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Pratiques : linguistique,

littérature, didactique

Les formes directes et indirectes de l'argumentation


Michel Charolles

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Charolles Michel. Les formes directes et indirectes de l'argumentation. In: Pratiques : linguistique, littérature, didactique,
n°28, 1980. Argumenter. pp. 7-43;

doi : https://doi.org/10.3406/prati.1980.1179

https://www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_1980_num_28_1_1179

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Les formes directes et indirectes de

l'ARGUMENTATION

Michel CHAROLLES

I. -~ CONDUITES D'ARGUMENTATION
ET SITUATION D'ARGUMENTATION

1. Définition de travail

Convenons qu'il y a argumentation chaque fois qu'un agent (individuel


ou collectif) produit un comportement destiné à modifier ou renforcer les
dispositions d'un sujet (ou d'un ensemble de sujets) à l'égard d'une thèse
ou conclusion. Entendue de la sorte l'argumentation désigne donc un mode
particulier, quoique parfaitement courant, d'interaction humaine. Toute
conduite d'argumentation suppose la mise en œuvre par un agent-argumentateur
de moyens pour atteindre un but qui est « de provoquer ou d'accroître
l'adhésion d'un auditoire aux thèses qu'on présente à son assentiment » (C. Pe-
relman) (1) *. La thèse défendue par l'argumentateur réfère à un champ
problématique (à un domaine d'interrogation ou de préoccupation) qui définit en
somme l'objet de l'argumentation, c'est-à-dire le « ce sur quoi elle porte ».
L'objet de l'argumentation est donc l'univers à l'intérieur duquel un problème
est explicitement ou implicitement posé et à l'intérieur duquel
l'argumentateur va faire valoir une position. On appelle arguments l'ensemble des moyens
ou instruments utilisés par un agent pour étayer une thèse. Bref toute
CONDUITE D'ARGUMENTATION:
1 — prend place dans une SITUATION qu'elle transforme en
SITUATION D'ARGUMENTATION.
2 — engage des PARTICIPANTS (individuels ou collectifs) qui
assument des rôles spécifiques d' AGENT ARGUMENTATEUR
(auteur de la conduite) et de PATIENT ARGUMENTATAIRE (visé
par la conduite).
3 — porte sur un objet ou champ problématique.
4 — vise une FIN (ou BUT) qui est l'adhésion de Pargumen-
tataire à une THESE (ou CONCLUSION) ; adhésion qui suppose
une transformation du rôle de l'argumentataire - patient en agent
actif de la modification de ses convictions.

(*) Les chiffres renvoient aux indications bibliographiques placées à la fin de l'article.
5 — exige de la part de l'argumentateur la mise en œuvre de
MOYENS (ou INSTRUMENTS) qui sont les ARGUMENTS.
Ce que l'on illustre très simplement à l'aide du petit cas suivant:
SITUATION : 1 — Au tribunal
PARTICIPANTS : 2 — L'avocat de la défense (argumente) le jury
OBJET : 3 — Au sujet de la culpabilité de son client
FIN : 4 — Pour que le jury croie que l'inculpé est innocent
MOYEN : 5 — Dans sa plaidoirie l'avocat avance les faits qui
sont des arguments en faveur de la thèse qu'il
défend.

2. Argumentation et coercition

Parmi les traits retenus ci-dessus pour caractériser une situation


d'argumentation, il faut prêter attention au fait que certains se retrouvent dans
d'autres types de situation. Par exemple, si l'on considère une conduite
d'interdiction, on a bien, comme dans le cas de l'argumentation :
1 — une situation (« Au lycée »).
2 — des participants (« le Proviseur (interdit) aux élèves »).
3 — un objet («le comportement des élèves motorisés à l'intérieur du
lycée »).
4 — une fin (« que les élèves motorisés ne roulent pas sur leurs
engins dans les passages conduisant aux abris »).
5 — Un moyen (« une note écrite lue dans toutes les classes »).
La question se pose alors de savoir ce qui distingue véritablement une
situation d'argumentation d'une situation par exemple d'interdiction ou
d'injonction. Il ne paraît pas, tout d'abord, que l'on puisse attribuer à
l'argumentation un domaine d'objet qui lui soit vraiment propre. Ainsi on peut
argumenter sur « Ne fumez pas ! » ou interdire à autrui de fumer. On peut
argumenter sur la nécessité de croire en Dieu ou imposer à d'autres qu'ils
croient en Dieu. La question de savoir s'il est raisonnable, efficace ou
matériellement possible d'interdire ou d'ordonner à quelqu'un de faire ou, pire,
de penser quelque chose n'est ici d'aucune importance. Il suffit (pour notre
propos) de relever que rien n'empêche à priori que l'on se représente quelqu'un
comme obligeant les autres à penser ceci ou cela pour se rendre compte que
l'argumentation n'a pas le monopole du « domaine des idées ». Partant, la
spécificité d'une conduite argumentative devient assez difficile à saisir, car il ne
suffit pas de dire, comme nous l'avons fait, qu'elle vise à modifier les
dispositions d'un sujet à l'égard d'une affirmation pour la distinguer absolument
des conduites coercitives. Quand on impose à un enfant de penser que 2 et
2 font 4 alors qu'il croyait qu'ils faisaient 5, on cherche bien à modifier
ses convictions sur un état de choses. Et cela (qui concerne donc le but) est
parfaitement comparable à ce que l'on essaye de produire chez le même
enfant lorsqu'on l'argumenté par exemple sur la nécessité où il se trouve
de mettre un gilet pour sortir parce que la température a fraîchi. Si le
résultat visé paraît être d'une même nature dans ce cas comme dans l'autre,
il y a pourtant, comme chacun l'éprouve (ou a pu l'éprouver parfois à ses
dépens), une nuance — et de taille I! — entre ces deux types de situation.
A quoi tient cette « nuance » ? Apparemment au fait que, dans le cas d'une
conduite d'obligation, quelqu'un oblige quelqu'un à faire ou ne pas faire
quelque chose, alors que dans le cas d'une conduite d'argumentation quelqu'un
argumente quelqu'un pour qu'il pense qu'il doit faire ou ne pas faire quelque
chose. (Le « faire quelque chose » pouvant parfaitement, dans un cas comme
dans l'autre, désigner une action mentale). Celui qui argumente autrui, même
quand il cherche à modifier son attitude ou ses actions, n'agit pas (en faisant)
comme s'il voulait réglementer directement son comportement. Qui argumente
prétend intervenir sur les représentations ou convictions d'autrui qu'il es¬
time être les motivations du comportement qu'il veut changer ou prévenir.
Toute conduite argumentative ne vise cependant pas à guider le com¬
portement d'autrui ou à modifier ses projets d'action. Les discours argu-
mentatifs n'ont donc pas forcément un caractère pratique. Au nombre des dis¬
cours argumentatifs il faut naturellement aussi verser ceux qui portent sur
des objets plus ou moins spéculatifs (théorétiques dit Aristote) (2) comme la ro¬
tondité de la Terre, l'existence de Dieu... ou le sexe des anges !

Qui argumente s'adresse (ou joue à s'adresser) au sujet réfléchissant,


discutant, raisonnant qui est en l'autre (qu'il oblige l'autre à être). D'où
le caractère apparemment libéral de l'argumentation : argumenter c'est faire
valoir un point de vue, un jugement, une idée... admettre (au moins le prin¬
cipe de) la « discutabilité » de ce que l'on soutient, c'est laisser à l'autre la
possibilté (théorique ?) d'en faire à sa guise et lui accorder (ne serait-ce qu'en
apparence) le droit de répondre par des objections, des réfutations. Argumen¬
ter quelqu'un, c'est en somme le contraindre peu ou prou à se mettre dans
l'état de celui qui peut-être persuadé ou convaincu. En user donc
avec l'autre d'une manière qui suppose chez lui un quelconque exercice de
sa sensibilité ou de sa raison. Il n'est guère possible en vérité de distinguer
comme le font certains auteurs entre les argumentations visant à la persuasion
d'un individu par appel à l'affectivité, des argumentations qui cherchent plu¬
tôt à convaincre un large auditoire par des moyens rationnels (cf. Perelman
pp. 34-40) (3). L'argumentation ne vise d'ailleurs pas toujours à convaincre ou
persuader, au moins si l'on entend ces deux verbes dans leur sens habituel qui
implique un mouvement d'adhésion (d'où à mon avis le caractère « incomplet »
de la définition de C. Perelman qui j'ai cité précédemment). En effet, il n'est
pas rare qu'une conduite argumentative vise plus modestement à faire que l'au¬
ditoire, même s'il n'adhère pas, arrive pour le moins à comprendre (4) les rai¬
sons qui font que l'argumentateur (ou d'autres) voit les choses de telle ou telle
manière. Par exemple, un candidat aux élections (cf. pour l'heure le cas de M.
Debré) qui croit (dont on dit) qu'il n'a aucune chance de gagner peut très bien
entreprendre quand même d'argumenter les électeurs ne serait-ce que pour
faire comprendre, faire connaître (« témoigner ») les idées qu'il défend.
Concernant par exemple un domaine aussi rebattu que celui de la
consommation des stupéfiants, la différence entre une conduite coercitive et
argumentative apparaît bien. Le législateur qui interdit l'usage de telle drogue
entend agir sur l'action même des personnes tombant sous le coup de la loi,
son geste vise, en définitive, à l'élimination directe d'un comportement. Dès
9
lors par contre, que le législateur, dans les attendus de son texte, avance des faits
prouvant à ses yeux les dangers de l'usage de la drogue, son projet n'est plus de
légiférer mais de justifier sa décision. Ce qu'il veut bien argumenter c'est
l'opportunité de son texte ; s'il accepte quelque chose, c'est seulement de re¬
connaître que l'on peut discuter de la nécessité de la loi. Sans pour autant
remettre en cause l'application de sa décision : que Pierre, Paul ou Jacques soient
convaincus ou non par les attendus fournis, cela ne les met pas à l'abri des
sanctions prévues par la loi. On peut noter aussi que toute interdiction, dès
l'instant où on la considère comme un instrument de dissuasion prend valeur
d'argument : on dira qu'on interdit l'usage de la drogue pour que ceux qui
pourraient songer à en consommer pensent qu'ils ne doivent pas le faire
(l'interdiction étant alors conçue comme le seul argument capable d'agir sur
leurs motivations).

