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TOPO VÉCUE

Le cheminement
du douzième parallèle
(première partie)
Jean-Claude LEBLANC - octobre 1968 - avril 1969 : mission est :
Dosso-Ouagadougou ; mission ouest :
Article tiré de Jalon, bulletin de l’association des personnels retraités de l’IGN, n° 146-
Dakar-Kayes ;
bis de mai 2022.
- novembre 1969 - avril 1970 : mission
Cette appellation désigne une épopée géodésique un MOTS-CLÉS est : Ouagadougou-Bamako ; mission
peu oubliée 55 ans après. Je la classe parmi les grandes ouest : Kayes-Bamako.
Cheminement douzième Toutes les missions se sont déroulées
opérations confiées à l’Institut géographique national parallèle, IGN, Institut pendant la saison sèche en Afrique
(IGN) et en particulier aux “Travaux spéciaux” de la géographique national, sahélienne. Les premières pluies appa-
2e direction (géodésie et nivellement) de l’IGN. Elle astronomie de position, raissent généralement en avril  : les
vient après “l’axe 3000” (établissement d’une chaîne Wild T4, telluromètre nuages rendent incertaines les observa-
géodésique au Sahara), puis “le rattachement des MRA 1, géodimètre AGA 4D tions des étoiles et les pistes en latérite
Açores” à l’Europe et à l’Afrique par le système des deviennent des marécages, même pour
chambres balistiques en 1965. Pour résumer la genèse du “12e parallèle”, je reprends les véhicules 4x4. Je détaillerai ensuite
les missions auxquelles j’ai participé et
quelques lignes écrites dans “La boîte de Pandore”, le deuxième recueil de souvenirs
résumerai les deux autres.
des agents de l’IGN réunis à l’occasion du cinquantenaire de l’IGN.
“L’idée a germé à Bukavu, au Zaïre d’aujourd’hui, en 1953. Elle a mûri à Helsinki en
1960, au congrès de l’Union géodésique et géophysique internationale (UGGI) dont Le résultat
M. Laclavère était le secrétaire général, et s’est concrétisée à Nairobi en 1963. Le but Je donne le résultat global maintenant.
de l’opération était de mesurer par cheminement un arc de parallèle qui traverse La distance du point 1 (Adré, Tchad) au
toute l’Afrique”. L’US Army Map Service (USAMS) est responsable du programme. point le plus à l’ouest (à Dakar) repré-
Elle contrôle les opérations en Éthiopie, au Soudan, au Nigéria et a confié à l’IGN les sente environ 4 300 km. Cette distance
travaux dans les pays francophones. L’US Army Map Service est devenue peu après “US fut mesurée au millionième, soit à
± 4 mètres. Cela peut paraître beau-
Army Topographic Command” désignée ensuite par "TC". Au Nigéria, le Federal Survey
coup. Alors je prends une distance plus
Department (FSD) participait aux opérations avec le TC. Pourquoi cette mesure ? Pour “humaine”. Paris mesure environ 9 km
obtenir une nouvelle définition des dimensions de la Terre et, à terme, d’unifier les nord-sud et 11 km est-ouest. Imaginez
systèmes géodésiques des pays traversés, et plus tard de servir de base d’étalonnage qu’il faille mesurer ces dimensions à
des satellites ; le premier, Spounik-1, fut lancé le 4 octobre 1957. ± 1 cm, avec le matériel de l’époque,
sans les appareils mono ou bifré-
quences !
La participation de l’IGN - décembre 1966 - mai 1967 : départ
Pour la participation de l’IGN, je
à la frontière Soudan-Tchad (à l’est
La finalité du “12e parallèle” était de reprends un passage écrit dans le livre
de Abéché, vers Adré, c’est le point
mesurer, avec la plus grande précision précité : “Des résultats ? 240 sommets
n° 1), jusqu’à 200 km de Fort Lamy
permise par les techniques de l’époque, dont 117 points de Laplace pour
(N’Djamena actuellement), cette
la distance entre la frontière Soudan- 3  452  km de cheminement et
mission est décrite dans cet article,
Tchad à l’est et l’océan Atlantique 1 300 km de nivellement de précision,
tandis que celles de 1968 à 1970 seront
(Dakar). Comment ? Par un chemine- 160 signaux de hauteur moyenne de
publiées dans le prochain numéro ;
ment géodésique. À la fin des années 15 mètres”.
- janvier à début mai 1968  : depuis
1960, les appareils de mesure des
le dernier point précédent jusqu’à
distances sont suffisamment précis : le
la frontière Cameroun-Nigéria pour Quelques spécifications
cheminement succède à la triangulation.
assurer les observations de la jonc-
techniques
Pour l’IGN, les opérations se sont tion avec le FSD du Nigéria  ; puis
déroulées sur quatre années : 1966- traversée du Nigéria pour rejoindre Il fallait obtenir la meilleure précision
1970. Et pour diminuer la durée, deux le Niger (vers Dosso) ; puis assurer la possible, d’où des prescriptions tech-
missions furent montées les deux jonction Nigéria-Niger avec toujours niques rigoureuses imposées par le
dernières années. En voici un résumé : le FSD ; Topographic command (TC), elles
q
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Le trajet : cette carte est extraite du Bulletin d’information de l’IGN n° 25 de mars 1974. Elle montre l’ensemble du trajet entre l’est  
du Tchad et Dakar.
sont identiques à une vaste opération De novembre 1962 à mars 1964 : Service mois de complètement à Éauze (Gers).
q géodésique observée par les USA “la national à Thionville (quatre mois et Au début de l’hiver, Roger me propose
transcontinental traverse qui s’étend hiver très rigoureux), puis Châlons-sur- de me porter candidat à un lever dans
sur 5 000 km entre Beltsville (Maryland) Marne (redevenu “en Champagne” en la région de Marmande. Le chef de la
sur la côte est des États-Unis et Noses novembre 1995, six mois) puis Fontenay- 3e direction, notre vénéré Raymond
Lake (État de Washington) sur la côte le-Comte (sept mois). D’Hollander, accepte et je suis désigné
ouest” [extrait du Bulletin d’information pour effectuer le lever direct au 1:2000
En avril 1964 : retour à l’IGN. À cette
de l’IGN, BI n° 25]. Les principales spéci- (ou 1:2500) dans la forêt du Mas d’Age-
époque, au retour du Service, les ingé-
fications sont les suivantes. Un point sur nais (Lot), en vue du tracé définitif de la
nieurs et géomètres étaient affectés un
deux en détermination astronomique future autoroute Bordeaux-Toulouse, la
an à la 3e direction (topographie, photo-
(dit “point de Laplace”) ; mesure des photogrammétrie ne convenant pas en
grammétrie), puis un an à la 2e direction
distances au cm, côtés compris entre zone boisée (mi-janvier à mi-avril 1965).
(géodésie, nivellement), puis au bout des
5 et 40 km ; rattachement au nivellement
deux ans à l’une de ces directions. En avril 1965 : nous sommes affectés à la
de précision tous les 75 km environ ;
Pendant mon stage à la 3e direction, j’ai 2e direction. Avec mon camarade Gérard,
observations angulaires toujours
passé deux mois de stéréopréparation à nous participons, pendant cinq mois, à
centrées sur le repère principal, même
Montech (Lot-et- Garonne), puis quatre une mission d’astronomie de position :
si les observations sont faites sur un
mois de complètement d’esquisse plani- mesurer les coordonnées astronomiques
signal ; cheminement rectiligne à ± 20°
métrique vers Graulhet (Tarn), puis deux de points connus en coordonnées
avec la moyenne des angles inférieure à
géographiques à raison d’un point tous
10°. Tout cela sera ensuite détaillé.
les 60 km environ, dans un grand triangle
compris entre Bordeaux, le sommet de
Mon début de carrière   La Rhune (Pays Basque) et Carcassonne,
soit une vingtaine de points. Comme
à l’IGN
souvenir exceptionnel, je retiens les trois
J’ai intégré l’École nationale des jours et trois nuits passés au Pic du Midi
sciences géographiques (ENSG) en (2 875 mètres moins les 15 mètres pour
novembre 1960 et j’ai suivi les deux ans
du cycle des Ingénieurs des travaux En février 1965…
géographiques de l’État (ITGE). Mon
seul camarade de promotion, Roger,
m’a servi de guide, lui qui connaissait
déjà l’École. De novembre à avril, les
cours étaient à Saint-Mandé et de mai
à septembre, les stages pratiques se
déroulaient en Provence.

… et le 14 août 2014. Superbagnières (vers 2 000 m).

