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Par
Dr Amos MAURICE
Professeur de droit public
Docteur en droit public
Consultant juridique
Le Code d’Ur-Nammu
Le Code d’Ur-Nammu, Texte juridique, écrit sous le règne d'Ur-Nammu, roi de la IIIe
dynastie d'Ur, qui devait comporter une trentaine d'articles. 1re tablette découverte en
1902. - Tablette : Istanbul arkeologi müzeleri (Ni. 3191, copie du milieu du XVIIIe s. av.
J.-C., fragmentaire). - Connu par d'autres fragments moins importants dont Si. 277
Le premier code de Loi identifié venant de Mésopotamie est le code d’Ur-nammu
(2.112 av. J-C). Ce code de Loi est construit en trois parties : un hommage à la royauté
divine, suivi du corpus législatif et un épilogue sur la sagesse du roi. Dans le corpus
législatif proprement dit, les textes commencent par la condition « si » et énoncent
ensuite la protase, autrement dit la solution juridique : « si un homme commet un
homicide, on tuera cet homme », ou encore : « si un fils a frappé son père, on lui
coupera le poignet », une réciprocité entre le crime et la peine qui rappelle la Loi du
talion (du mot latin talis, « tel » ou «pareil »).
« Le code d’Ur-Nammu, roi d’Ur Ur-Nammu, le grand guerrier, roi d’Ur, de Sumer et
d’Akkad, par la toute-puissance du dieu lune Nanna, seigneur de la ville, par la volonté
du dieu soleil Utu, a établi l’égalité des droits sur ses terres. Il repousse les
malédictions, la violence et les guerres. Il a fixé les offrandes* du temple à 5000 kilos
d’orge, 30 moutons et 23 kilos de beurre par mois. Il a déterminé les unités de mesures
et de poids et la valeur de l’argent. »
Extrait du code d’Ur Nammu
« Quand le monde eut été crée et que le sort de Sumer et de la cité d’Ur eut été décidé,
les deux principaux dieux sumériens, nommèrent roi d’Ur le dieu de la lune, Nanna.
Celui-ci à son tour choisit Ur-Nammu comme son représentant terrestre pour
gouverner Sumer et Ur. Les premières décisions du nouveau chef eurent pour objet
d’assurer la sécurité politique et militaire du pays. Il jugea nécessaire d’entrer en conflit
avec l’Etat voisin de Lagash qui commençait à s’accroître aux dépens d’Ur. Il vainquit
son souverain, Namhani, et le mit à mort, puis, fort de l’aide de Nanna, roi de la cité, il
rétablit les frontières primitives d’Ur ».
« Si un homme commet un meurtre, cet homme doit être tué.
Si un homme commet un vol, il sera tué.
Si un homme commet un enlèvement, il est emprisonné et doit payer 15 shekels
d'argent.
Si un esclave épouse une esclave et que ce dernier est libéré, il ne quitte pas la
maisonnée.
Si un esclave épouse une personne de souche (c'est-à-dire libre), il devra laisser son
premier fils né à son maître.
Si un homme viole le droit d'un autre et dépucelle la femme vierge d'un jeune homme,
on peut tuer cet homme.
Si la femme d'un homme fréquente un autre homme et celui-ci couche avec elle, on
peut tuer cette femme mais cet homme peut être libéré. »
Le code de Lipit-Ischtar
Le Code de Hammourabi
Sur la stèle de 2,50 mètres de haut où s’inscrit le code d’Hammurabi (1.750 av. J-C),
le code de loi le plus complet qui ait été retrouvé, figure en épilogue, gravé dans le
basalte, un autre esprit de loi : « que le fort n’opprime pas le faible » !
Cependant, (v. Le Parisien) « Le droit mésopotamien est surtout connu du néophyte
par le fameux Code d'Hammurabi. Celui-ci, avec les autres textes provenant de
Mésopotamie et qui lui sont apparentés (comme le Code d'Ur-Nammu, le plus ancien
du genre retrouvé, ou bien les Lois assyriennes), ne représentent qu'une petite partie
des sources nous informant sur le droit dans cette région. Il s'agit d'ailleurs de recueils
de sentences ayant vocation à servir de sortes de traités juridiques, plus que de codes
juridiques au sens moderne du terme.
La majeure partie de nos sources écrites sur le droit mésopotamien sont les très
nombreux actes légaux retrouvés dans les différents sites de la région des deux-
fleuves, auxquels peuvent être ajoutés ceux retrouvés ailleurs dans le Proche-Orient,
depuis Suse jusqu’à Alalakh et Ougarit. Il s'agit d'actes de prêts (contrat de base, le
plus courant, et duquel sont inspirés les autres contrats, au moins pour leur formulaire),
d'achats/ventes/locations de biens immobiliers, d'animaux ou d'esclaves, de contrats
de mariage ou d'adoption, d'affranchissement, de contrats de société (commerciaux
surtout), et aussi de compte-rendu de procès. Retrouvés sur un grand espace
géographique, et sur une très grande période (depuis le XXIe siècle av. J.-C. jusqu’à
la seconde moitié du Ier millénaire av. J.-C.), ils nous présentent des situations variées,
et de nombreux aspects juridiques. Ainsi, chaque lieu développe à une période donnée
un type de formulaire récurrent pour la rédaction d'un acte juridique précis. On peut
néanmoins relever des similitudes entre les différentes périodes attestées, témoignant
d'un même fonds juridique.
Au-delà de l'aspect légal, ces documents permettent d'entrevoir, comme peu d'autres
documents cunéiformes, la vie quotidienne des Anciens mésopotamiens. On peut,
grâce à ces textes analyser les institutions, les rapports sociaux, les pratiques
agricoles, artisanales ou commerciales, etc.
A la différence de l’Égypte, la Mésopotamie, Babylone a fourni une documentation
juridique considérable, qui s'échelonne sur une période aussi longue que celle de
l'histoire de l'Égypte ancienne. Ce droit, conservé par des textes en écriture
cunéiforme, est pour cette raison souvent appelé « droit cunéiforme ». L'aire
géographique du droit cunéiforme dépasse d'ailleurs très largement la Babylonie et
même la Mésopotamie. Elle s'étend jusqu'à l'Asie Mineure et aux côtes orientales de
la Méditerranée. Par suite du hasard des fouilles, notre information est très inégale
selon les régions et les époques. La Mésopotamie et surtout Babylone bénéficient, ici,
d'une situation privilégiée.
