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également que la Suisse n'intéresse pas vraiment ces jeunes gens alors que,
173
En 1945, le Service des ondes courtes organise une conférence de presse. Un article de la
Gazette de Lausanne rapporte les propos du directeur, Paul Borsinger. présentant le travail effectué
dans ce studio radiophonique: <<Le service des ondes courtes, cependa/11, n'a pas seulement pour
tâche de maintenir le contact avec nos compatriotes de l'étranger-ce fw là sa première raison
d'être et l'origine de sa création-, mais aussi d'éveiller /'imérêt et la sympathie des nmions étran-
gères en faveur de notre pays.>> «Le septième studio de la radio-diffusion suisse,,, Ga::.elte de
Lausanne, 8 mai 1945.
174
<<Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant les moyens de maintenir et de
faire connaître le patrimoine spirituel de la Confédération, 9 décembre 193X,, Feuille .fédérale,
vol. 2, no 50, 14 décembre 1938, p. 1029.
175
<<Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant les moyens de maintenir et de
faire connaître le patrimoine spirituel de la Confédération. 9 décembre 193!h. Feuille fédérale.
vol. 2, n° 50, 14 décembre 1938, p. 1022. .
170
Rapport de Lindt, <<über das Auslandschwei::.er-JuRemlskilaRer in Engl'lherg 1'0111 Il. his
24.1.43 >>, 10 avril 1945. Atz, NL Lindt, 4.6.2. Auslandschweizer-Lager.
68
Y A-T-IL DE Lt\ CULTURE 0.-\:-;S LE RAYONNEMENT CULTUREL ?
pour lui. les Suisses de l'étranger doivent faire comprendre la position de leur
pays d'origine. Cest ce quïl essaie de leur inculquer:
«Il faut bien dm•w1tage rendre le Suisse de l'étranger consciellf du rôle de
la Suisse en tant que médiatrice emre différentes sphères culturelles. Il doit
al'oir 1'impression que la Suisse est mn·erte sur le monde et qu'elle ne se
replie pas dans la coquille d'une autarcie intellectuelle mal comprise.» 177
À la fin de la guerre. peu avant d'occuper le poste d'attaché culturel à Londres.
Lindt donne également des conférences sur la neutralité auprès des Suisses de
la capitale britannique 17s.
Parmi les rares intellectuels suisses à se rendre auprès des colonies suisses
pendant la guerre figure Hans Zbinden. écrivain et directeur des Éditions Iris 17 CJ.
Comme Lindt. il a le souci d'expliquer dans quelle situation morale se trouve
la Suisse: elle incarne une démocratie spécifique, intimement liée à sa nature
géographique et culturelle, et il faut avoir la foi dans l'invincibilité de cet idéal.
À la fin du conflit. il continue cette activité auprès des colonies suisses. Devant
les expatriés de Milan. il se montre plus inquiet sur le devenir du pays car la
guerre a fait des dégâts psychologiques profonds en Europe:
«La guerre 11'a pas pu éliminer les bacilles psychiques et politiques qui
rendirent possible la barbarie totalitaire.» 180
Bien que ses talents de conférencier ne soient pas reconnus par tous,
notamment au sein de Pro Helvetia 181 , Zbinden poursuit son action en élargis-
sant son auditoire. D'une part, il parcourt toujours l'Europe et les États-Unis pour
entrer en contact avec les colonies suisses. D'autre part, il se fait conférencier
pour parler de la scène culturelle helvétique à l'étranger. Ses thèmes de prédilec-
tion sont au nombre de trois: la crise spirituelle des élites, la reconstruction de
l'Europe, la préservation des valeurs suisses, principalement la démocratie et le
paysage'H~. Lorsqu'il parle de crise de civilisation et des valeurs suisses-encore
qu'il mentionne davantage la notion de démocratie que celle de fédéralisme dont
les intellectuels conservateurs sont pourtant friands-, son message ne diffère pas
fondamentalement des canons de la« défense nationale spirituelle». Ce n'est donc
177
Rapport de Lindt. << üher das Auslandschwei~er-Jugendskilager im Wimer 1945 >>, 10 avril 1945.
AtZ. NL Lindt. 4.6.2. Auslandschweizer-Lager.
''" ATS, <<Le problème de la neutralité armée exposée aux Suisses de Londres>>. Journal de Genève.
6juin 1945.
170
En 1942. il se rend à Bucarest et à Budapest pour donner des conférences devant les colo-
nies suisses. ZBINDEN Hans. Die geistige und politische Lage der Schwei::. in den Kriegsjahren
1939-/942. Vortraggelwlten var den Auslandschweizergruppen der N.H.G. in Bukarest und
Budapest. April/May 1942. I?l: Kas sa. 1943.
'""Conférence de Zbinden. Milan, 2 mai 1946. ALS, Fonds Zbinden,l, Vortrage 1943-1950.
'"' On lui reproche sa méconnaissance des langues et de travailler surtout pour le compte de sa
maison d'édition. PY du groupe 1, Zurich, 14 avril 1947. AFS-PH. E 9510.6, 1991/511113.
'"' C'est ce qui ressort de la liste des onze conférences que Zbinden a données dans le cadre du
programme de solidarité Aide suisse à l'Europe, soit cent onze jours à parcourir l'Allemagne.
l'Autriche et l'Angleterre entre 1949 et 1951.AFS, 1.2.142. 19711115113.
69
MATTHIEU GILLABERT • 0ASS LES COL'LISSES DE LA IJIPI.O~J,\TII: tTLil'RI-.1.1.1·. st·I~Sic
Hans Zbinden poursuit dans cette voie en créant le Service des conférences
-en allemand, le Vortragsdienst-en 1947. Bien qu'il soit lié à la politique de
«solidarité» de la diplomatie helvétique. notamment en Allemagne. cc service
répond aux préoccupations exprimées par Zbinden lors de ses exposés devant les
Suisses de l'étranger: après le cataclysme de la guerre.l'Europe doit se reconstruire
non seulement matériellement, mais aussi intellectuellement. Cette action, par son
souci de répondre aux maux d'une civilisation sur le déclin, rappelle la sensibilité
des intellectuels conservateurs; mais elle présente une nouveauté en sïnsérant
dans des nouveaux réseaux internationaux. La présence à Wilton Parkauprès des
prisonniers allemands évolue par la suite vers une présence régulière des Suisses
aux rencontres de cette institution anglaise 1x6 •
En ce qui concerne les Suisses de l'étranger, l'attention qui leur est portée à la fin
de la guerre se transforme peu à peu en rhétorique dépourvue d'effet: les autorités
fédérales clament leur attachement aux expatriés, mais peu de mesures concrètes
sont prises. L'envoi d'attachés sociaux dans les principales légations pourrait être
considéré comme une des mesures les plus importantes puisqu'une de leurs tâches
est de veiller aux intérêts des Suisses qui pratiquent, dans leur pays de résidence.
une activité professionnelle 187 . En revanche, ces expatriés exercent une pression
importante, non dénuée d'effets, sur les instances politiques en matière de rayon-
nement culturel. Ainsi, lors de la journée des Suisses de l'étranger de 1946,
ceux-ci exigent une présence culturelle accrue de leur pays d'origine; le diplomate
Guido Keel, chef du nouveau Service information et presse au DPF, reconnaît que,
183
Lettre d'Etter à Petitpierre, Berne, 13 janvier 1949. AFS. E 2001 (El. 1000/99/88.
1 4
" «Message du Conseil fédéral à 1·Assemblée fédérale concernant les moyens de maintenir et de
faire connaître le patrimoine spirituel de la Confédération, 9 décembre 1938>>, Feuille fédérale.
vol. 2, n° 50, 14 décembre 1938, p. 1023-1024.
15
" Cette activité commence en 1916 avec la formation du groupe londonien de la NSH. Arnold Uitt
et de Reynold y donnent plusieurs conférences. LAn Arnold, Le Groupe londonien de la Nouvelle
Société helvétique, Londres, juin 1919, V Schweiz 1446.
6
'" Sur le rôle du Vortragsdienst dans le dispositif de solidarité culturelle et sur ses liens avec
Wilton Park, voir p. 221.
187
Des attachés sociaux sont présents, dès 1946, dans les légations de Paris, Londres et Washington.
AKMANN-BODENMANN Ursula, Die schwei::.erischen Sozialattachés. Ein BeitraR ;:;ur Geschichte des
diplomatischen Die11Stes nach dem Zweiten Weltkrieg, Zurich: Chronos, 1992, p. 81-103.
70
Y A-1-11. Dio I.A CUUURE DANS LE RAYONNEMENT CULTUREL ?
'"' Discours de Keel à la journée des Suisses de l'étranger, Berne, août 1946. AFS, E 2001 (E),
1968/1982176.
189
Le discours de Keel est bien reçu par le SSE qui décide de le traduire en français dans son
intégralité pour le magazine Écho. Lettre duSSE à Keel, Berne, 3 octobre 1946. AFS, E 2001 (E).
1968/1982176.
o<JO Alice Briod, secrétaire du SSE, fait état d'une subvention de 65 000 francs annuels de la part du
DPF. Lettre de Briod au DPF, Berne, 4 mars 1948. AFS, E 2001 (E), 1968/1982176.
'"' Circulaire de Keel aux représentations suisses, Berne, 9 août 1948. AFS, E 2001 (E), 1968/83/10.
La direction, confiée à un consul en poste, montre le caractère secondaire accordé par le DPF à cet
organisme de liaison.
192
Discours de Petitpierre à la journée des Suisses de l'étranger, Interlaken, 26 juin 1948. AFS,
E 2001 (E), 1968/1982176.
71
MATTHIEU GII.LABERT- DANS LES COl'LISSES IJI, LA DII'I.O\IATII: Cl'Lrt'RI:III· Sl'ISSI·
S'il offre des possibilités aux intellectuels de sortir des frontières, le réseau
international des Suisses de l'étranger repose exclusivement sur des relations
helvético-suisses. Outre ces échanges, les institutions officielles appuient la
création de nouveaux réseaux internationaux. Différents par le public qu'ils
concernent, ils ont pour caractéristique commune d'intégrer plus étroitement la
communauté intellectuelle suisse à la communauté occidentale, voire atlantique.
191
Projet du rapport annuel sur l'activité du Secrétariat des Suisses à l'étranger. 1954. LA, Fonds
NSH. 7/3.
72
Y ..\-1-11. 111' I.A Clli.Tl'RE DANS LE RAYONNEMENT CULTUREL ?
14
'' Pour la répartition des tâches au sein de Pro Helvetia, voir annexe 1.1, p. 553.
5
'" PV du groupe 1 : << Aussprache über die Frage eines schwei::.erischen Aus/andsinstituts », Berne.
15 décembre 1942. AFS-PH, E 9510.6. 1991/51/113. D'après le PV de cette réunion. la première
idée de créer un institut pour l'étranger revient à l'ancien consul Kunz qui l'a présentée lors de la
journée des Suisses de 1'étranger à Schwyz le 28 septembre 1941 .
'""Rappelons que le Dewsche Ausland-lnstitut de Stuttgart, noyauté par les nazis, a fourni de lourdes
contributions prétendument scientifiques pour les déplacements de populations en Europe de l'Est
pendant la Seconde Guerre mondiale. MEISSNER Jochen, Gesche. Katja: Kultur ais Instrument der
Au.uenpolitik totalitiirer Staaten. Das Deutsche Aus/and-/nstitut /933-1945. Kiiln 2006. recension,
H-Soz-u-Kult, juillet 2009. url: http:l/hsozkult.geschichte.hu-berlin.de/rezensionen/20093-00 1.
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MATIHIEU G!LLABERT - DANS LES COL:LISSES DE LA I>IPI.O~IATH: <TI.ITRI'I.I.I· \l ïSSI·
197
Adolf, << Spiegelungen amerikanischen Lebens >>,Du, novembre 1945.
KELLER
198
Adolf, << Wirkung der neueren schweizerischen Theologie auf das A us land>>. Jahrhuchdie
KELLER
Schweiz 1944, tirage à part, Brugg: Neue Helvetische Gesellschaft. 1944, p. 1.
199
Sur le rôle de Barth dans la reprise des relations culturelles entre la Suisse ct l'Allemagne.
voir p. 227.
200 KELLER Adolf, <<Wirkung der neueren ... ,>>, p. 1-9.
201
PV du groupe 1 : << Fortsetzung der Aussprache über die Frage cines schweizcrischen In_stitutes
für Auslandsforschung >>, Zurich, 19 février 1943. AFS- PH, E 95 10.6, 1991/5 1Il 13. A cette
réunion, le cercle s'est élargi: en plus des participants à la première séance, il y a des recteurs
d'universités, l'évêque Marius Besson et, comme auditeurs. des représentants importants du DFI
(Marcel Du Pasquier) et du DPF (Walter Stucki).