Si la coercition est, en un sens, le dernier des arguments, elle est aussi


d'une autre manière, l'horizon de toute argumentation. En effet celui qui
argumente, s'il reconnaît bien à l'autre le droit de décider en dernier ressort,
fait néanmoins tout ce qu'il peut pour l'obliger à conclure dans son sens.
Le but de l'argumentation étant de produire en autrui une sorte de cons¬
cience de la nécessité où il se trouve de conclure en la justesse, en la vérité,
en la légitimité... de telle ou telle affirmation. L'idéal de l'argumentation con¬
siste donc fatalement à réduire sou auditoire au silence. Créer en l'autre une
adhésion obligée, provoquer l'évidence qui contraint, forcer l'accord, en
imposer, voilà en somme à quoi aspire finalement celui qui argumente.
Et qui donne une idée de l'ambiguïté de sa démarche : tout à la fois libérale
(dans la mesure où elle suppose un libre arbitre auquel il faut faire face) et
coercitive (dans la mesure où son succès tient justement au degré d'obliga¬
tion qu'elle réussit à provoquer dans la pensée de ceux vers qui elle est
tournée).

A quoi tient la réussite d'une conduite argumentative ? Qu'est-ce qu*


peut provoquer l'adhésion d'un auditoire ? et quel auditoire ? Quels moyens,
quelles stratégies, quelles ruses développe i'argumentateur pour amener
l'autre ou il veut? Autant de questions que l'on retrouvera dans la suite
de cette introduction, dans l'ensemble des articles réunis dans ce numéro et
dans le numéro 30 («Les discours argumentés »), dans la littérature citée
en bibliographie... et qui, parmi bien d'autres, n'ont pas fini de faire couler
de l'encre !

3. Un exemple

Pour avancer un peu dans le domaine de l'observation, on s'attardera


maintenant quelques instants sur le texte suivant qui fournit un assez bon
exemple
tête officielle
d'une du
certaine
Ministère
forme de
d'argumentation.
l'Education ; lycée...
Il s'agit d'une
à... etlettre
signée
portant
par en¬
les
professeurs de lettres classiques et le professeur principal de la classe de 5e
de l'établissement
ses de 5e en fin end'année
question.
scolaire
Cetteà lettre
destination
a été remise
de leursauxparents.
élèves Le
des texte
clas¬
comporte en bas de page un papillon détachable à retourner au professeur
principal après signature des parents qui doivent ainsi certifier qu'ils ont
mation
bien « reçu
». » ce que les auteurs de la lettre appellent « une circulaire d'infor¬

10
MINISTERE DE L'EDUCATION

LYCEE ••

, le 4 mai 1979,

Madame, Monsieur,
Au montent de choisir une option pour l'entrée en 4e de votre fils ou de
votre fille, il est indispensable que vous considériez avec la plus grande attention
l'importance et les avantages du latin et (ou) du grec.
L'horaire hebdomadaire est de 3 h. pour le grec, 3 h. pour le latin. Ces
langues peuvent être étudiées conjointement : proches sur bien des points, elles
s'éclairent alors l'une par l'autre ; mais on peut aussi, bien sûr, les aborder
séparément.
Pourquoi choisir le LATIN?
Le latin est utile à la formation de l'enfant ;
— parce qu'il est le fondement de la langue française et facilite son étude sur le
plan du vocabulaire, de la grammaire et de la littérature.
— parce qu'il est indispensable à une bonne compréhension de notre histoire, de
nos lois, de nos mœurs.
— parce qu'il est un outil de formation intellectuelle développant, parallèlement
aux mathématiques, l'aptitude au raisonnement, l'esprit d'analyse et de synthèse,
comme en témoigne la réussite des latinistes dans les classes de C.
Le GREC offre des avantages complémentaires :
— si la langue française courante est issue du latin, la majeure partie du
vocabulaire philosophique, scientifique et technique est issue du grec et continue à se
développer de façon vivante à partir de cette langue. La connaissance du grec
est un grand soutien pour des étudiants en médecine ou en pharmacie par exemple.
— la connaissance de la pensée grecque permet de mieux connaître les racines
des sciences, de la philosophie, de la réflexion politique, et de mieux comprendre
les grands mythes qui continuent à inspirer les écrivains contemporains.
D'un point de vue plus pratique, il faut savoir que ces langues peuvent faire
l'objet d'options au baccalauréat.
En outre, aux élèves qui font le choix d'une section littéraire (A) l'étude
de l'une des deux langues anciennes au moins s'impose pour leur assurer les
meilleures chances de succès.
De toute façon l'étude du latin et (ou) du grec représente pour votre enfant
une chance supplémentaire, sans être en aucune façon un engagement vers une
orientation précise, prématurée en 4e. Des choix nouveaux se présenteront pour
lui à la fin de la 3e. Il s'agit de lui mettre, dès à présent, en mains, le plus large
éventail de possibilités.

Les Professeurs de lettres classiques du Lycée de *•*, Le Professeur Principal de la


classe de 5e.

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1. La SITUATION dans laquelle s'inscrit la démarche des signataires
de cette lettre comporte des aspects objectifs de caractère notamment
spatiotemporel : leur « circulaire » est datée et localisée. Le lieu institutionnel d'où
part le courrier, son mode d'acheminement, le moment choisi pour son envoi
sont des facteurs d'ancrage de la communication. La simple mention de ces
données permet aux destinataires de repérer l'information et de l'accrocher
à un vécu (de faits et de valeurs). Les auteurs appuient sur la dimension
implicante de la situation. Le caractère solennel et quasi dramatique du
« Au moment de... », par quoi débute la lettre est révélateur de leur volonté
d'orienter la vision de leurs interlocuteurs et manifeste, en quelque sorte, leur
désir de voir les destinataires interpréter la situation dans le sens que, eux,
lui confèrent.

2. L'OBJET de la démarche des signataires concerne le choix d'une


option au moment de l'entrée en classe de 4e. Les destinataires de la lettre
sont des parents concernés par ce choix donc des personnes qui vont devoir
se déterminer par rapport à un problème. C'est sur leur décision que les
auteurs de la lettre entendent peser.

3. Les ARGUMENT ATEURS affichent leur statut de professeurs de


lettres et de professeur principal. La signature es-qualités, sous couvert du
ministère et de l'administration locale, apporte une caution officielle à la
démarche, elle marque la légitimité des personnes (autorisées) qui en sont à
l'origine. Mais surtout, et peut-être insidieusement, elle apporte un label
d'objectivité (en tant que fonctionnaires, les auteurs ne peuvent avoir aucun
intérêt personnel dans cette affaire) et une garantie de compétence. De par
leurs fonctions, les signataires sont en effet bien placés pour savoir (et ils ne
manquent pas de rappeler qu'ils savent) qu'en 4e « l'horaire hebdomadaire
est de 3 heures pour le grec, 3 heures pour le latin, que le latin et le grec
peuvent faire l'objet d'options au baccalauréat », que l'orientation en 48
n'est pas définitive... A un premier niveau, la mention de ces données
répond à une simple volonté d'information : les auteurs, supposant que leurs
destinataires ignorent éventuellement ces faits, les mettent en avant pour
qu'ils puissent se déterminer en toute connaissance de cause. Cela c'est en
quelque sorte ce que les auteurs affichent ou, plus précisément, ce qu'ils
peuvent prétendre avoir seulement voulu dire et faire (la façade
transparente). Seulement, en s'accordant le pouvoir (et le droit) d'informer, les
auteurs de cette lettre renforcent leur image de crédibilité et de sérieux. Leur
geste prend à un second niveau, une valeur supplémentaire et plus
indirecte du fait de ses retombées possibles du côté de l'auditoire. Ce processus
est assez subtil : il contribue indiscutablement à orienter l'auditoire dans le
sens d'une valorisation (symbolique) des personnes et donc vraisemblablement
de leur démarche. Il n'empêche qu'on en mesure difficilement les effets :
jusqu'à quel point renforce-t-il l'argumentation ? par quelles voies ? — cela
dépend assurément des représentations préalables (préconstruites) de
l'auditoire et de sa sensibilité aux figures d'autorité dont le professeur fournit,
sans nul doute, une des plus belles (quoique des plus complexes) images.