On dispose en effet pour Babylone et, de façon plus limitée, pour certaines cités de la
basse Mésopotamie de deux catégories de documents juridiques : des textes
législatifs qualifiés traditionnellement, mais un peu abusivement, de codes (fragments
du « code » d'Ur-Nammu, fondateur de la IIIe dynastie d'Ur vers 2080 ; fragments de
la législation de la ville d'Ešnunna, vers 1950-1900 ; fragments du « code » de Lipit-
Ištar, roi d'Isin vers 1875, et surtout stèle du Louvre conservant le « code »
d'Hammourabi, 1728-1686) et d'innombrables tablettes dont le déchiffrement est loin
d'être achevé, et qui font connaître des actes de la pratique, ventes, donations,
contrats de prêt, de louage, décisions judiciaires. Cette documentation se poursuit,
non sans lacunes, depuis la 1ère dynastie babylonienne (1810 env.) jusqu'au Ve siècle
avant notre ère. Elle témoigne, compte tenu d'inévitables différences de détail au cours
de cette longue période, d'une remarquable stabilité de l'organisation sociale et des
règles de droit.
Les rois législateurs (Ur-Nammu, Lipit-Ištar, Hammourabi) invoquent le patronage
des dieux. Il est possible que, dans la conception la plus ancienne, la loi soit ap [...]
Premier texte de droit civil et commercial à Babylone, en Mésopotamie
Haute stèle de basalte noir gravée d'un texte et surmontée d'un bas-relief, découverte en
1901, le Code d'Hammourabi est un des premiers témoignages des capacités législatives
des sociétés humaines. Il fut réalisé sous le règne d'Hammourabi, roi de Babylone, en
Mésopotamie. Il contient 282 lois, qui couvrent à peu près tous les champs de la vie
courante de la société babylonienne de l'époque. Ce traité juridique, de droit civil et
commercial, servit de modèle aux écoles de scribes qui le recopièrent pendant plus de mille
ans.
Le Code de Hammurabi, roi de Babylone, est l'emblème de la civilisation mésopotamienne. La
haute stèle de basalte érigée par le roi de Babylone au XVIIIe siècle (1792-1750) av. J.-C. est
une œuvre d'art, un ouvrage historique et littéraire et le recueil juridique le plus complet de
l'Antiquité, antérieur aux lois bibliques. Transporté par un prince du pays voisin d'Élam en Iran,
au XIIe siècle av. J.-C., le monument fut exposé sur l'acropole de Suse au milieu d'autres
chefs-d’œuvre mésopotamiens prestigieux.
Cette stèle de basalte a été érigée par le roi Hammurabi de Babylone (1792-1750 av. J.-C.)
probablement à Sippar, la ville du dieu-soleil Shamash, divinité de la Justice. D'autres
exemplaires de ce monument, qui s'inscrit dans une tradition, étaient déposés dans les villes
de son royaume. Deux compositions juridiques sumériennes, celles du roi Ur-Namma d'Ur
(vers 2100 av. J.-C.) et de Lipit-Ishtar d'Isin (vers 1930 av. J.-C.), précèdent l'œuvre de
Hammurabi. Recueil juridique le plus important du Proche-Orient ancien puisqu'il a été rédigé
avant les lois bibliques, le code se définit comme l'aboutissement de ces essais. Le texte, qui
occupe la majeure partie de la stèle, constitue la raison d'être du monument. La scène figurée
qui le domine représente le roi recevant l'investiture de Shamash. Remarquable par son
contenu juridique, cette œuvre est aussi une source exceptionnelle pour notre connaissance
de la société, de la religion, de l'économie et de l'histoire événementielle de cette époque.
Le texte du Code, rédigé en écriture cunéiforme et en langue akkadienne, se divise en trois
parties :
- un prologue historique relate l'investiture du roi Hammurabi dans son rôle de "protecteur du
faible et l'opprimé", ainsi que la formation de son empire et ses réalisations ;
- un épilogue lyrique résume son œuvre de justice et prépare sa perpétuation dans l'avenir ;
- ces deux passages littéraires encadrent près de trois cents lois ou décisions de justice, se
référant à la réglementation de la vie quotidienne dans le royaume de Babylone. La partie
légale reflète la langue quotidienne ; l'écriture est ici simplifiée, car le roi voulait qu'elle soit
comprise par tous. Par contre les décisions de justice sont toutes construites selon la même
structure : une phrase au conditionnel énonce un problème de droit ou d'ordre social ; elle est
suivie d'une réponse au futur, sous forme de sanction pour le fautif ou de règlement d'une
situation : "si un individu a fait telle action, il lui arrivera telle chose".
Regroupés en chapitres, les sujets abordés couvrent les droits pénal et civil. Les plus
importants concernent la famille, l'esclavage, le droit professionnel et commercial, agricole et
administratif. Des mesures économiques fixent les prix et les salaires. Le chapitre concernant
la famille, fondement de la société babylonienne, est le plus important : il traite des fiançailles,
du mariage et du divorce, de l'adultère et de l'inceste, des enfants, de l'adoption et de l'héritage,
des devoirs de la nourrice. Les cas sont abordés sous tous leurs aspects, ce qui permet de
réunir le plus grand nombre possible d'observations.
Le Code de Hammurabi a d'abord une valeur de modèle, en tant que traité de l'exercice du
pouvoir judiciaire, écrit selon l'optique de la science mésopotamienne qui ne s'élève jamais du
particulier au général. L'observation de plusieurs cas semblables ne donne pas lieu à l'énoncé
d'un principe général et universel, c'est-à-dire à une loi. Il ne s'agit pas en effet d'un code de
lois dans le sens où nous l'entendons aujourd'hui, mais plutôt d'un recueil de jurisprudences.
Les contradictions et illogismes que l'on peut relever (deux cas semblables entraînant des
résultats différents) s'expliquent par le fait qu'il est ici question de jugements particuliers dont
on a enlevé les éléments trop intimes, par exemple le nom des protagonistes. Parce qu'en
Mésopotamie la justice était une prérogative royale, Hammurabi présente un choix des
décisions de justice les plus sages qu'il a dû prendre lui-même ou ratifier.
Mais, plus qu'un simple instrument d'éducation, cette stèle est bien un code des règles et
prescriptions établies par une autorité souveraine et donc un code de lois. Il ne comporte pas
seulement une liste d'arrêts de justice, mais aussi un catalogue des villes et territoires annexés
au royaume de Babylone. La stèle de son roi Hammurabi se veut le bilan d'un des règnes les
plus prestigieux de l'ancienne Mésopotamie. Écrite dans les dernières années de la vie du
souverain, elle est un testament politique destiné aux princes à venir auxquels elle propose
comme modèle un idéal de sagesse et d'équité. Le Code servit en effet de modèle littéraire
pour les écoles de scribes qui le recopièrent pendant plus de mille ans.
Texte 2 : Extrait du code de Hammourabi
§ 1. Si un homme a incriminé un autre homme, et a jeté sur lui un maléfice, et ne l’a pas
convaincu de tort, celui qui l’a incriminé est passible de mort.
§ 2. Si un homme a jeté un sort sur un autre homme, et ne l’a pas convaincu de tort, celui sur
qui a été jeté le sort ira au fleuve, et se plongera dans le fleuve ; si le fleuve s'empare de lui,
celui qui l’a incriminé prendra sa maison; si le fleuve l’innocente et le garde sauf, celui qui a
jeté le sort sur lui est passible de mort; celui qui s'est plongé dans le fleuve prendra la maison
de celui qui l'avait incriminé.
