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Sous

la direction de

Gilles Kepel et Jean-Pierre Milelli

Al-Qaida dans le texte


Écrits d’Oussama ben Laden, Abdallah
Azzam, Ayman al-Zawahiri et Abou
Moussab al-Zarqawi

2005
Copyright
© Presses Universitaires de France, Paris, 2015
ISBN numérique : 9782130638216
ISBN papier : 9782130547716
Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement
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juridictions civiles ou pénales.
Table des matières
Note sur l’établissement des textes (Jean-Pierre Milelli)

L’essentiel d’Al-Qaida (Gilles Kepel)

Chapitre I. Oussama ben Laden

Oussama ben Laden, une icône tribunitienne (Omar Saghi)


Une jeunesse saoudienne
Les années de formation
Le retour du vétéran
Terrorisme, martyre et vidéo
Une grammaire d’Al-Qaida
Une élite thaumaturge
Une « base » pour imposer la « norme »

Extraits de La Tanière des compagnons   (Gilles Kepel et Jean-


Pierre Milelli)

Extraits de « Déclaration de jihad contre les Américains qui


occupent le pays des deux lieux saints »   (Gilles Kepel et Jean-
Pierre Milelli)

Extraits d’un « Entretien avec CNN »   (Gilles Kepel et Jean-


Pierre Milelli)

« Déclaration du Front islamique mondial pour le jihad contre les


Juifs et les Croisés »   (Oussama ben Laden, Ayman al-Zawahiri,
Mounir Hamza [2], Fadl al-Rahman Khalil [3], Cheikh abd al-salam
Mohammad Khan [4] et Abou Yassir Rifai Ahmad Taha [5])

Extraits d’un « Entretien avec Al-Jazira »   (Gilles Kepel et Jean-


Pierre Milelli)
[Les objectifs d’Oussama Ben Laden]

Extraits de « Recommandations tactiques »   (Gilles Kepel et Jean-


Pierre Milelli)

« Seconde lettre aux musulmans d’Irak »   (Gilles Kepel et Jean-


Pierre Milelli)

« Message au peuple américain »   (Gilles Kepel et Jean-Pierre Milelli)

Chapitre II. Abdallah Azzam

Abdallah Azzam, l’imam du jihad (Thomas Hegghammer)


Débuts dans la vie
Études religieuses à Damas (1964-1966)
Le jihad palestinien D’Azzam (1967-1969)
Doctorat à Al-Azhar (1971-1973)
Les années passées à Amman (1973-1980)
Halte à Djedda
Au sein du jihad afghan
Le bureau des services
Ambassadeur de la cause afghane
L’assassinat d’Abdallah Azzam

Extraits de La Défense des territoires musulmans constitue le


principal devoir individuel (Dr Abdallah Azzam)
Introduction
Le combat en Afghanistan et en Palestine
Commençons par l’Afghanistan

Extraits de Rejoins la caravane !   (Gilles Kepel et Jean-Pierre Milelli)


Préface à la première édition
Conclusion
Note à l’attention de ceux qui viennent accomplir le jihad

Extraits de Mœurs et jurisprudence du jihad   (Gilles Kepel et Jean-


Pierre Milelli)
Étymologie du terme jihad
Sens et emploi du terme jihad
Mœurs et jurisprudence du combat
De l’exécution des moines
De l’exécution des vieillards infidèles, des malades, des aveugles
et des impotents
De l’exécution des femmes communistes en Afghanistan
L’avis prédominant sur le traitement des prisonniers
Les prisonniers communistes afghans
L’origine du terme martyr  
Définition du martyr
Les conditions nécessaires au martyre
La toilette funéraire du martyr
La prière pour le martyr
Peut-on appeler quelqu’un martyr ?
Celui qui meurt victime des rebelles et bandits de grand chemin
Extraits de « Aux jeunes musulmans des États-Unis »   (Gilles Kepel et
Jean-Pierre Milelli)

Extraits de « La base solide »   (Gilles Kepel et Jean-Pierre Milelli)


L’importance de la base solide dans le jihad afghan

Chapitre III. Ayman al-Zawahiri

Ayman al-Zawahiri, le vétéran du jihad (Stéphane Lacroix)


L’enfance et l’éveil politique de Zawahiri
L’assassinat de Sadate et l’épreuve de la prison
Le jihad afghan et la rencontre avec Ben Laden
Les années de lutte contre le régime égyptien
De l’ennemi proche à l’ennemi lointain
Zawahiri après le 11 septembre 2001

Extraits de La Moisson amère. Les soixante ans des Frères


musulmans   (Gilles Kepel et Jean-Pierre Milelli)

Extraits de Conseil à l’oumma de rejeter la fatwa du cheikh Ben Baz  


autorisant l’entrée au parlement   (d’Ayman al-Zawahiri)
1 - Le moyen légal d’éliminer la corruption   qui atteint nos pays
2 - L’essence de la démocratie
4 - Les conditions de l’avis légal
5 - Les conséquences néfastes de l’erreur d’un savant religieux
7 - Conseil au cheikh Ben Baz

Extraits de Cavaliers sous l’étendard du Prophète   (Gilles Kepel et


Jean-Pierre Milelli)
I - Des phénomènes convergents
II - Des devoirs impérieux

Extraits de L’Allégeance et la Rupture Un article de foi altéré et une


réalité perdue de vue   (Ayman al-Zawahiri)
I - Les bases de l’allégeance et de la rupture en islam
Conclusion

Chapitre IV. Abou Moussab al-Zarqawi

Abou Moussab al-Zarqawi, le jihad en « Mésopotamie » (Jean-


Pierre Milelli)
Al-Zarqa
Al-Zarqawi
Al-Maqdissi
Al-Chami

Extraits de « Lettre à Ben Laden et al-Zawahiri » (Gilles Kepel et Jean-


Pierre Milelli)
1 - Les kurdes
3 - [sic] Les hérétiques
2 - [sic] Les sunnites
II - La situation actuelle et le futur
III - Où en sommes-nous ?
IV - Plan de travail
V - Mode opératoire
VI - Qu’en est-il de vous ?

Index des noms de personnes, de dynasties, de peuples et de


tribus (Gilles Kepel et Jean-Pierre Milelli)
Index des noms de lieux (Gilles Kepel et Jean-Pierre Milelli)

Index des médias (Gilles Kepel et Jean-Pierre Milelli)

Index des événements, institutions et concepts (Gilles Kepel et


Jean-Pierre Milelli)

Index des œuvres citées (Gilles Kepel et Jean-Pierre Milelli)


Note sur l’établissement des textes
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

T oute anthologie suppose des choix, que nous avons essayé de


faire de manière à rendre compte de l’œuvre de chaque auteur,
tout en abordant à travers les textes le plus de questions possibles.
On trouvera, après l’introduction à chaque auteur, le texte traduit
sur la page de droite avec des commentaires explicatifs en regard,
qui ont pour objet de rendre intelligible les extraits choisis mais
aussi de montrer la culture commune dont ils s’inspirent et
l’idéologie dont ils participent.
Tous les textes ont été traduits de l’arabe, et puisés à diverses
sources, mais en premier lieu sur les sites Internet de la mouvance
islamiste radicale.
Nous avons signalé l’interruption de la traduction du texte par le
signe […]. Nous avons laissé les nombreuses références
bibliographiques telles que nous les avons trouvées, au risque de
renvoyer à des éditions épuisées ou inaccessibles. Nous n’avons
utilisé la transcription scientifique des mots arabes qu’entre
crochets, dans les notes. Les nombreuses citations du Coran ont été
faites à partir de l’édition de Denise Masson, parue dans la
collection de « La Pléiade » (Paris, Gallimard, 1967).
Introduction générale

L’essentiel d’Al-Qaida
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

B ien que les événements du 11 septembre 2001 aient quitté


l’actualité immédiate et entrent désormais dans l’histoire, Al-
Qaida demeure un phénomène insaisissable. La traque de ses
dirigeants, près de quatre ans après les faits, n’avait pas abouti, et
Ben Laden comme Zawahiri continuaient impunément à se montrer
sur les écrans de télévision du monde entier, chacun retenant son
souffle dans l’attente d’un nouvel attentat spectaculaire et
dévastateur. Et l’on n’est guère au clair sur la nature même de
l’entité Al-Qaida – une fois épuisées les métaphores sidérales :
nébuleuse ou galaxie terroriste, ces termes révèlent d’abord
l’immensité d’un espace infini et effrayant, mais aussi notre propre
incapacité à concevoir cet objet non identifié. Celui-ci met au défi
les catégories usuelles par lesquelles nous étions habitués à
appréhender les organisations politiques ou religieuses, les
relations internationales à l’époque où la guerre froide entre
Moscou et Washington se déroulait selon un certain nombre de
codes, de normes et de règles, bien définis. Al-Qaida – l’un des sens
du terme arabe signifie « la règle » – révèle par effraction, à défaut
d’établir clairement, de nouvelles règles des rapports entre États,
nations, sociétés, entre la violence et son spectacle télévisé, de
nouvelles formes de mobilisations militantes, en même temps
qu’elle semble raviver des codes anciens que l’on croyait tombés en
désuétude : quête du martyre, endoctrinement religieux évoquent
spontanément le Moyen Âge plus que l’ère informatique.
Nous avons habillé cette incapacité à penser le phénomène du nom
de « terrorisme », une appellation sur laquelle s’accordent tous ceux
qui voient dans Ben Laden et ses acolytes des monstres – mais que
réfutent bien évidemment ceux qui les tiennent, à des titres divers,
pour des héros. Que l’on sympathise avec pareil jugement de valeur
et condamne la terreur d’un point de vue moral ne nous éclaire pas
pour autant sur la nature d’Al-Qaida. Au contraire peut-être, comme
l’a montré la logique de la « guerre contre la terreur » qui a
mélangé les genres en justifiant d’un même souffle la traque
inaboutie de Ben Laden, l’éradication du régime des Talibans et
l’élimination de la dictature de Saddam Hussein, la désignation de
« terrorisme » représente une facilité intellectuelle qui se satisfait
de confondre dans une même réprobation ce dont nous peinons à
discerner les logiques. Il s’agit là de ce que Durkheim qualifiait de
« prénotion », définie par lui comme une sorte de concept,
grossièrement formé à partir du sens commun, qui prétend donner
à voir un phénomène social mais en occulte en réalité l’intellection.
Aux États-Unis aujourd’hui, la production de livres sur le terrorisme
est devenue une véritable industrie : ils ne font guère progresser la
connaissance, mais assurent une sorte de transition entre une
lecture du monde structurée par la guerre froide dont la
soviétologie constituait la discipline reine, et notre difficulté
présente à appréhender l’univers multipolaire qui a suivi
l’effondrement du communisme – dominé par une superpuissance
unique à laquelle s’opposent des modes de résistance,
d’insurrection, de violence, brouillés et confus. La prétendue
« science du terrorisme » (servie par des experts instantanés qui
encombrent plateaux de télévision et étals des librairies) sert d’étai
entre les théories brinquebalantes de « la fin de l’Histoire » et du
« choc des civilisations ». Mais elle est de peu de secours pour
penser les transformations de l’univers en ce début de troisième
millénaire. Elle appartient au registre de la rhétorique, flatte une
opinion désemparée, mais ne l’éclairé pas.
À rebours de ces démarches englobantes, le présent livre a
l’ambition plus modeste d’analyser, de mettre à plat, le système
doctrinal produit par ce que l’on nomme Al-Qaida, à partir de ce qui
s’en donne à lire. Chaque téléspectateur a aisément accès au
registre des images que diffusent les chaînes satellitaires, et qui
mettent en scène des attentats, des déclarations d’idéologues
enturbannés devant une grotte, des otages lisant un communiqué
pour supplier qu’on ne les exécute pas – dans une séquence
désordonnée qui joue sur la peur et le voyeurisme, comme tout bon
spectacle. Les internautes, quant à eux, trouvent des images plus
extrêmes, comme les décapitations d’otages – à l’instar de ceux qui
recherchent sur la toile les émotions fortes procurées par
l’exhibition de diverses perversions sur les sites spécialisés. Ces
images constituent le spectre le plus accessible de la propagande
d’Al-Qaida, mais leur décryptage est malaisé, car elles fonctionnent
surtout dans le registre de l’émotion. S’adressant à un très large
public, elles mobilisent peu l’argumentation raisonnée – excepté
lorsque sont lues des déclarations en arabe, mais le caractère
complexe du propos amène les chaînes occidentales à réduire alors
les images à une brève séquence spectaculaire, accompagnée d’une
citation traduite, lorsqu’elle formule une menace précise ou
présente un caractère immédiatement compréhensible.
Or, outre ces déclarations télévisées, les principaux idéologues qui
s’expriment au nom ou autour d’Al-Qaida ont fait circuler sur la
toile – parfois aussi sous forme imprimée – toute une littérature
destinée principalement, peut-on supposer, aux cercles des
militants et sympathisants potentiels. Elle fournit en substance la
rationalité des actions, inscrit la violence spectaculaire dans une
mobilisation à finalité politique, grâce à l’usage d’un argumentaire
religieux, historique, voire nationaliste. Ce corpus écrit représente,
en l’absence de tout organigramme d’une organisation qui se
nommerait Al-Qaida, l’élément le plus tangible de l’identité du
phénomène. Élaboré selon un mode rationnel et discursif – destiné
à emporter la conviction, à justifier l’investissement de l’univers de
sens islamique par un jihad guerrier tous azimuts –, il permet à ses
lecteurs de pénétrer à l’intérieur d’un mode de pensée, au plus
profond d’une vision du monde. Et c’est cette vision du monde qui
constitue pour l’essentiel Al-Qaida, quelles que soient par la suite les
vicissitudes des actions qu’entreprennent les militants du jihad qui
se reconnaissent en celle-ci. Elucider cette idéologie, par-delà sa
qualification en terrorisme, c’est se donner les moyens d’accéder à
son intelligence, de la définir en « compréhension » plutôt qu’en
extension.
Au lieu de poser a priori une définition d’Al-Qaida, confectionnée à
partir d’une collection de symptômes – attentats, meurtres, prises
d’otages relayés par une mise en scène audiovisuelle –, ce livre
s’efforce de recueillir des matériaux endogènes nous permettant de
construire de l’intérieur cet objet élusif, outre les manifestations
qui, en le donnant en spectacle, occultent son identité. Nous avons
choisi des textes attribués à quatre auteurs, dont la résultante
produit Al-Qaida, comme vision du monde et comme mouvement.
Après Ben Laden, porte d’entrée par excellence dans cet univers et
son incarnation la plus médiatique mais dont on verra que les
prises de position n’ont pas une grande profondeur théorique, deux
idéologues. Le premier, Abdallah Azzam, Frère musulman
palestinien, héraut du jihad en Afghanistan et théoricien du jihad
contemporain dans le monde entier, est connu des seuls
spécialistes. Inscrite dans la théologie musulmane, sa pensée est
souvent abstruse, mais elle donne la clef indispensable qui
permettra de comprendre la place centrale de la lutte armée dans
l’islamisme radical contemporain. Le second, Ayman al-Zawahiri,
par-delà la figure médiatique, fait la jonction entre l’œuvre
d’Azzam, assassiné en 1989, et les guérillas islamistes des années
1990, puis théorise le passage aux « opérations-martyre » dont le
11 septembre 2001 constitue l’apogée. Il est indéniablement le
principal penseur de la mouvance – nourri de la littérature
militante des islamistes égyptiens dont il radicalise la démarche,
évoquant parfois les accents du messianisme des millénaristes
protestants, ailleurs ceux de la bande à Baader, des Brigades rouges
italiennes ou d’Action directe. Enfin, le paysage mental d’Al-Qaida
se clôt avec Abou Moussab al-Zarqawi, l’activiste qui a investi le
champ irakien au prix des atrocités qu’on lui attribue, faisant
allégeance à Ben Laden et Zawahiri. Sa contribution ne vaut pas
tant pour l’apport doctrinal que pour sa violence anti-chiite – une
innovation par rapport aux autres textes.
L’une des caractéristiques de ces écrits circulant en ligne –
constitutifs dans leur matérialité numérique de cette mise en réseau
qui est la substance même d’Al-Qaida – est l’incapacité où nous nous
trouvons de leur assigner avec certitude un auteur. Dans un univers
où le droit d’auteur n’existe pas, on ne peut être assuré que Ben
Laden, Zawahiri ou Zarqawi ont effectivement rédigé tout ce qui
leur est attribué (le coefficient de probabilité est plus élevé pour
Azzam, qui vivait avant la généralisation de l’Internet, et dont la
plupart des textes ont été imprimés sur support papier avant leur
mise en ligne – même si le droit d’auteur dans le monde arabe a
toujours été une notion assez floue). Ironiquement, l’ère
informatique se télescope ici avec les âges reculés du manuscrit,
avant l’invention de l’imprimerie. De même que le spécialiste
d’Aristote établit un texte définitif en colligeant les divers
manuscrits connus, élimine les interpolations des copistes
médiévaux, restitue les oublis ou les manques, celui qui s’aventure
dans la jungle de la propagande islamiste en ligne n’est jamais
certain ni de l’attribution à tel auteur, ni de la rédaction par
l’auteur supposé de l’intégralité du texte. Il lui faut imputer
l’authenticité – tout en intégrant une part de doute – en fonction de
l’affichage du texte sur tels ou tels sites islamistes notoires – dont
certains, comme celui d’Abou Mohammad al-Maqdissi, un militant
jordanien qui sera présenté plus en détail dans l’ouvrage –
constituent de véritables « recueils » qui font référence pour la
mouvance. On retrouve ici cet art traditionnel de la théologie
islamique, l’authentification des hadiths (récits et dits du Prophète)
et l’élimination de ce qui paraît douteux. Avec cette différence que
le webmaster barbu du troisième millénaire se substitue ici aux
gens du calame d’antan.
Le contenu même de ces libelles et tracts diffusés sur support
numérique est un autre facteur de télescopage entre le Moyen Age
et notre temps. Ils abondent en effet en références médiévales, qu’il
s’agisse de la geste des compagnons du Prophète ou de l’histoire des
califes arabes – sources inépuisables d’un mythe fondateur à
vocation édifiante qui établit la règle pour jauger les événements
contemporains et déterminer les principes de l’action politique.
Dans cette littérature, l’Histoire n’est que la répétition à l’infini d’un
même récit : l’arrivée du Prophète et la survenue de l’Islam, les
combats pour l’extension de son domaine et la conquête de
l’univers jusqu’à ce qu’il se soumette tout entier à cette religion.
Chaque génération doit se remettre à la tâche de ce prosélytisme
inachevé, reprenant pour ce faire le jihad des origines contre un
ennemi multiforme, que le discours d’Al-Qaida ramène aux
caractéristiques de l’ennemi originel, intemporel, tel qu’il a été
stigmatisé par les auteurs traditionnels en termes d’impie, d’infidèle
(kâfir), d’apostat (murtadd), etc. Dans cette démonstration, la
contribution d’Abdallah Azzam occupe une place cardinale : à
l’occasion du jihad contre l’Armée rouge en Afghanistan, dans les
années 1980, il inscrit ce combat dans le sens prosélyte et
messianique de l’histoire islamique tel qu’il l’interprète, dépassant
ainsi le rôle de pion que les États-Unis voulaient faire jouer aux
moujahidines afghans et arabes dans leur partie d’échecs finale
contre l’URSS. Les auteurs de la décennie suivante – Ben Laden et
Zawahiri notamment – situent leur vision du monde et leur action
dans la logique qu’Azzam a établie. Ils mobilisent à leur tour les
anciens pour qualifier et justifier leur lutte, stigmatiser l’ennemi et
enfin tirer les leçons de l’échec des guérillas des années 1990 pour
fonder la légitimité des « opérations martyre » qui deviendront la
signature d’Al-Qaida, l’inscriront au cœur des bouleversements du
monde. L’objectif de ce travail de démonstration est d’inscrire leur
action au cœur de l’islam, de se réclamer d’une légitimité religieuse
impeccable – bien évidemment contestée par tous les musulmans
qui leur sont opposés. Il s’agit d’un coup de force – comparable,
dans son registre doctrinal, au coup de force que représentent les
attentats du 11 septembre – dont l’objectif est d’accaparer les
références islamiques, de terroriser leurs adversaires à l’intérieur
même du champ religieux musulman contemporain. L’espace du
combat est ici, significativement, celui de la toile Internet,
massivement investi par une mouvance qui est structurée en
fonction de celle-ci, qui s’est moulée sur son modèle – un autre sens
du terme Al-Qaida en arabe étant « la base », au sens de base de
données (qâidat al ma’lûmât).
Pour cet ensemble de raisons, il nous a semblé nécessaire de
présenter aux lecteurs non arabophones ces morceaux choisis du
discours d’Al-Qaida qui forment en quelque sorte une chrestomatie
jihadiste. Mais ils n’auraient pas fait sens s’ils n’avaient pas été
resitués dans le contexte intellectuel et doctrinal où ils
fonctionnent, et à partir duquel ils veulent emporter l’adhésion
pour gagner la guerre au cœur de l’islam – une guerre de
références, de sources, d’autorité, qui détermine la guerre réelle. Ce
projet d’ampleur ne pouvait qu’être une œuvre collective, qui a
mobilisé l’énergie et le savoir partagé d’enseignants et de jeunes
chercheurs autour de la chaire Moyen-Orient Méditerranée de
Sciences-Po. Tous ont mis au service de cette entreprise commune
leur familiarité avec l’objet, leurs compétences linguistiques, leurs
curiosités intellectuelles et leurs intuitions.
Nous avons opté pour une présentation et un commentaire des
textes qui aillent de pair : après une introduction propre à chacun
des quatre auteurs (Ben Laden, Azzam, Zawahiri et Zarqawi), le
texte, traduit en français sur la page de droite de la plume élégante
et rigoureuse de Jean-Pierre Milelli, est accompagné en regard, sur
la page de gauche, de commentaires et de gloses rédigés par
Thomas Hegghammer, Stéphane Lacroix, Omar Saghi ainsi que
Jean-Pierre Milelli. Le commentaire restitue pour le lecteur non
arabophone et peu versé dans la culture islamique le sens des
références à l’histoire et la tradition musulmane, identifie les
auteurs cités, éclaire les usages propres de la langue arabe lorsqu’ils
sont porteurs de connotations spécifiques, inscrit l’œuvre de chacun
à l’intérieur de l’univers mental de la mouvance islamiste
contemporaine, explicite les événements récents, les polémiques,
les excommunications et les alliances qui constituent l’ordinaire de
celle-ci mais dont la complexité rend l’accès malaisé au non-initié.
Thomas Hegghammer, Stéphane Lacroix et Omar Saghi ont mis au
service de cette entreprise commune l’érudition et les
connaissances considérables qu’ils ont déployées dans le cadre de la
préparation de leur thèse de doctorat. Jean-Pierre Milelli a mobilisé
son savoir profond et subtil de la langue et de la culture arabes. Ce
travail à plusieurs facettes s’efforce de rendre accessible la doctrine
et l’idéologie d’Al-Qaida, et espère ainsi contribuer à l’élucidation de
l’un des principaux points aveugles du monde contemporain.
Chapitre I. Oussama ben Laden
Introduction

Oussama ben Laden, une icône


tribunitienne
Omar Saghi
Doctorant à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’Arabie Saoudite et de la littérature arabe
contemporaine. Il est l’auteur de Figures de l’engagement
(Paris, L’Harmattan, 2003).

L orsqu’au matin du 11 septembre 2001, un quadruple attentat


signalait le début du nouveau siècle, et la continuation des
déchirements et des démons du précédent, on a voulu voir dans
l’événement un cheminement linéaire qui mènerait directement du
jeune zélote de Djedda à l’icône médiatique d’aujourd’hui : un
enchaînement mécanique fait de fondamentalisme, de crises
politiques et de caractère criminel aurait fatalement produit les
différentes tueries imputées à Oussama ben Laden. On ne peut
cependant essayer de comprendre l’homme et le mouvement sans
réintroduire les stratégies périphériques des différents acteurs du
dernier quart de siècle, et la part du hasard et des retournements
qui entrent dans la construction de cette figure emblématique.

Une jeunesse saoudienne


Oussama Ben Laden est né en 1957 à Riyad [1] . Son père est un
immigré yéménite au parcours exemplaire. Mohammed ben Awad
ben Laden est originaire du Hadramawt, une région du Yémen
traditionnellement exportatrice de population, travailleurs
pacifiques ou guerriers conquérants selon les circonstances. Connus
pour leur ardeur au travail et leur frugalité, les Hadramis font de
très bons maçons et de fidèles financiers, ce dont le jeune royaume
d’Abdel-Aziz ibn Saoud, re-fondé en 1932, un des avatars de
plusieurs tentatives précédentes, a besoin.
Le père de Ben Laden quitte sa ville natale de Husn Bahishn, un
bourg fortifié de la vallée de Wadi Douan dans les années 1930 pour
aller tenter la fortune à La Mecque. Sa chance aura été de se
rapprocher de la cour du roi Ibn Saoud qui, se fiant à un instinct
très sûr, confiera la construction de nombre des bâtiments dont il
remplit sa possession à cet homme fruste et néanmoins imposant.
C’était « un homme grand, sec, laid, borgne, au visage grêlé. Il
n’apprit jamais ni à lire ni à écrire […] mais il était universellement
respecté pour son énergie indomptable » [2] . Ce portrait du père
d’Oussama ne peut que rappeler la figure du fondateur du
royaume : les deux hommes en effet se ressemblent, jusque dans
leurs parcours respectifs. Ce sont des self-made men qui en
imposeront, le premier aux autres chefs d’État, le second aux
techniciens et hommes d’affaires qui l’entoureront.
Cette similitude est la première qui noue d’une certaine manière le
destin d’Oussama ben Laden à celui du pays des Saoud. Elle éclaire
d’un autre jour le parcours d’Oussama.
Son père grandit avec le royaume ; Mohammed ben Laden accapara
très vite une grande partie du marché des BTP saoudien, un secteur
traditionnellement très florissant dans les pays soudainement
enrichis. Il multiplie les mariages et les enfants. Un proche lui
présente une jeune Syrienne de Lattaquié, Alia Ghanem, qu’il prend
pour compagne. Une origine alaouite de cette femme n’est pas à
exclure. Lattaquié est la capitale du pays alaouite, bien que la
population de la ville soit historiquement sunnite. Et si le nom de la
mère, Ghanem, est très répandu au Levant, son prénom, par contre
– hommage à Ali, et plus usuel chez les musulmans des différentes
obédiences chiites –, fera naître et perpétuer cette rumeur tenace
sur son origine hérétique. Un an après avoir fait sa connaissance,
Alia Ghanem donne au Tycoon yéménite un fils, qu’on appellera
Oussama, un nom assez courant en Syrie. Oussama est le dix-
septième fils du milliardaire, qui en comptera vingt-quatre, et
trente filles. Ironiquement, les premières années d’Oussama se
passent dans le nouveau quartier du Malazz, un secteur moderne
de la capitale où viennent s’installer des immigrés arabes, pas
toujours bien vus des sourcilleux cheikhs saoudiens, dont certains
n’hésitent pas à émettre une fatwa condamnant les habitants de ce
quartier, soupçonnés d’impiété.
Encore enfant, Oussama ben Laden quitte Ryad pour Djedda, la
métropole occidentale du royaume, où sa mère, divorcée, épouse
Mohammed al-Attas, un autre immigré yéménite qui a travaillé
avec Mohammed ben Laden. Al-Attas épouse Alia Ghanem sur
recommandation de son collègue, qui avait l’habitude d’assurer à
ses femmes délaissées un avenir matrimonial et économique, ainsi
qu’à leurs enfants. Une autre rumeur, en partie entretenue semble-
t-il par le jeune Oussama lui-même, veut que sa mère ne fût qu’une
sorte de courtisane, jamais vraiment mariée à Mohammed ben
Laden [3] . Ces deux ombres sur son origine – la possible
appartenance de sa mère à une secte honnie par l’historiographie
sunnite et la relation adultérine de ses parents, donc sa possible
condition d’enfant bâtard – joueront probablement un rôle dans le
nouement de son identité et son désir de revanche et de
reconnaissance.
Oussama, noyé dans une fratrie nombreuse, connaît une enfance
commune aux Hadramis : il accompagne souvent son père, puis son
beau-père, sur les chantiers, et reçoit une éducation stricte. En 1967,
son père, déjà peu présent, meurt dans un accident d’avion, alors
qu’il inspectait un chantier. Son adolescence à Djedda est terne. Il
habite à al-Moucharrifa, un quartier alors tout récent, habité par
des princes et l’élite de la société locale. Il fréquente les enfants de
celle-ci à l’école, sans se faire remarquer aucunement, si ce n’est par
une sorte de timidité naturelle où semble tapie un certain
entêtement tenace : il s’oppose par exemple à ses camarades sur
certaines choses, qu’il considère comme anti-islamiques, et fait
montre déjà d’un intérêt plus que commun pour la religion. Le seul
vice qu’on lui connaît est une passion pour les voitures et la vitesse,
et le football, qu’il pratique comme ses camarades.
En 1973, au lendemain de la guerre d’Octobre, qui oppose une
nouvelle fois Israël à une coalition syro-égyptienne, un embargo
pétrolier est décrété à l’initiative de l’Arabie Saoudite. Les revenus
du royaume s’en trouvent multipliés. Bientôt, ce n’est plus
seulement le gouvernement qui dispose de caisses pleines, mais
l’ensemble de la société qui est inondée de dollars. Oussama a seize
ans. Il est l’un de ces centaines de milliers de jeunes, fruits du baby-
boom saoudien que provoque la médecine moderne au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale. Cette génération, à la différence de
la précédente, n’a pas connu une élévation graduelle du niveau de
vie, faisant suite à des années de vie traditionnelle. Elle est née dans
une relative prospérité, et voilà qu’adolescente, au seuil de l’âge
d’homme, elle est littéralement percutée par une masse énorme
d’argent.
Très vite, les effets se feront sentir, d’abord dans les
représentations, ensuite dans les pratiques de cette classe d’âge. Les
plus fortunés auront plus facilement accès au reste du monde, où ils
découvrent et éprouvent des modes de vie en complète opposition
avec la culture et l’idéologie du royaume. Mais cette ouverture à un
mode de vie occidental irrigue, de proche en proche, l’ensemble de
la société saoudienne. Très vite, Oussama s’inquiète explicitement
des effets nocifs que cela peut avoir sur la foi et la pratique
religieuse de ses camarades d’abord, avant d’étendre son analyse (et
sa crainte) à l’ensemble de la société. En 1974, il se marie à une
cousine ; le couple habite dans la maison de sa mère.
On a construit au lendemain du 11 septembre une image
augustinienne de Ben Laden, censée le déconsidérer aux yeux des
siens et de ses adversaires : un sybarite sur le retour, qui, après
avoir connu les plaisirs capiteux des métropoles occidentales, ira
faire résipiscence dans les grottes afghanes, pour son malheur et
celui du monde. Cette image était elle-même supposée refléter le
parcours de toute une génération saoudienne, et plus largement du
Golfe : elle est fausse. Oussama ben Laden, et la plupart de ses
camarades, n’auront pas à procéder à une conversion aussi
douloureuse. D’abord, parce que leur éducation les a d’emblée
éloignés de la dolce vita occidentale. Les Saoudiens qui la mèneront
en grande pompe et avec beaucoup de bruit aux lendemains des
booms pétroliers sont une relative minorité très haut placée. Le vrai
choc constitutif de l’engagement qui suivra a été la possibilité
imaginaire d’avoir accès à ce mode de vie, sa démocratisation en
quelque sorte, qui fera craindre au jeune Oussama ben Laden, et à
d’autres, la réalisation effective d’une dissolution de la société
traditionnelle que promet ou rend possible l’argent facile de la fin
des années 1970.
Enfant des fondateurs, politiques ou matériels, du royaume, la
génération d’Oussama ben Laden recevra le cadeau empoisonné
d’une éducation puriste et d’une prospérité qui immanquablement
la fera décrocher d’avec son pays. Cette dimension générationnelle,
encore plus que des idiosyncrasies familiales ou psychologiques
particulières à Oussama, explique la facilité avec laquelle Oussama
deviendra une icône pour beaucoup de Saoudiens d’après, les
enfants d’Abd el-Aziz, ceux qui ne connaîtront de l’épopée
fondatrice que la légende et sa lente décomposition dans un
entrelacs de faste et de frustration.

Les années de formation


La geste d’Oussama ben Laden, soigneusement réécrite par ses
propres soins, fait de l’aventure afghane la révélation d’un destin
exceptionnel de sauveur. Sans être complètement fausse, cette
autobiographie arrangée gomme les activités précédentes de Ben
Laden, modestes mais significatives, pour faire de sa première
réussite sa première activité.
En 1976, les Frères musulmans de Syrie déclenchent contre le
président Assad une série d’actions visant à le renverser et qui
culmineront lors des soulèvements urbains du début de la décennie
suivante. Bien que liée à la situation intérieure du pays, cette
opposition va jouir d’un certain soutien de la part d’activistes des
pays voisins. Oussama, qui s’intéresse au pays de sa mère, finance
l’opposition syrienne en 1979. C’est probablement sa première
action d’envergure, quoiqu’elle reste à un niveau modeste.
En parallèle, il suit de vagues études de gestion à l’université du Roi
Abd al-Aziz à Djedda, études qu’il ne termine pas. À la fin de cette
décennie, le théologien palestino-jordanien très engagé dans le
courant politique des Frères musulmans, Abdallah Azzam, arrive en
Arabie Saoudite, à Djedda, où il obtient un poste à l’université. Les
deux hommes joueront de concert un grand rôle en Afghanistan
puis dans la structuration des mouvements jihadistes des années
1990, mais rien ne prouve, bien qu’on ait signifié le contraire, qu’ils
se soient connus en Arabie Saoudite.
Car à l’époque, si Oussama s’intéresse à la situation régionale et
semble soucieux d’aider des mouvements islamistes contre un
régime laïc, il le fait encore en tant que musulman pratiquant, sans
structure particulière ni idéologie organisée. Il est peu probable
qu’il se soit rapproché des théoriciens de haute volée qui ont afflué
dans le royaume depuis le triomphe des régimes nationalistes
arabes, une décennie plutôt. Cette « autodidactisme », refusant
l’élaboration complexe au profit de l’affirmation d’une sorte
d’évidence de l’engagement – vu non comme une lutte politique
mais comme une simple pratique de la religion vraie –, deviendra
plus tard l’une des spécificités de son mouvement. À l’époque, cette
vision simpliste du militantisme le tient éloigné des embryons de
mouvements qui commencent à apparaître dans le royaume même.
Une autre raison expliquant ce somnambulisme, cette manière
désinvolte d’intervenir au plus haut niveau dans la politique sans se
soucier d’appuyer sa position par un appareil et une idéologie, tient
également à son extraction sociale. Élevé à la dure, Oussama ben
Laden n’en est pas moins un enfant de millionnaire. Il sait parler
aux riches, attire les indigents et use de sa puissance financière, à
défaut d’un discours percutant, pour convaincre les réticents, se
plaçant ainsi au carrefour de plusieurs catégories sociales.
Quand, à la fin de l’année 1979, les Soviétiques interviennent en
Afghanistan, il trouve là une occasion de réitérer son engagement
syrien d’une manière plus franche : en effet, l’Arabie Saoudite
soutient la résistance dès le début de l’invasion, et l’ensemble des
notabilités du pays se doivent de participer à l’effort de guerre.
Oussama deviendra donc le représentant de la famille Ben Laden
au jihad afghan. Pour le régime, il s’agit aussi de purger le pays
d’une partie de sa mauvaise énergie fondamentaliste qui venait la
même année, au mois de novembre, de procéder à une
spectaculaire prise d’otages au sein du sanctuaire de La Mecque.
Les protagonistes de cette action (terminée tragiquement) avaient le
même âge qu’Oussama, et c’était là une autre expression des effets
nocifs que le boom pétrolier et la modernisation corrosive étaient
en train de produire sur cette génération.
Bien qu’il ait prétendu être parti en Afghanistan dès 1979, il est plus
probable qu’il y soit arrivé pour la première fois au début de 1980,
pour commencer à prendre les contacts et à chercher des
partenaires locaux pour les financer. Tout au long de la décennie, il
fait plusieurs aller-retour entre la péninsule Arabique, le Pakistan
et l’Afghanistan, collectant des fonds qu’il distribue à ceux qui
deviennent ainsi ses obligés ou ses mentors. Il participe à très peu
de combats, probablement à un seul engagement armé, la bataille
de Jaji en 1986, où, selon ses dires, il faillit être tué. Car son rôle est
ailleurs : il a ses entrées en haut lieu dans les cénacles princiers
saoudiens, il recueille de l’argent, commence à se faire connaître
parmi la jeunesse saoudienne en intervenant dans des lieux publics
ou des médias pour encourager les dons privés aux moudjahidines.
De 1983 à la fin de la décennie, il devient un personnage public,
adulé et respecté. À l’époque, cette équation plaît à tout le monde :
les Saoudiens préfèrent donner leur argent à l’un des leurs plutôt
qu’aux services pakistanais, sa célébrité redore le blason d’un pays
éprouvé par la révolution iranienne et la prise d’otages de La
Mecque, et qui, avec ce jeune enthousiaste à l’air stupide et
inoffensif, récupère une partie de son crédit religieux sur la scène
intérieure. Déjà, le mythe Ben Laden s’installe à travers les médias,
saoudiens à l’époque, et pour un théâtre encore exclusivement
national.
Mais, loin des estrades où se donnent les conférences
d’encouragement à la résistance, loin des caméras de télévision
montrant de jeunes Saoudiens autour du fils Ben Laden et
représentant le pays des Saoud dans ce jihad international, une
autre histoire est en train de se nouer. Cette décennie d’école
buissonnière sera pour Ben Laden, et plus largement pour le
royaume, l’occasion d’une rencontre violente et bouleversante
entre un pays dont les ressources en pétrole semblent le mettre à
l’abri des lois de l’histoire et cette dernière, incarnée dans ce qu’elle
a de sordide et d’exaltant par les volontaires Arabes. Ceux-là ont
d’autres récits à raconter à Oussama. Ils sont marqués par l’exil, les
coups d’État et la torture, et cette ambiguïté suprême, qu’Oussama à
l’époque ne connaît pas, d’être au front sans vraiment avoir
d’arrière : Azzam est un Palestinien ayant fui la Jordanie, beaucoup
d’Égyptiens sortent des geôles où les ont placés Sadate ou
Moubarak, les Algériens sont parfois des anciens du maquis
Bouyali, plus souvent des jeunes venus directement de l’indigence
des quartiers périphériques d’Alger aux hauts plateaux afghans.
Dans ce chaudron, Ben Laden se révélera à lui-même. Sa
collaboration avec Abdallah Azzam, qui accueille à Peshawar les
volontaires depuis 1981, débouche sur la création du Maktab al
Khadamat (littéralement, Bureau des services) au milieu de la
décennie. Au début des années 1980, les deux hommes
collaboreront étroitement, avec un partage limpide des rôles :
Oussama est le financier du mouvement, peut-être aussi son agent
de communication, Azzam est l’idéologue et l’homme d’appareil.
Mais les événements du milieu de la décennie vont bouleverser la
donne et précipiter les processus de divergence et la constitution de
ce qui deviendra Al-Qaida.
La stratégie américaine concernant l’Afghanistan, telle que définie
par Zbigniew Brzezinski et d’autres conseillers dès la présidence
Carter, est d’épuiser l’URSS en l’enfonçant dans le bourbier afghan,
mais sans lui porter le coup décisif qui la pousserait à partir ; le but
étant de faire durer la guerre. Dans cette optique, pour les
Américains, il s’agit moins de libérer l’Afghanistan que de faire de
son occupation une affaire coûteuse pour les Soviétiques. Or, en
1986, il semble de plus en plus évident que les Soviétiques ont
l’intention de se retirer dès que possible. Les Américains décident
alors de leur faire subir le maximum de pertes avant le retrait
définitif. C’est un vrai tournant. Logistiquement, les premiers
missiles Stringer commencent à affluer ; le mot d’ordre est de
détruire la couverture aérienne de l’ennemi, et l’on s’inquiète peu
de laisser ces armes à l’époque très perfectionnées entre de
nombreuses mains ; on devient également plus laxiste sur les
financements, les intrications entre trafiquants de drogues et
moudjahidines augmentent. Cette fébrilité qui précède
l’effondrement désormais prévisible et presque palpable de
l’empire soviétique agit également au niveau des volontaires
Arabes. Ceux-ci commencent à expulser les humanitaires
occidentaux, les premières altercations entre Afghans et Arabes sur
des questions de culte (rituels d’enterrements, etc.) sont signalées…
Le désengagement attendu des Soviétiques, joint à l’augmentation
quantitative et qualitative des aides fournies, aiguisent les
convoitises et les volontés de puissance. Surtout, ces processus
convergents propulsent les potentialités de chacun : autour de 1987,
Oussama prend ses distances avec la structure d’Azzam et fait
connaissance avec des Égyptiens proches d’Al-Zawahiri. En 1989, il
crée sa Qâidat al-ma‘lûmât (« La base de données ») [4] . Il s’agit
d’une structure légère, qui probablement centralise les données sur
les volontaires Arabes en vue de les rassembler sous un
commandement plus unifié.
Cette opposition entre Azzam et Ben Laden n’est pas qu’une
question d’ambition : Azzam est un Frère musulman, héritier d’une
vision éminemment politique de l’action collective. Appareil
structuré, visant l’accès au pouvoir par divers moyens allant de la
négociation et du partage à la prise violente des institutions, le
mouvement, dans ses différents avatars nationaux, a parié sur des
élites. Azzam garde de cet éthos particulier une méfiance instinctive
envers les interventions intempestives et les discours ou les
tournures exaltant l’action inconsidérée ; il veille également avec
un grand soin à ce que les gens qui lui sont proches aient des
parcours cohérents. Oussama ben Laden, lors de la première moitié
de la décennie 1980, où leur collaboration est la plus étroite et la
mieux huilée, sera probablement dérangé par cette « gestion des
ressources humaines » venue d’une tradition qui lui est étrangère.
Avec l’éloignement progressif de son ancien mentor, il peut donner
libre cours à son propre instinct, recrutant auprès de lui des gens au
parcours plus chaotique. C’est la première caractéristique
significative de ce qui deviendra Al-Qaida d’accueillir en son sein
des gens venant d’horizons très différents, avec des passés obscurs
ou franchement peu recommandables. Structure de secte plus que
de parti, Al-Qaida rassemble beaucoup de born-again repentis, de
militants en rupture de ban avec leur ancien mouvement, mais
aussi des proches d’Azzam qui bientôt parient sur ce
rassemblement à l’idéologie lâche, voire molle, mais à l’emprise
plus percutante. En effet, Oussama ben Laden, s’il sait parler aux
riches, sait également s’adresser aux volontaires à l’éducation
religieuse plus fruste, ou inexistante, qui répugnent à suivre Azzam
dans ses démonstrations mais sont par contre éblouis par les
pédanteries lumineuses d’autodidacte d’un Oussama. Les premiers
éléments à le rejoindre sont, semble-t-il, des Égyptiens, mais qui ne
sont jamais passés par les rangs des Frères musulmans…
À la fin de la décennie, les Soviétiques se retirent et les dissensions
entre Afghans éclatent ; Azzam meurt au Pakistan dans un attentat
à la voiture piégée, à l’origine jamais élucidée, alors que de
nombreux volontaires commencent à revenir dans leur pays. C’est
dans ce climat délétère qu’Oussama ben Laden décide de quitter
l’Afghanistan et de revenir en Arabie Saoudite.

Le retour du vétéran
L’histoire des années 1990, dans beaucoup de pays arabes et
particulièrement en Arabie Saoudite, peut être vue comme les ratés
de vétérans qui ne se réhabitueront jamais à la vie civile. Ben Laden
était parti en Afghanistan « accomplir » son devoir de musulman. Il
en revient militant convaincu, insatisfait d’une vie de « planqué » à
l’arrière. Dès 1989, il est à la recherche d’une cause qui remobilisera
le formidable réseau constitué en Afghanistan.
Deux causes potentielles l’intéressent. L’Irak d’abord, qui sort
exsangue mais vainqueur de sa guerre contre l’Iran. Réclamant
pêle-mêle l’effacement de ses dettes, des rectifications frontalières
avec ses voisins, une place de grande puissance dans la région, il
redevient un danger pour ses voisins. Ce pays meurtri, autre
« vétéran » [5]  qui se sent trahi par « le coup de poignard » de voisins
qu’il estime avoir protégé, provoque bizarrement l’ire de Ben
Laden, qui clame à qui veut l’entendre qu’il faut en finir avec le
régime athée de Bagdad. Ce qui n’était que bravade devient sérieux
au lendemain de l’invasion du Koweït, mais les choses ne vont pas
dans le sens voulu par Ben Laden. Le ministre de la Défense, le
prince Sultan, refuse de lui confier la mission de libérer le Koweït,
bien que Ben Laden prétend aligner cent mille hommes sous sa
disposition, chiffre très exagéré. L’Arabie Saoudite préfère en
appeler aux forces occidentales sous direction américaine. Cette
décision, lourde à prendre pour les autorités du pays, va enclencher
un processus de radicalisation de beaucoup d’embryons de
mouvements d’opposition.
Cette période n’est pas un moment clef pour la compréhension du
parcours de Ben Laden, mais elle détermine probablement son
choix de l’Arabie Saoudite comme ennemi principal : en
considérant son pays comme occupé par des forces étrangères et
non musulmanes, Oussama ben Laden se facilite ce mouvement
mental qu’on retrouvera chez tous les anciens d’Afghanistan, et
plus largement dans le discours d’Al-Qaida, qui veut « afghaniser »
en quelque sorte les pays d’origine, en faire des pays en guerre
contre un occupant impie, une analogie entre le front et la vie civile
qui entretient des ressemblances avec les mouvements politiques
européens nés de démobilisations massives et frustrantes.
Oussama ben Laden se préoccupe ensuite du Yémen, pays à qui il
doit son patronyme, et qui est toujours divisé entre communistes du
sud et pro-occidentaux du nord. Il pense le « libérer », là aussi, avec
ses compagnons d’armes. Mais la famille régnante considère le
Yémen comme une affaire personnelle. Ben Laden, de trublion
inoffensif, devient vraiment préoccupant quand il lance des
manifestes condamnant les autorités saoudiennes. En 1994, après
avoir gelé ses avoirs financiers, le régime le déchoit de sa
nationalité saoudienne, une mesure exceptionnelle qui indique bien
que le personnage commence à être pris au sérieux.
Ben Laden s’exile au Soudan, où l’accueille Hassan Tourabi,
l’idéologue islamiste soudanais, alors homme fort du régime de
Khartoum, qui méprise Ben Laden mais lorgne sur son argent. Ben
Laden ouvre des camps où il accueille des anciens d’Afghanistan et
finance quelques chantiers. Bien qu’impliqué indirectement dans
les événements de Mogadiscio en 1993, les Américains ne l’obligent
à quitter la région qu’en 1996, suite à la tentative ratée d’assassinat
du président égyptien Moubarak à Addis-Abeba. Ben Laden y est
probablement impliqué par le biais de son entourage égyptien, qui
voit dans le président l’homme à abattre pour faire choir le régime
du Caire et triompher les Gama’at islamistes, elles-mêmes
composées de nombreux anciens d’Afghanistan.
Ben Laden repart en Afghanistan. C’est le dernier voyage qu’il fait à
découvert.
La rupture avec ses anciennes relations haut placées, et l’absence
en Afghanistan d’un pouvoir fort et contraignant – comme c’était
relativement le cas au Soudan – vont permettre au « système » Ben
Laden de fonctionner à plein régime. En tentant le 23 février 1998
de créer un éphémère et labile Front islamique mondial pour le
jihad contre les Juifs et les Croisés, Ben Laden cherche d’abord à
incarner ce nouvel état de fait, essayant de coaliser des membres
dispersés et éparpillés selon les tactiques locales. Le mouvement de
Ben Laden prétend alors coiffer ces énergies : six mois plus tard, le
7 août 1998, les ambassades des États-Unis à Nairobi (Kenya) et Dar
es-Salaam (Tanzanie) sont visées par un attentat meurtrier qui fait
plus de 200 morts. La représentation par l’acte, que vise Al-Qaida,
commence.
Les attentats de 1998 contre les ambassades américaines en
Tanzanie et au Kenya révèlent au monde ce système, qui se fonde
sur une double spécificité : la primauté de l’action spectaculaire au
détriment de ce qui construit traditionnellement un mouvement
(mobilisation, organisation…), et un recrutement large et
décentralisé, couplé avec des caractéristiques typiquement
messianiques. Le choix de la cible lui-même est consubstantiel à ce
système en gestation. Les deux pays visés rapprochent son action de
la Péninsule, alors que la date retenue (7 août) commémore le
huitième anniversaire de l’installation des troupes américaines en
Arabie Saoudite (7 août 1990). Désormais, le mouvement que dirige
Ben Laden choisira ses cibles, et parfois également ses dates,
comme on déplace un curseur sur une échelle signifiante. Après son
départ définitif de l’Arabie, il jure en effet la mort du régime des
Saoud qu’il rend responsable des drames du monde musulman,
faisant remonter leurs fautes au début du siècle. Révoltés, selon lui,
contre le calife d’Istanbul avec l’aide des Britanniques, ils sont
responsables de la chute du califat et de la soumission du monde
musulman à l’Occident. Il établira désormais une série d’analogies
avec cette époque. Le rétablissement d’un vicariat de Dieu unifié
pour tous les musulmans passe par l’abandon des luttes spécifiques
et la concentration de l’action contre les deux tenants du système de
domination honnie : l’Amérique et l’Arabie Saoudite.
Ces attentats introduisent également une autre caractéristique du
modus operandi d’Al-Qaida, dont il nous est difficile de connaître
l’auteur, tant d’ailleurs cette spécificité semble épouser l’air du
temps : Al-Qaida, ou tout autre groupe apparenté, opérera
dorénavant en multipliant les attaques simultanées ; de New York à
Londres, en passant par Casablanca, Istanbul et Madrid,
l’organisation fait entrer le terrorisme dans l’ère de sa
reproductibilité technique. Il s’agit d’écarter l’hypothèse de
l’accident, bien sûr, mais celle de l’événement singulier également.
Un attentat peut être imputable au hasard propice ; deux ou trois,
voire quatre attentas simultanés, comme pour l’attentat de Madrid,
engagent un processus industriel contrôlé de bout en bout,
prévisible et reproductible. À l’amplification de l’attaque par les
médias, Al-Qaida joint la possibilité de sa continuation à l’infini. La
première occurrence d’une attaque, du reste, signifie aux médias les
attaques prochaines. Les années 1990 ont vu se multiplier des cycles
d’attentats (comme en France à l’été 1995, ou en Espagne, menés
par l’ETA) ; avec Al-Qaida, il s’agit d’une concentration atemporelle
de plusieurs attaques, symbole hautement proclamé de son ubiquité
et de sa surpuissance.
Lors de l’une de ses interventions de circonstance, à la fin du mois
d’octobre 2004, quelques jours avant l’élection présidentielle
américaine, Ben Laden fait remonter sa prise de conscience envers
l’hégémonie impérialiste américaine aux événements de la guerre
du Liban, en 1982, qui auraient fait germer l’idée du 11 septembre :
une attaque, c’est la conjonction d’une volonté et de l’histoire. Cette
reconstruction est bien sûr apocryphe ; elle sert surtout à révéler,
en contrepoint, que la lutte contre l’Amérique comme constituant
une priorité est en définitive relativement récente et surtout
presque concomitante au début de son application.
Sans programme, sans idéologie structurée, il est difficile pour le
mouvement de Ben Laden de se permettre une temporisation entre
l’élaboration d’une stratégie et son application. Enfant de la
télévision, il est le premier à expérimenter une stratégie télévisuelle
de la subversion, toute en temps réel et en direct. La force d’Al-
Qaida sera d’être cette structure molle à l’idéologie omnivore,
entièrement versée dans l’événement médiatique.

Terrorisme, martyre et vidéo


Terrorisme, martyre et vidéo
Al-Qaida n’a d’existence que cathodique. L’ampleur de sa
mobilisation, l’impact de ses mots d’ordre sont fonction de cet
espace médiatique, plus particulièrement télévisuel, qu’elle
occupera à la fin des années 1990. L’émergence de Ben Laden
comme icône tribunitienne est concomitante à un ensemble de
facteurs qui rendront possible ce fonctionnement emblématique.
Au commencement des années 1990, dans une grande partie du
monde arabe, on assiste à un début de fossilisation des régimes,
fossilisation qui atteint son achèvement caricatural à l’aube du XXIe
siècle. Alors même que de larges parties du reste du monde sont
obligées de se libéraliser politiquement, les régimes de la région
doivent inventer de nouveaux moyens pour justifier un
autoritarisme de plus en plus anachronique. Ce déphasage par
rapport à des dynamiques mondiales contraires tient à l’absence
d’une résolution franche du problème palestinien et à
l’impossibilité de faire l’économie du passage par une phase
islamiste de gouvernement. Pour briser les oppositions islamistes,
revendiquées ou désignées comme telles, les différents régimes
multiplient coups de force et séductions. Il s’agit de briser l’irénisme
de façade de l’opposition islamiste et de la rendre à sa sociologie, en
quelque sorte : attirer auprès du pouvoir des couches moyennes
timorées et mettre en exergue les mouvements d’opposition les plus
radicaux, appuyés sur les jeunes générations sacrifiées par
l’austérité des années 1980, pour mieux les dénigrer aux yeux du
monde. Le cas d’école reste l’Algérie, où le pouvoir en place donne à
Belhaj une surface médiatique plus importante que sa position
réelle par rapport à Madani. Le pouvoir des généraux sait que la
concurrence interne aux différents courants d’opposition islamiste
conduira à une surenchère meurtrière et déligitimatrice de ces
mouvements [6] . Dans d’autres systèmes, on essaie de monopoliser
l’espace politique légal au profit du régime en place et de ses
affidés, et de pousser les mouvements présentant une véritable
alternative vers une périphérie sanglante. Cette chronologie, qui
veut que ce soit d’abord les régimes qui excluent avant que les
mouvements d’opposition ne se radicalisent, est exprimée par la
production idéologique des courants d’opposition : on observe une
montée en radicalisation parallèle à la réduction de l’espace
politique libre.
Or, parallèlement à ce premier processus, un second se met en
place au cours des années 1990. Il s’agit de l’unification de l’espace
médiatique arabe. Plusieurs facteurs y concourent. D’abord,
l’événement guerre du Golfe de 1991. On observe une importante
demande d’information de la part de larges couches des classes
moyennes arabes, jointe à un début de pénétration des chaînes
d’information occidentales via la parabole. D’autre part, de
nombreux titres phares de la presse arabe, d’abord publiés à
Beyrouth, ont émigré au cours des années 1980 à Londres. Cet
éloignement géographique, doublé d’une proximité envers le
public, en fait un instrument dangereux pour les régimes en place.
Bref, ces années-là, les médias interrogent les régimes,
principalement ceux de la péninsule Arabique touchés de plein
fouet par la guerre du Golfe.
L’Arabie Saoudite répond à ces défis en cherchant d’abord à
contrôler la presse écrite. Riyad, à travers l’entremise de plusieurs
princes, commence une série d’opérations d’achat qui conduisent
dans la seconde moitié des années 1990 à un contrôle quasi total sur
la majorité des titres arabes indépendants (sauf, de fait, Al-Quds al-
Arabi). Sa tentative de contrôle sur les médias audiovisuels est
moins bien réussie, principalement à cause d’une certaine
pusillanimité face à l’image et d’un manque d’audace. MBC, chaîne
saoudienne, connaît un succès d’estime au début de la décennie,
avant que n’apparaisse Al-Jazira. Cette chaîne, créée par l’émirat du
Qatar, commence à émettre en 1996. Dès le début, elle se distingue
par un style offensif et libéré, profitant d’une main-d’œuvre
journalistique arabe bien qualifiée et sous-payée, d’abord en
provenance du Levant puis bientôt de l’ensemble du monde arabe.
Al-Jazira va imposer un nouveau style de couverture de
l’information, qui rompt radicalement avec les anciens patrons
médiatico-politiques arabes. La situation de son bailleur de fond, le
Qatar, permet toutes les audaces. Ce dernier, comme l’Arabie, veut
avoir un ou des moyens médiatiques à sa disposition pour se
protéger de l’intrusion médiatique et politique. Il dispose cependant
de plusieurs avantages sur cette dernière, principalement l’absence
d’une population nombreuse et d’une idéologie prégnante et
contraignante. Bref, l’Arabie veut contrôler les médias pour se
protéger d’un possible danger intérieur, le Qatar, lui, veut contrôler
les médias, ou du moins un média phare, pour se rendre
imperceptible, se faire oublier de l’extérieur. Il en résulte qu’Al-
Jazira devient le premier vecteur médiatique arabe à introduire des
méthodes hypermodernes : couverture en temps réel, images crues,
jeunes et jolies journalistes, talk-shows avec des opposants
controversés, etc. Al-Jazira propose un type de fonctionnement
médiatique qu’on peut qualifier de libéral-populiste et que ne
pourront qu’imiter les autres chaînes, au risque de disparaître.
Avec la dernière guerre du Golfe, l’Arabie saoudite tentera de
reprendre le contrôle des médias audiovisuels (Al-Arabia, Al-
Ikhbariya) en utilisant les méthodes d’Al-Jazira.
Ce nouveau mode de fonctionnement est conduit par les chaînes
privées, dont l’objectif principal, voire unique, est la recherche de
l’audimat. Aussi ces chaînes sont-elles devenues de plus en plus
populistes. Des chaînes comme Al-Jazira servent de véritable
inconscient du monde arabe, sans aucune distanciation ni recul.
Privées, fortement dépendantes de mécènes privés ou
institutionnels, souvent implantées dans des « extra-territorialités »
(Qatar, le Liban, Londres…) par rapport au reste du monde arabe,
donc détachées de l’impératif wébérien du contrôle d’un territoire
et d’une population, ces chaînes peuvent donner libre cours à une
frustration arabe chargée. Nouvel avatar d’un populisme arabe
impuissant, d’abord matérialisé par le discours nationaliste post-
1967, puis par l’islamisme radical, les médias arabes transnationaux
sont un mélange détonant d’ultra-capitalisme (fluide, orbital,
brillant, sans aucune perspective politique) et de discours radicaux
« piochés » par les journalistes dans le chaos social de la « réalité »
arabe.
Cette grammaire médiatique et politique, désormais incontrôlable
par les acteurs étatiques, est parfaitement intégrée par les
différents protagonistes de la scène régionale, dont Al-Qaida.
L’ascension de cette dernière est contemporaine de ces processus
multiples. Une alliance objective s’installera entre un mouvement
sans aucune autre matérialité que celle fournie par l’image, et des
médias périphériques et orbitaux visant d’abord l’audimat, et
cherchant donc en priorité de quoi l’alimenter. Ben Laden mieux
que d’autres va assimiler ces nouvelles règles : la vitesse de
péremption rapide des icônes médiatiques lui impose un échéancier
précis d’apparitions idoines, au risque de se faire concurrencer par
de nouvelles figures [7] . Icône transitoire et intempestive, Ben Laden
invente une politique du clip et de la publicité : courte intervention
facile à insérer en prime-time, mise en scène soignée dépourvue
d’affectation, discours franc sans afféterie ni sophistication.
Cependant, sa dangerosité pour les régimes arabes en place n’est
pas grande. Ces derniers peuvent même s’en accommoder : prenant
sur elle le devoir de résistance que réclame l’opinion publique, Al-
Qaida arrange l’architecture politique du Moyen-Orient en y
aménageant comme une marge de décompression.
En effet, le mouvement de Ben Laden ne se place pas dans la
continuité des mouvements qu’on désignait ou qui se désignaient
eux-mêmes par le qualificatif, descriptif, de terroriste. Les
différentes occurrences de ce terme dans l’histoire récente lui
accordent une signification pleine et effective ; que ce soient les
révolutionnaires français au pouvoir qui se désignent comme tels à
l’encontre des ennemis du peuple, ou les groupuscules russes face
au pouvoir tsariste, il s’agit de faire en sorte que la réalité de cette
terreur soit superposable à l’image qu’elle projette. Nulle
métaphorisation de la terreur dans les visions classiques de celle-ci :
les cibles sont équivalentes et jugées en fonction de leur valeur
intrinsèque. Cette dernière peut parfois être une valeur d’échange :
les groupuscules des années 1970, aussi bien en Occident qu’au
Proche-Orient, font du terrorisme un moyen de prendre langue
avec l’adversaire ; l’acte terroriste est un dialogue établi, une
monnaie d’échange ou un moyen de chantage. Quand cette version
de l’attentat est dépassée, c’est pour qu’elle enclenche une causalité
mécanique (cycle attentat-repression-soulèvement, théorisé par le
Brésilien Carlos Marighella). Le mouvement de Ben Laden, s’il use
de certains de ces motifs, n’en fait pourtant pas sa principale
motivation. Son socle n’est pas une stratégie particulière qu’on
s’échinerait à suivre dans ses méandres mais un rapport spécifique
aux médias, qui lui impose en partie son fonctionnement et ses
cibles, ainsi que sa portée.
Une grammaire d’Al-Qaida
Le régime particulier qu’institue le rapport terrorisme/médias
implique l’établissement d’une stylistique précise de l’attentat, qui
n’est plus efficient à la manière de l’acte classique, ayant une
finalité positiviste ; les cibles sont rarement économiques, et sans
importance intrinsèque. Elles font surtout valoir une image. On use
de la métonymie : une synagogue pour désigner in fine Israël ; de la
synecdoque : les revendications se font au nom de l’islam ; du
symbole : un Américain tué représente les États-Unis. Ce
fonctionnement convient aux médias, qui le formatent en temps
réel en message amplifié à l’échelle mondiale.
À destination de l’audience arabe, le fonctionnement est le même,
mais la rhétorique s’appuie de préférence sur le récit lui-même, et
sa syntaxe emprunte ses motifs aux causes les plus chères au
public : la cause palestinienne par exemple. Paradoxalement, la
manière dont se structure cette dernière doit en grande partie aux
médias. Le fonctionnement d’Al-Qaida va donc y puiser pour mieux
s’intégrer dans le circuit médiatique : Ben Laden usera
abondamment de références télévisuelles plus qu’idéologiques,
percutantes auprès d’une audience arabe jeune et formée par la
télévision plus que par un système scolaire en déshérence.
Autre exemple : lors de sa première intervention après le
11 septembre (7 octobre 2001), quand il apparaît en habit afghan,
assis en tailleur à l’entrée d’une grotte, et débute son discours par
un serment avec force citations coraniques, c’est pour se constituer
lui-même comme l’autre terme d’un oxymore dont une partie est en
train de flamber à New York. Ascète dépouillé et réfugié dans les
montagnes misérables de l’Afghanistan, son défi à l’Amérique se
voit alors démultiplié par le gouffre qu’il se plaît à mettre en scène
entre lui et le faste prédateur des États-Unis.
Cette hétérogénéité des références est explicite. Ben Laden par
exemple est un opposant acharné des thèses du nationalisme arabe
socialisant. Ses textes sont émaillés de condamnations sans appel
des vocations nationalistes qui brisent la compacité et
l’homogénéité de l’oumma. Ces condamnations sont d’ailleurs
renforcées en ce qu’elles combinent l’argument religieux (les
distinctions ethniques et linguistiques sont des résurgences de la
[jâhiliyya] (la période antéislamique) et l’argument politico-
stratégique (le nationalisme arabe est l’une des causes principales
de la chute du dernier califat musulman).
Cependant, son discours est rythmé par des lapsus qui font de
l’arabité linguistique et géographique l’essence de l’islam, ou en tout
cas, l’une de ses composantes nécessaires et centrales. Par deux fois,
la [jâhiliyya] est convoquée à titre d’illustration des qualités
nécessaires au militant contemporain. Dans ses Recommandations
tactiques, l’auteur évoque avec une nostalgie romantique la
[jâhiliyya] guerrière, puis invoque la force et la fidélité, vertus de
l’homme arabe d’avant l’islam. Ces deux références ne choquent
d’ailleurs pas, placées ainsi dans son discours, mais elles le
déplacent et l’arriment à une autre tradition : les invocations
positives de la [jâhiliyya] sont courantes dans la littérature
classique, et elles le redeviendront dans la littérature politique et les
essais à partir de la [nahda], la « renaissance » arabe du XIXe siècle.
Ben Laden, en plaçant ces deux citations de la période honnie par la
mouvance islamique, branche son propos sur le discours
nationaliste arabe.
L’arabité par ailleurs semble la seule caractéristique
« particulariste » qui précise l’appartenance à l’islam. Parlant de la
guerre d’Afghanistan, il cite les « lions arabes de l’islam » qui, en
compagnie de leurs « frères », ont combattu vaillamment. Ailleurs,
s’il parle des « fils des Kurdes » et de leur lutte, par exemple, c’est
plus par souci de précision. Nul épithète d’appartenance nationale
ou linguistique ne vient en fait concurrencer l’appartenance à la
communauté musulmane irénique, sauf donc l’arabité, qui semble
dans son discours redoubler et renforcer l’appartenance à l’oumma.
Cet arabo-centrisme élargit parfois les vertus « magiques » de la
péninsule Arabique. Ainsi les accords Sykes-Picot de la Première
Guerre mondiale, répartissant entre le Royaume-Uni et la France les
possessions arabes de l’Empire ottoman au Levant, sont-ils une
tentative réussie de diviser l’ensemble du monde musulman, et il se
trouve aujourd’hui reconduit par un accord Blair-Bush qui, dans sa
volonté de partager le Proche-Orient, scinde donc l’ensemble de
l’oumma. On voit ici fonctionner à plein cette machine molle,
s’imbibant sans discrimination de tout foyer idéologique capable de
mobiliser les masses. L’absence de profondeur idéologique, avec les
contraintes et les choix méthodologiques qu’une idéologie « dure »
suppose, va de pair avec cette large amplitude qui permet au filet de
Ben Laden de ratisser large.
Le lapsus est donc intégré dans le fonctionnement discursif de Ben
Laden d’une manière systématique : l’hétérogénéité des références
sourd de textes se réclamant d’une ligne dogmatique stricte. Plus
encore que chez Al-Zawahiri, on voit là le fonctionnement d’un
autodidactisme délesté de toute mauvaise conscience et tout entier
soumis à l’impératif de l’efficacité et de l’impact médiatique du
discours.
Dans À quoi sert le parti communiste français ?, Georges Lavau
propose une métaphore historique lui permettant d’expliquer le
fonctionnement hétérodoxe au regard des objectifs attendus des
partis politiques, en particulier du PCF. Lavau propose d’appeler la
fonction du parti communiste au sein du système politique français
(des années 1970) « fonction tribunitienne » : représentant d’une
[8]
certaine frange de la société, légal mais hors du gouvernement   ,
satisfait de cette position d’expression jamais sanctionnée par la
réalité du pouvoir effectif, le PCF ne veut pas la « relève du
pouvoir », qui l’obligerait à « proposer une politique », mais préfère
asseoir sa position de porte-voix légitime. Cette fonction a deux
autres caractéristiques : si, lors de sa révolte, la plèbe romaine
menaçait d’aller fonder hors de Rome une cité concurrente, et si
l’un des rôles fondamentaux du tribun du peuple était de conserver
la plèbe au sein de la cité, le PCF à son tour avait dans l’URSS ou dans
l’Internationale autant de cités concurrentes dont il agitait le
spectre tout en conservant la « plèbe » fidèle à la cité
républicaine [9] . D’autre part, cette fonction tribunitienne fait de la
lutte « une conduite d’évitement et d’attente » [10] , un moyen de
mobilisation dont l’effectivité est plus symbolique que réelle, voire
évite surtout de provoquer un changement concret d’une situation
où cette lutte est légitimée, tant qu’elle reste inscrite dans le giron
d’une niche protestataire.
Les attitudes jihadistes dans le monde arabe contemporain, qu’elles
soient organisées au sein de groupuscules, qu’elles soient le fait de
parcours singuliers, qu’elles soient enfin (cas le plus fréquent)
limitées au niveau du discours, procèdent à la manière d’une
nouvelle fonction tribunitienne.
La manière dont celle-ci s’exprime à travers les groupes (et plus
encore les discours) jihadistes passe par la formation de plusieurs
cercles concentriques, où se trouvent graduellement satisfaites les
trois conditions de la fonction tribunitienne : l’expression d’une
protestation (pouvant être maximaliste) ; ensuite, l’agitation d’une
sécession, d’une fidélité alternative, d’une cité concurrente ; enfin
« la lutte comme conduite d’évitement et d’attente ». Le mouvement
de Ben Laden tentera avec succès de faire converger sous sa
bannière les énergies que réclament ces demandes insatisfaites par
des régimes impotents. Icône tribunitienne, Ben Laden irradie de
ses apparitions cathodiques l’ensemble de cet espace politique
arabe vidé par les blocages de trois décennies.
L’ensemble de l’espace public arabe – médias, groupes politiques et
culturels – est profondément déstructuré par les effets d’annonces
du mouvement de Ben Laden, du moins lorsque ses agissements
sont liés à la Palestine ou à l’Irak. Nous sommes ici dans le cercle le
plus large, où le monde arabe en entier fonctionne comme une
plèbe soutenant, face au sénat occidental, son tribun collectif, les
martyrs, et sa cause-prétexte indémontable, la Palestine. Il s’agit
pour les régimes de pallier « le pouvoir actif de faire » [11] , coûteux,
par la glorification du martyr, tant qu’il reste hors du territoire.
Néanmoins, Ben Laden leur dispute de plus en plus ce « bien
politique collectif » qu’étaient les causes iréniques et consensuelles,
en leur déniant directement le droit à en user sans un coût d’entrée
représenté par une opposition directe à l’hégémon américain.
Cependant, de larges couches de la société, établissant une
continuité entre l’action des martyrs palestiniens et les problèmes
internes – le martyr devenant témoignage d’une cité alternative
opposée à l’iniquité actuelle –, procèdent à un début de
rapatriement du martyr vers le local, et l’intégration des mobiles de
son acte dans une perspective nationale, donc en partie
l’intégration de la violence dans la stratégie de ceux qui s’en
réclament contre les pouvoirs en place. Cela peut signifier aussi
bien une menace de passage à l’acte qu’un activisme par
procuration, et cela explique les différentes métastases d’Al-Qaida
dans divers pays arabo-musulmans.

Une élite thaumaturge


Comment Ben Laden justifie-t-il cette prétention à la représentation
exclusive du monde musulman ? D’abord, en multipliant les
distinctions. Car loin d’imposer un monolithisme dogmatique qui
devrait s’imposer à tout musulman, il n’hésite pas à lancer des
injonctions parallèles. Ainsi, à côté des cinq piliers de l’Islam, qui
constituent l’axe indiscuté pour toutes les écoles juridiques, l’auteur
en appelle au respect de cinq autres. Il cite un hadith : « Je [le
Prophète] vous ordonne cinq injonctions que Dieu m’a ordonné :
l’observance, l’obéissance, le jihad, l’exil [hijra] et la communauté
[jamâ‘a] » [12] . Ainsi, cinq obligations occultées doubleraient les
[13]
piliers reconnus   . Et seule une élite pourrait appliquer ces
prescriptions divines « lourdes » en doublant à son tour en quelque
sorte l’oumma.
Cette vision sophistique de la Loi, qui serait double, avec un aspect
exotérique facile auquel se soumet l’ensemble de l’oumma, et des
prescriptions ésotériques, ou du moins oubliées, marginalisées, que
seule une communauté de parfaits peut accomplir, permet de
résoudre l’aporie de l’application du jihad.
Le combat dans la voie de Dieu est tour à tour conçu comme [fard
‘ayn], obligation individuelle incombant à chaque musulman valide,
ou comme [fard kifâya], obligation collective que prennent en
charge les combattants qui en « soulagent » les autres musulmans.
Pour certaines écoles juridiques sunnites, et pour tous les jihadistes,
le jihad est bien sûr un [fard ‘ayn], dont le délaissement est aussi
grave que la rupture du jeûne, par exemple. Ben Laden énonce un
troisième principe, qui lui permet à la fois d’être irénique et de
nourrir sa vision « double » du monde : tout jihad nécessite un
certain nombre de combattants, car il est inutile, comme il le
rappelle, d’être plusieurs pour faire le travail de quelques-uns. Tant
que le nombre requis de combattants n’est pas atteint, le jihad est
[fard ‘ayn]. Une fois le quorum de guerriers atteint, le jihad devient
un [fard kifâya]. Et Ben Laden précise que les premiers à répondre à
l’appel, ceux qui laissent derrière eux les préoccupations
mondaines pour accourir au jihad, constituent bien sûr l’élite de la
nation. Cette construction subtile permet à la fois de sauver la
valeur générale d’une loi divine, et de lui laisser en même temps un
cachet d’élite, prêt au sacrifice : « on peut accomplir la mission, et le
péché est levé pour le reste de l’oumma » [14] .
Al-Qaida est donc également une élite thaumaturge qui prend sur
elle d’accomplir la Loi et de suspendre le péché pour le reste des
musulmans.
Visant à représenter l’ensemble des musulmans, l’auteur construit
une théorie capable de faire une distinction spéculaire entre la
majorité des musulmans et une poignée de parfaits. À la différence
d’autres groupements minoritaires avant lui, dont les Gama’a
égyptiennes, il évite de faire appel au [takfîr] (à l’excommunication)
contre le comportement « mondain ». Car seule cette différence
entre de bons musulmans à l’arrière et une élite au front peut
ensuite justifier la prétention à diriger et à représenter l’Islam.

Une « base » pour imposer la « norme »


En septembre 1992, un proche de Ben Laden fut arrêté à l’aéroport
Kennedy, à New York. « On découvrit en sa possession un manuel
d’utilisation d’explosifs, dont le titre, La Règle fondamentale, fut mal
traduit au moment du procès du World Trade Center, où cet
ouvrage fit partie des preuves. Le New York Times le retraduisit
[15]
correctement : La Base, c’est-à-dire Al-Qaida. »   
L’erreur de l’huissier de justice n’en est pas une : elle est révélatrice
de l’ambiguïté qui existe dans la dénomination et dans le projet
même du mouvement de Ben Laden. « Qaida », en arabe, signifie
après tout la base et la norme. Les deux termes entretiennent un
ensemble de liens sémantiques évidents. Cette équivoque est riche
de sens : cette base de militance créée dans le sillage de la guerre
d’Afghanistan se veut (et peut-être s’est-elle voulue dès l’origine)
également le principal lieu axiologique dans le monde musulman
contemporain, visant à édicter les normes qui rétabliront la Norme
oubliée. Les Recommandations tactiques de Ben Laden, dictées en
deux parties, constituent une sorte de Que faire islamiste, visant à
fonder l’action du mouvement sur une vision du monde structurée.
Cette Weltanscbauung tourne autour de la notion omniprésente
quoique occultée, non interrogée directement, de Loi, de Norme,
perdue, oubliée, écornée. Ben Laden, qui s’est toujours mis sous
l’égide dogmatique d’un mentor, dont Azzam est le plus connu,
semble obsédé par la perte de sens normatif, qu’il reformule en
oubli de la loi divine. Al-Qaida, cette base de donnée militante, est
avant tout une grammaire projetant de restructurer un monde en
déréliction.
Ben Laden est l’ultime avatar d’une modernisation sauvage de la
sphère politique arabe, désormais striée, traversée, hachurée,
comme ses télévisions et ses villes, de signaux contradictoires et
tous jouissifs, appelant à une consommation sans entraves qui, à
défaut de s’immerger dans une économie prospère, devient
autophage. Al-Qaida est la première machine politique dépourvue
de toute profondeur hormis cette légitimité tautologique à
représenter. « Une foule primaire se présente comme une réunion
d’individus ayant tous remplacé leur idéal du moi par le même
[16]
objet. »    Hanté par un passé qu’il voudrait racheter ou occulter
par une vie d’éclat, dévoré de désirs de reconnaissance ou à la
recherche d’un mentor, Ben Laden est en tout cas un personnage
vide que viendront meubler les stratégies et les calculs des autres,
avant qu’il ne se consacre à cette vacuité suprême que sont les
médias et le terrorisme. Ce trait de caractère lui donnera
paradoxalement l’avantage dès le début sur d’autres acteurs
radicaux : méprisé par ses différents partenaires ou
commanditaires – qui négligeront sa ténacité secrète et introvertie,
ses connaissances laborieuses en religion –, sa timidité d’éternel
adolescent effarouché et flasque le rendront finalement plus
proche, plus « identifiable » pour des générations de jeunes en
manque de repères et sensibles à ce qu’un témoin appelle un
« charisme tranquille, très efficace, très puissant » [17] .
Version catastrophée de la politique spectaculaire et populiste
qu’on retrouve dans les démocraties occidentales, Oussama ben
Laden a la prétention de monopoliser, par procuration, toute la part
maudite de frustration et de légitime colère que ne peuvent pas, ou
plus, exprimer les instances légales. C’est pourquoi, pour lutter
efficacement contre le mouvement de Ben Laden, peut-être
faudrait-il résoudre les problèmes du Moyen-Orient ou débrancher
la télévision – solutions tout aussi improbables et coûteuses pour la
démocratie américaine.
Les textes traduits ici tentent de dresser un diagramme politique et
mental aussi complet que possible de cette militance en deux
dimensions qu’a instituée le mouvement de Ben Laden :
déclarations de circonstances, reconstructions historiques ou
ébauche d’une pensée politique plus théorique, ils restent avant
tout des actes éminemment médiatiques, habités, comme toute
action qui s’imprime sur nos écrans, par cette contingence
paradoxale de l’événement, qui prétend, dans son évanescence
même, être au plus près de la vérité atemporelle de la société du
spectacle.

Notes du chapitre
[1] ↑ Il appartient à la même génération qu’Ayman al-Zawahiri, né en 1951. Les deux
hommes sont donc, dans un monde arabo-musulman atteint dans sa grande majorité de
gérontocratie, parmi les plus jeunes acteurs politiques.
[2] ↑ Jonathan Randal, Oussama. La fabrication d’un terroriste, Paris, Albin Michel, 2004,
p. 64.
[3] ↑ Ibid., p. 70.
[4] ↑ Peter L. Bergen, Guerre Sainte, multinationale, Paris, Gallimard, 2001, p. 68.
[5] ↑ Rétrospectivement, les crises qui éclateront après le 11 septembre peuvent être vues
comme les passifs jamais réglés des deux guerres des années 1980, Iran/Irak et
Afghanistan. Ce lien existe au moins entre Ben Laden et Saddam Hussein, d’être à eux
deux des vétérans déçus, porte-épées de l’Occident dans la dernière phase de la guerre
froide.
[6] ↑ Sur ce socle social des islamistes, fait de classes moyennes et de jeunesses urbaines
pauvres, et sur la manière dont les régimes arabes réussiront à en décomposer les
éléments, voir G. Kepel, Jihad. Expansion et déclin de l’islamisme, Paris, Gallimard, 2000.
[7] ↑ Al-Zarqawi est probablement un challenger de taille, star évanescente et ubique,
plus « méchante » encore, en tout cas bénéficiant d’une valeur ajoutée liée à sa présence
sur le terrain irakien.
[8] ↑ Georges Lavau, À quoi sert le parti communiste français ?, Paris, Fayard, 1981, p. 343.
[9] ↑ Ibid., p. 342.
[10] ↑ Ibid., p. 346.
[11] ↑ Ibid., p. 343.
[12] ↑ Hadith rapporté par al-Tirmidhi.
[13] ↑ Il y a là bien sûr une influence évidente de la littérature jihadiste égyptienne des
années 1970, et le concept de l’impératif occulté, le jihad. Voir, plus largement, les
penseurs radicaux du XXe siècle, qui ont souvent eu tendance à déconstruire l’islam, à le
décomposer en des « éléments » primaires qu’il s’agirait de recomposer. À titre d’exemple,
l’idéologue pakistanais al-Mawdoudi, auteur des Quatre Topiques du Coran, présenté dans
G. Kepel, Le Prophète et Pharaon, Paris, Le Seuil, 1993.
[14] ↑ In Recommandations tactiques, de Ben Laden.
[15] ↑ Peter L. Bergen, Guerre sainte…, op. cit., p. 144-145.
[16] ↑ S. Freud, « Psychologie collective et analyse du moi », in Essais de psychanalyse,
Paris, Payot, 1967.
[17] ↑ Rapporté par Jonathan Randal, Oussama…, op. cit., p. 74.
Extraits de La Tanière des
compagnons [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

L e Bureau des services [2]  fut une expérience qui eut à la fois des
aspects positifs et négatifs. Le premier qui prit la responsabilité
de diriger ce bureau fut un jeune homme, Abou Akram al-
Ourdouni [3] , qui s’en chargea plusieurs mois puis rentra en
Jordanie, après s’être plaint continuellement du manque
d’organisation [...] Tous ceux qui assumèrent cette charge se
plaignirent de l’absence de fonctions définies. Mais en dépit de ces
aspects négatifs, il y en eut de positifs car c’est ce bureau qui permit
aux moujahidines arabes d’accroître leurs effectifs et de participer
activement aux combats.
C’était une sorte de grande pension, une grande villa que nous
avions louée, où étaient hébergés les jeunes Arabes [4] . Son
administration était composée de plusieurs sections, la section
militaire, la section administrative, la section de l’entraînement, la
section des départs (qui s’occupait des convois en partance pour
l’Afghanistan). Oussama ben Laden dépensait chaque mois
approximativement un demi-million de roupies rien que pour les
frais de fonctionnement, soit vingt-cinq mille dollars environ. Et
lorsque le fardeau de ce bureau devint très lourd, entre 1985 et
1986, Oussama ben Laden décida d’y résider en personne […] mais,
dans le même temps, il réfléchissait à une meilleure façon de
contribuer au jihad afghan. Et au lieu de dépenser de l’argent et de
payer le soutien au jihad, il décida de réaliser des projets utiles aux
Afghans, de construire des routes de montagne, de creuser des
tunnels et des abris pour protéger les moujahidines afghans des
bombardements aériens. Cela se fit en accord avec ses frères
propriétaires de la gigantesque société Ben Laden, qui apportèrent
une aide considérable en envoyant en Afghanistan des excavatrices,
des bulldozers et des générateurs électriques.
Les Afghans nous aimaient tant qu’ils nous considéraient comme
des hôtes [5] , et ne confiaient aux Arabes aucune mission militaire
au combat, ce dont souffraient les jeunes Arabes car ils voulaient
participer en tant que moujahidines. C’est pourquoi j’ai pensé à
créer une structure d’entraînement pour les combattants et j’ai
demandé, en 1404 de l’hégire [6] , à l’émir de l’Union des
moujahidines d’Afghanistan [7]  l’autorisation de créer un camp dans
la région proche de la frontière, afin que les frères arabes s’y
entraînent. Le nombre de frères ayant rejoint ce camp s’élevait
alors à une centaine, ce qui était peu parce que, dans leurs pays, les
jeunes Arabes sont élevés loin de tout goût pour le jihad et de toute
défense de la religion, nombre d’entre eux considérant le jihad
comme un acte surérogatoire [8] , qui peut être délégué. C’était l’été,
mais lorsque la période de la rentrée universitaire arriva, la plupart
des jeunes gens s’en retournèrent dans leur pays pour reprendre
leurs études, bien que ceux-ci fussent les meilleurs des frères. Seul
un petit nombre resta, moins de dix. Mais Dieu nous gratifia et nous
trouvâmes un camp à Jaji, en Afghanistan [9] . […]
Nous nous entraînions nous-mêmes avec le peu d’expérience dont
nous disposions. Nous étions environ cinquante personnes, mais la
même chose se reproduisit. En hiver, la plupart des combattants
étaient rentrés chez eux. Il n’y avait donc pas de conscience totale
de la nécessité de soutenir cette religion, et de combattre les
infidèles afin que la religion en son entier soit celle de Dieu. Puis,
[10]
Dieu nous gratifia, à la fin de 1406, au début de 1407   , en nous
incitant à rester dans la région de Jaji, même si nous n’étions qu’une
douzaine de personnes, la plupart de Médine, la ville du
[11]
Prophète    (que la prière et la bénédiction de Dieu soient sur
lui !) [12] . […]
Nous étions onze frères travaillant à creuser une route, des tunnels
et des abris pour les moujahidines afghans. Mais nous chargeâmes
Chafiq (que Dieu ait son âme !) et Oussama Haydar de suivre les
développements militaires dans la région. Il faut noter que tous ces
frères avaient environ une vingtaine d’années (que Dieu les
honore !). Ils avaient abandonné leurs études pour mener le jihad
sur la voie de Dieu. Les choses continuèrent ainsi. Mais Chafiq et
Oussama nous informèrent qu’il y avait une haute montagne qui
surplombait les positions de l’ennemi, sans aucun moujahidine ; je
me suis alors rendu à cet endroit et trouvai que c’était effectivement
une position remarquable et très sensible. Alors, quand j’ai
demandé pourquoi il n’y avait pas de moujahidines dans cet endroit
malgré son importance, on me répondit que la neige bloquait les
routes et que les renforts étaient arrêtés à cause du pilonnage
d’artillerie auquel était soumise la région.
Et comme nous souhaitions avoir un centre à nous, les Arabes,
parmi les centres en construction, nous décidâmes de l’établir à cet
endroit. Mais lorsque nous nous mîmes au travail, nous n’étions
plus que trois : le frère Chafiq, le frère Oussama et moi-même.
Quant aux autres frères, ils étaient soit en vacances, soit occupés à
[13]
d’autres tâches   . Nous avions alors un besoin pressant de tout
frère qui puisse se joindre à nous, vu la dureté du climat, notre
éloignement des moujahidines afghans et notre proximité avec
l’ennemi ; car à trois, nous ne pouvions à la fois travailler et monter
la garde.
Un frère en visite chez nous essaya même de nous dissuader de
travailler ; il essaya aussi avec le frère Chafiq et Oussama, mais
Dieu nous envoya deux autres frères dont l’un s’appelait Abou al-
Dhahab, un Égyptien d’origine soudanaise qui, avant de partir, vint
me voir pour me dire : « Nous souhaiterions rester avec vous », ce
qui me combla de joie. Durant notre travail dans l’endroit que nous
avions choisi, la route était découverte et exposée au regard de
l’ennemi, et lorsqu’il se mettait à nous tirer dessus, nous
descendions et nous nous cachions derrière les arbres, avant de
nous remettre au travail.
C’est ainsi que nous choisîmes l’endroit qui fut ensuite appelé « La
tanière des compagnons » [14] . Cette période était magnifique, nous
campions près de l’ennemi, et dans le même temps, nous creusions
des routes et des fossés, nous dormions sous une seule tente […].
Nous priions ensemble, nous prenions les décisions ensemble, nous
mangions au même endroit [15] . Nous nous relevions pour monter la
garde, avec crainte car l’endroit était effrayant, pour l’ennemi
comme pour nous. Personne ne pouvait s’éloigner beaucoup de la
tente parce que c’était un lieu couvert d’arbustes, sans parler de la
proximité de l’ennemi. […] Puis vint Mohammad al-Sakhri, qui
n’avait pas hésité une seconde [à nous rejoindre]. Je l’avais
rencontré dans le sanctuaire du Prophète [16] , alors que j’étais
décidé à partir ; c’était juste après la prière de l’aurore, Abou Hanifa
m’ayant averti qu’il y avait là un frère voulant partir en
Afghanistan, mais que ce frère souhaitait d’abord terminer ses
études puis venir l’été suivant. J’ai rencontré al-Sakhri, lui ai parlé
quelques secondes, il fut emballé et décida de partir avec nous le
lendemain. Il avait compris où était son devoir, abandonné les
études, les diplômes… et le monde tout entier. Il resta avec nous
près de quatre ans jusqu’à ce que Dieu le gratifie du martyre à
[17]
Jalalabad   .
Nous nous sommes demandés quel nom à donner à cet endroit ; les
frères proposèrent plusieurs noms et « La tanière des compagnons »
nous plut. Nous l’avions trouvé dans un vers d’un des
compagnons [18]  (que Dieu les agrée !) louant le Prophète (que le
salut et la prière de Dieu soit sur lui !) :
Qui veut s’étriper au cœur d’une mêlée, crépitante comme un
champ de roseaux enflammé,
Qu’il approche de la tanière, nos sabres sont aiguisés, entre la
prairie et la tranchée [19] .
Nous étions parvenu à un stade important et avancé de création de
« La tanière » lorsque nous entendîmes parler, au mois de Ramadan
de 1407 [20] , de mouvements de l’ennemi, mais nos informations
étaient incomplètes. Nous commençâmes à creuser des tranchées,
décidés à mener une opération contre l’ennemi, vers le 14 du
mois [21] . Le chef afghan Gulbuddin Hekmatyar [22]  était dans la
région, ainsi que le cheikh Sayyaf [23] , qui nous incita à attaquer
l’ennemi le 26 [24] . Nous commençâmes à bombarder les positions
ennemies situées en-dessous de nous, lorsque la riposte vint de très
loin par des lance-roquettes BM-21, ce qui fut le début d’une longue
bataille de trois semaines que l’ennemi avait planifiée alors que
nous n’avions programmé qu’une bataille d’une journée ! Le but de
cette offensive était de détruire ces positions ainsi que de fermer la
route de Jaji, une des principales voies d’arrivée des renforts en
Afghanistan. Le 29 [25]  fut le jour le plus violent de cette bataille. Et
nous avions entre-temps appris que les forces qui approchaient
s’élevaient à dix mille hommes, dont trois brigades russes et une
unité de commandos [26] . […]
Durant cette bataille, le frère Ahmad al-Zahrani tomba en martyr ;
portant une mitrailleuse lourde, il fut touché par un obus de
mortier. C’était (que Dieu ait son âme !) un jeune homme excellent,
le premier martyr de « La tanière ». Il avait vingt ans et était
originaire de la ville d’al-Taïf [27]  […] Les opérations continuèrent
[28]
sous la direction d’Abou Oubayda al-Misri    […]
C’est la bataille de Jalalabad qui fut la première et la plus
importante bataille à laquelle participèrent les Arabes, la nouveauté
étant que les précédentes se déroulaient sur des positions et des
forteresses, alors que Jalalabad est l’une des principales villes
d’Afghanistan, c’est même la plus proche de Kaboul. Durant la
bataille de Jalalabad, nous n’avions pas le choix. Après la chute de
nombreuses positions autour de la ville et la prise de ses forteresses
aux mains de moujahidines afghans, lesquels parvinrent à
l’aéroport de Jalalabad, l’ennemi se montra résolu à défendre la
ville par tous les moyens […] C’est ainsi qu’ont commencé plusieurs
mois de bataille d’une rare violence, durant lesquels les frères
acquirent la grande expérience qu’ils n’avaient auparavant. Nous
avions autour de Jalalabad dix-huit positions arabes (formées à « La
tanière des compagnons »), mais il fut difficile d’organiser la
bataille pendant des mois, durant lesquels nos forces devaient être
toujours en action. Nous avions constamment besoin de munitions
et de renforts ; les munitions, dont les roquettes et lance-roquettes,
devaient être disponibles au moment voulu. Il nous fallut organiser
des services d’évacuation des blessés et des tués, dont nous
espérons que Dieu les acceptera comme martyrs [29] . Il nous fallait
aussi des frères pour surveiller les mouvements de l’ennemi, et
diriger le tir vers lui. C’est ainsi que les frères apprirent le
maniement des missiles, des mortiers, et de l’artillerie en général,
en utilisant les cartes afin de déterminer les coordonnées de
l’objectif, selon le terme militaire, puis le viser. Dans cette
expérience nouvelle, les ressources des frères arabes apparurent,
car ils se montrèrent fermes et endurants. Rester tendu pendant des
mois d’un combat ininterrompu n’est pas chose facile, mais nos
frères furent, grâce à Dieu, le groupe le plus mobile par ses moyens
de transport, ses armes et ses munitions. Nous avions réparti les
voitures dans les divers commandos, ainsi que les unités de combat.
Il y avait une unité d’assaut dirigée par le commandant Khalil, l’un
des plus célèbres chefs militaires afghans à Jalalabad. De
nombreuses positions furent prises par ce chef, et les frères arabes
furent l’une des plus remarquables unités. Car, au cours de
certaines opérations d’assaut, la plupart des hommes étaient des
Arabes, lui étant le seul Afghan parce que la plupart de ceux sous
ses ordres étaient tombés en martyrs dans des batailles
antérieures [30] . […]
Le 10 de Dhou al-Hijja 1409 [3 juillet 1989] [31] , nous subîmes une
énorme attaque visant à détruire les positions des frères arabes, les
encercler et les capturer, parce que nous avions beaucoup de
munitions achetées au marché des armes du Pakistan [32] . C’est
d’ailleurs ce qui nous permit de bombarder, lourdement et
régulièrement, les concentrations de l’armée afghane autour de
Jalalabad, où nous apprîmes que de grandes concentrations de
troupes avaient eu lieu. Nous les bombardâmes trois jours durant,
sans interruption, ce qui fit 80 morts parmi les Indiens, car le
gouvernement de Kaboul avait fait venir des troupes indiennes
pour combler le manque d’hommes de l’armée afghane, consécutif
au départ de l’armée russe. Et ce, bien qu’il restât environ 20 000
Russes après le retrait de cette armée. […]
Les pertes de l’ennemi furent importantes, 42 chars, dont plus d’une
vingtaine tombèrent entre nos mains, et nous héritâmes de 5 chars,
dont deux T-62. Ces batailles trouvèrent leur terme à Jalalabad, où
tombèrent plus de martyrs arabes que durant toute la guerre
d’Afghanistan. Nous implorons Dieu de les accepter comme
martyrs !

Notes du chapitre
[1] ↑ Les textes présentés ici ont été « authentifiés » par leur publication dans un livre
intitulé La Tanière des compagnons arabes en Afghanistan ([ma’sadat al-ansâr al-‘arab bi-
afghânistân]), écrit par l’Égyptien Issam Diraz et publié au Caire en 1991. Issam Diraz est
un cinéaste égyptien qui s’est rendu en Afghanistan dans les années 1980 pour filmer sur
le front afghan et qui a visité les camps des Arabes afghans. Il a notamment fréquenté Al-
ma’sada, le fameux camp d’entraînement établi par Oussama ben Laden en 1986 pour
former les premiers cadres jihadistes exclusivement arabes. Les tournages de Diraz sont
parmi les très rares images des milieux arabes afghans de ces années-là, et surtout, ils
incluent les premiers entretiens jamais réalisés avec Ben Laden. Une fois de retour en
Egypte, Diraz rédigea ce livre dans lequel il raconte ses expériences, transmet les histoires
qu’il a entendues chez les Arabes afghans, et reproduit des transcriptions d’entretiens avec
Oussama ben Laden.
[2] ↑ Les deux premiers paragraphes sont le témoignage d’un Arabe afghan, Abou
Mohammad al-Soun (« le Syrien ») ; sur le Bureau des services, voir « Abdallah Azzam,
l’imam du jihad », p. 128.
[3] ↑ Al-Ourdouni signifie « le Jordanien ». Pour les noms de guerre des jihadistes, voir la
note n° 1 de l’introduction à al-Zarqawi, p. 367.
[4] ↑ Il s’agit de la première pension ([madhâfa]) jihadiste de Peshawar, surnommée « La
maison des partisans » ([bayt al-ansâr]). Il y eut bientôt des dizaines de pensions dans cette
ville frontière avec l’Afghanistan.
[5] ↑ C’est maintenant Oussama ben Laden qui raconte.
[6] ↑ Soit 1984.
[7] ↑ Il s’agit ici d’Abd al-Rassoul Sayyaf. Voir note 18, p. 140 dans Abdallah Azzam, La
Défense des territoires musulmans.
[8] ↑ En arabe, [nâfila], acte de dévotion qui n’est pas obligatoire, comme une prière
supplémentaire après les cinq prières rituelles. Or, comme nous l’avons déjà souligné, le
« jihad » en Afghanistan avait été déclaré par Abdallah Azzam – et ses disciples, dont Ben
Laden – obligation individuelle ([fard ‘ayn]).
[9] ↑ Le village de Jaji est situé dans la province orientale de Paktia, non loin de la
frontière pakistanaise.
[10] ↑ Soit octobre 1986.
[11] ↑ Les Mecquois se montrant en grande partie insensibles au message du Prophète,
c’est à Médine, où il avait fui en 622, qu’il trouva de nombreux partisans. Ici, le parallèle
avec l’histoire prophétique est clair puisque les premiers convertis, non pas à l’islam mais
au « jihad », sont également – c’est le sens de cette phrase de Ben Laden – des Médinois. De
tels récits visent à donner une dimension mythique à l’action entreprise par les
moujahidines en Afghanistan. Il est possible que la notion de « Médinois » ait été élargie
par Ben Laden pour inclure les originaires d’autres endroits du Hedjaz ou des alentours de
Médine, ce qui explique pourquoi Ben Laden, qui est incontestablement de la ville de
Djedda et non pas de Médine – se présente comme médinois.
[12] ↑ D’autres sources insistent sur la forte présence d’instructeurs égyptiens dans la
première phase de « La tanière », pour la plupart d anciens officiers de l’armée ou la
police, tel e fameux Égyptien Abou Oubayda al-Banchiri. Voir infra, note 28, p. 46.
[13] ↑ Cette difficulté à mobiliser les combattants arabes illustre le phénomène du
« tourisme du jihad » que pratiquaient de nombreux jeunes Arabes, lesquels partaient à
Peshawar durant les vacances d’été pour ensuite repartir pour la rentrée en considérant
qu’ils avaient participé au jihad.
[14] ↑ En arabe, [ma’sadat al-ansâr]. Le mot [ma’sada] signifie tanière, ou région infestée
de lions. La symbolique du « lion » est largement employée par les moujahidines et, plus
tard, par des membres et des groupes du réseau Al-Qaida. Ajoutons que le prénom
Oussama signifie « lion ». Quant au terme [al-ansâr], il désigne justement les « Médinois »
qui rejoignirent le Prophète après son arrivée de La Mecque et se convertirent à l’islam.
Quoique le terme ait été largement utilisé par les mouvements islamistes, étant donné
l’idée d’« avant-garde de l’islam » qu’il implique, son choix ici a peut-être aussi été motivé
par le fait que, comme Ben Laden l’a expliqué précédemment, la plupart des membres du
groupe étaient de Médine (ou bien du Hedjaz).
[15] ↑ C’était précisément ce type d’expériences sociales collectives vécues dans les camps
d’entraînement en Afghanistan qui produisirent la forte cohésion intérieure des « réseaux
arabes afghans », aussi bien dans la génération des années 1980 que dans celle de la
période Al-Qaida, c’est à dire de 1996 à 2001.
[16] ↑ La mosquée du Prophète à Médine.
[17] ↑ Ville de l’est de l’Afghanistan, située à mi-chemin entre Kaboul et Peshawar. Au
printemps 1987, la région de Jalalabad fut le théâtre d’une série de batailles violentes entre
l’Armée rouge et les moujahidines. Les événements de Jalalabad occupent une place
importante dans la mythologie des Arabes afghans, puisque à ces batailles participèrent
les premières unités de combat purement arabes, entraînées à « La tanière ».
[18] ↑ Le terme [al-ansâr] désigne les compagnons de Mohammad. Voir note 21, p. 156
dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[19] ↑ Vers qui auraient été déclamés par Kaab ibn Matik, le jour où la tranchée autour de
Médine fut creusée, en 627. La citation est sans doute faite de mémoire car elle est
inexacte. On peut trouver le vers dans le dictionnaire classique La Langue des Arabes (cité
comme illustration à l’entrée de la racine : [bamza bâ’ yâ’]. Voir Ibn Manzûr, [lisân
al-‘arab], Beyrouth, Dâr bayrût, sans date, vol. 14, p. 6.
[20] ↑ Soit mai 1987.
[21] ↑ Soit le 12 mai.
[22] ↑ Gulbuddin Hekmatyar (né en 1947), chef de guerre afghan, fondateur du Hizb-e-
islami en Afghanistan. Figure très importante sur la scène politique afghane depuis le
début des années 1970.
[23] ↑ Voir la note 18, p. 156 dans La Défense des territoires musulmans.
[24] ↑ Soit le 24 mai.
[25] ↑ Soit le 27 mai.
[26] ↑ Les Spetnatz, forces spéciales russes.
[27] ↑ Ville d’Arabie Saoudite, située au sud-est de La Mecque.
[28] ↑ Abou Oubayda al-Misri (l’Egyptien) ou al-Banchiri (le Panchirois) était considéré
comme le « commandant militaire en cher » d’Al-Qaida. Cet ex-policier égyptien, qu’on
appelait le Panchirois pour ses faits d’armes en Afghanistan, mourut, au printemps 1996,
dans le naufrage d’un ferry au Kenya, où il préparait sans doute les attentats du 7 août
1998, à Nairobi et Dar es-Salam.
[29] ↑ Voir « Peut-on appeler quelqu’un martyr ? » dans Mœurs et jurisprudence du jihad
d’Abdallah Azzam, p. 199.
[30] ↑ Selon certaines estimations, 50 000 Arabes participèrent aux combats sur 175 000 à
250 000 Afghans chaque année. Voir Mark Urban, War in Afghanistan, Londres, MacMillan,
1988, p. 244. Cela dit, toute estimation du nombre d’Arabes afghans qui ont participé au
jihad afghan reste imprécise.
[31] ↑ L’Armée rouge s’est retirée d’Afghanistan le 15 février 1989. Les forces
qu’affrontèrent les moujahidines de « La tanière » étaient donc celles loyales au président
communiste de l’Afghanistan, Mohammed Najibullah.
[32] ↑ Les zones tribales de la frontière afghano-pakistanaise sont le lieu d’un
gigantesque marché aux armes de toutes sortes, à ciel ouvert.
Extraits de « Déclaration de jihad
contre les Américains qui occupent le
pays des deux lieux saints » [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

C hacun d’entre vous sait quelle injustice, quelle oppression,


quelle agression subissent les musulmans de la part de
l’alliance judéo-croisée et de ses valets ! À tel point que le sang des
musulmans n’a plus aucun prix, que leurs biens et leur argent sont
offerts en pillage à leurs ennemis. Leur sang coule en Palestine, en
Irak et au Liban (les horribles images du massacre de Qana [2]  sont
encore présentes dans tous les esprits), sans compter les massacres
du Tadjikistan [3] , de Birmanie [4] , du Cachemire [5] , d’Assam [6] , des
Philippines [7] , de Pattani [8] , de l’Ogaden [9] , de Somalie [10] ,
d’Érythrée [11] , de Tchétchénie [12]  et de Bosnie-Herzégovine [13] , où
les musulmans ont été victimes d’abominables boucheries [14] . Et
tout cela au vu et au su du monde entier, pour ne pas dire en raison
du complot des Américains et de leurs alliés, derrière l’écran de
fumée des Nations Injustes Unies. Mais les musulmans se sont
rendu compte qu’ils étaient la cible principale de la coalition judéo-
croisée, et toute cette propagande mensongère sur les droits de
l’Homme a laissé la place aux coups portés et aux massacres
perpétrés contre les musulmans sur toute la surface de la terre.
La dernière calamité à s’être abattue sur les musulmans, c’est
l’occupation du pays des deux sanctuaires, le foyer de la maison de
l’islam [15]  et le berceau de la prophétie, depuis le décès du Prophète
et la source du message divin, où se trouve la sainte Kaaba vers
laquelle prient l’ensemble de musulmans, et cela par les armées des
chrétiens américains et leurs alliés ! Il n’y a de force et de puissance
qu’en Dieu !
À la lumière de cette réalité-là, mais aussi du réveil béni et ardent
de toutes les régions du monde, et notamment du monde
musulman, je viens à nouveau vers vous après une longue absence
imposée par la coalition dirigée par les Américains contre les
oulémas et les prédicateurs de l’islam de peur qu’ils n’incitent la
nation musulmane contre ses ennemis, en me consolant auprès des
oulémas d’autrefois (que Dieu ait leur âme !), comme Ibn Taymiyya
et Abd al-Aziz ibn Abd al-Salam [16] .
En outre, cette coalition judéo-chrétienne a assassiné ou
emprisonné les plus sincères oulémas et les prédicateurs les plus
actifs (qui, sans la grâce de Dieu, n’eussent pas été si purs !) [17]  : ils
ont tué le cheikh moujahid Abdallah Azzam [18] , et ont emprisonné
le cheikh moujahid Ahmad Yassine [19]  sur la route du « voyage
nocturne » du Prophète [20]  (que la bénédiction et la prière soient
sur lui !) comme le cheikh Omar abd al-Rahman [21]  en Amérique, de
même qu’ils ont emprisonné sur l’ordre de l’Amérique un grand
nombre d’oulémas, de prédicateurs et de jeunes du pays des deux
sanctuaires, notamment le cheikh Salman al-Awda, et le cheikh al-
Hawali [22]  ainsi que leurs frères. Il n’y a de force et de puissance
qu’en Dieu !
Ensuite, nous endurons l’injustice de ne pouvoir nous adresser aux
musulmans, nous avons été chassés du Pakistan, du Soudan et de
[23]
l’Afghanistan   , ce qui a causé cette longue absence. Mais, grâce à
Dieu, nous avons trouvé une base sûre [24]  au Khorassan [25] , sur les
sommets de l’Hindou Kouch, ces sommets sur lesquels s’est écrasée
la plus grande puissance militaire athée du monde, et sur lesquels a
péri le mythe de la superpuissance sous les cris des
[26]
moujahidines    : Dieu est le plus grand ! Aujourd’hui, depuis ces
sommets où nous œuvrons à effacer l’injustice commise envers la
nation musulmane par la coalition judéo-croisée, surtout après
[27]
l’occupation de la voie du Prophète    (que la bénédiction et la
prière soient sur lui !) et la spoliation du pays des deux sanctuaires,
nous espérons que Dieu nous accordera la victoire, car II en est le
maître et le détenteur. […]
Lorsque les devoirs s’accumulent, il faut commencer par le plus
important : repousser cet ennemi américain qui occupe notre
territoire, c’est, après la foi, le premier des devoirs, rien ne peut le
surpasser, comme l’ont affirmé les oulémas. Ainsi, le cheikh de
l’islam, Ibn Taymiyya, a écrit : « Quant au combat pour la défense,
c’est de défendre à tout prix ce qu’il y a de plus sacré avec la
religion. C’est un devoir collectif. Car l’ennemi agresseur qui
corrompt la religion et la vie, rien n’est plus pressant, après la foi,
que de le repousser, sans condition, autant que faire se peut » (« Les
morceaux choisis scientifiques », annexe aux Grandes Fatwas,
4/608) [28] .
On ne peut repousser l’envahisseur qu’avec l’ensemble des
musulmans, ces derniers doivent donc ignorer ce qui les divise,
provisoirement, car fermer les yeux sur leurs divisions ne peut pas
être plus grave que d’ignorer l’impiété capitale qui menace les
musulmans [29] . […]
Il y a quelques jours, les agences de presse ont transmis une
déclaration du ministre de la Défense américain [30] , croisé et
occupant, dans lequel il disait qu’il n’avait retenu qu’une leçon des
explosions de Riyad et d’al-Khobar [31]  : ne pas reculer devant les
lâches terroristes. Eh bien, nous disons à ce ministre qu’il y a là de
quoi faire rire même une mère accablée par la perte de son enfant,
car cela ne fait que montrer la frayeur dont vous êtes saisi. Où était
cette prétendue bravoure, à Beyrouth, après l’attentat de 1403
[1983] qui a fait de vos 241 Marines des paillettes éparpillées et des
membres déchiquetés [32] , et où est cette prétendue bravoure à Aden
dont vous êtes partis précipitamment, vingt-quatre heures après les
deux attentats [33]  ? […]
Je t’affirme, William, que ces jeunes-là aiment autant la mort que
vous aimez la vie [34] , qu’ils ont hérité de l’honneur, de la fierté, de
la bravoure, de la générosité, de la sincérité, du courage et de
l’esprit de sacrifice, de père en fils, et leur endurance au combat se
vérifiera lors de l’affrontement, car ils ont hérité de ces qualités de
leurs ancêtres depuis l’anté-islam [35] , avant que l’islam ne les ancre
en eux.
Et ces jeunes gens dont vous prétendez qu’ils sont lâches […] ont
porté les armes pendant dix ans en Afghanistan, en jurant de
poursuivre leur lutte contre vous jusqu’à ce que vous partiez,
vaincus, battus et penauds, si Dieu le veut, tant que le sang coulera
dans leurs veines et que les larmes s’écouleront de leurs yeux.
Ô Dieu, conforte la situation de ta nation en honorant ceux qui
t’obéissent et en avilissant ceux qui te désobéissent, conforte-là en
ordonnant le Bien et pourchassant le Mal.
Prière et salut sur ton adorateur et messager, Mohammad, sa
famille et ses compagnons. Notre ultime prière sera : Louange à
Dieu, seigneur des mondes !