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troniques de terrain, en particulier avec (deux maîtres et trois répondeurs) ;
le matériel de chronométrie utilisé en deux niveaux IGN50 ; trois chrono-
astronomie (aspects mécanique et élec- mètres à quartz ; deux chronographes
tronique) et les instruments de mesure imprimants ;
des longueurs : telluromètre et géodi- - américain : deux AGA 4D ; deux jeux de
mètre. vingt-sept prismes.
Les telluromètres MRA1 sont arrivés à Matériel de signalisation et de construc-
l’IGN au début des années 1960. En 1966, tion
ils servaient encore dans les brigades Deux échelles Delooz  ; cinq ou six
de géodésie. Je me suis principalement signaux Bilby (fournis par le TC) ; deux
Le Pic du Midi (photo de 1968) et la
formé sur les MRA2 des “Expéditions signaux “Entrepose” doubles (pour
maquette du Pic par les Ateliers du Slog
polaires françaises” (EPF) qui étaient signaux inférieurs à 10 m).
et Basic Théâtral de Lyon (vers 1990).
entretenus par l’IGN. (Le MRA2 est de
Moyens de communication
construire l’observatoire) ; l’air était si même technologie que le MRA1, mais
Un BLU (bande latérale unique)  ;
pur que nous pouvions voir la côte atlan- il a un gros intérêt pour les travaux des
six  émetteurs récepteurs ANGRC9  ;
tique et la côte méditerranéenne et en EPF : l’antenne peut être déportée de
deux récepteurs ANGRC9 ; six Apolex 10.
prime, deux soirs, le fugitif et évanescent quelques mètres, donc hors des véhi-
rayon vert. cules Weezel).
L’hiver 1965-1966 s’est passé en calculs En 1966, la division avait un géodimètre Le commandement
de géodésie. Quel plaisir de “descendre AGA4 équipé d’une lampe tungstène
un tableau de Doolittle” (compensation pouvant porter jusqu’à 6 km, voire 8 km Le commandement comprend le chef
par moindres carrés), avec la table de au maximum. Nous avons fait beau- de mission, un ou deux secrétaires et le
valeurs naturelles à 8 décimales et la coup d’essais sur la base géodésique mécanicien.
calculatrice électrique Friden à 16 déci- de Châlons-sur-Marne  : c’était mon Le rôle du chef est d’assurer la gestion
males ! apprentissage, ma formation très bien globale de la mission, les liaisons par
Puis arrive fin avril 1966. Je devais être encadrée. radio par BLU avec le centre IGN de
affecté à la 2e direction, MAIS je suis Brazzaville (souvent avec le relais de
“kidnappé, détourné” par le chef de la Bangui les deux premières années),
5e direction (matériels, à l’époque). En Organisation générale puis du centre de Dakar, des relations
1966, René Joly, l’un des membres du d’une mission (sauf la 2e) avec les autorités locales (les douanes
cabinet de Georges Laclavère (directeur en particulier) et françaises comme pour
Personnel
général), assure l’intérim du chef de la le ravitaillement en carburant.
La mission type comprenait vingt à
5e direction. [Quand il m’a reçu, il m’a L’un des secrétaires prend en charge la
vingt-deux personnes IGN, réparties
dit qu’il connaissait bien JJ. Levallois partie administrative et comptable, le
en cinq équipes : le commandement,
(le chef de la 2e direction) : ils jouaient second, polyvalent, pouvant remplacer
la reconnaissance et la construc-
au football ensemble, l’un était arrière le secrétaire d’une autre équipe et aussi
tion, deux équipes d’astronomie, une
gauche et l’autre ailier droit. Il m’a fait ravitailler parfois en vivres (exemple des
équipe de géodésie. Ensuite deux (ou
aussi une confidence : c’est le poste le fruits et légumes) les autres équipes, car
trois Américains) duTC étaient présents
plus intéressant qu’il a occupé, après il n’y a pas de supérette tous les 30 km…
pendant toutes les missions : le (ou les)
Dalat bien sûr (ville du Service géogra-
contractor officer et le contrôleur des Le mécanicien possède dans son
phique d’Indochine !) ; j’ai vérifié ce
fréquences. camion un poste à souder, des pièces de
point de vue 15  ans plus tard…] En
J’ajoute aussi le personnel local, environ rechange de première nécessité comme
avril 1966, il m’a surtout expliqué qu’il
vingt Africains permanents : chauffeurs, les lames de suspension pour Land
fallait un opérateur qui connaisse bien
aides-mécaniciens, aides-échafaudeurs, Rover et Power Wagon, quelques pneu-
le matériel qui allait être utilisé dans
cuisiniers et aussi les manœuvres matiques. Les plus grosses pièces sont
les travaux des futures missions dites
embauchés selon les besoins ponctuels commandées au centre puis envoyées
“du 12e parallèle”. Je ne l’ai pas encore
comme pour l’équipe de construction (exemple des barres de direction et des
regretté ! C’est ainsi que je suis affecté à
ou les porteurs. Sans eux, les missions trompettes – essieu avant – des Land
la“Division d’électronique, de chimie et
n’auraient pas pu se dérouler ainsi. Rover). Le mécanicien ne manquera
de géophysique”. Je suis accueilli par
pas de travail  ! Le commandement
Pierre Didey et Michel Deck, qui sont Véhicules
héberge le superviseur américain qui
devenus des amis, ainsi que par toute Six Land Rover type 109 ; huit poids
reste présent pendant toute la mission.
l’équipe, que je retrouverai en partie lourds légers ; huit poids lourds type
Le chef des travaux spéciaux (TS) de
15 ans après (bis). Citroën T 46 et T 55.
la géodésie, Michel Louis, dont le nom
D’avril à décembre 1966. Je passe l’été Matériel technique (pas en détail) sera cité plusieurs fois, est venu deux ou
et l’automne à Saint-Mandé. Je me - IGN : deux WildT4, cinq WildT3, quatre trois semaines pour lancer la première
familiarise avec tous les matériels élec- Wild T2  ; cinq telluromètres MRA1 mission au Tchad. q

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q Les équipes de terrain d’azimut à plus de 800 m. Autre obliga-


tion pas toujours facile, il faut piquer,
Les équipes de terrain sont au nombre
sur les photos au 1:50 000 anciennes
de quatre :
de 15 ans, un point identifiable, souvent
- l’équipe de reconnaissance et de
un arbre. L’équipe des constructeurs
construction qui comprend six
est aussi tributaire des observations :
personnes réparties en deux ou trois
elle ne peut démonter le dernier signal
pour la reconnaissance et quatre ou
que lorsque les calculs, effectués par la
trois pour monter les signaux ;
dernière équipe d’astronomie, sont dans
- les deux équipes d’astronomie qui se Donc, dans le cas de D = 15 km,
les tolérances.
composent chacune de deux opéra- Dn = 15 m. En sol plat, il faudrait élever
teurs et d’un secrétaire. Un point sur n Pourquoi monter des signaux ? chaque point de 7,5 m. Mais il faut tenir
deux est un point “astro”, donc chaque Voyons le cas de la distance moyenne de compte des conditions locales : relief,
équipe stationne un point sur quatre 15 km entre deux stations du chemine- végétation (les arbres) et prendre une
pour observer un “point de Laplace” ; ment. Vous savez que la Terre est ronde. sécurité de quelques mètres.
- l’équipe de géodésie qui comprend À la reconnaissance, c’est la formule Extrait de la notice de montage de
trois opérateurs et deux ou trois approximative simple qui s’applique : l’échelle Delooz (vers 1950) :
secrétaires stationne les points inter- Dn = D2/15 (Dn, la dénivelée en mètres, L’échelle s’appuie au sol sur une embase
médiaires, donc un sur deux et parfois, D en km). triangulaire de 50 cm. Le 1er élément
rarement, deux points géodésiques se Elle tient compte du niveau apparent d’un mètre est posé, puis le 2e de 2 m,
suivent. et de la réfraction du rayon lumineux. puis les 3e de 3 m ; ce qui maintient
Ces trois équipes sont “indépendantes
dans l’interdépendance” comme l’ex-
plique la suite.