§ 3. Si un homme, dans un procès, s'est levé pour un témoignage à charge, et s'il n'a pas
justifié le propos qu'il a tenu, si cette cause est une cause de vie (ou de mort), cet homme est
passible de mort.
§ 4. S'il s’est levé pour un (tel) témoignage (en matière de) blé ou d'argent, il portera la peine
de ce procès.
§ 5. Si un juge a rendu une sentence, formulé une décision, libellé une tablette, si ensuite il a
annulé cette sentence, on fera comparaître ce juge pour l'annulation de la sentence qu'il avait
rendue, et la revendication de ce procès, il l'acquittera douze fois, et publiquement on
l'expulsera de son siège de justice, il n'y retournera plus, et ne siégera plus avec des juges
dans un procès.
§ 6. Si un homme a volé le trésor du dieu ou du palais, cet homme est passible de mort, et
celui qui aurait reçu de sa main l'objet volé est passible de mort.
§ 7. Si un homme a acheté ou reçu en dépôt, sans témoins ni contrat, de l’or, de l’argent,
esclave mâle ou femelle, bœuf ou mouton, âne ou quoi que ce soit, des mains d'un fils d'autrui
ou d'un esclave d'autrui, cet homme est assimilable à un voleur et passible de mort.
§ 8. Si un homme a volé un bœuf, mouton, âne, porc ou une barque, si c’est au dieu ou au
palais, il rendra au trentuple; si c'est à un mouchkînou. Il compensera au décuple. Si le voleur
n'a pas de quoi rendre, il est passible de mort.
L’Égypte
L'histoire de l'Égypte est connue à peu près sans interruption depuis le début du IIIe millénaire
avant notre ère. Durant cette longue période, l'Égypte a connu des périodes de monarchie
puissante et centralisatrice, d'autres au contraire d'affaiblissement du pouvoir royal, parfois de
dynasties parallèles et de morcellement de l'autorité dans une sorte de féodalité. L'activité
économique et les structures sociales, parfois même familiales, ont subi les contrecoups de
ces alternances politiques. À partir du VIIe siècle avant J.-C., l'Égypte passe sous la
domination successive des Assyriens (671-663), des Perses (525-332), d'Alexandre (322-
323). Elle retrouve son indépendance, mais sous l'autorité de princes d'origine grecque, avec
la monarchie des Ptolémées (305-31), pour être finalement incorporée à l'Empire romain
(bataille d'Actium, 31 av. J.-C.). Par cette très longue histoire et sa diversité, l'Égypte offre à
l'historien des institutions un champ d'investigation incomparable. Malheureusement, son droit
reste très mal connu. L'Égypte ne nous a laissé aucun recueil juridique et à peu près aucune
loi (quelques dispositions de droit pénal et surtout un papyrus non encore publié datant du IIIe
siècle avant notre ère, mais reflétant un droit antérieur). Il y eut cependant des lois, que la
légende fait remonter jusqu'à Ménès, le fondateur de la première dynastie (3000 env.) et, au
premier millénaire, des codifications, dont les Grecs ont conservé le souvenir sous Bocchoris
(720-715), Psammétik Ier (663-609), Amasis (568-528), Darius (519-505).
Notre connaissance du droit égyptien repose donc essentiellement sur des documents de la
pratique, rares pour l'époque ancienne, abondants avec les papyrus démotiques, surtout
après le Ve siècle avant J.-C. Des récits, des documents figurés, des « livres de sagesse »
permettent aussi de restituer certains aspects de la vie juridique. La rareté des documents
juridiques, l'insuffisante précision des autres sources d'information ne permetten [...]
II – LE DROIT ROMAIN
Au cours des douze siècles qui séparent la naissance de Rome de la chute de l’Empire
romain d’Occident, le droit romain a connu de profondes mutations. Le droit archaïque
des premiers temps de Rome oscille entre le ius et le fas, avant de se laïciser et de
s’autonomiser. Dès les premiers temps de la République apparaissent, à côté des
normes coutumières, des lois votées par des assemblées populaires. Puis, la fin du
IIIème siècle av. J.-C. a vu émerger deux sources nouvelles (souples, adaptables et
novatrices) : le droit prétorien et la iuris prudentia, qui connaîtront leur âge d’or dans
les derniers siècles de la République. Avec l’avènement de l’Empire en 27 av. J.-C., la
centralisation administrative et la concentration des pouvoirs dans les mains de
l’empereur conduisent progressivement à l’émergence d’un système juridique dans
lequel le droit est désormais l’attribut du Prince. La loi impériale devient peu à peu la
source principale du droit, les sources concurrentes sont vassalisées. Les derniers
siècles de l’Empire voient ainsi la cristallisation de ce droit impérial à travers de
grandes codifications officielles.
Durant ces premiers siècles (de sa fondation jusqu'au début du Ve siècle avant J.-C.),
le droit romain reste profondément marqué par ses racines religieuses. La notion
de iusse distingue mal de celle de fas.
Ius, étymologiquement, est ce qui est rituellement pur, qui est conforme aux
prescriptions rituelles. Progressivement, cette notion de rectitude, de droiture, de
pureté, en vient à désigner l'ensemble des règles permises par la Cité et qui s'imposent
à l'activité des hommes, c'est-à-dire l'organisation que le groupe se donne à lui-même
par un recours à la justice.
Les lois royales, qui font encore une ambiguïté entre ius et fas, sont des règles
régissant les comportements sociaux durant les deux premiers siècles de Rome, et
qui pour certaines subsisteront encore sous la République. Ces lois sanctionnent
divers comportement violant les devoirs religieux (abus de puissance paternelle,
manque de respect du fils ou de la bru, déplacement des bornes fixant les limites des
propriétés, atteintes aux récoltes protégées par la déesse Cérès ...), non en faisant
appel à l'autorité publique, mais à une sanction de type religieux : la sacratio.
La sacratio est l'élimination sans jugement du coupable, par un lynchage rituel. Ce ne
sont pas des hypothèses susceptibles de déboucher sur un jugement : le groupe
intervient par l'élimination pour s'assurer que la vengeance divine ne s'abattra pas sur
eux ; la violation de ces règles de comportement fait intervenir les dieux, le groupe
n'est que l'exécutant.
2.1.2. Le fas et le ius pontificum
Le caractère sacral du droit des premiers siècles se voit aussi dans le fait que vie
juridique et vie religieuse sont contrôlées toutes deux par le même collège corporatif :
celui des pontifes.
Les pontifes sont des prêtres, dont le nom signifie littéralement « faiseurs de ponts »
au sens liturgique du terme : ceux qui construisent le chemin). La création du pontificat
est attribuée au roi Numa dans les premiers temps de Rome. Les quinze pontifes (le
chiffre varie selon les époques) sont chargés de conserver le fas et de définir le ius
pontificum, c'est-à-dire ce qui est sacré et profane, autorisé ou non, dans les relations
que les hommes entretiennent avec les dieux. Le grand pontife, qui a hérité des
pouvoirs religieux du roi à la fin de la royauté, est le véritable chef de la religion
romaine.
