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Par Gary Olius*

Soumis à AlterPresse le 16 juillet 2012

Pour la prochaine année fiscale, les autorités du Ministère de l’Economie et


des Finances estiment que le budget de la République d’Haïti sera financé à
hauteur de 50.07% par la communauté internationale. Cet apport, certes, est
encore relativement élevé ; mais son niveau actuel constitue un progrès non
négligeable par rapport aux années antérieures où il a été évalué, dans le pire
des cas, à plus de 67%. En fait, il traduit toujours un degré de dépendance
extrêmement contraignante si l’on considère son poids dans le budget
d’investissements publics. Et, sous cet aspect, le quote-part relatif de l’aide
externe (contribution de Pétro caribe comprise) dépasse le seuil des 80%. On
ne peut pas s’étonner que l’Etat haïtien ne soit jamais parvenu à exécuter
40% des dépenses d’investissement.

Cette difficulté de consommation des crédits alloués ne s’explique pas par un


problème de capacité d’absorption en tant que telle, comme on tente de le
faire croire assez souvent, mais par un déficit de maitrise de l’exécution de
cette partie du budget. La mise en œuvre d’une activité sous cette rubrique et
le décaissement y relatif sont conditionnés au contrôle à priori des bailleurs de
fonds et, pis est, à la compétence technique, à la bonne disposition ou même
à la bonne foi des techniciens préposés à ces taches. Et on connait déjà les
fâcheuses conséquences politiques de cet état de fait : ce sont les ministres
et les chefs de gouvernements qui sont toujours mis sous la sellette. Rendus
sur le-qui-vive par des parlementaires opérant au gage d’un Chef de l’Etat qui
n’aime pas la forme de leur tête, ils sont intempestivement convoqués,
interpellés et renvoyés sans aucune forme de procès. Réduire cette énorme
dépendance par rapport aux bailleurs est un objectif hautement désirable,
mais pas immédiatement réalisable. Il faudrait à court terme envisager un
certain nombre de mesures originales et s’armer de courage et de
persévérance politique pour les exécuter correctement, en dépit des grognes
qu’elles pourront susciter.

In limine litis, il faut dire que la clef de voute de toutes ces éventuelles
mesures réside dans la configuration démographique du pays, telle qu’elle
apparait dans le rapport du recensement de 2003 et les projections
subséquentes réalisées par les autorités compétentes en cette matière.
Quand on a un pays où plus de 50% de la population ont moins de 21 ans et
où 59.2% vivent en milieu rural, on a du souci à se faire ; car les
conséquences sur les recettes fiscales sont énormes et, cela, pour deux
raisons au moins. Primo, les jeunes de moins de 21 ans sont à 95% soit en
situation d’apprentissage à l’école classique ou à l’université, soit en situation
de chômage ouvert ou déguisé, et plus de 50% d’entre eux ne paient même
pas une vignette ou un matricule fiscal. Secundo, 80% des Haïtien(ne)s vivant
dans les zones rurales sont totalement décapitalisé(e)s à cause (i) de la
destruction malveillante de leur cheptel porcin, (ii) du manque d’encadrement
leur permettant d’augmenter leur production agricole exportable (café, cacao,
pitre, vétiver, etc…), et (ii) du mépris scandaleux dont ils sont l’objet de la part
des dirigeants gouvernementaux. De ce fait, ils ne sont pas à même d’être
des contribuables sur qui l’Etat peut compter. Les autres 20% qui exercent
une activité génératrice de revenus opèrent dans le secteur informel de
l’économie nationale. On peut comprendre facilement que le fisc haïtien a une
marge de manœuvre extrêmement réduite dans sa détermination à
augmenter, malgré vents et marrées, les recettes de l’Etat.
Récemment, nous avions entendu quelqu’un dire, tout de go, que la
perception - l’an dernier - de 45 milliards de gourdes pour une population de
10 millions d’habitant est une piètre performance. C’est vrai que la douane a
des efforts à faire pour réduire le niveau de contrebande, si l’on tient compte
du fait que sur 15 milliards d’importation (dont une bonne partie transite par la
frontière commune avec la République Dominicaine) seulement 9 milliards ont
été taxés et, ce, avec tous les biais qu’on connait. Mais du côté de la Direction
Générale des Impôts, ce n’est pas tout à fait la même réalité. Déclarer sans
nuance que la collecte totale de 45 milliards de gourdes est carrément une
mauvaise performance c’est provoquer, peut-être inconsciemment, le risque
d’une réaction émotionnelle de la part des plus hautes autorités politiques et
l’élimination de l’eau de bain avec le bébé.