Notes du chapitre
[1] ↑ Le 23 août 1996, un fax fut envoyé depuis les montagnes de l’Hindou Kouch, en
Afghanistan, à plusieurs journaux arabes. Il était signé comme suit : « Message d’Oussama
ben Laden à ses frères musulmans du monde entier, et de la péninsule Arabique en
particulier, daté du vendredi 9 avril 1417/23 août 1996. Des montagnes de l’Hindou Kouch,
Khorassan, Afghanistan. » Il portait aussi le titre : « Expulsez les Juifs et les chrétiens de la
péninsule Arabique », ou encore : « Expulsez les païens de la péninsule Arabique ». Ce titre
est extrait d’un hadith non authentifié qu’aurait prononcé le Prophète peu avant sa mort.
[2] ↑ Le 18 avril 1996, plus d’une centaine de civils furent tués dans le bombardement
israélien – dans le cadre de l’opération « Raisins de la colère » – d’un camp de l’ONU, à
Qana, au sud du Liban, provoquant l’indignation de la communauté internationale. C’est
quelques mois plus tard que Ben Laden fit cette déclaration.
[3] ↑ L’indépendance du Tadjikistan, acquise à la suite de l’effondrement de l’URSS en
1991, déboucha sur une guerre civile entre les « néo-communistes » et une coalition
d’islamistes (liés au Parti de la Renaissance islamique) et de démocrates, entraînant des
dizaines de milliers de victimes. Un accord de paix entre les différentes factions intervint
en 1997, dont l’application fut lente et incertaine. En août 1996, les combats faisaient donc
encore rage.
[4] ↑ La Birmanie compte une minorité musulmane vivant surtout dans la région de
l’Arakan, frontalière du Bangladesh. Depuis le début des années 1990, l’islam a
régulièrement servi d’exutoire au nationalisme birman, et répressions et pogroms se sont
multipliés. Le mouvement ARNO (Arakan Rohingya National Organisation), qui réclame
l’indépendance de l’Arakan, est actif dans cette région depuis 1988. Des rumeurs de liens
existant entre l’ARNO et la mouvance Al-Qaida ont été propagées, rumeurs qu’un
spécialiste de la question, Michel Gilquin, juge sans fondement (voir
http://www.religioscope.com/info/notes/2002_033_myanmar_islam.htm).
[5] ↑ Voir note 47, p. 148 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
Notons que différents mouvements entretenant des liens plus ou moins étroits avec la
mouvance Al-Qaida (notamment Jaysh-e-Muhammad et Lashkar-e-Tayyiba) sont
aujourd’hui actifs au Cachemire.
[6] ↑ L’Assam est un État fédéral de l’Union indienne, situé à la frontière du Bangladesh,
où vit une importante minorité musulmane. Le principal mouvement séparatiste qui y est
actif est le Front Uni de Libération du Assam, fondé en 1979. Originellement d’orientation
marxiste, il s’est, selon certaines sources, rapproché de la mouvance Al-Qaida au cours des
années 1990.
[7] ↑ Pour les Philippines, voir note 46, p. 148 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[8] ↑ Il s’agit de la province thaïlandaise de Pattani, où la population est en majorité
malaise de confession musulmane. Un mouvement séparatiste s’y est développé depuis les
années 1960, mené notamment par l’Organisation unifiée de Libération de Pattani qui a
adopté, avec le temps et comme beaucoup des mouvements de la région, une rhétorique
islamique.
[9] ↑ L’Ogaden est une région à majorité musulmane de l’Ethiopie, située aux confins de
la Somalie, où sont actifs des mouvements séparatistes exigeant, soit l’indépendance
complète, soit le rattachement à la Somalie. Dans les années 1990, le mouvement islamiste
somalien al-Ittihad al-Islami, dont certains membres sont soupçonnés de liens avec Al-
Qaida, a fait de cette revendication le cœur de son programme politique. Il a perpétré
plusieurs attentats à Addis-Adeba en 1996 et 1997, auquel le pouvoir éthiopien a répondu
par la répression.
[10] ↑ La principale organisation islamiste somalienne al-Ittihad al-Islami s’est, au cours
des années 1990, heurtée à la volonté de puissance de plusieurs chefs de guerre locaux et a
dû combattre l’armée éthiopienne en Ogaden ; elle est sortie laminée de ces conflits, et a
presque cessé d’exister.
[11] ↑ Voir note 49, p. 148 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[12] ↑ En 1991, la République de Tchétchénie, peuplée de musulmans dans une Russie à
majorité chrétienne orthodoxe, fit sécession. En 1994, Boris Eltsine, le président russe,
ordonna une expédition militaire pour la réintégrer à la fédération. Après de très violents
combats, l’armée russe dut reconnaître sa défaite et quitta la Tchétchénie. Des Arabes
afghans, en petit nombre, participèrent aux combats.
[13] ↑ Les accords de Dayton, signés en 1995, ont officiellement mis fin à la guerre de
Bosnie, divisant la République de Bosnie-Herzégovine en deux entités : la fédération
croato-musulmane, et la République des Serbes de Bosnie. Mais les horreurs de la guerre,
notamment celles perpétrées contre les musulmans à Srebrenica, restent dans toutes les
mémoires. C’est à ce passé, alors très proche, que Ben Laden fait référence.
[14] ↑ Il est intéressant de noter que Ben Laden ne fait aucunement la distinction ici entre
les cas de massacres ethniques de musulmans, et ceux de répression politique de
mouvements islamistes.
[15] ↑ En arabe, [dâr al-islâm], qui peut se lire « maison de l’islam » pour filer la
métaphore du foyer, ou « ensemble des territoires musulmans » selon la conception
géographique médiévale musulmane. Il s’agit du stationnement de troupes non
musulmanes, américaines et alliées, à l’appel du roi Fahd, en Arabie Saoudite, le 7 août
1990, cinq jours après l’invasion du Koweit par Saddam Hussein.
[16] ↑ Sur Ibn Taymiyya, voir la note 60, p. 166 dans Abdallah Azzam, Rejoins la
caravane ! Le second est un savant religieux damascène de l’école de jurisprudence
chafi’ite, mort en 1262. Il est notamment l’auteur des Règles des jugements ([qawâ‘id al-
ahkâm]). À l’instar d’Ibn Taymiyya, Abd al-Aziz ibn Abd al-Salam n’a pas hésité à s’en
prendre au pouvoir politique, alors entre les mains d’al-Salih Ismail ibn al-Adil, auquel il
reprochait d’avoir livré la forteresse de Safed aux croisés. Comme dans le cas d’Ibn
Taymiyya, cela lui valut d’échouer en prison. C’est cet exemple du savant « libre » que
célèbre ici Ben Laden, en l’opposant à celui des « oulémas de palais » inféodés aux régimes
en place.
[17] ↑ Allusion au verset coranique (24/21) : {Sans la grâce de Dieu sur vous et sa
miséricorde, nul, parmi vous, ne serait jamais pur}.
[18] ↑ Voir à ce sujet « Abdallah Azzam, l’imam du jihad », p. 131. Ben Laden accuse ici les
Américains de l’assassinat d’Azzam. C’est la version des faits la plus répandue dans les
milieux islamistes.
[19] ↑ Ahmad Yassine est né en 1936 dans la bande de Gaza. Diplômé de l’université d’al-
Azhar au Caire, il travailla d’abord comme prêcheur dans les mosquées de Gaza avant de
fonder en décembre 1987 le mouvement de la résistance islamique Hamas. Arrêté par
Israël en 1989, il fut libéré en 1997 suite à un échange de prisonniers avec la Jordanie. Il
reprit alors la tête du mouvement mais fut tué par Israël en mars 2004 dans le cadre de la
politique d’assassinats ciblés menée par le gouvernement d’Ariel Sharon. Au moment de
cette déclaration de Ben Laden, en août 1996, Yassine était donc toujours prisonnier en
Israël.
[20] ↑ Le « voyage nocturne » [isrâ’] aurait, selon la tradition musulmane, été accompli
par Mohammad entre « la mosquée la plus proche » (La Mecque) et la « mosquée la plus
éloignée » (littéralement [al-masjid al-aqsâ], comprise comme désignant le Dôme du
Rocher à Jérusalem) (Coran 17/1). En effet, « il est à noter que le Coran ne mentionne ni
Jérusalem, ni une ascension mais, dès le VIIIe siècle, l’expression mosquée lointaine (ou
très éloignée, ou extrême, ou Oratoire ultime, selon les traductions) fut comprise comme
un lieu de culte à Jérusalem » Oleg Grabbar, Saïd Nuseibeh, Le Dôme du Rocher, joyau de
Jérusalem, Paris, Albin Michel, 1997, p. 43-47. La métonymie désigne dans le texte la
Palestine.
[21] ↑ Omar Abd al-Rahman est un cheikh égyptien aveugle, diplômé de l’université d’al-
Azhar, qui joua un rôle important dans l’assassinat du président égyptien Anouar al-
Sadate en servant de moufti au groupe d’assassins. Lors, du procès qui s’ensuivit, il fut jugé
mais acquitté, officiellement faute de preuve. Il quitta l’Egypte pour le Soudan en 1989,
puis pour les États-Unis, pour lesquels il oDtint un visa de résidence en juillet 1990. Il
entama alors une carrière de prêcheur radical à New York. En août 1993, il fut arrêté par
le FBI qui l’accusait d’être impliqué dans l’attentat perpétré contre le World Trade Center
en février de la même année. En 1995, il fut condamné à la prison à vie.
[22] ↑ Les cheikhs Salman al-Awda et Safar al-Hawali, figures de proue de l’opposition
islamiste à la monarchie saoudienne, qui, s’en étaient notamment pris à la présence
américaine dans le pays au début des années 1990, furent arrêtés en 1994. Ils ne furent
libérés qu’en 1999, donc trois ans après ce texte.
[23] ↑ Ben Laden met ici sur le même plan son départ d’Afghanistan, qu’il décide de son
plein gré parce que la guerre civile fait rage entre ex-commandants moujahidines, et son
départ du Soudan, sous la pression de la communauté internationale, en particulier les
États-Unis.
[24] ↑ En arabe, [qâ‘ida âmina], expression qui fait écho à la notion de la « base solide »
([al-qâ‘ida al-sulba]) développée par Azzam. Voir note 10, p. 154 dans Abdallah Azzam,
Rejoins la caravane !
[25] ↑ « Khorassan » est l’appellation classique de la vaste région comprenant l’est de
l’Iran et la majeure partie de l’Afghanistan. Ben Laden, comme l’ensemble des idéologues
de la mouvance jihadiste, utilise sciemment une toponymie datée quand il s’agit de
certains territoires musulmans pour retirer symboliquement ces zones à 1 arpentage
occidental. La même lutte symbolique se déroule à propos des datations (souvent données
selon le calendrier de l’hégire). Dans les milieux des Arabes afghans des annéçs 1980, il y
eut un débat sur la question de la désignation de l’Afghanistan par son nom d’État-nation
ou par son nom ancien de « Khorassan ». Azzam a notamment écrit sur cette question un
article intitulé « Afghanistan ou Khorassan ? », publié dans la revue Al-Jihad, n° 40, 1988.
[26] ↑ Ben Laden entretient le mythe d’un Afghanistan tombé sous les coups de
moujahidines, alors que ce facteur n’a certainement pas été décisif dans l’issue du conflit.
[27] ↑ Là encore, c’est une figure pour désigner la Palestine (voir note 20, supra). Le
« pays des deux sanctuaires » est l’Arabie Saoudite.
[28] ↑ Ben Laden reprend ici la fameuse citation d’Ibn Taymiyya, la plus fréquente dans
la littérature jihadiste depuis Abd al-Salam Faraj. Voir notamment dans Abdallah Azzam,
Rejoins la caravane !, p. 167, et Ayman al-Zawahiri, L’Allégeance et la Rupture, p. 335.
[29] ↑ L’œcuménisme de Ben Laden prend ici tout son sens et toute son ampleur : il ne
s’agit pas de nier les divisions dogmatiques qui fractionnent l’oumma, ni les convictions
profondes qui séparent les « vrais » musulmans des « faux » croyants, mais cette division
doit être subordonnée, donc ajournée, au bénéfice d’une autre, plus importante, entre les
musulmans et les agresseurs occidentaux.
[30] ↑ Il s’agit du secrétaire d’État à la Défense de Bill Clinton, William Cohen.
[31] ↑ Le 13 novembre 1995, cinq Américains et deux Indiens furent tués dans l’explosion
d’une voiture piégée garée devant le siège de la garde nationale à Riyad. Trois groupes
inconnus revendiquèrent l’action. Quatre islamistes sunnites radicaux saoudiens furent
finalement condamnés et exécutés. Quoiqu’ils n’aient vraisemblablement pas agi pour le
compte de Ben Laden, plusieurs d’entre eux avaient séjourné en Afghanistan dans les
années 1980 et au début des années 1990, et noué des liens avec des membres de, son
organisation. Le 26 juin 1996, l’explosion d’un camion piégé sur une base militaire des
États-Unis à al-Khobar fit 19 morts américains. Les regards se tournèrent d’abord vers le
Hezbollah saoudien, soutenu par l’Iran, qui fut officiellement accusé par les autorités
saoudiennes et américaines. Mais il semble aujourd’hui de plus en plus probable que les
attentats aient été perpétrés par des militants jihadistes proches du réseau d’Oussama ben
Laden.
[32] ↑ En 1983, 241 Marines américains mandatés par les Nations unies au sein d’une
force multinationale de maintien de la paix furent tués à Beyrouth dans un attentat-
suicide au camion piégé revendiqué par le mouvement radical chiite Hezbollah. Les
troupes américaines furent, peu après, rappelées au pays.
[33] ↑ Ben Laden fait ici allusion aux attentats terroristes contre les deux hôtels Gold
Mohur et Mövenpick à Aden, le 29 décembre 1992, perpétrés pour tuer des soldats
américains qui transitaient par le Yémen en route vers la Somalie. Les attentats ne tuèrent
aucun soldat américain (deux touristes moururent et sept furent blessés), car les jihadistes
s’étaient trompés d’hôtels. Cependant, les attentats entrèrent dans la mythologie jihadiste
comme un véritable succès, car les forces américaines quittèrent le Yémen quelques jours
seulement après les explosions.
[34] ↑ Ben Laden oppose ici le courage des jeunes jihadistes à la lâcheté des soldats
américains en utilisant une expression tirée d’un hadith fréquemment cité dans la
littérature islamiste : « Dieu fera que vos ennemis ne vous craindront plus et il placera la
faiblesse dans vos cœurs (…) – Qu’est-ce à dire, ô Envoyé de Dieu ? (…) – L’amour de la vie
et l’aversion pour la mort ». Voir note 3, p. 154, dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[35] ↑ En arabe, [al-jâhiliyya] ; voir note 38, p. 160 dans Abdallah Azzam, Rejoins la
caravane !
Extraits d’un « Entretien avec CNN » [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

– Monsieur Ben Laden, pouvez-vous nous donner une idée des


points essentiels de vos critiques contre la famille royale d’Arabie
Saoudite ?
– Pour ce qui est de nos critiques contre le régime au pouvoir en
Arabie Saoudite, et ceux de la péninsule Arabique en général, elles
portent sur leur soumission aux États-Unis et leur alliance avec eux,
tandis que notre principal problème avec les États-Unis est qu’ils
considèrent le régime saoudien comme un régime valet. Et, en
raison de la soumission du régime saoudien envers les États-Unis et
de son alliance avec eux, un grand péché contre l’islam est commis
puisque le gouvernement des hommes a remplacé celui de Dieu,
alors que l’on devrait gouverner uniquement selon la loi révélée ;
sans parler des autres péchés commis par le régime lorsqu’il viole la
loi de Dieu et corrompt ainsi tous les domaines économiques et
sociaux de l’État. […]
– Les agents des services secrets saoudiens ont-ils tenté de vous
éliminer [2]  ?
– […] Mourir sur la voie de Dieu est un honneur souhaité par ceux
de ma communauté qui luttent ; nous aimons la mort sur la voie de
Dieu autant que vous aimez la vie, nous ne craignons rien, nous
[3]
espérons une telle mort   .
– Quels sont vos plans pour l’avenir ?
– Vous les verrez et en entendrez parler dans les médias [4] , si Dieu
le veut.
– Si l’occasion vous était donnée d’envoyer un message au président
des États-Unis, que lui diriez-vous ?
– La mention du nom du président américain, voire du
gouvernement, suscite ma colère, mon dégoût et ma révolte, parce
que dans nos esprits ces noms évoquent les images d’enfants de dix
ans décapités, ainsi que les images d’enfants aux membres amputés
en Irak [5] , ainsi que les images des mains israéliennes portant les
armes qui détruisent nos enfants [6] . C’est pourquoi les musulmans
détestent les États-Unis et le président américain, dont le cœur est
insensible à ces images. […] Et notre peuple de la péninsule
Arabique va lui envoyer un message, dépourvu de mots car il ne les
comprend pas [7] . Mais si je devais envoyer un message par votre
entremise, cela serait un message aux mères des soldats américains
venus de leur plein gré [8]  parader en uniforme sur notre terre,
alors que les oulémas [religieux] de cette nation sont
emprisonnés [9] . Je considère qu’il s’agit là d’une provocation pour
le milliard deux cent cinquante mille musulmans du monde entier
et j’enjoins à ces mères, si elles tiennent à leurs fils, de se révolter et
de s’opposer à la politique américaine comme au président
américain. Elles ne doivent pas se laisser tromper lorsqu’il salue les
dépouilles des soldats tombés, en accusant les défenseurs de la
liberté d’Arabie Saoudite d’être des terroristes ; elles doivent lui
dire que c’est lui, le terroriste qui a poussé leurs fils vers ce destin
afin de défendre les intérêts israéliens. Car nous savons
pertinemment que l’armée américaine est venue en Arabie
Saoudite pour diviser les musulmans et le peuple afin que l’on ne
gouverne pas selon la loi de Dieu, et aussi afin de soutenir les forces
israéliennes en Palestine occupée, la terre du voyage nocturne de
notre Prophète (que la prière et le salut de Dieu soient sur lui !) [10] .

Notes du chapitre
[1] ↑ Entretien effectué en Afghanistan par Peter Arnett et Peter Bergen, diffusé le 12 mai
1997. Pour une description du déroulement de cet entretien, voir Peter Bergen, Guerre
sainte, multinationale, op. cit., p. 24-31.
[2] ↑ Nous n’avons pas connaissance de tentatives d’assassinat de Ben Laden par les
autorités saoudiennes. Les seules tentatives connues proviennent d’autres islamistes : au
début de 1994, des islamistes soudanais, avec qui il entretenait des divergences
idéologiques, auraient essayé à deux reprises de l’assassiner au Soudan, sans succès.
[3] ↑ Le culte de la mort et du martyre est central dans la culture jihadiste. C’est ce qui,
aux yeux des militants jihadistes, constitue leur force puisque, contrairement à leurs
ennemis, ils n’ont pas peur de mourir. Voir supra, note 34 dans « Déclaration de Jihad… ».
[4] ↑ Le lien entre l’action et les médias est consubstantiel : les plans doivent être « vus »
et « entendus dans les médias ». Cela fait partie de la définition d’une action selon Al-
Qaida : il faut qu’elle soit inscrite sur une surface médiatique.
[5] ↑ Les années 1990, considérées aujourd’hui comme une parenthèse « post-
historique », voire une période « sabbatique » (George W. Bush), furent au contraire au
Moyen-Orient des années d’intense frustration suite à la persistance de la présence
américaine en Arabie Saoudite et à l’embargo contre l’Irak. Le lien établi entre
l’administration Clinton et les affres de la région pendant cette période rappelle que la
haine de l’Amérique n’est pas seulement liée au mandat de Bush.
[6] ↑ Le milieu des années 1990 a vu tensions et violence reprendre au Proche-Orient,
après la période d’accalmie qui avait suivi la signature des accords d’Oslo. Quelques
semaines avant la diffusion de cet entretien, en mars 1997, le lancement du chantier de la
colonie juive de Har Homa, à Jérusalem-Est, avait notamment conduit à une crise grave.
[7] ↑ Il s’agit là d’un leitmotiv dans le discours de Ben Laden : le passage à l’acte, une
sorte de pédagogie par l’exemple, est nécessaire étant donné l’impossibilité de se faire
entendre du pouvoir américain. Ben Laden semble par cette phrase annoncer des attentats
prochains en Arabie Saoudite (après ceux de 1995 et 1996). Or, le pays ne sera de nouveau
frappé par le terrorisme jihadiste qu’en mai 2003, lorsqu’un attentat-suicide de grande
ampleur tuera 34 personnes, dont une majorité d’Occidentaux, dans plusieurs habitations
réservées aux étrangers à Riyad.
[8] ↑ Ben Laden semble ici souligner que le fait que l’armée américaine ne soit pas une
armée de conscription, mais composée de professionnels qui ont choisi d’en faire partie,
constitue une circonstance aggravante. On est encore loin de la logique qui prévaudra
l’année suivante, faisant de tout citoyen américain, quel qu’il soit et où qu’il soit, une cible
légitime.
[9] ↑ Il fait ici référence à l’emprisonnement, par le pouvoir saoudien en 1994, de
plusieurs figures de l’opposition islamiste qui avaient, notamment, dénoncé « l’occupation
américaine du pays et la corruption de la famille royale ». Parmi celles-ci, se trouvent les
deux cheikhs Salman al-Awda et Safar al-Hawali, auxquels Ben Laden avait déjà fait
référence dans sa déclaration de jihad de 1996 (voir note 22, p. 52 dans Ben Laden,
« Déclaration de jihad »). L’ironie du sort voudra qu’après leur libération en 1999, ceux-ci
se rapprocheront du pouvoir et condamneront l’élan de violence jihadiste qui débute avec
les attentats du 11 septembre 2001.
[10] ↑ Voir infra, note 13, p. 72 dans « Entretien avec Al-Jazira ».
« Déclaration du Front islamique
mondial pour le jihad contre les Juifs
et les Croisés » [1] 
Oussama ben Laden
Chef de l’organisation Al-Qaida

Ayman al-Zawahiri
Chef de l’organisation égyptienne Al-Jihad

Mounir Hamza [2] 
Secrétaire de l’Organisation des oulémas (Pakistan)

Fadl al-Rahman Khalil [3] 


émir du Harakat al-ansar (Pakistan)

Cheikh abd al-salam


Mohammad Khan [4] 
émir du Harakat al-jihad (Bengladesh)

Abou Yassir Rifai Ahmad Taha [5] 


Membre du conseil d’Al-Jamaa al-islamiyya (Égypte)

G loire à Dieu qui a révélé le Livre, dispersé les nuées, défait les
opposants et affirmé dans Son livre : {Après que les mois
sacrés se seront écoulés, tuez les polythéistes, partout où vous les
trouverez ; capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des
embuscades} [6] .
Prière et salut sur notre Prophète, Mohammad ben Abdallah, qui a
dit : « J’ai été envoyé avec le sabre, avant le jour du Jugement, pour
que seul Dieu soit adoré. Il a fait de ma lance mon gagne-pain et a
promis l’humiliation et le malheur à celui qui me désobéira. » [7] 
Depuis que Dieu a déployé la péninsule Arabique [8] , créé son désert
et l’a bordé de mers, aucune calamité ne l’a affligée comme ces
armées croisées qui s’y sont déployées tels des criquets, couvrant sa
terre, dévorant sa verdure et profitant de ses ressources. Tout cela
alors que les nations s’accordent pour attaquer les musulmans
comme des sangsues. Il nous faut donc, au moment où les périls
s’accumulent et les aides se font rares, faire face à ce que cachent
les événements actuels, avant de nous mettre d’accord pour les
affronter.
Aujourd’hui, personne ne peut contester trois vérités dont les
preuves abondent et sur lesquelles s’accordent les hommes justes ;
nous les citons pour qui peut les entendre, qu’il en meure ou vive, à
savoir :
1. depuis plus de sept ans, l’Amérique occupe le plus sacré des
territoires musulmans (la péninsule Arabique), pille ses
richesses, donne ses ordres à ses gouvernants, humilie ses
habitants, effraie ses voisins et a fait de ses bases des fers de
lance pour combattre les peuples musulmans voisins. Si jamais
quelqu’un a contesté cette occupation, tous les habitants de la
péninsule la reconnaissent aujourd’hui, et rien ne le montre
mieux que la persistance de l’agression américaine contre le
peuple d’Irak [9]  à partir de la péninsule, bien que tous ses
gouvernants refusent d’utiliser leur territoire à cette fin, tout en
y étant contraints [10]  ;
2. en dépit des immenses destructions subies par le peuple irakien
du fait de la coalition judéo-croisée et malgré le nombre
immense de victimes qui approche le million [11] , en dépit de tout
cela, les Américains essaient encore de répéter ces massacres
effrayants ; comme s’ils ne se contentaient pas de l’embargo suite
à la guerre violente, et du déchirement et de la destruction, ils
viennent aujourd’hui anéantir ce qui reste de ce peuple, et
humilier ses voisins musulmans ;
3. si les buts de guerre des Américains sont religieux et
économiques, ils viennent aussi servir le petit État des Juifs, et
son occupation de Jérusalem, sans parler des assassinats de
musulmans. Rien ne le montre mieux que leur ardeur à détruire
l’Irak, l’État arabe le plus puissant dans la région [12] , et leur souci
de démanteler tous les États de la région comme l’Irak, l’Arabie
Saoudite, l’Égypte et le Soudan pour en faire des États de carton-
pâte [13]  qui assureront, par leur division et leur faiblesse, la
survie d’Israël ainsi que la poursuite de l’inique occupation
croisée de la péninsule Arabique.
Tous ces événements et crimes constituent de la part des
Américains une franche déclaration de guerre contre Dieu et Son
Prophète, et les oulémas savants de toutes les écoles, tout au long
des siècles musulmans, sont d’accord pour affirmer que la guerre
sainte est un devoir individuel [14] . Citons l’imam Ibn Qoudama [15] 
(L’Indispensable), l’imam al-Ghazali [16]  (Les Merveilles) et al-
Qourtoubi [17]  dans son Commentaire, ainsi que le cheikh de
l’islam [18]  dans ses Morceaux choisis, où il écrit : « Quant au combat
défensif, c’est le plus nécessaire de tous, et repousser celui qui
agresse l’honneur et la religion est, de l’avis unanime, un devoir.
Repoussez donc l’agresseur qui corrompt la religion et la vie. » Rien,
sinon la foi, n’est plus nécessaire.
En conséquence, et conformément à l’ordre de Dieu, nous rendons à
tous les musulmans le jugement suivant.
Tuer les Américains et leurs alliés, qu’ils soient civils ou militaires,
est un devoir qui s’impose à tout musulman qui le pourra, dans tout
pays où il se trouvera [19] , et ce jusqu’à ce que soient libérées de leur
emprise la mosquée al-Aqsa comme la grande mosquée de La
Mecque, et jusqu’à ce que leurs armées sortent de tout territoire
musulman, les mains paralysées, les ailes brisées, incapables de
menacer un seul musulman, conformément à Son ordre, qu’Il soit
loué ! : {Combattez les polythéistes totalement, comme ils vous
combattent totalement, et sachez que Dieu est avec ceux qui le
craignent} [20] ,
ainsi qu’à Sa parole : {Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de
[21] [22]
sédition    et que le culte de Dieu soit rétabli}   ,
ainsi qu’à Sa parole : {Pourquoi ne combattez-vous pas dans le
chemin de Dieu, alors que les plus faibles parmi les hommes, les
femmes et les enfants disent : « Notre Seigneur ! Fais-nous sortir de
cette cité dont les habitants sont injustes. Donne-nous un protecteur
choisi par toi ; donne-nous un défenseur choisi par toi !} [23] .
Nous appelons, si Dieu le permet, tout musulman croyant en Dieu et
souhaitant être récompensé par Lui à obtempérer à l’ordre de Dieu
de tuer les Américains et de piller leurs biens [24]  en tout lieu qu’il
les trouve, et à tout moment qu’il pourra. Nous appelons les
oulémas musulmans, leurs chefs [25] , leurs jeunes gens et leurs
soldats à attaquer les soldats de Satan américains ainsi que leurs
alliés, suppôts de Satan, et à les disperser ; alors peut-être se
souviendront-ils. Dieu a dit : {Sachez qu’en vérité, Dieu se place
entre l’homme et son cœur, et que vous serez tous rassemblés
devant lui} [26] ,
et : {Ô vous qui croyez ! Répondez à Dieu et à Son Prophète, lorsqu’il
vous appelle à ce qui fait vivre} [27] ,
et : {Ô vous qui croyez ! Lorsque l’on vous a dit : « Élancez-vous
dans le chemin de Dieu », vous vous êtes appesantis sur la terre.
Préférez-vous la vie de ce monde à la vie future ? Qu’est donc la
jouissance éphémère de cette vie comparée à la vie future sinon
bien peu de chose !} [28] ,
et : {Si vous ne vous lancez pas au combat, Dieu vous châtiera d’un
châtiment douloureux ; il vous remplacera par un autre peuple ;
vous ne lui occasionnerez aucun dommage. – Dieu est puissant sur
toute chose} [29] ,
et : {Ne perdez pas courage ; ne vous affligez pas, alors que vous
êtes des hommes supérieurs, si vous êtes croyants} [30] .
23 février 1998

Notes du chapitre
[1] ↑ Les « croisés » désignent, dans le lexique jihadiste, les États occidentaux perçus
comme étant en guerre contre l’islam et la « nation musulmane ». L’emploi de ce terme
permet d’établir un lien de continuité directe entre les croisades médiévales et les
ingérences politico-militaires actuelles de certains pays occidentaux au Mqven-Orient. Le
terme permet également d’inscrire la politique de l’État d’Israël, vu comme un Etat croisé,
dans la même filiation.
[2] ↑ Mir Hamza, islamiste pakistanais.
[3] ↑ Fazlur Rahman Khalil, célèbre islamiste radical pakistanais.
[4] ↑ Cheikh Abd al-Salam Mohammad Khan, émir du Harakat al-jihad au Bangladesh.
Notons la signature de représentants d’organisations de petite taille, relativement
marginales dans les pays où s’inscrivent leurs luttes. L’accumulation de noms
d’organisations et de pays a pour principale fonction de produire l’impression d’un appel
très largement soutenu dans le monde musulman.
[5] ↑ Abou Yassir Rifai Ahmad Taha, membre éminent du groupe islamiste égyptien Al-
jamaa al-islamiyya. Il se retira du Front islamique mondial par la suite, fut arrêté en Syrie
puis livré aux autorités égyptiennes qui l’exécutèrent. Signant ici à titre personnel, il fut
désavoué par son organisation, dont le guide spirituel, le cheikh Omar Abdel Rahman, est
emprisonné aux États-Unis. La majorité de sa direction fut engagée dans un processus de
« trêve » avec le pouvoir égyptien, à la suite de la tuerie de dizaines de touristes étrangers
à Louxor, à l’automne 1997, qui coupa le groupe d’une partie de ses soutiens.
[6] ↑ Coran, 9/5. La sourate 9, sourate de la rupture ([al-barâ’a]) ou de la repentance ([al-
tawba]), contient certains des passages les plus belliqueux du Coran et se trouve par
conséquent abondamment citée par les idéologues jihadistes. Le cinquième verset de cette
sourate, ont seule la première partie est citée ici, est le fameux « verset de l’épée » ([âyat al-
sayfl). Pour les islamistes, le verset de l’épée abroge tout autre verset appelant à une
attitude conciliante à l’égard des non-musulmans.
[7] ↑ Ce hadith figure dans le Musnad d’Ahmad Ibn Hanbal.
[8] ↑ En arabe, [jazîrat al-‘arab], l’île des Arabes, allusion à la fois à la géographie assez
hostile, mais protectrice, de la péninsule, et à son histoire rétive aux invasions étrangères.
Techniquement, le terme « péninsule Arabique » inclut tous les pays de la péninsule, c’est-
à-dire l’Arabie Saoudite, le Yémen, ainsi que les pays du golfe, d’Oman jusqu’au Koweït.
C’est pourtant, avec l’expression « le pays des deux lieux saints », la manière dont Ben
Laden, et plus généralement l’opposition saoudienne, désigne l’Arabie Saoudite. Ce qui
rappelle aussi le hadith, répété à l’envi par Ben Laden, qui ordonne : « Expulsez les Juifs et
les chrétiens de jazîrat al-‘arab » une des dernières volontés de Mohammad, qu’il aurait
prononcée à l’article de la mort.
[9] ↑ La défense du peuple d’Irak – à majorité chiite – par Ben Laden est exemplaire de la
manière dont il occulte une réalité dérangeante – les chiites – au profit de la mobilisation
d’un symbole porteur dans le monde arabe – Bagdad, et plus généralement l’Irak comme
emblème du califat et de l’âge d’or arabe-musulman.
[10] ↑ L’un des nombreux reproches alors adressés par Ben Laden au régime saoudien
est de permettre aux États-Unis et à la Grande-Bretagne de se servir des bases présentes
sur son territoire pour lancer des raids dans les zones d’exclusion aérienne de l’ONU en
territoire irakien.
[11] ↑ Cette estimation des victimes indirectes de l’embargo est également celle donnée à
l’époque par diverses ONG occidentales, notamment en raison de la très forte augmentation
de la mortalité infantile.
[12] ↑ L’Irak a été considéré par la littérature arabe nationaliste d’obédience baathiste
comme un « État-pivot », en concurrence avec la Syrie, d’où pouvait s’organiser une nation
arabe unifiée. Ben Laden n’hésite donc pas ici à récupérer la rhétorique nationaliste arabe
pour appuyer sa démonstration.
[13] ↑ L’auteur oppose délibérément une liste d’États de grande superficie, avec
d’importantes populations, aux États de « carton-pâte », qui ne sont pas cités nommément,
mais on sait que sont visées ici les petites principautés pétrolières du Golfe. L’auteur
reprend un lieu commun du nationalisme arabe, qui stigmatise le morcellement
([inqisâm]) de la nation par l’impérialisme occidental. L’expression se retrouve chez al-
Zarqawi (voir p. 389).
[14] ↑ En arabe, [fard ‘ayn]. Voir note 45, p. 146 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[15] ↑ Théologien hanbalite (1147-1223), Mouwwafaq ibn Qoudama al-Maqdissi est
surtout connu comme l’auteur de L’Indispensable ([Al-mughnî fî charh mukhtasar al-
khiraqî]). Né près de Jérusalem, il quitta sa localité natale avec sa famille alors qu’il était
encore enfant, probablement suite à la persécution des musulmans par les Francs. Établi à
Damas, il y reçut son éducation par des maîtres hanbalites, et la compléta à Bagdad.
L’Indispensable est un manuel de droit hanbalite. Al-Maqdissi est également connu pour
des écrits polémiques contre les philosophes. Comme plusieurs autres savants,
spécialement hanbalites, de l’époque, il participa lui-même à une expédition militaire, celle
de 1187, menée par Saladin et qui devait déboucher sur la reconquête de Jérusalem,
occupée par les croisés. L auteur se plaît à se référer à des oulémas ayant également
endossé l’habit du militant à des moments cruciaux ou critiques de l’histoire musulmane.
C’est le cas d’Ibn Hanbal, Ibn Qoudama et Ibn Taymiyya, qui furent à la fois des
théologiens, des juristes et des individus extrêmement engagés, parfois au risque de leur
vie, dans la vie politique et militaire de leur époque.
[16] ↑ Mohammad al-Ghazali, né à Tous (Khorassan, nord-est de l’actuel Iran, près de
Mechhed) en 1058, se fit une renommée à la cour du vizir Nizam al-Mulk en tant que
théologien. Nommé professeur à l’école Nizamiyya, fondée par le vizir de Bagdad pour
revaloriser le sunnisme face aux poussées doctrinales des chiites de toutes obédiences, il y
resta quatre ans, au cours desquels il écrivit également des ouvrages de philosophie. En
1095, il abandonna son enseignement et se retira de la vie publique pour une période de
onze ans, durant laquelle il voyagea dans tout le Moyen-Orient et fit le pèlerinage. Én 1106,
il reprit l’enseignement jusqu’à sa mort en 1111, dans sa ville natale. Parmi ses principales
œuvres, le fameux La Confusion des philosophes ([tahâfut al-falâsifa]), terminé peu avant sa
retraite en 1095, ouvrage dans lequel il attaque les philosophes hellénisants sur des points
de doctrine qui sont, selon lui, en contradiction avec le dogme sunnite. La Revivification
des sciences religieuses ([ihyâ’ ‘ulûm al-dîn]), traité en quatre volumes qui expose
l’ensemble des dimensions de la vie religieuse du musulman, vise à épurer le sunnisme et
à conduire le croyant sur la voie du salut. Son œuvre demeure très lue et étudiée
aujourd’hui au sein du monde musulman.

[17] ↑ Le cheikh Mohammad al-Qourtoubi est un ouléma malékite andalou du XIIIe siècle
(mort en 1272), né à Cordoue. Célèbre dans l’ensemble du monde, musulman pour son
savoir religieux et philologique, il voyagea en Orient et mourut en Haute-Egypte. Son
commentaire du Coran constitue aujourd’hui l’une des références en la matière. Parmi les
qualités reconnues de son commentaire, les références réduites aux sources apocryphes
ou externes (gnose, légendes pré-islamiques ou bibliques) telles qu’elles existent en grand
nombre chez les autres commentateurs. C’est cet aspect de son travail, épuré, qui le
rendrait séduisant aux yeux de Ben Laden.
[18] ↑ Le « cheikh de l’islam » est un titre honorifique désignant le fameux ouléma
hanbalite Taqi al-Din ibn Taymiyya (1263-1328). Voir note 60, p. 166 dans Abdallah Azzam,
Rejoins la caravane !
[19] ↑ Le jihad, qui est en général attaché à un territoire, se voit donc ici déterritorialisé et
étendu à l’univers par les signataires de la fatwa, ce qui constitue une rupture claire avec
la tradition classique. Cela avait déjà été le cas en 1989 avec la fatwa de Khomeyni faisant
du meurtre de Salman Rushdie un devoir pour tous les musulmans du monde. Ici, les
« Américains » ne sont pas considérés comme des apostats ([ahl al-ridda]), tel le romancier
Salman Rushdie (auteur des Versets sataniques) condamné par Khomeyni, mais plutôt
comme des ennemis universels, et le châtiment qu’ils encourent est donc d’une valeur
universelle, applicable partout dans le monde.
[20] ↑ Coran, 9/36.
[21] ↑ Le terme de [fitna] tel qu’employé ici désigne toute division au sein de la
communauté des musulmans. Ce terme, à l’origine, renvoie à l’idée d’épreuve, de
tentation, de mise en examen de la foi de celui qui est éprouvé. La [fitna], dans le même
ordre d’idée, désigne les épreuves que subirait le défunt. Historiquement, le terme renvoie
aux guerres de succession qui ont déchiré la communauté musulmane primitive, opposant
les partisans d’Ali, gendre et cousin du Prophète, à ceux des califes qoraychites (d’abord
Omar et Othman, ensuite la famille de Mouawiya). Le terme est hautement polémique et
s’utilise en fonction de la position de l’un ou de l’autre : ainsi, la répression des Hanbalites
par le pouvoir abbasside au IXe siècle fut menée au nom de la lutte contre la fitna, ici dans
le sens de sédition, d’irrédentisme fatal à l’unité. Les Hanbalites, eux, parleront plutôt
d’épreuve [mihna], imposée aux justes par les despotes. Ces jeux de langages se retrouvent
de nos jours : les mouvements islamistes jihadistes sont souvent accusés de provoquer la
fitna, alors qu’eux-mêmes disent préférer le jihad à l’impiété, au risque du chaos, à la
soumission. (Sur cette dialectique du jihad et de la fitna, voir les deux livres de G. Kepel :
Jihad. Expansion et déclin de l’islamisme, op. cit., et Fitna. Guerre au cœur de l’Islam, op. cit.)
[22] ↑ Coran, 2/193.
[23] ↑ Coran, 4/75.
[24] ↑ La doctrine classique du jihad permet de saisir les biens de l’ennemi non-
musulman vaincu, y compris les femmes et les enfants, qui, une fois aux mains des
musulmans, sont convertis ou réduits en esclavage.
[25] ↑ Ben Laden se pose donc ici plus en conseiller du prince qu’en chef de la
communauté des musulmans. On est loin de certaines déclarations où il dénie aux
gouvernements en place dans les pays musulmans toute légitimité. Cette posture
« légaliste » s’insère dans son discours en concurrence avec une vision plus
révolutionnaire.
[26] ↑ Coran, 8/24. La seconde partie du verset est citée avant la première.
[27] ↑ Coran, 8/24.
[28] ↑ Coran, 9/38.
[29] ↑ Coran, 9/39.
[30] ↑ Coran, 3/139. Cette litanie de versets du Coran en conclusion est typique des fatwas
classiques, et permet d’insérer celle-ci dans une filiation scolastique reconnue. L’objectif
est de faire de ce texte très politique une « fatwa comme les autres ».
Extraits d’un « Entretien avec Al-
Jazira » [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

O ussama ben Mohammad ben Awad ben Laden, Dieu (qu’Il soit
loué et exalté !) lui a accordé de naître de parents musulmans
dans la péninsule Arabique, à Ryad, dans le quartier d’al-Malazz [2] ,
en 1377 de l’hégire [3] . Ensuite Dieu (qu’Il soit loué et exalté !) nous a
accordé de partir à Médine six mois après ma naissance, puis nous
avons résidé au Hedjaz, dans les villes de La Mecque, Jeddah et
Médine [4] .
Mon père, le cheikh [5]  Mohammad ben Awad ben Laden était,
comme chacun sait, né au Hadramawt [6] , qu’il quitta pour venir
travailler au Hedjaz, il y a un certain temps, plus de soixante-dix
ans. Puis Dieu le favorisa, en l’honorant comme aucun constructeur
ne l’avait été, car il œuvra à l’agrandissement de la grande mosquée
de La Mecque [7]  où se trouve la sainte Kaaba [8] . Dans le même
temps, grâce à Dieu (qu’Il soit loué et exalté !), il travailla à
l’agrandissement de la mosquée du Prophète [9]  (que Dieu accorde à
notre prophète la meilleure prière et le meilleur salut !).
Lorsqu’il apprit que le gouvernement jordanien avait publié un
appel d’offre pour la restauration du Dôme du Rocher [10] , il réunit
ses ingénieurs et leur demanda d’établir un devis à prix coûtant. Ils
lui dirent alors :
– « Nous emporterons, si Dieu le veut, ce projet tout en gagnant de
l’argent. »
À quoi il répondit : « Établissez un devis sans intérêt. » [11] 
Lorsque cela fut fait, ils eurent la surprise de constater qu’il (que
Dieu ait son âme !) avait rabaissé le prix du devis afin d’assurer lui-
même ce service des maisons de Dieu [12] , et notamment de cette
mosquée. Ainsi il emporta le projet et, grâce à Dieu, il lui arrivait
parfois de prier le même jour dans les trois mosquées [13]  (que Dieu
ait son âme !). On sait qu’il fût l’un des fondateurs des
infrastructures du royaume d’Arabie Saoudite [14] .
Ensuite, j’ai étudié l’économie au Hedjaz, à l’université de Jedda, ou
ce que l’on appelle l’université du Roi Abd al-Aziz [15] , mais très tôt
j’ai travaillé sur les routes [16] , dans la société de mon père (que Dieu
ait son âme !), sachant que lorsque mon père mourut, je n’avais que
dix ans [17] . Voilà ce que l’on peut dire brièvement d’Oussama ben
Laden.
Quant à ce que nous voulons, nous voulons et réclamons ce qui est
un droit pour toute créature vivante [18] , à savoir que notre terre
soit délivrée des ennemis, qu’elle soit délivrée des Américains [19] .
Toute créature vivante a été pourvue par Dieu (qu’Il soit loué et
exalté !) d’une ardeur instinctive qui fait qu’elle refuse tout
envahisseur ; prenez, excusez-moi du peu, l’exemple des animaux
domestiques. Si un homme armé pénètre sur son territoire, une
poule le combattra même si elle n’est qu’une poule… Nous
réclamons donc un droit commun à toutes les créatures vivantes, à
tous les hommes, sans parler des musulmans [20] . Au vu de ce que
les pays musulmans ont subi comme agression, notamment les
lieux saints, à commencer par la mosquée al-Aqsa, qui fut la
[21]
première qibla    du Prophète (que la prière et le salut soient sur
lui !), puis la persistance de l’agression [22]  de la coalition judéo-
croisée dirigée par l’Amérique et Israël qui a pris le pays des deux
sanctuaires [23]  (nulle puissance et nulle force sinon par Lui !), nous
tentons d’inciter la communauté musulmane mondiale à libérer
notre terre et à mener un jihad pour la cause de Dieu (qu’Il soit loué
et exalté !) afin que la loi révélée règne et que la parole de Dieu
l’emporte [24] .

[Les objectifs d’Oussama Ben Laden]


Dieu soit loué ! Comme je l’ai dit, nous avons la conviction profonde
(et je le dis au vu de ce que pratiquent à notre encontre les
principaux régimes politiques et les médias) qu’ils veulent nous
priver de notre virilité [25] . Nous nous considérons comme des
hommes, et des hommes musulmans [26] , qui doivent défendre le
monument le plus sacré au monde, la sainte Kaaba, ce dont nous
sommes honorés. Nous ne souhaitons pas laisser à des femmes
soldats [27]  américaines, juives ou chrétiennes, la défense des
descendants de Saad et d’al-Mouthanna, d’Abou Bakr et d’Omar [28] .
Même si Dieu ne nous avait pas gratifiés du don de l’islam, nos
ancêtres païens [29]  auraient refusé la venue de ces mulets [30]  rouges
sous ce prétexte, prétexte que l’on n’oserait donner à des enfants.
Les gouvernants de cette région ont dit : « Les Américains ne sont
venus que pour quelques mois » [31] , en mentant du début jusqu’à la
fin. « Trois types d’hommes ne seront pas acceptés par Dieu au jour
du Jugement », a dit notre Prophète (que Dieu lui accorde Sa
bénédiction et Son salut !) et il a cité parmi eux « un roi
menteur » [32] . Quelques mois sont passés, une année est passée puis
une deuxième, nous sommes maintenant à la neuvième année et les
Américains mentent à tout le monde, en disant : « Nous avons des
intérêts dans la région, et nous ne bougerons pas tant que nous ne
les aurons pas garantis. » Un ennemi pénètre chez vous pour voler
votre argent. Vous lui dites : « Tu me voles ? » Il vous répond :
« Non… Je défends mon intérêt. » Ils nous trompent et les
gouvernements de cette région sont tombés dans le piège. Peut-être
ont-ils perdu leur virilité, et estiment-ils que les hommes sont des
[33]
femmes. Mais, par Dieu, les femmes musulmanes libres    refusent
d’être défendues par ces putains américaines et juives. Notre
objectif est donc d’appliquer la loi révélée et de défendre la sainte
Kaaba, cette Kaaba grandiose, ce monument vénérable. Dieu (qu’Il
soit loué et exalté !) a créé les hommes sur cette terre pour les
unifier par le culte, et le plus important des cultes, après la foi et la
prière, est, comme il est écrit dans L’Authentique [34]  : « Si la base de
l’islam est la prière, son sommet est le jihad. » [35]  Donc, Dieu (qu’Il
soit loué et exalté !) n’accepte pas notre prière si nous ne nous
dirigeons pas vers ce vénérable monument, et il a choisi le meilleur
des hommes, l’ancêtre des prophètes (que la prière soit sur lui !),
Abraham, après notre Prophète (que la prière et le salut soient sur
lui !), pour l’édifier [36]  ainsi qu’Ismaël. Notre but est donc de libérer
le pays de l’islam de l’impiété et d’y appliquer la loi de Dieu (qu’Il
soit loué et exalté !) [37] .
Notes du chapitre
[1] ↑ En décembre 1998. La question du journaliste Jamal Ismail était : « Qui est Oussama
ben Laden ? ». Dans sa réponse, Ben Laden se nomme, à la manière traditionnelle, en
donnant le nom de ses ascendants mâles mais à la troisième personne, avant de revenir à
la première.
[2] ↑ Le quartier d’al-Malazz rassemblait à cette époque une importante partie des
expatriés venus des autres pays arabes travailler à Riyad. Il avait alors la réputation d être
beaucoup plus libéral que le reste de la ville, puisque les mœurs de ses habitants étaient
plus proches de celles du reste du Moyen-Orient que de la norme wahhabite en vigueur
dans le Na|d. Pour les plus radicaux des oulémas d’alors, al-Malazz constituait une enclave
impie en territoire musulman. Ben Laden, quittant al-Malazz pour Médine, fait donc en
quelque sorte son « hégire » – rappelant l’émigration du prophète Mahomet qui, en 622,
quitta La Mecque, encore païenne, pour Médine. Cette référence peut ici être perçue
comme participant de la construction symbolique du personnage de « sauveur de l’islam »
entreprise par Ben Laden.
[3] ↑ Soit le 10 mars 1957.
[4] ↑ Les biographies disponibles ne mentionnent pas de séjours à La Mecque et à
Médine, les deux villes saintes. Ces séjours pourraient correspondre à de courtes périodes
où la famille, ou Oussama seul, a accompagné le père en inspection sur un chantier.
L’affirmation de ces résidences contribue à la construction de l’image d’Oussama ben
Laden comme prédestiné à sauver l’islam. Sur le désir de Ben Laden d’apparaître comme
un Médinois, et sur ce que cela implique, voir note 11, p. 40 dans Ben Laden, La Tanière des
compagnons.
[5] ↑ Le terme de cheikh désigne à la fois un homme sage, d’un certain âge, et une
personne versée dans les sciences de la religion. Bien que son père, analphabète, fût
surtout respecté pour sa position sociale et professionnelle, l’auteur joue sur cette
ambivalence pour se réclamer d’une filiation qui puisse légitimer ses prétentions
religieuses.
[6] ↑ Région méridionale du Yémen, traditionnellement exportatrice d’hommes ; ses
habitants sont connus, sur le pourtour de l’océan Indien, pour leur ardeur au travail et
leur frugalité.
[7] ↑ Ce projet d’agrandissement de La Mecque, lancé en 1955, a fait passer la superficie
totale de la mosquée de 30 000 mètres carrés à 200 000 mètres carrés. La faveur de Dieu
est double : l’attribution de ce projet au père de Ben Laden lui a permis de décupler sa
fortune, en plus de le désigner comme « élu » de Dieu.
[8] ↑ Construction de forme cubique (d’une quinzaine de mètres de côté) au centre du
[haram] (sanctuaire) de La Mecque. La Kaaba représente le point de convergence de la
prière de tous les musulmans (la [qibla]). Fondée, selon la tradition musulmane, par
Abraham, aidé de son fils Ismaël (Coran, 2/125), elle comporte une pierre noire, morceau
de roche basaltique dont le diamètre est d’environ 30 cm, enchâssée dans un de ses angles.
Au cours de l’Histoire, la Kaaba a été plusieurs fois détruite, reconstruite ou restaurée.
[9] ↑ Agrandissement lancé en 1951, qui porta la superficie de la mosquée de Médine (où
se trouve le tombeau du Prophète) de 6 000 mètres carrés à 16 000 mètres carrés. Le père
d’Oussama ben Laden a donc été chargé de rénover les deux lieux les plus saints de l’islam.
[10] ↑ Aussi appelé, à tort, mosquée d’Omar, il fut bâti en 691-692 sur l’ordre du calife
omeyyade Abd al-Malik ibn Marwan sur l’emplacement d’une petite mosquée construite
par le calife Omar à l’occasion de la prise de Jérusalem par les musulmans. Voir infra.
[11] ↑ L’usure [ribâ] est interdite par le Coran (2/276-281), l’expression employée ici est
« prêt sans intérêt » qui évoque cet interdit.
[12] ↑ Il s’agit là d’une allusion directe au titre de « Serviteur des deux lieux saints » que
s’est attribué le roi d’Arabie Saoudite en 1986. Ce titre avait été porté pour la première fois
par Saladin, pour réduire la légitimité du calife abbasside de Bagdad. La même rivalité
pour la légitimité est donc en œuvre : Ben Laden conteste aux Saoud leur capacité à servir
(et donc, entre autres, à défendre) les lieux saints de l’islam.
[13] ↑ Les trois mosquées désignées ici sont la Grande Mosquée de La Mecque, la
mosquée du Prophète à Médine, et le Dôme du Rocher à Jérusalem. On peut voir ici une
allusion au voyage nocturne (isrâ’) qu’aurait, selon la tradition musulmane, accompli
Mohammad, entre « la mosquée la plus proche » (La Mecque) et la « mosquée la plus
éloignée » (littéralement [al-masjid al-aqsâ], ou Dôme du Rocher) (Coran 17/1). Cela
participe de la mythification du personnage du père – et de la famille – de Ben Laden.
[14] ↑ Mohammad ben Laden, né au Yémen, émigra en Arabie Saoudite et y fonda en
1931 une entreprise de travaux publics qui est devenu le Saudi Binladen Group. Il y a là
une allusion, peut-être inconsciente, au monopole symbolique qu’exerce le roi Abd al-Aziz,
fondateur du royaume, sur l’histoire du pays, et qu’Oussama, fils d’un autre fondateur,
veut disputer à ses fils.
[15] ↑ Ben Laden critique ici la tendance de la famille royale saoudienne à s’approprier
symboliquement les institutions du pays. On peut aussi y voir une attaque contre le roi
Abd al-Aziz Ibn Saoud, fondateur de l’État saoudien moderne.
[16] ↑ Ben Laden s’est chargé de la construction d’importantes infrastructures pendant la
guerre d’Afghanistan, puis au Soudan. Il fait remonter son expérience de bâtisseur à
l’enfance, bien qu’il n’ait en vérité fait qu’accompagner occasionnellement son père sur
des chantiers. Voir La Tanière des compagnons, p. 39.
[17] ↑ Le père d’Oussama mourut en 1967 dans un accident d’avion alors qu’il inspectait
le chantier de la route 15, laquelle traverse la province d’Assir.
[18] ↑ Dans la controverse sur l’universalité des droits de l’homme, certains penseurs et
théoriciens islamistes invoquent la notion de « droit des créatures vivantes », qu’on peut
forger à partir du texte coranique comme concept endogène. Ben Laden tente ainsi
d’inscrire son combat dans un statut à la fois universel et purement islamique.
[19] ↑ La diversité de ceux que Ben Laden considère comme les « ennemis » du monde
musulman apparaît ici comme réductible aux seuls « Américains », perçus comme la
colonne vertébrale du système à abattre.
[20] ↑ Au-delà du droit des musulmans à se défendre et à défendre leurs lieux saints, Ben
Laden en appelle à un droit universel à la résistance contre l’occupation et l’oppression.
Cette oscillation entre le religieux, le national et l’universel se retrouve fréquemment dans
le discours de Ben Laden.
[21] ↑ Direction vers laquelle les musulmans se tournent pour prier. Vers 624,
Mohammad fixa l’orientation de la prière vers la Kaaba de La Mecque ; durant les seize
mois précédents, les premiers musulmans se tournaient vers Jérusalem.
[22] ↑ L’auteur fait référence à l’arrivée en Arabie Saoudite lors de l’été 1990 des troupes
alliées dirigées par les États-Unis, venues protéger, à la demande des autorités
saoudiennes, le pays d’une éventuelle invasion irakienne.
[23] ↑ Ben Laden refuse ici de parler d’« Arabie Saoudite », ce qui équivaudrait à
reconnaître la légitimité de la famille Saoud. Il préfère donc désigner le pays par ses deux
lieux saints, La Mecque et Médine.
[24] ↑ On note ici un changement subtil du registre de légitimation, du national (« libérer
notre terre ») à l’eschatologique (« que la parole de Dieu l’emporte »).
[25] ↑ En arabe, il existe trois termes correspondant au français « virilité » : [muruwa]
désigne les valeurs qui caractérisent un homme arabe accompli dans la tradition littéraire
classique (hospitalité, générosité, sens de l’honneur), [fuhûla] désigne plus spécifiquement
la virilité dans son acception sexuelle. Ici, Ben Laden utilise le terme de [rujûla], de [rajul],
« homme », signifiant la virilité dans ses dimensions sociales et morales traditionnelles :
défense des siens et de leurs biens, courage, etc.
[26] ↑ Là aussi, la légitimation du droit de défense est double : en tant qu’hommes
(niveau biologique, qui rejoint les considérations précédentes sur les droits des créatures
vivantes) et en tant que musulmans (en second point).
[27] ↑ Ben Laden fait ici référence à la présence, au sein des contingents occidentaux
envoyés en Arabie Saoudite au lendemain de l’invasion du Koweït, de femmes soldats. La
vue de celles-ci au volant de voitures militaires dans les villes d’Arabie Saoudite (où les
femmes sont le plus souvent recluses dans l’espace privé et n’ont en aucun cas le droit de
conduire un véhicule) a profondément choqué la partie la plus conservatrice de la société
saoudienne, et le thème des « femmes soldats » a été repris en chœur par les prêcheurs de
l’opposition islamiste naissante, qui en ont fait l’un des symboles de ce qu’ils dénoncent
comme une « occupation américaine de la terre des deux lieux saints ». La colère de ces
prêcheurs a été amplifiée par la réaction des Saoudiens les plus libéraux, qui ont profité de
l’occasion pour appeler à la levée des restrictions sociales imposées par l’institution
religieuse wahhabite. L’une des actions les plus spectaculaires entreprises dans ce sens a
été l’organisation le 6 novembre 1990 d’une manifestation de 70 femmes au volant,
revendiquant le droit de conduire.
[28] ↑ Compagnons du Prophète. Le premier, al-Mouthanna Ibn Haritha al-Chaybani, fut
un grand général lors des conquêtes initiales et fut nommé chef des armées musulmanes
en Irak. Les deux suivants furent les deux premiers califes de l’islam, de 632 à 634 puis de
634 à 644.
[29] ↑ Ben Laden n’hésite pas à se réclamer de l’exemple des Arabes de la [jâhiliyya],
époque précédant l’avènement de l’islam. Ce recours à l’exemplarité des Arabes païens, en
termes de valeurs et de noblesse, est courant dans les mouvements nationalistes arabes
depuis la [nahda], la renaissance culturelle arabe du XIXe siècle. En revanche, il est
absolument combattu par les islamistes. Ben Laden est l’un des rares à puiser
indifféremment dans les deux registres.
[30] ↑ En arabe, [‘ulûj], dénomination injurieuse des non-musulmans, reprise en 2003 par
Saddam Hussein et son ministre de l’Information, Mohammad Said al-Sahhaf, pour
désigner les Américains. Un autre usage du terme, plus usité au Maghreb, désigne les
renégats chrétiens assés en tant que mercenaires au service des musulmans, [‘ulûj],
renvoyant à leur caractère bâtard, entre deux allégeances.
[31] ↑ Lorsque les forces de la coalition américaine s’installèrent en Arabie Saoudite lors
de l’été 1990, il était entendu que ces forces ne resteraient sur le territoire saoudien que le
temps de la guerre. Or, il a fallu attendre 2003, après la seconde guerre américaine contre
l’Irak, pour que les bases américaines soient officiellement transférées hors de l’Arabie
Saoudite. Mais il n en reste pas moins qu’aux yeux de nombreux Saoudiens, la présence
américaine s’est simplement faite plus discrète.
[32] ↑ C’est le roi Fahd ben Abd al-Aziz, à la tête de l’Arabie Saoudite depuis 1982, qui est
visé par cette critique.
[33] ↑ Ben Laden semble ici accorder aux femmes un rôle dans le jihad face aux forces
occidentales. On retrouve fréquemment cette position chez les idéologues jihadistes qui
considèrent que la femme peut contribuer au jihad, notamment en élevant ses enfants
dans les principes de la lutte. On a même pu voir apparaître des magazines jihadistes
consacrés aux femmes, comme ce fut le cas en Arabie Saoudite au mois d’août 2004
lorsque parut le premier numéro de la revue Al-Khansâ’ (du nom d’une poétesse arabe de
la période préislamique, connue pour ses poèmes où elle pleure ses deux frères morts au
combat, et qui aurait, selon certaines traditions, rencontré le prophète Mohammad à la fin
de sa vie puis se serait convertie à l’islam).
[34] ↑ Voir note 15, p. 154 dans Azzam, Rejoins la caravane !
[35] ↑ Le hadith cité ici est central dans l’argumentaire du mouvement jihadiste, dont les
partisans veulent faire du jihad une obligation canonique, au même titre que les
prescriptions rituelles fondamentales, les [‘ibâdât]. Le jihad devient par conséquent un
devoir individuel ([fard ‘ayn]) pour tous les musulmans du monde alors qu’il était plutôt
conçu dans la tradition classique comme un devoir collectif ([fard kifâya]), hormis pour
ceux qui sont directement attaqués et mènent un jihad de défense ([jihâd al-daf‘]).
[36] ↑ Dans la tradition musulmane, ce furent en effet les prophètes Abraham et Ismaël
qui bâtirent la Kaaba.
[37] ↑ On note dans ce paragraphe un nouveau glissement du registre de légitimation,
cette fois-ci de l’universel (« tout homme agirait de même ») au spécifiquement islamique
(« notre objectif est donc d’appliquer la loi révélée »).
Extraits de « Recommandations
tactiques » [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

L es historiens racontent comment, al-Mouthanna al-Chaybani [2] 


(que Dieu ait son âme !) étant venu à Médine [3]  demander au
calife des renforts pour combattre les Perses, Omar (que Dieu
l’agrée !) encouragea les hommes au combat trois jours durant mais
personne ne vint. Ayant compris ce que les hommes pensaient du
combat contre la superpuissance [4] , il ordonna à al-Mouthanna de
s’adresser à eux et de leur rapporter ce que Dieu lui avait permis de
réaliser contre les Perses afin de leur ôter toute crainte. Alors al-
Mouthanna se leva, leur adressa la parole et les exhorta au combat :
« Ô hommes, que cette face ne vous effraie pas car nous avons
pénétré en Perse, avons vaincu ses soldats en faisant une percée par
deux points du sud de l’Irak, puis nous nous sommes partagés leurs
dépouilles, avons fait un bon butin et nous nous sommes enhardis
contre eux, et, si Dieu le veut, ce n’est pas fini. » Alors tous furent
enthousiasmés, Abou Oubayd al-Thaqafi [5]  se leva, le calife lui remit
l’étendard et ils marchèrent au combat (que Dieu les agrée !)
(L’Encyclopédie historique, vol. 2, p. 322-323) [6] .
Ne vous laissez pas impressionner par cette face, celle de
l’Amérique et de son armée, car nous les avons frappés à maintes
reprises et les avons battus maintes fois : ce sont les plus lâches des
hommes. En affrontant l’ennemi américain, nous avons bien vu
qu’il a surtout recours à la guerre psychologique, du fait de ses
énormes moyens de propagande, ainsi qu’aux bombardements
aériens massifs afin de masquer ses points faibles : la peur, la
couardise et le manque d’esprit combatif du soldat américain. Si
j’en avais le loisir, je vous raconterais des choses presque
[7]
incroyables à propos des combats de Tora Bora    en Afghanistan,
mais j’espère que Dieu me permettra de le faire plus tard.
Laissez-moi tout d’abord rappeler quelques défaites infligées aux
grandes puissances par les combattants de la guerre sainte.
1/ La défaite de l’ex-Union soviétique, laquelle n’est plus qu’un
souvenir, après dix ans de combat féroce avec les Afghans et les
musulmans qui les ont aidés, grâce à Dieu [8] .
2/ La défaite des Russes en Tchétchénie par les combattants de la
guerre sainte qui donnèrent les plus belles preuves de sacrifice.
Durant cette première guerre, les combattants tchétchènes avec
leurs frères et compagnons arabes [9]  brisèrent l’orgueil des Russes,
et leur infligèrent pertes sur pertes, avant qu’ils ne se retirent
battus à plate couture. Puis les Russes revinrent soutenus par les
Américains, et la Russie subit encore des pertes énormes de la part
d’un petit groupe de croyants, dont nous souhaitons que Dieu les
raffermisse et les soutienne [10] .
3/ De même, je vous rappellerai la défaite des forces américaines en
1402 de l’hégire, lorsque les Fils d’Israël ont envahi le Liban et que
la résistance a envoyé au centre des forces américaines (Marines) à
Beyrouth un camion bourré d’explosifs qui en a tué plus de 250,
lesquels sont allés en enfer subir un destin funeste [11] .
4/ Puis, après la deuxième guerre du Golfe, l’Amérique a envoyé son
armée en Somalie et 13 000 musulmans furent tués là-bas (il n’y a
de force et de puissance qu’en Dieu !) [12] . Mais lorsque les lions de
l’islam parmi les Arabes afghans bondirent et s’opposèrent à elle
aux côtés de leurs frères dans cette terre, ils ont pu écraser son
orgueil dans la poussière [13] . Ils tuèrent ses soldats, détruisirent
leurs chars, et abattirent leurs hélicoptères. Et par une nuit obscure,
l’Amérique et ses alliés se sont enfuis dans la panique, Dieu en soit
loué et remercié ! [14] 
5/ À cette époque, les jeunes gens du jihad préparèrent un attentat
contre les Américains au Yémen, mais durent s’enfuir, bien qu’ils ne
fussent pas lâches, en vingt-quatre heures.
6/ En l’an 1415 de l’hégire, un attentat est survenu à Riyad qui tua
quatre Américains, en guise de message montrant l’opposition des
habitants à la politique américaine de soutien aux Juifs et
d’occupation du pays des deux sanctuaires [15] .
7/ L’années suivante, une autre explosion est survenue à al-Khobar,
tuant 19 personnes et en blessant plus de 400, ce qui contraignit les
Américains à transférer leurs principaux centres militaires des
villes à des bases dans le désert [16] .
8/ Ensuite, en l’an 1418 de l’hégire, des combattants de la guerre
sainte intimèrent publiquement à l’Amérique de cesser de soutenir
les Juifs et de quitter la terre des deux lieux saints. Mais l’ennemi
refusa d’entendre cet avertissement et, grâce à Dieu, les
combattants purent lui infliger une énorme paire de gifles en
Afrique de l’est [17] .
9/ L’Amérique fut à nouveau mise en garde mais n’y prêta pas
attention, alors Dieu fit réussir une grande opération-suicide contre
le destroyer américain Cole à Aden, une claque retentissante au
visage de l’armée américaine, qui montra aussi la trahison du
gouvernement yéménite, à l’instar des autres gouvernements de la
[18]
région   .
Puis, lorsque les combattants constatèrent que le gang de la Maison-
Blanche ne voyait pas clairement les choses, et qu’en outre son chef
(cet idiot auquel ils obéissent) prétendait que nous enviions leur
mode de vie, alors que la vérité que cache le Pharaon de ce siècle [19] 
est que nous les attaquons à cause de leur injustice dans le monde
islamique, et surtout en Palestine et en Irak, ainsi que leur
occupation de la terre des deux sanctuaires, lorsque les combattants
virent cela, ils décidèrent de sortir de l’obscurité et de déplacer la
bataille au cœur de leur terre, chez eux.
En ce mardi béni, 23 Joumada al-Thani 1422, correspondant au
11 septembre 2001, l’alliance américano-sioniste était en train de
poursuivre sa moisson parmi nos fils et parents de la terre bénie
d’al-Aqsa, les mains juives employant des avions et des chars
américains, ainsi que parmi nos fils en Irak, mourant à cause de
l’injuste embargo imposé par l’Amérique et ses agents, alors que le
monde musulman vivait au plus loin de la vraie religion, alors que
la situation était parvenue à ce degré de frustration, de désespoir et
d’atermoiement parmi les musulmans – hormis ceux qui craignent
Dieu –, d’injustice, d’arrogance et d’agressivité au sein de l’alliance
américano-sioniste au point que le pays de l’oncle Sam s’enfonçait
dans le péché, se repaissait de despotisme, grimaçant envers le
monde, allant son chemin, insouciant et joyeux, persuadé d’être
intouchable, alors advint la catastrophe. Mais qu’est-ce à dire ? Ils
ont bondi, les cheveux ébouriffés, les pieds dans la poussière, ceux
qui étaient chassés de tout lieu {Ce sont des jeunes gens qui
croyaient en leur Seigneur, et nous les avions affermis dans la voie
droite} [20] . Leur doctrine religieuse ferme et leur foi chevillée au
corps, ils n’ont pas craint d’être blâmés sinon par Dieu ; ne désirant
que ce que Dieu possédait, ils refusèrent de s’endormir.
Donc, grâce aux avions de l’ennemi, ils menèrent une opération
hardie et belle, sans précédent dans l’histoire de l’humanité, et ainsi
abattirent les totems de l’Amérique. Ils frappèrent le ministère de la
Défense en plein cœur, ils frappèrent l’économie américaine en
plein front, ils mirent le nez de l’Amérique dans la poussière et
plongèrent dans la boue son arrogance. Ainsi se sont écroulées les
tours jumelles de New York, en entraînant dans leur chute ce qui
était bien plus haut et énorme qu’elles.
Le mythe de la grande Amérique s’est écroulé !
Le mythe de la démocratie s’est écroulé !
Les gens se sont rendu compte que les valeurs de l’Amérique sont
fausses !
Le mythe de la terre de la liberté s’est effondré !
Le mythe de la sécurité nationale américaine s’est effondré !
Le mythe de la CIA s’est écroulé, grâces en soient rendues à Dieu !
La conséquence positive [21]  la plus importante des attaques de New
York et Washington a été de montrer la réalité du combat entre les
croisés et les musulmans, de révéler l’ampleur de la rancœur que
nous portent les croisés, une fois que ces deux attaques ont
dépouillé ce loup de sa peau de mouton, et qu’il est apparu sous son
visage affreux. Le monde entier s’est réveillé, les musulmans ont
pris conscience de l’importance de la doctrine de l’allégeance à Dieu
et de la rupture [22] , la fraternité entre musulmans s’est renforcée,
ce qui est un pas de géant vers l’unification des musulmans sous le
slogan de l’unicité de Dieu, afin d’établir le califat bien guidé [23] , s’il
plaît à Dieu ; enfin, tout le monde a pu constater que l’Amérique,
cette force oppressive, peut être frappée, humiliée, abaissée, avilie.
[…]
Enfin je recommande aux jeunes gens l’effort dans le jihad, car ils
sont les premiers concernés par cette obligation, comme l’a montré
[24]
al-Chatibi    (que Dieu ait son âme !) dans Les Concordances.
Sachez que viser les Américains et les Juifs sur toute la terre, en
long comme en large, est le premier des devoirs et la meilleure des
bonnes œuvres pour Dieu (qu’Il soit exalté !) ; je vous recommande
de vous rassembler autour des oulémas sincères comme des
prêcheurs dévoués et actifs ; je vous conseille d’avoir recours à la
dissimulation, surtout pour les actions militaires du jihad.
Je vous annonce à tous, et à nos frères de Palestine en particulier,
que vos frères moujahidines sont en marche sur la route du jihad
afin de frapper les Juifs et les Américains ; l’opération de
Mombassa [25]  n’est que la première goutte d’une longue averse, s’il
plaît à Dieu, nous ne vous abandonnerons pas, poursuivez le
combat à la grâce de Dieu, nous continuerons le nôtre, si Dieu le
veut.
Avant de conclure, j’appelle mes frères musulmans, comme moi-
même, au jihad sur la voie de Dieu, par ces vers :
Je conduis mon coursier, me jetant avec lui dans la mêlée comme
une rame dans le flot,
Seigneur, fais que mon trépas survienne, non pas sur un catafalque
aux vertes broderies,
Mais que ma tombe soit la panse d’un vautour charognard, faisant
la sieste, haut perché,
Que je meure en martyr au sein d’une escouade attaquée au creux
d’un défilé tremblant
Tel un des preux de Chaybane unis par la crainte de Dieu, lorsqu’ils
mènent l’assaut,
S’ils quittent ce monde, ils quitteront la peine, pour rencontrer ce
que le Coran a promis [26] .
En conclusion, je recommande à mes frères musulmans, comme à
moi-même, de craindre Dieu, en privé et en public, de Le prier
constamment et de Le supplier afin qu’il accepte notre repentir et
efface nos tristesses. {« Notre Seigneur ! Accorde-nous des biens en
ce monde et des biens dans la vie future. Préserve-nous du
châtiment du Feu. »} (La vache, 201) [27] 
Nous demandons à Dieu (qu’Il soit exalté !) qu’il nous libère des
Américains et de leurs complices, et libère les deux cheikhs, Omar
abd al-Rahman [28]  et Said ibn Zouair [29] , ainsi que nos frères à
Guantanamo [30] , qu’il raffermisse les moujahidines en Palestine et
les soutienne dans les autres pays musulmans, et nous fasse vaincre
notre ennemi !
Notre ultime prière est que Dieu soit loué !

Notes du chapitre
[1] ↑ Texte qui date probablement de décembre 2002. Il n’est en tout cas pas antérieur,
étant donné la mention de l’attentat de Mombassa du 28 novembre 2002.
[2] ↑ Voir note 28 dans Ben Laden, « Entretien avec Al-Jazira ».
[3] ↑ Capitale du califat sous le règne d’Omar ibn al-Khattab, entre 634 et 644.
[4] ↑ Noter l’anachronisme délibéré du terme moderne de « superpuissance » dans le
contexte du VIIe siècle.
[5] ↑ Héros de la conquête arabe, mort au combat en 634.
[6] ↑ Œuvre encyclopédique de l’historien irakien Ibn al-Athir (1160-1234). Voir [al-kâmil
fî al-târîkh], Beyrouth, Dâr al-kutub al-‘ilmiyya, vol. 2, p. 282.
[7] ↑ Les combats de Tora Bora engagés le 30 novembre 2001 par l’armée américaine en
Afghanistan afin d’arrêter Oussama ben Laden. Certains responsables militaires
américains ont laissé filtrer dans la presse des critiques contre la stratégie suivie lors de
ces combats (The Washington Post, 17 avril 2002).
[8] ↑ Comme on le voit de nouveau ici, Ben Laden fonde sa rhétorique sur une
récupération à son compte de la victoire sur l’Union soviétique, tout en taisant
complètement le rôle des États-Unis, pourtant décisif.
[9] ↑ Les plus célèbres des combattants arabes en Tchétchénie sont deux Saoudiens : le
premier, Samir Salih Abdallah al-Souwaylim, dit « commandant Khattab », tué par les
Russes le 19 mars 2002, a été remplacé par le second, Abou al-Walid al-Ghamidi, à la tête
des combattants étrangers. La tribu des Ghamid, à laquelle Abou al-Walid appartient, est
très représentée parmi les jihadistes saoudiens ; quatre des pirates de l’air du
11 septembre 2001 en faisaient partie.
[10] ↑ Ben Laden fait ici référence aux deux guerres de Tchétchénie. La première, lancée
en 1994 par le gouvernement de Boris Eltsine pour reprendre le contrôle de la république
séparatiste qui avait déclaré son indépendance en 1991, s’est soldée par le retrait d’une
armée russe exsangue. La seconde a été lancée par Vladimir Poutine en 1999, dans le but
non avoué de laver l’honneur d’une Russie humiliée trois ans plus tôt par les rebelles.
Après des critiques initiales assez virulentes, le président Poutine est parvenu, au
lendemain du 11 septembre 2001, à gagner, au nom de la guerre contre le terrorisme,
sinon – comme l’affirme ici Ben Laden – le soutien, du moins l’indifférence des États-Unis.
Pendant ces dix années d’instabilité et de conflit, la Tchétchénie a vu affluer des milliers de
combattants jihadistes venus des quatre coins du monde musulman, et en particulier du
monde arabe. C’est à eux que Ben Laden fait ici allusion.
[11] ↑ En 1982, alors que la guerre civile libanaise faisait rage, Israël lança l’opération
« Paix en Galilée ». L’État hébreu envahit le pays et fit le siège de Beyrouth. L’année
suivante, 241 Marines américains mandatés par les Nations unies au sein d’une force
multinationale de maintien de la paix furent tués à Beyrouth dans un attentat-suicide au
camion piégé. Les troupes américaines furent, peu après, rappelées au pays. Dans l’un des
derniers enregistrements connus d’Oussama ben Laden (29 octobre 2004), celui-ci affirma
que ce furent les événements du Liban en 1982 qui avaient été à l’origine de sa décision de
mener une opération contre l’Amérique. (Voir Ben Laden, « Message au peuple
américain », p. 103). Il est intéressant de noter que ces attentats ont été perpétrés par un
groupe radical chiite, le Hezbollah, a priori sans lien avec Ben Laden ou les individus de sa
mouvance. Leur récupération témoigne, d’une part, de l’œcuménisme rhétorique de Ben
Laden, d’autre part, d’une volonté d’exproprier ce mouvement chiite de la légitimité
publique que lui confère une de ses célèbres actions.
[12] ↑ Cette expression s’emploie habituellement lorsqu’on évoque un malheur ou qu’on
déplore un événement.
[13] ↑ Là encore, Ben Laden exagère le rôle des Arabes afghans, qui, dans le cas de la
Somalie, semble avoir été minime.
[14] ↑ En décembre 1992, une force multinationale composée majoritairement de
militaires américains débarque en Somalie dans le cadre de l’opération « Restore Hope »
avec l’objectif de ramener la paix et la stabilité dans ce pays en proie à une sanglante
guerre civile. Ben Laden fait ici référence aux événements d’octobre 1993, lorsque les
troupes du général Muhammad Aydid, vraisemblablement aidées par des hommes de Ben
Laden, parvinrent à infliger de lourdes pertes au contingent américain : 18 soldats furent
tués, et les télévisions diffusèrent les images 4e cadavres portant l’uniforme des Marines
traînés dans les rues de Mogadiscio. Peu après, les États-Unis, traumatisés, retirèrent leurs
troupes de Somalie.
[15] ↑ Voir note 31, p. 54 dans Ben Laden, « Déclaration de jihad ».
[16] ↑ Pour les attentats d’al-Khobar en juin 1996, voir note 31, p. 54 dans Ben Laden,
« Déclaration de jihad ». Trois mois plus tard, en octobre 1996, les contingents américains
chargés de surveiller les zones d’exclusion aérienne en Irak reçurent l’ordre de quitter al-
Khobar et furent regroupés dans la base militaire d’al-Kharj, dans le désert, à une
soixantaine de kilomètres au sud de Riyad. C’est à cela que Ben Laden fait ici référence.
[17] ↑ Ben Laden fait ici référence à l’annonce de la création du « Front islamique
mondial pour la guerre sainte contre les Juifs et les Croisés » le 23 février 1998 (voir p. 63),
ainsi qu’à la conférence de presse organisée par Ben Laden et al-Zawahiri à Qandanar en
mai 1998. Moins de six moisplus tard, le 7 août 1998, les ambassades des États-Unis à
Nairobi (Kenya) et Dar es-Salaam (Tanzanie) furent frappées, le même jour, par un attentat
qui fit plus de 200 morts.
[18] ↑ Le 12 octobre 2000, le navire de guerre américain USS Cole a subi un attentat dans
le Fort d’Aden au Yémen, ce qui provoqua la mort de 19 marins. Selon l’interprétation qu’il
fait de attaque, il s’agissait à la fois de punir l’Amérique, mais aussi de montrer
publiquement la collaboration du gouvernement yéménite avec les forces américaines. Ce
double objectif se retrouve dans les attaques menées dans d’autres pays de la région, où la
couverture médiatique d’un attentat contre une base américaine révèle publiquement
l’ampleur de la présence étrangère dans ces pays.
[19] ↑ Symbole du pouvoir injuste dans le Coran, d’après l’épisode du séjour de Moïse en
Égypte.
[20] ↑ Coran, 18/13. Ce verset désigne les Sept, Dormants, héros de l’un des récits du
Coran reprenant la légende chrétienne des Dormants d’Éphèse.
[21] ↑ Ainsi, pour l’instigateur des attentats du 11 septembre 2001, leur valeur n’est pas
plus stratégique ou opérationnelle qu’elle n’est médiatique : il s’agit là aussi selon Ben
Laden de révéler par un attentat la réalité des rapports entre les États-Unis et le monde
musulman, en poussant l’Amérique à se départir de sa retenue médiatique.
[22] ↑ Voir L’Allégeance et la Rupture, d’Ayman al-Zawahiri (p. 311).
[23] ↑ Le but ultime des islamistes est la restauration d’une structure politique unique
pour tous les musulmans du monde. Le modèle n’est cependant pas le califat médiéval
abbasside, mais le « califat bien guidé », se rapportant au règne des quatre premiers califes
(traditionnellement appelés [al-khulafâ’ al-râchidun], les califes bien guidés). Sur le califat
dans le discours salafiste jihadiste, voir note 49, p. 296 dans Ayman al-Zawahiri, Cavaliers
sous l’étendard du Prophète.
[24] ↑ Abou Ishaq al-Chatibi est un savant malékite, né à Grenade, mort en 1388, auteur
d’[Al-muwâfaqât fî usûl al-fiqh]. Il est célèbre pour avoir été l’un des premiers oulémas à
insister sur l’importance de la détermination des objectifs ([maqâsid]) de la loi divine pour
son interprétation. C’est sur cette idée que se fondera, six siècles plus tard, la pensée
réformiste musulmane, telle que formulée en Égypte par Mohammad Abdouh. Il est
intéressant de voir al-Chatibi, considéré comme un précurseur du modernisme islamique,
cité ici par Ben Laden. Il s’agit encore une fois d’une illustration de l’œcuménisme
rhétorique – qui consiste à piocher dans toutes les traditions juridiques ce qui appuie son
propos – dont ce dernier est capable.
[25] ↑ Tentative d’abattre un avion de ligne israélien et attentat contre un hôtel israélien
au Kenya, le 28 novembre 2002, opérations revendiquées, le 8 décembre 2002, par
Soulayman Abou Ghaith au nom d’Al-Qaida.
[26] ↑ Extrait d’un poème d’al-Tirrimah, poète arabe de Syrie mort en 723, par ailleurs
proche de la secte des Kharijites.
[27] ↑ Coran, 2/201.
[28] ↑ Pour des éléments biographiques sur Omar Abd al-Rahman, emprisonné à vie aux
États-Unis depuis 1995, voir note 21, p. 52 dans Ben Laden, « Déclaration de Jihad ».
[29] ↑ Said Ibn Zouair est un ancien responsable du département de sciences de
l’information de l’université de l’Imam Mohammad Ibn Saoud à Riyad, qui participa
activement à l’agitation islamiste du début des années 1990, ce qui lui valut d’être
emprisonné, tout comme Salman al-Awda et Safar al-Hawali, lors des grandes vagues
d’arrestation de 1994 et 1995. Mais alors que ceux-ci furent libérés en 1999, Zouair
demeura derrière les barreaux jusqu’à sa libération en 2003. C’est ainsi qu’il devint le
prisonnier politique islamiste le plus célèbre d’Arabie Saoudite, ce qui explique que Ben
Laden, s’exprimant ici en 2002, le mentionne. Mais l’histoire ne s’arrêta pas là : en avril
2004, Zouair fut, à la suite de déclarations à la chaîne de télévision par satellite Al-Jazira,
de nouveau incarcéré. Il est en prison au printemps 2005.
[30] ↑ Enclave des États-Unis sur l’île de Cuba, où sont emprisonnés depuis 2001 les
prisonniers de la « guerre contre la terreur ».
« Seconde lettre aux musulmans
d’Irak » [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

L ouange à Dieu, louange à Dieu !


Louange à Dieu qui a dit : « Ô Prophète ! Combats les infidèles
et les hypocrites ; sois dur envers eux ! Leur refuge sera la
Géhenne ; quel détestable lieu de retour ! » [2] .
Prière et salut sur notre prophète Mohammad qui a dit : « Celui qui
a été tué pour défendre son argent est un martyr, celui qui a été tué
pour défendre son sang est un martyr, celui qui a été tué pour
défendre sa religion est un martyr, celui qui a été tué pour défendre
sa famille est un martyr. »
Voici ma seconde lettre aux frères musulmans d’Irak.
O fils de Saad et d’al-Mouthanna, de Khalid et d’al-Mouanna [3] , ô
descendants de Saladin [4] ,
Que la paix soit sur vous ainsi que la clémence de Dieu et Ses
bénédictions !
Je vous salue et salue vos efforts ainsi que votre guerre sainte bénie,
car, par Dieu, vous avez couvert l’ennemi de coups, rendant ainsi
l’espoir aux cœurs de tous les musulmans, et notamment aux
Palestiniens ; que Dieu vous en récompense, nous vous remercions
pour votre guerre sainte, que Dieu affermisse vos pas et vous fasse
viser juste !
Réjouissez-vous, car l’Amérique s’est empêtrée dans les marais du
Tigre et de l’Euphrate ; Bush pensait que l’Irak et son pétrole
seraient une proie facile et le voici maintenant dans une situation
délicate ; grâce à Dieu (qu’Il soit loué !), voici que l’Amérique
commence à crier et à s’abaisser devant le monde entier. Que Dieu
soit loué, qui lui a rendu la monnaie de sa pièce pour avoir
enrégimenté la lie de l’humanité et avoir été mendier les
mercenaires de l’Orient et de l’Occident [5] .
Il n’est pas étonnant que vous ayez pu faire cela à l’Amérique, et lui
ayez porté de tels coups, car vous êtes les fils de ces cavaliers
valeureux [6]  qui firent don de l’islam à l’Orient et jusqu’à la
Chine [7] .
Sachez que cette guerre est une nouvelle croisade contre le monde
musulman, et qu’elle sera décisive pour la communauté
musulmane mondiale tout entière, elle peut avoir des répercussions
périlleuses et des effets néfastes sur l’islam et les musulmans à un
degré que nul, sinon Dieu, ne sait.
Donc, ô jeunes musulmans de tous lieux, et surtout dans les pays
voisins [de l’Irak] et au Yémen,
Vous devez mener la guerre sainte convenablement, suivre la vérité
et vous garder d’écouter les hommes qui ne suivent que leurs désirs
et se couchent à terre, ou ceux qui se fient aux oppresseurs,
tremblent pour vous et vous détournent de cette guerre sainte
bénie.
Car des voix se sont élevées en Irak, comme auparavant en
Palestine, en Égypte, en Jordanie, au Yémen et ailleurs, appelant à
une solution pacifique et démocratique, à la collaboration avec les
régimes apostats, ou avec les envahisseurs juifs et croisés, plutôt
que de mener la guerre sainte ; bref, il faut prendre garde contre
cette méthode fausse et trompeuse, contraire à la loi de Dieu, qui
entrave la guerre sainte.
Comment pouvez-vous soutenir la guerre sainte sans combattre
pour la cause de Dieu ? Allez-vous faire marche arrière ? Ces
hommes-là ont affaibli la puissance des musulmans sincères et ont
adopté comme référence les passions humaines, la démocratie, la
religion païenne [8] , en entrant dans les parlements, ceux-là se sont
égarés et en ont égaré beaucoup.
À quoi pensent ceux qui entrent dans les parlements de l’idolâtrie,
que l’islam a détruits ? Si le cœur de la religion était détruit, alors
que leur resterait-il ? Et ils prétendent avoir raison ! Ils ont
grandement tort et Dieu sait que l’islam est innocent de leurs fautes.
Car l’islam est la religion de Dieu et les parlements sont une religion
païenne, c’est donc celui qui obéit aux princes ou aux oulémas
(ceux qui permettent ce que Dieu a interdit, comme entrer dans les
conseils législatifs, ou interdire ce que Dieu a permis, comme le
jihad) qui commet le péché d’en faire des seigneurs à la place de
Dieu [9]  : or, il n’y a de force et de puissance qu’en Lui ! [10] 
Je m’adresse aux musulmans en général et aux Irakiens en
particulier pour leur dire : gardez-vous de soutenir les forces
croisées de l’Amérique et ceux qui se sont rangés à leurs côtés, car
tous ceux qui collaborent avec elles ou en procèdent, quels que
soient leurs noms ou appellations, sont des apostats impies.
Même jugement pour quiconque soutient les partis politiques
impies comme le parti Baath [11] , et les partis kurdes
démocratiques [12] , ou autres.
Chacun sait que tout gouvernement formé par les États-Unis est un
gouvernement fantoche et traître, à l’instar des gouvernements de
notre région, y compris les gouvernements de Karzaï et de
[13]
Mahmoud Abbas   , qui ont été créés pour éteindre la flamme du
jihad.
La « feuille de route » n’est qu’un nouvel épisode du feuilleton des
complots visant à liquider l’intifada bénie [14] , le jihad doit continuer
jusqu’à ce qu’un gouvernement islamique gouverne selon la loi
révélée.
Ô musulmans !
L’affaire est grave, que celui qui fait un effort, raisonne, possède des
principes, du courage ou de l’argent sache que son heure est venue,
et que c’est durant de tels événements que les hommes pensent
disparaître, et que l’on distingue l’homme sincère du menteur, celui
à qui la religion est chère du lâche.
Et il faut espérer que les nobles et honorables musulmanes joueront
leur rôle.
Je dis à mes frères musulmans combattant en Irak :
Je partage vos soucis, ressens vos sentiments, et vous envie pour
votre jihad, et Dieu sait que, si j’en avais le pouvoir [15] , je vous
rejoindrais. Comment d’ailleurs pourrais-je rester assis sachant que
l’envoyé de Dieu (que la paix et le salut soient sur lui !), notre
exemple et notre modèle, a dit : « J’en jure par Celui qui possède
mon âme, si je ne devais pas m’occuper des musulmans, je ne serais
pas resté assis à regarder une escouade partant combattre pour la
cause de Dieu » ? Il a aussi dit : « J’en jure par celui qui possède mon
âme, j’aurais souhaité combattre pour la cause de Dieu et y être tué,
puis combattre et combattre encore et être tué. » Voici donc la voie
de notre Prophète (que la paix et le salut soient sur lui !), c’est le
chemin à suivre pour faire triompher la religion et instaurer l’État
des musulmans [16] , suivez-la donc, mais seuls les croyants sincères
le pourront.
Ô musulmans, peuple de Rabia et de Moudar [17] , peuple kurde !
Levez l’étendard, Dieu vous élèvera, ne soyez pas intimidés par ces
mulets [18]  en armes car Dieu les a affaiblis, ne soyez pas
impressionnés par leur grand nombre car leurs cœurs sont vides et
leur situation a commencé à péricliter militairement mais aussi
économiquement, surtout depuis ce fameux jour béni de New York,
grâces soient rendues à Dieu.
Leurs pertes ont atteint, en raison de ce coup et de ses
répercussions, plus d’un trillion de dollars – c’est-à-dire mille
milliers de millions de dollars – et ils ont aussi enregistré, pour la
troisième année consécutive, un déficit de leur budget qui atteint
cette année un chiffre record puisqu’il est estimé à plus de 450 000
millions de dollars, que Dieu en soit loué [19] .
En conclusion,
À mes frères combattants en Irak, aux héros de Bagdad – siège du
califat [20]  – et de ses alentours,
Aux compagnons de l’islam, descendants de Saladin [21] ,
Aux hommes libres de Baaqouba, de Mossoul et d’al-Anbar [22] ,
À ceux qui ont quitté leur patrie pour mener le jihad et mourir en
défendant leur religion, ayant laissé père et fils, famille et patrie,
À tous ceux-là, je passe le salut et dis :
Vous êtes les soldats de Dieu, les fers de lance de l’islam, et
aujourd’hui la première ligne de défense de la communauté
musulmane mondiale.
Les chrétiens [23]  se sont regroupés sous la bannière de la croix pour
combattre la communauté du cher Mohammad (que Dieu lui
accorde la prière et le salut !), contentez-vous de votre guerre
sainte, aucun musulman n’est digne de vous précéder car Dieu lui-
même est ce en quoi vous vous confiez, et les espoirs énormes qui
sont, après Dieu, placés en vous, ne font pas honte aux musulmans
aujourd’hui. Prenez exemple sur Saad (que Dieu l’agrée !) qui a dit,
[24]
le jour de la bataille du fossé    :
Attends un peu, la mêlée suivra l’attaque, peu importe la mort, si
son heure est venue [25] .
Oui, peu importe la mort, lorsque l’heure est à la hâte.
Dieu, ceci est l’un de tes jours de gloire, emporte les cœurs des
jeunes musulmans et leurs fronts vers le jihad pour ta cause !
Affermis leur doctrine et renforce leurs pas, fais les viser juste et
unis leurs cœurs !
Ô Dieu, fais vaincre tes créatures combattantes en tout lieu, en
Palestine, en Irak, en Tchétchénie, au Cachemire, aux Philippines et
en Afghanistan !
Libère nos frères prisonniers des tyrans, en Amérique, à
Guantanamo, en Palestine occupée et à Riyad, en tout lieu, car Tu es
le Tout-Puissant [26]  !
Seigneur, donne-nous la patience, raffermis nos pas et donne-nous
la victoire sur les impies. {Dieu est souverain en son
commandement, mais la plupart des hommes ne savent rien.} [27] 
Que Dieu salue notre prophète Mohammad, sa famille et ses
compagnons !
Enfin, louange à Dieu, Seigneur des mondes.

Notes du chapitre
[1] ↑ Transcription d’une déclaration enregistrée par Ben Laden et diffusée le 18 octobre
2003, en même temps qu’une autre déclaration destinée – alors que la première s’adressait
aux Irakiens – aux Américains.
[2] ↑ Coran, 9/73. Dans ce texte, Ben Laden suit les règles classiques du discours
musulman depuis le vir siècle : introduction par une louange de Dieu et du Prophète,
citation de vers de poésie et de versets coraniques, conclusion par une invocation.
[3] ↑ Les noms cités sont ceux de compagnons du Prophète ayant participé à la conquête
de l’Irak. Saad ibn Abi Waqqas est connu pour avoir joué un rôle important dans les
grandes batailles contre les Perses, notamment celle d’al-Qadissiyya (au sud du territoire
de l’Irak moderne), qui scella le sort de l’empire sassanide, et la prise de Ctésiphon, sa
capitale (Ben Laden a prénommé l’un de ses fils Saad, dénotant peut-être l’admiration
particulière qu’il porte à ce personnage). Khalid Ibn al-Walid est le plus célèbre des
généraux des armées musulmanes en Irak, qu’il commanda jusqu’à ce qu’al-Mouthanna le
remplace à leur tête. Al-Mouthanna est quant à lui célèbre pour ses victoires sur les
armées perses en Irak (c’est aussi le nom donné à la province méridionale de l’Irak,
frontalière de l’Arabie Saoudite). Al-Mouanna était le frère d’al-Mouthanna.
[4] ↑ Saladin (1138-1193), le grand chef musulman, célèbre pour ses victoires sur les
croisés et pour sa prise de Jérusalem, était d’origine kurde. Voir Malcolm Cameron Lyons,
D.E.P. Jackson, Saladin, the Politics of Holy War, Oxford, Oxford University Press, 1982.
L’aigle, emblème de Saladin, figure sur plusieurs drapeaux arabes, le personnage
historique restant un symbole de la résistance aux invasions occidentales pour les
musulmans, et les Arabes en particulier.
[5] ↑ C’est ici une référence à la coalition formée par les États-Unis.
[6] ↑ Le « cavalier » désigne généralement le guerrier de l’islam. Voir, d’al-Zawahiri par
exemple, Cavaliers sous l’étendard du Prophète.
[7] ↑ Dans la tradition arabo-islamique, la Chine est le symbole de l’Orient lointain. Un
hadith exhorte les musulmans à aller chercher le savoir jusqu’en Chine, s’il le faut.
[8] ↑ En arabe, [dîn jâhiliyya]. Comme on le verra plus loin avec al-Zawahiri, ces deux
termes ne sont pas antinomiques puisque la religion ([dîn]) ne jouit pas nécessairement
d’une connotation positive, désignant simplement un système de croyance.
[9] ↑ Depuis Qotb, c’est là la principale distinction entre société islamique et société de
l’ignorance païenne [al-jâhiliyya] : dans la première, la souveraineté est à Dieu, dans la
seconde, au peuple à travers ses représentants, libres de décider et de contester la loi de
Dieu.
[10] ↑ La mouvance salafiste jihadiste à laquelle appartient Ben Laden considère les
parlements comme une innovation blâmable, contraire à l’islam des [al-salaf al-sâlih], des
pieux ancêtres ; voir note 55, p. 150 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires
musulmans. Pour ces militants, accepter le jeu démocratique revient à reconnaître la
légitimité d’une juridiction autre que divine, ce qui est une marque d’impiété. Voir le texte
d’Ayman al-Zawahiri Conseils à l’oumma, p. 263.
[11] ↑ Pour les mouvements islamistes, le Baath est par excellence le parti païen :
nationaliste arabe, contestant la primauté de l’islam, fortement soutenu par les minorités
chrétiennes, laïque, il n’est jusqu’à son nom (qui signifie en arabe « résurrection ») qui ne
concurrence la religion en montrant sa volonté de substituer au culte divin un culte
national.
[12] ↑ Partis doublement néfastes selon les militants jihadistes : leur particularisme kurde
brise la compacité de l’oumma, et leur statut démocratique (encore qu’il ne s’agisse là
véritablement que d’un emblème) conteste la souveraineté de Dieu.
[13] ↑ Hamid Karzaï, qui dirige l’Afghanistan depuis le renversement des talibans par les
forces américaines, et Mahmoud Abbas, Premier ministre de l’autorité palestinienne de
mars à septembre 2003, et de nouveau depuis sa victoire aux élections palestiniennes de
janvier 2005, sont considérés par Ben Laden et son groupe comme des traîtres nommés
par les Américains pour servir leurs intérêts au Moyen-Orient.
[14] ↑ Désigne ici la deuxième Intifada, qui a débuté en septembre 2000. Aussi appelée
« Intifada d’al-Aqsa », du nom de la mosquée de Jérusalem (voir supra, note 20, p. 52 dans
« Déclaration de Jihad »), située sur l’esplanade où Ariel Sharon avait effectué une
« promenade » le 28 septembre 2000. Cet autre nom avait aussi pour vocation de lier en un
même front le discours national strict du Fatah et le discours plus religieux des
mouvements islamistes palestiniens. La « feuille de route », présentée en septembre 2003,
est, après l’échec du processus d’Oslo, le dernier plan de paix pour le Moyen-Orient
proposé et soutenu par la communauté internationale.
[15] ↑ Ben Laden semble ici reconnaître être privé de sa liberté de mouvement. De plus,
par ces paroles il fait du jihad en Irak le jihad prioritaire, notamment par rapport à celui
en cours dans la péninsule Arabique depuis mai 2003.
[16] ↑ La revendication de la création d’un État islamique, somme toute assez secondaire
dans la rhétorique de Ben Laden, apparaît néanmoins de temps à autre, comme on le voit
ici. Mais, la définition de cet « État islamique » reste toujours très vague, Ben Laden et les
autres idéologues de sa mouvance se contentant de le lier à l’application de la charia.
[17] ↑ Il s’agit de deux anciennes tribus d’Arabie, disparues depuis longtemps. De la tribu
de Rabia, descendrait l’actuelle tribu d’Anaza, très présente dans le nord de l’Arabie
Saoudite. De celle de Moudar, descendrait Qouraych, qui dominait La Mecque à l’époque
du Prophète.
[18] ↑ En arabe, [‘ulûj]. Voir note 30, p. 74 dans l’extrait de Ben Laden, « Entretien avec Al-
Jazira ».
[19] ↑ La dimension économique de la guerre qu’il livre aux États-Unis est toujours
présente à l’esprit de Ben Laden. En décembre 2004, il appelait ses partisans en Arabie
Saoudite à s’en prendre aux infrastructures pétrolières, espérant provoquer une hausse
démesurée du prix du pétrole qui mettrait l’économie américaine en crise.
[20] ↑ Le califat avait pour capitale Bagdad sous le règne de la dynastie abbasside, de 762
à 1257 (hormis durant une période de cinquante ans, où ce fut Samarra). La charge
symbolique de la ville de Bagdad est très grande dans le monde arabo-musulman.
[21] ↑ En arabe : Ansâr al-islâm (Les partisans de l’islam), groupe islamiste du nord de
l’Irak composé majoritairement de Kurdes, l’ethnie de Saladin (1138-1193). Au début de
l’offensive américaine, le 23 mars 2003, ce groupe a subi de lourdes pertes dans des
bombardements américains conjoints à une offensive terrestre des combattants kurdes
laïques, qui auraient fait 180 morts et permis de capturer 150 prisonniers. Mais en juin
2003, une nouvelle organisation prit la relève : Ansâr al-sunna (Les partisans du
sunnisme). Voir l’introduction sur al-Zarqawi, p. 373.
[22] ↑ Trois villes irakiennes à population majoritairement sunnite.
[23] ↑ Le terme employé est ici [al-rûm], dénomination coranique des Byzantins (Coran,
30/2). Ce terme est plus péjorativement connoté que [al-nasâra], utilisé habituellement.
[24] ↑ Cette bataille devait opposer les païens aux premiers musulmans à Médine, mais
elle n’eut pas lieu grâce à un fossé creusé par les assiégés. Voir note 66, p. 166 dans Azzam,
Rejoins la caravane !
[25] ↑ Vers attribué à Saad ibn Abi Waqqas, déjà mentionné (voir note 3, p. 90).
[26] ↑ Oscillation entre des revendications nationales localisées et l’affirmation de
l’universalité de son combat, coutumière dans les textes de Ben Laden.
[27] ↑ Coran, 12/21.
« Message au peuple américain » [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

L ouange à Dieu, qui a créé l’univers pour ses créatures, leur a


ordonné d’être justes et a permis à l’opprimé de se venger de
l’oppresseur !
Que la paix soit sur celui qui suit le droit chemin !
Peuple américain, ce discours que je vous adresse a pour sujet le
meilleur moyen d’éviter un second Manhattan [2] , les causes et les
conséquences de la guerre. En guise d’introduction, je vous dirai
que la sécurité est un élément important de la vie, et que les
hommes libres ne négligent pas leur sécurité, contrairement à ce
que prétend Bush lorsqu’il dit que nous détestons la liberté [3] . Qu’il
nous dise donc pourquoi nous n’avons pas attaqué la Suède, par
exemple ?
Ceux qui détestent la liberté n’ont pas des âmes fières comme celles
de dix-neuf [4]  (que Dieu ait leurs âmes !). C’est parce que nous
sommes libres que nous vous avons combattu et parce que nous ne
sommes pas hommes à nous endormir sous l’oppression. Au
contraire, nous voulons rendre leur liberté à nos pays, et puisque
vous réduisez à néant notre liberté, nous faisons de même avec la
vôtre. Seul un malfaiteur stupide peut badiner avec la sécurité des
autres en espérant rester en sûreté ; en revanche, les gens sensés,
lorsque surviennent les catastrophes, s’empressent d’en chercher
les causes [5] .
Mais vous m’étonnez, car bien que trois ans se sont écoulés depuis
les événements du 11 septembre, Bush continue à brouiller les
pistes et à masquer les causes réelles, ce qui fait que les motifs
d’une répétition sont toujours là. Je vais donc vous informer des
causes de ces événements, et vous parler franchement des moments
qui m’ont amené à prendre cette décision, pour vous inciter à
réfléchir. Dieu est témoin que nous n’aurions jamais pensé à
détruire les tours si nous n’avions pas assisté à tant d’injustice et
d’oppression de la part de l’alliance américano-israélienne contre
les nôtres en Palestine et au Liban, au point que, la mesure étant
pleine, nous y avons songé.
Les événements qui m’ont personnellement marqué [6]  remontent à
1982 et tout ce qui s’ensuivit, lorsque l’Amérique donna son feu vert
aux Israéliens pour envahir le Liban, avec le soutien de la troisième
flotte américaine [7] . Lorsque les bombardements ont commencé,
beaucoup furent tués ou blessés, d’autres furent effrayés et
dispersés, et je me souviens encore de ces images insoutenables de
sang, de membres déchiquetés, de femmes et d’enfants abattus
partout, d’habitations détruites sur leurs habitants, et de tours qui
en s’écrasant les ensevelissent, d’obus pleuvant impitoyablement
sur nos terres. On aurait dit un crocodile qui s’est emparé d’un
enfant, lequel ne peut que crier. Dites-moi : le crocodile comprend-il
un autre langage que celui de la force ? Le monde assistait
passivement à cette tragédie et, dans ces moments difficiles, ont
bouillonné en moi de nombreuses pensées, qui sont indescriptibles
mais qui engendrèrent un désir ardent de rejeter l’injustice et une
ferme détermination à punir les oppresseurs [8] .
C’est en regardant ces tours détruites [9]  au Liban que l’idée m’est
venue de rendre la monnaie de sa pièce au bourreau et de détruire
les tours de l’Amérique, afin qu’elle endure un peu de ce que nous
avions enduré et cesse de tuer nos femmes et nos enfants. Depuis ce
jour, je me suis rendu compte que tuer délibérément des femmes et
des enfants innocents est une loi américaine bien établie : la terreur
d’État s’appelle la liberté et la démocratie, mais la résistance
s’appelle terrorisme et réaction. Ainsi en est-il de l’injustice et de
l’embargo jusqu’à ce que mort s’ensuive, comme l’avait fait Bush
[10]
père en Irak, en causant le plus grand massacre d’enfants   , ou des
bombardements massifs de millions d’enfants, comme l’a fait Bush
fils pour renverser un ancien complice [11]  et le remplacer par un
autre, afin de voler le pétrole irakien, entre autres crimes.
C’est sur ce décor que sont survenus les événements du
11 septembre, comme une réplique à ces énormes injustices, car
peut-on blâmer celui qui ne fait que se défendre ? Se défendre et
punir l’oppresseur, c’est aussi du terrorisme ? S’il en est ainsi, nous
n’avions pas d’autre choix.
Voilà le message que je vous ai envoyé, en paroles et en actes, à
plusieurs reprises, depuis plusieurs années, bien avant les
événements du 11 septembre. Lisez-le, si vous le souhaitez, dans
mon entretien de 1996 avec Scott pour le magazine Time [12] , dans
mon entretien de 1997 avec Peter Arnett pour CNN [13] , dans mon
entretien de 1998 avec John Water [14]  ; lisez-le en actes, si vous le
souhaitez, à Nairobi, en Tanzanie, et à Aden [15]  ; lisez-le dans mon
entretien avec Abd al-Bari Atwan [16]  comme dans mes deux
entretiens avec Robert Fisk [17] , c’est l’un des vôtres, et j’estime qu’il
est objectif. Les prétendus défenseurs de la liberté à la Maison-
Blanche, et les chaînes de télévision qui sont à leurs bottes, se sont-
ils souciés de s’entretenir avec eux afin de transmettre au peuple
américain ce qu’ils avaient compris des raisons de notre combat
contre vous ?
Si vous évitez ces causes, vous serez sur la bonne voie pour jouir de
la sécurité dont vous jouissiez avant le 11 septembre 2001 ; voilà
pour la guerre et ses causes.
Quant à ses conséquences, elles sont, grâce à Dieu tout-puissant, très
positives, dépassant tout attente et toute mesure, pour plusieurs
raisons. Nous n’avons eu aucun mal à traiter avec l’administration
Bush car elle ressemble aux régimes de nos pays, dont la moitié est
gouvernée par des militaires, et l’autre par des fils de rois ou de
présidents. Nous les connaissons bien, les deux espèces se
caractérisent par la morgue et l’arrogance, l’avidité et le
détournement de fonds.
Cette ressemblance s’est manifestée depuis les visites de Bush dans
la région. Alors que certains, chez nous, éblouis par l’Amérique,
espéraient que ces visites allaient avoir de l’influence sur nos pays,
c’est lui qui a été influencé par les gouvernements monarchiques et
militaires, enviant leur longévité au pouvoir et leur habileté à voler
la nation, sans encourir la moindre peine ; il a donc transmis le
despotisme et le mépris des libertés à son fils, qui en a fait une « loi
patriotique » [18] , sous prétexte de combattre le terrorisme.
Bush père a réussi à placer ses fils à la tête des États, sans négliger
la fraude électorale, exportée de chez nous en Floride, pour les
moments difficiles [19] .
Comme nous l’avons déjà dit, il nous a été facile de provoquer cette
administration et de l’amener là où nous le souhaitions ; il nous
suffit d’envoyer en Extrême-Orient deux moujahidines soulever une
banderole d’Al-Qaida pour que les généraux s’y pressent,
augmentant ainsi les pertes humaines, financières et politiques,
sans rien faire de notable, excepté quelques bénéfices pour leurs
sociétés privées.
De même que nous avons appris à mener la guérilla et la guerre
d’usure contre les superpuissances iniques : avec les
moujahidines [20] , nous avons durant dix ans épuisé la Russie au
point qu’elle a fait faillite et s’est retirée battue, grâces soient
rendues à Dieu ! Nous poursuivrons cette politique d’usure avec
l’Amérique jusqu’à ce qu’elle fasse faillite, s’il plaît à Dieu, car c’est
pour Lui peu de chose [21] .
Dire qu’Al-Qaida a vaincu l’administration de la Maison-Blanche, ou
que l’administration de la Maison-Blanche a perdu cette guerre,
n’est pas exact, car à bien considérer les résultats, on ne peut dire
qu’Al-Qaida a, seule, le mérite de ces énormes acquis ; on peut
même dire que la direction de la Maison-Blanche a tout fait pour
ouvrir des fronts afin de faire travailler des entreprises de toutes
sortes, qu’il s’agisse d’entreprises d’armement, de pétrole ou de
construction [22] , elles ont toutes participé à la réalisation de ces
objectifs considérables pour Al-Qaida.
Comme l’ont dit certains observateurs et ambassadeurs : la Maison-
Blanche et nous jouons comme une même équipe mais pour
marquer des buts contre l’économie américaine, même si les
intentions sont différentes, chose qu’a déclarée le diplomate
américain dans sa conférence à l’Institut royal des affaires
internationales [23] .
Par exemple, Al-Qaida a dépensé 500 000 dollars pour l’opération
du 11 septembre, alors que l’Amérique a perdu dans l’événement et
ses répercussions, au bas mot, 500 milliards de dollars, c’est-à-dire
que chaque dollar d’Al-Qaida a vaincu 1 million de dollars, grâce à
Dieu tout-puissant [24] .
Outre la perte d’un nombre énorme d’emplois, elle a vu son déficit
financier augmenter ; celui-ci a atteint des chiffres records et
astronomiques, s’élèvant à plus d’un trillion de dollars.
Mais le plus dangereux pour l’Amérique, c’est que les moujahidines
ont forcé Bush, dernièrement, à avoir recours à un budget
d’urgence [25]  pour continuer le combat en Afghanistan et en Irak, ce
qui montre le succès de la guerre d’usure jusqu’à la faillite, si Dieu
le permet.
Cela montre le succès d’Al-Qaida, c’est vrai, mais cela montre aussi
que l’administration Bush y a gagné, si l’on considère les énormes
contrats qu’ont obtenus les grandes sociétés frauduleuses, comme
[26]
Halliburton et compagnie, liées à Bush et à son administration    ;
le vrai perdant, c’est vous, c’est le peuple américain et son
économie.
Pour mémoire, sachez que nous nous étions mis d’accord avec
l’émir général [27] , Mohammed Atta (que Dieu ait son âme !), pour
qu’il accomplisse sa mission en vingt minutes, avant que Bush et
son administration n’y prennent garde, mais il ne nous serait jamais
venu à l’esprit que le chef suprême des forces armées américaines
allait laisser 50 000 concitoyens dans les deux tours affronter seuls
ces tourments, au moment où ils avaient le plus grand besoin de lui,
car il préférait écouter la conversation d’une fillette parlant de sa
chèvre et de ses coups de corne [28] , plutôt que de se soucier des
avions et de leur coups de corne contre les gratte-ciel [29] , ce qui
nous a laissé trois fois le temps nécessaire pour accomplir notre
mission, Dieu en soit loué !
De même que chacun sait que les intellectuels américains et les
hommes les plus brillants avaient bien averti Bush avant la guerre,
en lui disant : « Vous avez tout ce qu’il faut pour assurer la sécurité
de l’Amérique en éliminant les armes de destruction massive, à
condition qu’elles existent ; les autres États seront avec vous pour
poursuivre les inspections ; l’intérêt de l’Amérique n’est pas d’être
entraînée dans une guerre injustifiée à l’issue incertaine. » Hélas,
l’or noir l’a aveuglé, et il a préféré les intérêts privés à l’intérêt de
l’Amérique. C’est ainsi que la guerre a été déclenchée et que
beaucoup sont morts, que l’économie américaine en pâtit et que
Bush s’est empêtré dans le bourbier irakien :
Telle une chèvre maudite qui, de son sabot,
[30]
gratte le sol où gît un couteau   .
Je vous rappelle que, chez nous, plus de 15 000 personnes ont été
tuées et des dizaines de milliers blessées, de même que, chez vous,
plus de 1 000 ont été tuées et plus de 10 000 blessées. Bush s’est sali
les mains de tous ces morts, des deux côtés, pour mettre la main sur
le pétrole, au bénéfice des sociétés privées.
Sachez que la nation qui punit le faible lorsqu’il tue l’un de ses
hommes pour de l’argent et qui laisse courir le fort lorsqu’il tue plus
de mille de ses hommes pour de l’argent […] [31]  De même qu’en
Palestine, vos alliés terrorisent les femmes et les enfants, tuent et
emprisonnent les hommes puis s’en retournent dormir au sein de
leurs familles.
Je veux seulement vous rappeler que toute action entraîne une
réaction.
Et enfin, vous devez vous préoccuper des testaments des milliers de
personnes qui vous ont quittés le 11 septembre, en vous appelant au
secours désespérément, ce sont des testaments qu’il faudrait publier
et étudier.
Ce que je retiens des recommandations avant la chute [des tours],
c’est celle qui déplore d’avoir laissé la Maison-Blanche mener une
politique étrangère contre les opprimés. Ils vous disent de
demander des comptes à ceux qui ont indirectement causé leur
mort, et heureux est celui qui donne le bon conseil. Leurs messages
me rappellent ce vers :
L’injustice tue son maître, bien mal acquis ne profite jamais.
On dit qu’une once de prudence vaut mieux qu’un quintal de
traitement. Sachez que revenir au bien vaut mieux que de persister
dans l’erreur, et que les gens sensés ne négligent ni leur sécurité, ni
leur argent, ni leurs enfants pour le menteur de la Maison-Blanche.
Pour conclure, je vous dirai, en toute sincérité, que votre sécurité
n’est pas entre les mains de Kerry, de Bush ou d’Al-Qaida ; votre
sécurité est entre vos mains, et tout État [32]  qui ne néglige pas notre
sécurité assure la sienne.
Nous, Dieu est notre Seigneur ; mais vous, vous n’en avez pas.
Que la paix soit sur celui qui suit le droit chemin [33]  !

Notes du chapitre
[1] ↑ Texte de l’allocution diffusée par Al-Jazira le 30 octobre, à deux jours de l’élection
présidentielle américaine. La mise en scène y est ici très différente des autres vidéos de
Ben Laden : il y apparaît drapé dans une belle [‘abâya], robe qui se porte par-dessus le
[thawb], l’équivalent saoudien de la djellaba, telle qu’en portent les notables dans le Golfe.
Il est assis à un bureau, et à aucun endroit n’apparaît la traditionnelle kalashnikov,
pourtant jusqu’alors véritable marque de fabrique des vidéos produites par la mouvance
Al-Qaida. Il parle calmement, sur un ton didactique. En un mot, il cherche à apparaître en
homme politique – avec toute la respectabilité que cela implique –, et à se départir de
l’image de guérillero sanguinaire qui continue, aux yeux de beaucoup, de le caractériser.
[2] ↑ Une répétition des événements du 11 septembre 2001.
[3] ↑ Cette rhétorique a été, depuis le 11 septembre et après chaque attentat commis par
la mouvance Al-Qaida, reprise par le président Bush et son équipe. Dès le 17 septembre
2001, il déclare dans une conférence de presse au Pentagone : « Ces gens détestent la
liberté. C’est un combat pour la liberté. C’est un combat pour dire à ceux qui aiment la
liberté : “Nous ne nous laisserons pas terroriser par quelqu’un qui pense pouvoir nous
frapper puis se cacher quelque part dans une grotte” ». Plus récemment, le 5 mai 2004,
dans une interview à la télévision Al-Arabiyya, il disait : « Ils nous ont déclaré la guerre. Et
les États-Unis vont les traquer. Aussi longtemps que je serai président, nous serons
déterminés, fermes et forts dans notre traque de ces gens qui tuent des innocents car ils
détestent la liberté. »
[4] ↑ Les dix-neuf membres des commandos qui s’emparèrent des avions de ligne
américains pour les abattre sur le World Trade Center, le Pentagone et le Congrès (qui était
probablement la cible visée par le quatrième avion, plutôt que la Maison-Blanche).
[5] ↑ Dans tout ce passage, Ben Laden mobilise un argumentaire où il reprend des
thématiques auxquelles l’opinion publique mondiale peut être sensible (« liberté »,
« oppression », etc.). C’est là un autre exemple de l’oscillation stratégique de son discours
entre plusieurs registres de légitimation.
[6] ↑ Dans cette intervention, Ben Laden prend plus de recul historique et adopte un ton
plus personnel que dans aucune de ses adresses (une quinzaine) de l’époque post-
11 septembre 2001. La plupart de ses interventions depuis le 11 septembre ont visiblement
eu pour objet de mobiliser les croyants [tahrîd] et de menacer l’ennemi [tahdîd]. Cette
intervention vise plutôt à expliquer et justifier, ce qui rend son discours beaucoup plus
proche de celui des textes et des entretiens de la période antérieure au 11 septembre 2001.
[7] ↑ L’intervention israélienne a commencé le 6 juin 1982, et, du 13 juin au 18 août, la
partie occidentale de la capitale (« Beyrouth-Ouest »), où s’étaient retranchés les
combattants palestiniens et libanais de gauche, fut bombardée sans interruption. Voir
Ghassan Tueni, Une guerre pour les autres, Paris, J.-C. Lattes, 1985. p. 221-222. Ben Laden
veut sans doute parler de la Ve flotte, la IIIe étant basée dans le Pacifique.
[8] ↑ Bien que ce lien entre l’invasion israélienne de 1982 et le 11 septembre 2001 soit
probablement une construction a posteriori, il ne faut pas oublier que Ben Laden est
d’origine syrienne par sa mère et que ses premiers engagements politiques furent auprès
des Frères musulmans soulevés en Syrie ; il était donc assez sensible à ce qui se passait au
Levant à ce moment-là.
[9] ↑ Les deux principales tours de Beyrouth, le Holiday Inn et la tour Murr, avaient été le
théâtre de combats dès le début de la guerre civile libanaise, notamment lors de la
« bataille des hôtels » en septembre 1975.
[10] ↑ Selon un responsable des Nations unies, 500 000 enfants de moins de cinq ans sont
morts en Irak du fait des conséquences de l’embargo entre 1991 et 2000 (Reuters,
21/07/2000).
[11] ↑ Saddam était en effet considéré, tout au long des années 1980, comme l’un des
alliés privilégiés de l’Occident et des États-Unis au Moyen-Orient. L’Irak était alors perçu
comme un rempart contre le redouté Iran, contre lequel il mena – avec l’appui des
Occidentaux – une guerre de huit ans (1980-1988) qui fit de très nombreuses victimes.
[12] ↑ Entretien avec Scott Mac Leod, à Khartoum, publié le 6 mai 1996.
[13] ↑ 10 mai 1997.
[14] ↑ John Water (sic), en réalité : John Miller, ABC News, 28 mai 1998.
[15] ↑ Trois attentats : Nairobi et Dar es-Salaam, le 7 août 1998 (201 morts kenyans, 11
tanzaniens et 12 américains), Aden le 12 octobre 2000 (17 morts américains).
[16] ↑ Al-Quds al-Arabi, novembre 1996.
[17] ↑ En réalité, Robert Fisk a interviewé Ben Laden à trois occasions : d’abord au
Soudan en décembre 1993 – rencontre qui fut le premier entretien accordé par Ben Laden
à un journaliste occidental -, ensuite en Afghanistan, en juillet 1996 et en 1997.
[18] ↑ Il s’agit ici du Patriot Act, la loi anti-terroriste adoptée presque sans débat le
24 octobre 2001 par un congrès américain encore sous le choc des attentats du
11 septembre 2001. Entre autres conséquences, elle étend considérablement les pouvoirs
du FBI dans les affaires liées au terrorisme. L’auteur donne ici un exemple de ce
mimétisme entre le gouvernement américain et les régimes du Moyen-Orient, et semble
vouloir montrer au peuple américain ce qu’est une vie sous l’oppression.
[19] ↑ C’est dans l’État de Floride, dont le fils aîné de George Bush, Jeb, est gouverneur,
que se joua l’issue contestée des élections américaines de 2000, qui permirent l’accession à
la présidence de son frère George Walker Bush.
[20] ↑ Le mot moujahidines – qui signifie littéralement « ceux qui accomplissent le jihad »
– désigne ici, comme c’était le cas tout au long des années 1980, la résistance armée
afghane. Aujourd’hui, dans le langage des islamistes radicaux, il désigne plus
généralement les combattants liés à la mouvance jihadiste.
[21] ↑ Expression figurant à neuf reprises dans le Coran, l’« une des nombreuses formules
répétitives qui scandent la fin des versets pour en assurer la rime ». Voir Alfred-Louis de
Prémare, Aux origines du Coran, Paris, Téraèdre, 2004, p. 32.
[22] ↑ Ben Laden se réfère ici à l’accusation formulée à l’encontre de l’administration
Bush d’avoir tiré parti de la guerre en Irak pour offrir de nouveaux marchés aux
entreprises américaines, notamment de construction (Halliburton), de pétrole et
d’armement
[23] ↑ Royal Institute of International Affairs de Londres.
[24] ↑ Ce rapport entre la dépense d’Al-Qaida et la perte américaine est bien sûr à mettre
en relation avec le rapport entre le nombre de membres d’Al-Qaida et les armées
ennemies. Pour Ben Laden, le soutien de Dieu à une minorité d’élus a aussi un aspect
financier. Les conséquences économiques des attentats du 11 septembre ont suscité
beaucoup d’intérêt dans les milieux jihadistes, ce dont témoigne le livret de 40 pages
intitulé Les Pertes américaines qui fut publié sur le site Internet du « Centre d’études et de
recherche islamiques » (Markaz al-dirâsât wal-buhûth al-islâmiyya), considéré comme le
porte-parole d’Al-Qaida de 2000 à 2003.
[25] ↑ En septembre 2003, le président Bush a dû demander au Congrès une rallonge
budgétaire de 87 milliards de dollars « pour lutter contre le terrorisme en Irait et en
Afghanistan ».
[26] ↑ Le vice-président de George W. Bush, Dick Cheney, a en effet dirigé, de 1995 à 2000,
l’entreprise américaine Halliburton, avec laquelle il est accusé par beaucoup d’avoir
conservé des liens.
[27] ↑ [al-amîr al-’âmm], chef des commandos terroristes du 11 septembre 2001.
[28] ↑ Le 11 septembre au matin, le président George W. Bush se trouvait en visite dans
une école primaire. Au moment où l’un de ses conseillers vint lui annoncer qu’un avion
venait de s’écraser sur le World Trade Center, il participait avec des enfants à la lecture
d’un conte parlant d’une chèvre. Il resta alors quelques minutes interloqué, continuant à
écouter la lecture, visiblement désemparé. C’est à cette scène, que l’on peut, entre autres,
voir dans le film Fahrenheit 9-11 du cinéaste américain Michael Moore, que Ben Laden fait
ici allusion. Outre cette séquence, une grande partie des attaques formulées par Ben Laden
dans ce « message au peuple américain » se retrouvent également dans le film de Michael
Moore : Patriot Ad, liens Cheney-Halliburton, fraude électorale, etc. On peut même
imaginer que Ben Laden ait vu le film, et s’en soit inspiré pour la présente déclaration. Ce
ne serait pas étonnant, étant donné le fort succès qu’a connu le film de Moore au Moyen-
Orient, et la manière dont il a circulé sur les forums internet islamistes.
[29] ↑ Jeu de mots sur le terme [nath], coup de corne, et [nâtihat al-sahâb], gratte-ciel.
[30] ↑ Allusion à une fable arabe où une chèvre que l’on voulait égorger avait survécu,
faute de couteau, jusqu’à ce qu’elle découvre, à force de gratter le sol, celui avec lequel on
la tua.
[31] ↑ Passage inaudible sur la bande son de la vidéo.
[32] ↑ En arabe, [wilâya], et non [dawla]. La différence est d’importance car, si [dawla]
signifie un État, au sens d’une entité politique indépendante, [wilâya] désigne plutôt une
province. Dans le cas américain, la distinction est fondamentale car les États-Unis sont le
[dawla], et chacun des 52 États est une [wilâya]. Certains commentateurs ont donc vu dans
ce choix des termes une menace proférée à l’encontre de chacun des États, pris
individuellement, qui risquerait, selon le résultat de son vote, d’être frappé par un attentat.
[33] ↑ Au moment de la diffusion de cette déclaration, quelques jours seulement avant la
date des élections américaines de novembre 2004, une polémique a éclaté pour savoir si
Ben Laden avait voulu, par son moyen, faire pencher la balance en faveur de l’un ou
l’autre candidat. De nombreux commentateurs en ont conclu que c’est Bush qui en tirerait
bénéfice, ce qui est probable, étant donné sa victoire confortable sur son rival. Or, à lire le
texte de cette déclaration, on s’aperçoit que Ben Laden, au-delà de proférer les menaces
habituelles, fait tout pour y démontrer l’inefficacité de Bush dans sa lutte contre le
mouvement jihadiste.
Chapitre II. Abdallah Azzam
Introduction

Abdallah Azzam, l’imam du jihad


Thomas Hegghammer
Doctorant à l’Institut d’études politiques de Paris et
chercheur à l’Institut norvégien de recherche sur la défense,
est un spécialiste de l’islamisme.