Les ARGUMENTATAIRES interpelés par les signataires de la lettre sont

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les parents : « père, mère de l'élève » qui doivent signer le papillon de
retour. La lettre, bien que personnalisée, ne visent pas les familles
patronymiques, elle est adressée à tous les parents concernés (« Madame,
Monsieur »). Les élèves ne sont pas reconnus comme des argumentataires : ce
n'est pas eux que les auteurs entendent influencer. L'interpellation initiale
« il est indispensable que vous considériez avec la plus grande attention... »,
outre son caractère « dramatique », manifeste la volonté des auteurs de s'assurer
de la participation et de l'intérêt des argumentataires. Cet intérêt qu'ils
sollicitent est en fait un préalable indispensable : on ne peut argumenter que
des gens concernés ! Or, cet intérêt, il n'est pas sans importance de relever
que les signataires ressentent le besoin de l'activer. Non pas en général,
sans doute sont-ils persuadés qu'aucun parent ne se moque de l'orientation
de son enfant (en tous cas ils ne peuvent que faire comme si cela allait
de soi car autrement ils risqueraient de blesser leurs interlocuteurs), mais,
en particulier, en ce qui concerne le choix du latin et du grec, dont on voit que
les signataires n'ont pas l'air d'être convaincus que les parents en mesurent
l'importance.

4. La THESE défendue est énoncée dans le dernier paragraphe «


L'étude du latin et (ou) du grec représente pour votre enfant une chance
supplémentaire ». Cette conclusion s'appliquant « de toute façon », est en
réalité énoncée dès le début où le latin et le grec sont déterminés comme
présentant une importance et des avantages indiscutables. Au moins les
auteurs posent-ils ces qualités comme absolues, vraies... reconnues de tous,
au point que ce n'est pas leur avis mais l'être même du latin et du grec
que d'avoir les traits « important » et « avantageux » (5). Partant la
conclusion finale, tournée vers l'action (« il s'agit de lui mettre, dès à présent,
en mains... »), n'est qu'une illustration particulière (votre enfant, ses études...)
de cette affirmation générale et générique.

5. Les ARGUMENTS (ou raisons) invoqués pour orienter le choix


des parents (« pourquoi choisir... ?») jouent sur deux tableaux. D'un côté
les auteurs font valoir que l'étude du latin et du grec est utile pour la
connaissance de notre civilisation et de ses origines (le latin et le grec
« fondements » de notre langue, de notre littérature, de notre histoire...).
Mais cette valorisation (cette « importance ») culturelle (relevant de la
culture avec un grand C comme figure d'un savoir abstrait) est
constamment associée — ceci expliquant cela — à des « avantages... plus
pratiques ». Les raisons d'intérêt qui sont avancées (réussite des latinistes
en C, soutien pour les étudiants en médecine ou pharmacie, options au
bac, meilleures chances de succès en A) ou suggérées (la formation
intellectuelle apportée par l'apprentissage du latin ne pouvant qu'améliorer les
performances générales de ceux qui l'étudient, de même que facilitant la
connaissance de la langue française elle ne peut qu'améliorer leurs
résultats en français, grammaire... orthographe...) sont très significatives. Il est
en effet singulièrement révélateur de voir que les signataires éprouvent le
besoin d'insister sur la rentabilité de l'apprentissage des langues anciennes
même pour les élèves qui s'orienteront plus tard vers des études
scientifiques, médicales, juridiques ou politiques. On comprend en vérité sans
difficultés à quoi répondent implicitement (sournoisement) ces raisons. Qui

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argumente n'avance pas des arguments pour avancer des arguments,
II cherche à convaincre un auditoire défini qui adhère déjà (et
forcément) à certaines opinions, qui partage certaines idées que l'argumen-
tateur doit prendre en compte (et donc s'efforcer de reconstruire) s'il
veut atteindre la cible qu'il vise.

Les collègues ayant, comme on le conçoit aisément, de bonnes


raisons de conjecturer que leurs interlocuteurs inclinent plutôt à penser que
l'étude du latin et du grec ne sert plus aujourd'hui à grand-chose et
n'est en particulier d'aucun intérêt lorsqu'on envisage pour ses enfants
(« comme tout le monde ») des carrières de médecin ou d'avocat, on
comprend pourquoi ils insistent tant sur les avantages que peut procurer, même
dans ces cas, l'étude de la discipline qu'ils défendent. Les argumentataires
visés par la lettre étant les parents en général, les convictions que leur
attribuent les auteurs réfèrent inévitablement à une moyenne, à une idéologie
ambiante à l'intérieur de laquelle ils acceptent de rentrer pour « livrer
combat ». Car après tout, visant une catégorie de parents (ceux qui peuvent
envisager les orientations mentionnées dans la lettre), les auteurs confortent la
représentation qu'ils se font d'un certain type d'avenir pour leurs enfants
(cadre, profession libérale et non pas travailleur manuel, paysan...). Même,
ils appuient presque à la fin sur cette maxime tant répandue qui veut
qu'apprendre serve toujours à quelque chose, que, « de toute façon », ce na gâte
rien et puis que, de toute manière, rien n'empêche d'essayer. En s'en prenant
(dans la forme et pour la forme) aux parents en général, les auteurs évitent
la discussion au plan des intérêts particuliers de chaque enfant où il y aurait
lieu de se demander si l'étude du latin et du grec apporte toujours une
chance supplémentaire. Partant on voit bien en quoi l'argumentation est
un montage qui met en avant des choses bonnes à dire et camoufle,
escamote, évite ce qui pourrait être exploité dans un sens préjudiciable.
Ainsi de l'argument : « faites faire du latin ou du grec à vos enfants, sinon
nous qui enseignons ces disciplines nous n'aurons bientôt plus de poste », que
l'on peut supposer en la situation et que les signataires de cette lettre n'ont
pas dû considérer — on comprend pourquoi — comme étant bon à dire !

Il reste maintenant à se demander par quelles voies d'apparence


logique ce montage de bonnes raisons aboutit à la conclusion visée. Pour passer
des arguments :

« l'étude du latin et du grec est :

Al : importante culturellement

A2 : avantageuse scolairement »
à la conclusion :

C : « faites étudier une de ces langues à votre enfant »,


on est obligé d'introduire au moins les deux prémisses suivantes :

14
PI. « ce qui est important et avantageux pour tout le monde l'est
en particulier pour votre enfant ».

P2. « vous souhaitez que votre enfant soit cultivé et qu'il réussisse
à l'école ».

qui ne figurent pas explicitement dans la lettre. Le recours à ces deux


prémisses est indispensable pour la reconstitution du schéma déductif
(théorique) sous-jacent au raisonnement des signataires. A la lecture, ce
raisonnement ne paraît cependant en aucune manière boiteux ou incomplet car
l'esprit supplée sans difficultés à l'absence de PI et P2 qui énoncent des
vérités tellement évidentes qu'elles ne méritent même pas d'être rappelées.
Plus précisément, le texte ne mentionnant ni PI ni P2 fait comme si ces
espèces d'axiomes ne valaient pas la peine d'être explicités. Or il n'est pas du
tout innocent, comme on l'a déjà relevé, de faire accroire que PI va de soi.
P2 est une maxime pratique qui énonce qu'entre deux états de faits
possibles les sujets choisissent généralement celui qui va dans le sens de leurs
intérêts ou, pour être plus exact, celui qu'on leur désigne comme allant dans
le sens de leurs intérêts. Toute argumentation qui fait valoir les avantages
d'un comportement (d'achat, de vote...) et qui conclut (ouvertement ou non)
à la nécessité d'adopter ce comportement repose sur cette maxime. De même
qui use de l'argument « ça n'engage à rien » présume que ceux à qui il le
fait valoir vont normalement adopter la solution qu'on leur présente comme
étant préférable et considérer, de plus, que tout choix non définitif est
supérieur à un choix irrévocable. On remarquera à propos de ce dernier
argument que les auteurs ne l'avancent qu'à la fin de la lettre sur le mode du
« d'ailleurs on ne vous demande pas un engagement définitif » ; « d'ailleurs » (6)
implicite, assez proche du « en outre » de l'avant dernier paragraphe. Cette
allusion finale à une considération que l'on fait briller un peu en prime est
destinée à emporter l'adhésion. Après l'exposé très structuré des arguments,
cette espèce d'apothéose, soi-disant décisive, n'achève en vérité rien du tout :
elle prétend achever l'auditoire sur une note qui se veut décisive, elle joue à
cette prétention, mais là s'arrête le pouvoir du discours qui est assurément
immense et subtil.

L'argument « comme quoi ça aurait pu être pire » appartient


à la famille des arguments d'intérêt dont on vient de relever quel-
i ques cas de figure. Tout en prêchant en faveur d'une conclusion du
genre « ne vous plaignez pas », il tend à enfermer ceux qu'ils visent
dans une certaine estimation de la situation qui est présentée comme
dans un état tel qu'il devrait paraître déjà bien beau que l'on ait pu
sauver ce qui a été sauvé. Qui répond en usant de cet argument
valorise donc « ce qui a pu être fait » et sous-entend que ceux à
qui il s'adresse sont des ingrats ou des inconscients, voire des
individus malhonnêtes qui, connaissant bien les difficultés rencontrées,
en profitent pour demander l'impossible... avec naturellement
d'autres idées derrière la tête :

15
M. Beullac : nous aurions pu supprimer

trois mille cinq cents postes d'instituteurs.*.

l'Assemblée
la
questions
sujets
notamment
Vendredi
séance
nationale,
orales
abordés
suivants
consacrée
18 sans
avril,
: au
sontàaux
débat,
cours les
de