Si les pontifes interviennent dans la sphère juridique, c'est en raison du caractère sacré
du sacramentum (le serment) qui sert à former le droit en prenant les dieux à témoins.
Les pontifes ont ainsi la maîtrise du calendrier judiciaire et politique, en fixant les jours
fastes et les jours néfastes.
Les pontifes ont surtout le contrôle de la procédure. Jusqu'au IIe siècle avant notre ère,
la procédure civile romaine est celle des « actions de la loi ». C'est une procédure
formaliste qui oblige à l'emploi de termes précis pour pouvoir ouvrir une action en
justice.
Dans cette procédure des actions de la loi, la connaissance du droit reste longtemps
le monopole des pontifes (ce que dénonceront les auteurs de la fin de la République
et de l'Empire, à l'image de Tite-Live, IX, 46-5 : Ius civile reconditum in penetralibus
pontificum « le droit civil était caché dans le sanctuaire des pontifes »).
Les pontifes connaissent la formule exacte des actions, mais aussi la manière de les
employer et de les interpréter, pouvoir considérable dans une procédure ritualiste où
la moindre erreur dans le prononcé des formules fait perdre le procès. Ce monopole
pontifical survit pendant des siècles : même après que le citoyen romain a appris, par
l'élaboration de lois nouvelles, quels étaient les droits qu'il peut réclamer en justice, la
procédure (actions, calendrier) lui reste obscure, et le recours aux consultations
juridiques des pontifes est toujours nécessaire. Les pontifes, recrutés exclusivement
parmi les patriciens jusqu'en 254 av. J. C., ont probablement usé de ce monopole pour
limiter l'accès des plébéiens à la justice ou entraver les procès qu'ils intentaient aux
patriciens.
L'érosion du monopole pontifical est lente : en 304, les formules et le calendrier sont
publiés ; en 254, le premier plébéien à devenir grand pontife (Tiberius Coruncanius)
décide de rendre ses consultations en public et d'en expliquer le sens à ses auditeurs,
qui sont autorisés à prendre des notes.
Dès le début du Ve siècle av. J.-C., les frontières entre droit et religion s'affirment dans
la tradition romaine. La laïcisation du droit est clairement visible dans la « Loi des XII
Tables » : celle-ci ne conserve plus que de rares traces de sacralité. C'est
véritablement à partir de cette loi des XII Tables que se forme progressivement le ius
civile.
En 509 av. J.-C., la royauté est renversée, et apparaît à Rome une République,
entièrement aux mains des patriciens, qui seuls peuvent accéder aux nouvelles
magistratures républicaines, à commencer par la plus prestigieuse d'entre elles, le
consulat.
Mais très rapidement, dès 493, réagissant à son écartement des affaires publiques, la
plèbe se dresse contre le patriciat, et ne cesse de réclamer des droits et des garanties
judiciaires. Pendant un siècle et demi, plébéiens et patriciens se déchirent, parfois
violemment, et en viennent dans les fait à organiser deux Cités, chacune avec ses
propres magistrats, jusqu'au compromis « licino-sextien » de 367 par lequel l'élite
plébéienne et l'élite patricienne se partage le pouvoir et le gouvernement de Rome.
La période qui va de 509 à 367 est donc une période de profonds bouleversements,
dans les institutions romaines comme dans le droit romain, devenu enjeu de luttes
politiques de long terme.
La loi est certes la source la plus prestigieuse de la période romaine, mais elle n'est
pas la source unique. L'essentiel du droit privé est pris en charge par la coutume, tout
particulièrement les relations au sein de la famille : dans la Rome républicaine,
archaïque puis classique, le père exerce à l'intérieur de sa domus une puissance que
la loi ne reconnaît pas et qui échappe presqu'entièrement à la justice publique.
Les premiers siècles romains ont connu la coutume d'abord sous la forme du mos
maiorum, les « mœurs des ancêtres », auquel se rattachent les lois royales, ces
coutumes immémoriales artificiellement attribuées aux rois de Rome et qui traduisent
l'état du droit archaïque, dans lequel la puissance du père de famille reste largement
extérieure à la loi : c'est la coutume qui en fixe les contours, c'est une sanction
religieuse (la sacratio, par laquelle le groupe social élimine le père et confisque ses
biens) qui en sanctionne les abus. Il s'agit donc d'un pouvoir extra-légal, dont la
sanction échappe à l'ordre juridictionnel.
A partir du IIIe siècle av. J.-C., Rome étend son emprise sur toute la péninsule italienne,
puis conquiert peu à peu le bassin méditerranéen durant le IIe siècle.
A partir du IIIe siècle ap. J.-C., la coutume évolue encore : apparaît peu à peu un droit
romain dit « vulgaire » constitué d'adaptation ou de création par des praticiens locaux,
pour adapter les solutions romaines aux besoins économiques et sociaux localisés du
si vaste Empire romain. La coutume persiste ainsi pendant tout l'Empire.
Le terme de lex (normes votées par les comices) en droit romain désigne non
seulement des règles dans un règlement mais aussi une norme émanant d’une
autorité publique. On parle alors des leges publicae.
Sur les quelque 800 lois de la Rome, à peine 26 concernaient le droit privé. La majeure
partie de ces lois traitaient des questions politiques (intégration de la plèbe dans la
cité), économiques ou sociales (lois agraires). La loi intervient souvent pour mettre un
terme à un conflit politique ou social alors que le droit privé relève surtout du mos
maiorum (coutume ancestrale).
Les leges rogatae (sing. lex rogata) sont des lois votées par les Comices à l’initiative
d’un prêteur (magistrat qui rendait la justice à Rome ou qui gouvernait une province),
d’un tribun ou d’un consul. Avant -339, le Sénat ratifiait ces lois, puis, à partir de cette
date, on devait lui réclamer une autorisation préalable à toute démarche législative.
A. Préparation de la lex rogata
L'initiative de la loi ne revient pas au peuple : elle revient aux consuls, plus rarement
aux dictateurs et aux préteurs quand il s'agit de rogationes qui vont être adressées aux
comices centuriates et tributes ; elle revient certes aux tribuns quand il s'agit de
s'adresser aux concilia plebis.
Hormis le tribun, dont la situation est particulière en raison de son passé
révolutionnaire, ces magistrats doivent disposer de l'imperium et du ius agendi cum
populo, c'est-à-dire du droit de réunir les assemblées comitiales.
Avant d'être affiché, le projet est rédigé par le magistrat ou le tribun qui fera la rogatio
avec, sans doute le plus souvent, l'assistance de juristes ou d'autres spécialistes. Le
texte pouvait également être préparé au sein du Sénat, spécialement si le magistrat
agissait sur la suggestion du Sénat. Il est cependant abusif de penser que toute rogatio
devait nécessairement être élaborée avec le concours du Sénat.
