite, j’ai abordé la question au cours d’une conférence à Mina,
durant la saison du pèlerinage, au centre d’orientation religieuse,
où était rassemblés plus de cent oulémas venus de tout le monde
musulman. Je leur dis : « Les Anciens et les modernes, tous les
jurisconsultes et savants en hadith [17] , durant tous les siècles de
l’ère musulmane, sont tombés d’accord pour affirmer que « si une
portion du territoire musulman est envahie, le jihad devient un
devoir individuel pour tout musulman et toute musulmane, l’enfant
peut partir au combat sans l’autorisation de ses parents et l’épouse
sans celle de son mari ». J’ai déclaré devant le chef des
Moujahidines, Sayyaf [18] , et au bout de trois ans d’expérience dans
le jihad afghan, que ce jihad a besoin d’hommes. Donc, messieurs
les oulémas, que celui qui a une objection sur ce sujet, qu’il
l’exprime ! Personne ne fit d’objection. Au contraire, le docteur
Cheykh Idriss [19] m’a dit : « Mon frère, il n’y a aucun désaccord sur
ce sujet. »
Je publie donc cette fatwa. Dieu fasse quelle soit profitable dans ce
monde et dans l’autre, et utile à tous les musulmans !
Dr Abdallah Azzam
[…]
C’est à Dieu que revient la louange, c’est Son secours que nous
implorons et c’est à Lui que nous demandons de nous protéger de
notre propre mal et de nos mauvaises actions, celui qui est guidé
par Lui ne se fourvoiera pas mais celui qui par Lui est égaré ne
pourra être guidé, je témoigne qu’il n’y a d’autre dieu que Dieu et
que Mohammad est son esclave et son messager (que Dieu lui
accorde Son salut et Sa bénédiction, ainsi que sur sa famille et
l’ensemble de ses compagnons !).
Dieu a choisi cette religion afin qu’elle soit une bénédiction pour les
êtres vivants, et il a envoyé le meilleur des messagers (que Dieu lui
accorde Son salut et Sa bénédiction !) afin qu’il fût le sceau des
prophètes, puis II a fait vaincre cette religion par le sabre et la
lance, une fois que le Prophète (que Dieu lui accorde Son salut et Sa
bénédiction !) l’eût expliquée, par la preuve et l’éloquence, avant le
jour du Jugement. Le Prophète (que Dieu lui accorde Son salut et Sa
bénédiction !) a dit, dans un hadith authentique rapporté par
[20] [21]
Ahmad et al-Tabarani : « J’ai été envoyé, avant le jour du
Jugement, afin que Dieu seul fût adoré, sans aucun associé. Il a mis
ma subsistance à l’ombre de ma lance, et promis l’humiliation à qui
s’opposera à moi, car qui ressemble aux membres d’un groupe y
appartient » (Petite Anthologie des hadiths authentiques, 1818 [22] ,
d’al-Albani) [23] .
La sagesse de Dieu a voulu que le Bien ici-bas repose sur la base de
la loi de la défense, en disant : {Si Dieu ne repoussait pas certains
hommes par d’autres, la terre serait corrompue. Mais Dieu est celui
qui dispense la grâce au monde} (La vache, 251) [24] .
C’est-à-dire que Dieu a offert à l’humanité cette loi et lui a enjoint
cette règle (la loi de la défense) ou, en d’autres termes, le combat
entre le vrai et le faux, dans l’intérêt de l’humanité, pour la
suprématie de la vérité et le développement du bien, et même afin
que les religions et les lieux de culte soient effacés par cette loi, en
disant : {Si Dieu n’avait pas repoussé certains hommes par d’autres,
des ermitages auraient été démolis, ainsi que des synagogues, des
oratoires et des mosquées où le Nom de Dieu est souvent invoqué.
Oui, Dieu sauvera ceux qui l’assistent. Dieu est, en vérité, fort et
puissant} (Le pèlerinage, 40) [25] .
Cette loi (celle de la défense) ou le jihad occupe de nombreuses
pages du livre de Dieu (qu’Il soit exalté !) car la vérité ne peut se
passer d’une force qui la protège. Combien de vérités ont été
perdues à cause de l’abandon de ceux qui devaient les soutenir ! Et
combien d’erreurs l’ont emporté parce qu’elles avaient des
partisans et des hommes prêts à se sacrifier pour elles !
Le jihad repose sur deux piliers : la patience, qui révèle le courage
du cœur, et la générosité, qui consiste à dépenser de l’argent et
donner son âme (ce qui est le comble de la générosité). Ainsi dans le
hadith authentique qu’a rapporté Ahmad : « La foi, c’est la patience
et la largesse » (2) 2. Al-Albani, La Chaîne des hadiths authentiques
(554).
Ibn Taymiyya a dit [(3) 3. Recueil de fatwas, 28/157] : « Puisque le
bien des fils d’Adam [26] dans leur vie terrestre et leur religion
dépend du courage et de la générosité, Dieu (qu’Il soit exalté !) a
montré que celui qui se détourne du jihad avec sa propre
personne [27] sera remplacé par une autre personne {Dieu vous
châtiera d’un châtiment douloureux, il vous remplacera par un
autre peuple, vous ne lui occasionnerez aucun dommage. – Dieu est
puissant sur toute chose} [28] . »
C’est pourquoi il [29] (que Dieu lui accorde Son salut et Sa
bénédiction !) a désigné les pires défauts, à savoir l’avarice et la
lâcheté qui conduisent à la ruine de l’âme et à la destruction des
sociétés, dans le hadith authentique : « Le pire défaut chez un
homme, c’est une avarice sordide et une lâcheté flagrante » (hadith
authentique rapporté par Abou Daoud [30] ).
Beaucoup de temps a passé depuis que nos pieux ancêtres [31] , en
suivant cette règle, ont dominé le monde pour devenir les maîtres
de l’humanité, comme Dieu l’a dit : (Nous avons suscité des chefs
pris parmi eux. Ils les dirigeaient sur notre ordre, quand ils étaient
constants et qu’ils croyaient fermement à nos Signes} (La
prosternation, 24) [32] .
Car, comme il a dit dans ce hadith authentique (que Dieu lui
accorde Son salut et Sa bénédiction !) : « Le bien de cette
communauté est né dans l’abstinence et la certitude, il finira dans
l’avarice et l’espoir » (rapporté par Ahmad et al-Tabarani dans Le
Médian [33] comme par al-Al-Bayhaqi [34] , Petite Anthologie des
hadiths authentiques (3739).
Puis sont venues d’autres générations de musulmans qui
négligèrent les lois de Dieu et oublièrent Dieu, lequel les oublia ; ils
perdirent Ses jugements et s’égarèrent. {Leurs successeurs après
eux délaissèrent la prière et suivirent leurs passions. Ils trouveront
l’égarement total} (Marie, 59) [35] .
Ils ont trouvé belles leurs actions, or, il est dit dans le hadith
authentique : « Dieu déteste celui qui se pavane sur les marchés,
avec arrogance ; la nuit c’est un cadavre, le jour un âne, savant en
ce monde, ignorant l’au-delà » (6-6), Petite Anthologie des hadiths
authentiques (1874).
L’une des plus importantes obligations et des principaux devoirs
oubliés est le jihad qui a disparu de la vie des musulmans. C’est
ainsi qu’ils sont devenus pareils à des débris charriés par un
torrent, comme il a dit (que Dieu lui accorde Son salut et Sa
bénédiction !) : « Les autres nations sont prêtes à vous entourer de
toutes parts comme des convives autour d’une seule jatte. » On lui a
demandé :
– « Ô messager de Dieu, serait-ce à cause de notre petit nombre ?
– Non, répondit-il, mais parce que vous êtes comme des débris
charriés par un torrent, à trop aimer l’ici-bas et à détester la mort,
vous laissez la faiblesse s’insinuer dans vos cœurs et faites
disparaître la terreur des cœurs de vos ennemis. » Et dans une autre
version :
– « Ils dirent : Qu’est-ce que la faiblesse, ô messager de Dieu ?
– Votre amour du monde, répondit-il, et votre haine du combat. » (1)
1. La Chaîne des hadiths authentiques, n° 958, rapporté par Ahmad,
précédé d’une bonne chaîne de garants [36] , ainsi que par Abou
Daoud. Variante : « La haine de la mort ». C’est un hadith
authentique.
Le jihad contre les infidèles est de deux sortes :
- le jihad offensif [37] , à savoir attaquer les infidèles dans leur
pays. Lorsque les infidèles ne sont pas mobilisés pour
combattre les musulmans, alors le jihad est une obligation
collective, et le moins que l’on puisse faire, c’est de garder les
frontières du monde musulman afin d’effrayer les ennemis de
Dieu, d’envoyer une armée au moins une fois par an [38] ; que
l’imam envoie une unité sur le territoire de la guerre [39] une
ou deux fois par an, et que la population l’aide ; s’il ne le fait
pas, il est dans le péché [40] . Commentaire d’Ibn Abidine [41]
(168/3). Les juristes l’ont comparé à l’impôt de capitation [42] .
Les théologiens ont dit : « Le jihad est une prédication forcée,
il faut l’accomplir autant que possible afin qu’il ne reste que
des musulmans ou des gens conciliants » 1. Commentaire d’al-
Charouani et d’Ibn al-Qassim sur La Perle de celui qui
recherche la voie (213/9) [43] ;
- le jihad défensif [44] , à savoir expulser les infidèles de nos pays,
est une obligation individuelle [45] , et même le plus important
devoir individuel, dans les cas suivants :
a. lorsque les infidèles pénètrent dans l’un des territoires
musulmans,
b. lorsque les deux armées se rencontrent et échangent des
coups,
c. lorsque l’imam mobilise des individus ou un groupe, ils
doivent se regrouper pour combattre,
d. lorsque les infidèles font prisonnier des musulmans. […]
Notes du chapitre
[1] ↑ Abd al-Aziz ben Baz (1909-1999) était déjà, à l’époque d’Azzam, l’une des plus
grandes autorités religieuses dans le monde musulman. Il naquit dans une petite ville du
Najd, région centrale de l’Arabie Saoudite, et perdit la vue jeune, ce qui ne l’empêcha pas
de faire de brillantes études religieuses auprès des plus grandes figures de l’institution
wahhabite. Il occupa ensuite des postes de direction dans différentes institutions du
royaume, en particulier au sein des universités de Riyad et de Médine, avant de connaître
en 1971 la consécration : il fut nommé à la tête du Conseil des grands oulémas, instance
suprême de l’institution religieuse wahhabite. En 1993, il fut officiellement nommé Grand
Moufti d’Arabie Saoudite, fonction qu’il occupait néanmoins déjà officieusement depuis
1971. Il rendit l’âme en 1999, à l’âge de 90 ans.
[2] ↑ Il s’agit du pèlerinage de septembre 1984.
[3] ↑ Cette excuse laisse douter que le cheikh fut réellement d’accord avec la fatwa
d’Azzam. En fait, certains commentateurs saoudiens affirment aujourd’hui que Ben Baz ne
fut jamais d’avis de considérer le jihad en Afghanistan comme un devoir individuel pour
tout musulman. On prétend qu’il affirma que c’était un devoir individuel pour tout Afghan
mais un devoir collectif pour les autres musulmans.
[4] ↑ Il y a en Arabie Saoudite plusieurs mosquées qui portent ce nom, ayant été
construites par le Saudi Binladen Group. Voir Ben Laden, « Entretien avec Al-Jazira », p. 73.
[5] ↑ Le terme [jihâd] signifie littéralement « effort », sous-entendu à accomplir au nom
de l’islam. Quoique certains exégètes aient pu distinguer un « grand jihad », à accomplir
sur soi en vue du perfectionnement moral et religieux, et un « petit jihad », désignant le
combat contre les non-musulmans, son acception première depuis l’époque classique
désigne plus généralement l’effort accompli par le musulman pour propager 1 islam. Cela
ait, là encore, le jihad n’a pas nécessairement un sens militaire : on parle par exemple de
« jihad par la langue » ([al-jihâd bil-lisân]) pour désigner l’obligation de « promouvoir la
vertu et de prévenir le vice » ([al-amr bi-l-ma‘rûf wa-l-nanî ‘an al-munkar]). Il faut
néanmoins remarquer que l’acception militaire primait déjà à l’époque médiévale, et c’est
dans cette continuité que se placent les idéologues jihadistes contemporains, en tête
desquels Azzam.
[6] ↑ Abdallah Alwan enseignait à l’université du Roi Abd el-Aziz à Djedda, où il fut le
collègue d’Azzam en 1980-1981.
[7] ↑ Said Hawa (1935-1989), originaire de la ville syrienne de Hama, est considéré
comme le principal idéologue de la branche syrienne du mouvement des Frères
musulmans, tout en ayant conservé des tendances soufies. C’est au début des années 1960
qu’Abdallah Azzam, alors étudiant à l’université de Damas, fit sa connaissance.
[8] ↑ Muhammad Najib Mouti’i est un membre des Frères musulmans égyptiens
qu’Azzam aurait pu rencontrer pendant ses études au Caire.
[9] ↑ Hussayn Hamid Hassan est un savant religieux égyptien, membre des Frères
musulmans, et ex-président de l’université islamique d’Islamabad, où Azzam fut
professeur de 1981 à 1984.
[10] ↑ Omar Sayf était un membre du Conseil des oulémas du Yémen.
[11] ↑ Dans la plupart des éditions de ce livre, l’introduction d’Azzam est suivie d’une
série de fac-similés de messages manuscrits signés par Abdallah Alwan, Said Hawa,
Mohammad Najib al-Moutii et Omar Sayf. Tous y font l’éloge du livre d’Azzam et
approuvent sa fatwa. Parmi les cinq personnnes mentionnées ici, Hussayn Hamid Hassan
est le seul à ne pas signer, ce qui signale peut-être un désaccord.
[12] ↑ Mohammad ibn Salih al-Outhaymine (1928-2001) fut un éminent savant religieux
saoudien, considéré comme la deuxième autorité religieuse de son pays après Abd al-Aziz
ibn Baz.
[13] ↑ Abd al-Razzaq’Afifi était membre du Comité des Grands Oulémas ([hay’at kibâr
al-‘ulmâ‘]), plus haute instance religieuse saoudienne, jusqu’à sa mort en 1995.
[14] ↑ Hassan Ayoub était professeur à l’université du Roi Abd al-Aziz à Djedda.
[15] ↑ Ahmad al-Assal est un savant religieux saoudien reconnu. Il occupe aujourd’hui la
fonction de vice-président de l’université islamique d’Islamabad (Pakistan).
[16] ↑ Ces remarques indiquent la position dont jouissait Azzam dans les milieux
islamistes en 1984, puisqu’il côtoie les autorités religieuses les plus respectées du monde
islamique, et s’adresse à un public prestigieux, à Mina pendant le pèlerinage ([hajj]).
Notons cependant que son réseau est composé en majorité de Frères musulmans, ce qui
n’est pas étonnant puisqu’Azzam lui-même en faisait partie jusqu’à sa rupture avec la
branche jordanienne de la confrérie en 1984.
[17] ↑ On appelle hadith toute narration rapportant un fait ou un dit du Prophète. Voir
aussi note ** dans al-Zawahiri, « Conseil à l’oumma ».
[18] ↑ Le leader de l’Union islamique des moujahidines afghans, Abd al-Rassoul Sayyaf,
était l’un des chefs afghans les plus proches de l’Arabie Saoudite et des organisations
islamiques internationales engagées dans le jihacl afghan contre l’armée soviétique.
Notons qu’il se fit appeler Abd Rabb al-Rassoul Sayyaf à partir des années 1980, car son
prénom de naissance, qui signifie « adorateur du Prophète », était considéré comme
blasphématoire pour les oulémas wahhabites, nul autre que Dieu ne devant être adoré.
« Abd Rabb al-Rassoul » signifiant « adorateur du seigneur du Prophète », le « blasphème »
était alors évité.
[19] ↑ Jaafar Cheikh Idriss est un savant religieux soudanais résidant en Arabie Saoudite.
Il s’est notamment illustré, au lendemain du coup d’État d’Omar al-Bachir en 1989, par sa
franche opposition à Hassan al-Tourabi, l’idéologue islamiste du nouveau régime.
[20] ↑ « Ahmad » ou « l’imam Ahmad » désignent Ahmad ibn Hanbal (780-855), théologien
et traditionniste (muhaddith, expert en hadith), père de la dernière des quatre grandes
écoles juridiques de l’islam sunnite, le hanbalisme. Après des voyages de formation (en
Syrie et au Hedjaz surtout), il s’illustra en s’opposant (sur la question de la « création » du
Coran, entre autres) avec force aux Moutazilites, partisans d’une théologie rationaliste,
alors proches du pouvoir. Persécuté et emprisonné, Ibn Hanbal redevint professeur à
l’avènement du calife al-Mutawwakil, qui rétablit l’orthodoxie sunnite. Il laissa un recueil
de hadith, le [Musnad]. Ibn Hanbal mit l’accent sur l’acceptation de la lettre du texte sacré,
entre autres au sujet de la difficile question des attributs divins. Son courant défend
également le consensus de la communauté des musulmans contre les séditions. L’école
hanbalite est aujourd’hui dominante en Arabie Saoudite et dans certains pays du Golfe, et
reste considérée comme la plus stricte et la plus littéraliste.
[21] ↑ Abou al-Qassim al-Tabarani (874-971), savant en hadith, auteur du Grand Recueil
([al-mu‘jam al-kabîr]).
[22] ↑ Nous avons partout laissé les références qui figurent dans les écrits d’origines, en
sachant qu’elles peuvent parfois être erronées ou renvoyer à des éditions épuisées.
[23] ↑ Nasr al-Din al-Albani (1914-1999) est un savant religieux syrien d’origine albanaise
qui fonda sa propre école, rejetant les quatre écoles canoniques aussi bien que la tradition
wahhabite qu’il accusait d’avoir introduit des innovations ([bid‘a]) dans la pratique
religieuse et d’avoir permis l’usage de l’opinion individuelle ([râ’y]) dans les jugements
religieux. Al-Albani faisait de a lecture littérale du hadith une base primordiale des
jugements religieux ; cette approche mena à des décisions originales, par exemple à ce que
les musulmans doivent quitter les territoires occupés par Israël. Albani enseigna à
l’université de Médine à la fin des années 1950 mais dut démissionner en raison de
nombreux désaccords avec les oulémas saoudiens sur des questions de rituel. Il s’installa
en Jordanie, où il devint une autorité du salafisme apolitique mais conserva des liens avec
les grands cheikhs saoudiens Ben Baz et Ben Outhaymine. Un grand nombre de sites
Internet lui sont consacrés, par exemple : www.alalbany.net
[24] ↑ Deuxième partie du verset cité.
[25] ↑ Coran, 22/40. Seule la deuxième partie du verset est citée. L’interprétation de ces
deux versets par l’exégète Ibn Kathîr (pour sa biographie, voir note 45, p. 322 dans al-
Zawahiri, « L’Allégeance et la Rupture ») est à l’opposé de celle d’Azzam, puisqu’il lit : « Si
Dieu n’avait pas défendu les hommes les uns des autres. » Une telle lecture dépend du
verbe [dafa‘a], qui peut signifier « pousser » ou, suivi de la particule [‘an], « défendre ».
Voir [Mukhtasar tafsîr ibn kathîr], Beyrouth, Dâr al-ma’rifa, p. 91.
[26] ↑ Métaphore fréquente en arabe, désignant les êtres humains en général.
[27] ↑ Le jihad avec sa propre personne ([jihâd bi-l-nafs]) est bien sûr plus prisé que le
seul jihad avec ses ressources ([jihâd bi-l-mâl]).
[28] ↑ Coran, 9/39.
[29] ↑ Il s’agit du Prophète, puisque la formule « que Dieu lui accorde Son salut et Sa
bénédiction ! » lui est réservée dans la tradition islamique.
[30] ↑ Abou Daoud al-Sijistani (817-889) est un célèbre traditionniste qui rassembla un
corpus de 4 800 traditions attribuées au Prophète dans son Livre des traditions ([kitâb al-
sunan]), l’un des six recueils canoniques du sunnisme.
[31] ↑ « Les pieux ancêtres » ([al-salaf al-sâlih]) : cette expression désigne les premières
générations de musulmans. Dans le lexique islamique, elles sont réduites aux compagnons
de Mohammad en incluant généralement les trois premières générations, qui auraient eu
une bonne connaissance et une saine pratique de l’islam, parce qu’acquises directement
du Prophète ou de ceux qui l’ont côtoyé. Le mot salafisme ([al-salafiyya]) en est dérivé.
[32] ↑ Coran, 32/24.
[33] ↑ Le Médian ([Al-Awsat]), d’al-Tabarani. Sur ce personnage historique, voir la note 21,
p. 142.
[34] ↑ Al-Bayhaqi (mort en 1066), juriste et traditionniste persan de rite chafi’ite. Auteur
fécond, dont il reste un Livre des grandes traditions ([kitâb al-sunan al-kubrâ]), synthèse et
commentaire des différents recueils de traditions. Il est également l’auteur d’un des plus
anciens et des plus réputés traités de droit chafi’ite.
[35] ↑ Coran, 19/59.
[36] ↑ En arabe, [isnâd], liste des noms de ceux qui ont transmis chaque hadith, de
génération en génération. L’une des principales tâches des « savants en hadith »
([muhaddith]) est d’examiner la chaîne de transmission, et de s’informer sur le crédit à
accorder aux transmetteurs, pour pouvoir porter un jugement sur l’authenticité du hadith.
Les dits et traditions attribués au Prophète, tout d’abord transmis par voie orale, ont
ensuite été recueillis et examinés selon des règles codifiées graduellement au cours des
premiers siècles de l’islam. Un hadith est donc classé selon trois catégories. Il peut être
authentique ([sahîh]), bon ([hassan]), faible ([da‘îf]) ou malade ([saqîm]). Cela dépend de la
chaîne de ceux qui l’ont transmis, de leur vertu et de leur valeur, ainsi que d’autres
critères. Chaque collecteur de traditions peut avoir ses propres critères ([churût]) pour
intégrer des hadiths et les classer. Le hadith authentique, ou [sahîh], est lui-même
subdivisé en sept classes : d’abord le hadith qui figure dans les deux recueils les plus
prestigieux, ceux d’al-Boukhari et Mouslim, ensuite celui qui ne figure que chez al-
Boukhari, puis celui qui ne figure que chez Mouslim. En quatrième position viennent les
hadiths qui, sans figurer dans les deux recueils, satisfont aux conditions des deux
traditionnistes. En cinquième position, ceux qui satisfont aux conditions d’al-Boukhari, en
sixième position ceux qui satisfont aux conditions de Mouslim, et en dernière classe, les
[sahîh], ceux qui figurent dans les quatre autres recueils de hadiths considérés par les
oulémas comme valables. Dans les écrits jihadistes, on trouve souvent de hadiths dont la
véracité n’est pas considérée comme absolue (donc hadiths [hassan], voire parfois [da‘îf]).
[37] ↑ En arabe, [jihâd al-talab].
[38] ↑ Allusion aux campagnes militaires qui étaient lancées régulièrement par le
Prophète et, à partir d’une certaine époque, d’une manière tout à fait formelle : on
comptait ainsi chaque année une campagne d’été et une campagne d’hiver. Ici, Azzam
semble vouloir relancer cette tradition, et lancer périodiquement une campagne militaire,
comme on accomplirait une prescription dogmatique.
[39] ↑ En arabe, [dâr al-harb], à savoir, selon les catégories traditionnelles, la partie du
monde où les musulmans ne gouvernent pas et où la loi musulmane n’a pas cours. Au
contraire, [dâr al-islâm] est la partie du monde où les musulmans gouvernent et où la loi
musulmane a cours. Un territoire médian est le [dâr al-sulh] où la loi musulmane ne
s’applique pas, mais avec lequel les musulmans ont des relations pacifiques, à l’image du
précédent historique du Prophète avec les chrétiens de Najran, dans le sud de l’Arabie.
D’autres termes ont vu le jour, à certaines époques, sous la plume des juristes musulmans
comme [dar al-‘ahd] (le territoire du traité), [dar al-‘adl] (le territoire de la justice), [dar al-
bid‘a] (le territoire de l’hérésie) ou encore [dar al-kufr] (le territoire de l’impiété).
[40] ↑ Pour la plupart des oulémas contemporains, ces devoirs de guerre ne s’appliquent
pas tant qu’il n’y a pas de califat unifié dirigé par un imam légitime.
[41] ↑ Mohammad Amin ibn Abidine (1784-1836), juriste hanafite auteur du [Radd al-
muhtâr], connu comme Commentaire d’ibn Abidine.
[42] ↑ En arabe, [jizya] : impôt de capitation qui, dans l’islam classique, frappait les non-
musulmans tributaires ([dhimmi]), autorisés en contre-partie à conserver leur culte.
[43] ↑ En arabe, [Tuhfat al-muhtâj ‘alâ al-minhâj].
[44] ↑ En arabe, [jihâd al-daf‘].
[45] ↑ Une obligation individuelle, c’est-à-dire qui ne peut être déléguée à quelqu’un
d’autre. Il existe en droit islamique deux types de devoirs : le devoir individuel ([fard
‘ayn]), qui incombe à chaque musulman, et le devoir collectif ([fard kifâya]), qui doit être
accompli par un nombre suffisant de musulmans au nom de la communauté. Si le jihad est
[fard ‘ayn] et incombe donc à chacun, il suffit que le quorum ([al-kifâya]) de combattants
nécessaires pour accomplir un jihad local soit atteint pour que l’obligation ne soit plus
contraignante pour les autres croyants.
[46] ↑ Dans l’île de Mindanao à majorité musulmane et dans les îles voisines, situées au
sud des Philippines à majorité chrétienne, se déroule depuis la fin des années 1970 une
insurrection séparatiste armée menée, entre autres, par le Front Islamique Moro de
Libération. Ce mouvement posséderait des liens avec des individus de la mouvance Al-
Qaida, desquels il recevrait notamment des financements.
[47] ↑ Le Cachemire, État à majorité musulmane, fut, lors de la partition de l’Inde en
1948, rattaché à l’Union indienne. Depuis lors, un important mouvement séparatiste s’y est
développé, mouvement dont l’islamisation a commencé dans les années 1970 et s’est
accentué dans les années 1990, avec l’encouragement des autorités pakistanaises.
[48] ↑ Après avoir obtenu son indépendance de la France en 1960, le Tchad a connu trois
décennies de conflits, une situation vue par les islamistes étrangers comme une guerre
opposant les musulmans (60 % de la population) aux autres (chrétiens et animistes).
[49] ↑ L’Érythrée, à majorité musulmane, fut annexée en 1962 par l’Éthiopie
majoritairement chrétienne. Un conflit séparatiste débuta alors, qui dura plus de trente
ans pour ne s’achever qu’en 1993 avec l’accession à l’indépendance de l’Érythrée, c’est-à-
dire plusieurs années après la rédaction de ce texte.
[50] ↑ L’une des principales contributions idéologiques d’Azzam fut de déplacer le
discours moderne du jihad du combat révolutionnaire pour le pouvoir vers le combat
militaire pour le territoire. La liste des pays dans lesquels le territoire musulman est en jeu
tend à donner l’image d’un champ de bataille mondial.
[51] ↑ Région montagneuse de l’est de l’Afghanistan.
[52] ↑ Coran, 9/40.
[53] ↑ L’un des sept principaux partis de la résistance afghane durant la guerre, dirigé
par Abd al-Rassoul Sayyaf et très proche de l’Arabie Saoudite. Voir supra, note 18.
[54] ↑ Coran, 12/67.
[55] ↑ Le concept de [hâkimiyya], qui peut être traduit par « souveraineté », fut introduit
dans le discours islamiste par l’idéologue pakistanais Abou al-Ala al-Mawdoudi puis
développé par Sayyid Qotb comme élément central de sa doctrine. Ce dernier s’en sert
pour distinguer société islamique et non-islamique. Lorsque la souveraineté est attribuée à
quelqu’un d’autre que Dieu, comme la nation ou le parti, la société est non islamique parce
que cette situation équivaut en fin de compte à l’adoration ([’ubûdiyya]) d’autres que Dieu.
[56] ↑ Azzam exprima souvent sa tristesse devant la nature laïque et fragmentée du
mouvement national palestinien. Lorsqu’il mit un terme à ses activités paramilitaires en
1970, c’était en bonne partie du à son désaccord avec la politique de l’OLP.
[57] ↑ L’auteur exagère la solidité des liens entre les Palestiniens et l’Union soviétique. S’il
y eut plusieurs organisations palestiniennes marxistes, et si certains membres de l’OLP
avaient des sympathies pour les soviétiques, passer Arafat garda toujours ses distances
avec l’Union soviétique, de peur que l’attitude des États-Unis s’en trouve radicalisée.
[58] ↑ Allusion à l’invasion israélienne du Liban en juin 1982. Voir note 7, p. 103 dans
Oussama ben Laden, « Message au peuple américain ».
[59] ↑ Le pouvoir politique est ici connoté négativement par rapport au seul pouvoir
légitime, qui découle de la souveraineté de Dieu et ne peut donc s’opposer à l’application
du jihad !
[60] ↑ L’auteur est bien placé pour évoquer cette question puisqu’il participa en personne
aux infiltrations à partir de la Jordanie à la fin des années 1960.
Extraits de Rejoins la caravane ! [1]
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
II - Au secours, islam !
Ô musulmans, que la paix soit sur vous, ainsi que la clémence de
Dieu et Ses bénédictions !
Nul n’ignore les énormes sacrifices consentis par le peuple afghan
musulman, puisque plus de neuf ans sont passés depuis le coup
[87]
d’État communiste de Nour Taraqi en avril 1978, et que, depuis
lors, les musulmans afghans supportent les plus grandes
souffrances pour défendre leur religion, leur honneur et leurs
enfants, au point qu’il ne reste pas une maison dans ce pays où la
femme ne pleure son mari et les enfants leur père.
Face à Dieu, ces gens ont une excuse, et L’ont pris à témoin devant
les monceaux de crânes et de membres amputés, les âmes flétries et
le sang versé [88] , de sorte qu’il ne reste plus de flèche à tirer, leur
carquois étant vidé. Durant cette longue période, les Afghans ont
espéré que leurs frères musulmans se presseraient par milliers, que
les frères en islam se mettraient en marche, mais à ce jour les
musulmans n’ont pas répondu à leur appel, comme s’ils
n’entendaient pas les cris des mères pleurant leurs enfants, les
hurlements des vierges, les soupirs des orphelins ni les
gémissements des vieillards ! Beaucoup de braves gens se sont
contentés d’envoyer leurs excédents de nourriture et les restes de
leurs repas !
Mais la situation est encore plus grave et risquée, l’islam et les
musulmans en Afghanistan vivent dans une grande angoisse et
doivent affronter un grand péril.
Ce jihad béni a été mené par une poignée de jeunes gens élevés
dans l’islam, et par un groupe d’oulémas qui se sont consacrés à
Dieu. Mais cette première génération est en bonne partie tombée
sur la voie du martyre, et la seconde génération qui se présente n’a
reçu ni éducation ni orientation, n’ayant pas bénéficié du secours
de l’instruction. Ceux-là ont un besoin urgent de quelqu’un qui
vivrait parmi eux afin des les relier à Dieu, et à la Loi révélée.
Au vu de notre humble expérience et de nos lectures limitées [89] ,
nous considérons que le jihad en Afghanistan est, dans la situation
actuelle, une obligation individuelle, en personne et en argent,
comme l’ont attesté les juristes des quatre rites [90] sans exception,
ainsi que l’ensemble des commentateurs, spécialistes en hadith et
[91]
théologiens . […]
Conclusion
1. Lorsque l’ennemi pénètre dans les territoires musulmans, le jihad
devient une obligation individuelle selon tous les juristes, exégètes
et savants en hadiths.
2. Lorsque le jihad devient une obligation individuelle, il n’y a pas
de différence entre lui et la prière et le jeûne [92] , selon les trois
imams. Toutefois, les hanbalites accordent la priorité à la prière [93] .
On peut lire dans La Provende du voyageur sur les chemins menant à
la voie de l’imam Malik ? [94] : « Le jihad sur la voie de Dieu afin de
faire prévaloir Sa parole chaque année est une obligation collective,
de sorte que si certains l’accomplissent, l’obligation n’incombe plus
aux autres. Cela devient une obligation individuelle, comme la
prière et le jeûne, si l’imam [95] le déclare ainsi, ou bien si une région
est soumise à une attaque de l’ennemi. » Il est dit dans La
Confluence des fleuves [96] , de l’école hanafite : « Si l’obligation
collective est remplie par tous les hommes, alors cela devient une
obligation individuelle comme la prière. » Il est dit dans le
Commentaire [97] du hanafite Ibn Abidine (238-2) : « Lorsque
l’ennemi attaque une des frontières musulmanes, c’est une
obligation individuelle, comme la prière et le jeûne, que nul ne peut
délaisser. »
3. Le jihad étant une obligation individuelle, aucune autorisation
des parents n’est nécessaire, de la même manière qu’elle n’est pas
nécessaire pour exécuter la prière de l’aurore ou jeûner durant le
mois de Ramadan.
4. Il n’y a pas de différence entre celui qui abandonne le jihad et
celui qui rompt le jeûne du mois de Ramadan sans excuse.
5. Faire un don d’argent ne dispense personne d’accomplir le jihad
au risque de sa propre vie, quelle que soit la somme donnée. Le
devoir du jihad demeure, de la même manière qu’il n’est pas permis
de payer un pauvre afin qu’il jeûne ou prie à votre place.
6. Le jihad est un devoir qui incombe durant toute la vie, comme la
prière et le jeûne. De même qu’il n’est pas permis de jeûner une
année et de rompre le jeûne une autre année, ou bien de prier un
jour et de ne pas prier un autre, on ne peut accomplir le jihad
pendant un an et cesser pendant plusieurs années, si l’on est à
même de continuer [98] .
7. Le jihad, au risque de sa vie et avec son argent, est une obligation
individuelle en tout lieu que les infidèles ont conquis, et cela jusqu’à
ce que soit libérée toute parcelle de terre qui fut musulmane.
8. Le mot « jihad » signifie uniquement le combat armé, comme l’a
dit Ibn Rouchd [99] , ce sur quoi s’accordent les quatre imams.
9. Le sens de l’expression « sur la voie de Dieu » est le jihad, comme
l’a écrit Ibn Hajar [100] dans La Conquête [101] (22-6).
10. La phrase : « Nous sommes retournés du petit jihad (la bataille)
au grand jihad (celui de l’âme) », que certains citent comme un
hadith, n’est qu’un hadith faux et forgé, sans fondement. Ce n’est
qu’une parole d’Ibrahim Ibn Abi ‘Abla, l’un des successeurs [102] , qui
[103]
contredit les textes comme la réalité .
11. Le jihad est le sommet de l’islam, et l’on y accède par étapes :
l’exil [104] , puis la préparation [105] , puis la garde des frontières [106] ,
puis le combat [107] . L’exil est indispensable pour le jihad, car il est
dit dans le hadith authentique rapporté par l’imam Ahmad d’après
[108] [109]
Jounada (et c’est là un hadith qui remonte au Prophète ) que
« L’exil ne cessera pas tant qu’il y aura jihad » L’Ensemble des
hadiths authentiques [110] (1987).
Quant à la garde des frontières (de l’islam) afin de défendre les
musulmans, c’est un des impératifs du combat, car les batailles ne
peuvent être menées tous les jours. Un homme peut monter la
garde pendant longtemps et ne participer qu’à une ou deux
batailles durant sa vie.
12. Aujourd’hui, le jihad, au risque de sa propre vie et de son argent,
est une obligation individuelle pour tout musulman, et toute la
communauté musulmane demeurera dans le péché tant que le
dernier empan de territoire musulman n’est pas libéré des
infidèles ; personne ne peut être absout de ce péché sinon les
moujahidines.
13. Le jihad au temps du messager de Dieu (que Dieu lui accorde
Son salut et Sa bénédiction !) était de différentes sortes. La bataille
de Badr [111] fut déléguée [112] , recommandée, tandis que les batailles
du fossé et de Tabouk [113] furent des obligations individuelles pour
chaque musulman, l’entière communauté fut mobilisée. Dans le cas
du fossé, c’est parce que les infidèles avaient envahi Médine, la
terre de l’islam. Quant à la bataille de Khaybar [114] , ce fut une
obligation collective, et le messager de Dieu (que Dieu lui accorde
Son salut et Sa bénédiction !) ne permit d’y participer qu’à ceux qui
avaient été présents à al-Houdaybiyya [115] .
14. Le jihad à l’époque des compagnons et des successeurs fut
surtout une obligation collective, parce qu’il y avait eu de nouvelles
conquêtes [116] .
15. Aujourd’hui, le jihad au risque de la vie est une obligation
individuelle.
16. Dieu n’a permis à personne d’abandonner le jihad sinon les
malades, les infirmes et les aveugles, ainsi que les impubères et les
femmes qui ne peuvent connaîtrent l’exil et le jihad, ainsi que les
personnes âgées. Même les malades dont la maladie n’est pas grave,
comme les boiteux et les aveugles, peuvent se rendre dans les
camps d’entraînement [117] afin d’assister les moujahidines, leur
apprendre le Coran, leur parler et les encourager, et ils doivent le
faire ; le mieux est qu’ils viennent, comme l’a fait Abdallah ibn
Oumm Maktoum à Ouhoud [118] et al-Qadissiyya [119] .
Toute autre personne n’a aucune excuse devant Dieu, qu’il s’agisse
d’un employé, artisan, marchand ou homme d’affaires important.
Ils ne peuvent refuser de participer au jihad en personne, ni se
contenter de donner de l’argent.
17. Le jihad est un acte de dévotion collectif et toute collectivité doit
avoir un commandant [120] . L’obéissance au commandant est une
nécessité du jihad, et on doit donc s’habituer à obéir
continuellement au commandant. « Vous devez écouter puis obéir,
que cela vous soit difficile ou pas, dans les matières qui vous
plaisent comme dans celles qui ne vous plaisent pas » (hadith
rapporté par Mouslim d’après Abou Hourayra) [121] .
Notes du chapitre
[1] ↑ Dans la préface à la seconde édition, datée du 9 décembre 1988, les propres mots
d’Azzam témoignent de l’impact qu’eut ce livre sur le recrutement de volontaires arabes
pour partir combattre en Afghanistan : « Lorsque j’écrivis ce texte, il ne m’était pas venu à
l’esprit qu’il puisse provoquer une telle révolution, au point que notre nombre a décuplé. »
Le titre semble être une création d’Azzam, mais par la suite l’expression « rejoindre la
caravane » a été employée par de nombreux auteurs islamistes, comme Hamid ai-Ali ou
Abou Moussab al-Zarqawi. Elle évoque l’occasion unique de se joindre au jihad car, tel une
caravane dans le désert, il passera rapidement, et ceux qui ne s’y seront pas joints seront
abandonnés à leur sort.
[2] ↑ Vers du savant Ibn Qayyim ; voir note 77, p. 276.
[3] ↑ Cette phrase est souvent citée dans la littérature islamiste pour désigner la lâcheté.
Elle est extraite de ce hadith : « Un jour, les nations vous assiégeront de tous côtés, comme
des convives affamés autour d’une seule jatte (…) Vous serez telle l’écume du torrent, Dieu
fera que vos ennemis ne vous craindront plus, et il insinuera la faiblesse dans vos cœurs –
Qu’est-ce à dire, ô Envoyé de Dieu ? – L’amour de ce monde et l’aversion de la mort. »
[4] ↑ En arabe, [tâghût], terme coranique qui désigne dans la littérature jihadiste
« l’ennemi proche », c’est-à-dire les régimes oppressifs des pays musulmans. Le tâghût
désigne plus généralement le tyran. L’histoire du mot éclaire cependant sur les richesses
dé sens du terme. Dans la période préislamique, [tâghût] signifie une divinité, et l’un des
dérivés du terme renvoie à l’idée d’excès, d’hubris. Dans le Coran, le terme est utilisé pour
désigner indifféremment les idoles [au pluriel : tawâghît], le démon ou un magicien. Au
début de l’islam, le terme se met à désigner Satan. Plus tard, dans l’islam classique, le
[tâghût] est tout ce qui détourne du culte de Dieu, du tawhid. Les islamistes utiliseront
donc ce terme pour qualifier le pouvoir séculier dictatorial, à la fois autoritaire et idolâtre
(statolatrie des régimes populistes du XXe siècle), qui concentre tous les pouvoirs et nie
toute autre légitimité que la sienne. Une autre traduction de [tâghût] pourrait donc être
Léviathan.
[5] ↑ Le terme infidèle ([kâfir, plur. kuffâr]) désigne en premier lieu les non-musulmans,
mais il peut aussi désigner un musulman considéré par l’auteur comme impie ou apostat.
On parlera alors de [kâfir aslî] (infidèle originel) pour désigner plus spécifiquement les
non-musulmans. Le terme a la même racine que [takfîr], la pratique consistant à déclarer
un musulman apostat.
[6] ↑ Coran, 4/84.
[7] ↑ Le mot obligation ([farîda]) évoque aujourd’hui, dans la littérature jihadiste,
l’opuscule L’Impératif occulté ([al-farîda al-ghâ’iba]), publié en Égypte en 1981. Œuvre
d’Abd al-Salam Farai, il est considéré comme le vade-mecum de l’idéologie de l’organisation
égyptienne al-Jihad. C’est ce document qui légitima l’attentat contre le président égyptien
Anouar al-Sadate en octobre 1981.
[8] ↑ En arabe, [al-nidâ’], autre mot ayant acquis une connotation particulière dans la
littérature jihadiste. Plusieurs médias islamistes s’intitulent ainsi, comme le magazine
Nidâ’ al-islâm, publié en Australie à la fin des années 1990, ou le site al-Nidâ’ basé en
Arabie Saoudite, qui se fit, de 2000 à 2003, le porte-parole d’Al-Qaida.
[9] ↑ Les pieux ancêtres ([al-salaf al-sâlih]) désignent les premières générations de
musulmans, considérés comme dignes d’imitation. Voir note 31, p. 144 dans La Défense des
territoires des musulmans.
[10] ↑ L’expression « base solide » ([al-qâ‘ida al-sulba]) a récemment été interprétée par
des experts d’Al-Qaida tel Rohan Gunaratna comme un concept formulé par Azzam pour
désigner l’organisation déjà connue sous le nom d’Al-Qaida. En fait, « la base solide » est
une expression qui a été utilisée par nombre d’autres penseurs islamistes avant Azzam,
qui lui ont donné tantôt un sens abstrait, à savoir une préparation mentale empreinte de
fermeté pour répandre la cause de l’islam, tantôt dans le sens concret, c’est-à-dire un
territoire à partir duquel pourrait s’étendre la cause islamique. L’expression est
notamment utilisée pour désigner Médine, qui fut pour le Prophète et ses compagnons une
base territoriale à partir de laquelle reconquérir la Mecque. Voir à titre d’exemple, Sadiq
Amin, [al-da‘wa al-islâmiyya farîda char‘iyya wa darûra bachariyya], 1981 (disponible sur
www.tawhed.ws).