# POLITIQUE DE
L'EDUCATION.
Répondant à une question de
M. RALITE (P.C., Seine-Saint-
Denis) sur la fermeture de classes
et l'absence de créations de postes
d'instituteurs, M. BEULLAC,
ministre de l'éducation, déclare
notamment : « Ayez le courage
de reconnaître l'évidence : le
premier objectif de l'Etat ne peut
plus être d'accroître les moyens Extrait du compte rendu paru
et de multiplier les postes. La , , ,» , A M1, _,,_;i
chute de la démographie affecte dans le Monde du 20-21 avril
notre administration ; d'autres en 1980.
auraient profité pour réduire les
moyens en personnel : nous les
avons maintenus. » II ajoute :
« Pour la première fois cette
année, trois cent quatre-vingt-dix '
postes d'instituteurs — et non
pas des milliers comme vous le
prétendiez il y a quelques mois, —
soit à peine plus d'un millième
des postes du premier degré, sont
déplacés vers l'enseignement
secondaire. Mais, en deux rentrées
scolaires, celle de 1979 et celle de
2980, les effectifs d'élèves auront
vraisemblablement diminué de
plus de cent cinquante mille dans
l'enseignement élémentaire et
pré- élémentaire, ce qui aurait pu
nous permettre de supprimer trois
mille cinq cents postes, alors que
nous n'en avons transformé que
trois cent quatre-vingt-dix. »
M. Beullac affirme en
conclusion : « L'éternelle revendication
de postes supplémentaires n'est
qu'un alibi ! » '

4. Conditions de légitimité et conditions d'appropriation


A la suite des considérations évoquées à la fin de la seconde partie
et pour reprendre sur un plan un peu plus théorique diverses remarques
avancées au cours de l'analyse de l'exemple précédent, on reformulera l'idée
qu'argumenter c'est chercher à créer en autrui une sorte d'obligation à
penser quelque chose en disant que celui qui argumente (a) VEUT que l'argu-
mentataire visé (b) CROIE ce quelque chose que nous appellerons a. Ce qui
l'on écrira plus simplement comme suit :
[a ARGUMENTE b sur a = a VOULOIR (b CROIRE a en t1)]
(tl est ce moment postérieur au to de l'accomplissement de l'acte
d'argumentation).

16
Les conduites un peu particulières qui visent non pas à provoquer
l'adhésion d'un auditoire mais plus modestement à faire comprendre les
raisons qui justifient que certains adhèrent à un point de vue (cf avant I, 2)
ne contreviennent pas à cette définition. On a simplement dans ce cas [a =
ETRE JUSTIFIE (a (ou x) CROIRE p)].

L'action accomplie par l'argumentateur pour que l'auditoire CROIE a


s'inscrit nécessairement, ainsi que nous l'avons déjà dit, dans une situation
qu'elle transforme d'ailleurs profondément (en assignant des rôles
spécifiques aux participants, en promouvant un thème au rang d'objet...)- Or il
faut relever comme un fait de première importance que les sujets, dans
leur majorité, savent bien que l'on n'argumente pas n'importe qui,
n'importe quand et n'importe où ; donc qu'ils semblent à peu près tous disposer
d'une sorte de compétence (pratique) leur permettant de reconnaître, par
exemple, quelles conditions doivent être remplies pour qu'une conduite
d'argumentation soit appropriée à la situation. Ces conditions, dont on a toutes
raisons de penser qu'elles font partie du savoir implicite des sujets agents
potentiels de conduites argumentatives portent restriction sur l'état dans
lequel doit nécessairement se trouver la situation pour que la production
d'un acte direct (cf. ci-après) d'argumentation soit acceptable. Elles ont
un caractère de nécessité car, comme nous le verrons, il suffit que l'une
d'elle ne soit pas remplie pour que la conduite soit gravement disqualifiée.
On doit souligner cependant que tout acte d'argumentation dès lors qu'il
est accompli tend (du fait même de son accomplissement) à mettre (ou
plutôt à présenter, à faire que l'autre se représente que) la situation en l'état
qu'il convient pour qu'il paraisse approprié (de la même façon un peu que
l'on ne sait parier que sur ce qui est pariable mais aussi que pariant sur
quelque chose on le transforme ipso facto en état de chose pariable).

Les conditions d'appropriation que l'on propose maintenant ne


prétendent pas, pour leur part, à l'exhaustivité. Sans doute pourrait-on aussi
discuter de leur formulation. Néanmoins, telles qu'elles sont, elles nous semblent
de nature à éclairer la suite de la réflexion :

1. Si on argumente b sur a alors [a CROIRE (b NON CROIRE a en tx


< tO)J
Cette condition pose simplement que l'on n'argumente pas autrui si
l'on croit qu'il partage exactement les mêmes convictions que soi.
1. peut être compris aussi comme signifiant qu'en argumentant
quelqu'un on le met en état de (jouer à) faire comme s'il ne croyait
pas vraiment en a (à supposer naturellement qu'il soit déjà
convaincu de a).

2. Si a argumente b sur a alors [a CROIRE (POSSIBLE (b CROIRE a en


tl > tO))]

2. ajoute à la condition précédente que l'on n'argumente pas un


individu que l'on se représente comme borné ou conditionné au point
qu'il serait absolument impossible de modifier ses convicitions sur a.

17
2. peut être également lue comme signifiant qu'argumenter quelqu'un
c'est le mettre en posture de se voir comme capable de croire autre
chose que ce qu'il croit ou pour le moins comme capable de
concevoir que l'on puisse croire autre chose que ce qu'il croit.

3. Si a argumente b sur a alors [a CROIRE (POSSIBLE (b CROIRE a en tl)


avec raison)].

3. va encore plus loin que 2. et précise que l'on ne discute pas avec
quelqu'un que l'on estime incapable de se déterminer par un exercice
quelconque de sa pensée. Cette condition reprend l'idée que toute
argumentation (même usant d'arguments dits « bas ») suppose une
volonté de convaincre ou de persuader, donc attend de l'autre qu'il
adhère à certaines raisons. Vu du côté de Pargumentataire, 3.
exprime aussi que celui qui est argumenté se voit sollicité en tant que
sujet raisonnable (entendu encore une fois au sens le plus large).

A ces trois conditions essentielles qui sont formulées à partir de « a »,


on pourrait ajouter divers corrollaires énonçant par exemple les effets
probables qu'une conduite d'argumentation produit sur ceux à qui elle s'adresse.
Ainsi de 4 :

4. Si a argumente b sur a alors [il est PROBABLE que (b CROIRE (a


CROIRE <?))]

où l'on voit que lorsque l'on argumente autrui sur un sujet,


celui-ci a plutôt tendance à en déduire que l'on adhère soi-même
à a. Cette formule (que l'on pourrait dire de sincérité) a un
caractère conditionnel dans la mesure o ù elle peut être entendue dans le sens
« a ne peut argumenter b sur a de façon appropriée s'il ne croit
pas en a ». On use d'ailleurs souvent de cette condition pour
disqualifier une conduite d'argumentation. On se souvient, par exemple,
que J. Chirac argumentant à tous vents sur « cessez de fumer » a
été gravement compromis dans ce rôle par une rumeur affirmant qu'il
fumait énormément.

Les conditions que nous baptiserons de légitimité sont assez proches


des conditions d'appropriation (on peut en particulier discuter pour savoir
si 4. n'est pas plutôt une condition de légitimité). Les conditions de
légitimité se distinguent de celles que l'on a vues jusqu'à maintenant en ceci
qu'elles ne prennent pas en compte les convictions des participants à
l'égard de la thèse défendue mais leur représentation de la situation en
tant que celle-ci autorise ou non une démarche d'argumentation. Les
conditions que l'on retiendra sont les suivantes :

si a argumente b sur a alors :

5. [a CROIRE (PERMIS (a ARGUMENTER b sur a)]

6. [b CROIRE (PERMIS (b ETRE ARGUMENTE sur a par a)]

18
qui comprennent comme on le voit le « primitif » ARGUMENTER/ ETRE
ARGUMENTE absent de 1. 2. 3. et 4. De ce fait, il paraît que les
conditions de légitimité manifestent des contraintes s'exerçant antérieurement à
celles d'appropriation (une argumentation ne peut être appropriée si elle
n'est d'abord reconnue légitime).

A partir de 5. et 6. on peut définir :

— l'argumentateur légitime ou autorisé comme celui pour lequel 5.


et 6. sont satisfaites.

— l'argumentateur non légitimé ou non autorisé comme celui qui


croit qu'il lui est permis d'argumenter un auditoire sur un sujet mais qui se voit
refuser cette prérogative par l'auditoire (cas où 5. est vérifié mais pas 6.).

Les conditions de légitimité et d'appropriation peuvent peser sur le


développement d'une conduite argumentative d'au moins deux façons. Elles
peuvent intervenir d'abord au plan de la conception d'une démarche
d'argumentation, singulièrement elles peuvent bloquer un projet de conduite
argumentative :

— on se dira par exemple que l'on n'est pas un argumenta-


teur légitime parce que insuffisamment compétent pour l'auditoire,
trop inférieur à son interlocuteur...

— on se dira par exemple qu'argumenter ne servirait à rien,


ne serait pas approprié vu que jamais l'auditoire ne changera d'avis.

Ces conditions jouent aussi fréquemment dans le cours même d'une


conduite d'argumentation, l'auditoire visé intervenant pour faire valoir à
l'agent qu'il lui dénie le droit de l'entreprendre sur ce sujet (« mais enfin
qu'est-ce qui vous permet de... ») ou plus positivement pour proclamer son
accord (« inutile de vous fatiguer... »).