Le projet est ensuite communiqué au peuple par voie d'affichage (tables de bois ou
plus exceptionnellement de bronze), c'est ce que l'on appelle la promulgatio (fausse
étymologie pro-vulgatio : Festus). Une fois affiché, le projet doit être déposé à
l'aerarium et ne peut être modifié au moment du vote : c'est sur ce texte que les
citoyens se prononceront.
L'attribution de l'initiative législative aux seuls magistrats supérieurs et aux tribuns et
l'impossibilité d'amender le texte lors du vote de la loi soulignent l'importance sinon la
prééminence du magistrat ou tribun qui propose la loi. C'est pourquoi les lois se
définissaient non seulement en fonction de l'assemblée qui délibérait (leges
centuriatae, tributae ou plebiscite) mais également selon la fonction du proposant
(leges consulares, tribuniciae…). D'ordinaire, la loi portait comme nom spécifique le
gentilice du proposant (lex Julia).
Une observation sur le rôle du Sénat. Avant la lex Publia Philonis de 339 a.C, le Sénat
devait ratifier le vote des assemblées, leur conférer Yauctoritas patruum, ce qui signifie
que les dispositions lui paraissaient conformes à l’ordre public et aux bonnes moeurs
dont il était le gardien. Sans cet accord, la volonté populaire restait sans effet. Après
la lex Publia Philonis de 339 a.C, le rôle du Sénat fut de donner seulement un avis
préventif sur les projets de lois ou les plébiscites.
Avec la lex Hortensia de 286 a.C., les plébiscites furent libérés de la nécessité de
l'auctoritas tandis que les leges comitiales continuèrent à être soumis à un avis
préventif.
D'autre part, des mesures furent prises pour limiter l'objet de la rogatio : la lex Caecilia
Didia de 98 a.C. interdit de réunir dans un même projet des dispositions hétérogènes.
Les Romains appelaient de telles lois, des leges per saturant. Cette interdiction eut
pour but d’épargner au peuple la contrainte d'accepter ce qui lui déplaît ou de refuser
ce qui lui plaît. Il semble toutefois qu'une telle interdiction existait déjà au temps des
Gracches, une trentaine d'années auparavant. La lex Caecilia Didia de 98 a.C. ne
serait ainsi que la mise par écrit d'un principe antérieur.
L'affichage de la rogatio permettait essentiellement à tous les citoyens d'en prendre
connaissance. C'est pourquoi, en principe, entre la promulgatio et le jour du vote, un
délai de trois marchés successifs (nundinae, trinundinum) devait être respecté.
Au cours de cette période, les citoyens examinent le projet et le discutent dans des
réunions non officielles, les contiones dont Paul le Diacre donne la définition : « contio
significat conuentum, non tamen alium, quant eum, qui a magistratu uel a sacerdote
publico per praeconem convocatur ».
Ces réunions où prenaient surtout la parole les magistrats et tribuns, même si quelques
textes suggèrent que chaque citoyen pouvait s'y exprimer, permettaient en tout cas à
l'auteur de la proposition de faire connaître son point de vue et de constater les
réticences que le projet pouvait soulever. Mais ce projet ne pouvait être amendé ni par
le peuple ni dans les contiones : en cas de modification, il faut suivre une procédure
complexe16.
Tout d'abord, le jour du vote, il y a intercession d'un magistrat ; le projet ne peut dès
lors plus donner lieu à un vote. Il doit ensuite faire l'objet d'une nouvelle discussion au
Sénat. L’auteur accepte de le modifier. La nouvelle proposition de loi apparaît ainsi
comme une sorte de compromis entre le Sénat et le magistrat. Mais, dans tous les
cas, le peuple n'a aucun pouvoir d'amendement.
B. Le vote de la loi
71 Après avoir pris les auspices au lever du jour, puis prononcé une prière, le magistrat
qui préside les comices fait lire le texte de la loi par un héraut : cette lecture solennelle
devant des assemblées nombreuses rappelle les origines historiques de la lex. Il leur
demande ensuite s'ils veulent et s'ils ordonnent que la rogatio devienne une loi, selon
la formule consacrée : uelitis iubeatis, Quintes.
72Malgré cette formule qui semble consacrer la toute-puissance du peuple, la part de
celui-ci reste restreinte : il ne peut répondre que par oui ou par non sans discuter ou
modifier le texte. Il est surtout demandé au peuple de manifester son approbation.
73D'autre part, tous les citoyens ne manifesteront pas leur opinion personnelle. Il est
tout d'abord bien entendu que sont exclus des assemblées, les femmes, les esclaves
et les étrangers. Quant aux affranchis, leur présence fut parfois tolérée, affaire de
circonstances.
74A l'intérieur de ce groupe restreint, tous ne peuvent participer activement à la vie
des comices, soit par absentéisme, soit qu'ils sont délibérément écartés des
assemblées.
75L'absentéisme involontaire est le fait de citoyens trop éloignés de Rome, encore que
des groupes éloignés ont pu jouer un rôle important. Cicéron estime utile une tournée
électorale en Cisalpine, région qu'il considère comme ayant beaucoup de poids dans
les suffrages. Mais par ailleurs, Cicéron se plaint de l'indifférence des ruraux plus
soucieux de leurs champs et de leur petite fortune que de l'intérêt de la Cité. L'absence
de partis politiques et les modes de vote favorisent le désintérêt.
76De la sorte, le vote devient parfois l’affaire de clientèle sans emploi manoeuvrée par
des chefs politiques. Plus grave encore est l'élimination de certains citoyens que les
magistrats laissaient hors comices en refusant, par erreur ou par fraude, de les inscrire
sur les listes des assemblées.
77Enfin, ce n'est pas le vote des individus qui compte mais celui des unités de vote :
la centurie ou la tribu. Et à l’intérieur de celle-ci, c’est la majorité des suffrages
exprimés qui détermine la décision. De plus, le vote de la première unité était
particulièrement important.
78Dans les comices centuriates, on détermine par tirage au sort quelle sera la
première centurie à voter la centurie prérogative. Son choix constitue un omen ou
présage qui est de nature à entraîner le vote des autres centuries.
79Le vote est successif : on appelle d'abord les citoyens de la première classe puis
ceux de la seconde classe et ainsi de suite. Les résultats sont proclamés dès qu'une
centurie a voté. En outre, les opérations de vote sont arrêtées dès qu'une majorité de
centuries s'est dégagée (97/193). Par conséquent, les dernières classes ne votent
quasiment jamais et la seconde n’est amenée à voter que si les 18 centuries de
chevaliers et les 80 centuries de la première classe n'ont pas voté dans le même sens.
Après une réforme intervenue au IIIème siècle, dont le détail est mal connu, il semble
que la seconde classe fut plus souvent amenée à voter.
