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Julien

Damon
www.eclairs.fr

Classes
moyennes et protection sociale

VOIE 1. Les classes moyennes comme classe sociale.................................................................... 4


Délimitations et définitions : les trois voies........................................................................... 5
VOIE 2. Les classes moyennes comme catégorie moyenne.........................................................5
Délimitations et définitions : les trois voies........................................................................... 8
VOIE 3. Les classes moyennes comme sentiment d’appartenance...........................................8
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Le pluriel des classes moyennes
Les classes moyennes, auxquelles s’identifient aujourd’hui majoritairement les Français,
rassemblent les individus situés entre les moins fortunés et les plus fortunés. Ces classes
moyennes, ni prolétaires ni bourgeoises (pour prendre une tripartition plus traditionnelle),
méritent leur pluriel, d’abord parce qu’il est impropre de vouloir condenser sous une
appellation au singulier un ensemble de situations qui n’ont pas forcément grand-chose à voir.
Elles méritent également leur pluriel, car les diverses études ne prennent pas en considération
les mêmes périmètres. Le pluriel s’impose, enfin, car si l’on s’extrait du cas français pour
s’ouvrir aux réalités européennes et mondiales, il apparaît une formidable diversité des
situations, des trajectoires et des perspectives.

Alors qu’elles ont autrefois été érigées, en France, en une catégorie unitaire, mais de taille
relativement restreinte, on peine aujourd’hui à trouver le dénominateur commun d’une large
population qui se trouve dans une position intermédiaire entre les nantis et les moins bien
lotis. Maintenant plutôt captées dans des entre-deux, par exemple entre une France d’en haut
et une France d’en bas, les classes moyennes présentent une grande dispersion de profils. La
classe moyenne a, un temps dans l’histoire, bénéficié d’une certaine unité, qui pouvait
légitimer son singulier. Aujourd’hui le pluriel s’impose pour des classes moyennes qui se sont
étendues et banalisées.

Trois méthodes principales permettent de les approcher : par les revenus ou les dépenses ; par
les appartenances socio-professionnelles ; par l’identification individuelle à la catégorie.
Chaque méthode a ses qualités et ses limites pour l’anatomie des classes moyennes comme
condition socio-économique et/ou comme catégorie politique. Chacune a également ses
détracteurs et ses laudateurs. Une question capitale est de savoir si les classes moyennes sont
une classe établie à partir d’un milieu mathématique (des revenus ou des consommations) ou
bien si les classes moyennes sont, en elles-mêmes, un milieu social (comme on dit « je ne suis
pas de ce milieu »). Si l’on met de côté ces débats spécialisés, quelle image peut-on donner
des classes moyennes françaises, selon ces trois approches. D’abord, il est possible de dire
que les classes moyennes se situent entre les 10 % les plus aisés, et les 10 % les moins aisés.
On peut tout aussi valablement dire qu’elles se trouvent entre les 20 % les plus favorisés, et
les 20 % les moins favorisés. Dans le premier cas, les classes moyennes rassemblent 80 % de
la population ; dans le second 60 %. Une deuxième entrée pour approcher ces catégories
consiste à passer par la profession, qui reste un critère déterminant de classement. À partir de
la nomenclature française des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) – dites
encore souvent CSP pour catégories socioprofessionnelles -, de nombreuses classifications
rapportent les classes moyennes à un regroupement des « professions intermédiaires », d’une
partie des « cadres supérieurs » et d’une partie des « employés ». Une part des cadres et
professions intellectuelles supérieures émarge aux classes moyennes. C’est le cas aussi d’une
partie du groupe, en réalité très éclaté, des employés. Troisième méthode : l’auto-
identification consiste à rapporter la part de la population qui estime appartenir aux classes
moyennes. En France, les résultats de sondages indiquent régulièrement que deux personnes
sur trois s’identifient de la sorte. Le résultat, toujours actuel, confirme ce que l’ex-Président
Valéry Giscard d’Estaing résumait, en 1983, dans le titre de l’un de ses ouvrages : Deux
Français sur trois. Ce sentiment d’appartenance confère une sorte de conscience de classe de
type « ni ni » : ni riche ni pauvre, ni favorisé ni défavorisé.