Qui argumente s'arroge toujours peu ou prou le droit de


peser sur les convictions (et conséquemment sur les décisions) d'autrui.
En certaines circonstances et sur certains sujets, s'accorder ce
privilège peut paraître scandaleux aux yeux de celui qui se voit ainsi
pris à parti, catéchisé, sermoné... Dans la « lettre » reproduite ci-
dessous (Humanité Dimanche » 11-14 mai 1977), l'argumentateur,
sentant bien qu'il va mettre son nez là où il se pourrait bien qu'on
ne lui accorde pas le droit de le mettre (et ne voulant surtout pas avoir
l'air de le faire), déjoue par avance la contestation d'illigimité qu'il
prévoit en affirmant qu'il ne veut pas se mêler de ce qui ne le
regarde pas », « qu'il dit simplement » ce qu'il dit, que l'autre
devrait y « réfléchir » (et non souscrire). Bref, que l'autre est bien
libre mais que, quand même, lui, à sa place...

19
L'autre soir, Jean, on s'est croisé rue des Petits-Carreaux. Il
était 8 heures. On n'a même pas eu le temps d'aller boire un café
pour parler de « La Question ». Tu m'as dit : « Après le lycée, il y
a eu une petite fumette. Je me suis tapé deux ou trois joints. Tu as
vu, demain il y a un concert Bob Marley. » Et tu as filé, je n'ai
pas osé te rattraper.

D'accord, Jean, c'est terrible à 18 ans de vivre dans ce cloaque,


dans cette jungle avec son fric et ses flics, dans cette ville si dure...
Je comprends ce que tu sens, d'être écrasé, étouffé, liquidé avant
que tout commence. Moi aussi, quelquefois, j'ai des moments difficiles,
je flippe comme tu dis.

Mais méfie-toi. Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me


regarde pas et ta vie privée ne concerne pas mon combat de communiste.
Je veux simplement te dire que l'herbe n'a rien à voir avec la révolution,
ni le reste, « l'acide » ou la seringue. Je veux simplement te faire
réfléchir à cette phrase d'Ollivenstein : « Si j'étais la bourgeoisie au
pouvoir, je légaliserais bougrement le haschisch. » Moi, si j'étais la
bourgeoisie, je laisserais courir en prenant des mines inquiètes :
pendant que les jeunes « prennent leur pied » dans les vapeurs, ils me
foutent la paix. Je trouve, Jean, que c'est une bonne arme, pour ceux
qui tiennent les rênes et rêvent que rien ne bouge, de vous endormir,
de vous enfermer dans des chambres enfumées, de vous neutraliser,
de vous couper des autres, de vous ficher, en passant...

Voilà, Jean, on en reparlera. Mais quand même, méfie-toi et


réfléchis. Il me semble que quelque chose de nouveau va bientôt
lever.
Claude CABANES

Lorsque l'on entreprend d'argumenter un auditoire, le danger qui


menace c'est assurément de se tromper de cible (cf. Perelman déjà cité). On
peut se tromper de cible soit parce que ceux dont on veut gagner l'adhésion
sont déjà convaincus (cf. conditions L), soit parce qu'ils ne peuvent l'être
(cf. conditions 2. et 3.), soit encore parce qu'ils ne se sentent pas concernés.
L'auditoire que vous entendez influencer peut ne pas se sentir concerné
s'il ne partage pas les prémisses d'où vous partez pour l'amener (« par
déduction ») à la thèse que vous souhaitez lui voir adopter. D'où l'effort
de cadrage que l'on observe parfois en préalable à toute production
d'arguments. La lettre ci-dessous (comme on s'en rend compte, la lettre est un
genre que cultivent beaucoup les argumentateurs — sans doute à cause du
caractère intime de la délibération qu'ils entendent provoquer en l'autre,
sans doute aussi pour atténuer leur scandaleuse immixtion dans ses affaires),
donc, cette lettre, intitulée « Le courrier de Brigitte conseillère à la Redoute »,
a été diffusée (ainsi que chacun a pu éventuellement en faire les frais !) aux
correspondants de la Redoute en accompagnement d'un petit catalogue de
« bonnes affaires ».

20
le courrier de brigitte conseillère à la redoute

Chère Amie,
Vous savez comme moi que faire les courses n'est pas toujours
"une partie de plaisir". La foule dans les magasins le samedi après-midi,
les achats précipités parce qu'il est temps de rentrer, les paquets
encombrants à transporter. . .

Alors, pourquoi n'essayeriez-vous pas les courses à La Redoute?


Vous les faites chez vous, tranquillement» tout en profitant au maximum des
enfants, du jardin, du solei I. Avouez que c'est plus agréable que de faire
|

36 magasins !

Tenez, prenez l'exemple de ce petit catalogue : une sélection


d'articles qui vous permettra d'apprécier les nombreux avantages des courses
à La Redoute. Vous y avez repéré un petit chemisier (celui de la couverture),
une chemise de nuit (p. 9). Mais vous hésitez sur le coloris ? Demandez à
votre mari ce qu'il en pense. C'est facile, puisque lui aussi peut voir le
petit catalogue. Et di tes-vous bien qu'avec la Redoute, vous avez tout votre
temps pour réfléchir, comparer, choisir chez vous, avant d'acheter.

Imaginez-vous, quelques jours plus tard, recevant votre colis.


D'abord c'est toujours agréable de recevoir un paquet à domicile. (Et pour les
articles encombrants c'est tellement pratique). Mais surtout,, vous avez tout
loisir d'essayer tranquillement, sens vous sentir bousculée.
Et si finalement vous préférez le chemisier en rosé indien plutôt qu'en
marine, ce n'est pas grave. Renvoyez-le à La Redoute dans les 15 jours suivant
sa réception. Il vous sera échangé ou remboursé, comme vous le désirez.

Et la qualité des articles, pensez-vous ? Soyez tranquille...


A La Redoute, tous les articles textiles sont soumis à l'approbation de nos
laboratoires avant de vous être proposés. Même le ménager, les appareils
électriques, mécaniques,, les meubles, subissent aussi des tests spécifiques
de sécurité, maniabilité, solidité, clarté des notices tout ceci pour vous
garantir la qualité que vous exigez.

Voyez-vous, Chère Amie, La Redoute pense â tout pour que vous


soyïez 100 % satisfaite. Alors n'hésitez pas dIus longtemps. Faites-lui confiance.
Et n'oubli ez pas que pour une simple commande passée aujourd'hui. La Redoute
vous réserve un exemplaire gratuit de son prochain gros catalogue Automne-
Hiver 77/78.

Bonnes courses.

Votre Amie,

P. S. Surtout, participez à notre grand tirage au sort "Maison à gagner".


Vous serez peut-être l'heureuse gagnante de la ravissante maison du pêcheur.

Dans ce document, on remarquera surtout comment l'amie Brigitte


monte une image de sa lectrice qui sait comme elle :
— que faire les courses dans les magasins n'est pas une partie de
plaisir,
— qu'au milieu de la foule des magasins, le samedi après-midi, on
fait des achats sans réfléchir, sans comparer, sans choisir, sans
essayer,
— qui préfère « ses enfants, le jardin, le soleil » à la cohue des
petites boutiques ou des grandes surfaces.
Brigitte pose que sa lectrice partage avec elle une certain système
d'estimation (des états de faits possibles) et non pas forcément un mode
réel d'existence : après tout on peut très bien vivre à la campagne, ne pas
avoir d'enfants... et estimer néanmoins que la cohue n'est pas propice aux
achats (raisonnables). Le cadrage intervient donc essentiellement au plan
des représentations : Brigitte fait en sorte que sa lectrice soit bien obligée
de reconnaître qu'elle souscrit au principe (plus qu'à la lettre) de ces
appréciations, pour ensuite en tirer toutes les conclusions. Car si vous admettez
que :
— vous n'aimez pas (ou n'aimeriez pas) faire vos courses dans des
circonstances défavorables,
— que la Redoute vous propose des possibilités d'achat
supérieures (cela Brigitte va devoir l'établir aussi),
alors la conclusion : « Faites vos courses à la Redoute », coule de source.
L'opération qui consiste à vérifier que l'auditoire souscrit, ou à faire en sorte qu'il
souscrive à certaines prémisses permet, comme on s'en rend compte, non
seulement de s'assurer de l'appropriation de la conduite argumentative mais encore
de poser la majeure du syllogisme qui amènera à la conclusion.

SITUATIONS SCOLAIRES D'ARGUMENTATION

En classe de français nombre d'exercices, d'un usage très répandu,


relève du genre argumentatif tel que nous l'avons envisagé jusqu'à
maintenant. La dissertation bien sûr qui est sans doute le plus bel exemple de
pratique argumentative que l'école ait instituée et codifiée. Cette épreuve
(qu'affectionnent également les philosophes) n'est enseignée que dans le
second cycle où le genre argumentatif paraît l'emporter sur les exercices de
narration, d'écriture poétique... d'une pratique courante dans le premier
cycle et à l'école élémentaire. Les sujets de contraction de texte et de
commentaire composé que l'on a introduit il n'y a pas si longtemps au
baccalauréat s'apparentent encore (au moins sous certains de leurs aspects) à la
dissertation : ainsi de la fameuse question qui suit la contraction ou
l'analyse de texte et qui exige du candidat qu'il dégage un point du texte fourni
(donc qu'il extraie et construise un objet problématique à partir du donné
textuel de départ) et qu'il propose une argumentation défendant une thèse
rattachée à ce point. De même, pour le commentaire composé, mais d'une
façon sans doute plus subtile, l'effort de composition que l'on demande aux
candidats amène bien souvent au montage d'une sorte de dispute qui prend
à parti le texte pour déboucher sur une conclusion énonçant une vue de
synthèse ou une idée forte présentées comme résultant nécessairement de
l'exégèse. Certains sujets proposés au B.E.P.C. sont assez proches de la

22
question prévue au baccalauréat après la contraction ou l'analyse. La seule
différence réside dans le fait que le problème à discuter est fourni cette
fois-ci explicitement aux candidats. Il faut cependant remarquer (et cette
remarque vaut pour les exercices mentionnés ci-dessus) que les sujets
proposés à la réflexion des élèves n'invitent pas forcément à la disputation.
Voici par exemple deux sujets qu'une collègue a soumis à ses élèves de 3e
(le second est tiré d'annales).

