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MODULE I

CHAPITRES IV ET V
Les prestations de services intellectuels et de conseil autour
du management
et de la gestion des ressources humaines : stratégies et
enjeux

Tenter de décrire et d’analyser les différentes formes de prestations de services


intellectuels autour de la gestion des ressources humaines implique
nécessairement, compte tenu de l’ampleur du sujet et de son insertion dans le
cadre d’une contribution restreinte, d’opérer des choix Ainsi, l’une des
premières difficultés auxquelles on se heurte, tient à la structuration de cette
présentation. Il comporte l’inconvénient, à nos yeux, d’être séquentiel, descriptif
et finalement, peu propice à l’analyse Une seconde structuration possible eut été
de proposer une perspective historique déployant les tendances lourdes et les
évolutions dans le champ de la consultance en RH, en faisant apparaître leurs
combinaisons éventuelles avec d’autres formes de consultance (management,
organisation, stratégie, etc) La piste paraissait prometteuse Pourtant elle
demeure à nos yeux encore insuffisante pour englober et analyser des
problématiques liées notamment à la dimension stratégique et aux enjeux qui y
sont attaches. Ç’est donc ces derniers aspects que nous entendons privilégier
dans l’organisation de cette contribution Nous nous appuierons ainsi sur une
typologie qui se structure autour de deux pôles dominants ainsi dénommés le
modèle d’adhocratie cognitive et identitaire d’autre part. C’est sur la base de ces
deux pô1es que pourront se décliner les facteurs clés, les stratégies et les enjeux
associés aux différentes formes de prestations intellectuelles et de conseil, que
nous appliquerons au champ du management et de la gestion des ressources
humaines.
Cette perspective nous parait ainsi appropriée et opératoire en ce qu’elle propose
un cadre d’analyse structurant, qui permettra en effet de positionner Plus
aisément les prestations de services intellectuels et le conseil en gestion des
ressources humaines et en management. Le premier pôle dominant le modèle de
la rationalisation,on professionnelle cognitive s’inscrit dans une perspective que
nous avons donc qualifiée de modèle de la rationalisation professionnelle
cognitive renvoie à une approche qui privilégie la production et la reproduction
quasi industrielle de savoir et qui mobilise le plus souvent des connaissances
explicites Le second pôle dominant identifié renvoie au modèle référent
d’adhocratie cognitive identitaire et donc plutôt à la logique de la
Personnalisation. Cette Posture organisationnelle privilégie la création de savoir,
et se déploie à travers la réalisation de prestations de nature généralement
complexe et/ou Innovante le plus souvent coproduites avec le client et
mobilisant, à l’essentiel des compétences tacites.
Cette typologie polaire sera décrite dans ses grandes lignes pour en faire
émerger ses caractéristiques dominantes, avec deux entrées complémentaires : la
première sera centrée sur les organisations proprement dites et la seconde, sur
les personnes, en intégrant une différenciation à cette occasion, entre les
travailleurs du savoirs et les professionnels du savoir Ensuite, elle sera illustrée
par la présentation de certains prestataires de services intellectuels et de cabinets
de conseils représentatifs se positionnant principalement dans le champ de la
gestion des ressources humaines. Nous ne nous interdirons d’ailleurs pas, à cette
occasion, quelques incursions et détours historiques, pour agrémenter notre
promenade

I -Autour de la logique dominante de rationalisation professionnelle


cognitive
Après une première présentation des caractéristiques majeures des bureaucraties
professionnelles cognitives d’une part et des travailleurs du savoir d’autre part
qui les composent majoritairement, nous décrirons donc sommairement trois
exemples illustratifs.

1°) Présentation et description


a) Du côté des organisations: les bureaucraties professionnelles du savoir (BPS)
Comme nous l’indiquions, les firmes de prestations de services intellectuels qui
se situent dans cette perspective s’inscrivent pour leur majorité, dans une
logique de rationalisation professionnelle, en délivrant des prestations
relativement formatées, pouvant ainsi faire l’objet de réutilisations à grande
échelle et donc de quasi-industrialisation.
La restauration rapide est un exemple mais aussi la gestion automatisée de
polices d’assurances automobiles standard, ou celle des comptes courants
bancaires, ou encore la grande distribution, S’agissant plus précisément des
firmes de prestations de services intellectuels de conseil le terme proposé de
rationalisation professionnelle cognitive, ou de Bureaucratie professionnelle du
savoir nous paraît devoir en effet, bien caractériser cette posture. On peut
d’ailleurs distinguer deux familles de bureaucraties professionnelles du savoir la
première, à caractère plus institutionnel, Renvoie à des professions normalisées,
comportant souvent des barrières à l’entrée, dont l’audit représente l’exemple
typique La seconde famille se réfère à des organisations, qui délivrent, en dehors
de ce cadre des prestations intellectuelles, plus gestionnaires, reposant sur des
processus, des produits et des méthodologies relativement standardisés et
stabilisés, du moins pour un temps, et souvent récurrents.
Ces organisations investissent et utilisent le plus souvent des bases de données
conséquentes permettant la codification des informations et dans la mesure du
possible, des savoirs procéduraux et méthodologiques facilitant leur accessibilité
en interne. Elles peuvent employer des effectifs assez nombreux, pour
maximiser le déploiement quantitatif de leurs prestations.

b) Du côté des personnes autour des travailleurs, du savoir et du traitement de


l’information
Si l’on s’intéresse plus particulièrement à la qualité des personnes qui travaillent
dans ce type d’organisation, on rencontrera, de manière cohérente avec ce qui a
été antérieurement décrit, une majorité de travailleurs du savoir Ce terme
souvent « attrape tout » recouvre ici dans notre esprit les personnes dont la
nature des activités est principalement centrée sur le traitement de l’information,

Souvent substituables, ces travailleurs du sa\voir mobilisent des savoirs plus


ordinaires et des pratiques plus routinières, en ce sens qu’il s agit principalement
d’appliquer et de mettre en oeuvre.
D’un manière générale, les profils des travailleurs débutants se situent le plus
souvent au niveau bac + 4, Une étude récente de la DARES relève ainsi que les
débuts de carrière dans les sociétés prestataires de services aux entreprises
(SSII) sont surtout prisés par les diplômés des petites écoles ou de l’université.