L’équipe de reconnaissance
et de construction
Cette équipe comprend six personnes.
L’équipe de reconnaissance doit trou-
ver les points qui seront stationnés
par les trois équipes d’observation.
Les distances entre deux points sont
comprises entre 5 et 40  km (chiffres
précisés plus tard) et les côtés doivent
être alignés à ± 20 degrés, la moyenne
des angles du cheminement doit être
inférieure à 10 degrés.
L’équipe doit aussi reconnaître l’empla-
cement des repères de nivellement.
Cette équipe a donc “plusieurs coups”
Signal Bilby (créé par Jasper S. Bilby en 1926)
d’avance, parfois 100 km, sur les équipes
d’observation. À gauche : début de la construction du signal qui est
Pour s’assurer que la visée passe entre double. Les éléments intérieurs portent les appareils
les points successifs, l’équipe dispose d’observation, les éléments extérieurs portent les
de deux “échelles Delooz” pouvant opérateurs et le matériel annexe.
monter jusqu’à 24 mètres. Ensuite, il faut
Au centre  : exemple de signal Bilby, d’environ
éventuellement assembler les signaux
18 m. Les signaux pouvaient monter jusqu’à 24 m :
“Bilby” pouvant atteindre 24  m (en
imaginez-vous grimper le long de la façade d’un
France jusqu’à 48 m). Il faut matériali-
immeuble de huit étages, avec parfois le théodoliteT3
ser le point par un bloc de béton assez
de 18 kg dans le dos ! Les premières fois, on serre bien
solide qui retient le repère principal et
fort les échelons, surtout à la descente. Le matériel
qui recouvre un repère souterrain (à
était monté avec une corde, une poulie et… deux bras.
1,2 m de profondeur selon les clauses
techniques) ou graver un bloc rocheux. À droite, détail des échelons qui mesurent 41,6 cm (vérifié sur un plan).
Si le point principal est au sol, mais ne
En France, les Bilby montaient jusqu’à 48 m ; les cerceaux de sécurité furent
voit pas l’un des points avant ou arrière,
rendus obligatoires plus tard.
la reconnaissance doit prévoir un repère

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le décalage d’un mètre ; ensuite tous lonnement, défauts des graduations du Bamako, d’autre part furent nivelés
les éléments mesurent 3 m jusqu’au limbe). dans les années 1950-1960. Des grandes
sommet et en fin, à 24 m, sont placés Les spécifications techniques sont bien boucles de nivellement de précision,
les derniers éléments de 2 et 1 m. précisées : de l’ordre de 1 000 km, avaient été
L’échelle de reconnaissance Delooz ; les - une soirée = deux groupes de huit observées en suivant les grands axes,
câbles de maintien sont esquissés (voir couples ; tout pointé à plus de 3ʺ de la les principales pistes. Par contre, les
ci-contre). moyenne doit être refait ; missions entre Dosso et Bamako ont dû
- l’erreur probable entre deux groupes niveler une bonne partie du chemine-
Signal Entrepose
de 8 couples est 1,5ʺ (symbole expliqué ment, ce qui sera évoqué dans le résumé
Le signal est constitué par des tubes
plus loin). de chaque mission.
“Entrepose” de 1,80 m pour l’intérieur
La précision demandée est de ± 0,30 m
et 2 m (environ) pour l’extérieur. Au Une détermination comprend deux
√D en km, soit environ 1 m pour 10 km.
douzième parallèle, ces signaux n’étaient soirées observées soit sur deux nuits
Ce chiffre peut paraître large ; les alti-
pas montés à plus de 10 m de haut. soit la même nuit à condition de respec-
tudes servant à réduire sur l’ellipsoïde
ter un délai de deux heures entre la fin
les distances observées sur le terrain.
de la première détermination et le début
Mesure des angles   Le cheminement planimétrique était
de la deuxième.
aussi un cheminement altimétrique.
du cheminement L’erreur probable entre les deux soirées
Un point sur quatre ou cinq était rattaché
est ± 0,3ʺ ; si ce dernier critère n’est pas
n Qu’est-ce qu’un couple ? au nivellement de précision, soit direc-
respecté, il faut observer une 3e soirée,
tement soit en combinant nivellement
ce qui sera parfois le cas.
direct et nivellement trigonométrique
L’erreur probable  est celle qui a une
(mesures des distances au telluromètre
chance sur deux de ne pas être dépas-
et des angles au T3). Ensuite, tous les
sée.
sommets du cheminement étaient ratta-
Un repère d’azimut, aux points d’as- chés par nivellement trigonométrique
tronomie, doit être matérialisé au sol (ou indirect). Les observations sont réci-
Le théodolite est en place au point de lorsque le sommet est observé depuis proques et vraiment simultanées car “au
station. L’appareil possède deux limbes un signal ou lorsque, du sol, le point top” transmis par la radio du telluro-
gradués : le cercle horizontal et le cercle stationné ne voit pas l’un des deux mètre. Elles étaient faites généralement
vertical (inutilisé ici). À la première autres points du cheminement. Le repère en début de soirée ; c’est une mauvaise
mesure, on vise le point arrière, on doit être à plus de 800 m et mesuré avec heure, car la réfraction varie rapidement
tourne le cercle horizontal pour lire quatre couples. d’où les observations “au top”. La meil-
“zéro” sur l’index de lecture ; le cercle leure période et la plus pratique était
Les observations angulaires se prati-
vertical est à gauche de la lunette (CG). entre 10 h et midi.
quaient en fin de journée ou de nuit,
On vise le point avant, en tournant l’ap-
toujours sur projecteur. Le T3 devait Il fallait bien sûr prendre les cotes des
pareil dans le sens horaire et on fait la
être centré, ce qui était facile pour les projecteurs et desT3 depuis le repère au
lecture sur le cercle horizontal, ce qui
points au sol. Dans le cas d’un signal, sol. Dans le cas d’un signal, sa hauteur
donne une première valeur de l’angle.
il fallait “relever” le repère principal. était mesurée au centimètre à l’aide
Ensuite, on fait un double retournement :
Pour cela, deux théodolites (T3 ou T2) d’une chaîne de 20 m ou de 50 m.
la lunette fait un demi-tour sur elle-
étaient placés à angle droit, à environ
même (elle vise alors vers l’arrière)
20 m du signal. Il fallait donc être à deux
donc, il faut ramener la lunette et son Les équipes d’astronomie
et si possible à trois personnes : une à
support (l’alidade) vers le point avant, le
chaque théodolite et une au sommet
cercle vertical est alors à droite de la La mission se compose de deux équipes
du signal pour déplacer et centrer le
lunette (CD). On fait la lecture sur le point d’astronomie et chaque équipe de
support du matériel d’observation.
avant, on tourne la lunette et l’alidade deux observateurs et d’un secrétaire.
Sur un signal, les projecteurs étaient
vers le point arrière dans le sens antiho- Un point sur deux est un “point de
fixés sur la rambarde et alignés au mm
raire, on fait la lecture voisine de zéro. Laplace” : point où sont recherchées
avec le T3 centré.
C’est l’ensemble de ces deux mesures les coordonnées latitude et longitude
(CG + CD) qui s’appelle “un couple”. astronomiques à partir des étoiles et en
Pour le 2e couple, on fait les mêmes Le nivellement plus l’orientation des côtés par rapport
opérations en tournant le cercle horizon- à l’étoile Polaire. Chaque équipe dispose
tal pour afficher 100 grades ; pour le 3e, Tous les points d’astronomie doivent d’un appareil dit “impersonnel” WildT4
on affiche 50 grades, pour les suivants être rattachés au nivellement de préci- pour les observations sur les étoiles
150, 25, 125, 75, 175. sion ; dans la pratique ce sont tous les et d’un Wild T3 pour les observations
Cette méthodologie permet d’éliminer points du cheminement. Les itinéraires angulaires. (Des explications suivent ce
trois principales erreurs instrumentales entre Adré et la jonction Cameroun- paragraphe). Chaque soirée d’observa-
(non-verticalité de l’axe principal, touril- Nigéria, d’une part et entre Dakar et tion astronomique, chaque graphique, q