74
Y A-T-11. DE I.A CULTL:RE DANS LE RA\'ONNE~1ENT CULTUREL ?
les participants soient décidés à «jaire quelque chose pour que la Suisse soit
mieux connue à 1'étranger»; il soutient que «tout ce qui facilite une collabo-
ration» internationale est digne dïntérêt.
La question est alors davantage celle de la coordination et de la place que
prendra le nouvel institut dans le paysage culturel et académique suisse: William
Rappard. qui représente l'Institut universitaire des hautes études internationales
(IUHEI), se montre sceptique en critiquant l'absence d'objet d'étude si ce n'est
une « comwissance encyclopédique du monde»; Guido Calgari partage la même
opinion en ajoutant qu ïl serait plus profitable aux étudiants intéressés par des
études sur les cultures étrangères de voyager hors de Suisse; dans le comité
restreint du groupe 1. le matin précédant cette réunion, Naef s'est montré intran-
sigeant sur le volet culturel qu'il entend fermement garder dans le cahier des
charges de Pro Helvetia:
«Pour le Dr K. Naej. il semble opportun de rappeler au début de la discussion
que la [promotion culturelle] à 1'étranger demeure résen•ée à Pro He/veria. » 202
Face aux critiques romandes. le recteur zurichois Brunner, soutenu par
Adolf Keller203 , a pesé de tout son poids et emporte finalement la mise derrière
un compromis de façade: le nouvel institut est présenté comme une cellule de
coordination des différents partenaires alors qu'il s'agit bien d'un centre muni
d'une bibliothèque et chargé d'organiser des cours pour les auditeurs libres. Cette
victoire zurichoise est également celle de personnalités fortement engagées dans
les relations américano-suisses: en plus des américanophiles Keller et Brunner,
Paul Ganz, président de la jeune Société suisse-américaine pour les relations
culturelles, est présent à la réunion et soutient le projet. Ainsi, jusqu'en 1949, cet
institut entre dans le giron du rayonnement culturel suisse; il devient incontour-
nable dans le processus d'ancrage-politique et culturel-de la Suisse dans le bloc
occidental après la guerre. Pour Pro Helvetia, cet institut a surtout comme tâche
de former l'élite suisse au nouveau contexte international et, par l'invitation de
conférenciers notamment, d'entretenir un réseau interpersonnel précieux pour la
communauté de travaiF().j.
202
PV du groupe 1. Zurich, 19 février 1943. AFS-PH, E 9510.6. 19911511113.
':u Pour Adolf Keller, cet institut doit être une plaque tournante pour les relations culturelles avec les
Etats-Unis. Rapport confidentiel de Keller à l'Institut für Auslandforschung, 9 mai 1946. AFS-PH.
E9510.6, 1991/51117.
204
PV de la séance plénière de PH, Zurich, 1" avril 1946. AFS-PH, E 9510.6, 1991/51/123.
205
LoNGCHAMP Olivier, STEINER Yves, <<The contribution of the Schwei:z.erisches Institut fUr
Auslandfurschung to the international restoration of neoliberalism (1949-1966) >>, European
Business His tory Association- Il th An nuai Conference, Genève, septembre 2007.
75
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n'est plus lié à Pro Helvetia 20~>. Mais pendant ses cinq premières années d'existence.
la direction est confiée à Eduard Fueter, fin connaisseur du milieu m:adémique
suisse-il est directeur de la Revue universitaire suisse depuis 19.36~ -ct membre 07
206
LoNGCHAMP Olivier, STEINER Yves. <<The contribution of the Schwei::.erischcs /nstifllt _{tir
Auslandforschung to the international restoration of neoliberalism (1949-1966)» .... p. 1-2. Selon
Jean Solchany, la mouvance antiétatique de l'entre-deux-guerres prend une forme <<plus aseptisée
et internationalisée>>. SoLCHANY Jean, <<Wilhelm Ropke et la Suisse. La dimension helvétique d'un
parcours transnational>>, Traverse: Revue d'histoire. no 2, 20 10, p. 32.
207
Selon Antoine Fleury et Frédéric Joye, cette revue passe, sous la direction de Fueter. d'un tirage
anecdotique à une audience internationale. FLEURY Antoine, ]oYE Frédéric, Les débws de la politique
de la recherrhe en Suisse: histoire de la création du Fonds national suisse de la recherche sciemi-
jique, 1934-1952, Genève: Droz, 2002, p. 135.
208
Nous pouvons suivre Gisèle Sapiro qui rapproche 1' intellectuel contestataire de 1' «avant-garde>>.
Celle-ci est sociologiquement structurée par le <<groupement>> comme mode d ·accumulation du
capital symbolique ainsi que par la revendication de l'autonomie vis-à-vis du politique et a fortiori
des institutions officielles. SAPIRO Gisèle. <<Modèles d "intervention ... >>, p. 21.
209
CLAVIEN Alain, VALSANGIACOMO Nelly. <<Introduction>>, in CLAVIEN Alain, VALSANGIACOMO Nelly
(éd.), Les intellectuels antifascistes dans la Suisse de l'entre-deux-guerres, Lausanne: Antipodes.
2006, p. 8.
76
Y ..\-T-11. DE 1...\ Clii.Tl'RE D.-\NS LE RAYONNE~1ENT CULTUREL '?
les intellectuels contestataires n'y sont pas plus intégrés à la fin du conflit. époque
qui conforte plutôt les intellectuels déjà aux commandes des institutions. Ils ne
participent donc pas aux réflexions qui jettent les bases du rayonnement culturel
pour la décennie à venir. Au contraire. il se produit le phénomène inverse: alors
que la guerre a eu pour effet d'intégrer assez largement les forces politiques
autour du consensus de la «défense nationale spirituelle>>, la fin du conflit voit
s'effriter rapidement cette cohésion et les artistes contestataires sont plus que
jamais écartés des lieux de pouvoir.
La correspondance entre Heinrich Rothmund. chef de la Police fédérale
des étrangers. et Walter Lesch. cofondateur et directeur du cabaret Cornichon,
est éloquente pour expliquer les mécanismes qui maintiennent l'avant-garde
culturelle hors des institutions officielles.
Ce cabaret est né en 1934 à Zurich, à l'hôtel Hirschen dans le Niederdorf où ont
été produits de nombreux spectacles de satire politique~ 10 • En distillant une critique
récurrente du fascisme, il s'insère en partie dans la perspective de la «défense
nationale spirituelle» même s'il garde une liberté de ton qui n'épargne pas la
classe politique suisse. Pourtant. à partir de 1939, le cabaret semble relativement
épargné par la censure pour trois raisons. D'abord, la situation précaire du théâtre
suisse (Cornichon a engagé avant tout des artistes suisses) et le succès populaire de
ce cabaret obligent les autorités à agir avec prudence. Ensuite. les dramaturges et
les acteurs pratiquent une «auto-censure rigoureuse» et se montrent même parfois
d'accord pour changer leurs numéros. Enfin. l'amitié entre le directeur Lesch et
Rothmund pourrait expliquer une certaine bienveillance de la part des autorités.
Ces trois raisons font de Cornichon le «premier petit théâtre d'art indigène »~ 11 ,
symbole de la résistance helvétique aux totalitarismes. Ce qui ne correspond que
partiellement à la réalité: Cornichon a engagé des comédiens étrangers-comme
l'Autrichienne et future épouse de Lesch, Mathilde Danegger-et largement
profité de l'émulation provoquée par la concentration des artistes de la scène en
exil, notamment autour du cabaret Pfeffermühle. Les autorités qui avaient toléré
ce théâtre pendant la guerre l'ont rapidement élevé au rang de mythe d'une Suisse
résistante~'~. Aussi, lorsque le cabaret se lance, après 1945, dans une série de
spectacles qui dénoncent l'attitude de la Suisse pendant le conflit, en clitiquant
notamment son manque de générosité dans l'accueil des réfugiés, la rupture est
d'autant plus violente entre les milieux officiels et les gens de la scène.
2111
Romana Walther souligne à juste titre le phénomène mémoriel qui a retenu de la production de ce
théâtre surtout son action politique. Son programme était en réalité davantage diversifié. notamment
lorsque le cabaret se produisait en tournée. WALTHER Romana. Le Cabaret Cornichon à travers la
presse suisse 1934-1944. Emre politique, «allfijascisme» et dil'ertissement. mémoire de licence.
Université de Lausanne, 2004, p. 12. Voir également: KELLER Peter Michael, Cabaret Cornichon:
Geschichte einernationalen Biilme, vol. 12, coll. Theatrum hell•eticum, Zurich: Chronos, 2011.
211
WAnHER Romana, Le Cabaret Cornichon ... , p. 60-63.
212
Cette mythologisation rejoint la légende dorée de la Suisse pendant la guerre produite par
les milieux officiels à la sortie du conflit. Voir notamment: DoNGEN Luc van. La Suisse face ....
p. 211-212.
77
MATIHIEU ÜILLABERT- DANS LES COULISSES DE LA DIPLO~tATII·. CLTfl"RI·I.II· SlîSSI·
213 Voir par exemple la notice de Carl Stucki (Division des Affaires étrangères du DPF) qui
atteste de cette pression allemande sur le programme du cabaret: «In aussenpolitischer Hinsicht
verdient das Hauptinteresse die Szene mit dem deutschen Gesandten. >> Notice de Stucki. Berne.
17 décembre 1942. DODIS, vol. 14, no 281, p. 938.
214 Lettre de Rothmund à von Steiger, Berne, l" juillet 1942. AFS, E 4800.1, -/-/6.
78
Y A-T-IL DE LA CULTURE DANS LE RAYONNEMENT CULTUREL ?
217
Plusieurs intellectuels romands gravitent alors autour de l'exilé autrichien Gérard Horst.
Ci.AVIEN Alain, Guu.orn Hervé. MARTI Pierre,« La province n'est plus la province» ...• p. 317-318
21
" JosT Hans Ulrich, Politik und Wirtschaft .... p. 207.
219
JosT Hans Ulrich, «Die Haltung schweizerischer Intellektueller gegenüber
Nachkriegsdeutschland. Max Frisch und J. R. von Salis ais Beispiel », in FLEURY Antoine.
MüLLER Horst, ScHWARZ Hans-Peter (Hrsg.), Die Schwei;; und Deutschland, 1946-1961.
München: R. Oldenburg, 2004, p. 206.
79
MATTHIEl; GII.LABERT - 0A1'S LES COL' LISSES DE I.A DII'I.O~IAillo Cl'l Il 'I<U.U·. Sl 'ISSI·
Les années trente et la guerre ont révélé les possibilités qu ·offre la propa-
gande; l'après-guerre, où la Suisse se trouve dans une posture délicate. exige
également des moyens d'information. Il s'agit davantage d'expliquer le rôle
de la Suisse pendant la guerre que de propager sa culture. Il n'est pas question
ici de s'arrêter sur le fonctionnement de Pro Helvetiaèèo mais de voir quels
objectifs on désire assigner au rayonnement culturel et. in .fine. quel rôle
la Suisse doit jouer à 1'étranger dans l'après-guerre au regard des tensions
internationales.
Si, comme nous l'avons vu, Pro Helvetia est le fruit d'un processus
d'institutionnalisation de la politique culturelle au cours des années trente. tout
n'est pas décidé lors de sa création. La politique du rayonnement culturel en
particulier, qui n'a jamais été formalisée en Suisse jusqu 'à cette date. est l'objet
d'intenses discussions. Un élément révélateur est la volonté de la fondation de
ne jamais laisser cette politique à une autre instance comme par exemple le
DPF. Pour le comprendre. un cheminement dans les réflexions menées par les
membres de Pro Helvetia pendant la guerre est nécessaire avant de voir comment
la fondation ancre à long terme son action.
22
° KESSLER Franz, Die Schwei::.erische Kulturst!(fllng ... Pauline Milani s'est intéressée plus préci-
sément à une socio-histoire de cette institution. Voir également: MILAN! Pauline. <<Septante ans
d'histoire institutionnelle», in HAUSER Claude, SEGER Bruno. TANNER Jakob (éd.). Entre culfllre et
politique. Pro He/veria de 1939 à 2009, Genève: Slatkine. 201 O. p. 39-44.