2°) Illustrations autour des prestations intellectuelles dans le champ du


management et de la gestion des ressources humaines

Nous sommes à présent équipés pour illustrer cette présentation en décrivant et


en analysant certains types de prestations de services en usage dans le champ de
la gestion des ressources humaines et du management. Nous centrerons ces
illustrations à travers trois formes de prestations intellectuelles associées à des
courants managériaux porteurs durant ces dernières décennies.

a) La rationalisation de la formation au « management dans la mouvante du


Courant des relations humaines et le modèle de la CEGOS
Pour comprendre comment s’est développée peu à peu la formation au
commandement (le terme de management ne s’imposant progressivement en
France qu au début des années 70), il faut rappeler très sommairement le
contexte des années de reconstruction après le second conflit mondial et la
diffusion ou nouveau modèle managérial américain. Ce modèle fera l’objet
d’une importation et d’une diffusion dont les effets seront significatifs sur le
développement du conseil et de la formation. Ce sont en effet au départ les
missions de productivité qui vont conduire, sous couvert de l’impératif de la
modernisation, à (re)découvrir le management made in USA notamment dans sa
version associée au mouvement des relations humaines concrétisant quelque part
une forme du rêve américain. Plusieurs réseaux composés d’acteurs plus ou
moins influents vont alors favoriser ce transfert. La CEGOS prendra largement
sa part dans l’importation et la diffusion du management business, marché alors
en pleine croissance, Octave Gélinier, ingénieur de l’Ecole des Mines, qui
intègre la CEGOS en 1947 et qui en sera l’un de ses principaux dirigeants et
aussi l’un des principaux penseurs précise ainsi clairement que cette
organisation a eu, et a encore pour rôle d’acclimater en France des méthodes qui
pour les trois quarts viennent d’Amérique et qu’en 1951 vingt ans avant la loi, la
CEGOS a inventé la formation continue. , De 1947 à 1952, cet organisme se
lance dans la formation en organisant des sessions de courte durée, selon la
philosophie américaine TWI (Training withing Indutry) en inter et intra
entreprises. Des stages de formation seront ensuite organisés à destination des
agents de maîtrise portant en particulier sur la prise en compte du facteur
humain dans les méthodes de commandement N. Pouderoux devient directeur
puis président de la CEGOS en 1963. La CEGOS met surtout en avant
l’approche participative, dans la lignée du courant des relations humaines y
compris par les animateurs et consultants de culture technique. D’autres
organismes représentatifs de cette lignée, comme le CNOF, Ie CPA (Centre de
Préparation aux Affaires) et le CRC, organisent de multiples séminaires de
formation à la gestion et aux relations humaines.
Ainsi dès 1950, 20 000 ingénieurs et agents de maîtrise ont suivi des cours du
soir organisés par le CNOF. Ce réseau contribuera progressivement à faire
connaître toute une génération d’auteurs regroupés le plus souvent sous la
bannière du courant participationniste qui complétera et enrichira de manière
significative le mouvement des relations humaines.
L’économie de ce modèle perdure à l’essentiel de nos jours, dans le champ du
management et naturellement dans d’autres champs, même si les contenus se
banalisent : un opérateur de formation proposant une offre de formation
collective dans le cadre de stages inter-entreprises, à des populations segmentées
(dirigeants, managers, etc,). Le dispositif piloté par le formateur doit conduire à
l’atteinte, par les participants, des objectifs pédagogiques préalablement définis
et formalisés, comme tels, dans le catalogue des stages inter-entreprises de
l’organisme. Les contenus du dispositif de formation suivent les règles de
progression pédagogiques et alternent le plus souvent des apports théoriques et
des exercices d’application. Le formateur délivre et exécute ainsi, dans ce cadre
sa prestation. Naturellement elle n’est lamais réalisée à l’identique mais reste
largement structurée. Bien entendu, si le formateur était conduit à concevoir un
dispositif d’ingénierie pédagogique lourd et/ou sophistiqué pour accompagner
un projet complexe, on ne se situerait plus dans une logique de personnalisation.

b) Le champ de la classification, le modèle du cabinet Hay et la nouvelle


gestion des cadres
En 1979, trois professeurs à HJEC et consultants d’entreprise, J. Laufer, G.
AmadoFischgrund et G. Trepo publient Monsieur personnel et le développement
des hommes ouvrage qui fit date à l’époque et qui décrit, en s’appuyant
notamment sur des pratiques issues de grandes firmes anglo-saxonnes les formes
de politiques et de pratiques professionnalisées d’une fonction personnel
moderne. L’ouvrage comporte notamment un chapitre consacré à la gestion
intégrée (recruter apprécier l’efficacité et le potentiel, étudier et classer les
fonctions, rémunérer former et perfectionner. etc.) en l’illustrant par Merlin
Guérin, entreprise française de référence en la matière. Le dispositif de
classification et de rémunération se réfère implicitement, à la méthode Hay
souvent considérée, notamment dans les années 80, comme le dispositif quasi
incontournable d’une politique moderne de GRH.