80Le vote fut d'abord oral. Chaque citoyen défile devant le rogator qui lui répète la
question posée par le magistrat et note sa réponse. Ce système, qui exposait les
citoyens à toutes sortes de pressions, fut remplacé, au IIème siècle, par un vote écrit
et secret qui assurait une plus grande indépendance au votant : le citoyen passait alors
sur une espèce de passerelle et jetait une tablette dans l'urne (A = ut antiquo = non ;
V = uti rogas = oui).
81Dans les comices tributes, les tribus étaient appelées à voter en même temps mais
les résultats de chacune étaient annoncés par le président selon le tirage au sort. Par
conséquent, la tribu dont le résultat était tout d'abord proclamé prenait le nom de
principium.
82Les opérations de votes sont donc longues et complexes. Le vote des lois est resté
une procédure solennelle qui rappelle peut-être l'importance qu'avait la loi à l'époque
archaïque, et qui se termine par la proclamation officielle des résultats. Il n'y a d'ailleurs
que deux manières d'interrompre le déroulement du scrutin : l'intercessio et
l'obnuntiatio.
83L'intercessio permet à un magistrat de paralyser les actes d'un collègue.
84L'obnuntiatio est la faculté réservée au président de l'assemblée ou à un augure de
notifier l'existence de signes divins défavorables qui auront pour conséquence de
mettre fin aux opérations de vote. Elle fut fixée vers 158 a.C. par les lois Aelia et Fufia
qui furent largement approuvées par l’oligarchie dominante dans la mesure où elles
servirent à faire obstacle ou à limiter l'activité législative en général et celle des tribuns
en particulier. L'efficacité du procédé fut salué par Cicéron qui qualifia ces lois de «
sacratissimae », « salubres », « remedia republica » ou « subsidia certissima contra
tribunicios furores ».
85Dans tous les cas de suspension ou d'interruption, la réunion était renvoyée au jour
suivant.
86L’élaboration des lois permet de mieux mesurer le rôle du peuple. Il doit plus
consentir que réellement proposer ou exprimer sa volonté. En effet, l'initiative de la loi
ne lui appartient pas, ni le droit de les amender. La cassation n'est nullement son
oeuvre : il semble que ce soit le Sénat qui dispose de ce pouvoir qu'il exerce par la
formule ea lege populus non teneri uidetur en général pour cause de vice augurai ou
de violence.
12. La lex rogata : un acte unilatéral ?
87La réponse à cette question n'est pas simple. La loi est un acte complexe dans
lequel on peut souligner tantôt le rôle du magistrat, tantôt celui du peuple. Ces deux
tendances ont chacune trouvé des défenseurs, tant dans le monde romain que parmi
les auteurs modernes. Parfois même, les auteurs se contredisent. Prenons, à titre
d'exemple, Aulu-Gelle qui cite la définition d'Ateius Capiton, juriste de l'époque
augustéenne : lex est generale iussum populi, rogante magistratu. Il souligne ainsi la
place prépondérante du peuple car le magistrat, dans cette perspective, se contente
de poser une question, tandis que le peuple ordonne. Mais, dans le même chapitre,
Aulu-Gelle affirme que la rogatio est la partie principale et l'origine de la loi : il fait ainsi
du magistrat la source de la lex et cette interprétation réduit le rôle du peuple : il se
borne à consentir et la loi reste fondamentalement l’oeuvre du magistrat.
88De même, Cicéron affirme la toute-puissance du peuple dans le De domo alors que
dans le De legibus, il affirme qu'il ne faut pas fonder la loi sur les iussa populorum.
Dans le De republica comme dans les Philippiques, il voit dans la loi l'oeuvre du
magistrat qui la prépare, la propose et la fait voter18.
89Ces hésitations montrent qu'il y a erreur à vouloir privilégier un organe
constitutionnel aux dépens de l’autre. Tous concourent, d'une façon ou d'une autre, à
l'élaboration de la loi.
Capiton : lex est generale iussum populi aut plebis, rogante magistratu.
Gaius : lex est quod populus iubet atque constituit.
Papinien : lex est commune praeceptum, uirorum prudentium consultum, delictorum
quae sponte uel ignorantia contrahuntur coercitio, communis reipublicae sponsio. (La
loi est un ordre général, une décision des hommes sages, le châtiment des délits qui
se font volontairement ou par ignorance, le contrat commun de la Cité).
16. La lex rogata sous le Principat
106Sous le Principat, la loi comitiale est appelée à disparaître des sources du droit
romain. Sous le règne d'Auguste, il y eut encore une activité législative importante
puis, après Auguste, il n'y a plus qu'une vingtaine de lois. Le dernier exemple de loi
comitiale date du règne de Nerva : la lex Cocceia agraria proposée par Nerva en 98.
107Soulignons le caractère formel de ce pouvoir législatif : les lois sont inspirées par
l'empereur qui est revêtu de l'imperium et de la puissance tribunicienne. Tantôt il
présente lui-même sa loi (qui est souvent un plébiscite), tantôt il la fait présenter par
des magistrats qui sont à ses ordres. L'ascendant du prince est tel que, très vite,
l'assemblée se borne à acclamer la rogatio qui lui est soumise. Cette situation rappelle
étrangement la lex royale, sans doute parce que, quelque part, la force révolutionnaire
qui fut longtemps l’âme de la lex rogata est totalement muselée par un pouvoir quasi
dictatorial qui ne dit pas son nom.
En 451 av. J.-C., la loi des XII Tables surgit de ces graves tensions sociales.
Le point de crispation, selon Tite Live, est la puissance immodérée des consuls, les
deux plus hauts magistrats patriciens de la Cité. Il leur est reproché la possibilité dont
ils disposent de pouvoir exercer, sans limite, une puissance infinie pouvant aller
jusqu'à la condamnation à mort des citoyens. La plèbe, avec à sa tête le tribun de la
plèbe, conteste donc le contenu même de l'imperium consulaire, c'est-à-dire le pouvoir
suprême de commandement, civil comme militaire, sur l'ensemble de la cité dont sont
doté les consuls pour l'année entière de leur magistrature.
La plèbe réclame qu'un collège de magistrats « rédige des lois sur l'imperium
consulaire » (Tite Live, III, 31 : legibus de imperio consulari scribendis), qui auraient
pour effet de limiter l'arbitraire des consuls, qui désormais ne sanctionneraient plus
que le droit découlant de la loi.
En 451, après de longues années de tensions, les patriciens cèdent : le Sénat accepte
de suspendre temporairement l'exercice normal des magistratures, le temps qu'un
collège de dix membres (les « décemvirs ») rédige une loi encadrant les pouvoirs du
consul. En 451, les décemvirs rédigent les dix premières tables, complétées de deux
autres l'année suivante.