221 <<Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant les moyens de maintenir et de
faire connaître le patrimoine spirituel de la Confédération. 9 décembre 1938 ''· Feuille .Jédérale.
vol. 2. n° 50, 14 décembre 1938. p. 1022-1030.
80
Y .-\-l-11. D!c L.-\ tTLTL:RE DANS LE R.-\YONNH1ENT Cl1LTUREL '?
2
" Au sujet de la Commission fédérale des beaux-arts, voir: KADELBACH Thomas. ··swiss made ...
Pro Helvetia ... La présente recherche laisse de côté cette commission: si le choix des artistes et
des œuvres. dans le cadre des biennales à l'étranger par exemple, est intéressant pour connaître
le contenu du rayonnement culturel. cette commission ne participe que très marginalement aux
conceptions de ce rayonnement.
"'Lettre de Naef à Haberlin. Zurich. 15 août 1940. AFS-PH. E 9510.6, 1991/51/113.
''"Voir Tableau 1. p. 51.
8/
MATTHIEU GILLABERT- DANS LES COL:LISSES DE LA IJIPI.O:'>IATIE Cl'ITl"RI'II.f: Sl"ISSI·
225
Lettre de Naefà Haberlin,Zurich, 15 août 1940.AFS-PH. E 9510.6. 1991/511113.
226
PV du groupe 1, Zurich. 7 décembre 1943. AFS-PH, E 9510.6, 1991/511113.
227
PV du groupe 1, Zurich. 7 décembre 1943. AFS-PH, E 9510.6, 1991/511113.
22 " À propos de la création de l'Institut für Auslandforschunf?. voir p. 72. Au sujet de la création des
82
Y .-\-T-11. DE 1..-\ CULTURE DANS LE RAYONNEMENT CULTUREL ?
83
----- -----=----::-:::-:=-=---::::__-=------ ·---
'"PVdugroupe I,Zurich.l4avriii947.AFS-PH.E9510.6.1991/51/113.
''" PV de la séance plénière de PH. Zurich. 1"' avril 1946. AFS-PH. E 9510.6. 1991/51/123.
84
Y ..\-1-IL Ill' LA CULTLIRE DANS LE RAYONNEMENT CULTUREL ?
215
«Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale relatif à la création d'une fondation
"Pro Hclvetia"". 29 juillet 1948 ''·Feuille fédérale, vol. 2, no 30, 29 juillet 1948, p. 909-923.
''"Voir p. 62.
"' NAEr Karl, << Neun Jahre Pro Helvetia. Rückschau und Ausblick>>, in LAIT Arnold (Hrsg.).
Jahrbuch die Schwei:. 1949, Brugg: Neue Helvetische Gesellschaft. 1949. p. 163-168.
2
'" Rapport d'activité de la communauté de travail de Pro Helvetia. 1" mars 1948-15 septembre 1948.
AFS, E 3001 (8). 10001731/53.
85
MATI-HIEU GILLABERT- DANS LES COt:LISSI:S DEL,\ IJIPL0~1AIII·. Clï.ll"IH-111·. ~l"IS~I-
visages2 39 , rédigera par la suite plusieurs textes, avec le même souci d ·entretenir
une mémoire de Pro Helvetia, ayant la double mission de promouvoir la culture
suisse dans le pays et à 1'étranger.
Avec le même objectif d'affirmer une fondation à la fois autonome et
ouverte, Carl Doka rédige, en 1950, Kulturelle Auj.Jenpolitik où. davantage
que Naef, il théorise le rayonnement culturel de la Suisse à partir de la dizaine
d'années d'expérience de Pro Helvetia. Celle-ci peut désormais compter sur
ce bagage:
«La fondation "Pro Helvetia ",née le/'"' octohre /949. pountit ainsi compter
sur une riche expérience et une pratique hien rodée. »~~o
Non sans s'inspirer de l'étude de Herbert Lüthy~~~, il rappelle que. en plus des
nouvelles instances internationales comme l'Unesco ct le Conseil de I'Europc.la
politique culturelle à 1'étranger rencontre davantage de concurrence internationale:
l'action culturelle d'un pays est désormais systématiquement comparée à celle des
autres 242 • Alors que, depuis dix ans, Pro Helvetia s'est montrée championne de la
Kultunvahrung (préservation culturelle)-que J'on peut rapprocher de l'idéologie
patrimoniale-, la fondation, dont Doka revendique l'absolue autonomie. a
désormais les cartes en mains pour la Kultllnt•erhwzR (promotion ou propagande
culturelle), c'est-à-dire servir J'honneur et la réputation de la Suisse.
L'arrêté fédéral du 28 septembre 1949 entérine la création de la fonda-
tion Pro Helvetia243 . En 1950, lors de la première séance plénière de la
nouvelle fondation, le président Paul Lachenal revient également sur ces onze
dernières années: en respectant J'équilibre fédéraliste dans son organisa-
tion-représentation des communautés linguistiques parmi les collaborateurs.
pas d'empiétement sur les prérogatives cantonales, encouragement du
«fédéralisme spirituel»- et en faisant preuve de discrétion, Pro Hel vetia est
prête pour passer du régime provisoire de la communauté de travail au statut
définitif de la fondation 244 •
Parmi ces chroniques, celles de Doka et de Naef sont publiées sous les
auspices de la NSH, alors proche de Pro Helvetia. Pour autant, la fin des années
quarante voit un lien se rompre entre ces deux organismes: le SSE, créé par la
NSH, cesse d'être soutenu directement par Pro Helvetia. Le DPF, après maintes
négociations, accepte en effet de financer J'aide-également culturelle-aux
m C'est une image utilisée par Naef à la fin de son mandat en 1957. NAEI' Karl. <<Autbau und
Tatigkeit der Stiftung Pro Helvetia »,texte non publié, Zurich, 1" mars 1957, p. 5. ALS. Fonds Salis.
Schachtel 148, C-2-d/10.
240
DOKA Carl. « Ku1turelle AuBenpolitik>>, in La Suisse. annuaire national /950. tirage spécial.
Baden: Nouvelle Société Helvétique, 1950, p. 20.
24 ' Voir l'analyse du rapport de Lüthy, p. 131.
242
DoKA Carl. <<Kulturelle AuBenpolitik ... »,p. 34.
'"'<<Arrêté fédéral concernant la fondation "Pro Helvetia", 28 septembre 1949», Recueil des lois
fédérales, Berne. 1949.
244
PV de la séance plénière de PH. Zurich, 15 septembre 1950. AFS-PH, E 9510.6. 1991/51/123.
86
Y A-T-Il. Dl' LA Cl'LTURE DANS LE RAYONNEMENT CULTUREL ?
Suisses de !"étranger. dont le secrétariat dirigé par Alice Briod est intégré au
DPF en 1948~ ". Il s'agit d'un véritable transfert de compétences: avant 1938.
4
245
Sur l'intégration duSSE au DPF, voir p. 71.
24
Pro Helvetia, Programme de travail pour 1949, Zurich, 31 décembre 1948. AFS. E 3001 (B),
"
10001731/53.
87
MATfHIEL: GII.LABERT- 0ASS I.ES COl"LISSES DE I.A Dll'l 0\I.-\TII, Clî Tl îH-.11 1· \1 îSSI
les intérêts du pays à l'étranger au moins autant que ses créateurs artistiques. Naef
le rappelle :
« [ ... ],ainsi la
propagande culturelle entendfii\'oriser les échanges inrellecl/lels
[geistigen Austausch] et améliorer l'image de la Suisse à l'étranger. ,~· 17
247
NAEF Karl,<< Neun Jahre Pro Helvetia ... ''·p. 162.
2
'" «Arrêté fédéral concernant la fondation "Pro Helvetia". 28 septembre 1949 ,, . Les quatre objectifs
se trouvent en annexe A.3 p. 454.
249
PV de la séance plénière de PH, Zurich, 15 septembre 1950. AFS-PH. E 95 10 .6. 1991 /5 Ill 23.
250
NAEF Karl. «Aufbau und Tatigkeit ... »,p. 9.
88
Y A-T-11. DE LA CULTURE DANS LE RAYONNEMENT CULTUREL ?
251
Lettre de Petitpierre à Lachenal. Berne. 28 août 1948. AFS, E 3001 (B). 10001731/52.
m Rapport de Bernoulli. Berne, 18 mai 1954. DODIS-9127. p. 14. Sur le rapport Bernoulli, voir p. 136.
251
Lettre de Petitpierre à Ettcr. Berne. 28 septembre 1948. AFS. E 2001 (E). 1967/113/346.
254
Note du DPF. Berne. 8 mars 1948. AFS, E 2001 (E), 19671113/346.
255
Ce « Rellflemen \ aRreemem » est rappelé par le directeur Luc Boissonnas aux ambassadeurs
près de quinze ans plus tard. Discours de Luc Boissonnas, Berne, 1" septembre 1967. DODIS-
30856. En 1973,le conseiller fédéral Pierre Graber mentionne également cet accord dans une note
au Conseil fédéral. Note de Graber au Conseil fédéral. Berne, 21 novembre 1973. AFS. E 2003 (A),
1988/15/426.
89
MAlTIIIEL' GII.LABERT- DA:-;s LES col'!.ISSES DE LA DII'Lo~l..\111·. <TUI.RI·IIt· sttsst·
256
PV de la séance plénière de PH, Zurich. 5 mars 1951. AFS-PH. E 95 10.6. 1991/51/123.
257
Rapport de Doka et Curjel, [s.d.]. AFS-PH. E 9510.6, 1991/51/104.
25
" L'expression d'Antonio Gramsci, reprise et théorisée par Gisèle Sapiro, convient particulière-
ment bien à Do ka: il s'agit d'intellectuels qui «acceptent de .\'l' soumettre à la discipline d'une
institution ou d'une organisation". SAPIRO Gisèle,« Modèles d'intervention ... >>, p. Il.
259
L'essai autobiographique de Doka retrace un parcours de vie varié quant aux sociabilités dans
lesquelles il s'insère. S'il faut retenir qu'il a été écrit à l'âge de septante-six ans. avec un regard
rétrospectif parfois déformant, il est un bon indicateur des différents résewx côtoyés par Doka:
DoKA Carl, Begegnungen (C. D. b/ickt :::.urück), Zoug: Zuger Nachrichten, 1972. Voir également
le mémoire de Rafael Stalder centré sur la correspondance de Doka: STALDER Rafael, Carl Doka.
un publiciste catholique: étude de ses engagements et de ses réseaux à travers sa correspondance.
mémoire de licence, Université de Fribourg, 2009.
260 Nous suivons ici l'avis de Katharina Bretscher-Spindler même si celle-ci se trompe en présen-
tant Doka comme un conseiller national. BRETSCHER-SPtNDLER Katharina, UJ/n heissen :wn .... p. 82.
Membre du parti conservateur, il perd J'élection au Conseil national lors des élections fédérales de
1943 dans le canton de Saint-Gall.
90
Y .-\-1-IL Ill: LA CLILTl'RE D.-\NS LE RAYONNEMENT CULTUREL ?
II semble développer. après la guerre. une fibre sociale davantage marquée. Mais
c ·est surtout dans le paysage de la presse écrite conservatrice qu ïl joue un rôle
central. en tant que rédacteur pour J'Ostschll"ei.:-où il dirige déjà la rubrique
culturelle-. la revue culturelle catholique Schwei.:er Rundschau ou les Neue
Ziircher Nachrichten. Il intègre également. avant la guerre, le comité central
de la NSH. aidé par un ami proche qui n'est autre que Philipp Etter auquel il
voue une profonde admiration. Son arrivée à la NSH lui permet d'entrer en
relation avec la Suisse romande et plus particulièrement avec Alice Briod 261 ,
secrétaire du SSE. et Gonzague de Reynold qu'il fréquente à l'Union catho-
lique d'études internationales. Le Fribourgeois. dans sa conception des relations
internationales. lui paraît cependant trop conservateur; Doka se sent plus proche
de Denis de Rougemont pour sa vision de l'Europe~ 6 ~. Il côtoie volontiers
ces intellectuels catholiques de l'Université de Fribourg. qu'il connaît par sa
profession de journaliste puis. dans les années soixante, comme enseignant au
séminaire de journalisme.
Par ailleurs. son insertion dans les milieux jésuites qu'il continue de fréquenter
jusque dans les années cinquante lui ouvre des portes au plan international, au
Vatican et à l'Institut catholique de Paris notamment. Ce parcours, entre proximité
du pouvoir~~>', insertion bilingue dans des réseaux suisses et accès à des réseaux
transnationaux, explique la place centrale que joue Doka lorsqu'il crée le service
de presse de Pro Helvetia et le dirige pendant quatorze ans.