« Il n’y a aujourd’hui pas une terre de jihad dans le monde, ni


un moujahid combattant sur le chemin de Dieu, qui ne soient
inspirés par la vie, les enseignements et les œuvres d’Abdallah
Azzam (que Dieu ait son âme !) » [1] 

L e savant religieux palestinien Abdallah Azzam (1941-1989)


occupe une place centrale dans l’histoire de l’islamisme radical
en tant que principal théoricien, figure inspiratrice et organisateur
de la participation arabe à la guerre d’Afghanistan dans les années
1980. S’il a été décrit par des commentateurs occidentaux comme
« le parrain du jihad », il a été baptisé « l’imam du jihad » par des
islamistes radicaux en raison de son rôle capital dans le
développement du « mouvement de jihad mondial » qui est apparu
à l’occasion de la guerre d’Afghanistan.
Quand Azzam fut assassiné dans un attentat à la bombe à
Peshawar, en novembre 1989, il était déjà une figure légendaire
dans les cercles islamistes, du fait de ses écrits, de son charisme et
de son statut incontesté de pionnier de l’engagement arabe dans le
jihad afghan. Quinze ans plus tard, Azzam est toujours une icône du
mouvement islamiste et, dans les milieux radicaux, sa stature n’est
égalée que par celle d’Oussama ben Laden.
On ne saurait négliger l’influence des écrits d’Azzam. Ses deux plus
fameux livres, La Défense des territoires musulmans et Rejoins la
caravane !, dans lesquels il prône un effort islamiste de défense
militaire dans le monde entier, sont toujours considérés comme des
classiques de la littérature jhadiste.
Comment et pourquoi le savant religieux palestinien finit-il ses
jours près du front du jihad afghan ? Qu’y avait-il de neuf dans les
idées de Azzam, et dans quelle mesure peut-il être considéré comme
le père intellectuel du terrorisme mondial d’Al-Qaida ? Dans les
pages suivantes, nous examinerons de plus près sa vie, ses écrits et
son héritage.

Débuts dans la vie


Abdallah Youssouf Moustafa Azzam naquit en 1941 dans le village
de Silat al-Harithiyya, à huit kilomètres au nord-ouest de Jénine, en
Cisjordanie [2] . Sur ses parents nous savons peu de choses, sauf que
son père Youssouf Moustafa Azzam (décédé en 1990) était épicier.
Les Azzam forment une famille aux nombreux membres, bien
connue dans le nord de la Palestine comme dans le sud du Liban. La
branche de la région de Jénine a été surnommée « les cheikhs »
parce que les hommes de la famille avaient l’habitude de porter la
barbe. Sa famille était pieuse mais pas à l’excès et, durant toute sa
carrière, ses parents ne se privèrent pas de critiquer Abdallah pour
son activisme politique. Cependant, Abdallah fut l’inspirateur de
l’adhésion aux Frères musulmans de membres plus jeunes de sa
famille.
Dans la plupart des biographies, Abdallah est décrit comme un
enfant aimant la lecture et particulièrement brillant, qui excella en
classe et suivit des cours destinés à des élèves plus âgés que lui. Il
est difficile, sur ce point, de distinguer l’hagiographique du vrai, car
le thème de l’enfant surdoué est très répandu dans les biographies
de oulémas. Ce qui semble plus certain, c’est qu’il devint membre
des Frères musulmans au milieu des années 1950 lorsqu’il tomba
sous l’influence d’un enseignant local qui appartenait à la confrérie,
Chafiq Assad abd al-Hadi. Cet homme âgé, vivant dans le même
village, apprécia le jeune et brillant Abdallah, l’instruisit en religion
et le présenta aux principales figures du mouvement en Palestine.
Par conséquent, le jeune Abdallah s’intéressa davantage aux études
islamiques, et organisa un groupe d’étudiants dans son village.
Ensuite, Chafiq Assad présenta Azzam à rien moins qu’à
Mohammad Abd al-Rahman Khalifa, « contrôleur général » des
Frères musulmans en Transjordanie, lequel visita Silat al-
Harithiyya à plusieurs reprises pour rencontrer et encourager le
jeune homme. Pendant cette période, il s’initia aux écrits de Hassan
al-Banna et lut d’autres publications de la confrérie.
Abdallah resta dans son village jusqu’à la fin de ses études
secondaires. À la fin des années 1950, il entra au collège agricole Al-
Khadouriyya, près de Toulkarem, à 30 kilomètres au sud-ouest de
son village natal. On ne sait pourquoi il choisit ce type d’études,
mais la proximité de la maison et la pression des parents durent
être au nombre des raisons de ce choix. Il reçut de bonnes notes
bien qu’il fut d’un an plus jeune que ses camarades de classe. Une
fois les cours achevés, les étudiants étaient nommés instituteurs
dans des écoles locales de Cisjordanie. Abdallah fut envoyé dans le
village d’Adir, dans le centre de la Jordanie (près de la ville de
Kérak, à 90 km au sud d’Amman). Un biographe précise
qu’Abdallah avait souhaité obtenir un poste plus proche de chez lui,
mais qu’une dispute avec le directeur du collège l’amena à être
nommé dans un collège éloigné.
Après une année passée à Adir, Abdallah retourna en Cisjordanie
pour enseigner dans une école de Bourqine, village situé à 4 km à
l’est de Jénine. Plus tard, ses collègues de Bourqine le décrivirent
comme ostensiblement plus religieux qu’eux ; durant les pauses
café, Abdallah s’asseyait pour lire le Coran quand les autres
mangeaient un sandwich.

Études religieuses à Damas (1964-1966)


À un moment de son séjour à Adir ou Bourqine, Abdallah dut
reconsidérer sa carrière d’instituteur et décida d’entreprendre des
études religieuses. En 1963, il se rendit en Syrie, s’inscrivit à la
faculté de droit musulman de l’université de Damas, où il obtint en
1966 une licence en Charia. Son mémoire, qui portait sur « La
dissolution du mariage dans la jurisprudence islamique et le droit
civil », était une étude comparative de la notion de divorce dans le
droit musulman et dans le droit civil de Syrie et de Jordanie. Son
directeur était Abd al-Rahman al-Sabouni, un universitaire syrien
respecté, auteur de plusieurs livres sur le divorce et sur d’autres
sujets relatifs à la famille dans le droit islamique.
Durant son séjour à Damas, Azzam fit connaissance de nombreux
clercs syriens qui devinrent ensuite des autorités religieuses ou des
dirigeants islamistes, tels Mohammad Adib Salih, Said Hawa [3] ,
Mohammad Said Ramadan al-Bouti [4] , Mollah Ramadan Chaykh al-
Chafia [5]  et Marwan Hadid [6] . Azzam prit sans aucun doute part
aux débats politiques qui faisaient rage dans les cercles islamistes à
cette époque, notamment sur l’attitude à adopter envers les États
oppressifs, que la plupart des islamistes considéraient comme non
islamiques. Un biographe raconte comment, lorsqu’il rendit visite à
Azzam, Mollah Ramadan refusa tout d’abord de participer au repas.
Sur l’insistance des hôtes, il s’exécuta mais s’expliqua en disant qu’il
ne touchait jamais à la nourriture servie par son fils Mohammad
Bouti, parce que ce dernier avait un salaire de fonctionnaire. Or,
l’argent public était impur, ajouta-t-il, parce qu’il pouvait provenir
de sources comme des taxes sur l’alcool.
En 1964, le mentor d’Azzam, Chafiq Assad abd al-Hadi, mourut, ce
qui l’affecta profondément et renforça sa détermination à continuer
à œuvrer pour la cause islamique et à « reprendre le flambeau » en
mémoire de Chafiq Assad. C’est notamment pour cela que lorsqu’il
revenait en vacances dans son village, il prêchait à la mosquée et y
enseignait.
En 1965, probablement durant les vacances d’été dans son village, il
épousa une jeune Palestinienne de Toulkarem, qui devait lui
donner cinq fils et trois filles. Leurs deux familles se connaissaient
depuis 1948, lorsque la famille de la jeune fille avait été déplacée de
son village du nord de la Palestine et était arrivée à Silat al-
Harithiyya, où les Azzam les accueillirent. La famille Azzam fut
donc indirectement affectée par la guerre de 1948 et ses
conséquences. Mais bientôt, Abdallah allait se trouver plus
directement affecté par l’occupation israélienne et le conflit israélo-
arabe.
En 1966, après avoir obtenu brillamment son diplôme à l’université
de Damas, il rentra en Cisjordanie pour enseigner dans les écoles,
tout en prêchant dans les mosquées et donnant des conférences
dans la région de son village.
Peu après la guerre de juin 1967 puis l’occupation de la Cisjordanie
par Israël, Abdallah et le reste de sa famille émigrèrent en Jordanie.
Comme de nombreux Palestiniens arrivant dans ce pays à cette
époque, ils s’installèrent dans le camp de réfugiés d’al-Roussayfa à
al-Zarqa, une ville majoritairement peuplée d’immigrants à
quelques kilomètres au nord-ouest d’Amman. Dans les années 1990,
Zarqa devint le centre du radicalisme islamiste en Jordanie, en
raison des difficultés économiques et de l’afflux, en 1990 et 1991, de
Palestiniens radicaux revenus d’Afghanistan et d’autres, imprégnés
de la doctrine wahhabite, venus du Koweït. Plus récemment, al-
Zarqa a donné son nom au tristement célèbre Abou Moussab al-
Zarqawi, et aujourd’hui, cette ville est grande pourvoyeuse de
militants partant se battre en Irak [7] . Abdallah Azzam resta peu de
temps à al-Zarqa, avant de se rendre à Amman avec sa femme et sa
fille aînée Fatima pour enseigner à l’École secondaire de filles d’al-
Taj.

Le jihad palestinien D’Azzam (1967-1969)


La séquence d’événements qui se déroula durant la période qui
s’étend de son arrivée à Amman, à la fin de 1967, jusqu’au début de
son travail à l’université de cette ville, au début de 1970, n’est pas
claire. C’est à cette époque qu’il participa à la guérilla contre Israël,
comme des milliers d’autres jeunes Palestiniens en Jordanie ; selon
ses propres termes, il participa « durant un an et demi au jihad
palestinien ». En outre, il obtint une maîtrise de l’université d’al-
Azhar du Caire en 1969, ce qui nécessitait au moins un an de
préparation. Des recherches historiques plus poussées sont
nécessaires afin d’établir la chronologie exacte de cette période.
Si toutes les hagiographies majorent l’ampleur de son « jihad
palestinien », il semble assuré qu’il participa à la résistance armée
contre Israël. On prétend que sa décision fut prise brusquement. Un
biographe écrit : « Une nuit, Abdallah entendit des jeunes gens
scander des slogans dans la rue, appelant à combattre pour la
Palestine. Il se dit alors : « N’est-ce pas honteux que ce jeunes gens
partent au champ de bataille avant moi ? » C’est alors qu’il décida
de se joindre aux Fedayins dans leurs incursions en Cisjordanie.
Avec sa femme et leur fille, il déménagea d’un appartement du
quartier d’al-Taj à Amman pour un taudis d’Al-Zarqa. Azzam y
constitua un groupe de fidèles, installa une base dans la région
d’Irbid et commença à lancer des opérations à travers la frontière,
tout cela prétendument « en accord avec le mouvement islamique
de Jordanie ». Abdallah devint le chef de la base paramilitaire
[8]
« Bayt al-Maqdis »   , dans le village d’al-Marw, non loin d’Irbid.
Cette base faisait partie d’un réseau de camps liés au Fatah nommés
« Les bases des cheikhs » [9] . Ce nom faisait référence à certains des
fondateurs du Fatah, tels Abou Jihad, qui étaient membres des
Frères musulmans.
La décision prise par Azzam d’abandonner un salaire et une
position respectable pour un taudis dans un bidonville jordanien
déçut ses parents qui, selon un biographe, avaient espéré « le voir
devenir un juge respecté à Amman ». La femme d’Azzam baissa
dans l’estime de la famille et parmi ses frères, mais elle accepta
(puis en vint à admirer) la décision de son mari. Azzam fut même
sommé par son père de retourner à son poste d’enseignant, ce qui
mit en colère le moujahid frais émoulu. Cet affrontement avec son
père aurait, dit-on, poussé Azzam à se convaincre que la permission
des parents n’est pas requise pour participer au jihad [10] .
Bien qu’Abdallah eut désobéi à son père pour continuer son « jihad
palestinien », il ne renonça pas à ses ambitions universitaires. À
l’automne 1968, il s’inscrivit, au Caire, à la prestigieuse université
d’al-Azhar où il obtint une maîtrise en droit musulman avec
mention très bien en 1969, après quoi il rentra en Jordanie pour
continuer le combat auprès des Fedayins. Au début de l’année 1970,
on lui proposa un poste de professeur à l’université de Jordanie,
qu’il accepta. Cette décision de reprendre l’enseignement fut sans
doute due à la combinaison de deux facteurs : sa désillusion face au
caractère laïque et nationaliste de la résistance palestinienne
dominée par l’OLP, et son désir de satisfaire ses ambitions
intellectuelles. Un an plus tard, en 1971, Azzam obtint une bourse
de doctorat à al-Azhar.
Dans les événements de Septembre noir en 1970, au cours desquels
l’OLP fut expulsée de Jordanie, Azzam est resté neutre. Par
conséquent, il a évité les sanctions appliquées aux fedayins
palestiniens par le royaume hachémite, puisqu’il travaillait à
l’université depuis le début 1970. Nous pouvons en même temps
observer que son rôle dans le « jihad palestinien » ne l’a pas
empêché d’obtenir un poste à l’université d’Amman, ce qui indique
peut-être que son jihad n’était pas aussi important que ses
biographes ne le disent.

Doctorat à Al-Azhar (1971-1973)


Abdallah Azzam arriva au Caire alors que la scène islamiste était en
plein changement. En 1966, Gamal Abd al-Nasser avait réprimé
sévèrement les Frères musulmans, en faisant exécuter Sayyid Qotb,
et emprisonner et torturer des milliers d’autres. Cela contribua à
radicaliser certains parmi les plus jeunes Frères musulmans, qui
trouvèrent dans les derniers écrits de Qotb la base idéologique
d’une approche plus radicale de l’islamisme. En 1970, lorsque le
nouveau président Anouar al-Sadate arriva au pouvoir, il se
distança de l’héritage nassérien ainsi que de ses soutiens politiques.
L’un des éléments de sa stratégie fut de courtiser les islamistes, en
libérant la majeure partie d’entre eux de prison et en assouplissant
les contraintes imposées à leurs activités politiques.
Cela dit, il fallut plusieurs années pour que ces courants souterrains
voient le jour sous la forme d’activité militante, mais il ne fait pas
de doute que, durant les deux ans et demi qu’il passa au Caire,
Azzam fut plongé dans un environnement islamiste bouillonnant.
En outre, son affiliation politique aux Frères musulmans et son
inscription à al-Azhar le placèrent dans une situation unique pour
tisser un vaste réseau de contacts dans le mouvement islamiste
égyptien. Il devint l’un des proches de la famille Qotb, et il est plus
que probable qu’il rencontra Omar Abd al-Rahman, religieux
aveugle qui allait devenir le chef spirituel des islamistes militants
en Égypte. En revanche, il est improbable qu’il ait alors rencontré le
jeune Ayman al-Zawahiri.
Alors qu’il vivait au Caire, Azzam attira aussi l’attention des services
de sécurité égyptiens, d’une part en raison de ses relations avec les
islamistes égyptiens et de l’autre, parce que les autorités
enquêtaient sur le fait qu’il ait pu être l’auteur, en 1966, d’un
télégramme anonyme envoyé de Palestine au gouvernement
égyptien pour réprouver la condamnation à mort de Sayyid Qotb.
Ils avaient raison : Azzam avait bien envoyé un tel télégramme,
mais les autorités égyptiennes furent incapables de le prouver, et il
ne fut jamais détenu en Égypte.
Lorsqu’il quitta ce pays, à la fin de 1973, son doctorat de droit
musulman en poche, il possédait non seulement l’immense prestige
religieux d’un diplômé de l’université d’al-Azhar, mais aussi un
réseau de relations tissé dans ce qui était alors la capitale du
mouvement islamiste. Azzam, qui, durant ses études à Damas, avait
noué des contacts dans les cercles islamistes locaux, était ainsi
préparé pour le type de mobilisation islamiste transnationale qu’il
allait entreprendre en Afghanistan dans les années 1980.

Les années passées à Amman (1973-1980)


À son retour du Caire, Abdallah travailla pendant une courte
période au département de l’information du ministère des Waqfs,
mais il demanda à être muté à l’université, parce qu’il aimait le
monde universitaire et voulait enseigner à des jeunes pour diffuser
la conscience musulmane dans la société jordanienne. Il donna un
cours de charia pendant six ans. Quelques mois après avoir
commencé à enseigner, le bruit courut sur le campus qu’il s’y
trouvait un nouveau professeur de charia très éloquent. À la même
époque, en 1972, l’université avait introduit un système plus souple
de choix des cours, qui permettait à des étudiants de choisir des
séminaires annuels et non plus de suivre un cursus établi. Cela
permit à des étudiants de toutes les facultés de suivre les cours
d’Azzam. Il exerça une influence conservatrice dans cette
université, prônant moins de mixité entre les sexes et incitant les
étudiants à laisser pousser leurs barbes. Durant ses années à
l’université de Jordanie, il enseigna à une génération entière
d’étudiants et laissa son empreinte parmi les islamistes. Des
cassettes de ses conférences se mirent à circuler et son influence
croissante lui valut le surnom de « Sayyid Qotb jordanien ».
Outre ses obligations officielles à l’université, Azzam donnait des
cours du soir dans les mosquées et recevait des étudiants chez lui. Il
voyagea dans tout le pays, prêchant et enseignant. Il gravit
rapidement les marches de l’organisation des Frères musulmans
jordaniens, et devint l’un des cinq membres du conseil du [majlis al-
chûrâ] à partir de 1975 [11] .
L’un de ses biographes écrit qu’Azzam voyagea aussi en Amérique,
en réponse à l’initiative de l’Association des étudiants musulmans, il
aurait ainsi prononcé des conférences dans plusieurs États pour les
diverses branches de cette association.
Vers la fin des années 1970, Azzam était devenu une figure islamiste
influente en Jordanie, et ses cours, de plus en plus politisés, étaient
critiques envers le gouvernement. Même si les relations entre les
Frères musulmans et le gouvernement jordanien étaient
relativement bonnes, les autorités devenaient certainement plus
attentives au discours islamiste en raison de l’apparition d’une
forte, et parfois violente, opposition islamiste dans les pays voisins
tels l’Égypte et la Syrie. Les autorités firent pression sur Azzam en
lui demandant d’atténuer ses prêches de plus en plus politisés, et
finalement le menacèrent d’emprisonnement ; mais Azzam était
conscient que sa popularité aurait rendu difficile cette hypothèse.
Ce qui aurait provoqué son renvoi fut un conflit avec le journal Al-
Ra’y survenu au début de l’année 1980. Ce dernier avait publié une
caricature ridiculisant les religieux : elle montrait un groupe de
cheikhs portant des pistolets mitrailleurs M-16, dont la légende
était : « Espions américains ». Azzam, outré, appela le directeur de
la fondation Al-Ra’y pour exiger des excuses. Le directeur ayant
refusé, Azzam l’insulta et le menaça, ce que le directeur rapporta
aux autorités, qui le renvoyèrent de son poste. Mais cet épisode ne
fut que le prétexte à une décision que voulait prendre le régime
jordanien depuis longtemps, afin de faire taire cet opposant de plus
en plus véhément.
Azzam comprit que les services de sécurité allaient l’empêcher de
prêcher et d’enseigner librement en Jordanie. Il aurait alors tenté
de participer à la lutte palestinienne, mais, s’étant aperçu que cela
serait trop difficile, il décida de quitter le pays et se dirigea vers le
havre favori des intellectuels islamistes d’alors, l’Arabie Saoudite.

Halte à Djedda
Au milieu de l’année 1980, Azzam devint professeur à l’université
du Roi Abd al-Aziz ibn Saoud à Djedda, probablement grâce à ses
relations parmi les Frères musulmans. Dans les années 1960 et le
début des années 1970, le pays avait accueilli nombre de Frères
égyptiens et syriens fuyant les persécutions, qui y trouvèrent du
travail, surtout dans l’enseignement supérieur, nouvellement
institué et manquant de ressources intellectuelles. Par conséquent,
de nombreuses universités saoudiennes, notamment au Hedjaz,
furent fortement influencées par eux. L’une des figures de premier
plan était Mohammad Qotb, le frère de Sayyid Qotb, dont Azzam
avait fréquenté la famille durant ses études au Caire. Il est possible
que Qotb, qui enseignait alors à l’université du Roi Saoud, ait facilité
la venue d’Azzam.
Il est tentant de penser qu’Azzam fit la connaissance du jeune
Oussama ben Laden à cette époque. En 1980, ce dernier avait vingt-
trois ans et étudiait la gestion dans cette université. Il était plus
pieux que les autres membres de sa riche famille, et commençait à
s’intéresser à la politique, en suivant les développements de
l’opposition islamiste au pays de sa mère, la Syrie [12] . Il devait
sûrement être intéressé par les cours de ce nouvel et brillant
orateur qui commençait à prêcher sur le campus. Une source
affirme qu’Azzam et sa famille vivaient à Djedda dans un
appartement loué par Ben Laden [13] . Cependant, il n’existe pas de
preuve que les deux hommes se rencontrèrent, et aucun des deux
n’a dit qu’ils firent connaissance à Djedda. Même si Ben Laden
assista aux cours de Azzam ou si leurs chemins se croisèrent d’une
autre manière, on peut penser qu’Azzam a difficilement pu avoir
une influence idéologique profonde et formatrice sur Ben Laden,
pour la simple raison qu’il ne resta pas longtemps en Arabie
Saoudite.
En octobre 1980, peu après le début de l’année universitaire, Azzam
parcourut les quatre-vingt kilomètres qui séparent Djedda de La
Mecque pour accomplir le pèlerinage, où il devait rencontrer le
cheikh Kamal al-Sananiri, l’individu qui lui ouvrit les yeux sur ce
qui allait devenir le grand dessein de sa vie : le jihad en
Afghanistan. Al-Sananiri était un membre des Frères musulmans
égyptiens et s’était rendu en Afghanistan dès 1979. En 1980, il servit
de médiateur entre les factions de moujahidines dont les querelles
intestines empêchaient toute résistance effective contre le régime
soutenu par les Soviétiques. Al-Sananiri forgea un accord qui servit
de base pour la création de l’Union islamique des moujahidines
afghans, dirigée par Abd al-Rassoul Sayyaf [14] , et qui fut signée
durant le pèlerinage de 1980. Nous ne connaissons pas les
circonstances dans lesquelles Azzam rencontra al-Sananiri, mais
cela constitua certainement un tournant de sa vie, puisqu’il fut si
influencé par les récits de son interlocuteur qu’il décida de se
rendre lui-même en Afghanistan [15] .
Il interrogea alors le recteur de son université sur la possibilité
d’aller enseigner dans la nouvelle université internationale
islamique d’Islamabad, qui était financée par l’université du Roi
Abd al-Aziz. En 1981, probablement à la fin de l’année universitaire
à Djedda, Azzam partit pour Islamabad.

Au sein du jihad afghan


Juste après son arrivée au Pakistan, Azzam commença à entrer en
contact avec les chefs militaires afghans, sans doute à partir des
relations d’al-Sananiri. Même s’il lui fallut un certain temps pour
trouver sa place dans la résistance, il fut dès le premier jour le point
de contact entre les moujahidines afghans et le mouvement
islamiste du Proche-Orient. C’est d’ailleurs ce rôle qui définit
l’engagement entier d’Azzam dans le jihad : parfois, il suivait et
aidait l’effort militaire sur le terrain en Afghanistan ; le reste du
temps, il écrivait, prêchait et jouait de son influence pour
convaincre le reste du monde musulman d’envoyer des hommes et
de l’argent dans ce pays. Il est d’ailleurs important de noter qu’il se
considérait plutôt comme un écrivain et un penseur que comme un
combattant ; s’il se considérait comme un moujahid, c’est-à-dire
celui qui mène le jihad, son domaine était surtout celui de la
propagation de la foi [da‘wa] plutôt que le combat [qitâl], ce qui
explique pourquoi il fut décrit par ses camarades islamistes comme
« le cœur et le cerveau » du jihad en Afghanistan.
On sait peu de choses sur les activités d’Azzam entre 1981 et 1983,
sinon qu’il travailla pour l’université islamique d’Islamabad,
voyagea régulièrement en Afghanistan, fut lié aux chefs
moujahidines et œuvra à développer la sympathie pour la cause
afghane dans le monde musulman. À partir de 1982, il réduisit ses
engagements d’enseignant à l’université d’Islamabad sur deux ou
trois jours de la semaine, de manière à pouvoir se rendre le reste du
temps en Afghanistan, écrire des lettres et des brochures ou
recevoir des visiteurs. À la fin 1983, cependant, il était clair
qu’Azzam était un peu frustré de voir ses efforts ne pas porter plus
de fruits. Le nombre de volontaires arabes était négligeable, peut-
être de l’ordre de dix à vingt hommes. En outre, Azzam considérait
qu’il n’avait pas réussi à convaincre le monde musulman que le
jihad en Afghanistan était une obligation individuelle incombant à
tout musulman. Il eut l’impression que de nombreux oulémas du
Proche-Orient travaillaient dans le sens contraire au sien, en
décourageant les hommes de se rendre en Afghanistan.
Afin de remédier à cette situation, Azzam prit trois décisions
importantes. Tout d’abord, début 1984, il écrivit un ouvrage intitulé
La Défense des territoires musulmans, dans lequel il argue, en savant
religieux, que le jihad afghan est une obligation individuelle [fard
‘ayn] pour tous les musulmans du monde entier. Ce livre développe
une fatwa qu’il avait signée un an plus tôt et publiée dans le
périodique islamiste koweïtien Al-Mujtama. Afin de renforcer la
légitimité de sa fatwa, il fit préfacer le livre par des collègues
universitaires (qui ont par la suite atteint d’éminentes positions).
C’est d’ailleurs à ce moment qu’il se heurte à l’autorité suprême des
Frères musulmans en Jordanie, Mohammad Abd al-Rahman
Khalifa. Ce dernier refusa d’envoyer des combattants en
Afghanistan, préférant le soutien humanitaire et financier. Ce
désaccord entraîna une rupture formelle, car Azzam fut par la suite
suspendu de sa qualité de membre des Frères musulmans en
Jordanie. Ensuite, il quitta son poste à l’université islamique et se
rendit à Peshawar, près de la frontière afghane, où il était mieux
placé pour coordonner l’afflux de volontaires qui commençait à
croître. Enfin, il donna un caractère formel à sa coopération avec le
nouveau venu Oussama ben Laden, en fondant à Peshawar une
organisation appelée le Bureau des services [maktab al-khadamât].
Le bureau des services
Le but principal du Bureau des services était de faciliter l’arrivée de
volontaires arabes et de coordonner la répartition des recrues sur
les divers champs de bataille, camps d’entraînement ou activités de
soutien au jihad en Afghanistan. Azzam en était le directeur officiel,
mais des assistants s’occupaient des affaires en cours dans divers
sous-comités et branches locales. Il y avait quatre sous-comités
chargés de l’entraînement, des affaires militaires, de la santé et la
logistique. Le Bureau des services dirigea un certain nombre de
pensions [al-madhâ’if] à Peshawar, où des volontaires étrangers
pouvaient séjourner pour une période indéterminée dans l’attente
de partir en Afghanistan. Durant la deuxième partie des années
1980, Peshawar devint un melting-pot idéologique et politique
d’hommes venus de nombreux pays, d’origines et de formations
diverses, ayant chacun leurs ambitions. Nombre de processus
idéologiques et de relations personnelles qui allaient marquer le
cours de l’islamisme radical durant les années 1990 ont leur origine
dans ce qu’un ancien islamiste radical appelle « la cuisine de
Peshawar » [16] .
En 1984, Azzam et Ben Laden obtinrent la permission du chef
moujahidine afghan Abd al-Rassoul Sayyaf de fonder le premier
camp d’entraînement destiné aux seuls Arabes en Afghanistan. Ce
fut une avancée significative vers ce qui devait devenir une
structure militaire séparée pour les Arabes. Au cours des ans, de
plus en plus de camps furent créés en Afghanistan afin d’accueillir
les milliers de recrues qui commencèrent à arriver en nombre
exponentiel à Peshawar à partir de 1986.
Cette année-là, l’étape suivante vers la création d’une force militaire
autonome fut franchie lorsque le Bureau des services décida de
créer des unités de combat arabes. Mais cela fut une source de
désaccord entre Azzam et Ben Laden. Alors que le premier était en
faveur de la pratique habituelle d’envoyer des volontaires arabes
auprès des moujahidines et des ONG islamiques pour compléter leur
entraînement, le second était pour la constitution de forces
étrangères indépendantes (principalement arabes). Cela ne causa
pas de brouille entre eux mais marqua le premier geste de Ben
Laden pour sortir de l’ombre d’Azzam et devenir un acteur
indépendant du jihad afghan. Ainsi, en octobre 1986, Ben Laden
fonda le camp « La tanière des compagnons » [17] , près de la ville
frontière de Jaji, afin d’y entraîner des forces exclusivement arabes.
Ce camp était dirigé principalement par des instructeurs égyptiens,
annonçant la prédominance actuelle des jihadistes égyptiens autour
d’Oussama ben Laden. L’impact de ces unités arabes sur la guerre
fut assez limité et il semble que, à l’encontre de la mythologie forgée
par les Arabes afghans, ils aient participé à peu de batailles contre
l’Armée rouge [18] .
En dépit de ces divergences mineures, Abdallah Azzam était
toujours en bons termes avec Ben Laden et, selon tous les récits, les
deux hommes travaillèrent ensemble jusqu’à la fin de la guerre à la
direction du Bureau des services. Azzam ne semble pas avoir
participé aux projets militaires de Ben Laden, mais poursuivit et
intensifia ses efforts dans le domaine politique.
Alors que Ben Laden et beaucoup d’étrangers vivaient à l’écart des
moujahidines afghans, Azzam conserva de bonnes relations avec les
divers hommes politiques, seigneurs de la guerre et chefs militaires
locaux. Il fit de nombreux voyages en Afghanistan pour rendre
visite aux diverses factions moujahidines. Et lorsque, à la fin de la
guerre, la rivalité fit rage entre les deux seigneurs de la guerre
Ahmad Chah Massoud et Gulbuddin Hekmatyar, Azzam entreprit
une médiation entre eux [19] .

Ambassadeur de la cause afghane


Les bons offices d’Azzam ne se limitaient pas à la politique
intérieure afghane. Il se posa aussi en ambassadeur du jihad afghan
dans le monde musulman et travailla sans relâche pour
promouvoir dans le monde entier la connaissance de la situation
des moujahidines afghans. Son objectif était clair : assurer le
maximum d’aide financière et humaine à la cause afghane. Il suivit
une triple stratégie : le démarchage des principales institutions
islamiques ; de nombreux voyages internationaux ; une abondante
production idéologique.
Bien qu’Azzam ne fût plus membre officiel des Frères musulmans, il
se trouvait, en vertu de sa longue expérience et de son vaste réseau,
dans une position unique pour solliciter un soutien politique et
financier de la plupart des organisations islamiques, telle la Ligue
islamique mondiale. Azzam jouissait aussi du soutien d’oulémas
saoudiens de premier plan, comme de celui du gouvernement de
Riyad, qui devint l’un des principaux bailleurs de fonds et
pourvoyeur d’hommes à Peshawar. Le soutien financier était assuré
par l’entremise d’une institution fondée en 1985, le Conseil
islamique de coordination. C’était un conglomérat composé d’une
vingtaine d’organisations caritatives musulmanes, dirigé par les
Croissants rouges saoudien et koweïtien à Peshawar avec l’aide
d’Azzam, qui en devint le directeur [20] . Azzam créa aussi des
branches internationales du Bureau des services, notamment aux
États-Unis.
Il voyagea beaucoup : ses tournées de levée de fonds le menèrent
principalement dans les pays du Golfe, mais aussi dans tout le
Proche-Orient, en Europe et aux États-Unis. Par exemple, entre 1985
et 1989, Azzam et son bras droit, le cheikh palestinien Tamim al-
Adnani, visitèrent des dizaines de villes américaines. Mais cela
n’était pas faute d’anti-américanisme : les conférences qu’il donna
aux États-Unis – dont bon nombre sont enregistrées sur bandes
vidéo – étaient très critiques envers les États-Unis et l’Occident.
Le troisième pilier de la stratégie d’Azzam était sa production
idéologique. Azzam était un auteur fécond, et ses nombreux livres,
articles et conférences enregistrées sur le jihad afghan circulèrent
dans le monde entier, de l’Inde à l’Amérique comme des palais
saoudiens aux camps de réfugiés palestiniens.
En résultat de ces efforts, Azzam réussit à recueillir de
considérables sommes d’argent pour son Bureau des services et
d’autres organisations participant au jihad. Aucun chiffre attesté
n’existe, mais on estime que jusqu’à plusieurs centaines de millions
de dollars auraient ainsi afflué à Peshawar entre 1985 et 1989.

L’assassinat d’Abdallah Azzam


Si le retrait de l’Armée rouge d’Afghanistan, en février 1989, mit un
terme à l’occupation soviétique, il fit peu pour stabiliser le pays.
L’appui américain aux moujahidines afghans cessa, le soutien
saoudien diminua en raison de la rivalité avec l’Iran, et de
nombreux pays affichèrent leur perplexité devant la guerre civile
afghane et l’émergence de ce qu’ils considérèrent comme les
factions extrémistes de Gulbuddin Hekmatyar et Abd al-Rassoul
Sayyaf. Dans le même temps, les chefs des Arabes afghans
débattaient de la manière d’aborder la nouvelle situation politique
et d’envisager l’avenir. À ce moment difficile, le jihad afghan perdit
« son cœur et son esprit ».
Vers sept heures du matin, le vendredi 24 novembre 1989, Abdallah
Azzam fut tué par une bombe alors qu’il conduisait son véhicule
dans l’une des principales rues de Peshawar pour se rendre à une
mosquée où il devait, quelques heures plus tard, prononcer le
sermon du vendredi. Ses deux fils aînés, Mohammad et Ibrahim,
âgés de vingt et quinze ans, furent tués avec lui dans l’explosion.
Certaines sources affirment que le fils de Tamim Adnani se trouvait
aussi dans la voiture. Azzam fut enterré au Cimetière des Martyrs à
Babi, près de Peshawar, lors de funérailles auxquelles assistèrent
les chefs afghans Abd al-Rassoul Sayyaf et Burhan al-Din Rabbani
ainsi qu’un groupe important d’Arabes afghans.
Jusqu’à ce jour, ses assassins n’ont pas été identifiés, mais ce ne sont
pas les spéculations qui manquent, puisqu’il existe au moins cinq
théories pour expliquer cet assassinat. La première et plus
répandue est qu’un conflit s’étant déclaré entre Azzam et Ben
Laden sur l’avenir des combattants arabes, le second ordonna
l’assassinat du premier. Selon cette théorie, Ben Laden voulait que
les Arabes afghans entreprennent des opérations militaires contre
des régimes du Proche-Orient, quand Azzam voulait poursuivre la
lutte en Afghanistan jusqu’à la fondation d’un véritable État
islamique. La deuxième interprétation est que l’assassinat fut
organisé par Ayman al-Zawahiri en raison d’une lutte pour le
pouvoir entre Azzam et les jihadistes égyptiens. Plusieurs personnes
ont relaté la froideur et la suspicion mutuelle régnant à Peshawar
entre Azzam et les Égyptiens, qui seraient nées du radicalisme des
Égyptiens et de leur tentative de manipuler Oussama ben Laden. Al-
Zawahiri et Azzam auraient eu des plans différents pour les Arabes
afghans : le premier entendait mener le jihad contre « l’ennemi
proche » (les régimes arabes), le second voulait que les Arabes
afghans restent en Afghanistan. La troisième théorie est qu’Azzam
fut victime des rivalités entre factions afghanes, et que sa tentative
de médiation incita quelqu’un, issu des rangs de l’un des deux
ennemis Massoud et Hekmatyar, à le liquider. La quatrième est que
les services secrets pakistanais – l’ISI – sont les auteurs de l’attentat,
tandis que la cinquième en fait porter la responsabilité sur la CIA et
le Mossad. On s’en serait douté, c’est cette dernière théorie qui
prédomine dans les cercles jihadistes, puisque, à peine une semaine
après l’assassinat, le magazine Al-Jihad de Peshawar publiait un
article suggérant que les Américains et les Israéliens avaient
assassiné Azzam.
Héritage et influence
L’influence d’Azzam sur le mouvement jihadiste n’est plus à
démontrer. Il y a trois dimensions à son immense héritage :
premièrement, la dimension politique et le rôle de Azzam dans la
promotion du conflit afghan du niveau régional au plan mondial ;
ensuite, sa dimension organisationnelle, qui fait qu’Azzam se
détache comme « le père des Arabes afghans » ; enfin, la dimension
idéologique, Azzam devenant le premier théoricien du jihad
mondial.
Le jihad en Afghanistan à la fin des années 1980 fut l’arène d’un
engagement international massif, et l’on pourrait arguer que le
montant des ressources militaires et financières qui y furent
investies semble disproportionné par rapport à la valeur
stratégique de l’Afghanistan, plus important en tout cas que dans
tout autre conflit secondaire de la guerre froide. Dans le contexte du
monde islamique, le niveau de mobilisation et le soutien des États,
des organisations et des individus à la résistance islamiste en
Afghanistan fut sans précédent. Cette mobilisation peut s’expliquer
par des facteurs politiques régionaux (comme la rivalité entre l’Iran
et l’Arabie Saoudite) et des changements structurels dans les
banques islamiques et les ONG (qui facilitèrent le transfert d’argent).
Toutefois, aucun individu ne joua un rôle plus important
qu’Abdallah Azzam pour fédérer le soutien à cette cause dans le
monde musulman. Son travail systématique de propagande, de
levée de fonds et de création de réseaux fut un facteur essentiel de
l’internationalisation de ce qui, sinon, serait resté un conflit
régional aux marges du monde musulman.
Une autre conséquence peut-être plus tangible de l’action d’Azzam
est d’avoir contribué à façonner le phénomène des « Arabes
afghans ». Azzam et son Bureau des services recrutèrent, reçurent
et entraînèrent des milliers – peut-être des dizaines de milliers –
d’étrangers dans le but de fournir un soutien militaire à la
résistance afghane. Le résultat en fut la création d’une
« Internationale » islamiste, constituée d’hommes dont le puissant
sentiment de fraternité transcendait les différences nationales et
culturelles, et les perspectives idéologiques, celles de l’État-nation et
de la lutte contre un gouvernement arabe particulier. Peut-être plus
important encore, le Bureau des services et ses branches créèrent
un cadre d’activistes très motivés, expérimentés et endurcis, dont la
prouesse paramilitaire fut supérieure à celle de tout autre groupe
islamiste précédent. Le plus remarquable produit des Arabes
afghans est Oussama ben Laden le phénomène Al-Qaida. On
pourrait faire remarquer qu’Azzam, qui se serait opposé à la
stratégie de Ben Laden de créer des unités de combat purement
arabes à partir de 1986, ne peut qu’indirectement être tenu pour
responsable de la transformation de certaines factions d’Arabes
afghans en organisations terroristes. Cependant, Azzam sera
toujours considéré comme « le père des Arabes afghans », une
catégorie d’islamistes radicaux dont l’influence se fit sentir dans de
nombreuses régions du monde à partir des années 1990.
Quoi qu’il en soit, l’héritage le plus durable d’Abdallah Azzam est,
sans conteste, sa contribution à la pensée et à la doctrine islamiste
radicales. Clerc religieux par formation et théoricien par vocation,
c’était un auteur bien plus prolifique qu’Oussama ben Laden et
Ayman al-Zawahiri. Azzam a laissé un vaste corpus de plus de cent
livres, articles et conférences enregistrées, dont seule une partie
minime a été traduite dans les langues occidentales.
On a dit qu’« Azzam réussit à rajeunir le concept de jihad parmi les
masses arabes ». Mais il ne fut pas le premier islamiste moderne à
centrer l’attention sur le jihad comme moyen de changement
politique. Il ne fut pas non plus le premier à déclarer que le jihad
est une obligation individuelle incombant à tous les musulmans, et
la plus haute forme de dévotion. Ces opinions avaient déjà été
exprimées par des islamistes égyptiens, notamment Abd al-Salam
Faraj dans L’Impératif occulté, en 1981 [21] . Pourquoi donc Azzam
fut-il considéré comme « le revivificateur du jihad au XXe siècle » et
pourquoi fut-il plus lu que Faraj ? La réponse à cette question se
trouve dans la justification politique du jihad et dans sa vision
stratégique de son application. Sur de nombreux points, la pensée
d’Azzam diffère de celle des idéologues radicaux.
Avant tout, Azzam déplaça l’objectif du combat contre l’ennemi
intérieur vers celui du combat contre l’ennemi extérieur. Il
redéfinit le principal casus belli du jihad : l’occupation des
territoires musulmans par des agresseurs étrangers. Ce fut un
tournant par rapport aux radicaux égyptiens, qui affirmaient que le
jihad était surtout un combat contre la tyrannie du gouvernant
musulman. Cela ne veut pourtant pas dire qu’Azzam n’ait pas été
favorable à l’établissement d’un État islamique, si nécessaire par la
force, mais qu’il considérait que se défendre contre un agresseur
extérieur était plus urgent et important que de renverser les tyrans
intérieurs.
En second lieu, Azzam développa un islamisme plus territorial. Il
redéfinit le principal objet de contentieux du jihad comme étant les
territoires musulmans, non leur système politique. D’où le fait que,
dans l’islamisme d’Azzam, la terre [al-ard] l’emporte sur l’État [al-
dawla]. Cela représente un autre tournant par rapport à la
perspective des jihadistes égyptiens. Son discours orienté vers le
territoire joua un rôle important dans le processus d’islamisation de
nombreux conflits séparatistes dans les années 1990 – Bosnie,
Tchétchénie et Mindanao, pour n’en citer que quelques-uns.
L’influence d’Azzam fut particulièrement forte dans sa Palestine
natale, où l’on peut dire que ses écrits contribuèrent à la
redéfinition du conflit palestinien. Pour beaucoup, les Palestiniens
n’étaient plus engagés dans un combat nationaliste afin de fonder
un État, ils conduisaient une bataille sans compromis pour
reconquérir des terres musulmanes. « Il n’y aura pas de solution au
problème palestinien sinon par le jihad », écrit Azzam : « Le jihad, le
fusil et c’est tout. Pas de négociation, pas de conférence, pas de
dialogue. »
En troisième lieu, la pensée d’Azzam sur la stratégie du jihad
représenta un changement par rapport à l’approche
révolutionnaire à laquelle il préféra une approche militaire. Azzam
rejeta l’idée d’avant-garde [al-talî‘a] pour proposer celle de « base
solide » [al-qâ‘ida al-sulba]. Il ridiculisa l’idée répandue parmi les
radicaux égyptiens de cette époque qu’un petit groupe clandestin
puisse établir un État islamique en réussissant un coup d’État. Ce
dont le mouvement islamiste avait besoin, c’était une base
territoriale sur laquelle de jeunes musulmans pouvaient recevoir
une « éducation au jihad » [tarbiya jihâdiyya] et construire la force
militaire nécessaire afin de reconquérir les territoires musulmans.
Azzam affirme que le mouvement islamiste a besoin d’une avant-
garde de combattants, mais celle-ci doit partir d’une base solide et
non de l’intérieur d’un État oppresseur. Dans plusieurs textes
d’Azzam, l’expression « base solide » fait référence à une portion de
territoire. Dans l’un de ses derniers textes, il l’emploie par référence
au groupe de gens qui mènera le combat : il est probable que cette
légère modification sémantique poussa ensuite certains Arabes
afghans à baptiser leur organisation Al-Qaida.
En quatrième lieu, Azzam minimisa l’importance de l’État-nation et
embrassa le pan-islamisme comme plate-forme politique du
mouvement islamiste. En théorie comme en pratique, Azzam
promut un internationalisme islamique qui représente un
changement notable par rapport à l’orientation plutôt nationaliste
de la plupart des autres groupes islamistes radicaux avant les
années 1980. L’obsession afghane d’Azzam n’était pas due à l’amour
de la nation afghane, mais à celui de la nation musulmane,
l’oumma. Azzam souhaitait que l’Afghanistan fût la base solide de la
reconquête d’autres territoires musulmans. Comme il l’a écrit, « il
nous reste la Palestine, Boukhara, le Liban, le Tchad, l’Érythrée, la
Somalie, les Philippines, la Birmanie, le Yémen du Sud, Tachkent et
l’Andalousie » [22] . En tant qu’exilé palestinien ayant étudie et
travaillé dans divers pays, il n’est pas surprenant qu’Azzam ait
adopté une vision pan-islamiste. Cela dit, Azzam n’était pas exempt
d’émotion nationaliste ni d’affection pour la Palestine. Il disait
souvent : « Si mon corps est à Kaboul comme un spectre, mon cœur,
mon âme et mon esprit sont à Jérusalem » [23] .
Enfin, Azzam contribua fortement au développement du culte du
martyre dans les milieux islamistes radicaux sunnites. Dans
plusieurs textes, il fait l’éloge du martyre comme la forme ultime de
dévotion pour Dieu et sommet du jihad. Un thème central de ses
œuvres est ainsi « les divines faveurs accordées aux martyrs »
[karâmât al-chuhadâ’]. Si les bénéfices du martyre durant le jihad
sont grandement traités dans la théologie musulmane
traditionnelle, cela n’avait pas été souligné par des écrivains
islamistes sunnites avant Azzam. Par exemple, la notion de martyre
est pratiquement absente du livre de Faraj L’Impératif occulté.
Depuis Azzam, le martyre est devenu un concept central de la
littérature islamique radicale, et sa conséquence logique, les
opérations suicides, est l’une des tactiques les plus puissantes et
répandues utilisées par des groupes terroristes islamistes depuis le
milieu des années 1990.
Cependant, il semble important de relever que les idées d’Azzam
étaient sur bien des points plus modérées que celles de Ben Laden
et d’Al-Zawahiri à la fin des années 1990. Bien qu’Azzam ait
détourné l’attention de l’ennemi intérieur vers l’ennemi extérieur, il
ne fut jamais partisan de porter des coups sur le territoire de
l’ennemi lointain. S’il plaida chaleureusement pour le jihad, il
semble qu’il envisageait une stratégie plus proche de celle du
guerrillero que du terroriste. Et en dépit de sa perspective pan-
islamiste et internationaliste, il n’appela jamais à une « insurrection
mondiale » contre les ennemis de l’islam.
Quoi qu’il en soit, les idées et perspectives d’Azzam étaient
nouvelles et différentes du paradigme dominant dans les cercles
jihadistes du début des années 1980, notamment du jihad socio-
révolutionnaire. Azzam est l’auteur d’un premier pas vers une
vision plus mondiale du jihad, ouvrant la voie pour Oussama ben
Laden et la guerre totale et mondiale d’Al-Qaida contre « l’alliance
des Juifs et des Croisés ». En ce sens, Abdallah fut vraiment le
premier théoricien du jihad mondial.
Que serait-il advenu du mouvement islamiste et des Arabes afghans
si Azzam avait vécu jusqu’aux années 1990 ? Un éminent Arabe
afghan affirma, des années plus tard, qu’« Azzam aurait été plus
dangereux qu’Oussama ben Laden parce qu’il jouissait de plus de
crédibilité en tant que fondateur du mouvement jihadiste en
Afghanistan » [24]  C’est possible, parce qu’Abdallah Azzam lui-même
considérait le jihad afghan comme le début du combat. Il l’affirma
en 1989 : « J’ai l’impression d’avoir neuf ans : sept ans et demi de
jihad afghan, et un an et demi de jihad palestinien. Le reste de ma
vie ne compte pas. »

Notes du chapitre
[1] ↑ Extrait du site Internet (aujourd’hui fermé) www.azzam.com
[2] ↑ Aucune étude biographique sérieuse d’Abdallah Azzam n’a été publiée à ce jour. La
meilleure référence sur le sujet en langue occidentale est Bernard Rougier, Le Jihad au
quotidien, Paris, PUF, 2004. Un certain nombre de biographies en anglais, courtes, partielles
et médiocres, circulent sur Internet (par exemple « Shaykh Abdallah Azzam » à l’origine
sur www.azzam.com, et maintenant disponible à l’adresse :
www.youngmuslims.ca/biographies/display.asp?ID=9 ; « The Striving Sheikh : Abdullah
Azzam », Nida’ al-Islam 14, 1996, disponible sur
http://www.islam.org.au/articles/14/A22AM.HTM ; Jonathan Fighel, « Sheikh Abdallah
Azzam : Bin Laden’s Spiritual Mentor », sur www.ict.org.il ; Steve Emerson « Abdullah
Assam : The Man Before Osama Bin Laden », www.iascp.com/itobli3.html ; Chris
Suellentrop, « Abdullah Azzam, The Godfather of Jihad », www.slate.masn.com/, 16 avril
2002). La meilleure de ces notices biographiques est l’article « Abdullah Yusuf Azzam », sur
www.wikipedia.org. Notre principale source est une compilation de 56 pages d’articles en
arabe intitulée « Le cheikh Azzam : de la naissance au martyre » ([al-chaykh ‘abd allâh
azzâm : bayna al-mîlâd wa-l-istichhâd]). Elle est disponible sur la bibliothèque jihadiste en
ligne : Minbar al-Tawhid wa-l-Jihad (www.tawhed.ws). Cette compilation, attribuée à un
certain Dr. Abou Moujahid du « Centre de communication du martyr Azzam » de Peshawar
(sans date), consiste en une série d’articles à caractère biographique sur Abdallah Azzam
publiés à l’origine dans des magazines jihadistes de Peshawar entre 1990 et 1992. Écrits
par divers auteurs, dont des parents de Azzam, certains sont de pures hagiographies,
tandis que d’autres sont plus nuancés et parfaitement informés.
[3] ↑ Pour la biographie de cette figure importante des Frères musulmans syriens, voir
note 7, p. 138 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[4] ↑ Mohammad al-Bouti fait partie de l’establishment religieux syrien et il est même le
religieux le plus connu en Syrie, où il anime une émission hebdomadaire à la télévision. Il
possède aussi son propre site Internet : www.bouti.com. Il est resté relativement proche
des Frères musulmans sans s’engager ouvertement dans la politique. Il donne
régulièrement des conférences à Paris à la mosquée Da’wa, rue de Tanger, dans le XIXe
arrondissement.
[5] ↑ Mollah Ramadan est le père de Mohammad al-Bouti, mais les deux hommes étaient
en désaccord sur l’attitude à adopter à l’égard du régime syrien.
[6] ↑ Marwan Hadid est, à l’instar de Sayyid Qotb, une figure légendaire de la mouvance
islamiste en général et la figure de proue du mouvement islamiste syrien. Il étudia en
Egypte, où il fut proche de Sayyid Qotb, avant de rentrer en Syrie en 1966. Au début des
années 1970, il devint le chef d’une aile révolutionnaire des Frères musulmans à Hama,
avant d’être arrêté suite aux émeutes de 1973. Il mourut en prison dans des circonstances
troubles, assassiné selon certains, à la suite d’une grève de la faim selon d’autres.
[7] ↑ Al-Hayat, 14-16 décembre 2004.
[8] ↑ Autre nom de Jérusalem en arabe, moins courant qu’[al-Quds].
[9] ↑ En arabe, [qawâ‘id al-chuyûkh].
[10] ↑ Voir La Défense des territoires musulmans.
[11] ↑ Les autres étant Ahmad Nawfal, Mohammad Abou Faris, Houmam Said et Ibrahim
Khraisat. Le [majlis al-chûrâ] correspond approximativement au bureau politique.
[12] ↑ Voir Jonathan Randall, Oussama. La fabrication d’un terroriste, op. cit.
[13] ↑ Le beau-fils d’Azzam, Abdallah Anas, cité dans la biographie de Randall.
[14] ↑ Voir note 18, p. 140 dans La Défense des territoires musulmans.
[15] ↑ Par la suite, al-Sananiri fut emprisonné en Égypte et torturé à mort, ce que relate
Ayman al-Zawahiri dans Cavaliers sous l’étendard du Prophète.
[16] ↑ Mishari al-Dhaidi, « Matbakh Bishâwar », Al-Sharq al-Awsat, Voir La Tanière des
compagnons, p. 39.
[17] ↑ En arabe, [ma’sadat al-ansâr].
[18] ↑ Voir La Tanière des compagnons, p. 47.
[19] ↑ Les deux chefs de guerre afghans Gulbuddin Hekmatyar (né en 1947) et Ahmed
Chah Massoud (1953-2001) furent, depuis le début des années 1980, des rivaux sur la scène
politique et militaire afghane. Entre 1992 et 1996, une guerre civile opposa Hekmatyar (et
son allié Abdul Rashid Dostum) à Massoud (et son allié Burhanuddin Rabbani).
[20] ↑ [majlis al-tansîq al-islâmî]. Voir Gilles Kepel, Jihad…, op. cit.
[21] ↑ Voir G. Kepel, Le Prophète et le Pharaon, op. cit., chap. 5.
[22] ↑ Abdallah Azzam, « Bachâ’ir al-nasr ».
[23] ↑ Abdallah Azzam, « al-Qâ‘ida al-sulba », Al-Jihad, avril 1988, n° 41. Voir p. 211.
[24] ↑ Abou Hamza al-Masri, islamiste radical égyptien résidant à Londres (et
emprisonné depuis mai 2004, en attente d’extradition vers les États-Unis), cité par Michael
Collins Dunn dans : « Osama bin Laden : The Nature of the Challenge », Middle East Policy,
6, (octobre 1998) n° 2, p. 24-25.
Extraits de La Défense des territoires
musulmans constitue le principal devoir
individuel
Dr Abdallah Azzam

Introduction

C ’est à Dieu que revient toute louange, c’est Son secours que
nous implorons et c’est à Lui que nous demandons de nous
protéger de notre propre mal comme de nos mauvaises actions ;
celui qui est guidé par Lui ne se fourvoiera pas mais celui qui par
Lui est égaré ne pourra être guidé ; je témoigne qu’il n’y a d’autre
dieu que Dieu et que Mohammad est son esclave et son messager, ô
Dieu, rien n’est simple que par Toi, et Tu peux même rendre simple
la tristesse !
Lorsque j’écrivis cette fatwa, elle était plus longue ; je l’ai montrée à
notre grand et respecté cheikh Abd al-Aziz ibn Baz [1] , puis la lui ai
lue et il l’a appréciée, me disant : « C’est une bonne fatwa » et
l’approuvant, mais il me proposa de l’abréger avant qu’il n’écrive
une introduction, ce que je fis. Toutefois, le temps du cheikh était
compté à cause du pèlerinage [2] , et je n’eus pas le temps de la lui
représenter [3] .
Puis le cheikh (que Dieu le garde !) a décrété, dans la mosquée Ben
Laden [4]  de Djedda ainsi que dans la grande mosquée de Riyad,
qu’aujourd’hui le jihad [5]  en personne est une obligation
individuelle. Ensuite, j’ai montré cette fatwa telle quelle (sans les six
autres questions qui y sont abordées) au cheikh Abdallah Alwan [6] ,
à Said Hawa [7] , à Mohammad Najib al-Mouti’i [8] , à Hussayn Hamid
Hassan [9]  et à Omar Sayf [10] , je la leur ai lue, ils l’approuvèrent et
pour la plupart la signèrent [11]  ; ce fut aussi le cas du cheikh
Mohammad ibn Salih ibn Outhaymine [12] , à qui je la lus et qui la
[13] [14]
signa. Les nobles cheikhs Abd al-Razzaq’Afifi   , Hassan Ayoub   
et Dr. Ahmad al-Assal [15]  firent de même [16] .
Ensuite, j’ai abordé la question au cours d’une conférence à Mina,
durant la saison du pèlerinage, au centre d’orientation religieuse,
où était rassemblés plus de cent oulémas venus de tout le monde
musulman. Je leur dis : « Les Anciens et les modernes, tous les
jurisconsultes et savants en hadith [17] , durant tous les siècles de
l’ère musulmane, sont tombés d’accord pour affirmer que « si une
portion du territoire musulman est envahie, le jihad devient un
devoir individuel pour tout musulman et toute musulmane, l’enfant
peut partir au combat sans l’autorisation de ses parents et l’épouse
sans celle de son mari ». J’ai déclaré devant le chef des
Moujahidines, Sayyaf [18] , et au bout de trois ans d’expérience dans
le jihad afghan, que ce jihad a besoin d’hommes. Donc, messieurs
les oulémas, que celui qui a une objection sur ce sujet, qu’il
l’exprime ! Personne ne fit d’objection. Au contraire, le docteur
Cheykh Idriss [19]  m’a dit : « Mon frère, il n’y a aucun désaccord sur
ce sujet. »
Je publie donc cette fatwa. Dieu fasse quelle soit profitable dans ce
monde et dans l’autre, et utile à tous les musulmans !
Dr Abdallah Azzam
[…]
C’est à Dieu que revient la louange, c’est Son secours que nous
implorons et c’est à Lui que nous demandons de nous protéger de
notre propre mal et de nos mauvaises actions, celui qui est guidé
par Lui ne se fourvoiera pas mais celui qui par Lui est égaré ne
pourra être guidé, je témoigne qu’il n’y a d’autre dieu que Dieu et
que Mohammad est son esclave et son messager (que Dieu lui
accorde Son salut et Sa bénédiction, ainsi que sur sa famille et
l’ensemble de ses compagnons !).
Dieu a choisi cette religion afin qu’elle soit une bénédiction pour les
êtres vivants, et il a envoyé le meilleur des messagers (que Dieu lui
accorde Son salut et Sa bénédiction !) afin qu’il fût le sceau des
prophètes, puis II a fait vaincre cette religion par le sabre et la
lance, une fois que le Prophète (que Dieu lui accorde Son salut et Sa
bénédiction !) l’eût expliquée, par la preuve et l’éloquence, avant le
jour du Jugement. Le Prophète (que Dieu lui accorde Son salut et Sa
bénédiction !) a dit, dans un hadith authentique rapporté par
[20] [21]
Ahmad    et al-Tabarani    : « J’ai été envoyé, avant le jour du
Jugement, afin que Dieu seul fût adoré, sans aucun associé. Il a mis
ma subsistance à l’ombre de ma lance, et promis l’humiliation à qui
s’opposera à moi, car qui ressemble aux membres d’un groupe y
appartient » (Petite Anthologie des hadiths authentiques, 1818 [22] ,
d’al-Albani) [23] .
La sagesse de Dieu a voulu que le Bien ici-bas repose sur la base de
la loi de la défense, en disant : {Si Dieu ne repoussait pas certains
hommes par d’autres, la terre serait corrompue. Mais Dieu est celui
qui dispense la grâce au monde} (La vache, 251) [24] .
C’est-à-dire que Dieu a offert à l’humanité cette loi et lui a enjoint
cette règle (la loi de la défense) ou, en d’autres termes, le combat
entre le vrai et le faux, dans l’intérêt de l’humanité, pour la
suprématie de la vérité et le développement du bien, et même afin
que les religions et les lieux de culte soient effacés par cette loi, en
disant : {Si Dieu n’avait pas repoussé certains hommes par d’autres,
des ermitages auraient été démolis, ainsi que des synagogues, des
oratoires et des mosquées où le Nom de Dieu est souvent invoqué.
Oui, Dieu sauvera ceux qui l’assistent. Dieu est, en vérité, fort et
puissant} (Le pèlerinage, 40) [25] .
Cette loi (celle de la défense) ou le jihad occupe de nombreuses
pages du livre de Dieu (qu’Il soit exalté !) car la vérité ne peut se
passer d’une force qui la protège. Combien de vérités ont été
perdues à cause de l’abandon de ceux qui devaient les soutenir ! Et
combien d’erreurs l’ont emporté parce qu’elles avaient des
partisans et des hommes prêts à se sacrifier pour elles !
Le jihad repose sur deux piliers : la patience, qui révèle le courage
du cœur, et la générosité, qui consiste à dépenser de l’argent et
donner son âme (ce qui est le comble de la générosité). Ainsi dans le
hadith authentique qu’a rapporté Ahmad : « La foi, c’est la patience
et la largesse » (2) 2. Al-Albani, La Chaîne des hadiths authentiques
(554).
Ibn Taymiyya a dit [(3) 3. Recueil de fatwas, 28/157] : « Puisque le
bien des fils d’Adam [26]  dans leur vie terrestre et leur religion
dépend du courage et de la générosité, Dieu (qu’Il soit exalté !) a
montré que celui qui se détourne du jihad avec sa propre
personne [27]  sera remplacé par une autre personne {Dieu vous
châtiera d’un châtiment douloureux, il vous remplacera par un
autre peuple, vous ne lui occasionnerez aucun dommage. – Dieu est
puissant sur toute chose} [28] . »
C’est pourquoi il [29]  (que Dieu lui accorde Son salut et Sa
bénédiction !) a désigné les pires défauts, à savoir l’avarice et la
lâcheté qui conduisent à la ruine de l’âme et à la destruction des
sociétés, dans le hadith authentique : « Le pire défaut chez un
homme, c’est une avarice sordide et une lâcheté flagrante » (hadith
authentique rapporté par Abou Daoud [30] ).
Beaucoup de temps a passé depuis que nos pieux ancêtres [31] , en
suivant cette règle, ont dominé le monde pour devenir les maîtres
de l’humanité, comme Dieu l’a dit : (Nous avons suscité des chefs
pris parmi eux. Ils les dirigeaient sur notre ordre, quand ils étaient
constants et qu’ils croyaient fermement à nos Signes} (La
prosternation, 24) [32] .
Car, comme il a dit dans ce hadith authentique (que Dieu lui
accorde Son salut et Sa bénédiction !) : « Le bien de cette
communauté est né dans l’abstinence et la certitude, il finira dans
l’avarice et l’espoir » (rapporté par Ahmad et al-Tabarani dans Le
Médian [33]  comme par al-Al-Bayhaqi [34] , Petite Anthologie des
hadiths authentiques (3739).
Puis sont venues d’autres générations de musulmans qui
négligèrent les lois de Dieu et oublièrent Dieu, lequel les oublia ; ils
perdirent Ses jugements et s’égarèrent. {Leurs successeurs après
eux délaissèrent la prière et suivirent leurs passions. Ils trouveront
l’égarement total} (Marie, 59) [35] .
Ils ont trouvé belles leurs actions, or, il est dit dans le hadith
authentique : « Dieu déteste celui qui se pavane sur les marchés,
avec arrogance ; la nuit c’est un cadavre, le jour un âne, savant en
ce monde, ignorant l’au-delà » (6-6), Petite Anthologie des hadiths
authentiques (1874).
L’une des plus importantes obligations et des principaux devoirs
oubliés est le jihad qui a disparu de la vie des musulmans. C’est
ainsi qu’ils sont devenus pareils à des débris charriés par un
torrent, comme il a dit (que Dieu lui accorde Son salut et Sa
bénédiction !) : « Les autres nations sont prêtes à vous entourer de
toutes parts comme des convives autour d’une seule jatte. » On lui a
demandé :
– « Ô messager de Dieu, serait-ce à cause de notre petit nombre ?
– Non, répondit-il, mais parce que vous êtes comme des débris
charriés par un torrent, à trop aimer l’ici-bas et à détester la mort,
vous laissez la faiblesse s’insinuer dans vos cœurs et faites
disparaître la terreur des cœurs de vos ennemis. » Et dans une autre
version :
– « Ils dirent : Qu’est-ce que la faiblesse, ô messager de Dieu ?
– Votre amour du monde, répondit-il, et votre haine du combat. » (1)
1. La Chaîne des hadiths authentiques, n° 958, rapporté par Ahmad,
précédé d’une bonne chaîne de garants [36] , ainsi que par Abou
Daoud. Variante : « La haine de la mort ». C’est un hadith
authentique.
Le jihad contre les infidèles est de deux sortes :
- le jihad offensif [37] , à savoir attaquer les infidèles dans leur
pays. Lorsque les infidèles ne sont pas mobilisés pour
combattre les musulmans, alors le jihad est une obligation
collective, et le moins que l’on puisse faire, c’est de garder les
frontières du monde musulman afin d’effrayer les ennemis de
Dieu, d’envoyer une armée au moins une fois par an [38]  ; que
l’imam envoie une unité sur le territoire de la guerre [39]  une
ou deux fois par an, et que la population l’aide ; s’il ne le fait
pas, il est dans le péché [40] . Commentaire d’Ibn Abidine [41] 
(168/3). Les juristes l’ont comparé à l’impôt de capitation [42] .
Les théologiens ont dit : « Le jihad est une prédication forcée,
il faut l’accomplir autant que possible afin qu’il ne reste que
des musulmans ou des gens conciliants » 1. Commentaire d’al-
Charouani et d’Ibn al-Qassim sur La Perle de celui qui
recherche la voie (213/9) [43]  ;
- le jihad défensif [44] , à savoir expulser les infidèles de nos pays,
est une obligation individuelle [45] , et même le plus important
devoir individuel, dans les cas suivants :
a. lorsque les infidèles pénètrent dans l’un des territoires
musulmans,
b. lorsque les deux armées se rencontrent et échangent des
coups,
c. lorsque l’imam mobilise des individus ou un groupe, ils
doivent se regrouper pour combattre,
d. lorsque les infidèles font prisonnier des musulmans. […]

Le combat en Afghanistan et en Palestine


Comme on l’a vu, il est clair que si un empan d’un territoire
musulman est attaqué, le jihad s’impose personnellement à celui
qui habite ce pays et à celui qui en est voisin. S’ils sont trop peu
nombreux, incapables ou réticents, alors ce devoir s’impose à ceux
qui sont proches, jusqu’à gagner la terre entière.
Dans une telle situation, le mari n’a pas besoin d’autoriser son
épouse, le père son l’enfant, le créditeur son débiteur. Par
conséquent,
1. le péché demeure sur tous les musulmans tant que tout pays qui
fut musulman reste aux mains des infidèles ;
2. le péché augmente selon la puissance, les possibilités et les
capacités, donc le péché des oulémas, des chefs et des
prédicateurs éminents dans leurs sociétés est plus important que
celui des masses et du peuple ;
3. le péché de négligence de notre génération dans les questions
contemporaines comme l’Afghanistan, la Palestine, les
Philippines [46] , le Cachemire [47] , le Liban, le Tchad [48]  et
l’Érythrée [49] , est plus lourd que celui de la chute des anciens
territoires musulmans qu’ont connue les générations passées. [50] 
C’est ce que nous disions : il faut maintenant que nous
concentrions nos efforts sur l’Afghanistan et la Palestine car ce
sont des questions centrales, l’ennemi occupant y est redoutable
et a un plan expansionniste dans toute la région, parce que dans
leur solution gît la solution à de nombreuses questions dans
toutes les régions musulmanes, et de sa défense dépend celle de
toutes ces régions.

Commençons par l’Afghanistan


Tout Arabe qui veut accomplir le jihad en Palestine peut
commencer par là, mais celui qui ne le peut pas, qu’il aille en
Afghanistan. Quant aux autres musulmans, je pense qu’ils doivent
commencer leur jihad en Afghanistan. Non parce que l’Afghanistan
est plus important que la Palestine, car la Palestine est la cause
sacrée de l’islam, le cœur du monde musulman et une terre bénie,
mais plusieurs raisons justifient de commencer par l’Afghanistan.
1. La bataille en Afghanistan est encore en cours et à son plus haut
point. Les monts de l’Hindou Kouch [51]  sont le théâtre de
batailles sans précédent dans l’histoire du monde musulman.
2. La bannière brandie en Afghanistan est clairement islamique
(« Il n’y a d’autre dieu que Dieu et Mohammad est Son
prophète ») et le but est clair (« La parole de Dieu est la plus
forte » [52] ). La constitution de l’Union islamique des
moudjahidines en Afghanistan [53]  stipule dans son deuxième
article : « Notre but dérive de Sa parole » (qu’Il soit exalté !) : {Le
jugement n’appartient qu’à Dieu} [54] . Le pouvoir absolu [55] 
revient donc au Maître des mondes.
3. Les islamistes ont pris le devant sur d’autres dans la direction de
la bataille en Afghanistan, et ceux qui conduisent le jihad sont les
fils du mouvement islamiste, les oulémas et ceux qui ont appris
le Coran par cœur, alors que les choses sont différentes en
Palestine où toutes sortes de gens se sont emparés de la
direction ; d’aucuns sont des musulmans sincères, d’autres des
communistes, d’autres de simples musulmans, et c’est la
[56]
bannière de l’État laïque qu’ils ont brandie   .
4. En Afghanistan, la cause est conduite par les moujahidines,
lesquels refusent l’aide d’États impies, alors que la question
palestinienne s’est complètement appuyée sur l’Union
soviétique [57] , et la Russie les a laissés dans la plus sombre
situation affronter leur destin face au complot mondial. Cette
question est devenue un jouet entre les mains des
superpuissances qui pariaient sur la terre, le peuple et l’honneur
de la Palestine, jusque sur le territoire des États arabes, afin de
mettre un terme à leur puissance militaire et leur ôter toute
capacité [58] .
5. Les frontières de l’Afghanistan sont ouvertes aux moujahidines.
Il y a plus de 300 km de frontières ouvertes, sans compter
qu’autour du pays se trouvent des régions tribales, non soumises
au pouvoir politique [59] , et qui constituent un bouclier pour les
moujahidines. En Palestine, la situation est totalement différente.
Ses frontières sont fermées et ses mains liées et, de tous côtés, les
yeux des autorités guettent quiconque tente de s’y infiltrer pour
combattre les Juifs [60] .

Notes du chapitre
[1] ↑ Abd al-Aziz ben Baz (1909-1999) était déjà, à l’époque d’Azzam, l’une des plus
grandes autorités religieuses dans le monde musulman. Il naquit dans une petite ville du
Najd, région centrale de l’Arabie Saoudite, et perdit la vue jeune, ce qui ne l’empêcha pas
de faire de brillantes études religieuses auprès des plus grandes figures de l’institution
wahhabite. Il occupa ensuite des postes de direction dans différentes institutions du
royaume, en particulier au sein des universités de Riyad et de Médine, avant de connaître
en 1971 la consécration : il fut nommé à la tête du Conseil des grands oulémas, instance
suprême de l’institution religieuse wahhabite. En 1993, il fut officiellement nommé Grand
Moufti d’Arabie Saoudite, fonction qu’il occupait néanmoins déjà officieusement depuis
1971. Il rendit l’âme en 1999, à l’âge de 90 ans.
[2] ↑ Il s’agit du pèlerinage de septembre 1984.
[3] ↑ Cette excuse laisse douter que le cheikh fut réellement d’accord avec la fatwa
d’Azzam. En fait, certains commentateurs saoudiens affirment aujourd’hui que Ben Baz ne
fut jamais d’avis de considérer le jihad en Afghanistan comme un devoir individuel pour
tout musulman. On prétend qu’il affirma que c’était un devoir individuel pour tout Afghan
mais un devoir collectif pour les autres musulmans.
[4] ↑ Il y a en Arabie Saoudite plusieurs mosquées qui portent ce nom, ayant été
construites par le Saudi Binladen Group. Voir Ben Laden, « Entretien avec Al-Jazira », p. 73.
[5] ↑ Le terme [jihâd] signifie littéralement « effort », sous-entendu à accomplir au nom
de l’islam. Quoique certains exégètes aient pu distinguer un « grand jihad », à accomplir
sur soi en vue du perfectionnement moral et religieux, et un « petit jihad », désignant le
combat contre les non-musulmans, son acception première depuis l’époque classique
désigne plus généralement l’effort accompli par le musulman pour propager 1 islam. Cela
ait, là encore, le jihad n’a pas nécessairement un sens militaire : on parle par exemple de
« jihad par la langue » ([al-jihâd bil-lisân]) pour désigner l’obligation de « promouvoir la
vertu et de prévenir le vice » ([al-amr bi-l-ma‘rûf wa-l-nanî ‘an al-munkar]). Il faut
néanmoins remarquer que l’acception militaire primait déjà à l’époque médiévale, et c’est
dans cette continuité que se placent les idéologues jihadistes contemporains, en tête
desquels Azzam.
[6] ↑ Abdallah Alwan enseignait à l’université du Roi Abd el-Aziz à Djedda, où il fut le
collègue d’Azzam en 1980-1981.
[7] ↑ Said Hawa (1935-1989), originaire de la ville syrienne de Hama, est considéré
comme le principal idéologue de la branche syrienne du mouvement des Frères
musulmans, tout en ayant conservé des tendances soufies. C’est au début des années 1960
qu’Abdallah Azzam, alors étudiant à l’université de Damas, fit sa connaissance.
[8] ↑ Muhammad Najib Mouti’i est un membre des Frères musulmans égyptiens
qu’Azzam aurait pu rencontrer pendant ses études au Caire.
[9] ↑ Hussayn Hamid Hassan est un savant religieux égyptien, membre des Frères
musulmans, et ex-président de l’université islamique d’Islamabad, où Azzam fut
professeur de 1981 à 1984.
[10] ↑ Omar Sayf était un membre du Conseil des oulémas du Yémen.
[11] ↑ Dans la plupart des éditions de ce livre, l’introduction d’Azzam est suivie d’une
série de fac-similés de messages manuscrits signés par Abdallah Alwan, Said Hawa,
Mohammad Najib al-Moutii et Omar Sayf. Tous y font l’éloge du livre d’Azzam et
approuvent sa fatwa. Parmi les cinq personnnes mentionnées ici, Hussayn Hamid Hassan
est le seul à ne pas signer, ce qui signale peut-être un désaccord.
[12] ↑ Mohammad ibn Salih al-Outhaymine (1928-2001) fut un éminent savant religieux
saoudien, considéré comme la deuxième autorité religieuse de son pays après Abd al-Aziz
ibn Baz.
[13] ↑ Abd al-Razzaq’Afifi était membre du Comité des Grands Oulémas ([hay’at kibâr
al-‘ulmâ‘]), plus haute instance religieuse saoudienne, jusqu’à sa mort en 1995.
[14] ↑ Hassan Ayoub était professeur à l’université du Roi Abd al-Aziz à Djedda.
[15] ↑ Ahmad al-Assal est un savant religieux saoudien reconnu. Il occupe aujourd’hui la
fonction de vice-président de l’université islamique d’Islamabad (Pakistan).
[16] ↑ Ces remarques indiquent la position dont jouissait Azzam dans les milieux
islamistes en 1984, puisqu’il côtoie les autorités religieuses les plus respectées du monde
islamique, et s’adresse à un public prestigieux, à Mina pendant le pèlerinage ([hajj]).
Notons cependant que son réseau est composé en majorité de Frères musulmans, ce qui
n’est pas étonnant puisqu’Azzam lui-même en faisait partie jusqu’à sa rupture avec la
branche jordanienne de la confrérie en 1984.
[17] ↑ On appelle hadith toute narration rapportant un fait ou un dit du Prophète. Voir
aussi note ** dans al-Zawahiri, « Conseil à l’oumma ».
[18] ↑ Le leader de l’Union islamique des moujahidines afghans, Abd al-Rassoul Sayyaf,
était l’un des chefs afghans les plus proches de l’Arabie Saoudite et des organisations
islamiques internationales engagées dans le jihacl afghan contre l’armée soviétique.
Notons qu’il se fit appeler Abd Rabb al-Rassoul Sayyaf à partir des années 1980, car son
prénom de naissance, qui signifie « adorateur du Prophète », était considéré comme
blasphématoire pour les oulémas wahhabites, nul autre que Dieu ne devant être adoré.
« Abd Rabb al-Rassoul » signifiant « adorateur du seigneur du Prophète », le « blasphème »
était alors évité.
[19] ↑ Jaafar Cheikh Idriss est un savant religieux soudanais résidant en Arabie Saoudite.
Il s’est notamment illustré, au lendemain du coup d’État d’Omar al-Bachir en 1989, par sa
franche opposition à Hassan al-Tourabi, l’idéologue islamiste du nouveau régime.
[20] ↑ « Ahmad » ou « l’imam Ahmad » désignent Ahmad ibn Hanbal (780-855), théologien
et traditionniste (muhaddith, expert en hadith), père de la dernière des quatre grandes
écoles juridiques de l’islam sunnite, le hanbalisme. Après des voyages de formation (en
Syrie et au Hedjaz surtout), il s’illustra en s’opposant (sur la question de la « création » du
Coran, entre autres) avec force aux Moutazilites, partisans d’une théologie rationaliste,
alors proches du pouvoir. Persécuté et emprisonné, Ibn Hanbal redevint professeur à
l’avènement du calife al-Mutawwakil, qui rétablit l’orthodoxie sunnite. Il laissa un recueil
de hadith, le [Musnad]. Ibn Hanbal mit l’accent sur l’acceptation de la lettre du texte sacré,
entre autres au sujet de la difficile question des attributs divins. Son courant défend
également le consensus de la communauté des musulmans contre les séditions. L’école
hanbalite est aujourd’hui dominante en Arabie Saoudite et dans certains pays du Golfe, et
reste considérée comme la plus stricte et la plus littéraliste.
[21] ↑ Abou al-Qassim al-Tabarani (874-971), savant en hadith, auteur du Grand Recueil
([al-mu‘jam al-kabîr]).
[22] ↑ Nous avons partout laissé les références qui figurent dans les écrits d’origines, en
sachant qu’elles peuvent parfois être erronées ou renvoyer à des éditions épuisées.
[23] ↑ Nasr al-Din al-Albani (1914-1999) est un savant religieux syrien d’origine albanaise
qui fonda sa propre école, rejetant les quatre écoles canoniques aussi bien que la tradition
wahhabite qu’il accusait d’avoir introduit des innovations ([bid‘a]) dans la pratique
religieuse et d’avoir permis l’usage de l’opinion individuelle ([râ’y]) dans les jugements
religieux. Al-Albani faisait de a lecture littérale du hadith une base primordiale des
jugements religieux ; cette approche mena à des décisions originales, par exemple à ce que
les musulmans doivent quitter les territoires occupés par Israël. Albani enseigna à
l’université de Médine à la fin des années 1950 mais dut démissionner en raison de
nombreux désaccords avec les oulémas saoudiens sur des questions de rituel. Il s’installa
en Jordanie, où il devint une autorité du salafisme apolitique mais conserva des liens avec
les grands cheikhs saoudiens Ben Baz et Ben Outhaymine. Un grand nombre de sites
Internet lui sont consacrés, par exemple : www.alalbany.net
[24] ↑ Deuxième partie du verset cité.
[25] ↑ Coran, 22/40. Seule la deuxième partie du verset est citée. L’interprétation de ces
deux versets par l’exégète Ibn Kathîr (pour sa biographie, voir note 45, p. 322 dans al-
Zawahiri, « L’Allégeance et la Rupture ») est à l’opposé de celle d’Azzam, puisqu’il lit : « Si
Dieu n’avait pas défendu les hommes les uns des autres. » Une telle lecture dépend du
verbe [dafa‘a], qui peut signifier « pousser » ou, suivi de la particule [‘an], « défendre ».
Voir [Mukhtasar tafsîr ibn kathîr], Beyrouth, Dâr al-ma’rifa, p. 91.
[26] ↑ Métaphore fréquente en arabe, désignant les êtres humains en général.
[27] ↑ Le jihad avec sa propre personne ([jihâd bi-l-nafs]) est bien sûr plus prisé que le
seul jihad avec ses ressources ([jihâd bi-l-mâl]).
[28] ↑ Coran, 9/39.
[29] ↑ Il s’agit du Prophète, puisque la formule « que Dieu lui accorde Son salut et Sa
bénédiction ! » lui est réservée dans la tradition islamique.
[30] ↑ Abou Daoud al-Sijistani (817-889) est un célèbre traditionniste qui rassembla un
corpus de 4 800 traditions attribuées au Prophète dans son Livre des traditions ([kitâb al-
sunan]), l’un des six recueils canoniques du sunnisme.
[31] ↑ « Les pieux ancêtres » ([al-salaf al-sâlih]) : cette expression désigne les premières
générations de musulmans. Dans le lexique islamique, elles sont réduites aux compagnons
de Mohammad en incluant généralement les trois premières générations, qui auraient eu
une bonne connaissance et une saine pratique de l’islam, parce qu’acquises directement
du Prophète ou de ceux qui l’ont côtoyé. Le mot salafisme ([al-salafiyya]) en est dérivé.
[32] ↑ Coran, 32/24.
[33] ↑ Le Médian ([Al-Awsat]), d’al-Tabarani. Sur ce personnage historique, voir la note 21,
p. 142.
[34] ↑ Al-Bayhaqi (mort en 1066), juriste et traditionniste persan de rite chafi’ite. Auteur
fécond, dont il reste un Livre des grandes traditions ([kitâb al-sunan al-kubrâ]), synthèse et
commentaire des différents recueils de traditions. Il est également l’auteur d’un des plus
anciens et des plus réputés traités de droit chafi’ite.
[35] ↑ Coran, 19/59.
[36] ↑ En arabe, [isnâd], liste des noms de ceux qui ont transmis chaque hadith, de
génération en génération. L’une des principales tâches des « savants en hadith »
([muhaddith]) est d’examiner la chaîne de transmission, et de s’informer sur le crédit à
accorder aux transmetteurs, pour pouvoir porter un jugement sur l’authenticité du hadith.
Les dits et traditions attribués au Prophète, tout d’abord transmis par voie orale, ont
ensuite été recueillis et examinés selon des règles codifiées graduellement au cours des
premiers siècles de l’islam. Un hadith est donc classé selon trois catégories. Il peut être
authentique ([sahîh]), bon ([hassan]), faible ([da‘îf]) ou malade ([saqîm]). Cela dépend de la
chaîne de ceux qui l’ont transmis, de leur vertu et de leur valeur, ainsi que d’autres
critères. Chaque collecteur de traditions peut avoir ses propres critères ([churût]) pour
intégrer des hadiths et les classer. Le hadith authentique, ou [sahîh], est lui-même
subdivisé en sept classes : d’abord le hadith qui figure dans les deux recueils les plus
prestigieux, ceux d’al-Boukhari et Mouslim, ensuite celui qui ne figure que chez al-
Boukhari, puis celui qui ne figure que chez Mouslim. En quatrième position viennent les
hadiths qui, sans figurer dans les deux recueils, satisfont aux conditions des deux
traditionnistes. En cinquième position, ceux qui satisfont aux conditions d’al-Boukhari, en
sixième position ceux qui satisfont aux conditions de Mouslim, et en dernière classe, les
[sahîh], ceux qui figurent dans les quatre autres recueils de hadiths considérés par les
oulémas comme valables. Dans les écrits jihadistes, on trouve souvent de hadiths dont la
véracité n’est pas considérée comme absolue (donc hadiths [hassan], voire parfois [da‘îf]).
[37] ↑ En arabe, [jihâd al-talab].
[38] ↑ Allusion aux campagnes militaires qui étaient lancées régulièrement par le
Prophète et, à partir d’une certaine époque, d’une manière tout à fait formelle : on
comptait ainsi chaque année une campagne d’été et une campagne d’hiver. Ici, Azzam
semble vouloir relancer cette tradition, et lancer périodiquement une campagne militaire,
comme on accomplirait une prescription dogmatique.
[39] ↑ En arabe, [dâr al-harb], à savoir, selon les catégories traditionnelles, la partie du
monde où les musulmans ne gouvernent pas et où la loi musulmane n’a pas cours. Au
contraire, [dâr al-islâm] est la partie du monde où les musulmans gouvernent et où la loi
musulmane a cours. Un territoire médian est le [dâr al-sulh] où la loi musulmane ne
s’applique pas, mais avec lequel les musulmans ont des relations pacifiques, à l’image du
précédent historique du Prophète avec les chrétiens de Najran, dans le sud de l’Arabie.
D’autres termes ont vu le jour, à certaines époques, sous la plume des juristes musulmans
comme [dar al-‘ahd] (le territoire du traité), [dar al-‘adl] (le territoire de la justice), [dar al-
bid‘a] (le territoire de l’hérésie) ou encore [dar al-kufr] (le territoire de l’impiété).
[40] ↑ Pour la plupart des oulémas contemporains, ces devoirs de guerre ne s’appliquent
pas tant qu’il n’y a pas de califat unifié dirigé par un imam légitime.
[41] ↑ Mohammad Amin ibn Abidine (1784-1836), juriste hanafite auteur du [Radd al-
muhtâr], connu comme Commentaire d’ibn Abidine.
[42] ↑ En arabe, [jizya] : impôt de capitation qui, dans l’islam classique, frappait les non-
musulmans tributaires ([dhimmi]), autorisés en contre-partie à conserver leur culte.
[43] ↑ En arabe, [Tuhfat al-muhtâj ‘alâ al-minhâj].
[44] ↑ En arabe, [jihâd al-daf‘].
[45] ↑ Une obligation individuelle, c’est-à-dire qui ne peut être déléguée à quelqu’un
d’autre. Il existe en droit islamique deux types de devoirs : le devoir individuel ([fard
‘ayn]), qui incombe à chaque musulman, et le devoir collectif ([fard kifâya]), qui doit être
accompli par un nombre suffisant de musulmans au nom de la communauté. Si le jihad est
[fard ‘ayn] et incombe donc à chacun, il suffit que le quorum ([al-kifâya]) de combattants
nécessaires pour accomplir un jihad local soit atteint pour que l’obligation ne soit plus
contraignante pour les autres croyants.
[46] ↑ Dans l’île de Mindanao à majorité musulmane et dans les îles voisines, situées au
sud des Philippines à majorité chrétienne, se déroule depuis la fin des années 1970 une
insurrection séparatiste armée menée, entre autres, par le Front Islamique Moro de
Libération. Ce mouvement posséderait des liens avec des individus de la mouvance Al-
Qaida, desquels il recevrait notamment des financements.
[47] ↑ Le Cachemire, État à majorité musulmane, fut, lors de la partition de l’Inde en
1948, rattaché à l’Union indienne. Depuis lors, un important mouvement séparatiste s’y est
développé, mouvement dont l’islamisation a commencé dans les années 1970 et s’est
accentué dans les années 1990, avec l’encouragement des autorités pakistanaises.
[48] ↑ Après avoir obtenu son indépendance de la France en 1960, le Tchad a connu trois
décennies de conflits, une situation vue par les islamistes étrangers comme une guerre
opposant les musulmans (60 % de la population) aux autres (chrétiens et animistes).
[49] ↑ L’Érythrée, à majorité musulmane, fut annexée en 1962 par l’Éthiopie
majoritairement chrétienne. Un conflit séparatiste débuta alors, qui dura plus de trente
ans pour ne s’achever qu’en 1993 avec l’accession à l’indépendance de l’Érythrée, c’est-à-
dire plusieurs années après la rédaction de ce texte.
[50] ↑ L’une des principales contributions idéologiques d’Azzam fut de déplacer le
discours moderne du jihad du combat révolutionnaire pour le pouvoir vers le combat
militaire pour le territoire. La liste des pays dans lesquels le territoire musulman est en jeu
tend à donner l’image d’un champ de bataille mondial.
[51] ↑ Région montagneuse de l’est de l’Afghanistan.
[52] ↑ Coran, 9/40.
[53] ↑ L’un des sept principaux partis de la résistance afghane durant la guerre, dirigé
par Abd al-Rassoul Sayyaf et très proche de l’Arabie Saoudite. Voir supra, note 18.
[54] ↑ Coran, 12/67.
[55] ↑ Le concept de [hâkimiyya], qui peut être traduit par « souveraineté », fut introduit
dans le discours islamiste par l’idéologue pakistanais Abou al-Ala al-Mawdoudi puis
développé par Sayyid Qotb comme élément central de sa doctrine. Ce dernier s’en sert
pour distinguer société islamique et non-islamique. Lorsque la souveraineté est attribuée à
quelqu’un d’autre que Dieu, comme la nation ou le parti, la société est non islamique parce
que cette situation équivaut en fin de compte à l’adoration ([’ubûdiyya]) d’autres que Dieu.
[56] ↑ Azzam exprima souvent sa tristesse devant la nature laïque et fragmentée du
mouvement national palestinien. Lorsqu’il mit un terme à ses activités paramilitaires en
1970, c’était en bonne partie du à son désaccord avec la politique de l’OLP.
[57] ↑ L’auteur exagère la solidité des liens entre les Palestiniens et l’Union soviétique. S’il
y eut plusieurs organisations palestiniennes marxistes, et si certains membres de l’OLP
avaient des sympathies pour les soviétiques, passer Arafat garda toujours ses distances
avec l’Union soviétique, de peur que l’attitude des États-Unis s’en trouve radicalisée.
[58] ↑ Allusion à l’invasion israélienne du Liban en juin 1982. Voir note 7, p. 103 dans
Oussama ben Laden, « Message au peuple américain ».
[59] ↑ Le pouvoir politique est ici connoté négativement par rapport au seul pouvoir
légitime, qui découle de la souveraineté de Dieu et ne peut donc s’opposer à l’application
du jihad !
[60] ↑ L’auteur est bien placé pour évoquer cette question puisqu’il participa en personne
aux infiltrations à partir de la Jordanie à la fin des années 1960.
Extraits de Rejoins la caravane ! [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

Préface à la première édition

G loire à Dieu, seigneur des mondes, paix et salut au plus noble


des messagers !
Voici un traité que j’ai écrit à l’intention de ceux qui brûlent du
désir d’accomplir le jihad et éprouvent le goût du martyre dans la
voie de Dieu. Il est composé de deux parties :
I/ Les justifications du jihad
II/ Islam, au secours ! Et quelques remarques en conclusion.
Nous prions Dieu qu’il puisse être utile, nous améliorer et en
améliorer d’autres par notre entremise, car Dieu est Celui qui
entend. Il est proche et répond. Je l’ai dicté par désir de répondre à
de nombreuses lettres qui m’ont été adressées, me demandant
conseil pour venir en Afghanistan :
Viens au jardin d’Éden, ce fut ton premier séjour,
nous y campions
Mais, tombés aux mains de l’ennemi,
crois-tu que nous rentrerons sains et saufs ? [2] 
L’humble esclave de Dieu, Abdallah Azzam, 17 Chaabane
1407/15 avril 1987

I - Les justifications du jihad


Dieu soit loué ! Nous Le louons, Lui demandons assistance, Lui
demandons de nous pardonner notre mal et de nous protéger
contre nos mauvaises actions.
Quiconque considère la situation des musulmans aujourd’hui,
remarque que la plus importante épreuve qu’ils aient eu à subir,
c’est d’avoir abandonné le jihad (par amour de ce monde et dégoût
de la mort) [3] . C’est ainsi que les tyrans [4]  régnent sur eux de tous
côtés et sur toute terre, car les infidèles [5]  ne craignent que le
combat : {Combats dans le chemin de Dieu. Tu n’es responsable que
de toi-même} (Les femmes, 84) [6] .
Nous appelons les musulmans et les encourageons à venir
combattre pour de nombreuses raisons, dont les principales sont :
1. afin que l’impiété ne l’emporte pas,
2. parce que les vrais hommes sont rares,
3. par crainte de l’enfer,
4. pour remplir l’obligation [7]  et répondre à l’appel [8]  de Dieu,
5. pour suivre l’exemple des pieux ancêtres [9] ,
6. pour établir une base solide [10]  pour l’expansion de l’islam,
7. pour défendre les opprimés [11] ,
8. par goût du martyre [12] .[…]

1/ Afin que l’impiété ne l’emporte pas


1/ Afin que l’impiété ne l’emporte pas
Il est dit dans le noble verset : {Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait
plus de sédition et que le culte soit rendu à Dieu en sa totalité. S’ils
cessent le combat, qu’ils sachent que Dieu voit parfaitement ce
[13]
qu’ils font} Le butin, 39   . Si le combat cessait, l’impiété dominerait
et la sédition (qui consiste à associer des idoles à Dieu)
l’emporterait [14] .

2/ Parce que les vrais hommes sont rares


La crise du monde musulman est celle du manque d’hommes
responsables et capables de supporter le fardeau de l’intégrité.
Comme il est dit dans L’Authentique [15]  : « Les hommes sont comme
une centaine de chameaux parmi lesquels on ne trouve pas de
bonne monture. » Cela signifie que l’idéal d’austérité en ce monde et
de désir pour l’autre n’est que pour quelques montures. Et l’on
entend ici par bonne monture un chameau endurant dans les
voyages et solide pour transporter, de belle apparence, etc. [16]  En
d’autres termes, on ne trouvera pas, sur une centaine de chameaux,
celui dont on a besoin, et l’on rapporte d’Omar ibn al-Khattab [17] 
(que Dieu l’agrée !) qu’il aurait dit à quelques-uns de ses
compagnons :
– « Faites un vœu ! » ce que fit chacun d’entre eux, puis ils lui
dirent :
– « Commandeur des croyants, à votre tour, faites un vœu ! »
– « J’aimerais voir cette maison pleine d’hommes comme Abou
Oubayda [18]  », dit-il.
Les hommes qui savent sont peu nombreux et ceux qui agissent
rares, ceux qui s’engagent dans le jihad plus rares encore, mais
ceux qui continuent à parcourir cette voie sont trop peu nombreux
pour être mentionnés.
J’ai souvent observé un cours de récitation parmi les jeunes Arabes
venus sur la terre de l’honneur et de la gloire, je veux dire
l’Afghanistan [19]  :
L’honneur chevauche les coursiers de la gloire
Qui vient à travers voyages nocturnes et veilles
J’ai observé les visages de ces jeunes gens pour voir qui récitait
convenablement, afin de lui confier la direction de ce cours, mais
sans en trouver un seul [20] . Alors j’ai pu me dire : « Notre peuple n’a
pas été juste avec nous », ce qui fut la parole même du Prophète
(que la paix et le salut de Dieu soient sur lui !) lorsque sept de ses
partisans [21]  furent tués sous ses yeux à la bataille d’Ouhoud [22] .
Nous disons que nos frères instruits et les prédicateurs chevronnés
ne nous ont pas assistés, et même qu’ils ont conseillés à ceux qui
voulaient venir de rester chez eux, et ce, bien qu’ils ne pouvaient
proférer un mot à cause de l’injustice des tyrans et du despotisme
des dictateurs. Certains délivrent des fatwas sans savoir, en disant :
« Les Afghans ont besoin d’argent, pas d’hommes. » Quant à moi, du
fait de ma présence sur le terrain du jihad, j’ai pu constater que les
Afghans ont un besoin pressant d’argent mais aussi d’hommes, et
encore plus de prédicateurs… C’est la huitième année que je passe
parmi les moujahidines [23] .
Si vous ne croyez pas à ce que je dis, traversons ensemble
l’Afghanistan [24]  et vous verrez un front entier où personne ne sait
lire le Coran ; suivez-moi sur un autre et vous vous rendrez compte
que personne ne sait y accomplir une prière funéraire, ce qui les
force à transporter leur martyr – car, selon le rite hanafite [25] , le
martyr doit être enterré après une prière [26]  – sur de longues
distances afin qu’ils trouvent quelqu’un capable de prononcer cette
prière.
Quant aux règles juridiques du jihad comme la répartition du butin
et le traitement des prisonniers [27] , elles sont ignorées sur de
nombreux fronts, ce qui force à les emmener là où se trouve un ou
des oulémas afin qu’ils donnent leur avis en vertu de la loi
musulmane. Vous toucherez du doigt le besoin pressant de
prédicateurs, d’imams, de lecteurs du Coran et d’oulémas en
constatant les traces profondes qu’ont laissées de jeunes Arabes à la
culture élémentaire, qui parfois ne dépasse pas le niveau de l’école
secondaire. Citons, par exemple, les frères Abdallah Anas [28] , Abou
Dajana, Abou Assim, Taher et de nombreux autres, sans parler
[29]
d’Abou Chouyaib l’illettré arabe   , ni des impressions morales
qu’il laissa dans toute la province de Baghlan – vous seriez
stupéfaits. […]
Ainsi, nous avons dit au juge Mazloum, l’un des membres de l’état-
major d’Ahmad Chah Massoud [30]  – le plus brillant chef
d’Afghanistan – : « Parlez-nous d’Abou Assim [31] , le lecteur du Coran
qui est mort en martyr parmi vous à Andrab [32] . » Il nous a dit :
« Nous n’avons jamais vu quelqu’un susciter autant de respect, de
considération et d’admiration. Aucun de nous n’osait parler en sa
présence, se laisser aller à plaisanter ou rire. » Que direz-vous, mes
frères, lorsque nous vous aurons appris qu’Abou Assim, qui n’avait
pas vingt-trois ans, n’avait qu’un diplôme de l’enseignement
secondaire mais savait par cœur le Coran ?
C’est pourquoi l’heure des hommes a sonné, cela tient lieu d’un long
discours.

3/ Par crainte de l’enfer


Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Si vous ne vous lancez pas au
combat, Dieu vous châtiera d’un châtiment douloureux ; il vous
remplacera par un autre peuple ; vous ne lui occasionnerez aucun
dommage – Dieu est puissant sur toute chose} [33] 
Ibn al-Arabi a dit : « Le châtiment douloureux est, en ce monde,
d’être vaincu par un ennemi, et, dans l’autre monde, l’enfer »
Commentaire d’al-Qourtoubi (42/8). Al-Qourtoubi ajoute : « Certains
ont dit que ce verset signifie qu’il faut se mobiliser en cas de besoin,
lors de l’apparition des infidèles et quand ils sont agressifs. »
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Au moment de les emporter, les
Anges disent à ceux qui se sont fait tort à eux-mêmes : « En quel état
étiez-vous ? » Ils répondent : « Nous étions faibles sur la terre. » Les
anges disent : « La terre de Dieu n’est-elle pas assez vaste pour vous
permettre d’émigrer ? » Voilà ceux qui auront la Géhenne pour
refuge : quel détestable retour final ! / À l’exception de ceux qui sont
faibles et incapables parmi les hommes, les femmes et les enfants ;
car ils ne sont pas dirigés sur le chemin droit. / Tels sont ceux que
Dieu absoudra peut-être. Dieu est celui qui efface les péchés ; Il est
miséricordieux »} (Les femmes, 97-99) [34] .
Al-Boukhari a rapporté selon Ikrima [35]  : « Ibn Abbas m’informa
que des musulmans se trouvaient parmi les infidèles et
grossissaient leurs rangs à l’époque du Prophète (que Dieu lui
accord la prière et la bénédiction !). Il arrivait qu’une flèche en
atteigne et en tue, et c’est alors que Dieu a révélé le verset : {Au
moment de les emporter …}.
Donc, si les musulmans de La Mecque, attachés à leur religion mais
n’ayant pas émigré et partis au combat, au milieu de la troupe des
infidèles, par honte et peur de ces derniers, le jour de la bataille de
Badr [36] , au point que certains furent tués, si ceux-là, dis-je,
méritaient l’enfer, selon le récit rapporté par al-Boukhari, alors que
dire des millions de musulmans qui sont martyrisés et vivent
comme des bêtes ? Ils ne peuvent répliquer à aucune atteinte à leur
honneur, leur sang ou leurs biens, aucun ne peut même laisser
pousser sa barbe car c’est une preuve d’islamisme ; il ne peut pas
plus décider de la manière dont sa femme s’habille et allonger son
vêtement en vertu de la loi révélée [37] , car c’est un crime qu’on nous
reproche de tous côtés ; il ne peut pas davantage enseigner le Coran
à trois jeunes gens dans la maison de Dieu, car c’est là un
rassemblement illégal selon la loi païenne [38]  ; même dans les pays
appelés musulmans, il ne peut couvrir la chevelure de sa femme ; il
ne peut non plus empêcher les hommes de la police politique [39] 
d’emmener sa fille au milieu de la nuit dans l’endroit de leur choix !
[40]
Car pourrait-il refuser l’ordre émis par le tyran   , auquel on
présente cet individu en sacrifice à bon marché ?
Ces millions de gens ne vivent-ils pas avilis, écrasés et affaiblis, et
lorsque les anges les rappelleront, ne seront-ils pas pris au
dépourvu ? Qu’auront-ils à répondre lorsque les anges leur
demanderont :
– (En quel état étiez-vous ?}
– {Nous étions faibles sur la terre.} [41] 
Mais la faiblesse n’est pas une excuse pour Dieu, c’est un crime pour
lequel on risque l’enfer. Dieu n’a excusé que les vieillards, les
femmes et les enfants qui ne peuvent se libérer eux-mêmes ni ne
connaissent le chemin vers la terre de l’honneur, ne peuvent
émigrer vers le territoire de l’islam ni rejoindre la base du jihad [42] .
Le jihad et l’exil en vue du jihad constituent un aspect fondamental
de cette religion, car une religion dépourvue de jihad ne peut
s’établir sur aucune terre, et sa cime ne peut tenir sur son tronc.
L’authenticité du jihad, partie intégrante de cette religion qui pèse
de tout son poids dans les balances du Seigneur des mondes, n’est
pas une circonstance fortuite de la période à laquelle le Coran fut
révélé [43] , c’est une nécessité qui accompagne la caravane que
dirige cette religion.
Sayyid Qotb [44]  dit dans À l’ombre du Coran [45]  (2/742), en
commentant ce verset : « Si le jihad était une circonstance fortuite
dans la vie des musulmans, il n’aurait pas rempli tous ces chapitres
du livre de Dieu, et avec quel style ! Et il n’aurait pas occupé tous
[46]
ces chapitres de la Sunna    du Prophète (que la bénédiction et le
salut soient sur lui !), et de cette manière !
Si le jihad était un phénomène passager, le Prophète (que la
bénédiction et le salut soient sur lui !) n’aurait pas dit à tout
musulman, et ce jusqu’au Jour du Jugement : « Celui qui meurt sans
avoir combattu ni avoir préparé son âme au combat, meurt sur une
branche de l’hypocrisie » (rapporté par Mouslim [47]  d’après Abou
Hourayra [48] ).
Dieu (qu’Il soit loué !) sait bien que les Princes détestent cela ! Et II
sait que les hommes du Prince Le combattent parce que Sa voie
n’est pas la leur et Sa méthode non plus, non seulement en ce
temps-là mais aujourd’hui et demain, en toute terre et pour toute
génération ! […]

4/ Pour répondre a l’appel de Dieu


Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Légers ou lourds, élancez-vous au
combat. Luttez avec vos biens et vos personnes, dans le chemin de
Dieu. C’est un bien pour vous, si vous saviez ! »} (L’immunité, 41) [49] .
Dans son Commentaire, al-Qourtoubi a cité dix explications [50]  pour
l’expression « légers ou lourds » :
1. d’après Ibn Abbas, jeunes et vieux ;
2. d’après Ibn Abbas et Qoutada, actifs ou inactifs ;
3. « léger » riche, « lourd » pauvre, selon Moujahid ;
4. « léger » jeune homme, « lourd » vieillard, selon Hassan ;
5. occupés ou inoccupés, selon Zayd ibn Ali et al-Hakam ibn
Qoutayba ;
6. « lourd » signifie chargé de famille, « léger » célibataire, selon
Zayd ibn Aslam ;
7. « lourds » signifie ayant un métier qu’il ne veut quitter, « léger »
sans métier, selon Ibn Zayd ;
8. « lourds » les fantassins, « légers » les cavaliers, selon al-Awzai ;
9. « légers » ceux qui s’élancent au combat dans l’avant-garde ;
10. « légers » braves, « lourds » lâches, d’après al-Naqqach.
Ce que nous comprenons de ce verset, c’est qu’il a été ordonné à
tous les gens, c’est-à-dire : « Mobilisez-vous » d’un manière lourde
ou légère. On rapporte qu’Ibn Oumm Maktoub [51]  rendit visite au
Prophète (que Dieu lui accorde sa bénédiction et son salut !) :
– « Faut-il que je me batte ? » lui demanda-t-il.
– « Oui, lui répondit-il, car Dieu (qu’Il soit exalté !) a révélé : {Il n’y a
pas de faute à reprocher à l’aveugle} [52] .
Ces paroles ne sont qu’une parabole, et aucun homme sensé ne
doute que la situation dans laquelle nous vivons en Afghanistan et
en Palestine, et même dans tout le monde musulman, ne soit
comprise dans ce verset. Les commentateurs, spécialistes du hadith,
juristes et fondementalistes [53] , sont tombés d’accord pour affirmer
que si l’ennemi pénètre en territoire musulman, ou sur une terre
qui fut musulmane [54] , les habitants de ce pays doivent l’affronter,
et s’ils ne le font pas, en sont incapables ou traînent les pieds,
l’obligation s’étend à ceux qui leur sont proches, et ainsi de suite
jusqu’à ce que cela comprenne la terre entière [55] , et personne ne
peut y déroger, cela serait comme se dispenser d’accomplir la prière
ou le jeûne, de sorte que le fils peut partir en guerre sans
l’autorisation de son père, le débiteur sans l’autorisation de son
créditeur, la femme sans l’autorisation de son mari, l’esclave sans
l’autorisation de son maître. Cette obligation individuelle [56] 
demeure en vigueur jusqu’à ce que le pays soit purifié de la
souillure des infidèles (cela dit, le départ en guerre de la femme doit
se faire accompagné d’un parent) [57] .
Je n’ai pas trouvé (au cours de mes lectures limitées) un livre de
jurisprudence, de commentaire ou de hadith qui dise le contraire,
aucun des pieux Anciens n’a affirmé qu’il s’agît d’un devoir
collectif [58]  ou qu’il faille demander l’autorisation des parents ; et le
péché ne sera pas effacé tant qu’un territoire musulman (ou qui le
fut) demeure entre les mains des infidèles, seul celui qui combat
verra son péché remis.
Un musulman qui n’accomplit pas le jihad, c’est comme s’il rompait
le jeûne du Ramadan sans en obtenir l’autorisation, ou bien comme
[59]
si un riche ne versait pas l’aumône légale    ; ne pas accomplir le
jihad est même encore plus grave.
Car, comme l’a dit Ibn Taymiyya [60]  : « L’ennemi agresseur qui
corrompt la religion et la vie, rien n’est plus pressant, après la foi,
que de le repousser. » [61] 

5/ Afin de suivre l’exemple des pieux ancêtres


Le jihad était la vie même pour les pieux ancêtres, le Prophète (que
la prière et la bénédiction de Dieu soient sur lui !) était le maître des
combattants du jihad et un chef pour les jeunes inexpérimentés.
Lorsque le combat faisait rage, ils se protégeaient auprès du
Prophète de Dieu (que la prière et la bénédiction de Dieu soient sur
lui !) qui les amenait jusqu’à l’ennemi. Il participa à vingt-sept
expéditions, et combattit dans neuf d’entre elles [62]  : Badr [63] ,
Ouhoud [64] , al-Mourayssi [65] , al-Khandaq [66] , Qourayzah [67] ,
Khaybar [68] , la conquête de La Mecque [69] , Hounayn [70]  et Taïf [71] .
D’après ce qui a été dit : « La Mecque fut prise par la force, il envoya
quarante escouades, et combattit lui-même les Banou al-Nadhir [72]  »
(Le but du chercheur, 8/16).
Cela signifie que le Prophète de Dieu (que la prière et la bénédiction
de Dieu soient sur lui !) menait une expédition ou envoyait une
[73]
escouade tous les deux mois ou moins   . […]

6/ Pour établir une base ferme dans le territoire


musulman [74] 
Établir une société musulmane sur un territoire est pour les
musulmans une nécessité comme l’eau et l’air, et ce territoire
n’existera que par un mouvement islamique [75]  organisé qui
s’engage dans le jihad, en actes et en paroles, et fait du combat son
objectif et sa protection [76] . Le mouvement islamique ne sera
capable d’établir la société islamique que grâce à un jihad populaire
général, dont le mouvement sera le cœur battant et le cerveau
brillant, pareil au petit détonateur qui fait exploser une grande
bombe, en libérant les énergies contenues de l’oumma [77]  et les
sources de bien qu’elle retient dans son tréfonds. Les compagnons
du Prophète (que Dieu les agrée !) n’étaient qu’une poignée par
rapport aux musulmans qui renversèrent le trône de Chosroès et
ternirent la gloire de César [78] .
Et même les tribus qui avaient apostasie l’islam sous le califat
d’Abou Bakr, Omar les envoya, après qu’elles se furent repenties, au
combat contre les Perses [79] , et Toulayha ibn Khouwaylid al-
Assadi [80] , qui avait auparavant prétendu être prophète, fut l’un des
héros de la bataille d’al-Qadissiyya [81] , au point que Saad [82] 
l’envoya en mission d’espionnage chez les Perses où il fit preuve
d’un grand courage.
Quant à la poignée d’officiers qui pensent pouvoir établir une
société musulmane, c’est une illusion et un leurre qui risque de
répéter la tragédie que vécut le mouvement islamique sous Gamal
Abd al-Nasser [83] .
Le mouvement jihadiste populaire, avec son long chemin à
parcourir, l’amertume des souffrances endurées, l’ampleur des
sacrifices et l’énormité des pertes, est de nature à purifier les âmes
et à les élever de la réalité […], les intérêts s’éloignent des conflits
médiocres au sujet des sous, des besoins à court terme, et […] les
haines s’effacent et les âmes se policent, la caravane remonte de la
vallée encaissée vers le sommet élevé, loin des marais en
putréfaction et des combats de la jungle. […]
La société islamique a besoin de naître, mais la naissance se fait
[84]
dans la douleur et la peine   .