Sur le fond, la loi des XII Tables se compose de trois grands types de mesures : les
tables 1 à 3 organisent le procès (citation à comparaître, procédure d'actions de la loi,
jugement et exécution) ; les tables 9 et 10 concernent le droit public, les rites
funéraires, le rôle du peuple dans la répression criminelle capitale. Le cœur de la loi
se trouve dans les tables 4 à 8 et 11-12 : la totalité des dispositions contenues dans
ces tables énoncent des conditions d'ouverture de procès. La loi des XII Tables
énumère donc les hypothèses permettant à une victime de saisir le magistrat et de le
contraindre à déclencher une procédure. La loi des XII Tables forme ainsi un véritable
« code judiciaire » (Michel Humbert), un inventaire des conditions de saisine du
magistrat, fixant les cas dans lesquels l'imperium est accessible. Elle garantit à chacun
les cas dans lesquels l'accès au tribunal est possible. A chaque situation prévue dans
la loi, correspond ainsi une action typique, destinée à sanctionner cette situation
précise.
Extraits de la loi des XII Tables
Qu'il ordonne à sa femme d'emmener ses affaires <en cas de divorce>, et qu'elle rende
les clefs.
L'enfantement doit avoir lieu dans les dix mois.
À propos de la dernière condition, Ulpien précise :
« L'enfant qui est encore dans le sein de sa mère est admis à la succession ab intestat
[...] L'enfant né après les dix mois de la mort de son père n'est point admis à sa
succession légitime. » — Ulpien, ad Sabinum
Table V : succession
Les femmes, même majeures, restent en tutelle ... à l'exception des vierges Vestales.
Les biens de la femme qui est en tutelle des agnats ne peuvent être usucapés comme
biens mancipables, excepté s'ils ont été livrés par elle avec l'autorisation du tuteur.
Ce que l'on aura ordonné par testament, quant à son argent, ou pour la conservation
de son bien, doit être exactement exécuté.
Si une personne meurt sans testament et sans héritiers, l'agnat le plus proche hérite.
S'il n'y a pas d'agnats, que les membres de la gens héritent.
Si le testament ne désigne pas de tuteur, les agnats deviennent tuteurs.
Si quelqu'un est fou furieux et qu'il n'a pas de gardien, son agnat le plus proche a
l'autorité sur lui et son patrimoine.
... mais il n'y aura pas de gardien pour lui ...
On interdit au prodigue l'administration de ses biens.
Le prodigue ou le fou, auquel on a ôté l'administration de ses biens, est sous la
curatelle de ses agnats.
Qu'on défère au patron la succession de l'affranchi, citoyen romain, mort sans
testament et sans héritiers.
Les dettes passives et actives du défunt ne sont point divisibles, car elles sont de plein
droit divisées en portions héréditaires.
Les dettes de la succession sont divisées proportionnellement par un pacte entre les
héritiers du débiteur.
Cette action permet (à des cohéritiers) de cesser d'être en commun <pour la
succession>.
Table VI : biens
Lorsqu'on fait nexum (prise de possession) ou mancipium (cession), et qu'on le déclare
oralement, le droit est donné.
Il suffit de fournir ce qui a été formellement déclaré, et celui qui a trompé est condamné
à la peine du double.
<L'usucapion> des biens mobiliers se fait par an, celui des maisons par deux ans.
Nul ne doit détacher les poutres des bâtiments ou des vignes d'autrui.
Table XI : Le mariage
Le mariage entre un plébéien et un patricien est prohibé. Les droits de mariage,
accordés d'ordinaire même aux peuples étrangers, seraient refuses à la plèbe, s'il
s'agissait d'une union avec le patriciat.
1. – Ils rédigèrent d'abord dix Tables, avec la plus grande équité et la plus profonde science
des lois, puis ils firent désigner d'autres décemvirs l'année suivante. Mais ces derniers ne
reçurent pas de semblables éloges pour leur conscience et leur justice (Cic., de rep., 2, 36,
61) ... Aux autres tables de lois, ils en ajoutèrent deux, qui étaient iniques et qui établirent, par
une disposition tout à fait inhumaine, que LES DROITS DE MARIAGE, accordés d'ordinaire
même aux peuples étrangers, SERAIENT REFUSÉS À LA PLÈBE, S'IL S'AGISSAIT D'UNE
UNION AVEC LE PATRICIAT (Cic., de rep., 2, 37, 63 ; Cf. Denys d'Halicarnasse, 10, 60 ; Liv.,
4, 4, 5 ; Gai., 6 ad XII tab., D., 50, 16, 238) - En réalité, il semble peu probable que les mariages
entre patriciens et plébéiens aient été autorisés avant les XII Tables. Celles-ci ont
probablement codifié un usage qui marque la volonté des patriciens de constituer une caste -
.
2. – Tuditanus (= Caius Sempronius Tuditanus, consul en 129 av. J.-C.), au livre III de ses
Magistratures, rapporte que le collège des décemvirs, qui ajouta deux tables aux dix déjà
promulguées, consulta le peuple au sujet de L'INTERCALATION (= le système intercalaire).
Cassius (= Lucius Cassius Hémina, annaliste du IIe s. av. J.-C.) attribue également aux
Décemvirs l'organisation du système (Macr., Sat., 1, 13, 21 ; Cf. Censorin., de die nat., 20, 6 ;
Cels., 39 Dig., D., 50, 16, 98, 1 ; loi de Romulus n. 6).
3. – ... au sujet de Cn. Flavius, fils de Cnéius. On ne peut néanmoins le placer avant les
décemvirs ... Mais, dites-vous, de quelle utilité était-il qu'il publiât les FASTES ? C'était afin
que tout le monde pût savoir les jours où il était permis de plaider, au lieu qu'auparavant on
était obligé d'avoir recours à un petit nombre de jurisconsultes, qui en faisaient un secret (Cic.,
ad Att., 6, 1. 8).
Rq.La loi des XII Tables a immédiatement donné aux pontifes l'occasion de
commenter les termes de la loi pour les interpréter. Le raisonnement par analogie ou
l'utilisation de la fiction ont ainsi doublé le texte de toute une signification permettant
de régler les situations que la loi n'avait pas pu ou voulu préciser.
Par ex., les pontifes ont ainsi étendu aux « vignes » le terme « arbres » contenu
dans la loi. Ils ont donc considéré qu'il était nécessaire d'utiliser le terme « arbre »
pour dénoncer en justice le fait qu'une vigne avait été coupée, sous peine de perdre
son procès.
Gaius, Institutes, 4, 10 : « Les actions que les Anciens utilisaient s'appelaient actions
de la loi, soit parce qu'elles avaient été fournies par des lois (comme elles le seront
par la suite par les édits du préteur qui ont introduit la plupart des actions
d'aujourd'hui et qui n'existaient pas encore), soit parce que ces actions avaient été
calquées sur les termes des lois elles-mêmes, et elles étaient alors immuables et
devaient être observées comme doivent être observées des lois. C'est pourquoi celui
qui avait agit en justice au sujet de vignes coupées, pour avoir parlé de vignes dans
son action, perdit son procès car celui qui agissait en justice devait parler d'arbres,
du fait que la loi des XII Tables de laquelle découle l'action capable de sanctionner le
fait de couper des vignes parle de façon générale du fait de couper des arbres ».