[11] ↑ Le terme coranique « les opprimés » ([al-mustad‘afûn]) est fréquemment utilisé
dans la littérature islamiste, mais il évoque surtout les théories des islamistes chiites
comme l’ayatollah Khomeini et Ali Chariati, lequel emploie ce terme pour fusionner la
théologie chiite révolutionnaire et les idées marxistes de justice sociale.
[12] ↑ La notion de martyre ([al-chahâda]) occupe une place très importante dans les
écrits d’Azzam. Bien qu’ayant été développée abondamment par la théologie médiévale,
elle est peu présente dans les écrits islamistes antérieurs à Azzam, tels que L’Impératif
occulté de Faraj. Depuis Azzam, elle est devenue un concept central de la littérature
islamiste radicale, avec les conséquences pratiques que l’on sait, les opérations suicide
étant devenues la « marque de fabrique » des groupes islamistes combattants.
[13] ↑ Coran, 8/39.
[14] ↑ Cette phrase contient un thème central des écrits d’Azzam, à savoir que le jihad est
une activité éternelle qui ne doit jamais cesser. On peut remarquer que l’auteur accuse le
lecteur qui n’y adhérerait pas de trois des termes les plus dépréciatifs du lexique
islamiste : l’impiété [kufr], la sédition [fitna] et le polythéisme [chirk].
[15] ↑ Mohammed al-Boukhari ([al-bukhârî]) (810-870), spécialiste du hadith, originaire
de Boukhara (Ouzbékistan actuel), auteur d’un corpus de hadiths connu sous le nom de
L’Authentique ([sahîh bukhârî]), le plus fiable des six recueils de hadiths canoniques et, en
tant que tel, une des sources principales du droit musulman. AI-Boukhari aurait mis seize
ans à le compiler : il compte 97 livres, 3 450 chapitres et presque 3 000 hadiths (si l’on ne
tient pas compte des redites). Il a fait l’objet de plusieurs commentaires de théologiens
prestigieux, entre autre al-Asqalan. Al-Boukhari est également l’auteur d’un [Târîkh],
collection de biographies des hommes qui figurent dans les [isnâd], chaînes des
rapporteurs de hadiths.
[16] ↑ On peut remarquer qu’il arrive à Azzam d’insérer des notes explicatives à
l’intérieur de son texte, comme s’il était conscient que certains de ses jeunes lecteurs
puissent avoir des lacunes en arabe classique.
[17] ↑ Le calife Omar ([’umar ibn al-khattâb]) est le plus prestigieux des successeurs du
Prophète à la tête de la communauté musulmane, sous le califat duquel (634-644) de
nombreux territoires furent conquis (Syrie, Mésopotamie, Iran occidental, Égypte) et
furent posées les bases de l’organisation de l’empire (création d’administrations appelées
[dîwân], d’un rôle de combattants pour le paiement des soldes, du titre de Commandeur
des croyants, fondation du calendrier islamique). Au bout de dix ans de règne, Omar fut
assassiné par un esclave.
[18] ↑ Abou Oubayda ([abû ‘ubayda ibn al-jarrâh]), compagnon du Prophète puis général
de la conquête musulmane de la Syrie. Abou Oubayda est connu, entre autres, pour avoir
tué son père parce qu’il persistait dans son polythéisme. Les noms des compagnons du
Prophète sont fréquemment adoptés comme « nom de guerre » (ou kunya) par les militants
jihadistes. Ces noms sont en général choisis en fonction des récits et des attributs associés
aux compagnons en question. Ce « nom de guerre » d’Abou Oubayda est devenu populaire
dans les milieux jihadistes, et a notamment été adopté par l’un des proches de Ben Laden,
l’Égyptien Ali al-Rachidi, dit Abou Oubayda al-Banchin ; voir note 28, p. 46 dans Oussama
ben Laden, La Tanière des compagnons.
[19] ↑ Azzam fait allusion à son rôle dans le conflit afghan, à savoir le prosélytisme et
l’instruction ; Azzam semble avoir peu participé aux combats et passé la plupart de son
temps à Peshawar à coordonner les efforts et à instruire les recrues venues de l’ensemble
du monde islamique. Dans ses écrits, il se plaint souvent que les gens venus combattre en
Afghanistan n’aient reçu dans leur pays d’origine qu’une instruction générale et une
éducation religieuse rudimentaires.
[20] ↑ La récitation du Coran ([tajwîd]) est un art qui requiert le respect de règles bien
établies, dont l’apprentissage demande du temps et de l’entraînement.
[21] ↑ Le mot « partisans » ([ansâr]) a un sens particulier dans la tradition islamique, où il
désigne les habitants de Médine qui se rallièrent au Prophète Mohammad et le soutinrent
(ce qui est le sens de la racine linguistique en arabe), après que celui-ci s’y soit installé,
ayant fui en 622 sa ville natale de La Mecque, alors gouvernée par la tribu païenne de
Qouraych. Ce dernier événement est désigné par le terme d’« Hégire », de l’arabe [hijra],
fuite. Les [ansâr] sont distingués des [muhâjirûn], les émigrés, les musulmans mecquois qui
avaient accompagné le Prophète dans son exil à Médine. L’ensemble forme les
compagnons ([al-sahâba]) du Prophète.
[22] ↑ La bataille d’Ouhoud [ubud] près de Médine, en novembre 625, revers militaire
pour les premiers musulmans contre les Mecquois, au cours duquel plusieurs combattants,
dont un oncle du Prophète, périrent.
[23] ↑ Le mot moujahidines ([al-mujâhidûn ou al-mujâhidîn]) désigne ici les groupes de la
résistance afghane qui combattirent l’occupation soviétique en Afghanistan au cours des
années 1980. Dans d autres cas, Azzam l’utilise pour désigner les Arabes ayant participé à
cette résistance. Il peut parfois aussi être employé comme nom propre pour désigner ceux
qui mènent le jihad.
[24] ↑ Azzam était basé à Peshawar mais voyageait beaucoup en Afghanistan afin de
visiter les divers camps et fronts, à la manière d’un homme politique. Il recevait aussi des
donateurs venus du monde musulman qu’il conduisait en tournées en Afghanistan.
[25] ↑ L’école hanafite est l’une des quatre écoles de jurisprudence musulmane. Elle
naquit des enseignements d’Abou Hanifa (700-767). Cette école, la plus ancienne, est
considérée comme la plus libérale parce qu’elle accorde, dans les décisions juridiques, une
place importante à la « raison » ou à « l’opinion » (contre l’interprétation littérale des
écritures), et parce qu’elle est plus tolérante envers les mœurs et coutumes locales que, par
exemple, l’école hanbalite. L’école hanafite est aussi la plus répandue, en Asie centrale et
méridionale, en Égypte, au Levant et en Turquie.
[26] ↑ Les autres écoles stipulent que le martyr tombé au combat doit être enterré dans
les vêtements qu’il portait, que son cadavre ne doit pas être lavé, que l’on ne doit pas faire
de prière funéraire, puisque son salut est assuré. Voir Abdallah Azzam, Mœurs et
jurisprudence du jihad, p. 199.
[27] ↑ Le droit musulman comprend un vaste corpus de lois concernant la conduite de la
guerre, mais aussi le traitement des prisonniers, la répartition du butin, etc.
[28] ↑ Il s’agit peut-être ici de l’Algérien Boudijemma Bounnoua, connu sous le nom
d’Abdallah Anas, qui épousa l’une des filles d’Abdallah Azzam et fait aujourd’hui partie de
la scène islamiste londonienne.
[29] ↑ Il est difficile de connaître l’identité des Arabes afghans cités ici pas Azzam, car
nous ne connaissons que leurs noms de guerre, tous empruntés à des compagnons du
Prophète et courants dans les milieux jihadistes.
[30] ↑ Ahmad Chah Massoud, chef de guerre afghan, commandant de l’une des sept
factions principales des moujahidines afghans pendant la guerre des années 1980. Il sera
connu plus tard comme le commandant de l’Alliance du Nord. Il fut assassiné le
9 septembre 2001 par des hommes de Ben Laden.
[31] ↑ Abou Assim, inconnu en dehors de ce texte, fut probablement un Arabe afghan
combattant aux côtés de Massoud.
[32] ↑ Andrab est une région du nord de l’Afghanistan.
[33] ↑ Coran, 9/39.
[34] ↑ Coran, 4/97-99.
[35] ↑ Ikrima ibn Khalid, transmetteur de hadiths du premier siècle de l’hégire, mort en
723. Ibn Abbas fut l’un des compagnons du Prophète.
[36] ↑ En 624, la bataille de Badr fut la première victoire de Mohammad sur les Mecquois,
et elle est donc un symbole de force et de victoire dans la tradition musulmane. Les
groupes radicaux d’aujourd’hui décrivent parfois une opération terroriste réussie comme
« une opération Badr ». Ainsi, début 2004, lorsque des islamistes radicaux saoudiens
diffusèrent une cassette vidéo relatant l’attaque de novembre 2003 contre un complexe
réservé aux étrangers à Riyad, ils l’intitulèrent « Le Badr de Riyad ».
[37] ↑ Azzam fait ici allusion aux lois en vigueur dans certains pays du monde musulman
comme la Tunisie ou la Turquie, où la barbe ou le voile sont interdits dans certains espaces
publics car ils sont considérés par les autorités soit comme des symboles d’appartenance
aux milieux islamistes et, donc d’opposition politique, soit comme des éléments
perturbateurs du caractère laïque de l’État.
[38] ↑ En arabe, [jâhiliyya], terme coranique désignant l’époque antérieure à l’islam. Mais
dans le lexique de Sayyid Qotb, la [jâhiliyya] signifie aussi l’époque moderne ignorant le
message de l’islam et acceptant le pouvoir d’un despote qui ne gouverne pas selon la loi
révélée. Il n’est pas étonnant de voir Azzam, issu des Frères musulmans, employer ici l’un
des concepts principaux de la théorie de Qotb.
[39] ↑ Une figure familière des régimes arabes contemporains, l’agent des [mukhâbarât]
chargé de surveiller et de réprimer la population.
[40] ↑ Voir supra, note 4.
[41] ↑ Coran, 4/97.
[42] ↑ Allusion aux versets coraniques cités en partie ci-dessus ; il s’agit aussi d’une
référence à l’Afghanistan d’alors.
[43] ↑ Azzam rejette ainsi l’argument des penseurs musulmans plus modérés selon
lesquels les textes du Coran et des hadiths parlant du jihad doivent être interprétés dans
leur contexte historique, à savoir l’affrontement entre les premiers musulmans de Médine
et les polythéistes de La Mecque, entre 620 et 630.
[44] ↑ Sayyid Qotb (1906-1966) est l’un des plus importants idéologues de l’islamisme
radical. Membre des Frères musulmans égyptiens, sa pensée se radicalisa durant son
séjour en prison sous le gouvernement de Nasser. Son livre le plus célèbre, Signes de piste
([Ma‘âlim fi al-tarîq]) (1964), posa les fondations de l’islamisme révolutionnaire et inspira
les divers mouvements qui apparurent, notamment en Égypte, dans les années 1970.
[45] ↑ Sayyid Qotb est en effet l’auteur de ce commentaire du Coran intitulé À l’ombre du
Coran ([fî zilâl al-qur’ân]) (1954).
[46] ↑ Le mot [sunna] signifie « pratique, habitude ou norme », mais désigne plus
particulièrement les faits et actes du Prophète, tels qu’ils apparaissent dans les hadiths.
[47] ↑ Mouslim ibn Hajjaj est un célèbre traditionniste et compilateur de hadith, né à
Nichapour, au nord-est de l’Iran actuel (817-875). Il parcourut, jeune, la Syrie, le Hedjaz,
l’Égypte, recueillant hadiths et traditions attribuées au Prophète. Sur 300 000 hadiths qu’il
aurait recueillis, il en conserva 4 000 dans son ouvrage intitulé L’Authentique ([Sahîh
muslim]), puisque tous les hadiths présentés y sont authentiques ([sahîh]). Ce recueil est,
avec celui d’al-Boukhari, l’un des deux Authentiques, et fait partie des six recueils
canoniques de hadith ([al-kutub al-sitta]).
[48] ↑ L’un des compagnons du Prophète.
[49] ↑ Coran, 9/41.
[50] ↑ Ce passage montre combien le texte coranique pouvait être difficile à comprendre
pour les musulmans des premiers siècles et, à plus forte raison, pour ceux des siècles
suivants.
[51] ↑ Ibn Oumm Maktoub était un compagnon du Prophète qui était aveugle.
[52] ↑ Coran, 24/61.
[53] ↑ Dans cette phrase, Azzam passe en revue les quatre principales catégories de
savants musulmans : le commentateur du Coran [mufassir], qui explique le texte
coranique, le savant en hadith ([muhaddith]), ou traditionniste, qui compile les paroles du
Prophète et étudie leur authenticité, le juriste ([faqîh]), qui étudie la jurisprudence
musulmane, et les fondementalistes ([usûlî]) spécialistes en fondements de la religion
([usûl al-dîn]) – à ne pas confondre avec « fondamentaliste ».
[54] ↑ Azzam fait justement remarquer qu’il y a eu, au cours des siècles, consensus parmi
les oulémas sur la nécessité de combattre chaque fois que le territoire musulman est
soumis à une attaque. Cependant, la jurisprudence musulmane reste vague sur la
définition du « territoire musulman ». La définition maximaliste d’Azzam (« une terre qui
fut musulmane »), qui n’est pas partagée par l’ensemble des oulémas, le mène à se faire le
promoteur de la reconquête de territoires lointains comme le sud de l’Espagne ([al-
Andalus]).
[55] ↑ Cette présentation du devoir de combattre comme s’appliquant en cercles
concentriques est classique en jurisprudence musulmane ; elle n’est pas, comme l’ont
affirmé certains commentateurs, le fait d’Azzam.
[56] ↑ En arabe, [fard ‘ayn] Voir note 45, p. 146 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[57] ↑ Le mot [mahram] signifie ce qui est interdit et désigne un parent dont les liens de
sang sont si étroits que le mariage avec lui est prohibé. Dans certains pays musulmans
d’aujourd’hui, le terme renvoie au parent mâle (le père ou le frère) qui doit accompagner
une femme dans les lieux où elle ne peut se rendre seule.
[58] ↑ En arabe, [fard kifâya]. Voir note 45, p. 146 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[59] ↑ En arabe, la [zakât], l’aumône légale, elle est l’un des cinq piliers de l’islam.
L’aumône surérogatoire s’appelle la [sadaqa].
[60] ↑ Taqiyy al-din Ahmad ibn Taymiyya (1263-1328) est un célèbre théologien et
jurisconsulte hanbalite de la période médiévale. Il se réfugia très jeune avec sa famille à
Damas, fuyant l’invasion mongole, à une période où les croisés étaient encore présents sur
le littoral levantin. C’est ce contexte politique qui structurera son imaginaire. Enseignant à
la grande mosquée de Damas, il se fit très vite connaître par ses prises de positions
polémiques, notamment sur les « innovations » introduites dans le rituel du pèlerinage, ou
contre l’Ash’arisme (principal courant théologique sunnite), les chiites, les soufis, etc.
Exhortant au jihad, il participa lui-même à plusieurs expéditions militaires (en 1303,
contre les Mongols ; en 1305, contre les chiites du Kesrawane). Il fut plusieurs fois inquiété
par les autorités pour ses avis juridiques radicaux. Arrêté à maintes reprises à Damas, au
Caire et à Alexandrie, c’est lors de ces longues périodes d’emprisonnement ou
d’assignation à résidence qu’il composa ses nombreux ouvrages, dont Le Livre de la
politique légitime ([Kitâb al-siyâsa al-char‘iyya]). Ibn Taymiyya mourut à Damas, en 1328,
en résidence surveillée. La doctrine conservatrice et rigoriste, issue de la tradition
hanbalite mais avec laquelle elle prend néanmoins ses distances, qu’il développa dans ses
écrits, connut au XXe siècle un regain de faveur par l’entremise du wahhabisme saoudien,
puis une grande influence sur l’islam politique.
[61] ↑ Cette phrase d’Ibn Taymiyya, souvent citée par les auteurs islamistes, et représente
un argument central du point de vue exprimé depuis Faraj : le jihad est le deuxième devoir
religieux, juste après la foi. Toutefois, dans cette phrase, Ibn Taymiyya n’emploie pas le
mot [jihad] mais le mot [daf‘], qui signifie « repousser » ou « défendre ». Voir notamment
Ben Laden, « Expulsez les Juifs et les croisés ».
[62] ↑ Cette liste est celle des batailles auxquelles le Prophète participa en personne. C’est
là toute la spécificité de l’islam par rapport aux autres religions monothéistes : son
fondateur n’est pas un simple prêcheur, mais également un homme d’État et, comme on le
voit ici, un chef militaire.
[63] ↑ Voir supra note 36.
[64] ↑ Voir note 22, p. 156 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[65] ↑ Cette bataille, qui eut lieu en 626, opposa les musulmans, alors basés à Médine, aux
hommes de la tribu de Bani Mustaliq, menés par al-Harith ibn Dirar. Elle est décrite dans
l’historiographie comme une [ghazwa], puisqu’elle se solda par la victoire des musulmans,
qui se saisirent des femmes et des enfants de leurs ennemis. Parmi les captifs, se trouvait
une jeune femme du nom de Jouwairiyya, que le Prophète épousa.
[66] ↑ La bataille du fossé (627) [al-khandaq] eut lieu devant Médine où les musulmans,
s’attendant à une attaque des Mecquois, creusèrent une tranchée ; mais, au bout de quatre
semaines, les Mecquois se retirèrent. L’histoire de la bataille évoque surtout l’épisode de la
trahison de deux tribus juives qui, en plein milieu de la bataille, rompirent leur alliance
avec les musulmans et se rangèrent du côté des Qoraichites.
[67] ↑ Nom de l’une des tribus juives de Médine, qui participa à la bataille du fossé en
dépit d’un traité antérieur avec les musulmans. En réponse à cette tranison, les
musulmans décidèrent d’exécuter les 600 hommes de la tribu, et se répartirent entre eux
les femmes et les enfants. Voir Montgomery Watt, Mahomet, Paris, Payot, 1989, p. 465-468.
[68] ↑ Khaybar était une oasis au nord de Médine sur laquelle une expédition contre les
tribus juives qui l’habitaient fut menée, en juin 628.
[69] ↑ La conquête de La Mecque par Mohammad et les musulmans eut lieu en 630.
[70] ↑ Après la conquête de La Mecque, les musulmans combattirent la tribu des
Hawazine à la bataille de Hounayn.
[71] ↑ Prolongement de la bataille de Hounayn.
[72] ↑ Tribu juive de Médine qui fut exterminée par les musulmans après son alliance
avec les Mecquois.
[73] ↑ Ce calcul se présente comme une statistique visant à convaincre le lecteur que le
Prophète envoya continuellement des expéditions militaires, manière supplémentaire de
le persuader que le jihad guerrier est un idéal auquel doivent aspirer les musulmans. Mais
il faut préciser que c’est là une vision traditionnelle de la vie du Prophète puisque l’une
des premières biographies de Mohammad, œuvre d’al-Waqidî (mort vers 823), s’intitule Le
Livre des expéditions ([kitâb al-maghâzî]).
[74] ↑ En écho à ce passage, voir Ayman al-Zawahiri, Cavaliers sous l’étendard du
Prophète, « Vers l’établissement d’une base fondamentaliste au cœur du monde
musulman », p 297.
[75] ↑ En arabe, l’adjectif [islâmî] peut signifier « islamique » ou « islamiste », ce qui pose
quelquefois un problème de traduction et d’interprétation.
[76] ↑ Dans ce passage, Azzam présente la vision stratégique qui va le distinguer des
idéologues précédents. Il défend l’idée que le mouvement islamiste ne pourra continuer à
exister sous forme d’organisations secrètes sur le territoire d’États oppresseurs, car il a
besoin d’un territoire sur lequel constituer une force militaire. Il considère l’Afghanistan
comme la « base solide » ([al-qâ‘ida al-sulba]), de son combat. Il s’est inspiré du modèle de
Médine, qui était la base territoriale du Prophète dans son combat contre les Mecquois.
Dans les années 1990, Ben Laden et al-Zawahiri réussirent à établir leur réseau terroriste
mondial en utilisant le concept stratégique d’« entraînement militaire sur le terrain »,
inspiré d’Azzam, en Afghanistan. Si ce dernier avait une approche stratégique plus
conventionnelle de la reconquête des terres musulmanes, l’idée sous-jacente était la
même : établir une « base solide » et s’en servir pour fournir à de jeunes musulmans une
« éducation au jihad ». Azzam développa cette notion dans un article du magazine Al-Jihâd
intitulé « La base solide », [al-qâ‘ida al-sulba], paru en avril 1988. Le terme pourrait être à
l’origine du nom du réseau Al-Qaida, mais il est clair qu’Azzam y parle de territoire, non
d’organisation.
[77] ↑ Terme coranique désignant à l’origine la « communauté bien guidée » ; désigne ici
tous les musulmans du monde considérés comme une seule « communauté ».
[78] ↑ Symboles des deux empires qui se partageaient le Proche-Orient avant la conquête
musulmane : l’empire perse au nord-est de l’Arabie en la personne de Chosroès, le dernier
empereur perse, et au nord-ouest, l’empire byzantin en la personne de « César » ; [qaysar]
est le nom générique donné en arabe aux empereurs romains, puis byzantins.
[79] ↑ Azzam est-il conscient de l’ironie de cette affirmation qui est aussi révélatrice de
l’intelligence politique d’Omar pour se débarrasser de ces « éléments douteux » ?
[80] ↑ Toulayha ibn Khouwaylid était un apostat qui se déclara prophète. Battu par
Khalid ibn al-Walid, il se reconvertit à l’islam et mourut au combat en Perse, en 642.
[81] ↑ La victoire d’al-Qadissiyya (au sud du territoire de l’Irak moderne) est considérée
comme ayant scellé le sort de l’empire sassanide.
[82] ↑ Saad Ibn Abi Waqqas, réputé avoir joué un rôle important dans les grandes
batailles contre les Perses, notamment celle d’al-Qadissiyya et la prise de Ctésiphon, alors
capitale de l’empire perse.
[83] ↑ C’est une critique indirecte mais claire de la stratégie suivie par de nombreux
groupes islamistes, notamment le groupe égyptien Al-Jihad, qui croyaient alors qu’un État
islamique pouvait être établi par un coup d’État. L’expression « jihad populaire général »
et le « mouvement jihadiste populaires » qu’Azzam appelle de ses vœux représentent une
force potentiellement plus importante que l’avant-garde que les groupes jihadistes
égyptiens tentaient de former en se fondant sur les écrits de Sayyid Qotb.
[84] ↑ Il est notable qu’Azzam parle de société islamique et non d’État islamique, l’une des
nombreuses indications que le concept d’État-nation est pratiquement absent de la pensée
politique d’Azzam, ce qui le distingue des autres islamistes, notamment égyptiens, pour
lesquels l’État-nation a toujours eu son importance.
[85] ↑ Al-Miqdam ibn Madi Karib fut un rapporteur de hadith et l’un des compagnons du
Prophète.
[86] ↑ Parmi les merveilles ([karâmât]) accordées au martyr après sa mort, figurent les
soixante-deux houris ([al-hûr]) qui l’attendent au Paradis. Ces jeunes vierges d’une
extraordinaire beauté sont un élément important de l’imaginaire du martyre dans la
tradition islamique.
[87] ↑ Le 27 avril 1978 a eu lieu à Kaboul le « Inqilab-é-Saour » (la Révolution d’avril),
coup d’État communiste qui fit suite à des mois de troubles. Le palais présidentiel fut
attaque et le président Daoud, ainsi que plusieurs de ses proches, furent tués. Le 1er mai
suivant, Nour-Mohammed Taraqi fut désigné président du Conseil révolutionnaire. Pour
l’auteur, cette date marque l’entrée de l’Afghanistan dans le temps des tragédies et des
malheurs.
[88] ↑ Les textes d’Azzam utilisent parfois un vocabulaire très cru pour évoquer la
souffrance des musulmans aux mains des ennemis. Là encore, le but visé est de galvaniser
le lecteur.
[89] ↑ La modestie, dont fait ici preuve Azzam, est considérée comme une vertu très
importante pour les oulémas musulmans.
[90] ↑ Il s’agit des quatre écoles de jurisprudence islamique : chafiite, malékite, hanafite
et hanbalite.
[91] ↑ En arabe, [al-mufassirûn], [al-muhaddithûn] et [al-usûliyyûn] : voir supra, note 53.
[92] ↑ La prière ([al-salâtl) et le jeûne ([al-sawm]) comptent parmi les cinq piliers de
l’islam, et représentent donc aussi des obligations individuelles.
[93] ↑ Chez les sunnites, le terme « imam » désigne chacun des fondateurs des quatre
principales écoles juridiques islamiques. Il s’agit de l’imam Malik, l’imam Abou Hanifa,
l’imam al-Chafii et l’imam Ahmad (Ibn Hanbal). Dans ce contexte, les « trois imams »
désigne les trois premiers, Ibn Hanbal étant mentionné dans la phrase suivante.
[94] ↑ En arabe, [Bulghat al-sâlik li-aqrab al-masâlik fî madhhab al-imâm mâlik].
[95] ↑ Cette incise introduit un argument souvent utilisé par les penseurs modérés pour
contrer les appels au jihad des plus militants : s’il n’y a plus désormais de califat ni donc
d’imam, il n’y a en conséquence plus personne pour déclarer le jihad, qui est repoussé sine
die.
[96] ↑ En arabe, [Majma‘al-anhâr].
[97] ↑ Commentaire ([hâchia]) d’Ibn Abidine (1736-1784) intitulé [Radd al-muhtâr ‘alâ al-
durr al-mukhtâr]. Voir aussi la note 41 sur Ibn Abidine dans Abdallah Azzam, La Défense
des territoires musulmans.
[98] ↑ Azzam présente le jihad comme une vocation, un geste qui doit être poursuivi
éternellement, sans se soucier des raisons qui sont à l’origine de sa déclaration.
[99] ↑ Ibn Rouchd, Abd al-Walid (Averroès), est un grand savant religieux et théologien
andalou né à Cordoue en 1126 et mort à Marrakech en 1198. Médecin et philosophe de
cour de plusieurs califes Almohades, il a composé des commentaires célèbres de l’œuvre
d’Aristote, ainsi que des traités tentant de concilier la religion et la raison (dont le fameux
Traité décisif). Sa présence dans un texte d’Azzam ne doit pas étonner : bien que critiquée
sur quelques points de sa philosophie (éternité de la création, par exemple), son œuvre de
juriste est dans la droite ligne du sunnisme orthodoxe (il ne faut pas oublier qu’il fut
philosophe de cour des Almohades, dynastie très rigoriste).
[100] ↑ Il s’agit d’Ibn Hajar al-Asqalani, juriste égyptien du XVe siècle (1372-1449).
Jusqu’en 1400, date de son retour définitif de Syrie, il voyage dans tout le Proche-Orient et
dans la péninsule Arabique (particulièrement au Yémen) pour étudier auprès de maîtres
importants. Grand juge d’Égypte pendant deux décennies, il fut plusieurs fois démis puis
rappelé à son poste selon les aléas de la politique. Il est surtout resté connu comme
spécialiste du hadith. Auteur d’un commentaire de L’Authentique ([Sahîh]) de Boukhari, de
plusieurs sommes biographiques portant sur les collecteurs et les rapporteurs de
traditions et de dits du Prophète, il a fait la synthèse des connaissances sur le sujet et reste
la principale référence en la matière.
[101] ↑ [Al-Fath] désigne en abrégé [Fath al-hârî fî charh sahîh al-hukhârî], commentaire
de L’Authentique d’al-Boukhari par Ibn Hajar al-Asqalani (voir note précédente).
[102] ↑ En arabe, [ahad al-tâbi’în], terme qui désigne les deuxième et troisième
générations de musulmans, après les compagnons du Prophète. Ibrahim ibn Abi Abla (679-
769) est un transmetteur de hadith appartenant à cette troisième génération. Comme on le
sent ici dans l’emploi des termes, la distance qui le sépare de l’époque du Prophète justifie
la très grande méfiance d’Azzam à l’égard de ses transmissions. Quant au hadith ici cité, on
le trouve notamment, rapporté par Ibrahim ibn Abi Abla, dans le recueil de hadiths d’al-
Nasa’i (mort en 915), l’un des six recueils canoniques (mais qui n’a pas l’importance de
ceux d’al-Boukhari et Mouslim).
[103] ↑ Dans ce passage d’une grande importance, Azzam réfute l’argument
fréquemment formulé par les penseurs musulmans « modérés » pour contrer
l’interprétation strictement militaire du mot jihad par les radicaux, selon lequel il existe
une distinction entre un « petit jihad » ([al-jihâd al-asghar]) et un « grand jihad » ([al-jihâd
al-akbar]). Cette opinion s’appuie sur un hadith dans lequel le Prophète déclare, au retour
d’une bataille : « Nous sommes retournés du petit jihad (la bataille) au grand jihad (celui
de l’âme) » – à savoir la lutte contre ses propres désirs –, cherchant ainsi à valoriser le sens
spirituel du terme. Azzam, à la suite de Faraj dans L’Impératif occulté et d’autres islamistes
radicaux, estime que ce hadith est faux. Pour Azzam, pas de doute : le jihad implique le
combat physique.
[104] ↑ En arabe, [hijra]. Dans ce paragraphe, Azzam décrit les stades du jihad. L’idée
d’émigration ou d’exil va de pair avec ridée que le jihad ne peut être mené à l’intérieur
d’États oppressifs, et que le mouvement islamique doit construire sa propre force sur une
base territoriale. Mais s’exiler, c’est aussi imiter l’exemple du Prophète.
[105] ↑ En arabe, [i‘dâd], c’est-à-dire la préparation au combat. L’importance de la
préparation militaire pour les moujahidines fut décrite dans l’une des œuvres les plus
importantes de la, littérature jihadiste, Le Pilier de la préparation au combat ([al-‘umda fi
i‘dâd al-‘idda]), de l’Égyptien Abd al-Qadir ibn Abd al-Aziz, idéologue du Jihad islamique,
vers la fin des années 1980.
[106] ↑ En arabe, [ribât]. Faire le [ribât] signifie garder les frontières du territoire
musulman où les bases arrières des moujahidines. Ceux qui font [ribât] sont appelés [al-
murâbitûn], mot à l’origine du nom de la dynastie berbère des Almoravides, qui régna sur
l’Afrique du Nord aux XIe et XIIe siècles.
[107] ↑ En arabe, [qitâl] signifie « se battre » ou « tuer ».
[108] ↑ Jounada ibn Abi Oumayya al-Azdi, transmetteur de hadith et conquérant de
Rhodes.
[109] ↑ En arabe, [marfû‘]. Un hadith est dit [marfû‘] lorsqu’il remonte à une narration du
Prophète, par opposition à un hadith [mawqûf], qui ne remonte qu’à une narration de l’un
de ses compagnons.
[110] ↑ En arabe, [Al-sahîh al-jâmi‘].
[111] ↑ Voir supra, note 63.
[112] ↑ Au sens où elle fut un devoir collectif ([fard kifâya]) pour la communauté, ce qui
correspond à la règle puisqu’il s’agissait d’attaquer et non de se défendre.
[113] ↑ Expédition des musulmans pour affronter les Byzantins, au nord du Hedjaz, en
630.
[114] ↑ Voir supra, note 68.
[115] ↑ Expédition des musulmans vers La Mecque qui s’acheva par un traité avec les
Mecquois, en mai 628. Par la suite, le traité fut rompu par la conquête de La Mecque.
[116] ↑ Le mot « conquêtes » ([futûhât]) signifie ouverture et implique avant tout l’idée
d’acquisition territoriale.
[117] ↑ Les camps d’entraînement ([mu‘askarât al-tadrîb]) constituent, pour Azzam, un
élément central de « la base solide » ([al-qâ‘ida al-sulba]) qu’il chercha à établir pour la
mouvance islamiste en Afghanistan.
[118] ↑ Voir note 64 supra.
[119] ↑ Voir note 81 supra.
[120] ↑ En arabe, [amîr]. Cette insistance sur l’obéissance absolue au chef ([amîr]), étayée
sur un hadith, illustre le caractère paramilitaire de ces organisations. Le serment
d’allégeance ([bay‘a]) et donc d’obéissance absolue en est un élément important. Voir
l’introduction au texte d’al-Zarqawi.
[121] ↑ Compagnon du Prophète, mort en 678, l’une des principales sources du hadith.
[122] ↑ La place qu’occupe l’Afghanistan dans l’imaginaire islamiste provient aussi du fait
qu’il est l’un des seuls pays musulmans – malgré sa position au cœur du « grand jeu »
opposant au XIXe siècle Russes et Britanniques – à n’avoir jamais été formellement
colonisé. Les Anglais l’occupèrent deux fois brièvement, à la suite des guerres anglo-
afghanes de 1838 et 1878, mais en furent chaque fois très rapidement chassés.
[123] ↑ Voir supra, note 25.
[124] ↑ Ce point est souligné par Azzam à plusieurs reprises dans ses écrits. La cause du
« jihad » est donc bien supérieure, à ses yeux, aux divergences doctrinales entre écoles.
[125] ↑ Il s’agit du [jawâz ma lâ yajûz], « la permission de ce qui est prohibé » dans
certaines circonstances. Ces dérogations à la norme sont typiques de la pensée téléologique
qu’on retrouve chez les malékites (Malik) et les hanbalites (Ibn Hanbal, Ibn Taymiyya).
[126] ↑ Al-Nasa’i (mort en 915) est l’auteur, comme al-Tirmidhi, de l’un des six livres
canoniques de hadith ([sunan al-nasâ‘î]).
[127] ↑ Mohammad ibn Abdallah al-Hakim (mon en 1014) est l’un des premiers grands
noms de la science du hadith ([mustalah al-hadîth]), discipline dont l’objectif est la mise en
place d’une méthode systématique permettant l’authentification et la classification des
hadiths. Son ouvrage de référence est La Connaissance des sciences du hadith ([ma‘rifat
‘ulûm al-hadîth]).
[128] ↑ Chams al-Din Abou Abdallah Mohammad ibn Ahmad al-Dhahabi (mort en 1347)
est connu pour ses recueils de biographies des rapporteurs des traditions rassemblées
dans les six recueils canoniques.
[129] ↑ Durant les années 1980, la réception des volontaires arabes en Afghanistan eut
lieu de manière directe, sans l’intervention des services de sécurité. Entre 1996 et 2001,
lorsque Ben Laden et Al-Qaida dirigèrent des camps d’entraînement en Afghanistan, les
choses se passaient de manière similaire mais avec plus de discrétion. Des volontaires
venus de l’Occident se rendaient jusqu’à Istanbul puis téléphonaient à Peshawar pour
indiquer leur date d’arrivée, après quoi ils se rendaient à Peshawar et y appelaient un
autre numéro pour que l’on vienne les chercher, sans que jamais un nom ne soit prononcé.
Extraits de Mœurs et jurisprudence du
jihad [1]
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Définition du martyr
1/ Chez les chafiites : on trouve, dans L’Ensemble, commentaire du
Raffiné : « Le martyr est celui dont on ne lave pas le cadavre et sur
lequel on ne fait pas de prière funéraire : c’est celui qui est mort en
combattant contre les infidèles, qu’il ait été tué par un infidèle, par
l’arme d’un musulman malencontreusement, que son arme se soit
retournée contre lui, qu’il ait fait une chute de cheval, qu’une
monture l’ait tué d’une ruade, que les montures des musulmans ou
d’autres l’aient piétiné, qu’il ait été atteint d’une flèche envoyée par
un musulman ou un infidèle, qu’il ait été trouvé mort après la
déclaration de guerre sans savoir la cause de sa mort, qu’il y ait sur
lui une trace de sang ou pas, qu’il soit mort sur le champ ou après
un certain temps avant la fin de la guerre, qu’il ait mangé, bu et fait
son testament ou pas ; tout cela est établi chez nous, cela a été
décrété par al-Chafii. »
2/ Chez les hanafites : on trouve, dans Le Commentaire d’Ibn
Abidine [40] (2/247) : « Le martyr est tout adulte musulman pur qui a
été tué injustement, sans que le prix du sang fût payé, et qui n’a pas
été emporté blessé hors du combat. »
Notes du chapitre
[1] ↑ Dans l’introduction de ce texte, Azzam écrit : « Voici quelques paragraphes sur la
jurisprudence du jihad que j’avais écrit lorsque le jihad était oublié de tous, quand les
versets de lieu appelant à combattre les impies étaient expliqués comme des appels à
prêcher l’islam par la parole et la plume, lorsque le combat était devenu un phénomène
étrange aux yeux des musulmans. Je les avais écrits avec l’espoir que Dieu accepterait cette
tentative de rendre au jihad sa place naturelle au moins dans l’esprit des musulmans et
dans leur façon de penser, même si la réalité pratique dans laquelle ils vivent est très
éloignée du jihad pratiqué, comme de l’observance de la loi révélée » (Introduction).
[2] ↑ L’écriture ne notant, dans l’usage courant, qu’une partie des voyelles, il y a parfois
une indétermination sur la prononciation et le sens de certains mots, comme c’est le cas
pour [juhd] et [jahd].
[3] ↑ Coran, 24/53.
[11] ↑ Sur Ibn Hajar al-Asalani, juriste égyptien du XVe siècle (1372-1449), voir note 100, p.
174 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[12] ↑ Azzam rappelle l’argument de Sayyid Qotb dans Signes de piste, décrivant les
« obstacles matériels » mis en place par les systèmes politiques actuels qui empêchent
l’établissement d’une société islamique ; des obstacles qui, selon Qotb, doivent être abattus
par la force. Voir note 44, p. 162 sur Sayyid Qotb dans Abdallah Azzam, Rejoins la
caravane !
[13] ↑ En arabe, [al-qatl wa al-qitâl], association et allitération facilitées par le fait que les
deux mots sont issus en arabe de la même racine.
[14] ↑ Il s’agit de la concurrence des trois légitimités en vigueur au Moyen-Orient : la
première, tribale (« les regroupements tribaux ») ; la seconde, capitaliste (« les hommes
d’argent ») ; la troisième enfin, religieuse, qu’Azzam appelle à voir triompher sur les deux
précédentes.
[15] ↑ Coran, 8/39. Le terme arabe pour « sédition » est [fitna].
[16] ↑ Non seulement l’auteur joue sur les deux sens du mot [par], feu et enfer, mais il
emploie un autre nom de l’enfer en arabe, [al-jahîm]. Le terme [jâhiliyya] désigne la
« barbarie » anté-islamique.
[17] ↑ Ali, cousin et gendre du Prophète, qui deviendra le quatrième calife de l’islam.
[18] ↑ Sur la bataille de Khaybar, voir note 68, p. 166 dans Abdallah Azzam, Rejoins la
caravane !
[19] ↑ Cette interdiction de combattre sans le déclarer au préalable est à l’origine de la
prolifération des déclarations de guerre, lettres à l’ennemi et exposés idéologiques
caractéristiques des groupes jihadistes. Par là, les militants s’assurent que l’ennemi a été
averti et qu’il a eu le temps de se repentir. Voir Ben Laden, « Message au peuple
américain », p. 101, ou la lettre envoyée par le GIA algérien à Jacques Chirac pour qu’il se
convertisse à l’islam.
[20] ↑ D’où les déclarations casuistiques des mouvements jihadistes pour justifier des
attaques qui visent des civils (par exemple les déclarer responsables, puisqu’en
démocratie, toute décision gouvernementale serait en partie imputable à chaque membre
de la société).
[21] ↑ Coran, 9/4.
[22] ↑ Abou Daoud est un célèbre traditionniste, auteur d’un des six recueils canoniques
de hadiths (voir note 30, p. 144).
[23] ↑ Mohammad al-Sarkhassi est un juriste hanafite, mort en 1090.
[24] ↑ C’est ce qui amena certains islamistes radicaux à justifier le meurtre des sept
moines catholiques du monastère Notre-Dame de l’Atlas à Tibehirine, en Algérie, lesquels
furent enlevés le 27 mars 1996, et dont on découvrit les têtes tranchées le 30 mai. Le
Groupe Islamique Armé fut alors accusé de ce meurtre, mais des informations ultérieures
mettent l’accent sur une possible implication des autorités algériennes.
[25] ↑ Une illustration historique de cette situation fut l’attitude de Saladin au soir de la
bataille de Hattin, que son armée remporta contre l’armée des croisés, le 4 juillet 1187, en
Galilée. Après s’être vengé personnellement de Renaud de Châtillon, seigneur de Kérak,
qu’il considérait comme parjure et dangereux, Saladin décida du sort des moines-soldats,
les Hospitaliers et les Templiers, au nombre de plusieurs centaines : leur exécution
massive, lorsqu’ils avaient refusé la conversion à l’islam qu’on leur avait proposée, fut
d’ailleurs confiée à des religieux qui accompagnaient l’armée. Certains seigneurs furent
graciés, les combattants, réduits en esclavage. On en trouve le récit par un témoin oculaire,
dans L’Éloquent Récit de la victoire de Jérusalem du secrétaire et biographe de Saladin,
Imad al-Din al-Isfahani ([‘imâd al-dîn al-isfahânî : al-fath al-qussî fî-l-fath al-qudsî], Le Caire,
Al-dâr al-qawmiyya li-l-tibâ‘a wal-nachr, 1965, p. 86).
[26] ↑ Malik ibn Anas, le fondateur de l’école malékite (voir note 2, p. 380).
[27] ↑ Ouns ibn Malik (mort en 711), serviteur du Prophète, considéré comme l’un des
compagnons ([al-sabâba]).
[28] ↑ Dourayd Ibn al-Simma était un poète et chevalier arabe qui resta païen après
l’avènement de l’islam. Abou Amir al-Achari, un compagnon, commandait une partie des
troupes musulmanes lors de la bataille de Hounayne contre le clan des Hawazine, aux
côtés desquels combattit Dourayd Ibn al-Simma. C’est là que ce dernier fut tué.
[29] ↑ En arabe, [wa-allâh a‘lam], formule traditionnelle de modestie des oulémas.
[30] ↑ L’un des clans de La Mecque.
[31] ↑ Les voiles de la Kaaba, c’est-à-dire dans le saint des saints du sanctuaire de La
Mecque. Cet ordre aurait été prononcé après la prise de La Mecque ; les femmes en
question étaient deux « esclaves chanteuses » [jâria] qui l’avaient insulté dans le passé.