Le cabinet Hay fondé en 1943 par E.N,Hay s’installe en France en 1972. Il


deviendra l’un des leaders mondiaux des méthodes de classification et de
rémunération. La méthode Hay demeure probablement la méthode de
classification des postes la plus connue des professionnels de la fonction
ressources humaines. Le cabinet a construit sa notoriété sur la base d’un concept
à double entrée l’équité interne et la compétitivité où équité externe. Dans le
premier cas et selon une approche classique, il s agit de comparer les postes les
uns par rapport aux autres, au sein de la firme dans le second cas, on compare
les postes de l’entreprise, par rapport aux mornes types de postes dans d’autres
entreprises, situées en France, mais aussi dans le monde, notamment pour
assurer une cohérence avec le marché externe. L’équité externe permet donc un
positionnement des fonctions sur le marché, pour assurer une rémunération
compétitive des cadres, notamment vis-à-vis des firmes concurrentes. La
méthode repose, on le sait, sur les fameux points Hay résultant de la sommation
des trois critères majeurs (les compétences, l’initiative créatrice et la finalité)
traduisant la valeur relative des différents postes. C’est un comité d’évaluation
composé de personnes représentant les différentes fonctions de l’entreprise qui
porte une évaluation sur chaque poste décrit, en s efforçant de dégager un
consensus, avec l’aide d’un du consultant du cabinet. La cohérence d’ensemble
est assurée après un lissage général permettant de comparer les niveaux entre les
postes. Enfin, le cabinet réalise des enquêtes de rémunérations annuelles
permettant de convertir les points Hay en valeur numéraire, Cette méthode de
type critérielle, est le plus souvent présentée par ses promoteurs, comme
objective, rationnelle et universelle, fabriquant ainsi, une quasi-norme
internationale de classification. On imagine aisément les avantages que peuvent
en retirer notamment les firmes multinationales.
Naturellement la méthode Hay a fait l’objet de critiques. La première porte sur
l’importance excessive accordée au poste objet de l’évaluation, par rapport au
titulaire, c’est-à-dire à la personne qui l’occupe et qui le façonne. Si la
performance du titulaire est prise en compte dans son niveau de rémunération la
capacité de celui-ci à donner; par son action, une dimension et un poids est
difficilement prise en compte. Cette centration sur le poste est cependant
légitime pour une méthode qui recherche les comparaisons internationales, une
seconde critique porte naturellement sur la prétendue universalité de la méthode,
quels que soient par ailleurs les situations professionnelles, les secteurs
professionnels, les cultures et les époques. Ces deux derniers aspects notamment
peuvent être largement contestables.
Par-delà ces critiques, cette méthode, du seul point de vue de la prestation
proposée demeure en effet d’une redoutable efficacité vis-à-vis des clients, en ce
qu elle génère un processus quasi récurant de services. Les barrières à la sortie
du dispositif sont donc très élevées.
c) L’Offre technologique en matière de gestion de ressources humaines et les
nouveaux enjeux associés
On ne peut pas faire ici l’économie d’un très court détour autour des ERP
(Entreprise resource planning), pour aborder l’offre technologique en matière
d’administration et de gestion des ressources humaines. C’est au début des
années 90 que les sociétés de conseil et les SSII se sont emparées et appropriées
l’innovation que représentaient les ERP. La problématique de leur usage est au
centre d’un débat, qu’il n’est pas inintéressant de schématiser ici pour la suite de
cette présentation. Selon certains auteurs, comme Gilbert et Leclair on se situe
avec ces dispositifs dans une logique de rationalisation industrielle. De Taylor
aux systèmes de gestion intégrés, écrivent-ils, une même logique anime les
gestionnaires à différents stades de leur histoire celle de la codification et de
l’imposition de bonnes pratiques. D’autres auteurs, à l’image de Denis
Segrestin, défendent délibérément un devoir d’intervention, la prise en main
volontariste de l’outil si ce n est la reconfiguration stratégique de celui-ci, pour
l’ajuster aux besoins propres de l’entreprise ‘ attitude qui lui semble d’ailleurs la
plus répandue.
Pour en revenir aux systèmes d’information ressources humaines (SIRH) on
rappellera que les grands éditeurs ERP généralistes proposent des modules
couvrant la plupart des besoins d’eRH (SAP people Soft, HR Access etc.). Ils
coexistent avec des acteurs spécialisés sur un domaine plus spécifique (ADP-
GSI pour la paie. GFI Chronotique pour la gestion des temps. Trivium pour la
gestion des compétences, etc.). L’argumentaire principal tenu par les éditeurs de
logiciels et certains DRH repose sur l’opportunité de transférer et de
déconcentrer le traitement d’informations dites à faible valeur ajoutée auprès des
acteurs concernés dans le cadre d’un intranet dédié. Les exemples typiques de ce
retrait concernent la saisie individuelle par le manager ou le salarié des congés
des jours de RTT ou des notes de frais. Ce désengagement doit simultanément s
accompagner de la (re)conquête d’une position stratégique et d’un recentrage sur
le coeur de métier de DRH, pour se concentrer sur des prestations à forte valeur
ajoutée à destination de ses clients internes.
Ce discours récurent (en ce qu’il n est pas nouveau), idyllique et réducteur par
certains aspects, doit être dans les Faits, quelque peu nuancé. Il laisse aussi
quelques questions en suspens. En premier lieu, s’il est vraisemblable que les
coopérations et les relations de pouvoir entre les différents acteurs sont
susceptibles d’évoluer significativement et de se modifier on peut
raisonnablement penser que les DRH qui ont déjà fait preuve d’une capacité à se
saisir des problématiques stratégiques réelles bénéficieront d’un avantage
concurrentiel décisif. On peut ensuite dans le cadre de ce transfert, craindre une
raréfaction des contacts sociaux et relationnels avec les managers et les
personnels de terrain. Par ailleurs on peut se demander si les managers ont
réellement envie de se saisir de ces nouvelles responsabilités alors qu’on leur
demande souvent dans le même moment de se recentrer également sur le coeur
de leur métier. Certains n’hésitent pas à se demander si cela relève réellement de
leur responsabilité. C’est peut-être finalement les salariés qui risquent de s’y
retrouver, à travers la confiance apparente conférée dans le cadre de la solution
intranet de libre service. On observe également qu une partie des activités qui
ont précisément vocation à se positionner dans le coeur des missions de la
gestion des ressources humaines, comme la formation et surtout la gestion et
l’évaluation des compétences, peuvent être captées et insérées dans les SIRH. Il
s agit d’un marché sur lequel s’engouffrent les prestataires de services. La
question de la codification de l’évaluation des compétences peut certes, faire
débat celle de la codification des entretiens d’évaluation — l’acte est loin d’être
anodin — renvoie au risque de la dérive instrumentale. La rationalisation
rencontre vite ses limites sur ce terrain. En marge de ces remarques enfin, il sera
probablement intéressant de se pencher un jour sur le retour réel en termes
d’investissements.

3°)Pour conclure provisoirement: du bon usage de l’outillage


Les grandes bureaucraties professionnelles du savoir dans le champ du
management et de la gestion des ressources humaines (ainsi que dans d’autres
champs), restent très présentes et puissantes sur le marché des prestations
intellectuelles en général. Leurs atouts on le sait, sont principalement associés à
leur capacité de mobiliser et de mettre en oeuvre des processus et des grands
systèmes, qui accompagnent le plus souvent une forme de pensée et d’action
managériale dominante, à un moment donné. Leurs limites sont aussi connues.
Certains professionnels, manipulant volontiers l’humour et la critique acerbe,
expliquent ainsi que certaines de ces firmes vendent des solutions avant d’avoir
défini ou posé le problème,et pointent ainsi les limites du prêt-à-porter clé en
main Ces critiques sont assurément. pour partie, excessives, la liberté de l’acteur
étant souvent sous-estimée, comme l’a bien montré par exemple Denis Segiestin
à propos des ERP Pourtant, à l’heure du retour de l’acteur et de la centration sur
la gestion personnalisée des hommes et, plus largement des besoins croissants
des dirigeants de nourrir leur réflexion (comme en témoigne d’une certaine
façon. le développement du coaching) il existe assurément un espace pour
penser le conseil. C’est cet aspect que nous allons notamment développer dans
une seconde partie à travers la présentation d’une logique dominante plus
orientée vers la logique de la personnalisation.