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doit comprendre 12 à 16 étoiles, elle DKM 3A soit le Wild T4. L’IGN en possé-
q dure entre 1 h 15 min et 1 h 30 min. dait respectivement 4 et 3).
Une nuit, chaque opérateur observe (En fin de travaux, le trépied du T4 est
une soirée, puis recommence une autre démonté ; la partie métallique retourne
nuit. Donc, chaque point est déterminé en France et la partie en bois est brûlée
quatre fois, à condition que les critères sur place pour éviter d’importer des
de précision soient respectés, sinon, il parasites).
faut recommencer deux autres soirées.
L’observation se fait par l’oculaire qui est
De ces observations sont calculées
en bout de l’axe des tourillons et la lecture
les coordonnées géographiques de la
du limbe par la petite lunette au-dessous
station. Le T4 est toujours au sol, mais
(à droite sur l’image ci-contre) : quelles
à moins de 100 m du repère principal.
facilités pour l’opérateur !
Chaque équipe doit orienter les côtés du Le réticule (simplifié) comporte deux
LeT4 est ainsi un télescope de terrain de
cheminement par rapport à la polaire. traits fixes : un vertical et un horizontal.
60 kg environ. Le grossissement de l’op-
Les opérateurs doivent observer une Un trait horizontal mobile (en pointillés
tique est de 65 X et la focale de 550 mm.
série de seize couples un soir et une bleus) permet de suivre l’image de
Une fois l’appareil en place, il faut
autre série de seize couples un autre l’étoile qui se déplace.
attendre la nuit et au minimum encore
soir, soit deux déterminations par point ;
une heure pour que tout l’instrument
mais si les deux séries diffèrent de 1”,
soit stabilisé. La précision des mesures
une autre série, un autre soir, est néces-
est liée à la stabilité et à la précision de
saire.
la nivelle (cliché de droite) qui permet
Chaque équipe doit aussi mesurer
de maintenir la lunette à la distance
l’angle du cheminent, seize couples
zénithale constante. Voici une petite
un soir, puis seize couples un autre
explication sur la précision de cette
soir (ou bien deux fois seize couples
nivelle. Le verre est gradué et l’inter-
la même nuit à condition de respecter
valle entre deux traits correspond à un
deux heures entre la fin de la première
écart angulaire de 2ʺ (2 secondes sexa-
série et le début de la deuxième). Et s’il
gésimales) : c’est l’angle sous lequel on
existe, il faut aussi mesurer l’angle du
verrait un objet de 2 mm à la distance de
repère d’azimut. Les observations sur
210 m). La fiole, le liquide avec la bulle,
la polaire et les mesures de l’angle sont Agrandissement du côté oculaire avec
est illuminée par des sources autolu-
faites depuis le sommet du signal s’il nivelle et l’un des deux boutons moletés
minescentes qui permettent de lire les
est construit. (rond brillant, tirets blancs) ;  
extrémités de la bulle sans autre éclai-
le second est sur le même axe, caché ici ;
rage, bien commode la nuit.
Les observations   le micromètre est ainsi tourné avec les
Les boutons moletés de fin mouvement
des étoiles deux mains.
permettent de suivre le déplacement de
l’étoile ; ils entraînent un système qui
Les observations pendant les missions
déclenche des impulsions électriques
du 12e parallèle sont faites au T4. (Les
qui commandent l’imprimante, ce qui
appareils de terrain employés sont les
plus précis de l’époque : soit le Kern

Chronomètre à quartz mis à l’heure avec


le récepteur de signaux ANGRC9.

Chronographe imprimant avec son


T4 de l’ancienne galerie IGN Doc. IGN : T4 sur amplificateur mis à l’heure par le
son trépied lesté et gros plan sur la nivelle. chronomètre à quartz.

58 Revue XYZ • N° 171 – 2e trimestre 2022


théodoliteT4, à la distance zénithale affi-
chée z = 30° et d’autre part, l’opérateur
dispose de catalogues calculés pour la
distance zénithale de 30°00’30’’.

La formule fondamentale de trigonomé-


trie sphérique est la suivante :
cos z = sin δ sin j0 + cos δ cos j0 cos AH0
avec z = distance zénithale calculée à
partir des éléments connus qui sont :
AH0, l’angle horaire de l’étoile =
HG + Δλ0 - α ;
HG = l’heure de Greenwich enTU à l’ins-
tant de l’observation ;
α et δ : les coordonnées de l’étoile, four-
Les équipes d’astronomie de la 3e mission nies par le catalogue ;
ouest. j0 et Δλ0 les coordonnées approchées
Une petite Vaucanson. de la station.
permet de connaître l’heure de passage. Tous ces éléments, connus ou esti-
L’opérateur ne fait pas les lectures, voilà més, permettent de calculer la
pourquoi leT4 est appelé “impersonnel”. distance zénithale z et de la compa-
Le T4 est mis en station à la distance rer à la distance zénithale observée ;
zénithale 30° pour avoir une distance soit “dz” cette différence. Comme
observée de 30°00ʹ30ʺ qui tient compte exemple, sur le schéma ci-contre,
d’une valeur approchée de la réfraction probable inférieur à ± 0,30ʺ ; seules six étoiles sont représentées.
(déviation du rayon lumineux dans - mesurer l’azimut des deux côtés du Sur la direction azimutale de chaque
l’atmosphère). Les étoiles sont choisies cheminement par rapport à la polaire, étoile, il faut reporter “dz” = TaEi
dans les catalogues calculés à l’IGN pour également à deux séries de seize (i = de 1 à 6). Si tout était parfait, ces
des latitudes de 5ʹ en 5ʹ (minutes sexa- couples (à trois directions  : avant, six points Ei seraient sur le même
gésimales). L’heure sidérale de chaque arrière et polaire) toujours à ± 0,30ʺ ; cercle (toutes les “dz” seraient égales).
étoile est connue, mais cette étoile comme il sera expliqué plus loin : 0,3ʺ L’opérateur dispose d’un calque trans-
“avance” chaque soir de 3 min 56 s par = 1 dmgr (décimilligrade) ; pour obtenir parent sur lequel sont dessinés des
rapport à l’heure civile. Il faut deux chro- ces précisions, les tolérances intermé- cercles concentriques ; pour l’aider à
nomètres : l’un en temps sidéral (qui lui diaires sont très strictes ; il faut parfois, choisir le cercle qui répartit au mieux
indique l’heure approchée du passage voire souvent, observer une troisième les petits écarts, la perpendiculaire
de l’étoile) et l’autre en temps moyen nuit, pour parvenir à des coordonnées est tracée en chaque point Ei (schéma
(comme une montre). géographiques satisfaisantes ; page suivante). Sans évoquer d’autres
Les catalogues fournissent toutes les - mesurer l’azimut du repère terrestre raisons théoriques, cette perpendi-
références pour observer l’étoile : les s’il existe ; culaire est appelée “droite de hauteur”
coordonnés astronomiques (ascen- - mesurer les distances zénithales avec d’où le nom de “hauteurs égales”
sion droite et déclinaison), l’heure de l’équipe de géodésie ; donné à cette méthode d’observation.
passage, l’azimut, l'angle à l’astre, etc., - rattacher les points auxiliaires au point Ci-après, voici un exemple complet de
de 600 (?) étoiles jusqu’à la magnitude, principal (la station d’astronomie, au graphique. Ce ne sont pas des obser-
la grandeur 6 (la polaire est de gran- sol, doit être à moins de 100 m du vations du 12e parallèle (les originaux q
deur 2). Ces coordonnées sont issues repère principal) ;
du FK3, “Fundamental Katalog n°3” qui - effectuer tous les calculs avec la table
contient 1 535 étoiles jusqu’à la magni- de valeurs naturelles à 8 décimales et
tude 7,5. la calculatrice Vaucanson à 16 déci-
males.
n Tâches à chaque sommet
d’astronomie et précisions requises n Principe de la construction
- déterminer les coordonnées géogra- d’un graphique
phiques, latitude et longitude, à ± 0,3ʺ La méthode s’appelle “hauteurs
(0,3 seconde sexagésimale) ; égales” ; dans la pratique les observa-
- mesurer l’angle de la station, depuis tions se font à la distance zénithale z,
le repère principal au sol ou depuis le valeur complémentaire de la hauteur
point centré sur le signal en observant (angle au-dessus de l’horizon). D’une Le centre du cercle permet de définir le
deux séries de seize couples, écart part, les observations sont faites avec le point “T” qui donne la position recherchée.

Revue XYZ • N° 171 – 2e trimestre 2022 59


TOPO VÉCUE

ont dû être remis à l’USTC). C’est


q un exemple personnel, oh combien
symbolique, remis par Denys, alors
responsable des archives techniques du
SGN, le jour de mon départ à la retraite :
une copie de mes observations au Pic
du Midi, le 28 août 1965 !
Sur le graphique, seule figure la direc-
tion (l’azimut) de l’étoile “752” (le grand
cercle gradué est déjà sur l’imprimé
donc pas besoin de dessiner les direc-
tions). Avec le décimètre placé au centre
du graphique et dirigé selon l’azimut,
la différence “dz” est reportée, puis la
perpendiculaire est tracée. Il reste à choi-
sir le bon cercle dont le centre donne la
position. Si le graphique ne convient
pas, il faut soit changer l’échelle du
graphique soit refaire les calculs à partir
des coordonnées qui viennent d’être
calculées.
“dz” est un écart angulaire, pas une
distance (le soleil “est” à 8 min  ;
l’étoile la plus proche, Sirius, à près de 16 tracés ; son centre donne les coor- que le point définitif est très proche
9 années-lumière, Arcturus et la Polaire données provisoires de la station. En du point approché. C’est un graphique
à environ 40 et 400 années-lumière). effet, les coordonnées définitives sont remarquable parce que fait après avoir
La soirée idéale comprend seize étoiles : recalculées plus tard en tenant compte apporté toutes les corrections et qui
trois dans les azimuts voisins de 50, 150, de beaucoup de petites corrections (une s’explique aussi par les conditions d’ob-
250 et 350 grades, puis deux étoiles dizaine) que je n’évoque pas : c’est ici servations exceptionnelles (et peut-être
dites “horaires” à 100 et 300 grades, qui que commence le domaine des calcula- par la concentration de l’opérateur ?).
définissent le mieux la longitude.Toutes teurs, puis des scientifiques ! J’ai choisi ces deux photos ; le ciel était
les directions “virtuelles” passent par Le graphique présenté n’est pas le presque aussi pur que dans le Sahara
le point qui correspond aux coordon- graphique original  : celui-ci est le (que j’ai un peu connu). Je penche pour
nées approchées j0 et Δλ0. La dernière résultat définitif du calcul ultérieur l’un des Echo, car Pageos avait une
opération graphique consiste à choi- par ordinateur (dont compensation orbite presque polaire (et probablement
sir le cercle qui tangente le mieux les par moindres carrés), ce qui explique la trace d’une comète).