Par ailleurs, si l’on examine de plus près la pyramide des âges relative à la
population haïtienne, on peut se rendre compte que les potentiels
contribuables représentent moins de 40% de la population totale du pays, soit
moins de 4 millions d’habitants. De cette quantité, plus de la moitié opère
dans le secteur informel, donc ils sont propriétaires de négoces ou de petites
entreprises qui échappent complètement au contrôle du fisc. Une grande part
de l’autre moitié (à peu près 2 millions), sont des chômeurs ou des gens ayant
entre 25 et 35 ans qui sont peut-être détenteurs d’idées bancables, mais dont
l’accès au crédit est totalement fermé, faute de ne pas pouvoir exhiber les
garanties chimériques qui sont généralement exigés par notre système
bancaire. Au bas mot, la charge fiscale de tout le pays repose sur environ un
million de personnes et un nombre limité d’entreprises. Partant de ces
considérations sociodémographiques, la collecte de 45 milliards de gourdes
de l’année fiscale écoulée est en soi un résultat appréciable, surtout si l’on se
rappelle qu’on était seulement à deux ans du tremblement de terre
dévastateur du 12 janvier 20102.

Avec une population aussi jeune, les autorités auraient intérêt à formater leur
politique économique et fiscale de manière à intégrer progressivement les
jeunes dans le tissu économique. Il est aussi extrêmement important
d’envisager l’élaboration d’un programme de développement de
l’entreprenariat chez les jeunes, assorti d’un mécanisme approprié d’accès au
crédit pour la création de nouvelles entreprises. Dans ce cadre, l’âge serait un
critère déterminant dans la sélection des projets à financer, pour éviter que ce
soit la même minorité démographique qui s’impose comme le grand
bénéficiaire d’un tel programme. Une disposition économique de ce type
permettra d’augmenter le nombre effectif de contribuables et d’élargir ainsi
l’assiette fiscale du pays.

Ce programme d’ « entreprenariat-jeunes », pour être soutenable et durable,


devra être couplé à des activités de sensibilisation intense auprès des
écoliers et des jeunes universitaires. En cela les établissements scolaires et
les facultés seront des lieux privilégiés pour poser les bases nécessaires à la
concrétisation efficace d’un tel programme. Il faut dire en passant que l’Etat
devra débourser une somme importante pour donner suite aux éventuelles
idées que pourront générer plus de 20% de jeunes âgés entre 19 et 25 ans.
Et si le Trésor public ne dispose pas de moyens suffisants pour prendre en
charge un tel programme, l’Etat sera obligé de recourir à l’aide d’un bailleur
international. Par ces temps de morosité économique quasi-généralisée, cela
pourra s’avérer très difficile. Toujours est-il que la source de financement idéal
serait un prêt, étant donné l’impact espéré sur les recettes fiscales et la
solvabilité ou la capacité de rembourser du pays.
De toute évidence, l’Etat haïtien n’aura pas beaucoup de choix s’il souhaite
effectivement développer durablement ce pays. Il a sur les bras une
population dont 50% sont des jeunes de moins de 21 ans et il lui est
obligatoire d’investir massivement dans leur éducation et leur formation. C’est
un pari sur l’avenir avec lequel il ne peut pas se permettre de badiner. La
mise en œuvre du Programme de scolarisation universelle, gratuite et
obligatoire (PSUGO)
est un pas dans la bonne direction, il reste maintenant à emboiter le pas et à
doter le pays de trois grands pôles de formation universitaire. Il y a déjà une
université dans le Nord qui peut se spécialiser dans les questions de
transformation industrielle, dans l’ouest l’UEH et d’autres centres
universitaires peuvent continuer à développer des filières de formation
diversifiées. Mais dans les trois départements du cône Sud, la filière de
production de biens et de services touristiques devra être privilégiée.
Additionnellement des dispositifs appropriés devront être mis en place pour
faciliter la mobilité des potentiels étudiants d’un pôle à un autre. C’est la voie
royale à suivre pour sortir le pays de son marasme et de son ultra-
dépendance par rapport à la communauté internationale. Tout le reste est
blablabla pour amuser la galerie…

……………

* Économiste, spécialiste en administration publique


Contact : golius_3000@hotmail.com

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