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Note sur l’Instruction en Famille

Problématique :

Le Président de la République a annoncé vouloir restreindre la liberté en matière d’instruction en


famille dans le cadre d’un politique de lutte contre les séparatismes ou « confortant les principes
républicains ».

Les organisations de familles pratiquant cette instruction manifestent leur opposition à cette décision
politique et leur attachement à cette liberté. Elles font valoir l’inscription de cette liberté dans le
corpus des textes juridiques de référence.

La décision politique

Au nom de la lutte contre les « séparatismes », le Président de la République souhaite éliminer le


risque de sectarisme et d’endoctrinement islamiste des enfants en restreignant, pour tous, la liberté
d’instruire en famille.

Cette décision pose plusieurs questions :

- Efficacité : Est-ce que l’instruction en famille est une source significative dans les
phénomènes de radicalisation islamiste ?
- Justice : Est-ce que la mesure de restriction de liberté est proportionnée ? Est-ce qu’elle est
conforme aux principes juridiques ? Est-ce qu’elle respecte le principe d’équilibre bénéfices /
risques ?
- Politique : Cette restriction de liberté s’inscrit dans une séquence historique (état d’urgence
terroriste, état d’urgence sanitaire, absence de base sociale de la majorité présidentielle,
répression et violences policières,…), de ce point de vue, participe-t-elle à un glissement
autoritaire ?

Le projet de loi sera présenté le 9 décembre au Conseil des ministres

Le contexte des textes de référence

La liberté concernant le choix de l’éducation revenant en priorité aux parents est inscrite dans la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 à l’article 26. Ce texte est déclaratif et n’a
pas d’opposabilité juridique.

1. Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être


gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement
élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est
obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être
généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en
pleine égalité à tous en fonction de leur mérite.
2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la
personnalité humaine et au renforcement du respect des droits
de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la
compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations
et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le
développement des activités des Nations Unies pour le maintien
de la paix.
3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre
d'éducation à donner à leurs enfants.

L’article 2 du protocole 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, dite « Convention de


sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales » prévoit que l’Etat respecte le
droit des parents d’assurer l’éducation. Ce texte a force de norme juridique.

Article 2 – Droit à l'instruction


Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'Etat, dans
l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de
l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents
d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à
leurs convictions religieuses et philosophiques.

La Convention Internationale des droits de l’enfant (CIDE) pose un principe fondateur : le respect de
l’intérêt supérieur de l’enfant (article 3).

Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles


soient le fait des institutions publiques ou privées de protection
sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des
organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une
considération primordiale.
La CIDE évoque bien sûr l’éducation, en ses articles 28 et 29, l’article 29 fixe les objectifs de
l’éducation :

Article 29 :
Les Etats parties conviennent que l'éducation de l'enfant doit
viser à :
a) Favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et
le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et
physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;
b) Inculquer à l'enfant le respect des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la
Charte des Nations Unies ;
c) Inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de son identité,
de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect
des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel
il peut être originaire et des civilisations différentes de la
sienne ;
d) Préparer l'enfant à assumer les responsabilités de la vie dans
une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de
tolérance, d'égalité entre les sexes et d'amitié entre tous les
peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les
personnes d'origine autochtone ;
e) Inculquer à l'enfant le respect du milieu naturel.
2. Aucune disposition du présent article ou de l'article 28 ne
sera interprétée d'une manière qui porte atteinte à la liberté des
personnes physiques ou morales de créer et de diriger des
établissements d'enseignement, à condition que les principes
énoncés au paragraphe 1 du présent article soient respectés et
que l'éducation dispensée dans ces établissements soit conforme
aux normes minimales que l'Etat aura prescrites.
La CIDE a aussi une valeur de norme juridique.

Mesure efficace pour le problème ciblé ?


Une communication des organisations de l’IEF expose les points suivants :

- Aucun autre pays observant la liberté d’instruire en famille ne la considère comme


dangereuse
- L’examen des auteurs d’attentat montre qu’aucun n’a été instruit en famille
- Le contrôle de l’IEF est suffisamment efficace pour détecter et traiter les dérives sectaires
apparaissant au sein de l’IEF.
- De l’avis des autorités de l’Education Nationale, « l’IEF ne pose pas de problème dans 99%
des cas » (déclaration du directeur du rectorat sur le plateau de France 3).
- L’IEF ne concerne « que » 50 000 enfants.