Ciel étoilé, exposition de plusieurs heures, en “pause T“, à Ciel avec passage d’un satellite soit Echo 1 ou Echo 2 soit
Abéché, janvier 1967. Pageos, à Ati, avril 1967.

60 Revue XYZ • N° 171 – 2e trimestre 2022


Points de Laplace et polaire longitude ; les calculs, sur l’ellipsoïde, sexa(gésimale) et la seconde sexa. Les
fournissent les coordonnées rectan- symboles sont : °, ´ et ʺ ; et les secondes
Nous savons que la Terre est ronde, ce
gulaires X et Y. Autre conséquence  : sont décimales. Exemple  : 30° 30´ =
qui permet d’utiliser les formules de
l’azimut d’une direction n’a pas la même 30,5°.
trigonométrie sphérique comme en
valeur sur le géoïde et sur l’ellipsoïde. (Voilà pourquoi ces symboles sont utili-
astronomie de position. Mais la Terre
Soit Aa l’azimut astronomique et Ag sés dans les journaux sportifs, c’est plus
n’est effectivement pas ronde ; la surface
l’azimut géodésique, la différence entre rapide que min et s).
réelle de la Terre n’est pas connue, on
les deux azimuts est donnée par la La relation entre heures et degrés est
la désigne sous le nom de “géoïde”. Et
relation : Aa – Ag = (λa – λg).sin φ ; λa facile sur la Terre : 24 h x 15 = 360° ;
pour effectuer les calculs, elle est assi-
désigne la longitude astronomique, λg heures et degrés, minutes de temps et
milée à un ellipsoïde de révolution.
la longitude géodésique et φ la latitude minutes d’arc, secondes de temps et
Conséquence : les observations, sur le
du lieu. Elle permet de passer de l’azi- secondes d’arc sont dans le rapport 1 à
terrain, sont effectuées sur le géoïde et
mut observé à l’azimut calculé et donc, 15. Maintenant, une autre unité qui faci-
les calculs sur l’ellipsoïde. Au point de
d’orienter successivement chaque côté. lite les calculs est souvent retenue : le
station, la direction de référence est la
Cette formule est appelée “équation de degré décimal. 30° 30ʹ = 30,50° et 30° 30ʹ
verticale, complément de l’horizontale
Laplace” d’où le nom donné aux points 30ʺ = 30,5083° ; c’est trop facile mainte-
indiquée par la nivelle de l’instrument.
astronomiques. nant avec les calculatrices scientifiques
Et les calculs sont sur l’ellipsoïde avec
et les serveurs ! Il faut faire attention s’il
comme référence la normale. (L’écart est
n Pourquoi viser l’étoile Polaire ? y a des décimales de seconde.
dû à l’angle entre la verticale au point
L’étoile Polaire décrit un cercle de Le cercle est divisé en 400 grades. Les
d’observation et la normale à l’ellipsoïde
moins de 1° autour du pôle nord ; elle sous-multiples du grade sont : le déci-
au point homologue. Cet angle s’appelle
le parcourt en 23 h 56 min, donc très grade, le centigrade, le milligrade et le
“la déviation de la verticale” et nécessi-
lentement, d’où la précision du pointé décimilligrade. Les symboles sont : gr,
terait bien d’autres explications).
à la seconde (de temps). La relation dgr, cgr, mgr et dmgr. En écriture rapide,
Pour le 12e parallèle, les calculs sont
simple en astronomie de campagne : le cgr est remplacé par le symbole
effectués sur “l’ellipsoïde de Clarke
“la latitude est égale à la hauteur du accentué : ( ’ ) et le dmgr par le symbole :
1880“ version RGS (Royal Geographical
pôle au-dessus de l’horizon” fournit ( ’’ ). Pratiquement, il n’y a pas d’ambi-
Society) comme décidé à la convention
un autre avantage au 12e parallèle, la guïté avec les symboles, l’utilisateur
de Bukavu, dont voici deux paramètres :
lunette du T3 est inclinée seulement de connaît quand même l’unité employée.
½ grand axe “a” = 6 378 249,145 mètres
12° ce qui permet de réduire l’influence Depuis 1982, il est recommandé (obligé)
et l’aplatissement “f” défini par 1/f = (a -
de certaines erreurs instrumentales. (Il de remplacer le mot “grade” par le mot
b)/a = 293,465 ; (b = ½ petit axe) ; ce qui
faut en profiter, car dans 12 000 ans “gon”, avec un “g” pour “goniomètre”.
permet de calculer la différence a - b =
c’est l’étoile Véga, à 25 années-lumière Et comme 360° = 400 g, 1° = 400/360 =
a/293,456 = 21 734,3 m. Retenons l’ordre
qui indiquera le nord…). Je place ici une 1,11… gr et 1gr = 360/400 = 0,9°.
de grandeur de 22 km.
autre remarque. En juin, la déclinaison Pour les petits angles, en géodésie, on
Géoïde et ellipsoïde ne sont confon-
du Soleil vaut 23°26ʹ. Lorsqu’il passe à convertit la seconde d’arc en dmgr : 1ʺ
dus qu’au point fondamental ; pour le
midi au méridien du lieu de latitude 12° = 3 ’’ (3,086 ’’).
12e parallèle le point fondamental est
il est au nord ! C’est le cas pendant envi- Voici l’exemple de la différence de longi-
le point n° 1, le premier point astrono-
ron trois mois. tude entre les méridiens de Greenwich
mique à Adré, frontière Tchad-Soudan.
et de Paris :
En résumé, les observations, sur le en heure : 0 h 09 min 20,935 s (valeur
géoïde, permettent d’obtenir les coor- Unités de mesure   retenue par l’IGN) ;
données astronomiques latitude et des angles en degrés  : 2° 20ʹ 14,025ʺ soit  :
2,3372(917) degrés décimaux ;
Pour le Système international (SI),
en grades : 2,5969(213) gr.
l’unité d’angle plan est le radian (le péri-
mètre d’un cercle = 2 Π R ou 2 pierres
n Relation entre les secondes
ou 2 Pierre). Laissons-le aux mathéma-
d’arc et le mètre
ticiens. L’unité “quotidienne”, le temps,
La latitude s’exprime en degrés d’arc. La
est exprimée en heures et avec ses
première définition du mètre est “la dix
sous-multiples bien connus : minutes et
millionième partie du quart du méridien
secondes ; les symboles étant respecti-
terrestre”. Ce quart fait 10 000 km pour
vement : h, min, s. LaTerre est découpée
l’angle de 100 grades soit 100 km pour 1
en fuseaux de 24 h.
gr et donc 10 m pour 1 dmgr et pour 0,3ʺ
Les théodolites sont gradués en degrés (sexa), c’était la précision demandée
ou en grades. pour les coordonnées géographiques.
Le cercle est divisé en 360 degrés. Les
sous-multiples du degré sont la minute q