Voir Montgomery Watt, Mahomet, Paris, Payot, 1958-1959, p. 298.
[32] ↑ [al-mughnî fî charh mukhtasar al-khiraqî], œuvre du juriste hanbalite ibn
Qoudama. (voir note 11, p. 64 dans Oussama ben Laden, « Déclaration du Front Islamique
Mondial »). Ce passage figure dans le chapitre sur le jihad, où l’auteur cite en exemple
l’attitude de Mohammad envers les prisonniers de la tribu juive de Banou Qourayza, au
nombre de 600 à 700, lesquels furent exécutés.
[33] ↑ En arabe, [chahâda], littéralement « témoignage », ce qui consiste à prononcer la
phrase : « Il n’y a d’autre dieu que Dieu et Mohammad est son Prophète. »
[34] ↑ Hadith cité par al-Boukhari. Il s’agit d’Oussama ibn Zayd ibn Haritha, auquel le
Prophète aurait reproché à plusieurs reprises d’avoir exécuté un prisonnier qui avait
prononcé la profession de foi musulmane.
[35] ↑ Babrak Karmal (1929-1996) fut président du gouvernement pro-soviétique
d’Afghanistan de 1979 à 1986. Son successeur, Muhammad Najibullah (1946-1996), rut
président de 1986 à 1992. Ce dernier déclarait en 1991 à un journaliste français : « Nous
étions musulmans et le restons. Seuls les ennemis de l’Afghanistan nous accusent d’être
communistes. » Michael Barry, Le Royaume de l’insolence. L’Afghanistan 1504-2001, Paris,
Flammarion, 2002.
[36] ↑ Ces paragraphes montrent l’importance accordée au martyre par Azzam, à la
différence de ses prédécesseurs parmi les islamistes sunnites.
[37] ↑ En arabe comme en grec, les mots « témoin » et « martyr » sont tirés du même
radical. Voir F. Khosrokhavar, Les Nouveaux Martyrs d’Allah, Paris, Flammarion, 2002.
[38] ↑ Al-Nadr ibn Chumayl (740-819) : linguiste et traditionniste d’origine persane,
comme al-Azhari cité plus haut.
[39] ↑ Yahya ibn Charaf al-Nawawi (mort en 1277), juriste chafiite.
[40] ↑ Voir aussi note 41, p. 146 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires
musulmans.
[41] ↑ Il s’agit des fondateurs des quatre écoles juridiques du sunnisme. Ce passage
indique qu’il y a consensus sur la question parmi l’ensemble des courants juridiques.
[42] ↑ Ishaq ibn Rahawayh (mort en 851), célèbre traditionniste dont al-Boukhari fut
l’élève.
[43] ↑ Soufyan al-Thawri al-Koufi (715-778) est un traditionniste très respecté du second
siècle de l’hégire, actif avant la formalisation des quatre écoles.
[44] ↑ Concernant la prière funéraire pour les martyrs en Afghanistan, voir note 26, p.
158 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[45] ↑ Passage décisif dans lequel l’auteur précise bien que le titre de « martyr » est
essentiellement social, la décision sotériologique revenant à Dieu seul. Cette vision
« séculière » du jihad et du statut du martyr, malgré le paradoxe apparent, se retrouve très
souvent chez les jihadistes. Car, à la différence du « grand jihad », qui serait un parcours
personnel et intérieur, le jihad extérieur et guerrier qu’ils promeuvent ne peut être
sanctionné et valorisé que par des pairs. La publicité de l’acte du martyr se comprend
alors comme la recherche de cette reconnaissance visant l’obtention de ce statut, la
décision de Dieu ne pouvant être connue.
[46] ↑ Les deux premiers toponymes renvoient à des batailles des musulmans contre les
païens mecquois avant la mort de Mohammad et les deux suivants, à des batailles des
musulmans contre les Byzantins et contre les Perses.
[47] ↑ Région d’Arabie centrale.
[48] ↑ Othman ibn Affan, troisième calife (de 644 à 655), assassiné par un partisan d’Ali,
ce qui ouvrit la voie à la [fitna], époque de guerres civiles qui se termina par l’installation
des Omeyyades à Damas. Il est donc considéré par les sunnites comme un martyr.
[49] ↑ Abdallah ibn Omar, fils du IIe calife.
[50] ↑ Deuxième calife, assassiné en 644. Voir note 17, p. 156 dans Abdallah Azzam,
Rejoins la caravane !
Extraits de « Aux jeunes musulmans
des États-Unis » [1]
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
L ouange à Dieu seul, prière et salut sur celui après lequel il n’y a
plus de Prophète [2] !
Tout principe a besoin d’être soutenu par une avant-garde [3] , qui se
fraie un chemin vers la société au prix d’énormes dépenses et de
lourds sacrifices. Il n’est pas de dogme [4] , terrestre [5] ou céleste, qui
n’ait besoin d’une telle avant-garde dépensant tout ce qu’elle
possède pour le faire triompher, en parcourant un long et difficile
chemin jusqu’à parvenir à l’implanter dans la vie réelle, si Dieu lui
a permis d’apparaître et de se renforcer ; cette avant-garde
représente la base solide [6] de la société que nous espérons créer.
Et tout dogme, même s’il provient du Seigneur des mondes, faute de
trouver cette avant-garde qui se sacrifie et dépense tout ce qu’elle
possède pour le défendre, serait mort-né avant même de voir le
jour.
Le slogan de celui qui est porteur de ce dogme doit être : {Dis :
« Invoquez vos associés ! Usez de ruse contre moi ! Ne me faites pas
attendre ! / Oui, mon Maître est Dieu qui a fait descendre le Livre.
C’est lui qui choisit les saints} (al-‘Araf, 195/196) [7] .
Je n’avais pas saisi toute l’importance de la durée de l’éducation
mecquoise [8] avant de participer en personne au jihad afghan,
comme je le fais pour la septième année consécutive (grâce à
Dieu !) [9] . Après avoir sondé la question dans toute sa profondeur,
j’ai trouvé que la longue éducation doctrinale est le fondement et le
pilier de la société islamique, sans laquelle il ne peut y avoir de
société divine. Car sans cela, cette société ne serait qu’une structure
fragile, qui s’écroulerait au premier coup de vent ou sous la
première tempête.
J’en ai déduit une règle fondamentale pour l’établissement de la
société islamique, à savoir qu’une telle société ne peut être fondée
sans un mouvement qui ait grandi au feu de l’épreuve, et dont les
membres n’aient pas mûri dans la chaleur de l’affrontement. Ce
mouvement est la foudre qui fait éclater l’énergie de l’oumma, et
déclenche un long jihad au cours duquel ses membres assument le
rôle de chefs, de pionniers, d’imams et de guides spirituels. C’est au
cours de ce long combat que les ressources des hommes se révèlent,
que leurs énergies se déploient et que leurs positions se définissent,
que leurs chefs s’avancent pour montrer la direction et prendre les
rênes. Ce sont ces derniers, qu’au bout de longues souffrances, Dieu
renforcera, derrière lesquels il usera de son pouvoir et dont il fera
l’instrument de la victoire de sa religion. Ainsi, prendre les armes
avant de subir la longue éducation du groupe de croyants [10] serait
dangereux, car les hommes en armes se transforment vite en
factieux [11] qui mettent en péril la sécurité des gens et
empoisonnent leur vie.
Voici les principaux points de l’éducation du petit groupe de
croyants et de l’avant-garde des pionniers [12] .
1. Elle doit grandir au sein des épreuves et des calamités.
2. Ses éducateurs doivent partager la sueur et le sang durant cette
marche douloureuse ; ils doivent être l’incubateur au sein duquel
grandissent ces petits, qui ne peuvent croître sans une longue
[13]
période de soin et d’éducation .
3. Cette avant-garde doit s’élever au-dessus des vanités de ce monde,
et se distinguer par son ascétisme et sa frugalité.
4. Elle doit aussi être convaincue de sa doctrine, remplie de
l’espérance de sa victoire.
5. Elle doit persévérer et se persuader de poursuivre la lutte, aussi
longue soit-elle.
6. Les provisions pour la route sont indispensables : la prière
[14]
constante et la patience.
7. Elle doit pratiquer l’allégeance et la rupture [15] .
8. Elle doit saisir l’ampleur des complots internationaux contre
l’islam.
Il y a des raisons essentielles à une aussi longue éducation.
1. Faute d’une éducation aussi profonde, qui constitue la soupape de
sécurité de cette longue marche, les énormes sacrifices et les coûts
disproportionnés causent, avec le temps, l’ennui et le désespoir.
2. Parce qu’au cours du chemin, les tentations et les marchandages
sont continuels, mais que, plus on approche de la victoire, plus
nombreuses se font les propositions et les tentatives de dévoiement,
il faut donc que la direction soit constituée de membres solides.
3. Parce que cette direction, si Dieu la raffermit en ce monde, aura
entre ses mains des trésors et que c’est elle qui aura la garde de
l’argent du peuple musulman, de son honneur et de sa vie. Si elle
n’est pas sûre, malheur à l’oumma qu’elle dirige ! […]
Notes du chapitre
[1] ↑ Article paru dans la revue Al-Jihad, n° 41, avril 1988. Azzam va ici élaborer le
concept de base solide ([al-qâ’ida al-sulba]) qu’il avait introduit l’année précédente dans
Rejoins la caravane ! Voir p. 155.
[2] ↑ Selon le dogme musulman, Mohammad représente « le sceau des prophètes », après
lequel il ne saurait y avoir de prophétie.
[3] ↑ Le terme d’avant-garde ([talî‘a]) est le même que celui utilisé par Sayyid Qotb dans
Signes de piste (1964). Qotb, qui l’emprunte au discours marxiste en arabe, prétend que le
monde musulman a besoin d’une avant-garde à même de briser les barrières matérielles
érigées par les régimes oppressifs du monde arabe pour empêcher l’émergence d’un État
islamique. Tout au long des années 1970, le concept d" avant-garde conduisit les groupes
radicaux islamistes à suivre une stratégie révolutionnaire classique, c’est-à-dire former de
petits groupes pour s’emparer du pouvoir par des coups d’État militaires. Comme nous
l’avons vu, Azzam emploie le terme d’avant-garde dans un autre sens : selon lui, l’avant-
garde doit suivre une stratégie purement militaire, et non pas révolutionnaire.
[4] ↑ En arabe, [‘aqîda], qui peut aussi être traduit par idéologie mais désigne surtout le
dogme musulman.
[5] ↑ Le terme de « dogme terrestre » ([‘aqîda ardiyya]) désigne toutes les idéologies
séculières comme le marxisme, le capitalisme, etc.
[6] ↑ Alors que l’expression « base solide » faisait référence dans Rejoins la caravane ! à
un morceau de territoire, dans cette phrase elle fait explicitement référence à un groupe
d’hommes, à savoir l’avant-garde qui se bat pour établir la société islamique. Certains
spécialistes, dont Rohan Gunaratna (voir Al-Qaida : au cœur du premier réseau terroriste
mondial, Paris, Autrement, 2002), considèrent cet article comme le texte fondateur de
l’organisation Al-Qaida, ce qui nous semble injustifié puisque Azzam emploie cette
expression, plus bas dans le texte, pour désigner les chefs des moujahidines afghans. Nous
en concluons que « la base solide » était pour Azzam un terme assez vague et malléable, ce
qui n’empêche pas que certains Arabes afghans ait adopté ensuite le mot [al-qâ‘ida] pour
se décrire. On trouvera une bonne présentation critique de ce terme dans Jason Burke, Al-
Qaeda, Londres, Penguin, 2004.
[7] ↑ Coran, 7/195-196.
[8] ↑ L’éducation mecquoise ([al-tarbiya al-makkiyya]) fait référence à l’expérience de
Mohammad et de ses fidèles avant l’émigration ([hijra]) vers la ville de Médine, en
septembre 622. Dans la tradition musulmane, la période mecquoise de la vie de
Mohammad est généralement associée à une époque de préparation idéologique et de
clarification doctrinale, alors que la période médinoise correspond plutôt à une époque
d’application légale et d’action militaire.
[9] ↑ Si cette affirmation d’Azzam est exacte, elle permet de dater son arrivée à
Peshawar : nous savons qu’il arriva au Pakistan en 1981 et que cet article a été écrit avant
avril 1988, ce qui donnerait une date d’arrivée entre janvier et avril 1981.
[10] ↑ Le terme arabe est ici [‘usba], ce qui veut dire un petit groupe d’hommes. Azzam
emploie l’expression « le petit groupe de croyants » ([al-‘usba al-mu’mina]) comme
synonyme d’avant-gardê. Le mot [‘usba] est peu employé dans les noms de groupes
militants hormis dans le nom du groupe libanais ‘Usbat al-ansâr. Voir B. Rougier, Le Jihad
au quotidien, Paris, PUF, 2004.
[11] ↑ Le mot [‘isâbât], clans ou gangs, est de la même racine que [‘usba]. Il est intéressant
de noter que l’appel aux armes d’Azzam n’est pas inconditionnel : une longue éducation
doit précéder le port d’armes. Il y a ici une inquiétude sur le risque du jihad à se
transformer en guerre civile ([harb al-‘isâbât]), sous l’effet de la discorde ([fitna]) si les
jihadistes ne sont pas suffisamment formés.
[12] ↑ On ne saurait dire dans quelle mesure les deux expressions « le petit groupe de
croyants » et « l’avant-garde des pionniers » désignent deux catégories distinctes
d’hommes. Ce paragraphe évoque les passages de Signes de piste où Qotb préconise le
rassemblement d’une « nouvelle génération coranique ». Voir G. Kepel, Le Prophète…, op.
cit., chap. 2.
[13] ↑ Azzam envisage une infrastructure d’entraînement menée par une élite
d’instructeurs comme les camps dirigés par le Bureau des services en Afghanistan, une
approche organisationnelle qui fut appliquée, de manière professionnelle et extensive, par
Ben Laden et al-Zawahiri entre 1996 et 2001.
[14] ↑ Azzam emploie deux termes distincts : [al-salât], les prières prescrites, et [al-
nawâfil], les prières surérogatoires, ad libitum.
[15] ↑ En arabe, [al-walâ’ wal-barâ’]. Cette expression, issue de la tradition wahhabite, est
plutôt rare dans les écrits des Frères musulmans comme Azzam. Cela dénote peut-être une
influence saoudienne sur la pensée d’Azzam. Voir dans Ayman al-Zawahiri, p. 239.
[16] ↑ Dans le passage précédent, que nous n’avons pas traduit ici, Azzam décrit en détail
l’éducation prophétique de la première génération ([al-tarbiya al-nabawiyya lil-jîl al-
awwal]) en citant une longue série de hadiths décrivant la situation de Mohammad et de
ses fidèles pendant la période mecquoise.
[17] ↑ Avec Ahmad Chah Massoud, les plus importants chefs de la résistance afghane
durant les années 1980. Hormis Ahmad Chah Massoud, assassiné en septembre 2001, tous
sont encore peu ou prou seigneurs de la guerre en Afghanistan après l’élimination des
Talibans.
[18] ↑ Coran, 35/44.
[19] ↑ Azzam fait allusion à un slogan qui se répandit alors dans les cercles maghrébins, à
savoir que ce furent les islamistes et non les nationalistes laïques, tel le FLN algérien, qui
avaient été à l’origine de la libération de leurs pays de l’occupation étrangère, et que ces
derniers avaient usurpé le soulèvement originel.
[20] ↑ Dans ce texte paru au printemps 1988, soit un peu moins d’un an avant le retrait de
l’Armée rouge d’Afghanistan (15 février 1989), Azzam manifeste son inquiétude, tant
envers la « récupération » du jihad afghan par les États-Unis qui l’ont financé et équipé,
qu’envers le désintérêt du monde musulman – soulignant l’exemplarité des dirigeants
islamistes de la résistance et rappelant aux lecteurs de la revue Al-Jihad (destinée aux
arabophones) la nécessité de les soutenir coûte que coûte. L’année suivante, les conflits
dans les rangs des moujahidines, le désengagement financier américain et arabe après le
retrait soviétique, puis l’assassinat d’Abdallah Azzam, transformeront profondément la
donne, ouvrant la voie à la prolifération mondiale du jihad des années 1990, dont al-
Zawahiri sera l’idéologue par excellence.
[21] ↑ Coran, 8/73.
Chapitre III. Ayman al-Zawahiri
Introduction
Notes du chapitre
[1] ↑ Ce texte est disponible en ligne sur le site Minbar al-Tawhid wa-l-jihad
(www.tawhed.ws). Le Palestinien Abou Qatada est, avec Abou Hamza al-Masri et Omar
Bakri, l’une des figures historiques du « Londonistan », ce milieu salafiste radical qui a vu
le jour à Londres au début des années 1990. Il a été 2002 détenu à la prison anglaise de
Belmarsh d’octobre 2002 à mars 2005.
[2] ↑ Jusque dans les années 1950, les quelques magasins de Maadi appartenaient à des
Grecs, le Sporting Club était tenu par des Anglais et la population du quartier se composait
de Français, d’Allemands, d’Anglais, d’Italiens, de Syriens, de Libanais et d’Égyptiens aisés.
Cette présence à Maadi d’une population à majorité chrétienne, dans un quartier où l’on
compte plus d’églises que de mosquées, a probablement contribué à la prise de conscience
politique du jeune Ayman.
[3] ↑ Voir G. Kepel, Fitna. Guerre au cœur de l’islam, Paris, Gallimard, 2004, p. 106.
[4] ↑ Sur Sayyid Qotb et, plus généralement, sur les mouvements islamistes en Égypte à
cette époque, se reporter à G. Kepel, Le Prophète…, op. cit.
[5] ↑ Montasser al-Zayyat est un ancien membre du Jihad détenu au lendemain de
l’assassinat de Sadate, qui est devenu, à sa sortie de prison, l’avocat d’une partie des
militants jihadistes détenus dans les prisons égyptiennes. C’est en cette qualité qu’il se
posera en porte-parole de l’initiative de cessation de la violence, décidée en 1997 par les
dirigeants emprisonnés du Groupe islamique. Al-Zayyat, qui a connu Zawahiri en prison, a
rédigé un ouvrage à la fois biographique et polémique sur ce dernier, intitulé Ayman al-
Zawahiri tel que je l’ai connu ([Ayman al-Zawâhirî kamâ ‘araftuhu], Le Caire, Dar Misr al-
Mahrusa, 2002), récemment traduit en anglais sous le titre The Road to Al-Qaeda. Cet
ouvrage est l’une des sources de la présente étude.
[6] ↑ Ayman al-Zawahiri, [al-kitâb al-aswad – qissat ta‘dhîb al-muslimîn fi ‘ahd husnî
mubârak] (Le Livre noir : la torture des musulmans sous la présidence d’Hosni Moubarak),
non daté, disponible en ligne sur le site de Minbar al-tawhid wa-l-jihad (www.tawhed.ws).
[7] ↑ Lawrence Wright, « The Man Behind Bin Laden », The New Yorker, 16/09/2002, p. 16.
[8] ↑ Montasser al-Zayyat, The Road to Al-Qaeda ; The Story of Bin Laden’s Right-Hand
Man, London, Pluto Press, 2004, p. 49.
[9] ↑ C’est à cette époque en effet que l’organisation Al-Jihad devient plus connue sous le
nom d’Al-Jihad al-islami (le Jihad islamique) et que Zawahiri en prend la tête.
[10] ↑ Ibid., p. 88.
[11] ↑ Lawrence Wright, « The Man Behind Bin Laden », op. cit., p. 20. Pour l’ensemble des
théories possibles sur la mort d’Azzam, se reporter à l’introduction sur Azzam, p. 131.
[12] ↑ Jason Burke, Al-Qaeda : Casting a Shadow of Terror, op. cit., p. 79-80.
[13] ↑ Ibid, p. 124.
[14] ↑ Ayman al-Zawahiri, [Tarîq al-quds yamurr min al-qâhira] (« La route de Jérusalem
passe par Le Caire »), Al-Mujâhidûn, avril 1995. La revue Al-Mujâhidûn (Les moujahidines)
est l’organe officiel du Jihad islamique égyptien.
[15] ↑ Lawrence Wright, « The Man Behind Bin Laden », op. cit., p. 22.
[16] ↑ Pour le texte, voir p. 63.
[17] ↑ Muntasir al-Zayyat, The Road to Al-Qaeda, op. cit., p. 75-77.
[18] ↑ Lawrence Wright, « The Man Behind Bin Laden », op. cit., p. 27.
[19] ↑ Ayman al-Zawahiri, [al-hasâd al-murr – al-ikhwân al-muslimûn fi sittîn âman] (La
Moisson amère – les soixante ans des Frères musulmans), Le Caire, Matbu’at Jama’at al-
Jihad [Presses du groupe Al-Jihad], non daté (il est probable qu’il ait été composé entre
1991 et 1992).
[20] ↑ Il consacre une partie de Cavaliers sous l’étendard du Prophète à cette question.
Voir aussi Ayman al-Zawahiri, « al-Suqût » (« La chute »), Al-Mujâhidûn, n° 29, septembre
1995.
[21] ↑ Pour une analyse détaillée de l’ouvrage Cavaliers sous l’étendard du Prophète, voir
G. Kepel, Fitna…, op. cit., p. 124-130.
[22] ↑ Pour une analyse de L’Allégeance et la Rupture, ibid., p. 167-172.
[23] ↑ Dans un ouvrage intitulé [awthaq ‘urâ al-îmân] (Les Liens les plus sûrs de la foi).
[24] ↑ L’ouvrage [millat Ibrahim] (La Communauté d’Abraham), publié en 1984, fait du
dogme d’[al-wala’ wa-l-bara’] le cœur de la foi. Le titre fait référence au verset coranique
suivant : « Un beau modèle vous fut procuré en Abraham et en ses adeptes, quand ils
dirent à leur peuple : "Nous nous désolidarisons de vous et de ce que vous adorez en place
de Dieu ; nous vous renions ; qu’éclate entre vous et nous l’inimitié, la haine, à jamais,
jusqu’à ce que vous croyiez en Dieu dans Son unicité" » (Coran, LV-4).
[25] ↑ Saoud al-Sarhan, [al-walâ’ wa-l-barâ’ : al-idyûlujia al-jadîda li-l-harakât al-islâmiyya]
(L’Allégeance et la Rupture : nouvelle idéologie des mouvements islamistes), np, nd.
Extraits de La Moisson amère. Les
soixante ans des Frères musulmans [1]
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Notes du chapitre
[1] ↑ Ce texte fut rédigé entre 1991 et 1992, alors qu’al-Zawahiri se trouvait en
Afghanistan.
[2] ↑ Il s’agit ici de la conclusion de l’ouvrage.
[3] ↑ Le dogme de « l’allégeance et de la rupture » ([al-walâ’ wa-l-barâ’]) fit ensuite l’objet
d’un livre d’al-Zawahiri publié en décembre 2002, dont un extrait est présenté plus loin.
[4] ↑ Le [tawhîd] est la croyance en l’unicité de Dieu et sa proclamation au moyen de la
profession de foi musulmane, dite [chahâda], dont la première partie est : [achhadu alâ
illâha illâ-llâh] (Je témoigne qu’il n’y a de dieu que Dieu). Dans le Coran, la sourate qui
commence par : {Dis : « Lui, Dieu est Un ! ») est appelée la sourate du [tawhîd]. Bien que
l’unicité de Dieu ne soit que l’un des attributs de la divinité, elle finit par en être
considérée par certains oulémas sunnites, notamment ceux de la tradition hanbalite,
comme l’attribut central. Plusieurs mouvements dans l’islam liés à cette tradition se sont
proclamés [muwahhidûn], « ceux qui affirment le [tawhîd] ». Les Almohades ([al-
muwahhidûn]) au Maroc, puis plus tard les wahhabites d’Arabie, permettront de former
des États à partir de ce dogme central, qui est aujourd’hui repris par les mouvements
d’inspiration salafiste pour lutter contre ce qu’ils considèrent comme l’idolâtrie de la
démocratie et de ses institutions. Al-Zawahiri considère en effet que ces institutions sont
contraires à l’islam en ce qu’elles dérogent à l’unicité de la direction du monde.
[5] ↑ L’accusation de gouverner en dépit de ce que Dieu a révélé ([al-hukm bi-ghayri mâ
anzala allâh]) occupe une place centrale dans l’appareil de délégitimation des pouvoirs en
place construit par les idéologues islamistes depuis Abou al-Ala al-Mawdoudi et Sayyid
Qotb.
[6] ↑ L’expression [la hukma illâ lillâh], « le pouvoir revient à Dieu seul », est le pendant
de l’accusation précédente. C’est elle qui est à l’origine, chez Abou al-Ala al-Mawdoudi et
Sayyid Qotb, du principe-clé de [hâkimiyya], ou souveraineté (voir note 55, p. 150 dans
Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans), qui ne doit aller qu’à Dieu. Le mot
[hukm], employé dans les deux versets suivants, est néanmoins polysémique : on peut le
traduire par « pouvoir » ou par « jugement ». En conséquence, certains oulémas ont, à
l’inverse de Qotb, privilégié la seconde signification et compris le verset comme signifiant,
non pas « Le pouvoir revient à Dieu seul », mais « Le jugement revient à Dieu seul ».
[7] ↑ Coran, 12/40. Seule la fin du verset est citée.
[8] ↑ Coran, 18/26. Seule la fin du verset est citée.
[9] ↑ Le terme [cha’b], traduit par « peuple », a une connotation péjorative dans le
discours islamiste contemporain. Il désigne à l’origine la tribu, souvent sédentaire, ou tout
groupement humain qui a des liens territoriaux plutôt que familiaux. Au IXe siècle, le
mouvement dit de la [chu‘ûbiyya] (mot formé sur la même racine que [cha‘b]), mené
notamment par les Perses, en appella à l’égalité entre musulmans, Arabes et non-Arabes,
ce qui provoqua des troubles graves en Mésopotamie. Aussi le terme gardera-t-il une
connotation négative d’appel au séparatisme dans la nation islamique. La notion de peuple
au sens moderne a été introduite avec la [nabda], renaissance arabe du XIXe siècle, par
certains réformateurs politiques arabes (Adib Ishaq, Soulayman al-Boustani). Pour les
islamistes, elle vient s’ajouter à d’autres notions comme [watan], patrie, accusées d’avoir
contribué à la destruction de l’oumma, la nation islamique, d’autant plus que [cha‘b] est un
terme fétiche des groupes d’extrême gauche en général. Pour un Égyptien, la référence est
d’autant plus douteuse que [cha‘b] fut le nom donné, cyniquement, par l’inamovible
Premier ministre égyptien, Ismaïl Sidki, à son parti et à son journal, instruments aux
mains des Anglais en lutte contre les forces nationalistes, dans les années 1930.
[10] ↑ Puisque, selon le dogme de l’unicité de Dieu ([tawhîd]), Dieu n’a pas d’associés
([charîk]). Païen se dit, en arabe, sur la même racine : associationniste ([muchrik]).
[11] ↑ Coran, 42/21. Seul le début du verset est cité.
[12] ↑ Voir al-Zawahiri, L’Allégeance et la Rupture, p. 311.
[13] ↑ Les idées de constitution ([al-dustûr]) ou de droit positif ([al-qawânin al-wad‘iyyal)
sont rejetées par al-Zawahiri, d’abord parce qu’elles équivalent à ne pas se limiter à la loi
de Dieu et à accorder aux hommes un droit à légiférer – comme il l’explique dans le point
précédent –, mais aussi, comme nous le voyons ici, parce que ce sont des conceptions
occidentales, dont l’adoption vaudrait allégeance aux impies. La position des Frères
musulmans sur ces questions diffère largement de celle d’al-Zawahiri, ceux-ci ne voyant
pas de contradiction entre l’application de la loi islamique ([charî‘a]), qu’ils réclament, et
l’adoption de « lois humaines » sur les questions où la loi de Dieu est suffisamment vague
pour laisser une place à l’interprétation.
[14] ↑ De la traduction du terme [awliyà’], pluriel de [walî], dépend l’interprétation de ce
verset : « ami », « allié » ou « protecteur ». Ainsi, un autre traducteur du Coran en français,
Jacques Berque, écrit : « Tu vois beaucoup d’entre eux nouer des liens de protection avec
les dénégateurs. » J. Berque, Le Coran. Essai de traduction, Paris, Albin Michel, 1997.
[15] ↑ Coran, 5/80,81.
[16] ↑ Pour une présentation de Sayyid Qotb (1906-1966), voir note 44, p. 162 dans
Abdallah Azzam, Rejoins la caravane ! et l’introduction sur al-Zawahiri p. 223.
[17] ↑ Une autre de ces personnalités est le Frère, musulman syrien, et compagnon de
route de Sayyid Qotb, Marwan Hadid qui, à son retour d’Égypte en Syrie en 1966, prêcha
l’insurrection armée contre le « pouvoir apostat » du parti Baath. En 1973, il est mis en
prison, où il mourra dans des circonstances troubles. Il sera, de manière posthume, le
principal inspirateur du jihad lancé par une partie des Frères musulmans syriens contre le
régime en place à partir de 1974, qui aboutira à l’insurrection de Hama et à sa répression
en 1982. Voir ci-dessus, note 2, p. 119.
[18] ↑ Le [tâghût] désigne ici le tyran. Voir note 4, p. 154 dans Abdallah Azzam, Rejoins la
caravane !
[19] ↑ Hassan al-Houdaybi est le deuxième guide suprême des Frères musulmans,
succédant au fondateur Hassan al-Banna en octobre 1951. C’est lui qui, en 1969, rompt
officiellement avec la pensée de Sayyid Qotb, telle que développée dans Signes de piste, en
rédigeant l’ouvrage Prédicateurs… et non pas juges. Il y prêche un retour à la ligne
politique définie par al-Banna, en insistant notamment sur "importance de la prédication
([da‘wa]).
[20] ↑ La position des Frères musulmans n’a jamais été aussi claire sur cette question que
ne semble le dire al-Zawahiri. Hasan al-Banna, le fondateur du mouvement, se disait par
exemple opposé au pluralisme politique, accusé de diviser l’oumma. Dans le même temps,
il est vrai que les Frères n’ont pas hésité, depuis l’époque de Banna, à présenter des
candidats aux élections législatives (Banna lui-même a été candidat), reconnaissant de fait
implicitement la légitimité du système parlementaire en place.
[21] ↑ C’est l’un des principaux points d’achoppement avec la démocratie, perçue comme
fondamentalement laïque, en ce sens que la seule source de législation serait le parlement.
Or, il s’agit là d’une idée fausse, puisque la source suprême de législation, même dans les
démocraties occidentales, est supérieure aux décisions des députés : déclaration des droits
de l’homme, constitution… Les mouvements islamistes libéraux, ainsi que certains États
comme l’Iran, se réclament de ce dernier principe pour faire du Coran, non la source des
lois, mais celle des principes de législation. Al-Zawahiri se place donc dans une optique
plus radicale.
[22] ↑ L’organisation des Frères musulmans fut établie par Hassan al-Banna en Égypte en
1928. Des branches de l’organisation furent fondées dans ta plupart des pays arabes à
partir des années 1940.
[23] ↑ Dernier roi d’Égypte, Farouk, né en 1921, régna de 1936 jusqu’au coup d’État
nassérien du 23 juillet 1952.
[24] ↑ Principal parti nationaliste égyptien jusqu’à la révolution de 1952, le Wafd naît
après l’échec d’une délégation (en arabe, [wafd]) de nationalistes égyptiens emmenée par
Saad Zaghloul et chargée de négocier l’indépendance de l’Égypte au lendemain de la
Première Guerre mondiale. Arrêtés, ses membres sont exilés, ce qui mène à la révolution
de 1919. Les membres de la délégation sont alors libérés et forment un parti politique, le
Wafd, qui recrute parmi les membres de la bourgeoisie urbaine naissante. La déclaration
du 21 février 1922, par laquelle l’Angleterre renonce à son protectorat sur l’Égypte (tout en
définissant quatre points sur lesquels la souveraineté égyptienne est sérieusement
ébréchée), est vue comme l’œuvre de ce parti, qui dirigera à plusieurs reprises le
gouvernement dans l’entre-deux-guerres.
[25] ↑ Hassan al-Banna, un instituteur égyptien né en 1906, devint en 1928 le fondateur
puis le dirigeant charismatique de la confrérie des Frères musulmans. En 1933, après sa
mutation au Caire, il transféra le siège de l’association dans la capitale égyptienne. À partir
de 1936, date de la signature d’un nouveau traité anglo-égyptien et du premier grand
soulèvement palestinien, il élargit l’activité de son association à tout le Moyen-Orient. Il
mourut en 1949, probablement assassiné par des agents des services secrets du roi Farouk.
[26] ↑ Cet épisode n’a jamais été confirmé. Il s’agit d’hypothèses émises à partir des
contacts que Banna avait effectivement pris auprès de la cour royale, alors que la
méfiance du roi envers les divers courants politiques actifs sur la scène égyptienne
(principalement les diverses obédiences du Wafd allait grandissant). En 1942, les
Britanniques démirent par un coup de force un gouvernement royaliste (et soupçonné
d’être proche des pays de l’Axe) pour imposer un gouvernement wafdiste dirigé par
Moustafa Nahhas. En 1944, le roi, de nouveau puissant, renversa ce gouvernement pro-
britannique. De surcroît, le mouvement des Frères musulmans était lui-même en butte,
après 1943 environ, à la concurrence du Parti communiste et de la gauche du Wafd. Toutes
ces raisons expliquent pourquoi le palais aurait été tenté de se rapprocher du mouvement
islamiste. La défaite qui se précise à la fin 1948 face au nouvel État israélien modifie la
situation. Désormais, la majorité des mouvements politiques, Frères musulmans compris
(et hormis le Wafd), considéreront le régime monarchique comme le principal responsable
de la défaite. Il faut enfin rappeler que les rapports entre le pouvoir royal et les Frères
musulmans ont déjà eu l’occasion de se renforcer sous le roi Fouad, père de Farouk, à la
fin des années 1920, alors que le roi d’Égypte prétendait au titre de calife, abrogé par
Kamal Atatürk en 1924.
[27] ↑ Léger anachronisme d’al-Zawahiri car, comme on l’a vu dans la note précédente, ce
n’est pas uniquement le danger communiste qui poussa à un rapprochement (relatif) entre
le roi et les Frères musulmans. C’est seulement dans les années 1960 que le communisme,
défini comme l’ennemi commun des islamistes et des régimes conservateurs, justifia les
alliances entre les gouvernements proches de l’Occident et les mouvements islamistes (en
Arabie Saoudite, en Égypte, en Jordanie…).
[28] ↑ Les Frères musulmans apportèrent en effet leur appui au coup d’État de 1952 de
Gamal Abd al-Nasser ([Jamâl ‘abd al-nâsir]) – à la tête du Comité des Officiers libres –,
vraisemblablement dans l’espoir que celui-ci applique leur programme politique. Au
lendemain du coup d’État, la lune de miel entre Frères musulmans et Officiers libres se
poursuivit et le 17 janvier 1953, lorsque tous les partis politiques furent interdits et
dissous, les Frères musulmans échappèrent à la mesure. Aussi poursuivirent-ils leur action
dans les facultés, les syndicats, etc. À la fin 1953, on parla d’un complot contre les Officiers
libres dans la police et l’armée. Le 13 janvier 1954, la confrérie fut dissoute et ses
dirigeants, emprisonnés. Cependant, ils furent bientôt remis en liberté, et retrouvèrent le
droit à l’existence en tant qu’association (ces revirements des autorités s’expliquent par la
rivalité entre Nasser et Néguib au sommet du pouvoir). Le 19 octobre 1954, eut lieu la
signature d’un traité anglo-égyptien qui mit fin aux « quatre points » qui écornaient la
souveraineté égyptienne. Mais les Frères musulmans s’opposèrent à toute négociation avec
les Britanniques, et une semaine plus tard, le 26 octobre, une tentative d’assassinat sur la
personne de Nasser se produisit à Alexandrie. Nasser en rendit les Frères responsables et
déclencha une importante vague d’arrestations dans les milieux liés au mouvement. Plus
de mille membres de la confrérie furent arrêtés, le guide suprême Houdaybi fut condamné
à mort (peine commuée en perpétuité) et six membres (dont l’écrivain et avocat Abd al-
Qadir ‘Awda) furent exécutés. Les Frères musulmans devinrent dès lors l’ennemi numéro
un du régime nassérien. En 1965, après un présumé complot des Frères, alors influencés
par les écrits de Qotb, une nouvelle vague de répression s’abattit sur le mouvement. Au
terme d’un procès d’un an, en août 1966, trois Frères, dont Qotb, furent pendus.
[29] ↑ L’arrivée au pouvoir d’Anouar al-Sadate en 1970 se traduisit par un changement de
politique à l’égard des Frères musulmans. Soucieux d’imposer son influence, celui-ci
chercha à « dénassériser » la politique et la société égyptiennes, et s’appuya sur les
mouvements islamistes – notamment les Frères musulmans, qu’il fit libérer de prison dès
1971 – pour s’en prendre à la gauche.
[30] ↑ Mohammad al-Mamoun al-Houdaybi (1921-2004) fut le sixième guide suprême des
Frères musulmans, de la mort de son prédécesseur Mustafa Machhour en octobre 2002
jusqu’à son décès en janvier 2004. Il est le fils de Hassan al-Houdaybi, qui dirigea la
confrérie après la mort de Hassan al-Banna (voir note 19, p. 244).
[31] ↑ Une véritable « guerre froide arabe » oppose dès la fin des années 1950 les régimes
arabes dits « progressistes », menés par l’Égypte nassérienne, aux régimes arabes dits
« conservateurs », rangés derrière l’Arabie Saoudite. C’est dans ce cadre que le roi Faysal,
qui régna sur l’Arabie Saoudite de 1964 à 1975, œuvra à la fondation d’une
« internationale islamique » destinée à lutter contre les régimes séculiers – socialistes ou
nationalistes. Les Frères musulmans, persécutés en Égypte et, dans une moindre mesure,
en Syrie, trouvèrent alors tout naturellement refuge en Arabie Saoudite, qui devint leur
principal allié. On peut noter ici qu’al-Zawahiri renvoie dos à dos les deux antagonistes de
cette guerre froide.
[32] ↑ En février 1982, le pouvoir baathiste de Hafez al-Assad réprima dans le sang un
soulèvement islamiste mené par les Frères musulmans dans leur bastion de la ville de
Hama. Les vingt-sept jours de siège, marqués par un bombardement intensif et l’usage de
gaz de combat, se soldèrent par un bilan très lourd : au moins un tiers de la ville fut
détruit, tandis que plusieurs milliers de ses habitants (probablement 20 000) furent
massacrés. Voir Olivier Carré et Gérard Michaud, Les Frères musulmans, Égypte et Syrie
(1928-1982), Paris, Gallimard/Julliard, 1983.
[33] ↑ Adnane Saad al-Din peut être considéré comme l’un des principaux membres des
Frères musulmans irakiens, qu’il a contribué à structurer, à défaut de les créer
véritablement, puisqu’une branche existait avant l’arrivée des exilés syriens.
[34] ↑ Said Hawa est considéré comme le principal idéologue de la branche syrienne du
mouvement des Frères musulmans (voir note 7, p. 138 dans Azzam, La Défense des
territoires musulmans). Il fuit la Syrie pour l’Irak après les premiers événements de Hama
en 1964 – c’est probablement à cela qu’al-Zawahiri fait référence ici.
[35] ↑ Rifaat al-Assad, frère du président syrien, a adopté une ligne sourdement opposée
à celle de son frère et qui visait principalement à la succession de celui-ci. Cherchant des
alliés, il a effectivement, mais sans grand succès, essayé de se rapprocher des Frères
musulmans, en se donnant l’image d’un homme prêt à renégocier les fondements laïcs de
l’État syrien.
[36] ↑ Mahmoud Fahmi Nouqrachi, alors Premier ministre, décréta la dissolution des
Frères musulmans et la confiscation de leurs biens, ainsi que l’arrestation de certains de
leurs membres, en pleine guerre de 1948 contre Israël, alors que la défaite se précisait. Le
28 décembre 1948, il fut abattu dans la rue par un Frère musulman. Banna sera assassiné,
probablement en représailles, un mois plus tard.
[
[3] [4]
...] Chers frères, nous parlerons aujourd’hui de la faute d’un
de nos oulémas, le cheikh Abd al-Aziz ben Baz, qui a autorisé
l’entrée au Conseil de la nation (le parlement). Afin de tromper
l’oumma et de l’égarer, l’association des Frères musulmans a
promulgué cette fatwa du cheikh (si elle est bien de lui) [5] et l’a
publiée dans la revue La bannière de l’islam [6] . [...]
2 - L’essence de la démocratie
La démocratie est une nouvelle religion [26] , car si en islam la
législation vient de Dieu (qu’Il soit exalté !), cette capacité en
démocratie en incombe au peuple. Il s’agit bien d’une nouvelle
religion qui repose sur la déification du peuple [27] et qui lui confère
le droit de Dieu ainsi que Ses attributs ; cela revient à associer des
idoles à Dieu et à tomber dans l’impiété, car Dieu (qu’Il soit exalté !)
a dit : {Le jugement n’appartient qu’à Dieu. Il a ordonné que vous
n’adoriez que Lui.} (Youssouf) [28] .
La souveraineté [29] en islam n’est qu’à Dieu, alors que dans la
démocratie elle est au peuple, c’est pourquoi Abou al-Ala al-
Mawdoudi [30] a dit de la démocratie qu’elle est « une divinisation de
l’homme […] C’est le pouvoir des masses » (L’Islam et la civilisation
moderne, p. 33). En démocratie, le législateur est le peuple
représenté par la majorité des députés au Parlement.
Ces députés sont des hommes et des femmes, des chrétiens, des
communistes et des laïcs, ce qu’ils légifèrent devient une loi, qui
s’impose à l’ensemble du peuple, par laquelle on prélève des impôts
et par laquelle on exécute des gens. Prenons l’exemple de la
constitution égyptienne qui énonce, dans son troisième article, que
« La souveraineté n’appartient qu’au peuple qui est la source de
tous les pouvoirs », et dans son quatre-vingt sixième article : « Le
conseil du peuple [31] – le parlement – détient le pouvoir
[32]
législatif. » Ils ont fait ainsi du peuple l’égal et le semblable de
Dieu (qu’Il soit exalté !). Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {On-t-ils des
divinités qui auraient établi pour eux des lois religieuses que Dieu
n’aurait pas sanctionnées ?} (Le conseil) [33] .