La loi des XII Tables devient rapidement aux yeux des Romains « la source de tout le
droit privé et public » (Tite Live, III, 34. 6). En posant un catalogue exhaustif des
situations susceptibles d'accrocher une action conduisant à un jugement, elle
provoque un véritable bouleversement juridique. Sa longévité est tout à fait
exceptionnelle : la loi des XII Tables reste en vigueur pendant dix siècles (jusqu'aux
compilations justiniennes en 529 ap. J.-C.).
A partir de la rédaction de la loi des XII Tables, le ius est désormais composé de trois
éléments, que les Romains ne différencient pas : le texte de la loi, les formules qui
donnent vie aux actions (qui restent l'apanage des pontifes jusqu'en 304),
l'interprétation donnée par les pontifes.
Plus encore, la loi des XII Tables résulte d'une procédure nouvelle : elle est votée par
une assemblée populaire (les comices), marquant ainsi le début de l'intervention du
peuple dans le vote de la loi, et l'ascension de la loi sur toutes les autres sources du
droit.
Dans la Rome républicaine, la loi est la marque de la souveraineté du peuple, dont elle
émane. Elle est votée au sein des comices centuriates, sur proposition d'un magistrat
supérieur (consul ou préteur). Il s'agit donc d'une lex rogata, une « loi demandée » par
le magistrat. Jusqu'en 339 av. J.C., la proposition votée par le peuple est sanctionnée
par le Sénat, qui la recouvre ainsi de son auctoritas. A partir de la loi Publilia en 339,
le Sénat n'est plus appelé à sanctionner la proposition votée, mais simplement à
donner son avis avant le vote des comices.
En 286 av. J.-C., la loi Hortensia assimile loi et plébiscite. Le plébiscite devient à partir
de cette date la forme législative la plus courante de la république romaine.
La lex curiata de imperio est une loi annuelle votée par les curies assemblées en
comices curiates conférant l'imperium aux magistrats romains supérieurs. Plus tard, la
lex curiata de imperio sera appelée Lex Regia.
Dans la constitution de la Rome antique, la lex curiata de imperio (leges curiatae plur.)
servait à confirmer les droits des magistrats supérieurs à détenir le pouvoir, ou
imperium.
Une nouvelle procédure se met peu à peu en place, qui est sanctionnée par la loi Aebutia
(antérieure à 150 av. J.-C.). Le procès reste toujours divisé en deux phases, mais désormais le
juge de la seconde phase reçoit du préteur, magistrat de la première phase, une « formule », une
instruction écrite précisant, à côté de la nomination du juge, la formulation de la prétention du
demandeur et le sens dans lequel trancher le litige en cas d'absence d'action de la loi susceptible
de s'appliquer au cas pendant. Cette nouvelle procédure reçoit ainsi le nom de « procédure
formulaire ». Le préteur peut ainsi étendre à des cas nouveaux des actions prévues par la loi déjà
existantes (actions civiles) ou bien créer de toute pièce de nouvelles actions (actions prétoriennes).
Ex.Le préteur a ainsi créé des actions « fictices », des actions imitées d'actions civiles, mais
dans lesquelles une formule comportant une fiction a été insérée. L'action ainsi modifiée peut
donc être utilisée dans des cas où l'action non-transformée ne peut trouver à s'appliquer. Le
préteur insère par ex. la formule « comme si le demandeur était citoyen romain » (si civis
Romanus esset) pour étendre aux pérégrins le bénéfice de dispositions réservées aux Romains.
A partir du IIe siècle av. J.-C., chaque préteur, en entrant en fonction, publie un édit énumérant et
cataloguant tous les cas pour lesquels il délivrera une action au cours de l'année à venir. L'édit
d'entrée en charge est appelé « édit perpétuel » (car il est valable toute une année, à la différence
des edicta repentina, adoptés de manière exceptionnelle pour répondre à des circonstances
précises).
Le préteur devient ainsi créateur de droit. Ses innovations constituent le « droit prétorien ». Bien
que l'édit soit renouvelé chaque année, et que chaque préteur puisse y ajouter de nouvelles
créations, son contenu se cristallise peu à peu et il est souvent reproduit tel quel d'une année sur
l'autre. Les contours du droit prétorien se fixent donc, mais sans rien perdre de la possibilité laissée
au magistrat de créer de nouveaux droits pour répondre à des besoins nouveaux. Le droit prétorien
est ainsi une source particulièrement souple, et parfaitement adapté aux évolutions de la vie
économique et juridique.
Au cours du IIIe siècle, apparaissent les premiers jurisconsultes laïcs, alors que
progressivement les pontifes perdent le monopole de l'interprétation des textes de loi.
Au début du IIe siècle av. J.-C., avec les Tripertita de Sextus Aelius Paetus Catus et
les Commentarii iuris civilis de Caton, apparaissent deux types de commentaires
doctrinaux qui feront florès jusqu'à l'Empire : le commentaire sur la loi des XII Tables
et le commentaire des formules.
Mais c'est au milieu du IIe siècle av. J.-C., avec, à en croire la tradition, les trois
Veteres (Manlius Manilius, Marcus Junius Brutus, Publius Mucius Scævola) que la
science du droit se forme. En réalité, les grandes transformations de la pensée
juridique sont d'abord le fruit du travail du fils de ce dernier, Quintus Mucius Scævola.
Dès ce moment se cristallisent les deux grandes caractéristiques de la doctrine
juridique romaine républicaine :
Dans leurs œuvres qui réalisent une première synthèse de la science juridique, les
jurisconsultes font émerger des règles abstraites qui transcendant les situations
casuistiques. A partir des cas d'espèce, ils raisonnent de manière logique, introduisant
des classifications en genre et espèce, des définitions et des systématisations
applicables à chaque catégorie.
Partie des commentaires sur les formules, cette volonté d'abstraction gagne tous les
champs de la littérature doctrinale : traités de droit civil ou de droit prétorien (digesta),
cas pratiques fictifs (quaestiones), consultations juridiques (responsa), manuels
d'enseignement du droit (institutiones), lexiques juridiques, recueils de règles (regulae)
ou de maximes (sententiae), etc.
Emerge ainsi une doctrine juridique casuistique, qui recherche avant tout la solution la
plus « juste et équitable » possible, comme le souligne clairement Ulpien :
Ulpien (livre 1 des Institutes), Digeste D. 1. 1. 1. (trad. J. Gaudemet, Droit privé romain,
Paris, 1998, p. 305) « Celui qui s'adonne au droit doit d'abord savoir d'où vient ce mot
(ius). Il tire son nom de la justice. En effet, selon l'élégante définition de Celse, le droit
est l'art du bon et de l'équitable. C'est à bon droit qu'on nous qualifie de prêtres, car
nous exerçons la justice et nous faisons connaître ce qui est bon et équitable, séparant
l'équité de l'iniquité, distinguant le licite de l'illicite, cherchant à susciter le bien non
seulement par la menace des peines, mais par la promesse de récompenses,
pratiquant ce qui nous semble la vraie et non une fausse philosophie ».