Revue XYZ • N° 171 – 2e trimestre 2022 61


TOPO VÉCUE

La longitude s’exprime en h, min et s rement… Pour simplifier, la suite se réfère - o bserver les distances zénithales
de temps. L’équateur mesure 40 000 km seulement au méridien de Greenwich (le réciproques et simultanées avec les
pour l’angle de 24 h soit de 86 400 s ; méridien du lieu est à ± ΔM). équipes d’astronomie ;
d’où 1s = 40 000/86 400 = 0,463 km = - mesurer la distance au telluromètre du
TS est l’abréviation de “Temps Sidéral”.
463 m, arrondis par facilité à 450 m. repère d’azimut aux points astro ;
Le jour sidéral est la durée de révolu-
Pour la latitude j la valeur d’une - rattacher certains points du chemine-
tion des étoiles autour de la Terre. Un
seconde de temps est 450 m x cosj soit ment au nivellement de précision ;
jour sidéral dure 23 h 56 min 04 s de
pour le 12e parallèle, 440 m. Et finale- - et bien sûr, mesurer les distances entre
temps moyen, donc les étoiles avancent
ment 1/100 de seconde correspond à les sommets avec le telluromètre et
de 3 min 56 s par jour de 24  h. Les
4 m (en France, vers Bordeaux, j = 45 ° avec le géodimètre.
documents donnent l’heure sidérale
et 1s = 320 m). Généralement, le point géodésique est
pour Greenwich (HSG) à 0 hTU ; l’heure
Le “nœud” est l’unité de vitesse dans entre deux stations astro ; mais si les
sidérale locale (HSL) est HSG + ΔM
les domaines maritime et aéronautique. côtés sont courts, deux points géodé-
(longitude avec son signe + à l’est).
1° correspond à la distance sur le globe siques peuvent être contigus. (Exemple
de 40 000 km/360, soit 111,1111… km. GMT est l’abréviation de “Greenwich au prochain numéro sur schéma en fin
1´ vaut 60 fois moins, soit 1,852 km Mean Time”. Le Soleil vrai décrit une de la 4e mission ouest).
ou 1 852 m. Un bateau à la vitesse de ellipse appelée “écliptique” inclinée de
10 nœuds va à 18,52 km/h. 23° 26ʺ par rapport à l’équateur terrestre n Principes généraux des
1 852 m est aussi l’unité du “mille marin (et céleste). Donc le Soleil vrai (Sv) ne appareils de mesure de distance
international”. passe pas au méridien de Greenwich Je prends l’exemple simple du poste
Simple, n’est-il pas ! exactement toutes les 24 heures. Le radio. La station choisie émet sur une
Soleil moyen (Sm) est le Soleil fictif qui certaine longueur d’onde, par exemple
À cette époque, les conversions se
parcourt l’équateur d’un mouvement le slogan de France Inter était dans les
faisaient à la table de valeurs natu-
uniforme, le Soleil moyen définit le années 1960 : “1 852 m grandes ondes”
relles et à la calculatrice à 16 chiffres
GMT. Comme en astronomie, l’angle (1 852 m : chiffre déjà cité). Deuxième
Vaucanson. Dans les années 1970, appa-
horaire AH est nul quand le Soleil passe caractère : l’onde porteuse est modulée
rurent les calculatrices scientifiques (qui
au méridien, il faudrait changer de jour par la parole ou la musique. Les appa-
ne prennent pas toujours en compte les
au milieu de la journée (il est plus facile reils de mesure de distance émettent
décimales de la seconde) et maintenant
d’observer le Soleil le jour que la nuit !). une onde électromagnétique ou lumi-
nous avons les serveurs par le Net… Les
Pour éviter cela, il est créé le “Soleil neuse, onde modulée par un système
grades furent introduits au moment de
civil” (Sc) décalé de + 12 h. électronique piloté par des quartz  ;
la création du système décimal. (Le nom
l’ensemble permet les mesures avec la
“grade” est officiellement créé par le Le TU (UT en langage international)
précision donnée par les quartz.
décret du 1er août 1793 ; Delambre utili- est l’heure de passage, au méridien de
Longueur d’onde (λ) et fréquence (f)
sait parfois le terme “degré décimal”). Greenwich, du Soleil moyen plus 12 h =
sont liées par la formule λ x f = C, C
Lors de la mesure de leur méridien, Sc. Souvent confondus, GMT et UT
étant la vitesse de la lumière dans
Delambre et Méchain disposaient diffèrent donc de… 12 heures.
le vide : 300 000 km/s. (exactement :
chacun de deux instruments nouveaux :
UTC : la comparaison des résultats entre 299 792 458 m/s).
les cercles répétiteurs. Sur les quatre,
plusieurs observatoires dans le monde
trois étaient divisés en grades et un en
et maintenant avec les satellites (précis Principe du telluromètre
degrés. Pourquoi 400 grades et pas 100
à 1.10-14 s) définit UTC : “temps universel Le telluromètre émet une onde centimé-
ou 1 000 grades ? Probablement parce
coordonné”. (Le satellite “Pharo” aura trique modulée par une série de quartz. Il
que les deux unités grade et degré ont
une précision de 1.10-16 seconde, soit se compose de deux postes : le premier,
à peu près la même valeur ; comme
un écart d’une seconde au bout de… appelé “maître”(M) envoie un signal
les tables en grades n’existaient pas
300 millions d’années). au second appelé “répondeur” (R) ; le
encore, il leur fallait convertir les grades
L’équation du temps E(t) est définie par répondeur renvoie le signal modifié de
en degrés. Maintenant, nous profitons
la petite formule : E(t) = H du Sm - H du 1 kHz, le “maître“ compare le signal émis
du grade ou du gon…
Sv (H pour heure). et le signal reçu et affiche une distance. Il
Et l’unité le millième est instituée au
E(t) varie, approximativement, de faut connaître la distance à 15 km près.
moment de la sortie du canon de 75,
+ 15  min en février à – 15  min en Le premier quartz affiche la distance
en 1897. C’est une unité utile aux artil-
novembre ; elle est voisine de zéro aux entre 0 et 15 km ; le deuxième affiche
leurs car 1:1 000 correspond à un écart
changements de saison. entre 0 et 1 500 m ; le troisième entre
de 1 m à… 1 000 m.
0 et 150 m et le quatrième, qui permet
L’équipe de géodésie les mesures fines, entre 0 et 15 m. Ce
n TS GMT TU UTC quatrième quartz est à la fréquence
Rappel tout simple : laTerre tourne autour Je commence par résumer et énumérer étalonnée de 10 MHz, ce qui correspond
du Soleil ; vu de laTerre, c’est le Soleil qui les tâches à réaliser : à un trajet aller-retour de 30 m et donc, à
tourne autour de laTerre, mais pas réguliè- - mesurer l’angle du cheminement ; une distance mesurée de 15 m.

62 Revue XYZ • N° 171 – 2e trimestre 2022


Le maître M transforme le signal reçu
par un cercle qui se lit sur un petit tube
cathodique (en haut à gauche sur la
photo). Le signal émis par le répon-
deur se traduit par une faible coupure
sur ce cercle et correspond à la lecture.
La distance de 15 m se lit sur le cercle
gradué en 100 parties, donc la mesure
lue est connue à 15 cm. Le système est
conçu pour faire tourner l’image du
cercle dans quatre positions (analogie
avec “cercle gauche et cercle droit”)
et la moyenne des quatre lectures
donne la valeur de la mesure appelée
“mesure fine”. Cette mesure fine est
répétée une vingtaine de fois en modi-
fiant la fréquence fine ; la moyenne des
20  mesures fines donne la distance
mesurée, estimée à quelques cm.
Géodimètre et telluromètre vus du côté de l’observateur.
Le poste M affiche une distance qui est
fonction de l’indice de réfraction dans
l’air “n”; la distance est calculée par
D = C/n.
En réalité, on calcule un autre indice
N = (n-1).106 par des formules fonction
des trois éléments physiques : tempé-
rature sèche t, température humide t’ et
pression atmosphérique pa ; ces trois
éléments sont observés au minimum en
début et en fin de la mesure globale et
à chaque extrémité de la mesure. Mais
les ondes électromagnétiques sont très
sensibles aux conditions météorolo-
giques, surtout à la pression de vapeur
dans l’air calculée à partir de t’.

Voici un ordre de grandeur dans les


conditions du 12e parallèle (par forte
chaleur, en fin de mission). Si t varie
de ± 0,1 degré, N varie de 0,5 unité ; si Les appareils vus de face.
t’ varie de ± 0,1 degré, N varie d’une
unité ; si la pression atmosphérique
varie de 1/10 mm Hg (mercure), N varie
de 0,03 unité.

En résumé, le telluromètre permet de


mesurer la distance pour un indice
N = 325 ; puis il faut calculer la distance
corrigée à partir des éléments obser-
vés : t, t’ et pa.
Le telluromètre servait aussi à mesurer
la distance du repère d’azimut exigé aux
points astro, ainsi que la distance en cas
de rattachement au repère de nivelle-
ment par nivellement trigonométrique.
Il était aussi indispensable pour assurer
les liaisons radio entre les deux points
stationnés au moment des observations
zénithales réciproques et simultanées, La planche de 2,50 m avec les 27 prismes et le projecteur puis le telluromètre “répondeur”.