Pour créer ce service. il s'entoure de plusieurs collaborateurs. certains perma-
nents et d'autres temporaires. Ils se distinguent surtout par leur insertion dans des
réseaux transnationaux : comme spécialistes et expérimentateurs des nouveaux
échanges de l'après-guerre, ils apportent des compétences qui permettent au
service de presse d'agir avec une certaine connaissance du terrain sans devoir
passer par les légations 2 r>-~. Il s ·agit par exemple de Hans Curjel, boursier de la
Fondation Rockefeller en 1951, qui se rend aux États-Unis pour des recherches en
histoire de l'art 26 ~; d'Eduard Fueter, spécialiste des relations universitaires inter-
nationales comme rédacteur de la Schwei.:erische Hochschul.:eitung et directeur
de 1'Institut fiir Auslandforschung qui a mis Carl Doka en relation avec les prin-
cipaux centres de compétences en relations internationales et études politiques
2
"' Briod est proche de Mgr Besson qui l"a convertie au catholicisme et que Doka apprécie égale-
ment. DoKA Carl. BeRegnungen .... p. :n.
'"' DOKA Carl. Begegnungen ... , p. 35,47, 89.
"'' Témoignage de cette proximité. il est nommé par le Conseil fédéral pour faire partie de la
<<délégation à la conférence des Nations unies sur la liberté de 1"information» emmenée par le juge
fédéral Plinio Bolla. <<Extrait des délibérations du Conseil fédéral», Feuille fédérale. vol. 1, n° II.
18 mars 1948. p. 1267. JI accompagnera également plusieurs délégations helvétiques à l"Unesco.
DoKA Carl, Begegnungen .... p. 108-111.
'"'Hans Curjel et Eduard Fueter entrent dans ce groupe d'intellectuels qui, bien que conservateurs.
profitent des nouveaux réseaux transnationaux qui se mettent en place après la guerre.
M En mars 1951. Curjel reçoit 2 500 dollars de la Fondation Rockefeller<< to visit cultural and artistic
Centers in the United Statesfor the purpose of a comparative Stlll~\' ofAmerican and European cultural
phenomena in the Twemieth Cemury». Contrat de la Fondation Rockefeller, 7 mars 1951. RAC, 803R.
box 4, 50.
91
MATfHII:U GILLABERT - DANS LES COU.ISSI·.S Dl: LA llii'LO~IAIII: Cl 'Lil'RI:I 1 1· Sl ISSI·
266 Pour la liste des instituts liés à 1' Institut jiir Auslwuljorsclwng. voir le rapport d "activité. 10.49.-
3.51. AFS, E 3001 (B), 1978/30/37.
267 Rapport d'activité de Pro Helvetia. 16 juin-31 décembre 1951. AFS, E 3001 (8). 1978/30/80.
Au début 1955, le montant versé par Pro Helvetia au service de presse atteint 75 000 francs sur
un budget de 400 000 francs pour la propagande culturelle à l"étranger. PY du groupe 1. Zurich,
24 janvier 1955. AFS-PH, E 9510.6, 1991/51/114.
268 Pour les trois premières années, c'est déjà plus de cent personnes qui sont sollicitées pour rédiger
des articles dans leurs spécialités. Voir le volume complet de AFS-PH, E 9510.6, 1991/51/69-
269 Ces articles ont soit la forme de dépêches en style télégraphique sur les nouveautés de la vie cultu-
relle. scientifique et politique. soit la forme de textes plus approfondis et déjà traduits. DoKA Carl,
Les relations culturelles sur le plan international, Neuchâtel: La Baconnière, 1959, p. 274-275.
27" PV de la séance plénière de PH. Zurich, 5 mars 1951. AFS-PH. E 9510.6. 1991/511123.
92
Y ..\-1-11. Dl·. 1..·\ l"l'l.lTRI·. DA:-;S LE RAYO:-;:-;E~IE;>;T CllLlTREL '?
'" Rapport intennédiaire de Doka dans le PV du groupe 1, Zurich, 6 septembre 1954. AFS-PH.
E 9510.6.1991/51/114.
272
PV de la 4' réunion de la Sous-commission de la Commission du Conseil national pour les
Affaires étrangères, Berne, 31 décembre-!"' février 1955. AFS. E 2003 (A), 1970/115/89. Au sujet
de cette sous-commission. voir p. 137.
m PV de la séance plénière de PH. Zurich. 5 mars 1951. AFS-PH. E 9510.6. 1991/51/123.
93
CHAPITRE 2
SORTIE DE GUERRE
ET ENTRÉE EN SCÈNE DES DIPLOMATES
(1944-1955)
95
C'est une illustration de la conception des relations internationales large-
ment partagée, après le conflit. au-delà des frontières helvétiques: I"État. selon
Bertrand Badie 274 , possède alors le monopole de 1" «initiative diplomatique>>.
c'est-à-dire de la politique étrangère: quant aux acteurs du secteur culturel. ou
bien ils sont, comme on ra vu dans le premier chapitre. au service de la diplo-
matie, ou bien ils sont réduits à tisser. dans rombre. des liens avec J'étranger.
274
Bertrand Sadie. Le diplomate et l'imrus .... p. 275.
9n
SoR Ill: DE (;LIERRE ET E:-;TRÉE EN SCÈNE DES DIPLOMATES
2
CAII.LAT Michel,<< L'Entente internationale anti~ommuniste ... ».p. 155.
"
2
" La remarque que Motta couche dans la marge de cette lettre démontre l'importance vouée à
l'opinion publique après une telle prise de position: << [ ... ] il est cependant certain que l'attitude
du Conseil fédéral a apaisé l'opinion publique; [ ... 1>>. Lettre de de Weck à Motta. Bucarest.
27 septembre 1934. DO DIS. vol. Il. n° 67. p. 218.
m RuFFIEux Roland, La Suisse de l'emre-deux-guerres ... , p. 358.
97
MAITHIEL. GILLAHERT- 0AI'S I.I·.S COl"I.ISSES [)f, I.A llii'LO~IAIII·. Cl"l Il Kl·lil· \ll\\1·
m Discours de Motta au Conseil national, Berne, 22 décembre 1937. DODJS, vol. 12, no 169, p. 357.
m Lettre de Paravicini à Motta, Londres, 8 janvier 1938. DO DIS, vol. 12, no 175, p. 378.
2" 0 Rapport du DPF au Conseil fédéral, Berne, 14 juillet 1953. DODIS-9515.
2"' Proposition du DPF signée par Pierre Banna, Berne, 12 septembre 1939. DO DIS, vol. 13, no 180
(annexe). p. 416-418.
98
SoRTif' Dl' <il'ERRE ET E:-.:TRI~E EN SCÈNF. DES DIPLOMATES
99
MxnHIEL. Gn.LAHERT - DA~s LES cmï.ISSFs Ill· LA DII'LO~IAIII·. c1 ï 11 Rl·l 1 1· '>l.I'>SI·
2
"' ScHWARZ Stefan. Ernst Freiherr von Wei;:.siickers Be:ielumgen :ur Schwei;:. ( 1933-1945): Ein
Beitrag ::ur Geschiclzte der Diplomatie, Berne: Peter Lang. 2007. p. 151-195.
m Ainsi Motta apprend du ministre d'Italie à Berne. Attilia Tamaro. que Mussolini reçoit quotidien-
nement un exemplaire de la Ga:ette de Lausanne. du Journal de Genèl·e. de la Neuc Ziircher Zeiwng
(NZZ) et de la National Zeitung, même lorsqu'il est en voyage. Aide-mémoire de Motta. Berne.
26 octobre 1937. DODIS, vol. 12, no 143. p. 295.
2"" «Question» de Hans Oprecht au Conseil fédéral. Berne, 10 janvier 1941. DO DIS. vol. 14. no 1
(note 2). p. 1.
~"" Notice de Rezzonico. Berne. 15 janvier 1941 . DO DIS. vol. 14. 11° 1. p. 1 .
f()()
SORTIE DE {;L'ERRE ET E~TRÉE EN SCÈNE DES DIPLOMATES
~" Notice de Rezzonico. Berne. 15 janvier 1941. DODIS. vol. 14.11° 1, p. 1. Plusieurs articles
0
de Caratsch notamment n'étaient pas du goût des dignitaires nazis. ce qui a valu à ce journaliste
grison l'expulsion de l'Allemagne en 1940. ScHWARZ Stefan. Ernst Freilzerr l'lm Wei:.siickers ....
p. 420-421.
~'" Gll.LABERT Matthieu. MILANI Pauline.<< Les attachés culturels ... », p. 53-54.
292
Séance du Conseil fédéral, Berne. 18 septembre 1939. DODIS. vol. 13.11° 180 (note 10). p. 416
m BoURGEOIS Daniel. <<William E. Rappard ... >>, p. 44-49. Après la guerre également. Rappard
donne son avis d'expert sur le choix des futurs diplomates. Voir le dossier 321.41. aux AFS: E 2800.
1990/1 06/1 7.
101
MATI HII:L GILLA!lERT - DA:-;S LES COLTISSI'S Dl: LA IJIPI 0\IAI Il·. (TI.Il RH 1 1 ' ' l'>"·
m Pilet-Golaz écrit au ministre suisse à Londres. Walter Thurnheer. Rappard «m'a dit beaucoup dt•
hien de l'un de vos collaborateurs, M. Eric Kessler. Ille tient pour extrênu!ml'nt intelligent et pense
qu'il conviendrait de l'attacher déjiniti1•eme111 au serl'ice diplomatique.» Lettre de Pilet-Golaz à
Thurnheer. Berne. 9 mars 1943.AFS, E 2200.40, 100011644/4.
>o' L'attaché de presse doit être mondain selon Rezzonico. Il reproche ainsi à Hans Friilicher.
ministre à Berlin, d'employer pour les questions de presse un subalterne <<pas asse::. soupll' et pas
suffisamment mondain.>> Notice de Rezzonico. Berne, 15 janvier 1941. DODIS, vol. 14. no 1. p. 2.
290
Lettre de Kessler à Pilet-Golaz, Londres, 10 août 1944. AFS, E 2200.40. 1000/1644/4
m Ce poste reçoit même l'aide d'un deuxième spécialiste dans les questions de presse en la personne
de Georges Perrin, journaliste au Journal de Genève. Rapport annuel de la Légation de Londres.
Londres. 31 décembre 1942. AFS E 2004. 100017171171.
2"x Notice de Rezzonico, Berne. 15 janvier 1941. DODIS. vol. 14, no 1. p. 1.
102
SORTI!' Ill: (;LIERRE ET E~TRÉE E~ SCÈI"E DES DIPLOMATES
par diplomatie culturelle. Cela démontre d'une part que. dans la conception de
départ de la diplomatie d'influence. née à la fin des années trente. c'est bien la
maîtrise de 1"information qui prime, et bien peu les échanges culturels à vaste
échelle. D'autre part, ce cahier des charges aux contours très vagues dénote
une absence totale de plan cohérent: c'est une politique presque uniquement
réactive, laissée à la libre appréciation des acteurs. En ce qui concerne Kessler,
c'est avant tout son activité d'informateur qui lui vaut la reconnaissance du DPF:
celui-ci le mute, en 1946, à Washington en tant qu'attaché de presse 303 puis, la
décennie suivante. comme ambassadeur en Turquie.
Avec la disparition des postes officieux de Rome et de Berlin. celui de
Kessler est le seul qui subsiste à la fin de la guerre; à la centrale. le service
de presse reste le seul organe du DPF à gérer l'information officielle sur la
Suisse à destination de l'étranger. Un double problème se pose dès lors au DPF.
D'une part, ces structures ne suffisent plus à diffuser l'information, notamment
à cause des pressions qui s'exercent sur la Suisse quant à ses relations avec le
Ille Reich, son manque de solidarité face aux réfugiés et sa politique de neutra-
lité. D'autre part, de nombreux diplomates en poste remarquent que la simple
information politique-« l'idéologie propagandiste » 30J. - , uniquement destinée à
une élite, ne suffit plus: ils appellent à expliquer la Suisse dans sa complexité,
29
Rapport de Guido Keel. Berne. 18 janvier 1944. AFS, E 2001 (E), 1967/113/346.
''
00
' Séance du Conseil fédéral, Berne, 18juin 1945. DODIS, vol. 15, no 344 (note 4),p. 849.
"" NEVILLE Wylic. Britain, Swit:erland, and the Second World War, Oxford: Oxford University
Press. 2003, p. 289.