Selon l’une de ses définitions, la religion est un système de vie des
hommes, qu’il soit vrai ou faux, car Dieu a dit : {À vous, votre
religion ; à moi, ma Religion} [34] . Il (qu’Il soit exalté !) a donc appelé
l’impiété des impies une religion ; par conséquent, ces êtres
humains qui légifèrent pour les gens en démocratie sont des idoles
(associées à Dieu) [35] adorées à la place de Dieu, ce sont les
seigneurs cités par Dieu (qu’Il soit exalté !) : {Ne nous prenons pas
les uns les autres pour des seigneurs à la place de Dieu} (La famille
d’Imrane) [36] . Y a-t-il une plus grande impiété ?
D’Adi ibn Hatim [37] (que Dieu l’agrée !), un chrétien converti à
l’islam : « Je suis allé voir le Messager de Dieu (que Dieu lui accorde
salut et bénédiction !) alors qu’il psalmodiait la sourate intitulée Le
désaveu et en était à ce verset : {Ils ont pris leurs docteurs et leurs
moines comme seigneurs [38] au lieu de Dieu ?} [39] .
Je lui ai alors dit : “Ô messager de Dieu, nous ne les avons pas pris
comme seigneurs.”
– “Si” a-t-il dit, “ne vous permettent-ils pas ce qui est interdit, qui
devient licite pour vous, et n’interdisent-ils pas ce qui est permis,
qui devient illicite pour vous ?”
– “Oui” lui ai-je dit.
– “Cela revient à les adorer” » (hadith, considéré comme bon,
rapporté par Ahmad [40] et al-Tirmidhi [41] ) [42] .
Al-Aloussi [43] a dit dans son exégèse de ce verset : « La plupart des
exégètes ont dit : ici “seigneurs” ne signifie pas “dieux”, mais qu’ils
obéissent à leurs ordres et respectent leurs interdictions » (cité dans
À l’ombre du Coran, vol. 3, p. 1642).
Nous citerons brièvement ce qu’a dit M. Sayyid Qotb (que Dieu ait
son âme !) à propos de la parole de Dieu (qu’Il soit exalté !) : {Nul
parmi nous ne se donne de seigneur, en dehors de Dieu} [44] . « Cet
univers dans son entier ne vit et ne prospère que par l’existence
d’un Dieu unique, qui en est l’organisateur : {Si des divinités, autres
[45]
que Dieu, existaient, le ciel et la terre seraient corrompus} . La
plus manifeste des caractéristiques divines par rapport à
l’humanité est l’adoration des créatures, ainsi que la législation
dans leur existence, et l’équilibre entre elles. Donc, si quelqu’un
prétend posséder cela, il revendique pour lui-même la plus
manifeste des caractéristiques divines et s’érige en Dieu des
hommes à la place de Dieu, et rien n’égale la corruption qui se
répand lorsque les dieux se multiplient sur terre, lorsque les
hommes adorent les hommes, lorsqu’une des créatures prétend
avoir le droit d’être obéie en tant que telle, ainsi que le droit de
légiférer, d’établir des valeurs et des règles en tant que telles ; tout
cela, c’est prétendre à la divinité, même s’il ne dit pas comme le
Pharaon : {Je suis votre seigneur, le Très-Haut !} [46] .
Cela revient à associer d’autres dieux à Dieu, et à l’impiété, c’est la
corruption sur la terre, et quelle corruption ! Dieu (qu’Il soit
exalté !) a dit : {« Ô gens du Livre ! [47] , venez à une parole commune
entre nous et vous : nous n’adorons que Dieu ; nous ne lui associons
rien ; nul parmi nous ne se donne de seigneur, en dehors de Dieu ».
S’ils se détournent, dites-leur : « Attestez que nous sommes
vraiment soumis »} [48] . C’est un appel à n’adorer que Dieu, sans y
associer nul autre, ni êtres humains ni pierres [49] , un appel à ne pas
nous prendre les uns les autres comme seigneurs à la place de Dieu,
ni prophète ni messager que ce soit, car ils sont tous esclaves de
Dieu [50] , Dieu n’a fait que les élire pour faire passer son message,
pas pour participer dans sa divinité.
C’est l’opposition entre les musulmans et ceux qui se prennent
mutuellement comme seigneurs à la place de Dieu ; cela montre
clairement qui sont les musulmans, ce sont ceux qui n’adorent que
Dieu : {Nul parmi nous ne se donne de seigneur, en dehors de Dieu}.
C’est là leur caractéristique principale par rapport aux autres
confessions et communautés, qui les distingue par leur système de
vie de toute l’humanité : soit cette caractéristique est vraie et ils
sont vraiment des musulmans, soit elle ne l’est pas et, quoi qu’ils
disent, ils ne sont pas musulmans.
Dans tous les systèmes terrestres, les hommes se prennent les uns
les autres comme seigneurs à la place de Dieu [51] . […]
Cela se passe dans les démocraties les plus avancées comme dans
les dictatures. La première caractéristique divine, c’est le droit
d’être adoré par les hommes, le droit d’établir des règles, des
doctrines, des lois, des règlements, des valeurs et des arbitrages […]
C’est un droit dans tous les systèmes terrestres auxquels prétendent
les gens d’une manière ou d’une autre, l’affaire est décidée par un
groupe d’hommes dans tous les cas, et ce groupe qui soumet les
autres à sa législation, à ses valeurs, ses équilibres et à ses
conceptions, ce sont les seigneurs terrestres auxquels certains
obéissent à la place de Dieu, et auxquels ils permettent de prétendre
à la divinité. Ils les adorent à la place de Dieu, même s’ils ne se
prosternent pas ni ne s’agenouillent ; le culte est une adoration qui
ne peut être dirigée que vers Dieu [52] . Et, dans ce sens, l’islam est
pour Dieu la religion […] C’est ce qu’ont transmis tous les
prophètes [53] venus de Dieu, car Dieu les a envoyés pour conduire
les gens de cette adoration des créatures à celle de Dieu, de
l’injustice des créatures à la justice des religions, et celui qui le
refuse n’est pas musulman [54] selon le témoignage de Dieu, quoi
qu’en disent les commentateurs et quoi que veuillent faire accroire
ceux qui cherchent à égarer les gens […] Pour Dieu, la religion, c’est
l’islam » (À l’ombre du Coran, vol. 1, p. 406-408) [55] .
Comme tu le vois, cher frère musulman, la démocratie repose sur le
principe du « pouvoir des créatures pour les créatures » et refuse le
principe du pouvoir absolu de Dieu sur les créatures ; elle repose
[56]
aussi sur l’idée que le désir de l’homme, quel qu’il soit, devient le
Dieu absolu, ainsi que sur le refus de l’observance de la loi de Dieu.
En islam, lorsqu’il y a un désaccord ou un différend, on se réfère à
Dieu, à son Prophète (que la prière et le salut de Dieu soient sur
lui !), au jugement de la loi révélée [57] : {Portez vos différends
devant Dieu et devant le Prophète – si vous croyez en Dieu et au
Jour dernier} (Les femmes) [58] , et Il a dit (qu’Il soit exalté !) : {Quel
que soit le sujet de votre désaccord, le Jugement appartient à Dieu}
(La délibération) [59] . Mais en démocratie, c’est aux hommes (le
peuple) que l’on a recours lorsqu’il y a un différend ; peut-on aller
plus loin dans l’impiété ? Dieu (qu’Il soit exalté !) ordonne de s’en
remettre à Lui (qu’il soit loué !), la démocratie ordonne de s’en
remettre au peuple ; peut-on aller plus loin dans l’impiété ?
Par surcroît d’impiété, les lois sont promulguées et les jugements
des juges sont rendus au nom du peuple, ainsi dans la constitution
égyptienne (art. 72) : « Les jugements sont rendus et exécutés au
nom du peuple. »
Par surcroît d’impiété, ils désignent leur pays du nom de république
pour montrer qu’elle tire sa légitimité des masses [60] et non du
jugement de Dieu (qu’Il soit exalté !), ainsi dans la constitution
égyptienne (art. 1) : « La république arabe d’Égypte est un État au
régime démocratique et socialiste. »
Dans certains pays [61] , on est allé jusqu’à consulter le peuple et lui
demander son avis sur l’application de la loi révélée [62] : le peuple
est-il d’accord ou pas ? Cela montre bien que, dans la démocratie, en
cas de désaccord on se réfère au peuple, et non à Dieu et à son
Prophète (que Dieu lui accorde salut et bénédiction !), ce qui signifie
que le gouvernant et le peuple ont le choix de juger ce qu’a révélé
Dieu. L’exégète de La Doctrine d’al-Tahhawi [63] à propos du
jugement en dépit de ce que Dieu a révélé : « Si l’on considère que
juger en dépit de ce que Dieu a révélé n’est pas un devoir, qu’on a le
choix ou qu’on peut le dédaigner, en sachant que c’est là le
jugement de Dieu, on est au comble de l’impiété », Livre de la
doctrine d’al-Tahhawi, 1404 de l’hégire, p. 323.
Et si leurs constitutions affirment que l’État est démocratique et que
sa religion est l’islam [64] , cela n’efface nullement l’impiété, c’est
comme si quelqu’un disait : « J’atteste qu’il n’y a d’autre dieu que
Dieu et que Mohammad est son Prophète et que Moussaylima [65] est
son Prophète », y aurait-il quelqu’un pour douter qu’il s’agit là
d’une impiété ? Donc celui qui prétend être musulman et cite un
penseur démocratique ou socialiste, devient infidèle et apostat ;
Dieu a dit (qu’Il soit exalté !) : {La plupart d’entre eux ne croient en
Dieu qu’en lui associant d’autres divinités} (Joseph) [66] .
Car l’islam n’a nul besoin de tous ces principes impies, Dieu (qu’il
soir exalté !) a dit : {Aujourd’hui, j’ai rendu votre religion parfaite}
(La table servie) [67] . Donc, celui qui doute que l’islam est parfait et
n’a pas besoin des systèmes des impies, est lui-même un infidèle qui
dément le verset qui vient d’être cité. Dieu a dit (qu’Il soit exalté !) :
{Seuls, les infidèles nient nos signes} (L’araignée) [68] . « L’islam est
haut, et n’a nul besoin d’être rehaussé », et il n’accepte pas d’être
mêlé à autre chose. Dieu a dit (qu’Il soit exalté !) : {Ô vous les
infidèles, à vous, votre religion ; à moi, ma Religion} [69] , comme une
rupture totale et un désaveu entier. Dieu a dit (qu’Il soit exalté !) :
{Oui, nous avons fait descendre sur toi le Livre avec la Vérité :
Adore Dieu en lui rendant un culte pur : le culte pur n’appartient-il
[70]
pas à Dieu ?} (Les groupes) . Pur, ici, veut dire exempt de tout
mélange.
Voilà ce qu’est la démocratie et son impiété, mon frère, et les
membres du Conseil du peuple, mon frère, sont les seigneurs qui
veulent prendre la place de Dieu ; ceux qui les élisent et en font des
seigneurs à la place de Dieu (qu’Il soit exalté !) en font des tyrans
adorés à la place de Dieu.
Et si un membre de ce conseil nous disait qu’il y est entré non pour
[71]
légiférer mais pour conseiller , nous lui répondrions : et le
serment d’impiété que vous avez fait en y entrant ? et votre
reconnaissance de la démocratie comme régime ? et que l’avis de la
majorité s’impose à tous ? Car s’il s’oppose à la démocratie ou refuse
d’accepter l’avis de la majorité, il ne lui aurait pas été permis d’être
candidat, encore moins de continuer à l’être. (Voir « Loi de
protection du front intérieur » [72] , n° 33, année 1978, articles 1, 6,
10, et la « Loi du Conseil du peuple », n° 38, année 1982).
Ces articles auxquels on a fait allusion, mon frère, montrent que,
parmi les conditions de l’appartenance au Conseil du peuple et de la
formation des partis politiques, se trouvent l’affirmation que le
régime est démocratique et socialiste, et la reconnaissance de
l’accord de paix avec Israël (Camp David), entre autres conditions ;
et celui qui les refuse n’a pas le droit de se présenter au Conseil du
peuple ni de former un parti politique, on l’accusera même de
corruption !
Ainsi, tu comprendras, cher frère, qu’il est impossible pour
quiconque refuse la démocratie idolâtre d’entrer dans ce conseil,
personne n’y entre sans l’avoir reconnue et s’y être engagé, c’est
ainsi qu’il faut comprendre le mot de l’ex-guide des Frères
musulmans, Omar Talmassani [73] : « Nous nous conformons aux
lois positives, même si nous ne les respectons pas et demandons
leur abolition » (Souvenirs, et non mémoires d’Omar Talmassani, p.
212) [74] . […]
Si tu considères, mon cher frère, le droit positif comme impie,
comme il se doit, sache que la démocratie est encore plus impie, car
la capacité à légiférer dans le droit positif est entre les mains d’une
élite de spécialistes du droit, alors qu’en démocratie, la capacité de
légiférer est tout entière entre les mains du peuple [75] . […]
Notes du chapitre
[1] ↑ Pour la biographie du cheikh saoudien Abd al-Aziz ben Baz, voir note 1, p. 138 dans
Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[2] ↑ Ce texte, qui se trouve sur le site Internet du Minbar al-Tawhed wa’l-Jihad
(www.tawhed.ws), l’une des plus grandes et des plus fiables bibliothèques virtuelles de
textes islamistes radicaux, ne porte pas de date de publication. Mais il a
vraisemblablement été publié au début des années 1990, au moment où le cheikh Ben Baz
faisait l’objet de critiques croissantes de la part des milieux islamistes saoudiens. C’est à
cette dynamique que se rattache ce texte. Sa valeur vient du fait qu’al-Zawahiri, en osant
remettre en cause un avis juridique de celui qui reste considéré – y compris par ses
détracteurs – comme l’une des plus grandes figures de l’islam sunnite d’obédience
wahhabite, se pose en savant religieux à part entière – qualité dont il espère tirer un large
profit pour la légitimité de son mouvement. Ce texte a aussi une dimension politique,
puisqu’il constitue une véritable déclaration de guerre à l’encontre du principal
instrument de légitimation du régime saoudien.
[3] ↑ Cette phrase, qui ressemble aux paroles initiales d’un prône ou d’un cours, indique
qu’il peut s’agir ici de la transcription d’un texte présenté oralement et enregistré.
[4] ↑ L’expression [zallat ‘âlim], la faute du savant religieux, est souvent utilisée pour
réfuter les arguments d’une partie adverse, et dans la littérature islamiste pour vilipender
ceux que l’on appelle « les oulémas de cour ».
[5] ↑ Al-Zawahiri laisse ici ouverte la possibilité que Ben Baz ait été contraint à émettre
un tel avis, notamment par le pouvoir saoudien. Le même argument avait été utilisé, au
lendemain de la légitimation par le même Ben Baz de l’appel aux troupes occidentales
pour protéger le royaume saoudien, par une partie de l’opposition islamiste qui se refusait
à imaginer le très respecté Ben Baz tranissant à ce point les principes qu’il avait toujours
défendus.
[6] ↑ L’une des revues liées au mouvement des Frères musulmans.
[7] ↑ L’auteur emploie souvent le terme [fasâd], qui pose problème pour sa traduction en
français car il est polysémique : corruption, altération, pourrissement, perversion, dégât,
oppression, violence. Il désigne en tout cas une réalité à rejeter absolument. La corruption
dont if s’agit ici renvoie à la fois au caractère immoral de la situation qui, selon al-
Zawahiri, prévaut dans les pays musulmans, et à la rupture du pacte qui lie les
gouvernants aux gouvernés, pacte en vertu duquel les premiers doivent régner selon la
Loi divine.
[8] ↑ Coran, 5/38.
[9] ↑ Coran, 2/179.
[10] ↑ Coran, 67/14.
[11] ↑ Al-Zawahiri pense ici à son pays, l’Égypte, où fut adopté en 1875 un « code mixte »,
très proche du « code Napoléon », qui servit de fondement au code national de 1883. C’est
ainsi que le droit français supplanta le droit islamique comme source principale du droit
égyptien.
[12] ↑ L’auteur puise ici ses arguments dans la thématique du « néo-colonialisme », qui
voit dans les indépendances politiques des pays colonisés, après la Seconde Guerre
mondiale, le début d’un nouveau stade de l’impérialisme, où ce sont les pouvoirs
autochtones qui gèrent l’exploitation et la domination des anciennes colonies au service
des mêmes métropoles. Dans cette logique, les pouvoirs musulmans seraient donc les
héritiers purs et simples des puissances coloniales. Cette accusation se retrouve chez les
mouvements islamistes en Algérie, qui accusent le pouvoir du FLN et des généraux
d’appartenir au [hizb frança], le parti de la France, héritier des colons dans leur lutte
contre le peuple algérien musulman.
[13] ↑ En arabe, [harâm], illicite.
[14] ↑ Il s’agit de l’usure, en arabe [ribâ], péché majeur. Le droit islamique a, selon ses
diverses variantes et écoles, légitimé les différentes pratiques commerciales en y
prohibant cependant tout ce qui pourrait s’apparenter à l’usure, le verset coranique
invoqué est ici (2/275) : {Mais Dieu a permis la vente et interdit l’usure).
[15] ↑ En arabe, [halâl], licite.
[16] ↑ Le terme [islâh], traduit en français par « réforme », est employé dans le Coran, ce
qui légitime son utilisation par les islamistes pour appeler à l’application de la Loi divine.
On le trouve dans la sourate 11, verset 88 : {Je veux seulement vous réformer [islâh],
autant que je le puis}.
[17] ↑ Al-Zawahiri, contrairement à Ben Laden, ne se prive pas de déclarer comme impies
des musulmans nominaux, comme les dirigeants dans le monde arabo-musulman.
[18] ↑ Le mot employé ici est [murtadd], impliquant que celui qui n’applique pas la loi de
l’islam a renié sa religion et ne peut donc être considéré que comme tel. En islam,
l’apostasie est punie de la peine capitale, et déclarer quelqu’un apostat équivaut donc à le
condamner à mort. Tel était notamment le contenu de la fameuse fatwa prononcée par
l’ayatollah Khomeini contre l’écrivain britannique Salman Rushdie le 14 février 1989.
[19] ↑ Coran, 5/45. [al-bukm bi-ghayrimâ anzala allâh], une pierre de touche de la
rhétorique islamiste.
[20] ↑ Al-Souyouti (1445-1505) est un savant musulman égyptien, d’origine persane.
D’obédience chafiite, il écrivit des centaines de livres dans tous les domaines du savoir de
son époque. Conscient de ses qualités et de l’ampleur de son érudition, il s’opposa
fréquemment aux religieux de son temps, ainsi qu’aux Mamelouks qui gouvernaient alors
l’Égypte. Refusant la fréquentation du sultan Qaytbey, et de son successeur al-Ghawri, il
justifia sa position par une célèbre épître où il montra que la proximité avec le pouvoir
temporel a été prohibée par les premiers musulmans.
[21] ↑ Le juge Ismaïl est le surnom d’Ibn Ishaq (815-896), juriste malékite d’Irak.
[22] ↑ Sur Ibn Hajar al-Asqalani, juriste égyptien du XVe siècle (1372-1449), voir note 100,
p. 174 dans Azzam, Rejoins la caravane !
[23] ↑ Le fait qu’il s’agisse du sens apparent donne une force particulière à l’argument,
puisque, pour un adepte d’un islam littéraliste comme l’est al-Zawahiri, cela signifie qu’il
ne peut y avoir de discussion sur l’interprétation.
[24] ↑ On trouve ici chez al-Zawahiri un « relativisme » axiologique a priori surprenant,
mais cependant cohérent : la loi religieuse doit être valable en soi, sans qu’il y ait besoin
d’une rationalité ou d’une raison naturelle ou historique qui viennent l’étayer.
L’affirmation de l’arbitraire de la loi est centrale également au sein de la tendance
hanbalite.
[25] ↑ Coran, 109/6.
[26] ↑ Un autre des idéologues du mouvement salafiste jihadiste, Abou Mohammad al-
Maqdisi, a intitulé ainsi l’un de ses pamphlets contre la démocratie : La Démocratie est une
religion ([al-dimûqratiyyâ dîn]).
[27] ↑ Déification qui passe par le principe de la souveraineté du peuple, qui fait, selon al-
Zawahiri, de la majorité électorale la source de la législation.
[28] ↑ Coran, 12/40.
[29] ↑ En arabe, l’auteur est passé du mot [hukm] dans les versets cités à celui de [hâki-
miyya], tiré de la même racine mais qui est un néologisme emprunté à l’ourdou et
popularisé parmi les islamistes par al-Mawdoudi, puis Sayyid Qotb qui s’en inspire. Voir
note 55, p. 150 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[30] ↑ Abou al-Ala al-Mawdoudi [Abû al-A‘lâ al-Mawdûdî] est un penseur islamiste né en
Inde en 1903. En 1941, il fonde le parti islamiste pan-indien Jama’at-e-Islami qui œuvre à la
création d’un État islamique et s’oppose d’abord à la partition de l’Inde et du Pakistan,
avant de se résigner à devenir un acteur du jeu politique pakistanais. Ses écrits, où il
développe les concepts de « [jâhiliyya] moderne » et de « [hâkimiyya] », seront traduits en
arabe et auront une influence capitale sur Sayyid Qotb, qui en fera la base de sa réflexion.
Al-Mawdoudi meurt en 1979.
[31] ↑ Le Conseil du peuple ([majlis al-cha‘b]) est le nom donné, dans une veine héritée de
la période du socialisme nassérien, au parlement égyptien. Il n’existe pas de terme précis
pour nommer les parlements des pays arabes, chacun portant le nom correspondant au
registre de légitimation utilisé par ses créateurs : ainsi, le parlement koweitien est le
[majlis al-umma], le Conseil de la nation, [umma] étant le nom coranique utilisé pour
désigner cette dernière, tandis que le « parlement » saoudien a reçu le nom de [majlis al-
chûrâ], le Conseil de la choura, ce ernier terme se rapportant à l’injonction coranique de
consultation.
[32] ↑ C’est, curieusement, plus à l’Égypte comme démocratie qu’à l’Égypte comme
dictature qu’al-Zawahiri s’en prend ici. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’il ne se
demande à aucun moment si ces principes, écrits noir sur blanc dans la constitution
égyptienne, sont, véritablement mis en œuvre dans la pratique. À le lire, on aurait presque
l’impression que l’Égypte est une démocratie modèle – mais loin s’en faut.
[33] ↑ Coran, 42/21.
[34] ↑ Coran, 109/6.
[35] ↑ En arabe, [churakâ], pluriel de [charîk] (voir note 38 sur le [chirk] p. 294).
[36] ↑ Coran, 3/64.
[37] ↑ Adi ibn Hatim, compagnon du Prophète, mort en 687.
[38] ↑ Le mot arabe [awliyâ’, pluriel de walî] est polysémique ; voir note 14, p. 244 dans al-
Zawahiri, La Moisson amère.
[39] ↑ Coran, 9/31.
[40] ↑ Désigne Ahmad ibn Hanbal, le fondateur de l’école hanbalite de jurisprudence.
Voir note 20, p. 142 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[41] ↑ Mohammad ibn Issâ al-Tirmidhî (824-892) est un traditionniste célèbre, auteur de
l’un des six recueils canoniques de hadiths.
[42] ↑ En arabe, [hadîth hassan]. Pour la classification des hadiths, voir note 36, p. 146
dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[43] ↑ Mahmoud Chihabeddin Al-Aloussi (1802-1854), savant religieux irakien, auteur
d’une exégèse du Coran intitulée [Rûh al-ma‘ânî]. Descendant d’une famille d’oulémas,
originaire d’Alous, un bourg situé près de Ramadi, à l’ouest de l’Euphrate, il fut moufti de
Bagdad et se signala, en sus de ses écrits grammaticaux et exégétiques, par des textes sur le
dogme à visées polémiques contre les chiites (dont Les Réponses irakiennes aux questions
iraniennes). Il est intéressant de noter que les références de l’auteur, bien que d’aspect très
hétéroclite, gardent une logique historique.
[44] ↑ Coran, 3/64.
[45] ↑ Coran, 21/22.
[46] ↑ Coran, 79/24.
[47] ↑ C’est ainsi que l’islam désigne les Juifs et les chrétiens, leur reconnaissant par là un
statut privilégié parmi les non-musulmans puisqu’ils sont autorisés, en terre d’islam, à
conserver leur religion en échange du paiement d’un impôt ([jizya]). La raison de cette
particularité est que le judaïsme et le christianisme sont reconnus par le Coran, comme on
le voit ici, comme des religions monothéistes, tout en mettant en doute le caractère
authentique de leurs Écritures.
[48] ↑ Coran, 3/64.
[49] ↑ Il s’agit d’une allusion au culte des bétyles dans l’Arabie pré-islamique, pris comme
symboles d’idolâtrie et d’ignorance. Les hommes politiques ainsi que les institutions
modernes seraient les héritiers de ces idoles de pierre que le Prophète et les compagnons
mettaient à bas.
[50] ↑ En arabe, les créatures de Dieu sont souvent désignées comme Ses adorateurs ou
Ses esclaves, la racine [‘ayn bâ’ dâl] ayant les deux sens d’être esclave et d’adorer.
[51] ↑ Ces citations illustrent la pratique, chez Qotb, du [takfîr] (excommunication) des
sociétés et des régimes qui à ses yeux ne sont pas – même si certains le prétendent –
musulmans.
[52] ↑ L’islam étant un système de vie complet, l’adoration n’implique pas que le rituel ;
aussi, pour l’auteur, toute allégeance à un principe annexe à celui de la religion (raison
d’État, rationalité économique…) est incompatible avec l’unicité de Dieu et le culte qui doit
lui être rendu, et doit donc être combattue.
[53] ↑ L’islam reconnaît un très grand nombre de prophètes, dont certains sont communs
au judaïsme et au christianisme, comme Moussa (Moïse), Ibrahim (Abraham) et Issa
(Jésus). Toutefois, en ne les nommant que [nabî], il les distingue de Mohammad qui seul
reçoit le qualificatif de [rassûl] (messager de Dieu).
[54] ↑ Ou bien : « ne s’est pas soumis au témoignage de Dieu ».
[55] ↑ Cette très longue citation de Qotb illustre bien l’influence de son œuvre sur al-
Zawahiri, comme nous l’avons expliqué en introduction. Elle fonctionne ici en antithèse à
la fatwa de Ben Baz, cible du pamphlet.
[56] ↑ En arabe, [hawâ], terme péjoratif, connotant l’idée de chute, d’égarement ou de
passion.
[57] ↑ En arabe, [charî’a].
[58] ↑ Coran, 4/59.
[59] ↑ Coran, 42/10.
[60] ↑ Le terme [al-jumhûriyya], qui signifie « république » en arabe, est en effet formé
sur le mot [jumhûr], qui signifie la foule ou la masse.
[61] ↑ Al-Zawahiri fait ici probablement référence au référendum organisé au Pakistan
en décembre 1984 par le général au pouvoir Zia ul-Haqq, et qui portait sur la politique
d’islamisation menée par celui-ci depuis son arrivée au pouvoir en 1977. Le référendum
fut gagné, non sans accusations de fraude.
[62] ↑ En arabe, [charî’a].
[63] ↑ Al-Tahhawi, mort en 933, juriste égyptien auteur, du [kitâb al-‘aqîda] qui contribua
à la défense et à la propagation de l’école juridique hanafite. Également concerné par la
science du hadith, il écrivit dans ce domaine deux livres importants, qui furent tour à tour
admirés et critiqués (entre autres par ibn Taymiyya, qui l’accusa d’amateurisme). Il est
d’ailleurs intéressant de noter l’hétérogénéité parfois contradictoire des références d’al-
Zawahiri. L’exégète ici mentionné est le cheikh Mohammad Nassir al-Din al-Albani (voir la
note 23, p. 142 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans).
[64] ↑ C’est le cas dans la plupart des pays arabo-musulmans.
[65] ↑ Moussaylima ibn Habib, rival malheureux du prophète Mohammad, symbole du
faux prophète dans les sources musulmanes, souvent surnommé [al-Kaddhâb], le fieffé
menteur. Chef d’une tribu de la région de la Yamama, à l’est du Hedjaz, il refusa de prêter
allégeance au jeune État musulman de Médine, puis, après la mort du Prophète en 632, il
souleva les siens dans le sillage des guerres de la [ridda] (ou guerres d’apostasie,
soulèvements de tribus islamisées après la mort du Prophète). Il mourut en 633, au cours
de la sanglante bataille d’Aqraba, où les troupes musulmanes, menées par Khalid ibn al-
Walid, vainquirent les séditieux.
[66] ↑ Coran, 12/106.
[67] ↑ Coran, 5/3. Ce verset aurait été révélé trois mois avant la mort de Mohammad, lors
de ce que l’on appelle « le pèlerinage de l’adieu ».
[68] ↑ Coran, 29/47.
[69] ↑ Coran, 109/1-6. Ce verset illustre à merveille la multiplicité des interprétations
possibles du Coran, et leurs conséquences. Ainsi, alors que certains penseurs modernistes
en ont fait le fondement de la tolérance en islam (« J’ai ma religion et je respecte la
vôtre »), al-Zawahiri le comprend comme un appel au rejet absolu de l’autre non
musulman.
[70] ↑ Coran, 39/2, 3.
[71] ↑ Les islamistes, même les plus radicaux comme al-Zawahiri qui rejette fermement
l’idée de démocratie, admettent le principe de [chûrâ], c’est-à-dire de conseil ou de
consultation dans la prise de décision. Remarquons ici que c’est ce même principe de
[chûrâ] – mais interprété de manière plus large – qui, pour les Frères musulmans, justifie
la participation à la vie politique et l’envoi de représentants au parlement. Or, pour al-
Zawahiri, ici, la question ne se pose même pas : entrer au parlement signifierait
reconnaître implicitement la légitimité d’un régime qu’il juge apostat, et – pire encore –
admettre que la majorité puisse prendre une décision, même si elle contrevient à la loi de
Dieu.
[72] ↑ La loi n° 33 de 1978 sur la protection du « Front intérieur » et de la paix sociale
indique notamment que tout appel ayant pour objectif de s’opposer aux principes de la
révolution ou de propager des doctrines hostiles au système socialiste démocratique, ou
comportant un rejet des Lois divines ou des doctrines contraires à leurs enseignements, est
passible de sanctions, conformément aux dispositions des articles 98 et 174 du Code pénal.
[73] ↑ Omar Talmassani, né en 1904 d’une lointaine ascendance maghrébine (d’où son
nom de famille, « de Tlemcen », en Algérie), fut, après la mort de Hassan al-Houdaybi en
1976, le troisième guide suprême des Frères musulmans. Il mourut en 1986.
[74] ↑ À rapprocher de la phrase de Banna, citée dans La Moisson amère (p. 249) : « Nos
critiques sur la constitution peuvent être changées par les voies que prescrit la
constitution. »
[75] ↑ Al-Zawahiri établit ici des degrés dans l’impiété entre un régime oligarchique
dominé par une élite savante et un régime démocratique, qui constitue pour lui le plus
mauvais des modèles.
[76] ↑ Ce reproche de manquer de prise sur la réalité fut fréquemment formulé par la
jeune génération des islamistes à l’encontre de l’ancienne génération des oulémas des
institutions traditionnelles comme al-Azhar ou l’institution religieuse wahhabite
saoudienne, constituant la base d’un véritable conflit entre « les Anciens et les Modernes ».
L’utilisation de cet argument par les islamistes leur permet aussi de trouver une excuse à
ceux qu’ils continuent, comme on le voit ici dans les termes choisis par al-Zawahiri, à tenir
en estime.
[77] ↑ Ibn Qayyim, juriste hanbalite syrien, élève d’ibn Taymiyya, auteur de [I‘lâm al-
Muwwaqi‘în] (L’Information des signataires). Né à Damas en 1292, il acquit, malgré son
origine modeste, une éducation particulièrement solide et étendue, et adhéra aux idées
d’ibn Taymiyya, tout en restant proche de l’enseignement soufi. Ses Degrés ([Madârij al-
Sâlikîn]) constituent d’ailleurs une œuvre mystique, bien que s’inscrivant dans la filiation
hanbalite. Mais son œuvre la plus ambitieuse reste [I‘lâm al-Muwwaqi‘în], traité juridique
en trois volumes, synthétisant les positions d’ibn Taymiyya sur les [usûl al fiqh],
fondements du droit islamique. Voir la note 2, p. 152.
[78] ↑ Voir note 20, p. 142 dans Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[79] ↑ La politesse avec laquelle al-Zawahiri traite le cheikh Ben Baz en dépit des
critiques qu’il formule à son encontre illustre bien le respect et la légitimité dont jouissait
ce dernier dans les milieux religieux et au sein des cercles islamistes.
[80] ↑ Voir supra note 76.
[81] ↑ Nous l’avons signalé, l’Égypte possède historiquement un droit mixte, s’inspirant à
la fois du droit français et de la loi islamique. Le thème de la principale source de
législation a été depuis les années 1970 en Égypte au cœur du débat entre, d’une part, une
partie d’al-Azhar et les islamistes, et, d’autre part, le pouvoir.
[82] ↑ Pour al-Zawahiri, cette profession de foi est équivalente au dogme du [tawhîd], à la
base de la croyance wahhabite.
[83] ↑ Al-Darimi est un célèbre traditionniste ([muhaddith]), quoique son recueil, le
[Musnad], ne fasse pas partie des six recueils canoniques.
[84] ↑ Le célèbre traditionniste contemporain al-Albani, outre composer des ouvrages,
effectuait ce que l’on appelle des [tahqîqât], ou vérifications, c’est-à-dire qu’il vérifiait la
validité des hadiths cités dans telle ou telle compilation rédigée par d’autres
traditionnistes. C’est à cela que se rapporte cette mention. Voir aussi la note 23, p. 142 dans
Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[85] ↑ Voir note 47 sur Mouslim, dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane ! Le hadith [al-
dîn nasîha] est fréquemment utilisé par les islamistes pour justifier leur opposition au
pouvoir en place, opposition qui se drape sous le manteau dû bon « conseil ». C’est en
jouant sur ce même registre qu’en Arabie Saoudite, notamment, les islamistes, qui, en
septembre 1992, présentèrent au roi Fahd une pétition appelant à la mise en œuvre de
réformes, nommèrent leur texte [mudhakkarat al-nasîha], « Le mémorandum du bon
conseil ».
[86] ↑ Sur Abou Daoud, voir note 30, p. 144 dans Azzam, La Défense des territoires.
[87] ↑ Second calife de l’islam (634-644).
[88] ↑ Abou Moussa al-Achari, compagnon du Prophète, né vers 614, originaire du Yémen,
se serait rallié aux musulmans à Khaybar, en 628. D’abord lieutenant du Prophète puis du
premier calife au Yémen, il fut ensuite gouverneur de Bassora, puis de Koufa, avant de se
lancer en 638 à la conquête de la Perse, où il soumit, en 644, plusieurs tribus kurdes à la
bataille de Bayrudh. Il est également connu pour avoir collecté les différentes parties du
Coran en un recueil qui survécut un temps avec celui du toisième calife, Othman,
finalement retenu dans l’ensemble du monde musulman.
[89] ↑ [Kitâb al-qadâ’.]
[90] ↑ Pour Ibn Qayyim, voir supra, note 77, p. 276.
[91] ↑ C’est la position du Jihad islamique égyptien, à la suite d’Abd al-Salam Faraj et de
son ouvrage L’Impératif occulté (voir introduction).
Extraits de Cavaliers sous l’étendard du
Prophète [1]
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
De la mobilisation du mouvement
fondamentaliste
Mobiliser l’oumma pour la faire participer au combat, et se garder
d’engager un combat élitiste contre le pouvoir [24] : le mouvement
jihadiste doit se rapprocher des masses, défendre leur honneur, les
protéger, les guider, les mener à la victoire, les précéder au
sacrifice, tenter de leur faire comprendre sa cause dans un style qui
rende la vérité accessible à tous ceux qui veulent la connaître,
rapporter les fondements de la religion et ses vérités simples sans
[25]
expressions difficiles ni constructions creuses .
Notre mouvement jihadiste doit accorder son attention au travail
visant les masses, la prédication au sein de l’oumma, proposer des
services au peuple musulman, faire partager aux gens ses
préoccupations à travers toutes sortes d’œuvres charitables et
éducatives [26] . Nous ne devons pas laisser de place vacante ; nous
devons gagner la confiance des gens, leur affection et leur respect,
car ils ne nous aimeront que s’ils ressentent que nous les aimons,
nous soucions d’eux et les défendons. En somme, il faut que le
mouvement jihadiste entre dans la bataille au sein de l’oumma et
devant elle, et prenne bien garde à ne pas s’isoler de son oumma en
menant une lutte élitiste contre le pouvoir.
Nous ne pouvons reprocher à l’oumma de ne pas avoir réagi, de ne
pas en avoir fait davantage, sans prendre en considération notre
responsabilité lorsque nous n’avons pas assez communiqué,
n’avons pas saisi toutes les occasions ni été parfaitement clairs.
Le mouvement jihadiste doit faire participer l’oumma à son jihad, et
elle ne participera que si les slogans des moujahidines sont
compréhensibles pour les masses.
Le slogan que l’oumma a bien compris et auquel elle adhère, depuis
cinquante ans, est l’appel au jihad contre Israël. De plus, depuis une
décennie [27] , l’oumma est galvanisée contre la présence américaine
et a réagi favorablement à l’appel au jihad contre les Américains.
Un seul regard sur l’histoire des moujahidines en Afghanistan, en
Palestine et en Tchétchénie montre que le mouvement jihadiste a
conquis une position centrale à la tête de l’oumma quand il a pris
pour slogan la libération nationale contre ses ennemis étrangers, et
dépeint celle-ci sous les traits d’un combat de l’islam contre
l’impiété et les impies [28] .
Il est étrange que les laïcs [29] , qui ont causé tant de tort à l’oumma,
notamment dans le conflit israélo-arabe, qui ont entamé la longue
marche de la trahison en reconnaissant Israël dès l’armistice de
1949 [30] - comme nous l’avons montré -, soient les plus bavards sur
la cause palestinienne. Mais ce qui est plus étrange encore, c’est que
les musulmans, qui sont les plus nombreux à se sacrifier pour
Jérusalem et qui sont ceux que leur conviction comme leur foi
empêchent de renoncer à toute part de la Palestine ou de
reconnaître Israël – ainsi que nous l’avons montré – sont en
revanche les moins enclins à adopter la cause palestinienne et à
faire entendre leurs slogans parmi les masses [31] .
L’occasion qui s’offre au mouvement jihadiste de conduire l’oumma
vers le jihad pour la Palestine est plus grande que jamais, car tous
les courants laïcs [32] qui faisaient de la surenchère sur la cause
palestinienne et rivalisaient avec le mouvement islamique pour la
direction de l’oumma dans cette cause se sont découverts [33] , aux
yeux de l’oumma, en reconnaissant le droit à l’existence d’Israël, en
engageant des pourparlers et en se conformant aux décisions
internationales pour libérer ce qui reste du territoire palestinien –
ou ce qu’Israël veut bien abandonner (la seule différence résidant
dans la quantité de miettes qu’Israël laissera aux musulmans et aux
Arabes [34] ).
L’indéniable vérité c’est que la cause palestinienne est non
seulement de nature à embraser l’oumma depuis cinquante ans, du
Maroc jusqu’à l’Indonésie, mais encore que c’est la cause qui réunit
tous les Arabes [35] , croyants ou impies, bons ou mauvais [36] .
Notes du chapitre
[1] ↑ Ce texte a été publié à partir du 2 décembre 2001 sous forme de feuilleton dans le
quotidien panarabe à capitaux saoudiens Al-Sharq al-Awsat. Le texte originel d’al-Zawahiri
y a néanmoins été entrecoupé de commentaires ajoutés par le journal (et a peut-être été en
partie récrit), de telle sorte qu’il est parfois difficile de déterminer si telle phrase ou tel
titre est bien d’al-Zawahiri, ou si c est le journaliste qui parle à sa place. Le quotidien
indique laconiquement en introduction que le texte d’origine lui est parvenu par
l’intermédiaire d’un militant jihadiste égyptien du nom d’A. S., proche d’al-Zawahiri, qui le
lui aurait confié dans une grotte afghane de la région de Qandahar. A. S. a pu transporter
le document jusqu’à Peshawar, d’où il est arrivé à Londres. Sur ce texte, voir G. Kepel,
Fitna. Guerre au cœur de l’islam, op. cit., p. 124-130.
[2] ↑ Ces trois entités, « les systèmes internationaux de communication, les agences
d’information internationales et les chaînes par satellite » forment un triptyque essentiel à
Al-Qaida, dont les idéologues semblent considérer le contrôle de l’information, ou du
moins sa subversion (par le terrorisme et la monopolisation du prime-time), comme un
objectif central de leur stratégie.
[3] ↑ Le terme employé ici pour fondamentaliste est [usûlî], qui est formé sur [usùl], les
fondements. Ce néologisme, fréquemment utilisé par les médias pour désigner la
mouvance islamiste, n’est en général pas repris par les islamistes eux-mêmes, qui le
rejettent. Il serait donc étonnant de voir al-Zawahiri l’employer ici comme tel. Deux
explications sont possibles : soit c’est une marque d’ironie, soit il s agit d’une paraphrase
du journaliste.
[4] ↑ Il y a là un renversement par rapport à la logique classique : désormais, le cœur du
monde musulman se retrouve dans sa périphérie, ou plutôt dans les pays de la ligne de
front. Ce déplacement géographique du centre représentatif du monde musulman du
Moyen-Orient aux zones périphériques où se déroule le jihad est à mettre en relation avec
le déplacement théorique du dogme, qui fait du jihad un pilier central de l’islam.
[5] ↑ Al-Zawahiri décrit ici un nouveau monde bipolaire, succédant au monde bipolaire
de la guerre froide : il y aurait, d’un côté, « l’alliance judéo-croisée », de l’autre, « l’alliance
fondamentaliste ».
[6] ↑ En arabe, [imbarâtûriyya]. Le texte prend ici des accents marxistes.
[7] ↑ Le Turkestan oriental est le nom traditionnellement donné au Xinjiang, région la
plus occidentale de la Chine, où vivent les musulmans Ouighours. Dans les années 1940,
une éphémère république indépendante y a vu le jour, avant d’être soumise de nouveau
par Pékin.
[8] ↑ Définition élargie des terres majoritairement peuplées de musulmans. Le terme [al-
andalus] employé ici désigne en fait plus généralement l’Espagne, reprise aux musulmans
entre le XIe et le XVe siècles par les vagues successives de la Reconquista. Les deux « bords »
du monde musulman, Andalousie et Turkestan, ont donc été perdus.