8/ Par goût du martyre et d’atteindre les plus hauts degrés


du Paradis
Il est dit dans le hadith authentique rapporté par Ahmad et
[85]
Tirmidhi, d’après al-Miqdam ibn Madi Karib    (qui le tenait de
Mohammad) : « Voici les sept faveurs accordées au martyr : ses
péchés lui sont pardonnes dès la première goutte de sang versé, il
aperçoit sa place au Paradis, il est revêtu de l’habit de la foi, il
épouse soixante-deux Houris [86] , il ne subit pas les tourments de la
tombe, il n’est pas soumis à la grande terreur, il est couronné d’un
sceptre de dignité en pierres précieuses valant plus que le monde et
ses trésors, il peut intercéder pour soixante personnes de sa
famille » (Le Recueil complet).
Al-Boukhari a rapporté d’après Abou Hourayra que le Prophète
(que la prière et la bénédiction soient sur lui !) a dit : « Au Paradis,
Dieu a préparé cent degrés pour accueillir les moujahidines qui
tombent sur le chemin de Dieu, et entre chacun de ces degrés il y a
l’espace entre la terre et le ciel ; si vous demandez quelque chose à
Dieu, demandez-lui d’entrer au Paradis » (La conquête, 9/6). […]

II - Au secours, islam !
Ô musulmans, que la paix soit sur vous, ainsi que la clémence de
Dieu et Ses bénédictions !
Nul n’ignore les énormes sacrifices consentis par le peuple afghan
musulman, puisque plus de neuf ans sont passés depuis le coup
[87]
d’État communiste de Nour Taraqi    en avril 1978, et que, depuis
lors, les musulmans afghans supportent les plus grandes
souffrances pour défendre leur religion, leur honneur et leurs
enfants, au point qu’il ne reste pas une maison dans ce pays où la
femme ne pleure son mari et les enfants leur père.
Face à Dieu, ces gens ont une excuse, et L’ont pris à témoin devant
les monceaux de crânes et de membres amputés, les âmes flétries et
le sang versé [88] , de sorte qu’il ne reste plus de flèche à tirer, leur
carquois étant vidé. Durant cette longue période, les Afghans ont
espéré que leurs frères musulmans se presseraient par milliers, que
les frères en islam se mettraient en marche, mais à ce jour les
musulmans n’ont pas répondu à leur appel, comme s’ils
n’entendaient pas les cris des mères pleurant leurs enfants, les
hurlements des vierges, les soupirs des orphelins ni les
gémissements des vieillards ! Beaucoup de braves gens se sont
contentés d’envoyer leurs excédents de nourriture et les restes de
leurs repas !
Mais la situation est encore plus grave et risquée, l’islam et les
musulmans en Afghanistan vivent dans une grande angoisse et
doivent affronter un grand péril.
Ce jihad béni a été mené par une poignée de jeunes gens élevés
dans l’islam, et par un groupe d’oulémas qui se sont consacrés à
Dieu. Mais cette première génération est en bonne partie tombée
sur la voie du martyre, et la seconde génération qui se présente n’a
reçu ni éducation ni orientation, n’ayant pas bénéficié du secours
de l’instruction. Ceux-là ont un besoin urgent de quelqu’un qui
vivrait parmi eux afin des les relier à Dieu, et à la Loi révélée.
Au vu de notre humble expérience et de nos lectures limitées [89] ,
nous considérons que le jihad en Afghanistan est, dans la situation
actuelle, une obligation individuelle, en personne et en argent,
comme l’ont attesté les juristes des quatre rites [90]  sans exception,
ainsi que l’ensemble des commentateurs, spécialistes en hadith et
[91]
théologiens   . […]

Conclusion
1. Lorsque l’ennemi pénètre dans les territoires musulmans, le jihad
devient une obligation individuelle selon tous les juristes, exégètes
et savants en hadiths.
2. Lorsque le jihad devient une obligation individuelle, il n’y a pas
de différence entre lui et la prière et le jeûne [92] , selon les trois
imams. Toutefois, les hanbalites accordent la priorité à la prière [93] .
On peut lire dans La Provende du voyageur sur les chemins menant à
la voie de l’imam Malik ? [94]  : « Le jihad sur la voie de Dieu afin de
faire prévaloir Sa parole chaque année est une obligation collective,
de sorte que si certains l’accomplissent, l’obligation n’incombe plus
aux autres. Cela devient une obligation individuelle, comme la
prière et le jeûne, si l’imam [95]  le déclare ainsi, ou bien si une région
est soumise à une attaque de l’ennemi. » Il est dit dans La
Confluence des fleuves [96] , de l’école hanafite : « Si l’obligation
collective est remplie par tous les hommes, alors cela devient une
obligation individuelle comme la prière. » Il est dit dans le
Commentaire [97]  du hanafite Ibn Abidine (238-2) : « Lorsque
l’ennemi attaque une des frontières musulmanes, c’est une
obligation individuelle, comme la prière et le jeûne, que nul ne peut
délaisser. »
3. Le jihad étant une obligation individuelle, aucune autorisation
des parents n’est nécessaire, de la même manière qu’elle n’est pas
nécessaire pour exécuter la prière de l’aurore ou jeûner durant le
mois de Ramadan.
4. Il n’y a pas de différence entre celui qui abandonne le jihad et
celui qui rompt le jeûne du mois de Ramadan sans excuse.
5. Faire un don d’argent ne dispense personne d’accomplir le jihad
au risque de sa propre vie, quelle que soit la somme donnée. Le
devoir du jihad demeure, de la même manière qu’il n’est pas permis
de payer un pauvre afin qu’il jeûne ou prie à votre place.
6. Le jihad est un devoir qui incombe durant toute la vie, comme la
prière et le jeûne. De même qu’il n’est pas permis de jeûner une
année et de rompre le jeûne une autre année, ou bien de prier un
jour et de ne pas prier un autre, on ne peut accomplir le jihad
pendant un an et cesser pendant plusieurs années, si l’on est à
même de continuer [98] .
7. Le jihad, au risque de sa vie et avec son argent, est une obligation
individuelle en tout lieu que les infidèles ont conquis, et cela jusqu’à
ce que soit libérée toute parcelle de terre qui fut musulmane.
8. Le mot « jihad » signifie uniquement le combat armé, comme l’a
dit Ibn Rouchd [99] , ce sur quoi s’accordent les quatre imams.
9. Le sens de l’expression « sur la voie de Dieu » est le jihad, comme
l’a écrit Ibn Hajar [100]  dans La Conquête [101]  (22-6).
10. La phrase : « Nous sommes retournés du petit jihad (la bataille)
au grand jihad (celui de l’âme) », que certains citent comme un
hadith, n’est qu’un hadith faux et forgé, sans fondement. Ce n’est
qu’une parole d’Ibrahim Ibn Abi ‘Abla, l’un des successeurs [102] , qui
[103]
contredit les textes comme la réalité   .
11. Le jihad est le sommet de l’islam, et l’on y accède par étapes :
l’exil [104] , puis la préparation [105] , puis la garde des frontières [106] ,
puis le combat [107] . L’exil est indispensable pour le jihad, car il est
dit dans le hadith authentique rapporté par l’imam Ahmad d’après
[108] [109]
Jounada    (et c’est là un hadith qui remonte au Prophète   ) que
« L’exil ne cessera pas tant qu’il y aura jihad » L’Ensemble des
hadiths authentiques [110]  (1987).
Quant à la garde des frontières (de l’islam) afin de défendre les
musulmans, c’est un des impératifs du combat, car les batailles ne
peuvent être menées tous les jours. Un homme peut monter la
garde pendant longtemps et ne participer qu’à une ou deux
batailles durant sa vie.
12. Aujourd’hui, le jihad, au risque de sa propre vie et de son argent,
est une obligation individuelle pour tout musulman, et toute la
communauté musulmane demeurera dans le péché tant que le
dernier empan de territoire musulman n’est pas libéré des
infidèles ; personne ne peut être absout de ce péché sinon les
moujahidines.
13. Le jihad au temps du messager de Dieu (que Dieu lui accorde
Son salut et Sa bénédiction !) était de différentes sortes. La bataille
de Badr [111]  fut déléguée [112] , recommandée, tandis que les batailles
du fossé et de Tabouk [113]  furent des obligations individuelles pour
chaque musulman, l’entière communauté fut mobilisée. Dans le cas
du fossé, c’est parce que les infidèles avaient envahi Médine, la
terre de l’islam. Quant à la bataille de Khaybar [114] , ce fut une
obligation collective, et le messager de Dieu (que Dieu lui accorde
Son salut et Sa bénédiction !) ne permit d’y participer qu’à ceux qui
avaient été présents à al-Houdaybiyya [115] .
14. Le jihad à l’époque des compagnons et des successeurs fut
surtout une obligation collective, parce qu’il y avait eu de nouvelles
conquêtes [116] .
15. Aujourd’hui, le jihad au risque de la vie est une obligation
individuelle.
16. Dieu n’a permis à personne d’abandonner le jihad sinon les
malades, les infirmes et les aveugles, ainsi que les impubères et les
femmes qui ne peuvent connaîtrent l’exil et le jihad, ainsi que les
personnes âgées. Même les malades dont la maladie n’est pas grave,
comme les boiteux et les aveugles, peuvent se rendre dans les
camps d’entraînement [117]  afin d’assister les moujahidines, leur
apprendre le Coran, leur parler et les encourager, et ils doivent le
faire ; le mieux est qu’ils viennent, comme l’a fait Abdallah ibn
Oumm Maktoum à Ouhoud [118]  et al-Qadissiyya [119] .
Toute autre personne n’a aucune excuse devant Dieu, qu’il s’agisse
d’un employé, artisan, marchand ou homme d’affaires important.
Ils ne peuvent refuser de participer au jihad en personne, ni se
contenter de donner de l’argent.
17. Le jihad est un acte de dévotion collectif et toute collectivité doit
avoir un commandant [120] . L’obéissance au commandant est une
nécessité du jihad, et on doit donc s’habituer à obéir
continuellement au commandant. « Vous devez écouter puis obéir,
que cela vous soit difficile ou pas, dans les matières qui vous
plaisent comme dans celles qui ne vous plaisent pas » (hadith
rapporté par Mouslim d’après Abou Hourayra) [121] .

Note à l’attention de ceux qui viennent


Note à l’attention de ceux qui viennent
accomplir le jihad
1. Le jihad des gens ordinaires est différent de celui des
prédicateurs musulmans. Ces derniers sont généralement peu
nombreux et constituent l’élite de l’oumma. Ils ne peuvent à eux
seuls poursuivre un long jihad, ni ne peuvent affronter des États,
l’oumma doit donc participer avec eux. Tous les hommes ont des
défauts, et aucun peuple n’est composé d’anges purs.
2. Les Afghans sont comme tous les hommes, avec leur ignorance et
leurs défauts, que l’on ne s’attende pas à trouver un peuple parfait.
Mais la différence entre les Afghans et les autres est que les Afghans
ont refusé de voir leur religion déshonorée, et le prix de cette
résolution, ce fut des bains de sang et des montagnes de cadavres.
Alors que les autres peuples se sont, tout de suite, soumis à la
colonisation et à la mécréance [122] .
3. Le peuple afghan est inculte, élevé dans le seul rite hanafite [123] ,
qui n’a pas de rival en Afghanistan, c’est pourquoi nombre
d’Afghans pensent que ce qui n’est pas dans le rite hanafite n’est
pas dans l’islam. L’absence d’autres rites dans leur pays a engendré
chez eux un attachement farouche envers ce rite : donc, quiconque
veut accomplir le jihad avec le peuple afghan doit respecter le rite
hanafite [124] .
4. Le peuple afghan est un peuple vaillant, viril et fier, sans ruse ni
flatterie. S’il aime une personne, il donne pour elle son sang et son
âme, s’il la déteste, rien ne lui résiste. Abandonner certaines
manières de prier, au début de votre séjour parmi eux, permet de
les toucher, de les diriger puis de les éduquer, afin de réformer leur
religion comme leur manière de vivre. Cela a été autorisé par des
fatwas d’Ahmad ibn Hanbal, de Malik et d’ibn Taymiyya [125] .
5. Il faut savoir que la voie du jihad est dure et longue, pour
beaucoup il n’est pas facile de persévérer et de conserver leur
enthousiasme : les sentiments débordants envers le jihad doivent
être accompagnés d’une résistance aux duretés, et d’une adaptation
à la souffrance et à la peine. Combien de jeunes gens, arrivés pleins
de ferveur, l’ont perdue peu à peu, au point de remettre en cause la
nécessité même du jihad !
6. Dieu s’est engagé à aider les moujahidines, et celui qui part sur la
voie de Dieu, Il le prend, l’assiste et fortifie sa résolution, raffermit
son cœur et ses pas. « Trois personnes méritent l’aide de Dieu : le
moujahid sur la voie de Dieu, l’esclave qui veut payer son
affranchissement et l’homme marié qui entend rester chaste »
[126]
(hadith rapporté par Ahmad, al-Tirmidhi, al-Nasa’il   , authentifié
par al-Hakim [127]  et agréé par al-Dhahabi [128] ).
7. Celui qui veut venir en Afghanistan doit téléphoner aux numéros
de téléphone suivants à Peshawar : 42708, 43203, 42397. Une fois
arrivé à Peshawar, il doit appeler un de ces numéros et dire où il se
trouve, quelqu’un viendra le chercher [129] .
L’adresse postale est : Université de Peshawar, boîte postale 977,
Peshawar, Pakistan.
Sois loué, ô Dieu, par Ta louange, j’atteste qu’il n’y a d’autre dieu
que Toi, je Te demande pardon et me repens !

Notes du chapitre
[1] ↑ Dans la préface à la seconde édition, datée du 9 décembre 1988, les propres mots
d’Azzam témoignent de l’impact qu’eut ce livre sur le recrutement de volontaires arabes
pour partir combattre en Afghanistan : « Lorsque j’écrivis ce texte, il ne m’était pas venu à
l’esprit qu’il puisse provoquer une telle révolution, au point que notre nombre a décuplé. »
Le titre semble être une création d’Azzam, mais par la suite l’expression « rejoindre la
caravane » a été employée par de nombreux auteurs islamistes, comme Hamid ai-Ali ou
Abou Moussab al-Zarqawi. Elle évoque l’occasion unique de se joindre au jihad car, tel une
caravane dans le désert, il passera rapidement, et ceux qui ne s’y seront pas joints seront
abandonnés à leur sort.
[2] ↑ Vers du savant Ibn Qayyim ; voir note 77, p. 276.
[3] ↑ Cette phrase est souvent citée dans la littérature islamiste pour désigner la lâcheté.
Elle est extraite de ce hadith : « Un jour, les nations vous assiégeront de tous côtés, comme
des convives affamés autour d’une seule jatte (…) Vous serez telle l’écume du torrent, Dieu
fera que vos ennemis ne vous craindront plus, et il insinuera la faiblesse dans vos cœurs –
Qu’est-ce à dire, ô Envoyé de Dieu ? – L’amour de ce monde et l’aversion de la mort. »
[4] ↑ En arabe, [tâghût], terme coranique qui désigne dans la littérature jihadiste
« l’ennemi proche », c’est-à-dire les régimes oppressifs des pays musulmans. Le tâghût
désigne plus généralement le tyran. L’histoire du mot éclaire cependant sur les richesses
dé sens du terme. Dans la période préislamique, [tâghût] signifie une divinité, et l’un des
dérivés du terme renvoie à l’idée d’excès, d’hubris. Dans le Coran, le terme est utilisé pour
désigner indifféremment les idoles [au pluriel : tawâghît], le démon ou un magicien. Au
début de l’islam, le terme se met à désigner Satan. Plus tard, dans l’islam classique, le
[tâghût] est tout ce qui détourne du culte de Dieu, du tawhid. Les islamistes utiliseront
donc ce terme pour qualifier le pouvoir séculier dictatorial, à la fois autoritaire et idolâtre
(statolatrie des régimes populistes du XXe siècle), qui concentre tous les pouvoirs et nie
toute autre légitimité que la sienne. Une autre traduction de [tâghût] pourrait donc être
Léviathan.
[5] ↑ Le terme infidèle ([kâfir, plur. kuffâr]) désigne en premier lieu les non-musulmans,
mais il peut aussi désigner un musulman considéré par l’auteur comme impie ou apostat.
On parlera alors de [kâfir aslî] (infidèle originel) pour désigner plus spécifiquement les
non-musulmans. Le terme a la même racine que [takfîr], la pratique consistant à déclarer
un musulman apostat.
[6] ↑ Coran, 4/84.
[7] ↑ Le mot obligation ([farîda]) évoque aujourd’hui, dans la littérature jihadiste,
l’opuscule L’Impératif occulté ([al-farîda al-ghâ’iba]), publié en Égypte en 1981. Œuvre
d’Abd al-Salam Farai, il est considéré comme le vade-mecum de l’idéologie de l’organisation
égyptienne al-Jihad. C’est ce document qui légitima l’attentat contre le président égyptien
Anouar al-Sadate en octobre 1981.
[8] ↑ En arabe, [al-nidâ’], autre mot ayant acquis une connotation particulière dans la
littérature jihadiste. Plusieurs médias islamistes s’intitulent ainsi, comme le magazine
Nidâ’ al-islâm, publié en Australie à la fin des années 1990, ou le site al-Nidâ’ basé en
Arabie Saoudite, qui se fit, de 2000 à 2003, le porte-parole d’Al-Qaida.
[9] ↑ Les pieux ancêtres ([al-salaf al-sâlih]) désignent les premières générations de
musulmans, considérés comme dignes d’imitation. Voir note 31, p. 144 dans La Défense des
territoires des musulmans.
[10] ↑ L’expression « base solide » ([al-qâ‘ida al-sulba]) a récemment été interprétée par
des experts d’Al-Qaida tel Rohan Gunaratna comme un concept formulé par Azzam pour
désigner l’organisation déjà connue sous le nom d’Al-Qaida. En fait, « la base solide » est
une expression qui a été utilisée par nombre d’autres penseurs islamistes avant Azzam,
qui lui ont donné tantôt un sens abstrait, à savoir une préparation mentale empreinte de
fermeté pour répandre la cause de l’islam, tantôt dans le sens concret, c’est-à-dire un
territoire à partir duquel pourrait s’étendre la cause islamique. L’expression est
notamment utilisée pour désigner Médine, qui fut pour le Prophète et ses compagnons une
base territoriale à partir de laquelle reconquérir la Mecque. Voir à titre d’exemple, Sadiq
Amin, [al-da‘wa al-islâmiyya farîda char‘iyya wa darûra bachariyya], 1981 (disponible sur
www.tawhed.ws).
[11] ↑ Le terme coranique « les opprimés » ([al-mustad‘afûn]) est fréquemment utilisé
dans la littérature islamiste, mais il évoque surtout les théories des islamistes chiites
comme l’ayatollah Khomeini et Ali Chariati, lequel emploie ce terme pour fusionner la
théologie chiite révolutionnaire et les idées marxistes de justice sociale.
[12] ↑ La notion de martyre ([al-chahâda]) occupe une place très importante dans les
écrits d’Azzam. Bien qu’ayant été développée abondamment par la théologie médiévale,
elle est peu présente dans les écrits islamistes antérieurs à Azzam, tels que L’Impératif
occulté de Faraj. Depuis Azzam, elle est devenue un concept central de la littérature
islamiste radicale, avec les conséquences pratiques que l’on sait, les opérations suicide
étant devenues la « marque de fabrique » des groupes islamistes combattants.
[13] ↑ Coran, 8/39.
[14] ↑ Cette phrase contient un thème central des écrits d’Azzam, à savoir que le jihad est
une activité éternelle qui ne doit jamais cesser. On peut remarquer que l’auteur accuse le
lecteur qui n’y adhérerait pas de trois des termes les plus dépréciatifs du lexique
islamiste : l’impiété [kufr], la sédition [fitna] et le polythéisme [chirk].
[15] ↑ Mohammed al-Boukhari ([al-bukhârî]) (810-870), spécialiste du hadith, originaire
de Boukhara (Ouzbékistan actuel), auteur d’un corpus de hadiths connu sous le nom de
L’Authentique ([sahîh bukhârî]), le plus fiable des six recueils de hadiths canoniques et, en
tant que tel, une des sources principales du droit musulman. AI-Boukhari aurait mis seize
ans à le compiler : il compte 97 livres, 3 450 chapitres et presque 3 000 hadiths (si l’on ne
tient pas compte des redites). Il a fait l’objet de plusieurs commentaires de théologiens
prestigieux, entre autre al-Asqalan. Al-Boukhari est également l’auteur d’un [Târîkh],
collection de biographies des hommes qui figurent dans les [isnâd], chaînes des
rapporteurs de hadiths.
[16] ↑ On peut remarquer qu’il arrive à Azzam d’insérer des notes explicatives à
l’intérieur de son texte, comme s’il était conscient que certains de ses jeunes lecteurs
puissent avoir des lacunes en arabe classique.
[17] ↑ Le calife Omar ([’umar ibn al-khattâb]) est le plus prestigieux des successeurs du
Prophète à la tête de la communauté musulmane, sous le califat duquel (634-644) de
nombreux territoires furent conquis (Syrie, Mésopotamie, Iran occidental, Égypte) et
furent posées les bases de l’organisation de l’empire (création d’administrations appelées
[dîwân], d’un rôle de combattants pour le paiement des soldes, du titre de Commandeur
des croyants, fondation du calendrier islamique). Au bout de dix ans de règne, Omar fut
assassiné par un esclave.
[18] ↑ Abou Oubayda ([abû ‘ubayda ibn al-jarrâh]), compagnon du Prophète puis général
de la conquête musulmane de la Syrie. Abou Oubayda est connu, entre autres, pour avoir
tué son père parce qu’il persistait dans son polythéisme. Les noms des compagnons du
Prophète sont fréquemment adoptés comme « nom de guerre » (ou kunya) par les militants
jihadistes. Ces noms sont en général choisis en fonction des récits et des attributs associés
aux compagnons en question. Ce « nom de guerre » d’Abou Oubayda est devenu populaire
dans les milieux jihadistes, et a notamment été adopté par l’un des proches de Ben Laden,
l’Égyptien Ali al-Rachidi, dit Abou Oubayda al-Banchin ; voir note 28, p. 46 dans Oussama
ben Laden, La Tanière des compagnons.
[19] ↑ Azzam fait allusion à son rôle dans le conflit afghan, à savoir le prosélytisme et
l’instruction ; Azzam semble avoir peu participé aux combats et passé la plupart de son
temps à Peshawar à coordonner les efforts et à instruire les recrues venues de l’ensemble
du monde islamique. Dans ses écrits, il se plaint souvent que les gens venus combattre en
Afghanistan n’aient reçu dans leur pays d’origine qu’une instruction générale et une
éducation religieuse rudimentaires.
[20] ↑ La récitation du Coran ([tajwîd]) est un art qui requiert le respect de règles bien
établies, dont l’apprentissage demande du temps et de l’entraînement.
[21] ↑ Le mot « partisans » ([ansâr]) a un sens particulier dans la tradition islamique, où il
désigne les habitants de Médine qui se rallièrent au Prophète Mohammad et le soutinrent
(ce qui est le sens de la racine linguistique en arabe), après que celui-ci s’y soit installé,
ayant fui en 622 sa ville natale de La Mecque, alors gouvernée par la tribu païenne de
Qouraych. Ce dernier événement est désigné par le terme d’« Hégire », de l’arabe [hijra],
fuite. Les [ansâr] sont distingués des [muhâjirûn], les émigrés, les musulmans mecquois qui
avaient accompagné le Prophète dans son exil à Médine. L’ensemble forme les
compagnons ([al-sahâba]) du Prophète.
[22] ↑ La bataille d’Ouhoud [ubud] près de Médine, en novembre 625, revers militaire
pour les premiers musulmans contre les Mecquois, au cours duquel plusieurs combattants,
dont un oncle du Prophète, périrent.
[23] ↑ Le mot moujahidines ([al-mujâhidûn ou al-mujâhidîn]) désigne ici les groupes de la
résistance afghane qui combattirent l’occupation soviétique en Afghanistan au cours des
années 1980. Dans d autres cas, Azzam l’utilise pour désigner les Arabes ayant participé à
cette résistance. Il peut parfois aussi être employé comme nom propre pour désigner ceux
qui mènent le jihad.
[24] ↑ Azzam était basé à Peshawar mais voyageait beaucoup en Afghanistan afin de
visiter les divers camps et fronts, à la manière d’un homme politique. Il recevait aussi des
donateurs venus du monde musulman qu’il conduisait en tournées en Afghanistan.
[25] ↑ L’école hanafite est l’une des quatre écoles de jurisprudence musulmane. Elle
naquit des enseignements d’Abou Hanifa (700-767). Cette école, la plus ancienne, est
considérée comme la plus libérale parce qu’elle accorde, dans les décisions juridiques, une
place importante à la « raison » ou à « l’opinion » (contre l’interprétation littérale des
écritures), et parce qu’elle est plus tolérante envers les mœurs et coutumes locales que, par
exemple, l’école hanbalite. L’école hanafite est aussi la plus répandue, en Asie centrale et
méridionale, en Égypte, au Levant et en Turquie.
[26] ↑ Les autres écoles stipulent que le martyr tombé au combat doit être enterré dans
les vêtements qu’il portait, que son cadavre ne doit pas être lavé, que l’on ne doit pas faire
de prière funéraire, puisque son salut est assuré. Voir Abdallah Azzam, Mœurs et
jurisprudence du jihad, p. 199.
[27] ↑ Le droit musulman comprend un vaste corpus de lois concernant la conduite de la
guerre, mais aussi le traitement des prisonniers, la répartition du butin, etc.
[28] ↑ Il s’agit peut-être ici de l’Algérien Boudijemma Bounnoua, connu sous le nom
d’Abdallah Anas, qui épousa l’une des filles d’Abdallah Azzam et fait aujourd’hui partie de
la scène islamiste londonienne.
[29] ↑ Il est difficile de connaître l’identité des Arabes afghans cités ici pas Azzam, car
nous ne connaissons que leurs noms de guerre, tous empruntés à des compagnons du
Prophète et courants dans les milieux jihadistes.
[30] ↑ Ahmad Chah Massoud, chef de guerre afghan, commandant de l’une des sept
factions principales des moujahidines afghans pendant la guerre des années 1980. Il sera
connu plus tard comme le commandant de l’Alliance du Nord. Il fut assassiné le
9 septembre 2001 par des hommes de Ben Laden.
[31] ↑ Abou Assim, inconnu en dehors de ce texte, fut probablement un Arabe afghan
combattant aux côtés de Massoud.
[32] ↑ Andrab est une région du nord de l’Afghanistan.
[33] ↑ Coran, 9/39.
[34] ↑ Coran, 4/97-99.
[35] ↑ Ikrima ibn Khalid, transmetteur de hadiths du premier siècle de l’hégire, mort en
723. Ibn Abbas fut l’un des compagnons du Prophète.
[36] ↑ En 624, la bataille de Badr fut la première victoire de Mohammad sur les Mecquois,
et elle est donc un symbole de force et de victoire dans la tradition musulmane. Les
groupes radicaux d’aujourd’hui décrivent parfois une opération terroriste réussie comme
« une opération Badr ». Ainsi, début 2004, lorsque des islamistes radicaux saoudiens
diffusèrent une cassette vidéo relatant l’attaque de novembre 2003 contre un complexe
réservé aux étrangers à Riyad, ils l’intitulèrent « Le Badr de Riyad ».
[37] ↑ Azzam fait ici allusion aux lois en vigueur dans certains pays du monde musulman
comme la Tunisie ou la Turquie, où la barbe ou le voile sont interdits dans certains espaces
publics car ils sont considérés par les autorités soit comme des symboles d’appartenance
aux milieux islamistes et, donc d’opposition politique, soit comme des éléments
perturbateurs du caractère laïque de l’État.
[38] ↑ En arabe, [jâhiliyya], terme coranique désignant l’époque antérieure à l’islam. Mais
dans le lexique de Sayyid Qotb, la [jâhiliyya] signifie aussi l’époque moderne ignorant le
message de l’islam et acceptant le pouvoir d’un despote qui ne gouverne pas selon la loi
révélée. Il n’est pas étonnant de voir Azzam, issu des Frères musulmans, employer ici l’un
des concepts principaux de la théorie de Qotb.
[39] ↑ Une figure familière des régimes arabes contemporains, l’agent des [mukhâbarât]
chargé de surveiller et de réprimer la population.
[40] ↑ Voir supra, note 4.
[41] ↑ Coran, 4/97.
[42] ↑ Allusion aux versets coraniques cités en partie ci-dessus ; il s’agit aussi d’une
référence à l’Afghanistan d’alors.
[43] ↑ Azzam rejette ainsi l’argument des penseurs musulmans plus modérés selon
lesquels les textes du Coran et des hadiths parlant du jihad doivent être interprétés dans
leur contexte historique, à savoir l’affrontement entre les premiers musulmans de Médine
et les polythéistes de La Mecque, entre 620 et 630.
[44] ↑ Sayyid Qotb (1906-1966) est l’un des plus importants idéologues de l’islamisme
radical. Membre des Frères musulmans égyptiens, sa pensée se radicalisa durant son
séjour en prison sous le gouvernement de Nasser. Son livre le plus célèbre, Signes de piste
([Ma‘âlim fi al-tarîq]) (1964), posa les fondations de l’islamisme révolutionnaire et inspira
les divers mouvements qui apparurent, notamment en Égypte, dans les années 1970.
[45] ↑ Sayyid Qotb est en effet l’auteur de ce commentaire du Coran intitulé À l’ombre du
Coran ([fî zilâl al-qur’ân]) (1954).
[46] ↑ Le mot [sunna] signifie « pratique, habitude ou norme », mais désigne plus
particulièrement les faits et actes du Prophète, tels qu’ils apparaissent dans les hadiths.
[47] ↑ Mouslim ibn Hajjaj est un célèbre traditionniste et compilateur de hadith, né à
Nichapour, au nord-est de l’Iran actuel (817-875). Il parcourut, jeune, la Syrie, le Hedjaz,
l’Égypte, recueillant hadiths et traditions attribuées au Prophète. Sur 300 000 hadiths qu’il
aurait recueillis, il en conserva 4 000 dans son ouvrage intitulé L’Authentique ([Sahîh
muslim]), puisque tous les hadiths présentés y sont authentiques ([sahîh]). Ce recueil est,
avec celui d’al-Boukhari, l’un des deux Authentiques, et fait partie des six recueils
canoniques de hadith ([al-kutub al-sitta]).
[48] ↑ L’un des compagnons du Prophète.
[49] ↑ Coran, 9/41.
[50] ↑ Ce passage montre combien le texte coranique pouvait être difficile à comprendre
pour les musulmans des premiers siècles et, à plus forte raison, pour ceux des siècles
suivants.
[51] ↑ Ibn Oumm Maktoub était un compagnon du Prophète qui était aveugle.
[52] ↑ Coran, 24/61.
[53] ↑ Dans cette phrase, Azzam passe en revue les quatre principales catégories de
savants musulmans : le commentateur du Coran [mufassir], qui explique le texte
coranique, le savant en hadith ([muhaddith]), ou traditionniste, qui compile les paroles du
Prophète et étudie leur authenticité, le juriste ([faqîh]), qui étudie la jurisprudence
musulmane, et les fondementalistes ([usûlî]) spécialistes en fondements de la religion
([usûl al-dîn]) – à ne pas confondre avec « fondamentaliste ».
[54] ↑ Azzam fait justement remarquer qu’il y a eu, au cours des siècles, consensus parmi
les oulémas sur la nécessité de combattre chaque fois que le territoire musulman est
soumis à une attaque. Cependant, la jurisprudence musulmane reste vague sur la
définition du « territoire musulman ». La définition maximaliste d’Azzam (« une terre qui
fut musulmane »), qui n’est pas partagée par l’ensemble des oulémas, le mène à se faire le
promoteur de la reconquête de territoires lointains comme le sud de l’Espagne ([al-
Andalus]).
[55] ↑ Cette présentation du devoir de combattre comme s’appliquant en cercles
concentriques est classique en jurisprudence musulmane ; elle n’est pas, comme l’ont
affirmé certains commentateurs, le fait d’Azzam.
[56] ↑ En arabe, [fard ‘ayn] Voir note 45, p. 146 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[57] ↑ Le mot [mahram] signifie ce qui est interdit et désigne un parent dont les liens de
sang sont si étroits que le mariage avec lui est prohibé. Dans certains pays musulmans
d’aujourd’hui, le terme renvoie au parent mâle (le père ou le frère) qui doit accompagner
une femme dans les lieux où elle ne peut se rendre seule.
[58] ↑ En arabe, [fard kifâya]. Voir note 45, p. 146 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[59] ↑ En arabe, la [zakât], l’aumône légale, elle est l’un des cinq piliers de l’islam.
L’aumône surérogatoire s’appelle la [sadaqa].
[60] ↑ Taqiyy al-din Ahmad ibn Taymiyya (1263-1328) est un célèbre théologien et
jurisconsulte hanbalite de la période médiévale. Il se réfugia très jeune avec sa famille à
Damas, fuyant l’invasion mongole, à une période où les croisés étaient encore présents sur
le littoral levantin. C’est ce contexte politique qui structurera son imaginaire. Enseignant à
la grande mosquée de Damas, il se fit très vite connaître par ses prises de positions
polémiques, notamment sur les « innovations » introduites dans le rituel du pèlerinage, ou
contre l’Ash’arisme (principal courant théologique sunnite), les chiites, les soufis, etc.
Exhortant au jihad, il participa lui-même à plusieurs expéditions militaires (en 1303,
contre les Mongols ; en 1305, contre les chiites du Kesrawane). Il fut plusieurs fois inquiété
par les autorités pour ses avis juridiques radicaux. Arrêté à maintes reprises à Damas, au
Caire et à Alexandrie, c’est lors de ces longues périodes d’emprisonnement ou
d’assignation à résidence qu’il composa ses nombreux ouvrages, dont Le Livre de la
politique légitime ([Kitâb al-siyâsa al-char‘iyya]). Ibn Taymiyya mourut à Damas, en 1328,
en résidence surveillée. La doctrine conservatrice et rigoriste, issue de la tradition
hanbalite mais avec laquelle elle prend néanmoins ses distances, qu’il développa dans ses
écrits, connut au XXe siècle un regain de faveur par l’entremise du wahhabisme saoudien,
puis une grande influence sur l’islam politique.
[61] ↑ Cette phrase d’Ibn Taymiyya, souvent citée par les auteurs islamistes, et représente
un argument central du point de vue exprimé depuis Faraj : le jihad est le deuxième devoir
religieux, juste après la foi. Toutefois, dans cette phrase, Ibn Taymiyya n’emploie pas le
mot [jihad] mais le mot [daf‘], qui signifie « repousser » ou « défendre ». Voir notamment
Ben Laden, « Expulsez les Juifs et les croisés ».
[62] ↑ Cette liste est celle des batailles auxquelles le Prophète participa en personne. C’est
là toute la spécificité de l’islam par rapport aux autres religions monothéistes : son
fondateur n’est pas un simple prêcheur, mais également un homme d’État et, comme on le
voit ici, un chef militaire.
[63] ↑ Voir supra note 36.
[64] ↑ Voir note 22, p. 156 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[65] ↑ Cette bataille, qui eut lieu en 626, opposa les musulmans, alors basés à Médine, aux
hommes de la tribu de Bani Mustaliq, menés par al-Harith ibn Dirar. Elle est décrite dans
l’historiographie comme une [ghazwa], puisqu’elle se solda par la victoire des musulmans,
qui se saisirent des femmes et des enfants de leurs ennemis. Parmi les captifs, se trouvait
une jeune femme du nom de Jouwairiyya, que le Prophète épousa.
[66] ↑ La bataille du fossé (627) [al-khandaq] eut lieu devant Médine où les musulmans,
s’attendant à une attaque des Mecquois, creusèrent une tranchée ; mais, au bout de quatre
semaines, les Mecquois se retirèrent. L’histoire de la bataille évoque surtout l’épisode de la
trahison de deux tribus juives qui, en plein milieu de la bataille, rompirent leur alliance
avec les musulmans et se rangèrent du côté des Qoraichites.
[67] ↑ Nom de l’une des tribus juives de Médine, qui participa à la bataille du fossé en
dépit d’un traité antérieur avec les musulmans. En réponse à cette tranison, les
musulmans décidèrent d’exécuter les 600 hommes de la tribu, et se répartirent entre eux
les femmes et les enfants. Voir Montgomery Watt, Mahomet, Paris, Payot, 1989, p. 465-468.
[68] ↑ Khaybar était une oasis au nord de Médine sur laquelle une expédition contre les
tribus juives qui l’habitaient fut menée, en juin 628.
[69] ↑ La conquête de La Mecque par Mohammad et les musulmans eut lieu en 630.
[70] ↑ Après la conquête de La Mecque, les musulmans combattirent la tribu des
Hawazine à la bataille de Hounayn.
[71] ↑ Prolongement de la bataille de Hounayn.
[72] ↑ Tribu juive de Médine qui fut exterminée par les musulmans après son alliance
avec les Mecquois.
[73] ↑ Ce calcul se présente comme une statistique visant à convaincre le lecteur que le
Prophète envoya continuellement des expéditions militaires, manière supplémentaire de
le persuader que le jihad guerrier est un idéal auquel doivent aspirer les musulmans. Mais
il faut préciser que c’est là une vision traditionnelle de la vie du Prophète puisque l’une
des premières biographies de Mohammad, œuvre d’al-Waqidî (mort vers 823), s’intitule Le
Livre des expéditions ([kitâb al-maghâzî]).
[74] ↑ En écho à ce passage, voir Ayman al-Zawahiri, Cavaliers sous l’étendard du
Prophète, « Vers l’établissement d’une base fondamentaliste au cœur du monde
musulman », p 297.
[75] ↑ En arabe, l’adjectif [islâmî] peut signifier « islamique » ou « islamiste », ce qui pose
quelquefois un problème de traduction et d’interprétation.
[76] ↑ Dans ce passage, Azzam présente la vision stratégique qui va le distinguer des
idéologues précédents. Il défend l’idée que le mouvement islamiste ne pourra continuer à
exister sous forme d’organisations secrètes sur le territoire d’États oppresseurs, car il a
besoin d’un territoire sur lequel constituer une force militaire. Il considère l’Afghanistan
comme la « base solide » ([al-qâ‘ida al-sulba]), de son combat. Il s’est inspiré du modèle de
Médine, qui était la base territoriale du Prophète dans son combat contre les Mecquois.
Dans les années 1990, Ben Laden et al-Zawahiri réussirent à établir leur réseau terroriste
mondial en utilisant le concept stratégique d’« entraînement militaire sur le terrain »,
inspiré d’Azzam, en Afghanistan. Si ce dernier avait une approche stratégique plus
conventionnelle de la reconquête des terres musulmanes, l’idée sous-jacente était la
même : établir une « base solide » et s’en servir pour fournir à de jeunes musulmans une
« éducation au jihad ». Azzam développa cette notion dans un article du magazine Al-Jihâd
intitulé « La base solide », [al-qâ‘ida al-sulba], paru en avril 1988. Le terme pourrait être à
l’origine du nom du réseau Al-Qaida, mais il est clair qu’Azzam y parle de territoire, non
d’organisation.
[77] ↑ Terme coranique désignant à l’origine la « communauté bien guidée » ; désigne ici
tous les musulmans du monde considérés comme une seule « communauté ».
[78] ↑ Symboles des deux empires qui se partageaient le Proche-Orient avant la conquête
musulmane : l’empire perse au nord-est de l’Arabie en la personne de Chosroès, le dernier
empereur perse, et au nord-ouest, l’empire byzantin en la personne de « César » ; [qaysar]
est le nom générique donné en arabe aux empereurs romains, puis byzantins.
[79] ↑ Azzam est-il conscient de l’ironie de cette affirmation qui est aussi révélatrice de
l’intelligence politique d’Omar pour se débarrasser de ces « éléments douteux » ?
[80] ↑ Toulayha ibn Khouwaylid était un apostat qui se déclara prophète. Battu par
Khalid ibn al-Walid, il se reconvertit à l’islam et mourut au combat en Perse, en 642.
[81] ↑ La victoire d’al-Qadissiyya (au sud du territoire de l’Irak moderne) est considérée
comme ayant scellé le sort de l’empire sassanide.
[82] ↑ Saad Ibn Abi Waqqas, réputé avoir joué un rôle important dans les grandes
batailles contre les Perses, notamment celle d’al-Qadissiyya et la prise de Ctésiphon, alors
capitale de l’empire perse.
[83] ↑ C’est une critique indirecte mais claire de la stratégie suivie par de nombreux
groupes islamistes, notamment le groupe égyptien Al-Jihad, qui croyaient alors qu’un État
islamique pouvait être établi par un coup d’État. L’expression « jihad populaire général »
et le « mouvement jihadiste populaires » qu’Azzam appelle de ses vœux représentent une
force potentiellement plus importante que l’avant-garde que les groupes jihadistes
égyptiens tentaient de former en se fondant sur les écrits de Sayyid Qotb.
[84] ↑ Il est notable qu’Azzam parle de société islamique et non d’État islamique, l’une des
nombreuses indications que le concept d’État-nation est pratiquement absent de la pensée
politique d’Azzam, ce qui le distingue des autres islamistes, notamment égyptiens, pour
lesquels l’État-nation a toujours eu son importance.
[85] ↑ Al-Miqdam ibn Madi Karib fut un rapporteur de hadith et l’un des compagnons du
Prophète.
[86] ↑ Parmi les merveilles ([karâmât]) accordées au martyr après sa mort, figurent les
soixante-deux houris ([al-hûr]) qui l’attendent au Paradis. Ces jeunes vierges d’une
extraordinaire beauté sont un élément important de l’imaginaire du martyre dans la
tradition islamique.
[87] ↑ Le 27 avril 1978 a eu lieu à Kaboul le « Inqilab-é-Saour » (la Révolution d’avril),
coup d’État communiste qui fit suite à des mois de troubles. Le palais présidentiel fut
attaque et le président Daoud, ainsi que plusieurs de ses proches, furent tués. Le 1er mai
suivant, Nour-Mohammed Taraqi fut désigné président du Conseil révolutionnaire. Pour
l’auteur, cette date marque l’entrée de l’Afghanistan dans le temps des tragédies et des
malheurs.
[88] ↑ Les textes d’Azzam utilisent parfois un vocabulaire très cru pour évoquer la
souffrance des musulmans aux mains des ennemis. Là encore, le but visé est de galvaniser
le lecteur.
[89] ↑ La modestie, dont fait ici preuve Azzam, est considérée comme une vertu très
importante pour les oulémas musulmans.
[90] ↑ Il s’agit des quatre écoles de jurisprudence islamique : chafiite, malékite, hanafite
et hanbalite.
[91] ↑ En arabe, [al-mufassirûn], [al-muhaddithûn] et [al-usûliyyûn] : voir supra, note 53.
[92] ↑ La prière ([al-salâtl) et le jeûne ([al-sawm]) comptent parmi les cinq piliers de
l’islam, et représentent donc aussi des obligations individuelles.
[93] ↑ Chez les sunnites, le terme « imam » désigne chacun des fondateurs des quatre
principales écoles juridiques islamiques. Il s’agit de l’imam Malik, l’imam Abou Hanifa,
l’imam al-Chafii et l’imam Ahmad (Ibn Hanbal). Dans ce contexte, les « trois imams »
désigne les trois premiers, Ibn Hanbal étant mentionné dans la phrase suivante.
[94] ↑ En arabe, [Bulghat al-sâlik li-aqrab al-masâlik fî madhhab al-imâm mâlik].
[95] ↑ Cette incise introduit un argument souvent utilisé par les penseurs modérés pour
contrer les appels au jihad des plus militants : s’il n’y a plus désormais de califat ni donc
d’imam, il n’y a en conséquence plus personne pour déclarer le jihad, qui est repoussé sine
die.
[96] ↑ En arabe, [Majma‘al-anhâr].
[97] ↑ Commentaire ([hâchia]) d’Ibn Abidine (1736-1784) intitulé [Radd al-muhtâr ‘alâ al-
durr al-mukhtâr]. Voir aussi la note 41 sur Ibn Abidine dans Abdallah Azzam, La Défense
des territoires musulmans.
[98] ↑ Azzam présente le jihad comme une vocation, un geste qui doit être poursuivi
éternellement, sans se soucier des raisons qui sont à l’origine de sa déclaration.
[99] ↑ Ibn Rouchd, Abd al-Walid (Averroès), est un grand savant religieux et théologien
andalou né à Cordoue en 1126 et mort à Marrakech en 1198. Médecin et philosophe de
cour de plusieurs califes Almohades, il a composé des commentaires célèbres de l’œuvre
d’Aristote, ainsi que des traités tentant de concilier la religion et la raison (dont le fameux
Traité décisif). Sa présence dans un texte d’Azzam ne doit pas étonner : bien que critiquée
sur quelques points de sa philosophie (éternité de la création, par exemple), son œuvre de
juriste est dans la droite ligne du sunnisme orthodoxe (il ne faut pas oublier qu’il fut
philosophe de cour des Almohades, dynastie très rigoriste).

[100] ↑ Il s’agit d’Ibn Hajar al-Asqalani, juriste égyptien du XVe siècle (1372-1449).
Jusqu’en 1400, date de son retour définitif de Syrie, il voyage dans tout le Proche-Orient et
dans la péninsule Arabique (particulièrement au Yémen) pour étudier auprès de maîtres
importants. Grand juge d’Égypte pendant deux décennies, il fut plusieurs fois démis puis
rappelé à son poste selon les aléas de la politique. Il est surtout resté connu comme
spécialiste du hadith. Auteur d’un commentaire de L’Authentique ([Sahîh]) de Boukhari, de
plusieurs sommes biographiques portant sur les collecteurs et les rapporteurs de
traditions et de dits du Prophète, il a fait la synthèse des connaissances sur le sujet et reste
la principale référence en la matière.
[101] ↑ [Al-Fath] désigne en abrégé [Fath al-hârî fî charh sahîh al-hukhârî], commentaire
de L’Authentique d’al-Boukhari par Ibn Hajar al-Asqalani (voir note précédente).
[102] ↑ En arabe, [ahad al-tâbi’în], terme qui désigne les deuxième et troisième
générations de musulmans, après les compagnons du Prophète. Ibrahim ibn Abi Abla (679-
769) est un transmetteur de hadith appartenant à cette troisième génération. Comme on le
sent ici dans l’emploi des termes, la distance qui le sépare de l’époque du Prophète justifie
la très grande méfiance d’Azzam à l’égard de ses transmissions. Quant au hadith ici cité, on
le trouve notamment, rapporté par Ibrahim ibn Abi Abla, dans le recueil de hadiths d’al-
Nasa’i (mort en 915), l’un des six recueils canoniques (mais qui n’a pas l’importance de
ceux d’al-Boukhari et Mouslim).
[103] ↑ Dans ce passage d’une grande importance, Azzam réfute l’argument
fréquemment formulé par les penseurs musulmans « modérés » pour contrer
l’interprétation strictement militaire du mot jihad par les radicaux, selon lequel il existe
une distinction entre un « petit jihad » ([al-jihâd al-asghar]) et un « grand jihad » ([al-jihâd
al-akbar]). Cette opinion s’appuie sur un hadith dans lequel le Prophète déclare, au retour
d’une bataille : « Nous sommes retournés du petit jihad (la bataille) au grand jihad (celui
de l’âme) » – à savoir la lutte contre ses propres désirs –, cherchant ainsi à valoriser le sens
spirituel du terme. Azzam, à la suite de Faraj dans L’Impératif occulté et d’autres islamistes
radicaux, estime que ce hadith est faux. Pour Azzam, pas de doute : le jihad implique le
combat physique.
[104] ↑ En arabe, [hijra]. Dans ce paragraphe, Azzam décrit les stades du jihad. L’idée
d’émigration ou d’exil va de pair avec ridée que le jihad ne peut être mené à l’intérieur
d’États oppressifs, et que le mouvement islamique doit construire sa propre force sur une
base territoriale. Mais s’exiler, c’est aussi imiter l’exemple du Prophète.
[105] ↑ En arabe, [i‘dâd], c’est-à-dire la préparation au combat. L’importance de la
préparation militaire pour les moujahidines fut décrite dans l’une des œuvres les plus
importantes de la, littérature jihadiste, Le Pilier de la préparation au combat ([al-‘umda fi
i‘dâd al-‘idda]), de l’Égyptien Abd al-Qadir ibn Abd al-Aziz, idéologue du Jihad islamique,
vers la fin des années 1980.
[106] ↑ En arabe, [ribât]. Faire le [ribât] signifie garder les frontières du territoire
musulman où les bases arrières des moujahidines. Ceux qui font [ribât] sont appelés [al-
murâbitûn], mot à l’origine du nom de la dynastie berbère des Almoravides, qui régna sur
l’Afrique du Nord aux XIe et XIIe siècles.
[107] ↑ En arabe, [qitâl] signifie « se battre » ou « tuer ».
[108] ↑ Jounada ibn Abi Oumayya al-Azdi, transmetteur de hadith et conquérant de
Rhodes.
[109] ↑ En arabe, [marfû‘]. Un hadith est dit [marfû‘] lorsqu’il remonte à une narration du
Prophète, par opposition à un hadith [mawqûf], qui ne remonte qu’à une narration de l’un
de ses compagnons.
[110] ↑ En arabe, [Al-sahîh al-jâmi‘].
[111] ↑ Voir supra, note 63.
[112] ↑ Au sens où elle fut un devoir collectif ([fard kifâya]) pour la communauté, ce qui
correspond à la règle puisqu’il s’agissait d’attaquer et non de se défendre.
[113] ↑ Expédition des musulmans pour affronter les Byzantins, au nord du Hedjaz, en
630.
[114] ↑ Voir supra, note 68.
[115] ↑ Expédition des musulmans vers La Mecque qui s’acheva par un traité avec les
Mecquois, en mai 628. Par la suite, le traité fut rompu par la conquête de La Mecque.
[116] ↑ Le mot « conquêtes » ([futûhât]) signifie ouverture et implique avant tout l’idée
d’acquisition territoriale.
[117] ↑ Les camps d’entraînement ([mu‘askarât al-tadrîb]) constituent, pour Azzam, un
élément central de « la base solide » ([al-qâ‘ida al-sulba]) qu’il chercha à établir pour la
mouvance islamiste en Afghanistan.
[118] ↑ Voir note 64 supra.
[119] ↑ Voir note 81 supra.
[120] ↑ En arabe, [amîr]. Cette insistance sur l’obéissance absolue au chef ([amîr]), étayée
sur un hadith, illustre le caractère paramilitaire de ces organisations. Le serment
d’allégeance ([bay‘a]) et donc d’obéissance absolue en est un élément important. Voir
l’introduction au texte d’al-Zarqawi.
[121] ↑ Compagnon du Prophète, mort en 678, l’une des principales sources du hadith.
[122] ↑ La place qu’occupe l’Afghanistan dans l’imaginaire islamiste provient aussi du fait
qu’il est l’un des seuls pays musulmans – malgré sa position au cœur du « grand jeu »
opposant au XIXe siècle Russes et Britanniques – à n’avoir jamais été formellement
colonisé. Les Anglais l’occupèrent deux fois brièvement, à la suite des guerres anglo-
afghanes de 1838 et 1878, mais en furent chaque fois très rapidement chassés.
[123] ↑ Voir supra, note 25.
[124] ↑ Ce point est souligné par Azzam à plusieurs reprises dans ses écrits. La cause du
« jihad » est donc bien supérieure, à ses yeux, aux divergences doctrinales entre écoles.
[125] ↑ Il s’agit du [jawâz ma lâ yajûz], « la permission de ce qui est prohibé » dans
certaines circonstances. Ces dérogations à la norme sont typiques de la pensée téléologique
qu’on retrouve chez les malékites (Malik) et les hanbalites (Ibn Hanbal, Ibn Taymiyya).
[126] ↑ Al-Nasa’i (mort en 915) est l’auteur, comme al-Tirmidhi, de l’un des six livres
canoniques de hadith ([sunan al-nasâ‘î]).
[127] ↑ Mohammad ibn Abdallah al-Hakim (mon en 1014) est l’un des premiers grands
noms de la science du hadith ([mustalah al-hadîth]), discipline dont l’objectif est la mise en
place d’une méthode systématique permettant l’authentification et la classification des
hadiths. Son ouvrage de référence est La Connaissance des sciences du hadith ([ma‘rifat
‘ulûm al-hadîth]).
[128] ↑ Chams al-Din Abou Abdallah Mohammad ibn Ahmad al-Dhahabi (mort en 1347)
est connu pour ses recueils de biographies des rapporteurs des traditions rassemblées
dans les six recueils canoniques.
[129] ↑ Durant les années 1980, la réception des volontaires arabes en Afghanistan eut
lieu de manière directe, sans l’intervention des services de sécurité. Entre 1996 et 2001,
lorsque Ben Laden et Al-Qaida dirigèrent des camps d’entraînement en Afghanistan, les
choses se passaient de manière similaire mais avec plus de discrétion. Des volontaires
venus de l’Occident se rendaient jusqu’à Istanbul puis téléphonaient à Peshawar pour
indiquer leur date d’arrivée, après quoi ils se rendaient à Peshawar et y appelaient un
autre numéro pour que l’on vienne les chercher, sans que jamais un nom ne soit prononcé.
Extraits de Mœurs et jurisprudence du
jihad [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

Étymologie du terme jihad

L e mot « jihad » vient du verbe « jahada », dont le nom d’action


est « juhd » ou « jahd », ce qui signifie l’énergie ou la possibilité.
Certains disent que « juhd » signifie énergie ou possibilité tandis que
« jahd » signifie peine [2] . On emploie aussi le mot « jahd » pour dire
l’extrémité {Ils jurent par Dieu en des serments solennels} [3] , c’est-
à-dire jusqu’au bout de leur plus grand serment.
Donc « jahd », « juhd » et « jihad » signifient : donner le maximum de
son énergie pour obtenir quelque chose d’apprécié, ou repousser
quelque chose de détesté (voir La Langue des Arabes et Le Vaste
Océan [4] ).

Sens et emploi du terme jihad


Sens et emploi du terme jihad
Les quatre grands juristes sont tombés d’accord [5]  pour dire que le
jihad, c’est le combat et l’assistance au combat [6] . Voici les
définitions des quatre écoles juridiques.
1/ Les hanafites : on trouve, dans La Victoire du Tout-Puissant d’Ibn
al-Houmam (5/187) [7]  : « Appeler les infidèles à la vraie religion, et
les combattre s’ils n’acceptent pas. » Al-Kissani a dit, dans Les
[8]
Merveilles    (9/4299) : « Dépenser tous les efforts et toutes les
énergies pour combattre sur le chemin de Dieu, le Très-Haut, par la
personne, la parole, etc. »
2/ Les malékites : « Le combat du musulman contre l’infidèle avec
lequel aucun pacte n’a été conclu afin de faire prévaloir la parole de
Dieu. »
[9]
3/ Les chafi’ites : dans Al-Bajouri d’Ibn al-Qassim    : « Le jihad, c’est-
à-dire le combat sur le chemin de Dieu. » Ibn Hajar dans La Victoire
a dit : « Légalement, c’est faire tous les efforts pour combattre les
infidèles. »
4/ Les hanbalites : (« combattre les infidèles ») voir Les Premières
Demandes (2/497) : « Le jihad, c’est combattre et faire tout son
possible pour faire triompher le message de Dieu. » Voir La Colonne
de la jurisprudence, (p. 661), et Le But des volontés (1/203).
Bref, le mot « jihad » signifie le combat, et l’expression « sur le
chemin de Dieu » veut dire « le jihad ».
Ibn Rouchd [10] , dans ses Prolégomènes (1/369), dit : « À propos du
jihad du sabre : combattre les païens pour la religion ; quiconque se
fatigue pour connaître Dieu mène le jihad sur son chemin, mais le
jihad sur le chemin de Dieu ne veut dire que combattre les infidèles
par le sabre jusqu’à ce qu’ils deviennent musulmans, ou qu’ils se
soumettent et paient l’impôt de capitation. »
Ibn Hajar [11]  a dit dans La Conquête (6/29) : « Ce qui vient à l’esprit
en entendant l’expression “le chemin de Dieu”, c’est le jihad. »

Mœurs et jurisprudence du combat


En islam, le combat est légitime pour répandre la parole de Dieu,
sauver l’humanité de l’impiété, la faire passer des seules ténèbres
de ce monde à la lumière de ce monde et de l’au-delà. C’est
pourquoi, dans cette sainte religion, le combat a été instauré pour
dépasser les obstacles politiques, économiques et sociaux devant
[12]
l’appel à la foi musulmane   , et nous pouvons même dire que la
fonction du jihad (le combat) est d’abattre les barrières qui
empêchent cette religion de se répandre sur toute la surface du
monde. Lorsque les gens acceptent cette religion, nul besoin de
dégainer le sabre ni de faire couler le sang ni de détruire des
installations ni de gâcher de l’argent, parce que cette religion est
venue pour réformer, construire et rassembler, non pour détruire.
Le meurtre et le combat [13]  sont une nécessité imposée aux
musulmans parce qu’ils doivent porter la bannière de l’unicité de
Dieu, et qu’ils ont reçu l’ordre de la propager sur toute colline et
dans chaque plaine. Et si nous ne pouvons pas la faire parvenir aux
gens sans combattre les systèmes politiques et les pouvoirs en place,
nous combattons ceux-ci parce qu’ils constituent une entrave sur la
voie qui mène aux gens. Si le pouvoir politique, les hommes
d’argent et les regroupements tribaux se dressent devant nous [14] ,
nous sommes contraints de les affronter avec des armes jusqu’à ce
qu’ils se soumettent à cette religion, et que s’ouvre le chemin entre
nous et les peuples qu’il nous a été ordonné de sauver.
(Le butin, 39) [15] . Le combat a pour fonction d’éliminer la sédition,
et d’abattre la clique qui se fait adorer des hommes à la place de
Dieu ; si cette clique se rend pacifiquement, nul besoin de dégainer
le sabre, nulle nécessité de tuer les gens.
C’est pourquoi l’islam incite à sauver les gens, même les tyrans, de
l’enfer : de l’enfer de la jahiliyya en ce bas monde comme de
[16]
l’enfer    dans l’au-delà, c’est pourquoi le Prophète (que la prière et
la bénédiction soient sur lui !) a dit à Ali [17] , le jour de la bataille de
Khaybar [18]  : « Par Dieu, si tu obtiens la conversion d’un seul
homme, cela te rapportera plus de bien que les plus parfaites
grâces », et c’est un hadith agréé.
C’est pourquoi l’islam affirme de grands principes et trace des
limites claires qui constituent des règles générales du jihad, la plus
importante étant que le combat a pour but la propagation de la foi
musulmane ; par conséquent, celui qui ne s’y oppose pas ne doit pas
être combattu, c’est pourquoi :
1. il faut exposer l’appel à la religion avant de les combattre, et il est
interdit de les combattre sans les prévenir [19]  ;
2. il est interdit de tuer ceux qui ne combattent pas [20]  […] Il est
interdit de combattre ceux qui sont désarmés, ne causent pas de
mal et dont on ne craint pas la sédition comme les enfants, les
femmes, les impotents, les tributaires, les moines et ceux qui
vivent isolés ;
3. il est interdit de gâcher de l’argent, d’abattre des arbres, de
brûler des maisons, sauf si c’est nécessaire pour mettre à bas les
barrières qui entravent l’appel à la foi musulmane ;
4. il est interdit d’infliger des peines après le combat et de mutiler
les cadavres ;
5. il est interdit de combattre après la reddition de l’ennemi, la
promesse ou la signature d’un accord, et de ne pas respecter sa
parole envers celui avec qui on s’est engagé (à l’exception des
polythéistes avec lesquels vous avez conclu un pacte ; de ceux
qui ne vous ont ensuite pas causé de tort et qui n’ont aidé
personne à lutter contre vous} (L’immunité, 4) [21] . (Tout traître
portera une bannière le jour du Jugement), c’est un hadith
authentique. Maintenant nous allons détailler ces principes
généraux. […]

De l’exécution des moines


Le moine peut être tué selon qu’il vit parmi les gens ou non : s’il vit
parmi les gens, on peut le tuer ; s’il demeure isolé pour ses
dévotions, on ne le tue pas.
Dans le hadith d’Ibn Abbas (que Dieu l’agrée !), il est dit : « Le
Prophète (que la prière et la bénédiction soient sur lui !), lorsqu’il
envoyait ses soldats, leur disait : “Combattez au nom de Dieu (le
Très-Haut) dans la voie de Dieu celui qui est impie envers Dieu, ne
soyez pas traîtres, ne pillez pas, n’infligez pas de châtiments, ne tuez
pas les enfants, ni les ermites” » (rapporté par Abou Daoud [22] , mais
il y a Ibrahim ibn Ismaïl dans la chaîne de garants, et il est douteux ;
toutefois, Ahmad l’a considéré comme fiable).
Dans L’Exposé d’al-Sarkhassi [23]  (10/127), Abou Youssouf,
Mohammad et les rapporteurs du Livre des expéditions, selon Abou
Hanifa, il est dit : « On ne doit pas les tuer. »
Toutefois, Abou Youssouf a dit : « J’ai demandé à Abou Hanifa que
faire des ermites et des moines, et il m’a dit qu’on peut les tuer, il a
même ajouté : “Ce sont des maîtres d’impiété” » [24] . Si l’on fait la
synthèse des deux avis d’Abou Hanifa, on dira que les moines qui se
mêlent aux gens doivent être tués mais pas ceux qui vivent
isolés [25] .

De l’exécution des vieillards infidèles, des


De l’exécution des vieillards infidèles, des
malades, des aveugles et des impotents
Les juristes divergent sur cette question, et sont de deux avis.
Certains classent les vieillards avec les femmes et les enfants,
comme les hanafites et Malik [26] , en s’appuyant sur le hadith
rapporté par Abou Daoud d’après Ouns [27]  qui le tenait directement
du Prophète : « Ne tuez pas les vieillards décrépits, ni les petits
enfants. » […] Et les juristes ont ajouté que la cause est la même que
pour les enfants : ils ne servent à rien aux infidèles, et ne gênent en
rien les musulmans. […] D’autres, comme les chafiites, autorisent
leur meurtre à partir d’un hadith extrait des deux Authentiques,
selon lequel Abou Amir al-Achari tua Dourayd ibn al-Simma [28] ,
lequel avait plus de cent ans. […]
Notre conclusion, mais Dieu en sait davantage que nous [29] , est la
suivante : celui qui peut être utile aux infidèles ou à d’autres, doit
être tué, qu’il s’agisse d’un vieillard, d’un prêtre ou d’un infirme.
Mais les vieillards séniles, les moines isolés et les malades souffrant,
qui ne peuvent être utiles aux infidèles et ne causent aucun mal aux
musulmans, mieux vaut les laisser. […]

De l’exécution des femmes communistes


en Afghanistan
Quant aux femmes communistes en Afghanistan, il faut les tuer,
qu’elles participent à la guerre, donnent leur avis ou ne participent
pas, qu’elles soient isolées ou pas, qu’elles soient seules ou en
groupe, car leur doctrine combat l’islam et lui cause du tort ainsi
qu’aux musulmans. Il est avéré que le Prophète de Dieu (que la
bénédiction et le salut de Dieu soient sur lui !) a dit de deux femmes
des Banou Abd al-Mouttalib [30] , lesquelles disaient du mal du
Prophète, de sa famille et de l’islam, il a dit d’elles et d’un groupe
d’hommes : « Tuez-les, même si vous les trouvez suspendus aux
voiles de la Kaaba » [31] . […]

L’avis prédominant sur le traitement des


prisonniers
Nul doute que l’avis prédominant est celui de la grande majorité : à
savoir que l’imam choisit, en vertu de l’intérêt des musulmans,
entre l’exécution, l’esclavage, la grâce, le rachat d’un musulman ou
la libération en échange d’argent. Ce point de vue doit être confirmé
par des preuves, avant que l’imam ne choisisse ce qui est le mieux
pour la communauté.
[32]
Il est dit dans le Grand Commentaire de L’Indispensable    (10/407) :
« Parmi les prisonniers, si l’on trouve des hommes forts qui peuvent
faire du mal aux musulmans, il vaut mieux les tuer ; si l’on trouve
des hommes faibles ayant beaucoup d’argent, il vaut mieux les
échanger contre de l’argent ; si l’on en trouve qui ont une bonne
idée des musulmans, on peut les inciter à la conversion ou à aider
les musulmans à libérer leurs prisonniers ou les racheter, il vaut
donc mieux les prier de se convertir ; si l’on en trouve qui peuvent
servir sans faire de mal, il vaut mieux les réduire en esclavage
comme les femmes et les enfants ; l’imam est le plus apte à juger de
l’intérêt des musulmans, qu’on lui remette la décision. » […]

Les prisonniers communistes afghans


De nombreux communistes, lorsqu’ils sont faits prisonniers par les
moujahidines et sentent qu’ils vont être exécutés, prononcent la
profession de foi musulmane [33] . Cependant les moujahidines les
exécutent, ce que certains ont désapprouvé en estimant qu’en
prononçant la profession de foi, ils sont préservés du péché.
Ces gens citent le hadith d’Oussama : « Comment as-tu pu le tuer
après qu’il a dit : “Il n’y a d’autre dieu que Dieu” ? » [34] . Mais à vrai
dire, la situation en Afghanistan est différente, car les moujahidines
ont l’habitude de faire des prisonniers qu’ils emmènent au tribunal
du parti et sur lesquels ils enquêtent, car ils se connaissent les uns
les autres, et lorsqu’ils sont certains que le prisonnier est
communiste, car les gens de son village le connaissent, ils le tuent,
qu’il ait prononcé la profession de foi, prié ou même restauré les
lois de l’islam !
Certes, le jugement de la loi révélée sur l’infidèle prisonnier est que,
s’il se convertit à l’islam, on ne peut le tuer car ses péchés sont
absous, il devient alors esclave et on lui applique le même
traitement qu’aux enfants ; on ne peut l’exécuter, il est fait esclave,
et cela parce que la phrase « Il n’y a d’autre dieu que Dieu »
distingue l’impiété de l’islam.
Mais en Afghanistan, la situation diffère totalement, car Babrak
Karmal comme Najib [35] , le chef du parti communiste afghan, qui
font tout pour effacer l’islam de ce pays, disent « Je suis musulman »
et prient devant les caméras de télévision. […]

L’origine du terme martyr [36] 


Les avis divergent sur l’origine du terme martyr. Al-Azhari a dit :
« C’est parce que Dieu (qu’Il soit exalté !) et son Prophète (que la
prière et la bénédiction soient sur lui !) témoignent en sa faveur
pour le Paradis. » [37] 
Al-Nadr ibn Chumayl [38]  a dit : « Le martyr veut dire le vivant, ils
furent nommés ainsi parce qu’ils restent vivants auprès de leur
Seigneur. »
On a dit : parce que les anges de la clémence l’assistent puis
s’emparent de son âme.
On a dit : parce qu’il témoigne aux autres nations.
On a dit : parce qu’il a été témoigné de sa foi et d’une fin heureuse.
On a dit : parce qu’il y a un témoin de sa mort, à savoir son sang,
parce qu’il sera ressuscité et qu’alors son sang giclera.
On a dit : parce que son âme voit le paradis, alors que les autres ne
le verront qu’au Jour du Jugement (L’Ensemble d’al-Nawawi [39] ,
1/772).

Définition du martyr
1/ Chez les chafiites : on trouve, dans L’Ensemble, commentaire du
Raffiné : « Le martyr est celui dont on ne lave pas le cadavre et sur
lequel on ne fait pas de prière funéraire : c’est celui qui est mort en
combattant contre les infidèles, qu’il ait été tué par un infidèle, par
l’arme d’un musulman malencontreusement, que son arme se soit
retournée contre lui, qu’il ait fait une chute de cheval, qu’une
monture l’ait tué d’une ruade, que les montures des musulmans ou
d’autres l’aient piétiné, qu’il ait été atteint d’une flèche envoyée par
un musulman ou un infidèle, qu’il ait été trouvé mort après la
déclaration de guerre sans savoir la cause de sa mort, qu’il y ait sur
lui une trace de sang ou pas, qu’il soit mort sur le champ ou après
un certain temps avant la fin de la guerre, qu’il ait mangé, bu et fait
son testament ou pas ; tout cela est établi chez nous, cela a été
décrété par al-Chafii. »
2/ Chez les hanafites : on trouve, dans Le Commentaire d’Ibn
Abidine [40]  (2/247) : « Le martyr est tout adulte musulman pur qui a
été tué injustement, sans que le prix du sang fût payé, et qui n’a pas
été emporté blessé hors du combat. »

Les conditions nécessaires au martyre


1/ Que le combat ait eu lieu sur le chemin de Dieu (« Celui qui
combat pour que la parole de Dieu l’emporte est sur le chemin de
Dieu »), c’est un hadith agréé. C’est un texte qui a force de loi,
quiconque a été tué en ayant l’intention de soutenir l’islam est
martyr, sinon il ne l’est pas.
2/ Avoir fait preuve d’endurance et de courage.
3/ Attaquer et non fuir.
4/ Ne pas avoir volé une part du butin avant son partage. […]

La toilette funéraire du martyr


Les quatre imams [41]  sont tombés d’accord pour affirmer que le
corps du martyr ne doit pas être lavé. […]

La prière pour le martyr


Le point de vue des oulémas diverge sur la prière funéraire du
martyr : ils sont de deux avis. Le premier, celui de la majorité, est
que l’on ne doit pas faire de prière funéraire, c’est l’avis de Malik,
d’al-Chafii, de l’ensemble des hanbalites, d’Ishaq [42]  et des
rapporteurs d’Ahmad. Le second, celui des hanafites, d’al-Thawri [43] 
et de certains rapporteurs d’Ahmad, est d’accomplir la prière
funéraire [44] . […]
C’est pourquoi on ne fait pas de prière funéraire pour le martyr,
parce qu’il est vivant. Parce que le martyre est une haute élévation,
et que la prière funéraire est une intercession ; or, le martyr a vu
ses fautes pardonnées et le sabre efface les péchés… C’est même le
martyr qui intercède pour soixante personnes de sa famille. Enfin,
le martyr n’ayant pas été purifié, comment pourrait-on faire la
prière funéraire pour lui ?

Peut-on appeler quelqu’un martyr ?


Lorsque l’on dit que quelqu’un est un martyr, cela veut dire que
nous le traitons ici-bas comme tel, c’est-à-dire qu’on ne lavera pas
son corps ni ne prononcera la prière des défunts, mais cela ne veut
pas dire que nous témoignons qu’il ira au paradis, ni en enfer, parce
que les cœurs sont entre les mains de Dieu et que c’est Lui qui
connaît les mystères du ciel et de la terre, et que c’est à Lui que
revient toute décision [45] . C’est l’usage des premiers historiens
musulmans, qui parlent des martyrs d’Ouhoud, de Hounayn, d’al-
Yarmouk et d’al-Qadissiyya [46]  : il tomba en martyr dans la
Yamama [47] , il périt en martyr à al-Qadissiya, etc. […]

Celui qui meurt victime des rebelles et


bandits de grand chemin
Les hanafites et les hanbalites considèrent que celui qui meurt
victime des rebelles et des bandits est un martyr, que l’on doit
traiter comme tel, et cela à l’encontre de l’avis des chafiites.
La preuve des hanafites est la suivante : « L’imam Ahmad a
rapporté selon une chaîne de garants fiable, d’Ibrahim ibn Abdallah
ibn Farroukh d’après son père : “J’ai assisté à l’enterrement
d’Othman [48]  (que Dieu l’agrée !) dans ses vêtements, sans toilette
funéraire” » La Victoire divine (7/951). Quant aux chafiites : « Malik
d’après Nafi d’après Ibn Omar [49] , qu’Omar [50]  fut lavé et enveloppé
d’un linceul avant que l’on pratique la prière des défunts. » Al-
Chafii lui-même a dit dans La mère (1/250) : « Les chefs musulmans
lavèrent le corps d’Omar, et firent la prière des morts, il est donc
martyr mais accéda au martyre sans guerre. » Il dit dans le même
ouvrage : « Celui qui est dévoré par un fauve, est tué par des
rebelles ou des brigands, dont on ne sait qui l’a tué, on lave son
corps et on fait la prière des morts. » […]

Notes du chapitre
[1] ↑ Dans l’introduction de ce texte, Azzam écrit : « Voici quelques paragraphes sur la
jurisprudence du jihad que j’avais écrit lorsque le jihad était oublié de tous, quand les
versets de lieu appelant à combattre les impies étaient expliqués comme des appels à
prêcher l’islam par la parole et la plume, lorsque le combat était devenu un phénomène
étrange aux yeux des musulmans. Je les avais écrits avec l’espoir que Dieu accepterait cette
tentative de rendre au jihad sa place naturelle au moins dans l’esprit des musulmans et
dans leur façon de penser, même si la réalité pratique dans laquelle ils vivent est très
éloignée du jihad pratiqué, comme de l’observance de la loi révélée » (Introduction).
[2] ↑ L’écriture ne notant, dans l’usage courant, qu’une partie des voyelles, il y a parfois
une indétermination sur la prononciation et le sens de certains mots, comme c’est le cas
pour [juhd] et [jahd].
[3] ↑ Coran, 24/53.

[4] ↑ Deux dictionnaires classiques de langue arabe, respectivement du XIIIe ([lisân


al-’arabj) œuvre d’Ibn Manzour, et du XIVe siècle ([al-bahr al-muhîtj) d’al-Firouzabadi dont
les titres désignent la langue arabe classique. On notera que le mot est toutefois expliqué
grâce à une citation coranique.
[5] ↑ De la même manière que pour Ben Laden et al-Zawahiri, Azzam cherche – pour des
raisons liées à sa stratégie de mobilisation – à présenter ses positions comme celles de
toutes les écoles, et non pas d’une en particulier.
[6] ↑ Azzam ignore la distinction entre « petit » et « grand » jihad, souvent évoquée par
les musulmans modérés pour contrer l’interprétation strictement militaire du mot par les
radicaux. Voir note 103, p. 174 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[7] ↑ Ibn al-Houmam, juriste hanafite égyptien, mort en 1457, auteur de [fath al-qadîr].
[8] ↑ Al-Kissani, juriste d’obédience hanafite, auteur des Merveilles ([badâ’i‘ al-sanâ’i‘]).
[9] ↑ Ibn al-Qassim al-Ghazzi, commentateur chafi’ite, d’origine palestinienne, mort en
1512. On lui doit plusieurs gloses et ouvrages faisant la synthèses d’éléments de droit
chafi’ite, ainsi que des poésies didactiques, typiques de l’esprit de son époque.
[10] ↑ Sur Ibn Rouchd, voir note 99, p. 174 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !

[11] ↑ Sur Ibn Hajar al-Asalani, juriste égyptien du XVe siècle (1372-1449), voir note 100, p.
174 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[12] ↑ Azzam rappelle l’argument de Sayyid Qotb dans Signes de piste, décrivant les
« obstacles matériels » mis en place par les systèmes politiques actuels qui empêchent
l’établissement d’une société islamique ; des obstacles qui, selon Qotb, doivent être abattus
par la force. Voir note 44, p. 162 sur Sayyid Qotb dans Abdallah Azzam, Rejoins la
caravane !
[13] ↑ En arabe, [al-qatl wa al-qitâl], association et allitération facilitées par le fait que les
deux mots sont issus en arabe de la même racine.
[14] ↑ Il s’agit de la concurrence des trois légitimités en vigueur au Moyen-Orient : la
première, tribale (« les regroupements tribaux ») ; la seconde, capitaliste (« les hommes
d’argent ») ; la troisième enfin, religieuse, qu’Azzam appelle à voir triompher sur les deux
précédentes.
[15] ↑ Coran, 8/39. Le terme arabe pour « sédition » est [fitna].
[16] ↑ Non seulement l’auteur joue sur les deux sens du mot [par], feu et enfer, mais il
emploie un autre nom de l’enfer en arabe, [al-jahîm]. Le terme [jâhiliyya] désigne la
« barbarie » anté-islamique.
[17] ↑ Ali, cousin et gendre du Prophète, qui deviendra le quatrième calife de l’islam.
[18] ↑ Sur la bataille de Khaybar, voir note 68, p. 166 dans Abdallah Azzam, Rejoins la
caravane !
[19] ↑ Cette interdiction de combattre sans le déclarer au préalable est à l’origine de la
prolifération des déclarations de guerre, lettres à l’ennemi et exposés idéologiques
caractéristiques des groupes jihadistes. Par là, les militants s’assurent que l’ennemi a été
averti et qu’il a eu le temps de se repentir. Voir Ben Laden, « Message au peuple
américain », p. 101, ou la lettre envoyée par le GIA algérien à Jacques Chirac pour qu’il se
convertisse à l’islam.
[20] ↑ D’où les déclarations casuistiques des mouvements jihadistes pour justifier des
attaques qui visent des civils (par exemple les déclarer responsables, puisqu’en
démocratie, toute décision gouvernementale serait en partie imputable à chaque membre
de la société).
[21] ↑ Coran, 9/4.
[22] ↑ Abou Daoud est un célèbre traditionniste, auteur d’un des six recueils canoniques
de hadiths (voir note 30, p. 144).
[23] ↑ Mohammad al-Sarkhassi est un juriste hanafite, mort en 1090.
[24] ↑ C’est ce qui amena certains islamistes radicaux à justifier le meurtre des sept
moines catholiques du monastère Notre-Dame de l’Atlas à Tibehirine, en Algérie, lesquels
furent enlevés le 27 mars 1996, et dont on découvrit les têtes tranchées le 30 mai. Le
Groupe Islamique Armé fut alors accusé de ce meurtre, mais des informations ultérieures
mettent l’accent sur une possible implication des autorités algériennes.
[25] ↑ Une illustration historique de cette situation fut l’attitude de Saladin au soir de la
bataille de Hattin, que son armée remporta contre l’armée des croisés, le 4 juillet 1187, en
Galilée. Après s’être vengé personnellement de Renaud de Châtillon, seigneur de Kérak,
qu’il considérait comme parjure et dangereux, Saladin décida du sort des moines-soldats,
les Hospitaliers et les Templiers, au nombre de plusieurs centaines : leur exécution
massive, lorsqu’ils avaient refusé la conversion à l’islam qu’on leur avait proposée, fut
d’ailleurs confiée à des religieux qui accompagnaient l’armée. Certains seigneurs furent
graciés, les combattants, réduits en esclavage. On en trouve le récit par un témoin oculaire,
dans L’Éloquent Récit de la victoire de Jérusalem du secrétaire et biographe de Saladin,
Imad al-Din al-Isfahani ([‘imâd al-dîn al-isfahânî : al-fath al-qussî fî-l-fath al-qudsî], Le Caire,
Al-dâr al-qawmiyya li-l-tibâ‘a wal-nachr, 1965, p. 86).
[26] ↑ Malik ibn Anas, le fondateur de l’école malékite (voir note 2, p. 380).
[27] ↑ Ouns ibn Malik (mort en 711), serviteur du Prophète, considéré comme l’un des
compagnons ([al-sabâba]).
[28] ↑ Dourayd Ibn al-Simma était un poète et chevalier arabe qui resta païen après
l’avènement de l’islam. Abou Amir al-Achari, un compagnon, commandait une partie des
troupes musulmanes lors de la bataille de Hounayne contre le clan des Hawazine, aux
côtés desquels combattit Dourayd Ibn al-Simma. C’est là que ce dernier fut tué.
[29] ↑ En arabe, [wa-allâh a‘lam], formule traditionnelle de modestie des oulémas.
[30] ↑ L’un des clans de La Mecque.
[31] ↑ Les voiles de la Kaaba, c’est-à-dire dans le saint des saints du sanctuaire de La
Mecque. Cet ordre aurait été prononcé après la prise de La Mecque ; les femmes en
question étaient deux « esclaves chanteuses » [jâria] qui l’avaient insulté dans le passé.
Voir Montgomery Watt, Mahomet, Paris, Payot, 1958-1959, p. 298.
[32] ↑ [al-mughnî fî charh mukhtasar al-khiraqî], œuvre du juriste hanbalite ibn
Qoudama. (voir note 11, p. 64 dans Oussama ben Laden, « Déclaration du Front Islamique
Mondial »). Ce passage figure dans le chapitre sur le jihad, où l’auteur cite en exemple
l’attitude de Mohammad envers les prisonniers de la tribu juive de Banou Qourayza, au
nombre de 600 à 700, lesquels furent exécutés.
[33] ↑ En arabe, [chahâda], littéralement « témoignage », ce qui consiste à prononcer la
phrase : « Il n’y a d’autre dieu que Dieu et Mohammad est son Prophète. »
[34] ↑ Hadith cité par al-Boukhari. Il s’agit d’Oussama ibn Zayd ibn Haritha, auquel le
Prophète aurait reproché à plusieurs reprises d’avoir exécuté un prisonnier qui avait
prononcé la profession de foi musulmane.
[35] ↑ Babrak Karmal (1929-1996) fut président du gouvernement pro-soviétique
d’Afghanistan de 1979 à 1986. Son successeur, Muhammad Najibullah (1946-1996), rut
président de 1986 à 1992. Ce dernier déclarait en 1991 à un journaliste français : « Nous
étions musulmans et le restons. Seuls les ennemis de l’Afghanistan nous accusent d’être
communistes. » Michael Barry, Le Royaume de l’insolence. L’Afghanistan 1504-2001, Paris,
Flammarion, 2002.
[36] ↑ Ces paragraphes montrent l’importance accordée au martyre par Azzam, à la
différence de ses prédécesseurs parmi les islamistes sunnites.
[37] ↑ En arabe comme en grec, les mots « témoin » et « martyr » sont tirés du même
radical. Voir F. Khosrokhavar, Les Nouveaux Martyrs d’Allah, Paris, Flammarion, 2002.
[38] ↑ Al-Nadr ibn Chumayl (740-819) : linguiste et traditionniste d’origine persane,
comme al-Azhari cité plus haut.
[39] ↑ Yahya ibn Charaf al-Nawawi (mort en 1277), juriste chafiite.
[40] ↑ Voir aussi note 41, p. 146 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires
musulmans.
[41] ↑ Il s’agit des fondateurs des quatre écoles juridiques du sunnisme. Ce passage
indique qu’il y a consensus sur la question parmi l’ensemble des courants juridiques.
[42] ↑ Ishaq ibn Rahawayh (mort en 851), célèbre traditionniste dont al-Boukhari fut
l’élève.
[43] ↑ Soufyan al-Thawri al-Koufi (715-778) est un traditionniste très respecté du second
siècle de l’hégire, actif avant la formalisation des quatre écoles.
[44] ↑ Concernant la prière funéraire pour les martyrs en Afghanistan, voir note 26, p.
158 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[45] ↑ Passage décisif dans lequel l’auteur précise bien que le titre de « martyr » est
essentiellement social, la décision sotériologique revenant à Dieu seul. Cette vision
« séculière » du jihad et du statut du martyr, malgré le paradoxe apparent, se retrouve très
souvent chez les jihadistes. Car, à la différence du « grand jihad », qui serait un parcours
personnel et intérieur, le jihad extérieur et guerrier qu’ils promeuvent ne peut être
sanctionné et valorisé que par des pairs. La publicité de l’acte du martyr se comprend
alors comme la recherche de cette reconnaissance visant l’obtention de ce statut, la
décision de Dieu ne pouvant être connue.
[46] ↑ Les deux premiers toponymes renvoient à des batailles des musulmans contre les
païens mecquois avant la mort de Mohammad et les deux suivants, à des batailles des
musulmans contre les Byzantins et contre les Perses.
[47] ↑ Région d’Arabie centrale.
[48] ↑ Othman ibn Affan, troisième calife (de 644 à 655), assassiné par un partisan d’Ali,
ce qui ouvrit la voie à la [fitna], époque de guerres civiles qui se termina par l’installation
des Omeyyades à Damas. Il est donc considéré par les sunnites comme un martyr.
[49] ↑ Abdallah ibn Omar, fils du IIe calife.
[50] ↑ Deuxième calife, assassiné en 644. Voir note 17, p. 156 dans Abdallah Azzam,
Rejoins la caravane !
Extraits de « Aux jeunes musulmans
des États-Unis » [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

Q ue la paix soit sur vous ainsi que Sa clémence et Ses


bénédictions !
Je prie le Très-Haut de vous garder au sein de cet océan déchaîné de
séductions [2] , de vous préserver des séditions apparentes et
cachées, de nous faire apparaître le Vrai et nous le faire suivre, de
nous montrer le Faux et nous le faire éviter. Comme je le prie de
nous inspirer de la sagesse, d’établir l’amour de la foi dans notre
cœur, de nous faire détester l’impiété, l’immoralité et la rébellion, et
de faire de nous des hommes bien guidés.
Je l’implore de nous destiner, à nous tous, une vie de béatitude et
une mort en martyr, avant la résurrection avec les prophètes [3] 
(que Dieu leur accorde salut et bénédiction !), qu’en ce monde II
nous rassemble dans son affection et dans l’autre dans le giron de
sa clémence.
Chers frères, mon cœur est réjoui et mon âme comblée de votre zèle
envers Dieu dans ce désert aride, au cœur des ténèbres de
l’ignorance et du paganisme ; qu’il vous donne soif de la bonne
parole [4]  et vous rende impatients de rencontrer les messagers de
cette religion, lesquels vous apporteront la lumière éclatante aux
quatre coins du monde.
Ce qui me réconforte et apaise mes maux, c’est votre goût pour le
jihad, votre intérêt pour ses nouvelles, votre souci de ses progrès et
de la vie de ses chefs héroïques. Je sais aussi l’énorme différence
entre la réalité dans laquelle vous vivez et la terre du combat dans
laquelle vous aspirez de vivre, mais l’intention sincère et la volonté
affirmée peuvent, avec l’aide de Dieu, faire atteindre à celui qui les
possède de hauts lieux. La plus longue marche débute par un seul
pas : {Oui, nous dirigerons sur nos chemins ceux qui aurons
combattu pour nous. Dieu est avec ceux qui font le bien} [5] . Celui
qui recherche sincèrement le martyre, il lui sera accordé, même sur
son lit de mort, car la sincérité suit la préparation : {S’ils avaient
voulu partir au combat, ils s’y seraient préparés} [6] .
Tant de choses m’ont plu aux États-Unis !
Le congrès [7]  de la Ligue des jeunes musulmans arabes [8]  est au
nombre des plus grands congrès islamiques mondiaux parmi les
musulmans instruits, bien que ses organisateurs soient des
étudiants aux revenus modestes, aux ressources et aux possibilités
limitées et à l’expérience récente dans l’action islamique.
Cependant, son organisation, sa sûreté et sa coordination
remarquables n’ont pas échappé aux musulmans à qui Dieu a fait la
grâce de coopérer avec cette ligue.
Ses centres sont de frais oasis au cœur de l’exil et des jardins
luxuriants au sein des cavernes [sic] de l’ignorance, des canots de
sauvetage au milieu de l’océan déchaîné de la perdition.
Dieu les a gratifiés de la noble tâche de sauver des jeunes qui
risquent de s’enfoncer dans le marais puant du sexe, qu’ils
préservent, avec l’autorisation de Dieu, de la boue du péché, lequel
est devenu le pain quotidien de cette société. Cette société qui,
[9]
s’étant échappée    de son Seigneur, ne fait que se fuir elle-même
après avoir détruit toute entrave morale et toute valeur humaine,
poursuit sa course sans prêter attention à rien [10] .
Ce qui m’a réjoui dans les branches de la Ligue que j’ai visitées, ce
fut leur zèle fervent pour le jihad et leur amour aux ailes
[11]
battantes    pour la terre d’Afghanistan comme pour les
manifestations qui font trembler la terre de Palestine [12] .
J’ai aussi apprécié l’ingéniosité des moyens employés par les frères
afin de récolter de l’argent pour soutenir le jihad, comme la
confection, à Melbourne et Orlando [13] , de tee-shirts portant
l’inscription « Help Free Afghanistan », vendus dans une
camionnette publicitaire pour la cause afghane qui parcourt les
États-Unis puis les distribue aux maisons HCI [14] . J’ai aimé ces sébiles
qu’ils fabriquent, ainsi que les gâteaux préparés chaque semaine
pour être vendus à la sortie de la prière du vendredi à Tucson [15] ,
au profit du jihad.
J’ai été réjoui par l’intérêt porté par la communauté de New York
(mosquée al-Farouk [16] ) et de Brooklyn au jihad en général, et à
celui qui se déroule en Afghanistan en particulier, j’ai été réjoui de
constater leur enthousiasme débordant, leur élan sincère, leur
volonté et leur détermination, qui se lisent sur les visages des
jeunes comme sur ceux des vieux.
J’ai aussi apprécié qu’ils aient ouvert un bureau pour servir le jihad
afghan, engagé un avocat et obtenu une autorisation
gouvernementale [17]  ; puis ils ont organisé des voyages de
combattants en Afghanistan, se chargeant de payer leurs billets et
de leur procurer des visas à l’ambassade de New York, de sorte que
nous avons reçu sept groupes de volontaires sans rien débourser
(que Dieu les récompense et les soutienne !).
J’ai donc ouvert un compte à l’Independence Saving Bank de
[18]
Brooklyn, dont le n° est 644417610   . Quiconque souhaite envoyer
un chèque ou effectuer un virement sur ce compte personnel, doit
le faire à l’adresse suivante : Bureau des services 552, Atlantic
Avenue, Brooklyn, N.Y. 11217, tél. 718-797-0207, en écrivant au dos
du chèque : « Abdallah Y. Azzam ».
Pour conclure, je tiens à remercier les frères qui ont organisé ces
visites, m’ont accompagné durant le voyage et aidé à en subir les
affres, notamment Hicham Youssef, Mohammad Taouba,
Mohammad Balata, Abd al-Razzaq al-Aradi, Abdallah al-Chaybani,
Mohammad Ouynat, Abdallah l’Américain [19] , et je vous prie de
m’excuser auprès de ceux dont je n’ai pu citer les noms.
Je vous recommande d’adorer Dieu, d’être sincère, de réciter
chaque jour un passage du Coran, de lire les invocations à Dieu du
matin et du soir extraites des Paroles fameuses [20]  ou des
Invocations prophétiques ou du hadith, de tenir votre langue, de
respecter pieusement nos prescriptions alimentaires, d’éviter les
femmes étrangères, d’aimer les musulmans, de lire Le Livre de la
doctrine d’al-Tahhawi [21] , le Commentaire des deux Jalal al-Din [22] , À
l’ombre du Coran [23]  et La Jurisprudence de la vie du Prophète de
Mohammad al-Ghazzali [24] , La Jurisprudence de la sunna de Sayyid
Sabiq [25] , ainsi que les livres d’al-Mawdoudi [26]  et d’Ibn Qayyim [27] ,
notamment La Réponse suffisante a qui demande un remède [28] .
Sois loué, mon Dieu ! En Te louant, j’atteste qu’il n’y a d’autre dieu
que Toi et je me repens !
Notes du chapitre
[1] ↑ Article publié dans le n° 39 de la revue Al-Jihad de janvier/février 1988. Cet article
est intéressant à plus d’un titre, notamment parce qu’il donne des renseignements sur les
déplacements d’Azzam aux États-Unis au cours de la guerre d’Afghanistan. Cet article
montre aussi qu’Al-Jihad avait des lecteurs aux États-Unis.
[2] ↑ Azzam ne cache pas son mépris de la société occidentale et de ce qu’il estime être sa
décadence morale. Le mot arabe employé ici, [fitna], signifie « séduction » et « sédition » ;
ce second sens, à caractère théologique, désigne ce qui risque d’advenir lorsque les
musulmans ignorent la loi révélée et y désobéissent.
[3] ↑ Les hommes considérés comme tels par la tradition islamique vont d’Adam à
Mohammad, présenté comme « le sceau des prophètes ». Vingt-cinq noms de prophètes
sont mentionnés dans le Coran, qui comprennent les principales figures des traditions
juive et chrétienne.
[4] ↑ En arabe, [al-kalima al-tayyiba], c’est-à-dire le message de l’islam.
[5] ↑ Coran, 29/69.
[6] ↑ Coran, 9/46.
[7] ↑ Il s’agit peut-être d’une référence à une série de conférences à Kansas City organisée
par la MAYA (Muslim Arab Youth Association) à la fin des années 1980, et qui rassembla
Azzam et des responsables du Hamas ; la conférence d’Azzam à Kansas City en 1987 fut
ensuite enregistrée et diffusée.
[8] ↑ La MAYA regroupe plusieurs petites associations musulmanes aux États-Unis. Elle
était roche des Frères musulman ; et invitait régulièrement de hauts responsables de la
confrérie à donner des conférences aux États-Unis. Elle fut la cible d’attaques après la
diffusion en 1994, sur PBS, d’un reportage intitulé « Jihad in America », produit par le
journaliste Steve Emerson. Les relations d’Abdallah Azzam avec la MAYA remontent au
moins à 1983, lorsqu’un délégué de la ligue, Ahmad Youssouf, se rendit à Peshawar pour
lui remettre de l’argent (voir Middle East Quarterly, 5 janvier 1998). Son site Internet
www.maya.org est actuellement fermé.
[9] ↑ En arabe, [âbiq], qui désigne à l’origine un esclave fugitif. Voir note p. 82, p. 330.
[10] ↑ La condamnation d’Azzam rappelle celle de Sayyid Qotb, lequel passa deux ans aux
États-Unis, à la fin des années 1940, et critiqua dans ses écrits suivants la décadence
morale, la cupidité et la ségrégation raciale dont il fut témoin.
[11] ↑ Comme un volatile qui se prépare à s’envoler : allusion au souhait de certains de
partir en Afghanistan.
[12] ↑ La première Intifada palestinienne venait juste d’éclater lors de la visite d’Azzam.
[13] ↑ Deux villes de l’État de Floride.
[14] ↑ Cette référence est obscure. Le signe HCI est en caractères latins dans le texte arabe.
[15] ↑ La ville de Tucson est située en Arizona.
[16] ↑ Cette mosquée de Brooklyn fut le point de rassemblement des islamistes les plus
radicaux aux États-Unis, et devint au début des années 1990 une base de militants agissant
à l’intérieur de ce pays.
[17] ↑ Ce passage montre combien les activités de soutien au jihad afghan étaient
légitimes aux États-Unis à la fin des années 1980. La branche américaine du Bureau des
services ne travaillait pas dans la clandestinité : au contraire, elle s’efforçait d’œuvrer dans
un cadre légal. Cette phrase montre aussi que la branche new-yorkaise du Bureau des
services ne fut pas l’initiative d’Azzam mais celle de membres de la communauté d’al-
Farouq.
[18] ↑ Avec le recul et après les événements du 11 septembre 2001, il est intéressant de
noter qu’Azzam pouvait, en 1988, ouvrir un compte bancaire à New York, alors qu’il était
célèbre en Afghanistan et devait être connu des autorités américaines.
[19] ↑ Nous ne disposons pas de données biographiques sur ces hommes.
[20] ↑ Les Paroles fameuses ([al-ma’thûrât]) est un recueil de versets coraniques et de
hadiths compilés par Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans.
[21] ↑ Le Livre de la doctrine est une courte introduction aux principes fondamentaux de
l’islam, écrite par l’ouléma hanafite Ahmad al-Tahhawi (853-933).
[22] ↑ Le Commentaire des deux Jalal al-Din est un commentaire du Coran rédigé par les
deux oulémas égyptiens, Jalal al-Din al-Souyouti (mort en 1505) et son professeur Jalal al-
Din al-Mahalli (mort en 1469).
[23] ↑ Le commentaire du Coran écrit par Sayyid Qotb (1906-1966).
[24] ↑ Mohammad al-Ghazzali (1917-1996) était un ouléma égyptien, proche des Frères
musulmans.
[25] ↑ La Jurisprudence de la sunna de l’ouléma égyptien Sayyid Sabiq (1915-2000), un
ouvrage de jurisprudence qui rassemble les positions des quatre écoles juridiques, aurait
été écrit dans les années 1940 à la demande d’Hassan al-Banna.
[26] ↑ Voir la note 30, p. 266.
[27] ↑ Voir la note 77, p. 276.
[28] ↑ Ces recommandations de lecture rassemblent des classiques de la théologie et de la
jurisprudence médiévales ainsi que des ouvrages d’auteurs issus de la mouvance des
Frères musulmans au XXe siècle. Elles situent Azzam dans cette filiation doctrinale et
indiquent ce qu’il préconise à des islamistes émigrés pour s’y inscrire à leur tour.
Extraits de « La base solide » [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

L ouange à Dieu seul, prière et salut sur celui après lequel il n’y a
plus de Prophète [2]  !
Tout principe a besoin d’être soutenu par une avant-garde [3] , qui se
fraie un chemin vers la société au prix d’énormes dépenses et de
lourds sacrifices. Il n’est pas de dogme [4] , terrestre [5]  ou céleste, qui
n’ait besoin d’une telle avant-garde dépensant tout ce qu’elle
possède pour le faire triompher, en parcourant un long et difficile
chemin jusqu’à parvenir à l’implanter dans la vie réelle, si Dieu lui
a permis d’apparaître et de se renforcer ; cette avant-garde
représente la base solide [6]  de la société que nous espérons créer.
Et tout dogme, même s’il provient du Seigneur des mondes, faute de
trouver cette avant-garde qui se sacrifie et dépense tout ce qu’elle
possède pour le défendre, serait mort-né avant même de voir le
jour.
Le slogan de celui qui est porteur de ce dogme doit être : {Dis :
« Invoquez vos associés ! Usez de ruse contre moi ! Ne me faites pas
attendre ! / Oui, mon Maître est Dieu qui a fait descendre le Livre.
C’est lui qui choisit les saints} (al-‘Araf, 195/196) [7] .
Je n’avais pas saisi toute l’importance de la durée de l’éducation
mecquoise [8]  avant de participer en personne au jihad afghan,
comme je le fais pour la septième année consécutive (grâce à
Dieu !) [9] . Après avoir sondé la question dans toute sa profondeur,
j’ai trouvé que la longue éducation doctrinale est le fondement et le
pilier de la société islamique, sans laquelle il ne peut y avoir de
société divine. Car sans cela, cette société ne serait qu’une structure
fragile, qui s’écroulerait au premier coup de vent ou sous la
première tempête.
J’en ai déduit une règle fondamentale pour l’établissement de la
société islamique, à savoir qu’une telle société ne peut être fondée
sans un mouvement qui ait grandi au feu de l’épreuve, et dont les
membres n’aient pas mûri dans la chaleur de l’affrontement. Ce
mouvement est la foudre qui fait éclater l’énergie de l’oumma, et
déclenche un long jihad au cours duquel ses membres assument le
rôle de chefs, de pionniers, d’imams et de guides spirituels. C’est au
cours de ce long combat que les ressources des hommes se révèlent,
que leurs énergies se déploient et que leurs positions se définissent,
que leurs chefs s’avancent pour montrer la direction et prendre les
rênes. Ce sont ces derniers, qu’au bout de longues souffrances, Dieu
renforcera, derrière lesquels il usera de son pouvoir et dont il fera
l’instrument de la victoire de sa religion. Ainsi, prendre les armes
avant de subir la longue éducation du groupe de croyants [10]  serait
dangereux, car les hommes en armes se transforment vite en
factieux [11]  qui mettent en péril la sécurité des gens et
empoisonnent leur vie.
Voici les principaux points de l’éducation du petit groupe de
croyants et de l’avant-garde des pionniers [12] .
1. Elle doit grandir au sein des épreuves et des calamités.
2. Ses éducateurs doivent partager la sueur et le sang durant cette
marche douloureuse ; ils doivent être l’incubateur au sein duquel
grandissent ces petits, qui ne peuvent croître sans une longue
[13]
période de soin et d’éducation   .
3. Cette avant-garde doit s’élever au-dessus des vanités de ce monde,
et se distinguer par son ascétisme et sa frugalité.
4. Elle doit aussi être convaincue de sa doctrine, remplie de
l’espérance de sa victoire.
5. Elle doit persévérer et se persuader de poursuivre la lutte, aussi
longue soit-elle.
6. Les provisions pour la route sont indispensables : la prière
[14]
constante    et la patience.
7. Elle doit pratiquer l’allégeance et la rupture [15] .
8. Elle doit saisir l’ampleur des complots internationaux contre
l’islam.
Il y a des raisons essentielles à une aussi longue éducation.
1. Faute d’une éducation aussi profonde, qui constitue la soupape de
sécurité de cette longue marche, les énormes sacrifices et les coûts
disproportionnés causent, avec le temps, l’ennui et le désespoir.
2. Parce qu’au cours du chemin, les tentations et les marchandages
sont continuels, mais que, plus on approche de la victoire, plus
nombreuses se font les propositions et les tentatives de dévoiement,
il faut donc que la direction soit constituée de membres solides.
3. Parce que cette direction, si Dieu la raffermit en ce monde, aura
entre ses mains des trésors et que c’est elle qui aura la garde de
l’argent du peuple musulman, de son honneur et de sa vie. Si elle
n’est pas sûre, malheur à l’oumma qu’elle dirige ! […]

L’importance de la base solide dans le


L’importance de la base solide dans le
jihad afghan
Nous avons maintenant compris l’importance de cette base qui a,
depuis son plus jeune âge, éduqué l’islam dans la prédication
islamique [16] . Ayant regardé de tous côtés, nous avons constaté que
le monde entier critique ce jihad, et été témoins des complots
internationaux qui veulent cueillir les fruits de ce jihad et en
éteindre les flammes ; nous avons aussi remarqué la lutte sordide
au niveau mondial visant à réduire ce jihad et empêcher son
authentique direction de continuer à diriger ce peuple musulman.
Nous avons regardé de tous côtés, et n’avons trouvé que les fils de la
prédication et ceux de la base solide qui se sont opposés au monde
entier, en disant : « Non, nous sommes là. » Et lorsque les ennemis
de Dieu ont montré les crocs, quand les amis ont cessé de les
soutenir, se sont contentés d’un rôle de spectateur, les chefs
remarquables du jihad se sont levés, Sayyaf, Hekmatyar, Rabbani et
[17]
Khalis    ont dit : « Dieu nous suffit, c’est le meilleur soutien ! » Ces
quatre hommes se sont révoltés et, en levant le voile sur le complot
des infâmes, se sont écriés : « Notre seigneur est plus puissant que
toute force terrestre : {Rien, ni dans les cieux, ni sur la terre, ne peut
réduire Dieu à l’impuissance. Il est en vérité, celui qui sait, et il est
puissant} (Le Créateur, 44) [18] .
Nous avons constaté qu’au cours de toutes les expériences des
peuples musulmans, les fruits du jihad sont finalement cueillis par
les serviteurs de l’Occident ou les alliés de l’Amérique, les laïques de
l’ancien Afghanistan, en Algérie, en Tunisie et en Égypte [19] .
Aujourd’hui, l’Amérique tente de s’emparer des fruits de ce
merveilleux jihad et d’empêcher que l’on légifère selon le livre de
Dieu [20] . La base solide affronte des pressions internationales et des
incitations mondiales, mais ils [sic] ont refusé de baisser la tête
devant la tempête, et ont décidé de poursuivre leur marche
épuisante sur une route de sang, de sueur et de larmes.
Le devoir du monde musulman : quant aux fils du monde
musulman, il leur faut soutenir fermement la base solide, par
l’argent et en personne : {Les infidèles sont amis les uns des autres.
Si vous n’agissez pas ainsi, il y aura sur la terre des rébellions et une
grande corruption} (Le Butin, 73) [21]  ; enfin, poursuivre le jihad
aussi longue soit la route, jusqu’à la dernière personne, ou bien que
nous voyions l’État islamique.
Loué sois-Tu, Seigneur, et par Ta louange j’atteste qu’il n’y a pas de
dieu sinon Toi, Te demande pardon et me repens auprès de Toi !

Notes du chapitre
[1] ↑ Article paru dans la revue Al-Jihad, n° 41, avril 1988. Azzam va ici élaborer le
concept de base solide ([al-qâ’ida al-sulba]) qu’il avait introduit l’année précédente dans
Rejoins la caravane ! Voir p. 155.
[2] ↑ Selon le dogme musulman, Mohammad représente « le sceau des prophètes », après
lequel il ne saurait y avoir de prophétie.
[3] ↑ Le terme d’avant-garde ([talî‘a]) est le même que celui utilisé par Sayyid Qotb dans
Signes de piste (1964). Qotb, qui l’emprunte au discours marxiste en arabe, prétend que le
monde musulman a besoin d’une avant-garde à même de briser les barrières matérielles
érigées par les régimes oppressifs du monde arabe pour empêcher l’émergence d’un État
islamique. Tout au long des années 1970, le concept d" avant-garde conduisit les groupes
radicaux islamistes à suivre une stratégie révolutionnaire classique, c’est-à-dire former de
petits groupes pour s’emparer du pouvoir par des coups d’État militaires. Comme nous
l’avons vu, Azzam emploie le terme d’avant-garde dans un autre sens : selon lui, l’avant-
garde doit suivre une stratégie purement militaire, et non pas révolutionnaire.
[4] ↑ En arabe, [‘aqîda], qui peut aussi être traduit par idéologie mais désigne surtout le
dogme musulman.
[5] ↑ Le terme de « dogme terrestre » ([‘aqîda ardiyya]) désigne toutes les idéologies
séculières comme le marxisme, le capitalisme, etc.
[6] ↑ Alors que l’expression « base solide » faisait référence dans Rejoins la caravane ! à
un morceau de territoire, dans cette phrase elle fait explicitement référence à un groupe
d’hommes, à savoir l’avant-garde qui se bat pour établir la société islamique. Certains
spécialistes, dont Rohan Gunaratna (voir Al-Qaida : au cœur du premier réseau terroriste
mondial, Paris, Autrement, 2002), considèrent cet article comme le texte fondateur de
l’organisation Al-Qaida, ce qui nous semble injustifié puisque Azzam emploie cette
expression, plus bas dans le texte, pour désigner les chefs des moujahidines afghans. Nous
en concluons que « la base solide » était pour Azzam un terme assez vague et malléable, ce
qui n’empêche pas que certains Arabes afghans ait adopté ensuite le mot [al-qâ‘ida] pour
se décrire. On trouvera une bonne présentation critique de ce terme dans Jason Burke, Al-
Qaeda, Londres, Penguin, 2004.
[7] ↑ Coran, 7/195-196.
[8] ↑ L’éducation mecquoise ([al-tarbiya al-makkiyya]) fait référence à l’expérience de
Mohammad et de ses fidèles avant l’émigration ([hijra]) vers la ville de Médine, en
septembre 622. Dans la tradition musulmane, la période mecquoise de la vie de
Mohammad est généralement associée à une époque de préparation idéologique et de
clarification doctrinale, alors que la période médinoise correspond plutôt à une époque
d’application légale et d’action militaire.
[9] ↑ Si cette affirmation d’Azzam est exacte, elle permet de dater son arrivée à
Peshawar : nous savons qu’il arriva au Pakistan en 1981 et que cet article a été écrit avant
avril 1988, ce qui donnerait une date d’arrivée entre janvier et avril 1981.
[10] ↑ Le terme arabe est ici [‘usba], ce qui veut dire un petit groupe d’hommes. Azzam
emploie l’expression « le petit groupe de croyants » ([al-‘usba al-mu’mina]) comme
synonyme d’avant-gardê. Le mot [‘usba] est peu employé dans les noms de groupes
militants hormis dans le nom du groupe libanais ‘Usbat al-ansâr. Voir B. Rougier, Le Jihad
au quotidien, Paris, PUF, 2004.
[11] ↑ Le mot [‘isâbât], clans ou gangs, est de la même racine que [‘usba]. Il est intéressant
de noter que l’appel aux armes d’Azzam n’est pas inconditionnel : une longue éducation
doit précéder le port d’armes. Il y a ici une inquiétude sur le risque du jihad à se
transformer en guerre civile ([harb al-‘isâbât]), sous l’effet de la discorde ([fitna]) si les
jihadistes ne sont pas suffisamment formés.
[12] ↑ On ne saurait dire dans quelle mesure les deux expressions « le petit groupe de
croyants » et « l’avant-garde des pionniers » désignent deux catégories distinctes
d’hommes. Ce paragraphe évoque les passages de Signes de piste où Qotb préconise le
rassemblement d’une « nouvelle génération coranique ». Voir G. Kepel, Le Prophète…, op.
cit., chap. 2.
[13] ↑ Azzam envisage une infrastructure d’entraînement menée par une élite
d’instructeurs comme les camps dirigés par le Bureau des services en Afghanistan, une
approche organisationnelle qui fut appliquée, de manière professionnelle et extensive, par
Ben Laden et al-Zawahiri entre 1996 et 2001.
[14] ↑ Azzam emploie deux termes distincts : [al-salât], les prières prescrites, et [al-
nawâfil], les prières surérogatoires, ad libitum.
[15] ↑ En arabe, [al-walâ’ wal-barâ’]. Cette expression, issue de la tradition wahhabite, est
plutôt rare dans les écrits des Frères musulmans comme Azzam. Cela dénote peut-être une
influence saoudienne sur la pensée d’Azzam. Voir dans Ayman al-Zawahiri, p. 239.
[16] ↑ Dans le passage précédent, que nous n’avons pas traduit ici, Azzam décrit en détail
l’éducation prophétique de la première génération ([al-tarbiya al-nabawiyya lil-jîl al-
awwal]) en citant une longue série de hadiths décrivant la situation de Mohammad et de
ses fidèles pendant la période mecquoise.
[17] ↑ Avec Ahmad Chah Massoud, les plus importants chefs de la résistance afghane
durant les années 1980. Hormis Ahmad Chah Massoud, assassiné en septembre 2001, tous
sont encore peu ou prou seigneurs de la guerre en Afghanistan après l’élimination des
Talibans.
[18] ↑ Coran, 35/44.
[19] ↑ Azzam fait allusion à un slogan qui se répandit alors dans les cercles maghrébins, à
savoir que ce furent les islamistes et non les nationalistes laïques, tel le FLN algérien, qui
avaient été à l’origine de la libération de leurs pays de l’occupation étrangère, et que ces
derniers avaient usurpé le soulèvement originel.
[20] ↑ Dans ce texte paru au printemps 1988, soit un peu moins d’un an avant le retrait de
l’Armée rouge d’Afghanistan (15 février 1989), Azzam manifeste son inquiétude, tant
envers la « récupération » du jihad afghan par les États-Unis qui l’ont financé et équipé,
qu’envers le désintérêt du monde musulman – soulignant l’exemplarité des dirigeants
islamistes de la résistance et rappelant aux lecteurs de la revue Al-Jihad (destinée aux
arabophones) la nécessité de les soutenir coûte que coûte. L’année suivante, les conflits
dans les rangs des moujahidines, le désengagement financier américain et arabe après le
retrait soviétique, puis l’assassinat d’Abdallah Azzam, transformeront profondément la
donne, ouvrant la voie à la prolifération mondiale du jihad des années 1990, dont al-
Zawahiri sera l’idéologue par excellence.
[21] ↑ Coran, 8/73.
Chapitre III. Ayman al-Zawahiri
Introduction

Ayman al-Zawahiri, le vétéran du


jihad
Stéphane Lacroix
Doctorant à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste des mouvements politiques en Arabie Saoudite.

« Le docteur [Ayman al-Zawahiri] est passé par bien des


étapes dans sa vie : il y eut d’abord sa jeunesse marquée par
son enthousiasme pour les écrits de Sayyid Qotb, puis sa
rencontre avec d’autres jeunes comme lui pour organiser leur
passage à l’action, puis les divisions, les épreuves et les débats
qui traversèrent le mouvement jihadiste en prison après
l’assassinat de Sadate, puis le départ du Jihad pour
l’Afghanistan, puis la sédition qui éclata au sein de
l’organisation, suivie de sa dislocation physique et
intellectuelle, puis sa difficile reconstruction dans de terribles
conditions, puis les retrouvailles avec le cheikh Oussama ben
Laden en Afghanistan sous le règne des talibans, et enfin le
conflit avec l’Amérique. Toutes ces étapes et ces situations ont
été riches en expériences, pleines d’événements et d’apports,
qui font que le docteur occupe aujourd’hui la place du sage au
sein du mouvement islamiste jihadiste. Combien son
expérience et sa sagesse sont-elles précieuses pour nos
jeunes gens et pour l’Histoire ! »
Abou Qatada al-Filastini, [Hakîm al-haraka al-
islâmiyya : Ayman al-Zawâhiri] (Le Sage du
mouvement islamiste : Ayman al-Zawahiri) [1] 

D e toutes les figures de la mouvance jihadiste internationale,


c’est l’égyptien Ayman al-Zawahiri qui illustre le mieux
l’histoire de l’islamisme radical sunnite contemporain. Activiste de
la première heure, il a, dès 1966, à l’âge de quinze ans, rejoint les
rangs du mouvement jihadiste égyptien qui œuvrait alors au
renversement du pouvoir en place pour instaurer le règne de
l’islam. Trente ans durant, il va, depuis l’Égypte, l’Afghanistan, le
Soudan – entre autres –, poursuivre cet unique objectif, devenant,
de fait, au cours des années 1980, l’un des principaux opposants au
régime du président Hosni Mubarak. À la fin des années 1990, et
dans des circonstances que nous expliciterons ici, il opère un
revirement stratégique spectaculaire qui le pousse à donner
désormais la priorité à la lutte contre les États-Unis et, par-delà,
contre l’Occident chrétien, dont les ingérences au Moyen-Orient
sont dénoncées comme une guerre contre l’islam. L’importance de
Zawahiri vient alors de ce que, peu de temps après, il fonde avec
Oussama ben Laden la joint-venture Qaidat al-Jihad. Il en devient
l’idéologue en chef et le cerveau ; il est notamment considéré
comme le véritable penseur des attentats du 11 septembre aux
États-Unis.

L’enfance et l’éveil politique de Zawahiri


Ayman al-Zawahiri naît au Caire en 1951, dans la banlieue huppée
de Maadi où la nouvelle classe moyenne égyptienne côtoie le monde
cosmopolite des expatriés occidentaux [2] . Issu de deux prestigieuses
lignées, le jeune Ayman a tout pour être promis à un brillant
avenir : du côté paternel, son grand-oncle avait été, à son époque,
grand imam de l’université religieuse d’al-Azhar, haut lieu de
l’islam sunnite et institution où ses grand-père et arrière-grand-père
avaient également officié. Dans un autre registre, son père, Rabi al-
Zawahiri, un professeur de pharmacologie réputé de l’université
cairote d’Ayn Shams, s’était fait un nom dans la médecine, comme
beaucoup de ses oncles et cousins. Quant à la famille de sa mère,
Oumayma Azzam, on y comptait encore plus de grands noms :
comme dans le cas des Zawahiri, nombre de ses membres étaient
sortis diplômés d’al-Azhar, à commencer par le père d’Oumayma, le
cheikh Abd al-Wahhab Azzam, qui avait ensuite dirigé le
département de littérature de l’université du Caire avant de partir
en Arabie saoudite fonder l’université du Roi Saoud, à Riyadh.
D’autres parents de sa mère s’étaient illustrés en politique, comme
son oncle Abd al-Rahman Azzam, secrétaire général de la Ligue
arabe à sa fondation en 1948. En outre, tant la famille de Rabi‘ que
celle d’Oumayma pouvaient se targuer d’être originaires de la
péninsule Arabique, celle de cette dernière affirmant même
descendre du Prophète [3] .
Rabi‘ et Oumayma sont pourtant très différents de la haute société à
laquelle leurs origines les rattachent : ils vivent de manière
relativement modeste et se montrent plus pieux et socialement
conservateurs que bien des membres de leur génération. Ce fort
contraste entre un environnement familial traditionnel et plutôt
austère et un environnement social très occidentalisé est
certainement l’une des clés pour comprendre la nature de
l’engagement politique ultérieur du jeune Ayman. Enfant, son
tempérament est celui d’un garçon doux, sensible et, dès son jeune
âge, extrêmement pieux. À l’école, il se distingue par une grande
intelligence et une certaine précocité. Cette dernière qualité se
retrouve dans son engagement politique : en 1966, à l’âge de quinze
ans, il crée avec des camarades de lycée sa première cellule
clandestine, qui se fixe pour objectif de renverser le gouvernement
égyptien et d’instaurer le règne de l’Islam.
Or, 1966 est une année-clé dans l’histoire de l’islamisme égyptien.
C’est en effet à cette date qu’est condamné à mort par pendaison et
exécuté le penseur islamiste Sayyid Qotb : cet événement marquant
la fin d’une étape et – surtout – le commencement d’une autre, plus
violente, plus radicale. Qotb avait rejoint le mouvement des Frères
musulmans, fondé en 1928 par Hassan al-Banna avec l’objectif de
créer un État islamique en Égypte, à son retour d’un voyage d’étude
en Amérique, effectué à la fin des années 1940, au cours duquel il
avait été choqué de découvrir la « décadence morale » dans laquelle
vivait alors, selon lui, l’Occident. Au lendemain du coup d’État de
1952 que les Frères musulmans approuvèrent, Qotb devint l’un des
conseillers du nouveau président Gamal Abd al-Nasser. Mais la lune
de miel entre les « officiers libres » et les Frères musulmans fut de
courte durée : accusés d’une tentative d’assassinat sur la personne
de Nasser, ces derniers virent à la mi-1954 leur mouvement déclaré
hors-la-loi et des milliers d’entre eux furent arrêtés, parmi lesquels
Qotb. Celui-ci fut jugé et condamné à la prison à vie, avant de voir
sa sentence commuée en une peine de quinze ans. Surtout, il fut
soumis à des séances de torture atroces, dont la mémoire islamiste
reste aujourd’hui encore profondément marquée. C’est ce
traitement inhumain qui, aux yeux de beaucoup, explique la
radicalisation intellectuelle qui le mènera à rédiger du fond de sa
cellule Signes de pistes ([ma‘âlim fi-l-tarîq]), que certains décriront
comme le « Que faire ? » du mouvement islamiste égyptien. Il y
expose que l’humanité est aujourd’hui divisée en deux camps : celui
de l’islam, et celui de la [jâhiliyya], reprenant ici le terme classique
désignant la période dite d’« ignorance » précédant la venue de
l’islam. Or, partout, la [jâhiliyya] a pris la place de l’islam, y compris
au sein même des sociétés qui se disent musulmanes. Le pendant du
concept de [jâhiliyya], celui de [hâkimiyya] (souveraineté divine),
impose chez Qotb de rendre le pouvoir à Dieu, en renversant les
dirigeants impies qui gouvernent ces sociétés pour installer à leur
place des régime islamiques régis par la loi divine. Par ces prises de
position, Qotb se démarque fortement de la ligne suivie par le
mouvement des Frères musulmans, qui, depuis sa création, s’en est
toujours officiellement tenu à une approche légaliste et non
violente [4] .
Les récits de la vie et du martyre de Sayyid Qotb sont à l’époque sur
toutes les lèvres dans les cercles islamistes, et il ne fait aucun doute
qu’ils joueront un rôle essentiel dans l’éveil de la conscience
politique de Zawahiri. De même que son œuvre – notamment Signes
de piste et son fameux commentaire du Coran intitulé À l’ombre du
Coran – constituera alors le fondement de son idéologie politique.
Zawahiri consacre d’ailleurs un passage entier de son ouvrage
Cavaliers sous l’étendard du Prophète à l’influence que Qotb a eu sur
le mouvement jihadiste égyptien en général, et sur lui en
particulier.