"" Christine Gchrig-Straube mentionne quant à elle des relations étroites entre Kessler et
Andrew Rothstein, chef de l'agence de presse russe TASS à Londres. GEHRIU-STRAUBE Christine.
Beziehungslose Zeiten: das schwei:erisch-sowjetische Verhiiltnis zwisclzen Abbruch und
Wiederaufnalune der Bezielumgen ( 1918-1946) aufgrund schwei:erisclzer Akten. Zurich: H. Rohr.
1997.p.l79-180
-'"·' Cette «promotion,, aux États-Unis intervient après de fortes tensions entre Kessler et
Paul Ruegger, ministre nouvellement arrivé à Londres en provenance de Rome. Selon William
Rappard, Kcssler aurait poussé un journaliste de la Tribune de Genèl'e à critiquer Ruegger sur
son manque d'envergure pour le poste de Londres. Lettre de Rappard à Max Petitpierre, Genève,
26 décembre 1945. AFS, E 2800 (-), 1990/106117.
4
'" Voir Tableau 1, p. 51.
103
MAnil liT GII.LABERT - DA:-;s LES con.IssEs Dl' LA mrLo\JATJJ·. <Tl Tl ï~J-J 1 J· ~~ ïSSJ·
car les attaques sur son attitude durant la guerre visent davantage que la simple
neutralité, et à toucher davantage l'opinion publique.
104
SoRTIE Di' Cilî'RRE ET E:-:TRE'E E:-1 SCE!'\E DES DIPLOMATES
")7 Barbey est alors directeur littéraire chez Fayard. GILLABERT Matthieu. MILAN! Pauline.<< Les attachés
culturels ... >>, p. 58. BASTIAN Maurice. Au fil des années. Montreux. 1981, p. 30 .
.mx BARBEY Bernard. Chel'{l!IX abandonnés surie champ de bataille. Paris: Juillard. 1951 .
.1o" BARBEY Bernard. PC du Général: Journal du chef de l'état-major particulier du général Guisan.
/<)40-1945. Neuchâtel: La Baconnière. 1948.
""Petite question de Senarclens au Conseil fédéral, Berne, 8 mars 1948. AFS. E 2001 (E). 1968/82/10.
111
Rapport du DPF (non signé), Berne.ll948j. AFS, E 2001 (E). 1968/82/10.
112
Rapport du DPF (non signé). Berne. [1948]. AFS. E 2001 (E). 1968/82/10.
105
MAITHIEt· GII.I.AHERT - DASS LES COlï.ISSES Dl· I.e\ Dll'l O~IAIII: Cl 1 Il 1<1-1 1 1· .\1 l\\1·
*
Pendant la guerre déjà, le mécontentement des organisations culturelles face
aux réticences de la diplomatie à s'engager dans la voie des relations culturelles
croît à mesure que ces organisations se restructurent. Elles constatent que les
instruments à leur disposition pour exporter la culture suisse font défaut. Cette
frustration s'exprime notamment au sein du groupe 1 de Pro Helvetia. chargé
des relations extérieures. En 1943, ses membres s'interrogent sur les possibilités
d'apporter un souffle culturel au DPF; les attachés de presse sont en ligne de mire.
Ainsi Eduard Fueter, qui compte parmi les premiers membres de Pro Helvetia,
s'exprime lors d'une réunion, à la suite d'un exposé de Karl Naef sur les possibilités
du rayonnement culturel:
Fueter est soutenu par le professeur de théologie Emil Brunner qui rappelle
que des pays comme la Roumanie ou la Bulgarie ont des attachés culturels dans
leurs ambassades. En revanche, pour le président de la Communauté de travail de
Pro Helvetia, Paul Lachenal, il faut faire attention aux rivalités, aux «frictions»,
que peut entraîner la nomination d'une «nouvelle catégorie d'attachés».
"'Troisième version de la réponse de Petitpierre à Senarclens, Berne. 119481. AFS. E 2001 (E).
1968/82/10.
314
Note de Petitpierre, Berne, 25 mai 1948. AFS, E 2001 (E), 1968/82110. On peut observer un
raidissement de la position de Petitpierre puisque celui-ci écrivait au ministre Burckhardt, en
mars 194 7, qu'il serait préférable <<de laisser à M. Barhey l'entière responsahilité de cet Olt l'l'lige.
qui n'est d'ailleurs pas consacré à des prohlèmes de politique extérieure». Lettre de Petitpierre à
Burckhardt, Berne,AFS, E 2800, 19901106/16.
m PV du groupe 1, Zurich, 7 décembre 1943. AFS-PH. E 9510.6, 1991/511113.
106
SoR rH: Ill' (il'I'RRE ET ENTREE E:-1 SCÈNE DES DIPLOMATES
110
PV du groupe 1. Zurich, 7 décembre 1943. AFS-PH, E 9510.6, 1991/511113.
"'PV du groupe 1, Zurich. 27 mai 1946. AFS-PH. E 9510.6, 1991/511113.
107
MATniiEL. GII.LABERT - DA=--s u:s coU.ISSI'S Dl·. 1..·\ llii'I.0~1AIII: ct ï 11 KU 1 1· '>t l'>'il·
de fracture originelle, rendue plus visible par les besoins de la guerre: d'une part.
un rayonnement culturel. réclamé par ces éminents membres de Pro Helvetia,
enraciné dans le champ culturel suisse et apte à exporter une culture émanant
du génie national helvétique; d'autre part. un service d'information. revendiqué
par le DPF, pour expliquer la position de la Suisse sur la scène internationale et
l'ancrage historique de sa neutralité. Ces deux approches sc retrouvent toutefois
sur un point: servir les intérêts nationaux.
"" Cette comm1sswn est creee en 1939 et chargée de «surveiller l'application des pleins
pouvoirs>> confiés au Conseil fédéral par les deux chambres du Parlement. La Suisse. le natio-
nal-socialisme et la Seconde Guerre mondiale. Rapport final, Commission indépendante d'experts
Suisse-Seconde Guerre mondiale, Zurich: Pendo. 2002, p. 71.
"'' Outre les interpellations concernant la reprise de relations culturelles avec r Allemagne
(voir chapitre 4.2. p. 224). il faut citer J'interpellation du conseiller national socialiste Arthur Schmid
«über schwei:erische Pressepropa!{wula im Ausland>> lancée le 18 janvier 1944. AFS. E 2001 (El.
19671113/346.
/OH
SORTI!' Dl' (;l'ERRE ET E1';TREE EN SCÈNE DES DIPLOM,\TES
sous le mandat de Pilet-Golaz. Keel propose que le« service d'information» soit
scindé en deux. Lïnformation interne, pour les fonctionnaires du DPF. doit être
séparée d'un travail dïnformation. qui doit par ailleurs voir sa part augmenter,
en direction de la presse étrangère:
« t ... ) il s'agira aussi de créer une base stable à l'activité des attachés de
presse auprès des légations de Suisse et surtout de suivre dans le domaine
des affaires étrangères toutes les questions de nature culturelle. »·1" 0
Les tensions croissantes avec les États-Unis poussent également la centrale
à s'interroger sur les moyens à disposition en matière de propagande culturelle.
Une réunion. qui a lieu en août 1945 avec des cadres du Département. a pour
thème: «Discussion sur les questions touchant au rapprochement culturel entre
la Suisse et les États-Unis » 1 " 1 • Cette conférence. d'abord organisée pour amélio-
rer la présence culturelle aux États-Unis. s'intéresse avant tout aux méthodes
applicables de l'autre côté de l'Atlantique: des campagnes de presse plus percu-
tantes pour répondre au besoin de sensationnel de la part de la presse américaine;
une image de la Suisse centrée davantage sur des réalisations pratiques pour
contenter un Américain moyen avant tout utilitariste. On évoque également, de
manière plus générale, les nouveaux besoins auxquels doit répondre le DPF:
améliorer 1"information pour les correspondants de journaux suisses. distinguer
les campagnes d'information à destination des élites de la communication de
masse, favoriser les échanges d'artistes.
À côté des problèmes transatlantiques, plusieurs initiatives et requêtes en
provenance des légations indiquent un certain malaise face au manque de moyens
du DPF dans le domaine cultureJ-1 22 • Dans l'année qui suit l'armistice, nombreux
sont les chefs de missions qui se plaignent d'un manque d'efforts et de structures
pour répondre aux demandes en matière culturelle. Parmi les auteurs de ces lettres
de doléances, deux noms reviennent souvent: le premier ministre de Suisse dans
la Chine de Tchang Kaï-chek, Henri de Torrenté, et l'ancien président radical du
Conseil national Henry Vallotton, ministre au Brésil puis en Suèdem.
Henri de Torrenté est nommé, à la fin de 1' année 1945, ministre à la toute
nouvelle Légation de Nankin 3" 4 • Inspiré peut-être par les propositions faites lors
de la réunion portant sur les relations culturelles avec les États-Unis à laquelle
109
MATIHIEU GIL!.ABERT- DANS LES COl:LISSES Die LA Dll'l.0~1ATII·. <TUTRI'I 1.1·. SlïSSI·
25
' Lettre de Torrenté à Petitpierre, Berne. 14 janvier 1946. AFS. E 2001 (E). 1968/19!Q/45.
2
Notice de Stuc ki à Petitpierre. Berne. 25 janvier 1946. AFS. E 2001 (E). 1968/1982/45.
·' "
m Lettre de Torrenté à Maurice Troillet. Nankin. 21 février 1947. citée par Antoinette Moser:
MosER Antoinette. Henri de Torrellté .... p. 39.
110
SORTIE Dl' <HlERRE ET ENTRÉE EN SCÈNE DES DIPLOMATES
m Lettre de Torrenté au DPF, Nankin, 3 décembre 1947. AFS, E 2001 (E). 1967/113/354. Voir
également: ConuRI Michele, La Suisse face à la Chine: une continuité impossible? 1946-1955,
Louvain-la-Neuve: Bruylant-Academia, 2004, p. 69-70.
n" Rappelons qu'en 1939. comme président du Conseil national, Vallotton avait soumis une demande
au Conseil fédéral pour la création d'un service de presse au DPF. Voir p. 98.
31
· " Lettre de Vallotton à Etter, Rio de Janeiro, 9 juillet 1945. AFS, E 3001 (8), 10001731/56.
131
Lettre d'Etter à Vallotton, Berne, 6 janvier 1946. AFS, E 2001 (E), 1968119781161.
132
PV du groupe 1, Zurich. 14 novembre 1946. AFS-PH, E 9510.6, 1991/511113.
lJl
MsnHI!T GII.LAHERT- OA~s LES UJL:UssEs Dl·. LA DIPLO~IAIIL ctî rt RI Ill· _,t J\\1·
ne laisse pas des hu reaux d'attachés culturels s'enfler jusqu 'à dn·enir plus
importants à eux seuls que les sen·ices diplomatique er con\ulaire dans
. pays.» ~''
certa111s ··
On remarque le paradoxe: d'une part. Vallotton prétend qu'il faut laisser les
affaires culturelles au corps diplomatique. ce qui revient à dire que ces charges
sont suffisamment légères pour pouvoir s'ajouter aux autres tüches: mais.
d'autre part, s'il craint tant que les effectifs grossissent. c'est bien qu'il y a un
besoin dans ce domaine. Il s'agit en fait surtout d'une chasse gardée qu'il ne
désire pas abandonner à des spécialistes venus de l'extérieur. Mais cela indique
aussi la voie qu'il entend suivre: contrairement à de Torrenté qui s'adresse à
Petitpierre et plus généralement au DPF pour régler les questions culturelles.
Vallotton, lui, se tourne plutôt vers Pro Hclvctia ct le DFI. Ces deux approches
sont révélatrices des dissensions récurrentes existant au sujet de la création du
service de presse d'une part et du renforcement de Pro Hclvctia d'autre part.
C'est dans ce climat que naît la modeste Section information et presse. chargée
de la propagande politique et culturelle et privilégiant largement la première des
deux. Elle est dirigée par Guido Keel et rassemble quatre jeunes diplomates"~.