[9] ↑ Il existe de nombreux exemples d’islamistes radicaux qui ont quitté leur famille –
non seulement leurs parents, mais souvent aussi leur femme et leurs enfants – pour se
joindre au jihad. Par exemple, le journal saoudien publié en anglais, Arab News, écrit le
10 mai 2003 sur l’un des jihadistes saoudiens : « Le père de Mohammad Othman Al-Shahri
(…) a dit que son fils avait pris part à la guerre d’Afghanistan sans sa permission. Shahri
(…) a quitté son domicile à Namas deux semaines avant le Hajj avec sa femme pour faire le
pèlerinage, mais il n’est pas revenu. Sa femme est revenue avec son frère il y a deux jours,
a déclaré le frère de Shahri, Awad. » Le même journal écrit le 25 décembre 2003, au sujet
d’un autre militant : « Talal Anbari, 27 ans, originaire de Taef. Élève moyen, il a quitté
l’école après le brevet, a été porté disparu par sa famille quelques mois plus tard et n’a pas
été revu depuis. »
[10] ↑ La majorité des États occidentaux, dont la France, ont avalisé le coup d’État
militaire algérien de 1992, au grand dam des partis et mouvements islamistes, qui y ont vu
un démenti cinglant aux déclarations de bonnes intentions démocratiques émises par les
capitales occidentales au lendemain de la chute du mur de Berlin.
[11] ↑ Comme nous allons le voir par la suite, al-Zawahiri fait ici allusion aux principes de
la démocratie.
[12] ↑ Front islamique du salut ([al-jabha al-islâmiyya li-l-inqâdh]).
[13] ↑ Après la victoire du Front islamique du salut (FIS) aux élections municipales de juin
1990 et à la veille de sa victoire attendue au second tour des élections législatives prévu
pour janvier 1992, le processus électoral fut arrêté sur ordre des généraux et le FIS vit son
existence remise en cause par les autorités, ce qui déboucha sur une reprise en main du
pouvoir par l’armée et le début d’une longue guerre civile. Al-Zawahiri rend ici le FIS
responsable de cet échec, puisqu’il a choisi pour parvenir au pouvoir de jouer le jeu des
élections, ce qui constitue dans tous les cas une violation du dogme.
[14] ↑ Il s’agit d’une accusation récurrente dans le lexique politique algérien héritée de la
période coloniale. Elle désigne ici les élites francophones, au pouvoir depuis 1962.
[15] ↑ Les illusions sont la croyance en la démocratie et en l’équité des autorités, la réalité
est le jihad. Il ne s’agit pas seulement d’illusion et de réalité stratégiques, mais bien du
fondement de la religion, qui aurait été dévoyé par ceux qui ont cru au jeu démocratique.
[16] ↑ Il s’agit de l’époque qui s’ouvre avec la fin de l’URSS, et où l’ennemi de l’Occident
devient désormais la mouvance islamiste. Al-Zawahiri fait de l’expérience algérienne un
révélateur de cette nouvelle période. Il se moque peut-être également ici des connotations
positives, en Occident, du terme « nouvel ordre mondial » tel qu’il a été employé par le
président George Bush père après la guerre du Golfe en 1991.
[17] ↑ En arabe, [hamla salîbiyya yahûdiyya jadîda].
[18] ↑ En arabe, [sahwa], qui désigne plus généralement le « renouveau islamique » dont
les islamistes se veulent les fers de lance.
[19] ↑ Il n’est pas clair si c’est al-Zawahiri ou le journaliste d’Al-Sharq al-Awsat qui fait
cette distinction entre la mouvance islamiste et la mouvance jihadiste, très rare dans la
littérature jihadiste, qui, en général, divise le champ en une mouvance islamiste ([haraka
islâmiyya]) et une avant-garde ([talî‘a]).
[20] ↑ Nous trouvons ici l’une des origines coraniques de l’importance donnée, dans la
littérature jihadiste, à la patience ([al-sabr]) et l’endurance dans le jihad.
[21] ↑ Coran, 3/200.
[22] ↑ Le mouvement a donc atteint, pour al-Zawahiri, le degré suffisant de maturité pour
se passer de ses dirigeants et avancer de lui-même. Al-Zawahiri rompt ici avec le discours
marxisant sur la prééminence stratégique de l’avant-garde, qui doit conduire le
mouvement et fixer ses impératifs.
[23] ↑ Au moment où il écrit ce livre, avant l’automne 2001, al-Zawahiri est conscient du
bouleversement que va entraîner l’invasion américaine de l’Afghanistan pour le réseau Al-
Qaida. Peut-être est-il aussi conscient du mécontentement chez certains, dans l’entourage
de Ben Laden, provoqué par la décision prise par la direction d’Al-Qaida d’attaquer New
York et Washington, puisque celle-ci va entraîner la perte de l’Afghanistan, leur « base
solide » depuis 1996. Dans un livre écrit en 2004 par un membre proche de Ben Laden et
al-Zawahiri en Afghanistan, nous lisons : « Les derniers mois de l’organisation Al-Qaida
constituent l’exemple tragique d’un mouvement islamique très mal géré. Tout le monde
savait que leur leader [Ben Laden] les menait vers l’abysse, et qu’il menait même le pays
entier vers la destruction, mais ils ont continué à exécuter ses ordres » (Al-Sharq al-Awsat,
9 décembre 2004).
[24] ↑ Al-Zawahiri critique implicitement, la stratégie suivie par sa propre organisation,
Al-Jihad, depuis des années, celle du coup d’État. L’intertitre semble un ajout du
journaliste.
[25] ↑ Là encore, une rhétorique qui rappelle les pamphlets marxistes…
[26] ↑ Il faut ici souligner l’importance de l’action caritative dans l’activité de l’ensemble
des mouvements islamistes, des Frères musulmans aux mouvements plus radicaux. Cette
activité, qui se fonde initialement sur l’obligation coranique de bienfaisance, en est même
venue, pour des mouvements souvent privés de participation au jeu politique national, à
être le principal mode de recrutement et de constitution d’une base populaire. C’est
notamment vrai pour les Frères musulmans égyptiens et le Hamas palestinien. C’est de
leur exemple que veut ici s’inspirer al-Zawahiri, à cette différence près que son
mouvement n’est plus national mais mondial.
[27] ↑ Al-Zawahiri fait ici référence à la présence de troupes américaines en Arabie
saoudite depuis la guerre du Golfe, perçue comme une occupation.
[28] ↑ Encore une fois, il serait intéressant de savoir si c’est al-Zawahiri lui-même qui
parle. Si c’est le cas, on peut noter le recul remarquable de ce dernier dans son acceptation
que certains conflits de libération nationale ont été présentés – pour des raisons
stratégiques – comme des expressions d’un conflit mondial entre l’islam et les impies.
[29] ↑ En arabe, [‘ilmânî]. L’étymologie du terme est assez discutée : de [‘âlam], monde, de
[‘ilm], science, ou plus probablement de [‘alam], individu ou personne, et désignant en
araméen plus spécifiquement les membres laïcs d’un ordre religieux chrétien. Le terme est
ici employé en tant qu’invective à l’adresse de toute force politique qui ne se réclame pas
d’un système de valeurs religieux. C’est l’un des mots les plus utilisés par les islamistes
pour discréditer leurs ennemis politiques, qu’ils soient marxistes, nationalistes ou
libéraux.
[30] ↑ Les accords, d’armistice de la première guerre israélo-arabe furent signés entre
Israël et quatre pays arabes (Égypte, Liban, Jordanie et Syrie) sur l’île de Rhodes, en Grèce,
de février à juillet 1949. Les traités de paix correspondants ne furent en revanche jamais
signés.
[31] ↑ Al-Zawahiri semble ici prendre conscience des reproches dont la mouvance
jihadiste mondiale a fait l’objet à ce sujet, surtout depuis l’Intifada d’al-Aqsa en 2000, selon
lesquels Ben Laden et Al-Qaida auraient auparavant considéré comme secondaire la lutte
contre Israël.
[32] ↑ Ici, l’auteur désigne deux réalités : d’une part, les États arabes laïques (l’Égypte de
Nasser puis de Sadate, ainsi que, dans une moindre mesure, la Syrie baathiste, qui, sans
engager de pourparlers directs avec Israël, s’est montrée prête sous certaines conditions à
ouvrir des négociations), et d’autre part, les mouvements de libération d’obédience
gauchiste et nationaliste arabe (MNA, FPLP, FDLP). L’OLP, puis l’Autorité palestinienne qui en
a découlé après les accords d’Oslo, participe des deux catégories.
[33] ↑ Ces mouvements et États ont construit leur légitimité en se posant en champions de
la lutte contre Israël. Leur changement d’attitude ne peut donc se traduire, pour al-
Zawahiri, qu’en une perte de cette légitimité aux yeux des populations, offrant au
mouvement jihadiste une place à prendre.
[34] ↑ L’ordre des identités ici n’est pas surprenant, ce qui l’est plus, en revanche, est que
l’identité arabe ne soit pas noyée dans l’identité islamique, mais bien affirmée.
[35] ↑ Cette nouvelle référence à l’arabité confirme la remarque précédente.
[36] ↑ La cause palestinienne présente donc l’opportunité pour le mouvement de rallier
jusque dans les cercles laïcs. Al-Zawahiri fait ici preuve d un certain œcuménisme
rhétorique, paraissant ne pas se soucier des qualités morales de ceux qu’il cherche à
recruter.
[37] ↑ Littéralement : [chirk], ou association d’une idole à Dieu, l’un des péchés majeurs
selon le dogme musulman. Ici, il s’agit en l’occurrence de l’acceptation d’un pouvoir non
religieux, soumis à l’Occident, qui constitue un acte d’associationnisme remettant en cause
la souveraineté unique de Dieu.
[38] ↑ Pour le [tawhîd], voir al-Zawahiri, La Moisson amère…, note 4, p. 242.
[39] ↑ Ce genre d’attaque s’est produit à plusieurs reprises depuis 2001, par exemple lors
du meurtre du diplomate américain Lawrence Foley à Amman en octobre 2002, puis s est
étendu à tout Occidental avec la vague d’assassinats ciblés en Arabie saoudite entre mai et
septembre 2004, ou encore avec le meurtre du cinéaste Theo Van Gogh à Amsterdam en
novembre 2004.
[40] ↑ Voir L’Allégeance et la Rupture, p. 311.
[41] ↑ Sur le concept de devoir individuel [fard ‘ayn], voir note 45, p. 146 dans Abdallah
Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[42] ↑ L’expression « les oulémas de palais » ([‘ulamâ’ al-halât]) est utilisée par les
islamistes pour discréditer les oulémas perçus comme inféodés au politique, donnant leur
blanc-seing systématique au « prince ».
[43] ↑ Le terme « oulémas du jihad » ([‘ulamâ’ al-jihâd]) est un concept nouveau, qui
semble répondre au précédent. Il désigne les oulémas (et les idéologues de même statut)
ayant pour principale fonction de guider les groupes islamistes radicaux et de légitimer
leurs actions. Dans la mouvance jihadiste globale actuelle, nous trouvons par exemple les
noms d’Abou Mohammad al-Maqdissi, Abou Basir al-Tartoussi, Hamid al-Ali et bien
d’autres personnages. Un grand nombre de ces « oulémas du jihad » ont été arrêtés ou
réduits au silence depuis les événements de septembre 2001, comme Abou Qatada al-
Filastini, emprisonné entre octobre 2002 et mars 2005 en Angleterre, ou Nasir al-Fahd et
Ali al-Khudayr, emprisonnés en Arabie saoudite depuis juin 2003.
[44] ↑ On retrouve ici implicitement l’idée qotbienne qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle,
d’État musulman.
[45] ↑ Le califat a été aboli par Mustafa Kamal Atatürk en mars 1924, six ans après la fin
de l’Empire ottoman. Ce n’est cependant pas ici au califat ottoman que fait référence al-
Zawahiri (dans son obsession d’un retour aux premiers temps de l’islam), mais aux califes
« bien guidés » ([al-khulafâ’ al-râchidûn]), les quatre premiers califes de l’islam, ainsi
nommés par les sunnites : Abou Bakr (632-634), Omar (634-644), Othman (644-656) et Ali (à
partir de 656, déposé en 659 et tué en 661). La réalité historique est moins glorieuse : les
trois derniers furent assassinés, et dès le règne d’Omar, les prodromes de la [fitna]
(sédition) étaient enclenchés.
[46] ↑ En arabe, [al-qâ’ida]. Le terme est source de malentendus et d’interprétations
diverses : il signifie base, aussi bien dans son acception physique (base territoriale),
qu’immatérielle (base de donnée) ; un autre sens du terme est « norme », « règle »
(grammaticale ou juridique). Voire l’introduction à Ben Laden. Cet intertitre semble, ici
encore, provenir de la rédaction du quotidien.
[47] ↑ Nous retrouvons l’idée de base territoriale, si centrale dans l’œuvre de Abdallah
Azzam. Voir note 10, p. 154 dans Azzam, Rejoins la caravane !
[48] ↑ Le thème de la restauration du califat est assez rarement abordé, sous cette forme,
chez les idéologues de la mouvance Al-Qaida. Non que ceux-ci s’y opposent – ils l’appellent
de leurs vœux –, mais ils la considèrent comme une réalité lointaine et se concentrent
surtout sur l’action présente ; en ce sens, leur projet politique demeure très flou, se
limitant à demander « la mise en application de la loi de Dieu » (sans réflexion sur sa
nature réelle). Ici, al-Zawahiri rompt donc avec le discours habituel de la mouvance. Il
rappelle par là les positions d’un autre mouvement fondamentaliste, mais s’affichant celui-
ci comme non violent, le Hizb al-Tahrir, qui place la restauration du califat en tête de ses
priorités, estimant que celle-ci est un préalable à toute autre action.
[49] ↑ Nour al-Din (1146-1174) : émir turc qui dirigea la lutte contre le royaume latin de
Jérusalem à partir de son royaume situé au nord de la Syrie. Parallèlement à cela, Nour al-
Din lança le vaste mouvement intellectuel de renaissance du sunnisme que devait
continuer Saladin, en fondant plusieurs écoles [madrasa] religieuses dans les villes du
Levant pour combattre les courants intellectuels chiites.
[50] ↑ Saladin ([salâh al-dîn al-ayyûbî]), vassal kurde de Nour al-Din, né en Mésopotamie.
Après avoir mené des expéditions contre les croisés pour protéger l’Égypte, il renversa le
califat fatimide (d’obédience chiite), se déclara sultan de l’Égypte (1171) puis de la Syrie
(1174) et du nord de la Mésopotamie (1186). Il triompha des croisés à Hattin et reprit
Jérusalem (1187). Il mourut à Damas en 1193. Saladin reste le modèle du libérateur et de
l’unificateur du Moyen-Orient. Mais il est aussi connu, comme son prédécesseur Nour al-
Din, pour avoir uni l’action militaire à l’action intellectuelle (en particulier par
l’encouragement à la renaissance du sunnisme).
[51] ↑ En arabe, [munâfiqûn], terme coranique désignant les adversaires de Mohammad
parmi les nouveaux convertis à Pislam ; désigne ici la dynastie bouride ayant fait alliance
avec les croisés.
[52] ↑ Défaite croisée face à l’armée de Saladin, le 4 juillet 1187 en Galilée, qui provoqua
la disparition du royaume latin de Jérusalem. Voir note 25, p. 190.
[53] ↑ La fin de la présence croisée sur le littoral syro-palestinien n’advint qu’un siècle
après Hattin, avec la chute d’Acre en 1291. Al-Zawahiri signifie par là qu’il s’agit d’une
rupture qui ouvre une ère nouvelle, et que la victoire finale ne suit pas immédiatement la
première victoire stratégique. Ainsi se comprend l’injonction, faite quelques lignes plus
loin, à ne pas « précipiter l’affrontement ».
[54] ↑ Al-Zawahiri pense ici à deux choses : d’abord, à sa propre expérience dans le Jihad
islamique égyptien, lequel a, à plusieurs reprises, failli être annihilé par la répression
égyptienne : au lendemain de l’assassinat de Sadate, puis en 1995 après la tentative
d’assassinat contre le président Hosni Moubarak. Mais il est également conscient des
problèmes liés à la perte d’une partie importante des effectifs de la mouvance jihadiste à la
suite de la répression consécutive aux attentats du 11 septembre 2001.
[55] ↑ Sur la patience, [al-sabr], voir Abdallah Azzam, p. 143, dans La Défense des
territoires musulmans.
[56] ↑ Cette stratégie de placement d’une partie du mouvement – en particulier de ses
chefs – en lieu sûr est aujourd’hui suivie par Al-Qaida, puisque Ben Laden et al-Zawahiri se
trouvent dans un endroit indéterminé (peut-être dans les zones tribales entre le Pakistan
et l’Afghanistan), à partir duquel ils assurent la pérennité du mouvement sans participer
aux opérations sur le terrain. Mais le véritable refuge est surtout constitué par l’espace
médiatique, sanctuaire imprenable régi par la seule loi de l’audimat.
[57] ↑ De nouveau, l’auteur fait allusion à cette pédagogie par l’exemple qui semble être
l’une des motivations de l’action d’Al-Qaida : l’attaque doit mettre en relief et actualiser ce
qui n’est qu’implicite, à savoir la rupture franche et totale qui existe au Moyen-Orient
entre les régimes et les peuples qu’ils gouvernent, et qui n’apparaît clairement que si l’on
met en demeure les gouvernements de choisir entre leurs alliés occidentaux et les intérêts
ou la volonté supposée du peuple, telle qu’Al-Qaida l’exprime.
[58] ↑ La « répétition » et la « récurrence » ne sont pas des motifs de découragement : la
périodicité et la résurgence d’obstacles constituent le moteur de l’Histoire universelle telle
que définie par les jihadistes et participent de la constitution de cet habitus de la patience
et de la persévérance face à l’adversité.
[59] ↑ Al-Zawahiri sait bien que déplacer le combat chez l’ennemi est une solution
extrême. À ce propos, ibn Taymiyya dit : « L’ennemi agresseur […] Rien n’est plus
nécessaire après la foi que de le repousser. […] mais il faut faire la différence entre
repousser l’ennemi infidèle agresseur et l’affronter dans son pays. »
[60] ↑ En dépit de l’importance accordée à la guerre en Tchétchénie dans le discours de la
mouvance jihadiste internationale, la Russie est en fait rarement citée comme un ennemi
du même statut que les États-Unis et Israël.
[61] ↑ « Guerre aux palais, paix aux chaumières. » Al-Zawahiri juge ici inutile de
s’attaquer à l’ennemi proche (gouvernements du Moyen-Orient). Il faut plutôt mettre
l’ennemi lointain (Washington principalement) en demeure d’expliciter sa stratégie. Cette
volonté de simplification, de dualisation du combat, et de dissipation de toute mauvaise foi
est récurrente chez Zawahiri et Ben Laden : pour eux, il ne sert à rien d’user de tortueuses
tactiques et de jeux d’alliance, tant que les figures de l’ennemi et de l’ami n’auront pas
émergé clairement aux yeux du public musulman. D’où encore l’importance des médias,
qui ont un rôle à jouer dans cette entreprise avant tout pédagogique et d’éveil des masses.
[62] ↑ Cette phrase constitue la conclusion de l’analyse stratégique qui mena aux
attentats de New York et Washington en septembre 2001.
[63] ↑ Al-Zawahiri reprend ici la distinction entre « l’ennemi proche » ([al-‘aduw al-qarîb])
et « l’ennemi lointain » ([al-‘aduw al-ba‘îd]) qu’avait faite l’idéologue du jihad islamique
égyptien Abd al-Salam Faraj dans son livre L’Impératif occulté publié en 1981. Cependant,
al-Zawahiri inverse les priorités du combat : alors que Faraj conclut que le jihad contre
« l’ennemi proche » est le plus important, al-Zawahiri avance que c’est « l’ennemi
lointain » qui doit être combattu en premier. On peut comparer cette rhétorique avec celle
exprimée dix ans plus tôt dans La Moisson amère (voir p. 243).
[64] ↑ C’est notamment le cas en Arabie saoudite depuis le mois d’août 1990.
[65] ↑ C’est tout le paradoxe du mouvement salafiste jihadiste qui, politiquement, a
besoin de dépasser les questions mineures pour rassembler le plus largement possible,
mais qui, socialement, s’en montre quelquefois incapable, car attaché à un islam d
inspiration wahhabite, qui rejette toute autre forme d’islam. En Irak, la violence anti-chiite
de Zarqawi montrera la difficulté d’un tel projet de rassemblement.
[66] ↑ Mais l’une et l’autre de ces bases ont été perdues après le 11 septembre 2001 (la
Tchétchénie était en voie de l’être depuis 1999).
[67] ↑ La Tchétchénie et l’Afghanistan, situés dans la périphérie du monde islamique et
extérieurs au monde arabe, ne constituaient pas la meilleure des bases pour « libérer » la
péninsule Arabique et la Palestine. C’est pourquoi la mouvance jihadiste a considéré la
guerre américaine contre l’Irak comme une occasion inespérée de rapatrier le jihad au
cœur du monde arabe et musulman.
[68] ↑ La Tchétchénie et l’Afghanistan.
[69] ↑ Les attentats du 11 septembre 2001 vont contre cette mise en garde, puisqu’ils ont
mené à une intensification des « coups » portés sur les deux pays.
[70] ↑ Coran, 65/2,3.
[71] ↑ En arabe, [‘amaliyyât istichhâdiyya], littéralement « opérations-martyre ». La
formule apparaît avec les opérations-suicide du Hizbollah libanais au début des années
1980 et devient courante avec les opérations du Hamas palestinien à partir de 1995.
Certains médias arabes préfèrent l’expression « opération suicide » ([‘amaliyya
intihâriyya]) pour éviter de légitimer cette tactique. Le choix entre les expressions
« opération martyre » et « opération suicide » est donc devenu aujourd’hui une question
politique. Le terme « opération martyre » est d’une grande limpidité : le martyr, comme
cheminement intérieur ou destinal, se retrouve pris dans un processus de rationalisation
quasi industriel. Cette conjonction du mystique et de l’opérationnel est très représentative
de toute la culture jihadiste contemporaine, qui, dans ses excès discursifs et politiques, ne
peut occulter cette essence industrielle et très désenchantée qui l’habite.
[72] ↑ L’auteur prend la mesure des changements intervenus dans les sociétés
contemporaines : les dégâts se mesurent en quantité de victimes visibles, d’où parfois la
tendance à considérer les attentats des groupuscules qui se réclament d’Al-Qaida comme
mus par une violence aveugle, alors que l’objectif est plutôt de mettre en scène une
violence aveugle pour monopoliser les médias.
[73] ↑ Extension tous azimuts du domaine de la lutte : spatialement, il ne faut plus se
limiter à l’ennemi intérieur, et au niveau individuel et micro-social, il faut transformer le
moindre aspect de la vie quotidienne en un jihad permanent.
[74] ↑ Cette initiative a été lancée dès l’été 1997 par d’anciens membres du Groupe
islamique ([al-jamâ‘a al-islâmiyya]) égyptien, emprisonnés depuis le début des années
1980. En 1999, l’initiative est adoptée par la totalité des chefs historiques du mouvement,
en Égypte et à l’étranger, et en 2002, quatre ouvrages sont rédigés dans lesquels les
théoriciens du mouvement révisent, textes religieux à l’appui, leurs positions premières.
Cette initiative est en revanche très critiquée par d’autres figures de l’islamisme radical
égyptien, en tête desquels Ayman al-Zawahiri (voir l’introduction à al-Zawahiri).
[75] ↑ Personnages médiatiques par excellence, al-Zawahiri comme Ben Laden songent
continuellement à leur geste, comme exemple d’action et comme « hauts faits » qu’il s’agit
de laisser à la postérité. D’où l’importance donnée aux scénarios de leurs actions, aux
mises en scène de leurs déclarations, etc.
[76] ↑ La scène médiatique est donc considérée comme étant d’une importance
équivalente à la scène militaire. Cependant, bien que l’auteur distingue entre les deux
batailles, on peut se demander s’il ne s’agit pas de faire de la bataille médiatique une méta-
bataille qui engloberait le militaire, puisque, pour briser le monopole de l’information, il
faut figurer la violence, et donc faire de la scène militaire une scène médiatique.
Extraits de L’Allégeance et la Rupture
Un article de foi altéré et une réalité
perdue de vue [1]
Ayman al-Zawahiri
Chawal 1423/décembre 2002.
A
[2]
u nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux .
Les dernières décennies de l’histoire de l’oumma ont été celles
d’un conflit acharné opposant les forces de l’impiété, de l’injustice et
de l’arrogance à l’oumma et à son avant-garde combattante [3] ; ce
conflit a atteint son apogée avec les deux attaques bénies [4] contre
New York et Washington, puis l’annonce par Bush de sa nouvelle
croisade [5] contre l’islam, ou ce qu’il a appelé sa guerre contre la
terreur.
Au vu des événements de cette guerre, apparaissent, premièrement,
le besoin pressant de comprendre l’importance de la doctrine de
l’allégeance et de la rupture dans l’islam, alors que ce fondement
indispensable de la doctrine musulmane a été négligé et oublié [6] , et
deuxièmement, l’ampleur de la tromperie des ennemis de l’islam,
de leurs serviteurs et valets envers les masses de l’oumma lorsqu’ils
tentent de miner les bases de ce fondement solide, en faisant
apparaître les ennemis comme des alliés [7] et passer les bons pour
des méchants.
Parallèlement à leur croisade militaire, ces ennemis mènent une
opération de brouillage intellectuel et dogmatique [8] , en essayant
de rapiécer les lambeaux des régimes de nos pays en dépit de leur
corruption, de leur dépravation et de leur servilité face aux forces
internationales de l’oppression judéo-croisée.
Cette croisade qui vise à effacer les limites entre le Vrai et le
Faux [9] , à mêler les ennemis et les alliés, vise aussi – dans sa fébrile
tentative de contrer la croissance de la vague islamique
combattante – à camoufler la réalité de l’abandon, de la
dépendance, de la soumission à d’autres que Dieu, du
gouvernement selon une autre loi que la Sienne, sans compter la
dénaturation de l’appel à la vérité, au jihad et à l’honneur dont ont
fait leur étendard les avant-gardes de l’oumma et ses partisans,
[10]
ainsi que les masses qui les entourent .
Plus se renforce l’appel au jihad, à la vérité et à l’honneur, plus
s’enhardit face à eux l’appel à l’erreur, à l’inaction et à
l’avilissement, au point que ses promoteurs n’ont pas eu honte
d’adopter les idées des anciens extrémistes mourjites [11] , bien qu’ils
affirment haut et fort être les défenseurs de la religion des ancêtres
et des premiers siècles vertueux [12] . Ils n’ont pas hésité à faire leurs
les thèses des laïcs corrompus, bien qu’ils prétendent être les
gardiens de la loi révélée et ses défenseurs. Pour eux, il n’y a aucun
mal à être à la fois fonctionnaire [13] , militaire ou membre des
services de sécurité, journaliste ou juge, partisan de la laïcité,
prêchant la reconnaissance d’Israël et la reddition à sa force, et,
dans le même temps, un pieux musulman craignant Dieu, qui jeûne,
prie, accomplit le pèlerinage et verse l’aumône légale.
C’est ainsi que nous avons vu la plus noble des dynasties [14] , s’étant
mise au service des intérêts américains, prétendre défendre la
doctrine de l’unicité de Dieu ; nous avons vu des imams impies [15]
imposer les constitutions laïques, légiférer selon le droit positif, se
précipiter pour normaliser les relations avec Israël, tout en
dirigeant des concours de récitation du Coran [16] parmi les
étudiants d’universités où le port du voile est interdit ; nous avons
vu les plus cruels bourreaux des musulmans accomplir le petit et le
grand pèlerinage [17] ; nous avons vu les brigands afghans se mettre
à la solde des Américains [18] , lesquels les poussent devant eux pour
affronter les moujahidines, en tirant bon augure des uniformes des
martyrs et de la poussière qui recouvre leurs tombes ! Comme l’a
dit le cheikh de l’islam ibn Taymiyya [19] (que Dieu ait son âme !) à
propos des Mongols : « Jusqu’à ce que les gens constatent
l’importance qu’ils attachèrent à cette région et les voient s’emparer
de ses biens, honorer un homme et tirer bon augure de lui, puis le
dépouiller de ses vêtements, insulter ses femmes, lui infliger
diverses peines comme n’en infligent que les plus injustes et les plus
dépravés [20] , car celui qui prétend interpréter la religion ne punit
que celui qui se rebelle contre elle, mais eux honorent la religion de
celui qu’ils punissent puis affirment qu’il est plus obéissant qu’eux :
quelle interprétation peuvent faire de tels gens ? » (Les Grandes
Fatwas, 813e question, 4 vol., p. 332 et suivantes) .
[21]
11 - Résumé
[…]
Conclusion
En conclusion de ces pages, nous souhaiterions réaffirmer ces
points capitaux.
1. L’alliance avec les croyants et l’hostilité envers les infidèles est un
pilier essentiel de la croyance du musulman, sans lequel sa foi n’est
pas accomplie. Dieu a dit (qu’Il soit exalté !) : {Ô vous qui croyez ! Ne
prenez pas pour amis [165] les Juifs et les chrétiens ; ils sont amis les
uns des autres. Celui qui, parmi vous, les prend pour amis, est des
leurs. – Dieu ne dirige pas le peuple injuste –} (La table servie) [166] .
Et l’hostilité envers les infidèles implique de dénoncer l’impiété du
tyran [167] car Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Celui qui ne croit pas
aux Taghout, et qui croit en Dieu, a saisi l’anse la plus solide et sans
[168]
fêlure. – Dieu est celui qui entend et qui sait tout –} (La vache) ,
et Il a dit : {N’as-tu pas vu ceux qui prétendent croire à ce que nous
t’avons révélé, et à ce qui a été révélé avant toi ? Ils veulent s’en
rapporter aux Taghout bien qu’ils aient reçu l’ordre de ne pas croire
en eux. – Le Démon veut les jeter dans un profond égarement} (Les
femmes) [169] . Donc, il nous faut séparer les tyrans et leurs partisans,
et les renier.
2. Négliger ce pilier essentiel, c’est ouvrir une brèche par laquelle
s’infiltrent les ennemis de l’islam pour détruire l’oumma, la
tromper, l’engourdir puis la conduire à des désastres et à des
catastrophes. Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {S’ils étaient partis avec
vous, ils n’auraient fait qu’ajouter à votre trouble ; ils auraient semé
la défiance parmi vous en cherchant à vous inciter à la révolte,
puisque certains d’entre vous les écoutent attentivement. Mais Dieu
connaît les injustes !} (Le repentir) [170] .
3. Négliger ce pilier essentiel conduit à dissoudre le dogme
musulman et à le modifier. Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Ô vous
qui croyez ! Si vous obéissez aux infidèles, ils vous feront revenir
sur vos pas ; vous reviendrez, alors, ayant tout perdu} (La famille
d’Imran) [171] .
4. Plus que jamais, nous avons besoin de faire la part entre les
serviteurs de l’islam qui le défendent, ses ennemis qui l’agressent,
et les hésitants qui n’œuvrent que pour leurs intérêts en
affaiblissant la résistance de l’oumma et en la détournant de son
vrai champ de bataille [172] . Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Lorsque
tu les vois, leurs personnes te plaisent ; s’ils parlent, tu écoutes ce
qu’ils disent ; ils sont semblables à des poutres solides. Ils pensent
que tout cri est dirigé contre eux. Ils sont vos ennemis. Méfie-toi
d’eux ! Que Dieu les tue ! Ils sont stupides !}, (Les hypocrites) [173] , et
Il a aussi dit : {Ils sont indécis, ils ne suivent ni les uns ni les autres.
Tu ne trouveras pas de chemin pour celui que Dieu égare} (Les
femmes) [174] .
5. Comment pourrions-nous accepter les appels visant à
abandonner le champ de bataille devant les ennemis de l’oumma ?
Comment pourrions-nous rester silencieux devant leur tentative de
priver les musulmans du droit de se défendre contre leurs
ennemis ? C’est pourtant un droit dont jouissent tous les
hommes [175] , comment pouvons-nous nous taire devant leur
démoralisation alors que l’oumma dispose du secours prodigieux
des capacités des moujahidines sincères ? Comment pouvons-nous
laisser ces appels se répandre parmi nous alors que les criminels
nous attaquent avec toutes sortes d’hostilités ? Ils ne respectent
aucune pudeur, aucunes mœurs, aucune famille ni aucun pacte.
Tout musulman soucieux de la victoire de l’islam ne peut accepter
aucun appel à l’arrêt du jihad ou à son ralentissement, ou à en
décharger l’oumma, en dépit de toutes les capacités que nous avons
évoquées, et alors que nos ennemis attaquent tous les jours nos
lieux saints, nos richesses et ce que nous avons de plus sacré. Dieu
(qu’Il soit exalté !) a dit : {Ils n’observent à l’égard d’un croyant ni
alliance, ni pacte qui assurent la protection} (L’immunité) [176] .
Hadith rapporté par Ibn Omar (que Dieu l’agrée !) : « J’ai entendu le
Messager de Dieu (que la prière et le salut de Dieu soient sur lui !)
dire : « Si vous vous mettez à vendre à terme, puis à saisir les
queues du bétail [177] et vous contentez de l’agriculture, alors vous
abandonnerez le jihad et Dieu vous imposera un avilissement qui
ne disparaîtra que lorsque vous serez revenus à votre religion. »
rapporté par Ahmad et Abou Daoud [178] .
6. Non seulement nous ne nous contentons pas de refuser tout appel
à l’arrêt du jihad, mais nous appelons l’oumma avec toutes ses
composantes à rejoindre la caravane du jihad [179] et à suivre sa
voie, à rivaliser avec lui et à frapper l’ennemi. Dieu (qu’Il soit
exalté !) a dit : {Ô vous les croyants ! Vous indiquerai-je un marché
qui vous sauvera d’un châtiment douloureux ? Vous croirez en Dieu
et en Son prophète, vous combattrez dans le chemin de Dieu avec
vos biens et vos personnes – Voilà un bien pour vous ; si vous
saviez ! – Dieu vous pardonnera vos péchés, il vous fera entrer dans
les Jardins où coulent les ruisseaux ; dans des demeures agréables,
dans les Jardins d’Eden. – Voilà le bonheur sans limites ! – Vous
aimez autre chose encore : un secours venant de Dieu et une
prompte victoire. Annonce la bonne nouvelle aux croyants !} (Le
rang) [180] .
7. Nous tendons la main à tous les musulmans soucieux de la
victoire de l’islam afin qu’ils participent à notre plan de travail
(visant à sauver l’oumma de sa douloureuse situation), lequel
repose sur l’hostilité aux tyrans, l’hostilité contre les infidèles,
l’allégeance aux croyants et le jihad sur la voie de Dieu [181] . Un plan
de travail dans lequel chaque musulman soucieux de la victoire de
l’islam rivalisera de générosité et de don pour libérer les territoires
musulmans, restaurer la domination de l’islam sur son territoire
puis répandre son appel dans le monde entier [182] .
8. Nous mettons en garde notre oumma contre l’esprit négatif et
l’oubli des périls énormes qui nous menacent. L’appareil militaire
judéo-croisé occupe la sainte Jérusalem, se tapit à 90 km du
sanctuaire de La Mecque [183] , et encercle le monde musulman d’une
chaîne de bases militaires et de flottes. Et ils dirigent leur agression
grâce à un réseau de gouvernants qui leur sont soumis.
Nous ne vivons pas sur une autre planète et ne voulons pas nous
comporter comme si mille ans nous séparaient du danger : nous
ouvrons chaque matin les yeux pour trouver les blindés juifs
détruisant les maisons à Gaza et à Jénine [184] , et assiégeant nos
domiciles.
La campagne contre l’Irak ne sera pas la dernière, et l’assassinat, au
Yémen, d’Abou Ali al-Harithi [185] par des missiles américains porte
les traces du style israélien de liquidation des moujahidines en
Palestine qui se développe dans le monde arabe. Demain, n’importe
lequel d’entre nous peut être visé par un missile américain, l’index
américain sera pointé sur tout prédicateur sincère comme sur tout
écrivain noble [186] .
Nous devons agir vite, ayant assez perdu de temps [187] .
Les jeunes musulmans ne doivent attendre la permission de
personne [188] , car le jihad contre les Américains, les Juifs et leurs
alliés parmi les hypocrites et les apostats est devenu une obligation
individuelle, comme nous l’avons montré, et chaque groupe de
jeunes gens doit soutenir l’oumma et se préparer à la défendre contre
toute agression [189] . Il nous faut mettre le feu à notre terre sous les
pas des envahisseurs, sans quoi ils ne partiront jamais.
En conclusion, nous appelons notre oumma, et surtout ses jeunes
combattants, à l’endurance et à la certitude, l’endurance pour
porter les charges de la religion, et notamment le sommet [190] de ses
obligations : le jihad dans la voie de Dieu. Dieu (qu’Il soit exalté !) a
dit : {Ô vous qui croyez ! Soyez patients ! Encouragez-vous
mutuellement à la patience ! Soyez fermes ! Craignez Dieu ! Peut-
être serez-vous heureux !} (La famille d’Imran) [191] , ainsi qu’à la
certitude de la promesse de Dieu (qu’Il soit exalté !). Car il a dit
(qu’Il soit exalté !) : {Dieu a écrit : « Moi et mes prophètes, nous
[192]
vaincrons sûrement ! » Dieu est fort et puissant.} (La dispute) .
Mouslim [193] a rapporté un hadith qu’il tenait d’Ouqba ibn Amir [194]
(que Dieu l’agrée !) : « J’ai entendu le messager de Dieu (que la
prière et le salut de Dieu soient sur lui !) dire : “Une partie de ma
communauté continuera à combattre pour Dieu, en vainquant ses
ennemis, sans souffrir de ceux qui s’y opposent, et ce jusqu’au
Jugement dernier” » [195] .
Enfin, notre dernière parole sera pour louer Dieu, Seigneur des
mondes, et Lui demander qu’il accorde paix et salut à notre
seigneur Mohammad, sa famille et ses compagnons.
Ayman al-Zawahiri, Chawal 1423/décembre 2002.
Notes du chapitre
[1] ↑ Ce texte a été publié dans Al-Quds al-Arabi en décembre 2002, et on peut aujourd’hui
le trouver sur le site Internet Minbar al-tawhid wa’l-jihad (www.tawhed.ws). Hormis une
déclaration enregistrée en octobre 2002, al-Zawahiri était resté silencieux depuis les
combats en Afghanistan de la fin 2001 et la publication de Cavaliers sous l’étendard du
Prophète.
[2] ↑ Cette invocation, qui figure avant toutes les sourates du Coran excepté la sourate 9
[sûrat al-tawba], est utilisée comme en-tête de nombreux textes, parfois même d’ordre
privé.
[3] ↑ En arabe, [talî‘a], force de reconnaissance ou éclaireurs. L’avant-garde a cependant
un autre sens : élite, formation de tête. Ici, les deux sens sont mobilisés : les « éclaireurs »
du 11 septembre 2001 sont également l’élite de la formation combattante d’Al-Qaida.
[4] ↑ En arabe, [ghazwa mubâraka]. La [ghazwa] est un raid ou une expédition qui rompt
une trêve. C’est peut-être le sens retenu ici : l’attaque de New York dont parle l’auteur vise
en fait à mettre en lumière par une déclaration publique l’état de guerre qui existerait
entre les États-Unis et le monde musulman. Plus généralement, cependant, le terme de
[ghazwa] est employé pour désigner les batailles menées par le Prophète. Le terme
[mubâraka] – bénie – ajoute que l’action a été sanctionnée par Dieu et couronnée de
succès.
[5] ↑ Dans l’une de ses maladresses les plus lourdes de conséquences, le président Bush,
encore sous le choc des attentats qui s’étaient produits quelques jours plus tôt, déclara le
17 septembre 2001 : « Cette croisade, cette guerre contre le terrorisme, va prendre un
moment. » Devant le tollé provoqué par l’emploi de ce terme très connoté historiquement
et religieusement, Bush présenta le lendemain ses excuses par la voix du porte-parole de la
Maison-Blanche, Ari Fleicher, qui expliqua que le président n’entendait par le mot crusade
que son sens le plus courant de « cause importante ». Les jihadistes s’empressèrent
néanmoins de récupérer cette déclaration, qu’ils exhibent depuis lors comme une preuve
irréfutable du fait que la « guerre contre le terrorisme » prônée par l’administration
américaine n’est en (ait rien d autre qu’une nouvelle croisade contre l’islam, dans la lignée
des croisades du Moyen Âge.
[6] ↑ Sur les origines du dogme de l’allégeance et de la rupture ([al-walâ’ wa-l-barâ’]), se
reporter au chapitre introductif sur Ayman al-Zawahiri, p. 239.
[7] ↑ Le mot [walî] employé par l’auteur, et qui figure dans plusieurs des versets qui vont
être cités, signifie : allié, ami, patron, ou protecteur. Sa traduction est problématique,
comme nous l’avons noté auparavant (voir note 14, p. 244 dans al-Zawahiri, La Moisson
amère).
[8] ↑ Le danger que constituent les médias occidentaux, et plus largement le monopole de
l’information par les puissances occidentales, est un thème récurrent chez les idéologues
d’Al-Qaida, notamment chez Ben Laden, qui développe cette appréhension dans plusieurs
passages de ses « Recommandations tactiques ».
[9] ↑ En arabe, [al-haqq wa-l-bâtil], le Vrai et le Faux, au sens métaphysique du terme. En
ce sens, une autre traduction pourrait être le Bien et le Mal, le Bien et le Vrai étant perçus
comme équivalents.
[10] ↑ L’utilisation d’un vocabulaire et de thématiques marxistes – masses ([jamâhîr]) et
avant-garde ([talî‘a]), par exemple – est fréquente dans la littérature jihadiste.
[11] ↑ Les mourjites sont ceux qui professent (fal-irjâ’]) le « renvoi » ou l’« ajournement ».
Historiquement, cette doctrine est née à Koufa, à l’époque de la [fitna] (guerre civile
opposant les partisans d’Ali, le quatrième calife, à ceux de Mouawiya, fondateur de la
dynastie omeyyade, qui sera finalement son successeur, dans la seconde moitié du VIIe
siècle). Les mourjites appelaient à la neutralité et refusaient de juger ici-bas les actes des
hommes, ce qui revenait à adopter une attitude conciliante envers les Omeyyades au
pouvoir. Les mourjites définissaient le croyant par sa foi, et non par ses actions ou son
respect des obligations rituelles. Violemment déprécié par le sunnisme orthodoxe (dont
Ahmad ibn Hanbal, le fondateur de l’école hanbalite), le terme de mourjite est devenu une
désignation polémique dans la bouche des islamistes radicaux contemporains qui
l’utilisent pour caractériser – et délégitimer – ceux qu’ils appellent aussi les « oulémas de
palais », donnant leur blanc-seing à l’action des régimes en place. Dans le cadre saoudien
en particulier, cette polémique a pour enjeu la remise en cause de la légitimité de
l’institution religieuse wahhabite officielle. C’est ainsi que l’un des personnages les plus
influents de la mouvance islamiste saoudienne, Safar al-Hawali, intitula sa thèse de
doctorat, soutenue en 1986 à l’université Oumm al-Qoura de La Mecque devant
Mohammed Qotb, « Le phénomène de l’irja’ dans la pensée islamique. » Il y fait de l’[irjâ’]
une réalité contemporaine à combattre, incarnée – suggère-t-il implicitement – par
l’institution religieuse officielle. Voir G. Kepel, Fitna…, op. cit., p. 219-221.