Revue XYZ • N° 171 – 2e trimestre 2022 63


TOPO VÉCUE

q ainsi que pour commander le déplace- Et pour être sûr de la précision de l’ins- (première mission) et le plus court de
ment des prismes pour la mesure avec trument, la fréquence du quartz des 5,160 km (4e mission est).
le géodimètre. En France, nous avions mesures fines était suivie en perma-
À remarquer page 63 : la planchette
essayé les appareils “ApolexTRPP1” qui nence pendant les observations : c’était
avec les deux thermomètres, le groupe
portaient jusqu’à 40 km, mais ils se sont la tâche du contrôleur américain qui
électrogène jaune de 110 V pour l’ali-
révélés limités à quelques km sur place. vivait en permanence avec l’équipe
mentation du géodimètre, la petite
Donc la liaison phonique par telluro- de géodésie, mais qui ne parlait pas
bouteille à droite avec… de l’essence.
mètre était indispensable. le français ; nous étions deux sur six à
Explication : plein, le réservoir ne tenait
Le telluromètre était rustique, alimenté échanger en anglais.
que pendant 50 min ; le géodimètre se
en électricité par une batterie de 6 V, Le principal avantage de la lumière est
stabilisait après 20 min environ et la
puis une boîte d’alimentation. Il suffi- que l’onde est beaucoup moins sensible
mesure durait au minimum 45 min. Si
sait de savoir changer des diodes et la à la pression de vapeur que l’onde
le groupe s’arrêtait, il fallait à nouveau
résistance de 4,7 kΩ de l’alimentation, radioélectrique. Il faut bien sûr appor-
attendre quelques minutes avant de
démonter et essuyer le klystron (l’émet- ter les corrections météorologiques,
reprendre les mesures. D’où la néces-
teur) puis le remonter, avoir un petit toujours fonction des températures
sité de remplir le réservoir pendant les
tournevis en buis pour corriger le cercle sèche et humide et de la pression
mesures. Le jerrican de 20 litres était
de lecture, etc. atmosphérique. Dans les conditions du
à plusieurs mètres ; une fois remplie,
12e parallèle, une variation de 1/10 de
la petite bouteille servait à compléter,
Principe du géodimètre degré sur t ou sur t’ fait varier N de 0,1 ;
avec un petit entonnoir, le réservoir du
Le géodimètre AGA 4D était l’appareil la variation de 1/10 de mm Hg, comme
groupe, celui-ci étant en fonctionne-
de mesure des grandes distances le plus pour le telluromètre, est de 0,03.
ment avec quelques vibrations. Comme
précis de son époque. L’émetteur était L’indice de base pour le géodimètre est
les observations se faisaient de nuit, il
une lampe à vapeur de mercure et le N = 308,6 et les formules de calcul sont
fallait penser à descendre à temps du
signal modulé par une série de quartz ; plus simples.
signal. Le sol était toujours éclairé, par
pour améliorer la précision, le signal Un côté était l’objet de quatre détermi-
une lampe à pétrole, puisque le contrô-
n’était plus sinusoïdal, mais devenu de nations dans les tolérances (au 1.10-6 D)
leur des fréquences observait en bas du
forme rectangulaire par une cellule dite réparties sur deux nuits.
signal (pas encore secouriste, je suivais
“de Kerr”. Le tout fonctionnait sous 500
déjà quelques notions de sécurité).
V et nécessitait donc un groupe électro- n Cas des premières mesures et
gène. La mission disposait de deux AGA quelques remarques Les photos sont prises au sol, pendant
4D et d’un groupe électrogène (de 110 V) Pendant les premiers côtés, les un étalonnage. Le géodimètre et les
fournis par les Américains. Le géodi- deux  températures (t et t’) étaient telluromètres étaient étalonnés au
mètre émet une lumière dans le spectre lues sur les thermomètres, selon la début de la mission et à la fin ; cela
visible à 550 Å (angströms), transmise méthode de l’IGN : à l’ombre d’une ne gâchait rien de vérifier pendant. Ici
par la lunette émettrice dirigée vers planchette, à au moins 1,50 m du sol n’était mesurée que la calibration : la
les prismes, lumière renvoyée par les si la station était au sol. Mais l’écart constante d’étalonnage. Dans le géodi-
prismes et reçue par le géodimètre de la mesure entre les deux appa- mètre, la lumière parcourait 3 cm dans
dans la seconde lunette (il faut que reils pouvait dépasser la tolérance les prismes et environ 20 cm dans les
les optiques des deux lunettes soient permise. Pour quelques côtés suivants, optiques émettrice et réceptrice. Dans
alignées). les mesures furent lues à la fois sur le telluromètre, le centre électroma-
Le premier quartz donnait la distance lue les thermomètres et sur les psychro- gnétique était le milieu de l’antenne. La
entre 0 et 2 000 m ; le deuxième, entre mètres. Surprise, les écarts étaient constante d’étalonnage est la correction
0 et 200 m, le troisième entre 0 et 20 m, plus conformes avec les températures qu’il faut apporter à chaque mesure,
le dernier entre 0 et 2 m. Ensuite, une du psychromètre. Donc, ces appareils c’est l’écart en cm entre le centre “élec-
“ligne à retard”, comme un rhéostat, furent toujours utilisés par la suite. Le tronique” et l’axe de fixation sur le
donnait le 1/100 soit 2 cm. La princi- géodimètre mesurait avec la précision support.
pale source d’imprécision provenait de du millionième soit ± 1 cm pour 10 km. Maintenant, il faut s’imaginer la plate-
cette ligne à retard. Pour y remédier, au Selon les spécifications techniques, forme hexagonale du signal, avec
lieu de mesurer l’appoint avec la ligne l’écart entre les mesures des deux 1,8 m entre les rambardes opposées.
à retard, on déplaçait les prismes pour appareils devait être inférieur à 10 cm Cette plateforme est occupée du côté
lire autour de l’origine de cette ligne à + 3.10-6 cm  ; sur place, les écarts furent des instruments par le matériel et deux
retard. Les 27 prismes coulissaient sur plus réduits, probablement après de personnes puis, du côté des prismes,
une planche en “T inversé” longue de nouveaux critères. par la planche de 2,5 m, le telluromètre
2,5 m et percée de trous repérés tous les Les spécifications imposaient des et une ou deux personnes, et toujours
10 cm. La mesure était répétée plusieurs distances comprises entre 5 et 40 km. la nuit… Sur un signal, le géodimètre
fois : autour du zéro de la ligne, en avan- Dans la pratique, la moyenne des devait être centré sur le plateau à
çant les prismes de 10 et 20 cm, en les distances fut autour de 15 km. Le l’aplomb du repère principal. Côté
reculant de 10 et 20 cm. plus long côté mesuré fut de 23 km “répondeur”, la planche de 2,5 m était

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posée sur la rambarde et elle aussi équipes de trois personnes ; pour que l’équipe de reconnaissance
centrée et alignée. Les telluromètres géodésie : six personnes IGN plus le fournisse la position et l’itinéraire d’un
étaient mis sur le plancher du signal contrôleur américain des fréquences nouveau point ; c’était indispensable
pour assurer la liaison radio. Pour les qui vivait en permanence avec l’équipe pour la coordination des trois équipes
mesures, les telluromètres étaient et qui ne parlait pas le français (entre d’observation et dans bien d’autres cas.
posés sur une planchette fixée sur la ceux qui ne parlaient pas l’anglais, Un peu avant 13 h, nous écoutions le
rambarde et alignés. Ils ne peuvent pas les échanges se faisaient par gestes “Jeu des mille francs”, relayé par Radio
être centrés, car cette rambarde aurait et mimiques), plus six aides africains Brazzaville. C’est ainsi que vers Pâques
perturbé la mesure. permanents. À l’époque, j’étais le plus 1967, nous avons écouté le jeu enregis-
jeune, affecté à l’équipe de géodésie tré à Noël 1966 ; ce jeu a bien changé
n Journée type qui comprenait, heureusement, quatre 55 ans après !
(une à deux fois par mois) : “vieux broussards”.
Quelques photographies, quelques
- a u lever du jour, nivellement de Travaux techniques
précision en partant du repère de 45 points en tout dont 23 points astro ;
souvenirs forcément personnels. q
nivellement pour rattacher le point du 32 signaux hauteur moyenne 14 m ;
cheminement le plus proche (astrono- maxi 23 m ;
mique ou géodésique) ; Distances mesurées :
- calculs dans la journée ; 46 au géodimètre totalisant 687 km ;
- départ vers 17 h des trois équipes : 81 au telluromètre pour 712 km ;
une au point “M” et deux à chaque en nivellement de précision : 25 km.
point “R” ;
Début de la mission
- mesure des distances zénithales “au
Nous sommes arrivés à Fort-Lamy
top” avec l’une, puis l’autre équipe
(ancien nom de N’Djamena) le
astro ;
13 décembre 1966, vers 4 h du matin ;
- mesure des deux distances au tellu-
j’ai conservé et retrouvé mon passe-
romètre ;
port  ! Quel dépaysement  ! Certains
- observation des seize couples à la
avaient quitté Paris fin novembre pour la
station ;
base logistique IGN de Bangui. Leur rôle
- mesure des deux distances au géodi-
consistait à transporter le matériel de Capitaine (pêché dans le lac Fitri ?).
mètre ;
campement, acheminer les véhicules et
- retour au camp vers 23 heures pour
autre matériel de Bangui à Fort-Lamy et
le dîner.
à recruter une partie du personnel local.
Si deux points géodésiques se
Après quelques courtes nuits dans la
suivaient, l’équipe devait mesurer
capitale, le convoi est parti pour Abéché,
les deux angles horizontaux, les trois
800 km en convoi, Noël à Abéché, puis
mesures zénithales et les trois distances
direction Adré, à la frontière Tchad-
(exemple sur le schéma de la 4e mission
Soudan, pour le début des travaux.
ouest, à la fin).
Toutes ces opérations étaient quand Les liaisons radio entre les équipes
même le plus souvent étalées sur Chacune des cinq équipes disposait
plusieurs jours, fonction de l’avance- d’un émetteur-récepteur, le bon vieux
ment des trois équipes d’observation ANGRC9. L’indicatif était “TSU” (Tango
et du changement de camp (l’indépen- Sierra Uniform) suivi de trois chiffres
dance dans l’interdépendance, bis). (par exemple 270) dont le dernier
correspondait à une équipe. La liaison
n Première mission Tchad commençait vers midi. C’était le moyen
Belle tortue de sable.
(décembre 1966 à mai 1967)
Résumé en quelques chiffres
Composition : vingt-deux personnes ;
commandement (J. Desudde)  :
quatre  personnes plus un ou deux
Américains ;
Michel Louis, chef des travaux spéciaux,
est venu pendant deux ou trois
semaines pour aider à la mise en route
de la mission ;
reconnaissance et construction  : Le départ en convoi : 8 camions PL (T46 et T55) ; 8 PL légers ; 6 Land Rover Diesel, non
six  personnes  ; astronomie  : deux visibles.