L’assassinat de Sadate et l’épreuve de la


prison
La défaite des armées arabes face à Israël lors de la guerre de 1967
crée un traumatisme terrible dans la société égyptienne. Les
idéologies séculières de gauche, discréditées et délégitimées, ne
recrutent plus, tandis que les mouvements islamistes, seuls à
proposer une alternative, se font de plus en plus populaires. À
partir de 1970, Sadate mène une véritable politique de
dénassérisation et s’appuie pour cela sur les mouvements
islamistes ; il libère ainsi la plupart des militants emprisonnés sous
son prédécesseur et encourage tacitement leurs activités. Cette
politique bénéficie également aux plus radicaux, à l’image de la
cellule de Zawahiri qui compte en 1974 quarante membres. Dans le
même temps, les cellules de ce type se multiplient. À la fin des
années 1970, quatre d’entre elles fusionnent pour former le Jihad
sous la direction d’Abd al-Salam Faraj, auteur d’un opuscule
influent, L’Impératif occulté, où il fait de la lutte armée contre le
gouvernant « impie » un « sixième pilier de l’islam ». En 1980, ce
dernier passe un accord avec le Groupe islamique (Al-gamâ’a al-
islâmiyya), mené par Karam Zohdi, afin d’unir leurs forces. Le
Groupe islamique, constitué au départ d’organisations
estudiantines, était devenu, au cours des années 1970, le premier
mouvement islamiste radical d’Égypte. Très présent en Haute-
Égypte, le Groupe islamique est un « mouvement de masse », par
opposition à l’élitisme des groupes jihadistes précédemment
mentionnés – celui de Zawahiri en particulier –, qui se considèrent
comme une avant-garde révolutionnaire. Cette union des
organisations islamistes radicales égyptiennes se fait sous l’égide du
cheikh Omar Abd al-Rahman, docteur d’al-Azhar et personnalité
religieuse influente. C’est cette coalition qui devait être à l’origine
de l’assassinat du président Sadate le 6 octobre 1981 – dont
beaucoup considéraient qu’il avait signé son arrêt de mort sous la
forme d’un traité de paix avec Israël en 1978.
Mais la formidable vague d’arrestations qui suit l’assassinat se solde
par la détention de la plupart des dirigeants islamistes égyptiens.
Parmi eux se trouve Ayman al-Zawahiri. Suivent alors trois années
qui marquent un véritable tournant dans sa vie. En effet, si
Zawahiri avait été un révolutionnaire convaincu bien avant
l’expérience de la prison – on peut même dire depuis l’adolescence
–, la stratégie qu’il entendait suivre était alors celle du coup d’État
réalisé par une petite élite, qui mènerait au renversement du
régime sans entraîner d’autres victimes que le « pharaon », en
contournant en quelque sorte la société. Pour cela, Zawahiri s’était
efforcé de recruter dans l’armée – qu’il pensait être l’organe le plus
à même de mener à bien cette mission –, notamment par
l’intermédiaire de son ami d’enfance devenu officier, Issam al-
Qamari. On le voit ici : on est encore bien loin des opérations
sanglantes menées par le Jihad et le Groupe islamique au cours des
années 1990.
L’épreuve de la prison est donc, pour Zawahiri, à la fois
traumatisante et fondatrice : traumatisante, parce que Zawahiri y
est battu, torturé, humilié, plus encore que ses compagnons. La
raison en est – quoique Zawahiri n’ait eu qu’un lien assez lointain
avec l’assassinat de Sadate – qu’il avait déjà acquis une certaine
centralité dans la mouvance islamiste radicale égyptienne, qui
laissait les autorités égyptiennes penser qu’il en savait bien plus
qu’il n’en disait. L’humiliation suprême fut pour lui, à en croire
l’avocat islamiste Montasser al-Zayyat [5] , de devoir, sous la torture,
livrer son ami et mentor Issam al-Qamari, qui sera arrêté grâce à
ses indications et jeté en prison. Al-Qamari parviendra à s’échapper
mais sera tué peu après dans un échange de tirs avec la police.
L’importance de cette épreuve est attestée par la récurrence des
allusions et des récits de torture dans les écrits d’Ayman al-
Zawahiri. En 1992, il consacre même un livre entier à la question,
intitulé Le Livre noir : la torture des musulmans sous la présidence
d’Hosni Moubarak [6] . En se fondant sur les rapports d’Amnesty
International et sur des articles de la presse arabe, il y relève
l’ensemble des cas de torture attestés dans les prisons égyptiennes
au cours de la décennie 1980, en insistant sur le fait que, si les
islamistes ne sont pas les seuls à devoir la subir, ce sont eux qui
paient le plus lourd tribut. Sur son cas propre, il précise en
introduction : « nous n’inclurons pas ici notre propre témoignage,
quoique ce que nous ayons vu de nos propres yeux, et même senti
dans notre propre chair, soit peut-être pire que ce que nous
mentionnons, mais nous avons préféré ici laisser la parole à des
étrangers et à des journalistes, car ceux-ci ne pourront pas être
décrits comme des extrémistes œuvrant à briser la paix sociale et
menaçant l’unité nationale ».
Mais l’épreuve est aussi fondatrice, car Zawahiri revit pendant ces
années le martyre de Sayyid Qotb. Plus que jamais, il s’identifie à
son père spirituel, dont il estime devoir continuer l’œuvre. C’est
aussi en prison qu’il s’impose véritablement comme le leader du
mouvement islamiste radical égyptien : ainsi, lors du procès
consécutif à l’assassinat de Sadate, c’est lui qui, depuis l’immense
cage où les prisonniers sont rassemblés, prend, au nom du groupe,
la parole en anglais devant les journalistes étrangers et déclare :
« Maintenant, nous voulons nous adresser au monde entier ! Qui
sommes-nous ? Qui sommes-nous ? Pourquoi nous ont-ils amenés
ici, et que voulons-nous dire ? Pour la première question, nous
sommes des musulmans ! Nous sommes des musulmans qui croient
en leur religion ! Nous sommes des musulmans qui croient en leur
religion, autant en pratique qu’en théorie, et c’est pour cela que
nous avons fait de notre mieux pour établir un État islamique et
une société islamique ! » À cela, tous les prisonniers répondent en
chœur : « Il n’y a de Dieu que Dieu ! » Puis Zawahiri continue :
« Nous ne sommes pas désolés, nous ne sommes pas désolés de ce
que nous avons fait pour notre religion, de ce que nous avons
sacrifié, et nous nous tenons prêts à encore plus de sacrifices ! »
Avant d’ajouter : « Nous sommes ici – le vrai Front islamique et la
véritable opposition islamiste contre le sionisme, le communisme et
l’impérialisme ! » « Et maintenant, une réponse à la seconde
question : pourquoi nous ont-ils amenés ici ? Ils nous ont amenés ici
pour deux raisons ! D’abord, parce qu’ils essaient de détruire le
fabuleux mouvement islamique […] et ensuite, pour mener à bien le
complot d’évacuation de la zone en préparation de l’infiltration
sioniste. » « Nous ne sacrifierons pas le sang des musulmans pour
les Américains et les Juifs ! », hurlent en chœur les prisonniers.
Zawahiri s’exprime ensuite sur la torture : « Nous avons subi des
traitements inhumains. Ils nous ont battus, frappés, ils nous ont
fouettés avec des câbles électriques, ils nous ont envoyé des
décharges électriques ! Ils nous ont envoyé des décharges
électriques ! Et ils ont utilisé des chiens sauvages ! Et ils ont utilisé
des chiens sauvages ! Et ils nous ont accrochés aux portes les mains
liées dans le dos ! Ils ont arrêté les femmes, les mères, les pères, les
sœurs, et les fils ! », avant de réciter les noms de plusieurs
prisonniers qu’il dit morts sous la torture. Et de terminer par ce qui
sonne déjà comme une mise en garde à l’Occident : « Alors, où est la
démocratie ? Où est la liberté ? Où sont les droits de l’homme ? Où
est la justice ? Où est la justice ? Nous n’oublierons jamais ! Nous
n’oublierons jamais ! » [7] .

Le jihad afghan et la rencontre avec Ben


Laden
Quelques mois après sa libération en 1984, Ayman al-Zawahiri
quitte l’Égypte pour l’Arabie Saoudite, où il travaille dans un
dispensaire de la ville côtière de Djedda, avant de se rendre à
Peshawar puis en Afghanistan. La raison de ce voyage est donc
double : pragmatique, d’abord, car Zawahiri sait qu’il est à présent
étroitement surveillé en Égypte et que tous les réseaux clandestins
qu’il a passé des années à construire ont été démantelés ;
idéologique, ensuite, car comme l’écrit Montasser al-Zayyat,
« l’Afghanistan était (pour ces activistes) le meilleur endroit où
s’installer, puisque le pays leur offrait ce qu’ils cherchaient : du
[8]
combat et du jihad »   . Zawahiri a déjà effectué deux voyages à but
humanitaire à Peshawar, au Pakistan, et en Afghanistan, en 1980 et
1981, à l’époque où, fraîchement diplômé de l’université de
médecine, il travaillait comme chirurgien au Caire dans une
clinique du quartier de Sayyida Zaynab tenue par les Frères
musulmans. Il a passé près de six mois dans le pays, et fut
littéralement émerveillé par le spectacle du jihad qui s’y déroulait.
C’est donc en terrain connu qu’il débarque en 1985 avec – semble-t-
il – déjà en tête l’idée de trouver une base sûre pour réorganiser le
Jihad islamique [9]  égyptien. Et à partir de 1987, la structure reprend
effectivement forme, autour de militants égyptiens en fuite,
toujours plus nombreux.
Mais à son arrivée à Peshawar, Ayman al-Zawahiri se soucie peu
d’aller prêter allégeance à Abdallah Azzam – alors considéré comme
le père et le théoricien du jihad contre les Soviétiques – et dirige
plutôt son attention sur un jeune Saoudien assez discret mais très
respecté, Oussama ben Laden. Rapidement, il parvient à placer des
membres de son organisation aux postes-clés entourant Ben Laden.
Le premier objectif est d’assurer au Jihad islamique égyptien la
majeure partie du soutien financier émanant du milliardaire
saoudien face aux mouvements concurrents comme le Groupe
islamique, également présent à Peshawar. Mais, plus largement, il
s’agit aussi de tirer Ben Laden des mains de son mentor, Abdallah
Azzam. Le jeune Saoudien devient alors l’objet d’une concurrence
acharnée entre Zawahiri et Azzam. La dispute prend une telle
ampleur que Zawahiri fait courir la rumeur qu’Azzam est un espion
au service des Américains, dans le seul but d’affaiblir sa position [10] .
Finalement, c’est – selon certaines sources – Ben Laden lui-même
qui rompt avec Azzam, lorsque ce dernier s’oppose fermement à ce
que le spectre du jihad inclue désormais les régimes arabes
d’Arabie Saoudite ou d’Égypte. L’adoption par Ben Laden de cette
dernière position montre l’ampleur de l’influence idéologique qu’a
initialement pu avoir sur lui Ayman al-Zawahiri. Le 24 novembre
1989, Azzam est tué dans un attentat à la voiture piégée. Quoiqu’il
n’y ait aucune preuve de leur implication, Zawahiri et Ben Laden
ont depuis lors été montrés du doigt par certains observateurs [11] .
Zawahiri et Ben Laden se montrent dès lors inséparables. À la fin
1989, alors que les Soviétiques ont amorcé leur retrait et que les
moujahidines savourent ce qu’ils considèrent comme leur victoire,
le débat fait rage quant à la suite à donner au jihad. Une
organisation aux contours encore très lâches prend alors naissance
autour d’une poignée de membres du Jihad islamique égyptien,
notamment Zawahiri, et de la personne de Ben Laden, qui en
devient l’émir, avec pour objectif de continuer le combat contre les
« régimes apostats du monde musulman » : elle se fait
probablement déjà appeler Al-Qaida [12] .

Les années de lutte contre le régime


égyptien
Mais rapidement, les intérêts de Ben Laden et de Zawahiri
divergent. Au lendemain de l’invasion du Koweit par Saddam
Hussein le 2 août 1990, le régime saoudien refuse l’aide du jeune
mujahid saoudien et de sa « légion arabe » pour protéger les
frontières du royaume [13]  et leur préfère une coalition
internationale dirigée par les États-Unis. Bien après la fin de la
guerre du Golfe proprement dite, l’armée américaine maintient ses
bases en Arabie Saoudite, ce qui est perçu par Ben Laden comme
une « occupation de la terre des deux lieux saints ». Son ennemi
n’est désormais plus seulement le pouvoir des Saoud, mais aussi – et
surtout – les États-Unis, dont il fustige également le soutien sans
faille apporté à l’État d’Israël. En d’autres termes, dans sa hiérarchie
des priorités, l’ennemi proche a cédé la place à l’ennemi lointain.
Or, à cette époque, Zawahiri est loin de l’entendre de la même
manière. Non qu’il ait plus d’amour que Ben Laden pour la
puissance américaine, mais il considère que l’établissement d’un
régime islamique en Égypte est la première des priorités, et que ce
n’est qu’ainsi que les musulmans pourront un jour reconquérir la
Palestine. Comme il l’écrira quelques années plus tard, en 1995,
dans la revue Al-Mujâhidûn, « La route de Jérusalem passe par Le
Caire » [14] .
Le chaos fait de guerres fratricides entre ex-commandants
moujahidines afghans qui s’empare de l’Afghanistan après la fin de
la guerre pousse Ben Laden, Zawahiri et ses compagnons égyptiens
à se mettre en quête d’une nouvelle base. Le Soudan, où un coup
d’État a, en 1989, porté au pouvoir un régime militaire dirigé par
Omar al-Bashir et dont l’éminence grise est l’islamiste Hassan al-
Tourabi, constitue alors une bonne alternative. Dans le même
temps, les autorités soudanaises sont engagées dans une recherche
désespérée de capitaux pour développer le pays, ce qu’Oussama ben
Laden s’engage à leur fournir. C’est ainsi qu’en 1992, Ben Laden,
suivi de Zawahiri et des membres de leurs organisations, quitte
Kaboul pour Khartoum.
Commence alors une période où Zawahiri se consacre quasi
exclusivement à la réorganisation du Jihad islamique égyptien,
espérant, la proximité géographique aidant, faire du Soudan la base
arrière rêvée pour déstabiliser le régime du Caire. Le premier des
problèmes qu’il rencontre est celui des fonds, les généreuses
donations de son allié saoudien ne suffisant pas à rendre au Jihad
islamique sa force passée. C’est ainsi qu’à cette époque, dans
l’objectif de lever des fonds et de monter des cellules de son
mouvement dans différents pays, il voyage infatigablement :
Balkans, Autriche, Daghestan, Yémen, Irak, Iran, Philippines, et
même Argentine. Toujours dans sa quête de subventions, il effectue
même un voyage aux États-Unis en 1993 [15]  sous couvert du
Croissant rouge koweitien, pour lequel il a déjà travaillé à l’époque
du jihad afghan.
C’est enfin à partir de 1993 qu’il lance une nouvelle vague
d’opérations sur le territoire égyptien, en grande partie pour
maintenir la concurrence avec le Groupe islamique qui est alors
engagé dans une guerre de grande ampleur contre le pouvoir du
Caire. En août, une tentative d’assassinat sur le ministre de
l’Intérieur égyptien Hasan al-Alfi échoue, et en novembre, une
bombe censée tuer le Premier ministre Atef Sidqi se solde par la
mort d’une petite fille. Le Jihad islamique en ressort de nouveau
profondément affaibli : d’une part, parce que la mort de la jeune
écolière a fini de retourner l’opinion publique contre Zawahiri et
son groupe, d’autre part, parce qu’une vague d’arrestations sans
précédent depuis la mort de Sadate le prive d’une grande partie de
ses partisans en Égypte. En 1995, afin d’arrêter l’hémorragie et de
redonner force à son mouvement, il décide, en coopération avec le
Groupe islamique, de réaliser une action spectaculaire : l’assassinat
du président Hosni Moubarak lors de sa visite à Addis-Abeba. Mais
là encore, l’opération est un échec, qui est suivi d’une répression
féroce dans les milieux islamistes égyptiens. En réponse à cela,
Zawahiri et les siens organisent un attentat contre l’ambassade
d’Égypte à Islamabad, qui est – si l’on peut dire – un succès, faisant
16 morts et des dizaines de blessés. Cette première opération
violente non ciblée réalisée par le groupe de Zawahiri fait naître
une polémique en son sein, polémique qui oblige l’Égyptien à
s’expliquer dans un article intitulé « Les opérations-suicide… Les
raisons de l’attentat contre l’ambassade égyptienne d’Islamabad en
1995 », publié dans la revue du groupe, Al-Mujâhidûn.
Mais l’attentat de 1995 entraîne aussi le regain des pressions
américaines et égyptiennes sur le régime soudanais, qui voit en
outre d’un œil de plus en plus mauvais la présence d’un véritable
« État dans l’État » au cœur de son territoire. Ben Laden, Zawahiri et
leurs partisans sont finalement contraints de quitter le Soudan
l’année suivante. Ben Laden se rend alors immédiatement en
Afghanistan, dont une partie importante est désormais sous le
contrôle du mouvement taliban, succédant à plusieurs années de
guerre civile entre les différents chefs de guerre issus du jihad des
années 1980. Zawahiri, quant à lui, effectue des voyages de courte
durée dans différents pays européens (Hollande, Suisse, Bosnie-
Herzégovine), asiatiques et moyen-orientaux, là encore
vraisemblablement destinés à chercher de nouvelles bases pour son
mouvement et à lui obtenir des financements. Sa dernière
expédition au Daghestan se solde par un fiasco complet : arrêté
pour séjour illégal, il ne doit sa rapide remise en liberté qu’à
l’incompétence des autorités russes qui échouent à établir sa
véritable identité. C’est au terme de ces péripéties qu’il comprend
qu’il ne peut y avoir pour lui et les siens de meilleur sanctuaire que
l’Afghanistan, et il y rejoint Ben Laden à Jalalabad, où ce dernier a
déjà commencé à établir des camps d’entraînement. Le duo est donc
reconstitué et, cette fois-ci, le rapprochement ne va plus être –
comme en 1989, lorsqu’une structure aux contours lâches avait vu
le jour – qu’organisationnel mais également prendre une dimension
idéologique.

De l’ennemi proche à l’ennemi lointain


L’année 1998 marque en effet une rupture fondamentale dans le
parcours politique et intellectuel d’Ayman al-Zawahiri : le
26 février, il signe, au nom de l’organisation du Jihad islamique
égyptien qu’il dirige, une déclaration commune avec Ben Laden et
des représentants de différents mouvements appartenant à la
mouvance islamiste radicale, annonçant la création du « Front
islamique mondial pour la guerre sainte contre les Juifs et les
Croisés » et contenant la célèbre fatwa faisant du meurtre des
Américains et de leurs alliés un devoir individuel pour les
musulmans [16] . Par là, il fait plus que renouer l’alliance avec Ben
Laden ; il renonce à la priorité qu’il avait toujours accordée à
« l’ennemi proche » – le régime égyptien – pour souscrire à la vision
du monde prônée par Ben Laden, selon laquelle la lutte contre
« l’ennemi lointain » – les Américains et leurs alliés – prime en
toutes circonstances. Les raisons susceptibles d’expliquer ce
changement sont de deux ordres.
Il y a d’abord les difficultés croissantes que Zawahiri rencontre
pour obtenir des financements, cela s’ajoutant à l’état de
délabrement dans lequel se trouve son mouvement après le succès
des différentes vagues d’arrestations menées par les autorités
égyptiennes. Or, seul un alignement idéologique sur les positions du
milliardaire saoudien peut lui laisser espérer récolter une part plus
importante des richesses dont celui-ci dispose.
Mais il faut aussi prendre en compte le défi représenté par l’appel
lancé en juillet 1997 par les dirigeants historiques du Groupe
islamique emprisonnés en Égypte, visant à promouvoir une
« initiative de cessation de la violence » ([mubâdarat waqf al-‘unf])
sur le territoire égyptien. Selon un argumentaire qui rappelle
fortement celui que Zawahiri adopte un an plus tard, ceux-ci
reconnaissent que la stratégie de l’affrontement direct avec le
régime a échoué et se proposent de mettre fin au conflit avec
l’ennemi proche, le pouvoir égyptien, pour mieux se concentrer sur
la lutte contre l’ennemi lointain, Israël et, par-delà, les États-Unis.
Mais si les analyses se ressemblent, les conclusions s’opposent :
alors que Zawahiri opte pour un jihad globalisé, les dirigeants du
Groupe islamique préconisent au contraire un retour à la [da‘wa]
(la prédication) et à l’islamisation de la société « par le bas ». Tandis
que Zawahiri conserve l’État égyptien dans sa ligne de mire, ne
faisant qu’inverser les priorités, les chefs du Groupe islamique
considèrent que la violence contre l’État égyptien doit bel et bien
prendre fin, tout affaiblissement de ce dernier et toute atteinte à la
paix civile ne profitant en dernière analyse qu’à l’ennemi extérieur,
Israël. Cette initiative, défendue par des individus de poids au sein
de la mouvance islamiste égyptienne et qui semble même séduire
au-delà du simple cercle du Groupe islamique [17] , oblige ainsi
Zawahiri, craignant de se retrouver isolé, à une réponse prompte,
sous la forme de la création du « Front islamique mondial pour la
guerre sainte contre les Juifs et les Croisés », dont il est, aux yeux de
beaucoup, le principal artisan.
Mais le coup de force de Zawahiri provoque des remous au sein
même du Jihad islamique, dont de nombreux membres s’opposent à
l’alliance avec Ben Laden et au repositionnement stratégique qu’elle
implique, et reprochent à leur chef d’avoir agi au nom du groupe
[18]
sans les consulter   . Une réunion d’urgence est organisée en
Afghanistan au cours de laquelle Zawahiri, mis en minorité, va
jusqu’à menacer de quitter la direction de l’organisation. La
rencontre se solde par le retrait de plusieurs personnalités
importantes, dont le propre frère d’Ayman, Muhammad al-
Zawahiri. Mais ce n’est que pendant l’été 1999 que Zawahiri,
exaspéré par les oppositions auxquelles il continue de faire face,
notamment de la part des partisans d’un ralliement du groupe à
l’initiative de cessation de la violence, jette l’éponge et démissionne
de son poste d’émir – avant de finalement reprendre le
commandement d’un Jihad islamique exsangue quelques mois plus
tard. Le mouvement disparaît enfin formellement en juin 2001,
lorsqu’est rendue officielle sa fusion avec l’organisation Al-Qaida
d’Oussama ben Laden pour fonder la joint-venture Qaidat al-Jihad
(La base du Jihad).
La querelle qui oppose Zawahiri aux partisans de l’initiative de
cessation de la violence occupe une place importante dans sa
production postérieure, notamment dans l’ouvrage Cavaliers sous
l’étendard du Prophète, dont sont ici présentés des extraits. Mais elle
n’est en fait que l’ultime épisode de l’affrontement idéologique qui
oppose depuis toujours Zawahiri aux islamistes dits « réformistes »,
lesquels jouent la carte du légalisme et se présentent comme
hostiles à toute forme de violence politique. C’est notamment le cas
du mouvement des Frères musulmans qui, depuis le début des
années 1970, s’est ouvertement démarqué de l’héritage idéologique
de Sayyid Qotb et a choisi de revenir à la stratégie de conciliation
avec le régime qui avait été la sienne avant l’arrivée au pouvoir de
Nasser. Au tout début des années 1990, Zawahiri a ainsi consacré
aux Frères musulmans un ouvrage entier intitulé La Moisson
amère [19] , dans lequel il fait le bilan des soixante années qui se sont
écoulées depuis la création du mouvement. Il y accuse ses
dirigeants d’avoir transgressé les principes fondamentaux de
l’islam en renonçant au « jihad contre le tyran » [al-tâghût] et en
acceptant de participer au jeu politique « démocratique »,
reconnaissant ainsi implicitement la légitimité du pouvoir en place,
d’une part, et la souveraineté du peuple, de l’autre. Or, pour
Zawahiri – à la suite de Qotb –, le pouvoir ne doit revenir qu’à Dieu
et ne peut découler que de la stricte application de la loi islamique.
Dans d’autres écrits, il renouvelle avec encore plus de virulence ses
attaques contre les Frères musulmans, qu’il accuse de s’être rangés
aux côtés du pouvoir dans la lutte qui oppose, au cours des années
1990, les mouvements islamistes radicaux égyptiens au régime
d’Hosni Moubarak [20] .
L’annonce de la création du Front islamique mondial pour la guerre
sainte contre les Juifs et les Croisés entraîne un considérable regain
d’intérêt des services de renseignements américains pour le Jihad
islamique égyptien, qui se traduit par l’arrestation de plusieurs de
ses cadres en exil. Les attentats contre les ambassades américaines
à Nairobi et Dar es-Salaam, perpétrés pendant l’été 1998, sont
présentés par Zawahiri comme une réponse à ces succès
sécuritaires américains. Dès lors, c’est l’escalade : l’administration
américaine riposte en bombardant des camps d’entraînement liés
au réseau de Ben Laden en Afghanistan, et – par erreur – une usine
de produits pharmaceutiques à Khartoum, au Soudan. À l’automne
2000, le navire de guerre américain USS Cole est attaqué dans le
port d’Aden. Enfin, le 11 septembre 2001, au cours de l’opération la
plus spectaculaire jamais réalisée par Qaidat al-Jihad, quatre avions
de ligne américains sont détournés et trois d’entre eux s’écrasent
sur les tours du World Trade Center et sur le Pentagone, causant la
mort de plus de 3 000 personnes.

Zawahiri après le 11 septembre 2001


Alors que le personnage de Zawahiri avait été jusqu’alors en grande
partie ignoré des médias occidentaux, une première cassette – on l’y
voit, assis aux côtés de Ben Laden et du Koweitien Soulayman Abou
Ghaith, défier les États-Unis –, diffusée par Al-Jazira le 7 octobre
2001 et reprise par les télévisions américaines et européennes,
attire sur lui l’attention de l’Occident. Petit à petit, les experts
prennent conscience que, si le Saoudien Ben Laden est bien la
figure charismatique et le symbole de Qaidat al-Jihad, le cerveau du
mouvement – et notamment des attentats du 11 septembre – est
l’Égyptien Zawahiri.
Puis, après une période d’absence d’une année pendant laquelle
certains se prennent à le croire mort, enfoui sous un tunnel
effondré du complexe de Tora Bora, Zawahiri gagne de nouveau,
subitement, en visibilité. En octobre 2002, il réapparaît avec un
nouvel enregistrement dans lequel il met en garde les Américains
contre ce qui n’est encore qu’une possible opération militaire en
Irak, et reproche aux alliés des États-Unis leur soutien à
Washington. C’est ensuite de manière régulière qu’il s’invite sur les
écrans d’Al-Jazira : en mai 2003, il dénonce l’invasion de l’Irak, qu’il
décrit comme le préambule à une attaque contre l’ensemble des
pays de la région. Il y encourage en conséquence ses partisans à
s’en prendre aux intérêts des États-Unis et d’un certain nombre de
leurs alliés, où qu’ils se trouvent. En août 2003, il dénonce le
traitement réservé aux prisonniers de la base militaire américaine
de Guantanamo, et appelle à la vengeance. En septembre 2003, il
s’en prend au président pakistanais Pervez Musharraf, fidèle allié
des États-Unis, appelant son peuple à le renverser. En décembre
2003, à l’occasion du deuxième anniversaire de la bataille de Tora
Bora en Afghanistan, il intervient pour montrer comment les
invasions de ce pays et de l’Irak ont été un échec cuisant pour les
Américains, et comment le mouvement jihadiste demeure plus fort
que jamais.
Commence alors une période où il devient même plus présent
médiatiquement que Ben Laden, dont les déclarations se font rares.
En février 2004, il s’en prend d’une part au président Bush, d’autre
part à la loi française interdisant le port des signes religieux
ostensibles à l’école publique (et par conséquent le port du voile
islamique), qui, pour lui, « constitue un nouvel exemple de la
malveillance des croisés » et démontre que la France, bien qu’elle se
soit opposée à la guerre en Irak, demeure profondément hostile à
l’islam et aux musulmans. En mars 2004, il renouvelle ses attaques
contre Pervez Musharraf et, en juin 2004, il met en garde les pays
arabes contre les réformes imposées par les États-Unis, qui n’ont
pour lui d’autres objectifs que d’assurer leur main-mise sur le
Moyen-Orient et ses richesses. En septembre 2004, il fait le point de
la situation en Afghanistan et en Irak trois ans après les attentats de
New York et Washington, concluant que l’Amérique est bel et bien
embourbée dans l’un et l’autre pays. En octobre 2004, il insiste sur
la centralité de la cause palestinienne dans le combat d’Al-Qaida et
appelle, comme chaque fois, à frapper l’ennemi américain (ou ses
alliés). Enfin, à la fin novembre 2004, il attaque l’Égypte, l’Arabie
Saoudite, et les États-Unis, réaffirmant la détermination du
mouvement jihadiste international à poursuivre son combat.
Dans le même temps, Zawahiri s’impose comme l’idéologue en chef
du mouvement par la rédaction de deux ouvrages dans lesquels il
théorise le combat que mène Qaidat al-Jihad – dit plus simplement,
Al-Qaida – contre « l’ennemi lointain », et s’efforce de produire les
éléments de légitimation religieuse nécessaires à la poursuite de la
lutte. Ces ouvrages connaîtront une large diffusion dans les cercles
jihadistes. Le premier d’entre eux s’intitule Cavaliers sous l’étendard
du Prophète, dont de longs extraits sont publiés à la fin 2001 sous la
forme d’un feuilleton journalier dans le quotidien panarabe à
capitaux saoudiens Al-Sharq al-Awsat.
Dans ce texte, présenté alors comme le probable testament de celui
qui ne sait pas s’il survivra à la puissance de frappe américaine en
Afghanistan, il mène une longue réflexion sur son parcours
personnel et sur l’histoire du mouvement jihadiste, destinée à
justifier le changement de stratégie qui a mené aux attentats du
11 septembre. Il y prend acte des échecs successifs auxquels lui, et,
plus généralement, l’ensemble du mouvement ont été confrontés,
pour en conclure, d’une part, à la nécessité d’un changement de
rhétorique, et plus largement de stratégie, de l’ennemi proche à
l’ennemi lointain, d’autre part, à la nécessité d’une action
spectaculaire destinée à remobiliser ceux que, dans une veine
parfaitement marxisante, il nomme « les masses » [21] . L’importance
de ce texte vient donc en grande partie de qu’il retrace le
cheminement intellectuel qui conduit aux attentats du
11 septembre.
Un an après Cavaliers sous l’étendard du Prophète, paraît un nouvel
ouvrage de Zawahiri, intitulé L’Allégeance et la Rupture. La
différence entre les deux textes est significative : alors que Cavaliers
sous l’étendard du Prophète s’apparente surtout à un pamphlet au
style journalistique, entrecoupé de quelques passages tirés des
textes sacrés, L’Allégeance et la Rupture a pour ambition d’être un
ouvrage de littérature religieuse à part entière [22] . Les références au
Coran, à la Sunna et aux œuvres de leurs commentateurs y sont
permanentes, tout cet appareillage textuel étant mis au service
d’une seule idée : la centralité dans la foi du dogme d’[al-walâ’ wa-l-
barâ’] (l’allégeance et la rupture) qui impose, selon Zawahiri, de
soutenir les musulmans en toute circonstance et de rompre
entièrement avec les impies, à tous les niveaux : politique, d’abord,
en s’abstenant de toute alliance avec un État gouverné par un
régime non-musulman (ou un régime n’appliquant pas la loi de
Dieu, telle que la définit Zawahiri) ; individuel, également, en
s’interdisant de fréquenter les impies, de se lier d’amitié avec eux,
etc. En un mot, le principe du jihad, et rien d’autre, doit régir les
relations avec les « non-musulmans », au sens qotbien du terme.
Bien que les notions de [walâ’] (ou [muwâlât]) et de [barâ’] aient
toujours fait partie du dogme (même si les interprétations ont pu
différer), la formule [al-walâ’ wa-l-barâ’] est de facture relativement
récente. Elle aurait été, pour la première fois, théorisée en 1818 par
Sulayman Ibn Abdallah [23] , petit-fils de Mohammad Ibn Abd al-
Wahhab, et représentant du courant le plus intransigeant du
wahhabisme, alors même que Dir’iyya, capitale du premier État
saoudien, était assiégée par les troupes égyptiennes « impies » du
pacha Mohammad Ali venues, sur ordre du sultan ottoman, mettre
un terme à « l’hérésie wahhabite ». Sulayman bin Abdallah, qui
était alors le savant religieux le plus respecté de la ville, se devait de
réagir et de trouver un moyen de galvaniser les troupes du jeune
État : c’est à cela que servira « al-wala’ wa-l-bara’ ». Plus récemment,
le dogme d’[al-walâ’ wa-l-barâ’], sous l’impulsion de plusieurs
idéologues, en tête desquels le Palestinien Assim Bourqawi, dit
Abou Mohammad al-Maqdissi, auteur du très influent La
Communauté d’Abraham [24] , a acquis une très grande importance
dans l’idéologie du mouvement salafiste jihadiste contemporain.
Certains observateurs considèrent même que ce principe est aux
mouvements jihadistes contemporains combattant l’ennemi
lointain ce que le principe d’[al-hâkimiyya] était aux mouvements
jihadistes des années 1970 en guerre contre l’ennemi proche [25] .
C’est précisément ce cheminement, de la centralité de la
[hâkimiyya] à celle d’[al-walâ’ wa-l-barâ’], que ce vétéran du
jihadisme qu’est Zawahiri a effectué. Et c’est cette rupture
épistémologique, essentielle dans son parcours intellectuel, que
l’ouvrage [al-walâ’ wa-l-barâ’], dont nous présentons ici de larges
extraits, vient consacrer.
Ainsi, Zawahiri n’a été à l’origine, ni du récent revirement de
stratégie qui a amené le mouvement jihadiste à faire de la lutte
contre l’ennemi lointain la priorité absolue, ni du changement de
discours – à présent fondé sur le principe [al-walâ’ wa-l-barâ’] – qui
l’a accompagné. Dans le premier cas, il n’a fait que se rallier à un
combat commencé par Ben Laden en 1996, année de la
« Déclaration de jihad contre les Américains qui occupent la terre
des deux lieux saints » ; dans le second cas, il s’est rattaché à une
tradition idéologique en vogue au sein de la mouvance radicale
depuis les premiers ouvrages d’Abou Mohammad al-Maqdissi dans
les années 1980. Pourtant, son apport au mouvement islamiste
radical depuis la fin des années 1990 est fondamental. Comme
idéologue, tout d’abord : personne avant lui n’avait su exposer avec
une telle clarté la stratégie et l’idéologie du mouvement jihadiste
contemporain. C’est là que réside la force de ses deux grands
ouvrages de l’après-11 septembre, Cavaliers sous l’étendard du
Prophète et L’Allégeance et la Rupture. Comme figure médiatique,
ensuite : Zawahiri est ainsi devenu, à l’instar de Ben Laden, un
personnage mythique, traqué et pourtant insaisissable, qui, quand
bon lui semble, fait irruption dans le débat pour se poser en porte-
parole de ceux qui se réclament de « l’avant-garde de l’oumma ». Ce
faisant, il s’est aujourd’hui imposé comme le second pilier –
indispensable à l’équilibre et à la survie de l’ensemble – du
phénomène médiatique Al-Qaida.

Notes du chapitre
[1] ↑ Ce texte est disponible en ligne sur le site Minbar al-Tawhid wa-l-jihad
(www.tawhed.ws). Le Palestinien Abou Qatada est, avec Abou Hamza al-Masri et Omar
Bakri, l’une des figures historiques du « Londonistan », ce milieu salafiste radical qui a vu
le jour à Londres au début des années 1990. Il a été 2002 détenu à la prison anglaise de
Belmarsh d’octobre 2002 à mars 2005.
[2] ↑ Jusque dans les années 1950, les quelques magasins de Maadi appartenaient à des
Grecs, le Sporting Club était tenu par des Anglais et la population du quartier se composait
de Français, d’Allemands, d’Anglais, d’Italiens, de Syriens, de Libanais et d’Égyptiens aisés.
Cette présence à Maadi d’une population à majorité chrétienne, dans un quartier où l’on
compte plus d’églises que de mosquées, a probablement contribué à la prise de conscience
politique du jeune Ayman.
[3] ↑ Voir G. Kepel, Fitna. Guerre au cœur de l’islam, Paris, Gallimard, 2004, p. 106.
[4] ↑ Sur Sayyid Qotb et, plus généralement, sur les mouvements islamistes en Égypte à
cette époque, se reporter à G. Kepel, Le Prophète…, op. cit.
[5] ↑ Montasser al-Zayyat est un ancien membre du Jihad détenu au lendemain de
l’assassinat de Sadate, qui est devenu, à sa sortie de prison, l’avocat d’une partie des
militants jihadistes détenus dans les prisons égyptiennes. C’est en cette qualité qu’il se
posera en porte-parole de l’initiative de cessation de la violence, décidée en 1997 par les
dirigeants emprisonnés du Groupe islamique. Al-Zayyat, qui a connu Zawahiri en prison, a
rédigé un ouvrage à la fois biographique et polémique sur ce dernier, intitulé Ayman al-
Zawahiri tel que je l’ai connu ([Ayman al-Zawâhirî kamâ ‘araftuhu], Le Caire, Dar Misr al-
Mahrusa, 2002), récemment traduit en anglais sous le titre The Road to Al-Qaeda. Cet
ouvrage est l’une des sources de la présente étude.
[6] ↑ Ayman al-Zawahiri, [al-kitâb al-aswad – qissat ta‘dhîb al-muslimîn fi ‘ahd husnî
mubârak] (Le Livre noir : la torture des musulmans sous la présidence d’Hosni Moubarak),
non daté, disponible en ligne sur le site de Minbar al-tawhid wa-l-jihad (www.tawhed.ws).
[7] ↑ Lawrence Wright, « The Man Behind Bin Laden », The New Yorker, 16/09/2002, p. 16.
[8] ↑ Montasser al-Zayyat, The Road to Al-Qaeda ; The Story of Bin Laden’s Right-Hand
Man, London, Pluto Press, 2004, p. 49.
[9] ↑ C’est à cette époque en effet que l’organisation Al-Jihad devient plus connue sous le
nom d’Al-Jihad al-islami (le Jihad islamique) et que Zawahiri en prend la tête.
[10] ↑ Ibid., p. 88.
[11] ↑ Lawrence Wright, « The Man Behind Bin Laden », op. cit., p. 20. Pour l’ensemble des
théories possibles sur la mort d’Azzam, se reporter à l’introduction sur Azzam, p. 131.
[12] ↑ Jason Burke, Al-Qaeda : Casting a Shadow of Terror, op. cit., p. 79-80.
[13] ↑ Ibid, p. 124.
[14] ↑ Ayman al-Zawahiri, [Tarîq al-quds yamurr min al-qâhira] (« La route de Jérusalem
passe par Le Caire »), Al-Mujâhidûn, avril 1995. La revue Al-Mujâhidûn (Les moujahidines)
est l’organe officiel du Jihad islamique égyptien.
[15] ↑ Lawrence Wright, « The Man Behind Bin Laden », op. cit., p. 22.
[16] ↑ Pour le texte, voir p. 63.
[17] ↑ Muntasir al-Zayyat, The Road to Al-Qaeda, op. cit., p. 75-77.
[18] ↑ Lawrence Wright, « The Man Behind Bin Laden », op. cit., p. 27.
[19] ↑ Ayman al-Zawahiri, [al-hasâd al-murr – al-ikhwân al-muslimûn fi sittîn âman] (La
Moisson amère – les soixante ans des Frères musulmans), Le Caire, Matbu’at Jama’at al-
Jihad [Presses du groupe Al-Jihad], non daté (il est probable qu’il ait été composé entre
1991 et 1992).
[20] ↑ Il consacre une partie de Cavaliers sous l’étendard du Prophète à cette question.
Voir aussi Ayman al-Zawahiri, « al-Suqût » (« La chute »), Al-Mujâhidûn, n° 29, septembre
1995.
[21] ↑ Pour une analyse détaillée de l’ouvrage Cavaliers sous l’étendard du Prophète, voir
G. Kepel, Fitna…, op. cit., p. 124-130.
[22] ↑ Pour une analyse de L’Allégeance et la Rupture, ibid., p. 167-172.
[23] ↑ Dans un ouvrage intitulé [awthaq ‘urâ al-îmân] (Les Liens les plus sûrs de la foi).
[24] ↑ L’ouvrage [millat Ibrahim] (La Communauté d’Abraham), publié en 1984, fait du
dogme d’[al-wala’ wa-l-bara’] le cœur de la foi. Le titre fait référence au verset coranique
suivant : « Un beau modèle vous fut procuré en Abraham et en ses adeptes, quand ils
dirent à leur peuple : "Nous nous désolidarisons de vous et de ce que vous adorez en place
de Dieu ; nous vous renions ; qu’éclate entre vous et nous l’inimitié, la haine, à jamais,
jusqu’à ce que vous croyiez en Dieu dans Son unicité" » (Coran, LV-4).
[25] ↑ Saoud al-Sarhan, [al-walâ’ wa-l-barâ’ : al-idyûlujia al-jadîda li-l-harakât al-islâmiyya]
(L’Allégeance et la Rupture : nouvelle idéologie des mouvements islamistes), np, nd.
Extraits de La Moisson amère. Les
soixante ans des Frères musulmans [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

M aintenant, au terme de notre pérégrination parmi ces


exemples tirés de cette montagne de paroles et d’actes des
Frères [2] , il nous faut nous arrêter pour en tirer quelques
conclusions.
Premièrement : les questions que nous avons citées dans le premier
chapitre de ce livre : le fait de gouverner en dépit de ce qu’a révélé
Dieu, la démocratie, l’allégeance et la rupture [3] , ne sont pas des
questions secondaires sur lesquelles on peut admettre des
divergences juridiques, elles constituent des bases de la foi, elles se
rapportent même au fondement des fondements, à savoir la
doctrine de l’unicité de Dieu [4] .
Le gouvernement en dépit de ce que Dieu a révélé [5]  : soit nous
gouvernons selon ce que Dieu a révélé, mettant en accord notre
action avec notre parole : « Il n’y a d’autre dieu que Dieu », soit nous
gouvernons en dépit de ce que Dieu a révélé, ce qui revient à
prendre d’autres dieux que Dieu, car le pouvoir [6]  revient à Dieu
seul. Il a dit (qu’Il soit exalté !) : {Le pouvoir appartient à Dieu}
(Joseph) [7] , et Il a dit (qu’Il soit exalté !) : {Personne n’est associé à
[8]
son pouvoir} (La caverne)   .
La démocratie : soit la législation vient de Dieu seul et c’est à Lui
(qu’Il soit exalté !) que l’on se réfère en cas de conflit, et l’on met en
accord ses actes avec ses paroles : « Il n’y a d’autre dieu que Dieu »,
soit l’on donne le droit de légiférer à d’autres que Dieu comme le
[9]
Peuple    et ses députés, et c’est à eux que l’on se réfère en cas de
conflit ; cela revient à prendre des divinités, des pairs et des
associés [10]  à Dieu. Or, Il a dit (qu’Il soit exalté !) : {On-t-ils des
divinités qui auraient établi pour eux des lois religieuses que Dieu
n’aurait pas sanctionnées ?} (Le conseil) [11] .
L’allégeance [12]  : on ne peut concilier l’allégeance aux ennemis
infidèles de Dieu, l’affection envers eux, leur éloge et celui de leurs
doctrines impies comme la constitution, le droit positif [13]  et la
démocratie ; tout cela ne peut en aucun cas se concilier avec la foi. Il
a dit (qu’Il soit exalté !) : {Tu verras un grand nombre d’entre eux
s’allier avec les impies. Le mal qu’ils ont commis est si pernicieux
que Dieu se courouce contre eux. Ils demeureront éternels dans le
châtiment. S’ils avaient cru en Dieu, au Prophète et à ce qui a été
révélé à celui-ci, ils n’auraient pas pris pour amis les infidèles [14]  –
Beaucoup d’entre eux sont pervers} (La table) [15] .
Deuxièmement : l’association des Frères musulmans, du point de
vue religieux – hormis le maître Sayyid Qotb [16]  (que Dieu l’ait en Sa
sainte garde !) et quelques-uns [17]  qui ne représentent pas le point
de vue officiel de la confrérie –, a évité d’adopter une position claire
sur l’anathème contre les tyrans [18] , elle a même clos le débat sur ce
sujet en adoptant le principe « prédicateurs… et non pas juges »
annoncé par le deuxième guide, Hassan al-Houdaybil [19] .
Troisièmement : non seulement l’association n’a pas jeté l’anathème
contre les gouvernants qui ne gouvernent pas selon la loi révélée,
mais elle a été jusqu’à reconnaître, en paroles et en actes, la
légitimité de ces gouvernants, et a laissé ce jugement se répandre
parmi ses rangs. La confrérie a reconnu la légitimité [20]  des
institutions parlementaires laïques [21]  (le parlement et les élections
démocratiques), ce qui fut la plus grande aide apportée aux tyrans
pour accuser les groupes jihadistes d’illégitimité – illégitimité selon
les lois impies, bien sûr.
Quatrièmement : l’association des Frères a établi des accords avec la
plupart des régimes au pouvoir sous l’autorité desquels vivent les
[22]
branches de la confrérie   , et a parfois participé au pouvoir.
L’accord de l’association avec ces gouvernements impies avait
souvent la forme d’un pacte : que le pouvoir laisse aux Frères une
certaine liberté pour se développer, en échange d’une
reconnaissance de la part de l’association de la légitimité du
pouvoir en place ainsi que d’une aide pour contrer une opposition
forte, à titre d’exemple :
- l’utilisation de l’association par le roi Farouk [23]  pour frapper
le parti du Wafd [24]  et contrebalancer son poids parmi les
masses, de même qu’Hassan al-Banna [25]  peu avant son
assassinat proposa au roi son assistance [26]  pour combattre le
communisme [27] , car al-Banna avait saisi l’intérêt de ce jeu ;
- l’utilisation de l’association par Gamal abd al-Nasser pour
rendre populaire la révolution en l’excluant de la loi
d’interdiction des partis (politiques), jusqu’au moment où
Nasser, ayant acquis sa popularité, attaqua les Frères [28]  ;
- l’utilisation au grand jour de l’association par Anouar al-
Sadate [29]  pour contrer les courants communiste et
nassérien ;
- l’utilisation de l’association par Hosni Moubarak pour contrer
le courant extrémiste (les organisations jihadistes), ce que
Mamoun al-Houdaybi [30]  n’a pas craint d’affirmer :
« L’existence de l’association est dans l’intérêt du
gouvernement car il a souvent recours à nous pour contenir
le courant extrémiste religieux » (Al-Sharq al-Awsat, 11 mai
1987). Nous en avons apporté des exemples dans les chapitres
de la deuxième partie de ce livre.
Cinquièmement : Quand l’association a échoué à s’entendre avec
certains régimes, elle a recherché des substituts parmi ceux qui leur
étaient hostiles. Cela montre le besoin qu’a la confrérie d’un allié
fort, même s’il est impie, afin de survivre, puisque c’est ainsi qu’elle
s’est formée. En voici quelques exemples :
Tout d’abord, leur accord avec le régime saoudien opposé à Nasser,
lorsque leurs relations avec lui se dégradèrent, ce dont le roi Faysal
se félicita car cela ranimait la flamme islamique face au
mouvement nationaliste arabe, dirigé par Nasser, menaçant les
trônes et les chefferies du Golfe dans les années 1960 [31] .
Autre exemple : leur accord avec le régime irakien baathiste après
que leurs relations avec le Baath syrien se furent dégradées avant
les événements de Hama en 1982 [32]  et après. L’Irak devint le refuge
de nombreux Frères syriens, notamment Adnane Saad al-Din [33]  et
Said Hawa [34] , et c’est là que les Frères conclurent une alliance avec
les restes de l’opposition syrienne, baathistes, nassériens et
nationalistes, alliance à laquelle se joignit finalement Rifaat al-
Assad, ex-boucher des Frères, avec l’objectif de renverser le régime
de Hafez al-Assad et de fonder un État laïque et démocratique [35] , ce
qui en dit long sur leur décadence.
Sixièmement : au début des années 1980, la compromission des
Frères dans les conflits partisans égyptiens, durant lesquels ils
tournèrent leur veste à plusieurs reprises. Ils s’accordaient un jour
avec un parti puis le lendemain le combattaient et l’insultaient le
surlendemain, comme ils l’avaient fait avec le Wafd et
[36]
Nouqrachi   . Tout cela est en contradiction avec les
caractéristiques de la confrérie énoncées par Hassan al-Banna :
« S’éloigner de la domination des notables et des grands, s’éloigner
des partis et des organisations », « Lettre du cinquième congrès »,
dans Correspondance (Éditions al-Chihab, p. 159) [37] . Cette
compromission des Frères dans les conflits partisans conduisit
même à une scission de certains de ses éléments sous le nom :
« L’association des jeunes de notre seigneur Mohammad » [38]  (que
la prière et le salut de Dieu soient sur lui !).
Septièmement : l’association, avec toutes ses branches, s’est
contentée de s’en remettre à la démocratie, au pouvoir du peuple et
aux élections comme voie de changement et d’accès au pouvoir, au
point que Hassan al-Banna a pu déclarer : « Nos critiques sur la
constitution peuvent être changées par les voies que prescrit la
constitution » [39] , c’est-à-dire de manière démocratique. Cela
s’applique aux Frères du Koweït, de Jordanie, du Yémen, du Soudan,
d’Algérie et de Tunisie comme à ceux d’Égypte [40] .
Huitièmement : l’association des Frères musulmans a accepté le rejet
de la violence - nom que donnent les tyrans au jihad sur la voie de
Dieu - et s’est désolidarisée de ceux qui l’adoptent, même s’ils sont
ses partisans [41] .
Neuvièmement : toutes les directions des Frères adoptent
aujourd’hui ces idées (la légitimité constitutionnelle, la démocratie,
le soutien aux gouvernants et le rejet de la violence), et aucun avis
contraire ne parvient au niveau des directions, ce qui fait que toute
la hiérarchie en est imprégnée.
Dixièmement : toutes ces enfreintes aux prescriptions religieuses
commises par l’association avaient déjà été faites par Hassan al-
Banna, qu’il s’agisse de flatter les gouvernants et faire indûment
leur éloge, leur conférer une légitimité, reconnaître la légitimité
constitutionnelle et respecter la constitution ainsi que les pratiques
démocratiques et participer aux élections démocratiques (ce que fit,
à deux reprises, al-Banna en personne), faire preuve
d’opportunisme politique en participant aux conflits partisans,
rejeter la violence – tous ces péchés avaient été commis par Hassan
[42]
al-Banna   . On peut ajouter, à l’intention de ceux qui prétendent
que les Frères d’aujourd’hui se sont éloignés de la ligne d’al-Banna
et de ses méthodes, que c’est inexact. Les données que nous avons
citées dans ce livre montrent, sans aucun doute, qu’al-Banna fut le
premier à adopter de telles dérogations. Le messager de Dieu a dit :
« Celui qui édicté une mauvaise loi, il en porte la faute, mais aussi
ceux qui agissent en vertu de cette loi. » (hadith rapporté par
Mouslim) [43] . Est-ce ainsi que l’on renouvelle la religion ? Est-ce
ainsi qu’agirait le rénovateur du XIVe siècle de l’hégire    ?
[44]

Mohammad Qotb [45]  a essayé dans son livre, Notre réalité


contemporaine, d’innocenter Hassan al-Banna des égarements des
Frères [46] , mais il ne fut pas équitable, car lorsqu’il critique
violemment la démocratie ainsi que la participation des Frères aux
règles démocratiques en les décrivant comme des vieillards épuisés
par une longue marche, il n’indique pas qu’Hassan al-Banna avait
précédé ces vieillards dans la participation aux élections et à
d’autres péchés, comme nous l’avons mentionné plus haut (voir
Notre réalité contemporaine de Mohammad Qotb, Éditions al-
Madina, 1407 de l’hégire, p. 427-460). Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit :
{Soyez équitables, témoins de Dieu, fût-ce contre vous-mêmes, vos
parents ou vos proches} (Les femmes) [47] .
Onzièmement : cette méthode biaisée des Frères n’a pas rencontré
beaucoup d’opposition parmi les Frères eux-mêmes, hormis
quelques individus comme M. Sayyid Qotb (que Dieu ait son âme !)
et sa sœur Mlle Amina Qotb. Quant aux Frères qui firent scission
par désaccord avec la méthode suivie ou le comportement de ses
guides, ils ne furent pas mieux inspirés que la confrérie dont ils
sont issus, et tombèrent dans les mêmes travers ou d’autres encore
pires, comme la scission « Les jeunes de notre seigneur
[48]
Mohammad », ou la scission de Mohammad al-Ghazzali   , ou
encore celle de Choukri Moustafa, appelée « Excommunication et
Exil » [49] .
Douzièmement : à la lecture de notre livre, il est clair qu’au sein de
l’association, le ver est dans le fruit depuis le début des années 1940,
et on peut en citer plusieurs raisons : son absence de méthode, ou
même sa mauvaise méthode, consistant en une politique de
justification des déviations. L’absence de commandement du Bien et
d’interdiction du Mal [50]  sous prétexte d’obéissance aveugle aux
dirigeants et de confiance absolue envers eux. La pauvreté
intellectuelle générale et chronique des membres de l’association
dans les sciences de la charia, surtout celles relatives à l’unicité de
Dieu et au dogme [51] , car nous avons constaté que, souvent, celui
qui parmi ses membres les étudie en vient à la quitter.
L’association a traversé cette période en subissant une grande
perte : le commandement du Bien et l’interdiction du Mal parmi ses
rangs. Cette épreuve fut provoquée par le bien-être matériel auquel
a accédé la confrérie grâce à ses relations avec les pays du Golfe,
après la fuite de nombre de ses membres durant la période de
répression nassérienne, au point que l’association a pris la direction
de nombreuses institutions de prédication et de charité dans les
pays du Golfe et en Arabie Saoudite, qu’elle a pris le contrôle de
sociétés et de banques régionales et internationales [52] . Rejoindre
les Frères est devenu pour de jeunes gens un moyen de gagner sa
vie ; comment, dans une telle sédition [53] , pourrait-on entendre la
voix du commandement du Bien et de l’interdiction du Mal ? Dieu
(qu’Il soit exalté !) a dit : {Nous vous éprouvons par le Mal et par le
Bien en manière de tentation, et vous serez ramenés vers nous.}
(Les prophètes) [54] .
Treizièmement : certains actes présentés par les Frères aux jeunes
gens comme faisant partie de leurs hauts faits, tel le combat en
Palestine en 1948 [55]  ou sur les rives du canal de Suez en 1951 [56] ,
afin de leur faire croire que leur confrérie mène le jihad, et que ses
pratiques politiques païennes d’aujourd’hui ne sont qu’une tactique
provisoire pour faire triompher leur intérêt, ces actes dont se
glorifie la confrérie et avec lesquels elle trompe les jeunes gens,
nous devons les contrebalancer avec les remarques suivantes.
A. L’association n’était pas la seule à participer aux combats en
Palestine et près du canal, auxquels participèrent d’autres groupes
et individus [57] .
B. Comme le combat en Palestine et dans la zone du canal était en
accord avec la politique de l’État, et même encouragé par l’État, en
Palestine les Frères combattirent sous les ordres de l’armée
égyptienne, laquelle était dirigée, à son tour, par l’Anglais Glubb
Pacha qui commandait l’armée jordanienne et les armées arabes.
Quant au canal, le guide général, Hassan al-Houdaybi, s’opposa
fermement à la participation de la confrérie dans le combat contre
les Anglais, comme nous l’avons montré dans ce livre. Lorsque nous
disons que le combat était en accord avec la politique de l’État, cela
signifie que l’association n’effectua aucun acte – pas même le jihad
– sans l’accord du gouvernement ou s’opposant à la volonté de ce
gouvernement, sans parler d’aucun acte dirigé contre lui [58] . […]
C. Ce qui confirme ce que nous avons dit (en B), c’est que les Juifs
sont présents en Palestine depuis 1948, et que les Frères ne les ont
en aucun cas gênés depuis quarante ans, puisque le gouvernement
ne l’a pas permis.
D. Le combat et autres actions pieuses, et même les actions qui
soutiennent la religion, ne sont pas à eux seuls un signe de piété et
une marque de justice ; ces actions, de même que les pieux les
effectuent, les débauchés peuvent les effectuer. La parole du
messager de Dieu le montre : « Dieu aide cette religion par le
débauché » (hadith agréé). Il ne faut donc pas considérer la
participation des Frères aux combats de Palestine à elle seule
comme un indice de rectitude de l’association, sans considérer sa
méthode, ses pratiques et ses autres actes. Car nous avons apporté
dans ce livre les preuves de la corruption de la méthode des Frères
dans les plus importantes questions actuelles des musulmans.
Cependant, nous affirmons que celui d’entre eux qui a été tué en
Palestine ou près du canal [59] , afin que la parole de Dieu l’emporte,
sera récompensé, s’il plaît à Dieu (qu’Il soit exalté !), et la corruption
de la confrérie ne lui causera pas de tort, car les actes sont jugés
selon les intentions et tout homme sera récompensé selon ce qu’il
avait souhaité.
E. Nous considérons que combattre les gouvernants apostats des
pays musulmans doit précéder celui des autres [60] , car ce sont des
apostats et que le combat contre les apostats doit précéder celui
contre les infidèles [61]  ; de même, parce qu’ils sont plus proches de
musulmans. Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Combattez ceux des
infidèles qui sont près de vous} (Le repentir) [62] . Leur apostasie et
leur proximité des musulmans les rendent plus dangereux pour les
musulmans, ce que prouve l’expérience. Nous considérons qu’Israël
n’aurait pas pris la Palestine et n’y serait pas restée si longtemps
sans la trahison des gouvernants apostats et leur complicité. Ne
vous laissez pas tromper par les guerres isarélo-arabes car ce furent
toutes des guerres d’opérette, pleines de trahisons. C’est pourquoi
nous considérons le combat contre les gouvernants apostats comme
plus urgent ainsi que Dieu (qu’Il soit exalté !) l’a ordonné : {Ceux qui
s’opposent à son ordre doivent prendre garde qu’une tentation ne
les atteigne ou que ne les atteigne un châtiment douloureux} (La
lumière) [63] . Les Frères sont rentrés de Palestine pour se voir jetés
en prison. […]
Qu’attend le groupe Al-Jihad des Frères musulmans et de tous ceux
qui ont commis de telles déviations ?
A. Nous voulons que les Frères se repentent publiquement de toutes
leurs déviations, car ce qui est secret le reste, comme ce qui est
public est public. Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {À l’exception de
ceux qui sont revenus repentants et de ceux qui se sont
manifestement amendés : voilà ceux vers lesquels je reviendrai. Je
suis celui qui revient sans cesse vers le pécheur repentant, je suis le
Miséricordieux} (La vache) [64] . Pour que le repentir soit effectif, il
faut s’amender et le faire savoir.
B. Cela se fera en dénonçant l’apostasie des tyrans qui gouvernent
en dépit de la loi révélée, les lois positives que le colonisateur
croisé [65]  a semé dans nos pays et que les musulmans apostats
entretiennent.
C. Qu’ils annoncent leur désaveu de ces tyrans et de leurs lois
impies. Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Vous avez un bel exemple en
Abraham et en ceux qui étaient avec lui, lorsqu’ils dirent à leur
peuple : « Nous vous désavouons, vous et ce que vous adorez en
dehors de Dieu […] jusqu’à ce que vous croyiez en Dieu,
l’Unique ! »} (L’examinée) [66] .
D. Que les Frères annoncent leur refus des constitutions, des lois
positives, de la démocratie et des élections parlementaires, et qu’ils
abandonnent toutes les pratiques qui y sont liées.
E. Que les Frères croient dans le devoir du jihad contre ces tyrans
ou qu’ils appellent leurs membres à le mener, et que le jihad soit
considéré comme une obligation individuelle [67]  qui incombe à tout
musulman gouverné par ces tyrans.
F. Que les Frères sachent que ce à quoi nous appelons n’est ni
secondaire, ni affaire de goût, mais l’un des piliers de la doctrine de
[68]
l’unicité    et l’un des deux piliers de la profession de foi
musulmans (« Il n’y a de dieu que Dieu »), ce qui revient à
considérer comme impies les tyrans, sans quoi la foi de la créature
n’est pas entière. Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Celui qui ne croit
pas aux Taghout, et qui croit en Dieu, a saisi l’anse la plus solide et
sans fêlure} (La vache) [69] .
G. Que les Frères agissent selon les règles juridiques que nous avons
citées dans le premier chapitre de ce livre concernant la nécessité
de savoir avant d’agir, de la nécessité en cas de conflit de s’en
remettre à la charia et non aux actes des guides antérieurs, comme
leur justification pour permettre la candidature au parlement parce
qu’al-Banna l’a fait [70] , du devoir de gouverner selon Dieu et son
Prophète (que la prière et le salut de Dieu soient sur lui !), de
répliquer à tout ce qui contredit la charia en paroles ou en opinions,
quel que soit le rang de celui qui les tient.
H. Que les Frères restaurent le commandement du Bien et
l’interdiction du Mal à l’intérieur de la confrérie, car c’est une des
forteresses contre la déviation et sa persistance. C’est sur elle que
repose le bien de cette oumma. Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Vous
formez la meilleure communauté suscitée pour les hommes : vous
ordonnez ce qui est convenable, vous interdisez ce qui est blâmable,
vous croyez en Dieu.} (La famille d’Imran) [71] . Négliger cette
obligation cause le mécontentement de Dieu et sa malédiction. Dieu
(qu’Il soit exalté !) a dit : {Ceux qui, parmi les fils d’Israël, ont été
incrédules, ont été maudits par la bouche de David et par celle de
Jésus, fils de Marie ; parce qu’ils ont été rebelles, parce qu’ils ont été
transgresseurs. Ils ne s’interdisaient pas mutuellement les actions
blâmables qu’ils commettaient !} (La table) [72] .
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : (Celui qui lutte, ne lutte que pour son
bien, Dieu se suffit à lui-même, il n’a pas besoin de l’univers [73] }
[74]
(L’araignée)   , et Il a dit (qu’Il soit exalté !) : (Vous êtes des pauvres
devant Dieu. Dieu est celui qui se suffit à soi-même ; il est digne de
louanges ! Il vous ferait disparaître, s’il le voulait, et il ferait surgir
une nouvelle création. Cela n’est pas difficile pour Dieu.} (Le
Créateur) [75] .
Dieu donc n’a pas besoin de nous, des Frères ni d’autres créatures, Il
(qu’Il soit loué !) fait triompher sa religion grâce à qui Il veut. Ainsi,
lorsque Qouraych refusa d’entendre le message de l’Envoyé de Dieu
(que la prière et le salut de Dieu soient sur Lui !), il les remplaça par
les partisans [76] [du Prophète] afin qu’ils prennent soin de cette
religion ; Dieu a dit (qu’Il soit exalté !) : {Si les autres n’y croient
pas ; nous en avons confié le dépôt à des gens qui ne sont pas
incrédules.} (Les bêtes) [77] .
De même, celui qui refuse de mener le jihad que Dieu lui a ordonné,
Dieu le remplacera par un autre, mais Dieu fera goûter à ceux qui
refusent de combattre un châtiment en ce monde et dans l’autre.
Car Dieu a dit : {Ô vous qui croyez ! Qu’avez-vous ? Lorsque l’on
vous a dit : « Élancez-vous dans le chemin de Dieu », vous vous êtes
appesantis sur la terre. Préférez-vous la vie de ce monde à la vie
future ? Qu’est donc la jouissance éphémère de cette vie comparée à
la vie future sinon bien peu de chose ! Si vous ne vous lancez pas au
combat, Dieu vous châtiera d’un châtiment douloureux ; il vous
remplacera par un autre peuple ; vous ne lui occasionnerez aucun
dommage – Dieu est puissant sur toute chose – Si vous ne secourez
pas le Prophète, Dieu l’a déjà secouru. »} (Le repentir) [78] .
Pour conclure, nous demandons à Dieu (qu’Il soit loué et exalté !)
qu’Il nous raffermisse ainsi que tous les musulmans dans la Vérité,
qu’Il nous la fasse voir et nous fasse prospérer en la servant, nous
montre l’Erreur et nous fasse prospérer en l’évitant.
Notre dernier mot sera : que Dieu, Seigneur des mondes, soit loué et
qu’Il accorde à Son messager la prière et le salut !

Notes du chapitre
[1] ↑ Ce texte fut rédigé entre 1991 et 1992, alors qu’al-Zawahiri se trouvait en
Afghanistan.
[2] ↑ Il s’agit ici de la conclusion de l’ouvrage.
[3] ↑ Le dogme de « l’allégeance et de la rupture » ([al-walâ’ wa-l-barâ’]) fit ensuite l’objet
d’un livre d’al-Zawahiri publié en décembre 2002, dont un extrait est présenté plus loin.
[4] ↑ Le [tawhîd] est la croyance en l’unicité de Dieu et sa proclamation au moyen de la
profession de foi musulmane, dite [chahâda], dont la première partie est : [achhadu alâ
illâha illâ-llâh] (Je témoigne qu’il n’y a de dieu que Dieu). Dans le Coran, la sourate qui
commence par : {Dis : « Lui, Dieu est Un ! ») est appelée la sourate du [tawhîd]. Bien que
l’unicité de Dieu ne soit que l’un des attributs de la divinité, elle finit par en être
considérée par certains oulémas sunnites, notamment ceux de la tradition hanbalite,
comme l’attribut central. Plusieurs mouvements dans l’islam liés à cette tradition se sont
proclamés [muwahhidûn], « ceux qui affirment le [tawhîd] ». Les Almohades ([al-
muwahhidûn]) au Maroc, puis plus tard les wahhabites d’Arabie, permettront de former
des États à partir de ce dogme central, qui est aujourd’hui repris par les mouvements
d’inspiration salafiste pour lutter contre ce qu’ils considèrent comme l’idolâtrie de la
démocratie et de ses institutions. Al-Zawahiri considère en effet que ces institutions sont
contraires à l’islam en ce qu’elles dérogent à l’unicité de la direction du monde.
[5] ↑ L’accusation de gouverner en dépit de ce que Dieu a révélé ([al-hukm bi-ghayri mâ
anzala allâh]) occupe une place centrale dans l’appareil de délégitimation des pouvoirs en
place construit par les idéologues islamistes depuis Abou al-Ala al-Mawdoudi et Sayyid
Qotb.
[6] ↑ L’expression [la hukma illâ lillâh], « le pouvoir revient à Dieu seul », est le pendant
de l’accusation précédente. C’est elle qui est à l’origine, chez Abou al-Ala al-Mawdoudi et
Sayyid Qotb, du principe-clé de [hâkimiyya], ou souveraineté (voir note 55, p. 150 dans
Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans), qui ne doit aller qu’à Dieu. Le mot
[hukm], employé dans les deux versets suivants, est néanmoins polysémique : on peut le
traduire par « pouvoir » ou par « jugement ». En conséquence, certains oulémas ont, à
l’inverse de Qotb, privilégié la seconde signification et compris le verset comme signifiant,
non pas « Le pouvoir revient à Dieu seul », mais « Le jugement revient à Dieu seul ».
[7] ↑ Coran, 12/40. Seule la fin du verset est citée.
[8] ↑ Coran, 18/26. Seule la fin du verset est citée.
[9] ↑ Le terme [cha’b], traduit par « peuple », a une connotation péjorative dans le
discours islamiste contemporain. Il désigne à l’origine la tribu, souvent sédentaire, ou tout
groupement humain qui a des liens territoriaux plutôt que familiaux. Au IXe siècle, le
mouvement dit de la [chu‘ûbiyya] (mot formé sur la même racine que [cha‘b]), mené
notamment par les Perses, en appella à l’égalité entre musulmans, Arabes et non-Arabes,
ce qui provoqua des troubles graves en Mésopotamie. Aussi le terme gardera-t-il une
connotation négative d’appel au séparatisme dans la nation islamique. La notion de peuple
au sens moderne a été introduite avec la [nabda], renaissance arabe du XIXe siècle, par
certains réformateurs politiques arabes (Adib Ishaq, Soulayman al-Boustani). Pour les
islamistes, elle vient s’ajouter à d’autres notions comme [watan], patrie, accusées d’avoir
contribué à la destruction de l’oumma, la nation islamique, d’autant plus que [cha‘b] est un
terme fétiche des groupes d’extrême gauche en général. Pour un Égyptien, la référence est
d’autant plus douteuse que [cha‘b] fut le nom donné, cyniquement, par l’inamovible
Premier ministre égyptien, Ismaïl Sidki, à son parti et à son journal, instruments aux
mains des Anglais en lutte contre les forces nationalistes, dans les années 1930.
[10] ↑ Puisque, selon le dogme de l’unicité de Dieu ([tawhîd]), Dieu n’a pas d’associés
([charîk]). Païen se dit, en arabe, sur la même racine : associationniste ([muchrik]).
[11] ↑ Coran, 42/21. Seul le début du verset est cité.
[12] ↑ Voir al-Zawahiri, L’Allégeance et la Rupture, p. 311.
[13] ↑ Les idées de constitution ([al-dustûr]) ou de droit positif ([al-qawânin al-wad‘iyyal)
sont rejetées par al-Zawahiri, d’abord parce qu’elles équivalent à ne pas se limiter à la loi
de Dieu et à accorder aux hommes un droit à légiférer – comme il l’explique dans le point
précédent –, mais aussi, comme nous le voyons ici, parce que ce sont des conceptions
occidentales, dont l’adoption vaudrait allégeance aux impies. La position des Frères
musulmans sur ces questions diffère largement de celle d’al-Zawahiri, ceux-ci ne voyant
pas de contradiction entre l’application de la loi islamique ([charî‘a]), qu’ils réclament, et
l’adoption de « lois humaines » sur les questions où la loi de Dieu est suffisamment vague
pour laisser une place à l’interprétation.
[14] ↑ De la traduction du terme [awliyà’], pluriel de [walî], dépend l’interprétation de ce
verset : « ami », « allié » ou « protecteur ». Ainsi, un autre traducteur du Coran en français,
Jacques Berque, écrit : « Tu vois beaucoup d’entre eux nouer des liens de protection avec
les dénégateurs. » J. Berque, Le Coran. Essai de traduction, Paris, Albin Michel, 1997.
[15] ↑ Coran, 5/80,81.
[16] ↑ Pour une présentation de Sayyid Qotb (1906-1966), voir note 44, p. 162 dans
Abdallah Azzam, Rejoins la caravane ! et l’introduction sur al-Zawahiri p. 223.
[17] ↑ Une autre de ces personnalités est le Frère, musulman syrien, et compagnon de
route de Sayyid Qotb, Marwan Hadid qui, à son retour d’Égypte en Syrie en 1966, prêcha
l’insurrection armée contre le « pouvoir apostat » du parti Baath. En 1973, il est mis en
prison, où il mourra dans des circonstances troubles. Il sera, de manière posthume, le
principal inspirateur du jihad lancé par une partie des Frères musulmans syriens contre le
régime en place à partir de 1974, qui aboutira à l’insurrection de Hama et à sa répression
en 1982. Voir ci-dessus, note 2, p. 119.
[18] ↑ Le [tâghût] désigne ici le tyran. Voir note 4, p. 154 dans Abdallah Azzam, Rejoins la
caravane !
[19] ↑ Hassan al-Houdaybi est le deuxième guide suprême des Frères musulmans,
succédant au fondateur Hassan al-Banna en octobre 1951. C’est lui qui, en 1969, rompt
officiellement avec la pensée de Sayyid Qotb, telle que développée dans Signes de piste, en
rédigeant l’ouvrage Prédicateurs… et non pas juges. Il y prêche un retour à la ligne
politique définie par al-Banna, en insistant notamment sur "importance de la prédication
([da‘wa]).
[20] ↑ La position des Frères musulmans n’a jamais été aussi claire sur cette question que
ne semble le dire al-Zawahiri. Hasan al-Banna, le fondateur du mouvement, se disait par
exemple opposé au pluralisme politique, accusé de diviser l’oumma. Dans le même temps,
il est vrai que les Frères n’ont pas hésité, depuis l’époque de Banna, à présenter des
candidats aux élections législatives (Banna lui-même a été candidat), reconnaissant de fait
implicitement la légitimité du système parlementaire en place.
[21] ↑ C’est l’un des principaux points d’achoppement avec la démocratie, perçue comme
fondamentalement laïque, en ce sens que la seule source de législation serait le parlement.
Or, il s’agit là d’une idée fausse, puisque la source suprême de législation, même dans les
démocraties occidentales, est supérieure aux décisions des députés : déclaration des droits
de l’homme, constitution… Les mouvements islamistes libéraux, ainsi que certains États
comme l’Iran, se réclament de ce dernier principe pour faire du Coran, non la source des
lois, mais celle des principes de législation. Al-Zawahiri se place donc dans une optique
plus radicale.
[22] ↑ L’organisation des Frères musulmans fut établie par Hassan al-Banna en Égypte en
1928. Des branches de l’organisation furent fondées dans ta plupart des pays arabes à
partir des années 1940.
[23] ↑ Dernier roi d’Égypte, Farouk, né en 1921, régna de 1936 jusqu’au coup d’État
nassérien du 23 juillet 1952.
[24] ↑ Principal parti nationaliste égyptien jusqu’à la révolution de 1952, le Wafd naît
après l’échec d’une délégation (en arabe, [wafd]) de nationalistes égyptiens emmenée par
Saad Zaghloul et chargée de négocier l’indépendance de l’Égypte au lendemain de la
Première Guerre mondiale. Arrêtés, ses membres sont exilés, ce qui mène à la révolution
de 1919. Les membres de la délégation sont alors libérés et forment un parti politique, le
Wafd, qui recrute parmi les membres de la bourgeoisie urbaine naissante. La déclaration
du 21 février 1922, par laquelle l’Angleterre renonce à son protectorat sur l’Égypte (tout en
définissant quatre points sur lesquels la souveraineté égyptienne est sérieusement
ébréchée), est vue comme l’œuvre de ce parti, qui dirigera à plusieurs reprises le
gouvernement dans l’entre-deux-guerres.
[25] ↑ Hassan al-Banna, un instituteur égyptien né en 1906, devint en 1928 le fondateur
puis le dirigeant charismatique de la confrérie des Frères musulmans. En 1933, après sa
mutation au Caire, il transféra le siège de l’association dans la capitale égyptienne. À partir
de 1936, date de la signature d’un nouveau traité anglo-égyptien et du premier grand
soulèvement palestinien, il élargit l’activité de son association à tout le Moyen-Orient. Il
mourut en 1949, probablement assassiné par des agents des services secrets du roi Farouk.
[26] ↑ Cet épisode n’a jamais été confirmé. Il s’agit d’hypothèses émises à partir des
contacts que Banna avait effectivement pris auprès de la cour royale, alors que la
méfiance du roi envers les divers courants politiques actifs sur la scène égyptienne
(principalement les diverses obédiences du Wafd allait grandissant). En 1942, les
Britanniques démirent par un coup de force un gouvernement royaliste (et soupçonné
d’être proche des pays de l’Axe) pour imposer un gouvernement wafdiste dirigé par
Moustafa Nahhas. En 1944, le roi, de nouveau puissant, renversa ce gouvernement pro-
britannique. De surcroît, le mouvement des Frères musulmans était lui-même en butte,
après 1943 environ, à la concurrence du Parti communiste et de la gauche du Wafd. Toutes
ces raisons expliquent pourquoi le palais aurait été tenté de se rapprocher du mouvement
islamiste. La défaite qui se précise à la fin 1948 face au nouvel État israélien modifie la
situation. Désormais, la majorité des mouvements politiques, Frères musulmans compris
(et hormis le Wafd), considéreront le régime monarchique comme le principal responsable
de la défaite. Il faut enfin rappeler que les rapports entre le pouvoir royal et les Frères
musulmans ont déjà eu l’occasion de se renforcer sous le roi Fouad, père de Farouk, à la
fin des années 1920, alors que le roi d’Égypte prétendait au titre de calife, abrogé par
Kamal Atatürk en 1924.
[27] ↑ Léger anachronisme d’al-Zawahiri car, comme on l’a vu dans la note précédente, ce
n’est pas uniquement le danger communiste qui poussa à un rapprochement (relatif) entre
le roi et les Frères musulmans. C’est seulement dans les années 1960 que le communisme,
défini comme l’ennemi commun des islamistes et des régimes conservateurs, justifia les
alliances entre les gouvernements proches de l’Occident et les mouvements islamistes (en
Arabie Saoudite, en Égypte, en Jordanie…).
[28] ↑ Les Frères musulmans apportèrent en effet leur appui au coup d’État de 1952 de
Gamal Abd al-Nasser ([Jamâl ‘abd al-nâsir]) – à la tête du Comité des Officiers libres –,
vraisemblablement dans l’espoir que celui-ci applique leur programme politique. Au
lendemain du coup d’État, la lune de miel entre Frères musulmans et Officiers libres se
poursuivit et le 17 janvier 1953, lorsque tous les partis politiques furent interdits et
dissous, les Frères musulmans échappèrent à la mesure. Aussi poursuivirent-ils leur action
dans les facultés, les syndicats, etc. À la fin 1953, on parla d’un complot contre les Officiers
libres dans la police et l’armée. Le 13 janvier 1954, la confrérie fut dissoute et ses
dirigeants, emprisonnés. Cependant, ils furent bientôt remis en liberté, et retrouvèrent le
droit à l’existence en tant qu’association (ces revirements des autorités s’expliquent par la
rivalité entre Nasser et Néguib au sommet du pouvoir). Le 19 octobre 1954, eut lieu la
signature d’un traité anglo-égyptien qui mit fin aux « quatre points » qui écornaient la
souveraineté égyptienne. Mais les Frères musulmans s’opposèrent à toute négociation avec
les Britanniques, et une semaine plus tard, le 26 octobre, une tentative d’assassinat sur la
personne de Nasser se produisit à Alexandrie. Nasser en rendit les Frères responsables et
déclencha une importante vague d’arrestations dans les milieux liés au mouvement. Plus
de mille membres de la confrérie furent arrêtés, le guide suprême Houdaybi fut condamné
à mort (peine commuée en perpétuité) et six membres (dont l’écrivain et avocat Abd al-
Qadir ‘Awda) furent exécutés. Les Frères musulmans devinrent dès lors l’ennemi numéro
un du régime nassérien. En 1965, après un présumé complot des Frères, alors influencés
par les écrits de Qotb, une nouvelle vague de répression s’abattit sur le mouvement. Au
terme d’un procès d’un an, en août 1966, trois Frères, dont Qotb, furent pendus.
[29] ↑ L’arrivée au pouvoir d’Anouar al-Sadate en 1970 se traduisit par un changement de
politique à l’égard des Frères musulmans. Soucieux d’imposer son influence, celui-ci
chercha à « dénassériser » la politique et la société égyptiennes, et s’appuya sur les
mouvements islamistes – notamment les Frères musulmans, qu’il fit libérer de prison dès
1971 – pour s’en prendre à la gauche.
[30] ↑ Mohammad al-Mamoun al-Houdaybi (1921-2004) fut le sixième guide suprême des
Frères musulmans, de la mort de son prédécesseur Mustafa Machhour en octobre 2002
jusqu’à son décès en janvier 2004. Il est le fils de Hassan al-Houdaybi, qui dirigea la
confrérie après la mort de Hassan al-Banna (voir note 19, p. 244).
[31] ↑ Une véritable « guerre froide arabe » oppose dès la fin des années 1950 les régimes
arabes dits « progressistes », menés par l’Égypte nassérienne, aux régimes arabes dits
« conservateurs », rangés derrière l’Arabie Saoudite. C’est dans ce cadre que le roi Faysal,
qui régna sur l’Arabie Saoudite de 1964 à 1975, œuvra à la fondation d’une
« internationale islamique » destinée à lutter contre les régimes séculiers – socialistes ou
nationalistes. Les Frères musulmans, persécutés en Égypte et, dans une moindre mesure,
en Syrie, trouvèrent alors tout naturellement refuge en Arabie Saoudite, qui devint leur
principal allié. On peut noter ici qu’al-Zawahiri renvoie dos à dos les deux antagonistes de
cette guerre froide.
[32] ↑ En février 1982, le pouvoir baathiste de Hafez al-Assad réprima dans le sang un
soulèvement islamiste mené par les Frères musulmans dans leur bastion de la ville de
Hama. Les vingt-sept jours de siège, marqués par un bombardement intensif et l’usage de
gaz de combat, se soldèrent par un bilan très lourd : au moins un tiers de la ville fut
détruit, tandis que plusieurs milliers de ses habitants (probablement 20 000) furent
massacrés. Voir Olivier Carré et Gérard Michaud, Les Frères musulmans, Égypte et Syrie
(1928-1982), Paris, Gallimard/Julliard, 1983.
[33] ↑ Adnane Saad al-Din peut être considéré comme l’un des principaux membres des
Frères musulmans irakiens, qu’il a contribué à structurer, à défaut de les créer
véritablement, puisqu’une branche existait avant l’arrivée des exilés syriens.
[34] ↑ Said Hawa est considéré comme le principal idéologue de la branche syrienne du
mouvement des Frères musulmans (voir note 7, p. 138 dans Azzam, La Défense des
territoires musulmans). Il fuit la Syrie pour l’Irak après les premiers événements de Hama
en 1964 – c’est probablement à cela qu’al-Zawahiri fait référence ici.
[35] ↑ Rifaat al-Assad, frère du président syrien, a adopté une ligne sourdement opposée
à celle de son frère et qui visait principalement à la succession de celui-ci. Cherchant des
alliés, il a effectivement, mais sans grand succès, essayé de se rapprocher des Frères
musulmans, en se donnant l’image d’un homme prêt à renégocier les fondements laïcs de
l’État syrien.
[36] ↑ Mahmoud Fahmi Nouqrachi, alors Premier ministre, décréta la dissolution des
Frères musulmans et la confiscation de leurs biens, ainsi que l’arrestation de certains de
leurs membres, en pleine guerre de 1948 contre Israël, alors que la défaite se précisait. Le
28 décembre 1948, il fut abattu dans la rue par un Frère musulman. Banna sera assassiné,
probablement en représailles, un mois plus tard.

[37] ↑ Le Ve congrès eut lieu en janvier 1939.


[38] ↑ En novembre 1939, des membres de l’association dénonçant les
« compromissions » de Hassan al-Banna avec la monarchie égyptienne quittèrent le
mouvement et créèrent « l’Association des jeunes de notre seigneur Mohammad ».
[39] ↑ Cela n’est pas tout à fait exact : des querelles traversent dès les années 1940 le
mouvement sur la question de la méthode à employer pour arriver au pouvoir. La création
d’un bras armé de la confrérie répond alors au désir de la ligne dure, partisane d’un
renversement du régime en place. L’assassinat de Hassan al-Banna en 1949 est perçu par
les historiens comme une réponse aux actions menées par cette milice (assassinats,
attentats, etc.) à la fin des années 1940.
[40] ↑ Ces pays sont ceux où les Frères musulmans ont conservé une posture légaliste. Les
Frères musulmans syriens, qui ont choisi la voie insurrectionnelle à partir de 1974, ne sont
donc pas mentionnés dans cette liste.
[41] ↑ On peut penser qu’al-Zawahiri fait ici référence à Sayyid Qotb. Or, la position de
Qotb sur la violence n’est pas aussi claire qu’al-Zawahiri semble le dire : certes, son
analyse de la société et du pouvoir égyptiens sont sans appel, car il prône « le
mouvement » ([al-haraka]) pour mettre fin à la [jâhiliyya] ambiante (voir introduction sur
al-Zawahiri) et imposer la souveraineté de Dieu. Son discours reste cependant à un niveau
assez théorique et il ne se montre à aucun moment aussi explicite que le seront par la suite
ses héritiers intellectuels, parmi lesquels al-Zawahiri. Al-Zawahiri peut aussi penser ici au
Groupe islamique dont, contrairement à Al-Jihad, beaucoup des membres sont liés à la
confrérie, et dont celle-ci se désolidarise lorsque le Groupe islamique opte pour
l’affrontement violent avec l’État. Voir aussi note 44, p. 162 sur Qotb, dans Abdallah
Azzam, Rejoins la caravane !
[42] ↑ Nous avons déjà discuté de la véracité de ces assertions dans le cas de Hassan al-
Banna. Al-Zawahiri se positionne ici dans le débat sur la mémoire de Hassan al-Banna,
dont nombre d’islamistes se réclament : ainsi, tant les légalistes du mouvement des Frères
musulmans que les courants radicaux inspirés de Qotb et qui évoluent à ses marges,
cherchent à se poser en continuateurs de l’œuvre du fondateur. Or, pour al-Zawahiri, il n’y
a pas, comme l’affirment les seconds, continuité entre al-Banna et Qotb, mais bien rupture
totale.
[43] ↑ Mouslim, célèbre traditionnaliste ([muhaddith]) ; voir note 47, p. 162 dans Abdallah
Azzam, Rejoins la caravane !
[44] ↑ Hassan al-Banna est souvent décrit dans l’historiographie des Frères musulmans
comme « le rénovateur du XXe siècle ». Le concept de « rénovateur » ([mujaddid]) remonte
à une tradition du XIVe siècle selon laquelle chaque siècle verrait un homme, descendant
du Prophète, envoyé par Dieu pour restaurer la religion dans son orthodoxie. Plusieurs
théologiens ou politiques revendiqueront ou laisseront leurs disciples les parer de ce titre
[laqab]. Ce sera notamment le cas d’al-Souyouti (1445-1505), encyclopédiste égyptien ou
celui, plus proche de nous, de l’ayatollah Khomeini en Iran. Le titre de [mujaddid] va
parfois de pair avec celui de « revivificateur de la religion » ([muhiy al-dîn]), notamment
octroyé à l’imam al-Ghazali (XIIe siècle, voir note 12, p. 64). En 2002, l’idéologue jihadiste
saoudien Faris al-Zahrani décerna ce titre à Oussama ben Laden dans un ouvrage intitulé
Oussama ben Laden : rénovateur de notre époque et vainqueur des Américains ([Usâma ibn
Lâdin : mujaddid al-zamân wa qâhir al-amrîkân]).
[45] ↑ Mohammad Qotb, frère et compagnon de route de Sayyid Qotb, fut arrêté avec lui
en 1965. Mais contrairement à ce dernier, il échappa à la peine de mort et fut libéré en
1971 sur ordre de Sadate. Il partit alors s’installer en Arabie Saoudite, où il enseigna à
l’université islamique de Médine. C’est depuis son exil saoudien qu’il rédigea de nombreux
ouvrages dans lesquels il poursuivit la réflexion entamée par son frère, reprenant
fidèlement ses concepts, comme le célèbre Notre réalité contemporaine, évoqué ici.
Mohammad Qotb vit aujourd’hui à La Mecque.
[46] ↑ Muhammad Qotb se positionne ainsi dans le débat évoqué en note 42 de cette
même page.
[47] ↑ Coran, 4/135. Seule la première partie du verset est citée.
[48] ↑ Mohammad al-Ghazzali, né en 1917, fut un ouléma d’al-Azhar, membre des Frères
musulmans. Dans les années 1980, il devint en Égypte l’une des principales figures de
l’islamisme libéral (au sein du courant dit de la wasatiyya), et décéda en 1996. À ne pas
confondre avec le théologien médiéval Mohammed al-Ghazzali (voir note 12, p. 64 dans
Ben Laden, « Déclaration du Front islamique »).
[49] ↑ Choukri Moustafa est né en 1942 dans un village de Moyenne-Égypte. Jeune
militant islamiste proche des Frères musulmans, il n’échappe pas à la vague d’arrestations
de 1965 et se retrouve incarcéré jusqu’en 1971 dans ce bouillon de culture de l’islamisme
égyptien que furent les prisons nassériennes. Il y est très influencé par les écrits de Qotb,
qu’il lit cependant d’une manière singulière : pour lui, la séparation d’avec la société
« jahilienne » (d’après [jâhiliyya]) que prêche Qotb ne doit pas être que spirituelle, elle doit
également se traduire en termes physiques. À partir de 1972, entouré de ses premiers
disciples, il entreprend son hégire, et se retire dans les montagnes. En 1977, l’enlèvement
et le meurtre par le groupe de Choukri (que la presse surnomme « Excommunication et
Exil », [al-takfîr wa-l hijra]) d’un ouléma d’al-Azhar entraîne l’arrestation de ce dernier,
puis son exécution. Il n’existe pas, au sens propre du terme, de courant « takfiri » (et ce
mouvement de Choukri n’a eu aucun prolongement).
[50] ↑ Le principe de « commandement du Bien et d’interdiction du Mal » - selon lequel
chaque musulman est « responsable » de ses coreligionnaires, qu’il doit conseiller et même
réprimander lorsque ceux-ci sont tentés par le péché – impose un contrôle de type
horizontal entre les différents membres de la communauté, à la différence d’un contrôle
de type vertical comme il peut en exister dans une structure hiérarchisée de parti. Or, pour
Zawahiri, le seul des deux modes de contrôle à être véritablement islamique est le
premier, et l’adoption du second s’est, chez les Frères musulmans, traduit par son abandon
– ce qui constitue une violation du dogme.
[51] ↑ Pour les Frères musulmans, qui ont une approche plus traditionnelle de l’islam, le
dogme du [tawhîd] consiste simplement à croire en l’unicité de Dieu et à réciter la
profession de foi musulmane : « Il n’y a de dieu que Dieu et Mohammad est son Prophète. »
Mais pour les salafistes jihadistes, influencés en cela par la doctrine wahhabite, le [tawhîd]
ne peut rester à ce niveau de théorie et doit être pleinement mis en pratique : cela signifie
notamment exclure de l’islam l’ensemble des écoles de pensée non orthodoxes comme le
soufisme – accusées de polythéisme. C’est en particulier la proximité que les Frères
entretiennent avec le soufisme qui constitue le principal point d’achoppement avec les
wahhabites.
[52] ↑ Les années 1960 correspondent dans les pays du Golfe à l’entrée dans l’ère de
prospérité économique apportée par le pétrole. Pour ce qui est de l’Arabie Saoudite,
principale concernée par cette assertion d’al-Zawahiri, il s’agit de la période où les
institutions étatiques et non-étatiques connaissent un développement fulgurant. Mais ce
processus requiert des compétences que le royaume ne possède pas : il fera donc appel à
celles des Frères musulmans réfugiés dans le pays, dont beaucoup sont titulaires de
diplômes universitaires. On retrouvera en conséquence les Frères musulmans à tous les
échelons de ces institutions en gestation, et en particulier, comme le souligne ici al-
Zawahiri, dans les institutions de prédication, les organisations caritatives et dans la
banque (islamique, il s’entend). Les Frères musulmans, de réfugiés politiques, passent
donc rapidement au statut de « technocrates saoudiens comme les autres ». C’est cet
« embourgeoisement » des Frères dont al-Zawahiri se moque ici.
[53] ↑ En arabe, [fitna], qui peut se traduire soit par « tentation » soit par « sédition ».
[54] ↑ Coran, 21/35.
[55] ↑ Lors de la première guerre israélo-arabe, entre mai 1948 et le début de l’année
1949 (hormis des interruptions en juillet et septembre 1948), pour suppléer aux maigres
effectifs des armées nationales arabes, des mouvements politiques formèrent et
détachèrent des militants sur le front. Ce fut le cas des Frères musulmans, qui envoyèrent
un contingent sous le commandement de Mohammed Farghali.
[56] ↑ Il fait ici référence à la guérilla contre les troupes anglaises, menée sous la
direction de Yousouf Talaat, notamment à partir d’Ismailiyya, lieu de naissance du
mouvement des Frères musulmans, lesquels ont toujours eu une forte implantation dans
les villes du canal. Ces actions d’usure menées par des mouvements politiques en dehors
de la volonté des autorités du Caire illustrent la déliquescence du régime monarchique,
qui vivait alors ses derniers jours.
[57] ↑ À côté des Frères musulmans, on relève alors des volontaires indépendants, des
membres de l’organisation Jeune Égypte, des Chemises bleues (jeunesse du Wafd), etc. Voir
supra, note 55.
[58] ↑ La supposée tentative d’assassinat de 1954 contre Nasser est en effet fortement
remise en cause par certains observateurs qui y voient plutôt la main du gouvernement
désireux de se débarrasser des Frères musulmans en en faisant une cible de la vindicte
populaire et en légitimant la répression. Aucune action dirigée par les Frères musulmans
contre le régime de Nasser n’a d’ailleurs abouti ni même n’aurait eu de fondements
sérieux. Mais il faut prendre en compte la popularité de Nasser auprès du peuple égyptien
et dans l’ensemble du monde arabe, et donc le risque pour le mouvement des Frères
musulmans de s’aliéner la population en s’attaquant à celui qui était alors perçu comme le
symbole de la dignité arabe.
[59] ↑ Il s’agit là du canal de Suez.
[60] ↑ Pour se placer dans le cadre conceptuel créé par al-Zawahiri, nous voyons
clairement ici que la priorité revient à cette période à l’ennemi proche ([al-‛aduw al-qarîb]),
comme l’avait conclu en 1981 Abd al-Salam Faraj dans L’Impératif occulté ([al-farîda al-
ghâ’iba]). Al-Zawahiri changera de stratégie par la suite, comme nous le verrons
clairement dans son (ivre Cavaliers sous l’étendard du Prophète.
[61] ↑ En arabe, [kuffâr asliyyîn], littéralement « infidèles originels » (les chrétiens et les
Juifs, notamment). Al-Zawaniri distingue entre les apostats, musulmans ayant pactises
avec les ennemis de l’islam, sur lesquels il jette l’anathème à la manière de Sayyid Qotb, et
les « infidèles originels » qui, paradoxalement, ne viennent qu’en seconde position dans la
hiérarchie des ennemis.
[62] ↑ Coran, 9/123.
[63] ↑ Coran, 24/63. Seule la fin du verset est citée.
[64] ↑ Coran, 2/160.
[65] ↑ Nous trouvons ici une mention précoce du terme « croisé » ([salîbî]) dans la
littérature jihadiste. Il deviendra par la suite l’un des termes clés pour décrire l’ennemi
occidental.
[66] ↑ Coran, 60/4. Ce verset – souvent cité dans la littérature islamiste radicale – y est
interprété comme une injonction à pratiquer l’excommunication ([takfîr]) appliquée, selon
les auteurs, au gouvernement en place ou à la société, s’ils sont perçus comme régis
autrement que par la loi de Dieu. Chez certains, ce principe prend le nom de
« communauté d’Abraham » ([millat Ibrâhîm]).
[67] ↑ Nous retrouvons ici l’interprétation du jihad proposée par l’idéologue du
mouvement Al-Jihad égyptien, Abd al-Salam Faraj, dans son ouvrage L’Impératif occulté,
dans la lignée duquel se place al-Zawahiri (voir l’introduction).
[68] ↑ Il s’agit de l’unicité de Dieu, le [tawhîd]. Voir note 4, p. 242.
[69] ↑ Coran, 2/256.
[70] ↑ Les wahhabites, et plus généralement les salafistes, condamnent l’imitation
aveugle ([taqlîd]) de la jurisprudence islamique, prêchant un retour systématique au texte
coranique, à la sunna (composée des hadiths, des traditions) du Prophète et aux dires et
pratiques des pieux ancêtres ([al-salaf al-sâlih]). Voir note 31, p. 144 dans Abdallah Azzam,
La Défense des territoires musulmans. La position exprimée ici par al-Zawahiri peut se
comprendre dans ce cadre.
[71] ↑ Coran, 3/110.
[72] ↑ Coran, 5/78, 79.
[73] ↑ Le jihad est ici considéré comme une prescription qui se passe de contextualisation
historique ou politique. En plus d’être une réaction politique à une agression, le jihad est
surtout présenté comme un devoir religieux.
[74] ↑ Coran, 29/6.
[75] ↑ Coran, 35/15.
[76] ↑ En arabe, [al-ansâr], voir note 21, p. 156 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[77] ↑ Coran, 6/89.
[78] ↑ Coran, 9/38, 39, 40.
Extraits de Conseil à l’oumma de rejeter
la fatwa du cheikh Ben Baz [1] 
autorisant l’entrée au parlement [2] 
Publié sous la supervision
d’Ayman al-Zawahiri

[
[3] [4]
...] Chers frères, nous parlerons aujourd’hui    de la faute    d’un
de nos oulémas, le cheikh Abd al-Aziz ben Baz, qui a autorisé
l’entrée au Conseil de la nation (le parlement). Afin de tromper
l’oumma et de l’égarer, l’association des Frères musulmans a
promulgué cette fatwa du cheikh (si elle est bien de lui) [5]  et l’a
publiée dans la revue La bannière de l’islam [6] . [...]

1 - Le moyen légal d’éliminer la


corruption [7]  qui atteint nos pays
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Tranchez les mains du voleur et de la
voleuse : ce sera une rétribution pour ce qu’ils ont commis et un
châtiment de Dieu – Dieu est puissant et juste –} (La table) [8] . Et Il
(qu’Il soit exalté !) a dit : {Il y a pour vous, une vie, dans le talion}
(La vache) [9] . Le bon état de ce monde et l’élimination de la
corruption, cher Frère musulman, repose sur l’exécution des
jugements de Dieu énoncés pour réformer Ses créatures ! {Ne
connaît-il pas ce qu’il a créé, lui qui est le subtil et qui est
parfaitement informé ?} [10] . Avec la domination des infidèles
impurs sur les pays musulmans à la fin du XIXe siècle, la loi révélée
musulmane fut mise de côté dans le gouvernement de nos pays, et
ils apportèrent des lois positives impies [11] . Ensuite, à leur départ,
les colonisateurs passèrent les rênes du commandement à un
[12]
groupe de musulmans    parvenus au pouvoir grâce à ces lois qui
ne donnent pas à la vérité et à l’erreur leur importance, qui
permettent l’illicite [13]  comme la fornication, le prêt à intérêt [14] , le
[15]
vin, les jeux de hasard, mais interdisent ce qui est licite    comme
le jihad sur la voie de Dieu, le commandement du Bien et
l’interdiction du Mal. Ces lois positives défendent la corruption qui
se répand dans ces pays et sont une menace pour tous ceux qui, ne
voulant y obéir, appellent à la réforme [16] .
Le mal, mon frère, gît dans ce groupe qui défend les lois positives, à
savoir les gouvernants et leurs assistants ; car ces gouvernants, mon
frère, sont des apostats infidèles [17]  qu’il faut combattre jusqu’à ce
que se dissipent l’impiété et la corruption qui planent sur nos pays.
[18]
Le fait qu’ils soient apostats    est prouvé par la parole de Dieu
(qu’Il soit exalté !) : {Les injustes sont ceux qui ne jugent pas les
hommes d’après ce que Dieu a révélé} (La table) [19] . Parce que ce
qu’ils font est cela même qui causa la révélation : l’abandon du
gouvernement selon la loi révélée et la création d’un nouveau
pouvoir qui s’impose à tous les hommes, de même que les Juifs
avaient abandonné la lapidation selon la Torah et avaient créé une
autre législation » (al-Souyouti, La Maîtrise des sciences relatives au
Coran, I, 28,30) [20] .
C’est ce à quoi a fait allusion le juge Ismaïl [21] , comme l’a rapporté
ibn Hajar [22]  : « Le juge Ismaïl a dit, à propos des jugements du
Coran, après avoir rapporté ce différend : “Le sens apparent [23]  des
versets montre que celui qui les imite, qui crée un jugement qui
contredit le jugement de Dieu et en fait une religion pratiquée, il
faut lui appliquer le même jugement que ce qui leur est promis
dans les versets, qu’il l’ait mis en pratique ou pas” » (La conquête,
13, 120).
J’ajoute : « et en fait une religion pratiquée » signifie en fait un
système en vigueur, car la religion – dans l’un de ses sens – désigne
un système de vie, vrai ou faux [24] , car Dieu a appelé l’égarement
des infidèles une religion, en disant : {À vous, votre religion ; à moi,
ma Religion} [25] . […]

2 - L’essence de la démocratie
La démocratie est une nouvelle religion [26] , car si en islam la
législation vient de Dieu (qu’Il soit exalté !), cette capacité en
démocratie en incombe au peuple. Il s’agit bien d’une nouvelle
religion qui repose sur la déification du peuple [27]  et qui lui confère
le droit de Dieu ainsi que Ses attributs ; cela revient à associer des
idoles à Dieu et à tomber dans l’impiété, car Dieu (qu’Il soit exalté !)
a dit : {Le jugement n’appartient qu’à Dieu. Il a ordonné que vous
n’adoriez que Lui.} (Youssouf) [28] .
La souveraineté [29]  en islam n’est qu’à Dieu, alors que dans la
démocratie elle est au peuple, c’est pourquoi Abou al-Ala al-
Mawdoudi [30]  a dit de la démocratie qu’elle est « une divinisation de
l’homme […] C’est le pouvoir des masses » (L’Islam et la civilisation
moderne, p. 33). En démocratie, le législateur est le peuple
représenté par la majorité des députés au Parlement.
Ces députés sont des hommes et des femmes, des chrétiens, des
communistes et des laïcs, ce qu’ils légifèrent devient une loi, qui
s’impose à l’ensemble du peuple, par laquelle on prélève des impôts
et par laquelle on exécute des gens. Prenons l’exemple de la
constitution égyptienne qui énonce, dans son troisième article, que
« La souveraineté n’appartient qu’au peuple qui est la source de
tous les pouvoirs », et dans son quatre-vingt sixième article : « Le
conseil du peuple [31]  – le parlement – détient le pouvoir
[32]
législatif. »    Ils ont fait ainsi du peuple l’égal et le semblable de
Dieu (qu’Il soit exalté !). Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {On-t-ils des
divinités qui auraient établi pour eux des lois religieuses que Dieu
n’aurait pas sanctionnées ?} (Le conseil) [33] .
Selon l’une de ses définitions, la religion est un système de vie des
hommes, qu’il soit vrai ou faux, car Dieu a dit : {À vous, votre
religion ; à moi, ma Religion} [34] . Il (qu’Il soit exalté !) a donc appelé
l’impiété des impies une religion ; par conséquent, ces êtres
humains qui légifèrent pour les gens en démocratie sont des idoles
(associées à Dieu) [35]  adorées à la place de Dieu, ce sont les
seigneurs cités par Dieu (qu’Il soit exalté !) : {Ne nous prenons pas
les uns les autres pour des seigneurs à la place de Dieu} (La famille
d’Imrane) [36] . Y a-t-il une plus grande impiété ?
D’Adi ibn Hatim [37]  (que Dieu l’agrée !), un chrétien converti à
l’islam : « Je suis allé voir le Messager de Dieu (que Dieu lui accorde
salut et bénédiction !) alors qu’il psalmodiait la sourate intitulée Le
désaveu et en était à ce verset : {Ils ont pris leurs docteurs et leurs
moines comme seigneurs [38]  au lieu de Dieu ?} [39] .
Je lui ai alors dit : “Ô messager de Dieu, nous ne les avons pas pris
comme seigneurs.”
– “Si” a-t-il dit, “ne vous permettent-ils pas ce qui est interdit, qui
devient licite pour vous, et n’interdisent-ils pas ce qui est permis,
qui devient illicite pour vous ?”
– “Oui” lui ai-je dit.
– “Cela revient à les adorer” » (hadith, considéré comme bon,
rapporté par Ahmad [40]  et al-Tirmidhi [41] ) [42] .
Al-Aloussi [43]  a dit dans son exégèse de ce verset : « La plupart des
exégètes ont dit : ici “seigneurs” ne signifie pas “dieux”, mais qu’ils
obéissent à leurs ordres et respectent leurs interdictions » (cité dans
À l’ombre du Coran, vol. 3, p. 1642).
Nous citerons brièvement ce qu’a dit M. Sayyid Qotb (que Dieu ait
son âme !) à propos de la parole de Dieu (qu’Il soit exalté !) : {Nul
parmi nous ne se donne de seigneur, en dehors de Dieu} [44] . « Cet
univers dans son entier ne vit et ne prospère que par l’existence
d’un Dieu unique, qui en est l’organisateur : {Si des divinités, autres
[45]
que Dieu, existaient, le ciel et la terre seraient corrompus}   . La
plus manifeste des caractéristiques divines par rapport à
l’humanité est l’adoration des créatures, ainsi que la législation
dans leur existence, et l’équilibre entre elles. Donc, si quelqu’un
prétend posséder cela, il revendique pour lui-même la plus
manifeste des caractéristiques divines et s’érige en Dieu des
hommes à la place de Dieu, et rien n’égale la corruption qui se
répand lorsque les dieux se multiplient sur terre, lorsque les
hommes adorent les hommes, lorsqu’une des créatures prétend
avoir le droit d’être obéie en tant que telle, ainsi que le droit de
légiférer, d’établir des valeurs et des règles en tant que telles ; tout
cela, c’est prétendre à la divinité, même s’il ne dit pas comme le
Pharaon : {Je suis votre seigneur, le Très-Haut !} [46] .
Cela revient à associer d’autres dieux à Dieu, et à l’impiété, c’est la
corruption sur la terre, et quelle corruption ! Dieu (qu’Il soit
exalté !) a dit : {« Ô gens du Livre ! [47] , venez à une parole commune
entre nous et vous : nous n’adorons que Dieu ; nous ne lui associons
rien ; nul parmi nous ne se donne de seigneur, en dehors de Dieu ».
S’ils se détournent, dites-leur : « Attestez que nous sommes
vraiment soumis »} [48] . C’est un appel à n’adorer que Dieu, sans y
associer nul autre, ni êtres humains ni pierres [49] , un appel à ne pas
nous prendre les uns les autres comme seigneurs à la place de Dieu,
ni prophète ni messager que ce soit, car ils sont tous esclaves de
Dieu [50] , Dieu n’a fait que les élire pour faire passer son message,
pas pour participer dans sa divinité.
C’est l’opposition entre les musulmans et ceux qui se prennent
mutuellement comme seigneurs à la place de Dieu ; cela montre
clairement qui sont les musulmans, ce sont ceux qui n’adorent que
Dieu : {Nul parmi nous ne se donne de seigneur, en dehors de Dieu}.
C’est là leur caractéristique principale par rapport aux autres
confessions et communautés, qui les distingue par leur système de
vie de toute l’humanité : soit cette caractéristique est vraie et ils
sont vraiment des musulmans, soit elle ne l’est pas et, quoi qu’ils
disent, ils ne sont pas musulmans.
Dans tous les systèmes terrestres, les hommes se prennent les uns
les autres comme seigneurs à la place de Dieu [51] . […]
Cela se passe dans les démocraties les plus avancées comme dans
les dictatures. La première caractéristique divine, c’est le droit
d’être adoré par les hommes, le droit d’établir des règles, des
doctrines, des lois, des règlements, des valeurs et des arbitrages […]
C’est un droit dans tous les systèmes terrestres auxquels prétendent
les gens d’une manière ou d’une autre, l’affaire est décidée par un
groupe d’hommes dans tous les cas, et ce groupe qui soumet les
autres à sa législation, à ses valeurs, ses équilibres et à ses
conceptions, ce sont les seigneurs terrestres auxquels certains
obéissent à la place de Dieu, et auxquels ils permettent de prétendre
à la divinité. Ils les adorent à la place de Dieu, même s’ils ne se
prosternent pas ni ne s’agenouillent ; le culte est une adoration qui
ne peut être dirigée que vers Dieu [52] . Et, dans ce sens, l’islam est
pour Dieu la religion […] C’est ce qu’ont transmis tous les
prophètes [53]  venus de Dieu, car Dieu les a envoyés pour conduire
les gens de cette adoration des créatures à celle de Dieu, de
l’injustice des créatures à la justice des religions, et celui qui le
refuse n’est pas musulman [54]  selon le témoignage de Dieu, quoi
qu’en disent les commentateurs et quoi que veuillent faire accroire
ceux qui cherchent à égarer les gens […] Pour Dieu, la religion, c’est
l’islam » (À l’ombre du Coran, vol. 1, p. 406-408) [55] .
Comme tu le vois, cher frère musulman, la démocratie repose sur le
principe du « pouvoir des créatures pour les créatures » et refuse le
principe du pouvoir absolu de Dieu sur les créatures ; elle repose
[56]
aussi sur l’idée que le désir    de l’homme, quel qu’il soit, devient le
Dieu absolu, ainsi que sur le refus de l’observance de la loi de Dieu.
En islam, lorsqu’il y a un désaccord ou un différend, on se réfère à
Dieu, à son Prophète (que la prière et le salut de Dieu soient sur
lui !), au jugement de la loi révélée [57]  : {Portez vos différends
devant Dieu et devant le Prophète – si vous croyez en Dieu et au
Jour dernier} (Les femmes) [58] , et Il a dit (qu’Il soit exalté !) : {Quel
que soit le sujet de votre désaccord, le Jugement appartient à Dieu}
(La délibération) [59] . Mais en démocratie, c’est aux hommes (le
peuple) que l’on a recours lorsqu’il y a un différend ; peut-on aller
plus loin dans l’impiété ? Dieu (qu’Il soit exalté !) ordonne de s’en
remettre à Lui (qu’il soit loué !), la démocratie ordonne de s’en
remettre au peuple ; peut-on aller plus loin dans l’impiété ?
Par surcroît d’impiété, les lois sont promulguées et les jugements
des juges sont rendus au nom du peuple, ainsi dans la constitution
égyptienne (art. 72) : « Les jugements sont rendus et exécutés au
nom du peuple. »
Par surcroît d’impiété, ils désignent leur pays du nom de république
pour montrer qu’elle tire sa légitimité des masses [60]  et non du
jugement de Dieu (qu’Il soit exalté !), ainsi dans la constitution
égyptienne (art. 1) : « La république arabe d’Égypte est un État au
régime démocratique et socialiste. »
Dans certains pays [61] , on est allé jusqu’à consulter le peuple et lui
demander son avis sur l’application de la loi révélée [62]  : le peuple
est-il d’accord ou pas ? Cela montre bien que, dans la démocratie, en
cas de désaccord on se réfère au peuple, et non à Dieu et à son
Prophète (que Dieu lui accorde salut et bénédiction !), ce qui signifie
que le gouvernant et le peuple ont le choix de juger ce qu’a révélé
Dieu. L’exégète de La Doctrine d’al-Tahhawi [63]  à propos du
jugement en dépit de ce que Dieu a révélé : « Si l’on considère que
juger en dépit de ce que Dieu a révélé n’est pas un devoir, qu’on a le
choix ou qu’on peut le dédaigner, en sachant que c’est là le
jugement de Dieu, on est au comble de l’impiété », Livre de la
doctrine d’al-Tahhawi, 1404 de l’hégire, p. 323.
Et si leurs constitutions affirment que l’État est démocratique et que
sa religion est l’islam [64] , cela n’efface nullement l’impiété, c’est
comme si quelqu’un disait : « J’atteste qu’il n’y a d’autre dieu que
Dieu et que Mohammad est son Prophète et que Moussaylima [65]  est
son Prophète », y aurait-il quelqu’un pour douter qu’il s’agit là
d’une impiété ? Donc celui qui prétend être musulman et cite un
penseur démocratique ou socialiste, devient infidèle et apostat ;
Dieu a dit (qu’Il soit exalté !) : {La plupart d’entre eux ne croient en
Dieu qu’en lui associant d’autres divinités} (Joseph) [66] .
Car l’islam n’a nul besoin de tous ces principes impies, Dieu (qu’il
soir exalté !) a dit : {Aujourd’hui, j’ai rendu votre religion parfaite}
(La table servie) [67] . Donc, celui qui doute que l’islam est parfait et
n’a pas besoin des systèmes des impies, est lui-même un infidèle qui
dément le verset qui vient d’être cité. Dieu a dit (qu’Il soit exalté !) :
{Seuls, les infidèles nient nos signes} (L’araignée) [68] . « L’islam est
haut, et n’a nul besoin d’être rehaussé », et il n’accepte pas d’être
mêlé à autre chose. Dieu a dit (qu’Il soit exalté !) : {Ô vous les
infidèles, à vous, votre religion ; à moi, ma Religion} [69] , comme une
rupture totale et un désaveu entier. Dieu a dit (qu’Il soit exalté !) :
{Oui, nous avons fait descendre sur toi le Livre avec la Vérité :
Adore Dieu en lui rendant un culte pur : le culte pur n’appartient-il
[70]
pas à Dieu ?} (Les groupes)   . Pur, ici, veut dire exempt de tout
mélange.
Voilà ce qu’est la démocratie et son impiété, mon frère, et les
membres du Conseil du peuple, mon frère, sont les seigneurs qui
veulent prendre la place de Dieu ; ceux qui les élisent et en font des
seigneurs à la place de Dieu (qu’Il soit exalté !) en font des tyrans
adorés à la place de Dieu.
Et si un membre de ce conseil nous disait qu’il y est entré non pour
[71]
légiférer mais pour conseiller   , nous lui répondrions : et le
serment d’impiété que vous avez fait en y entrant ? et votre
reconnaissance de la démocratie comme régime ? et que l’avis de la
majorité s’impose à tous ? Car s’il s’oppose à la démocratie ou refuse
d’accepter l’avis de la majorité, il ne lui aurait pas été permis d’être
candidat, encore moins de continuer à l’être. (Voir « Loi de
protection du front intérieur » [72] , n° 33, année 1978, articles 1, 6,
10, et la « Loi du Conseil du peuple », n° 38, année 1982).
Ces articles auxquels on a fait allusion, mon frère, montrent que,
parmi les conditions de l’appartenance au Conseil du peuple et de la
formation des partis politiques, se trouvent l’affirmation que le
régime est démocratique et socialiste, et la reconnaissance de
l’accord de paix avec Israël (Camp David), entre autres conditions ;
et celui qui les refuse n’a pas le droit de se présenter au Conseil du
peuple ni de former un parti politique, on l’accusera même de
corruption !
Ainsi, tu comprendras, cher frère, qu’il est impossible pour
quiconque refuse la démocratie idolâtre d’entrer dans ce conseil,
personne n’y entre sans l’avoir reconnue et s’y être engagé, c’est
ainsi qu’il faut comprendre le mot de l’ex-guide des Frères
musulmans, Omar Talmassani [73]  : « Nous nous conformons aux
lois positives, même si nous ne les respectons pas et demandons
leur abolition » (Souvenirs, et non mémoires d’Omar Talmassani, p.
212) [74] . […]
Si tu considères, mon cher frère, le droit positif comme impie,
comme il se doit, sache que la démocratie est encore plus impie, car
la capacité à légiférer dans le droit positif est entre les mains d’une
élite de spécialistes du droit, alors qu’en démocratie, la capacité de
légiférer est tout entière entre les mains du peuple [75] . […]

4 - Les conditions de l’avis légal


Sache, mon frère musulman, que l’avis légal est « la connaissance
du devoir dans la réalité », celui qui ignore la réalité qui est l’objet
de la demande [76] , ou ignore le jugement légal qui s’impose dans ce
cas, ne peut que se tromper dans son avis légal.
Ibn Qayyim [77]  (que Dieu ait son âme !) a dit : « Le moufti ou le juge
ne peut délivrer d’avis légal ni juger selon le droit s’il ne possède
deux sortes de compréhension. 1/ La compréhension de la réalité et
de la jurisprudence, et la déduction de la vérité de ce qui s’est passé
par les indices, les traces et les indications afin de le savoir. 2/ La
compréhension du devoir, c’est-à-dire la compréhension du
jugement de Dieu délivré dans son livre ou par la bouche de son
Prophète à ce sujet, puisque l’un des deux s’applique à l’autre. »
L’Information des signataires (1/87,88).
Abdallah ibn Batta (que Dieu ait son âme !) a ajouté, dans son
chapitre sur le divorce, d’après l’imam Ahmad [78] , qu’il avait dit :
« Un homme ne doit pas donner d’avis légal s’il n’a pas cinq
qualités. 1/ L’intention, car s’il en est dépourvu, il ne sera pas éclairé
et ses propos non plus. 2/ Qu’il possède connaissance, sagesse,
dignité et calme. 3/ Qu’il soit fort, et sûr de ses connaissances. 4/ Il
doit être efficient, sinon les gens n’en feront qu’une bouchée. 5/ Il
doit connaître les hommes. » […]
Ce que nous pensons de l’avis légal du cheikh Ben Baz est que c’est
une erreur, et que la cause de cette erreur est – avec tout le respect
que nous lui devons [79]  – qu’il ne saisit pas la vérité de la réalité sur
[80]
laquelle il s’est prononcé   , il ne comprend pas que les élections ne
sont qu’une partie de la démocratie, que le Conseil du peuple n’est
que le conseil des seigneurs qui légifèrent pour les gens en bafouant
ce que Dieu a révélé, et que c’est de l’idolâtrie. Nous pensons que le
cheikh ne sait pas que le membre du Conseil du peuple fait ce
serment lorsqu’il y est admis : « Je jure par Dieu de rester fidèle au
bien de la nation et au régime républicain, de préserver les intérêts
du peuple et de respecter la constitution et la loi » (art. 9 de la
constitution égyptienne).
Le cheikh Ben Baz sait-il que cette constitution que le membre du
parlement jure de respecter stipule : « La souveraineté n’appartient
qu’au peuple » (art. 3), et : « Le Conseil du peuple détient le pouvoir
législatif » (art. 86), et : « Les principes de la loi révélée islamique
sont la principale source de la législation » (art. 2) ? Ils ont bien dit
principes et non jugements de la loi révélée, et ont dit la source
principale et non la source unique [81] . C’est-à-dire que la
constitution que le membre du parlement s’engage à respecter
décide de l’existence de sources de législation non-islamiques, ce
qui signifie que la constitution encourage la création d’autre
divinités qui légifèrent avec Dieu : quelle contradiction avec la
profession de foi musulmane selon laquelle « Il n’y a d’autre dieu
que Dieu » [82]  !
Le cheikh Ben Baz sait-il que la loi que le membre (du parlement)
jure de respecter autorise la fornication entre majeurs selon leur
gré, le prêt avec intérêt, la consommation du vin et les jeux de
hasard, l’apostasie de l’islam et ne la punit pas au nom de la liberté
de conscience (art. 46 de la constitution) ? Nous pensons que le
cheikh Ben Baz ne le sait pas.
C’est pourquoi son avis légal ne repose pas sur une connaissance
exacte de la réalité, il est fautif, et cela constitue l’erreur d’un savant
religieux.