II- Autour de la logique dominante de personnalisation des


prestations, ou comment penser le conseil en GRH
Nous pénétrons à présent, dans le cadre de cette logique plus identitaire, dans un
univers qui est principalement régi par la complexité et l’innovation. Nous nous
proposons donc, de la même manière que pour la partie précédente, d’identifier
les caractéristiques dominantes des adhocraties cognitives ainsi que des
professionnels du savoir qui oeuvrent le plus souvent en leur sein. Nous
terminerons cette présentation en présentant donc, quelques-uns des cabinets de
conseil français en ressources humaines, qui nous semblent particulièrement
représentatifs de cette tendance.
1°) Principes et description
a) Du côté des organisations; les adhocraties cognitives et identitaires
Pratiquer une activité de conseil identitaire, c’est d’abord savoir penser Cette
posture spécifique rend ainsi sa véritable noblesse au métier de consultant, dont
le terme se banalise trop largement. Aussi, pour décrire et caractériser les firmes
de conseil qui se positionnent plutôt dans cette posture, le terme d’adhocratie
cognitive et identitaire peut être proposé comme forme de référence. Le concept
d’adhocratie, a été proposé dès 1964 par Warren G. Bennis et Philip L. Slatert .Il
sera ensuite utilisé en 1970 par Alvin Toffler comme système d’organisation du
futur qui allait, pensait il peu à peu contester le pouvoir de la bureaucratie avant
de le supplanter définitivement Ce terme, on le sait, a ensuite été popularisé par
Henry Mintzbergt qui le décrit en référence aux organisations réalisant des
produits individuels ou fabriqués selon une tradition, dans une vision novatrice
sur la base d’un projet à l’image du potier dans le cadre d’environnements
complexes et dynamiques. Cette forme renvoie à des typologies d’ailleurs
anciennes et classiques, qu’il s’agisse d’Alain Touraine décrivant un système
professionnel de travail fondé sur l’autonomie ouvrière, autour d’une
qualification attachée à l’ouvrier ou de Woodward avec production à l’unité et
en petite quantité. On retrouve aussi dans cette perspective le fameux mythe du
garage propice aux innovations et pratiqué par de grandes firmes
technologiques, comme Apple ou Google. En général cependant, ces
organisations sont plutôt de petite taille et correspondent par exemple à des
agences de publicité, des cabinets d’architecture, et naturellement, des cabinets
de conseil en management et en ressources humaines. Certains auteurs d’Europe
du nord comme Mats Alvesson ou Bente Lowendahl ont recours au terme de
Knowledge IntensiveOrganisation, terme qui émergea dès la fin des années 80
recoupant assez largement ces formes d’organisation créatives et identitaires.
L’on se situe bien dans une logique qui valorise la création de savoir (et non la
simple application et la mise en oeuvre de savoir),en proposant le plus souvent
des prestations personnalisées généralement à forte valeur abutée et comportant
une forte interaction (co-production) avec le client. Ce qui renvoie
inévitablement aux caractéristiques des personnes qui oeuvrent dans ces
organisations, comme nous allons le développer dans le point qui suit.
b) Du côté des personnes: autour des professionnels du savoir et de la
manipulation des concepts et des idées, dans le champ des connaissances
tacites

•Les professionnels du savoir


En observant à présent les personnes qui « oeuvrent dans le cadre de ces
adhocraties cognitives et identitaires, pour reprendre notre terminologie, on
admettra que la majorité d’entre eux sont conduits non plus seulement à traiter
de l’information, mais aussi et de manière dominante, à manipuler des concepts
et des idées. On utilisera pour les caractériser le terme, professionnel du savoir
marquant ainsi le positionnement dans un champ qui de notre point de vue,
constitue un réel saut conceptuel et qualitatif, traduisant en quelque sorte le
passage à un nouvel état. On se positionne clairement dans le champ d’activités
visant à résoudre des problèmes complexes et ou à concevoir des projets
innovants. Ces professionnels qui pensent le conseil mobilisent le plus souvent
des compétences expertes, supérieures donc à la simple maîtrise professionnelle
souvent suffisante pour les travailleurs du savoir. Naturellement, les frontières
entre travailleurs et professionnels du savoir ne sont jamais totalement
imperméables. Ainsi, des professionnels du savoir sont aussi sollicités et
mobilisés pour réaliser des prestations qui relèvent du traitement de
l’information.
Les professionnels du savoir se situent et se positionnent mutuellement le long
d’une échelle de prestige (souvent associée d’ailleurs à une échelle de notoriété
et aussi de... revenus). Cette échelle de reconnaissance hautement symbolique,
s’inscrit dans une forme de progression qui vise à assurer et à consolider une
légitimation et qui passe par les stades du repérage de la reconnaissance (mais il
existe aussi des professionnels méconnus ...).de la réputation, puis de la
consécration,comme le propose le tableau qui suit
Deux figures représentatives illustrent cette famille les experts et les
innovateurs.
Dans le premier cas on se situera plus nettement dans des actions de
transformation (notion de changement d’état), alors que dans le second cas, on
naviguera dans le champ de la création. S’agissant des experts, on rencontrera
certes des banquiers et des avocats d’affaires mais aussi des consultants haut de
gamme manipulant par exemple des dossiers sensibles et complexes, dans le
cadre de l’accompagnement du volet social d’opérations de fusions et
acquisitions. Du côté des innovateurs à l’image du modèle du designer on pense
par exemple de manière illustrative, aux créateurs de mode, aux créatifs dans les
agences de publicité, aux architectes, etc. On trouve naturellement, par
extension, dus consultants qui vont s’efforcer de créer et de proposer des
solutions innovantes dans le montage par exemple d’une opération d’ingénierie
créative de formation. Comme on le voit aisément, il existe en pratique souvent
des combinaisons entre les activités de transformation et d’innovation. Ainsi
l’innovateur pourra mobiliser des compétences expertes pour concevoir un
projet original et le transformateur devra être amené à proposer une solution
innovante pour résoudre un problème complexe.