En résolution de problème, on s’attache à mesurer le problème, à en chercher les causes et les


conditions d’émergence et ensuite à établir un plan d’actions suivant une logique d’efficacité comme
le principe de Pareto, par exemple. L’IEF n’est manifestement pas dans les 20% de causes permettant
de résoudre 80% du problème…

Le contrôle effectué actuellement sur l’IEF est de 2 ordres :

- Social, sous la responsabilité du Maire de la commune,


- Pédagogique, sous la responsabilité de l’Académie

Le contrôle social vise à vérifier si les parents respectent les textes fondamentaux et les lois
protégeant l’enfant, autrement dit si l’enfant n’est pas en danger manifeste.

Le contrôle pédagogique vise à vérifier non pas le respect du programme scolaire mais la qualité
académique des enseignements, la progression dans l’acquisition des savoirs et des savoir-faire et
l’atteinte du « tronc commun » à l’âge de 16 ans.

Ces contrôles s’effectuent au moins une fois par an.

En cas de problèmes majeurs, les inspecteurs peuvent émettre une injonction de scolarisation.

L’arsenal législatif, réglementaire et administratif est donc suffisant.

De l’avis des inspecteurs que j’ai eu à rencontrer lors de ma propre pratique de l’IEF, la qualité des
contrôles est davantage affectée par un manque de moyens matériels et humains.

Pour s’éviter d’investir dans des moyens supplémentaires, faut-il retirer une liberté à tous ?

Les motivations de l’Instruction En Famille

Les motivations des familles à choisir ce mode d’instruction est de différents ordres :

- Pratique : le mode de vie choisie par la famille peut rendre l’Instruction En Famille plus
adaptée : voyage au long court, nomadisme choisi, mobilité professionnelle fréquente et
lointaine, …
- Pédagogique : les particularités de l’enfant peuvent amener les parents à prendre cette
décision à défaut d’autres solutions satisfaisantes : harcèlement, phobie scolaire,
malveillance institutionnelle, haut-potentiel, hyper-sensibilité, handicap, inadaptation
temporaire, décrochage scolaire…
- Philosophique / politique : les parents jouissent de la liberté de conscience, ils peuvent faire
l’analyse que l’Etat ne respecte pas les objectifs de l’éducation, notamment ceux inscrits à
l’article 29 de la CIDE. S’ils s’en sentent capables et qu’ils en acceptent l’engagement, ils
choisissent d’instruire leurs enfants selon des principes, une méthodologie et des pédagogies
qu’ils estiment meilleurs pour l’enfant et surtout plus respectueuses de la construction de sa
personnalité, du développement de sa citoyenneté, de son intégrité psychologique et
psychique.

Ce dernier aspect est important, il donne corps à la liberté de conscience. Que reste-t-il de cette
liberté s’il devient impossible d’organiser sa vie selon les valeurs et les principes que génère la
conscience de l’individu ?

Les bienfaits sociétaux de l’IEF

La formation d’égaux

L’IEF n’est pas un séparatisme, bien au contraire. Les familles choisissent ce mode éducatif pour être
au plus près des besoins de l’enfant. Dans ces besoins, il y a le besoin de relations sociales. Les
enfants en IEF participent généralement à beaucoup d’activités collectives, leur problème est plutôt
inverse : l’offre n’est pas assez développée pour eux ! Les activités sont généralement concentrées
sur le mercredi après-midi, les soirs et les week-ends puisqu’elles sont calées sur le rythme scolaire.
Ce besoin des enfants et la pédagogie expériencielle choisie par les parents provoquent bien plus de
relations sociales qu’on pourrait l’imaginer. Les enfants en IEF rencontrent ainsi beaucoup d’enfants
mais aussi d’adultes, en dehors de relations hiérarchiques, ce qui développe chez eux le principe
républicain d’Egalité. Ils se sentent des égaux aussi bien avec les adultes qu’avec les autres enfants.

Un coût nul

Les parents assument tous les frais de l’IEF. Contrairement à l’enseignement privé qui capte une
partie des finances publiques, l’IEF ne coûte rien à la collectivité et ne porte aucun préjudice en la
matière à l’Ecole Publique. Les parents assument les coûts pédagogiques, matériels, logistiques, …
Aucune aide ne vient les soutenir dans leur œuvre d’instruction. En ce sens, les 50 000 enfants en IEF
sont même une source d’économie pour l’Etat.

La résilience

L’IEF développe la capacité de la communauté nationale à faire face à ses enjeux éducatifs. En
permettant, par cet espace de liberté, des expériences, des expérimentations, la collectivité se
réserve des capacités d’adaptation, d’innovation.
Les espaces de liberté dans les organisations permettent d’aborder les problématiques
différemment, par d’autres angles de vue, avec d’autres grilles d’analyse et d’autres concepts
culturels d’efficacité et de réussite. Ils rendent les systèmes agiles.
Ils permettent aussi l’existence d’une critique interne nécessaire à la construction d’une vision claire
et d’une analyse contradictoire à la recherche de l’objectivité.