[12] ↑ Il s’agit ici de l’islam des « pieux ancêtres » ([al-salaf al-sâlih]), dont se réclament les
wahhabites, et plus largement les salafistes. Voir note 31, p. 144 dans Abdallah Azzam, La
Défense des territoires musulmans.
[13] ↑ Les adeptes du salafisme radical refusent en général de travailler dans les
administrations d’État, et méprisent ceux qui le font, car cela implique de reconnaître la
légitimité du pouvoir en place. On les trouvera plus souvent dans le commerce (d’autant
que le Prophète, leur modèle suprême, était lui-même commerçant).
[14] ↑ Al-Zawahiri use ici de sarcasme pour désigner la famille royale saoudienne, sur
laquelle on connaît par ailleurs sa position.
[15] ↑ Il pense ici probablement aux oulémas de l’université religieuse d’al-Azhar en
Égypte, qui ont approuvé l’adoption des différentes constitutions égyptiennes et la paix
avec Israël en 1979, et dont certains, comme le grand cheikh d’al-Azhar Ali al-Tantaoui, ont
participé à des rencontres inter-religieuses avec des rabbins israéliens. Il vise peut-être
aussi ceux de l’institution religieuse wahhabite saoudienne, qui ont dû tolérer – parfois à
leur corps défendant – l’adoption d’un corpus de lois positives venant compléter celui
fondé sur la loi islamique, et ont autorisé, en 1995, la signature éventuelle d’un traité de
paix avec Israël.
[16] ↑ Les concours de récitation du Coran sont très répandus dans le monde musulman,
comme moyen de promotion de l’islam. Ils sont quelque fois retransmis à la télévision, et
les prix peuvent s’élever à des sommes d’argent conséquentes.
[17] ↑ Il s’agit du [hajj] et de la [‘umra]. Le premier est un ensemble de rites qui se
déroulent au cours d’un moment particulier du mois de dhou al-hijja du calendrier
islamique, entre La Mecque et des lieux environnants (Mina, Arafa, et Mouzdalifa), et
constitue l’un des cinq piliers de l’islam. La seconde est une visite qui peut avoir lieu tout
au long de l’année, et qui, tout en étant également codifiée, n’a pas un caractère
obligatoire.
[18] ↑ Il s’agit ici de l’Alliance du Nord, dirigée par le commandant Massoud jusqu’à sa
mort le 9 septembre 2001, et sur laquelle les Américains s’appuyèrent pour reprendre
Kaboul, lors de l’offensive d’octobre 2001.
[19] ↑ Sur Ibn Taymiyya, voir note 60, p. 166 dans Azzam, Rejoins la caravane !
[20] ↑ Al-Zawahiri, ayant lui-même subi la torture dans les prisons égyptiennes au début
des années 1980, évoque souvent, dans ses textes, la cruauté des régimes arabes.
[21] ↑ On trouve ici un passage polémique où Ibn Taymiyya décrit l’attitude des Mongols,
fraîchement convertis à l’islam, qui imposent leur propre loi à leurs sujets musulmans tout
en prétendant agir en vertu de l’islam. À la suite d’ibn Taymiyya, les Mongols occupent
dans imaginaire islamiste la place des « hypocrites », des « faux musulmans » qu’il faut
combattre et auxquels sont assimilés les gouvernants arabes contemporains.
[22] ↑ Les deux sanctuaires ([al-haramayn]) désignent La Mecque et Médine, en Arabie
saoudite.
[23] ↑ En arabe, [charî’a].
[24] ↑ Coran, 9/46-47.
[25] ↑ C’est-à-dire les gens de Médine. Yathrib est l’ancien nom de la ville, surnommée
après l’hégire, la ville du Prophète ([madînat al-nabî]) ou plus simplement la Ville ([al-
madîna]).
[26] ↑ Coran, 33/12-14.
[27] ↑ On note ici dans le discours d’al-Zawahiri le passage de la tradition qotbiste, qui
fait de la violation du dogme d’[al-hukm bi-mâ anzala allâh] (le gouvernement en fonction
de ce que Dieu a révélé) le principal problème de notre temps et qui caractérise son
engagement politique contre le régime égyptien, aux tendances les plus radicales de la
tradition wahhabite, pour qui la violation du dogme de « l’allégeance et de la rupture »
([al-walâ’ wa-l-barâ’]) représente le problème central. C’est le comble de la sédition ([al-
fitna al-kubrâ]).
[28] ↑ Coran, 11/88 (seule la fin du verset est citée).
[29] ↑ Al-Zawahiri fait ici allusion aux politiques étrangères pro-américaines des régimes
du Moyen-Orient, comme l’Égypte et l’Arabie saoudite.
[30] ↑ De la traduction du terme [awliyâ’], pluriel de [walî], dépend l’interprétation de ce
verset : « ami », « allié » ou « protecteur » (voir note 14, p. 244 dans al-Zawahiri, La Moisson
amère).
[31] ↑ Coran, 3/28.
[32] ↑ Al-Tabari : Abou Jaafar Mohammad (839-923), fameux savant musulman d’origine
persane, auteur du [Jâmi’ al-bayân fî tajsîr âyât al-qur’ân], souvent abrégé en Commentaire
de Tabari ([tafsîr al-tabarî]). Auteur prolixe, il est célèbre également pour son Histoire dont
de larges parties furent reprises, comme c’était l’usage, par Ibn al-Athir puis Ibn Khaldoun.
Al-Tabari reste une référence emblématique de l’islam orthodoxe de l’âge classique, avec
Ibn Hanbal et al-Achari.
[33] ↑ Coran, 4/138-139.
[34] ↑ Coran, 4/144.
[35] ↑ Idem.
[36] ↑ Ce verset est, parmi tous ceux présentés ici, le plus couramment cité pour dénoncer
les relations qu’entretiennent les régimes moyen-orientaux avec les gouvernements
occidentaux.
[37] ↑ Le terme [hizb allâh], signifiant « parti de Dieu », a inspiré différents mouvements
islamistes qui l’ont adopté comme nom ; le plus connu est le Hezbollah libanais.
[38] ↑ Coran, 5/51-58.
[39] ↑ C’est l’auteur (al-Zawahiri) qui souligne.
[40] ↑ Sur Ibn Hajar al-Asqalani, juriste égyptien du XVe siècle (1372-1449), voir note 100,
p. 174 dans Azzam, Rejoins la caravane !
[41] ↑ Dans l’histoire de l’islamisme, des groupes ont, en vertu d’une certaine
interprétation de ce hadith, choisi de s’isoler par rapport à une société qu’ils considèrent
impie, faisant leur exil ([hijra]). Ce fut le cas dans les, années 1970 du groupe Jamâ’at al-
muslimîn, plus connu sous le nom d’Al-takfir wa-l-hijra en Égypte (voir note 49, p. 252),
ainsi que de certaines communautés en Arabie saoudite. Ce n’est en revanche pas le cas
des milieux jihadistes auxquels appartient al-Zawahiri puisque, comme on l’a vu avec la
préparation des attentats du 11 septembre 2001, ceux-ci n’hésitent pas à s’intégrer à une
société non-musulmane, quoique principalement pour des raisons tactiques.
[42] ↑ Coran, 5/80-81.
[43] ↑ C’est en vertu de ce commandement que de nombreux militants jihadistes
n’hésitent pas à rompre toute relation avec leur famille.
[44] ↑ Coran, 9/23-24.
[45] ↑ Ibn Kathir : Imad al-Din Ismaïl, né vers 1300, mort à Damas en 1373, est un
historien et un traditionniste célèbre. Influencé très jeune par ibn Taymiyya, il devint
professeur de hadith, et participa marginalement aux débats et polémiques de son époque.
Son œuvre la plus importante, Le Début et la Fin ([al-bidâya wa-al-nihâya]), est une vaste
histoire de l’islam. Il est également connu pour son Recueil des recueils ([kitâb al-jâmi‘]),
compilation des principaux recueils de hadith. Enfin, son Commentaire du Coran ([tafsîr])
est une analyse philologique plus qu’une exégèse.
[46] ↑ En arabe, terme désignant en premier lieu tout homme ayant retenu le Coran par
cœur, puis, en tant que titre honorifique, un grand savant ayant su retenir de nombreux
hadiths, comme c’est ici le cas.
[47] ↑ Al-Bayhaqi (mort en 1066), juriste et traditionniste persan (voir note 34, p. 144 dans
Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans).
[48] ↑ On a là un exemple d’une chaîne de transmission d’une tradition : le compilateur
rapporte l’ensemble des refais qui remontent jusqu’au témoin du dit ou du fait du
Prophète. L’absence de lacunes dans la chaîne et la valeur morale et religieuse des relais
de cette chaîne participent à la classification du hadith selon sa plus ou moins grande
véracité. Voir dans La Défense, note 36, p. 146.
[49] ↑ Sur Abou Oubayda, compagnon du Prophète, voir note 18, p. 156 dans Abdallah
Azzam, Rejoins la caravane !
[50] ↑ Coran, 3/118.
[51] ↑ Vers d’Abib ibn al-Abrass, poète de l’anté-islam, mort vers 600.
[52] ↑ Traditionniste du IXe siècle. Voir note 30 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[53] ↑ Abou Hourayra, compagnon du Prophète mort vers 678, est l’un des principaux
rapporteurs de hadiths. Des milliers de traditions s’appuient sur son témoignage.
[54] ↑ L’un des principaux compagnons du Prophète, important rapporteur de traditions.
[55] ↑ Al-Zawahiri se réfère ici implicitement aux experts étrangers auxquels les
gouvernements arabes font appel.
[56] ↑ Abou Moussa al-Achari, compagnon du Prophète, mort en 665. Voir note 88, p. 280
dans al-Zawahiri, Cavaliers sous l’étendard du Prophète.
[57] ↑ Avec le califat d’Omar (634-644) et l’expansion géographique de l’État musulman
naissant, une administration embryonnaire vit le jour, et les musulmans furent obligés de
s’appuyer sur les administrations des territoires conquis : ainsi, beaucoup d’anciens
fonctionnaires de l’empire byzantin, de religion chrétienne, se retrouvèrent au service des
musulmans. Cela resta vrai jusqu’à l’époque mamelouke (XIIIe siècle). Dans l’exemple cité,
Abou Moussa, l’un des conquérants de la Mésopotamie, parle très certainement d’un de ces
chrétiens passés au service de l’empire califal. Voir note 17, p. 156 sur Omar dans Abdallah
Azzam, Rejoins la caravane !
[58] ↑ En arabe, [amîr al-mu’minîn], titre porté par le calife depuis le règne d’Omar (634-
644), le deuxième calife.
[59] ↑ Al-Qourtoubi, juriste, exégète et théologien. Voir note 13, p. 64 dans Ben Laden,
« Déclaration du Front islamique. »
[60] ↑ Al-Hîra, capitale du royaume arabe lakhmide avant l’islam, au sud-est de l’actuelle
Najaf, en Irak. Cette ville et sa région furent un centre intellectuel important pendant la
période pré-islamique : « Des traditions arabes persistantes situent l’origine de l’écriture
arabe à Anbâr, sur la rive gauche du Moyen-Euphrate, d’où elle serait passée à Hîra, sur la
rive droite. » Alfred-Louis de Prémare, Les Fondations de l’islam, Paris, Le Seuil, 2002, p.
242.
[61] ↑ En arabe, [dhimmî] au singulier et [ahl al-dhimma] au pluriel. Statut accordé aux
« gens du Livre » vivant dans un État musulman. Ceux-ci sont alors protégés en échange du
paiement d’un impôt discriminant, la [jizya].
[62] ↑ Désigne Ahmad ibn Hanbal, le fondateur de l’école juridique hanbalite. Voir note
20, p. 142 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[63] ↑ Abou Talib est l’oncle paternel du Prophète, qui l’éleva et le protégea lors des
premières années qui suivirent la révélation. Il mourut en 619, sans probablement se
convertir lui-même. Il demeure cependant considéré comme un modèle dans
l’apologétique islamique, contrairement à d’autres notables de la tribu de Qouraych, voire
à des membres de la famille du Prophète, comme son autre oncle Abou Lahab.
[64] ↑ Le [kharâj] est un terme qui, dès avant l’islam, désigne l’impôt. Avec l’avènement
de l’islam, il prend le sens plus spécifique d’impôt foncier. Au début de l’ère musulmane, le
[kharâj] est distingué du [‘uchr], dîme qui tient parfois lieu de [zakât] – aumône légale –
pour les propriétaires fonciers musulmans.
[65] ↑ En arabe, [dîwân]. Voir Janine et Dominique Sourdel, Dictionnaire historique de
l’islam, Paris, PUF, 1996.
[66] ↑ Abou Bakr fut le premier calife (632-634), dit [al-Siddîq] (le Véridique). Né vers 570,
marchand, il fut l’un des premiers convertis, accompagna le Prophète lors de son exil et
semble avoir été considéré comme un membre important de la jeune communauté. Il fut
désigné comme chef de l’État islamique naissant après la mort du Prophète (632) et prit le
titre de « successeur de l’Envoyé de Dieu » ([khalîfat rassûl allâh]). Les deux ans que dura
son califat virent l’amorce de l’expansion musulmane en Syrie et en Irak, et le contrôle
définitif du Hedjaz après la répression des tribus qui avaient apostasie. Au bout de deux
ans de règne, il mourut assassiné, en 634.
[67] ↑ Il s’agit, ici encore, d’ibn Taymiyya, référence majeure des islamistes radicaux.
[68] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[69] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[70] ↑ Coran, 47/25-26.
[71] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[72] ↑ Coran, 5/51.
[73] ↑ Coran, 5/41.
[74] ↑ Coran, 9/47.
[75] ↑ Expression employée durant la prière collective musulmane.
[76] ↑ [Ahl al-kitâb] : croyants d’une des religions monothéistes, le Livre étant l’ensemble
des textes sacrés de la tradition abrahamique.
[77] ↑ Cela renvoie directement à la, participation, active ou passive, des États du Moyen-
Orient aux guerres conduites par les États-Unis dans la région. Ce fut le cas pour la guerre
contre l’Afghanistan des talibans déclenchée en octobre 2001, menée notamment à partir
des bases américaines situées au Qatar et au Bahrein. Au moment où al-Zawahiri rédige ce
texte, à la fin 2002, la guerre contre l’Irak semblait à la fois inéluctable et imminente, et la
question de l’attitude des États de la région à l’égard du conflit à venir se posait. Al-
Zawahiri semble donc, par ce texte, les mettre en garde.
[78] ↑ Coran, 5/51-53. La répétition ad nauseam de certains versets manifeste ici sa
dimension d’endoctrinement, au sens propre.
[79] ↑ L’une des branches de l’exégèse musulmane, [asbâb al-nuzûl], consiste à enquêter
sur les circonstances de la révélation des diverses sourates du Coran.
[80] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[81] ↑ Ibn Hazm : Abou Mohammad (994-1064), écrivain et théologien andalou de grande
renommée. Ayant vécu la période troublée des Reyes de Taifas (roitelets s’étant partagés
les villes et provinces du califat omeyyade agonisant), il participa à la vie politique avant
de se retirer de la scène publique pour se consacrer à son œuvre. Son Collier de la colombe
([tawq al-hamâma]) est un classique de la littérature amoureuse, connu pour la finesse de
son analyse psychologique. Professant la doctrine zahirite, qui vise à un littéralisme
modéré, il tenta de simplifier le droit musulman en le dépouillant des ajouts postérieurs à
l’époque des premiers califes. Ennemi des écoles juridiques ou philosophiques accordant à
l’interprétation du texte religieux une large place, ibn Hazm reste une référence (assez
originale, il est vrai) du sunnisme orthodoxe contemporain de type wahhabite.
[82] ↑ L’auteur reprend ici la distinction classique entre le [dâr al-islâm], littéralement
« maison de l’islam », à savoir le territoire de l’oumma, et le [dâr al-harb], littéralement
« maison de la guerre ». Voir note 39, p. 146 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[83] ↑ L’image employée ici s’inspire de l’esclavage (le verbe [abaqa] signifiant
« s’enfuir », pour un esclave), comme cela est fréquent dans la culture arabe classique.
[84] ↑ Coran, 9/71.
[85] ↑ Abou Mohammad est la [kunya] d’Ibn Hazm. Sur ce mot, voir la note 1, p. 367 dans
l’introduction à al-Zarqawi.
[86] ↑ L’une des conséquences du décret d’apostasie est d’entraîner automatiquement la
dissolution du mariage de celui qui en est frappé, puisqu’un non-musulman ne saurait être
marié à une femme musulmane. C’est ainsi qu’en 1995, un tribunal religieux du Caire
prononça la dissolution du mariage de Nasr Hamid Abou Zayd, penseur religieux et
professeur à l’université du Caire, sur la base de son apostasie supposée. Celui-ci dut alors
quitter l’Égypte pour s’installer avec son épouse aux Pays-Bas, où il enseigne désormais à
l’université de Leyde. L’affaire, très médiatisée, embarrassa considérablement le pouvoir
égyptien, qui vit, à cette occasion, son image de garant d’un « islam modéré » battue en
brèche.
[87] ↑ Province de l’Inde médiévale contenant la basse vallée et le delta de l’Indus ;
aujourd’hui l’une des six provinces constitutives du Pakistan, dont la capitale est Karachi.
[88] ↑ Au moment de, la publication de ce texte, l’invasion de l’Irak par les troupes de la
coalition menée par les États-Unis paraît inéluctable. Al-Zawahiri interdit ici, par avance,
toute coopération avec une administration mise en place par les Américains.
[89] ↑ Ici plus explicitement encore qu’ailleurs dans le texte, références anciennes et
actuelles se télescopent puisque al-Zawahiri en appelle directement aux anciens pour
juger de la situation présente.
[90] ↑ Le commandement central des forces américaines au Moyen-Orient (Cent Com) se
trouve à Qatar, tandis que la Ve flotte est basée à Bahreïn.
[91] ↑ Le général Musharraf, au pouvoir au Pakistan depuis le coup d’État militaire du
12 octobre 1999, est l’une des bêtes noires des jihadistes, puisqu’il s’est révélé, au
lendemain des attentats du 11 septembre 2001, comme l’un des alliés les plus fidèles de
Washington au Moyen-Orient.
[92] ↑ Le port d’Aden est un important port de ravitaillement pour les navires
américains, et plus généralement occidentaux, en route entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie.
C’est là qu’en octobre 2000, le croiseur de guerre USS Cole fut frappé par un attentat qui
coûta la vie à 17 marins. En novembre 2002, c’est au large d’un autre port yéménite, al-
Moukalla, situé plus à l’est, que le pétrolier français Limbourg fut frappé.
[93] ↑ Al-Zawahiri pense ici au canal de Suez, par lequel transitent les navires américains,
et plus généralement occidentaux, rejoignant le Moyen-Orient depuis l’Europe.
[94] ↑ Le 3 novembre 2002, un cadre présumé d’Al-Qaida, Abou Ali al-Harithi, soupçonné
d’avoir participé à la planification de l’attentat contre l’USS Cole, a été tué dans la région de
Maarib, à 200 kilomètres à l’est de la capitale Sanaa, par un tir de missile depuis un drone
Predator sans pilote, opéré par la CIA. Il se trouvait alors dans une voiture, avec cinq autres
personnes. Le gouvernement yéménite a tacitement approuvé l’opération.
[95] ↑ En arabe, [asliyy]. Al-Zawahiri définit ici clairement les trois catégories d’ennemis :
les infidèles « d’origine » (les Occidentaux « en guerre contre l’islam »), les apostats ([al-
murtaddûn]) et les hypocrites ([al-munâfiqûn]). Dans les deux derniers cas, il se réfère aux
régimes arabes et à ceux qui les soutiennent, la différence entre le premier et le second
terme n’étant qu’une différence de degré.
[96] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[97] ↑ Dans certains cas, en effet, celui qui a contracté une dette peut avoir besoin de
l’autorisation de son créancier pour partir au jihad, de peur qu’il n’y trouve la mort et que
la dette demeure impayée. Voir Pautre mention dans le texte d’Azzam, p. 67.
[98] ↑ Désigne Ahmad ibn Hanbal, le fondateur de l’école juridique hanbalite. Voir note
20, p. 142 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[99] ↑ En arabe, [hurma]. Il s’agit de l’intégrité morale d’une personne, de ses proches et,
plus généralement, de ce qu’on appellerait aujourd’hui l’espace privé, qui doit être hors de
portée du regard, et à plus forte raison, d’une intrusion physique ou morale étrangère. La
racine [hâ râ mîm] embrasse les sens variés d’interdit, de sacré, de tabou.
[100] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[101] ↑ Ibn Taymiyya expose ici, d’une certaine manière, la différence entre Azzam et
Ben Laden.
[102] ↑ Il y eut ainsi au Moyen Âge plusieurs oulémas combattants. Voir Michael Bonner
Le Jihad. Origines, interprétations, combats (Paris, Téraèdre, 2004), notamment le chap. 7 :
« Les érudits en armes ».
[103] ↑ Sur Ibn Taymiyya – voir note 60, p. 166 dans Rejoins la caravane !
[104] ↑ C’était pour al-Zawahiri, avant la fin des années 1990, non pas l’une des plus
importantes, mais la plus importante forme de jihad. Comme on le voit ici, il croit toujours
en son importance, mais il la situe à présent en seconde position dans la liste de ses
priorités.
[105] ↑ Coran, 4/65. Là encore, l’auteur répète, à un paragraphe d’intervalle, le même
verset. Un tel procédé vise à l’endoctrinement du lecteur sympathisant par l’argument
d’autorité que constitue la référence coranique.
[106] ↑ Al-Chafii : Abou Abdallah Mohammad, fameux juriste, à l’origine de l’une des
quatre grandes écoles juridiques du sunnisme, qui porte son nom. Né en 767, descendant
de la famille du Prophète (ce qui joua un rôle dans sa légitimation), il fut l’élève de Malik
ibn Anas, le fondateur de l’école malékite. Persécuté un moment pour avoir soutenu des
rivaux des Abbassides (au pouvoir à partir de 750), il refusa ensuite toute fonction
officielle et termina sa vie en Égypte, professeur dans une mosquée de Foustat (site près
duquel sera fondé Le Caire). Le chafiisme met l’accent sur le « raisonnement par analogie »
([qiyâs]) et réduit l’espace accordé au juge (par rapport à ce qui est en vigueur chez son
devancier Abou Hanifa). Sur la question des hadiths, en revanche, il fut particulièrement
attaqué par les malékites et les hanbalites, qui l’accusèrent d’être peu regardant sur la
validité des traditions qu’il citait ou rapportait. Le fait qu’al-Zawahiri, qui s’inscrit plutôt
dans une tradition hanbalite-wahhabite, cite ici al-Chafii illustre encore une fois sa volonté
de légitimer ses positions non par une tradition spécifique, mais par toutes les traditions.
[107] ↑ Coran, 4/59.
[108] ↑ Coran, 4/64.
[109] ↑ Coran, 4/80.
[110] ↑ Coran, 4/65.
[111] ↑ Coran, 24/63.
[112] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[113] ↑ Sur la [zakât], voir note 59, p. 166.
[114] ↑ Coran, 5/50.
[115] ↑ Traditionniste : voir note 45, p. 322.
[116] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne. Il s’agit d’effacer la distinction entre erreurs
majeures et erreurs mineures. Toute dérogation (délibérée) à un point du culte doit être
considérée comme une potentielle apostasie, puisqu’elle remet en cause l’ensemble du
système.
[117] ↑ Coran, 66/9.
[118] ↑ Exégète andalou. : voir note 13, p. 64.
[119] ↑ Ce passage, ainsi d’ailleurs qu’une grande partie de ce texte, est représentatif du
mode d’écriture des idéologues jihadistes : les citations, qui s’accumulent, doivent
idéalement saturer le texte et le rendre le plus impersonnel possible. Les commentaires de
l’idéologue, aussi intempestifs soient-ils, doivent s’insérer dans un système de citations
d’auteurs classiques et de textes religieux pour mieux faire valoir leur caractère orthodoxe
et indiscutable. Al-Zawahiri prend d’ailleurs un soin presque maniaque à citer chaque fois
scrupuleusement ses sources (y compris les numéros de pages des ouvrages religieux sur
lesquels il s’appuie) – ce que les oulémas traditionnels, sûrs de leur érudition religieuse, ne
font pas. C’est pour al-Zawahiri – qui, rappelons-le, est médecin de formation et n’a jamais
suivi d’études religieuses – une manière de compenser le déficit de légitimité qui pourrait
découler de son état. Mais c’est aussi une manière de remettre en cause le magistère même
des oulémas, en présentant les textes comme suffisamment explicites pour qu’ils se
suffisent à eux-mêmes.
[120] ↑ Coran, 5/51-53.
[121] ↑ On a ici un autre exemple de répétition d’une citation en l’espace de quelques
pages, procédé dont est coutumier ce genre de littérature.
[122] ↑ Il s’agit ici de l’émigration vers le [dâr al-islâm] appelée [hijra] (le même terme,
traduit par hégire, est utilisé pour désigner la fuite du Prophète de La Mecque en 622, qui
marque le début du calendrier musulman).
[123] ↑ Coran, 8/72-75.
[124] ↑ Ibn al-Arabi (1165-1240), appelé le Grand Cheikh, est un savant religieux et un
mystique musulman andalou, auteur notamment d’[al-futuhât al-makiyya], partiellement
traduit en français sous le titre Les Ouvertures mecquoises. Grand voyageur, ses œuvres
furent écrites sous l’influence de ses cheminements spirituels mais aussi géographiques. Il
est intéressant de noter que son soufisme fait d’ibn al-Arabi un hérétique aux yeux des
plus radicaux des oulémas wahhabites. Il est néanmoins cité : ce qui, une fois de plus,
correspond à une volonté de présenter les positions exprimées ici comme n’étant pas celle
d’une école particulière, mais de toutes. De nouveau, Zawahiri se positionne donc en
intellectuel organique de l’ensemble de la communauté des croyants, par-delà les seuls
jihadistes.
[125] ↑ Monnaie arabe médiévale comme le dinar cité p. 395.
[126] ↑ Les émigrés ([muhâjirûn]) sont les premiers musulmans qui accompagnèrent le
Prophète lorsqu’il quitta La Mecque pour Médine en 622. Voir note 21, p. 156 dans
Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[127] ↑ Sur les compagnons [al-ansâr], voir la note 21, p. 156 dans Abdallah Azzam,
Rejoins la caravane !
[128] ↑ Coran, 8/72.
[129] ↑ Compagnon du Prophète.
[130] ↑ Zawahiri fait ici référence au principe de « Commandement de Bien et
interdiction du Mal » ([al-amr bi-l-ma’rûf wa-l-nahî ‘an al-munkar]) : voir note 50, p. 252.
[131] ↑ Coran, 9/71.
[132] ↑ Voir la note 18 sur L’Authentique, p. 154.
[133] ↑ Al-Zawahiri garde donc très présent à l’esprit le jihad contre les dirigeants
« apostats » des États musulmans, au sens où le jihad contre « 1 ennemi lointain » ne peut
cesser d’englober ceux qui lui ont fait allégeance.
[134] ↑ En arabe, [’aqîda].
[135] ↑ Le danger que représentent les gouvernements arabes vient aussi du fait qu’ils
contrôlent et imposent des systèmes éducatifs et culturels considérés comme anti-
islamiques, d’où leur emprise sur les « âmes » des musulmans.
[136] ↑ Alors que Ben Laden ignore systématiquement la France dans ses déclarations, al-
Zawahiri semble au contraire nourrir une plus grande hostilité à son égard. C’est par
exemple lui qui, en février 2004, s’en prend à elle après l’adoption de la loi sur
l’interdiction des signes religieux ostensibles – impliquant celle du port du voile ([hijâb]) –
dans les écoles publiques.
[137] ↑ Al-Zawahiri fait ici le procès général du système né de la Seconde Guerre
mondiale. Pour lui, la décolonisation et le système onusien qui l’accompagne, sont des
reconductions de la domination occidentale sur les pays musulmans, à travers la fixation
de frontières artificielles, la promotion de régimes pro-occidentaux et la consécration du
droit international contraire aux principes islamiques.
[138] ↑ Au-delà de leur position juridique sur la question, les jihadistes nourrissent à
l’égard des Nations unies une haine féroce. En mai 2004, on vit par exemple Oussama ben
Laden offrir dans l’une de ses déclarations dix kilos d’or à qui tuerait Kofi Annan.
[139] ↑ Les Nations unies sont, aux yeux de l’auteur, une institution impie, entre autres
parce qu’elle obéit à la loi du nombre (une partie des décisions étant émise après vote).
[140] ↑ Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (les États-Unis, la Russie, la
Grande-Bretagne, la Chine et la France), qui en compte quinze, possèdent en effet un droit
de veto qui leur permet d’imposer leur volonté en cas de désaccord.
[141] ↑ Voir la note 31 dans Cavaliers sous l’étendard du Prophète, p. 292.
[142] ↑ Ce sommet de la ligue arabe se tint à Beyrouth en octobre 2002.
[143] ↑ C’est au cours de ce sommet que fut acceptée par les États arabes la proposition
du prince héritier d’Arabie saoudite Abdallah, d’une paix globale avec Israël en
contrepartie d’un retrait de cet État jusqu’aux frontières de 1967. Cette proposition avait
été formulée en avril 2002 lors de la visite aux États-Unis du prince héritier.
[144] ↑ Voir la note 45 dans Rejoins la caravane !, p. 146.
[145] ↑ Coran, 4/75.
[146] ↑ En mars 1996, eut lieu à Charm al-Cheikh le premier « sommet mondial contre le
terrorisme » (le terrorisme y étant largement réduit à sa forme islamiste), auquel
participèrent, aux côtés des États-Unis, de la Russie et d’Israël, la plupart des pays arabes.
[147] ↑ Surtout le Pakistan, dont le gouvernement a été à plusieurs reprises l’objet de
condamnations de la part d’Al-Qaida, pour son alliance stratégique avec les États-Unis.
[148] ↑ À la fin 2002, lorsque ce texte est rédigé, aux terres « historiques » de jihad que
sont la Palestine, la Tchétchénie et le Cachemire, vient s’ajouter l’Irak qui deviendra, après
le printemps 2003, le principal espoir de la mouvance jihadiste.
[149] ↑ L’ennemi proche, constitué des régimes arabes du Proche-Orient, d’autant plus
dangereux, selon l’auteur, qu’ils prétendent appartenir à l’islam.
[150] ↑ Al-Zawahiri, qui est chirurgien, utilise ici une métaphore médicale. On retrouve
diverses versions de cette imagerie médicale aussi bien chez les idéologues d’Al-Qaida que
parmi les membres de l’administration américaine. Dans les deux cas, il s’agit de tenter
d’universaliser le message.
[151] ↑ En arabe, [jizya]. Voir note 42, p. 146 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[152] ↑ En arabe, [al-sunna wa al-jamâ‛a] – la tradition et la communauté – désigne
l’orthodoxie sunnite, dont les hanbalites, et plus spécifiquement les wahhabites, se
présentent les authentiques héritiers.
[153] ↑ Voir supra, note 11, p. 312.
[154] ↑ Secte musulmane tout d’abord alliée à Ali ibn Abi Talib, le quatrième calife, mais
qui s’en sépara au point que l’un de ses membres l’assassina en 661. Les Kharijites furent,
parmi l’ensemble des sectes musulmanes fleurissant à partir de la grande [fitna] qui
frappa l’empire musulman à la fin du règne d’Ali, celle qui poussa le plus loin la pratique
de l’anathème et l’appel au meurtre des adversaires. L’accusation est généralement
formulée à l’encontre des groupes jihadistes par les institutions islamiques officielles, et se
voit ici retournée par al-Zawahiri contre ses promoteurs. Dans sa critique, al-Zawahiri
affuble donc ses adversaires des dépouilles de deux sectes médiévales, la première
conciliante avec le pouvoir en place, la seconde puritaine et révolutionnaire. Voir Janine et
Dominique Sourdel, Dictionnaire historique de l’islam, Paris, PUF, 1996.
[155] ↑ Sur Faraj, voir p. 225
[156] ↑ Ce sont, outre l’idéologue Abd al-Salam Faraj, les quatre membres du commando
qui assassina le président égyptien Anouar al-Sadate le 6 octobre 1981. Ils furent tous les
cinq exécutés. Notons qu’Abd al-Hamid Abd al-Salam est le beau-frère d’Abou Obayda al-
Banchiri, important cadre d’Al-Qaida.
[157] ↑ Al-Azhar, la prestigieuse université religieuse du Caire, légitima l’accord par un
avis religieux en bonne et due forme qui se fonde sur des arguments d’intérêt général
([maslaha]) énumérant les bénéfices engendrés par une telle décision.
[158] ↑ Al-Zawahiri pense ici au cheikh Abd al-Aziz ben Baz, grand moufti du royaume
d’Arabie saoudite, qui sanctionna par une fatwa, en août 1990, l’appel à une coalition
menée par les États-Unis pour protéger le royaume d’une éventuelle attaque irakienne.
Ben Baz est aussi connu pour ses fatwas appelant à l’obéissance envers le gouvernement
saoudien, et pour avoir légitimé la répression contre les islamistes saoudiens au début et
au milieu des années 1990. Voir supra la réfutation d’une de ses fatwas par al-Zawahiri, p.
263.
[159] ↑ Fatwas de l’establishment religieux saoudien, dans la lignée de celle de Ben Baz
citée précédemment.
[160] ↑ En août 1990, Ben Laden a effectivement proposé à Sultan ibn Abd al-Aziz,
ministre saoudien de la Défense, de mobiliser les Arabes afghans pour défendre l’Arabie
saoudite et libérer le Koweït. La proposition fut rejetée, sous prétexte que le terrain ne se
prêtait pas à une guérilla à l’afghane. Ce fut le premier différend de taille entre Ben Laden
et les autorités saoudiennes, qui allait mener à la rupture quelques mois plus tard.
[161] ↑ Sur les zones d’exclusion aérienne, voir aussi note 6, p. 64.
[162] ↑ La résolution 687 de l’ONU du 3 avril 1991 impose notamment à l’Irak d’accepter
des inspections de ses installations nucléaires par des équipes de l’Agence Internationale
de l’Énergie Atomique.
[163] ↑ Parmi les conditions du cessez-le-feu imposées à Saddam Hussein par l’ONU en
mars 1991 (résolution 686 du 2 mars 1991), celui-ci a dû s’engager à payer des réparations
pour dommages de guerre correspondant aux destructions causées par l’invasion, la
majeure partie étant destinée au Koweït.
[164] ↑ Al-Zawahiri fait ici référence aux menaces proférées par certains membres du
congrès américain, à la suite des attentats du 11 septembre, contre l’Arabie saoudite, qu’ils
accusèrent de soutenir et de financer le terrorisme. Mais le pire viendra de Laurent
Murawiec, analyste à la Rand Corporation, qui, en juiljet 2002, décrit, devant le Défense
Policy Board, l’Arabie saoudite comme « l’ennemi n° 1 » des États-Unis, appelant à une
intervention militaire visant à sa partition en trois provinces distinctes : à l’Ouest, la
province du Hedjaz, où se situent les lieux saints ; à l’Est, dans la région où vit la minorité
chiite, un vaste « Pétrolistan » ; et au centre, le Najd, abandonné à lui-même. C’est
probablement à cette dernière déclaration, reprise ensuite dans les milieux politiques
américains, qu’al-Zawahiri fait allusion.
[165] ↑ Sur le mot [awliyâ’], voir la note 14, p. 244 dans le texte d’al-Zawahiri, La Moisson
amère.
[166] ↑ Coran, 5/51.
[167] ↑ Voir note 4 dans al-Zawahiri La Moisson amère, p. 154.
[168] ↑ Coran, 2/256.
[169] ↑ Coran, 4/60.
[170] ↑ Coran, 9/47.
[171] ↑ Coran, 3/149.
[172] ↑ C’est-à-dire procéder à une définition exacte et sans concession de l’ami et de
l’ennemi, préalable à l’action.
[173] ↑ Coran, 63/4.
[174] ↑ Coran, 4/143.
[175] ↑ Comme Ben Laden, al-Zawahiri oscille dans sa rhétorique entre la revendication
de droits universels et celle de droits particuliers aux musulmans.
[176] ↑ Coran, 9/10.
[177] ↑ Métaphore du désintérêt pour le jihad, fréquente dans la littérature jihadiste.
[178] ↑ Voir la note 20, p. 142 et note 30, p. 144.
[179] ↑ Évoque le texte d’Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !, voir p. 153.
[180] ↑ Coran, 61/10-13.
[181] ↑ Exemple de l’œcuménisme politique d’Al-Qaida : l’appel s’adresse à tout
musulman, indépendamment – en définitive – de sa vision du dogme. Chez al-Zawahiri
comme chez Ben Laden, en effet, derrière les invectives contre tel ou tel courant ou école
de pensée du champ islamique, l’appel reste ouvert.
[182] ↑ Le jihad, d’abord défensif ([jihad al-daf‘]), devient ici offensif ([jihad al-talab]). Voir
cette dualité chez Azzam, note 44, p. 146 dans La Défense des territoires musulmans.
[183] ↑ L’auteur désigne ici les bases américaines en Arabie saoudite.
[184] ↑ Le 29 mars 2002, l’armée israélienne lança une opération baptisée « Rempart » en
représailles à une vague d’attentat-suicide à Naplouse et Jénine (en Cisjordanie). D’une
grande violence, et largement médiatisée dans le monde arabe, cette opération rit l’objet
de condamnations internationales et fournit l’occasion à Al-Qaida, pour la première fois, à
travers la diffusion via Al-Jazira d’un enregistrement vidéo de l’un des auteurs des
attentats du 11 septembre 2001, de revendiquer presque sans ambiguïté les attaques
contre le World Trade Center, le 16 avril 2002.
[185] ↑ Voir note 93, p. 332.
[186] ↑ La toute-puissance technologique de l’ennemi contribue à ébaucher une vision
eschatologique de la guerre en cours, où chaque militant est sous la menace individuelle
du « mal ».
[187] ↑ On retrouve ici le motif lancinant du temps perdu qui court tout au long de ce
texte, ainsi que dans La Moisson amère, temps qu’il s’agit de rattraper par un surcroît de
mobilisation et d’activisme.
[188] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne. Voir le texte d’Abdallah Azzam, Rejoins la
caravane !, p. 167.
[189] ↑ Idem.
[190] ↑ Dialectique du sommet et de la base de la religion qui, aux cinq piliers reconnus,
ajouterait des devoirs imprescriptibles comme le jihad.
[191] ↑ Coran, 3/200.
[192] ↑ Coran, 58/21.
[193] ↑ L’Authentique ([sahîh muslim]), chapitre sur le gouvernement ([al-imâra]).
[194] ↑ Compagnon du Prophète, rapporteur d’un nombre important de hadiths.
[195] ↑ Ce hadith justifie la vision d’une élite combattante, qui, indépendamment de la
situation stratégique, doit continuer le jihad et réserver un espace où accueillir les
moujahidines de l’ensemble de l’oumma.
Chapitre IV. Abou Moussab al-
Zarqawi
Introduction
Al-Zarqa
S’il a choisi comme « nom de guerre » Abou Moussab [2] , c’est par
admiration pour Moussab ibn Oumayr, un des compagnons du
Prophète, tombé en martyr lors de la bataille d’Ouhoud en 625.
Quant au second élément de ce nom, al-Zarqawi, qui signifie
« originaire d’Al-Zarqa », il est significatif dans la mesure où cette
ville a constitué durant la dernière décennie un milieu propice à la
propagation des idées jihadistes en Jordanie.
La composition ethnique d’Al-Zarqa est assez originale au Proche-
Orient : ce furent tout d’abord des Circassiens qui, à la fin du XIXe
[3]
Al-Zarqawi
Dépourvu d’éducation secondaire ou religieuse, al-Zarqawi est un
jihadiste « sorti du rang », dont l’ascension au sein du milieu bigarré
des islamistes radicaux a été fulgurante et inattendue. Son
apparente médiocrité en a trompé plus d’un, mais force est de
reconnaître qu’il est aujourd’hui le principal opposant islamiste à la
politique américaine au Proche-Orient [10] .
Né le 20 octobre 1966, au sein d’une famille modeste de trois fils et
sept filles, Ahmad Fadil Nazzal al-Khalayla interrompit ses études
primaires pour exécuter de petits métiers pendant de courtes
périodes. Sous l’influence de l’imam d’une mosquée salafiste de son
quartier, il décida en 1989 de partir pour le Pakistan. À Hayatabad,
dans la périphérie de Peshawar, il séjourna dans les pensions
organisées par le Bureau des services, dirigé par Oussama ben
Laden. Au printemps 1989, il participa en tant que combattant à la
chute de la ville de Khost, dans l’est de l’Afghanistan. Mais c’est
surtout à cette époque qu’al-Zarqawi rencontra al-Maqdissi, qui le
recommanda au directeur d’une publication jihadiste de Peshawar,
[11]
Al-bunyan al-marsus pour laquelle il travailla comme journaliste.
Lors de la guerre civile qui succéda au retrait de l’armée soviétique,
al-Zarqawi reprit les armes aux côtés d’une des factions afghanes,
celle de Gulbuddin Hekmatyar ; il fréquenta aussi le camp d’Arabes
afghans nommé Al-sada, situé dans la zone contrôlée par le parti
d’Abd al-Rassoul Sayyaf.
De retour en Jordanie en 1993, al-Zarqawi y renoua contact avec al-
Maqdissi, lui aussi rentré au pays, puis y fonda un groupe appelé
[12]
Bay’at al-imam . Arrêté en 1994, deux ans plus tard, il fut
condamné pour détention d’armes et falsification de passeports à
quinze ans de réclusion, puis incarcéré à la prison d’al-Souwaqa.