1) « Que pensez-vous des procédures d'orientation qui sont


proposées en classe de troisième à des élèves d'une quinzaine d'années » ?

2) « Donnez votre définition du bonheur ».

Dans un cas comme dans l'autre, il est demandé aux élèves d'affirmer
quelque chose : un jugement dans le premier sujet, une définition dans le
second. Toutefois il est bien évident que le correcteur attend des élèves
qu'ils ne se contentent pas d'énoncer comment ils apprécient les procédures
d'orientation en 3e, ou comment ils définissent le bonheur. Il va de soi que
de tels sujets sous-entendent que l'élève doit justifier son point de vue et
donc voir son opinion (celle qu'on lui demande d'avoir) comme étant de
nature discutable. Certains élèves peuvent ne pas comprendre que l'on
attend cela d'eux (ils se contentent de répéter un avis protestent les collègues)
et éprouver des difficultés à concevoir comment ce qu'ils pensent prête à
controverse (ils n'arrivent pas à imaginer comment ils pourraient défendre
ce qui leur semble jusqu'à un certain point aller de soi).

Parmi tous les problèmes que l'on c inflige » aux élèves (voir à titre
indicatif ceux que l'on trouve à la fin des textes dans les manuels de lecture
expliquée), il semble que l'on puisse distinguer ceux qui fournissent une
thèse et demandent à l'élève de l'argumenter à l'aide de preuves f«
Montrez que dans ce texte, le héros est comme ceci ou comme cela ») de ceux qui
exigent de l'élève qu'il découvre, expose et bien sûr justifie une affirmation
(* Que peut-on dire de... •», « comment pourrait-on qualifier *...). Cependant
ce qui frappe le plus à l'examen de ces questions (qui sous une forme ou
sous une autre émaillent le quotidien des élèves) c'est que jamais il n'est fait
mention de l'auditoire qui doit être visé... d'où les difficultés que l'on
imagine aisément chez ceux qui se voient sommés de convaincre un fantôme.
Bien entendu le professeur, juge et cible, est appelé à incarner cet absent, mais
imparfaitement , dans la mesure où il est bien convenu que son rôle se limite
à représenter une sorte d'auditoire universel et diffus (de la science, du
savoir, ou des fractions de celui-ci...) devant quoi l'élève est sans cesse
contraint de disputer. Sans doute ces choses-là ne sont-elles jamais dites
ouvertement et l'on peut se demander comment il se fait que les élèves
comprennent dans l'ensemble si vite et si bien que le maître qui pose les
questions en classe n'est pas à prendre pour celui qu'ils doivent personnellement
convaincre ou persuader.

D'ailleurs l'enseignant arrive toujours avec un rôle préparé :


l'élève sait fort bien, dans ce genre d'épreuve, que le maître détient la bonne
conclusion (parfois il la fournit en demandant seulement les preuves) et
que de plus il dispose des vrais arguments (même s'ils ne sont pas les siens).
Il paraît donc, au bout du compte, que ces exercices mettent en jeu une

23
situation d'argumentation très particulière puisque l'on ne peut pas dire
qu'ils ont véritablement pour but de modifier ou d'accroître les convictions
d'un auditoire (fantomatique !) à une thèse. Ils ne répondent pas en
apparence à la définition de l'argumentation que nous avons proposée et
pourraient être dits inappropriés car ils ne satisfont pas à la condition 1... En
vérité ces exercices, comme leur nom l'indique, tiennent fondamentalement
du jeu. Jeu extrêmement subtil où chacun simule un rôle : l'élève qui doit
donner un point de vue (il est bien forcé de prétendre pour le moins y
croire) et trouver des raisons le justifiant; le maître qui jugera ses raisons
convenables ou non en tant que représentant de la science jouant à l'ignorant
et à reproduire l'histoire de son triomphe. Jeu pour la forme aussi qui
relève de Pépidictique, de l'éloquence gratuite, et qui garde quelque chose
de ces spectacles fort prisés dans l'Antiquité au cours desquels « un
orateur solitaire qui, souvent, n'apparaissait même pas devant le public, mais se
contentait de faire circuler sa composition écrite, présentait un discours
auquel personne ne s'opposait, sur des matières qui ne semblaient pas douteuses
et dont on ne voyait aucune conséquence pratique... » et après lesquels les
auditeurs « n'avaient qu'à applaudir et qu'à s'en aller » (Perelman, p. 63,
1958).

D'une façon très différente, le maître qui entreprend d'apprendre aux


élèves une chose inconnue d'eux ne prêche pas un auditoire indéterminé, s'il
démontre c'est pour un public qui est là, en face de lui, et dont il peut
mesurer le degré de conviction. L'auditoire ainsi sollicité n'a pas,
non plus, la plupart du temps, à simuler qu'il ne sait pas ce
qu'on veut lui enseigner. La définition de l'argumentation que nous
avons proposée semble donc cette fois s'appliquer assez bien aux conduites
didactiques qui, de plus, satisfont parfaitement aux conditions d'appropriation
et bien sûr, de légitimité introduites plus haut. Si l'on y regarde de près, il
paraît pourtant que très souvent le maître se contente lui aussi d'argumenter
un fantôme vu qu'il ne prend pas un compte exact des représentations
préalables de ceux à qui il s'adresse. Sans doute lorsqu'il explique à des
élèves de telle classe, comment s'accordent les participes passés... comment
nagent les poissons, comment se reproduisent les végétaux... il a bien une
idée de ce qu'ils peuvent et doivent comprendre. Toutefois, comme le
soulignent volontiers nos collègues physiciens, naturalistes ou biologistes, les
méthodes utilisées gardent souvent un caractère « dogmatique, linéaire, et
reposent sur des conceptions positivistes » (Giordan, (7) 1978, p. 67) de la science,
et des élèves parce que, entre autres, on se figure souvent que l'« ignorance
initiale » est une pure absence de savoir ou reproduit les erreurs que la science
a justement surmontées. D'où alors chez nos collègues scientifiques une volonté
de prendre en compte les « représentations spontanées des élèves » (sur le
mouvement des pendules, la nature de la chaleur, de la lumière...) pour saisir
où ils en sont (quels « obstacles » font qu'ils s'arrêtent à telle ou telle
représentation) et pour leur permettre de se poser des problèmes (donc
d'élaborer eux-mêmes cet objet de préoccupation et d'argumentation que
généralement le maître parachute). Dans ce type de démarche la discussion tient
une grande place : sollicités, les élèves exposent leur point de vue, le
comparent à celui de leurs camarades, à celui du maître, imaginent des
manipulations expérimentales pour l'étayer ; bref s'opposent, raisonnent,
argumentent en face et avec un enseignant qui ne joue plus seulement à tout savoir.
Bien sûr, on n'observe pas sa langue comme on observe un poisson, une

24
roche ou un phénomène physique. La langue est d'abord un usage, une
pratique mais, s'il est une chose que la grammaire générative nous a bien apprise,
c'est que les sujets disposent d'un sentiment linguistique au nom de quoi
ils peuvent juger par exemple de la grammaticalité syntaxique d'une phrase,
de la sémancité d'un énoncé ou de l'appropriation d'un acte de langage.
Pourquoi alors ne pas en profiter au niveau de l'enseignement grammatical
(on pourrait citer aussi V enseignement littéraire, car comme le montre bien
le dernier numéro de Pratiques, les élèves ont aussi des idées sur le métier
d'écrivain, l'acte d'écrire...), pourquoi ne pas adopter un type de démarche
didactique qui prendrait mieux en charge les prémisses de cet auditoire du
maître qu'est la classe ? Nul doute que si l'on faisait cela, on susciterait en
classe de véritables discussions et non pas, encore une fois, ces sortes de
spectacles que l'on montre parfois à grands renforts d'esquives pour « faire
passer » une notion (voir l'analyse que fait Régine Legrand d'une leçon de
grammaire et que l'on publiera dans le numéro 30).

Les pédagogies du projet ou du contrat récemment


défendues dans Pratiques (8) s'apparentent aux thèses que prônent tous
ceux (Ecole Freinet, GFEN...) qui pensent que l'école doit être un lieu
d'apprentissage de l'autonomie (dans la gestion du temps, des activités...) et
également un endroit où l'on réfléchit sur les pratiques (institutionnelles, de
groupe...) résultant de la mise en place d'un tel système. Ce qui a pu
fonctionner pendant plusieurs années au collège des Gorguettes à Cassis (9),
fournit une belle illustration de cette volonté. On relèvera en particulier qu'un
parlement (lieu par excellence de V argumentation) avait été institué dans cet
établissement et que c'était en cet endroit qu'une bonne part des décisions
engageant la vie de l'école étaient prises. L'idée même de créer une telle
institution (qu'on l'appelle « parlement » ou autrement, qu'elle fonctionne
au sein de la classe ou à l'échelle de l'établissement importent peu ici) est
parfaitement significative d'un double désir que l'on rencontre au fondement
de nombreuses initiatives pédagogiques :

— désir d'abord d'interroger les élèves sur des sujets les


concernant effectivement et immédiatement ; autrement dit, désir de créer
des situations d'argumentation authentiques (plus authentiques que
ces discussions sur la drogue, la violence, le sport... (10) qui sont, de
l'avis de tous si décevantes ; plus authentiques aussi que ces
dissertations en tous genres dont le caractère théorétique et épidictique
favorise ceux qui le sont déjà).