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TOPO VÉCUE

n Petits incidents techniques frais, car le lendemain il nous a laissé


Le contrôleur américain a eu des deux caisses de bières sur les quatre
ennuis avec son matériel électro- qu’il rapportait pour lui !
nique, ce qui a pénalisé l’avancement Deux ou trois membres de la mission,
pendant deux ou trois semaines que dont moi, avaient apporté leur fusil de
l’équipe de géodésie a dû rattraper. chasse ; en plus du plaisir, c’était un
Quelques semaines après, il a voulu complément de viande fraîche, partagé
aussi vérifier la fréquence fine du tellu- entre les équipes. Mon fusil, calibre 16,
romètre maître M1, il l’a déréglé ! Ce (cadeau de mes 16 ans, fils de cultiva-
qui a “entraîné une modification de teur…) était suffisant pour atteindre les
la fréquence, le rendant inutilisable pintades qui sortaient de la brousse à
pendant plus de quinze jours”; (écrit la tombée du jour et se perchaient dans
dans le rapport de fin de mission). À les arbres. Touchées, elles tombaient à
Saint-Mandé, le problème aurait été terre et couraient quand même, il fallait
vite réglé  : le laboratoire était relié les rattraper après une petite course, à
directement à l’Observatoire de Paris la grande joie des enfants africains aler-
par un signal de 1  000  Hz (avec la tés par le bruit. Côté culinaire, nous ne
précision de 1.10-6 seconde ou mieux). mangions que les filets ; trop coriace
Le frigo africain (viande boucanée).
Sur place, après quelques jours, j’ai du reste ! Je ne préfère pas évoquer les
Exemples d’hébergement trouvé une solution : aligner le répon- autres petits gibiers…
deur R1 sur le second maître M2, en
Nous changions de camp deux fois
bon état, sur une fréquence intermé-
plus que les équipes d’astronomie ; le
diaire, puis échanger le M2 par le M1
déménagement était devenu un rituel.
en respectant le centrage, puis aligner
Au sommaire : ranger le matériel tech-
M1 sur R1. Bien que plus compliquée
nique et les imprimés ; démonter les
à exécuter qu’à écrire, cette méthode
tentes  ; charger les véhicules et en
a fonctionné, l’indisponibilité n’a duré
dernier, arrêter le frigo à pétrole, puis
que quinze jours !
déplacement au point suivant. Une fois
l’emplacement choisi, le premier travail
n Quelques anecdotes
était de remettre en marche le frigo puis
Fin mars, nous avons dû stationner
de monter le nouveau camp, pour treize
une semaine autour d’un point d’eau
personnes avec le personnel africain
qui s’est révélé contenir beaucoup
de l’équipe (6 + 1 + 6). Il fallait être très
de natron et qui, malgré le passage
méticuleux pour s’occuper du frigo, des
plusieurs fois dans les filtres Esser,
filtres Esser, des batteries, etc., c’était le
malgré les pastilles de chlore, a soulagé
rôle de Marcel et j’ai eu rapidement sa
nos intestins ! Un Français, que nous
confiance !
avions connu à Abéché, revenant de la
capitale, s’est arrêté une nuit à notre À force de manipuler les thermomètres,
camp. Nous ne devions pas être très j’étais devenu (un peu) maniaque. Voici
À partir de mars : campement collectif,
sous les moustiquaires pour la fraîcheur  
la nuit et contre les mouches la journée
(la petite tente verte est celle du
contrôleur américain).

Notre gîte rural au point 42, le bureau est


en haut à gauche, les “chambres” sont Dans le lac Fitri (entre Fort-Lamy et Abéché). Le fut de 200 l sur la Land n’est pas encore
sous l’arbre (début mars 1967). Ces cases plein. On devine la gourde pendue à la portière. Nous n’avons rencontré que deux lacs,
étaient abandonnées. l’autre était beaucoup plus petit ; il ne faut pas croire que c’était pareil partout !

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quelques températures vers la fin, en
avril et mai. Nous commencions un
peu avant la tombée de la nuit par les
distances zénithales puis le telluro-
mètre : le thermomètre affichait dans les
37° et baissait un peu la nuit. Les midis,
je surveillais les 45°, mais le thermo-
mètre s’arrêtait toujours à 44° (à l’ombre
évidemment).

En fin de mission, la pluie apparaissait


l’après-midi. La première fois, comme
dans les films, nous en avons profité,
mais pas longtemps, car la température
était descendue à 24° ; il fallut se couvrir.
Un midi, j’ai relevé la température d’un
Ricard qui paraissait glacé : 20° ; cela
Scènes autour de l’eau (et ce ne sont pas
des histoires).
montre que le frigo à pétrole (qui n’était
En haut : Abéché, 26 12 1966 - à droite :
pas un Frigidaire, mais un Ignis, belles
Ati, début mars 1967.
initiales !) produisait bien des glaçons.

La boisson majoritaire était quand


même l’eau. Les "anciens" m’avaient
appris le principe de la gourde de
deux litres : une bouteille en verre d’un
litre entourée par une serpillère, une
seconde identique, puis les deux entou-
rées encore par une grande serpillère.
La gourde était plongée dans de l’eau
quelques minutes, puis suspendue toute
la nuit à une branche ou bien accrochée
à la portière du véhicule, avec le dépla-
cement, l’évaporation produisait de la Les premiers aides africains.
fraîcheur. Je n’ai pas pris la tempéra- En plus des boissons alcoolisées habi-
ture, mais si la boisson à 20° paraissant tuelles disponibles dans la capitale, on
glacée, celle de la gourde devait être buvait aussi du vin et le seul qui résis-
autour de 30°. Pour éviter d’étancher la tait aux fortes températures était le
soif à la tombée du jour, le seul moyen Nabao, vin portugais qu’il fallait couper À cette époque, la sécheresse commen-
était d’appliquer la règle du randon- avec de l’eau. Ce vin était vendu en çait à apparaître dans les zones
neur : boire avant d’avoir soif (plusieurs bonbonnes de 10 ou 20 litres, attention sahéliennes. Deux anciens étaient
litres par jour, avec ou sans Antésite). à ne pas les casser ! dans le Tibesti, au nord du Tchad, vers
la frontière libyenne, dix ans aupara-
vant. Ils racontaient ne pas avoir eu de
problème d’eau. Nous, nous pouvions
nous déplacer vers un puits ou vers un
petit lac comme le Lac Fitri. Un fut de
200 litres et d’autres de 50 litres à l’ar-
rière de la Land Rover étaient remplis
avec des seaux.

Retour sur Paris le 10 mai 1967. l

Rendez-vous au XYZ 172


pour la deuxième partie
couvrant les années 1968 à 1970.

Contact
Jean-Claude LEBLANC
L’équipe de géodésie en fin de mission, à Massaguet (100 km de Fort-Lamy). Au bureau. jc.leblanc@orange.fr

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