Théoriquement, la variété est de mise au sens où l’expression « classes moyenne » est à


géométrie très variable. Il est possible et loisible de distinguer les classes moyennes

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« anciennes » et « nouvelles », « inférieures », « intermédiaires » et « supérieures », etc.
Certains experts critiquent un fourre-tout composite, une auberge espagnole conceptuelle, une
mosaïque hétéroclite. D’autres sont réservés sur une étiquette qui peut paraître d’un autre âge
(celui de la supposée totalement passée lutte ces classes). Des penseurs de haut rang ont
souligné leur caractère moderne et avant-gardiste. D’autres, de tout aussi haut rang, ont
déploré leur conservatisme et leur frilosité. L’orthodoxie marxiste a, de façon récurrente,
souligné leur domination et annoncé leur inéluctable disparition. D’autres sociologies les
érigent en pôles autonomes de stabilité politique qui s’étoffent. Une orientation est de les
considérer comme une incongruité dans un schéma binaire de lutte de classes antagonistes.
Une option contraire est de leur attribuer une place particulière sur une échelle à trois niveaux,
avec des situations, représentations et consommations qui les distinguent. C’est peu dire que
le sujet mobilise des idées bariolées.

Depuis le XIXème siècle, de nombreuses analyses tentent de délimiter les contours des
classes moyennes. Célébrées, critiquées, courtisées ou méprisées selon les époques et les
auteurs, elles font tout spécialement maintenant l’objet d’observations attentives et de prises
de position. Situées à l’épicentre des questions sociales et des préoccupations électorales, elles
intéressent. Entre sécession des ultra-riches et exclusion des très pauvres, ces strates, aux
contours qui varient fortement selon les analyses, se trouvent au carrefour de bien des
dynamiques et problématiques. À l’échelle mondiale, leur apparition dans les pays en
développement révolutionne potentiellement les équilibres économiques et démocratiques,
tant dans chacun de ces pays qu’à l’échelle globale.

On signale ainsi à l’envi, dans les pays occidentaux, le déclassement relatif et l’inquiétude des
classes moyennes, tandis que dans les pays émergents des classes moyennes seraient en cours
d’apparition, à l’aube d’une phase d’expansion. Il y aurait ainsi des dynamiques de
« moyennisation » dans des pays émergents et des dynamiques de « démoyennisation » dans
des pays du vieux monde. Espèce en voie de disparition d’un côté du monde, espèce en
épanouissement de l’autre. Si l’on doit toujours prendre des précautions avec les données et
les formules, il est tout de même tentant de dire que le XXème siècle aura été celui des classes
moyennes occidentales tandis que le XXIème sera très probablement celui des classes
moyennes actuellement émergentes.

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Délimitations et définitions : les trois voies

VOIE 1. Les classes moyennes comme classe sociale


Professions, valeurs et modes de vie

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 Un salariat au truchement des fonctions de décision et d’exécution.
Délimitations et définitions : les trois voies
VOIE 2. Les classes moyennes comme catégorie moyenne
Revenus, niveaux de vie

VOIE 2.1 Des strates pour une taille fixe

Les classes moyennes : 33 % de la population


Ménages pauvres 1er tercile
Classes moyennes 2ème tercile
Ménages aisés 3ème tercile

Les classes moyennes : 80 % de la population


Ménages pauvres 1er décile
Classes moyennes inférieures 2ème, 3ème et 4ème déciles
Classes moyennes intermédiaires 6ème et 7ème déciles
Classes moyennes supérieures 8ème, 8ème et 9ème déciles
Ménages aisés 10ème décile

VOIE 2.2 Des chiffres souvent repris (la moitié des gens entre les riches et les pauvres)
Une autre voie de partage consiste à distinguer les catégories aisées (les 20 % les plus favorisés), les catégories
populaires (les 30 % les moins favorisés), et une classe moyenne rassemblant la moitié de la population totale,

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entre les plus aisés et les moins aisés. Sous cette hypothèse – utilisée pour de nombreux travaux - les revenus
disponibles, après impôts donc, de la classe moyenne sont (pour une personne seule), en 2011, compris entre
1 183 et 2 177 euros par mois1. Il s’ensuit un tableau de situation, en termes de niveaux de vie, pour 2011,
différent bien entendu selon la situation des ménages.