— désir ensuite de mettre en place un système


d'organisation de la parole et des interactions à partir duquel on puisse
valablement réguler, observer, analyser ce qui se passe entre les sujets
et les groupes pour ensuite faire mieux dans le sens du respect des
autres et des décisions (sur cette dimension psycho-sociologique voir
ici même l'article de F. Vanoye qui attire l'attention sur le
nécessaire formation des maîtres qu'exige la maîtrise d'un tel mode de
fonctionnement).

25
II. — L'ARGUMENTATION INDIRECTE

On a déjà noté, à propos de la lettre sur l'enseignement du latin et du


grec, le caractère un peu solennel que les signataires conféraient à leur
démarche. Ce tour officiel et sérieux n'est pas très éloigné des manières que
l'on rencontrerait au tribunal, au parlement et dans tous les lieux que \t
société a prévu et disposé pour l'argumentation. Dans ces lieux reconnue
l'orateur s'en prend ouvertement à un auditoire plus ou moins étendu que
son statut lui donne le droit et le devoir d'argumenter la raison d'être de
son discours est précisément d'influer sur une opinion qui le reconnaît (d'où
la majesté) en tant qu'argumentateur autorisé et qui attend de lui qu'il
défende des opinions, des valeurs, des intérêts...

UN PEU DE TENUE ! Le billet ci-contre donne une


idée du protocole entretenu dans
certaines assemblées et du rôle
7questions
Assemblés
décembre,
orales. nationale,
séance devendredi qu'on peut lui faire jouer pour
disqualifier un intervenant... et
M. Chevènement, député de
Belfort, membre du secrétariat éviter de lui répondre. (Ce petit
national du parti socialiste : encadré qui mériterait
i Nous ne pouvons pas accepter assurément de larges commentaires est
que, progressivement, notre paya à rapprocher par son caractère
soit livré à des escadrons <Je
la mort comme ceux qui insidieux de celui que nous
sévissent en Argentine ou au Brésil. » étudions en détail plus loin).
M. Bonnet, ministre de
l'intérieur : «Je ne mettrai pas mes (Extrait du journal Le Monde,
mains dans mes poches pour 9-10-XII-1979).
vous répondre, comme vous
l'avez fait vous-même. »
Il serait toutefois extrêmement
M. Emmanuelli, député
socialiste des Landes : « Oh I réducteur de n'envisager
M. Bonnet!» l'argumentation que sous cette forme
M. Chevènement : «la cérémonieuse et notoire. Sans
télévision n'est pas là pour le aller jusqu'à dire que tout
prouver, mais ce que vous dites discours argumente toujours
ne correspond pas à fa réalité. »
M. Bonnet : « Vous aviez quelqu'un (ne serait-ce que pour
votre main gaucho dans votre prouver le mérite à la parole
poche, alors que vous parliez» qu'il suppose) il est bien clair
de faits graves.» qu'il n'y a pas qu'au parlement,
M. Chevènement : • Quelle qu'au tribunal ou qu'au bac que
argumentation désolante 1 »
M. Emmanuelli : « Vous allez l'on argumente et, surtout, que
bientôt' nous faire coudre les Ton n'argumente pas seulement
poches ! • en prévenant l'autre de
(Echange de propos emprunté l'intention qu'on a de gagner son
au Compte rendu analytique adhésion, de l'influencer dans
officiel des travaux de
l'Assemblée, deuxième séance du ses jugements ou de l'amener
vendredi 7 décembre 1979, cent à adopter un point de vue.
troisième séance de la première Cette forme d'argumentation
session ordinaire de 1979-1980.) qui ne s'avoue pas et que
nous appellerons indirecte,
est naturellement plus difficile à repérer que celle dans laquelle un individu
(ou un groupe) manifeste explicitement sa volonté d'intervenir sur les
représentations d'autrui (pourquoi choisir, pour qui voter...) et expose franche-

26
ment où il veut en venir (achetez x, votez y, faites vos courses à la Redoute...).
Elle pose aussi à l'analyse des problèmes relativement délicats comme nous
allons le voir à propos de l'exemple suivant tiré de Paris Match.

1. La chronique de P. Bouvard

Cette rubrique de la semaine


samedi de P. Bouvard ne défend au
premier abord aucune thèse bien
Quand elle est arrivée chez évidente. L'objet sur lequel
Maxim's Je ne l'ai pas reconnue.
J'avais gardé de Delphine porte le billet n'a pas non plus un
Seyrig le souvenir d'une grande caractère immédiatement
blonde à la crinière platinée, problématique : on ne voit pas d'emblée
assez sophistiquée. Aujourd'hui, quels choix il pourrait engager,
coiffée à la diable et tirée à quelles prises de position il
deux épingles seulement elle a pourrait engendrer. L'auteur rapporte
plutôt l'air de sortir d'un atelier une anecdote dont le seul intérêt
d'emboutissage que de l'Actor's paraît résider dans son caractère
Sutdio. Avouerais-je qu'elle m'a extraordinaire (tout le monde n'a
fait un peu peur ? Et pas
seulement parce que je la quand même pas l'occasion de
soupçonne de transporter dans son rencontrer D. Seyrig chez Ma-
réticule quelques-uns de ces xim's le samedi soir !).
instruments tranchants avec
lesquels les dames du M.l.f. nous Ce fait qui mérite donc d'être
imposeront un jour la seule rapporté aux lecteurs de Paris
véritable égalité sexuelle : celle de Match (puisqu'il a bien mérité
l'anatimie. Ce qui me glace chez une petite note dans le «
Delphine Seyrig ce sont ses journal de bord » de P. Bouvard
yeux froids de batracien, ses qui n'est pourtant pas le premier
lèvres qui ne s'entrouvent jamais
qu'à regret et qui semblent venu) tient de la chronique
ignorer la passion, son menton que mondaine en ce qu'elle se nourrit des
la rétention d'expression affine « m'as-tu vu » qu'il faut d'abord
d'année en année et qui faire voir. D'où l'importance de
deviendra peut-être un jour aussi la description qui apporte en
pointu que celui d'une sorcière. quelques traits (coiffure, tenue
vestimentaire...), ainsi qu'à la
télévision, une impression dominante (« elle a plutôt l'air de... ») destinée à
relever la constatation que D. Seyrig n'est plus ce qu'elle était. Non pas
que la maladie ou l'âge, comme d'autres célébrités l'ait changée : si « d'année
en année le menton de l'actrice s'affine » ainsi que nous le dit P. Bouverd,
ce n'est pas sous l'effet de vieillissement, mais bien plutôt de la volonté
qu'elle manifeste maintenant de ne plus vouloir être cette « grande blonde
sophistiquée » que tout le monde connaissait. Cette constatation, l'auteur
la formule à travers son vécu intime (« avouerai- je... », « ce qui me glace... »,
mais les modalités servant à introduire les faits marquent des attitudes
affectives qui n'ont aucune retombée sur la vérité des observations rapportées
(c'est ainsi, que cela fasse plaisir ou non, il faut bien dire que D. Seyrig
a « des yeux froids de batracien, des lèvres qui ne s'entrouvent jamais qu'à
regret et qui semblent ignorer la passion... »). Sans doute l'auteur reconnaît-
il, à certains moments, qu'il n'est pas certain de ce qu'il avance (« je la
soupçonne de... », « deviendra peut-être... ») mais, concédant ces excès (d'extra-