•L’importance des connaissances tacites


Un autre élément très important à prendre en compte tient à la nature des
connaissances mobilisées, à l’essentiel des connaissances tacites, qui constituent
une part très conséquente du capital de ces organisations à travers les
professionnels qu’elles emploient. Mais il n’est pas aisé de définir ces
connaissances. Aussi aurons-nous recours à la métaphore proposée par
l’économiste François Régnier. Il explique ainsi de manière illustrative qu’il
n’est pas facile de réussir une mayonnaise. Une excellente recette écrite n’est
pas forcément pertinente, et il risque de manquer quelque chose pour qu’elle
prenne. Ce qui est d’ailleurs vrai de nombreuses recettes de cuisine, mais aussi,
poursuit Régner des arts comme la musique ou des sports comme la navigation à
voile. Ce type de connaissances se réfère bien au tour de main au savoir faire
artisanal .Si l’on en croit un rapport du GICREF (club informatique des grandes
entreprises française) plus de 80 % des connaissances stratégiques, des
connaissances liées aux métiers et opérationnelles de l’entrepose résident à la
fois dans la tête des gens et dans des formats souvent inexploitables aisément
(notes manuscrites, documentations non référencées. dossiers manuels, règles
implicites...). En d’autres termes, les connaissances cruciales de l’entreprise ne
résident pas essentiellement dans les systèmes d’informations automatisés qui
exploitent les informations structurées et les règles de gestions explicites
associées. Les connaissances cruciales sont de plus en plus tacites. On imagine
aisément que leur capitalisation, leur transmission et leur échange ne sont pas
aisés et qu’elles restent en cela difficilement séparables de leurs détenteurs, qui
en sont en quelque sorte les propriétaires. Précisément, l’un des enjeux
importants pour ces organisations consiste à capter à expliciter et à exploiter les
savoirs tacites. Les méthodes utilisées s efforcent, par exemple d’organiser de
manière structurée des entretiens avec le détenteur de la connaissance pour
permettre l’explicitation d’une partie du capital de connaissances tacites de
l’organisation Ces opérations de détachement ‘ et de partage doivent permettre
de rendre ces connaissances accessibles, reproductibles et donc utilisables. Au-
delà de l’explicitation, on peut favoriser mais la démarche est plus complexe, la
création et le partage des connaissances en gérant le travail coopératif d’une
communauté de personnes

2°) Illustrations les cabinets français de conseil en ressources humaines,


autour de la logique de personnalisation, regards et perspectives
Afin d’illustrer cette présentation, nous nous proposons à nouveau de réaliser
une galerie de portraits de cabinets centrés dans le champ de la gestion des
ressources humaine et qui se situent dans la perspective du modèle référentiel
des adhocraties cognitives et identitaires considérées comme un idéal type même
si, comme toujours, les choix peuvent être contestables voir critiquables.
Relevons que les premiers cabinets français qui travaillent dans le champ du
social et non plus exclusivement dans le champ de l’organisation du travail,sont
très probablement celui fondé par André Vidai en 1942 et qui porta son nom),et
la CORT (Compagnie d’Organisation Rationnelle du Travail) créée l’année
suivante par des anciens d’IBM France, Le premier s’inscrit dans la lignée de
l’importation des techniques psychologiques issues des Etats-Unis, mais dans
une gamme plus axée vers le sur-mesure selon les anciens consultants de ce
cabinet. Il atteindra environ 120 collaborateurs à la fin des années 6O. CORT
(Compagnie d’Organisation Rationnelle du Travail), se trouve à mi-chemin
entre l’organisation et la gestion du personnel. La partie significative du chiffre
d’affaires est réalisée dans le domaine de la sélection, du conseil en recrutement
de cadres et techniciens de l’étude des postes de travail et de la qualification du
travail. L activité se prolonge par ailleurs sur des Interventions liées à la mise en
place de directions du personnel, au traitement de questions liées à l’absentéisme
et au turn-over ainsi qu’à la négociation des salaires,
C’est en réalité surtout à partir des années 60 que l’espace du conseil en
management et ressources humaines est amené à croître en France, en
complément de celui plus industriel de la CEGOS qui se poursuit. Ce
développement est d’ailleurs facilité par le fait que la plupart des cabinets anglo-
saxons délaissent ce secteur Les cabinets que nous nous proposons de présenter
dans ce cadre ont été créés, pour la plupart, entre les années 60 elle début des
années 80 Quaternaire, Education, INSEP Consulting. IDRH, Euréquip. Bernard
Brunhes Consultants, et le groupe Interface. Après avoir décrit ces différents
cabinets du point de vue notamment de leur spécificité on prolongera cette
analyse pour conclure autour de la pratique du conseil identitaire.

a) Quaternaire Education et les débuts de l’ingénierie éducative


Quaternaire Education a été fondé au début de l’année 70 par Pierre Caspar et
François Viallet et l’appui financier de J. PCarlier (ancien collaborateur de la
compagnie Air France) qui avait lui-même créé en 1969 une petite entreprise
dans le domaine informatique. Ce dernier proposa d’en financer le démarrage,
sur la base d’un plan à trois ans qui fut respecté. Les fondateurs entendaient faire
valoir une certaine forme de crédibilité et de légitimité en basculant vers
l’univers marchand du privé, dans le champ de l’économie du quaternaire champ
dont on sait qu’ensuite, il ne fera que s’amplifier) sur la base de la prise de
risque liée à la création d’une entreprise (quittant ainsi une situation
professionnelle relativement protégée). Le terme de quaternaire est choisi à
dessein, comme représentatif de recherche et d’innovation. Le concept de départ
du cabinet repose sur la notion d’intervention et d’ingénierie éducative il s’agit
de bâtir des formations sur mesure, pour accompagner des changements à
caractère socio-organisationnel. Le cabinet se développe dans les années 70 pour
atteindre une trentaine de consultants dans la deuxième partie de la décennie. Un
certain nombre de principes et de pratiques professionnelles sont alors mis en
avant par des dirigeants, comme la conceptualisation, la capitalisation et la
publication des pratiques et des méthodologies, le partage des savoirs, la volonté
de faire aq cc les personnes et les groupes la formalisation du cahier des charges,
l’engagement au sein des instances professionnelles (Syntec) et une certaine
éthique patronale marquée par la proximité avec le CJD. Parmi les clients
significatifs, Kodak (développement de la créativité des chercheurs,
méthodologie d’étude des problèmes), la Compagnie Bancaire (développement
des compétences des formateurs), la COFACE. Pierre Caspar quitte Quaternaire
Education au tout début des années 80 et rejoint alors le cabinet du ministre du
Travail Jean Auroux.
Bien des années plus tard. Quaternaire Education continue de constituer une
référence et une mémoire pour les professionnels qui se sont investis dans la
pédagogie des adultes.