Dans l'après-guerre, il s'agit cependant moins d'un enjeu autour de la place
de la culture dans les relations internationales de la Suisse que d'un conflit entre
départements. Un consensus règne en effet parmi tous les acteurs-dont de
Torrenté et Vallotton-sur le rôle à assigner à la culture dans la politique étran-
gère: la culture-et les créations culturelles helvétiques-est un instrument parmi
d'autres au service de la propagande et de l'information. Dans cette constella-
tion, le Service information et presse peut choisir entre trois rôles: continuer. dans
l'après-guerre, à soutenir l'information sur la Suisse pour les légations ct pour
les correspondants étrangers en Suisse, laissant entièrement le volet culturel à
Pro Helvetia; être une courroie de transmission entre les légations et les milieux
culturels; devenir un véritable organe de rayonnement culturel à l'image de cc qui
se fait en France depuis 1920 avec le Service des œuvres françaises à l'étranger.
intégré à l'appareil diplomatique"'·
Si l'on se penche sur l'activité d'Information et Presse au lendemain du
conflit, on s'aperçoit que la première solution-celle de miser sur l'information
et la propagande-est privilégiée. Dès 1946, la centrale distribue une revue de
presse aux légations, le Tdgliche Pressedienst (Le Service quotidien de presse).
"' Lettre de Vallotton à Petitpierre. Stockholm. 19 octobre 194~. AFS. E 2001 ( E). 19671113/346.
4
·" Rapport du DPF « Das Eid!!,enôssische Politische Departemelll 1Zelllrale) \WI 1848 his 1\170 ».
1~ juin 1971. DODIS-14074. p. 36. En 1946. Guido Keel ct Maurice Bastian ont 4uarantc ans;
Ernesto Thal mann et Guido Lepori ont trente-deux ans; Raymond Probst a vingt-sept ans. Cette
moyenne d'âge relativement basse montre à elle seule 4ue ces postes ne sont pas destinés à couron-
ner une carrière au DPF mais plutôt à servir de tremplin.
"' DuBoSCI.ARD Alain. L'action artistique de la France aux États-Unis: 1\115-l\16\1. Paris: CNRS,
2003. p. 1~4.
112
SoR liE m, c;t:ERRI' ET E~TREE E:-1 SCÈNE DES DIPLOMATES
puis le nouveau bulletin Die Schll'ei-::. im Spiegel der Auslandpresse (La Suisse
au miroir de la presse étrangère)-'-'~>. Georges Perrin, journaliste au Journal de
Genève. est également mis à contribution pour rédiger des articles sur la situa-
tion politique de la Suisse à diffuser par les légations dans la presse de leur pays
d'accueil' 17 • En 1947 a lieu l'ouverture du Foyer de la presse étrangère-'-'s à Berne,
destiné à 1"information aux correspondants étrangers. Ce foyer. qui aspire à
distiller une propagande à la fois politique et économique. est soutenu d'abord par
l'OSEC puis par plusieurs personnalités romandes comme le rédacteur en chef de
la Ga::.ette de Lausanne Pierre Béguin et le conseiller aux États genevois Albert
Pictet. Pro Helvetia. qui n'y trouvera pas son compte. préférera créer son propre
service de presse' 19 .
Le message politique est avant tout basé sur la défense de la neutralité: le DPF
conseille par exemple à Pro Helvetia de traduire et de diffuser en Amérique
latine l'ouvrage en anglais d'Edgar Bonjour. Sll'iss Neutrality, its history and
meaning. à côté de la publication d'une courte histoire de la Suisse-'40 • À la fin de
la guerre. la neutralité devient une valeur qu'il faut à tout prix lier à l'image de
la Suisse. Ceci se déroule dans le trouble puisque la bipolarisation des relations
internationales attire immanquablement la Suisse vers le bloc occidental.
La neutralité sert dès lors surtout de paravent aux intérêts économiques de
la Suisse'-~': elle permet de se distancer des nouvelles institutions multilatérales.
dites« politiques» selon la nomenclature du DPF. «sans provoquer des réactions
pouvant amener à la fermeture de débouchés extérieurs » 34 ~. L'ambiguïté de
cette politique de neutralité exige donc un effort considérable d'information
politique à l'étranger.
Mais cela ne signifie pas que le DPF abandonne le volet culturel
stricto sensu: d ·une part. la création artistique et littéraire, comme composante
de la propagande. est intégrée dans les bulletins d'information à destination
des légations et. d'autre part.le DPF, en tant que responsable des relations offi-
cielles avec l'étranger. est un partenaire incontournable pour les organisations
'-"Circulaire du DPF aux légations, septembre 1946. AFS. E 2001 (E). 1967/113/346.
7
" Perrin commence à rédiger des articles pour le DPF à pattir d'avril 1946. Le premier porte sur
«les récentes élecriom co/111/IIIIW!es :.urichoises er [les] conséquences qu'elles semblem de1·oir
comporter pour les relations jillures emre socialistes et "pnpistes" >>. Lettre de Perrin à Daniel
Secrétan (DPF), Berne. avril 1946. AFS, E 2001 (E). 1968/1978/66.
"" R~.VERiliN Olivier. <<Inauguration du Foyer de la presse étrangère», Journal de Genèl'e.
2 décembre 1947. p. 4.
'"' PV du groupe 4, Zurich, 26 novembre 1946. AFS-PH, E 9510.6, 1991/51/119.
'"" PV du groupe 1. Zurich. 4 décembre 1950. AFS-PH, E 9510.6, 1991/51/113. Il s'agit de l'ouvrage
BoNJOliR Edgar. Swi.u neutra/if.\': lts hisrnry and meaning. Londres: G. Allen & Un win Ltd .. 1946.
1
" JosT Hans Ulrich. Polirik und Wirrsclwft .... p. 27.
··~ JosT Hans Ulrich. LuMc;RL'HER Matthieu. L'Europe er la Suisse. 1945-1950: le Conseil de l'Europe.
la supranmionalité et l'indépendance he/l'étique, synthèse no 24 du projet FNS 42. février 2000.
url: http://www.snf.ch/NFP_archive/nfp42/synthese/24Jostsynthesis42.pdf, p. 13-14. Voir égale-
ment: TRACHSI.ER Daniel. Neutra! ::.wischen Ost und West? l!!fragestellung und Konsolidierung
der schwei:.erischen Neutralitiitspolitik durch den BeRinn des Kalten Krieges, 1947-1952. coll.
Ziircher Beirriige :ur Sicherheitspolitik und Konjliktforsclumg. no 63. Zurich: Forschungsstelle für
Sicherheitspolitik und Konfliktanalyse der ETH, 2002, p. 311-316.
113
MAnHIEL' G!LLABERT - DA1'S LES COLUSSES DE LA IJIPLO\IATIIc Cl 'Ill '1{1'1 Il- Sl 'ISSic
culturelles qui cherchent des débouchés à 1" étranger. Tou jours sous 1" angle
de 1' intérêt national. la culture est prise en compte. Toutes les questions de
patronage d'exposition, de contacts avec les administrations étrangères et de
connaissance du terrain passent par les diplomates. En même temps. la struc-
ture d'Information et Presse, avec ses quatre diplomates à la centrale. ne peut
faire face à la demande: celle-ci provient tant de l"étranger-des légations et
des colonies suisses-que de la scène culturelle helvétique. Ainsi. le DPF est
contraint à la négociation et à la collaboration avec d ·autres services pour le
rayonnement culturel.
Keel est conscient de la situation. Il semble connaître l'enjeu culturel pour
la politique étrangère de la Suisse dans l'après-guerre: reprise accélérée des
échanges culturels, potentiel de la culture pour améliorer l'image de la Suisse.
sortie de l'isolement culturel dans lequel la «défense nationale spirituelle»
a plongé le pays. A posteriori, on est même surpris de voir avec quelle ambi-
tion le DPF aborde cette question. En 1948, Paul-Edmond Martin, recteur de
l'Université de Genève et professeur d'histoire médiévale, écrit à Petitpierre
pour lui annoncer la création de la Société suisse des sciences morales et lui
fait remarquer que la Confédération, avec des subventions «dans des propor-
tions fort minimes», compromet la part de la Suisse «dans la production
scientifique du domaine des sciences morale.\· »_,.n. Keel réagit à cette lettre en
appuyant Martin, les subventions de la Suisse à l"égard des sciences morales
étant particulièrement modestes par rapport à celles accordées par d ·autres
États. Et d'insister sur le fait que la Suisse pourrait jouer un rôle important dans
1' après-guerre :
«Tout ceci semble d'autant plus ref?rettahle que dans le domaine de la
culture la Suisse pourrait facilemelll jouer un rôle de premier plan. On peut
même affirmer qu'il est peu de pays au monde dom les chances paraissell1
actuellement aussi f?rmzdes que les nôtres. De nombreux États, pour ne pas
dire des continents entiers, sont prêts à des échanf?es culturels avec la Suisse
ou les sollicitent. [ ... ] On peut donc se demander si nous ne sommes pas en
voie non seulement de laisser échapper une occasion unique, mais de faillir
à ce qui pourrait être une véritable mission. »-'-W
Pourtant, à la fin de cette envolée, Keel rappelle rapidement son chef à la réalité
administrative: la décision d'accorder des subventions à ce genre d'association
n'est pas du ressort du DPF mais du DFI «et c'est en somme à M. Etter que la
lettre aurait dû être adressée». Le DPF est aux avant-postes pour réaliser que
la Suisse aurait une carte culturelle à jouer car elle a été un des pays d'Europe dont
la vie culturelle a été le moins affectée par la guerre.
141
Lettre de Paul-Edmond Martin à Petitpierre. Genève. 30 juillet 1948. AFS. E 2001 (El.
1968/1978/169. Martin est le premier président de cette société qui deviendra l'Académie suisse des
sciences humaines et sociales.
144 Notice de Keel à Petitpierre, Berne, 20 août 1948. AFS. E 2001 (E), 1968119781169.
1/4
SORTIE DE (ôUERRE ET E:-ITRÉE Dl SCÈNE DES DIPLOMATES
Il importe donc de se pencher sur cette petite cellule culturelle créée en 1946:
son activité nous informe de la prise en compte, par le DPF, non plus des questions
de l'information en général, mais plus précisément de la culture.
5
" Rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale, Berne. 3 avril 1951. AFS. E 2001 (E).
1968/83/1 O.
'""Circulaire de Keel. Berne, 6 janvier 1950. AFS. E 2001 (E), 19671113/354.
115
MATIHIEU GILLABERT- DANS LES COULISSES DE LA DIPLO~IATIE Cl 1J.Tl'RI'II 1· SI'J'i'il·
347
Sur les débuts de la Suisse à l'Unesco, voir chapitre 2.2, p. 138.
148
Il est attiré, dans les années trente, par les milieux corporatistes. Dans cc sens. il rédige sa
thèse en droit à l'Université de Fribourg sur le règlement des conflits entre travailleurs ct patrons
dans l'État fasciste: BASTIAN Maurice, La réglementation des conflits du travail dans la législa·
tionjasciste, Genève: Jullien, 1933. Selon le Journal de Genève, on devine, dans cette étude de
Bastian,« un sentiment d'admiration pour l'organisation fasciste, mais on ne saurait lui reprocher
d'avoir une sympathie marquée pour le sujet qu'il traite.»<< De l'organisation professionnelle>>,
Journal de Genève, J« décembre 1933, p. 5.
149 BASTIAN Maurice, «Souvenirs 1906-1956 >>, imprimé comme manuscrit à Genève, 1968. p. o3-71 .
116
SllRTII·. IlE (;l'ERR!' ET E~TREE E~ SCÈr-;E DES DIPLOMATES
117
MATIHJEU GILLABERT- DANS LES couussEs DE LA DJPLO~lArll' <"L'LTl'KU.I.I· ,. ' " ' .
En 1947, un accord intervient entre la section et Pro Helvetia sur les revues
à envoyer aux légations; des notices sur la production littéraire ont été rédigées
en commun. Selon le fonctionnaire Herbert Duttwyler. cette section est un
excellent« poste d'écoute» puisque, davantage que la communauté Je travail à
Zurich, elle est en relation tant avec les diplomates qu'avec les journalistes. en
Suisse comme à l'étranger. En outre, elle a établi «un réseau de contacts person-
nels avec pratiquement tous les milieux scientifiques et artistùjues du pays».
Cependant, on remarque que des actions plus strictement culturelles. comme les
grandes expositions, ont tendance à échapper au DPF':;'.
Car si le DPF, comme Pro Helvetia. envisage le rayonnement culturel
comme une manière de promouvoir la Suisse à l"étranger. Je premier le
conçoit presque exclusivement comme un instrument aux mains des diplo-
mates, comprenant un message essentiellement centré sur la neutralité. Dans
la continuité des années trente, il s'agit avant tout d'information politique.
voire culturelle si celle-ci corrobore la stratégie globale de politique exté-
rieure. La collaboration voulue par le DPF- à travers la création de cette
section culturelle-est donc teintée d'une volonté de contrôle sur le contenu
de 1'exportation culturelle.