1. Avant impô ts, en 2012, la classe moyenne rassemble des individus aux revenus situés entre 1 200
euros et 2 700 euros.

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VOIE 2.3. DES BORNES FIXES MAIS UNE TAILLE VARIABLE
Une toute autre possibilité, toujours dans la famille des approches monétaires, consiste à ne
pas envisager des classes moyennes à taille fixe, mais à fixer des bornes de niveaux de vie
(par exemple entre 75 % et 150 % de la médiane des revenus) afin de mesurer la taille des
classes moyennes. Dans un cas, on fige une taille, dans l’autre on fige des frontières.

Taille et bornes des classes moyennes dans l’Union européenne (une personne seule, 2009)
Taille de la Niveau de Plancher à 70 % de la Plafond à 150 % de la
classe moyenne vie médian médiane médiane
Hongrie 63,4 % 395 € 276 € 592 €
R. Tchèque 63,1 % 608 € 426 € 912 €
Slovaquie 61,7 % 473 € 331 € 709 €
Pays-Bas 61,5 % 1 680 € 1 176 € 2 520 €
Danemark 60,8 % 2 086 € 1 460 € 3 129 €
Slovénie 59,1 % 989 € 692 € 1 483 €
France 58,7 % 1 637 € 1 146 € 2 456 €
Autriche 58,3 % 1 657 € 1 160 € 2 486 €
Suède 57,4 % 1 771 € 1 239 € 2 656 €
Luxembourg 56,9 % 2 647 € 1 853 € 3 971 €
Belgique 55,1 % 1 609 € 1 127 € 2 414 €
Finlande 55,0 % 1 747 € 1 223 € 2 620 €
Allemagne 53,0 % 1 549 € 1 084 € 2 323 €
UE 27 52,8 % 1 219 € 853 € 1 828 €
Chypre 51,4 % 1 398 € 979 € 2 098 €
Pologne 51,1 % 425 € 297 € 637 €
Malte 50,8 % 888 € 621 € 1 332 €
Italie 50,6 % 1 303 € 912 € 1 955 €
Grèce 50,2 % 958 € 671 € 1 437 €
Irlande 49,0 % 1 870 € 1 309 € 2 806 €
Portugal 48,3 % 974 € 682 € 1 461 €
Royaume-
Uni 48,2 % 1 355 € 949 € 2 033 €
Espagne 47,5 % 1 108 € 776 € 1 663 €
Roumanie 45,6 % 180 € 126 € 270 €
Estonie 43,2 % 517 € 362 € 776 €
Bulgarie 42,2 % 236 € 165 € 354 €
Lituanie 41,4 % 401 € 281 € 602 €
Lettonie 35,4 % 456 € 319 € 684 €
Sources : Eurostat, EU-SILC, CREDOC

Les classes moyennes ont particulièrement reculé dans des pays de l’Est, où elles demeurent tout de même
largement majoritaires : Slovaquie, République Tchèque, Pologne. C’est le cas aussi dans quelques pays du Nord
: Suède, Allemagne, Belgique. C’est loin d’être le cas en France. Les classes moyennes y sont légèrement plus
nombreuses qu’elles ne l’étaient il y a 20 ans. Sur une vingtaine d’années c’est au Royaume-Uni (+ 4 %), en
Irlande (+ 6%) et en Hongrie (+ 8%) qu’elles ont le plus augmenté. Si l’on constate un recul des classes
moyennes dans un grand nombre de pays, on n’enregistre aucune diminution de leur niveau de vie.