b) INSEP Consulting autour de la « performance durable fondée sur le


développement conjoint des hommes et des organisations »
INSEP Consulting a été fondé en 1967 par Claude Bellavoine, homme de
culture et humaniste, qui au sein d’IBM France avait créé 1’un des premiers
services éducation au milieu des années 60. Dominique Genelot rejoint INSEP
Consulting pour sa part en février 1971, et en prendra la tête en 1978. Il sera
rejoint en 1972 par Didier Noyé puis par Jacques Piveteau en 1973. Le cabinet
compte aujourd’hui 75 consultants. A noter une originalité en 1981 le cabinet a
créé une activité d’édition sous sa propre marque INSEP Editions dont la
vocation est de diffuser des méthodes pratiques et des réflexions sur la formation
et le management. Le cabinet marque à travers ses publications, qui sont
devenues une référence aujourd’hui, son attachement à la prise de recul
conceptuelle et au partage des connaissances.
Quel a été le cheminement du positionnement d’INSEP Consulting au cours de
ses bientôt 40 années d existence Il est clair que la vocation éducative et
l’inspiration humaniste ont présidé à sa création. La raison sociale d origine
Institut Supérieur d’Education Permanente correspondait bien aux besoins de
formation et à la philosophie éducative de 1’époque. Mais très rapidement la
formation classique montre ses limites car elle ne porte pas véritablement le
changement. Durant les années 80. INSEP Consulting marque une inflexion et
développe l’ingénierie pédagogique et le conseil pour d’une part insérer
davantage la formation dans les contextes professionnels, et d’autre part agir
conjointement sut les modes d’organisation. Au cours des années 90, le cabinet
conduit son développement sur deux axes le conseil et la formation en
management mais aussi le conseil stratégique et organisationnel (ingénierie du
changement, déploiement stratégique reconception des processus). En ce début
de cette nouvelle décennie, INSEP Consulting précise sa vocation de conseil en
management et d’architecte du changement et affirme son parti pris l’entreprise
est un système complexe apprenant, et le développement conjoint des hommes
et des organisations est une condition de sa performance durable en maintenant
son hi directeur identitaire, selon son dirigeant le développement de l’autonomie
des hommes et de leurs capacités d’intelligibilité comme moteur de progrès.

c) IDRH et la sociologie de la conduite du changement


Le cabinet IDRH (Institut pour le Développement des Ressources Humaines)
naît en 1970 et commence à se développer notamment après son acquisition par
Charles Riley vers le milieu de la décennie. Pierre Morin, venant de la SEMA le
rejoint en 1977 comme DGA puis comme Directeur Général. Le cabinet met
l’accent sur les problèmes de conduite du changement organisationnel alors
souvent sous-estimés en tant que tels. La croissance du cabinet conduit à la
naissance du groupe CRCI (Charles Riley Consultants International) et Pierre
Morin devient Directeur Général de IDRH filiale du groupe. IDRH se spécialise
dans les interventions centrées sur l’évolution des méthodes de management et
sur l’adaptation au contexte français et européen des techniques comme l’OD
(Organization Deuelopment), la direction par objectifs ou les cercles de qualité.
En 1992, IDRH sort du groupe CRCI et Jean-Luc Placet qui avait été nommé
Directeur Général de IDRH en 1990, en devient le PDG et l’actionnaire
majoritaire et Pierre Morin le Président d honneur et le directeur scientifique.
Tout au long de ces années, le cabinet bénéficie des publications et de la
notoriété de Pierre Marin Pour conduire leurs interventions, les consultants du
cabinet s’inspirent en particulier des travaux français et américains en sociologie
des organisations. Sous la présidence de Jean-Luc Placet, IDRH accroît ses
interventions en France et en Europe et s’affirme comme un cabinet français et
indépendant de conseil en management assistant les entreprises dans le
traitement des problèmes de management lorsque la ressource humaine constitue
l’un des facteurs clés de leur résolution. Il est assurément parmi l’un des
premiers cabinets à avoir introduit les sociologies d’organisation en s’inspirant
notamment des travaux de Michel Crozier. Ses principaux domaines
d’intervention concernent la mise en oeuvre des stratégies et des projets
d’évolution, la définition des structures, des process et des responsabilités, la
gestion de la performance des ressources humaines, le développement du
management (évaluation du management, conception et animation de
programmes de perfectionnement des managers), ainsi que l’écoute et la
compréhension sociales (études sociologiques thématiques). IDRH a également
accumulé depuis de longues années une grande expérience dans la
modernisation des entreprises publiques et des administrations françaises
(fonctions publiques d’Etat, territoriale et hospitalière).

d) Euréquip et l’excellence version française


On ne peut passer sous silence, dans le cadre de ces portraits, l’épisode
managérial important, qui a largement marqué les années 80, autour du marché
de l’excellence. Rappelons qu au début des années 80, le cabinet Mac Kinsey,
effectue une forme de reconversion spectaculaire, en suscitant largement le culte
de l’excellence, dans la mesure où le temps de la prévision ne semble plus
prioritaire au sein des grandes firmes (fin des matrices)..La démarche est bien
connue en 1980, ce cabinet publie en effet un document qui explique que la
performance d’une entreprise ne dépend pas seulement de la stratégie et de la
structure, mais plutôt des relations entre sept variables interdépendantes la
stratégie, la structure, les systèmes, les styles, les savoir-faire, le personnel et les
valeurs partagées. C’est le fameux modèle des seven S (statregy structure,
systems, style, skills, staff shared-ualues). Ce texte sera lui-même relayé deux
années plus tard, par une publication des deux consultants auteurs de ce premier
texte,Tom Peters et Robert Waterman best-seller mondial de la littérature
managériale, In Search 0f Excellence qui se vendra à cinq millions
d’exemplaires et qui sera traduit en une quinzaine de langues. Prenant appui sur
l’analyse de 62 entreprises performantes, toutes américaines, les auteurs
dégagent les attributs représentatifs des secrets du succès qui distinguent les
meilleures entreprises. La publication de ce livre culte va largement contribuer à
instrumenter pour un certain nombre de cabinets le marché de l’excellence, qui s
avèrera au demeurant très lucratif.
Ce marché est relayé en France par un certain nombre de cabinets et d’auteurs.
Le cabinet Euréquip, qui se trouve lui aussi dans une fin de cycle (on assiste à la
fin des grands contrats de transfert de technologie des années 70) en constitue
une bonne illustration, tout en conservant son originalité et sa spécificité. Deux
concepts sont alors aussi valorisés et combinés la qualité venue du Japon et le
projet venu de Californie. Ils vont donc constitués un point de départ d’une
certaine reconversion du cabinet. C’est Bernard Malcor, alors directeur du
département Stratégie et Projet d’entreprise, qui est l’un des artisans de la
démarche, dès le début des années 80. Il publie l’un des premiers articles
importants en la matière avec Christian Beullac, alors président d’Euréquip SA.
A l’occasion d’une mission réalisée au Japon et en Californie, Hervé Sérieyx
publie en 1982 Mobiliser l’intelligence de l’entreprise tiré à environ 50000
exemplaires, suivi du best-seller français de la décennie, L’entreprise du
troisième type écrit en collaboration avec Georges Archier et tiré à 200 000
exemplaires. Les deux auteurs décrivent les caractéristiques du pilote du
troisième type qui comporte notamment la stratégie pour orienter les activités
dans le sens du projet d’entreprise partagé. A la fin des années 80 l’épopée
d’Euréquip en tant que telle se termine progressivement, d’anciens consultants
assureront chacun à leur manière, une forme de relève, comme Philippe Détrie et
Bernard Malcor (respectivement créateurs des cabinets Inergie et Sophor).
Euréquip ne représente probablement pas le modèle typique du cabinet
identitaire, il n’empêche, il reste du point de vue de ce marché de l’excellence
,le cabinet aura largement marqué et influencé (parfois excessivement) de
nombreuses firmes privées (puis certaines organisations du secteur public),dans
les années 80, ainsi que leur DRH,autour de la démarche phare du projet
d’entreprise