C’est durant cette incarcération qu’il écrivit « Déposition d’un
prisonnier », un texte adressé à un juge jordanien, critiquant le
droit positif et refusant toute justice non islamique. « Dans vos
tribunaux, vous dirigez vos procès selon votre droit positif, mais
sachez, juges, que si vous mourez dans l’état où vous êtes, nous
nous retrouverons au tribunal d’un Souverain tout-puissant, et vous
y trouverez la mention de tous vos actes dans un registre
consignés ; si c’est pour votre bien, louez-en Dieu, mais si c’est pour
votre mal, vous n’aurez à vous en prendre qu’à vous-mêmes. » [13]
Le 29 mars 1999, il fut libéré à l’occasion d’une amnistie prononcée
par le nouveau roi Abdallah II, pour repartir quelques mois plus
tard pour le Pakistan. Dans un texte publié sur son site Internet,
Abou Mohammad al-Maqdissi rapporte les raisons données par
Abou Moussab afin de justifier son retour en Afghanistan : « Il
répondait à ceux qui lui reprochaient de quitter son pays qu’il
aimait le jihad et n’avait pas la patience d’apprendre, d’enseigner
ou de prêcher. C’est ainsi qu’il recruta un groupe de frères qui
partirent avec lui en Afghanistan, où ils ont su tirer parti de la
situation de ce pays et de ses camps militaires… » Au Pakistan, Abou
Moussab se serait rapproché d’Oussama ben Laden, tout en se
gardant de se soumettre à son autorité.
C’est ainsi, qu’au début de l’an 2000, il dirigea un camp
d’entraînement, près de la ville d’Hérat, dans l’ouest de
l’Afghanistan, non loin de la frontière iranienne, alors que Ben
Laden se trouvait dans l’est du pays. Ce camp s’appelait Al-tawhid
wal-jihad [14] , expression marquée au coin d’al-Maqdissi dont c’était
alors (et encore aujourd’hui) le nom du site Internet [15] . En juillet
2001, des islamistes kurdes furent accueillis au camp et en
septembre de la même année, une petite mission de jihadistes issus
de ce camp s’implanta au Kurdistan irakien [16] , où ils fondèrent
l’organisation Jund al-islam [17] . C’est dans cette région qu’al-
Zarqawi trouva refuge, après l’assaut américain contre
l’Afghanistan consécutif aux attentats du 11 septembre 2001. Pour
cela, il avait traversé l’Iran, où il fut arrêté quelque temps par les
services de sécurité.
À la fin de 2001, naquit Ansar al-islam [18] , une organisation
regroupant plusieurs groupes islamistes kurdes (dont Jund al-islam)
et disposant de plusieurs camps d’entraînement au Kurdistan, où
elle combattait l’Union patriotique du Kurdistan et sur le quartier
général de laquelle elle lança, le 2 février 2004, une attaque suicide
qui causa la mort de plus de 100 personnes.
Entre-temps, al-Zarqawi avait lancé plusieurs opérations en
Jordanie : un attentat visant simultanément plusieurs lieux
touristiques, dont un hôtel américain d’Amman, à l’occasion du
changement de millénaire, mais dont les préparatifs furent
déjoués ; l’assassinat du diplomate américain Laurence Foley, le
28 octobre 2002 ; et en 2004, un projet d’attentat à l’arme chimique
qui devait frapper l’agglomération entière d’Amman s’il n’avait été
entravé par la police jordanienne. Pendant la préparation de ces
attentats, al-Zarqawi et ses complices s’étaient rendus en Irak mais
aussi en Syrie.
En outre, Ansar al-islam a été cité, à un titre ou à un autre, dans la
plupart des enquêtes effectuées sur des attentats terroristes en
Europe, à commencer par les attentats de Madrid qui firent, le
11 mars 2004, 192 morts et 1 400 blessés, mais aussi en Allemagne et
en Italie, où des cellules de soutien furent démantelées,
respectivement en avril 2002 et mars 2003.
Le 5 février 2003, le secrétaire d’État américain Colin Powell
prononça un discours devant le Conseil des Nations unies, où il
déclara : « L’Irak héberge aujourd’hui un réseau terroriste
meurtrier dirigé par Abou Moussab al-Zarqawi, associé et
collaborateur d’Oussama ben Laden » [19] . Quelles que soient les
réserves que l’on peut avoir sur les motifs de cette déclaration, elle
constitue la première reconnaissance de l’importance du réseau
d’al-Zarqawi, auquel l’intervention américaine allait d’ailleurs
ouvrir un boulevard. Au début de l’offensive américaine, le 23 mars
2003, Ansar al-islam subit de lourdes pertes après des
bombardements américains conjoints à une offensive terrestre des
combattants kurdes laïques qui auraient fait 180 morts et permis de
capturer 150 prisonniers. Cela n’empêcha pas, en juin 2003, une
nouvelle organisation de prendre la relève : Ansar al-sunna [20] ,
laquelle se joindra à d’autres sous l’égide d’Al-tawhid wal-jihad
dirigé par Abou Moussab al-Zarqawi.
Depuis l’intervention de la coalition américano-britannique en Irak,
le summum des opérations terroristes de l’organisation d’al-
Zarqawi a été atteint avec l’enlèvement d’otages étrangers puis la
mise en scène de leur exécution sur des sites Internet. Dans ses
Recommandations aux combattants du jihad [21] , al-Zarqawi revient
ainsi sur l’assassinat de Nicholas Berg, qu’il aurait lui-même
[22]
égorgé : « Des émissaires ont tenté de sauver cet âne impie en
nous proposant tout l’argent que nous voulions (dont nous avions
un besoin pressant pour faire tourner la roue du jihad) mais nous
avons préféré venger nos frères et prendre la revanche de notre
communauté. […] Afin de susciter les volontés et de réjouir les
musulmans d’Orient comme ceux d’Occident, nous avons décidé
que cet impie ne serait pas racheté, même si on nous avait proposé
son poids en or. Nous avons fait le serment de ne pas relâcher de
prisonnier contre de l’argent, quoi que nous pensions, afin que les
ennemis de Dieu sachent qu’il n’y a dans notre cœur aucune trêve
avec eux, ni pitié envers eux » [23] .
Mais un aspect non moins négligeable et bien plus meurtrier a été
l’assassinat d’Irakiens chiites, soit parce qu’ils manifestaient le désir
de travailler pour les services de police ou de santé du nouveau
gouvernement (comme à Al-Hilla, le 28 février 2005, où une
centaine de civils furent tués sur un marché proche d’un centre de
recrutement), soit parce qu’ils étaient rassemblés pour leur fêtes
religieuses (comme lors des festivités de l’achoura en mars 2004 et
février 2005), sans parler de l’assassinat des dignitaires religieux, tel
l’ayatollah Baqir al-Hakim, le 29 août 2003.
Toutefois, aussi ravageuse soit-elle, cette stratégie ne porte pas les
fruits escomptés par ses auteurs puisque les chiites irakiens ne se
sont pas laissé aller à des représailles contre leurs compatriotes
sunnites, en se gardant d’entrer dans une guerre confessionnelle.
En outre, le résultat des élections législatives irakiennes qui se sont
déroulées, sans trop de heurts, le 30 janvier 2005, a été
généralement interprété comme une défaite pour al-Zarqawi,
même s’il est loin d’avoir désarmé.
Al-Maqdissi
C’est ce qui explique que, dans un texte de 2004 intitulé Al-Zarqawi :
soutien et conseil et sous-titré Espoirs et craintes [24] , Abou
Mohammad al-Maqdissi exprime des critiques contre son ex-
protégé, qu’il semble désormais considérer comme une tête brûlée.
Al-Maqdissi, dont il faut rappeler qu’il était emprisonné et donc
sujet aux pressions des services de sécurité jordaniens, s’y livre à
une critique en règle de la politique suivie en Irak par al-Zarqawi,
même si cette critique porte surtout sur des points tactiques et non
sur les principes. Il reproche à cette politique, avec son caractère
brouillon et infructueux pour ne pas dire néfaste, de causer la mort
de musulmans (« l’erreur qui consiste à épargner le sang de mille
impies est moins grave que celle qui consiste à faire couler celui
d’un seul musulman »), de mener la bataille contre les chiites dans
leurs lieux de culte plutôt que de s’attaquer à l’occupant (« quelle
que soit leur histoire, leur hostilité envers les sunnites et le mal
qu’ils leur ont fait, on ne doit pas les mettre tous dans le même sac,
le petit peuple comme les chefs combattants »), de viser les
chrétiens et leurs églises (« il ne faut pas viser ceux qui ne
combattent pas, même si ce sont des infidèles ou des chrétiens, ni
attaquer leurs églises ou lieux de culte »), d’avoir fait des
opérations-suicide (« que nous appelons, en vertu des principes de
nos oulémas, des opérations de jihad ») une fin et non plus un
moyen, de réduire le jihad à une série d’opérations punitives, et
enfin, de ne pas confier davantage de responsabilité à des jihadistes
irakiens.
En outre, on trouve dans ce texte les raisons du second départ d’al-
Zarqawi pour l’Afghanistan évoqué plus haut, mais aussi son
attitude envers Ben Laden, au détour d’une phrase consacrée à son
moufti, Abou Anas al-Chami : « Je me suis réjoui et j’ai retrouvé
l’espoir en apprenant qu’Abou Anas al-Chami avait rejoint Abou
Moussab, bien que cet homme ne partageât pas toutes nos
opinions ; j’y ai vu, de la part d’al-Zarqawi, la preuve d’une
souplesse dont il avait manqué auparavant, ce qui l’avait empêché
de s’insérer dans Al-Qaida et de se soumettre à l’autorité du cheikh
Oussama ben Laden (que Dieu le protège !). » [25]
Al-Chami
Abou Anas al-Chami, alias Omar Youssouf Joumaa, naquit en 1968
au Koweït dans une famille jordanienne d’origine palestinienne.
Dans la ville d’al-Salmiyya, il fit la connaissance d’al-Maqdissi [26] ,
puis partit étudier en Arabie saoudite, à l’université islamique de
Médine, de 1988 à 1991. Il y fut marqué par les idées de Safar al-
Hawali, de Salman al-Awda et de Nassir al-Omar. Durant ses études,
il se rendit à l’été 1990 en Afghanistan, où il passa trois mois au
camp d’entraînement d’Al-Farouk. En 1991, une fois ses études de
théologie achevées, il se maria à une jeune fille d’origine
palestinienne [27] et partit s’établir en Jordanie, dans la ville d’al-
Souwaylih, où il fut imam d’une mosquée. Il fit un court séjour en
Bosnie-Herzégovine puis, à son retour en Jordanie, fut incarcéré
quelque temps pour avoir déclaré publiquement au centre Al-
Boukhari, où il travaillait, dans le quartier Marka du nord
d’Amman, que le régime jordanien avait transformé le pays en
caserne américaine et que la guerre à venir n’était pas dirigée
contre l’Irak mais contre l’islam. Enfin, en septembre 2003, il
prétexta un déplacement en Arabie pour effectuer le petit
pèlerinage, afin de se rendre en Irak où il rejoignit l’organisation
d’al-Zarqawi, dont il devint le moufti et rédacteur des
proclamations.
Ces proclamations, missives et récits publiés sur Internet
fournissent eux aussi des informations. Ainsi, dans un texte intitulé
« le document », Abou Anas reconnaît indirectement la
responsabilité de son organisation dans l’assassinat, le 29 août 2003,
de l’ayatollah Baqir al-Hakim, chef de l’une des principales
formations islamistes chiites, l’Assemblée suprême de la Révolution
islamique en Irak. Évoquant l’un de ses camarades irakiens mort
héroïquement au combat, Thamir al-Ramadi, il ajoute : « C’est l’un
des héros glorieux de l’Irak, il avait dirigé l’opération contre
Mohammad Baqir al-Hakim et de nombreuses opérations-suicide,
tant au niveau de la préparation et de la surveillance que de
l’équipement, en collaboration avec le martyr Hamza Abou
Mohammad (que Dieu ait leur âme !) dont le nom est Nidal
Mohammad Arabiyyat, issu de l’une des plus nobles tribus de la
ville d’Al-Salt en Jordanie) » [28] .
Une autre information fournie par ce texte est l’attitude d’Abou
Moussab al-Zarqawi durant la première bataille de l’armée
américaine contre Fallouja, en avril 2004. Alors qu’il souhaitait
venir participer aux combats, ses camarades l’auraient prié de n’en
rien faire, par l’entremise d’un émissaire qui traversait un fleuve à
chaque déplacement, ce qui semble indiquer qu’al-Zarqawi se
trouvait loin de la zone des combats. Cela explique peut-être aussi
que la seconde bataille contre Fallouja, qui se déroula à l’automne
2004, si elle aboutit à la découverte de caches d’armes et des
chambres de torture dans cette ville, ne permit pas de mettre la
main sur al-Zarqawi.
Le 17 septembre 2004, Abou Anas al-Chami fut tué par l’armée
américaine, avec une trentaine de combattants, près d’Abou Ghraïb,
[29]
lors d’une opération dirigée contre la fameuse prison . Le
19 octobre 2004, par la voix d’un porte-parole et par le biais
d’Internet, Abou Moussab al-Zarqawi fit publiquement allégeance à
Oussama Ben Laden, en affirmant que c’était là l’aboutissement de
huit mois de contacts entre son organisation et Al-Qaida. Du coup,
[30]
celle-ci s’appelle désormais : Al-Qaida du jihad en Mésopotamie .
Or, le 22 janvier 2004, alors que les opérations des jihadistes contre
les forces américaines et britanniques en Irak se succédaient depuis
six mois, des combattants kurdes laïques arrêtèrent à Kalar, au
Kurdistan, Hassan Guhl, un Pakistanais, lui aussi vétéran de
l’Afghanistan. Ils trouvèrent en sa possession un CD-Rom contenant
un texte de douze pages dont des extraits furent publiés, le
9 février, par le correspondant du New York Times à Bagdad, Dexter
Filkins [31] . En raison de cette publication douteuse, on a pu penser
que ce document était un faux. Mais, rédigé dans un arabe classique
impeccable et exposant une stratégie qui a été en bonne partie
suivie depuis lors, on peut aujourd’hui estimer que ce texte était
l’œuvre d’Abou Anas al-Chami.
Puisque cette allégeance a été confirmée, il convient aujourd’hui de
revenir un peu à la stratégie exposée dans la lettre d’Abou Moussab
al-Zarqawi pour comprendre les objectifs qu’il s’est fixé, et ce que
pourrait signifier la bénédiction d’Oussama ben Laden. La
proposition d’allégeance y était ainsi formulée : « Nous sommes des
soldats prêts à vous servir et à nous rallier à votre bannière, nous
vous obéirons et même vous prêterons allégeance, publiquement et
dans les médias, pour irriter les impies et faire plaisir aux
musulmans, car les croyants y verront un signe de Dieu, mais si
vous en jugez autrement, alors nous resterons des frères et aucune
querelle ne pourra nous séparer. »
La caractéristique principale de cette lettre était d’exposer crûment
le projet d’attaquer les chiites irakiens, appelés constamment « les
hérétiques », notamment ceux qui entrent dans la police et l’armée.
« C’est pourquoi je répète que la seule solution est de frapper les
hérétiques, qu’ils soient religieux, militaires ou autres, de leur
porter coup sur coup jusqu’à ce qu’ils se soumettent aux sunnites.
On pourrait objecter qu’il est trop tôt et injuste de faire entrer la
communauté musulmane mondiale dans un combat auquel elle
n’est pas préparée, que cela causera des pertes et fera couler le
sang, mais c’est précisément ce que nous voulons. »
La seconde caractéristique de cette stratégie était de précipiter les
opérations avant que la démocratie ne fût instaurée. « L’idéal serait
que nous puissions, comme nous le souhaitons, ruer dans les
brancards et faire échouer leur plan. Sinon, ce qu’à Dieu ne plaise,
le gouvernement étendra sa domination sur le pays, alors il ne nous
restera qu’à refaire nos bagages et partir pour un autre pays en
reprenant l’étendard, à moins que Dieu ne préfère que nous
mourrions en martyrs. »
Le mode d’emploi des médias par Abou Moussab y était aussi
clairement énoncé : « Nous sommes déterminés à donner du grain à
moudre aux médias, de façon à révéler des vérités, susciter des
vocations et fédérer les volontés. Alors, dans cette guerre sainte, le
sabre et la plume se compléteront. »
En publiant le document trouvé sur l’émissaire, les Américains ont
aussi permis au message de parvenir à Oussama ben Laden, s’il en
était besoin. Car si les dirigeants américains ont fait montre d’une
croyance un peu naïve à « la ruse de l’histoire », qui devait apporter
la démocratie dans les paquetages des soldats, al-Zarqawi croit
plutôt dans « la ruse de Dieu », comme il l’exprime dans un autre de
ses textes [32] : « Louange à Dieu qui fera vaincre l’islam, et abaissera
l’idolâtrie, disposera de toute chose et attirera les impies par sa
ruse, répartira les jours de victoire entre les uns et les autres mais
donnera la victoire finale aux seuls croyants » [33] .
Notes du chapitre
[1] ↑ Chez certains islamistes, l’usage prévaut de composer ce type de nom de deux
éléments traditionnels dans la culture arabe : la [kunya] et la [nisba]. La première est une
appellation formée, pour un homme, du mot « père de » (Abou) suivi du prénom de son fils
aîné (ici, Moussab) ; la seconde est un substantif ou un adjectif, qui dénote le plus souvent
une origine géographique ou ethnique (ici, al-Zarqawi, c’est-à-dire originaire de la ville
d’Al-Zarqa).
[2] ↑ Il portait cette [kunya] avant même la naissance de son fils aîné, âgé de cinq ans, qui
vit aujourd’hui auprès de sa mère, avec ses trois frères et sœurs, à Al-Zarqa. Pour l’usage
de la kunya, voir Annemarie Schimmel, Noms de personne en islam, Paris, PUF, 1998.
[3] ↑ C’est-à-dire des Tcherkesses, des Tchétchènes et autres Caucasiens du nord, rejetés
par l’avance de l’armée russe en Asie après le 21 mai 1864 ; ils furent ensuite employés au
sein de l’Empire ottoman dans des corps de cavalerie, entre autres, pour mater les
insurrections nationalistes.
[4] ↑ Le titre est inspiré d’un verset coranique (46/31) [yâ qawm ajîbû dâ‘î allâh] : voir
http://www.tawhed.ws
[5] ↑ Ville du sud de la Jordanie où, à quatre reprises depuis avril 1989, des incidents ont
opposé une partie de la population aux forces de l’ordre, notamment en octobre 2002, suite
à l’enquête dans le milieu islamiste local consécutive à l’assassinat du diplomate américain
Laurence Foley.
[6] ↑ « Al-Zarqawi’s Tribe Cables King Abdallah Pledging Allegiance », Al-Ra’y al-‘am,
29 mai 2004.
[7] ↑ Front populaire pour la libération de la Palestine, dirigé par Georges Habache.
[8] ↑ Voir Éric Rouleau, Les Palestiniens. D’une guerre à l’autre, Paris, La Découverte/Le
Monde, 1984.
[9] ↑ Voir l’introduction à Abdallah Azzam, p. 115.
[10] ↑ On trouvera la biographie d’Abou Moussab al-Zarqawi soigneusement retracée par
Jean-Charles Brisard dans Zarkaoui Le nouveau visage d’Al-Qaida, Paris, Fayard, 2005.
[11] ↑ « Le rempart », ainsi nommé d’après un verset du Coran (61/4) où les rangs des
combattants « sur le chemin de Dieu » sont comparés à une mur solide.
[12] ↑ « Le serment d’allégeance à l’imam ».
[13] ↑ [ifâdat asîr], sur http://viww.tawhed.ws
[14] ↑ Généralement traduit dans la presse par « Unification et guerre sainte », ce qui ne
rend pas l’autre sens du mot [tawhîd], à savoir « affirmation de l’unicité de Dieu ».
[15] ↑ http://www.tawhed.ws
[16] ↑ Depuis 1991, suite à la résolution 687 des Nations unies et à l’opération « Restore
Hope », le Kurdistan était une zone autonome.
[17] ↑ « L’armée de l’islam. »
[18] ↑ « Les partisans de l’islam. »
[19] ↑ « Principaux points de la présentation de Colin Powell », AFP, 5 février 2003.
[20] ↑ « Les partisans du sunnisme. »
[21] ↑ [wasâya lil-mujâhidîn], sur http://www.tawhed.ws. Nicholas Berg, un jeune
entrepreneur américain, fut exécuté en mai 2004. Les images de sa décapitation ont circulé
sur Internet.
[22] ↑ En arabe, [‘ilj]. Voir, dans Ben Laden, « Entretien avec al-Jazira », la note 30, p. 74.
[23] ↑ http://www.tawhed.ws
[24] ↑ [at-zarqâwî : munâsara wa munâsaha], sur http://www.tawhed.ws
[25] ↑ Abou Mohammad al-Maqdissi a été libéré le 28 juin 2005, ayant été acquitté de
l’accusation d’avoir planifié des attentats contre des cibles américaines en Jordanie.
[26] ↑ Voir le texte d’al-Maqdissi : Abou Anas al-Chami, un héros tombé sous la bannière de
l’unicité de Dieu [abû anas al-châmî, batal qadâ nahbahu tahta liwâ’ al-tawhîd], sur
http://www.tawhed.ws/s
[27] ↑ Elle devait lui donner trois enfants, dont deux fils prénommés Anas et Malik, sans
doute en hommage au savant médiéval Malik ibn Anas. Sur ce dernier, voir, dans « Lettre
à Ben Laden », note 2, p. 380.
[28] ↑ Toutefois, le nom du kamikaze qui aurait mené l’opération serait Yassin Jarrar, un
Palestinien d’Al-Zarqa, père de la seconde femme d’al-Zarqawi, selon l’enquête en Jordanie
de Hazim al-Amin publiée par le journal arabe londonien Al-Hayat les 14, 15 et
16 décembre 2004.
[29] ↑ Al-râ’y al-‘âmm, 20 septembre 2004.
[30] ↑ [qâ‘idat al-jihâd fî bilâd al-râfidayn], ce qui peut se comprendre comme : « la base
de la guerre sainte en Mésopotamie ».
[31] ↑ L’original en arabe se trouve sur plusieurs sites, dont : http://www.cpa-
iraq.org/arabic/transcripts/20040212_zarqawi_full-arabic.html
[32] ↑ « Notre position légale sur le gouvernement du Karzaï d’Irak » ([mawqifunâ al-
char‘î min hukûmat karzây al-‘irâq]), publié après la nomination du gouvernement d’Iyad
Allaoui, le 28 mai 2004. Le titre rappelle une phrase de Ben Laden dans ses
« Recommandations tactiques » : « Ce sont les croisés qui ont donné le pouvoir au Karzaï
de Kaboul et au Karzaï du Pakistan, au Karzaï du Koweït, au Karzaï de Bahreïn et au
Karzaï du Qatar. »
[33] ↑ Une première version de la traduction qui suit a été publiée dans la revue
Maghreb-Machrek, n° 181, hiver 2004-2005. Les blancs et guillemets figurent dans le texte
original, qui est dépourvu de ponctuation, hormis les paragraphes dont la numérotation
est souvent fautive.
Extraits de « Lettre à Ben Laden et al-
Zawahiri »
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
1 - Les kurdes
Ceux-là, qu’ils soient de la faction de Barzani ou de celle de
Talabani [18] , ont applaudi les Américains et leur ont donné leurs
cœurs, puis ouvert leur terre aux Juifs ; ils en sont devenus une
arrière-garde, leur cheval de Troie. Par leurs territoires ils
pénètrent, sous leurs pancartes ils se cachent, ils se servent d’eux
comme d’un pont pour accéder à la domination financière et à
l’hégémonie économique, ainsi que de la base d’espionnage qu’est
devenu tout leur territoire. Parmi les Kurdes, la voix de l’islam s’est
tue, dans leur région l’éclair de la religion s’est éteint [19] , la
propagande irakienne les a enivrés [20] , et, peu nombreux, les
hommes de bien y sont affaiblis et pusillanimes.
III - Où en sommes-nous ?
En dépit du peu de soutien, de l’abandon des amis et de la situation
pénible dans laquelle nous nous trouvons, Dieu nous a gratifiés de
coups portés contre l’ennemi ; et de toutes les opérations-martyre
qui ont eu lieu, hormis celle du nord, nous fûmes, Dieu soit loué, à
leur instigation. Jusqu’à présent, j’ai lancé, grâce à Dieu, vingt-cinq
opérations, dont plusieurs contre les hérétiques et leurs chefs, les
Américains et leurs soldats, les policiers, les soldats, et les forces de
la coalition. D’autres suivront, si Dieu le veut. Nous ne pouvions les
annoncer car nous souhaitions avoir du poids et attendions d’avoir
des moyens appropriés pour supporter les conséquences de telles
annonces, afin que nous apparaissions en force sans faire de
rechute (que Dieu nous en préserve !). Grâce à Dieu, nous avons fait
de grands pas et parcouru des distances gigantesques au moment
où l’heure de vérité approche. Nous sentons que nos forces
s’étendent en commençant à profiter du vide sécuritaire afin de
libérer des points stratégiques qui seront ensuite des noyaux de
départ et de renaissance, s’il plaît à Dieu.
IV - Plan de travail
Après étude et réflexion, nous pouvons classer notre ennemi en
quatre catégories.
Les Américains
[88]
Comme vous le savez, ce sont les plus lâches des hommes , une
proie facile, grâce à Dieu auquel nous demandons qu’il nous
permette d’en tuer et d’en capturer pour semer la panique parmi
ceux qui se sont rangés derrière eux, et les échanger contre nos
[89]
cheikhs et frères emprisonnés .
Les Kurdes
Ceux-là sont une calamité, mais c’est une épine qu’il est prématuré
d’extraire car ils figurent en bout de notre liste, même si nous
tentons d’amener à nous certains de leurs dirigeants, s’il plaît à
Dieu.
Les hérétiques
Ils sont selon nous la clé du changement, car les attaquer dans leur
dimension religieuse, politique et militaire ne fera que révéler leur
rage envers les sunnites, ils montreront alors les crocs en dévoilant
la haine secrète qui couve dans leur cœur. Si nous parvenons à les
entraîner dans une guerre de religion, nous pourrons réveiller les
sunnites endormis qui sentiront le danger latent et la mort cruelle
dont les menacent ces Sabaites [91] . Car les sunnites, en dépit de leur
faiblesse et de leur dispersion, ont des lames plus affûtées, sont plus
hardis et plus valeureux que ces hérétiques, trompeurs et lâches,
qui ne sont arrogants qu’avec les faibles et n’attaquent que les
impuissants. Dans leur majorité, les sunnites saisissent le danger
que représentent ces gens, se méfient d’eux et redoutent qu’ils
prennent le pouvoir. S’il n’y avait les cheikhs soufis dépités et les
Frères, les gens parleraient autrement. Ce que l’on espère par ces
propos, c’est alarmer ceux qui s’assoupissent et réveiller ceux qui
dorment. Car nous espérons désarmer ces gens et réduire leur
capacité de nuire avant que ne s’engage la bataille fatale, en
espérant qu’elle rendra furieuse la population contre les
Américains pour avoir apporté la ruine et été la cause de cette
catastrophe, mais nous redoutons que la population ne savoure les
plaisirs dont elle fut longuement privée [92] , ne se laisse aller à une
vie facile et ne s’y attache, ne préfère rester saine et sauve, et ne se
détourne du cliquetis des sabres comme du hennissement des
chevaux [93] .
V - Mode opératoire
Comme je vous l’ai dit, la situation nous impose d’agir
courageusement et en toute clarté, et de tenter d’y remédier, sans
quoi nous ne trouverons pas de solutions qui permettent de servir
la religion. La solution que nous proposons, mais Dieu en sait
davantage que nous, c’est d’amener les hérétiques au combat car
c’est l’unique moyen de prolonger notre lutte contre les impies [94] .
Nous pouvons ajouter qu’il est indispensable de les amener au
combat pour plusieurs raisons.
1/ Ce sont les hérétiques qui ont déclaré, secrètement, la guerre aux
[95]
musulmans, ils sont donc l’ennemi proche et mortel des
sunnites, même si les Américains demeurent l’ennemi principal.
Mais le danger des hérétiques est plus grave, les dommages qu’ils
peuvent causer au sein de la communauté musulmane mondiale
sont plus importants que ceux des Américains contre lesquels il y a
presque unanimité puisqu’ils nous ont agressés.
2/ Ils ont fait allégeance aux Américains, les ont soutenus, se sont
rangés de leur côté contre les combattants du jihad, et sont prêts à
tout pour faire échouer aussi bien celle-ci que ces derniers.
3/ Combattre les hérétiques est le meilleur moyen d’entraîner la
communauté musulmane mondiale dans la bataille. Nous revenons
ici plus longuement sur nos arguments, car nous avons déjà dit que
les hérétiques ont endossé l’uniforme de l’armée et de la police au
service de la sécurité de l’Irak et brandi la banderole de la défense
de la patrie et des citoyens. C’est sous ce prétexte qu’ils ont
commencé à liquider les sunnites en allégant que ce sont des
destructeurs, les restes du Baath et des terroristes qui répandent le
mal. Grâce à la propagande du Conseil de gouvernement [96] et des
Américains, ils ont pu séparer le peuple sunnite des combattants du
jihad. Prenons l’exemple des régions nommées « le triangle
sunnite », si on peut les appeler ainsi, où l’armée et la police se
déploient et se renforcent de jour en jour, dirigées par des
collaborateurs sunnites locaux de sorte que cette armée et cette
police y sont liées par le sang et l’honneur à la population. Or, cette
région constitue notre base, d’où nous partons et à laquelle nous
revenons. Mais lorsque les Américains se retireront, comme ils ont
d’ailleurs commencé à le faire, et seront remplacés par des
collaborateurs attachés d’un lien indissoluble à la population, que
se passera-t-il si nous les combattons, ce que nous ne devons pas
manquer de faire ? Nous nous trouverons devant cette alternative :
1. soit nous les combattons, même si cela comporte la difficulté de
creuser un fossé entre nous et la population [97] , car ce seront
leurs cousins et leurs fils que nous combattrons, et sous quelle
justification, une fois que les Américains qui détiennent les rênes
du pouvoir se seront retirés, une fois que les Irakiens assumeront
le pouvoir ? Une fois la démocratie établie, nous n’aurons plus
d’excuse ;
2. soit nous faisons notre paquetage pour partir à la recherche d’un
terre nouvelle, triste histoire qui se répète sur les autres champs
de bataille du jihad, car notre ennemi devient chaque jour plus
fort, et plus précises ses informations. Alors, j’en jure par le
seigneur de la Kaaba [98] , nous serons étranglés puis dépecés dans
les rues. Car les hommes pratiquent la religion de leur roi. « Si
leur cœur est avec vous, leurs épées sont au service des
Omeyyades » [99] , c’est-à-dire de la force et de la victoire (ce qu’à
Dieu ne plaise !).
C’est pourquoi je répète que la seule solution est de frapper les
hérétiques, qu’ils soient religieux, militaires ou autres, de leur
porter coup sur coup jusqu’à ce qu’ils se soumettent aux sunnites.
On pourrait m’objecter qu’il est trop tôt et injuste de précipiter la
communauté musulmane mondiale dans un combat auquel elle
n’est pas préparée, que cela entraînera des pertes et fera couler le
sang, mais c’est précisément ce que nous voulons. Car il ne reste
plus ni bien ni mal dans la situation où nous nous trouvons. Les
hérétiques ont détruit tout équilibre, la religion de Dieu est plus
précieuse que les personnes et les âmes. Depuis quand la majorité
se range-t-elle du côté du droit ? Il faut donc se sacrifier pour cette
religion et qu’importe le sang versé. Celui qui a été bon, nous
précipiterons son arrivée au paradis ; celui qui ne l’a pas été, nous
en serons délivrés. Par Dieu, la religion de Dieu est plus précieuse
que tout : elle passe avant les personnes, les biens et les enfants. Le
meilleur exemple en est l’histoire advenue aux gens du fossé [100] ,
que Dieu a remerciés. Al-Nawawi [101] a déclaré que ce récit était la
preuve que si le monde entier s’entretuait pour prouver l’unicité de
Dieu, cela serait une bonne chose. On ne vit, on ne se protège, on ne
[102]
préserve son honneur que par le sacrifice pour cette religion .
Par Dieu, mes frères, nous aurons avec les hérétiques des batailles,
des combats [103] et des nuits sombres que nous ne pouvons plus
retarder car la menace qu’ils représentent est imminente, mais
nous ne les craignons pas car ce sont les plus lâches des hommes, et
tuer leurs chefs [104] ne les rendra que plus faibles et apeurés.
La mort de l’un de leurs chefs entraînera celle de leur communauté,
à la différence de ce qui se passe chez les sunnites, car chez ces
derniers, si un chef meurt ou est tué, un autre se lève et la mort du
premier est un défi et une stimulation pour les sunnites faibles. Car
si vous connaissiez la peur qui saisit la population sunnite, vous en
seriez affligés. Combien de mosquées ont été transformées en
hussayniyyat [105] , combien de maisons ont été détruites sur leurs
habitants, combien de frères ont été tués et mutilés, combien de
sœurs ont été violées par ces impies ignobles ! Si nous pouvions leur
infliger des coups douloureux, l’un après l’autre, afin de les amener
au combat, nous pourrions alors redistribuer les cartes. Le Conseil
de gouvernement n’aura dès lors plus de valeur ni d’influence, ni
même les Américains qui reviendront au combat avec les
hérétiques, comme nous le souhaitons. Alors, qu’elles le veuillent ou
non, de nombreuses régions sunnites se rangeront aux côtés des
combattants du jihad, et ces derniers se seront assurés un territoire
d’où ils pourront repartir frapper les hérétiques au sein même de
leurs régions, le tout soutenu par une propagande claire. De la
sorte, une profondeur stratégique [106] aura été créée, de même
qu’une voie de communication entre les frères de l’étranger et les
combattants de l’intérieur.
1/ Nous faisons tout notre possible et courons après le temps afin de
former des brigades de combattants qui puissent se retirer dans des
lieux sûrs, reconnaître le pays, faire la chasse à l’ennemi sur les
[107]
routes et les chemins , qu’il s’agisse d’Américains, de policiers ou
de soldats. Nous sommes en train de recruter et d’entraîner. Quant
aux hérétiques, ils auront, si Dieu le veut, leur compte d’opérations-
martyre et de voitures piégées.
2/ Nous tentons depuis un certain temps d’observer la situation et
de faire le tri de ceux qui y sont actifs, en recherchant les hommes
sincères suivant une méthode saine afin de collaborer ensemble,
nous coordonner en vue de nous associer et nous unir avec eux,
après les avoir testés et éprouvés. Nous espérons avoir accompli de
grands pas et peut-être déciderons-nous de l’annoncer
prochainement, même de façon progressive, afin que la chose soit
connue de tous. La période de latence est révolue, et nous sommes
déterminés à donner du grain à moudre aux médias, de façon à
révéler des vérités, susciter des vocations et fédérer les volontés.
Alors, dans ce jihad, le sabre et la plume se compléteront [108] .
3/ En complément de cette action, nous souhaitons que soient levés
les doutes et explicitées les prescriptions légales au travers de
cassettes, de tracts, de leçons et de conférences afin de développer
la conscience collective, d’affermir le dogme de l’unicité de
Dieu [109] , de préparer les infrastructures et d’acquitter les
consciences.
5/ [sic] Le moment d’agir. Nous espérons accélérer le rythme de
travail, et former les brigades expérimentées dans l’attente de
l’heure à laquelle nous entamerons notre action et prendrons
possession du pays, de nuit tout d’abord, puis au grand jour, avec
[110]
l’accord du Dieu tout-puissant. Il nous reste environ quatre mois
avant la constitution du gouvernement et, comme vous le voyez,
nous courons après le temps. L’idéal serait que nous puissions,
comme nous le souhaitons, ruer dans les brancards et faire échouer
leur plan. Sinon, ce qu’à Dieu ne plaise, le gouvernement étendra sa
domination sur le pays et il ne nous restera qu’à refaire nos
bagages, partir pour un autre pays en reprenant l’étendard, à moins
que Dieu ne préfère que nous mourrions en martyrs.
Notes du chapitre
[1] ↑ Si le nom de l’auteur n’est pas cité, on peut deviner deux possibles destinataires
(puisque le duel grammatical est utilisé dans la dernière appellation). La mention des
« sommets », des « lions des montagnes » est une allusion explicite aux fugitifs d’Al-Qaida
en Afghanistan. En fin de texte, une phrase laisse entendre qu’il s’agit d’un rapport sur la
situation en Irak et d’une proposition de collaboration faite à Oussama ben Laden et
Ayman al-Zawahiri.
[2] ↑ Malik ibn Anas (710-795), fondateur de l’une des quatre écoles juridico-religieuses
de l’islam orthodoxe (ou [madhhab]), auteur du Compendium ([muwattâ]). Le malékisme
est professé en Afrique du Nord, en Afrique de l’Ouest, en Haute-Égypte ainsi que dans
certaines parties de l’Arabie saoudite. Pour les malékites, les sources de la loi sont le Coran,
le hadith, les faits et dits des Compagnons, et enfin l’[ijma‘], le consensus des hommes de
religion. Le malékisme a également introduit un type de pensée téléologique où la fin peut
justifier des moyens : ainsi le principe de [sadd al-dharâ’i‘] (l’entrave des moyens), qui, en
vue d’éviter une mauvaise fin, peut permettre d’interdire quelque chose de licite par
ailleurs. Ce principe, emprunté par les hanbalites, est très souvent mobilisé en Arabie
saoudite, par exemple pour justifier l’interdiction faite aux femmes de conduire.
[3] ↑ Tout le texte est rythmé de paronomases, comme cela se faisait volontiers dans la
prose traditionnelle.
[4] ↑ Nous avons partout traduit ainsi le mot [umma].
[5] ↑ Dans les écrits jihadistes postérieurs à l’invasion de l’Irak de mars 2003, la présence
américaine est souvent décrite comme une formidable occasion à saisir. Ben Laden
déclare par exemple, le 16 décembre 2004 : « Frapper les États-Unis en Irak, en terme
d’économie et de perte de vie, constitue une occasion en or, une chance unique… »
[6] ↑ L’auteur évite ici de nommer l’Irak par sa dénomination habituelle – ce qui
équivaudrait à reconnaître la légitimité de l’État-nation –, préférant une désignation
géographique : [bilâd al-râfidayn], la Mésopotamie. De même, l’Arabie Saoudite est souvent
désignée par l’expression [bilâd al-haramayn], le pays des deux lieux saints.
[7] ↑ Selon la géographie sentimentale des auteurs islamistes, la « terre des deux
sanctuaires » est l’Arabie, et al-Aqsa désigne, par métonymie, Jérusalem. Des hadiths font
allusion à une victoire de l’islam contre l’impiété en Grande Syrie, ce qui peut se
comprendre historiquement.
[8] ↑ Croyance musulmane en la venue du messie à Damas.
[9] ↑ [al-châm], c’est-à-dire le nom traditionnel de la Syrie géographique ou Grande Syrie,
et dans laquelle peut parfois s’intégrer des zones de l’ensemble du Croissant fertile, dont
l’Irak, d’où écrit l’auteur.
[10] ↑ Pour les églises protestantes américaines appartenant au mouvement évangélique
(50 millions de fidèles), l’établissement d’un État juif en Palestine est nécessaire au retour
du Messie – le Christ – qui marquera la fin des temps. Ces fondamentalistes chrétiens
constituent un soutien essentiel de l’administration Bush, ce dernier, lui-même born-again,
appartenant au mouvement évangélique.
[11] ↑ L’auteur déprécie ici ,1a coalition difficilement rassemblée par les États-Unis, dont
font notamment partie des micro-États du Pacifique et quelques petits États d’Amérique
centrale.
[12] ↑ Une manifestation de la multiplicité (parfois contradictoire) des sources où les
jihadistes puisent leurs informations. Ici, l’auteur utilise une formule créée par les médias
au lendemain de l’invasion de l’Irak. À l’époque de Saddam, cependant, ce « triangle »
existait déjà en tant qu’entité territoriale caractérisée par un comportement particulier
envers le pouvoir (en l’occurrence, il était considéré comme un bastion du régime).
[13] ↑ [Râfida] : l’auteur désigne ainsi le plus souvent les chiites, ce qui est l’usage dans la
littérature islamiste sunnite. L’origine du terme remonterait à un hadith selon lequel le
Prophète aurait dit : « Il y aura un groupe de gens qui se dira “rejectionniste” [al-râfida]. Si
tu les rencontres, tue-les, car ce sont des polythéistes. »
[14] ↑ Référence possible à la part relative que constitueraient les chiites parmi la
population irakienne (60 %), et aux positions et postes qu’ils voudront en conséquence
obtenir dans l’Irak occupé.
[15] ↑ L’auteur admet ici la pluralité de la société irakienne : la priorité n’est pas ici de
corriger cet état de fait, mais d éviter que le pouvoir n’échappe des mains des sunnites.
Cette remarque correspond au ton très réaliste et terre-à-terre de « l’analyse » présentée
ici.
[16] ↑ On retrouve ici le cliché répandu dans l’historiographie arabo-musulmane sur
l’Irak, pays de sédition. Ali, le quatrième calife, avait en effet fait de Koufa, en Irak, sa
capitale. Le choix de son successeur, Mouawiya, de déplacer le siège du califat à Damas,
s’est alors traduit par toute une série de révoltes, qui minèrent le règne des Omeyyades.
C’est ainsi que l’Irak acquit sa réputation de « province rebelle ».
[17] ↑ Ziyad ibn Abihi fut gouverneur de Koufa, puis également de Bassora, sous le
premier calife omeyyade Mouawiya ibn Abi Soufyan, qui régna de 661 à 680. Il mourut en
673.
[18] ↑ Masoud Barzani, fils de Moustafa Barzani, figure légendaire de la révolte des
Kurdes irakiens, dirige le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), tandis que Jalal Talabani
dirige l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), qui a fait scission du PDK en 1974. Le
premier contrôlait le nord du Kurdistan irakien, situé à la frontière avec la Turquie, alors
que le second en contrôlait le sud, frontalier de l’Iran. Le 6 avril 2005, Jalal Talabani a été
nommé président de l’Irak par l’Assemblée nationale irakienne.
[19] ↑ Les deux principaux partis kurdes sont d’orientation socialiste. « Le mouvement
islamique de Kurdistan », qui existe depuis les années 1980 comme la branche locale des
frères musulmans, n’a jamais pris de l’ampleur parmi les Kurdes. En décembre 2001, s’est
créé le groupe islamiste radical du nom d’Ansâr al-islâm, mais il est resté marginal, surtout
après sa radicalisation en 2002.
[20] ↑ L’auteur retourne ici la vision habituellement admise de la situation kurde : la
laïcité autoproclamée des zones kurdes serait l’effet non pas de l’autonomisation de ces
régions par rapport au cœur du pays mais plutôt de la réussite du projet baathiste !