5 - Les conséquences néfastes de l’erreur


d’un savant religieux
Omar ibn al-Khattab (que Dieu l’agrée !) a dit : « Trois choses
peuvent causer du tort à l’islam : la faute d’un savant en religion, la
contestation du Coran par un hypocrite et le jugement des imams
[83]
trompeurs » (rapporté par al-Darimi   , sa chaîne de garants est
exacte selon al-Albani) [84]  (Le chandelier, 1/89). […]

7 - Conseil au cheikh Ben Baz


Le messager de Dieu (que la prière et le salut de Dieu soient sur
lui !) a dit : « La religion est conseil sincère » (rapporté par
Mouslim) [85] , nous conseillons donc au cheikh qu’il enquête sur la
réalité sur laquelle on lui demande un avis légal.
Nous lui conseillons également de promulguer une autre fatwa qui
abroge la précédente, car le Messager de Dieu (que la prière et le
salut de Dieu soient sur lui !) a dit : « Qui promulgue un avis légal
sans savoir, le péché en retombe sur celui qui le lui a demandé »
(rapporté par Abou Daoud [86]  et considéré comme bon par al-
Albani, dans Le Chandelier, 1/81). Omar ibn al-Khattab [87]  a dit à
Abou Moussa al-Achari [88]  (que Dieu les agrée !) dans Le Livre du
[89]
jugement    : « Un jugement que tu as prononcé aujourd’hui, et sur
lequel tu as réfléchi en étant inspiré, rien ne t’empêche de le revoir
en mieux, car la vérité est de toute éternité, et revenir vers elle vaut
mieux que persister dans l’erreur… » Cité dans L’Information des
signataires d’Ibn Qayyim [90] , 1/86). À quoi a-t-il servi que le cheikh
ait passé sa vie à prêcher l’unicité de Dieu, à rejeter l’idolâtrie et
repousser ses prétextes puisqu’il autorise la participation à la
démocratie idolâtre, que ce soit par la participation au Conseil du
peuple ou par les élections ?
Cet avis légal du cheikh Ben Baz conduit à l’arrêt du jihad contre les
tyrans qui gouvernent sans se soucier de la loi révélée. En
permettant de suivre la voie démocratique, le cheikh a ouvert aux
musulmans la porte du renoncement à ce jihad qui est une
obligation individuelle [91] , et même il le combat. C’est pourquoi son
avis légal est déplorable du point de vue religieux, maintenant et
dans l’avenir. Nous demandons donc à Dieu (qu’Il soit exalté !) qu’il
lui inspire de revenir sur cet avis légal, comme nous demandons à
Dieu (qu’Il soit exalté !) qu’il permette au cheikh comme à nous une
bonne conclusion, car le messager de Dieu (que la prière et le salut
de Dieu soient sur lui !) a dit : « Toute action n’est bonne que par sa
conclusion » (hadith agréé). […]

Notes du chapitre
[1] ↑ Pour la biographie du cheikh saoudien Abd al-Aziz ben Baz, voir note 1, p. 138 dans
Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[2] ↑ Ce texte, qui se trouve sur le site Internet du Minbar al-Tawhed wa’l-Jihad
(www.tawhed.ws), l’une des plus grandes et des plus fiables bibliothèques virtuelles de
textes islamistes radicaux, ne porte pas de date de publication. Mais il a
vraisemblablement été publié au début des années 1990, au moment où le cheikh Ben Baz
faisait l’objet de critiques croissantes de la part des milieux islamistes saoudiens. C’est à
cette dynamique que se rattache ce texte. Sa valeur vient du fait qu’al-Zawahiri, en osant
remettre en cause un avis juridique de celui qui reste considéré – y compris par ses
détracteurs – comme l’une des plus grandes figures de l’islam sunnite d’obédience
wahhabite, se pose en savant religieux à part entière – qualité dont il espère tirer un large
profit pour la légitimité de son mouvement. Ce texte a aussi une dimension politique,
puisqu’il constitue une véritable déclaration de guerre à l’encontre du principal
instrument de légitimation du régime saoudien.
[3] ↑ Cette phrase, qui ressemble aux paroles initiales d’un prône ou d’un cours, indique
qu’il peut s’agir ici de la transcription d’un texte présenté oralement et enregistré.
[4] ↑ L’expression [zallat ‘âlim], la faute du savant religieux, est souvent utilisée pour
réfuter les arguments d’une partie adverse, et dans la littérature islamiste pour vilipender
ceux que l’on appelle « les oulémas de cour ».
[5] ↑ Al-Zawahiri laisse ici ouverte la possibilité que Ben Baz ait été contraint à émettre
un tel avis, notamment par le pouvoir saoudien. Le même argument avait été utilisé, au
lendemain de la légitimation par le même Ben Baz de l’appel aux troupes occidentales
pour protéger le royaume saoudien, par une partie de l’opposition islamiste qui se refusait
à imaginer le très respecté Ben Baz tranissant à ce point les principes qu’il avait toujours
défendus.
[6] ↑ L’une des revues liées au mouvement des Frères musulmans.
[7] ↑ L’auteur emploie souvent le terme [fasâd], qui pose problème pour sa traduction en
français car il est polysémique : corruption, altération, pourrissement, perversion, dégât,
oppression, violence. Il désigne en tout cas une réalité à rejeter absolument. La corruption
dont if s’agit ici renvoie à la fois au caractère immoral de la situation qui, selon al-
Zawahiri, prévaut dans les pays musulmans, et à la rupture du pacte qui lie les
gouvernants aux gouvernés, pacte en vertu duquel les premiers doivent régner selon la
Loi divine.
[8] ↑ Coran, 5/38.
[9] ↑ Coran, 2/179.
[10] ↑ Coran, 67/14.
[11] ↑ Al-Zawahiri pense ici à son pays, l’Égypte, où fut adopté en 1875 un « code mixte »,
très proche du « code Napoléon », qui servit de fondement au code national de 1883. C’est
ainsi que le droit français supplanta le droit islamique comme source principale du droit
égyptien.
[12] ↑ L’auteur puise ici ses arguments dans la thématique du « néo-colonialisme », qui
voit dans les indépendances politiques des pays colonisés, après la Seconde Guerre
mondiale, le début d’un nouveau stade de l’impérialisme, où ce sont les pouvoirs
autochtones qui gèrent l’exploitation et la domination des anciennes colonies au service
des mêmes métropoles. Dans cette logique, les pouvoirs musulmans seraient donc les
héritiers purs et simples des puissances coloniales. Cette accusation se retrouve chez les
mouvements islamistes en Algérie, qui accusent le pouvoir du FLN et des généraux
d’appartenir au [hizb frança], le parti de la France, héritier des colons dans leur lutte
contre le peuple algérien musulman.
[13] ↑ En arabe, [harâm], illicite.
[14] ↑ Il s’agit de l’usure, en arabe [ribâ], péché majeur. Le droit islamique a, selon ses
diverses variantes et écoles, légitimé les différentes pratiques commerciales en y
prohibant cependant tout ce qui pourrait s’apparenter à l’usure, le verset coranique
invoqué est ici (2/275) : {Mais Dieu a permis la vente et interdit l’usure).
[15] ↑ En arabe, [halâl], licite.
[16] ↑ Le terme [islâh], traduit en français par « réforme », est employé dans le Coran, ce
qui légitime son utilisation par les islamistes pour appeler à l’application de la Loi divine.
On le trouve dans la sourate 11, verset 88 : {Je veux seulement vous réformer [islâh],
autant que je le puis}.
[17] ↑ Al-Zawahiri, contrairement à Ben Laden, ne se prive pas de déclarer comme impies
des musulmans nominaux, comme les dirigeants dans le monde arabo-musulman.
[18] ↑ Le mot employé ici est [murtadd], impliquant que celui qui n’applique pas la loi de
l’islam a renié sa religion et ne peut donc être considéré que comme tel. En islam,
l’apostasie est punie de la peine capitale, et déclarer quelqu’un apostat équivaut donc à le
condamner à mort. Tel était notamment le contenu de la fameuse fatwa prononcée par
l’ayatollah Khomeini contre l’écrivain britannique Salman Rushdie le 14 février 1989.
[19] ↑ Coran, 5/45. [al-bukm bi-ghayrimâ anzala allâh], une pierre de touche de la
rhétorique islamiste.
[20] ↑ Al-Souyouti (1445-1505) est un savant musulman égyptien, d’origine persane.
D’obédience chafiite, il écrivit des centaines de livres dans tous les domaines du savoir de
son époque. Conscient de ses qualités et de l’ampleur de son érudition, il s’opposa
fréquemment aux religieux de son temps, ainsi qu’aux Mamelouks qui gouvernaient alors
l’Égypte. Refusant la fréquentation du sultan Qaytbey, et de son successeur al-Ghawri, il
justifia sa position par une célèbre épître où il montra que la proximité avec le pouvoir
temporel a été prohibée par les premiers musulmans.
[21] ↑ Le juge Ismaïl est le surnom d’Ibn Ishaq (815-896), juriste malékite d’Irak.

[22] ↑ Sur Ibn Hajar al-Asqalani, juriste égyptien du XVe siècle (1372-1449), voir note 100,
p. 174 dans Azzam, Rejoins la caravane !
[23] ↑ Le fait qu’il s’agisse du sens apparent donne une force particulière à l’argument,
puisque, pour un adepte d’un islam littéraliste comme l’est al-Zawahiri, cela signifie qu’il
ne peut y avoir de discussion sur l’interprétation.
[24] ↑ On trouve ici chez al-Zawahiri un « relativisme » axiologique a priori surprenant,
mais cependant cohérent : la loi religieuse doit être valable en soi, sans qu’il y ait besoin
d’une rationalité ou d’une raison naturelle ou historique qui viennent l’étayer.
L’affirmation de l’arbitraire de la loi est centrale également au sein de la tendance
hanbalite.
[25] ↑ Coran, 109/6.
[26] ↑ Un autre des idéologues du mouvement salafiste jihadiste, Abou Mohammad al-
Maqdisi, a intitulé ainsi l’un de ses pamphlets contre la démocratie : La Démocratie est une
religion ([al-dimûqratiyyâ dîn]).
[27] ↑ Déification qui passe par le principe de la souveraineté du peuple, qui fait, selon al-
Zawahiri, de la majorité électorale la source de la législation.
[28] ↑ Coran, 12/40.
[29] ↑ En arabe, l’auteur est passé du mot [hukm] dans les versets cités à celui de [hâki-
miyya], tiré de la même racine mais qui est un néologisme emprunté à l’ourdou et
popularisé parmi les islamistes par al-Mawdoudi, puis Sayyid Qotb qui s’en inspire. Voir
note 55, p. 150 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[30] ↑ Abou al-Ala al-Mawdoudi [Abû al-A‘lâ al-Mawdûdî] est un penseur islamiste né en
Inde en 1903. En 1941, il fonde le parti islamiste pan-indien Jama’at-e-Islami qui œuvre à la
création d’un État islamique et s’oppose d’abord à la partition de l’Inde et du Pakistan,
avant de se résigner à devenir un acteur du jeu politique pakistanais. Ses écrits, où il
développe les concepts de « [jâhiliyya] moderne » et de « [hâkimiyya] », seront traduits en
arabe et auront une influence capitale sur Sayyid Qotb, qui en fera la base de sa réflexion.
Al-Mawdoudi meurt en 1979.
[31] ↑ Le Conseil du peuple ([majlis al-cha‘b]) est le nom donné, dans une veine héritée de
la période du socialisme nassérien, au parlement égyptien. Il n’existe pas de terme précis
pour nommer les parlements des pays arabes, chacun portant le nom correspondant au
registre de légitimation utilisé par ses créateurs : ainsi, le parlement koweitien est le
[majlis al-umma], le Conseil de la nation, [umma] étant le nom coranique utilisé pour
désigner cette dernière, tandis que le « parlement » saoudien a reçu le nom de [majlis al-
chûrâ], le Conseil de la choura, ce ernier terme se rapportant à l’injonction coranique de
consultation.
[32] ↑ C’est, curieusement, plus à l’Égypte comme démocratie qu’à l’Égypte comme
dictature qu’al-Zawahiri s’en prend ici. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’il ne se
demande à aucun moment si ces principes, écrits noir sur blanc dans la constitution
égyptienne, sont, véritablement mis en œuvre dans la pratique. À le lire, on aurait presque
l’impression que l’Égypte est une démocratie modèle – mais loin s’en faut.
[33] ↑ Coran, 42/21.
[34] ↑ Coran, 109/6.
[35] ↑ En arabe, [churakâ], pluriel de [charîk] (voir note 38 sur le [chirk] p. 294).
[36] ↑ Coran, 3/64.
[37] ↑ Adi ibn Hatim, compagnon du Prophète, mort en 687.
[38] ↑ Le mot arabe [awliyâ’, pluriel de walî] est polysémique ; voir note 14, p. 244 dans al-
Zawahiri, La Moisson amère.
[39] ↑ Coran, 9/31.
[40] ↑ Désigne Ahmad ibn Hanbal, le fondateur de l’école hanbalite de jurisprudence.
Voir note 20, p. 142 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[41] ↑ Mohammad ibn Issâ al-Tirmidhî (824-892) est un traditionniste célèbre, auteur de
l’un des six recueils canoniques de hadiths.
[42] ↑ En arabe, [hadîth hassan]. Pour la classification des hadiths, voir note 36, p. 146
dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[43] ↑ Mahmoud Chihabeddin Al-Aloussi (1802-1854), savant religieux irakien, auteur
d’une exégèse du Coran intitulée [Rûh al-ma‘ânî]. Descendant d’une famille d’oulémas,
originaire d’Alous, un bourg situé près de Ramadi, à l’ouest de l’Euphrate, il fut moufti de
Bagdad et se signala, en sus de ses écrits grammaticaux et exégétiques, par des textes sur le
dogme à visées polémiques contre les chiites (dont Les Réponses irakiennes aux questions
iraniennes). Il est intéressant de noter que les références de l’auteur, bien que d’aspect très
hétéroclite, gardent une logique historique.
[44] ↑ Coran, 3/64.
[45] ↑ Coran, 21/22.
[46] ↑ Coran, 79/24.
[47] ↑ C’est ainsi que l’islam désigne les Juifs et les chrétiens, leur reconnaissant par là un
statut privilégié parmi les non-musulmans puisqu’ils sont autorisés, en terre d’islam, à
conserver leur religion en échange du paiement d’un impôt ([jizya]). La raison de cette
particularité est que le judaïsme et le christianisme sont reconnus par le Coran, comme on
le voit ici, comme des religions monothéistes, tout en mettant en doute le caractère
authentique de leurs Écritures.
[48] ↑ Coran, 3/64.
[49] ↑ Il s’agit d’une allusion au culte des bétyles dans l’Arabie pré-islamique, pris comme
symboles d’idolâtrie et d’ignorance. Les hommes politiques ainsi que les institutions
modernes seraient les héritiers de ces idoles de pierre que le Prophète et les compagnons
mettaient à bas.
[50] ↑ En arabe, les créatures de Dieu sont souvent désignées comme Ses adorateurs ou
Ses esclaves, la racine [‘ayn bâ’ dâl] ayant les deux sens d’être esclave et d’adorer.
[51] ↑ Ces citations illustrent la pratique, chez Qotb, du [takfîr] (excommunication) des
sociétés et des régimes qui à ses yeux ne sont pas – même si certains le prétendent –
musulmans.
[52] ↑ L’islam étant un système de vie complet, l’adoration n’implique pas que le rituel ;
aussi, pour l’auteur, toute allégeance à un principe annexe à celui de la religion (raison
d’État, rationalité économique…) est incompatible avec l’unicité de Dieu et le culte qui doit
lui être rendu, et doit donc être combattue.
[53] ↑ L’islam reconnaît un très grand nombre de prophètes, dont certains sont communs
au judaïsme et au christianisme, comme Moussa (Moïse), Ibrahim (Abraham) et Issa
(Jésus). Toutefois, en ne les nommant que [nabî], il les distingue de Mohammad qui seul
reçoit le qualificatif de [rassûl] (messager de Dieu).
[54] ↑ Ou bien : « ne s’est pas soumis au témoignage de Dieu ».
[55] ↑ Cette très longue citation de Qotb illustre bien l’influence de son œuvre sur al-
Zawahiri, comme nous l’avons expliqué en introduction. Elle fonctionne ici en antithèse à
la fatwa de Ben Baz, cible du pamphlet.
[56] ↑ En arabe, [hawâ], terme péjoratif, connotant l’idée de chute, d’égarement ou de
passion.
[57] ↑ En arabe, [charî’a].
[58] ↑ Coran, 4/59.
[59] ↑ Coran, 42/10.
[60] ↑ Le terme [al-jumhûriyya], qui signifie « république » en arabe, est en effet formé
sur le mot [jumhûr], qui signifie la foule ou la masse.
[61] ↑ Al-Zawahiri fait ici probablement référence au référendum organisé au Pakistan
en décembre 1984 par le général au pouvoir Zia ul-Haqq, et qui portait sur la politique
d’islamisation menée par celui-ci depuis son arrivée au pouvoir en 1977. Le référendum
fut gagné, non sans accusations de fraude.
[62] ↑ En arabe, [charî’a].
[63] ↑ Al-Tahhawi, mort en 933, juriste égyptien auteur, du [kitâb al-‘aqîda] qui contribua
à la défense et à la propagation de l’école juridique hanafite. Également concerné par la
science du hadith, il écrivit dans ce domaine deux livres importants, qui furent tour à tour
admirés et critiqués (entre autres par ibn Taymiyya, qui l’accusa d’amateurisme). Il est
d’ailleurs intéressant de noter l’hétérogénéité parfois contradictoire des références d’al-
Zawahiri. L’exégète ici mentionné est le cheikh Mohammad Nassir al-Din al-Albani (voir la
note 23, p. 142 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans).
[64] ↑ C’est le cas dans la plupart des pays arabo-musulmans.
[65] ↑ Moussaylima ibn Habib, rival malheureux du prophète Mohammad, symbole du
faux prophète dans les sources musulmanes, souvent surnommé [al-Kaddhâb], le fieffé
menteur. Chef d’une tribu de la région de la Yamama, à l’est du Hedjaz, il refusa de prêter
allégeance au jeune État musulman de Médine, puis, après la mort du Prophète en 632, il
souleva les siens dans le sillage des guerres de la [ridda] (ou guerres d’apostasie,
soulèvements de tribus islamisées après la mort du Prophète). Il mourut en 633, au cours
de la sanglante bataille d’Aqraba, où les troupes musulmanes, menées par Khalid ibn al-
Walid, vainquirent les séditieux.
[66] ↑ Coran, 12/106.
[67] ↑ Coran, 5/3. Ce verset aurait été révélé trois mois avant la mort de Mohammad, lors
de ce que l’on appelle « le pèlerinage de l’adieu ».
[68] ↑ Coran, 29/47.
[69] ↑ Coran, 109/1-6. Ce verset illustre à merveille la multiplicité des interprétations
possibles du Coran, et leurs conséquences. Ainsi, alors que certains penseurs modernistes
en ont fait le fondement de la tolérance en islam (« J’ai ma religion et je respecte la
vôtre »), al-Zawahiri le comprend comme un appel au rejet absolu de l’autre non
musulman.
[70] ↑ Coran, 39/2, 3.
[71] ↑ Les islamistes, même les plus radicaux comme al-Zawahiri qui rejette fermement
l’idée de démocratie, admettent le principe de [chûrâ], c’est-à-dire de conseil ou de
consultation dans la prise de décision. Remarquons ici que c’est ce même principe de
[chûrâ] – mais interprété de manière plus large – qui, pour les Frères musulmans, justifie
la participation à la vie politique et l’envoi de représentants au parlement. Or, pour al-
Zawahiri, ici, la question ne se pose même pas : entrer au parlement signifierait
reconnaître implicitement la légitimité d’un régime qu’il juge apostat, et – pire encore –
admettre que la majorité puisse prendre une décision, même si elle contrevient à la loi de
Dieu.
[72] ↑ La loi n° 33 de 1978 sur la protection du « Front intérieur » et de la paix sociale
indique notamment que tout appel ayant pour objectif de s’opposer aux principes de la
révolution ou de propager des doctrines hostiles au système socialiste démocratique, ou
comportant un rejet des Lois divines ou des doctrines contraires à leurs enseignements, est
passible de sanctions, conformément aux dispositions des articles 98 et 174 du Code pénal.
[73] ↑ Omar Talmassani, né en 1904 d’une lointaine ascendance maghrébine (d’où son
nom de famille, « de Tlemcen », en Algérie), fut, après la mort de Hassan al-Houdaybi en
1976, le troisième guide suprême des Frères musulmans. Il mourut en 1986.
[74] ↑ À rapprocher de la phrase de Banna, citée dans La Moisson amère (p. 249) : « Nos
critiques sur la constitution peuvent être changées par les voies que prescrit la
constitution. »
[75] ↑ Al-Zawahiri établit ici des degrés dans l’impiété entre un régime oligarchique
dominé par une élite savante et un régime démocratique, qui constitue pour lui le plus
mauvais des modèles.
[76] ↑ Ce reproche de manquer de prise sur la réalité fut fréquemment formulé par la
jeune génération des islamistes à l’encontre de l’ancienne génération des oulémas des
institutions traditionnelles comme al-Azhar ou l’institution religieuse wahhabite
saoudienne, constituant la base d’un véritable conflit entre « les Anciens et les Modernes ».
L’utilisation de cet argument par les islamistes leur permet aussi de trouver une excuse à
ceux qu’ils continuent, comme on le voit ici dans les termes choisis par al-Zawahiri, à tenir
en estime.
[77] ↑ Ibn Qayyim, juriste hanbalite syrien, élève d’ibn Taymiyya, auteur de [I‘lâm al-
Muwwaqi‘în] (L’Information des signataires). Né à Damas en 1292, il acquit, malgré son
origine modeste, une éducation particulièrement solide et étendue, et adhéra aux idées
d’ibn Taymiyya, tout en restant proche de l’enseignement soufi. Ses Degrés ([Madârij al-
Sâlikîn]) constituent d’ailleurs une œuvre mystique, bien que s’inscrivant dans la filiation
hanbalite. Mais son œuvre la plus ambitieuse reste [I‘lâm al-Muwwaqi‘în], traité juridique
en trois volumes, synthétisant les positions d’ibn Taymiyya sur les [usûl al fiqh],
fondements du droit islamique. Voir la note 2, p. 152.
[78] ↑ Voir note 20, p. 142 dans Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[79] ↑ La politesse avec laquelle al-Zawahiri traite le cheikh Ben Baz en dépit des
critiques qu’il formule à son encontre illustre bien le respect et la légitimité dont jouissait
ce dernier dans les milieux religieux et au sein des cercles islamistes.
[80] ↑ Voir supra note 76.
[81] ↑ Nous l’avons signalé, l’Égypte possède historiquement un droit mixte, s’inspirant à
la fois du droit français et de la loi islamique. Le thème de la principale source de
législation a été depuis les années 1970 en Égypte au cœur du débat entre, d’une part, une
partie d’al-Azhar et les islamistes, et, d’autre part, le pouvoir.
[82] ↑ Pour al-Zawahiri, cette profession de foi est équivalente au dogme du [tawhîd], à la
base de la croyance wahhabite.
[83] ↑ Al-Darimi est un célèbre traditionniste ([muhaddith]), quoique son recueil, le
[Musnad], ne fasse pas partie des six recueils canoniques.
[84] ↑ Le célèbre traditionniste contemporain al-Albani, outre composer des ouvrages,
effectuait ce que l’on appelle des [tahqîqât], ou vérifications, c’est-à-dire qu’il vérifiait la
validité des hadiths cités dans telle ou telle compilation rédigée par d’autres
traditionnistes. C’est à cela que se rapporte cette mention. Voir aussi la note 23, p. 142 dans
Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[85] ↑ Voir note 47 sur Mouslim, dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane ! Le hadith [al-
dîn nasîha] est fréquemment utilisé par les islamistes pour justifier leur opposition au
pouvoir en place, opposition qui se drape sous le manteau dû bon « conseil ». C’est en
jouant sur ce même registre qu’en Arabie Saoudite, notamment, les islamistes, qui, en
septembre 1992, présentèrent au roi Fahd une pétition appelant à la mise en œuvre de
réformes, nommèrent leur texte [mudhakkarat al-nasîha], « Le mémorandum du bon
conseil ».
[86] ↑ Sur Abou Daoud, voir note 30, p. 144 dans Azzam, La Défense des territoires.
[87] ↑ Second calife de l’islam (634-644).
[88] ↑ Abou Moussa al-Achari, compagnon du Prophète, né vers 614, originaire du Yémen,
se serait rallié aux musulmans à Khaybar, en 628. D’abord lieutenant du Prophète puis du
premier calife au Yémen, il fut ensuite gouverneur de Bassora, puis de Koufa, avant de se
lancer en 638 à la conquête de la Perse, où il soumit, en 644, plusieurs tribus kurdes à la
bataille de Bayrudh. Il est également connu pour avoir collecté les différentes parties du
Coran en un recueil qui survécut un temps avec celui du toisième calife, Othman,
finalement retenu dans l’ensemble du monde musulman.
[89] ↑ [Kitâb al-qadâ’.]
[90] ↑ Pour Ibn Qayyim, voir supra, note 77, p. 276.
[91] ↑ C’est la position du Jihad islamique égyptien, à la suite d’Abd al-Salam Faraj et de
son ouvrage L’Impératif occulté (voir introduction).
Extraits de Cavaliers sous l’étendard du
Prophète [1] 
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

L ’heure est venue de prévoir l’avenir de notre mouvement


jihadiste en Égypte et dans le reste du monde.

I - Des phénomènes convergents


N’importe quel observateur objectif peut remarquer les
phénomènes suivants dans notre monde musulman et en Égypte.

Du caractère universel de notre combat


Les forces occidentales hostiles à l’islam ont clairement identifié
leur adversaire, qu’elles appellent le fondamentalisme islamique, et
même leur ancien adversaire, la Russie, s’est jointe à leur coalition.
Elles se sont servi de divers moyens pour combattre l’islam : l’ONU,
les gouvernants serviles des peuples musulmans, les sociétés
multinationales, les systèmes internationaux de communication, les
agences d’information internationales et les chaînes par satellite [2] ,
les ONG utilisées pour espionner, comploter, faire du prosélytisme
et de la contrebande d’armes.
Face à cette coalition, une alliance fondamentaliste [3]  s’est formée,
composée de mouvements jihadistes de divers pays musulmans et
des États libérés grâce au jihad que sont l’Afghanistan et la
Tchétchénie [4] . Si cette alliance n’en est qu’à ses débuts, sa
croissance est rapide et importante. Sa grandeur n’est plus à
démontrer, ses actions parlent d’elles-mêmes, la peur qu’elle
engendre en Occident fait qu’elle domine sa pensée, l’inquiète et le
[5]
maintient en état d’alerte   .
Car c’est une force croissante qui se rassemble sous l’étendard du
jihad, contre la loi du nouvel ordre mondial, libre de toute servitude
envers l’impérialisme [6]  occidental dominant, elle est porteuse
d’une promesse de destruction pour la nouvelle croisade contre les
terres de l’islam. Elle a soif de vengeance contre les chefs de bande
de l’impiété internationale (les États-Unis, la Russie et Israël), elle
brûle de venger le sang des martyrs, le chagrin des mères, le
dénuement des orphelins, les souffrances des prisonniers, les plaies
des torturés sur toute l’étendue des terres musulmanes, depuis le
Turkestan oriental [7]  jusqu’à l’Andalousie [8] .
Nous assistons aujourd’hui à l’apparition d’un phénomène
nouveau, mais durable et croissant, celui de jeunes combattants
musulmans qui quittent leur famille et leurs pays, négligent
l’argent [9] , abandonnent leurs études ou leur emploi pour rejoindre
les champs de bataille de la guerre sainte. Avec l’apparition
longtemps attendue de cette nouvelle sorte de musulmans, se
développe, parmi tous les fils de l’islam soucieux d’assurer sa
victoire, une conscience nouvelle qui se résume ainsi : il n’y a
d’autre solution que le jihad.
Ce qui a contribué au développement de cette conscience, c’est
l’échec de tous les autres moyens qui se voulaient une échappatoire
au fardeau du jihad. À ce propos, l’expérience algérienne constitua
une sévère leçon : elle montra aux musulmans que l’Occident est
non seulement impie mais aussi menteur et hypocrite [10] , car les
principes dont il se rengorge ne sont bons que pour lui [11] , les
peuples musulmans ne pouvant en jouir qu’à la façon dont l’esclave
recueille les miettes du repas de son maître.
Car le FIS [12]  s’était comporté selon sa doctrine, conscient des
vérités historiques, en respectant les constantes de la politique,
l’équilibre des forces et les lois du commandement : il voulut passer
par les urnes pour pénétrer dans les palais présidentiels et les
ministères mais, à leurs portes l’attendaient des chars d’assaut, qui
pointaient leurs canons bourrés de munitions françaises vers ceux
qui avaient oublié les règles de la lutte entre le Bien et le Mal [13] .
Les coups de feu des officiers du « parti de la France » [14]  les firent
tomber des nues de leurs illusions au sol de la réalité [15] . Ayant cru
que les portes du pouvoir leur étaient grandes ouvertes, les
hommes du FIS furent stupéfaits de se voir poussés sous les portails
des prisons et des camps pour être jetés dans les cellules du nouvel
ordre mondial [16] .
Ce qui nous a mené à la conclusion que « le jihad est la seule
solution », c’est la férocité et l’injustice de la nouvelle croisade
judéo-chrétienne [17]  qui traite l’oumma par le comble du mépris ; le
musulman en général, et l’Arabe en particulier, ayant tout perdu et
étant menacé par tous les puissants, se trouve tel un agneau parmi
les loups.
On pourrait me rétorquer que je me contredis en parlant de
« réveil » [18]  jihadiste, après avoir décrit le désespoir qui se répand
parmi les dirigeants du mouvement. Ma réponse est simple : tout
mouvement connaît le flux et le reflux, mais c’est le résultat final
qui conduira le mouvement jihadiste à la disparition ou à la survie.
Grâce à Dieu, le mouvement jihadiste croît et embellit, en dépit de
phénomènes de recul qui peuvent se produire comme pour tout
être vivant qui grandit et se renouvelle.

II - Des devoirs impérieux


Le mouvement islamique en général et jihadiste en particulier [19] 
doit se préparer et éduquer ses membres à la patience, à la
fermeté ; l’attachement aux principes et à la direction doit
constituer un exemple pour ses partisans, car c’est la clé du succès.
{Ô vous qui croyez, soyez patients [20]  ! Encouragez-vous
mutuellement à la patience ! Soyez fermes ! Craignez Dieu ! Peut-
être serez-vous heureux !} [21]  Mais si des signes de renoncement et
de recul venaient à apparaître parmi les dirigeants, le mouvement
devrait trouver des moyens de les remplacer, et de les empêcher de
dévier du jihad [22] .
L’allégeance à la direction comme la reconnaissance de sa
précellence et de ses mérites est un devoir impérieux ainsi qu’une
valeur fondamentale. Mais lorsque la direction exige la
sanctification au lieu de l’allégeance et va au-delà de la
reconnaissance de ses mérites et de sa précellence pour prétendre à
l’impeccabilité, alors le mouvement risque d’être frappé de cécité
quant à ses méthodes, et n’importe quel défaut de direction peut
conduire à une catastrophe historique, non seulement pour le
mouvement, mais peut-être pour l’oumma tout entière [23] .
D’où l’importance de la question de la direction dans l’action
islamique en général, et jihadiste en particulier, comme l’ampleur
du besoin que ressent l’oumma d’une direction instruite,
combattante et consciente, à même de la conduire au but à travers
les tempêtes et les tornades, avec conscience et sagesse, sans
s’égarer, frapper à l’aveuglette, ni reculer.

De la mobilisation du mouvement
fondamentaliste
Mobiliser l’oumma pour la faire participer au combat, et se garder
d’engager un combat élitiste contre le pouvoir [24]  : le mouvement
jihadiste doit se rapprocher des masses, défendre leur honneur, les
protéger, les guider, les mener à la victoire, les précéder au
sacrifice, tenter de leur faire comprendre sa cause dans un style qui
rende la vérité accessible à tous ceux qui veulent la connaître,
rapporter les fondements de la religion et ses vérités simples sans
[25]
expressions difficiles ni constructions creuses   .
Notre mouvement jihadiste doit accorder son attention au travail
visant les masses, la prédication au sein de l’oumma, proposer des
services au peuple musulman, faire partager aux gens ses
préoccupations à travers toutes sortes d’œuvres charitables et
éducatives [26] . Nous ne devons pas laisser de place vacante ; nous
devons gagner la confiance des gens, leur affection et leur respect,
car ils ne nous aimeront que s’ils ressentent que nous les aimons,
nous soucions d’eux et les défendons. En somme, il faut que le
mouvement jihadiste entre dans la bataille au sein de l’oumma et
devant elle, et prenne bien garde à ne pas s’isoler de son oumma en
menant une lutte élitiste contre le pouvoir.
Nous ne pouvons reprocher à l’oumma de ne pas avoir réagi, de ne
pas en avoir fait davantage, sans prendre en considération notre
responsabilité lorsque nous n’avons pas assez communiqué,
n’avons pas saisi toutes les occasions ni été parfaitement clairs.
Le mouvement jihadiste doit faire participer l’oumma à son jihad, et
elle ne participera que si les slogans des moujahidines sont
compréhensibles pour les masses.
Le slogan que l’oumma a bien compris et auquel elle adhère, depuis
cinquante ans, est l’appel au jihad contre Israël. De plus, depuis une
décennie [27] , l’oumma est galvanisée contre la présence américaine
et a réagi favorablement à l’appel au jihad contre les Américains.
Un seul regard sur l’histoire des moujahidines en Afghanistan, en
Palestine et en Tchétchénie montre que le mouvement jihadiste a
conquis une position centrale à la tête de l’oumma quand il a pris
pour slogan la libération nationale contre ses ennemis étrangers, et
dépeint celle-ci sous les traits d’un combat de l’islam contre
l’impiété et les impies [28] .
Il est étrange que les laïcs [29] , qui ont causé tant de tort à l’oumma,
notamment dans le conflit israélo-arabe, qui ont entamé la longue
marche de la trahison en reconnaissant Israël dès l’armistice de
1949 [30]  - comme nous l’avons montré -, soient les plus bavards sur
la cause palestinienne. Mais ce qui est plus étrange encore, c’est que
les musulmans, qui sont les plus nombreux à se sacrifier pour
Jérusalem et qui sont ceux que leur conviction comme leur foi
empêchent de renoncer à toute part de la Palestine ou de
reconnaître Israël – ainsi que nous l’avons montré – sont en
revanche les moins enclins à adopter la cause palestinienne et à
faire entendre leurs slogans parmi les masses [31] .
L’occasion qui s’offre au mouvement jihadiste de conduire l’oumma
vers le jihad pour la Palestine est plus grande que jamais, car tous
les courants laïcs [32]  qui faisaient de la surenchère sur la cause
palestinienne et rivalisaient avec le mouvement islamique pour la
direction de l’oumma dans cette cause se sont découverts [33] , aux
yeux de l’oumma, en reconnaissant le droit à l’existence d’Israël, en
engageant des pourparlers et en se conformant aux décisions
internationales pour libérer ce qui reste du territoire palestinien –
ou ce qu’Israël veut bien abandonner (la seule différence résidant
dans la quantité de miettes qu’Israël laissera aux musulmans et aux
Arabes [34] ).
L’indéniable vérité c’est que la cause palestinienne est non
seulement de nature à embraser l’oumma depuis cinquante ans, du
Maroc jusqu’à l’Indonésie, mais encore que c’est la cause qui réunit
tous les Arabes [35] , croyants ou impies, bons ou mauvais [36] .

De petits groupes peuvent répandre la terreur


parmi les Américains
Au cours de ce jihad, apparaîtront au grand jour les positions des
gouvernants et de leurs partisans parmi les religieux, les
intellectuels, les juges et les membres des services de sécurité ;
alors, le mouvement islamique prouvera leur trahison aux masses
de l’oumma, il prouvera aussi que ce qui les y a conduits, c’est leur
idolâtrie [37] , car ils ont fait alliance avec les ennemis de Dieu, ils se
sont opposés aux moujahidines à cause de leur islam et de leur
jihad afin de servir les ennemis juifs et chrétiens de l’oumma,
commettant un péché envers l’unicité de Dieu [38] , faisant prévaloir
les idolâtres sur les musulmans à cause même de leur islamité.
On peut toujours suivre un Américain ou un Juif dans la rue puis le
tuer d’un coup de revolver ou de couteau [39] , avec un explosif de
fabrication artisanale, ou bien d’un coup de barre de fer ; mettre le
feu à leur propriété avec un cocktail Molotov n’est pas difficile. Avec
les moyens du bord, de petits groupes peuvent semer la terreur
parmi les Juifs et les Américains.
La bataille que doit mener le mouvement islamique en général, et
jihadiste en particulier, est celle de la prise de conscience au sein de
l’oumma :
- en dénonçant les gouvernants qui combattent l’islam ;
- en mettant en relief que, dans la doctrine musulmane, le
musulman doit obéir aux musulmans et ne pas faire
allégeance aux infidèles [40]  ;
- en faisant porter à chaque musulman la responsabilité de la
défense de l’islam, de ses lieux saints, de sa communauté et de
ses territoires [41]  ;
[42]
- en la mettant en garde contre « les oulémas du palais »   , en
rappelant à l’oumma que les oulémas du jihad [43]  et les
imams du sacrifice ont sur elle un droit, que son devoir est de
les soutenir et de les protéger ;
- en révélant l’ampleur de l’agression que subissent notre
religion et ses lieux saints, ainsi que l’importance du pillage
auquel sont soumises nos ressources ;
- enfin, en n’abandonnant pas l’objectif d’établir un État
musulman au cœur du monde musulman [44]  : le mouvement
jihadiste doit suivre un plan visant à s’établir sur un territoire
au sein du monde musulman et y édifier un État islamique
qu’il puisse défendre et, de là, mener sa lutte pour la
restauration du califat bien guidé [45]  à la manière du
Prophète.
Vers rétablissement d’une base [46] 
fondamentaliste au cœur du monde musulman
De même que la victoire des armées n’est effective que lorsque
l’infanterie occupe le terrain, de même la victoire du mouvement
islamique du jihad contre la coalition universelle ne sera réelle que
[47]
par la possession d’une base islamique    au sein du monde
musulman, et tous les moyens que nous avons passés en revue pour
mobiliser l’oumma et l’enrôler resteront vains tant qu’un califat ne
sera pas créé au sein du monde musulman [48] .
Nour al-Din [49]  et Saladin [50]  (que Dieu les garde !) ont mené des
dizaines de batailles afin que Nour al-Din puisse débarrasser Damas
des hypocrites [51]  puis unifier la Syrie sous sa direction. Ensuite, il
envoya en Égypte Saladin, qui mena bataille sur bataille afin de
soumettre l’Égypte ; une fois l’Égypte et la Syrie unifiées après la
mort de Nour al-Din, le sultan moujahid Saladin a pu l’emporter à
Hattin [52]  puis libérer Jérusalem. Et ce n’est qu’alors que la roue de
l’histoire s’est mise à tourner contre les Croisés [53] .
Si les opérations réussies contre les ennemis de l’islam et les graves
torts qui leurs sont infligés ne s’insèrent pas dans un plan visant à
établir un État islamique au sein du monde musulman, ils
demeureront, quelle que soit leur ampleur, de simples entreprises
de harcèlement, qui pourront être contenues puis dépassées, après
un laps de temps et malgré quelques pertes.
Certes, l’établissement d’un État islamique au sein du monde
musulman n’est pas une tâche aisée ni une entreprise facile, mais
c’est dans la restauration du califat que réside l’espoir de l’oumma.
Et si le but du mouvement jihadiste dans le monde musulman en
général, et en Égypte en particulier, est de contribuer à un réel
changement en établissant un État musulman, il ne doit ni
précipiter l’affrontement, ni retarder la victoire.
Le mouvement combattant doit préparer ses plans et rassembler
ses moyens, puis mobiliser ses partisans afin d’engager la bataille
au moment et à l’endroit qu’il aura choisi.
À ce point, une question extrêmement importante se pose : que se
passerait-il si le mouvement voyait ses membres découverts ou ses
plans révélés, si ses membres étaient emprisonnés, si l’existence du
mouvement était menacée, si la campagne d’arrestations et de
harcèlement engloutissait ses membres, ses moyens et ses
chefs [54]  ?
Pourrait-il se cacher devant la tempête, et se retirer du champ de
bataille à moindre coût ? Ou bien, la patience [55]  étant vaine et
menant à la défaite, devrait-on à tout prix occuper le terrain ?
Peut-être la réponse résidera-t-elle dans un compromis entre ces
deux éventualités, c’est-à-dire que le mouvement devra placer en
lieu sûr certains de ses membres et de ses chefs, mais que d’autres
subiront l’emprisonnement et l’oppression.
À mon avis, il faut que le mouvement place ce qu’il peut en lieu sûr
sans hésiter, ni atermoyer ni s’illusionner, car le plus grand risque
pour celui qui est encerclé serait de s’enfuir. Rien n’est plus dur que
de quitter sa famille, son emploi, son poste, son mode de vie
habituel pour l’inconnu, l’angoisse et une vie instable [56] .
Mais dès que les portes de la cellule se fermeront sur le prisonnier,
il regrettera de ne pas avoir mené une vie errante plutôt que de
connaître l’avilissement et l’humiliation de la détention.
Cependant, si le mouvement tout entier, ou partiellement, est
destiné à connaître une situation d’encerclement, et que sa chute
n’est plus qu’une question de jours ou d’heures, alors il doit, lui ou
l’une de ses branches, précipiter la confrontation contre le régime
afin que ses membres ne soient pas emprisonnés ou tués en vain.
Mais comment et contre qui mener cet affrontement ?
Ici, nous devons répéter ce que nous avons dit sur la composition
du nouvel ordre mondial anti-musulman et sa relation avec les
gouvernements en place dans nos pays, ainsi que ce que nous avons
affirmé au sujet du devoir de mobilisation de l’oumma dans la
bataille de l’islam contre l’impiété, comme ce contre quoi nous
avons mis en garde, à savoir que l’avant-garde musulmane soit tuée
en silence dans un combat opposant cette élite au pouvoir.

Frapper les Américains et les Juifs


Si les forces de l’oppression nous mènent à la bataille à un moment
que nous n’aurons pas choisi, nous devrons répondre sur le terrain
que nous aurons décidé : à savoir, frapper les Américains et les Juifs
dans nos pays. Cela présente trois intérêts :
- premièrement, nous portons un coup au maître qui protège
son valet ;
- deuxièmement, nous mettons l’oumma de notre côté, en
visant l’objectif qu’elle souhaite atteindre avec l’agresseur
dont elle pâtit ;
- troisièmement, nous montrons au peuple musulman que
lorsque le régime nous réprime, c’est pour défendre ses
maîtres américains et juifs, découvrant ainsi son affreux
visage, celui du policier vénal et dévoué aux occupants,
ennemis de l’oumma [57] .
Si notre objectif est le changement total et si notre voie est, comme
nous l’enseignent le Coran et notre Histoire, une longue marche de
jihad et de sacrifices, nous ne devons pas perdre l’espoir devant la
répétition des coups et la récurrence des catastrophes [58] , ni
déposer les armes quels que soient nos pertes et nos sacrifices.
Car souvenons-nous que les États ne s’écroulent pas subitement
mais de haute lutte.

Déplacer le combat chez l’ennemi [59] 


Notre mouvement islamique et son avant-garde jihadiste ainsi que
l’oumma tout entière doivent amener au combat les principaux
[60]
criminels : les États-Unis, la Russie    et Israël, plutôt que de les
laisser, de loin et en sûreté, mener la bataille entre le mouvement
jihadiste et nos gouvernements ; au contraire, il faut qu’ils paient, et
cher.
Les maîtres de Washington et de Tel-Aviv utilisent les
gouvernements pour défendre leurs intérêts afin qu’ils combattent
à leur place les musulmans. Mais si les éclats du combat
parviennent jusqu’à leurs domiciles et les atteignent, alors ils se
querelleront avec leurs agents. Ils seront dès lors face à une
alternative, dont les termes sont aussi amers l’un que l’autre : soit
mener eux-mêmes la bataille contre les musulmans, laquelle se
transformera en jihad déclaré contre les infidèles, soit reconsidérer
leurs plans après avoir reconnu l’échec de l’affrontement violent et
injuste avec les musulmans [61] .
C’est pourquoi nous devons déplacer le combat sur le terrain de
l’ennemi afin de brûler les mains de ceux qui allument l’incendie
chez nous [62] .
On ne peut mener un combat pour la fondation d’un État musulman
comme un combat régional. Au vu de ce qui précède, il est clair que
l’alliance judéo-croisée menée par les États-Unis ne permettra à
aucune force musulmane de parvenir au pouvoir dans aucun pays
musulman. Si jamais cela arrivait, elle mobiliserait toutes ses forces
pour l’abattre et la chasser du pouvoir, elle ouvrirait un champ de
bataille à l’échelle mondiale, et punirait tous ceux qui
soutiendraient la force en question, quand elle ne mènerait pas elle-
même la guerre. Donc, au vu de cette situation nouvelle, nous
devons nous préparer à un combat qui ne se limite pas à une région
mais implique l’ennemi intérieur apostat comme l’ennemi extérieur
judéo-croisé.
On ne peut reporter le combat contre l’ennemi lointain [63]  : au vu
de ce qui précède, il est clair que la coalition judéo-croisée ne nous
laissera pas de répit tant que nous n’aurons pas vaincu l’ennemi
proche puis que nous n’aurons pas déclaré le jihad contre elle, car
même les Américains, les Juifs et leurs alliés sont désormais
présents avec leurs forces [64] , comme nous l’avons montré.
L’union face à l’ennemi commun : notre mouvement jihadiste doit
comprendre que la moitié du chemin vers la victoire sera atteint
par son union, son unité et le dépassement des questions
mineures [65] , le sacrifice de soi et la prise en compte des intérêts de
l’islam au-dessus des conflits de personnes.
L’importance de l’unité du mouvement jihadiste est plus claire que
jamais. Il devra construire son union au plus vite, s’il est vraiment
désireux de vaincre.
Il faut se regrouper autour des États combattants et les soutenir. Le
premier de tous les devoirs est de soutenir et d’aider l’Afghanistan
et la Tchétchénie, les défendre par la parole, l’action et la
consultation, car ils constituent le vrai capital de l’islam à notre
époque [66] . C’est, comme nous l’avons vu, pour les écraser que la
croisade judéo-chrétienne s’est constituée. Mais nous ne devons pas
nous contenter de les conserver et devons faire tout notre possible
pour déplacer le combat au cœur du monde islamique [67] , qui
constitue le vrai champ de bataille pour la défense de l’islam.
D’ailleurs, ces deux citadelles imprenables [68]  pourraient ne pas
nous être très utiles pour plusieurs raisons, notamment
l’extraordinaire pression à laquelle elles sont soumises et leur
apparente faiblesse. C’est pourquoi il nous faut régler ce problème
par nous-mêmes plutôt que de les exposer davantage à la pression
et aux coups [69]  ; cela constitue peut-être un des grands problèmes
du mouvement jihadiste, mais aussi dur soit-il, il sera, avec l’aide de
Dieu, réglé. {Quant à celui qui craint Dieu, Dieu donnera une issue
favorable à ses affaires ; il lui accordera ses dons par des moyens
sur lesquels il ne comptait pas.} [70] 

Du choix des cibles et de l’importance des


opérations-martyre [71] 
Changer de style de provocation et d’attaque : le mouvement
islamique du jihad doit multiplier ses attaques et ses moyens de
résistance envers ses ennemis afin de faire face à leur
augmentation extraordinaire, à la qualité de leurs armes, à leur
puissance de destruction, à leur mépris de tous les interdits, et
même des lois de la guerre.
Il faut :
1. prendre soin de provoquer le plus de dégâts chez l’ennemi, tuer
le plus de gens [72] , car c’est le seul langage que comprenne
l’Occident ; quoi que coûtent ces opérations en effort et en
temps ;
2. se concentrer sur les opérations-martyre, qui sont les plus aptes à
infliger des pertes à l’ennemi et les moins coûteuses en
moujahidines ;
3. choisir les cibles ainsi que le type d’arme utilisée de telle sorte
qu’elles atteignent les points sensibles de l’ennemi afin de le
dissuader de toute oppression, mépris et violation de toutes les
coutumes et choses sacrées, et que, grâce à ce combat, il
reprenne sa place normale ;
4. réaffirmer que, à ce stade de la lutte, se limiter à l’ennemi
intérieur serait vain.
Notre bataille est celle de tout musulman : et ce qu’il faut
réaffirmer, c’est que ce combat qu’il faut mener pour la défense de
notre foi, de notre oumma, de nos lieux saints, de notre honneur, de
nos valeurs, de nos richesses et nos biens, est celui de tout
musulman, petit ou grand, jeune ou vieux. C’est une lutte qui touche
chacun de nous dans son travail, sa famille, ses enfants et sa
[73]
dignité   .
Pour se mettre en branle, les masses ont besoin :
1. d’une direction dans laquelle elles ont confiance, qu’elles suivent
et dont elles comprennent le discours ;
2. d’un ennemi bien défini envers lequel diriger leurs coups ;
3. de rompre la chaîne de la crainte et les liens de l’impuissance.
Ces conditions nous montrent les conséquences désastreuses de ce
que l’on appelle l’initiative d’arrêt de la violence [74] , et d’autres
appels visant à discréditer la direction du mouvement et à ramener
l’oumma à l’impuissance et à la crainte.
Afin de le démontrer, demandons-nous : quels hauts faits pourrons-
nous relater aux nouvelles générations [75]  ?
Leur raconterons-nous que nous avons pris les armes contre nos
ennemis puis que nous les avons déposées, et leur avons demandé
d’accepter notre reddition ?
Du point de vue du jihad, de quelle valeur pourront tirer parti ces
générations ?
Faire passer notre message aux masses de l’oumma et briser
l’embargo médiatique imposé au mouvement jihadiste [76] , c’est une
bataille indépendante que nous devons mener de front avec la
bataille militaire.
Libérer l’oumma, attaquer les ennemis de l’islam et mener contre
eux le jihad exige un pouvoir islamique, sur un territoire
musulman, qui dresse l’étendard du jihad et regroupe autour de lui
les musulmans. Si cet objectif n’est pas atteint, notre action se
limitera à de simples opérations de harcèlement qui ne porteront
pas leurs fruits : la restauration du califat, et le départ des
envahisseurs des terres d’islam.
Cet objectif doit être le but principal du mouvement islamique,
quels que soient les sacrifices qu’il nécessite, quel que soit le temps
qu’il demande et quoi que nous endurions pour l’atteindre.

Notes du chapitre
[1] ↑ Ce texte a été publié à partir du 2 décembre 2001 sous forme de feuilleton dans le
quotidien panarabe à capitaux saoudiens Al-Sharq al-Awsat. Le texte originel d’al-Zawahiri
y a néanmoins été entrecoupé de commentaires ajoutés par le journal (et a peut-être été en
partie récrit), de telle sorte qu’il est parfois difficile de déterminer si telle phrase ou tel
titre est bien d’al-Zawahiri, ou si c est le journaliste qui parle à sa place. Le quotidien
indique laconiquement en introduction que le texte d’origine lui est parvenu par
l’intermédiaire d’un militant jihadiste égyptien du nom d’A. S., proche d’al-Zawahiri, qui le
lui aurait confié dans une grotte afghane de la région de Qandahar. A. S. a pu transporter
le document jusqu’à Peshawar, d’où il est arrivé à Londres. Sur ce texte, voir G. Kepel,
Fitna. Guerre au cœur de l’islam, op. cit., p. 124-130.
[2] ↑ Ces trois entités, « les systèmes internationaux de communication, les agences
d’information internationales et les chaînes par satellite » forment un triptyque essentiel à
Al-Qaida, dont les idéologues semblent considérer le contrôle de l’information, ou du
moins sa subversion (par le terrorisme et la monopolisation du prime-time), comme un
objectif central de leur stratégie.
[3] ↑ Le terme employé ici pour fondamentaliste est [usûlî], qui est formé sur [usùl], les
fondements. Ce néologisme, fréquemment utilisé par les médias pour désigner la
mouvance islamiste, n’est en général pas repris par les islamistes eux-mêmes, qui le
rejettent. Il serait donc étonnant de voir al-Zawahiri l’employer ici comme tel. Deux
explications sont possibles : soit c’est une marque d’ironie, soit il s agit d’une paraphrase
du journaliste.
[4] ↑ Il y a là un renversement par rapport à la logique classique : désormais, le cœur du
monde musulman se retrouve dans sa périphérie, ou plutôt dans les pays de la ligne de
front. Ce déplacement géographique du centre représentatif du monde musulman du
Moyen-Orient aux zones périphériques où se déroule le jihad est à mettre en relation avec
le déplacement théorique du dogme, qui fait du jihad un pilier central de l’islam.
[5] ↑ Al-Zawahiri décrit ici un nouveau monde bipolaire, succédant au monde bipolaire
de la guerre froide : il y aurait, d’un côté, « l’alliance judéo-croisée », de l’autre, « l’alliance
fondamentaliste ».
[6] ↑ En arabe, [imbarâtûriyya]. Le texte prend ici des accents marxistes.
[7] ↑ Le Turkestan oriental est le nom traditionnellement donné au Xinjiang, région la
plus occidentale de la Chine, où vivent les musulmans Ouighours. Dans les années 1940,
une éphémère république indépendante y a vu le jour, avant d’être soumise de nouveau
par Pékin.
[8] ↑ Définition élargie des terres majoritairement peuplées de musulmans. Le terme [al-
andalus] employé ici désigne en fait plus généralement l’Espagne, reprise aux musulmans
entre le XIe et le XVe siècles par les vagues successives de la Reconquista. Les deux « bords »
du monde musulman, Andalousie et Turkestan, ont donc été perdus.
[9] ↑ Il existe de nombreux exemples d’islamistes radicaux qui ont quitté leur famille –
non seulement leurs parents, mais souvent aussi leur femme et leurs enfants – pour se
joindre au jihad. Par exemple, le journal saoudien publié en anglais, Arab News, écrit le
10 mai 2003 sur l’un des jihadistes saoudiens : « Le père de Mohammad Othman Al-Shahri
(…) a dit que son fils avait pris part à la guerre d’Afghanistan sans sa permission. Shahri
(…) a quitté son domicile à Namas deux semaines avant le Hajj avec sa femme pour faire le
pèlerinage, mais il n’est pas revenu. Sa femme est revenue avec son frère il y a deux jours,
a déclaré le frère de Shahri, Awad. » Le même journal écrit le 25 décembre 2003, au sujet
d’un autre militant : « Talal Anbari, 27 ans, originaire de Taef. Élève moyen, il a quitté
l’école après le brevet, a été porté disparu par sa famille quelques mois plus tard et n’a pas
été revu depuis. »
[10] ↑ La majorité des États occidentaux, dont la France, ont avalisé le coup d’État
militaire algérien de 1992, au grand dam des partis et mouvements islamistes, qui y ont vu
un démenti cinglant aux déclarations de bonnes intentions démocratiques émises par les
capitales occidentales au lendemain de la chute du mur de Berlin.
[11] ↑ Comme nous allons le voir par la suite, al-Zawahiri fait ici allusion aux principes de
la démocratie.
[12] ↑ Front islamique du salut ([al-jabha al-islâmiyya li-l-inqâdh]).
[13] ↑ Après la victoire du Front islamique du salut (FIS) aux élections municipales de juin
1990 et à la veille de sa victoire attendue au second tour des élections législatives prévu
pour janvier 1992, le processus électoral fut arrêté sur ordre des généraux et le FIS vit son
existence remise en cause par les autorités, ce qui déboucha sur une reprise en main du
pouvoir par l’armée et le début d’une longue guerre civile. Al-Zawahiri rend ici le FIS
responsable de cet échec, puisqu’il a choisi pour parvenir au pouvoir de jouer le jeu des
élections, ce qui constitue dans tous les cas une violation du dogme.
[14] ↑ Il s’agit d’une accusation récurrente dans le lexique politique algérien héritée de la
période coloniale. Elle désigne ici les élites francophones, au pouvoir depuis 1962.
[15] ↑ Les illusions sont la croyance en la démocratie et en l’équité des autorités, la réalité
est le jihad. Il ne s’agit pas seulement d’illusion et de réalité stratégiques, mais bien du
fondement de la religion, qui aurait été dévoyé par ceux qui ont cru au jeu démocratique.
[16] ↑ Il s’agit de l’époque qui s’ouvre avec la fin de l’URSS, et où l’ennemi de l’Occident
devient désormais la mouvance islamiste. Al-Zawahiri fait de l’expérience algérienne un
révélateur de cette nouvelle période. Il se moque peut-être également ici des connotations
positives, en Occident, du terme « nouvel ordre mondial » tel qu’il a été employé par le
président George Bush père après la guerre du Golfe en 1991.
[17] ↑ En arabe, [hamla salîbiyya yahûdiyya jadîda].
[18] ↑ En arabe, [sahwa], qui désigne plus généralement le « renouveau islamique » dont
les islamistes se veulent les fers de lance.
[19] ↑ Il n’est pas clair si c’est al-Zawahiri ou le journaliste d’Al-Sharq al-Awsat qui fait
cette distinction entre la mouvance islamiste et la mouvance jihadiste, très rare dans la
littérature jihadiste, qui, en général, divise le champ en une mouvance islamiste ([haraka
islâmiyya]) et une avant-garde ([talî‘a]).
[20] ↑ Nous trouvons ici l’une des origines coraniques de l’importance donnée, dans la
littérature jihadiste, à la patience ([al-sabr]) et l’endurance dans le jihad.
[21] ↑ Coran, 3/200.
[22] ↑ Le mouvement a donc atteint, pour al-Zawahiri, le degré suffisant de maturité pour
se passer de ses dirigeants et avancer de lui-même. Al-Zawahiri rompt ici avec le discours
marxisant sur la prééminence stratégique de l’avant-garde, qui doit conduire le
mouvement et fixer ses impératifs.
[23] ↑ Au moment où il écrit ce livre, avant l’automne 2001, al-Zawahiri est conscient du
bouleversement que va entraîner l’invasion américaine de l’Afghanistan pour le réseau Al-
Qaida. Peut-être est-il aussi conscient du mécontentement chez certains, dans l’entourage
de Ben Laden, provoqué par la décision prise par la direction d’Al-Qaida d’attaquer New
York et Washington, puisque celle-ci va entraîner la perte de l’Afghanistan, leur « base
solide » depuis 1996. Dans un livre écrit en 2004 par un membre proche de Ben Laden et
al-Zawahiri en Afghanistan, nous lisons : « Les derniers mois de l’organisation Al-Qaida
constituent l’exemple tragique d’un mouvement islamique très mal géré. Tout le monde
savait que leur leader [Ben Laden] les menait vers l’abysse, et qu’il menait même le pays
entier vers la destruction, mais ils ont continué à exécuter ses ordres » (Al-Sharq al-Awsat,
9 décembre 2004).
[24] ↑ Al-Zawahiri critique implicitement, la stratégie suivie par sa propre organisation,
Al-Jihad, depuis des années, celle du coup d’État. L’intertitre semble un ajout du
journaliste.
[25] ↑ Là encore, une rhétorique qui rappelle les pamphlets marxistes…
[26] ↑ Il faut ici souligner l’importance de l’action caritative dans l’activité de l’ensemble
des mouvements islamistes, des Frères musulmans aux mouvements plus radicaux. Cette
activité, qui se fonde initialement sur l’obligation coranique de bienfaisance, en est même
venue, pour des mouvements souvent privés de participation au jeu politique national, à
être le principal mode de recrutement et de constitution d’une base populaire. C’est
notamment vrai pour les Frères musulmans égyptiens et le Hamas palestinien. C’est de
leur exemple que veut ici s’inspirer al-Zawahiri, à cette différence près que son
mouvement n’est plus national mais mondial.
[27] ↑ Al-Zawahiri fait ici référence à la présence de troupes américaines en Arabie
saoudite depuis la guerre du Golfe, perçue comme une occupation.
[28] ↑ Encore une fois, il serait intéressant de savoir si c’est al-Zawahiri lui-même qui
parle. Si c’est le cas, on peut noter le recul remarquable de ce dernier dans son acceptation
que certains conflits de libération nationale ont été présentés – pour des raisons
stratégiques – comme des expressions d’un conflit mondial entre l’islam et les impies.
[29] ↑ En arabe, [‘ilmânî]. L’étymologie du terme est assez discutée : de [‘âlam], monde, de
[‘ilm], science, ou plus probablement de [‘alam], individu ou personne, et désignant en
araméen plus spécifiquement les membres laïcs d’un ordre religieux chrétien. Le terme est
ici employé en tant qu’invective à l’adresse de toute force politique qui ne se réclame pas
d’un système de valeurs religieux. C’est l’un des mots les plus utilisés par les islamistes
pour discréditer leurs ennemis politiques, qu’ils soient marxistes, nationalistes ou
libéraux.
[30] ↑ Les accords, d’armistice de la première guerre israélo-arabe furent signés entre
Israël et quatre pays arabes (Égypte, Liban, Jordanie et Syrie) sur l’île de Rhodes, en Grèce,
de février à juillet 1949. Les traités de paix correspondants ne furent en revanche jamais
signés.
[31] ↑ Al-Zawahiri semble ici prendre conscience des reproches dont la mouvance
jihadiste mondiale a fait l’objet à ce sujet, surtout depuis l’Intifada d’al-Aqsa en 2000, selon
lesquels Ben Laden et Al-Qaida auraient auparavant considéré comme secondaire la lutte
contre Israël.
[32] ↑ Ici, l’auteur désigne deux réalités : d’une part, les États arabes laïques (l’Égypte de
Nasser puis de Sadate, ainsi que, dans une moindre mesure, la Syrie baathiste, qui, sans
engager de pourparlers directs avec Israël, s’est montrée prête sous certaines conditions à
ouvrir des négociations), et d’autre part, les mouvements de libération d’obédience
gauchiste et nationaliste arabe (MNA, FPLP, FDLP). L’OLP, puis l’Autorité palestinienne qui en
a découlé après les accords d’Oslo, participe des deux catégories.
[33] ↑ Ces mouvements et États ont construit leur légitimité en se posant en champions de
la lutte contre Israël. Leur changement d’attitude ne peut donc se traduire, pour al-
Zawahiri, qu’en une perte de cette légitimité aux yeux des populations, offrant au
mouvement jihadiste une place à prendre.
[34] ↑ L’ordre des identités ici n’est pas surprenant, ce qui l’est plus, en revanche, est que
l’identité arabe ne soit pas noyée dans l’identité islamique, mais bien affirmée.
[35] ↑ Cette nouvelle référence à l’arabité confirme la remarque précédente.
[36] ↑ La cause palestinienne présente donc l’opportunité pour le mouvement de rallier
jusque dans les cercles laïcs. Al-Zawahiri fait ici preuve d un certain œcuménisme
rhétorique, paraissant ne pas se soucier des qualités morales de ceux qu’il cherche à
recruter.
[37] ↑ Littéralement : [chirk], ou association d’une idole à Dieu, l’un des péchés majeurs
selon le dogme musulman. Ici, il s’agit en l’occurrence de l’acceptation d’un pouvoir non
religieux, soumis à l’Occident, qui constitue un acte d’associationnisme remettant en cause
la souveraineté unique de Dieu.
[38] ↑ Pour le [tawhîd], voir al-Zawahiri, La Moisson amère…, note 4, p. 242.
[39] ↑ Ce genre d’attaque s’est produit à plusieurs reprises depuis 2001, par exemple lors
du meurtre du diplomate américain Lawrence Foley à Amman en octobre 2002, puis s est
étendu à tout Occidental avec la vague d’assassinats ciblés en Arabie saoudite entre mai et
septembre 2004, ou encore avec le meurtre du cinéaste Theo Van Gogh à Amsterdam en
novembre 2004.
[40] ↑ Voir L’Allégeance et la Rupture, p. 311.
[41] ↑ Sur le concept de devoir individuel [fard ‘ayn], voir note 45, p. 146 dans Abdallah
Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[42] ↑ L’expression « les oulémas de palais » ([‘ulamâ’ al-halât]) est utilisée par les
islamistes pour discréditer les oulémas perçus comme inféodés au politique, donnant leur
blanc-seing systématique au « prince ».
[43] ↑ Le terme « oulémas du jihad » ([‘ulamâ’ al-jihâd]) est un concept nouveau, qui
semble répondre au précédent. Il désigne les oulémas (et les idéologues de même statut)
ayant pour principale fonction de guider les groupes islamistes radicaux et de légitimer
leurs actions. Dans la mouvance jihadiste globale actuelle, nous trouvons par exemple les
noms d’Abou Mohammad al-Maqdissi, Abou Basir al-Tartoussi, Hamid al-Ali et bien
d’autres personnages. Un grand nombre de ces « oulémas du jihad » ont été arrêtés ou
réduits au silence depuis les événements de septembre 2001, comme Abou Qatada al-
Filastini, emprisonné entre octobre 2002 et mars 2005 en Angleterre, ou Nasir al-Fahd et
Ali al-Khudayr, emprisonnés en Arabie saoudite depuis juin 2003.
[44] ↑ On retrouve ici implicitement l’idée qotbienne qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle,
d’État musulman.
[45] ↑ Le califat a été aboli par Mustafa Kamal Atatürk en mars 1924, six ans après la fin
de l’Empire ottoman. Ce n’est cependant pas ici au califat ottoman que fait référence al-
Zawahiri (dans son obsession d’un retour aux premiers temps de l’islam), mais aux califes
« bien guidés » ([al-khulafâ’ al-râchidûn]), les quatre premiers califes de l’islam, ainsi
nommés par les sunnites : Abou Bakr (632-634), Omar (634-644), Othman (644-656) et Ali (à
partir de 656, déposé en 659 et tué en 661). La réalité historique est moins glorieuse : les
trois derniers furent assassinés, et dès le règne d’Omar, les prodromes de la [fitna]
(sédition) étaient enclenchés.
[46] ↑ En arabe, [al-qâ’ida]. Le terme est source de malentendus et d’interprétations
diverses : il signifie base, aussi bien dans son acception physique (base territoriale),
qu’immatérielle (base de donnée) ; un autre sens du terme est « norme », « règle »
(grammaticale ou juridique). Voire l’introduction à Ben Laden. Cet intertitre semble, ici
encore, provenir de la rédaction du quotidien.
[47] ↑ Nous retrouvons l’idée de base territoriale, si centrale dans l’œuvre de Abdallah
Azzam. Voir note 10, p. 154 dans Azzam, Rejoins la caravane !
[48] ↑ Le thème de la restauration du califat est assez rarement abordé, sous cette forme,
chez les idéologues de la mouvance Al-Qaida. Non que ceux-ci s’y opposent – ils l’appellent
de leurs vœux –, mais ils la considèrent comme une réalité lointaine et se concentrent
surtout sur l’action présente ; en ce sens, leur projet politique demeure très flou, se
limitant à demander « la mise en application de la loi de Dieu » (sans réflexion sur sa
nature réelle). Ici, al-Zawahiri rompt donc avec le discours habituel de la mouvance. Il
rappelle par là les positions d’un autre mouvement fondamentaliste, mais s’affichant celui-
ci comme non violent, le Hizb al-Tahrir, qui place la restauration du califat en tête de ses
priorités, estimant que celle-ci est un préalable à toute autre action.
[49] ↑ Nour al-Din (1146-1174) : émir turc qui dirigea la lutte contre le royaume latin de
Jérusalem à partir de son royaume situé au nord de la Syrie. Parallèlement à cela, Nour al-
Din lança le vaste mouvement intellectuel de renaissance du sunnisme que devait
continuer Saladin, en fondant plusieurs écoles [madrasa] religieuses dans les villes du
Levant pour combattre les courants intellectuels chiites.
[50] ↑ Saladin ([salâh al-dîn al-ayyûbî]), vassal kurde de Nour al-Din, né en Mésopotamie.
Après avoir mené des expéditions contre les croisés pour protéger l’Égypte, il renversa le
califat fatimide (d’obédience chiite), se déclara sultan de l’Égypte (1171) puis de la Syrie
(1174) et du nord de la Mésopotamie (1186). Il triompha des croisés à Hattin et reprit
Jérusalem (1187). Il mourut à Damas en 1193. Saladin reste le modèle du libérateur et de
l’unificateur du Moyen-Orient. Mais il est aussi connu, comme son prédécesseur Nour al-
Din, pour avoir uni l’action militaire à l’action intellectuelle (en particulier par
l’encouragement à la renaissance du sunnisme).
[51] ↑ En arabe, [munâfiqûn], terme coranique désignant les adversaires de Mohammad
parmi les nouveaux convertis à Pislam ; désigne ici la dynastie bouride ayant fait alliance
avec les croisés.
[52] ↑ Défaite croisée face à l’armée de Saladin, le 4 juillet 1187 en Galilée, qui provoqua
la disparition du royaume latin de Jérusalem. Voir note 25, p. 190.
[53] ↑ La fin de la présence croisée sur le littoral syro-palestinien n’advint qu’un siècle
après Hattin, avec la chute d’Acre en 1291. Al-Zawahiri signifie par là qu’il s’agit d’une
rupture qui ouvre une ère nouvelle, et que la victoire finale ne suit pas immédiatement la
première victoire stratégique. Ainsi se comprend l’injonction, faite quelques lignes plus
loin, à ne pas « précipiter l’affrontement ».
[54] ↑ Al-Zawahiri pense ici à deux choses : d’abord, à sa propre expérience dans le Jihad
islamique égyptien, lequel a, à plusieurs reprises, failli être annihilé par la répression
égyptienne : au lendemain de l’assassinat de Sadate, puis en 1995 après la tentative
d’assassinat contre le président Hosni Moubarak. Mais il est également conscient des
problèmes liés à la perte d’une partie importante des effectifs de la mouvance jihadiste à la
suite de la répression consécutive aux attentats du 11 septembre 2001.
[55] ↑ Sur la patience, [al-sabr], voir Abdallah Azzam, p. 143, dans La Défense des
territoires musulmans.
[56] ↑ Cette stratégie de placement d’une partie du mouvement – en particulier de ses
chefs – en lieu sûr est aujourd’hui suivie par Al-Qaida, puisque Ben Laden et al-Zawahiri se
trouvent dans un endroit indéterminé (peut-être dans les zones tribales entre le Pakistan
et l’Afghanistan), à partir duquel ils assurent la pérennité du mouvement sans participer
aux opérations sur le terrain. Mais le véritable refuge est surtout constitué par l’espace
médiatique, sanctuaire imprenable régi par la seule loi de l’audimat.
[57] ↑ De nouveau, l’auteur fait allusion à cette pédagogie par l’exemple qui semble être
l’une des motivations de l’action d’Al-Qaida : l’attaque doit mettre en relief et actualiser ce
qui n’est qu’implicite, à savoir la rupture franche et totale qui existe au Moyen-Orient
entre les régimes et les peuples qu’ils gouvernent, et qui n’apparaît clairement que si l’on
met en demeure les gouvernements de choisir entre leurs alliés occidentaux et les intérêts
ou la volonté supposée du peuple, telle qu’Al-Qaida l’exprime.
[58] ↑ La « répétition » et la « récurrence » ne sont pas des motifs de découragement : la
périodicité et la résurgence d’obstacles constituent le moteur de l’Histoire universelle telle
que définie par les jihadistes et participent de la constitution de cet habitus de la patience
et de la persévérance face à l’adversité.
[59] ↑ Al-Zawahiri sait bien que déplacer le combat chez l’ennemi est une solution
extrême. À ce propos, ibn Taymiyya dit : « L’ennemi agresseur […] Rien n’est plus
nécessaire après la foi que de le repousser. […] mais il faut faire la différence entre
repousser l’ennemi infidèle agresseur et l’affronter dans son pays. »
[60] ↑ En dépit de l’importance accordée à la guerre en Tchétchénie dans le discours de la
mouvance jihadiste internationale, la Russie est en fait rarement citée comme un ennemi
du même statut que les États-Unis et Israël.
[61] ↑ « Guerre aux palais, paix aux chaumières. » Al-Zawahiri juge ici inutile de
s’attaquer à l’ennemi proche (gouvernements du Moyen-Orient). Il faut plutôt mettre
l’ennemi lointain (Washington principalement) en demeure d’expliciter sa stratégie. Cette
volonté de simplification, de dualisation du combat, et de dissipation de toute mauvaise foi
est récurrente chez Zawahiri et Ben Laden : pour eux, il ne sert à rien d’user de tortueuses
tactiques et de jeux d’alliance, tant que les figures de l’ennemi et de l’ami n’auront pas
émergé clairement aux yeux du public musulman. D’où encore l’importance des médias,
qui ont un rôle à jouer dans cette entreprise avant tout pédagogique et d’éveil des masses.
[62] ↑ Cette phrase constitue la conclusion de l’analyse stratégique qui mena aux
attentats de New York et Washington en septembre 2001.
[63] ↑ Al-Zawahiri reprend ici la distinction entre « l’ennemi proche » ([al-‘aduw al-qarîb])
et « l’ennemi lointain » ([al-‘aduw al-ba‘îd]) qu’avait faite l’idéologue du jihad islamique
égyptien Abd al-Salam Faraj dans son livre L’Impératif occulté publié en 1981. Cependant,
al-Zawahiri inverse les priorités du combat : alors que Faraj conclut que le jihad contre
« l’ennemi proche » est le plus important, al-Zawahiri avance que c’est « l’ennemi
lointain » qui doit être combattu en premier. On peut comparer cette rhétorique avec celle
exprimée dix ans plus tôt dans La Moisson amère (voir p. 243).
[64] ↑ C’est notamment le cas en Arabie saoudite depuis le mois d’août 1990.
[65] ↑ C’est tout le paradoxe du mouvement salafiste jihadiste qui, politiquement, a
besoin de dépasser les questions mineures pour rassembler le plus largement possible,
mais qui, socialement, s’en montre quelquefois incapable, car attaché à un islam d
inspiration wahhabite, qui rejette toute autre forme d’islam. En Irak, la violence anti-chiite
de Zarqawi montrera la difficulté d’un tel projet de rassemblement.
[66] ↑ Mais l’une et l’autre de ces bases ont été perdues après le 11 septembre 2001 (la
Tchétchénie était en voie de l’être depuis 1999).
[67] ↑ La Tchétchénie et l’Afghanistan, situés dans la périphérie du monde islamique et
extérieurs au monde arabe, ne constituaient pas la meilleure des bases pour « libérer » la
péninsule Arabique et la Palestine. C’est pourquoi la mouvance jihadiste a considéré la
guerre américaine contre l’Irak comme une occasion inespérée de rapatrier le jihad au
cœur du monde arabe et musulman.
[68] ↑ La Tchétchénie et l’Afghanistan.
[69] ↑ Les attentats du 11 septembre 2001 vont contre cette mise en garde, puisqu’ils ont
mené à une intensification des « coups » portés sur les deux pays.
[70] ↑ Coran, 65/2,3.
[71] ↑ En arabe, [‘amaliyyât istichhâdiyya], littéralement « opérations-martyre ». La
formule apparaît avec les opérations-suicide du Hizbollah libanais au début des années
1980 et devient courante avec les opérations du Hamas palestinien à partir de 1995.
Certains médias arabes préfèrent l’expression « opération suicide » ([‘amaliyya
intihâriyya]) pour éviter de légitimer cette tactique. Le choix entre les expressions
« opération martyre » et « opération suicide » est donc devenu aujourd’hui une question
politique. Le terme « opération martyre » est d’une grande limpidité : le martyr, comme
cheminement intérieur ou destinal, se retrouve pris dans un processus de rationalisation
quasi industriel. Cette conjonction du mystique et de l’opérationnel est très représentative
de toute la culture jihadiste contemporaine, qui, dans ses excès discursifs et politiques, ne
peut occulter cette essence industrielle et très désenchantée qui l’habite.
[72] ↑ L’auteur prend la mesure des changements intervenus dans les sociétés
contemporaines : les dégâts se mesurent en quantité de victimes visibles, d’où parfois la
tendance à considérer les attentats des groupuscules qui se réclament d’Al-Qaida comme
mus par une violence aveugle, alors que l’objectif est plutôt de mettre en scène une
violence aveugle pour monopoliser les médias.
[73] ↑ Extension tous azimuts du domaine de la lutte : spatialement, il ne faut plus se
limiter à l’ennemi intérieur, et au niveau individuel et micro-social, il faut transformer le
moindre aspect de la vie quotidienne en un jihad permanent.
[74] ↑ Cette initiative a été lancée dès l’été 1997 par d’anciens membres du Groupe
islamique ([al-jamâ‘a al-islâmiyya]) égyptien, emprisonnés depuis le début des années
1980. En 1999, l’initiative est adoptée par la totalité des chefs historiques du mouvement,
en Égypte et à l’étranger, et en 2002, quatre ouvrages sont rédigés dans lesquels les
théoriciens du mouvement révisent, textes religieux à l’appui, leurs positions premières.
Cette initiative est en revanche très critiquée par d’autres figures de l’islamisme radical
égyptien, en tête desquels Ayman al-Zawahiri (voir l’introduction à al-Zawahiri).
[75] ↑ Personnages médiatiques par excellence, al-Zawahiri comme Ben Laden songent
continuellement à leur geste, comme exemple d’action et comme « hauts faits » qu’il s’agit
de laisser à la postérité. D’où l’importance donnée aux scénarios de leurs actions, aux
mises en scène de leurs déclarations, etc.
[76] ↑ La scène médiatique est donc considérée comme étant d’une importance
équivalente à la scène militaire. Cependant, bien que l’auteur distingue entre les deux
batailles, on peut se demander s’il ne s’agit pas de faire de la bataille médiatique une méta-
bataille qui engloberait le militaire, puisque, pour briser le monopole de l’information, il
faut figurer la violence, et donc faire de la scène militaire une scène médiatique.
Extraits de L’Allégeance et la Rupture
Un article de foi altéré et une réalité
perdue de vue [1] 
Ayman al-Zawahiri
Chawal 1423/décembre 2002.

A
[2]
u nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux   .
Les dernières décennies de l’histoire de l’oumma ont été celles
d’un conflit acharné opposant les forces de l’impiété, de l’injustice et
de l’arrogance à l’oumma et à son avant-garde combattante [3]  ; ce
conflit a atteint son apogée avec les deux attaques bénies [4]  contre
New York et Washington, puis l’annonce par Bush de sa nouvelle
croisade [5]  contre l’islam, ou ce qu’il a appelé sa guerre contre la
terreur.
Au vu des événements de cette guerre, apparaissent, premièrement,
le besoin pressant de comprendre l’importance de la doctrine de
l’allégeance et de la rupture dans l’islam, alors que ce fondement
indispensable de la doctrine musulmane a été négligé et oublié [6] , et
deuxièmement, l’ampleur de la tromperie des ennemis de l’islam,
de leurs serviteurs et valets envers les masses de l’oumma lorsqu’ils
tentent de miner les bases de ce fondement solide, en faisant
apparaître les ennemis comme des alliés [7]  et passer les bons pour
des méchants.
Parallèlement à leur croisade militaire, ces ennemis mènent une
opération de brouillage intellectuel et dogmatique [8] , en essayant
de rapiécer les lambeaux des régimes de nos pays en dépit de leur
corruption, de leur dépravation et de leur servilité face aux forces
internationales de l’oppression judéo-croisée.
Cette croisade qui vise à effacer les limites entre le Vrai et le
Faux [9] , à mêler les ennemis et les alliés, vise aussi – dans sa fébrile
tentative de contrer la croissance de la vague islamique
combattante – à camoufler la réalité de l’abandon, de la
dépendance, de la soumission à d’autres que Dieu, du
gouvernement selon une autre loi que la Sienne, sans compter la
dénaturation de l’appel à la vérité, au jihad et à l’honneur dont ont
fait leur étendard les avant-gardes de l’oumma et ses partisans,
[10]
ainsi que les masses qui les entourent   .
Plus se renforce l’appel au jihad, à la vérité et à l’honneur, plus
s’enhardit face à eux l’appel à l’erreur, à l’inaction et à
l’avilissement, au point que ses promoteurs n’ont pas eu honte
d’adopter les idées des anciens extrémistes mourjites [11] , bien qu’ils
affirment haut et fort être les défenseurs de la religion des ancêtres
et des premiers siècles vertueux [12] . Ils n’ont pas hésité à faire leurs
les thèses des laïcs corrompus, bien qu’ils prétendent être les
gardiens de la loi révélée et ses défenseurs. Pour eux, il n’y a aucun
mal à être à la fois fonctionnaire [13] , militaire ou membre des
services de sécurité, journaliste ou juge, partisan de la laïcité,
prêchant la reconnaissance d’Israël et la reddition à sa force, et,
dans le même temps, un pieux musulman craignant Dieu, qui jeûne,
prie, accomplit le pèlerinage et verse l’aumône légale.
C’est ainsi que nous avons vu la plus noble des dynasties [14] , s’étant
mise au service des intérêts américains, prétendre défendre la
doctrine de l’unicité de Dieu ; nous avons vu des imams impies [15] 
imposer les constitutions laïques, légiférer selon le droit positif, se
précipiter pour normaliser les relations avec Israël, tout en
dirigeant des concours de récitation du Coran [16]  parmi les
étudiants d’universités où le port du voile est interdit ; nous avons
vu les plus cruels bourreaux des musulmans accomplir le petit et le
grand pèlerinage [17]  ; nous avons vu les brigands afghans se mettre
à la solde des Américains [18] , lesquels les poussent devant eux pour
affronter les moujahidines, en tirant bon augure des uniformes des
martyrs et de la poussière qui recouvre leurs tombes ! Comme l’a
dit le cheikh de l’islam ibn Taymiyya [19]  (que Dieu ait son âme !) à
propos des Mongols : « Jusqu’à ce que les gens constatent
l’importance qu’ils attachèrent à cette région et les voient s’emparer
de ses biens, honorer un homme et tirer bon augure de lui, puis le
dépouiller de ses vêtements, insulter ses femmes, lui infliger
diverses peines comme n’en infligent que les plus injustes et les plus
dépravés [20] , car celui qui prétend interpréter la religion ne punit
que celui qui se rebelle contre elle, mais eux honorent la religion de
celui qu’ils punissent puis affirment qu’il est plus obéissant qu’eux :
quelle interprétation peuvent faire de tels gens ? » (Les Grandes
Fatwas, 813e question, 4 vol., p. 332 et suivantes)   .
[21]

Rien d’étonnant à cela, c’est le propre de l’erreur qui mousse et


mélange tout sur son passage, afin que dure la dépravation qui
plane au-dessus de nous comme l’occupation qui salit le sol pur de
notre nation, surtout dans ses régions les plus sacrées : les deux
sanctuaires [22]  et la sainte Jérusalem.
Tout observateur sensé verra que c’est là le résultat de leur
prédication : la persistance du gouvernement corrompu et
corrupteur qui n’observe pas la loi révélée [23]  et l’ouverture des
pays aux forces de la nouvelle croisade judéo-chrétienne ; c’est leur
objectif constant chaque fois qu’ils ouvrent la bouche ou écrivent.
Ce groupe, le Coran en avait démasqué les prédécesseurs, percé à
jour leur vérité, montré qu’ils prêchent la sédition dans les rangs
des musulmans, qu’ils sont les plus enclins à l’accepter, qu’ils se
précipitent auprès des infidèles afin de préserver leurs intérêts
personnels et leurs jouissances matérielles. {S’ils avaient voulu
partir au combat, ils s’y seraient préparés ; mais Dieu n’a pas
approuvé leur départ, il les a rendus paresseux ; on leur a dit :
« Restez avec ceux qui restent. » / S’ils étaient partis avec vous, ils
n’auraient fait qu’ajouter à votre trouble ; ils auraient semé la
défiance parmi vous en cherchant à vous inciter à la révolte,
puisque certains d’entre vous les écoutent attentivement}
(L’immunité) [24] . Il (qu’Il soit exalté !) a aussi dit : {Quand les
hypocrites et ceux dont le cœur est malade disaient : « Dieu et Son
prophète ne nous ont fait des promesses que pour nous tromper. » /
De même quand certains disaient : « Ô vous, les gens de Yathrib [25] ,
il n’y a pas de place ici pour vous : Partez. » / Certains d’entre eux,
cependant, demandaient au Prophète la permission de se retirer en
disant : « Nos maisons sont restées sans défense » ; mais elles
n’étaient pas sans défense ; ils voulaient seulement s’enfuir.} (Les
factions) [26] .
C’est pourquoi nous estimons que la plus grave sédition, à notre
époque, celle qui menace l’unicité de Dieu et le dogme islamique,
c’est l’abandon de l’alliance entre musulmans comme de l’hostilité
envers les infidèles [27]  ; nous avons donc écrit ces pages comme un
avertissement et une mise en demeure à notre sainte oumma dans
son sursaut béni et son jihad victorieux, s’il plaît à Dieu, face à la
croisade judéo-américaine contre la nation de l’islam.
Nous avons divisé notre propos en deux chapitres et une
conclusion : le premier chapitre consacré aux fondements de
l’allégeance et de la rupture en islam ; le second chapitre consacré à
des exemples de déviation par rapport à cette doctrine ; et en
conclusion les principales idées que nous souhaitons affirmer.
Ce que ce livre contient de bien, il le doit à l’assistance de Dieu (qu’Il
soit exalté !), le reste revient à nous et à Satan : {Le secours ne me
vient que de Dieu, je me confie à Lui et je reviens repentant vers
Lui} (Houd) [28] . Et notre dernière prière sera pour louer Dieu,
Seigneur des mondes, et L’implorer d’accorder paix et salut à notre
seigneur Mohammad, à sa famille et ses compagnons.

I - Les bases de l’allégeance et de la


rupture en islam

1 - L’interdiction de se lier aux infidèles [29] 


Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Que les croyants ne prennent pas
pour amis [30]  des infidèles de préférence aux croyants. Celui qui
agirait ainsi n’aurait rien à attendre de Dieu. – à moins que ces
gens-là ne constituent un danger pour vous. – Dieu vous met en
garde contre lui-même ; le retour final sera vers Dieu} (La famille
d’Imran) [31] . Al-Tabari [32]  (que Dieu ait son âme !) a dit : « Cela
signifie : ô croyants, ne prenez pas les infidèles comme aides ni
assistants, ne les aidez pas dans leur religion, ne les aidez pas contre
les musulmans, ne leur montrez pas vos choses intimes, celui qui le
ferait n’aurait rien à voir avec Dieu, c’est-à-dire qu’il aurait
désavoué Dieu et Dieu l’aurait désavoué, à cause de son apostasie et
de son retour au paganisme » (Commentaire d’al-Tabari, vol. 3, p.
227).
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Annonce aux hypocrites qu’un
châtiment douloureux les attend. Ils prennent pour amis des
infidèles de préférence aux croyants. Recherchent-ils la puissance
auprès d’eux ? La puissance, en totalité, appartient à Dieu} (Les
femmes) [33] .
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : (Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas les
infidèles pour amis, de préférence aux croyants} (Les femmes [34] ).
Tabari (que Dieu ait son âme !) a dit : « Il (qu’Il soit exalté !) leur dit :
(Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas les infidèles pour amis, de
préférence aux croyants. Voudriez-vous donner à Dieu une raison
certaine de vous condamner ?} (Les femmes) [35] . « Ne faites pas
alliance avec les infidèles et ne les aidez pas à la place des gens de
votre communauté et de votre religion, car vous deviendriez
comme les hypocrites auxquels l’enfer a été promis » (Commentaire
d’al-Tabari, vol. 5, p. 337).
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : (Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas
pour amis les Juifs et les chrétiens ; ils sont amis les uns des autres.
Celui qui, parmi vous, les prend pour amis, est des leurs. – Dieu ne
dirige pas le peuple injuste. – / Tu vois ceux dont le cœur est malade
se précipiter vers eux, en disant : « Nous craignons qu’un coup du
sort nous atteigne » [36] . Dieu apportera peut-être le succès ou un
ordre émanant de Lui ? Ils regretteront alors leurs pensées secrètes.
/ Les croyants disent : « Est-ce donc ceux-là qui juraient par Dieu, en
leurs serments solennels, qu’ils étaient avec vous ? » Leurs œuvres
sont vaines. Ils perdent tout. / O vous qui croyez ! Quiconque d’entre
vous rejette sa religion… Dieu fera bientôt venir des hommes ; il les
aimera, et eux aussi l’aimeront. Ils seront humbles à l’égard des
croyants ; fiers à l’égard des infidèles. Ils combattront dans le
chemin de Dieu, ils ne craindront pas le blâme de celui qui blâme.
Ceci est une grâce de Dieu : Il la donne à qui Il veut. – Dieu est
présent partout et Il sait – / Vous n’avez pas de maître en dehors de
Dieu et de Son Prophète ; et de ceux qui croient : ceux qui
s’acquittent de la prière, ceux qui font l’aumône, tout en s’inclinant
humblement. / Ceux qui prennent pour maître : Dieu, Son Prophète
et les croyants : voilà ceux qui forment le parti de Dieu [37]  et qui
seront les vainqueurs ! / Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas pour
amis ceux qui considèrent votre religion comme un sujet de
raillerie et de jeu parmi ceux auxquels le Livre a été donné avant
vous, et parmi les impies. Craignez Dieu, si vous êtes croyants ! / Ils
considèrent votre appel à la prière comme un sujet de raillerie et de
jeu. Il en est ainsi parce que ce sont des gens qui ne comprennent
pas} (La table servie) [38] .
Al-Tabari (que Dieu ait son âme !) a dit : « Il (qu’Il soit exalté !)
signifie, par Sa parole {Celui qui, parmi vous, les prend pour amis,
est des leurs} que celui qui fait alliance avec les Juifs et les chrétiens
plutôt qu’avec les croyants est un des leurs, et que celui qui fait
alliance avec eux et les soutient contre les croyants est de leur
[39]
religion et de leur communauté   . Il ne contracte alliance avec
personne sans être pareil à lui et à sa religion, pareil à celui dont il
se contente, s’il se contente de lui et de sa religion, le jugement qui
s’applique à lui devient le sien » (Commentaire d’al-Tabari, vol. 6, p.
277).
Ibn Hajar al-Asqalani [40]  a dit dans son commentaire du hadith
d’Omar (que Dieu les agrée !) : « Lorsque Dieu châtie des gens, il
frappe aussi ceux qui se trouvent avec eux, puis ils sont ressuscites
selon leurs œuvres » (rapporté par al-Boukhari). Ibn Hajar a dit :
« On en déduit la légitimité de fuir les infidèles et les gens
injustes [41] , car résider avec eux, c’est risquer son âme ; cela dans le
cas où on ne les aide pas ni n’approuve leurs actes, mais si on les
aide ou se montre satisfait d’eux, on est des leurs » (La Conquête,
vol. 31, p. 61).
C’est pourquoi Il leur a imposé un séjour éternel en enfer. Dieu
(qu’Il soit exalté !) a dit : {Tu en verras un grand nombre d’entre eux
s’allier avec les impies. Le mal qu’ils ont commis est si pernicieux
que Dieu se courrouce contre eux ; ils demeureront immortels dans
le châtiment. / S’ils avaient cru en Dieu, au Prophète et à ce qui a été
révélé à celui-ci, ils n’auraient pas pris pour amis les infidèles. –
Beaucoup d’entre eux sont pervers –} (La table servie) [42] .
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas
pour amis vos pères et vos frères, s’ils préfèrent l’infidélité à la
foi [43] . Ceux d’entre vous qui les prendraient pour amis, seraient
injustes. / Dis : « Si vos pères, vos fils, vos frères, vos épouses, votre
clan, les biens que vous avez acquis, un négoce dont vous craignez
le déclin, des demeures où vous vous plaisez, vous sont plus chers
que Dieu et son prophète et la lutte dans le chemin de Dieu,
attendez-vous à ce que Dieu vienne avec Son Ordre – Dieu ne dirige
pas les gens pervers – »} (L’immunité) [44] . Ibn Kathir [45]  (que Dieu
[46] [47]
ait son âme !) a dit : « Le hafiz    al-Bayhaqi    a rapporté un
hadith d’Abdallah ibn Chawdhab disant [48]  : « Le jour de la bataille
de Badr, le père d’Abou Oubayda [49]  ibn al-Jarrah se mit à lui faire
l’éloge des dieux, alors Abou Oubayda s’éloigna de lui mais
lorsqu’al-Jarrah (le père) insista, son fils le visa et le tua ; c’est alors
que Dieu révéla ce verset. »
Dans L’Authentique, on apprend qu’il a dit (que la prière et
bénédiction soient sur lui !) : « Par Celui qui détient mon âme dans
Sa main, nul d’entre vous ne croit s’il ne m’aime pas davantage que
son père, ses enfants et tous les gens. » (Commentaire d’Ibn Kathir,
vol. 2, p. 343-344). […]

3 - L’interdiction de les prendre comme intimes


Dieu a dit : {Ô vous qui croyez ! N’établissez de liens d’amitié
qu’entre vous} (La famille d’Imran) [50] .
Dieu a interdit aux croyants par ce verset de prendre les infidèles,
les juifs et les hérétiques comme conseillers auxquels ils confient
leur argent. On dit : quiconque est d’une doctrine ou d’une religion
autre que la tienne, tu ne dois pas lui parler. Le poète a dit :
N’interroge pas sur quelqu’un mais sur ses proches car tout un
chacun sur son proche prend exemple [51] .
[52]
Dans les Règles d’Abou Daoud   , on trouve ce hadith rapporté par
Abou Hourayra [53]  du Prophète (que la prière et le salut de Dieu
soient sur lui !) : « L’homme est de la religion de son ami, prenez
garde à celui avec qui vous vous liez d’amitié. » On rapporte qu’ibn
Massoud [54]  aurait dit : « Sondez les hommes selon leurs frères. »
[…]

4 - L’interdiction de confier à des infidèles les


postes importants [55] 
Ibn Taymiyya (que Dieu ait son âme !) a dit : « L’imam Ahmad a
rapporté, selon une chaîne de garants exacte, d’Abou Moussa al-
Achari [56]  (que Dieu l’agrée !) :
[57]
« – J’ai un secrétaire chrétien, ai-je dit à Omar    (que Dieu
l’agrée !).
– Qu’est-ce qui te prend, m’a-t-il dit, que Dieu te damne ! N’as-tu pas
entendu la parole de Dieu {Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas pour
amis les juifs et les chrétiens ; ils sont amis les uns des autres. Celui
qui, parmi vous, les prend pour amis, est des leurs. – Dieu ne dirige
pas le peuple injuste – / Tu vois ceux dont le cœur est malade se
précipiter vers eux, en disant : « Nous craignons qu’un coup du sort
nous atteigne. » Dieu apportera peut-être le succès ou un ordre
émanant de lui ? Ils regretteront alors leurs pensées secrètes}
Pourquoi n’as-tu pas pris un musulman ?
– Commandeur des croyants [58] , je garde ses écrits, il garde sa
religion, lui ai-je répondu.
– Ne leur fais pas cet honneur puisque Dieu les a abaissés, ne les
exalte pas puisque Dieu les a avilis, ne les approche pas puisque
Dieu les a éloignés » (Suivre le droit chemin, d’Ibn Taymiyya, vol. 1,
p. 50).
[59]
Al-Qourtoubi    rapporte : « D’Omar (que Dieu l’agrée !) : « Ne
prenez pas comme gouverneurs des gens du Livre car ils sont
corrompus, aidez-vous de vos affaires et de vos sujets qui craignent
Dieu. » On a dit à Omar (que Dieu l’agrée !) :
« Il y a ici un chrétien d’al-Hira [60]  qui écrit mieux que quiconque et
dont l’écriture est la plus belle. Ne le prendrais-tu pas comme
secrétaire ?
– Je n’ai de confident que parmi les croyants. »
[61]
Il ne faut donc pas prendre de secrétaire parmi les tributaires   , ni
pour d’autres tâches relatives au commerce, et on ne doit pas se fier
à eux.
On peut ajouter que les temps ont bien changé puisque l’on emploie
aujourd’hui des gens du Livre comme secrétaires et confidents ;
c’est comme ça qu’ils dominent auprès des gouverneurs sots et des
émirs ignorants » (Commentaire d’al-Qourtoubi, vol. 4, p. 179).
Ibn Taymiyya (que Dieu ait son âme !) a dit : « On ne doit pas
s’appuyer sur les tributaires pour diriger les provinces ni pour les
postes de secrétaires parce qu’il en découlera des corruptions ou
cela y conduira. »
On a interrogé Ahmad [62]  sur le récit d’Abou Talib [63]  :
« – Pour collecter l’impôt foncier [64]  ?
– On ne doit avoir recours à eux en rien.
– Est-ce que celui qui leur confie un service de l’administration [65] 
des musulmans rompt son serment ?
Celui qui a causé du tort aux musulmans ou est corrompu, il ne faut
pas l’employer et, de toute façon, n’importe quel autre vaut mieux,
car Abou Bakr [66]  (que Dieu l’agrée !) avait fait le serment de
n’employer aucun apostat, même s’il revenait au sein de l’islam
craignant la corruption de leur religion » (Les Grandes Fatwas, « Les
morceaux choisis scientifiques », chapitre sur le jihad, vol. 4, p. 607
et suivantes).

5 - L’interdiction de respecter les lois des infidèles,


d’admettre et d’approuver les erreurs des
infidèles et des apostats ainsi que de faire leur
éloge
Le cheikh de l’islam [67]  (que Dieu ait son âme !) a dit : « Chapitre sur
l’alliance et l’hostilité. Les croyants sont les alliés de Dieu, et le sont
entre eux-mêmes ; les infidèles sont les ennemis de Dieu et ennemis
des croyants, Dieu a ordonné l’alliance entre les musulmans et a
expliqué qu’il s’agissait d’une obligation de la foi [68] . Il a interdit
l’alliance avec les infidèles et a expliqué qu’il s’agissait d’un désaveu
des croyants [69] , et il a montré que ce sont les hypocrites qui font
allégeance aux infidèles.
Et Il a dit : {Ceux qui sont revenus sur leurs pas après que la
Direction se soit clairement manifestée à eux ont été abusés par le
Démon qui leur a donné quelque répit. / Il en est ainsi parce qu’ils
disent à ceux qui éprouvent de la répulsion pour ce que Dieu a
révélé : « Nous allons vous obéir en partie. » – Mais Dieu connaît
leurs secrets –} [70]  et Il a expliqué que l’allégeance aux infidèles
était la cause de leur apostasie [71] .
C’est pourquoi dans la sourate La table servie, il a rappelé les imams
des apostats juste après avoir interdit l’alliance avec les infidèles, en
disant (qu’Il soit exalté !) : {Celui qui, parmi vous, les prend pour
amis, est des leurs} [72]  et en disant : {Ô Prophète ! Ne t’attriste pas
en considérant ceux qui se précipitent vers l’infidélité ; ceux qui
disent de leur bouche : « Nous croyons ! » alors que leur cœur ne
croit pas ; ceux qui, étant juifs, écoutent habituellement le
mensonge, ceux qui écoutent habituellement d’autres gens qui ne
sont pas venus à toi. Ils altèrent le sens des paroles révélées. Ils
disent : « Si cela vous a été donné, recevez-le ; sinon, prenez
garde ! »} [73] . Il a cité les hypocrites et les infidèles conciliants, et il a
expliqué qu’ils obéissent à d’autres peuples qui ne sont pas venus à
Toi, il s’agit de l’obéissance des hypocrites et des infidèles
conciliants envers les infidèles déclarés qui, eux, ne sont pas
conciliants.
De même que parmi les croyants certains prêtent l’oreille aux
hypocrites, comme Il a dit : {Puisque certains d’entre vous les
écoutent attentivement} [74] , d’aucuns estiment que cela veut dire
espionner. Mais cela veut dire que certains leur obéissent et les
suivent, comme dans l’expression : « Dieu écoute ceux qui le
louent » [75] , qui signifie que Dieu répond à ceux qui font son éloge ;
lorsque l’on dit un tel écoute un tel, cela veut dire qu’il lui obéit et le
suit.
Donc, ceux qui parmi l’oumma font alliance avec les infidèles, qu’ils
soient idolâtres ou gens du Livre [76] , de quelque manière que cela
soit, comme répéter leurs mensonges et les suivre dans leurs parole
ou leurs actes, sera blâmé, et châtié en conséquence.
Dieu (qu’Il soit exalté !) aime distinguer le Bon du Méchant, le Vrai
du Faux, et sait que ceux-là sont des hypocrites, ou font preuve
d’hypocrisie, même s’ils sont musulmans, car le fait d’être
apparemment musulman n’empêche pas d’être intérieurement un
hypocrite.
Car tous les hypocrites sont en apparence des musulmans, et le
Coran les a décrits précisément à l’époque du Messager de Dieu
(que la prière et la bénédiction soient sur lui !) et au moment de
l’apparition de l’islam, alors que les signes de la prophétie
apparaissaient et que la lumière de son message resplendissait ; ils
ne peuvent qu’être plus nombreux dans une époque qui en est
éloignée, d’autant que la cause de l’hypocrisie est celle de l’impiété,
à savoir l’opposition à ce qui a été apporté par les prophètes »
(Recueil de fatwas, vol. 28, p. 190-202).

6 - L’interdiction de les aider contre les


musulmans [77] 
Dieu a dit : {Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas pour amis les Juifs et
les chrétiens ; ils sont amis les uns des autres. Celui qui, parmi vous,
les prend pour amis, est des leurs. – Dieu ne dirige pas le peuple
injuste – / Tu vois ceux dont le cœur est malade se précipiter vers
eux, en disant : « Nous craignons qu’un coup du sort nous
atteigne. » Dieu apportera peut-être le succès ou un ordre émanant
de lui ? Ils regretteront alors leurs pensées secrètes. / Les croyants
disent : Est-ce donc ceux-là qui juraient par Dieu, en leurs serments
solennels, qu’ils étaient avec vous ? » Leurs œuvres sont vaines} (La
table servie) [78] .
Tabari (que Dieu ait son âme !), sur la circonstance de sa
révélation [79]  : « Ce qui semble le plus juste, selon nous, c’est que
Dieu (que Son nom soit exalté !) interdit à tous les croyants de
prendre les juifs et les chrétiens comme soutiens et alliés plutôt que
des croyants en Dieu et Son prophète, et il informe que celui qui les
prend comme soutien, allié ou ami à la place de Dieu, Son prophète et
les croyants, est un des leurs dans le parti pris contre Dieu, Son
prophète et les croyants [80] , et que Dieu et Son prophète en sont
innocents » (Commentaire de Tabari, vol. 6, p. 267).
Ibn Taymiyya (que Dieu ait son âme !), des Mongols : « Chaque fois
qu’un chef de l’armée va vers eux, son jugement devient pareil au
leur, ce qui constitue une apostasie. Si les ancêtres traitaient
d’apostats ceux qui s’abstenaient de l’aumône légale bien qu’ils
jeûnassent et priassent, sans combattre les musulmans, alors que
dire de ceux qui sont devenus des ennemis de Dieu et de Son
prophète en combattant les musulmans ? » (Les Grandes Fatwas,
vol. 4, p. 332 et suivantes).
[81]
Ibn Hazm    (que Dieu ait son âme !) a dit : « Nous savons que celui
qui sort du territoire de l’islam pour aller dans le territoire de la
guerre [82]  se dérobe [83]  à Dieu (qu’Il soit exalté !), à l’imam des
musulmans et à sa communauté, ce que montre son hadith (que
Dieu lui accorde la prière et le salut !) : « Il est innocent de tout
musulman qui vit parmi les idolâtres. » Il ne désavoue que
l’infidèle. Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Les croyants et les
croyantes sont amis les uns des autres} (L’immunité) [84] .
Abou Mohammad [85]  (que Dieu ait son âme !) a dit : « Il signifie que
celui qui rejoint le territoire de la guerre de son plein gré et combat
les musulmans qui le poursuivent, est un apostat, et il subira le
jugement de tout apostat, la condamnation à mort lorsqu’il sera
capturé, la distribution de ses biens, la rupture de son mariage [86] ,
etc., car le Prophète (que Dieu lui accorde la prière et le salut !) n’a
autorisé aucun musulman à quitter l’islam.
De même, pour le musulman qui habite en Inde, en Chine, en
Sind [87] , chez les Turcs, les Noirs ou les Byzantins, s’il ne peut en
sortir parce qu’il est chargé de famille ou par manque d’argent, par
faiblesse corporelle ou parce que les routes sont bloquées, il est
excusé ; mais s’il combat les musulmans et assiste les infidèles par
le service ou le secrétariat, il est infidèle.
Si c’est un infidèle combattant qui conquiert les terres musulmanes,
laisse les musulmans pratiquer leur religion mais gouverne seul et
professe une religion autre que l’islam, quiconque l’assiste et réside
avec lui est infidèle, même s’il prétend être musulman, pour les
[88]
raisons que nous avons citées    » (L’Orné, vol. 11, p. 199-200). […]
Que diraient al-Tabari, Ibn Hazm et Ibn Taymiyya [89]  (que Dieu ait
leur âme !) s’ils voyaient les armées des Américains et de leurs alliés
partir des États du Golfe pour aller frapper les musulmans en
Irak [90]  ? Que diraient-ils à la vue des avions américains qui
[91]
décollent du Pakistan pour tuer des musulmans en Afghanistan    ?
Que diraient-ils à la vue des navires et des avions américains et
occidentaux, armés et approvisionnés par les États du Golfe, le
[92] [93]
Yémen    et l’Égypte    sur leur chemin vers l’Irak pour y
instaurer l’embargo, occuper la péninsule Arabique et défendre la
sécurité d’Israël ? Que diraient-ils en voyant les maisons détruites
sur leurs habitants musulmans de Palestine avec des armes
américaines (celles des amis de nos gouvernants), et que diraient-ils
en voyant les avions américains bombarder les moujahidines au
Yémen, en toute complicité avec son gouvernement [94]  ?

7 - L’ordre de mener le jihad contre eux, de ne pas


les aimer et de les ignorer
Le Seigneur ne nous a pas seulement interdit de faire alliance mais
nous a aussi ordonné de mener le jihad contre les infidèles
d’origine, les apostats et les hypocrites [95] .

A - Le jihad contre les infidèles, et son caractère obligatoire


lorsqu’ils s’emparent des terres musulmanes
Ibn Taymiyya (que Dieu ait son âme !) a dit : « Si l’ennemi entre sur
les territoires musulmans, il faut sans aucun doute le repousser de
proche en proche car les terres musulmanes sont comme un seul
pays [96] , il faut se mobiliser sans demander l’autorisation de son
père ni de son créancier [97] , les textes d’Ahmad [98]  sont clairs à ce
sujet. » Il ajoute : « Quant au combat défensif, c’est la plus violente
forme de défense contre l’agresseur de l’honneur [99]  et de la religion,
c’est donc un devoir selon l’avis de tous les juristes [100] . Cet ennemi
agresseur qui corrompt la religion et la vie, rien n’est plus nécessaire
après la foi que de le repousser, cela n’est pas soumis à condition
mais selon la possibilité, c’est ce qu’ont édicté les oulémas, nos
maîtres et d’autres. Mais il faut faire la différence entre repousser
l’ennemi infidèle agresseur et l’affronter dans son pays [101]  » (Les
Grandes Fatwas, vol. 4, p. 607 et suivantes).
Considérez donc cette parole forte et puissante du savant
moujahid [102] , le cheikh de l’islam Ibn Taymiyya (que Dieu ait son
âme !), dans son raisonnement sur le consensus des oulémas à
propos du jihad contre les infidèles qui conquièrent les pays
musulmans, et considérez son affirmation que rien après la foi n’est
plus nécessaire que de les repousser [103] , et c’est ce sur quoi sont
tombés d’accord les oulémas de l’oumma (que Dieu ait leur âme !).
Puis comparez ces propos avec ceux des oulémas de cour, des
prêcheurs de résignation qui tentent à tout prix de détourner les
musulmans du jihad, afin que les infidèles envahisseurs puissent
conquérir nos terres en toute sécurité et qu’ils atteignent leur but
facilement, tranquillement et calmement.

B - Le jihad contre les apostats gouvernant les terres


musulmanes
L’une des plus importantes formes de jihad personnel
aujourd’hui [104]  est celui contre les gouvernants apostats qui
bafouent la loi révélée et s’allient aux juifs et aux chrétiens. C’est un
ordre sur lequel tous les oulémas (que Dieu ait leur âme !) sont
tombés d’accord, et dont les preuves abondent, mais nous nous
contenterons seulement d’en rappeler quelques-unes.
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : (Non !… Par ton Seigneur ! Ils ne
croiront pas, tant qu’ils ne t’auront pas fait juge de leurs différends.
Ils ne trouveront plus ensuite, en eux-mêmes, la possibilité
d’échapper à ce que tu auras décidé et ils s’y soumettront
[105]
totalement} (Les femmes)   .
Al-Chafii [106]  (que Dieu ait son âme !) a dit dans son chapitre sur
l’obéissance due au Prophète (que Dieu lui accorde prière et
salut !) : « Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Obéissez à Dieu ! Obéissez
au Prophète} [107] , et Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Nous n’avons
envoyé un prophète que pour qu’il soit obéi, avec la permission de
Dieu} [108] , et Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Ceux qui obéissent au
Prophète, obéissent à Dieu.} [109] , et Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit
encore : {Non !… Par ton Seigneur ! Ils ne croiront pas, tant qu’ils ne
t’auront pas fait juge de leurs différends. Ils ne trouveront plus
ensuite, en eux-mêmes, la possibilité d’échapper à ce que tu auras
décidé et ils s’y soumettront totalement} [110] .
Il (qu’Il soit loué !) a donc affirmé par ces versets le devoir d’obéir
au Prophète (que la prière et bénédiction soient sur lui !), et Il a
expliqué qu’obéir au Prophète, c’est obéir à Dieu, ce qui implique
que lui désobéir, c’est désobéir à Dieu, car Dieu (qu’Il soit exalté !) a
dit : {Ceux qui s’opposent à son ordre doivent prendre garde qu’une
tentation ne les atteigne, ou que ne les atteigne un châtiment
douloureux} [111] . Il a donc menacé ceux qui font preuve
d’indiscipline envers le Prophète, ceux qui n’obéissent pas à l’ordre
du Prophète et qui s’empêchent de transmettre ce qu’il a apporté ou
en doutent et qui sont hors la foi. Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit :
{Non !… Par ton Seigneur ! Ils ne croiront pas, tant qu’ils ne t’auront
pas fait juge de leurs différends. Ils ne trouveront plus ensuite, en
eux-mêmes, la possibilité d’échapper à ce que tu auras décidé et ils
s’y soumettront totalement}. […]
Il est clair à la lecture de ces versets que celui qui n’obéit pas a l’un
des ordres de Dieu (qu’Il soit exalté !) ou du Prophète (que la prière et
le salut soient sur lui !) est hors de l’islam, que cela soit parce qu’il
doute, ou bien parce qu’il n’accepte pas et refuse de s’y conformer [112] .
Cela prouve la justesse de ce que disaient les compagnons du
Prophète : est apostat celui qui refuse de verser l’aumône légale [113] ,
on peut donc l’exécuter et s’emparer de ses enfants. Parce que Dieu
(qu’Il soit exalté !) a affirmé que celui qui ne prononce pas la
formule de salutation au Prophète (que Dieu lui accorde la prière et
le salut !), son jugement et son arrêt, c’est qu’il n’est pas un homme
de foi » (Les Jugements du Coran d’al-Chafii, vol. 3, p. 180-181).
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Recherchent-ils le jugement de
l’ignorance ? Qui donc est meilleur juge que Dieu envers un peuple
qui croit fermement ?} (La table servie) [114] . Ibn Kathir [115]  (que
Dieu ait son âme !) a dit : « (…) celui qui fait cela est infidèle, et il faut
le combattre jusqu’à ce qu’il revienne au jugement de Dieu et de son
Prophète, car seul Lui peut juger dans les petites comme les grandes
affaires [116]  » (Commentaire d’ibn Kathir, vol. 2, p. 68).

C - Le jihad contre les hypocrites qui répandent des doutes


Dieu (qu’Il soit exalté !) a ordonné à son Prophète (que Dieu lui
accorde la prière et le salut !) de mener le jihad contre les
hypocrites avec sévérité, vigueur, démonstration de la preuve en
donnant l’exemple et exécutant les châtiments.
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Ô Prophète ! Combats les infidèles et
les hypocrites ; sois dur envers eux} (L’interdiction) [117] . Al-
Qourtoubi [118]  (que Dieu ait son âme !) a dit : « Il y a là un seul sujet,
l’accent mis sur la religion de Dieu, Il lui a donc ordonné de
combattre les hypocrites avec le sabre comme avec la bonne parole
et l’appel à Dieu, avec sévérité et en donnant l’exemple. » Al-Hassan
a dit : « C’est-à-dire combats-les, en exécutant les châtiments
requis » (Commentaire d’al-Qourtoubi, vol. 18, p. 201) [119] .

8 - Les excuses inacceptables de ceux qui font


alliance avec les infidèles
Le Seigneur (qu’Il soit loué !) n’a pas accepté d’excuse des
hypocrites, pour faire allégeance aux infidèles et les soutenir par
peur des revers de fortune et des vicissitudes de l’Histoire, car
parfois les infidèles l’emportent sur les musulmans, et les
hypocrites pourraient trouver un soutien auprès d’eux. Mais Dieu
(qu’Il soit exalté !) a dit : (Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas pour
amis les Juifs et les chrétiens ; ils sont amis les uns des autres. Celui
qui, parmi vous, les prend pour amis, est des leurs. – Dieu ne dirige
pas le peuple injuste – / Tu vois ceux dont le cœur est malade se
précipiter vers eux en disant : « Nous craignons qu’un coup du sort
nous atteigne. » Peut-être Dieu apportera-t-il le succès ou un ordre
émanant de lui ? Ils regretteront alors leurs pensées secrètes. / Les
croyants disent : « Est-ce donc ceux-là qui juraient par Dieu, en
leurs serments solennels, qu’ils étaient avec vous ? » Leurs œuvres
sont vaines. Ils perdent tout} (La table servie) [120] . Ibn Kathir (que
Dieu ait son âme !) a dit : « {Tu vois ceux dont le cœur est malade},
c’est-à-dire un doute, une suspicion ou une hypocrisie {se précipiter
vers eux}, c’est-à-dire qu’ils s’empressent de leur faire allégeance et
de les aimer, en public et en secret {en disant : « Nous craignons
qu’un coup du sort nous atteigne » [121] } Ils expliquent leur affection
et leur allégeance par la crainte que la victoire des infidèles sur les
musulmans ne nécessite un soutien chez les Juifs et les chrétiens »
(Commentaire d’ibn Kathir, vol. 2, p. 71).