L’IEF est une source de critique sociale, d’expérimentation et d’innovation nécessaire à la santé
politique et sociale de toute la société.

Des individus libres et citoyens

C’est une grande motivation des familles en IEF : la liberté. Faire de leurs enfants des individus libres,
autonomes, capables de se construire des savoirs et des savoirs-faires. L’intention des parents est
que leurs enfants s’occupent d’abord de savoir qui ils sont, avant de se conformer à la commande
sociale, culturelle ou institutionnelle. L’intention des parents est d’accompagner leurs enfants pour
qu’ils soient et demeurent maître de leur destin.

Les enseignements en IEF abordent les problèmes qui traversent la société : économie, politique,
social, environnement… Comme la pédagogie en IEF est fortement basée sur l’expérience, le contenu
s’adapte aux intérêts et aux interrogations de l’enfant au moment où ils se manifestent. Les enfants
en IEF sont initiés ainsi à la citoyenneté.

Une solution adaptée aux enfants inadaptés au format scolaire

L’IEF est une solution adaptée, temporaire ou au long terme, pour des enfants en difficulté avec le
milieu ou le format scolaire. C’est un outil permettant d’éviter le décrochage scolaire, par le fait de
prodiguer à un moment stratégique du développement de l’enfant, l’attention et le soin nécessaire à
un enfant en rupture de confiance avec l’école pour des raisons multiples : harcèlement,
hypersensibilité, haute-potentialité, hyperactivité, conflit avec l’enseignant, … L’IEF soulage ainsi
l’Education Nationale en proposant une solution différente et en prenant en charge ces particularités
difficiles.

Les risques sociaux de l’IEF

L’IEF n’est évidemment pas sans risque. Le premier d’entre eux est le risque sectaire qui se traduit
par un isolement social de l’enfant et un enseignement non académique (par exemple sur
l’évolution, l’origine de l’humanité, la lecture de l’Histoire ou encore la forme de la Terre… ). Grâce
aux contrôles ce risque est identifié, mesuré et circonscrit. Il peut être surveillé et traité par
l’injonction de scolarisation. Ce risque se retrouve dans les milieux religieux traditionnalistes,
fondamentalistes ou intégristes.

Un autre risque porte sur l’incapacité des parents. Les parents peuvent avoir une vision erronée de
leur propre capacité non pas à enseigner (personne ne peut savoir tout sur tout) mais à accompagner
l’enfant dans la construction de ses savoirs et savoir-faire pour qu’il atteigne le tronc commun à ses
16 ans. Il peut ainsi naître un risque de négligence par surestimation de ses capacités ou parti-pris
pédagogique irresponsable. Ce risque se caractérise par un retard dans des capacités fondamentales
qui handicape l’enfant dans son développement et son intégration sociale (lire, écrire, compter, …).
Ce risque est facilement réversible en accompagnant les parents dans leurs responsabilités.

Parfois les convictions libertaires et/ou les expériences traumatiques des parents sont si fortes que
les parents eux-mêmes peuvent être en rupture avec l’institution ou l’Etat plus globalement. Ce
risque est très localisé et n’a que peu d’influence sur la société. Les contrôles peuvent ainsi se
compliquer en devenant conflictuels et / ou en présence de conseillers juridiques. Ce risque porte
surtout sur l’expérience traumatique vécue par l’enfant lors des contrôles.

Conclusion

La restriction de la liberté d’instruire en famille semble inefficace voir contre-productive en matière


de lutte contre les « séparatismes ».

Les mesures de type « punition collective » sont disproportionnées et injustes par nature. La mesure
contrevient à l’esprit des textes fondamentaux de notre civilisation humaniste.

L’attaque de cette liberté est une erreur politique dans la mesure où

- elle dirige la société vers un régime plus rigide, autoritaire,


- elle prive la collectivité nationale d’une source de résilience,
- elle ajoute de la difficulté à une Education Nationale déjà en souffrance.

Protéger la liberté d’instruire en famille n’est pas un parti-pris pour l’IEF et contre l’Education
Nationale. C’est la protection de la liberté de conscience et de son effectivité. C’est assurer une
diversité éducative, utile non seulement à l’exercice du libre choix mais aussi à la résilience de la
société.
En matière d’Instruction En Famille, pour servir les objectifs poursuivis par le Président de la
République, il est préférable d’améliorer les moyens matériels et humains alloués au contrôle et à
l’accompagnement des familles en IEF.

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