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Délimitations et définitions : les trois voies

VOIE 3. Les classes moyennes comme sentiment d’appartenance


Identification par critère subjectif : l’auto-évaluation
Appartenance déclarée à une catégorie sociale
Les Les Les classes Les classes Les
Enquête Ifop, Fondation pour défavorisés catégories moyennes moyennes favorisés ou
l’Innovation politique (2010) modestes supérieures les aisés
4% 29 % 52 % 13 % 2%
Total « classes moyennes » : 65 %
Défavorisés Classes Classe Classe Aisés,
Enquête « Conditions de vie populaires moyenne moyenne privilégiés
et Aspirations des Français » inférieure supérieure
CREDOC, 2008 6% 21 % 44 % 22 % 5%
Total « classes moyennes » : 66 %

Part de la population estimant que son ménage est dans une situation… (en %)
Source : Eurobaromètre, décembre 2010

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Déclin ou maintien ?
La force du ressentiment plus que du déclassement

 Vers une société en sablier (Alain Lipietz, Jean-Marc Vittori)


 Grand renversement générationnel : sucre dressé au fond d’une tasse (Louis Chauvel)
 Ni paupérisation, ni rétractation (Maurin & Goux, Bigot)

1. Pas les mêmes définitions !


2. Des projets intellectuels différents
3. Des convergences (difficultés des classes moyennes inférieures)
4. Le maintien de la moyenne n’empêche pas l’effritement ou encore les inégalités
générationnelles
5. La question capitale du logement

Proportion d'individus propriétaires de leur logement (en %)

Source : CREDOC

Évolution de la distribution des revenus des locataires HLM (en %)

Sources : INSEE, Union Sociale pour l’Habitat

GROS SUJET
Des classes moyennes désavantagées par l’Etat-providence ? (1)
Montant annuel des transferts pour les ménages selon leurs revenus annuels (en euros)
Cas des familles avec deux enfants (2010)

Source : www.openfisca.fr

Education : De la sixième aux études supérieures : la composition sociale des filières (en %)
Elèves de 6e en 1995 Bacheliers généraux Inscrits en classe Diplômés à Bac+5
en 2001 préparatoire aux
grandes écoles en
2002
Ouvriers, inactifs 38 19 9 14
Employés 18 14 7 10
Agriculteurs,
artisans, 11 10 9 10
commerçants
Professions
17 24 20 24
intermédiaires
Cadres supérieurs,
16 33 55 42
professions libérales
Ensemble 100 100 100 100
Source : Ministère de l'éducation nationale, ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

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GROS SUJET
Des classes moyennes désavantagées par l’Etat-providence ? (2)
Classes moyennes et prélèvements obligatoires (années 2000)

Source : CREDOC, données SILC

Classes moyennes et dépenses sociales (années 2000)

Source : CREDOC, données SILC

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La moyennisation du monde
Classes moyennes émergentes et classe moyenne mondiale

Une approche : entre 10 et 100 $ PPA par jours

La classe moyenne mondiale : évaluation et projection (en millions d’individus, et en %)


2009 2020 2030
Amérique du Nord 338 18 % 333 10 % 322
Europe 664 36 % 703 22 % 680
Amérique du Sud 181 10 % 251 8% 313
Asie 525 28 % 1 740 54% 3 228
Afrique subsaharienne 32 2% 57 2% 107
Moyen Orient et Afrique du Nord 105 6% 165 5% 234
Monde 1 845 100 % 3 249 100 % 4 884
Source : OCDE ; Homi Kharas, 2010

La tripartition de la pyramide économique mondiale (2010)

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L’éléphant des inégalités

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Pour finir : la classe moyenne par la voiture ?

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Dix gros sujets de débat

1. Quelle définition choisir ?


2. Des prestations sociales vraiment défavorables ?
3. Existe-t-il un U de la redistribution ?
4. Les classes moyennes vont-elles disparaître ?
5. Quelles politiques spécifiques pour les classes moyennes ?
6. Les classes moyennes émergentes remplacent-elles les occidentales ?
7. La voiture est-elle vraiment une bonne entrée ?
8. Le barbecue : toujours un bon indicateur ?
9. Marx avait-il raison ?
10.Les élèves des grandes écoles peuvent-ils être classes moyennes ?

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