d) Bernard Brunhes Consulatnats auteur de l’accompagnement des mutations


sociales
Le cabinet BBC (Bernard Brunhes Consultants) est créé en 1987 par Bernard
Brunhes, qui choisit alors de quitter une situation protégée de haut fonctionnaire
pour une position d’entrepreneur. Depuis ses débuts, le cabinet intervient dans le
champ de l’ingénierie sociale, de la conduite du changement, du management et
de la gestion des ressources humaines avec, comme le précise son fondateur, une
double ambition renouveler l’approche sociale des problèmes économiques et
l’approche économique des problèmes sociaux. Il cherche ainsi à concilier à la
fois la recherche de la performance économique et la prise en compte des
personnes et de la dimension sociale. Marqué par la personnalité et la notoriété
de Bernard Brunhes reconnu comme l’un des meilleurs experts français du
social, le cabinet développe le conseil à façon et l’immersion à tous niveaux
chez ses clients,
Bernard Brunhes Consultants intervient simultanément auprès des entreprises et
du secteur public (Etat, collectivités territoriales, hôpitaux, organismes de
protection sociale). Le cabinet a développé des compétences spécifiques en
matière de développement territorial, d’accompagnement de la mise en oeuvre
des politiques publiques et d’accompagnement social des fusions-acquisitions. Il
s’est développé dans les pays d’Europe centrale et orientale (Pologne,
Roumanie, Russie) en apportant ses compétences dans les domaines de la
protection sociale, des politiques d’emploi et de formation, et de management en
aidant des entreprises à s’implanter et des investisseurs à traiter les dimensions
sociales des privatisations, restructurations ou fusions-acquisitions.
BBC, outre son fondateur très médiatisé, communique beaucoup, notamment à
partir des études que le cabinet réalise, à travers Les Cahiers du Groupe Bernard
Brunhes, une lettre d’information Acteurs) et des ouvrages sur les relations
sociales ou le management, le plus souvent écrits ou coordonnés par Bernard
Brunhes.
Bernard Brunhes Consultants a été racheté en octobre 2004 par BPI, dans une
perspective de renforcement mutuel, sachant que les dirigeants et la plupart des
consultants des deux organismes défendent la même culture, fondée sur une
communauté de valeurs placer le social et l’humain au coeur de l’économie,
conjuguer performance et prise en compte des acteurs) et sur une même vision
du métier de consultant produire et innover avec le client). Bernard Brunhes
devient vice-président de BPI, Le cabinet et la marque demeurent et conservent
leur identité forte tout en s’insérant dans un groupe plus large, centré à l’origine
sur le reclassement individuel et aujourd’hui sur l’accompagnement des
restructurations d’entreprises.

d) Le groupe Interface, à la croisée des études, du conseil, de la formation


et de la recherche
Créé en 1980. Interface études, conseil et formation qui deviendra le groupe
Interface en 2003. se situe bien, d’une certaine façon, dans la lignée de
Quaternaire Educationt Dirigé par Christian Batal et Olivier Charbonnier, il a
pour mission d’accompagner la performance individuelle et collective au sein
des organisations publiques et privées à travers quatre registres le
développement de la formation (qu’il s’agisse de la politique, de l’ingénierie, de
l’évaluation, etc.»), l’organisation du travail, la gestion des emplois et des
compétences et le management sous ses différentes postures (stratégique.
transversal, opérationnel»). Ses prestations se déclinent sous forme de conseil,
d’études et de formation, les deux premières notamment se réalisant sous forme
quasi artisanale, il est le seul organisme français à posséder la certification
qualité européenne en formation Q*For. Cabinet identitaire de taille réduite (il
regroupe une quinzaine de consultants), il a volontairement choisi de ne pas
grossir. L’absence d’actionnaires extérieurs lui offre une réelle liberté d’action.
La plupart des consultants enseignent et publient (ce dernier aspect faisant partie
de leurs objectifs).
L’une des spécificités de ce cabinet, sur laquelle on insistera plus
particulièrement réside dans son engagement dans la recherche par le biais de la
création en son sein d’une association ad hoc Interface Recherche, présidée par
un universitaire. Cette association a pour mission d’établir et de consolider le
lien entre entreprise et recherche en sciences humaines et sociales dans les
domaines de la formation, du management et de la GRH. Elle conduit des études
et recherches opérationnelles, d’ambition et de durée variables, toujours conçues
à l’articulation entre problématiques scientifiques et besoins d’éclairage des
organisations. A ce titre Interface Recherche conçoit, réalise et diffuse une
recherche majeure tous les deux ans,sur des thématiques d’actualité pour
lesquelles les professionnels manquent souvent de données fiables issues
d’investigations rigoureuses faisant l’objet de publications. Au début de l’année
2004, l’association a lancé une nouvelle recherche biennale sur les prolongations
de vie active et leur impact dans les organisations sur les relations
intergénéiationnelles, les représentations de la performance et le rapport au
savoir et à la formation. Les résultats en seront publiés fin 2006. Elle réalise
également des études courtes, dossiers documentaires et dossiers
problématiques. toutes actions de recherche destinées, conformément à la
mission de l’association, à faciliter l’accès des décideurs aux données
scientifiques disponibles sur les thématiques qu’ils rencontrent et pour lesquelles
les solutions de la pratique et les expertises locales montrent leurs limites,
exigeant une distanciation par rapport aux enjeux du quotidien. L’association
s’est par ailleurs adjointe un conseil scientifique composé de plusieurs
personnalités scientifiques, psychologues, sociologues, économistes et experts
qui interviennent en tant que de besoin dans les recherches et études courtes
pilotées par l’association. Le groupe Interface offre de ce point de vue une
posture probablement unique, au carrefour de l’intervention et de la recherche,
dans le champ du conseil identitaire français.