En 1947, le conseiller fédéral Eduard von Steiger invite quelques fonctionnaires
fédéraux, dont Keel et Bastian du DPF, à visionner le film La Suisse accueille les
réfugiés qu'il a commandé à la maison Praesens-Film SA. et qui décrit l"accueil
des réfugiés pendant la guerre. Les collaborateurs du DPF rédigent une notice à
l'intention de Petitpierre dans laquelle ils font part de leurs commentaires: le film
ne montre pas assez combien l'afflux de réfugiés était important; en revanche. il
s'attarde trop sur les« scènes de réjouissances» des réfugiés en Suisse: il manque
un ancrage historique de l'action humanitaire de la Suisse comme l'accueil des
réfugiés protestants après le massacre de la Saint-Barthélemy':;.~. Plus important
pour le rayonnement culturel, le DPF prie von Steiger de ne pas projeter ce film
à l'étranger:
«Nous pensons que, pour le moment, seule une version française destinée à
l'usage interne serait utile. » 355
Ce contrôle ne s'exerce pas uniquement dans un sens négatif. en interdisant
l'exportation. Il existe également à l'égard des produits culturels à exporter, et
plus précisément sur l'image que ceux-ci véhiculent à l'étranger. Le meilleur
exemple est le livre d'André Siegfried.
m Notice de Herbert Duttwyler (DPF), Berne, 8 décembre 1948. AFS, E 2001 (E), 1967/113/346.
54
' Notice de Bastian et Keel à Petitpierre, Berne, 7 février 1947. AFS, E 2001 (E). 196811978/178.
355
Lettre de Bastian à la Division de police du Département fédéral de justice et police (DFJP).
Berne, 21 mai 1947. AFS, E 2001 (E), 1968119781178.
liB
LE CONTRÔ/.1': DU MESS.HiE: I.'EXEMl'LE DU UVRE D'ANDRÉ SIEGFRIED,
Lt\ SUISSE Df."MOCR..\TIE-TÉ.UO/N
1/9
MATfHIHJ GILLABERT- 0ANS LES COULISSES DE LA Dli'LO\IATIE Cl!I.Tl'KI·lll 'l 1'>'>1
3 60 JosT Hans Ulrich,« Critique historique du consensus helvétique». in À tire d'ailes. Contrihutions
de Hans Ulrich }ost à une histoire critique de la Suisse, Lausanne: Antipodes. 2005. p. 371.
170 PV du groupe 1, 10 octobre 1949. AFS-PH, E 9510.6, 1991/51/113.
120
SoRTIE DE <;l'ERR!: ET E:-;TREE E:-; SCÈNE DES DIPLOMATES
173
PV du groupe 1, 30 juin 1960. AFS-PH. E 9510.6, 1991/511115.
174
Lettre de Miche1i à Petitpierre, Paris, 22 juin 1959. AFS. E 2003 (A). 1974/521195.
m Notice du DPF à Petitpierre, Berne. 3 juillet 1959. AFS, E 2003 (A). 1974/52/195.
121
MATIHIEU GILLABERT- 0A~S LES COULISSES DE LA llii'I.O:'\IATIE lTLil lül 1 1 '' 1\\1·
376
BASTIAN Maurice, Au fil des ... , p. 59.
377
PV du groupe 1, Zurich, 4 décembre 1950. AFS-PH, E 9510.6, IIJ91/511113. Sur le service de
presse de Pro Helvetia, voir chapitre 1.2.2, p. 90.
178
Voir à ce sujet le chapitre V dans: MILAN!, Pauline, Le diplomate et l'artiste. Construction d'une
politique culturelle suisse à l'étranger ( 1938-1985 ), Neuchâtel : Éditions Al phil, 2013.
122
Mis à part leur impact très limité sur la politique culturelle, ces rapports
présentent les différentes options à disposition et. surtout, ils précisent peu à peu
la problématique de cette politique car celle-ci est encore floue en 1944. Quelles
œuvres culturelles faut-il exporter? Quel organisme doit s'en charger? Quatre
ans plus tare!. le questionnaire sc fait plus précis et porte sur la problématique qui
sera désormais liée au rayonnement de la Suisse: quel est le rôle de l'État dans
la diffusion de la culture'?
17
" Rapport de Guido Keel << Bericht zur Interpellation Schmid über schweizerische Pressepropaganda
123
MATIHIEU GILLABERT- DANS LES COULISSES DE LA DIPL0~1ATII' CUI.Il'l<I-1 1 1· Sl"ISSic
m Rapport de Guido Keel << Bericht zur Interpellation Schmid über schweizerische Pressepropaganda
im Ausland » ... ,p. 3.
382
Voir p. 98.
'"Rapport de Guido Keel, Berne. 18 janvier 1944. AFS, E 2001 (E). 196711 13/346. p. X.
124
Sol{ Ill·. Dl· <ilî'l{l{l· ET E:\TI{I°F E:\ scf:NI' DES DIPLO~IATES
«Pégase perd ses ailes lorsqu 'il se met à tirer le fiacre des banquiers et des
diplomates. Car auc1111 domaine ne supporte aussi ma/une dégradation que
celui de l'esprit. >>'s-1
Cependant. la métaphore sert à Keel d'écran de fumée. Quelle sera l'attitude
des banquiers ct des diplomates face à la liberté de la création culturelle lorsque
celle-ci ne sera pas conforme à une certaine image de la Suisse? Si Pégase veut
prendre son envol. quelle instance sera susceptible d'exporter une culture qui
ne soit pas dévoyée par des agents extérieurs au champ culturel? Keel tente
de maquiller, avec le fard de la culture. une propagande avant tout politique.
Ce faisant. il embrouille un peu plus le débat.
4
" Rapport de Guido Kcel ... , p. 9. Voir également: ZBINDEN Hans. Kulturwerhung im Aus/and. Bâle.
1943. Ce texte a été rédigé pour le Secrétariat des Suisses à l'étranger de la NSH.
5
" Rapport de Probst. <<Aufstellung der lnstitutionen und Organisationen. die sich mit politischer
Auslandwerbung für die Schweiz befassen >>,Berne, 18 mai 1946. AFS. E 2001 (E). 19671113/346.
'""Rapport de Probst. Berne. 18 mai 1946. AFS. E 2001 (E), 1967/113/346.
125
MATIHIEU GILLABERT- DANS LES COULISSES DE LA DIPL0\1ATIE Cl'Ul"HI·.III· SlïSSI·
Exposé de Keel à la conférence des ministres, Berne, 6 septembre 1946. AFS, E 2001 (E).
187
1967/113/346.
126
Sotnll'. Dl' !il'I'RRI' FT 1'.:'-:TRI'F l':" SCi:NE DES DIPLOMATES
JBR Ces coupes budgétaires yui touchent !"ensemble de !"administration fédérale ont été introduites
par !"arrêté du Conseil fédéral du 20 juin 1947.
'""Notice d' Ansermoz à Keel. Berne, 7 mars 1947. AFS, E 2001 (E), 19671113/346.
'"" Olivier Reverdin rappelle également que la Direction générale des relations culturelles, en
France. a un budget de 15 millions de francs suisses, Je British Council de 60 millions alors que Pro
Helvetia, pour le rayonnement culturel à J'étranger. ne peut prétendre qu'à 100 000 ou 200 000 francs
{sur un total de 500 000 francs). REvERDIN Olivier,<< Pourquoi mettre la lumière sous Je boisseau?»,
Journal de Genève. 30 août 1948. p. 1. La NZZ emboîte Je pas au Journal de Genève en septembre:
<< Unsere kulturellen Beziehungen zum Ausland; Yon den Aufgaben der Stiftung "Pro Helvetia" >>,
in NZZ, n° 195, 19 septembre 1948. p. 5.
191
Sur l'itinéraire de Reverdin, voir notamment: CLAVIEN Alain, Grandeurs et misères ... , p. 245-247.
127
MATTHIEU GILLABERT- 0ANS LES COULISSES DE LA DIPLO:\IATIIo CLILTU<I-1 1.1· '>l !'>SI·
192
Exposé de Keel à la conférence des ministres, Berne. 10 septembre 194X. DODIS-7451. p. 4.
128
à l'opposé du système suisse: ils sont sous le contrôle partiel du ministère des
Affaires étrangères qui y délègue des diplomates dans le conseil d'administra-
tion; le budget. bien plus élevé que celui de Pro Helvetia. est également alimenté
par des deniers privés. En Suisse. il n'y a aucun contrôle du DPF et Pro Helvetia
ne reçoit son maigre budget que de la Confédération.
Celle-ci pourtant. depuis 1938. s'engage officiellement dans une politique
culturelle à )'extérieur mais Kecl pose la question de ravenir. dans un contexte
international qui s'est modifié:
«Sommes-nous prhs. d'un poillf de nte purement organisationnel. à remplir
la tâche qu'exige une propagande spi ri welle et culturelle ou une "présence"
à l'étranger? >>''11
La question de la coordination est évidemment reposée: Keel dresse
l'inventaire de Probst en rajoutant toutefois le nouveau et modeste secrétariat
du Don suisse pour raide culturelle à )'Allemagne et à )'Autriche. Ceci
montre que la problématique transversale de raide à la reconstruction-qui va
de la participation économique de la Suisse à la reconstruction dans le cadre
de l'Organisation européenne de coopération économique en passant par les
procédures consulaires de visa-est désormais également prise en compte par
le personnel en charge des questions culturelles. Surtout, Keel s'attarde sur
la question de Pro Helvetia qui est « expressis verbis » l'institution officielle
de la Suisse pour le rayonnement culturel-' 94 et qui vient de se voir attribuer le
statut de fondation. Pour celle-ci. qui doit prendre en charge également la poli-
tique culturelle au niveau national (Kulturwahrung), la promotion culturelle
(Kultunverbung) ne peut être qu'une tâche parmi d'autres, a fortiori avec
un personnel extrêmement restreint. Entre les deux départements fédéraux
concernés, le DFI et le DPF, il faut trouver une instance de coordination et
permettre au DPF de sortir d'un « kulturpolitischen Maquis » 395 : entendons
par là que. depuis la fin de la guerre, le Service information et presse a dû
s'occuper des relations culturelles sans avoir de mandat officiel. Keel appelle
donc à la création d'une interface, une Drehscheibe, liée à un des deux dépar-
tements et chargée de faire circuler J'information, notamment à destination
des légations afin que celles-ci sachent ce qu'il est possible ou non de faire en
matière culturelle.
La proposition reste vague, mais l'avancée majeure de cet exposé est de
considérer que l'État ne peut se dérober complètement en matière de rayon-
nement culturel : si ces paroles n'ont aucun effet direct, elles ont le mérite de
sensibiliser le corps diplomatique à la question. À la fin de son intervention.
Keel présente une sorte de programme de géographie culturelle qui fixe
129
MAITHIEU GII.LABERT- DANS LES COULISSES DE LA DIPLO~IAilE Cl'LTl"I<U.II· ~l"ISSI·
396
Voir p. 131.
397
Sur la confection de l'ouvrage de Siegfried, voir p. 118.
wR Exposé de Keel à la conférence des ministres, Berne, 10 septembre 1948. DODIS-7451, p. 18.
399
Lettre de Henri Charles à Petitpierre, Lyon. 15 octobre 1948.AFS, E 2001 (E). 196711 U/346 .
.wo Lettre de Vallotton à Petitpierre, Stockholm, 19 octobre 1948. AFS, E 2001 (E), 19671113/346.
130
S1 liHII· Ill· 1 ;t FR RI· le r F:-: rRI·.I' I'S sei: SI' DES DIPLO~IATES
grand. rappelant les États totalitaires et «qui sellfirait par trop la propagande
organisée et snichronisée ,,~" • 1
""' Notice de Charles Red a rd à Keel. Rio de Janeiro. 23 octobre 1948.AFS. E 2001 (E). 1967/113/346.
"'" BrnERI.I Urs. le<lll Rut!oi{I'0/1 Salis .... p. 80-86.
""' GRt',MION Pierre.lntelligence de f'amicmmmmisme .... p. 517.
""" BITTERI.I Urs.Jean Rudolf l'lm Salis .... p. 86.
"'"Les travaux de sa thèse de doctorat. soutenue en 1943. déboucheront près de vingt ans plus tard sur
la publication de deux volumes consacrés aux banquiers protestants en France aux XVI( et X\ïll' siècles:
Un·HY Herbert. La lmnque protestame en France, de la Rémcation de l'Édit de Nallfes à la Révolution.
coll. Affaires et gens d'(!ffaires. no 19. vol. 1 : Dispersion et regroupement ( 1685-1730). 1959; vol. 2:
De la banque aux finances (1730-1794). 1961. Paris: SEVPEN (École pratique des hautes études).