9 - L’obligation de faire alliance avec les


musulmans et de les soutenir
Après avoir expliqué ce que Dieu (qu’Il soit loué et exalté !) nous a
interdit en matière d’allégeance aux infidèles, nous allons résumer
ce qu’il nous a ordonné à propos du soutien aux musulmans.
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : { (…) Mais vous ne serez pas les amis
des croyants qui n’ont pas encore émigré [122] . S’ils vous demandent
votre aide au nom de la Religion, vous devez les secourir ; sauf s’il
s’agissait de combattre un peuple avec lequel vous avez conclu une
alliance. – Dieu voit ce que vous faites. Les infidèles sont les amis les
uns des autres - (…) Ceux qui ont cru, ceux qui ont émigré, ceux qui
ont combattu dans le chemin de Dieu, ceux qui ont offert
l’hospitalité aux croyants et qui les ont secourus : ceux-là sont, en
toute vérité, les croyants. Un pardon et une généreuse récompense
les attendent. / Ceux qui croient après avoir émigré, ceux qui ont
lutté avec vous, ceux-là sont des vôtres. Cependant, ceux qui sont
liés par la parenté sont encore plus proches les uns des autres,
d’après le Livre de Dieu – Dieu est, en vérité, celui qui sait tout ! –}
(Le butin) [123] . Al-Qourtoubi (que Dieu ait son âme !) a dit : « Sa
parole (qu’Il soit exalté !) {Et s’ils vous aident en religion} signifie :
s’ils laissent ces croyants qui n’ont pas quitté le territoire de la
guerre, votre soutien par une mobilisation ou de l’argent pour vous
sauver, alors aidez-les, c’est pour vous un devoir, ne les abandonnez
pas, sauf s’ils aident des infidèles avec lesquels vous avez conclu un
pacte, alors ne les soutenez pas et ne rompez pas l’accord jusqu’à
son terme. »
Ibn al-Arabi [124]  : « Sauf si ce sont de pauvres prisonniers, alors
l’assistance mutuelle est de mise, et le soutien à leur apporter est un
devoir afin qu’aucun œil des nôtres ne pleure sans que nous ne
partions en expédition pour les sauver, si notre nombre le permet,
ou que nous dépensions tous nos biens pour les délivrer jusqu’au
dernier dirham [125] , ainsi que l’ont dit Malik et tous les oulémas.
Nous appartenons à Dieu et c’est à lui que nous reviendrons »
(Commentaire d’al-Qourtoubi, vol. 8, p. 57).
Ibn Kathir (que Dieu ait son âme !) a dit : « Il a cité plusieurs sortes
[126]
de croyants, et les a divisés en exilés    ayant quitté leur patrie et
leur biens, venus assister Dieu et Son prophète et établir Sa religion,
ce pourquoi ils ont dépensé leur argent et ont donné de leur
personne ; et en compagnons, alors gens de Médine [127] , qui ont
accueilli leurs frères émigrés chez eux et […] ont aidé Dieu et Son
prophète en combattant avec eux ; ces derniers ont fait allégeance
les uns avec les autres, c’est-à-dire que chacun d’entre eux a un
droit sur les autres […], c’est pourquoi le messager de Dieu a
considéré comme des frères les exilés et les compagnons, tous sont
des frères » (Commentaire d’Ibn Kathir, vol. 2, p. 329-330).
« Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Mais vous ne serez pas les amis des
croyants qui n’ont pas encore émigré} [128] , ceux-ci sont la troisième
sorte de croyants : ceux qui ont cru et ne se sont pas exilés mais
sont restés au désert, ceux-là n’auront aucune part de butin, pas
même le cinquième, à moins qu’ils n’aient participé au combat.
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {S’ils vous demandent votre aide}.
Ceux-là sont les Bédouins qui ne se sont pas exilés – pour combattre
au nom de la religion – contre un ennemi et […] leur devoir est de
les aider, car ce sont vos frères en religion à moins qu’ils aient
soutenu des infidèles avec lesquels vous aviez conclu un pacte, c’est-
à-dire une trêve, ne violez pas votre pacte et ne rompez pas votre
serment envers ceux avec qui vous avez fait alliance ; tout cela est
[129]
rapporté par ibn Abbas    (que Dieu l’agrée !) » (Commentaire
d’Ibn Kathir, vol. 2, p. 329-330).
Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Les croyants et les croyantes sont
amis les uns des autres. Ils ordonnent ce qui est convenable, ils
interdisent ce qui est blâmable [130] , ils s’acquittent de la prière, ils
font l’aumône, et ils obéissent à Dieu et à Son prophète. Voilà ceux
auxquels Dieu fera bientôt miséricorde. Dieu est puissant et juste}
(L’immunité) [131] . Ibn Kathir (que Dieu ait son âme !) a dit : « Après
avoir cité (qu’Il soit exalté !) les caractéristiques répréhensibles des
hypocrites, Il a décrit les caractéristiques louables des croyants, en
disant : {Les croyants et les croyantes sont amis les uns des autres},
c’est-à-dire qu’ils se soutiennent les uns les autres et s’entraident,
comme il est dit dans L’Authentique [132]  : "Les croyants sont aux
croyants comme les doigts de la main." Il est aussi dit : “Les croyants
dans leur affection et compassion réciproques sont comme un seul
corps : si un membre se plaint, le reste du corps lui répond par la
fièvre et la veille” » (Commentaire d’ibn Kathir, vol. 2, p. 370).

11 - Résumé
[…]

1 - Les gouvernants ont ajouté les enfreintes à la loi révélée à


l’alliance avec les Juifs et les chrétiens
L’un des groupes ayant le plus dévié de la doctrine de l’allégeance et
de la rupture à notre époque, bien qu’il prétende faire partie des
musulmans, ce sont les gouvernants de nos pays qui bafouent la loi
révélée [133] .
Le péril qu’ils représentent pour l’oumma est devenu si important
[134]
qu’il est la principale menace sur son dogme   , qu’il l’empêche
par la force de suivre sa religion, car c’est un groupe qui a
grandement dévié de la voie de l’islam mais qui domine
complètement les musulmans, leur âme [135]  et leurs biens et, dans le
même temps, ce groupe est si présent que pas un pays musulman
n’échappe à son mal.
Leur déviation est composite, car c’est un groupe qui ne gouverne
pas selon la loi révélée, mais fait aussi allégeance aux ennemis
extérieurs de l’islam et se soumet à eux, notamment aux juifs et aux
chrétiens.
Si nous considérons leur allégeance envers les juifs et les chrétiens,
nous constatons qu’ils ont transformé les pays musulmans, surtout
le monde arabe, en base de ravitaillement et de concentration des
forces des juifs et des chrétiens. Celui qui observe la situation de la
péninsule Arabique, des émirats du Golfe, de l’Égypte et de la
Jordanie voit qu’ils se sont transformés en bases ou camps pour
soutenir administrativement ou techniquement les forces croisées
au cœur du monde arabe, sans compter que ces gouvernements ont
contraint leurs armées à servir les objectifs de la nouvelle croisade
judéo-croisée contre l’oumma musulmane.
Ce phénomène des gouvernants de pays musulmans qui bafouent la
loi révélée a ses racines dans des époques révolues de l’histoire
contemporaine. Les ennemis de l’islam, notamment les Américains,
les Juifs, les Français [136]  et les Anglais, à travers une série de
complots, de relations secrètes, de soutien direct, d’achat des
consciences, de salaires et de comptes secrets, de corruption et
d’enrôlement, ont pu confier à ce groupe les destins des
musulmans. Ce n’est pas ici le lieu d’écrire cette Histoire mais nous
faisons allusion au fait que les puissances hostiles à l’islam ont pu,
après la Seconde Guerre mondiale, contenir et placer ces
gouvernements au cœur de l’ordre mondial représenté par les alliés
vainqueurs de la guerre qui constituent le cœur des Nations
unies [137] .
En quelques mots, les Nations unies [138]  sont du point de vue
musulman une institution internationale impie, dont il ne faut pas
être membre, à l’arbitrage de laquelle il ne faut pas se fier car elle
repose sur le rejet de la loi révélée [139] , la docilité envers la volonté
de cinq des plus grands criminels de ce monde, lesquels dominent
[140]
la direction des Nations unies appelée le Conseil de sécurité   .
Nous faisons aussi allusion au fait que les ennemis de l’islam ont
forcé ces gouvernements à accepter l’existence juridique de l’entité
juive en Palestine par le moyen de nombreux accords officiels et de
positions pratiques, depuis les accords de trêve de 1949 [141] 
jusqu’aux accords d’Oslo en 1993. Enfin, le dernier sommet de
Beyrouth en 2002 [142]  a confirmé le consensus des États arabes pour
accepter sans conditions la présence israélienne [143] .
Il convient de rappeler que l’armistice avec Israël et la
reconnaissance de sa prise de la Palestine implique le renoncement
à une obligation religieuse impérative et connue. Elle contient un
renoncement au jihad personnel [144]  que doivent accomplir les
musulmans pour chasser les infidèles envahisseurs des pays
musulmans, comme nous l’avons montré plus haut, de même
qu’elle contient un renoncement au devoir de soutenir les
musulmans de Palestine, autre obligation religieuse personnelle
bien connue. Dieu a dit (qu’Il soit exalté !) : {Pourquoi ne combattez-
vous pas dans le chemin de Dieu, alors que les plus faibles parmi les
hommes, les femmes et les enfants disent : « Notre Seigneur ! Fais-
nous sortir de cette cité dont les habitants sont injustes. Donne-nous
un protecteur choisi par toi ; donne-nous un défenseur choisi par
toi ! »} (Les femmes) [145] . Et al-Qourtoubi (que Dieu ait son âme !) a
dit : « Par Sa parole (qu’Il soit exalté !) : {Pourquoi ne combattez-
vous pas dans le chemin de Dieu ?}, Il les incite au jihad, ce qui
implique de délivrer les malheureux des mains des infidèles
idolâtres qui leur infligent un châtiment et les mènent hors de la
religion, Il (qu’Il soit exalté !) a donc rendu le jihad obligatoire pour
faire valoir Sa parole, révéler Sa religion, et sauver les croyants
faibles, même si cela cause mort d’homme » (Commentaire d’al-
Qourtoubi, vol. 5, p. 279).
La chose n’en est pas restée au retard pris à accomplir un devoir
religieux, mais la plupart des États arabes ont de surcroît participé
au complot de Charm al-Cheikh [146]  en 1996 avec Israël, l’Amérique,
la Russie et la plupart des États occidentaux ; tout le monde
s’accordant et s’engageant à défendre Israël des attaques des
moujahidines.
Dans ce contexte de soumission à la volonté des plus grands
criminels, les forces hostiles à l’islam, avec à leur tête les nouveaux
croisés, ont pu asservir les gouvernants de nos pays pour servir
leurs objectifs militaires et économiques.
À tel point que nous en sommes arrivés à ce à quoi nous assistons
aujourd’hui comme allégeance complète aux nouveaux croisés ;
ainsi, la Palestine est déchirée et détruite, chaque jour ses fils sont
égorgés avec la complicité et le silence de ses voisins arabes ; l’Irak
est soumis à attaque sur attaque afin de tuer son peuple musulman,
partager son territoire, piller son pétrole, alors que ses voisins
arabes offrent toutes sortes d’assistance et de soutien aux forces des
nouveaux croisés ; l’Afghanistan est devenu un jouet entre les
mains des forces croisées tandis que ses voisins [147]  s’entendent
avec les Américains afin de leur permettre de dominer le pays et
son peuple.
Ce groupe, ce sont les gouvernants qui bafouent la loi révélée ; leur
corruption est notoire, comme leur dépravation et leurs crimes
contre les peuples musulmans et leurs élites, sans parler de leur
alliance avec les Juifs et les chrétiens.
Par peur du soulèvement de l’oumma musulmane et de sa jeunesse
combattante contre eux, surtout en pleine escalade de l’agression
américano-sioniste en Palestine, en Irak, en Tchétchénie et au
Cachemire [148] , ils ont eu recours à d’autres groupes pour endormir
l’oumma et la maintenir dans sa faiblesse, la démoraliser et la
[149]
soumettre ; le plus redoutable de ces groupes    est celui qui s’est
paré des atours de l’islam et de la prédication, afin de parvenir ainsi
au cœur de la religion, comme les microbes mortels contournent le
système immunitaire de l’être humain ou le détruisent, afin de
répandre leur mal parmi les cellules du corps [150] . C’est ce que nous
allons résumer maintenant.

2 - Les soutiens des gouvernants


Ce sont les oulémas officiels, les journalistes, les hommes des
médias, les écrivains, les penseurs et autres fonctionnaires qui,
pour prix de leur salaire, soutiennent le mensonge, le masquent,
sont hostiles aux partisans de la vérité et la camouflent.
Ce groupe est le plus tapageur dans le soutien aux gouvernants
traîtres et aux forces croisées agressant les terres musulmanes, ou
les dhimmis comme ils le prétendent. Mais, malheureusement, ils
évitent de répondre à une question d’importance capitale : qui paie
l’impôt de capitation à qui [151]  ?
Ce groupe, composé d’individus de toutes sortes, mélange plusieurs
articles de foi pervertis, rejetés par tous les imams de l’islam,
anciens et nouveaux, de la tradition et de la communauté [152] . Ce
groupe a ainsi mêlé :
[153]
A. la doctrine du report du jugement propre aux Mourjites    sous
sa forme la plus scandaleuse, afin de conférer, toute honte bue,
une teinture de légitimité aux preuves les plus éclatantes de
corruption, de suivisme, de dépendance que représentent les
régimes apostats bafouant la loi révélée ;
[154]
B. l’adoption du point de vue des Kharijites    dans l’anathème,
l’accusation de dépravation, l’autorisation de faire couler le sang
des moujahidines qui luttent pour l’islam et de salir leur
honneur.
Ainsi, le moufti de la République égyptienne, ce fonctionnaire qui
perçoit un salaire pour effectuer ce pourquoi il a été recruté, à
savoir donner un aspect juridique au régime laïc tyrannisant les
musulmans et faisant allégeance aux juifs, d’une manière plus
outrée que celle des anciens Mourjites, ce moufti, dis-je, est le même
qui a autorisé le tribunal militaire laïque à exécuter les cinq
moujahidines, héros de l’islam en Égypte : Mohammad abd al-Salam
Faraj [155] , Abd al-Hamid abd al-Salam, Khalid al-Islambouli,
Houssayn Abbas et Atta Tayil [156] , qui avaient tué Anouar al-Sadate.
Car ce dernier avait signé quatre accords de paix avec Israël par
lesquels il reconnaissait cet État, sa prise de possession de la
Palestine, s’engageait à ne pas l’attaquer ni à aider tout État qui
attaquerait Israël et même à démilitariser le Sinaï pour assurer la
sécurité d’Israël, sans compter les accords secrets.
Le plus célèbre de ces accords est l’accord de paix de 1979 qui
implique la fin des hostilités entre l’Égypte et Israël pour toujours,
qui empêche l’Égypte d’aider tout État ayant subi l’agression
d’Israël, et normalise avec Israël toutes les relations politiques,
économiques et intellectuelles, après quoi al-Azhar [157]  a publié une
fatwa bénissant cet accord, déclarant qu’il s’accorde avec la loi
révélée !
[158]
Une autre sorte de moufti    appelle à l’obéissance aux dirigeants,
et considère les moujahidines comme des prêcheurs de sédition,
après avoir autorisé le recours aux Américains en considérant que
l’on peut se fier à leurs énormes armées qui bouchent l’horizon, à
leurs flottes gigantesques qui encombrent la mer et à leurs
centaines de milliers de soldats envahisseurs ! On ne sait qui
croire ! Des fatwas collectives ont été promulguées pour autoriser le
recours aux forces américaines afin d’affronter le régime baathiste
[159]
irakien    en cas de nécessité, conférant ainsi un vernis de
légitimité religieuse à la présence des énormes armées d’infidèles
envahissant la plus sainte région musulmane. Ces forces, qui sont
présentes depuis près de douze ans après le retrait de l’armée
irakienne et sa soumission, ces forces qui ont tué, par leur embargo
imposé à l’Irak, presque un demi-million d’enfants sans que ces
fonctionnaires ne disent un seul mot à ce propos.
Il ne s’agit pas de demander l’assistance des forces des infidèles
contre les forces baathistes de Saddam mais d’occuper des sources
de pétrole en péninsule Arabique. Il n’était nul besoin d’aller
chercher les Américains, les armées des pays arabes et musulmans
suffisaient amplement pour défendre le Koweït et le libérer [160] .
Mais ces gouvernants sont velléitaires, ils sont le résultat des plans
britanniques qui ont dessiné leurs frontières, les ont hissés sur leurs
trônes, avant que les Américains n’héritent de l’influence
britannique, et ce sont eux qui dictent leur loi à tous les
gouvernants de la péninsule Arabique et du reste du monde arabe.
Ce sont donc les maîtres qui sont venus défendre leurs possessions,
et ces cheikhs et ces rois n’ont rien à voir avec la sécurité de la
péninsule Arabique ni sa défense.
Et bien que l’Irak s’est soumis, et qu’un embargo aérien lui a été
imposé sur la moitié de son territoire [161] , que le Nord kurde a pris
son indépendance envers Bagdad, que des comités d’inspecteurs lui
ont été imposés [162]  et qu’il s’est engagé à verser des dommages [163] ,
après tout cela, la présence croisée en péninsule Arabique continue
à augmenter. Ils se préparent même à une nouvelle attaque contre
l’Irak dont on attend qu’elle causera la mort de centaines de milliers
de musulmans, et ce, afin qu’ils s’emparent du pétrole irakien.
Ensuite, ils se tourneront, comme ils l’ont dit au Congrès, vers
l’Arabie saoudite pour se la partager [164] , et enfin vers l’Égypte qui
est, selon leur propre expression, « d’un grand prix ».
La question n’est donc pas une question d’assistance mais une
question d’occupation, de butin, de pillage, de domination et
d’hégémonie des croisés sur les musulmans dans le plus sacré de
leurs territoires, la péninsule Arabique. Ces gouvernants ne sont
qu’un pâle vernis sur le mur de la présence américaine, après quoi
viendront les oulémas de cour pour signer des fatwas qui leur sont
dictées en haut lieu, et qui autorisent cette domination, ce pillage,
cette hégémonie croisée, et même de faire couler le sang des
musulmans irakiens. Après quoi le grand moufti d’Arabie saoudite
viendra autoriser l’armistice avec Israël parce que celui qui l’aura
conclu, Yasser Arafat, y sera le responsable des musulmans. […]

Conclusion
En conclusion de ces pages, nous souhaiterions réaffirmer ces
points capitaux.
1. L’alliance avec les croyants et l’hostilité envers les infidèles est un
pilier essentiel de la croyance du musulman, sans lequel sa foi n’est
pas accomplie. Dieu a dit (qu’Il soit exalté !) : {Ô vous qui croyez ! Ne
prenez pas pour amis [165]  les Juifs et les chrétiens ; ils sont amis les
uns des autres. Celui qui, parmi vous, les prend pour amis, est des
leurs. – Dieu ne dirige pas le peuple injuste –} (La table servie) [166] .
Et l’hostilité envers les infidèles implique de dénoncer l’impiété du
tyran [167]  car Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Celui qui ne croit pas
aux Taghout, et qui croit en Dieu, a saisi l’anse la plus solide et sans
[168]
fêlure. – Dieu est celui qui entend et qui sait tout –} (La vache)   ,
et Il a dit : {N’as-tu pas vu ceux qui prétendent croire à ce que nous
t’avons révélé, et à ce qui a été révélé avant toi ? Ils veulent s’en
rapporter aux Taghout bien qu’ils aient reçu l’ordre de ne pas croire
en eux. – Le Démon veut les jeter dans un profond égarement} (Les
femmes) [169] . Donc, il nous faut séparer les tyrans et leurs partisans,
et les renier.
2. Négliger ce pilier essentiel, c’est ouvrir une brèche par laquelle
s’infiltrent les ennemis de l’islam pour détruire l’oumma, la
tromper, l’engourdir puis la conduire à des désastres et à des
catastrophes. Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {S’ils étaient partis avec
vous, ils n’auraient fait qu’ajouter à votre trouble ; ils auraient semé
la défiance parmi vous en cherchant à vous inciter à la révolte,
puisque certains d’entre vous les écoutent attentivement. Mais Dieu
connaît les injustes !} (Le repentir) [170] .
3. Négliger ce pilier essentiel conduit à dissoudre le dogme
musulman et à le modifier. Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Ô vous
qui croyez ! Si vous obéissez aux infidèles, ils vous feront revenir
sur vos pas ; vous reviendrez, alors, ayant tout perdu} (La famille
d’Imran) [171] .
4. Plus que jamais, nous avons besoin de faire la part entre les
serviteurs de l’islam qui le défendent, ses ennemis qui l’agressent,
et les hésitants qui n’œuvrent que pour leurs intérêts en
affaiblissant la résistance de l’oumma et en la détournant de son
vrai champ de bataille [172] . Dieu (qu’Il soit exalté !) a dit : {Lorsque
tu les vois, leurs personnes te plaisent ; s’ils parlent, tu écoutes ce
qu’ils disent ; ils sont semblables à des poutres solides. Ils pensent
que tout cri est dirigé contre eux. Ils sont vos ennemis. Méfie-toi
d’eux ! Que Dieu les tue ! Ils sont stupides !}, (Les hypocrites) [173] , et
Il a aussi dit : {Ils sont indécis, ils ne suivent ni les uns ni les autres.
Tu ne trouveras pas de chemin pour celui que Dieu égare} (Les
femmes) [174] .
5. Comment pourrions-nous accepter les appels visant à
abandonner le champ de bataille devant les ennemis de l’oumma ?
Comment pourrions-nous rester silencieux devant leur tentative de
priver les musulmans du droit de se défendre contre leurs
ennemis ? C’est pourtant un droit dont jouissent tous les
hommes [175] , comment pouvons-nous nous taire devant leur
démoralisation alors que l’oumma dispose du secours prodigieux
des capacités des moujahidines sincères ? Comment pouvons-nous
laisser ces appels se répandre parmi nous alors que les criminels
nous attaquent avec toutes sortes d’hostilités ? Ils ne respectent
aucune pudeur, aucunes mœurs, aucune famille ni aucun pacte.
Tout musulman soucieux de la victoire de l’islam ne peut accepter
aucun appel à l’arrêt du jihad ou à son ralentissement, ou à en
décharger l’oumma, en dépit de toutes les capacités que nous avons
évoquées, et alors que nos ennemis attaquent tous les jours nos
lieux saints, nos richesses et ce que nous avons de plus sacré. Dieu
(qu’Il soit exalté !) a dit : {Ils n’observent à l’égard d’un croyant ni
alliance, ni pacte qui assurent la protection} (L’immunité) [176] .
Hadith rapporté par Ibn Omar (que Dieu l’agrée !) : « J’ai entendu le
Messager de Dieu (que la prière et le salut de Dieu soient sur lui !)
dire : « Si vous vous mettez à vendre à terme, puis à saisir les
queues du bétail [177]  et vous contentez de l’agriculture, alors vous
abandonnerez le jihad et Dieu vous imposera un avilissement qui
ne disparaîtra que lorsque vous serez revenus à votre religion. »
rapporté par Ahmad et Abou Daoud [178] .
6. Non seulement nous ne nous contentons pas de refuser tout appel
à l’arrêt du jihad, mais nous appelons l’oumma avec toutes ses
composantes à rejoindre la caravane du jihad [179]  et à suivre sa
voie, à rivaliser avec lui et à frapper l’ennemi. Dieu (qu’Il soit
exalté !) a dit : {Ô vous les croyants ! Vous indiquerai-je un marché
qui vous sauvera d’un châtiment douloureux ? Vous croirez en Dieu
et en Son prophète, vous combattrez dans le chemin de Dieu avec
vos biens et vos personnes – Voilà un bien pour vous ; si vous
saviez ! – Dieu vous pardonnera vos péchés, il vous fera entrer dans
les Jardins où coulent les ruisseaux ; dans des demeures agréables,
dans les Jardins d’Eden. – Voilà le bonheur sans limites ! – Vous
aimez autre chose encore : un secours venant de Dieu et une
prompte victoire. Annonce la bonne nouvelle aux croyants !} (Le
rang) [180] .
7. Nous tendons la main à tous les musulmans soucieux de la
victoire de l’islam afin qu’ils participent à notre plan de travail
(visant à sauver l’oumma de sa douloureuse situation), lequel
repose sur l’hostilité aux tyrans, l’hostilité contre les infidèles,
l’allégeance aux croyants et le jihad sur la voie de Dieu [181] . Un plan
de travail dans lequel chaque musulman soucieux de la victoire de
l’islam rivalisera de générosité et de don pour libérer les territoires
musulmans, restaurer la domination de l’islam sur son territoire
puis répandre son appel dans le monde entier [182] .
8. Nous mettons en garde notre oumma contre l’esprit négatif et
l’oubli des périls énormes qui nous menacent. L’appareil militaire
judéo-croisé occupe la sainte Jérusalem, se tapit à 90 km du
sanctuaire de La Mecque [183] , et encercle le monde musulman d’une
chaîne de bases militaires et de flottes. Et ils dirigent leur agression
grâce à un réseau de gouvernants qui leur sont soumis.
Nous ne vivons pas sur une autre planète et ne voulons pas nous
comporter comme si mille ans nous séparaient du danger : nous
ouvrons chaque matin les yeux pour trouver les blindés juifs
détruisant les maisons à Gaza et à Jénine [184] , et assiégeant nos
domiciles.
La campagne contre l’Irak ne sera pas la dernière, et l’assassinat, au
Yémen, d’Abou Ali al-Harithi [185]  par des missiles américains porte
les traces du style israélien de liquidation des moujahidines en
Palestine qui se développe dans le monde arabe. Demain, n’importe
lequel d’entre nous peut être visé par un missile américain, l’index
américain sera pointé sur tout prédicateur sincère comme sur tout
écrivain noble [186] .
Nous devons agir vite, ayant assez perdu de temps [187] .
Les jeunes musulmans ne doivent attendre la permission de
personne [188] , car le jihad contre les Américains, les Juifs et leurs
alliés parmi les hypocrites et les apostats est devenu une obligation
individuelle, comme nous l’avons montré, et chaque groupe de
jeunes gens doit soutenir l’oumma et se préparer à la défendre contre
toute agression [189] . Il nous faut mettre le feu à notre terre sous les
pas des envahisseurs, sans quoi ils ne partiront jamais.
En conclusion, nous appelons notre oumma, et surtout ses jeunes
combattants, à l’endurance et à la certitude, l’endurance pour
porter les charges de la religion, et notamment le sommet [190]  de ses
obligations : le jihad dans la voie de Dieu. Dieu (qu’Il soit exalté !) a
dit : {Ô vous qui croyez ! Soyez patients ! Encouragez-vous
mutuellement à la patience ! Soyez fermes ! Craignez Dieu ! Peut-
être serez-vous heureux !} (La famille d’Imran) [191] , ainsi qu’à la
certitude de la promesse de Dieu (qu’Il soit exalté !). Car il a dit
(qu’Il soit exalté !) : {Dieu a écrit : « Moi et mes prophètes, nous
[192]
vaincrons sûrement ! » Dieu est fort et puissant.} (La dispute)   .
Mouslim [193]  a rapporté un hadith qu’il tenait d’Ouqba ibn Amir [194] 
(que Dieu l’agrée !) : « J’ai entendu le messager de Dieu (que la
prière et le salut de Dieu soient sur lui !) dire : “Une partie de ma
communauté continuera à combattre pour Dieu, en vainquant ses
ennemis, sans souffrir de ceux qui s’y opposent, et ce jusqu’au
Jugement dernier” » [195] .
Enfin, notre dernière parole sera pour louer Dieu, Seigneur des
mondes, et Lui demander qu’il accorde paix et salut à notre
seigneur Mohammad, sa famille et ses compagnons.
Ayman al-Zawahiri, Chawal 1423/décembre 2002.

Notes du chapitre
[1] ↑ Ce texte a été publié dans Al-Quds al-Arabi en décembre 2002, et on peut aujourd’hui
le trouver sur le site Internet Minbar al-tawhid wa’l-jihad (www.tawhed.ws). Hormis une
déclaration enregistrée en octobre 2002, al-Zawahiri était resté silencieux depuis les
combats en Afghanistan de la fin 2001 et la publication de Cavaliers sous l’étendard du
Prophète.
[2] ↑ Cette invocation, qui figure avant toutes les sourates du Coran excepté la sourate 9
[sûrat al-tawba], est utilisée comme en-tête de nombreux textes, parfois même d’ordre
privé.
[3] ↑ En arabe, [talî‘a], force de reconnaissance ou éclaireurs. L’avant-garde a cependant
un autre sens : élite, formation de tête. Ici, les deux sens sont mobilisés : les « éclaireurs »
du 11 septembre 2001 sont également l’élite de la formation combattante d’Al-Qaida.
[4] ↑ En arabe, [ghazwa mubâraka]. La [ghazwa] est un raid ou une expédition qui rompt
une trêve. C’est peut-être le sens retenu ici : l’attaque de New York dont parle l’auteur vise
en fait à mettre en lumière par une déclaration publique l’état de guerre qui existerait
entre les États-Unis et le monde musulman. Plus généralement, cependant, le terme de
[ghazwa] est employé pour désigner les batailles menées par le Prophète. Le terme
[mubâraka] – bénie – ajoute que l’action a été sanctionnée par Dieu et couronnée de
succès.
[5] ↑ Dans l’une de ses maladresses les plus lourdes de conséquences, le président Bush,
encore sous le choc des attentats qui s’étaient produits quelques jours plus tôt, déclara le
17 septembre 2001 : « Cette croisade, cette guerre contre le terrorisme, va prendre un
moment. » Devant le tollé provoqué par l’emploi de ce terme très connoté historiquement
et religieusement, Bush présenta le lendemain ses excuses par la voix du porte-parole de la
Maison-Blanche, Ari Fleicher, qui expliqua que le président n’entendait par le mot crusade
que son sens le plus courant de « cause importante ». Les jihadistes s’empressèrent
néanmoins de récupérer cette déclaration, qu’ils exhibent depuis lors comme une preuve
irréfutable du fait que la « guerre contre le terrorisme » prônée par l’administration
américaine n’est en (ait rien d autre qu’une nouvelle croisade contre l’islam, dans la lignée
des croisades du Moyen Âge.
[6] ↑ Sur les origines du dogme de l’allégeance et de la rupture ([al-walâ’ wa-l-barâ’]), se
reporter au chapitre introductif sur Ayman al-Zawahiri, p. 239.
[7] ↑ Le mot [walî] employé par l’auteur, et qui figure dans plusieurs des versets qui vont
être cités, signifie : allié, ami, patron, ou protecteur. Sa traduction est problématique,
comme nous l’avons noté auparavant (voir note 14, p. 244 dans al-Zawahiri, La Moisson
amère).
[8] ↑ Le danger que constituent les médias occidentaux, et plus largement le monopole de
l’information par les puissances occidentales, est un thème récurrent chez les idéologues
d’Al-Qaida, notamment chez Ben Laden, qui développe cette appréhension dans plusieurs
passages de ses « Recommandations tactiques ».
[9] ↑ En arabe, [al-haqq wa-l-bâtil], le Vrai et le Faux, au sens métaphysique du terme. En
ce sens, une autre traduction pourrait être le Bien et le Mal, le Bien et le Vrai étant perçus
comme équivalents.
[10] ↑ L’utilisation d’un vocabulaire et de thématiques marxistes – masses ([jamâhîr]) et
avant-garde ([talî‘a]), par exemple – est fréquente dans la littérature jihadiste.
[11] ↑ Les mourjites sont ceux qui professent (fal-irjâ’]) le « renvoi » ou l’« ajournement ».
Historiquement, cette doctrine est née à Koufa, à l’époque de la [fitna] (guerre civile
opposant les partisans d’Ali, le quatrième calife, à ceux de Mouawiya, fondateur de la
dynastie omeyyade, qui sera finalement son successeur, dans la seconde moitié du VIIe
siècle). Les mourjites appelaient à la neutralité et refusaient de juger ici-bas les actes des
hommes, ce qui revenait à adopter une attitude conciliante envers les Omeyyades au
pouvoir. Les mourjites définissaient le croyant par sa foi, et non par ses actions ou son
respect des obligations rituelles. Violemment déprécié par le sunnisme orthodoxe (dont
Ahmad ibn Hanbal, le fondateur de l’école hanbalite), le terme de mourjite est devenu une
désignation polémique dans la bouche des islamistes radicaux contemporains qui
l’utilisent pour caractériser – et délégitimer – ceux qu’ils appellent aussi les « oulémas de
palais », donnant leur blanc-seing à l’action des régimes en place. Dans le cadre saoudien
en particulier, cette polémique a pour enjeu la remise en cause de la légitimité de
l’institution religieuse wahhabite officielle. C’est ainsi que l’un des personnages les plus
influents de la mouvance islamiste saoudienne, Safar al-Hawali, intitula sa thèse de
doctorat, soutenue en 1986 à l’université Oumm al-Qoura de La Mecque devant
Mohammed Qotb, « Le phénomène de l’irja’ dans la pensée islamique. » Il y fait de l’[irjâ’]
une réalité contemporaine à combattre, incarnée – suggère-t-il implicitement – par
l’institution religieuse officielle. Voir G. Kepel, Fitna…, op. cit., p. 219-221.
[12] ↑ Il s’agit ici de l’islam des « pieux ancêtres » ([al-salaf al-sâlih]), dont se réclament les
wahhabites, et plus largement les salafistes. Voir note 31, p. 144 dans Abdallah Azzam, La
Défense des territoires musulmans.
[13] ↑ Les adeptes du salafisme radical refusent en général de travailler dans les
administrations d’État, et méprisent ceux qui le font, car cela implique de reconnaître la
légitimité du pouvoir en place. On les trouvera plus souvent dans le commerce (d’autant
que le Prophète, leur modèle suprême, était lui-même commerçant).
[14] ↑ Al-Zawahiri use ici de sarcasme pour désigner la famille royale saoudienne, sur
laquelle on connaît par ailleurs sa position.
[15] ↑ Il pense ici probablement aux oulémas de l’université religieuse d’al-Azhar en
Égypte, qui ont approuvé l’adoption des différentes constitutions égyptiennes et la paix
avec Israël en 1979, et dont certains, comme le grand cheikh d’al-Azhar Ali al-Tantaoui, ont
participé à des rencontres inter-religieuses avec des rabbins israéliens. Il vise peut-être
aussi ceux de l’institution religieuse wahhabite saoudienne, qui ont dû tolérer – parfois à
leur corps défendant – l’adoption d’un corpus de lois positives venant compléter celui
fondé sur la loi islamique, et ont autorisé, en 1995, la signature éventuelle d’un traité de
paix avec Israël.
[16] ↑ Les concours de récitation du Coran sont très répandus dans le monde musulman,
comme moyen de promotion de l’islam. Ils sont quelque fois retransmis à la télévision, et
les prix peuvent s’élever à des sommes d’argent conséquentes.
[17] ↑ Il s’agit du [hajj] et de la [‘umra]. Le premier est un ensemble de rites qui se
déroulent au cours d’un moment particulier du mois de dhou al-hijja du calendrier
islamique, entre La Mecque et des lieux environnants (Mina, Arafa, et Mouzdalifa), et
constitue l’un des cinq piliers de l’islam. La seconde est une visite qui peut avoir lieu tout
au long de l’année, et qui, tout en étant également codifiée, n’a pas un caractère
obligatoire.
[18] ↑ Il s’agit ici de l’Alliance du Nord, dirigée par le commandant Massoud jusqu’à sa
mort le 9 septembre 2001, et sur laquelle les Américains s’appuyèrent pour reprendre
Kaboul, lors de l’offensive d’octobre 2001.
[19] ↑ Sur Ibn Taymiyya, voir note 60, p. 166 dans Azzam, Rejoins la caravane !
[20] ↑ Al-Zawahiri, ayant lui-même subi la torture dans les prisons égyptiennes au début
des années 1980, évoque souvent, dans ses textes, la cruauté des régimes arabes.
[21] ↑ On trouve ici un passage polémique où Ibn Taymiyya décrit l’attitude des Mongols,
fraîchement convertis à l’islam, qui imposent leur propre loi à leurs sujets musulmans tout
en prétendant agir en vertu de l’islam. À la suite d’ibn Taymiyya, les Mongols occupent
dans imaginaire islamiste la place des « hypocrites », des « faux musulmans » qu’il faut
combattre et auxquels sont assimilés les gouvernants arabes contemporains.
[22] ↑ Les deux sanctuaires ([al-haramayn]) désignent La Mecque et Médine, en Arabie
saoudite.
[23] ↑ En arabe, [charî’a].
[24] ↑ Coran, 9/46-47.
[25] ↑ C’est-à-dire les gens de Médine. Yathrib est l’ancien nom de la ville, surnommée
après l’hégire, la ville du Prophète ([madînat al-nabî]) ou plus simplement la Ville ([al-
madîna]).
[26] ↑ Coran, 33/12-14.
[27] ↑ On note ici dans le discours d’al-Zawahiri le passage de la tradition qotbiste, qui
fait de la violation du dogme d’[al-hukm bi-mâ anzala allâh] (le gouvernement en fonction
de ce que Dieu a révélé) le principal problème de notre temps et qui caractérise son
engagement politique contre le régime égyptien, aux tendances les plus radicales de la
tradition wahhabite, pour qui la violation du dogme de « l’allégeance et de la rupture »
([al-walâ’ wa-l-barâ’]) représente le problème central. C’est le comble de la sédition ([al-
fitna al-kubrâ]).
[28] ↑ Coran, 11/88 (seule la fin du verset est citée).
[29] ↑ Al-Zawahiri fait ici allusion aux politiques étrangères pro-américaines des régimes
du Moyen-Orient, comme l’Égypte et l’Arabie saoudite.
[30] ↑ De la traduction du terme [awliyâ’], pluriel de [walî], dépend l’interprétation de ce
verset : « ami », « allié » ou « protecteur » (voir note 14, p. 244 dans al-Zawahiri, La Moisson
amère).
[31] ↑ Coran, 3/28.
[32] ↑ Al-Tabari : Abou Jaafar Mohammad (839-923), fameux savant musulman d’origine
persane, auteur du [Jâmi’ al-bayân fî tajsîr âyât al-qur’ân], souvent abrégé en Commentaire
de Tabari ([tafsîr al-tabarî]). Auteur prolixe, il est célèbre également pour son Histoire dont
de larges parties furent reprises, comme c’était l’usage, par Ibn al-Athir puis Ibn Khaldoun.
Al-Tabari reste une référence emblématique de l’islam orthodoxe de l’âge classique, avec
Ibn Hanbal et al-Achari.
[33] ↑ Coran, 4/138-139.
[34] ↑ Coran, 4/144.
[35] ↑ Idem.
[36] ↑ Ce verset est, parmi tous ceux présentés ici, le plus couramment cité pour dénoncer
les relations qu’entretiennent les régimes moyen-orientaux avec les gouvernements
occidentaux.
[37] ↑ Le terme [hizb allâh], signifiant « parti de Dieu », a inspiré différents mouvements
islamistes qui l’ont adopté comme nom ; le plus connu est le Hezbollah libanais.
[38] ↑ Coran, 5/51-58.
[39] ↑ C’est l’auteur (al-Zawahiri) qui souligne.

[40] ↑ Sur Ibn Hajar al-Asqalani, juriste égyptien du XVe siècle (1372-1449), voir note 100,
p. 174 dans Azzam, Rejoins la caravane !
[41] ↑ Dans l’histoire de l’islamisme, des groupes ont, en vertu d’une certaine
interprétation de ce hadith, choisi de s’isoler par rapport à une société qu’ils considèrent
impie, faisant leur exil ([hijra]). Ce fut le cas dans les, années 1970 du groupe Jamâ’at al-
muslimîn, plus connu sous le nom d’Al-takfir wa-l-hijra en Égypte (voir note 49, p. 252),
ainsi que de certaines communautés en Arabie saoudite. Ce n’est en revanche pas le cas
des milieux jihadistes auxquels appartient al-Zawahiri puisque, comme on l’a vu avec la
préparation des attentats du 11 septembre 2001, ceux-ci n’hésitent pas à s’intégrer à une
société non-musulmane, quoique principalement pour des raisons tactiques.
[42] ↑ Coran, 5/80-81.
[43] ↑ C’est en vertu de ce commandement que de nombreux militants jihadistes
n’hésitent pas à rompre toute relation avec leur famille.
[44] ↑ Coran, 9/23-24.
[45] ↑ Ibn Kathir : Imad al-Din Ismaïl, né vers 1300, mort à Damas en 1373, est un
historien et un traditionniste célèbre. Influencé très jeune par ibn Taymiyya, il devint
professeur de hadith, et participa marginalement aux débats et polémiques de son époque.
Son œuvre la plus importante, Le Début et la Fin ([al-bidâya wa-al-nihâya]), est une vaste
histoire de l’islam. Il est également connu pour son Recueil des recueils ([kitâb al-jâmi‘]),
compilation des principaux recueils de hadith. Enfin, son Commentaire du Coran ([tafsîr])
est une analyse philologique plus qu’une exégèse.
[46] ↑ En arabe, terme désignant en premier lieu tout homme ayant retenu le Coran par
cœur, puis, en tant que titre honorifique, un grand savant ayant su retenir de nombreux
hadiths, comme c’est ici le cas.
[47] ↑ Al-Bayhaqi (mort en 1066), juriste et traditionniste persan (voir note 34, p. 144 dans
Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans).
[48] ↑ On a là un exemple d’une chaîne de transmission d’une tradition : le compilateur
rapporte l’ensemble des refais qui remontent jusqu’au témoin du dit ou du fait du
Prophète. L’absence de lacunes dans la chaîne et la valeur morale et religieuse des relais
de cette chaîne participent à la classification du hadith selon sa plus ou moins grande
véracité. Voir dans La Défense, note 36, p. 146.
[49] ↑ Sur Abou Oubayda, compagnon du Prophète, voir note 18, p. 156 dans Abdallah
Azzam, Rejoins la caravane !
[50] ↑ Coran, 3/118.
[51] ↑ Vers d’Abib ibn al-Abrass, poète de l’anté-islam, mort vers 600.
[52] ↑ Traditionniste du IXe siècle. Voir note 30 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[53] ↑ Abou Hourayra, compagnon du Prophète mort vers 678, est l’un des principaux
rapporteurs de hadiths. Des milliers de traditions s’appuient sur son témoignage.
[54] ↑ L’un des principaux compagnons du Prophète, important rapporteur de traditions.
[55] ↑ Al-Zawahiri se réfère ici implicitement aux experts étrangers auxquels les
gouvernements arabes font appel.
[56] ↑ Abou Moussa al-Achari, compagnon du Prophète, mort en 665. Voir note 88, p. 280
dans al-Zawahiri, Cavaliers sous l’étendard du Prophète.
[57] ↑ Avec le califat d’Omar (634-644) et l’expansion géographique de l’État musulman
naissant, une administration embryonnaire vit le jour, et les musulmans furent obligés de
s’appuyer sur les administrations des territoires conquis : ainsi, beaucoup d’anciens
fonctionnaires de l’empire byzantin, de religion chrétienne, se retrouvèrent au service des
musulmans. Cela resta vrai jusqu’à l’époque mamelouke (XIIIe siècle). Dans l’exemple cité,
Abou Moussa, l’un des conquérants de la Mésopotamie, parle très certainement d’un de ces
chrétiens passés au service de l’empire califal. Voir note 17, p. 156 sur Omar dans Abdallah
Azzam, Rejoins la caravane !
[58] ↑ En arabe, [amîr al-mu’minîn], titre porté par le calife depuis le règne d’Omar (634-
644), le deuxième calife.
[59] ↑ Al-Qourtoubi, juriste, exégète et théologien. Voir note 13, p. 64 dans Ben Laden,
« Déclaration du Front islamique. »
[60] ↑ Al-Hîra, capitale du royaume arabe lakhmide avant l’islam, au sud-est de l’actuelle
Najaf, en Irak. Cette ville et sa région furent un centre intellectuel important pendant la
période pré-islamique : « Des traditions arabes persistantes situent l’origine de l’écriture
arabe à Anbâr, sur la rive gauche du Moyen-Euphrate, d’où elle serait passée à Hîra, sur la
rive droite. » Alfred-Louis de Prémare, Les Fondations de l’islam, Paris, Le Seuil, 2002, p.
242.
[61] ↑ En arabe, [dhimmî] au singulier et [ahl al-dhimma] au pluriel. Statut accordé aux
« gens du Livre » vivant dans un État musulman. Ceux-ci sont alors protégés en échange du
paiement d’un impôt discriminant, la [jizya].
[62] ↑ Désigne Ahmad ibn Hanbal, le fondateur de l’école juridique hanbalite. Voir note
20, p. 142 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[63] ↑ Abou Talib est l’oncle paternel du Prophète, qui l’éleva et le protégea lors des
premières années qui suivirent la révélation. Il mourut en 619, sans probablement se
convertir lui-même. Il demeure cependant considéré comme un modèle dans
l’apologétique islamique, contrairement à d’autres notables de la tribu de Qouraych, voire
à des membres de la famille du Prophète, comme son autre oncle Abou Lahab.
[64] ↑ Le [kharâj] est un terme qui, dès avant l’islam, désigne l’impôt. Avec l’avènement
de l’islam, il prend le sens plus spécifique d’impôt foncier. Au début de l’ère musulmane, le
[kharâj] est distingué du [‘uchr], dîme qui tient parfois lieu de [zakât] – aumône légale –
pour les propriétaires fonciers musulmans.
[65] ↑ En arabe, [dîwân]. Voir Janine et Dominique Sourdel, Dictionnaire historique de
l’islam, Paris, PUF, 1996.
[66] ↑ Abou Bakr fut le premier calife (632-634), dit [al-Siddîq] (le Véridique). Né vers 570,
marchand, il fut l’un des premiers convertis, accompagna le Prophète lors de son exil et
semble avoir été considéré comme un membre important de la jeune communauté. Il fut
désigné comme chef de l’État islamique naissant après la mort du Prophète (632) et prit le
titre de « successeur de l’Envoyé de Dieu » ([khalîfat rassûl allâh]). Les deux ans que dura
son califat virent l’amorce de l’expansion musulmane en Syrie et en Irak, et le contrôle
définitif du Hedjaz après la répression des tribus qui avaient apostasie. Au bout de deux
ans de règne, il mourut assassiné, en 634.
[67] ↑ Il s’agit, ici encore, d’ibn Taymiyya, référence majeure des islamistes radicaux.
[68] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[69] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[70] ↑ Coran, 47/25-26.
[71] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[72] ↑ Coran, 5/51.
[73] ↑ Coran, 5/41.
[74] ↑ Coran, 9/47.
[75] ↑ Expression employée durant la prière collective musulmane.
[76] ↑ [Ahl al-kitâb] : croyants d’une des religions monothéistes, le Livre étant l’ensemble
des textes sacrés de la tradition abrahamique.
[77] ↑ Cela renvoie directement à la, participation, active ou passive, des États du Moyen-
Orient aux guerres conduites par les États-Unis dans la région. Ce fut le cas pour la guerre
contre l’Afghanistan des talibans déclenchée en octobre 2001, menée notamment à partir
des bases américaines situées au Qatar et au Bahrein. Au moment où al-Zawahiri rédige ce
texte, à la fin 2002, la guerre contre l’Irak semblait à la fois inéluctable et imminente, et la
question de l’attitude des États de la région à l’égard du conflit à venir se posait. Al-
Zawahiri semble donc, par ce texte, les mettre en garde.
[78] ↑ Coran, 5/51-53. La répétition ad nauseam de certains versets manifeste ici sa
dimension d’endoctrinement, au sens propre.
[79] ↑ L’une des branches de l’exégèse musulmane, [asbâb al-nuzûl], consiste à enquêter
sur les circonstances de la révélation des diverses sourates du Coran.
[80] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[81] ↑ Ibn Hazm : Abou Mohammad (994-1064), écrivain et théologien andalou de grande
renommée. Ayant vécu la période troublée des Reyes de Taifas (roitelets s’étant partagés
les villes et provinces du califat omeyyade agonisant), il participa à la vie politique avant
de se retirer de la scène publique pour se consacrer à son œuvre. Son Collier de la colombe
([tawq al-hamâma]) est un classique de la littérature amoureuse, connu pour la finesse de
son analyse psychologique. Professant la doctrine zahirite, qui vise à un littéralisme
modéré, il tenta de simplifier le droit musulman en le dépouillant des ajouts postérieurs à
l’époque des premiers califes. Ennemi des écoles juridiques ou philosophiques accordant à
l’interprétation du texte religieux une large place, ibn Hazm reste une référence (assez
originale, il est vrai) du sunnisme orthodoxe contemporain de type wahhabite.
[82] ↑ L’auteur reprend ici la distinction classique entre le [dâr al-islâm], littéralement
« maison de l’islam », à savoir le territoire de l’oumma, et le [dâr al-harb], littéralement
« maison de la guerre ». Voir note 39, p. 146 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[83] ↑ L’image employée ici s’inspire de l’esclavage (le verbe [abaqa] signifiant
« s’enfuir », pour un esclave), comme cela est fréquent dans la culture arabe classique.
[84] ↑ Coran, 9/71.
[85] ↑ Abou Mohammad est la [kunya] d’Ibn Hazm. Sur ce mot, voir la note 1, p. 367 dans
l’introduction à al-Zarqawi.
[86] ↑ L’une des conséquences du décret d’apostasie est d’entraîner automatiquement la
dissolution du mariage de celui qui en est frappé, puisqu’un non-musulman ne saurait être
marié à une femme musulmane. C’est ainsi qu’en 1995, un tribunal religieux du Caire
prononça la dissolution du mariage de Nasr Hamid Abou Zayd, penseur religieux et
professeur à l’université du Caire, sur la base de son apostasie supposée. Celui-ci dut alors
quitter l’Égypte pour s’installer avec son épouse aux Pays-Bas, où il enseigne désormais à
l’université de Leyde. L’affaire, très médiatisée, embarrassa considérablement le pouvoir
égyptien, qui vit, à cette occasion, son image de garant d’un « islam modéré » battue en
brèche.
[87] ↑ Province de l’Inde médiévale contenant la basse vallée et le delta de l’Indus ;
aujourd’hui l’une des six provinces constitutives du Pakistan, dont la capitale est Karachi.
[88] ↑ Au moment de, la publication de ce texte, l’invasion de l’Irak par les troupes de la
coalition menée par les États-Unis paraît inéluctable. Al-Zawahiri interdit ici, par avance,
toute coopération avec une administration mise en place par les Américains.
[89] ↑ Ici plus explicitement encore qu’ailleurs dans le texte, références anciennes et
actuelles se télescopent puisque al-Zawahiri en appelle directement aux anciens pour
juger de la situation présente.
[90] ↑ Le commandement central des forces américaines au Moyen-Orient (Cent Com) se
trouve à Qatar, tandis que la Ve flotte est basée à Bahreïn.
[91] ↑ Le général Musharraf, au pouvoir au Pakistan depuis le coup d’État militaire du
12 octobre 1999, est l’une des bêtes noires des jihadistes, puisqu’il s’est révélé, au
lendemain des attentats du 11 septembre 2001, comme l’un des alliés les plus fidèles de
Washington au Moyen-Orient.
[92] ↑ Le port d’Aden est un important port de ravitaillement pour les navires
américains, et plus généralement occidentaux, en route entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie.
C’est là qu’en octobre 2000, le croiseur de guerre USS Cole fut frappé par un attentat qui
coûta la vie à 17 marins. En novembre 2002, c’est au large d’un autre port yéménite, al-
Moukalla, situé plus à l’est, que le pétrolier français Limbourg fut frappé.
[93] ↑ Al-Zawahiri pense ici au canal de Suez, par lequel transitent les navires américains,
et plus généralement occidentaux, rejoignant le Moyen-Orient depuis l’Europe.
[94] ↑ Le 3 novembre 2002, un cadre présumé d’Al-Qaida, Abou Ali al-Harithi, soupçonné
d’avoir participé à la planification de l’attentat contre l’USS Cole, a été tué dans la région de
Maarib, à 200 kilomètres à l’est de la capitale Sanaa, par un tir de missile depuis un drone
Predator sans pilote, opéré par la CIA. Il se trouvait alors dans une voiture, avec cinq autres
personnes. Le gouvernement yéménite a tacitement approuvé l’opération.
[95] ↑ En arabe, [asliyy]. Al-Zawahiri définit ici clairement les trois catégories d’ennemis :
les infidèles « d’origine » (les Occidentaux « en guerre contre l’islam »), les apostats ([al-
murtaddûn]) et les hypocrites ([al-munâfiqûn]). Dans les deux derniers cas, il se réfère aux
régimes arabes et à ceux qui les soutiennent, la différence entre le premier et le second
terme n’étant qu’une différence de degré.
[96] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[97] ↑ Dans certains cas, en effet, celui qui a contracté une dette peut avoir besoin de
l’autorisation de son créancier pour partir au jihad, de peur qu’il n’y trouve la mort et que
la dette demeure impayée. Voir Pautre mention dans le texte d’Azzam, p. 67.
[98] ↑ Désigne Ahmad ibn Hanbal, le fondateur de l’école juridique hanbalite. Voir note
20, p. 142 dans Abdallah Azzam, La Défense des territoires musulmans.
[99] ↑ En arabe, [hurma]. Il s’agit de l’intégrité morale d’une personne, de ses proches et,
plus généralement, de ce qu’on appellerait aujourd’hui l’espace privé, qui doit être hors de
portée du regard, et à plus forte raison, d’une intrusion physique ou morale étrangère. La
racine [hâ râ mîm] embrasse les sens variés d’interdit, de sacré, de tabou.
[100] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[101] ↑ Ibn Taymiyya expose ici, d’une certaine manière, la différence entre Azzam et
Ben Laden.
[102] ↑ Il y eut ainsi au Moyen Âge plusieurs oulémas combattants. Voir Michael Bonner
Le Jihad. Origines, interprétations, combats (Paris, Téraèdre, 2004), notamment le chap. 7 :
« Les érudits en armes ».
[103] ↑ Sur Ibn Taymiyya – voir note 60, p. 166 dans Rejoins la caravane !
[104] ↑ C’était pour al-Zawahiri, avant la fin des années 1990, non pas l’une des plus
importantes, mais la plus importante forme de jihad. Comme on le voit ici, il croit toujours
en son importance, mais il la situe à présent en seconde position dans la liste de ses
priorités.
[105] ↑ Coran, 4/65. Là encore, l’auteur répète, à un paragraphe d’intervalle, le même
verset. Un tel procédé vise à l’endoctrinement du lecteur sympathisant par l’argument
d’autorité que constitue la référence coranique.
[106] ↑ Al-Chafii : Abou Abdallah Mohammad, fameux juriste, à l’origine de l’une des
quatre grandes écoles juridiques du sunnisme, qui porte son nom. Né en 767, descendant
de la famille du Prophète (ce qui joua un rôle dans sa légitimation), il fut l’élève de Malik
ibn Anas, le fondateur de l’école malékite. Persécuté un moment pour avoir soutenu des
rivaux des Abbassides (au pouvoir à partir de 750), il refusa ensuite toute fonction
officielle et termina sa vie en Égypte, professeur dans une mosquée de Foustat (site près
duquel sera fondé Le Caire). Le chafiisme met l’accent sur le « raisonnement par analogie »
([qiyâs]) et réduit l’espace accordé au juge (par rapport à ce qui est en vigueur chez son
devancier Abou Hanifa). Sur la question des hadiths, en revanche, il fut particulièrement
attaqué par les malékites et les hanbalites, qui l’accusèrent d’être peu regardant sur la
validité des traditions qu’il citait ou rapportait. Le fait qu’al-Zawahiri, qui s’inscrit plutôt
dans une tradition hanbalite-wahhabite, cite ici al-Chafii illustre encore une fois sa volonté
de légitimer ses positions non par une tradition spécifique, mais par toutes les traditions.
[107] ↑ Coran, 4/59.
[108] ↑ Coran, 4/64.
[109] ↑ Coran, 4/80.
[110] ↑ Coran, 4/65.
[111] ↑ Coran, 24/63.
[112] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne.
[113] ↑ Sur la [zakât], voir note 59, p. 166.
[114] ↑ Coran, 5/50.
[115] ↑ Traditionniste : voir note 45, p. 322.
[116] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne. Il s’agit d’effacer la distinction entre erreurs
majeures et erreurs mineures. Toute dérogation (délibérée) à un point du culte doit être
considérée comme une potentielle apostasie, puisqu’elle remet en cause l’ensemble du
système.
[117] ↑ Coran, 66/9.
[118] ↑ Exégète andalou. : voir note 13, p. 64.
[119] ↑ Ce passage, ainsi d’ailleurs qu’une grande partie de ce texte, est représentatif du
mode d’écriture des idéologues jihadistes : les citations, qui s’accumulent, doivent
idéalement saturer le texte et le rendre le plus impersonnel possible. Les commentaires de
l’idéologue, aussi intempestifs soient-ils, doivent s’insérer dans un système de citations
d’auteurs classiques et de textes religieux pour mieux faire valoir leur caractère orthodoxe
et indiscutable. Al-Zawahiri prend d’ailleurs un soin presque maniaque à citer chaque fois
scrupuleusement ses sources (y compris les numéros de pages des ouvrages religieux sur
lesquels il s’appuie) – ce que les oulémas traditionnels, sûrs de leur érudition religieuse, ne
font pas. C’est pour al-Zawahiri – qui, rappelons-le, est médecin de formation et n’a jamais
suivi d’études religieuses – une manière de compenser le déficit de légitimité qui pourrait
découler de son état. Mais c’est aussi une manière de remettre en cause le magistère même
des oulémas, en présentant les textes comme suffisamment explicites pour qu’ils se
suffisent à eux-mêmes.
[120] ↑ Coran, 5/51-53.
[121] ↑ On a ici un autre exemple de répétition d’une citation en l’espace de quelques
pages, procédé dont est coutumier ce genre de littérature.
[122] ↑ Il s’agit ici de l’émigration vers le [dâr al-islâm] appelée [hijra] (le même terme,
traduit par hégire, est utilisé pour désigner la fuite du Prophète de La Mecque en 622, qui
marque le début du calendrier musulman).
[123] ↑ Coran, 8/72-75.
[124] ↑ Ibn al-Arabi (1165-1240), appelé le Grand Cheikh, est un savant religieux et un
mystique musulman andalou, auteur notamment d’[al-futuhât al-makiyya], partiellement
traduit en français sous le titre Les Ouvertures mecquoises. Grand voyageur, ses œuvres
furent écrites sous l’influence de ses cheminements spirituels mais aussi géographiques. Il
est intéressant de noter que son soufisme fait d’ibn al-Arabi un hérétique aux yeux des
plus radicaux des oulémas wahhabites. Il est néanmoins cité : ce qui, une fois de plus,
correspond à une volonté de présenter les positions exprimées ici comme n’étant pas celle
d’une école particulière, mais de toutes. De nouveau, Zawahiri se positionne donc en
intellectuel organique de l’ensemble de la communauté des croyants, par-delà les seuls
jihadistes.
[125] ↑ Monnaie arabe médiévale comme le dinar cité p. 395.
[126] ↑ Les émigrés ([muhâjirûn]) sont les premiers musulmans qui accompagnèrent le
Prophète lorsqu’il quitta La Mecque pour Médine en 622. Voir note 21, p. 156 dans
Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[127] ↑ Sur les compagnons [al-ansâr], voir la note 21, p. 156 dans Abdallah Azzam,
Rejoins la caravane !
[128] ↑ Coran, 8/72.
[129] ↑ Compagnon du Prophète.
[130] ↑ Zawahiri fait ici référence au principe de « Commandement de Bien et
interdiction du Mal » ([al-amr bi-l-ma’rûf wa-l-nahî ‘an al-munkar]) : voir note 50, p. 252.
[131] ↑ Coran, 9/71.
[132] ↑ Voir la note 18 sur L’Authentique, p. 154.
[133] ↑ Al-Zawahiri garde donc très présent à l’esprit le jihad contre les dirigeants
« apostats » des États musulmans, au sens où le jihad contre « 1 ennemi lointain » ne peut
cesser d’englober ceux qui lui ont fait allégeance.
[134] ↑ En arabe, [’aqîda].
[135] ↑ Le danger que représentent les gouvernements arabes vient aussi du fait qu’ils
contrôlent et imposent des systèmes éducatifs et culturels considérés comme anti-
islamiques, d’où leur emprise sur les « âmes » des musulmans.
[136] ↑ Alors que Ben Laden ignore systématiquement la France dans ses déclarations, al-
Zawahiri semble au contraire nourrir une plus grande hostilité à son égard. C’est par
exemple lui qui, en février 2004, s’en prend à elle après l’adoption de la loi sur
l’interdiction des signes religieux ostensibles – impliquant celle du port du voile ([hijâb]) –
dans les écoles publiques.
[137] ↑ Al-Zawahiri fait ici le procès général du système né de la Seconde Guerre
mondiale. Pour lui, la décolonisation et le système onusien qui l’accompagne, sont des
reconductions de la domination occidentale sur les pays musulmans, à travers la fixation
de frontières artificielles, la promotion de régimes pro-occidentaux et la consécration du
droit international contraire aux principes islamiques.
[138] ↑ Au-delà de leur position juridique sur la question, les jihadistes nourrissent à
l’égard des Nations unies une haine féroce. En mai 2004, on vit par exemple Oussama ben
Laden offrir dans l’une de ses déclarations dix kilos d’or à qui tuerait Kofi Annan.
[139] ↑ Les Nations unies sont, aux yeux de l’auteur, une institution impie, entre autres
parce qu’elle obéit à la loi du nombre (une partie des décisions étant émise après vote).
[140] ↑ Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (les États-Unis, la Russie, la
Grande-Bretagne, la Chine et la France), qui en compte quinze, possèdent en effet un droit
de veto qui leur permet d’imposer leur volonté en cas de désaccord.
[141] ↑ Voir la note 31 dans Cavaliers sous l’étendard du Prophète, p. 292.
[142] ↑ Ce sommet de la ligue arabe se tint à Beyrouth en octobre 2002.
[143] ↑ C’est au cours de ce sommet que fut acceptée par les États arabes la proposition
du prince héritier d’Arabie saoudite Abdallah, d’une paix globale avec Israël en
contrepartie d’un retrait de cet État jusqu’aux frontières de 1967. Cette proposition avait
été formulée en avril 2002 lors de la visite aux États-Unis du prince héritier.
[144] ↑ Voir la note 45 dans Rejoins la caravane !, p. 146.
[145] ↑ Coran, 4/75.
[146] ↑ En mars 1996, eut lieu à Charm al-Cheikh le premier « sommet mondial contre le
terrorisme » (le terrorisme y étant largement réduit à sa forme islamiste), auquel
participèrent, aux côtés des États-Unis, de la Russie et d’Israël, la plupart des pays arabes.
[147] ↑ Surtout le Pakistan, dont le gouvernement a été à plusieurs reprises l’objet de
condamnations de la part d’Al-Qaida, pour son alliance stratégique avec les États-Unis.
[148] ↑ À la fin 2002, lorsque ce texte est rédigé, aux terres « historiques » de jihad que
sont la Palestine, la Tchétchénie et le Cachemire, vient s’ajouter l’Irak qui deviendra, après
le printemps 2003, le principal espoir de la mouvance jihadiste.
[149] ↑ L’ennemi proche, constitué des régimes arabes du Proche-Orient, d’autant plus
dangereux, selon l’auteur, qu’ils prétendent appartenir à l’islam.
[150] ↑ Al-Zawahiri, qui est chirurgien, utilise ici une métaphore médicale. On retrouve
diverses versions de cette imagerie médicale aussi bien chez les idéologues d’Al-Qaida que
parmi les membres de l’administration américaine. Dans les deux cas, il s’agit de tenter
d’universaliser le message.
[151] ↑ En arabe, [jizya]. Voir note 42, p. 146 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[152] ↑ En arabe, [al-sunna wa al-jamâ‛a] – la tradition et la communauté – désigne
l’orthodoxie sunnite, dont les hanbalites, et plus spécifiquement les wahhabites, se
présentent les authentiques héritiers.
[153] ↑ Voir supra, note 11, p. 312.
[154] ↑ Secte musulmane tout d’abord alliée à Ali ibn Abi Talib, le quatrième calife, mais
qui s’en sépara au point que l’un de ses membres l’assassina en 661. Les Kharijites furent,
parmi l’ensemble des sectes musulmanes fleurissant à partir de la grande [fitna] qui
frappa l’empire musulman à la fin du règne d’Ali, celle qui poussa le plus loin la pratique
de l’anathème et l’appel au meurtre des adversaires. L’accusation est généralement
formulée à l’encontre des groupes jihadistes par les institutions islamiques officielles, et se
voit ici retournée par al-Zawahiri contre ses promoteurs. Dans sa critique, al-Zawahiri
affuble donc ses adversaires des dépouilles de deux sectes médiévales, la première
conciliante avec le pouvoir en place, la seconde puritaine et révolutionnaire. Voir Janine et
Dominique Sourdel, Dictionnaire historique de l’islam, Paris, PUF, 1996.
[155] ↑ Sur Faraj, voir p. 225
[156] ↑ Ce sont, outre l’idéologue Abd al-Salam Faraj, les quatre membres du commando
qui assassina le président égyptien Anouar al-Sadate le 6 octobre 1981. Ils furent tous les
cinq exécutés. Notons qu’Abd al-Hamid Abd al-Salam est le beau-frère d’Abou Obayda al-
Banchiri, important cadre d’Al-Qaida.
[157] ↑ Al-Azhar, la prestigieuse université religieuse du Caire, légitima l’accord par un
avis religieux en bonne et due forme qui se fonde sur des arguments d’intérêt général
([maslaha]) énumérant les bénéfices engendrés par une telle décision.
[158] ↑ Al-Zawahiri pense ici au cheikh Abd al-Aziz ben Baz, grand moufti du royaume
d’Arabie saoudite, qui sanctionna par une fatwa, en août 1990, l’appel à une coalition
menée par les États-Unis pour protéger le royaume d’une éventuelle attaque irakienne.
Ben Baz est aussi connu pour ses fatwas appelant à l’obéissance envers le gouvernement
saoudien, et pour avoir légitimé la répression contre les islamistes saoudiens au début et
au milieu des années 1990. Voir supra la réfutation d’une de ses fatwas par al-Zawahiri, p.
263.
[159] ↑ Fatwas de l’establishment religieux saoudien, dans la lignée de celle de Ben Baz
citée précédemment.
[160] ↑ En août 1990, Ben Laden a effectivement proposé à Sultan ibn Abd al-Aziz,
ministre saoudien de la Défense, de mobiliser les Arabes afghans pour défendre l’Arabie
saoudite et libérer le Koweït. La proposition fut rejetée, sous prétexte que le terrain ne se
prêtait pas à une guérilla à l’afghane. Ce fut le premier différend de taille entre Ben Laden
et les autorités saoudiennes, qui allait mener à la rupture quelques mois plus tard.
[161] ↑ Sur les zones d’exclusion aérienne, voir aussi note 6, p. 64.
[162] ↑ La résolution 687 de l’ONU du 3 avril 1991 impose notamment à l’Irak d’accepter
des inspections de ses installations nucléaires par des équipes de l’Agence Internationale
de l’Énergie Atomique.
[163] ↑ Parmi les conditions du cessez-le-feu imposées à Saddam Hussein par l’ONU en
mars 1991 (résolution 686 du 2 mars 1991), celui-ci a dû s’engager à payer des réparations
pour dommages de guerre correspondant aux destructions causées par l’invasion, la
majeure partie étant destinée au Koweït.
[164] ↑ Al-Zawahiri fait ici référence aux menaces proférées par certains membres du
congrès américain, à la suite des attentats du 11 septembre, contre l’Arabie saoudite, qu’ils
accusèrent de soutenir et de financer le terrorisme. Mais le pire viendra de Laurent
Murawiec, analyste à la Rand Corporation, qui, en juiljet 2002, décrit, devant le Défense
Policy Board, l’Arabie saoudite comme « l’ennemi n° 1 » des États-Unis, appelant à une
intervention militaire visant à sa partition en trois provinces distinctes : à l’Ouest, la
province du Hedjaz, où se situent les lieux saints ; à l’Est, dans la région où vit la minorité
chiite, un vaste « Pétrolistan » ; et au centre, le Najd, abandonné à lui-même. C’est
probablement à cette dernière déclaration, reprise ensuite dans les milieux politiques
américains, qu’al-Zawahiri fait allusion.
[165] ↑ Sur le mot [awliyâ’], voir la note 14, p. 244 dans le texte d’al-Zawahiri, La Moisson
amère.
[166] ↑ Coran, 5/51.
[167] ↑ Voir note 4 dans al-Zawahiri La Moisson amère, p. 154.
[168] ↑ Coran, 2/256.
[169] ↑ Coran, 4/60.
[170] ↑ Coran, 9/47.
[171] ↑ Coran, 3/149.
[172] ↑ C’est-à-dire procéder à une définition exacte et sans concession de l’ami et de
l’ennemi, préalable à l’action.
[173] ↑ Coran, 63/4.
[174] ↑ Coran, 4/143.
[175] ↑ Comme Ben Laden, al-Zawahiri oscille dans sa rhétorique entre la revendication
de droits universels et celle de droits particuliers aux musulmans.
[176] ↑ Coran, 9/10.
[177] ↑ Métaphore du désintérêt pour le jihad, fréquente dans la littérature jihadiste.
[178] ↑ Voir la note 20, p. 142 et note 30, p. 144.
[179] ↑ Évoque le texte d’Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !, voir p. 153.
[180] ↑ Coran, 61/10-13.
[181] ↑ Exemple de l’œcuménisme politique d’Al-Qaida : l’appel s’adresse à tout
musulman, indépendamment – en définitive – de sa vision du dogme. Chez al-Zawahiri
comme chez Ben Laden, en effet, derrière les invectives contre tel ou tel courant ou école
de pensée du champ islamique, l’appel reste ouvert.
[182] ↑ Le jihad, d’abord défensif ([jihad al-daf‘]), devient ici offensif ([jihad al-talab]). Voir
cette dualité chez Azzam, note 44, p. 146 dans La Défense des territoires musulmans.
[183] ↑ L’auteur désigne ici les bases américaines en Arabie saoudite.
[184] ↑ Le 29 mars 2002, l’armée israélienne lança une opération baptisée « Rempart » en
représailles à une vague d’attentat-suicide à Naplouse et Jénine (en Cisjordanie). D’une
grande violence, et largement médiatisée dans le monde arabe, cette opération rit l’objet
de condamnations internationales et fournit l’occasion à Al-Qaida, pour la première fois, à
travers la diffusion via Al-Jazira d’un enregistrement vidéo de l’un des auteurs des
attentats du 11 septembre 2001, de revendiquer presque sans ambiguïté les attaques
contre le World Trade Center, le 16 avril 2002.
[185] ↑ Voir note 93, p. 332.
[186] ↑ La toute-puissance technologique de l’ennemi contribue à ébaucher une vision
eschatologique de la guerre en cours, où chaque militant est sous la menace individuelle
du « mal ».
[187] ↑ On retrouve ici le motif lancinant du temps perdu qui court tout au long de ce
texte, ainsi que dans La Moisson amère, temps qu’il s’agit de rattraper par un surcroît de
mobilisation et d’activisme.
[188] ↑ C’est al-Zawahiri qui souligne. Voir le texte d’Abdallah Azzam, Rejoins la
caravane !, p. 167.
[189] ↑ Idem.
[190] ↑ Dialectique du sommet et de la base de la religion qui, aux cinq piliers reconnus,
ajouterait des devoirs imprescriptibles comme le jihad.
[191] ↑ Coran, 3/200.
[192] ↑ Coran, 58/21.
[193] ↑ L’Authentique ([sahîh muslim]), chapitre sur le gouvernement ([al-imâra]).
[194] ↑ Compagnon du Prophète, rapporteur d’un nombre important de hadiths.
[195] ↑ Ce hadith justifie la vision d’une élite combattante, qui, indépendamment de la
situation stratégique, doit continuer le jihad et réserver un espace où accueillir les
moujahidines de l’ensemble de l’oumma.
Chapitre IV. Abou Moussab al-
Zarqawi
Introduction

Abou Moussab al-Zarqawi, le jihad en


« Mésopotamie »
Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

A bou Moussab al-Zarqawi est le « surnom », aujourd’hui


célèbre, d’Ahmad Fadil Nazzal al-Khalayla [1] . Ce Jordanien
figure en tête de la liste des terroristes recherchés par les États-Unis,
lesquels ont fixé, le 1er juillet 2004, le montant de toute information
pouvant permettre de l’arrêter à vingt-cinq millions de dollars.
D’une autre génération qu’Azzam, Ben Laden et al-Zawahiri, il n’a
pas non plus la même production idéologique. S’il a signé plusieurs
textes que l’on peut lire en arabe sur Internet, il ne jouit pas du
même prestige intellectuel que ses aînés au sein du milieu islamiste.
Il reste qu’à la faveur de l’intervention américaine en Irak, il a
démontré la capacité d’Al-Qaida à se renouveler et à persister
comme principal mouvement islamiste international.

Al-Zarqa
S’il a choisi comme « nom de guerre » Abou Moussab [2] , c’est par
admiration pour Moussab ibn Oumayr, un des compagnons du
Prophète, tombé en martyr lors de la bataille d’Ouhoud en 625.
Quant au second élément de ce nom, al-Zarqawi, qui signifie
« originaire d’Al-Zarqa », il est significatif dans la mesure où cette
ville a constitué durant la dernière décennie un milieu propice à la
propagation des idées jihadistes en Jordanie.
La composition ethnique d’Al-Zarqa est assez originale au Proche-
Orient : ce furent tout d’abord des Circassiens    qui, à la fin du XIXe
[3]

siècle, furent regroupés sur les rives d’al-Zarqa (« La Bleue », nom


arabe de la rivière appelée Jabbok dans La Bible), auxquels se sont
joints des tribus bédouines sédentarisées (dont les Bani Hassan, la
tribu à laquelle appartient Abou Moussab) et enfin des réfugiés
palestiniens qui y ont afflué après les guerres israélo-arabes de 1948
et 1967, au point de constituer aujourd’hui 80 % de sa population.
[4]
Dans Ô mon peuple, réponds au héraut de Dieu   , un texte sous-titré
Lettre aux Bani Hassan, Abou Moussab al-Zarqawi critique, à grand
renfort de versets coraniques, de hadiths, de vers de poésie
classique et de citations d’Ibn Taymiyya, la monarchie jordanienne
pour son soutien à la politique militaire américaine dans la région,
et attaque nommément le roi Abdallah pour s’être allié aux Juifs et
aux chrétiens. « Il combat les alliés de Dieu et les chasse, puis jette
en prison les fils de cette religion bénie. Avec des hélicoptères
Apache, il bombarde les musulmans de Maan [5]  au moment où, à
Jénine, les mêmes hélicoptères tuent nos fils et nos frères de
Palestine, et ce afin de défendre la sécurité d’Israël et d’éteindre
tout mouvement qui pourrait déranger le sommeil de ces enfants de
porcs et de singes, car la Jordanie est la soupape de sécurité d’Israël
et son rempart. » Cependant, le 29 mai 2004, les représentants de la
tribu des Bani Hassan se sont publiquement démarqués des
agissements d’al-Zarqawi [6] .
Dans l’histoire contemporaine, ce furent tout d’abord les militants
palestiniens qui firent parler de la ville d’Al-Zarqa dans le monde
entier lorsque, le 6 septembre 1970, deux avions de la TWA et de la
Swiss Air, puis trois jours plus tard un troisième de la BOAC, furent
détournés sur l’aéroport d’Al-Zarqa par des membres d’un
[7]
commando du FPLP   . Une fois les passagers descendus, les fedayins
firent sauter les trois avions à la dynamite, le 12 septembre, sur
l’aéroport rebaptisé « aéroport de la Révolution ». Ce défi à
l’autorité du roi Hussein provoqua, le 17 septembre, le
déclenchement de la crise qui couvait entre les organisations
palestiniennes et la monarchie hachémite. Une répression des
organisations palestiniennes s’ensuivit, qui resta sous le nom de
Septembre noir. À Amman et Al-Zarqa, il y eut, selon le Croissant
[8]
rouge palestinien, 3 000 tués et 10 000 blessés   .
Dès les années 1960, cette ville accueillit des islamistes, comme
Abdallah Azzam [9]  qui appartenait aux Frères musulmans
jordaniens, lesquels prirent parti pour le roi Hussein lors du
Septembre noir. Auparavant, pour mener des infiltrations de
fedayins en Israël à partir du territoire jordanien, Azzam avait
dirigé un camp d’entraînement dans la zone dite des « camps des
cheikhs », ainsi nommée parce qu’y régnait une atmosphère plus
stricte et plus pieuse que dans les autres camps, marxistes ou
nationalistes. Lorsqu’il revint en Jordanie en 1973, Azzam enseigna
à l’université de Jordanie et exerça une influence notable, en
propageant les idées islamistes radicales parmi les étudiants.
Hormis Abdallah Azzam qui allait trouver dans l’Afghanistan en
lutte contre les Soviétiques la terre de jihad dont il avait rêvé en
Jordanie, un autre personnage célèbre dans les milieux islamistes
radicaux fut le cheikh salafiste syrien, d’origine albanaise, Nasser
al-Din al-Albani, qui, à l’invitation de Frères musulmans jordaniens,
se rendit en Jordanie pour des conférences. L’un de ses disciples
était alors le cheikh Youssouf al-Bourqawi, un parent d’Assim al-
Bourqawi, sur lequel nous reviendrons.
En raison de l’influence de ces personnages charismatiques, de la
persistance du conflit israélo-arabe mais aussi de conditions socio-
économiques fragiles, Al-Zarqa est devenue, dans les années 1990,
le foyer de l’islamisme radical en Jordanie, notamment après le
retour du Koweït, consécutif à la première guerre du Golfe,
d’émigrés jordaniens. Parmi eux se trouvaient Abou Qatada, l’Arabe
afghan qui devint ensuite une figure du « Londonistan », Abou Anas
al-Chami, qui allait devenir le moufti de l’organisation d’al-Zarqawi
en Irak, et enfin le maître spirituel d’al-Zarqawi, aujourd’hui
incarcéré en Jordanie, Assim al-Bourqawi, alias Abou Mohammad
al-Maqdissi.

Al-Zarqawi
Dépourvu d’éducation secondaire ou religieuse, al-Zarqawi est un
jihadiste « sorti du rang », dont l’ascension au sein du milieu bigarré
des islamistes radicaux a été fulgurante et inattendue. Son
apparente médiocrité en a trompé plus d’un, mais force est de
reconnaître qu’il est aujourd’hui le principal opposant islamiste à la
politique américaine au Proche-Orient [10] .
Né le 20 octobre 1966, au sein d’une famille modeste de trois fils et
sept filles, Ahmad Fadil Nazzal al-Khalayla interrompit ses études
primaires pour exécuter de petits métiers pendant de courtes
périodes. Sous l’influence de l’imam d’une mosquée salafiste de son
quartier, il décida en 1989 de partir pour le Pakistan. À Hayatabad,
dans la périphérie de Peshawar, il séjourna dans les pensions
organisées par le Bureau des services, dirigé par Oussama ben
Laden. Au printemps 1989, il participa en tant que combattant à la
chute de la ville de Khost, dans l’est de l’Afghanistan. Mais c’est
surtout à cette époque qu’al-Zarqawi rencontra al-Maqdissi, qui le
recommanda au directeur d’une publication jihadiste de Peshawar,
[11]
Al-bunyan al-marsus    pour laquelle il travailla comme journaliste.
Lors de la guerre civile qui succéda au retrait de l’armée soviétique,
al-Zarqawi reprit les armes aux côtés d’une des factions afghanes,
celle de Gulbuddin Hekmatyar ; il fréquenta aussi le camp d’Arabes
afghans nommé Al-sada, situé dans la zone contrôlée par le parti
d’Abd al-Rassoul Sayyaf.
De retour en Jordanie en 1993, al-Zarqawi y renoua contact avec al-
Maqdissi, lui aussi rentré au pays, puis y fonda un groupe appelé
[12]
Bay’at al-imam   . Arrêté en 1994, deux ans plus tard, il fut
condamné pour détention d’armes et falsification de passeports à
quinze ans de réclusion, puis incarcéré à la prison d’al-Souwaqa.
C’est durant cette incarcération qu’il écrivit « Déposition d’un
prisonnier », un texte adressé à un juge jordanien, critiquant le
droit positif et refusant toute justice non islamique. « Dans vos
tribunaux, vous dirigez vos procès selon votre droit positif, mais
sachez, juges, que si vous mourez dans l’état où vous êtes, nous
nous retrouverons au tribunal d’un Souverain tout-puissant, et vous
y trouverez la mention de tous vos actes dans un registre
consignés ; si c’est pour votre bien, louez-en Dieu, mais si c’est pour
votre mal, vous n’aurez à vous en prendre qu’à vous-mêmes. » [13] 
Le 29 mars 1999, il fut libéré à l’occasion d’une amnistie prononcée
par le nouveau roi Abdallah II, pour repartir quelques mois plus
tard pour le Pakistan. Dans un texte publié sur son site Internet,
Abou Mohammad al-Maqdissi rapporte les raisons données par
Abou Moussab afin de justifier son retour en Afghanistan : « Il
répondait à ceux qui lui reprochaient de quitter son pays qu’il
aimait le jihad et n’avait pas la patience d’apprendre, d’enseigner
ou de prêcher. C’est ainsi qu’il recruta un groupe de frères qui
partirent avec lui en Afghanistan, où ils ont su tirer parti de la
situation de ce pays et de ses camps militaires… » Au Pakistan, Abou
Moussab se serait rapproché d’Oussama ben Laden, tout en se
gardant de se soumettre à son autorité.
C’est ainsi, qu’au début de l’an 2000, il dirigea un camp
d’entraînement, près de la ville d’Hérat, dans l’ouest de
l’Afghanistan, non loin de la frontière iranienne, alors que Ben
Laden se trouvait dans l’est du pays. Ce camp s’appelait Al-tawhid
wal-jihad [14] , expression marquée au coin d’al-Maqdissi dont c’était
alors (et encore aujourd’hui) le nom du site Internet [15] . En juillet
2001, des islamistes kurdes furent accueillis au camp et en
septembre de la même année, une petite mission de jihadistes issus
de ce camp s’implanta au Kurdistan irakien [16] , où ils fondèrent
l’organisation Jund al-islam [17] . C’est dans cette région qu’al-
Zarqawi trouva refuge, après l’assaut américain contre
l’Afghanistan consécutif aux attentats du 11 septembre 2001. Pour
cela, il avait traversé l’Iran, où il fut arrêté quelque temps par les
services de sécurité.
À la fin de 2001, naquit Ansar al-islam [18] , une organisation
regroupant plusieurs groupes islamistes kurdes (dont Jund al-islam)
et disposant de plusieurs camps d’entraînement au Kurdistan, où
elle combattait l’Union patriotique du Kurdistan et sur le quartier
général de laquelle elle lança, le 2 février 2004, une attaque suicide
qui causa la mort de plus de 100 personnes.
Entre-temps, al-Zarqawi avait lancé plusieurs opérations en
Jordanie : un attentat visant simultanément plusieurs lieux
touristiques, dont un hôtel américain d’Amman, à l’occasion du
changement de millénaire, mais dont les préparatifs furent
déjoués ; l’assassinat du diplomate américain Laurence Foley, le
28 octobre 2002 ; et en 2004, un projet d’attentat à l’arme chimique
qui devait frapper l’agglomération entière d’Amman s’il n’avait été
entravé par la police jordanienne. Pendant la préparation de ces
attentats, al-Zarqawi et ses complices s’étaient rendus en Irak mais
aussi en Syrie.
En outre, Ansar al-islam a été cité, à un titre ou à un autre, dans la
plupart des enquêtes effectuées sur des attentats terroristes en
Europe, à commencer par les attentats de Madrid qui firent, le
11 mars 2004, 192 morts et 1 400 blessés, mais aussi en Allemagne et
en Italie, où des cellules de soutien furent démantelées,
respectivement en avril 2002 et mars 2003.
Le 5 février 2003, le secrétaire d’État américain Colin Powell
prononça un discours devant le Conseil des Nations unies, où il
déclara : « L’Irak héberge aujourd’hui un réseau terroriste
meurtrier dirigé par Abou Moussab al-Zarqawi, associé et
collaborateur d’Oussama ben Laden » [19] . Quelles que soient les
réserves que l’on peut avoir sur les motifs de cette déclaration, elle
constitue la première reconnaissance de l’importance du réseau
d’al-Zarqawi, auquel l’intervention américaine allait d’ailleurs
ouvrir un boulevard. Au début de l’offensive américaine, le 23 mars
2003, Ansar al-islam subit de lourdes pertes après des
bombardements américains conjoints à une offensive terrestre des
combattants kurdes laïques qui auraient fait 180 morts et permis de
capturer 150 prisonniers. Cela n’empêcha pas, en juin 2003, une
nouvelle organisation de prendre la relève : Ansar al-sunna [20] ,
laquelle se joindra à d’autres sous l’égide d’Al-tawhid wal-jihad
dirigé par Abou Moussab al-Zarqawi.
Depuis l’intervention de la coalition américano-britannique en Irak,
le summum des opérations terroristes de l’organisation d’al-
Zarqawi a été atteint avec l’enlèvement d’otages étrangers puis la
mise en scène de leur exécution sur des sites Internet. Dans ses
Recommandations aux combattants du jihad [21] , al-Zarqawi revient
ainsi sur l’assassinat de Nicholas Berg, qu’il aurait lui-même
[22]
égorgé : « Des émissaires ont tenté de sauver cet âne impie    en
nous proposant tout l’argent que nous voulions (dont nous avions
un besoin pressant pour faire tourner la roue du jihad) mais nous
avons préféré venger nos frères et prendre la revanche de notre
communauté. […] Afin de susciter les volontés et de réjouir les
musulmans d’Orient comme ceux d’Occident, nous avons décidé
que cet impie ne serait pas racheté, même si on nous avait proposé
son poids en or. Nous avons fait le serment de ne pas relâcher de
prisonnier contre de l’argent, quoi que nous pensions, afin que les
ennemis de Dieu sachent qu’il n’y a dans notre cœur aucune trêve
avec eux, ni pitié envers eux » [23] .
Mais un aspect non moins négligeable et bien plus meurtrier a été
l’assassinat d’Irakiens chiites, soit parce qu’ils manifestaient le désir
de travailler pour les services de police ou de santé du nouveau
gouvernement (comme à Al-Hilla, le 28 février 2005, où une
centaine de civils furent tués sur un marché proche d’un centre de
recrutement), soit parce qu’ils étaient rassemblés pour leur fêtes
religieuses (comme lors des festivités de l’achoura en mars 2004 et
février 2005), sans parler de l’assassinat des dignitaires religieux, tel
l’ayatollah Baqir al-Hakim, le 29 août 2003.
Toutefois, aussi ravageuse soit-elle, cette stratégie ne porte pas les
fruits escomptés par ses auteurs puisque les chiites irakiens ne se
sont pas laissé aller à des représailles contre leurs compatriotes
sunnites, en se gardant d’entrer dans une guerre confessionnelle.
En outre, le résultat des élections législatives irakiennes qui se sont
déroulées, sans trop de heurts, le 30 janvier 2005, a été
généralement interprété comme une défaite pour al-Zarqawi,
même s’il est loin d’avoir désarmé.

Al-Maqdissi
C’est ce qui explique que, dans un texte de 2004 intitulé Al-Zarqawi :
soutien et conseil et sous-titré Espoirs et craintes [24] , Abou
Mohammad al-Maqdissi exprime des critiques contre son ex-
protégé, qu’il semble désormais considérer comme une tête brûlée.
Al-Maqdissi, dont il faut rappeler qu’il était emprisonné et donc
sujet aux pressions des services de sécurité jordaniens, s’y livre à
une critique en règle de la politique suivie en Irak par al-Zarqawi,
même si cette critique porte surtout sur des points tactiques et non
sur les principes. Il reproche à cette politique, avec son caractère
brouillon et infructueux pour ne pas dire néfaste, de causer la mort
de musulmans (« l’erreur qui consiste à épargner le sang de mille
impies est moins grave que celle qui consiste à faire couler celui
d’un seul musulman »), de mener la bataille contre les chiites dans
leurs lieux de culte plutôt que de s’attaquer à l’occupant (« quelle
que soit leur histoire, leur hostilité envers les sunnites et le mal
qu’ils leur ont fait, on ne doit pas les mettre tous dans le même sac,
le petit peuple comme les chefs combattants »), de viser les
chrétiens et leurs églises (« il ne faut pas viser ceux qui ne
combattent pas, même si ce sont des infidèles ou des chrétiens, ni
attaquer leurs églises ou lieux de culte »), d’avoir fait des
opérations-suicide (« que nous appelons, en vertu des principes de
nos oulémas, des opérations de jihad ») une fin et non plus un
moyen, de réduire le jihad à une série d’opérations punitives, et
enfin, de ne pas confier davantage de responsabilité à des jihadistes
irakiens.
En outre, on trouve dans ce texte les raisons du second départ d’al-
Zarqawi pour l’Afghanistan évoqué plus haut, mais aussi son
attitude envers Ben Laden, au détour d’une phrase consacrée à son
moufti, Abou Anas al-Chami : « Je me suis réjoui et j’ai retrouvé
l’espoir en apprenant qu’Abou Anas al-Chami avait rejoint Abou
Moussab, bien que cet homme ne partageât pas toutes nos
opinions ; j’y ai vu, de la part d’al-Zarqawi, la preuve d’une
souplesse dont il avait manqué auparavant, ce qui l’avait empêché
de s’insérer dans Al-Qaida et de se soumettre à l’autorité du cheikh
Oussama ben Laden (que Dieu le protège !). » [25] 

Al-Chami
Abou Anas al-Chami, alias Omar Youssouf Joumaa, naquit en 1968
au Koweït dans une famille jordanienne d’origine palestinienne.
Dans la ville d’al-Salmiyya, il fit la connaissance d’al-Maqdissi [26] ,
puis partit étudier en Arabie saoudite, à l’université islamique de
Médine, de 1988 à 1991. Il y fut marqué par les idées de Safar al-
Hawali, de Salman al-Awda et de Nassir al-Omar. Durant ses études,
il se rendit à l’été 1990 en Afghanistan, où il passa trois mois au
camp d’entraînement d’Al-Farouk. En 1991, une fois ses études de
théologie achevées, il se maria à une jeune fille d’origine
palestinienne [27]  et partit s’établir en Jordanie, dans la ville d’al-
Souwaylih, où il fut imam d’une mosquée. Il fit un court séjour en
Bosnie-Herzégovine puis, à son retour en Jordanie, fut incarcéré
quelque temps pour avoir déclaré publiquement au centre Al-
Boukhari, où il travaillait, dans le quartier Marka du nord
d’Amman, que le régime jordanien avait transformé le pays en
caserne américaine et que la guerre à venir n’était pas dirigée
contre l’Irak mais contre l’islam. Enfin, en septembre 2003, il
prétexta un déplacement en Arabie pour effectuer le petit
pèlerinage, afin de se rendre en Irak où il rejoignit l’organisation
d’al-Zarqawi, dont il devint le moufti et rédacteur des
proclamations.
Ces proclamations, missives et récits publiés sur Internet
fournissent eux aussi des informations. Ainsi, dans un texte intitulé
« le document », Abou Anas reconnaît indirectement la
responsabilité de son organisation dans l’assassinat, le 29 août 2003,
de l’ayatollah Baqir al-Hakim, chef de l’une des principales
formations islamistes chiites, l’Assemblée suprême de la Révolution
islamique en Irak. Évoquant l’un de ses camarades irakiens mort
héroïquement au combat, Thamir al-Ramadi, il ajoute : « C’est l’un
des héros glorieux de l’Irak, il avait dirigé l’opération contre
Mohammad Baqir al-Hakim et de nombreuses opérations-suicide,
tant au niveau de la préparation et de la surveillance que de
l’équipement, en collaboration avec le martyr Hamza Abou
Mohammad (que Dieu ait leur âme !) dont le nom est Nidal
Mohammad Arabiyyat, issu de l’une des plus nobles tribus de la
ville d’Al-Salt en Jordanie) » [28] .
Une autre information fournie par ce texte est l’attitude d’Abou
Moussab al-Zarqawi durant la première bataille de l’armée
américaine contre Fallouja, en avril 2004. Alors qu’il souhaitait
venir participer aux combats, ses camarades l’auraient prié de n’en
rien faire, par l’entremise d’un émissaire qui traversait un fleuve à
chaque déplacement, ce qui semble indiquer qu’al-Zarqawi se
trouvait loin de la zone des combats. Cela explique peut-être aussi
que la seconde bataille contre Fallouja, qui se déroula à l’automne
2004, si elle aboutit à la découverte de caches d’armes et des
chambres de torture dans cette ville, ne permit pas de mettre la
main sur al-Zarqawi.
Le 17 septembre 2004, Abou Anas al-Chami fut tué par l’armée
américaine, avec une trentaine de combattants, près d’Abou Ghraïb,
[29]
lors d’une opération dirigée contre la fameuse prison   . Le
19 octobre 2004, par la voix d’un porte-parole et par le biais
d’Internet, Abou Moussab al-Zarqawi fit publiquement allégeance à
Oussama Ben Laden, en affirmant que c’était là l’aboutissement de
huit mois de contacts entre son organisation et Al-Qaida. Du coup,
[30]
celle-ci s’appelle désormais : Al-Qaida du jihad en Mésopotamie   .
Or, le 22 janvier 2004, alors que les opérations des jihadistes contre
les forces américaines et britanniques en Irak se succédaient depuis
six mois, des combattants kurdes laïques arrêtèrent à Kalar, au
Kurdistan, Hassan Guhl, un Pakistanais, lui aussi vétéran de
l’Afghanistan. Ils trouvèrent en sa possession un CD-Rom contenant
un texte de douze pages dont des extraits furent publiés, le
9 février, par le correspondant du New York Times à Bagdad, Dexter
Filkins [31] . En raison de cette publication douteuse, on a pu penser
que ce document était un faux. Mais, rédigé dans un arabe classique
impeccable et exposant une stratégie qui a été en bonne partie
suivie depuis lors, on peut aujourd’hui estimer que ce texte était
l’œuvre d’Abou Anas al-Chami.
Puisque cette allégeance a été confirmée, il convient aujourd’hui de
revenir un peu à la stratégie exposée dans la lettre d’Abou Moussab
al-Zarqawi pour comprendre les objectifs qu’il s’est fixé, et ce que
pourrait signifier la bénédiction d’Oussama ben Laden. La
proposition d’allégeance y était ainsi formulée : « Nous sommes des
soldats prêts à vous servir et à nous rallier à votre bannière, nous
vous obéirons et même vous prêterons allégeance, publiquement et
dans les médias, pour irriter les impies et faire plaisir aux
musulmans, car les croyants y verront un signe de Dieu, mais si
vous en jugez autrement, alors nous resterons des frères et aucune
querelle ne pourra nous séparer. »
La caractéristique principale de cette lettre était d’exposer crûment
le projet d’attaquer les chiites irakiens, appelés constamment « les
hérétiques », notamment ceux qui entrent dans la police et l’armée.
« C’est pourquoi je répète que la seule solution est de frapper les
hérétiques, qu’ils soient religieux, militaires ou autres, de leur
porter coup sur coup jusqu’à ce qu’ils se soumettent aux sunnites.
On pourrait objecter qu’il est trop tôt et injuste de faire entrer la
communauté musulmane mondiale dans un combat auquel elle
n’est pas préparée, que cela causera des pertes et fera couler le
sang, mais c’est précisément ce que nous voulons. »
La seconde caractéristique de cette stratégie était de précipiter les
opérations avant que la démocratie ne fût instaurée. « L’idéal serait
que nous puissions, comme nous le souhaitons, ruer dans les
brancards et faire échouer leur plan. Sinon, ce qu’à Dieu ne plaise,
le gouvernement étendra sa domination sur le pays, alors il ne nous
restera qu’à refaire nos bagages et partir pour un autre pays en
reprenant l’étendard, à moins que Dieu ne préfère que nous
mourrions en martyrs. »
Le mode d’emploi des médias par Abou Moussab y était aussi
clairement énoncé : « Nous sommes déterminés à donner du grain à
moudre aux médias, de façon à révéler des vérités, susciter des
vocations et fédérer les volontés. Alors, dans cette guerre sainte, le
sabre et la plume se compléteront. »
En publiant le document trouvé sur l’émissaire, les Américains ont
aussi permis au message de parvenir à Oussama ben Laden, s’il en
était besoin. Car si les dirigeants américains ont fait montre d’une
croyance un peu naïve à « la ruse de l’histoire », qui devait apporter
la démocratie dans les paquetages des soldats, al-Zarqawi croit
plutôt dans « la ruse de Dieu », comme il l’exprime dans un autre de
ses textes [32]  : « Louange à Dieu qui fera vaincre l’islam, et abaissera
l’idolâtrie, disposera de toute chose et attirera les impies par sa
ruse, répartira les jours de victoire entre les uns et les autres mais
donnera la victoire finale aux seuls croyants » [33] .

Notes du chapitre
[1] ↑ Chez certains islamistes, l’usage prévaut de composer ce type de nom de deux
éléments traditionnels dans la culture arabe : la [kunya] et la [nisba]. La première est une
appellation formée, pour un homme, du mot « père de » (Abou) suivi du prénom de son fils
aîné (ici, Moussab) ; la seconde est un substantif ou un adjectif, qui dénote le plus souvent
une origine géographique ou ethnique (ici, al-Zarqawi, c’est-à-dire originaire de la ville
d’Al-Zarqa).
[2] ↑ Il portait cette [kunya] avant même la naissance de son fils aîné, âgé de cinq ans, qui
vit aujourd’hui auprès de sa mère, avec ses trois frères et sœurs, à Al-Zarqa. Pour l’usage
de la kunya, voir Annemarie Schimmel, Noms de personne en islam, Paris, PUF, 1998.
[3] ↑ C’est-à-dire des Tcherkesses, des Tchétchènes et autres Caucasiens du nord, rejetés
par l’avance de l’armée russe en Asie après le 21 mai 1864 ; ils furent ensuite employés au
sein de l’Empire ottoman dans des corps de cavalerie, entre autres, pour mater les
insurrections nationalistes.
[4] ↑ Le titre est inspiré d’un verset coranique (46/31) [yâ qawm ajîbû dâ‘î allâh] : voir
http://www.tawhed.ws
[5] ↑ Ville du sud de la Jordanie où, à quatre reprises depuis avril 1989, des incidents ont
opposé une partie de la population aux forces de l’ordre, notamment en octobre 2002, suite
à l’enquête dans le milieu islamiste local consécutive à l’assassinat du diplomate américain
Laurence Foley.
[6] ↑ « Al-Zarqawi’s Tribe Cables King Abdallah Pledging Allegiance », Al-Ra’y al-‘am,
29 mai 2004.
[7] ↑ Front populaire pour la libération de la Palestine, dirigé par Georges Habache.
[8] ↑ Voir Éric Rouleau, Les Palestiniens. D’une guerre à l’autre, Paris, La Découverte/Le
Monde, 1984.
[9] ↑ Voir l’introduction à Abdallah Azzam, p. 115.
[10] ↑ On trouvera la biographie d’Abou Moussab al-Zarqawi soigneusement retracée par
Jean-Charles Brisard dans Zarkaoui Le nouveau visage d’Al-Qaida, Paris, Fayard, 2005.
[11] ↑ « Le rempart », ainsi nommé d’après un verset du Coran (61/4) où les rangs des
combattants « sur le chemin de Dieu » sont comparés à une mur solide.
[12] ↑ « Le serment d’allégeance à l’imam ».
[13] ↑ [ifâdat asîr], sur http://viww.tawhed.ws
[14] ↑ Généralement traduit dans la presse par « Unification et guerre sainte », ce qui ne
rend pas l’autre sens du mot [tawhîd], à savoir « affirmation de l’unicité de Dieu ».
[15] ↑ http://www.tawhed.ws
[16] ↑ Depuis 1991, suite à la résolution 687 des Nations unies et à l’opération « Restore
Hope », le Kurdistan était une zone autonome.
[17] ↑ « L’armée de l’islam. »
[18] ↑ « Les partisans de l’islam. »
[19] ↑ « Principaux points de la présentation de Colin Powell », AFP, 5 février 2003.
[20] ↑ « Les partisans du sunnisme. »
[21] ↑ [wasâya lil-mujâhidîn], sur http://www.tawhed.ws. Nicholas Berg, un jeune
entrepreneur américain, fut exécuté en mai 2004. Les images de sa décapitation ont circulé
sur Internet.
[22] ↑ En arabe, [‘ilj]. Voir, dans Ben Laden, « Entretien avec al-Jazira », la note 30, p. 74.
[23] ↑ http://www.tawhed.ws
[24] ↑ [at-zarqâwî : munâsara wa munâsaha], sur http://www.tawhed.ws
[25] ↑ Abou Mohammad al-Maqdissi a été libéré le 28 juin 2005, ayant été acquitté de
l’accusation d’avoir planifié des attentats contre des cibles américaines en Jordanie.
[26] ↑ Voir le texte d’al-Maqdissi : Abou Anas al-Chami, un héros tombé sous la bannière de
l’unicité de Dieu [abû anas al-châmî, batal qadâ nahbahu tahta liwâ’ al-tawhîd], sur
http://www.tawhed.ws/s
[27] ↑ Elle devait lui donner trois enfants, dont deux fils prénommés Anas et Malik, sans
doute en hommage au savant médiéval Malik ibn Anas. Sur ce dernier, voir, dans « Lettre
à Ben Laden », note 2, p. 380.
[28] ↑ Toutefois, le nom du kamikaze qui aurait mené l’opération serait Yassin Jarrar, un
Palestinien d’Al-Zarqa, père de la seconde femme d’al-Zarqawi, selon l’enquête en Jordanie
de Hazim al-Amin publiée par le journal arabe londonien Al-Hayat les 14, 15 et
16 décembre 2004.
[29] ↑ Al-râ’y al-‘âmm, 20 septembre 2004.
[30] ↑ [qâ‘idat al-jihâd fî bilâd al-râfidayn], ce qui peut se comprendre comme : « la base
de la guerre sainte en Mésopotamie ».
[31] ↑ L’original en arabe se trouve sur plusieurs sites, dont : http://www.cpa-
iraq.org/arabic/transcripts/20040212_zarqawi_full-arabic.html
[32] ↑ « Notre position légale sur le gouvernement du Karzaï d’Irak » ([mawqifunâ al-
char‘î min hukûmat karzây al-‘irâq]), publié après la nomination du gouvernement d’Iyad
Allaoui, le 28 mai 2004. Le titre rappelle une phrase de Ben Laden dans ses
« Recommandations tactiques » : « Ce sont les croisés qui ont donné le pouvoir au Karzaï
de Kaboul et au Karzaï du Pakistan, au Karzaï du Koweït, au Karzaï de Bahreïn et au
Karzaï du Qatar. »
[33] ↑ Une première version de la traduction qui suit a été publiée dans la revue
Maghreb-Machrek, n° 181, hiver 2004-2005. Les blancs et guillemets figurent dans le texte
original, qui est dépourvu de ponctuation, hormis les paragraphes dont la numérotation
est souvent fautive.
Extraits de « Lettre à Ben Laden et al-
Zawahiri »
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

A u nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.


De *** aux plus fiers des chefs et hommes dans un âge de
servitude, aux habitants des sommets, aux faucons de la gloire, aux
lions des montagnes, aux deux honorables frères [1]  Que la paix soit
sur vous, ainsi que la clémence de Dieu et Ses bénédictions !
« Si éloignés soient nos corps, nos cœurs sont proches. » Nous
trouvons une consolation dans cette citation de l’imam Malik [2] ,
j’espère que vous allez bien tous les deux, et je demande au Très-
Haut que ma lettre vous parvienne alors que vous êtes en bonne
santé, et jouissez de la brise de la victoire et du zéphyr du
triomphe… [3]  Amen.
Voici des propos appropriés à la situation, qui lèvent le voile, en
révélant le bien comme le mal, sur ce qui se passe en Irak.
Comme vous le savez, Dieu a accordé à la communauté musulmane
mondiale [4]  la grâce [5]  de la guerre sainte en Mésopotamie [6] , et
vous n’ignorez pas que c’est un champ de bataille sans pareil, car il
présente des intérêts que nul autre pays n’offre, mais aussi des
inconvénients comme on n’en trouve nulle part ailleurs.
Le plus grand intérêt, c’est que c’est une guerre sainte au cœur du
monde arabe, à un jet de pierre de la terre des deux sanctuaires
comme de la mosquée d’al-Aqsa [7] . Nous savons par la religion de
Dieu que la bataille authentique et décisive entre l’impiété et
l’islam [8]  aura lieu sur cette terre, c’est-à-dire en Syrie [9]  et dans ses
alentours. C’est pourquoi tous les efforts sont justifiés pour prendre
pied sur cette terre-là, et peut-être qu’ensuite, Dieu nous assistera.
La réalité, chers et braves maîtres, nous impose de considérer
attentivement cette cause à l’aide de notre sainte religion et de
notre expérience…
Je vais vous rendre compte de ma vision, limitée, de la situation
(que Dieu me pardonne mes lacunes et mes faiblesses !). Pour
commencer (que Dieu m’assiste !) je dirai que les Américains sont,
comme vous le savez, entrés en Irak afin d’exécuter le contrat
visant à édifier le Grand Israël du Nil à l’Euphrate, car ce
gouvernement américain sionisé considère que précipiter
l’édification de cet État hâtera la venue du Messie [10] . Ils sont venus
en Irak après y avoir convoqué le ban et l’arrière-ban [11] , pleins de
fierté et d’arrogance, défiant Dieu et Son prophète, en pensant que
la chose serait facile, en dépit de quelques difficultés. Mais ils se
sont heurtés à une réalité bien différente car, dès le début, ont
commencé les opérations des frères combattants du jihad, ce qui a
compliqué les choses, puis le rythme de ces opérations s’est accéléré
à l’intérieur du triangle sunnite [12] , si on peut l’appeler ainsi, ce qui
a contraint les Américains à s’entendre avec les hérétiques [13] , la lie
de l’humanité, pour que ces derniers reçoivent, comme prix de leur
lutte auprès des croisés contre les combattants du jihad, les deux
tiers du butin [14] .
La composition : l’Irak est, d’une manière générale, une mosaïque
politique et un mélange ethnique, composé de différences
[15]
confessionnelles    et doctrinales qui font qu’il ne peut être dirigé
que par un pouvoir central fort et un gouvernant despotique [16] ,
depuis Ziyad ibn Abihil [17]  jusqu’à Saddam. Des choix difficiles se
profilent, car c’est une terre rude et pénible pour tout un chacun,
quel qu’il soit. En voici le détail.

1 - Les kurdes
Ceux-là, qu’ils soient de la faction de Barzani ou de celle de
Talabani [18] , ont applaudi les Américains et leur ont donné leurs
cœurs, puis ouvert leur terre aux Juifs ; ils en sont devenus une
arrière-garde, leur cheval de Troie. Par leurs territoires ils
pénètrent, sous leurs pancartes ils se cachent, ils se servent d’eux
comme d’un pont pour accéder à la domination financière et à
l’hégémonie économique, ainsi que de la base d’espionnage qu’est
devenu tout leur territoire. Parmi les Kurdes, la voix de l’islam s’est
tue, dans leur région l’éclair de la religion s’est éteint [19] , la
propagande irakienne les a enivrés [20] , et, peu nombreux, les
hommes de bien y sont affaiblis et pusillanimes.

3 - [sic] Les hérétiques


[Ils sont] une pierre d’achoppement, un serpent à l’affût, un
scorpion rusé et fourbe, un ennemi aux aguets, un poison mortel.
Ici, notre combat se déroule sur deux champs de batailles : l’un à
ciel ouvert contre un ennemi furieux et une impiété déclarée,
l’autre plus dur et acharné contre un ennemi rusé, qui revêt l’habit
de l’ami, fait semblant d’être d’accord, appelle à l’union mais cache
le mal, cherche à circonvenir [21] . Il est l’héritier des sectes
ésotériques qui ont parcouru l’Histoire de l’islam et ont laissé sur
son visage des stigmates indélébiles. Quiconque observe
attentivement et scrute profondément comprendra que le chiisme
est un péril imminent et un réel défi : {Ils sont vos ennemis. Méfie-
toi d’eux, que Dieu les tue ! Ils sont stupides !} [22] . La morale de
[23]
l’histoire, confirmée par le réel   , montre de la manière la plus
claire que le chiisme est une religion qui n’a rien à voir avec l’islam,
sinon comme se rencontrent les Juifs et les chrétiens sous
[24]
l’appellation de Gens du Livre   . Depuis l’idolâtrie affirmée, le
culte des tombeaux et les rites de déambulation autour [25] , le fait de
considérer les compagnons du Prophète comme impies, d’insulter
les épouses [26]  du Prophète et les meilleurs des musulmans [27] , en
passant par la modification de la lettre du Coran comme méthode
logique pour mettre en doute l’œuvre de ceux qui le connaissent,
jusqu’à l’affirmation que les imams [28]  sont impeccables, que croire
en eux est capital, qu’ils ont reçu la révélation [29] , etc., entre autres
impiétés et hérésies dont regorgent leurs livres de chevet et leurs
ouvrages de référence, qu’ils ne cessent d’ailleurs de publier et de
diffuser. Les rêveurs qui croient que les chiites pourraient oublier
le legs historique et la vieille rancœur contre les « nawasib » [30] ,
comme ils disent, se font des illusions ; c’est comme s’ils
demandaient aux chrétiens d’abandonner l’idée de la crucifixion, ce
qu’une personne sensée ne saurait faire. En outre, ces gens se sont
regroupés dans leur impiété et ont masqué leur hérésie d’une ruse
politique et d’une activité fébrile pour infiltrer le pouvoir en crise et
modifier l’équilibre des forces au sein de l’État, dont ils tentent, avec
l’aide de leurs complices américains, de dessiner les contours et de
fixer les dimensions, au moyen de leurs slogans politiques et
organisationnels.
Au cours de l’Histoire et à travers les siècles, ces gens constituèrent
[31]
une secte trompeuse et traîtresse   , c’est un dogme dont le vrai
visage est la guerre contre les gens de la Sunna et de la
communauté. Lorsque le maudit régime baathiste s’écroula, les
hérétiques avaient comme slogan : « Vengeance contre Takrit et al-
Anbar ! » [32] , ce qui montre leur haine sourde contre les
[33]
sunnites   , mais leurs chefs politiques et religieux ont pu
maintenir en ordre leur communauté [34]  afin que la bataille
n’éclate entre eux et les sunnites et ne se transforme en une guerre
confessionnelle, car ils savent qu’ils ne réussiraient jamais par cette
manière, et que si une guerre confessionnelle éclatait, une bonne
partie de la communauté musulmane mondiale soutiendrait les
sunnites irakiens [35] . Et comme leur religion est une religion de
dissimulation [36] , ils ont, par ruse et malice, adopté une autre
méthode et ont décidé de commencer par dominer les services de
l’État et ses points stratégiques sécuritaires, militaires et
économiques ; or, je ne vous apprendrai pas que la sécurité et
l’économie sont les composantes principales de tout pays. Ils se sont
donc infiltrés au sein des secteurs stratégiques de l’État. Prenons
l’exemple de la brigade Badr, l’aile militaire du Haut conseil de la
révolution islamique [37] , qui a ôté son costume hérétique pour
endosser l’uniforme de policier ou de soldat afin d’infiltrer ses
cadres dans ces institutions, et sous le prétexte de la défense de la
patrie et des citoyens, ils se mettent à régler leurs comptes avec les
sunnites. Ainsi, l’armée américaine a commencé à se retirer de
certaines villes et à alléger sa présence, remplacée par l’armée
irakienne, ce qui est un réel problème pour nous. En effet, notre
combat contre les Américains est peu de chose car l’ennemi est
déclaré et exposé, ignorant la terre et la réalité des combattants de
la guerre sainte à cause de son manque de renseignements, d’autant
que nous savons parfaitement que ces forces croisées se retireront
[38]
prochainement   , car tout observateur peut constater
l’empressement de l’ennemi à constituer une armée et une police
qui ont commencé à effectuer les missions leur ayant été assignées.
Mais cet ennemi-là, des hérétiques qui nourrissent des sunnites à
leur solde, est en fin de compte l’authentique péril que nous devons
[39]
affronter, car ce sont des concitoyens   , ils connaissent nos caches
et sont bien plus rusés que leurs maîtres croisés [40] . Comme je l’ai
dit, ils ont commencé par tenter de dominer la sécurité et ont
liquidé beaucoup de sunnites qu’ils considéraient comme leurs
ennemis dans les rangs du parti Baath [41]  ; de manière ordonnée et
étudiée, ils ont assassiné de nombreux frères combattants du jihad,
des savants et des penseurs, des médecins et des ingénieurs [42] , et
d’autres ; c’est pourquoi je pense, mais seul Dieu le sait, qu’avant
qu’un an ne soit passé l’armée américaine fera état d’un plan pour
être relevée par l’armée hérétique secrète et ses brigades
militaires [43] .
Ils s’infiltrent comme des vipères afin de s’emparer des services de
l’armée et de la police, c’est-à-dire la force de frappe et la main de
fer dans notre Tiers-monde, tout en dominant l’économie à l’instar
de leurs maîtres juifs [44] . Et, jour après jour, grandit leur espoir
d’établir un État hérétique qui s’étendrait de l’Iran, en passant par
l’Irak, la Syrie et le Liban, jusqu’à un royaume de carton-pâte dans
le Golfe [45] . Ainsi, la brigade Badr, brandissant le slogan de la
vengeance contre Takrit et al-Anbar, est entrée dans le jeu mais elle
a ensuite adopté le slogan de l’armée et de la police afin d’opprimer
les sunnites et de tuer les musulmans au nom de la loi et de l’ordre.
Tout cela sous un discours doucereux et mielleux, plein de
dissimulation, leur religion gnostique se parant de mensonge et se
voilant d’hypocrisie, exploitant la naïveté de nombreux sunnites et
leur bonté. Jusqu’à quand notre communauté ignorera-t-elle la
leçon de l’Histoire et réfutera-t-elle le témoignage des siècles
passés ? Car la dynastie séfévide chiite fut une entrave sur la voie
de l’islam, et même un coup de poignard dans le dos des
musulmans ; comme l’a dit un orientaliste : « Sans elle, nous serions
en Europe à lire le Coran, comme le font les Berbères algériens. »
Oui, les immenses armées de l’Empire ottoman se sont arrêtées aux
portes de Vienne dont les murailles allaient s’écrouler, l’islam allait
se répandre aux quatre coins de l’Europe, à l’ombre des épées de
[46]
l’honneur    et de la guerre sainte ; mais ces armées furent
contraintes à battre en retraite car celle des Séfévides occupait
Bagdad, détruisant ses mosquées, massacrant sa population, violant
ses femmes et pillant ses biens, ce qui força ces armées au retour
pour défendre l’islam et les musulmans. S’ensuivit durant deux
siècles une bataille enragée qui provoqua l’effondrement de
l’Empire islamique et son reflux, durant lesquels sa communauté
s’endormit pour ne se réveiller qu’au son des tambours des
envahisseurs occidentaux [47] .
Le Coran nous parle des complots des hypocrites, des ruses de cette
cinquième colonne, et de la fourberie des fils de notre race [48]  qui
parlent en notre nom avec leurs propos mielleux, alors que leur
cœur est démoniaque. En eux gît le mal, ils sont la cause secrète de
nos malheurs et le ver dans le fruit : {Ils sont vos ennemis. Méfie-toi
d’eux} [49] . Ibn Taymiyya [50]  avait bien raison de dire, après avoir
décrit leurs anathèmes contre les musulmans : « C’est pourquoi ils
prêtent assistance aux impies contre les musulmans, ils furent la
cause principale de l’entrée de Gengis Khan [51] , roi des impies, dans
les terres d’islam, de l’arrivée d’Hulagu en Irak [52] , de la prise
d’Alep [53] , du pillage d’al-Salihiyya et autres, par leur méchanceté et
leur ruse. C’est pourquoi ils ont pillé l’armée des musulmans
lorsqu’elle se retira en Égypte, la première fois. C’est pourquoi ils
ont attaqué les musulmans sur les routes et aidé les Mongols et les
croisés contre eux. D’où leur tristesse sans fond au vu de la victoire
de l’islam car ils ont fait alliance avec les Juifs, les chrétiens et les
idolâtres contre les musulmans, ce qui est le propre des hypocrites…
Leur cœur est plein d’aigreur et de fiel contre les musulmans, petits
et grands, bons ou mauvais. Le sommet de leur foi consiste à
maudire les musulmans, du premier au dernier. Ils sont les plus
acharnés à désunir la communauté musulmane, déclarer apostat et
insulter les meilleurs chefs musulmans comme les califes bien
guidés et les oulémas, à cause de leur croyance que celui qui ne
croit pas dans l’imam impeccable (cette chimère) ne croit ni en Dieu
ni en Son prophète – que la bénédiction et la prière de Dieu soient
sur lui ! Les hérétiques aiment les Mongols et leur dynastie car ils
jouissent auprès d’eux d’une faveur qu’ils n’ont pas auprès des
dynasties musulmanes… Ils furent les plus grands collaborateurs
pour s’emparer des pays musulmans, tuer les musulmans et violer
leurs femmes. L’histoire d’Ibn al-Alqami [54]  et de ses semblables,
comme celle d’Alep, sont connues de tous. Lorsque les musulmans
vainquent les chrétiens et les païens, c’est un crève-cœur pour eux,
mais lorsque les chrétiens et les païens vainquent les musulmans,
c’est pour eux une fête et une grande joie », Livre des fatwas, chap.
28, p. 478-527 [55] .
Dieu soit loué, on dirait que cet auteur a vu l’invisible et entrevu le
futur puis a parlé comme d’expérience.
Nos maîtres nous ont donc montré clairement la voie en perçant à
jour ces gens, ainsi l’imam al-Boukhari [56]  : « Malheur à celui qui a
prié derrière un chiite, derrière les Juifs et les chrétiens ; ne les
salue pas, ne leur souhaite pas bonne fête, n’établis pas de contrat
de mariage avec eux, ne les prend pas à témoins et ne mange pas la
viande qu’ils ont égorgée », Les Actes des créatures de Dieu, p. 125.
[57]
L’imam Ahmad    dit, en réponse à une question sur ceux qui
insultent Abou Bakr, Omar et Aïcha (que Dieu les agrée !) [58]  : « Je
ne les considère pas comme des musulmans » et l’imam Malik a dit :
« Celui qui insulte les compagnons du Prophète (que Dieu lui
accorde Son salut et Sa bénédiction !) n’a rien à voir avec l’islam »,
[59]
Al-Khallal   , Livre de la tradition, n° 779.
Al-Faryabi [60]  a dit : « Je considère les chiites comme des athées »,
Al-Lalika’i, chap. 8, p. 1545.
[61]
Quant à ibn Hazm   , il a apporté la preuve de la falsification de la
Bible et des Évangiles par les chrétiens et les Juifs ; ces derniers
n’ont trouvé d’autre excuse que de dire que les chiites prétendent
que le Coran est falsifié. Et il a dit (que Dieu le bénisse !) : « Quant à
la prétention des chiites à l’altération [62] , les chiites ne sont pas
musulmans, ce sont les disciples des Juifs et des chrétiens dans le
mensonge et l’impiété », De la différence entre les sectes, 2e partie, p.
78.
Ibn Taymiyya [63]  a dit : « Il est ainsi clair qu’ils sont pires que les
égarés, plus dignes d’être combattus que les Kharijites [64]  et c’est
pourquoi l’on dit généralement que les hétérodoxes sont les chiites,
ce qu’expriment les gens du peuple en affirmant que le contraire de
sunnite est chiite, car il sont plus clairement hostiles à la coutume
du Prophète et aux autres lois musulmanes que les autres égarés »
(chap. 28, p. 482). Il a aussi dit : « Si la tradition et le consensus des
savants sont d’accord sur une chose, c’est que l’agresseur, quand il
est musulman et qu’il veut tuer, ne peut être repoussé qu’en le
tuant, même s’il ne voulait s’emparer que d’un demi-dinar [65] …
alors, que dire de ceux-là qui se sont affranchis des lois islamiques
et qui combattent Dieu et Son prophète (que la paix et le salut soient
sur lui !) ? » (chap. 4, p. 251).
Cependant, que les musulmans sachent que nous ne sommes pas les
premiers à nous être mis en marche sur cette voie, ni les premiers à
dégainer le sabre, car ces gens ont déjà une longue expérience dans
le meurtre des prêcheurs de l’islam et des combattants de la guerre
sainte, les poignardant dans le dos, dans le silence du monde entier
et avec sa complicité, même de ceux que l’on prend pour les hérauts
du sunnisme, hélas. Ces gens sont une épine bloquée dans la gorge
des combattants du jihad et un poignard planté dans leur flanc ;
chacun sait que la plupart des combattants du jihad tombés durant
la guerre le furent des mains de ces gens qui, sans cesse, jour et
nuit, remuent les poignards de la haine et de la malice dans les
plaies ouvertes.