Pour conclure provisoirement : penser le conseil identitaire


Il existe donc très probablement une certaine spécificité française en la matière
au moins depuis les années 70 le développement d’une forme de cabinets à taille
humaine, marqué par une approche privilégiant le sur-mesure ‘.le travail à façon
‘ et le conseil identitaire . Jean-Luc Placet en est à sa manière, un militant actif.
quand il écrit dans le cadre d’un sous-titre significatif l’impasse du “tout
technique” et la richesse du “tout sensible” que c’est le privilège des petits ou
des moyens par rapport aux plus grands, de savoir affiner leurs outils prestement
rien de plus pénible en effet pour un chef d’entreprise plutôt soucieux, de se voir
proposer un traitement pré-programmé, lorsqu’il a le sentiment légitime que les
maux dont souffre son entreprise sont évidemment singuliers. Cette posture
illustre finalement bien ce que nous entendons par l’expression de penser le
conseil, que l’on peut caractériser de manière ramassée ainsi travailler de
manière singulière et personnalisée avec une forte interaction co-productive
avec le client parfois doublée d’une proximité socio-affective mais aussi
interaction entre les consultants impliqués sur le projet laisser sa place au doute
(la posture de la certitude méthodologique n’étant pas forcément toujours la plus
rassurante, même équipée de robustes prothèses...). Une autre musique et
d’autres partitions en quelque sorte plus proches de jam session que de
l’orchestre symphonique. Les praticiens du conseil identitaire sont ainsi marqués
du sceau de la séniorité générant de l’épaisseur et de la densité qualitative sur la
majeure partie de l’intervention, qui intègre comme une évidence incontournable
les aspects culturels et sociologiques. Ce sont d’une certaine façon, pour
reprendre la typologie de David Maister des ‘ brains (hommes de matière grise),
dont le type de promesse au client face au type de problème à régler peut s
exprimer par la formule choisissez-nous parce que nous sommes les plus
intelligents. Naturellement la logique financière dans ces cabinets intellectuels
est moins prégnante même s’il faut gagner sa vie » (et parfois même très bien la
gagner...).
Peut-on pour autant âtre et rester à la fois small et powerfui et, pourquoi pas,
successful sur ce marché du conseil en management et en gestion des ressources
humaines. La question reste posée. La dernière étude du Syntec est à cet égard
instructive. La crise des années 2002-2003 du conseil en management ne touche
en effet pas tous les acteurs du marché. Ainsi les majors et les grandes sociétés
de conseil, a fortiori quand les cabinets sont généralistes et/ou couplés avec une
activité technologique comme IBM, Accenture, Unilog ou Capgemini, ont
connu pour certains des pertes de chiffres d’affaires allant jusqu’à 14% pour
l’année 2003. Au contraire, des petits et moyens cabinets affichent de belles
progressions de leur activité. Ces chiffres traduisent, pour ces observateurs, un
changement d’attitude des entreprises. Après avoir dépensé lourdement sur de
vastes systèmes informatiques durant la décennie 90, elles tardent à soir les
retours sur investissement attendus et promis. Du coup, beaucoup d’entre elles
s’affirment lassées de voir les grands cabinets leur vendre l’expertise de
consultants seniors, en leur envoyant des bataillons de consultants seniors. En
conséquence forme de désamour, elles se tournent vers des petits cabinets, jugés
plus à même de leur apporter un service personnalisé. L’étude relève notamment
que si les mauvais résultats des années 2002-2003 résultent en partie de la
mauvaise conjoncture économique et de la réduction des investissements des
entreprises, ils n’apparaissent pas pour autant comme un accident conjoncturel,
mais comme le signe d’une évolution profonde On peut en effet penser que nous
sommes sur un portage renouvelé. Mais gardons-nous de conclure durablement
sur cet aspect, car des cohabitations et des hybridations intelligentes demeurent
nécessaires, même si elles restent souvent complexes et subtiles,

En guise de synthèse : par delà et -de des modèles et des clivages


Au milieu des années 90 déjà, Jean Gadrey relevait que la complexité croissante
des problèmes à identifier et à analyser, la spécialisation et l’intégration exigées,
éloignent constamment le conseil de la standardisation du service qu’il rend.
Mais à l’inverse poursuivait-il, la rationalisation des processus et la
formalisation des méthodes rapprochent constamment une partie de l’activité
des cabinets, et notamment des plus grands de la standardisation non pas de leur
service, mais de certaines étapes du processus. Cette contradiction apparente
signifie, selon lut, que l’on assiste à une course poursuite entre la complexité et
l’incertitude des projets d’une part, la rationalisation et la technicisation des
opérations intellectuelles et informationnelles d’autre part. L’ on peut concluait-
il sans grand risque, faire le pari que cette course ne fait que commencer, et qu
elle aura pour double effet la relative standardisation des étapes les moins
complexes et la montée en complexité des stades supérieurs du conseil en
relation avec les innovations de conseil. Cette remarque reste à nos yeux
toujours valable y compris naturellement dans le champ des prestations et du
conseil en gestion des ressources humaines.
Elle doit être à notre sens prolongée par la recherche du bon dosage et de la
cohabitation intelligente entre ces deux modèles. En réalité, ils ne s opposent pas
systématiquement (même si dans certaines interventions elles sont, de par leur
nature totalement différenciées et d’une certaine manière imperméables). Dans
certains cas l’un sera prédominant, l’autre intervenant plus en appui ou en
soutien, Cela peut être ainsi le cas, par exemple, lors de la mise en place d’un
SIRH complexe au sein d’une firme, nécessitant un accompagnement du
changement approprié, Il y a donc une forme d’hybridation avec une logique
dominante, mais si possible combinée et articulée avec l’autre.
En s’inspirant au départ de l’analyse de Hansen complétée par nos propres
compléments et observations,on peut repérer un certain nombre de facteurs qui
incitent à opérer un arbitrage en faveur de telle ou telle stratégie.

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