[21] ↑ On retrouve ici l’image, fréquente dans la littérature d’inspiration wahhabite, du
« chiite fourbe », qui pratique la [taqiyya] ou le [kitmân], la dissimulation de sa foi.
[22] ↑ Coran, 63/4. Dans le Coran, le verset ne peut désigner les chiites, puisque le clivage
sunnite/chiite n’apparaît que plusieurs décennies après la révélation. Ce verset, également
cité dans « Notre position légale sur le gouvernement du nouveau Karzaï », désigne en fait
plus largement les hypocrites ([al-munâfiqûn]).
[23] ↑ L’adéquation des leçons de l’histoire et du réel, affirmée à plusieurs reprises dans
les discours des mouvements jihadistes, replace, pour les interlocuteurs qui auront
tendance à l’oublier, leur action dans une Histoire universelle légitimée par Dieu et où tout
acte, bon ou mauvais, participe d’une théodicée.
[24] ↑ Voir la note 47, p. 268 sur les Gens du Livre.
[25] ↑ Le « culte des tombeaux » désigne les pèlerinages sur les tombes de pieux
personnages, qui sont répandus parmi la population chiite irakienne. Le salafisme
jihadiste, courant auquel appartient Zarqawi, est, sur la question du rapport à l’Autre, très
proche des positions de l’école wahhabite. C’est ainsi que, dans la foulée d’ibn Abd al-
Wahhab, al-Zarqawi voit dans ces manifestations la preuve d’un polythéisme avéré.
[26] ↑ Entre autres Aïcha, la plus jeune femme du Prophète, qui, après la mort de ce
dernier, se retrouve à la tête de l’un des groupes en lutte pendant la période de la fitna,
guerre civile musulmane qui éclate sous le califat d’Ali. Considérée par les chiites comme
partie prenante du conflit et ennemie des partisans d’Ali, elle est au contraire tenue par les
sunnites pour l’une des sources les plus fiables du hadith et de la jurisprudence islamique.
[27] ↑ Les courants les plus radicaux du chiisme sont très critiques des trois premiers
califes de l’islam, tout comme de certains compagnons, qu’ils accusent d’avoir écarté Ali du
pouvoir alors que celui-ci devait, à leurs yeux, succéder au Prophète. Ces attaques peuvent,
dans des cas extrêmes, correspondre à un [takfîr], une excommunication.
[28] ↑ La fonction d’imam comme chef de la communauté, seul digne d’accéder au califat,
est réservée par les chiites à un descendant d’Ali, le cousin du Prophète, par Fatima, sa
fille.
[29] ↑ Dans la croyance chiite, l’imamat vient compléter la prophétie et les imams,
descendants du Prophète, sont seuls à même de déterminer le sens caché des textes sacrés.
[30] ↑ Terme péjoratif employé par les chiites pour désigner les sunnites.
[31] ↑ L’auteur accuse les chiites d’avoir provoqué avec les Mongols la chute du califat
abbaside, dont la capitale était Bagdad, en 1258.
[32] ↑ Deux villes sunnites, dont la première fut le lieu de naissance de Saddam Hussein.
[33] ↑ L’auteur ici fait mine d’ignorer l’oppression de la population chiite en Irak sous le
régime de Saddam Hussein.
[34] ↑ Pour l’auteur, le quiétisme dont fait preuve la communauté chiite actuellement, et
surtout la majorité de celle-ci, sous la direction de l’ayatollah al-Sistani, s’explique par une
stratégie d’entrisme et de prise de pouvoir silencieuse et implicite.
[35] ↑ Les deux niveaux du conflit irakien sont présentés : les chiites irakiens font face
aux sunnites de l’oumma. En caractérisant les chiites comme « irakiens » en les renvoyant
à une identité locale, contre les sunnites qui n’agissent et ne s’engagent que dans le cadre
de l’oumma, l’auteur renvoie les chiites à leur supposée [chu‘ûbiyya], à leur volonté
séditieuse de briser l’oumma et de n’agir qu’en fonction d’intérêts propres.
[36] ↑ En arabe, [taqiyya]. « La dissimulation fut fréquemment, sinon continuellement,
pratiquée par les chiites qui, au long de l’histoire, furent souvent en butte à des
persécutions ou des avanies » : Janine et Dominique Sourdel, Dictionnaire historique de
l’islam, Paris, PUF, 1996, p. 792.
[37] ↑ Organisation chiite soutenue par la République islamique d’Iran, dont le président,
l’ayatollah Baqir al-Hakim, a été assassiné le 29 août 2003, à Najaf, (voir l’introduction).
Pour la signification du mot [badr], voir note 36, p. 158. Les Américains se sont
effectivement appuyés, ou du moins ont laissé, dans différents endroits, des forces pré-
constituées remplir des fonctions de sécurité. Pour l’auteur, ces forces qui collaborent avec
les Américains sont donc traîtresses à double titre : comme collaborationnistes avec
l’ennemi, et comme chiites, animées de la volonté de prendre le pouvoir aux dépens des
sunnites. Dans un enregistrement sonore diffusé mercredi 4 juillet 2005, Abou Moussad al-
Zarqawi a annoncé la création d’une brigade Omar pour « éliminer les symboles et les
factions de fa perfide brigade Badr ».
[38] ↑ Dans son zèle anti-chiite, l’auteur est ici mené à se contredire, car il constatera
quelques pages plus tard : « l’Amérique n’est pas venue pour repartir, et ne le fera pas ».
[39] ↑ Les chiites sont paradoxalement d’autant plus dangereux qu’ils sont des nôtres : le
lien national, de voisinage, voire familial, loin de modérer l’antagonisme entre chiites et
sunnites, serait au contraire une raison aggravant la dangerosité des chiites. L’auteur fait
radicalement passer le lien religieux avant toute autre forme d’appartenance, même
familiale ou tribale.
[40] ↑ L’auteur inverse dans ce texte l’ordre des périls, faisant des chiites un danger plus
grand que les « croisés ».
[41] ↑ « Parti de la résurrection arabe », unioniste arabe et socialiste, fondé en 1940, au
pouvoir en Irak de 1968 à 2003.
[42] ↑ Il s’agit là d’une allusion aux nombreux assassinats qui ont effectivement suivi
l’invasion américaine, sans que l’on puisse les attribuer précisément à une entité
particulière. Plutôt que d’assassinats à but politico-confessionnel, il s agirait plus
certainement de règlements de compte au détriment d’anciens cadres du régime, d’où
l’identité sunnite de nombreuses victimes.
[43] ↑ En août 2004, lors de la seconde insurrection des partisans de Moqtada al-Sadr, une
mystérieuse armée de Zulfiqar [jaych dhû-l-fiqâr] du nom d un sabre d’Ali ibn Abi Talib,
s’est faite connaître par des exécutions d’insurgés. Les hypothèses autour de ce groupe
contre-insurrectionnel laissent penser qu’il s’agirait de troupes tribales chiites mobilisées
par les Américains pour combattre l’insurrection de l’intérieur. La prémonition d’al-
Zarqawi sur la constitution de « Contras » sunnites aurait donc déjà été mise en œuvre
dans la zone chiite.
[44] ↑ Le complot chiite doit, en définitive, être subordonné à l’inépuisable « complot
juif », un leitmotiv de la littérature islamiste.
[45] ↑ L’auteur reprend un thème classique de la propagande irakienne de la fin des
années 1980, à l’époque où le pays, en guerre contre l’Iran, se sentait menacé par la Syrie,
dirigée par des Alaouites (secte liée au chiisme) et alliée de Téhéran. « L’axe chiite » était
un épouvantail régulièrement brandi sur la possible constitution d’une fédération chiite
qui irait du Liban à l’Iran, voire au Pakistan (alors que la famille Bhutto, chiite, encore
puissante, dirigeait par intermittence le gouvernement).
[46] ↑ Allusion au fameux hadith : « Le paradis est à l’ombre des épées. »
[47] ↑ Séfévides : dynastie chiite d’origine arabe qui gouverna la Perse de 1501 à 1736. En
refoulant l’armée ottomane, l’armée du Chah Abbas Ier prit Bagdad le 12 janvier 1624 et y
massacra une partie de la population sunnite. Bagdad ne fut reprise par les Ottomans
qu’en décembre 1638. Quant à Vienne, elle avait été assiégée sans succès une première fois
par les Ottomans en 1529, qui échouèrent une seconde fois en 1683. Voir Robert Mantran
(dir.) Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1989.
[48] ↑ Là aussi, le fait qu’il soit du même peuple ne les rend que plus dangereux. Loin
donc de faire des chiites irakiens une cinquième colonne de l’Iran, comme cela a pu être
suggéré par des baathistes, l’auteur considère au contraire que leur dangerosité augmente
avec leur « Irakité ».
[49] ↑ Coran, 63/4.
[50] ↑ Rappelons que ce théologien hanbalite rigoriste (1263-1328), dont les livres sont
aux chevets des islamistes, vécut à une époque particulièrement troublée de la civilisation
islamique où le califat succomba aux attaques des Mongols, venus de l’est, alors qu’à
l’ouest les croisés étaient encore présents. Les événements relatés dans la citation se
rapportent à cette période. Voir note 60, p. 166 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[51] ↑ Khan mongol (1167-1227), Gengis Khan unifia les principales tribus des steppes de
la Mongolie, mena de brillantes campagnes militaires et soumit la Chine et la Perse. Ses fils
poursuivirent son entreprise. Pour les civilisations impériales victimes de ses entreprises
(la Chine, la Perse), il reste le symbole du barbare destructeur.
[52] ↑ Khan mongol (1217-1265), petit-fils de Gengis Khan, qui régna sur l’Iran et conquit
en 1258 Bagdad, où il fit exécuter le calife al-Musta‘sim, entre autres. Il se lança ensuite à la
conquête de la Syrie, avant d’être arrêté par les Mamelouks d’Égypte en Palestine (1260). Il
fonda en Perse la dynastie des Ilkhans. Ce responsable de la chute de Bagdad conserve
dans l’imaginaire musulman une aura particulièrement sinistre.
[53] ↑ Le 25 février 1260, les Mongols (sous la direction d’Hulagu) prirent la ville d’Alep et
y massacrèrent la population musulmane.
[54] ↑ Ibn al-Alqami : dernier vizir, chiite, de l’ultime calife abbasside, sunnite, Al-
Mousstassim exécuté par les Mongols en 1257. Alep tomba aux mains des Mongols, le
25 février 1260. Ces derniers, effectivement, ne faisaient pas de différences entre les
diverses obédiences religieuses de leur immense empire. Beaucoup de chiites, de chrétiens
et de membres de confessions hétérodoxes les servirent.
[55] ↑ L’auteur est Ibn Taymiyya, ici encore cité longuement, télescopant ainsi la période
médiévale et la période contemporaine. Voir note 60, p. 166 dans Abdallah Azzam, Rejoins
la caravane !
[56] ↑ Voir note 15, p. 154 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[57] ↑ Désigne Ahmad ibn Hanbal. Voir note 20, p. 142 dans Abdallah Azzam, La Défense
des territoires musulmans.
[58] ↑ Les deux premiers califes et l’épouse préférée du Prophète, qui se seraient opposés
à Ali ibn Abi Talib, fondateur du parti chiite [chî‘at ‘alî].
[59] ↑ Abou Bakr Al-Khallal, un disciple d’Ahmad ibn Hanbal, consacra sa vie à consigner
les opinions de ce dernier par écrit. Il mourut en 923.
[60] ↑ Al-Faryabi, mort en 827, fut l’un des premiers traditionnistes.
[61] ↑ Juriste et écrivain andalou du XIe siècle. Voir note 80, p. 330 dans Ayman al-
Zawahiri, L’Allégeance et la Rupture.
[62] ↑ De la lettre du Coran. Pour les chiites, les versets annonçant qu’Ali devait succéder
au Prophète auraient été supprimés par ses successeurs.
[63] ↑ Combattre les sectes « déviantes » de l’islam est présenté par Ibn Taymiyya comme
une quasi-obligation religieuse. Celui-ci s’est par exemple porté volontaire à plusieurs
reprises pour combattre les chiites.
[64] ↑ Les Kharijites (« ceux qui sont sortis » – des rangs) sont un groupe de partisans
d’Ali qui retirèrent leur confiance à ce dernier après la bataille de Siffin (657) contre
Mouawiya, lorsqu’Ali accepta de déposer les armes et de procéder à un arbitrage. Ils
refusèrent qu’on soumette une décision de Dieu à l’arbitrage des hommes. Puritains,
réclamant un égalitarisme absolu, les Kharijites (dont il ne subsiste aujourd’hui que
quelques communautés altérées, commes les Ibadites à Oman) pratiquèrent l’assassinat
des musulmans qui ne partageaient par leurs idées. « Kharijite » est une invective
courante aujourd’hui, aussi bien de la part des autorités qui condamnent les jihadistes qui
anathémisent les autres musulmans que de la part des jihadistes qui condamnent ainsi les
égarés de la voie de l’orthodoxie telle qu’ils l’interprètent.
[65] ↑ Le musulman dissident a un statut particulier pour le mouvement jihadiste. Alors
que les membres des autres religions monothéistes reçoivent un traitement réglé par la
religion, le « vide juridique » qui entoure des figures inconnues par la loi religieuse –
chiites, et autres musulmans ayant leurs propres interprétations du fait religieux – fait
qu’ils ne peuvent alors, pour les jihadistes, encourir pour seul châtiment que la mort, à
l’image de l’apostat.
[66] ↑ Parole attribuée au quatrième calife, Ali ibn Abi Talib (600-661), qui classait
l’humanité en trois catégories : les maîtres spirituels, leurs disciples et la canaille inculte.
Exemple d’usage ironique d’une parole de la figure sacrée du chiisme qu’est Ali par un
adversaire acharné des chiites.
[67] ↑ La fête de l’anniversaire du Prophète, arbitrairement fixée au 12 du mois de Rabî’
Ier, est considérée par les islamistes d’inspiration wahhabite comme une « innovation »
([bid‘a]) car, non canonique, elle apparut tardivement.
[68] ↑ Les salafistes jihadistes, et plus généralement les islamistes d’inspiration
wahhabite, considèrent le chant et la danse comme interdits par Dieu. Ce que reproche ici
Zarqawi aux sunnites d’Irak, ce sont leurs tendances soufisantes, le soufisme étant
considéré par les jihadistes comme une hérésie.
[69] ↑ L’utilisation d’un tel vocabulaire, très courant dans le milieu marxiste arabe des
années 1970 et 1980, est un autre exemple de l’aspect autodidactique et bricolé de la
culture de ces milieux jihadistes. Leur capacité à assimiler des formules médiatiques ou de
mouvements intellectuels qui leur sont étrangers et à les retourner en leur faveur se
retrouve à plusieurs endroits de leur discours, et leur permet d’être plus proche d’un
public qui partage la même formation hétéroclite.
[70] ↑ Allusion au Joseph coranique dont les frères mentent à leur père, en prétendant
qu’un loup l’a dévoré. Voir Coran, 17/12.
[71] ↑ La branche irakienne de la confrérie des Frères musulmans est le Parti islamique
Al-hizb al-islâmî, fondé dans les années 1950.
[72] ↑ La posture légaliste des Frères musulmans est là encore fustigée.
[73] ↑ Al-Zarqawi affirme donc ici qu’aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’argent du
jihad provient en partie de ces Frères musulmans qui ont, pour eux-mêmes, refusé la voix
des armes.
[74] ↑ Les Frères musulmans sont donc d’autant plus dangereux qu’ils représentent un
autre internationalisme, concurrent.
[75] ↑ L’insurrection des Frères musulmans syriens contre le régime baathiste débuta en
1974 pour se terminer en 1982, écrasée dans le sang à Hama.
[76] ↑ En arabe : [chûrâ], voir note 31, p. 266 dans Ayman al-Zawahiri, Conseil à l’oumma.
Les Frères musulmans ont en effet cherché à rassembler les différents courants islamistes
sunnites.
[77] ↑ Pour « salafisme », voir note 31, p. 144 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[78] ↑ Autre exemple, plus fascinant encore, des contacts et déplacements intellectuels.
Cette analyse assez lucide du système de Saddam s’appuie très certainement sur le livre de
Kanaan Makkya (sous le pseudonyme de Samir Khalil), Irak. La machine infernale (Paris, J.-
C. Lattes, 1991), où l’auteur procède à une analyse du totalitarisme irakien des années 1980
inspirée par les théories d’Hannah Arendt sur l’atomisation de la société comme moyen de
domination. L’auteur de ce livre est aujourd’hui très proche des milieux néo-conservateurs
américains…
[79] ↑ Nous retrouvons ici la thématique de la bannière [al-râya], qui rappelle le titre du
livre d’al-Zawahiri.
[80] ↑ Pour l’auteur, la guerre ne doit pas se limiter à une entreprise technologique mais
mettre en jeu le corps du militant. Cette dimension corporelle du combat engage le salut,
qui en est absent lors d’un rapport abstrait entre machines.
[81] ↑ La perte en vies humaines n’est donc pas seulement un moyen incontournable
d’un point de vue tactique, c’est aussi un objectif en soi.
[82] ↑ Dans l’apologétique jihadiste, il est affirmé que le sang du martyr a le parfum du
musc, ce qui n’est pas sans rappeller « l’odeur de sainteté ».
[83] ↑ Ce constat confirme la plupart des estimations des services de renseignement qui
sont apparues dans la presse, à savoir que les jihadistes étrangers en Irak, dont le nombre
n’excède probablement pas quelques milliers, jouent un rôle militaire mineur dans la
résistance dans ce pays. Voir par exemple « CIA Studies Provide Glimpse of Insurgents in
Iraq », Washington Post, 6 février 2005.
[84] ↑ La mobilisation générale signifie ici établir que le jihad est un [fard ‘ayn], une
obligation qui incombe à chaque musulman. Voir note 45, p. 146 dans Abdallah Azzam, La
Défense des territoires musulmans.
[85] ↑ Parole qu’auraient prononcée les compagnons du Prophète lors de l’expédition
d’al-Khaybar, dans une situation désespérée avant qu’un miracle se produise. La citation
est approximative car le hadith dit : « L’ennemi est à nos trousses et le fleuve est devant
nous. » Ce passage, qui témoigne d’un réalisme et d’une objectivité étonnants, est typique
d’un genre qui est relativement nouveau dans la littérature jihadiste, qui consiste à
analyser la situation stratégique des moujahidines d’une manière scientifique et réaliste.
Voir Brynjar Lia et Thomas Hegghammer, « Jihadi Stratégie Studies », Studies in Conflict
and Terrorism, 27 mai 2004.
[86] ↑ Ce développement rappelle la théorie de Ben Laden sur le quorum de
moujahidines à atteindre avant de suspendre rappel à mobilisation. Dans ses
Recommandations tactiques, Ben Laden précise en effet qu’un grand nombre de
volontaires, non armés et mal entraînés, peut s’avérer un fardeau plus qu’un avantage.
[87] ↑ L’occupation est donc une continuation du règne de Saddam. L’invasion
américaine constitue moins une rupture qu’une occasion donnée de prendre les armes,
opportunité impossible sous Saddam.
[88] ↑ C’est là un thème fréquent dans la littérature islamiste de combat, où le soin qu’a
l’armée américaine de ménager la vie de ses hommes, notamment par le recours aux
bombardements aériens, est présenté comme une preuve de lâcheté.
[89] ↑ Cette remarque est très intéressante puisqu’elle fut faite en janvier 2004, à un
moment où aucun otage étranger n’avait encore été pris en Irak. La vague d’enlèvements
commence brusquement au début du mois d’avril 2004, pendant le premier siège de
Fallouja. Les premiers Américains furent enlevés le 9 avril. Le groupe de Zarqawi prit leur
premier otage, l’Américain Nicholas Berg, le 10 avril. Il fut décapité un mois plus tard
(juste après la révélation du scandale d’Abou Ghraib) et la vidéo de son exécution fut
diffusée sur Internet le 11 mai. Ce texte indique que Zarqawi envisageait ce genre
d’opération depuis un certain temps.
[90] ↑ Cette remarque s’avérera aussi une prédiction néfaste, car c’est précisément à
partir du mois de février 2004 que l’on peut observer une montée spectaculaire dans le
nombre d’attentats-suicide et à la voiture piégée contre les forces de sécurité irakiennes, et
une réduction dans le nombre d’attentats contre des cibles occidentales.
[91] ↑ Cette dénomination des chiites se rapporte à Abdallah ibn Saba, présenté de
manière récurrente dans la littérature islamiste anti-chiite comme le Juif qui aurait fondé
le chiisme pour détruire l’islam de l’intérieur.
[92] ↑ L’auteur aborde ici les deux options qui se présentent aux jihadistes en Irak : ou
bien créer un cercle « vertueux » attentats-répression-radicalisation de la population (voir
le Minimanuel de guérilla urbaine, de Carlos Marighella, un Brésilien qui, le premier, dans
les années 1960, formula ce mécanisme connu des insurgés de tout temps), ou bien une
démobilisation et une acceptation de l’ordre nouveau qui viendraient de la consommation
et et de la fin des frustrations de l’ère du blocus.
[93] ↑ L’auteur semble, dans ce type d’envolées lyriques, rejouer une scène de l’époque
du Prophète, loin de la réalité des blindés et des Kalachnikov.
[94] ↑ Les hérétiques ([al-râfida]) désignent les chiites, les impies ([al-kuffâr]) désignent
les non-musulmans.
[95] ↑ Pour l’auteur, l’ennemi proche ([al-‘aduw al-qarîb]) n’est pas le régime tyrannique,
comme nous le trouvons généralement dans la littérature jihadiste, mais plutôt les chiites.
Nous rappelons que selon la théologie classique sur le jihad, il est fortement conseillé de
viser l’ennemi le plus proche en premier.
[96] ↑ Le Conseil de gouvernement nommé a été mis en place par les États-Unis comme
structure de transition dans l’attente de l’élection d’un gouvernement légitime. Il est
dénoncé par les opposants à la présence américaine comme un gouvernement croupion, à
la solde des Américains.
[97] ↑ L’auteur fait ici preuve d’une certaine sensibilité à l’égard de l’opinion politique de
ses concitoyens et semble avoir conscience que la violence excessive peut aliéner le public,
thème rarement abordé dans la littérature jihadiste. C’est d’autant plus surprenant que le
réseau de Zarqawi est l’un des acteurs les plus violents de la résistance irakienne.
[98] ↑ Voir note 8, p. 70.
[99] ↑ Parole attribuée au poète arabe al-Farazdaq (641-730) qui quittait l’Irak pour
Médine alors qu’al-Hussayn (626-680) de Médine se dirigeait vers l’Irak, où il devait
trouver la mort des mains des hommes du calife omeyyade, à Karbala, le 10 octobre 680.
Petit-fils du Prophète, al-Hussayn ne reconnaissait pas la légitimité de la dynastie des
Omeyyades et refusait de prêter le serment d’allégeance au fils du premier calife, Yazid.
On en trouve le récit dans l’Histoire d’al-Tabari : – « Donne-moi des nouvelles des gens que
tu as laissés derrière toi, aurait dit al-Hussayn. – Tu as demandé à la bonne personne : les
cœurs des hommes sont avec toi, leurs sabres aux Omeyyades, la décision descendra du
ciel, car Dieu fait ce qu’il veut », aurait répondu al-Farazdaq. ([Târîkh al-umam wa al-
mulûk], dâr al-kutub al-‘ilmiyya, Beyrouth, 1997, vol. 3, p. 296.) Une autre anthologie
classique, celle-ci poétique, Le Livre des chansons (d’Abou al-faraj al-Isfahani, 897-967),
rapporte un dialogue au contenu identique mais en des termes différents. Quoi qu’il en
soit, dans l’histoire arabe, le fondateur de la dynastie omeyyade, Mouawiya, est resté
comme symbole de réalisme politique.
[100] ↑ Référence à la bataille du fossé en 627. Voir note 36, p. 160 dans Abdallah Azzam,
Rejoins la caravane !
[101] ↑ Al-Nawawi, spécialiste du hadith, mort en 1277. Il s’agit ici d’une référence à son
Commentaire de L’Authentique de Mouslim à propos des gens du fossé [Coran : 85/4] (voir
note 47, p. 162 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !). Le verset coranique ferait
allusion à des martyrs chrétiens persécutés en 530 par le roi juif du Yémen, Dhou Nouwas.
[102] ↑ La fascination du martyre dans certains milieux jihadistes est d’une telle intensité
que certains sociologues les ont comparés à des cultes de la mort.
[103] ↑ La même expression figure dans « Notre position légale sur le gouvernement du
nouveau Karzaï », voir l’introduction.
[104] ↑ Nous rappelons qu’un des personnages les plus importants sur la scène politique
chiite, Mohammed Baqir al-Hakim, chef du Conseil suprême de la révolution islamique en
Irak, fut assassiné le 29 août 2003.
[105] ↑ Lieu de culte chiite, nommé par référence à al-Hussayn ibn Ali, le fils cadet d’Ali
ibn Abi Talib, héros et martyr des chiites, dont la commémoration de la mort donne lieu à
la fête de Achoura. Voir note 98, p. 408.
[106] ↑ Ce concept est tiré de la littérature stratégique et militaire occidentale.
[107] ↑ La tactique la plus utilisée par les militants en Irak est, selon les sources
américaines, la roadside bomb.
[108] ↑ Les deux termes employés sont [al-sayf], le sabre, et [al-qalam] le « calame », ou
roseau taillé, utilisé autrefois par les scribes, illustration du thème classique de la
comparaison entre l’action et la parole. La société islamique classique distinguait parmi la
[khâssa] (l’élite), les [ahl al-sayf] (les gens d’épée, militaires et administrateurs) et lés [ahl
al-qalam] (gens de plume, savants et rhéteurs). Ici, l’auteur fait plus particulièrement
référence à cette guerre médiatique qui accompagne la guerre militaire.
[109] ↑ Le dogme du [tawhîd], central pour les mouvements d’inspiration wahhabite.
Rappelons que le mouvement auquel appartiennent alors Abou Moussab al-Zarqawi et
Abou Anas al-Chami se nommait [al-tawhîd wa-l-jihâd] (Unicité de Dieu et jihad).
[110] ↑ Le 30 juin était la date initialement prévue pour la passation de pouvoir à un
« gouvernement irakien » (bien que toujours nommé par les États-Unis). Elle eut
finalement lieu le 28 juin.
[111] ↑ L’auteur interroge son destinataire (Ben Laden et al-Zawahiri probablement) sur
la question chiite car, à la différence des jihadistes irakiens, Ben Laden n’a jamais abordé
la question chiite frontalement ni fait d’elle un problème essentiel. On voit bien la manière
dont les différentes boutures locales d’Al-Qaida introduisent dans le système général des
préoccupations qui leur sont propres.
[112] ↑ La déclaration d’allégeance de Zarqawi advint, suivie de son acceptation par Ben
Laden (le 27 décembre 2004). Cela signifie-t-il que Ben Laden a aussi définitivement opté
pour cette stratégie ?
Index des noms de personnes, de
dynasties, de peuples et de tribus
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Abdouh Mohammad 86
Abou Daoud al-Sijistani 144, 145, 147, 188, 189, 191, 280,
281, 323, 361
Al-Awzai 165
Al-Anas Mohammad 13
Al-Azhari 194
Al-Chatibi 86, 87
Al-Farazdaq 408
Al-Firouzabadi 182
Al-Ghamidi Walid 80
Al-Ghawri 264
Al-Lalikai 393
Al-Mahalli 206
Al-Mouanna 90, 91
Al-Moustassim 392
Al-Naqqach 165
Al-Tabari Abou Jaafar 316, 317, 319, 321, 331, 333, 408
Mohammad
Al-Tirrimah 88
Al-Waqidi 168
Al-Zahrani Ahmad 47
Aydid Mohammad 80
2 29, 242, 244, 248, 250, 258, 260, 262, 266, 268, 272, 278, 280, 288,
294, 296, 298, 312, 322, 324, 326,
330, 332, 334, 342, 350, 352, 360, 362, 369, 370, 390, 392, 396, 398, 408
Belhaj Ali 24
Ben Baz Abd al-Aziz 138, 139, 140, 142, 262, 263, 272,
278, 279, 281, 283, 352
Ben Laden Mohammad 12, 13, 71, 72
Berbères 389
Bouyali Moustafa 18
Bush George Walker 30, 60, 91, 100, 101, 103, 105, 106,
107, 108, 109, 110, 111, 237, 311,
382
Carter Jimmy 18
Circassiens 368
Cohen William 54
Diraz Issam 38
Dostum Abdul Rashid 130
Faraj Abd al-Salam 54, 134, 137, 154, 166, 174, 225,
256, 258, 282, 302, 352, 353
Fatima 384
Fouad I 246
Freud Sigmund 35
Gilquin Michel 50
Grabar Oleg 52
Hawazine 168
Haydar Oussama 41
Ibn Abi Talib Ali 12, 66, 187, 200, 352, 384, 388,
392, 394
Ibn Hanbal Ahmad 62, 64, 142, 172, 180, 181, 268,
312, 316, 326, 334, 392
Ibn Taymiyya 52, 53, 54, 55, 64, 143, 166, 167,
180, 181, 272, 276, 300, 312, 313,
314, 322, 323, 325, 326, 331, 333,
334, 335, 368, 391, 392, 393
Ilkhans 390
Jackson D, E, P 90
Juifs 22, 50, 62, 63, 65, 82, 83, 87, 137,
151, 228, 233, 234, 236, 255, 256,
265, 268, 295, 347, 351, 357, 368,
385
Khalis 215
Lavau Georges 30
Massoud Ahmad Chah 130, 132, 158, 159, 214, 312, 323
Mazloum 159
Mir Hamza 68
Mohammad ibn Abdallah (le 5, 32, 40, 41, 42, 44, 45, 50, 51, 53,
Prophète) 61, 63, 65, 66, 67, 70, 71, 72, 73,
74, 75, 86, 90, 91, 92, 96, 97, 126,
134
Moudar 96, 97
Moujahid 165
Nizam al-Mulk 64
Nusseibeh Saïd 52
Omar ibn al-Khattab 66, 70, 75, 78, 79, 156, 157, 168,
169, 281, 296, 324, 339, 393
Ouighours 286
Poutine Vladimir 80
Powell Colin 373
Qaytbey 264
Qoutada 165
Rabia 96, 97
Tcherkesses 368
Urban Mark 48
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Acre 296
Alger 18
Al-Hira 325
Al-Houdaybiyya 177
Al-Khadouriyya 117
Al-Kharj 82
Allemagne 373
Al-Malazz 70, 71
Al-Marw 121
Al-Moucharrifa 13
Al-Moukalla 332
Al-Roussayfa 120
Al-Salihiyya 391
Al-Salmiyya 375
Al-Salt 376
Al-Souwaqa 371
Al-Taïf 47
Amérique 23, 29, 53, 60, 63, 73, 79, 80, 81,
82, 83, 84, 85, 87, 91, 93, 95, 99,
103, 105, 107, 109, 124, 131, 217,
221, 224, 237, 349, 382, 388, 401
Amsterdam 294
Aqraba 274
Arabie saoudite 14, 16, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 46,
52, 59, 60, 61, 62, 65, 72, 73, 74,
88, 90, 96, 125, 126, 133, 138, 140,
142, 150, 154, 223, 228, 229, 238,
246, 248, 250, 252, 253, 280, 292,
294, 302, 314, 316, 320, 348, 352,
354, 355, 357, 360, 375, 380
Arafa 312
Arakan 50
Assam 50, 51
Babi 132
Baghlan 159
Bangladesh 50, 68
Bayrudh 280
Berlin 286
Beyrouth 25, 44, 54, 55, 78, 80, 81, 102, 142,
348, 349, 408
Bourqine 118
Diriyya 239
Egypte 38, 52, 64, 65, 69, 82, 86, 93, 119,
123, 124, 126, 154, 156, 158, 162,
174, 217, 222, 224, 225, 228, 229,
231, 232, 234, 238, 244, 246, 248,
249, 252, 254, 264, 266, 273, 278,
285, 292, 296, 297, 306, 312, 316,
320, 332, 333, 336, 347, 353, 355,
380, 390, 391
Foustat 336
Grèce 292
Hadramawt 12, 71
Hayatabad 370
Hérat 372
Hounayne 190
Husn Bahishn 12
Indonésie 293
Indus 332
Irbid 121
Israël 14, 28, 52, 62, 65, 73, 80, 81, 120,
122, 142, 225, 226, 230, 234, 248,
257, 259, 277, 287, 292, 293, 300,
301, 312, 313, 333, 348, 349, 353,
357, 369, 383
Italie 373
Jabbok 368
Jérusalem 52, 60, 64, 65, 70, 72, 90, 94, 121,
136, 190, 231, 293, 296, 297, 315,
361, 380
Karachi 332
Karbala 408
Kesrawane 166
La Mecque 12, 17, 42, 46, 52, 67, 70, 71, 72,
96, 126, 156, 161, 162, 166, 167,
168, 176, 190, 250, 312, 314, 340,
342, 361
Louxor 68
Maadi 222
Maan 368
Maarib 332
Marrakech 174
Médine (Yathrib) 40, 41, 42, 44, 70, 71, 72, 79, 96,
138, 142, 154, 156, 162, 166, 168,
177, 210, 250, 274, 314, 315, 342,
343, 376, 408
Mogadiscio 21, 80
Mouzdalifa 312
Najran 146
Naplouse 362
New York 23, 29, 34, 52, 85, 97, 206, 207,
237, 290, 302, 310, 311
Nichapour 162
Ogaden 50, 51
Oman 392
Orlando 205
Ouzbékistan 154
Paktia 40
Paris 118
Pattani 50, 51
Pékin 286
Qana 50, 51
Ramadi 268
Riyad 11, 25, 54, 55, 60, 70, 82, 83, 88,
99, 130, 138, 139, 166, 223
Safed 52
Sind 333
Soudan 21, 22, 52, 53, 58, 65, 72, 104, 222,
231, 232, 236, 249
Srebrenica 50
Tadjikistan 50, 51
Tel-Aviv 303
Tibéhirine 188
Transjordanie 117
Wadi Douan 12
Yémen du sud 12, 21, 54, 62, 70, 72, 82, 83, 93,
136, 138, 174, 231, 249, 280, 333,
363, 408
Index des médias
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Accords de Dayton 50
Accords Sykes-Picot 30
Al-hakimiyya 240
Al-Ittihad al-Islami 50
Allégeance et rupture [al-walâ’ 142, 178, 213, 238, 239, 240, 242,
wal-barâ’] 243, 244, 294, 310, 311, 316, 317,
345, 376, 392
Arabes afghans 38, 42, 44, 48, 50, 52, 80, 81, 129,
131, 132, 133, 134, 136, 137, 158,
210, 354, 371
Base solide [al-qâ’ida al-sulba] 52, 135, 136, 154, 155, 168, 178,
210, 211, 215, 217, 290, 397
Califat/califes « bien guidés » 5, 22, 29, 64, 66, 70, 72, 74, 78, 79,
86, 87, 96, 97, 146, 156, 169, 172,
174, 186, 200, 246, 280, 296, 297,
309, 312, 324, 326, 330, 352, 382,
384, 386, 390, 391, 392, 394, 408
Communauté [al-jamâ’a] 30, 32, 33, 50, 52, 59, 66, 73, 93,
94, 97, 142, 145, 146, 156, 168,
176, 177, 193, 206, 207, 239, 252,
258, 271, 295, 306, 319, 320, 321,
326, 331, 342, 350, 351, 363, 373,
378, 381, 384, 386, 387, 389, 391,
392, 393, 397, 399, 407, 409, 411,
413
Compagnons [al-ansâr] 5, 21, 38, 42, 43, 44, 45, 47, 57, 70,
72, 74, 81, 90, 96, 97, 99, 128, 129,
141, 144, 154, 156, 157, 158, 160,
162, 169, 170, 174, 176, 177, 212,
226, 231, 270, 317, 322, 339, 342,
343, 363, 368, 380, 384, 385, 393,
398
Consensus [ijmâ’] 142 164, 196, 335, 349, 350, 380, 395
Contras 388
Croisade/Croisés 22, 51, 52, 53, 55, 62, 63, 64, 65,
73, 82, 87, 90, 93, 95, 137, 166,
190, 233, 234, 236, 237, 256, 257,
286, 287, 289, 296, 297, 303, 305,
310, 311, 315, 317, 347, 349, 351,
355, 361, 379, 383, 388, 389, 390,
391
Devoir individuel/devoir 20, 27, 45, 53, 55, 65, 66, 67, 74,
collectif 87, 138, 139, 141, 145, 146, 147,
149, 166, 167, 175, 176, 217, 226,
227, 233, 258, 259, 275, 277, 279,
289, 294, 295, 299, 305, 335, 337,
343, 349, 362
Écoles juridiques, rites 32, 33, 142, 172, 183, 196, 206,
juridiques 252, 330, 336
État/État islamique 1, 12, 18, 50, 52, 54, 59, 62, 64, 65,
72, 80, 96, 97, 103, 106, 107, 109,
110, 111, 119, 124, 132, 133, 135,
136, 140, 148, 151, 160, 166, 168,
170, 171, 176, 179, 204, 210, 217,
223, 224, 226, 227, 230, 231, 232,
234, 239, 242, 244, 246, 248, 249,
255, 266, 270, 273, 274, 275, 285,
286, 290, 292, 296, 297, 299, 301,
303, 305, 312, 324, 326, 328, 332,
333, 344, 348, 349, 353, 373, 380,
382, 383, 387, 388, 389
Fard ayn / Fard kifaya 33, 40, 64, 74, 127, 146, 166, 176,
294, 398
Fatwa/avis légal 13, 55, 66, 68, 128, 138, 139, 140,
141, 143, 157, 181, 233, 263, 264,
272, 281, 315, 327, 329, 331, 335,
352, 353, 355, 393
FBI, 52 104
Frères musulmans 4, 15, 16, 19, 20, 50, 87, 89, 91, 95,
102, 117, 118, 119, 122, 124, 125,
126, 130, 138, 140, 160, 162, 171,
204, 206, 208, 212, 223, 224, 229,
235, 243, 244, 245, 246, 247, 248,
249, 250, 252, 254, 257, 262, 263,
273, 274, 276, 277, 290, 369, 370,
384, 396
Front islamique mondial pour le 22, 63, 68, 82, 192, 233, 234, 236
jihad contre les Juifs et les
croisés
Haram 70
Impie [kâfir] 6, 21, 63, 70, 91, 95, 99, 151, 154,
182, 189, 224, 225, 239, 244, 245,
247, 257, 259, 264, 265, 267, 275,
277, 287, 292, 293, 313, 320, 321,
346, 347, 373, 374, 375, 378, 379,
385, 391, 404, 405, 411, 415
Inqilab-é-Saour 170
Jamaat-e-Islami 266
Jaysh-e-mohammad 50
Kharaj 326
Kharijites 88, 352, 353, 392, 393
Laïc, laïque, laïcité 16, 94, 96, 121, 150, 151, 160, 216,
217, 244, 245, 248, 249, 267, 292,
293, 313, 353, 373, 377, 384
Lashkar-e-Tayyiba 50
Léviathan 154
Loi révélée / Loi humaine 59, 73, 75, 76, 95, 160, 161, 173,
182, 195
Médias, médiatique 4, 11, 17, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 30,
31, 35, 36, 58, 59, 75, 82, 84, 154,
236, 237, 240, 284, 298, 302, 304,
306, 307, 310, 351, 378, 382, 395,
396, 412, 413, 415
Mossad 132
Moujahidines 6, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 47, 48, 52,
53, 87, 89, 106, 107, 109, 126, 127,
128, 129, 130, 131, 140, 141, 151,
156, 157, 158, 171, 176, 177, 179,
181, 193, 210, 216, 230, 231, 293,
295, 307, 313, 333, 349, 353, 359,
362, 363, 398, 400
Mouvement [ai-baraka] 4, 11, 16, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 25,
27, 28, 31, 34, 35, 42, 45, 47, 50,
52, 54, 66, 74, 80, 94, 110, 115,
116, 117, 119, 121, 122, 123, 127,
133, 135, 136, 137, 138, 148, 150,
151, 154, 162, 168, 169, 176, 186,
213, 221, 222, 223, 224, 225, 227,
228, 229, 231, 232, 233, 235, 236,
237, 238, 240, 242, 244, 246, 247,
248, 250, 252, 254, 258, 262, 264,
266, 285, 286, 288, 289, 290, 291,
292, 293, 295, 296, 297, 298, 299,
301, 302, 303, 305, 306, 307, 309,
318, 367, 369, 382, 384, 394, 396,
399, 412
ONG 64, 129, 133, 285
ONU 50, 64, 285, 354
1 1 Septembre 2001, 1, 4, 6, 11, 14, 20, 23, 28, 60, 80, 84, 85, 100,
101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 111, 206, 222, 236, 238, 240,
298, 304, 310, 320, 332, 354, 362, 372
Oulémas/savants 52, 53, 55, 61, 64, 65, 67, 69, 70,
86, 87, 93, 117, 127, 130, 140, 141,
142, 146, 149, 151, 159, 164, 172,
173, 190, 199, 206, 242, 262, 263,
268, 276, 278, 294, 295, 312, 334,
335, 338, 342, 343, 351, 355, 375,
391, 397
Peuple 27, 31, 61, 64, 65, 69, 80, 94, 97,
101, 104, 105, 108, 109, 145, 149,
150, 151, 157, 159, 171, 179, 181,
186, 187, 215, 217, 235, 237, 239,
242, 243, 249, 254, 261, 264, 266,
267, 273, 275, 277, 279, 283, 285,
287, 291, 300, 301, 319, 325, 329,
331, 339, 341, 351, 357, 368, 375,
389, 390, 393, 395, 397, 407
Pieux ancêtres [al-salaf al-sâlih] 94, 144, 145, 154, 155, 167, 258,
312
Sabaites 405
Siffin 392
Société 1, 13, 14, 15, 30, 32, 36, 41, 73, 74,
94, 107, 109, 111, 123, 145, 149,
150, 168, 169, 184, 186, 202, 205,
210, 211, 213, 223, 224, 225, 226,
227, 234, 246, 248, 252, 253, 258,
270, 285, 304, 320, 382, 398, 412
Spetnatz 46
Tabouk 177
Tyran, tyrannie [al-tâghût] 99, 135, 154, 155, 157, 163, 187,
235, 244, 245, 249, 257, 259, 275,
283, 357, 361, 406
Unicité de Dieu [al-tawhîd] 87, 187, 242, 243, 244, 252, 253,
258, 270, 278, 283, 294, 295, 313,
315, 372, 375, 409, 412, 413
Zakat 326
Index des œuvres citées
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).
Al-Bajouri 185
A L’ombre du Coran [fî zilâl al- 162, 163, 207, 225, 269, 273
qur’ân]
Évangiles 393
Mahomet 166
War in Afghanistan 48