1959-1961. Sur une approche critique de la réalité politique française. voir: LüTHY Herbert. À l'Izeure
de son clocher. Essai sur la France. coll. Liherté de l'esprit. Paris: Calmann-Lévy, 1955. Ce livre est
paru une année plus tôt en allemand chez Europa Verlag (Zurich/Stuttgart/Wien. 1954) sous le titre
Frankreichs Uhren ~ellen anders.
/JI
MATIHIEU GILLABERT- DANS LES COUI.ISSES Df: LA DII'LO~fATIE n:unH·I 11 '>1 I'>SI·
«Notre pays sentira l'impact de cette politique. De toute part, les projectiles
!.pirituels pleuvent sur lui. >> 408
Ce climat crispé est peu propice à la prise de distance permise par l'expertise;
ceci explique déjà partiellement pourquoi ce rapport en décalage avec 1'époque,
soulignant les opportunités davantage que les menaces pour la Suisse dans cette
refonte des politiques culturelles, n'a pas marqué la réflexion sur Je rayonne-
ment helvétique.
40
" Le nombre élevé d'articles que Lüthy a livré pour Der Manat puis pour Preul'l!.\' montre son
132
SoR rll·. Ill· (;[ ï'RRic ET ESTREE ES SCÈ~E DES DIPLOMATES
409
Voir également: GtLLABERT Matthieu, «Pro Helvetia sur la scène internationale. Pièce en
quatre actes>>, in HAUSER Claude. SEGER Bruno. TANNER Jakob (éd.), Entre culture et politique.
Pro He/veria de 1939 à 2009. Genève: Slatkine, 2010, p. 85-88.
410
LüTHY Herbert, Politique étrangère d'information ... , p. 8. La version française ne contient que les
chapitres 1- «Introduction>> -et x11- <<Résultats et tendances>> -de la version allemande. Celle-ci est
publiée par Pro Hclvetia au même moment et contient des chapitres détaillés sur les politiques cultu-
relles nationales à l'étranger (dans l'ordre: France, Grande-Bretagne, États-Unis, Italie. Espagne,
Portugal, Pays-Bas, Suède (avec supplément sur le Danemark et la Norvège). Tchécoslovaquie,
Turquie). À noter que l'Allemagne et l'URSS ne figurent pas parmi les cas spécifiquement étudiés
par Lü th y: LüTHY Herbert./11ternationale Kulturwullnformationspolitik ...
411
LüTHY Herbert, Politique étrangère d'information .... p. 9.
133
MATIHIEU GII.LABERT- DANS LES COULISSES DE J.,\ DIPL0~1ATII' Clii.ITRU 1 1· ~1 ISSI·.
412
LüTHY Herbert. Politique étrangère dÏI!formation ... , p. 31.
m LüTHY Herbert. Politique étrangère d'information .... p. 35.
m LüTHY Herbert. Politique étrangère d'information ... , p. 38.
134
du domaine 1... ] de la ··propagande à longue échéance" qui est le propre de
la propagande culturelle fWr opposition à la propagande courante. » 415
Il reconnaît qu ï 1 faut. dans ce domaine particulier de 1ïnfom1ation. savoir faire
preuve de pragmatisme. voire de << cmise!Tatisme ». en développant un message
«par en hus» basé sur des valeurs traditionnelles: ce n'est qu'en faisant appeL
dans le message véhiculé. à des constantes historiques (neutralité, renonciation
à une politique de puissance) que l'on parvient à «fixer définitivement dans
la conscience de l'étranger>> lïmage de soi 41 ~>.
La réception de cc rapport est extrêmement discrète. pour ne pas dire
nulle. Alors quïl avait été commandé. entre autres. par Pro Helvetia. il n'est
presque jamais abordé lors des séances du Conseil de fondation ou du groupe 1.
Tout au plus entrevoit-on. de la part du secrétaire Naef. une simple information
selon laquelle le travail suit son coursm.
Naef mentionne également cette enquête dans un article. paru dans l'annuaire
de la NSH. pour légitimer la création définitive d'une fondation à partir de la
Communauté de travail: selon le secrétaire. le rapport montre que même les
petits pays doivent désormais consacrer des moyens non proportionnels à leur
taille pour le rayonnement culturelm.
Mais l'enquête ne suscite pas de débat plus large. Pas plus qu'elle ne le suscite
parmi les autres commanditaires du rapport que sont le DPF et l'Institut fiir
Auslandforsclwng. Ce n'est qu'une décennie plus tard, en 1956, que Carl Doka
reconnaîtra le mérite de cette étude qui. écrira-t-iL a fourni «des suggestions et
d'importantes indications pour l'élaboration de la deuxième partie du présent
ouvrage>> 4 ").
Trois raisons expliquent la discrétion de cette réception. Premièrement.
une grande partie de son contenu correspond déjà à la dynamique initiée par
Pro Helvetia et. pour les contemporains. certaines propositions vont de soi:
nourrir la scène culturelle intérieure de la Suisse pour ensuite mieux l'exporter;
faire appel à des constantes historiques. Deuxièmement, certaines perspectives
de l'enquête sont visionnaires et ne correspondent pas, selon les commanditaires
du rapport. aux besoins pressants du moment: favoriser la circulation interna-
tionale des personnes. développer un État mécène pour la création artistique et
prêter attention à l'opinion publique dans ce domaine, ce qui n'apparaîtra qu'au
cours de la décennie suivante. En soulignant l'importance de l'action à long
terme sur laquelle rayonnement culturel devrait se fonder. Lüthy bat en brèche
Do KA Carl, Les relations culturelles .... p. 16. La version allemande parait trois ans plus tôt aux
Éditions Berichthaus.
/35
MATTHIEU GILLABERT- DANS LES COULISSES DE LA DIPLOMATIE CUI.Tl'RI·.I.I.I· Sl.ISSI·
42
"LüTHY Herbert, Politique étrangère d'information ... , p. 44.
421
LÜTHY Herbert,« Europa-Sommer 1945 >>,Du, juillet 1945.
422
LüTHY Herbert, «La Suisse des deux ... »,p. 72.
m LüTHY Herbert, Internationale Kultur und Jnformationspolitik .... p. 3.
/36
St>KIII- Ill- (;t I'KKI' U F~TREE E~ SCI':!'IE DES DIPLO~IATES
424
On remarque que les 200 000 francs de Pro Helvetia pour l'étranger ne pèsent pas très lourd à
côté des 475 000 francs du Danemark uniquement pour les mêmes dépenses que celles de la fonda-
tion suisse, des 2,8 millions de francs des Pays-Bas et des 750 000 francs du << Svenska Institutet >>
(sans compter les 425 000 francs pour le reste du rayonnement culturel suédois). Rapport de
Bernoulli. Berne. IR mai 1954. DODIS-9127. p. Il.
425
PV de la Commission du Conseil national pour les affaires étrangères, Berne. 15 au
16septemhre 1954.AFS.E3001 (B), 1978/30/82.
42
' PV de la Sous-commission de la Commission du Conseil national pour les affaires étrangères.
12 septembre 1955. AFS. E 3001 (B), 1978/30/82. Cette sous-commission s'est également penchée
sur la question des accords culturels qu'elle ne parvient pas à trancher: voir p. 438.
137
MATTHIEU GILLABERT- DANS LES COULISSES DE LA DIPLO~IATII' Cl'I.Tl'RI·.lll· ~l'ISSI·
Les dix ans qui suivent la guerre sont également caractérisés par la crois-
sance rapide de la dimension multilatérale des relations internationales.
L'Unesco représente évidemment le cœur de ce dispositif dans le domaine
culturel. Son champ d'action s'est nettement diversifié en comparaison
avec les activités de la «Société des Esprits», expression de Paul Valéry 429
pour caractériser 1'ancien IICI, disparu dans les chamboulements de la fin
du conflit.
Les débuts de 1'Unesco ont lieu en parallèle avec ceux de 1'ONU. Dès 1942,
les ministres de l'éducation des gouvernements alliés se réunissent à Londres
pour jeter les bases d'une future organisation qui prendra le relais et augmentera
le champ d'action de l'IICI, structure liée à la SDN. L'Unesco naît officielle-
ment le 4 novembre 1946. Ses objectifs, en réponse au conflit qui vient de se
terminer, se concentrent sur 1' instauration de la paix par la compréhension
mutuelle: l'éducation y joue donc, dès le début, un rôle de premier plan. Mais
l'action ambitieuse de l'organisation est entravée par les lignes de fractures
qui marquent la scène internationale de l'après-guerre: tensions politiques
Est-Ouest en dépit de 1'entrée tardive de 1'URSS en 1954; conflit latent sur la
nature de l'organisation entre un clan latin emmené par la France et un clan
2005, p. 32.
138
anglo-saxon qui place ù la tête de !"Unesco le Britannique Julian Huxley 430 : les
premiers penchent pour une continuation peu ou prou de l"IICI; les seconds
entendent s ·adresser aux masses et mettre 1" accent davantage sur la science et
1'éducation.
Pour les autorités helvétiqucs.l"entrée de la Suisse en 1949 relève à la fois de
préoccupations internes liées à la réorganisation de la diplomatie culturelle au
sein du DPF ct d'une stratégie pour positionner le pays dans la nouvelle donne
internationale issue de la guerre.
De son point de vue .le DPF entrevoit de nouvelles perspectives. La présence de
la Suisse dans !"enceinte de !"Unesco conférerait aux diplomates un monopole sur
cette forme de relations culturelles: tant les délégations suisses aux Conférences
générales que la constitution d'une commission nationale tomberaient dans
l'escarcelle de la diplomatie helvétique. Cette situation nouvelle renforce
la concurrence entre Pro Helvetia et le DPF. Ces tensions sont accentuées par
la formation de la Commission nationale suisse pour !"Unesco (CNSU). dont le
secrétariat est logé au DPF. La CNSU doit rassembler toutes les organisations
culturelles du pays ct relayer auprès d'elles les décisions et les concepts élaborés
par l'Unesco. Ce nouvel instrument donne au DPF le moyen inespéré d'être une
courroie de transmission entre le petit monde culturel de la Suisse et le vaste
monde: une tâche alors âprement revendiquée par la fondation qui fonctionne
également comme interface entre la Kultunmlmmg et la Kultwwerbung.
La question de !"entrée à !"Unesco intervient dans le débat, d'allure un peu
byzantine. qui habite alors les penseurs de la politique étrangère helvétique sur la
différenciation entre technique et politique pour caractériser les nouvelles organi-
sations internationales411 . La Suisse a le droit de participer à une organisation qui
revendique des objectifs techniques. mais la neutralité lui interdit d'entrer dans
des organisations à buts politiques412 • Le débat est brûlant pour !"entrée à l'ONU,
mais aussi dans toutes les organisations qui lui sont affiliées. C'est donc le cas
également-et surtout-de !"Unesco: les frontières entre politique et culture sont
en effet très floues; une simple participation technique est difficilement imagi-
nable. L'objectif suprême de l'Unesco n ·est-il pas foncièrement politique puisqu'il
consiste ni plus ni moins à supprimer les guerres grâce à la compréhension
mutuelle entre les peuples? L'Unesco est donc bien un défi lancé à cette diplomatie
culturelle en pleine construction.
'"' Julian Huxley (directeur de 1946 à 1948) soutient davantage le programme britannique en
insufflant un esprit positiviste marqué à l'Unesco: certains de ses projets, notamment ceux qui
touchent à la «psycho-génétique, ont été vivement critiqués. MAUREL Chloé, L'Unesco de 1945 ....
p. 50- 53. Son successeur. le Mexicain francophile Jaime Torres Bodel (directeur de 1958 à 1952).
se préoccupe davantage de culture avec l'espoir pour l'Unesco qu'elle soit l'organisation qui porte
une culture mondiale unifiée. BLIHRLE Iris Julia. La France et l'Unesco de /945 à 1958. mémoire de
licence, Institut d'études politiques de Paris. 2006, p. 32-37.
411
FANZUN Jon Albert, Die Gren::.en der Newralitiit: Schwei::.erische Menschenrechtspolitik im
KaltenKrieM. Zurich: NZZ Yerlag. 2005. p. 57.
"'FISCHER Thomas. Die Gren::.en der Neutralitiit .... p. 51.
139