2 - [sic] Les sunnites


Ils sont plus égarés que des brebis parmi les loups. Sans guide, ils
errent dans le désert de la naïveté et de la négligence, divisés et
éparpillés, sans chef qui pourrait les réunir et préserver le meilleur
d’eux. Ils sont aussi répartis en plusieurs catégories.
1/ Le peuple. Cette masse constitue la majorité silencieuse et c’est
une présence absente (« La canaille écervelée prête à suivre le
premier qui croasse, dépourvue des lumières de la connaissance
comme de tout soutien solide ») [66] . Même s’ils détestent les
Américains en espérant qu’ils disparaissent et que se dissipe ce ciel
sombre, ils ne font qu’attendre un lendemain brillant et un avenir
radieux, une vie facile, le luxe et l’opulence. Mais dans l’attente de
ce jour, ils constituent une proie facile pour des médias trompeurs
et des politiciens féroces… Cependant, ils constituent le peuple
d’Irak.
2/ Les cheikhs et les oulémas. Ce sont pour la plupart des mystiques
égarés. Leur religion se limite à fêter l’anniversaire du Prophète [67] 
en psalmodiant et dansant au chant d’un chamelier [68] , le tout
conclu par un banquet bien gras. L’opium du peuple [69] , c’est eux, et
ce sont des guides trompeurs pour une communauté qui cherche sa
voie dans la nuit noire. Quant à l’esprit de la guerre sainte, la
doctrine juridique du martyre et le refus d’allégeance aux infidèles,
ils y sont tout à fait étrangers, comme l’était le loup du sang de
[70]
Youssouf (que la paix soit sur lui !)   . En dépit des horreurs et des
vicissitudes que nous traversons, aucun ne souffle mot du jihad, ni
n’appelle au sacrifice. Impuissants, ils ne sont bons à rien.
3/ Les Frères [71] . Tels que vous les connaissez, ils font commerce du
sang des martyrs et tirent une gloire indue des monceaux de crânes
des croyants sincères car ils ont mis pied à terre, déposé les armes,
et ont déclaré, les menteurs : « Pas de jihad ! » Toute leur activité
consiste à étendre leur domination politique et à accaparer la part
des postes représentatifs des sunnites dans le gâteau du futur
gouvernement [72] , en prenant soin de conserver leur ascendant sur
les groupes combattants à travers le soutien financier [73] . Et cela, à
deux fins ; la première : pour faire de la propagande à l’étranger [74] ,
grâce à laquelle ils obtiennent et argent et soutien, comme ils l’ont
fait durant les événements de Syrie [75]  ; la seconde : afin de
contrôler la situation et dissoudre ces groupes à la fin du spectacle
en distribuant les cadeaux. Ils sont déterminés à créer un conseil
législatif islamique [76]  afin de parler au nom des sunnites, car ils
ont l’habitude du double jeu, de suivre les courants tortueux de la
politique, leur religion est aussi mobile que le mercure, sans
fondement ni bases solides (que Dieu nous en préserve !).
4/ Les combattants du jihad. Ce sont les meilleurs des sunnites et la
fine fleur de ce pays. Dans l’ensemble, ils sont sunnites et
[77]
salafistes   . Naturellement, le salafisme s’est fragmenté dans les
épreuves et a ainsi pris du retard. Ces combattants se caractérisent
comme suit.
A. La plupart sont inexpérimentés, surtout dans l’action collective,
car ils sont le produit d’un régime répressif qui a enrégimenté le
pays, y a semé la terreur et la peur, détruisant toute confiance entre
les gens [78] . Ainsi la plupart des groupes œuvrent isolément sans
horizon politique ni prévision, ni même préparatifs pour hériter de
cette terre. Certes, l’idée a commencé à mûrir, les gens ont
commencé à susurrer puis à dire à haute voix qu’il faut se
rassembler et s’unifier sous la bannière [79] , mais les choses n’en
sont qu’à leur début et nous tentons, Dieu soit loué, de les faire
mûrir davantage.
B. Ici, le jihad se résume, malheureusement, à semer des mines puis
tirer, de loin, des missiles ou des obus de mortier [80] . Les frères
irakiens préfèrent rester sains et saufs pour rentrer le soir auprès
de leurs femmes, là où ils n’ont rien à craindre. Certains se sont
même parfois vantés de n’avoir subi aucune perte [81] . Mais nous
leur avons souvent dit que sécurité et victoire ne vont pas de pair,
que l’arbre du triomphe et du pouvoir ne pousse et croît que par le
sang et l’acharnement, que la communauté musulmane mondiale
ne vivra que de l’arôme du martyre et du parfum du sang versé
pour Dieu [82] , que les gens ne s’éveilleront de leur torpeur que si le
martyre et les martyrs deviennent leur sujet de conversation, de
jour comme de nuit, ce qui demande de la patience et de la
conviction ; mais notre espoir en Dieu est grand.

Les combattants étrangers


Leur nombre reste négligeable au vu de l’importance énorme de la
bataille [83] . Nous savons pourtant que nombreux sont les braves et
que l’armée de la guerre sainte s’est déjà mise en marche… Ce qui
[84]
nous retient de déclarer la mobilisation générale   , c’est que ce
pays n’a pas de montagnes pour s’y réfugier ni de forêts pour s’y
cacher. Nos arrières sont à découvert et nos mouvements connus,
les yeux sont partout, « l’ennemi est devant nous et la mer derrière
[85]
nous »   . De nombreux Irakiens nous offrent l’hospitalité et nous
considèrent comme des frères, mais de là à faire de leurs domiciles
une base de départ pour des opérations, c’est plus rare que l’or.
C’est pourquoi certains frères sont parfois une charge pour nous ;
nous entraînons les nouvelles recrues avec ce boulet aux pieds,
pour ainsi dire ; même si, grâce à Dieu, avec un effort soutenu et
une recherche approfondie, nous avons pu trouver des lieux sûrs
qui se multiplient avec le temps et deviennent des points de
rassemblement pour les frères qui mènent le combat et entraînent
les gens du pays, afin qu’une véritable guerre éclate, s’il plaît à
Dieu [86] .

II - La situation actuelle et le futur


Nul doute que les pertes des Américains sont importantes du fait de
leur déploiement sur un vaste territoire, parmi une population pour
qui il est facile de trouver des armes, ce qui en fait des cibles faciles
faisant baver d’envie les croyants. Mais l’Amérique n’est pas venue
pour repartir, et ne le fera pas, aussi nombreuses soient ses
blessures, aussi abondamment coule son sang. Elle a hâte d’arriver
au proche avenir où elle espère rentrer, saine et sauve, dans ses
bases, pour remettre le commandement de l’Irak au gouvernement
bâtard avec une armée et une police qui rejoueront à la population
l’histoire de Saddam et de sa police [87] . Il ne fait pas de doute que la
marge de manœuvre se rétrécit, que le garrot se resserre autour de
la gorge des combattants du jihad ; plus les soldats et les policiers se
répandent, plus sombre l’avenir paraît.

III - Où en sommes-nous ?
En dépit du peu de soutien, de l’abandon des amis et de la situation
pénible dans laquelle nous nous trouvons, Dieu nous a gratifiés de
coups portés contre l’ennemi ; et de toutes les opérations-martyre
qui ont eu lieu, hormis celle du nord, nous fûmes, Dieu soit loué, à
leur instigation. Jusqu’à présent, j’ai lancé, grâce à Dieu, vingt-cinq
opérations, dont plusieurs contre les hérétiques et leurs chefs, les
Américains et leurs soldats, les policiers, les soldats, et les forces de
la coalition. D’autres suivront, si Dieu le veut. Nous ne pouvions les
annoncer car nous souhaitions avoir du poids et attendions d’avoir
des moyens appropriés pour supporter les conséquences de telles
annonces, afin que nous apparaissions en force sans faire de
rechute (que Dieu nous en préserve !). Grâce à Dieu, nous avons fait
de grands pas et parcouru des distances gigantesques au moment
où l’heure de vérité approche. Nous sentons que nos forces
s’étendent en commençant à profiter du vide sécuritaire afin de
libérer des points stratégiques qui seront ensuite des noyaux de
départ et de renaissance, s’il plaît à Dieu.
IV - Plan de travail
Après étude et réflexion, nous pouvons classer notre ennemi en
quatre catégories.

Les Américains
[88]
Comme vous le savez, ce sont les plus lâches des hommes   , une
proie facile, grâce à Dieu auquel nous demandons qu’il nous
permette d’en tuer et d’en capturer pour semer la panique parmi
ceux qui se sont rangés derrière eux, et les échanger contre nos
[89]
cheikhs et frères emprisonnés   .

Les Kurdes
Ceux-là sont une calamité, mais c’est une épine qu’il est prématuré
d’extraire car ils figurent en bout de notre liste, même si nous
tentons d’amener à nous certains de leurs dirigeants, s’il plaît à
Dieu.

Les soldats, policiers et collaborateurs


Ils sont l’œil de l’occupant, son oreille et son bras. Nous sommes
déterminés à les viser violemment dans les mois à venir [90] , avant
que la situation ne se stabilise et qu’ils ne puissent resserrer leur
emprise.

Les hérétiques
Ils sont selon nous la clé du changement, car les attaquer dans leur
dimension religieuse, politique et militaire ne fera que révéler leur
rage envers les sunnites, ils montreront alors les crocs en dévoilant
la haine secrète qui couve dans leur cœur. Si nous parvenons à les
entraîner dans une guerre de religion, nous pourrons réveiller les
sunnites endormis qui sentiront le danger latent et la mort cruelle
dont les menacent ces Sabaites [91] . Car les sunnites, en dépit de leur
faiblesse et de leur dispersion, ont des lames plus affûtées, sont plus
hardis et plus valeureux que ces hérétiques, trompeurs et lâches,
qui ne sont arrogants qu’avec les faibles et n’attaquent que les
impuissants. Dans leur majorité, les sunnites saisissent le danger
que représentent ces gens, se méfient d’eux et redoutent qu’ils
prennent le pouvoir. S’il n’y avait les cheikhs soufis dépités et les
Frères, les gens parleraient autrement. Ce que l’on espère par ces
propos, c’est alarmer ceux qui s’assoupissent et réveiller ceux qui
dorment. Car nous espérons désarmer ces gens et réduire leur
capacité de nuire avant que ne s’engage la bataille fatale, en
espérant qu’elle rendra furieuse la population contre les
Américains pour avoir apporté la ruine et été la cause de cette
catastrophe, mais nous redoutons que la population ne savoure les
plaisirs dont elle fut longuement privée [92] , ne se laisse aller à une
vie facile et ne s’y attache, ne préfère rester saine et sauve, et ne se
détourne du cliquetis des sabres comme du hennissement des
chevaux [93] .

V - Mode opératoire
Comme je vous l’ai dit, la situation nous impose d’agir
courageusement et en toute clarté, et de tenter d’y remédier, sans
quoi nous ne trouverons pas de solutions qui permettent de servir
la religion. La solution que nous proposons, mais Dieu en sait
davantage que nous, c’est d’amener les hérétiques au combat car
c’est l’unique moyen de prolonger notre lutte contre les impies [94] .
Nous pouvons ajouter qu’il est indispensable de les amener au
combat pour plusieurs raisons.
1/ Ce sont les hérétiques qui ont déclaré, secrètement, la guerre aux
[95]
musulmans, ils sont donc l’ennemi proche    et mortel des
sunnites, même si les Américains demeurent l’ennemi principal.
Mais le danger des hérétiques est plus grave, les dommages qu’ils
peuvent causer au sein de la communauté musulmane mondiale
sont plus importants que ceux des Américains contre lesquels il y a
presque unanimité puisqu’ils nous ont agressés.
2/ Ils ont fait allégeance aux Américains, les ont soutenus, se sont
rangés de leur côté contre les combattants du jihad, et sont prêts à
tout pour faire échouer aussi bien celle-ci que ces derniers.
3/ Combattre les hérétiques est le meilleur moyen d’entraîner la
communauté musulmane mondiale dans la bataille. Nous revenons
ici plus longuement sur nos arguments, car nous avons déjà dit que
les hérétiques ont endossé l’uniforme de l’armée et de la police au
service de la sécurité de l’Irak et brandi la banderole de la défense
de la patrie et des citoyens. C’est sous ce prétexte qu’ils ont
commencé à liquider les sunnites en allégant que ce sont des
destructeurs, les restes du Baath et des terroristes qui répandent le
mal. Grâce à la propagande du Conseil de gouvernement [96]  et des
Américains, ils ont pu séparer le peuple sunnite des combattants du
jihad. Prenons l’exemple des régions nommées « le triangle
sunnite », si on peut les appeler ainsi, où l’armée et la police se
déploient et se renforcent de jour en jour, dirigées par des
collaborateurs sunnites locaux de sorte que cette armée et cette
police y sont liées par le sang et l’honneur à la population. Or, cette
région constitue notre base, d’où nous partons et à laquelle nous
revenons. Mais lorsque les Américains se retireront, comme ils ont
d’ailleurs commencé à le faire, et seront remplacés par des
collaborateurs attachés d’un lien indissoluble à la population, que
se passera-t-il si nous les combattons, ce que nous ne devons pas
manquer de faire ? Nous nous trouverons devant cette alternative :
1. soit nous les combattons, même si cela comporte la difficulté de
creuser un fossé entre nous et la population [97] , car ce seront
leurs cousins et leurs fils que nous combattrons, et sous quelle
justification, une fois que les Américains qui détiennent les rênes
du pouvoir se seront retirés, une fois que les Irakiens assumeront
le pouvoir ? Une fois la démocratie établie, nous n’aurons plus
d’excuse ;
2. soit nous faisons notre paquetage pour partir à la recherche d’un
terre nouvelle, triste histoire qui se répète sur les autres champs
de bataille du jihad, car notre ennemi devient chaque jour plus
fort, et plus précises ses informations. Alors, j’en jure par le
seigneur de la Kaaba [98] , nous serons étranglés puis dépecés dans
les rues. Car les hommes pratiquent la religion de leur roi. « Si
leur cœur est avec vous, leurs épées sont au service des
Omeyyades » [99] , c’est-à-dire de la force et de la victoire (ce qu’à
Dieu ne plaise !).
C’est pourquoi je répète que la seule solution est de frapper les
hérétiques, qu’ils soient religieux, militaires ou autres, de leur
porter coup sur coup jusqu’à ce qu’ils se soumettent aux sunnites.
On pourrait m’objecter qu’il est trop tôt et injuste de précipiter la
communauté musulmane mondiale dans un combat auquel elle
n’est pas préparée, que cela entraînera des pertes et fera couler le
sang, mais c’est précisément ce que nous voulons. Car il ne reste
plus ni bien ni mal dans la situation où nous nous trouvons. Les
hérétiques ont détruit tout équilibre, la religion de Dieu est plus
précieuse que les personnes et les âmes. Depuis quand la majorité
se range-t-elle du côté du droit ? Il faut donc se sacrifier pour cette
religion et qu’importe le sang versé. Celui qui a été bon, nous
précipiterons son arrivée au paradis ; celui qui ne l’a pas été, nous
en serons délivrés. Par Dieu, la religion de Dieu est plus précieuse
que tout : elle passe avant les personnes, les biens et les enfants. Le
meilleur exemple en est l’histoire advenue aux gens du fossé [100] ,
que Dieu a remerciés. Al-Nawawi [101]  a déclaré que ce récit était la
preuve que si le monde entier s’entretuait pour prouver l’unicité de
Dieu, cela serait une bonne chose. On ne vit, on ne se protège, on ne
[102]
préserve son honneur que par le sacrifice pour cette religion   .
Par Dieu, mes frères, nous aurons avec les hérétiques des batailles,
des combats [103]  et des nuits sombres que nous ne pouvons plus
retarder car la menace qu’ils représentent est imminente, mais
nous ne les craignons pas car ce sont les plus lâches des hommes, et
tuer leurs chefs [104]  ne les rendra que plus faibles et apeurés.
La mort de l’un de leurs chefs entraînera celle de leur communauté,
à la différence de ce qui se passe chez les sunnites, car chez ces
derniers, si un chef meurt ou est tué, un autre se lève et la mort du
premier est un défi et une stimulation pour les sunnites faibles. Car
si vous connaissiez la peur qui saisit la population sunnite, vous en
seriez affligés. Combien de mosquées ont été transformées en
hussayniyyat [105] , combien de maisons ont été détruites sur leurs
habitants, combien de frères ont été tués et mutilés, combien de
sœurs ont été violées par ces impies ignobles ! Si nous pouvions leur
infliger des coups douloureux, l’un après l’autre, afin de les amener
au combat, nous pourrions alors redistribuer les cartes. Le Conseil
de gouvernement n’aura dès lors plus de valeur ni d’influence, ni
même les Américains qui reviendront au combat avec les
hérétiques, comme nous le souhaitons. Alors, qu’elles le veuillent ou
non, de nombreuses régions sunnites se rangeront aux côtés des
combattants du jihad, et ces derniers se seront assurés un territoire
d’où ils pourront repartir frapper les hérétiques au sein même de
leurs régions, le tout soutenu par une propagande claire. De la
sorte, une profondeur stratégique [106]  aura été créée, de même
qu’une voie de communication entre les frères de l’étranger et les
combattants de l’intérieur.
1/ Nous faisons tout notre possible et courons après le temps afin de
former des brigades de combattants qui puissent se retirer dans des
lieux sûrs, reconnaître le pays, faire la chasse à l’ennemi sur les
[107]
routes et les chemins   , qu’il s’agisse d’Américains, de policiers ou
de soldats. Nous sommes en train de recruter et d’entraîner. Quant
aux hérétiques, ils auront, si Dieu le veut, leur compte d’opérations-
martyre et de voitures piégées.
2/ Nous tentons depuis un certain temps d’observer la situation et
de faire le tri de ceux qui y sont actifs, en recherchant les hommes
sincères suivant une méthode saine afin de collaborer ensemble,
nous coordonner en vue de nous associer et nous unir avec eux,
après les avoir testés et éprouvés. Nous espérons avoir accompli de
grands pas et peut-être déciderons-nous de l’annoncer
prochainement, même de façon progressive, afin que la chose soit
connue de tous. La période de latence est révolue, et nous sommes
déterminés à donner du grain à moudre aux médias, de façon à
révéler des vérités, susciter des vocations et fédérer les volontés.
Alors, dans ce jihad, le sabre et la plume se compléteront [108] .
3/ En complément de cette action, nous souhaitons que soient levés
les doutes et explicitées les prescriptions légales au travers de
cassettes, de tracts, de leçons et de conférences afin de développer
la conscience collective, d’affermir le dogme de l’unicité de
Dieu [109] , de préparer les infrastructures et d’acquitter les
consciences.
5/ [sic] Le moment d’agir. Nous espérons accélérer le rythme de
travail, et former les brigades expérimentées dans l’attente de
l’heure à laquelle nous entamerons notre action et prendrons
possession du pays, de nuit tout d’abord, puis au grand jour, avec
[110]
l’accord du Dieu tout-puissant. Il nous reste environ quatre mois   
avant la constitution du gouvernement et, comme vous le voyez,
nous courons après le temps. L’idéal serait que nous puissions,
comme nous le souhaitons, ruer dans les brancards et faire échouer
leur plan. Sinon, ce qu’à Dieu ne plaise, le gouvernement étendra sa
domination sur le pays et il ne nous restera qu’à refaire nos
bagages, partir pour un autre pays en reprenant l’étendard, à moins
que Dieu ne préfère que nous mourrions en martyrs.

VI - Qu’en est-il de vous ?


Vous êtes, chers frères, nos chefs et nos guides, l’incarnation du
jihad et du combat. Nous ne nous considérons pas dignes de vous
contester ni d’aspirer à notre propre gloire mais seulement d’être
un fer de lance, une avant-garde, un pont grâce auquel la
communauté musulmane mondiale traversera vers la gloire
promise et le lendemain tant attendu. Voilà, nous vous avons
expliqué notre façon de voir les choses et nos intentions. Si vous
faites vôtre notre plan, et êtes convaincus par l’idée de combattre
les sectes hérétiques [111] , nous serons vos soldats toujours prêts,
nous nous rallierons à votre étendard, nous vous obéirons et même
vous prêterons allégeance [112] , publiquement et dans les médias
pour irriter les impies et faire plaisir aux musulmans, car les
croyants y verront un signe de Dieu. Mais si vous en jugez
autrement, alors nous resterons des frères et aucune querelle ne
pourra nous séparer, nous nous soutiendrons pour le mieux et nous
épaulerons dans le jihad. Dans l’attente de votre réponse (que Dieu
vous garde !), vous êtes les clés de tout bien et la seule ressource de
l’islam et des musulmans, amen, amen.
Que la paix soit sur vous ainsi que la clémence de Dieu et Ses
bénédictions !

Notes du chapitre
[1] ↑ Si le nom de l’auteur n’est pas cité, on peut deviner deux possibles destinataires
(puisque le duel grammatical est utilisé dans la dernière appellation). La mention des
« sommets », des « lions des montagnes » est une allusion explicite aux fugitifs d’Al-Qaida
en Afghanistan. En fin de texte, une phrase laisse entendre qu’il s’agit d’un rapport sur la
situation en Irak et d’une proposition de collaboration faite à Oussama ben Laden et
Ayman al-Zawahiri.
[2] ↑ Malik ibn Anas (710-795), fondateur de l’une des quatre écoles juridico-religieuses
de l’islam orthodoxe (ou [madhhab]), auteur du Compendium ([muwattâ]). Le malékisme
est professé en Afrique du Nord, en Afrique de l’Ouest, en Haute-Égypte ainsi que dans
certaines parties de l’Arabie saoudite. Pour les malékites, les sources de la loi sont le Coran,
le hadith, les faits et dits des Compagnons, et enfin l’[ijma‘], le consensus des hommes de
religion. Le malékisme a également introduit un type de pensée téléologique où la fin peut
justifier des moyens : ainsi le principe de [sadd al-dharâ’i‘] (l’entrave des moyens), qui, en
vue d’éviter une mauvaise fin, peut permettre d’interdire quelque chose de licite par
ailleurs. Ce principe, emprunté par les hanbalites, est très souvent mobilisé en Arabie
saoudite, par exemple pour justifier l’interdiction faite aux femmes de conduire.
[3] ↑ Tout le texte est rythmé de paronomases, comme cela se faisait volontiers dans la
prose traditionnelle.
[4] ↑ Nous avons partout traduit ainsi le mot [umma].
[5] ↑ Dans les écrits jihadistes postérieurs à l’invasion de l’Irak de mars 2003, la présence
américaine est souvent décrite comme une formidable occasion à saisir. Ben Laden
déclare par exemple, le 16 décembre 2004 : « Frapper les États-Unis en Irak, en terme
d’économie et de perte de vie, constitue une occasion en or, une chance unique… »
[6] ↑ L’auteur évite ici de nommer l’Irak par sa dénomination habituelle – ce qui
équivaudrait à reconnaître la légitimité de l’État-nation –, préférant une désignation
géographique : [bilâd al-râfidayn], la Mésopotamie. De même, l’Arabie Saoudite est souvent
désignée par l’expression [bilâd al-haramayn], le pays des deux lieux saints.
[7] ↑ Selon la géographie sentimentale des auteurs islamistes, la « terre des deux
sanctuaires » est l’Arabie, et al-Aqsa désigne, par métonymie, Jérusalem. Des hadiths font
allusion à une victoire de l’islam contre l’impiété en Grande Syrie, ce qui peut se
comprendre historiquement.
[8] ↑ Croyance musulmane en la venue du messie à Damas.
[9] ↑ [al-châm], c’est-à-dire le nom traditionnel de la Syrie géographique ou Grande Syrie,
et dans laquelle peut parfois s’intégrer des zones de l’ensemble du Croissant fertile, dont
l’Irak, d’où écrit l’auteur.
[10] ↑ Pour les églises protestantes américaines appartenant au mouvement évangélique
(50 millions de fidèles), l’établissement d’un État juif en Palestine est nécessaire au retour
du Messie – le Christ – qui marquera la fin des temps. Ces fondamentalistes chrétiens
constituent un soutien essentiel de l’administration Bush, ce dernier, lui-même born-again,
appartenant au mouvement évangélique.
[11] ↑ L’auteur déprécie ici ,1a coalition difficilement rassemblée par les États-Unis, dont
font notamment partie des micro-États du Pacifique et quelques petits États d’Amérique
centrale.
[12] ↑ Une manifestation de la multiplicité (parfois contradictoire) des sources où les
jihadistes puisent leurs informations. Ici, l’auteur utilise une formule créée par les médias
au lendemain de l’invasion de l’Irak. À l’époque de Saddam, cependant, ce « triangle »
existait déjà en tant qu’entité territoriale caractérisée par un comportement particulier
envers le pouvoir (en l’occurrence, il était considéré comme un bastion du régime).
[13] ↑ [Râfida] : l’auteur désigne ainsi le plus souvent les chiites, ce qui est l’usage dans la
littérature islamiste sunnite. L’origine du terme remonterait à un hadith selon lequel le
Prophète aurait dit : « Il y aura un groupe de gens qui se dira “rejectionniste” [al-râfida]. Si
tu les rencontres, tue-les, car ce sont des polythéistes. »
[14] ↑ Référence possible à la part relative que constitueraient les chiites parmi la
population irakienne (60 %), et aux positions et postes qu’ils voudront en conséquence
obtenir dans l’Irak occupé.
[15] ↑ L’auteur admet ici la pluralité de la société irakienne : la priorité n’est pas ici de
corriger cet état de fait, mais d éviter que le pouvoir n’échappe des mains des sunnites.
Cette remarque correspond au ton très réaliste et terre-à-terre de « l’analyse » présentée
ici.
[16] ↑ On retrouve ici le cliché répandu dans l’historiographie arabo-musulmane sur
l’Irak, pays de sédition. Ali, le quatrième calife, avait en effet fait de Koufa, en Irak, sa
capitale. Le choix de son successeur, Mouawiya, de déplacer le siège du califat à Damas,
s’est alors traduit par toute une série de révoltes, qui minèrent le règne des Omeyyades.
C’est ainsi que l’Irak acquit sa réputation de « province rebelle ».
[17] ↑ Ziyad ibn Abihi fut gouverneur de Koufa, puis également de Bassora, sous le
premier calife omeyyade Mouawiya ibn Abi Soufyan, qui régna de 661 à 680. Il mourut en
673.
[18] ↑ Masoud Barzani, fils de Moustafa Barzani, figure légendaire de la révolte des
Kurdes irakiens, dirige le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), tandis que Jalal Talabani
dirige l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), qui a fait scission du PDK en 1974. Le
premier contrôlait le nord du Kurdistan irakien, situé à la frontière avec la Turquie, alors
que le second en contrôlait le sud, frontalier de l’Iran. Le 6 avril 2005, Jalal Talabani a été
nommé président de l’Irak par l’Assemblée nationale irakienne.
[19] ↑ Les deux principaux partis kurdes sont d’orientation socialiste. « Le mouvement
islamique de Kurdistan », qui existe depuis les années 1980 comme la branche locale des
frères musulmans, n’a jamais pris de l’ampleur parmi les Kurdes. En décembre 2001, s’est
créé le groupe islamiste radical du nom d’Ansâr al-islâm, mais il est resté marginal, surtout
après sa radicalisation en 2002.
[20] ↑ L’auteur retourne ici la vision habituellement admise de la situation kurde : la
laïcité autoproclamée des zones kurdes serait l’effet non pas de l’autonomisation de ces
régions par rapport au cœur du pays mais plutôt de la réussite du projet baathiste !
[21] ↑ On retrouve ici l’image, fréquente dans la littérature d’inspiration wahhabite, du
« chiite fourbe », qui pratique la [taqiyya] ou le [kitmân], la dissimulation de sa foi.
[22] ↑ Coran, 63/4. Dans le Coran, le verset ne peut désigner les chiites, puisque le clivage
sunnite/chiite n’apparaît que plusieurs décennies après la révélation. Ce verset, également
cité dans « Notre position légale sur le gouvernement du nouveau Karzaï », désigne en fait
plus largement les hypocrites ([al-munâfiqûn]).
[23] ↑ L’adéquation des leçons de l’histoire et du réel, affirmée à plusieurs reprises dans
les discours des mouvements jihadistes, replace, pour les interlocuteurs qui auront
tendance à l’oublier, leur action dans une Histoire universelle légitimée par Dieu et où tout
acte, bon ou mauvais, participe d’une théodicée.
[24] ↑ Voir la note 47, p. 268 sur les Gens du Livre.
[25] ↑ Le « culte des tombeaux » désigne les pèlerinages sur les tombes de pieux
personnages, qui sont répandus parmi la population chiite irakienne. Le salafisme
jihadiste, courant auquel appartient Zarqawi, est, sur la question du rapport à l’Autre, très
proche des positions de l’école wahhabite. C’est ainsi que, dans la foulée d’ibn Abd al-
Wahhab, al-Zarqawi voit dans ces manifestations la preuve d’un polythéisme avéré.
[26] ↑ Entre autres Aïcha, la plus jeune femme du Prophète, qui, après la mort de ce
dernier, se retrouve à la tête de l’un des groupes en lutte pendant la période de la fitna,
guerre civile musulmane qui éclate sous le califat d’Ali. Considérée par les chiites comme
partie prenante du conflit et ennemie des partisans d’Ali, elle est au contraire tenue par les
sunnites pour l’une des sources les plus fiables du hadith et de la jurisprudence islamique.
[27] ↑ Les courants les plus radicaux du chiisme sont très critiques des trois premiers
califes de l’islam, tout comme de certains compagnons, qu’ils accusent d’avoir écarté Ali du
pouvoir alors que celui-ci devait, à leurs yeux, succéder au Prophète. Ces attaques peuvent,
dans des cas extrêmes, correspondre à un [takfîr], une excommunication.
[28] ↑ La fonction d’imam comme chef de la communauté, seul digne d’accéder au califat,
est réservée par les chiites à un descendant d’Ali, le cousin du Prophète, par Fatima, sa
fille.
[29] ↑ Dans la croyance chiite, l’imamat vient compléter la prophétie et les imams,
descendants du Prophète, sont seuls à même de déterminer le sens caché des textes sacrés.
[30] ↑ Terme péjoratif employé par les chiites pour désigner les sunnites.
[31] ↑ L’auteur accuse les chiites d’avoir provoqué avec les Mongols la chute du califat
abbaside, dont la capitale était Bagdad, en 1258.
[32] ↑ Deux villes sunnites, dont la première fut le lieu de naissance de Saddam Hussein.
[33] ↑ L’auteur ici fait mine d’ignorer l’oppression de la population chiite en Irak sous le
régime de Saddam Hussein.
[34] ↑ Pour l’auteur, le quiétisme dont fait preuve la communauté chiite actuellement, et
surtout la majorité de celle-ci, sous la direction de l’ayatollah al-Sistani, s’explique par une
stratégie d’entrisme et de prise de pouvoir silencieuse et implicite.
[35] ↑ Les deux niveaux du conflit irakien sont présentés : les chiites irakiens font face
aux sunnites de l’oumma. En caractérisant les chiites comme « irakiens » en les renvoyant
à une identité locale, contre les sunnites qui n’agissent et ne s’engagent que dans le cadre
de l’oumma, l’auteur renvoie les chiites à leur supposée [chu‘ûbiyya], à leur volonté
séditieuse de briser l’oumma et de n’agir qu’en fonction d’intérêts propres.
[36] ↑ En arabe, [taqiyya]. « La dissimulation fut fréquemment, sinon continuellement,
pratiquée par les chiites qui, au long de l’histoire, furent souvent en butte à des
persécutions ou des avanies » : Janine et Dominique Sourdel, Dictionnaire historique de
l’islam, Paris, PUF, 1996, p. 792.
[37] ↑ Organisation chiite soutenue par la République islamique d’Iran, dont le président,
l’ayatollah Baqir al-Hakim, a été assassiné le 29 août 2003, à Najaf, (voir l’introduction).
Pour la signification du mot [badr], voir note 36, p. 158. Les Américains se sont
effectivement appuyés, ou du moins ont laissé, dans différents endroits, des forces pré-
constituées remplir des fonctions de sécurité. Pour l’auteur, ces forces qui collaborent avec
les Américains sont donc traîtresses à double titre : comme collaborationnistes avec
l’ennemi, et comme chiites, animées de la volonté de prendre le pouvoir aux dépens des
sunnites. Dans un enregistrement sonore diffusé mercredi 4 juillet 2005, Abou Moussad al-
Zarqawi a annoncé la création d’une brigade Omar pour « éliminer les symboles et les
factions de fa perfide brigade Badr ».
[38] ↑ Dans son zèle anti-chiite, l’auteur est ici mené à se contredire, car il constatera
quelques pages plus tard : « l’Amérique n’est pas venue pour repartir, et ne le fera pas ».
[39] ↑ Les chiites sont paradoxalement d’autant plus dangereux qu’ils sont des nôtres : le
lien national, de voisinage, voire familial, loin de modérer l’antagonisme entre chiites et
sunnites, serait au contraire une raison aggravant la dangerosité des chiites. L’auteur fait
radicalement passer le lien religieux avant toute autre forme d’appartenance, même
familiale ou tribale.
[40] ↑ L’auteur inverse dans ce texte l’ordre des périls, faisant des chiites un danger plus
grand que les « croisés ».
[41] ↑ « Parti de la résurrection arabe », unioniste arabe et socialiste, fondé en 1940, au
pouvoir en Irak de 1968 à 2003.
[42] ↑ Il s’agit là d’une allusion aux nombreux assassinats qui ont effectivement suivi
l’invasion américaine, sans que l’on puisse les attribuer précisément à une entité
particulière. Plutôt que d’assassinats à but politico-confessionnel, il s agirait plus
certainement de règlements de compte au détriment d’anciens cadres du régime, d’où
l’identité sunnite de nombreuses victimes.
[43] ↑ En août 2004, lors de la seconde insurrection des partisans de Moqtada al-Sadr, une
mystérieuse armée de Zulfiqar [jaych dhû-l-fiqâr] du nom d un sabre d’Ali ibn Abi Talib,
s’est faite connaître par des exécutions d’insurgés. Les hypothèses autour de ce groupe
contre-insurrectionnel laissent penser qu’il s’agirait de troupes tribales chiites mobilisées
par les Américains pour combattre l’insurrection de l’intérieur. La prémonition d’al-
Zarqawi sur la constitution de « Contras » sunnites aurait donc déjà été mise en œuvre
dans la zone chiite.
[44] ↑ Le complot chiite doit, en définitive, être subordonné à l’inépuisable « complot
juif », un leitmotiv de la littérature islamiste.
[45] ↑ L’auteur reprend un thème classique de la propagande irakienne de la fin des
années 1980, à l’époque où le pays, en guerre contre l’Iran, se sentait menacé par la Syrie,
dirigée par des Alaouites (secte liée au chiisme) et alliée de Téhéran. « L’axe chiite » était
un épouvantail régulièrement brandi sur la possible constitution d’une fédération chiite
qui irait du Liban à l’Iran, voire au Pakistan (alors que la famille Bhutto, chiite, encore
puissante, dirigeait par intermittence le gouvernement).
[46] ↑ Allusion au fameux hadith : « Le paradis est à l’ombre des épées. »
[47] ↑ Séfévides : dynastie chiite d’origine arabe qui gouverna la Perse de 1501 à 1736. En
refoulant l’armée ottomane, l’armée du Chah Abbas Ier prit Bagdad le 12 janvier 1624 et y
massacra une partie de la population sunnite. Bagdad ne fut reprise par les Ottomans
qu’en décembre 1638. Quant à Vienne, elle avait été assiégée sans succès une première fois
par les Ottomans en 1529, qui échouèrent une seconde fois en 1683. Voir Robert Mantran
(dir.) Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1989.
[48] ↑ Là aussi, le fait qu’il soit du même peuple ne les rend que plus dangereux. Loin
donc de faire des chiites irakiens une cinquième colonne de l’Iran, comme cela a pu être
suggéré par des baathistes, l’auteur considère au contraire que leur dangerosité augmente
avec leur « Irakité ».
[49] ↑ Coran, 63/4.
[50] ↑ Rappelons que ce théologien hanbalite rigoriste (1263-1328), dont les livres sont
aux chevets des islamistes, vécut à une époque particulièrement troublée de la civilisation
islamique où le califat succomba aux attaques des Mongols, venus de l’est, alors qu’à
l’ouest les croisés étaient encore présents. Les événements relatés dans la citation se
rapportent à cette période. Voir note 60, p. 166 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[51] ↑ Khan mongol (1167-1227), Gengis Khan unifia les principales tribus des steppes de
la Mongolie, mena de brillantes campagnes militaires et soumit la Chine et la Perse. Ses fils
poursuivirent son entreprise. Pour les civilisations impériales victimes de ses entreprises
(la Chine, la Perse), il reste le symbole du barbare destructeur.
[52] ↑ Khan mongol (1217-1265), petit-fils de Gengis Khan, qui régna sur l’Iran et conquit
en 1258 Bagdad, où il fit exécuter le calife al-Musta‘sim, entre autres. Il se lança ensuite à la
conquête de la Syrie, avant d’être arrêté par les Mamelouks d’Égypte en Palestine (1260). Il
fonda en Perse la dynastie des Ilkhans. Ce responsable de la chute de Bagdad conserve
dans l’imaginaire musulman une aura particulièrement sinistre.
[53] ↑ Le 25 février 1260, les Mongols (sous la direction d’Hulagu) prirent la ville d’Alep et
y massacrèrent la population musulmane.
[54] ↑ Ibn al-Alqami : dernier vizir, chiite, de l’ultime calife abbasside, sunnite, Al-
Mousstassim exécuté par les Mongols en 1257. Alep tomba aux mains des Mongols, le
25 février 1260. Ces derniers, effectivement, ne faisaient pas de différences entre les
diverses obédiences religieuses de leur immense empire. Beaucoup de chiites, de chrétiens
et de membres de confessions hétérodoxes les servirent.
[55] ↑ L’auteur est Ibn Taymiyya, ici encore cité longuement, télescopant ainsi la période
médiévale et la période contemporaine. Voir note 60, p. 166 dans Abdallah Azzam, Rejoins
la caravane !
[56] ↑ Voir note 15, p. 154 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !
[57] ↑ Désigne Ahmad ibn Hanbal. Voir note 20, p. 142 dans Abdallah Azzam, La Défense
des territoires musulmans.
[58] ↑ Les deux premiers califes et l’épouse préférée du Prophète, qui se seraient opposés
à Ali ibn Abi Talib, fondateur du parti chiite [chî‘at ‘alî].
[59] ↑ Abou Bakr Al-Khallal, un disciple d’Ahmad ibn Hanbal, consacra sa vie à consigner
les opinions de ce dernier par écrit. Il mourut en 923.
[60] ↑ Al-Faryabi, mort en 827, fut l’un des premiers traditionnistes.

[61] ↑ Juriste et écrivain andalou du XIe siècle. Voir note 80, p. 330 dans Ayman al-
Zawahiri, L’Allégeance et la Rupture.
[62] ↑ De la lettre du Coran. Pour les chiites, les versets annonçant qu’Ali devait succéder
au Prophète auraient été supprimés par ses successeurs.
[63] ↑ Combattre les sectes « déviantes » de l’islam est présenté par Ibn Taymiyya comme
une quasi-obligation religieuse. Celui-ci s’est par exemple porté volontaire à plusieurs
reprises pour combattre les chiites.
[64] ↑ Les Kharijites (« ceux qui sont sortis » – des rangs) sont un groupe de partisans
d’Ali qui retirèrent leur confiance à ce dernier après la bataille de Siffin (657) contre
Mouawiya, lorsqu’Ali accepta de déposer les armes et de procéder à un arbitrage. Ils
refusèrent qu’on soumette une décision de Dieu à l’arbitrage des hommes. Puritains,
réclamant un égalitarisme absolu, les Kharijites (dont il ne subsiste aujourd’hui que
quelques communautés altérées, commes les Ibadites à Oman) pratiquèrent l’assassinat
des musulmans qui ne partageaient par leurs idées. « Kharijite » est une invective
courante aujourd’hui, aussi bien de la part des autorités qui condamnent les jihadistes qui
anathémisent les autres musulmans que de la part des jihadistes qui condamnent ainsi les
égarés de la voie de l’orthodoxie telle qu’ils l’interprètent.
[65] ↑ Le musulman dissident a un statut particulier pour le mouvement jihadiste. Alors
que les membres des autres religions monothéistes reçoivent un traitement réglé par la
religion, le « vide juridique » qui entoure des figures inconnues par la loi religieuse –
chiites, et autres musulmans ayant leurs propres interprétations du fait religieux – fait
qu’ils ne peuvent alors, pour les jihadistes, encourir pour seul châtiment que la mort, à
l’image de l’apostat.
[66] ↑ Parole attribuée au quatrième calife, Ali ibn Abi Talib (600-661), qui classait
l’humanité en trois catégories : les maîtres spirituels, leurs disciples et la canaille inculte.
Exemple d’usage ironique d’une parole de la figure sacrée du chiisme qu’est Ali par un
adversaire acharné des chiites.
[67] ↑ La fête de l’anniversaire du Prophète, arbitrairement fixée au 12 du mois de Rabî’
Ier, est considérée par les islamistes d’inspiration wahhabite comme une « innovation »
([bid‘a]) car, non canonique, elle apparut tardivement.
[68] ↑ Les salafistes jihadistes, et plus généralement les islamistes d’inspiration
wahhabite, considèrent le chant et la danse comme interdits par Dieu. Ce que reproche ici
Zarqawi aux sunnites d’Irak, ce sont leurs tendances soufisantes, le soufisme étant
considéré par les jihadistes comme une hérésie.
[69] ↑ L’utilisation d’un tel vocabulaire, très courant dans le milieu marxiste arabe des
années 1970 et 1980, est un autre exemple de l’aspect autodidactique et bricolé de la
culture de ces milieux jihadistes. Leur capacité à assimiler des formules médiatiques ou de
mouvements intellectuels qui leur sont étrangers et à les retourner en leur faveur se
retrouve à plusieurs endroits de leur discours, et leur permet d’être plus proche d’un
public qui partage la même formation hétéroclite.
[70] ↑ Allusion au Joseph coranique dont les frères mentent à leur père, en prétendant
qu’un loup l’a dévoré. Voir Coran, 17/12.
[71] ↑ La branche irakienne de la confrérie des Frères musulmans est le Parti islamique
Al-hizb al-islâmî, fondé dans les années 1950.
[72] ↑ La posture légaliste des Frères musulmans est là encore fustigée.
[73] ↑ Al-Zarqawi affirme donc ici qu’aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’argent du
jihad provient en partie de ces Frères musulmans qui ont, pour eux-mêmes, refusé la voix
des armes.
[74] ↑ Les Frères musulmans sont donc d’autant plus dangereux qu’ils représentent un
autre internationalisme, concurrent.
[75] ↑ L’insurrection des Frères musulmans syriens contre le régime baathiste débuta en
1974 pour se terminer en 1982, écrasée dans le sang à Hama.
[76] ↑ En arabe : [chûrâ], voir note 31, p. 266 dans Ayman al-Zawahiri, Conseil à l’oumma.
Les Frères musulmans ont en effet cherché à rassembler les différents courants islamistes
sunnites.
[77] ↑ Pour « salafisme », voir note 31, p. 144 dans Abdallah Azzam, La Défense des
territoires musulmans.
[78] ↑ Autre exemple, plus fascinant encore, des contacts et déplacements intellectuels.
Cette analyse assez lucide du système de Saddam s’appuie très certainement sur le livre de
Kanaan Makkya (sous le pseudonyme de Samir Khalil), Irak. La machine infernale (Paris, J.-
C. Lattes, 1991), où l’auteur procède à une analyse du totalitarisme irakien des années 1980
inspirée par les théories d’Hannah Arendt sur l’atomisation de la société comme moyen de
domination. L’auteur de ce livre est aujourd’hui très proche des milieux néo-conservateurs
américains…
[79] ↑ Nous retrouvons ici la thématique de la bannière [al-râya], qui rappelle le titre du
livre d’al-Zawahiri.
[80] ↑ Pour l’auteur, la guerre ne doit pas se limiter à une entreprise technologique mais
mettre en jeu le corps du militant. Cette dimension corporelle du combat engage le salut,
qui en est absent lors d’un rapport abstrait entre machines.
[81] ↑ La perte en vies humaines n’est donc pas seulement un moyen incontournable
d’un point de vue tactique, c’est aussi un objectif en soi.
[82] ↑ Dans l’apologétique jihadiste, il est affirmé que le sang du martyr a le parfum du
musc, ce qui n’est pas sans rappeller « l’odeur de sainteté ».
[83] ↑ Ce constat confirme la plupart des estimations des services de renseignement qui
sont apparues dans la presse, à savoir que les jihadistes étrangers en Irak, dont le nombre
n’excède probablement pas quelques milliers, jouent un rôle militaire mineur dans la
résistance dans ce pays. Voir par exemple « CIA Studies Provide Glimpse of Insurgents in
Iraq », Washington Post, 6 février 2005.
[84] ↑ La mobilisation générale signifie ici établir que le jihad est un [fard ‘ayn], une
obligation qui incombe à chaque musulman. Voir note 45, p. 146 dans Abdallah Azzam, La
Défense des territoires musulmans.
[85] ↑ Parole qu’auraient prononcée les compagnons du Prophète lors de l’expédition
d’al-Khaybar, dans une situation désespérée avant qu’un miracle se produise. La citation
est approximative car le hadith dit : « L’ennemi est à nos trousses et le fleuve est devant
nous. » Ce passage, qui témoigne d’un réalisme et d’une objectivité étonnants, est typique
d’un genre qui est relativement nouveau dans la littérature jihadiste, qui consiste à
analyser la situation stratégique des moujahidines d’une manière scientifique et réaliste.
Voir Brynjar Lia et Thomas Hegghammer, « Jihadi Stratégie Studies », Studies in Conflict
and Terrorism, 27 mai 2004.
[86] ↑ Ce développement rappelle la théorie de Ben Laden sur le quorum de
moujahidines à atteindre avant de suspendre rappel à mobilisation. Dans ses
Recommandations tactiques, Ben Laden précise en effet qu’un grand nombre de
volontaires, non armés et mal entraînés, peut s’avérer un fardeau plus qu’un avantage.
[87] ↑ L’occupation est donc une continuation du règne de Saddam. L’invasion
américaine constitue moins une rupture qu’une occasion donnée de prendre les armes,
opportunité impossible sous Saddam.
[88] ↑ C’est là un thème fréquent dans la littérature islamiste de combat, où le soin qu’a
l’armée américaine de ménager la vie de ses hommes, notamment par le recours aux
bombardements aériens, est présenté comme une preuve de lâcheté.
[89] ↑ Cette remarque est très intéressante puisqu’elle fut faite en janvier 2004, à un
moment où aucun otage étranger n’avait encore été pris en Irak. La vague d’enlèvements
commence brusquement au début du mois d’avril 2004, pendant le premier siège de
Fallouja. Les premiers Américains furent enlevés le 9 avril. Le groupe de Zarqawi prit leur
premier otage, l’Américain Nicholas Berg, le 10 avril. Il fut décapité un mois plus tard
(juste après la révélation du scandale d’Abou Ghraib) et la vidéo de son exécution fut
diffusée sur Internet le 11 mai. Ce texte indique que Zarqawi envisageait ce genre
d’opération depuis un certain temps.
[90] ↑ Cette remarque s’avérera aussi une prédiction néfaste, car c’est précisément à
partir du mois de février 2004 que l’on peut observer une montée spectaculaire dans le
nombre d’attentats-suicide et à la voiture piégée contre les forces de sécurité irakiennes, et
une réduction dans le nombre d’attentats contre des cibles occidentales.
[91] ↑ Cette dénomination des chiites se rapporte à Abdallah ibn Saba, présenté de
manière récurrente dans la littérature islamiste anti-chiite comme le Juif qui aurait fondé
le chiisme pour détruire l’islam de l’intérieur.
[92] ↑ L’auteur aborde ici les deux options qui se présentent aux jihadistes en Irak : ou
bien créer un cercle « vertueux » attentats-répression-radicalisation de la population (voir
le Minimanuel de guérilla urbaine, de Carlos Marighella, un Brésilien qui, le premier, dans
les années 1960, formula ce mécanisme connu des insurgés de tout temps), ou bien une
démobilisation et une acceptation de l’ordre nouveau qui viendraient de la consommation
et et de la fin des frustrations de l’ère du blocus.
[93] ↑ L’auteur semble, dans ce type d’envolées lyriques, rejouer une scène de l’époque
du Prophète, loin de la réalité des blindés et des Kalachnikov.
[94] ↑ Les hérétiques ([al-râfida]) désignent les chiites, les impies ([al-kuffâr]) désignent
les non-musulmans.
[95] ↑ Pour l’auteur, l’ennemi proche ([al-‘aduw al-qarîb]) n’est pas le régime tyrannique,
comme nous le trouvons généralement dans la littérature jihadiste, mais plutôt les chiites.
Nous rappelons que selon la théologie classique sur le jihad, il est fortement conseillé de
viser l’ennemi le plus proche en premier.
[96] ↑ Le Conseil de gouvernement nommé a été mis en place par les États-Unis comme
structure de transition dans l’attente de l’élection d’un gouvernement légitime. Il est
dénoncé par les opposants à la présence américaine comme un gouvernement croupion, à
la solde des Américains.
[97] ↑ L’auteur fait ici preuve d’une certaine sensibilité à l’égard de l’opinion politique de
ses concitoyens et semble avoir conscience que la violence excessive peut aliéner le public,
thème rarement abordé dans la littérature jihadiste. C’est d’autant plus surprenant que le
réseau de Zarqawi est l’un des acteurs les plus violents de la résistance irakienne.
[98] ↑ Voir note 8, p. 70.
[99] ↑ Parole attribuée au poète arabe al-Farazdaq (641-730) qui quittait l’Irak pour
Médine alors qu’al-Hussayn (626-680) de Médine se dirigeait vers l’Irak, où il devait
trouver la mort des mains des hommes du calife omeyyade, à Karbala, le 10 octobre 680.
Petit-fils du Prophète, al-Hussayn ne reconnaissait pas la légitimité de la dynastie des
Omeyyades et refusait de prêter le serment d’allégeance au fils du premier calife, Yazid.
On en trouve le récit dans l’Histoire d’al-Tabari : – « Donne-moi des nouvelles des gens que
tu as laissés derrière toi, aurait dit al-Hussayn. – Tu as demandé à la bonne personne : les
cœurs des hommes sont avec toi, leurs sabres aux Omeyyades, la décision descendra du
ciel, car Dieu fait ce qu’il veut », aurait répondu al-Farazdaq. ([Târîkh al-umam wa al-
mulûk], dâr al-kutub al-‘ilmiyya, Beyrouth, 1997, vol. 3, p. 296.) Une autre anthologie
classique, celle-ci poétique, Le Livre des chansons (d’Abou al-faraj al-Isfahani, 897-967),
rapporte un dialogue au contenu identique mais en des termes différents. Quoi qu’il en
soit, dans l’histoire arabe, le fondateur de la dynastie omeyyade, Mouawiya, est resté
comme symbole de réalisme politique.
[100] ↑ Référence à la bataille du fossé en 627. Voir note 36, p. 160 dans Abdallah Azzam,
Rejoins la caravane !
[101] ↑ Al-Nawawi, spécialiste du hadith, mort en 1277. Il s’agit ici d’une référence à son
Commentaire de L’Authentique de Mouslim à propos des gens du fossé [Coran : 85/4] (voir
note 47, p. 162 dans Abdallah Azzam, Rejoins la caravane !). Le verset coranique ferait
allusion à des martyrs chrétiens persécutés en 530 par le roi juif du Yémen, Dhou Nouwas.
[102] ↑ La fascination du martyre dans certains milieux jihadistes est d’une telle intensité
que certains sociologues les ont comparés à des cultes de la mort.
[103] ↑ La même expression figure dans « Notre position légale sur le gouvernement du
nouveau Karzaï », voir l’introduction.
[104] ↑ Nous rappelons qu’un des personnages les plus importants sur la scène politique
chiite, Mohammed Baqir al-Hakim, chef du Conseil suprême de la révolution islamique en
Irak, fut assassiné le 29 août 2003.
[105] ↑ Lieu de culte chiite, nommé par référence à al-Hussayn ibn Ali, le fils cadet d’Ali
ibn Abi Talib, héros et martyr des chiites, dont la commémoration de la mort donne lieu à
la fête de Achoura. Voir note 98, p. 408.
[106] ↑ Ce concept est tiré de la littérature stratégique et militaire occidentale.
[107] ↑ La tactique la plus utilisée par les militants en Irak est, selon les sources
américaines, la roadside bomb.
[108] ↑ Les deux termes employés sont [al-sayf], le sabre, et [al-qalam] le « calame », ou
roseau taillé, utilisé autrefois par les scribes, illustration du thème classique de la
comparaison entre l’action et la parole. La société islamique classique distinguait parmi la
[khâssa] (l’élite), les [ahl al-sayf] (les gens d’épée, militaires et administrateurs) et lés [ahl
al-qalam] (gens de plume, savants et rhéteurs). Ici, l’auteur fait plus particulièrement
référence à cette guerre médiatique qui accompagne la guerre militaire.
[109] ↑ Le dogme du [tawhîd], central pour les mouvements d’inspiration wahhabite.
Rappelons que le mouvement auquel appartiennent alors Abou Moussab al-Zarqawi et
Abou Anas al-Chami se nommait [al-tawhîd wa-l-jihâd] (Unicité de Dieu et jihad).
[110] ↑ Le 30 juin était la date initialement prévue pour la passation de pouvoir à un
« gouvernement irakien » (bien que toujours nommé par les États-Unis). Elle eut
finalement lieu le 28 juin.
[111] ↑ L’auteur interroge son destinataire (Ben Laden et al-Zawahiri probablement) sur
la question chiite car, à la différence des jihadistes irakiens, Ben Laden n’a jamais abordé
la question chiite frontalement ni fait d’elle un problème essentiel. On voit bien la manière
dont les différentes boutures locales d’Al-Qaida introduisent dans le système général des
préoccupations qui leur sont propres.
[112] ↑ La déclaration d’allégeance de Zarqawi advint, suivie de son acceptation par Ben
Laden (le 27 décembre 2004). Cela signifie-t-il que Ben Laden a aussi définitivement opté
pour cette stratégie ?
Index des noms de personnes, de
dynasties, de peuples et de tribus
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

Abbas Ier 390

Abbas Houssayn 353

Abbas Mahmoud 94, 95

Abbassides 66, 72, 86, 96, 336

Abd al-Aziz ibn Saoud 12, 15, 72

Abd al-Malik ibn Marwan 70

Abdallah II 368, 371

Abd al-Nasser Gamal 122, 169, 224, 246

Abd al-Rahman Omar 52, 88, 89, 122, 225


Abd al-Rassoul Sayyaf 40, 126, 128, 131, 132, 140, 150,
371

Abd al-Salam abd al-Hamid 352, 353

Abd al-Wahhab Mohammad 384

Abdouh Mohammad 86

Abid ibn al-Abrass 322

Abou al-Ala al-Mawdoudi 150, 242, 267

Abou Ali al-Harithi 332, 363

Abou al-Walid al-Ghamidi 80

Abou Anas al-Chami (Omar 370, 375, 376, 377, 412


Youssouf Joumaa)

Abou Assim 158, 159

Abou Bakr 75, 169, 296, 326, 327, 393

Abou Chouyaib 159

Abou Dajana 159

Abou Daoud al-Sijistani 144, 145, 147, 188, 189, 191, 280,
281, 323, 361

Abou Faris Mohammad 124

Abou Ghaith Soulayman 86

Abou Hamza al-Masri 137, 221

Abou Hanifa 45, 158, 172, 189, 191, 336

Abou Hourayra 163, 171, 179, 322, 323


Abou Lahab 326

Abou Mohammad al-Maqdissi 5, 239, 240, 266, 294, 330, 331,


(al-Bourqawi Assim) 370, 371, 374, 375

Abou Mohammad al-Souri 38

Abou Moujahid 116

Abou Moussa al-Achari 280, 281, 322, 323, 324

Abou Moussab al-Souri 221, 375

Abou Moussab al-Zarqawi 4, 120, 152, 365, 367, 368, 370,


(Ahmad Fadil Nazzal al- 371, 372, 373, 377, 378, 412
Khalayla)

Abou Oubayda al-Misri ou al- 40, 46, 47, 156, 352


Banchiri (Ali al-Rachidi)

Abou Oubayda ibn al-Jarrah 156, 157, 323

Abou Oubayd al-Thaqafi 79

Abou Qatada 221, 294, 370

Abou Talib 326

Abou Zayd Nasr Hamid 332

Abraham [ibrâhîm] 70, 75, 76, 239, 257, 258, 270

Afifi Abd al-Razzaq 140, 141

Ahmad Taha Abou Yassir Rifai 68, 69

Aïcha 384, 393

Al-Achari 190, 191, 316


Al-Adnani Tamim 131, 132

Al-Albani Nassir al-Din 142, 143, 272, 280, 281, 370

Al-Ali Hamid 152, 294

Al-Aloussi 268, 269

Al-Amin Hazim 376

Al-Awzai 165

Al-Asqalani Ibn Hajar 156, 174, 320, 321

Al-Assad Hafez 248, 249

Al-Assad Rifaat 248, 249

Al-Assal Ahmad 140, 141

Al-Anas Mohammad 13

Al-Awda Salman 52, 53, 60, 88, 376

Al-Azhari 194

Al-Bachir Omar 140

Al-Banchiri Abou Oubayda 40, 46, 156, 352

Al-Banna Hassan 117, 206, 223, 244, 246, 247, 248,


249, 250, 251, 259, 276

Al-Bayhaqi 144, 145, 322, 323

Al-Boukhari 146, 154, 156, 161, 162, 171, 174,


192, 198, 321, 376, 393

Al-Bourqawi Youssouf 370

Al-Boustani Soulayman 242


Al-Bouti Mouhammad Said 118, 119
Ramadan

Al-Chafii 172, 197, 199, 201, 336, 337, 339

Al-Chatibi 86, 87

Al-Darimi 280, 281

Al-Dhahabi 180, 181

Al-Dhaidi Mishari 128

Al-Farazdaq 408

Al-Faryabi 392, 393

Al-Firouzabadi 182

Al-Ghamidi Walid 80

Al-Ghawri 264

Al-Ghazzali Abou Hamid 250


Mohammad

Al-Ghazali Mohammad 64, 207, 252, 253

Al-Ghazzi Ibn al-Qassim 184

Al-Hakim Mohammad ibn 180


Abdallah

Al-Hakim Mohammed Baqir 374, 376, 386, 410

Al-Hawali Safar 312

Al-Houdaybi Hassan 244, 245, 246, 255, 276

Al-Houdaybi Mamoun 247


Al-Isfahani Abou al-Faraj 408

Al-Isfahani Imad al-Din 190

Al-Islambouli Khalid 353

Al-Khallal Abou Bakr 392, 393

Al-Kissani 182, 183

Al-Lalikai 393

Allaoui Iyad 379

Al-Mahalli 206

Al-Maqdissi Moutahhar ibn 64, 375


Tahir

Almohades 174, 242

Al-Mouanna 90, 91

Al-Moustassim 392

Al-Mouthanna al-Chaybani 74, 75, 79, 90, 91

Al-Moutii Mohammad Najib 140

Al-Nawawi 194, 195, 408, 409

Al-Naqqach 165

Al-Nasai 174, 180, 181

Al-Omar Nassir 376

Al-Qamari Issam 226

Al-Sabouni Abd al-Rahman 118

Al-Sadate Anouar 18, 52, 122, 154, 221, 225, 226,


227, 232, 246, 247, 250, 292, 298,
352, 353

Al-Sadr Mouqtada 388

Al-Sahhaf Mohammad Said 74

Al-Sananiri Kamal 126

Al-Sarhan Saoud 240

Al-Souwaylim Samir Salih 80


Abdallah (alias commandant
Khattab)

Al-Souyouti 206, 250, 264, 265

Al-Tabarani 142, 143, 144, 145

Al-Tabari Abou Jaafar 316, 317, 319, 321, 331, 333, 408
Mohammad

Al-Tahhawi 206, 272, 273

Al-Tantawi Ali 312

Al-Tartoussi Abou Basir 294

Al-Thawri Soufyane 198, 199

Al-Tirmidhi 32, 171, 180, 181, 268, 269

Al-Tirrimah 88

Al-Tourabi Hassan 21, 140, 231

Alwan Abdallah 138, 139, 140

Al-Waqidi 168
Al-Zahrani Ahmad 47

Al-Zahrani Faris 250

Al-Zawahiri Ayman 1, 4, 5, 6, 7, 11, 19, 30, 54, 69, 82,


86, 92, 94, 123, 126, 132, 134, 137,
140, 142, 168, 182, 212, 216, 219,
221, 222, 223, 224, 225, 226, 227,
228, 229, 230, 231, 232, 233, 234,
235, 236, 237, 238, 239, 240, 242,
244, 246, 248, 250, 252, 256, 258,
262, 263, 264, 266, 268, 272, 274,
276, 278, 284, 286, 288, 290, 292,
294, 296, 298, 300, 302, 306, 310,
312, 314, 316, 317, 320, 322, 326,
328, 330, 332, 334, 336, 338, 342,
344, 346, 350, 352, 354, 356, 357,
358, 360, 362, 363, 367, 380, 381,
392, 396, 398, 412, 414

Al-Zayyat Montasser 226, 228, 229

Amin Sadiq 154

Anas Abdallah 125, 158, 159

Annan Kofi 346

Arabiyyat Nidal Mohammad 376

Arafat Yasser 150, 357

Arendt Hannah 398

Arnett Peter 58, 105


Atwan Abd al-Bari 105

Awda Abd al-Qadir 246

Aydid Mohammad 80

Ayoub Hassan 140, 141

Azzam Abdallah 4, 5, 6, 16, 18, 38, 40, 44, 46, 50,


52, 53, 54, 64, 74, 94, 96, 113, 115,
116, 118, 120, 122, 125, 131, 134,
136, 137, 138, 141, 153, 158, 166,
174, 182, 184, 186, 196, 198, 200,
204, 207, 216

2 29, 242, 244, 248, 250, 258, 260, 262, 266, 268, 272, 278, 280, 288,
294, 296, 298, 312, 322, 324, 326,
330, 332, 334, 342, 350, 352, 360, 362, 369, 370, 390, 392, 396, 398, 408

Azzam Youssouf Moustafa 116

Bani Abd al-Mouttalib 191

Bani Hassan 368, 369

Bani Mustaliq 166

Banou al-Nadhir 167

Barry Michael 194

Barzani Massoud 382

Barzani Moustafa 382

Belhaj Ali 24

Ben Baz Abd al-Aziz 138, 139, 140, 142, 262, 263, 272,
278, 279, 281, 283, 352
Ben Laden Mohammad 12, 13, 71, 72

Ben Laden Oussama 1, 2, 4, 5, 6, 7, 9, 11, 12, 13, 14, 15,


16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24,
27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,
38, 39, 40, 41, 42, 50, 52, 54, 58,
59, 60, 62, 64, 66, 69, 70, 71, 72,
73, 74, 78, 80, 82, 84, 86, 88, 90,
94, 96, 98, 100, 102, 104, 106, 108,
110, 116, 125, 126, 128, 129, 132,
134, 137, 138, 139, 150, 156, 158,
166, 168, 180, 182, 186, 192, 212,
221, 222, 228, 229, 230, 231, 232,
233, 234, 235, 236, 237, 240, 250,
252, 264, 290, 292, 296, 298, 302,
306, 310, 324, 334, 346, 354, 358,
360, 367, 371, 372, 373, 375, 377,
378, 379, 380, 381, 392, 400, 414

Ben Outhaymine Mohammad 140, 141, 142


ibn Salih

Berbères 389

Bergen Peter 19, 34, 58

Berg Nicholas 373, 402

Berque Jacques 244

Bhutto (famille) 388

Bouyali Moustafa 18

Brisard Jean-Charles 370


Brynjar Lia 398

Burke Jason 210, 230

Bush George Herbert 103, 106, 107, 288

Bush George Walker 30, 60, 91, 100, 101, 103, 105, 106,
107, 108, 109, 110, 111, 237, 311,
382

Bush Jeb 106, 107

Byzantins 96, 176, 198, 333

Carré Olivier 248

Carter Jimmy 18

César 168, 169

Chafiq Assad abd al-Hadi 41, 43, 117, 119

Chariati Ali 154

Cheney Dick 108

Chosroès 168, 169

Circassiens 368

Clinton Bill 54, 60

Cohen William 54

Collins Dunn Michael 137

De Prémare Alfred 106, 324

Dhou Nouas 408

Diraz Issam 38
Dostum Abdul Rashid 130

Eltsine Boris 50, 80

Emerson Steve 116, 204

Faraj Abd al-Salam 54, 134, 137, 154, 166, 174, 225,
256, 258, 282, 302, 352, 353

Farghali Mohammad 252

Farouk 246, 247

Fatima 384

Fazlur Rahman Khalil 68

Fighel Jonathan 116

Filkins Dexter 377

Fisk Robert 104, 105

Foley Lawrence 294, 368, 372

Fouad I 246

Freud Sigmund 35

Gengis Khan 390, 391

Ghanem Alia 12, 13

Gilquin Michel 50

Glubb Pacha 255

Grabar Oleg 52

Guhl Hassan 377

Gunaratna Rohan 154, 210


Habache Georges 369

Hachémites 122, 369

Hadid Marwan 119, 244

Hassan Hussayn Hamid 138, 139, 140

Hawa Said 118, 139, 247

Hawazine 168

Haydar Oussama 41

Hegghammer Thomas 398

Hekmatyar Gulbuddin 44, 45, 130, 131, 132, 215, 371

Houmam Said 124

Hulagu 390, 391

Hussein de Jordanie 369

Hussein ibn Ali 408, 410

Hussein Saddam 2, 20, 52, 74, 230, 354, 369, 386

Ibn Abbas 160, 161, 165, 189, 345

Ibn Abd al-Aziz Abdallah 348

Ibn Abd al-Aziz Fahd 52, 74, 280

Ibn Abd al-Aziz Faysal 247, 248

Ibn Abd al-Aziz sultan 21, 354

Ibn Abdallah Sulayman 239

Ibn Abd al-Wahhab Mohammad 235, 384


Ibn Abi Abla Ibrahim 174, 175

Ibn Abidine Mohammad Aminé 146, 147, 175, 197

Ibn Abi Talib Ali 12, 66, 187, 200, 352, 384, 388,
392, 394

Ibn Abi Waqqas Saad 90, 96, 168

Ibn al-Alqami 392, 393

Ibn al-Arabi Muhiy al-din 161, 342, 343

Ibn al-Athir 78, 316

Ibn al-Houmam 182, 183

Ibn al-Qassim 147, 185

Ibn al-Simma Dourayd 190, 191

Ibn al-Walid Khalid 90, 168, 174, 274

Ibn Aslam Zayd 165

Ibn Batta Abdallah 279

Ibn Chumayl al-Nadr 195

Ibn Chaoudhab Abdallah 323

Ibn Hanbal Ahmad 62, 64, 142, 172, 180, 181, 268,
312, 316, 326, 334, 392

Ibn Hatim Adi 268, 269

Ibn Hazm 330, 331, 333, 393

Ibn Ismaïl Ibrahim 189, 264, 265

Ibn Kathir 322, 323, 339, 341, 343, 345


Ibn Khaldoun 316

Ibn Khalid Ikrima 160

Ibn Khouwaylid al-Assadi 169

Ibn Malik Kaab 44

Ibn Malik Ouns 190, 191

Ibn Manzour 182

Ibn Omar Abdallah 200, 201

Ibn Oumm Maktoum 165, 179

Ibn Qayyim 152, 209, 276, 277, 280, 281

Ibn Qoudama Mouwaffaq 64, 65, 192

Ibn Rahawayh Ishaq 198, 199

Ibn Rouchd (Averroès) 174, 175, 184, 185

Ibn Saba Abdallah 404

Ibn Taymiyya 52, 53, 54, 55, 64, 143, 166, 167,
180, 181, 272, 276, 300, 312, 313,
314, 322, 323, 325, 326, 331, 333,
334, 335, 368, 391, 392, 393

Ibn Zayd ibn Haritha Oussama 192

Ibn Zouair Said 88, 89

Idriss Jaafar Chaykh 141

Ilkhans 390

Ishaq Adib 242


Ismail Jamal 70

Jackson D, E, P 90

Jésus [‘îssâ] 259, 270

Jounada ibn Abi Oumayya 176

Juifs 22, 50, 62, 63, 65, 82, 83, 87, 137,
151, 228, 233, 234, 236, 255, 256,
265, 268, 295, 347, 351, 357, 368,
385

Karmal Barbrak 194, 195

Karzaï Hamid 94, 95, 379, 384, 408

Kepel Gilles 1, 25, 32, 66, 130, 134, 190, 212,


223, 224, 238, 252, 284, 312

Kerry John 111

Khalifa Mohammad Abd al- 117


Rahman

Khalis 215

Khomeini Rouhollah 154, 250, 264

Khraisat Ibrahim 124

Kurdes 29, 96, 280, 382, 383, 384, 385,


403

Lavau Georges 30

Lyons Malcolm Cameron 90

Mac Leod Scott 104


Madani Abbassi 24

Makhiya Kanaan (alias Samir 49, 398


Khalil)

Mamelouks 264, 390

Mantran Robert 390

Marighella Carlos 28, 404

Massoud Ahmad Chah 130, 132, 158, 159, 214, 312, 323

Mazloum 159

Michaud Gérard (alias Michel 248


Seurat)

Miller John 104

Mir Hamza 68

Mohammad Ali 239

Mohammad ibn Abdallah (le 5, 32, 40, 41, 42, 44, 45, 50, 51, 53,
Prophète) 61, 63, 65, 66, 67, 70, 71, 72, 73,
74, 75, 86, 90, 91, 92, 96, 97, 126,
134

Mohammad Khan Abd al-alam 68, 69

Moïse [mûsâ] 82, 270

Moore Michael 108

Mouawiya ibn Abi Soufyane 66, 312, 382, 392, 408

Moubarak Hosni 18, 21, 232, 236, 247, 298

Moudar 96, 97
Moujahid 165

Mouslim 146, 162, 163, 174, 179, 250, 251,


280, 281, 363, 408

Moussab ibn Oumayr 367, 368

Moussaylima ibn Habib 274, 275

Moustafa Choukri 252, 253

Murawiec Laurent 354

Musharraf Pervez 237, 332

Nahhas Moustafa 246

Najibullah Mohammad 48, 194

Nawfal Ahmad 124

Néguib Mohammad 246

Nizam al-Mulk 64

Nouqrachi Mahmoud Fahmi 248, 249

Nour al-din 296, 297

Nusseibeh Saïd 52

Omar ibn al-Khattab 66, 70, 75, 78, 79, 156, 157, 168,
169, 281, 296, 324, 339, 393

Othman ibn Affane 66, 200, 201, 280, 296

Ouighours 286

Ouqba ibn Amir 363

Poutine Vladimir 80
Powell Colin 373

Qaytbey 264

Qotb Amina 251

Qotb Mohammad 125, 250, 251, 312

Qotb Sayyid 119, 122, 123, 124, 125, 150, 160,


162, 163, 168, 184, 204, 206, 210,
221, 223, 224, 227, 235, 242, 244,
245, 248, 250, 251, 256, 266, 269

Qouraych 96, 156, 261

Qoutada 165

Rabbani Burhanuddin 130, 215

Rabia 96, 97

Ramadan Mollah Chaykh al- 119


Chafia

Randall Jonathan 125

Renaud de Châtillon 190

Reyes de Taifas 330

Rougier Bernard 202, 212

Rouleau Eric 369

Rushdie Salman 66, 264

Saad al-Din Adnane 75, 91, 169, 247, 248

Sabiq Sayyid 206, 207


Saladin (Salah al-din al-Ayyoubi) 64, 72, 90, 91, 96, 97, 190, 296,
297

Salih Mouhammad Adib 118

Sayf Omar 138, 139, 140

Schimmel Annemarie 368

Séfévides 390, 391

Sharon Ariel 52, 94

Sidki Ismaïl 242

Sourdel Janine et Dominique 326, 352, 386

Suellentrop Chris 116

Talabani Jalal 382, 383

Talmassani Omar 276, 277

Taraqi Nour Mohammad 170, 171

Tayil Atta 353

Tcherkesses 368

Tueni Ghassan 102

Urban Mark 48

Van Gogh Théo 294

Watt Montgomery 166

Wright Lawrence 228, 230

Yassine Ahmad 52, 53

Yazid ibn Mouawiya 408


Zaghloul Saad 246

Zakiyya Salih Houssayn Ahmad 116

Zia ul-Haqq 272

Ziyad Ibn Abihi 382, 383

Zohdi Karam 225


Index des noms de lieux
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

Abou Ghraïb 377, 402

Acre 296

Addis-Abeba 21, 232

Aden 54, 55, 82, 83, 104, 105, 236, 332

Adir 117, 118

Afghanistan 4, 6, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 29, 34,


38, 39, 40, 41, 42, 44, 45, 46, 47,
48, 49, 50, 52, 53, 54, 55, 58, 72,
80, 81, 94, 99, 104, 108, 109, 115,
120, 123, 126, 127, 128, 129, 131,
132, 133, 136, 137, 138, 149, 150,
151, 152, 153, 156, 157, 158, 159,
162, 165, 168, 170, 173, 178, 179,
180, 181, 191, 193, 194, 195, 198,
202, 204, 205, 206, 207, 212, 214,
216, 217, 221, 222, 228, 229, 231,
232, 233, 234, 236, 237, 238, 242,
285, 286, 290, 293, 298, 304, 305,
310, 328, 333, 351, 370, 371, 372,
375, 376, 377, 380

Al-Anbar 97, 324, 387, 389

Al-Aqsa 67, 73, 85, 94, 292, 380, 381

Al-Azhar 52, 120, 121, 122, 123, 222, 223,


225, 252, 276, 278, 312, 352, 353

Alep 296, 390, 391, 392, 393

Alexandrie 166, 246

Alger 18

Algérie 24, 188, 217, 249, 264, 276

Al-Hira 325

Al-Houdaybiyya 177

Al-Khadouriyya 117

Al-Kharj 82

Al-Khobar 54, 55, 82, 83

Allemagne 373

Al-Malazz 70, 71

Al-Marw 121
Al-Moucharrifa 13

Al-Moukalla 332

Al-Roussayfa 120

Al-Salihiyya 391

Al-Salmiyya 375

Al-Salt 376

Al-Souwaqa 371

Al-Taïf 47

Al-Taj 120, 121

Al-Zarqa 120, 121, 367, 368, 369, 370, 376

Amérique 23, 29, 53, 60, 63, 73, 79, 80, 81,
82, 83, 84, 85, 87, 91, 93, 95, 99,
103, 105, 107, 109, 124, 131, 217,
221, 224, 237, 349, 382, 388, 401

Amsterdam 294

Andalousie 136, 286, 287

Andrab 158, 159

Aqraba 274

Arabie saoudite 14, 16, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 46,
52, 59, 60, 61, 62, 65, 72, 73, 74,
88, 90, 96, 125, 126, 133, 138, 140,
142, 150, 154, 223, 228, 229, 238,
246, 248, 250, 252, 253, 280, 292,
294, 302, 314, 316, 320, 348, 352,
354, 355, 357, 360, 375, 380

Arafa 312

Arakan 50

Assam 50, 51

Babi 132

Bagdad 20, 64, 72, 96, 97, 268, 355, 377,


386, 390, 391

Baghlan 159

Bahrein 328, 379

Bangladesh 50, 68

Bassora 280, 382

Bayrudh 280

Bayt al-Maqdis 121

Berlin 286

Beyrouth 25, 44, 54, 55, 78, 80, 81, 102, 142,
348, 349, 408

Birmanie 50, 51, 136

Bosnie 50, 51, 135, 232, 376

Boukhara 136, 154

Bourqine 118

Cachemire 50, 51, 99, 148, 149, 350, 351


Casablanca 23

Charm al-Cheikh 348, 349

Chine 92, 93, 286, 333, 346, 390

Cisjordanie 116, 117, 118, 119, 120, 121, 362

Ctésiphon 90, 168

Damas 64, 118, 119, 123, 138, 166

2 00, 276, 296, 297, 322, 382

Dar es-Salaam 22, 82, 104, 236

Diriyya 239

Djedda 11, 13, 15, 16, 40, 125, 126, 138,


139, 140, 228

Egypte 38, 52, 64, 65, 69, 82, 86, 93, 119,
123, 124, 126, 154, 156, 158, 162,
174, 217, 222, 224, 225, 228, 229,
231, 232, 234, 238, 244, 246, 248,
249, 252, 254, 264, 266, 273, 278,
285, 292, 296, 297, 306, 312, 316,
320, 332, 333, 336, 347, 353, 355,
380, 390, 391

Erythrée 136, 148, 149

Espagne 23, 164, 286

Etats-Unis 2, 6, 22, 28, 29, 52, 54, 59, 61, 64,


68, 72, 80, 82, 84, 88, 92, 95, 96,
100, 102, 110, 130, 131, 137, 150,
202, 203, 204, 205, 206, 216, 222,
230, 231, 234, 236, 237, 238, 287,
300, 301, 303, 310, 328, 332, 346,
348, 350, 352, 354, 367, 380, 382,
406, 412

Euphrate 91, 268, 324, 383

Fallouja 377, 402

Floride 106, 107, 204

Foustat 336

France 23, 30, 148, 237, 264, 286, 289,


346

Galilée 80, 190, 296

Grande-Bretagne 64, 346

Grèce 292

Guantanamo 89, 99, 237

Hadramawt 12, 71

Hama 119, 138, 244, 247, 248, 396

Hattin 190, 296, 297

Hayatabad 370

Hérat 372

Hedjaz 40, 42, 71, 73, 125, 142, 162, 176,


274, 326, 354

Hindou Kouch 50, 53, 151

Hounayne 190
Husn Bahishn 12

Inde 131, 148, 266, 332, 333

Indonésie 293

Indus 332

Iran 20, 52, 54, 64, 102, 131, 133, 156,


162, 231, 244, 250, 372, 382, 386,
388, 389, 390

Irbid 121

Islamabad 126, 127, 138, 140, 232

Ismailiyya 246, 254

Israël 14, 28, 52, 62, 65, 73, 80, 81, 120,
122, 142, 225, 226, 230, 234, 248,
257, 259, 277, 287, 292, 293, 300,
301, 312, 313, 333, 348, 349, 353,
357, 369, 383

Istanbul 22, 23, 180

Italie 373

Jabbok 368

Jaji 17, 40, 41, 45, 129

Jalalabad 44, 45, 47, 49, 233

Jénine 116, 117, 118, 362, 363, 369

Jérusalem 52, 60, 64, 65, 70, 72, 90, 94, 121,
136, 190, 231, 293, 296, 297, 315,
361, 380

Jordanie 52, 93, 138, 142, 150, 246, 249,


292, 347, 369, 370, 375

Kaboul 44, 47, 49, 136, 170, 231, 312, 379

Karachi 332

Karbala 408

Kenya 22, 46, 82, 86

Kérak 118, 190

Kesrawane 166

Khartoum 21, 104, 231, 236

Khorassan 50, 52, 53, 64

Koufa 280, 312, 382

Koweït 20, 21, 62, 74, 120, 249, 354, 355,


370, 375, 379

Kurdistan 372, 377, 382, 384

La Mecque 12, 17, 42, 46, 52, 67, 70, 71, 72,
96, 126, 156, 161, 162, 166, 167,
168, 176, 190, 250, 312, 314, 340,
342, 361

Le Caire 190, 226, 235, 336

Levant 12, 26, 30, 102, 158, 296

Liban 23, 26, 50, 51, 80, 81, 103, 117,


136, 149, 150, 202, 292, 388, 389
Londres 23, 25, 26, 48, 106, 137, 284

Louxor 68

Maadi 222

Maan 368

Maarib 332

Madrid 23, 373

Maison-Blanche 83, 100, 105, 107, 111, 310

Maroc 242, 293

Marrakech 174

Médine (Yathrib) 40, 41, 42, 44, 70, 71, 72, 79, 96,
138, 142, 154, 156, 162, 166, 168,
177, 210, 250, 274, 314, 315, 342,
343, 376, 408

Melbourne (Floride) 205

Mésopotamie 156, 242, 296, 324, 367, 377, 380,


381

Mina 140, 141, 312

Mindanao 135, 148

Mogadiscio 21, 80

Mouzdalifa 312

Nairobi 22, 46, 82, 104, 105, 236

Najaf 324, 386


Najd 70, 138, 354

Najran 146

Naplouse 362

New York 23, 29, 34, 52, 85, 97, 206, 207,
237, 290, 302, 310, 311

Nichapour 162

Occident 20, 22, 28, 93, 102, 131, 180, 217,


222, 224, 228, 236, 246, 287, 288,
294, 305, 374

Ogaden 50, 51

Oman 392

Orlando 205

Ouzbékistan 154

Pakistan 17, 20, 49, 53, 69, 126, 181, 229,


272, 298, 333, 350, 370, 371

Paktia 40

Paris 118

Pattani 50, 51

Pékin 286

Pentagone 100, 236

Perse 79, 168, 280, 390

Peshawar 18, 38, 42, 44, 115, 116, 128, 129,


130, 131, 132, 156, 158, 180, 181,
202, 204, 210, 228, 229, 284, 370,
371

Philippines 50, 51, 99, 136, 148, 149, 231

Qana 50, 51

Qandahar 82, 284

Qatar 25, 26, 328, 332, 379

Ramadi 268

Rhodes 176, 292

Riyad 11, 25, 54, 55, 60, 70, 82, 83, 88,
99, 130, 138, 139, 166, 223

Russie 50, 80, 81, 107, 151, 285, 287, 300,


301, 346, 348, 349

Safed 52

Silat al-harithiyya 116, 117, 119

Sind 333

Somalie 50, 51, 54, 80, 81, 136

Soudan 21, 22, 52, 53, 58, 65, 72, 104, 222,
231, 232, 236, 249

Srebrenica 50

Syrie 13, 15, 64, 68, 88, 102, 118, 119,


124, 125, 138, 142, 156, 162, 174,
244, 248, 292, 296, 297, 326, 372,
380, 382, 383, 388, 389, 390, 397
Tachkent 136

Tadjikistan 50, 51

Tanzanie 22, 82, 105

Tchad 136, 148, 149

Tchétchénie 50, 51, 80, 81, 99, 135, 285, 293,


300, 304, 305, 350, 351

Tel-Aviv 303

Tibéhirine 188

Tora Bora 80, 81, 237

Toulkarem 117, 119

Transjordanie 117

Tunisie 160, 217, 249

Turkestan 286, 287

Turquie 158, 160, 382

Vienne 389, 390

Wadi Douan 12

Washington 1, 85, 237, 290, 302, 303, 311, 332

Xinjiang (Turkestan oriental) 286

Yémen du sud 12, 21, 54, 62, 70, 72, 82, 83, 93,
136, 138, 174, 231, 249, 280, 333,
363, 408
Index des médias
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

ABC News, 104

AFP, 373 Al-Arabia, 26


Al-bunyan al-marsus, 371
Al-Hayat, 120, 376
Al-Ikhbariya, 26
Al-Jazira, 362, 392
Al-Jihad, 52, 69, 132, 136, 154, 168, 202, 210, 216, 222, 229, 235, 236,
238, 248, 257, 258, 290
Al-Mujâhidûn, 231, 232, 236
Al-Mujtama, 127
Al-Quds al-Arabi, 25, 104, 121, 310
Al-Râ’y al-‘âmm, 124, 369, 377
Al-Sharq al-Awsat, 128, 238, 247, 284, 288, 290
MBC, 25

Middle East Policy, 137


Minbar al-tawhid wal-Jihad, 116, 221, 227, 262, 310
Nida al-Islam, 116
The New York Times, 34, 377
The New Yorker, 228
The Washington Post, 80, 398
Time, 105
www.tawhed.ws., 116, 154, 221, 227, 262, 310, 368, 371, 372, 373, 374,
375
Index des événements, institutions et
concepts
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

Accords d’Oslo 60, 94, 292, 347

Accords de Dayton 50

Accords Sykes-Picot 30

Adoration/adorateur 57, 75, 140, 150, 269, 270, 271,


385

Al-hakimiyya 240

Al-Hizb al-Islami 396

Al-Ittihad al-Islami 50

Allégeance et rupture [al-walâ’ 142, 178, 213, 238, 239, 240, 242,
wal-barâ’] 243, 244, 294, 310, 311, 316, 317,
345, 376, 392

Al-Qadissiyya (bataille) 168, 169, 179, 199

Anathème 245, 256, 352, 353, 391

Ansar al-sunna/Ansar al-islam 69, 260, 372, 373

Apostasie/apostat 6, 66, 93, 95, 154, 168, 230, 244,


256, 257, 264, 265, 274, 275, 281,
303, 317, 327, 331, 332, 333, 335,
338, 339, 344, 353, 363, 391, 394

Arabes afghans 38, 42, 44, 48, 50, 52, 80, 81, 129,
131, 132, 133, 134, 136, 137, 158,
210, 354, 371

Armée de Zulfiqar 388

Armée rouge 6, 44, 48, 129, 131, 216

Attributs divins 142

Avant-garde 42, 135, 136, 165, 168, 210, 211,


212, 213, 225, 240, 288, 301, 310,
311, 312, 313, 413

Baath 94, 95, 244, 247, 389, 407

Badr 161, 166, 167, 177, 323, 386, 387,


389

Base solide [al-qâ’ida al-sulba] 52, 135, 136, 154, 155, 168, 178,
210, 211, 215, 217, 290, 397

Bataille du fossé 97, 166, 408

Bay‘at al-imam 371


Bureau des services 18, 38, 39, 128, 129, 130, 131, 133,
134, 202, 206, 207, 212, 370

Califat/califes « bien guidés » 5, 22, 29, 64, 66, 70, 72, 74, 78, 79,
86, 87, 96, 97, 146, 156, 169, 172,
174, 186, 200, 246, 280, 296, 297,
309, 312, 324, 326, 330, 352, 382,
384, 386, 390, 391, 392, 394, 408

Chaîne de garants [isnâd] 146, 147, 189, 201, 281, 323

Chemises bleues 254

Chirk/associationnisme 154, 266, 294

Choura [chûrâ] 124, 266, 274, 396


CIA 85, 132, 332, 398

Cocktail Molotov 295

Code Napoléon 264

Communauté [al-jamâ’a] 30, 32, 33, 50, 52, 59, 66, 73, 93,
94, 97, 142, 145, 146, 156, 168,
176, 177, 193, 206, 207, 239, 252,
258, 271, 295, 306, 319, 320, 321,
326, 331, 342, 350, 351, 363, 373,
378, 381, 384, 386, 387, 389, 391,
392, 393, 397, 399, 407, 409, 411,
413

Communisme 2, 228, 246, 247

Compagnons [al-ansâr] 5, 21, 38, 42, 43, 44, 45, 47, 57, 70,
72, 74, 81, 90, 96, 97, 99, 128, 129,
141, 144, 154, 156, 157, 158, 160,
162, 169, 170, 174, 176, 177, 212,
226, 231, 270, 317, 322, 339, 342,
343, 363, 368, 380, 384, 385, 393,
398

Conquête, reconquête, 5, 64, 74, 78, 90, 136, 156, 164,


Reconquista 166, 167, 168, 171, 175, 176, 177,
185, 265, 280, 286, 321, 390

Conseil des Grands Oulémas 138, 140

Consensus [ijmâ’] 142 164, 196, 335, 349, 350, 380, 395

Constitution 18, 129, 151, 244, 245, 249, 251,


259, 266, 267, 273, 275, 276, 279,
281, 290, 300, 312, 313, 388, 413

Contras 388

Corruption [fasâd] 60, 217, 255, 257, 262, 263, 265,


269, 277, 311, 325, 327, 347, 351,
353

Création du Coran 142

Croisade/Croisés 22, 51, 52, 53, 55, 62, 63, 64, 65,
73, 82, 87, 90, 93, 95, 137, 166,
190, 233, 234, 236, 237, 256, 257,
286, 287, 289, 296, 297, 303, 305,
310, 311, 315, 317, 347, 349, 351,
355, 361, 379, 383, 388, 389, 390,
391

Croissant rouge 231, 369


Dâr al-harb / dâr al-islâm / dâr 50, 146, 330
al-sulh

Démocratie 35, 85, 93, 103, 186, 228, 242, 243,


244, 245, 249, 251, 259, 266, 267,
271, 273, 274, 275, 277, 279, 283,
286, 288, 378, 379, 409

Devoir individuel/devoir 20, 27, 45, 53, 55, 65, 66, 67, 74,
collectif 87, 138, 139, 141, 145, 146, 147,
149, 166, 167, 175, 176, 217, 226,
227, 233, 258, 259, 275, 277, 279,
289, 294, 295, 299, 305, 335, 337,
343, 349, 362

Dogme 64, 210, 211, 239, 242, 244, 252,


253, 268, 278, 284, 286, 294, 310,
315, 316, 345, 357, 360, 387, 412,
413

Droit positif 244, 245, 277, 313, 371

Écoles juridiques, rites 32, 33, 142, 172, 183, 196, 206,
juridiques 252, 330, 336

Économie 24, 35, 73, 85, 96, 107, 109, 380,


387, 389

Élite 13, 19, 32, 33, 34, 179, 212, 226,


276, 277, 288, 301, 310, 351, 362,
412

Émigrés [al-muhâjirûn] 156, 208, 342, 343, 370

Empire ottoman 30, 296, 368, 389, 390


Ennemi proche/ennemi lointain 5, 6, 18, 21, 27, 43, 45, 47, 49, 51,
53, 54, 55, 58, 66, 72, 73, 75, 79,
83, 85, 89, 91, 102, 106, 132, 135,
137, 147, 149, 153, 154, 161, 165,
166, 167, 170, 173, 175, 186, 189,
194, 215, 230, 233, 234, 238, 240,
245, 246, 256, 288, 292, 293, 295,
297, 300, 301, 302, 303, 305, 306,
307, 309, 311, 327, 330, 331, 332,
335, 343, 344, 347, 350, 354, 357,
358, 359, 361, 362, 363, 374, 385,
386, 387, 389, 391, 398, 399, 401,
403, 406, 407, 409, 411

Esclave/Esclavage 66, 139, 141, 153, 156, 167, 181,


190, 193, 195, 204, 270, 271, 287,
330
ETA 23

État/État islamique 1, 12, 18, 50, 52, 54, 59, 62, 64, 65,
72, 80, 96, 97, 103, 106, 107, 109,
110, 111, 119, 124, 132, 133, 135,
136, 140, 148, 151, 160, 166, 168,
170, 171, 176, 179, 204, 210, 217,
223, 224, 226, 227, 230, 231, 232,
234, 239, 242, 244, 246, 248, 249,
255, 266, 270, 273, 274, 275, 285,
286, 290, 292, 296, 297, 299, 301,
303, 305, 312, 324, 326, 328, 332,
333, 344, 348, 349, 353, 373, 380,
382, 383, 387, 388, 389

Excommunication [takfîr] 7, 154, 252, 253, 258, 270, 384

Exil [hijra] 17, 32, 156, 163, 176, 177, 205,


210, 236, 250, 252, 253, 320, 326,
340

Fard ayn / Fard kifaya 33, 40, 64, 74, 127, 146, 166, 176,
294, 398

Fatwa/avis légal 13, 55, 66, 68, 128, 138, 139, 140,
141, 143, 157, 181, 233, 263, 264,
272, 281, 315, 327, 329, 331, 335,
352, 353, 355, 393

FBI, 52 104

Fedayins 121, 122, 369

Fitna 66, 154, 186, 200, 202, 212, 223,


238, 252, 284, 296, 312, 316, 352,
384
FLN 216, 264

Foi 14, 55, 65, 66, 75, 85, 127, 143,


166, 167, 171, 185, 187, 189, 192,
193, 195, 203, 239, 242, 243, 245,
252, 259, 278, 279, 293, 300, 302,
307, 311, 312, 321, 327, 335, 337,
339, 351, 357, 384, 391

Frères musulmans 4, 15, 16, 19, 20, 50, 87, 89, 91, 95,
102, 117, 118, 119, 122, 124, 125,
126, 130, 138, 140, 160, 162, 171,
204, 206, 208, 212, 223, 224, 229,
235, 243, 244, 245, 246, 247, 248,
249, 250, 252, 254, 257, 262, 263,
273, 274, 276, 277, 290, 369, 370,
384, 396

Front démocratique pour la 292


libération de la Palestine (FDLP)

Front islamique du salut (FIS) 286, 287, 289

Front islamique mondial pour le 22, 63, 68, 82, 192, 233, 234, 236
jihad contre les Juifs et les
croisés

Front islamique Moro de 148


libération

Front populaire pour la 292, 369


libération de la Palestine (FPLP)

Gens du Livre/tributaires 146, 189, 269, 324, 325, 329, 384,


385

Groupe islamique armé (GIA) 186, 188

Guerre d’Octobre 1973 14, 119

Hadith 5, 32, 50, 54, 62, 74, 92, 140, 141,


142, 143, 145, 146, 147, 154, 156,
160, 162, 164, 165, 167, 170, 171,
173, 174, 175, 176, 177, 178, 179,
180, 181, 187, 188, 189, 191, 192,
193, 197, 206, 207, 214, 251, 255,
258, 264, 268, 269, 272, 280, 283,
320, 321, 322, 323, 331, 336, 359,
362, 363, 368, 380, 382, 384, 390,
398, 408

Halliburton 106, 108, 109

Hamas 52, 204, 290, 304

Haram 70

Hezbollah 54, 80, 318

Hizb al-tahrir 296

Hizb frança 264

Idéal 35, 155, 168

Idéologie/idéologue 3, 4, 7, 14, 16, 18, 19, 21, 23, 24,


25, 26, 28, 30, 32, 52, 58, 62, 74,
96, 122, 126, 128, 130, 131, 133,
134, 138, 140, 148, 150, 154, 162,
176, 186, 210, 216

Idole/Idolâtrie 93, 155, 242, 245, 259, 267, 270,


275, 277, 279, 283, 294, 295, 329,
331, 349, 379, 385, 391

Imam 38, 44, 52, 65, 88, 115, 142, 146,


147, 159, 172, 173, 175, 177, 193,
197, 201, 213, 222, 250, 279, 281,
295, 313, 323, 327, 331, 351, 370,
371, 376, 381, 384, 385, 391, 393

Impérialisme 64, 228, 264, 287

Impie [kâfir] 6, 21, 63, 70, 91, 95, 99, 151, 154,
182, 189, 224, 225, 239, 244, 245,
247, 257, 259, 264, 265, 267, 275,
277, 287, 292, 293, 313, 320, 321,
346, 347, 373, 374, 375, 378, 379,
385, 391, 404, 405, 411, 415

Impôt de capitation [jizya] 146, 147, 185, 324, 350, 351

Infidèle 6, 41, 147, 149, 154, 155, 161, 167,


175, 177, 183, 185, 191, 195, 197,
217, 245, 256, 257, 261, 263, 265,
275, 295, 300, 303, 315, 317, 319,
321, 323, 327, 329, 331, 332, 333,
335, 339, 341, 343, 345, 349, 353,
355, 357, 361, 375, 397

Innovation blâmable : hérésie 94, 142, 146, 396


[bid‘a]

Inqilab-é-Saour 170

Interprétation 82, 86, 132, 142, 158, 168, 174,


182, 239, 244, 258, 264, 274, 296,
315, 316, 320, 330, 334, 394
ISI 132

Jahiliyya 29, 160, 186, 187, 224, 248, 266

Jamaat-e-Islami 266

Jaych Zulfiqar 388

Jaysh-e-mohammad 50

Jeune Égypte 254


Jihad (offensif/défensif) 3, 4, 5, 6, 16, 17, 22, 25, 32, 33, 38,
39, 40, 41, 42, 43, 46, 48, 51, 52,
60, 63, 66, 73, 74, 75, 82, 83, 87,
88, 94, 95, 97, 99, 106, 115, 116,
120, 121, 122, 126, 127, 128, 129,
130, 131, 132, 133, 134, 135, 136,
137, 138, 139, 140, 141, 143, 144,
145, 146, 147, 148, 149, 150, 151,
152, 153, 154, 155, 156, 157, 158,
159, 162, 163, 166, 167, 168, 169,
172, 173, 174, 175, 176, 177, 179,
180, 181, 182, 183, 185, 187, 190,
192, 198, 202, 203, 204, 205, 206,
207, 211, 212, 213, 215, 216, 217,
221, 225, 226, 228, 229, 230, 231,
232, 233, 234, 235, 236, 239, 240,
244, 249, 255, 258, 259, 261, 265,
282, 283, 284, 285, 286, 287, 288,
289, 293, 294, 295, 297, 298, 301,
302, 303, 304, 305, 306, 307, 309,
313, 317, 320, 321, 327, 333, 334,
335, 339, 344, 349, 350, 358, 359,
360, 361, 362, 363, 367, 370, 371,
373, 375, 377, 383, 389, 395, 396,
397, 398, 399, 401, 406, 407, 409,
411, 412, 413, 415

Jurisconsulte 141, 166

Kharaj 326
Kharijites 88, 352, 353, 392, 393

Khaybar 166, 167, 177, 186, 187, 280, 398

Kunya 156, 331, 367, 368

Laïc, laïque, laïcité 16, 94, 96, 121, 150, 151, 160, 216,
217, 244, 245, 248, 249, 267, 292,
293, 313, 353, 373, 377, 384

Lashkar-e-Tayyiba 50

Les compagnons [al-sahâba] 156, 190

Léviathan 154

Loi révélée / Loi humaine 59, 73, 75, 76, 95, 160, 161, 173,
182, 195

Martyr, martyre 1, 4, 6, 24, 32, 45, 46, 47, 49, 58,


87, 91, 116, 132, 136, 137, 153,
154, 155, 158, 159, 170, 171, 173,
194, 195, 197, 198, 199, 200, 201,
203, 205, 224, 227, 287, 304, 305,
307, 313, 368, 376, 378, 397, 398,
399, 401, 408, 411, 413

Masses 14, 30, 134, 149, 225, 238, 247,


267, 272, 273, 291, 293, 295, 302,
307, 311, 312, 313, 395

Médias, médiatique 4, 11, 17, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 30,
31, 35, 36, 58, 59, 75, 82, 84, 154,
236, 237, 240, 284, 298, 302, 304,
306, 307, 310, 351, 378, 382, 395,
396, 412, 413, 415
Mossad 132

Moujahidines 6, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 47, 48, 52,
53, 87, 89, 106, 107, 109, 126, 127,
128, 129, 130, 131, 140, 141, 151,
156, 157, 158, 171, 176, 177, 179,
181, 193, 210, 216, 230, 231, 293,
295, 307, 313, 333, 349, 353, 359,
362, 363, 398, 400

Mourjites 312, 313, 351, 353

Mouvement [ai-baraka] 4, 11, 16, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 25,
27, 28, 31, 34, 35, 42, 45, 47, 50,
52, 54, 66, 74, 80, 94, 110, 115,
116, 117, 119, 121, 122, 123, 127,
133, 135, 136, 137, 138, 148, 150,
151, 154, 162, 168, 169, 176, 186,
213, 221, 222, 223, 224, 225, 227,
228, 229, 231, 232, 233, 235, 236,
237, 238, 240, 242, 244, 246, 247,
248, 250, 252, 254, 258, 262, 264,
266, 285, 286, 288, 289, 290, 291,
292, 293, 295, 296, 297, 298, 299,
301, 302, 303, 305, 306, 307, 309,
318, 367, 369, 382, 384, 394, 396,
399, 412
ONG 64, 129, 133, 285
ONU 50, 64, 285, 354
1 1 Septembre 2001, 1, 4, 6, 11, 14, 20, 23, 28, 60, 80, 84, 85, 100,
101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 111, 206, 222, 236, 238, 240,
298, 304, 310, 320, 332, 354, 362, 372

Opinion individuelle [al-râ’y] 142

Opprimés 101, 111, 154, 155

Organisation de libération de la 121, 122, 150, 292


Palestine (OLP)

Orthodoxie 142, 250, 350, 392

Ouhoud (bataille) 156, 157, 167, 179, 199, 368

Oulémas/savants 52, 53, 55, 61, 64, 65, 67, 69, 70,
86, 87, 93, 117, 127, 130, 140, 141,
142, 146, 149, 151, 159, 164, 172,
173, 190, 199, 206, 242, 262, 263,
268, 276, 278, 294, 295, 312, 334,
335, 338, 342, 343, 351, 355, 375,
391, 397

Oumma 29, 30, 33, 54, 94, 136, 140, 169,


179, 213, 215, 240, 242, 244, 259,
263, 289, 291, 293, 295, 297, 299,
301, 307, 309, 311, 313, 317, 322,
329, 330, 335, 345, 347, 351, 357,
359, 361, 362, 363, 386, 396

Parlement 93, 94, 244, 245, 259, 263, 266,


267, 274, 279, 281

Parti communiste 30, 31, 195, 246


Parti démocratique du 382
Kurdistan (PDK)

Pèlerinage [al-hajj] 64, 126, 138, 139, 140, 141, 143,


166, 274, 286, 312, 313, 376

Peuple 27, 31, 61, 64, 65, 69, 80, 94, 97,
101, 104, 105, 108, 109, 145, 149,
150, 151, 157, 159, 171, 179, 181,
186, 187, 215, 217, 235, 237, 239,
242, 243, 249, 254, 261, 264, 266,
267, 273, 275, 277, 279, 283, 285,
287, 291, 300, 301, 319, 325, 329,
331, 339, 341, 351, 357, 368, 375,
389, 390, 393, 395, 397, 407

Pieux ancêtres [al-salaf al-sâlih] 94, 144, 145, 154, 155, 167, 258,
312

Poésie 90, 152, 184, 368

Polythéisme 156, 252, 384

Rand Corporation 354

Réforme [al-islâh] 237, 264, 265, 280

Renaissance arabe [al-nahda] 29, 74, 242

Renouveau [al-sahwa] 288

Rénovateur [al-mujaddid] 250, 251

Révolution 17, 152, 170, 246, 247, 276, 369,


376, 387, 410

Rite/rituel 19, 40, 74, 142, 144, 159, 166, 173,


179, 181, 270, 312, 385

Royal Institute of International 106


Affairs

Sabaites 405

Salaf, salafisme 86, 94, 142, 144, 221, 240, 242,


252, 258, 266, 302, 312, 370, 384,
396, 397

Saudi Binladin Group 72

Septembre noir 122, 369

Serment d’allégeance [al-bay‘a] 178, 371, 408

Siffin 392

Société 1, 13, 14, 15, 30, 32, 36, 41, 73, 74,
94, 107, 109, 111, 123, 145, 149,
150, 168, 169, 184, 186, 202, 205,
210, 211, 213, 223, 224, 225, 226,
227, 234, 246, 248, 252, 253, 258,
270, 285, 304, 320, 382, 398, 412

Souveraineté [al-hâkimiyya] 94, 150, 224, 235, 242, 246, 248,


266, 267, 279, 294

Spetnatz 46

Sunnisme 64, 96, 144, 174, 196, 296, 312,


330, 336, 373, 395

Tabouk 177

Taqiyya 384, 386


Terre, territoire 26, 32, 40, 50, 51, 52, 55, 61, 63,
64, 65, 66, 67, 70, 72, 73, 74, 75,
81, 83, 85, 87, 90, 93, 94, 103, 115,
116, 118, 121, 126, 127, 135, 136,
137, 139, 141, 142, 143, 146, 147,
148, 149, 151, 154, 155, 156, 157,
161, 163, 164, 165, 166, 167, 168,
169, 171, 173, 174, 175, 176, 177,
196, 199, 203, 205, 210, 217, 230,
231, 232, 234, 240, 242, 248, 258,
262, 266, 268, 269, 272, 278, 280,
286, 287, 288, 293, 294, 295, 297,
298, 309, 312, 322, 324, 326, 330,
331, 333, 334, 335, 343, 350, 351,
355, 360, 361, 363, 369, 370, 380,
381, 383, 385, 387, 391, 392, 396,
397, 398, 399, 401, 403, 409, 411

Terrorisme, terroristes 1, 2, 3, 12, 23, 24, 27, 28, 35, 54,


55, 60, 61, 80, 103, 104, 105, 108,
116, 125, 134, 137, 166, 168, 210,
284, 310, 348, 354, 367, 373, 398,
407

Torture 18, 122, 224, 226, 227, 228, 314,


377

Tyran, tyrannie [al-tâghût] 99, 135, 154, 155, 157, 163, 187,
235, 244, 245, 249, 257, 259, 275,
283, 357, 361, 406

Unicité de Dieu [al-tawhîd] 87, 187, 242, 243, 244, 252, 253,
258, 270, 278, 283, 294, 295, 313,
315, 372, 375, 409, 412, 413

Union islamique des 126, 140, 151


moujahidines afghans

Union Patriotique du Kurdistan 372, 382


(UPK)

Union soviétique/Soviétiques 31, 80, 81, 150, 151

Université de Jordanie 121, 124, 369

Université de Peshawar 181

Université du roi Abd al-Aziz 15, 73, 126, 138, 140

Université du Roi Saoud 88, 125, 223

Université islamique 138, 140


d’Islamabad

Université islamique de Médine 142, 250, 376

Université Oumm al-Qoura 312

Usure 70, 107, 109, 254, 264

Voyage nocturne 52, 53, 61, 72

Vrai/Faux 117, 143, 203, 265, 267, 310, 311,


329

Wafd 246, 247, 249, 254

Wali 244, 316

World Trade Center 34, 52, 100, 108, 236, 362

Zakat 326
Index des œuvres citées
Sous la direction de
Gilles Kepel
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est
spécialiste de l’islam contemporain. Il a notamment publié
Le Prophète et Pharaon (Paris, Le Seuil, 1993), Jihad.
Expansion et déclin de l’islamisme (Paris, Gallimard, 2000) et
Fitna. Guerre au cœur de l’islam (Paris, Gallimard, 2004).

Jean-Pierre Milelli
Agrégé d’arabe, enseignant à l’Institut d’études politiques de
Paris, a traduit plusieurs ouvrages, dont Guerre sainte,
multinationale, de Peter L. Bergen (Paris, Gallimard, 2001).

Abrégé du commentaire d’Ibn 316


Kathir [mukhtasar tafsîr ibn
kathîr]

Al-Bajouri 185

A L’ombre du Coran [fî zilâl al- 162, 163, 207, 225, 269, 273
qur’ân]

Al-Qaeda 210, 230

Commentaire d’al-Charouani 147


[tafsîr]

Commentaire d’al-Qourtoubi 161, 165, 325, 339, 343, 349


[tafsîr]

Commentaire d’al-Tabari [tafsîr] 317, 319, 321, 331


Commentaire d’Ibn Abidine 146, 147, 175, 197
[radd al-muhtâr]

Commentaire d’Ibn Kathir 323, 339, 341, 343, 345


[tafsîr]

Commentaire des deux Jalal al- 206, 207


Din [tafsîr al-jalâlayn]

De la différence entre les sectes 393


[al-farq bayna al-milal]

Évangiles 393

Fitna, Guerre au cœur de l’islam 66, 284

Grand Recueil [al-mu‘jam al- 142


kabîr]

Guerre sainte, multinationale 19, 34, 58

Jihad, Expansion et déclin de 25, 66


l’islamisme

L’Authentique [al-sahîh] de 154, 174


Boukhari

L’Authentique [al-sahîh] de 162, 362, 408


Muslim

L’Encyclopédie historique [al- 79


kâmil fî al-tarîkh]

L’Esprit des significations [rûh 268


al-ma‘ânî]

L’Information des signataires 276, 279, 281


[i‘lâm al-muwaqqi‘în]

L’Orné [al-muhallâ] 330, 333

La Bible/La Torah 265, 368, 393

La Chaîne des hadiths 143, 147


authentiques [silsilat al-ahâdîth
al-sahîha]

La Colonne de la jurisprudence 185


[‘umdat al-fiqh]

La Communauté d’Abraham 239, 258


[millat ibrâhîm]

La Confluence des fleuves 175


[majma‘ al-bahrayn]

La Conquête [al-fath] 171, 185, 265, 321

La Jurisprudence de la sunna 206, 207


[fiqh al-sunna]

La Jurisprudence de la vie du 207


Prophète [fiqh al-sîra]

La Langue des Arabes [lisân 44, 183


al-‘arab]

La Maîtrise des sciences relatives 265


au Coran [al-itqân fî ‘ulûm al-
qur’ân]

La Perle de celui qui recherche la 147


voie [tuhfat al-muhtâj ‘alâ al-
minhâj]
La Propagation de la foi 127, 187
musulmane est un devoir légal et
une nécessité pour l’humanité
[al-da‘wa al-islâmiyya farîda
char‘iyya wa darûra bachariyya]

La Provende du voyageur sur les 172, 173


chemins menant à la voie de
l’imam Malik [Bulghat al-sālik li-
aqrab al-masālik fî madhhab al-
imâm mâlik]

Le But des volontés [ghâyat al- 185


irâdât]

Le Collier de la colombe [tawq al- 330


hamâma]

Le Compendium [al-muwattâ] 380

Le Début et la Fin [al-bidâya wal- 322


nihâya]

L’Impératif occulté [al-farîda al- 154, 256


ghâ’iba]

Le Jihad au quotidien 202, 212

Le Jihad, Origines, 334


interprétations, combats

Le Livre de la doctrine [kitâb 272, 273


al-‘aqîda]

Le Livre de la tradition [kitâb al- 393


sunna]

Le Livre des chansons [kitâb al- 408


aghânî]

Le Livre des grandes fatwas 55, 315, 327, 331, 335


[kitâb al-fatâwâ al-kubrâ]

Le Livre des grandes Traditions 144


[kitâb al-sunan al-kubrâ]

Le Livre du jugement [kitâb al- 280, 281


qadâ’]

Le Médian [al-awsat] 144, 145

Le Pilier de la préparation au 176


combat [al-‘umda fî i‘dâd
al-‘idda]

Les Actes des créatures de Dieu 393


[khalq af‘âl al-‘ibâd]

Les Concordances [al- 86, 87


muwâfaqât]

Les Degrés [madârij al-sâlikîn] 276

Les Merveilles [badâ’i‘ al-sanâ’i‘] 65, 182, 183

Les Ouvertures mecquoises [al- 342


futuhât al-makkiyya]

Les Paroles fameuses [al- 206


ma’thûrât]

Les Pertes américaines 106


Le Vaste Océan [al-bahr al- 183
muhît]

Mahomet 166

Musnad 62, 142, 280

Notre réalité contemporaine 250, 251


[wâqi‘unâ al-mu‘âsir]

Oussama, La fabrication d’un 12, 13, 35


terroriste

Oussama ben Laden, rénovateur 250


de notre époque et vainqueur des
Américains

Petite Anthologie des hadiths 143, 145


authentiques

Prolégomènes [al-muqaddima] 185

Quatre topiques du Coran 33

Recueil de fatwas [majmû‘ al- 143, 329


fatâwâ]

Règles des jugements [qawâ‘id al- 52


ahkâm]

Réponses irakiennes aux 268


questions iraniennes

Réponse suffisante à qui 209


demande un remède [al-jawâb al-
kâfî]
Signes de piste [ma‘âlim fî al- 162, 184, 210, 212, 224, 244
tarîq]

Suivre le droit chemin [al-sirât 325


al-mustaqîm]

The Road to Al-Qaeda 229

Traité décisif [kitâb al-fasl] 174

War in Afghanistan 48

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