27
poiation), il garantit du même coup l'authenticité du reste (cf. dans ce numéro
l'étude de J.-C. Chevalier, Cl. Garcia et A. Leclaire sur la concession). On
voit alors comment les valeurs au travers desquelles P. Bouvard juge la
nouvelle image de D. Deyrig, tendent à s'effacer en tant que marques subjectives
et, donc, à se soustraire à la discussion (on ne discute pas de ce qui est !).
La portée des réserves que concède P. Bouvard doit être aussi mesurée avec
attention : en particulier si l'auteur accepte, en quelque sorte, de reconnaître
qu'il exagère sans doute un peu (dans le style F. Chalais) lorsqu'il se plaît
à imaginer que D. Seyrig pourrait bien « transporter dans son réticule... »
il n'en profite pas moins pour apporter alors, et en incidente, une information
fondamentale pour la compréhension de son propos : à savoir que D. Seyrig
est une de ces « dames du mlf ». Cette information n'est pas donnée
directement : pour le lecteur qui l'ignorerait, elle s'impose toutefois, car si P.
Bouvard parle des « dames du mlf » à propos de D. Seyrig ce ne peut être
(vu le caractère forcément cohérent de son texte) (11) que parce que le cas
s'applique à son sujet. Partant, ce petit billet qui n'a l'air de rien, prend un
relief tout différent. Bien sûr, l'auteur ne dit pas que D. Seyrig est une
militante de fraîche date du mlf, qu'elle a changé depuis son adhésion au
mouvement féministe et que c'est cette adhésion qui est la cause de sa néfaste
évolution. Cela, qui manifesterait un désir explicite de vouloir mettre en
garde les lectrices et les lecteurs de Paris Match contre le dessèchement qui
entraîne chez toute femme une quelconque activité militante, P. Bouvard
se garde bien de le dire. L'argumentation n'en demeure pas moins. Sa
reconnaissance suppose un raisonnement portant sur renonciation (s'il dit cela
c'est pour, parce que...) mais ce raisonnement qui amène à la conclusion
visée est en un sens obligé. Il repose comme précédemment sur l'idée que le
texte est cohérent et que, son auteur étant conséquent, s'il évoque
(indirectement comme on l'a vu) l'appartenance de D. Seyrig au mlf dans le même
temps qu'il nous parle de son changement d'apparence, cela ne peut être
qu'à bon escient. Donc parce que les deux faits ont un rapport qui ne
peut être que de cause à effet.
Cette argumentation indirecte reposant sur l'exemple requiert
aussi, de la part de celui à qui elle s'adresse, qu'il
généralise à d'autres cas que celui présenté : d'où la nécessité de souligner en
quoi l'affaire D. Seyrig est finalement représentative. Le caractère singulier
du personnage choisi comme exemple empêche que son cas soit banalisé
(toutes les femmes ne sont pas D. Seyrig !) mais cette singularité associée
à l'excès (dont on a relevé les figures) amène par dégénérescence à une
généralisation du genre : « si chez une femme aussi femme que D. Seyrig,
cela a produit cet effet alors qu'est-ce que cela doit être (sera) chez les
autres ! ». Bien entendu, cette argumentation indirecte n'est pas exemplaire
en elle-même, elle ne prend valeur d'exemple que si l'on suppose un lecteur
non prévenu des dangers du féminisme et du militantisme. Autrement, si l'on
imagine un auditoire déjà convaincu (comme c'est probablement le cas pour
les lecteurs de Paris Match), elle aura plutôt valeur d'illustration et pourra
contribuer au renforcement de ses préventions.
On voit sans difficultés les avantages que peut procurer une forme
indirecte d'argumentation. D'abord elle garantit une sorte de couverture
à son auteur (P. Bouvard pourra toujours prétendre qu'il a seulement voulu
dire qu'il avait constaté que D. Seyrig avait changé en mal et que cela
l'avait navré). Ensuite, tout en jouant à laisser au destinataire le bon soin

28
de penser ce qu'il veut, un discours de ce type induit certaines
conclusions dont on peut supposer, après coup, qu'elles sont sa seule raison
d'être et, donc, que l'intention véritable qui a motivé leur auteur était bel et
bien de gagner un auditoire à certaines thèses. Ce type de discours exige
de la part de l'émetteur qu'il monte son information de façon à orienter
insidieusement le récepteur vers un point de vue, donc qu'il confère à son
propos un caractère tendancieux propre à déclencher l'effet conclusif
recherché tout en préservant son immunité. Pour garantir à celui qui l'émet,
une possibilité de repli, le discours tendancieux doit comporter une
information primaire derrière laquelle se retirer en cas de besoin. Qu'est-ce qui
distingue dans ce genre de discours l'information primaire sans portée argu-
mentative apparente de l'information seconde qui, elle, vise à l'édification
du destinataire ? Autrement dit, qu'est-ce qui sépare le contenu
prétendument innocent d'une information de son contenu dérivé par quoi elle
intervient, en fait, sur les convictions du récepteur ?
Voici un nouvel exemple qui devrait nous permettre d'aborder ce point
un peu négligé dans le développement qui précède.

2 Information primaire/information seconde

EN ROBE...
Les directeurs des U.E.R. de
l'université de Paris - Sorbonne (Paris-IV)
viennent de recevoir de leur
président, M. Raymond Polin, la
circulaire suivante :
« L'idée de faire soutenir les
thèses d'Etat devant un jury en robe de
professeur, semble avoir reçu votre
assentiment général.
» Nous allons enrichir le stock des
robes banales dont nous disposons.
Pour le moment, et dans un premier
temps, nous conviendrons qu'au moins
les thèses soutenues à la salle Liard
seraient soutenues devant un jury en
robe de professeur dans les meilleurs
délais possibles.
» Je vous serais très obligé de bien
vouloir en informer vos collègues et
préparer la généralisation de
l'application de cette mesure. »

Ce court encadré, paru en page « Education » du Monde, dit à un


premier niveau qu'à Paris IV les enseignants consultés au sujet de l'organisation
des soutenances de thèse ont manifesté le désir de voir le jury porter une robe
lors des soutenances de thèses d'Etat. Le président de l'Université, chargé
de l'application de cette volonté, a adressé à ses collègues une circulaire
prévoyant qu'en attendant « l'enrichissement du stock des robes banales », seules les

29
thèses soutenues dans une certaine salle le seraient en robe. Pour le lecteur
ignorant qu'une telle décision a été prise à Paris Sorbonne, il y a donc
communication d'une information, c'est-à-dire modification d'un certain bagage cognl-
tif (accroissement de son état de connaissance) — l'apport de savoir pouvant
d'ailleurs concerner toutes sortes d'objets : la personne du président, le genre
dit « banal » des robes... et pas uniquement le contenu dominant de la
nouvelle.
Admettons maintenant que cet encadré soit perfide et insinue quelque
chose comme (1) « les universitaires sont rétrogrades et ridicules ». Ce qui
distingue le contenu indirect (1) de l'information primaire apportée dans
l'article tient au fait que (1) est plus général (les professeurs de Paris IV -» les
universitaires), au fait qu'il comporte un jugement de valeur et enfin à son
caractère plus flou : (1) pourrait être formulé autrement, (1) admet un grand
nombre de paraphrases et de nuances...). (1) exprime une thèse générale de
nature appréciative, elle engage une estimation globalement défavorable (bien
que vague) alors que l'article, à un premier niveau, ne dit que ce qui est et
qui ne prétend pas prêter à discussion.
On voit bien dès lors comment la moindre affirmation (fût-elle
extrêmement anodine en apparence) peut toujours prendre valeur d'exemple ou
d'illustration : il suffit pour cela de la rapporter à un point de vue général
ou de la concevoir en relation avec un registre de valeurs. Ainsi
de la volonté des enseignants de Paris IV que l'on interprête avec
malveillance comme une preuve de la mentalité réactionnaire des
universitaires, ainsi de la soi-disant sécheresse de D. Seyrig que l'on nous invite à lire
comme un argument étayant l'idée que toutes les femmes qui militent perdent
leur féminité. L'affirmation que la terre est ronde peut faire l'OBJET d'une
argumentation (on cherchera alors à prouver qu'elle est vraie ou fausse) mais
à supposer une SITUATION où il serait unanimement admis que cette idée
est invraisemblable, il suffirait d'annoncer que quelqu'un a dit que la terre
était ronde pour suggérer qu'il est fou, qu'il aime la plaisanterie...

Bien entendu l'interprétation d'une affirmation dans le sens d'une


thèse implicite dépend des connaissances et convictions préalables des
récepteurs. En lui-même le port de la robe à l'occasion des soutenances de
thèse ne signifie rien (plus précisément il ne signifie que sa vérité d'actualité) ;
il ne pourra sous-entendre « pratique rétrograde et ridicule » que pour ceux
qui savent que l'université a abandonné cet usage cérémonieux associé
à des attitudes passéistes et conservatrices au profit de manières et de
conceptions plus progressistes. Pour imaginer une interprétation du texte du
Monde qui soit favorable aux universitaires, il suffit de concevoir une
situation de réception dans laquelle le port de la robe serait associé à des
valeurs positives (retour au passé, promotion conjoncturellement nécessaire
d'une image de dignité et de sérieux...) et signifierait en somme quelque
chose de comparable au port des sabots (comme garantie d'une certaine
ruralité) dans une activité paysanne.

On peut se demander si l'article du Monde admet une telle


interprétation car il est en vérité bien difficile de lire le « En robe... » autrement
que sur le mode ironique. Mais cela tient plus, nous semble-t-il, à la quasi
impossibilité où nous nous trouvons de nous placer dans un système de
croyances où l'innovation introduite à la Sorbonne pourrait avoir un sens

30
valorisant, qu'au contenu même de l'article. En effet, les indices tendancieux
que l'on trouve dans le texte invitent à l'interprétation sans l'orienter dans
un sens absolument défini. Ainsi les points de suspension du titre marquent
à la fois que le journaliste attribue aux événements qu'il rapporte un
caractère extraordinaire (ils signifient à peu près une « Inouï * avec trois points
d'exclamation) et révélateur : ils suggèrent que cela en dit long, que le
journaliste n'en pense pas moins... et que ce non dit, comme tout ce qu'on nous
laisse imaginer, ne peut guère être favorable. Sans doute faut-il tenir compte
aussi du volume très réduit de l'article, de sa présentation à l'intérieur d'un
cadre, de son côté fait divers. Pour un habitué du Monde qui sait bien que ce
journal n'a pas coutume de relater les chiens écrasés, ces traits sont
extrêmement significatifs : ils signalent que ce texte a un statut journalistique
spécifique, qu'il doit plutôt être lu comme un billet d'humeur (du genre de
ceux qui figurent chaque jour à la une) et sont peut-être l'indice le plus net
d'une volonté sarcastique. On voit toutefois jusqu'à quel niveau d'hypothèse
il faut aller pour arriver à saisir en quels points ce texte suggère une lecture
ironique. On mesure également quelle compétence interprétative il suppose
chez ceux à qui il s'adresse car il n'est pas douteux, finalement, qu'il ait été
écrit dans le but d'argumenter la thèse que les universitaires sont gens ridicules
et rétrogrades.

3. L'interprétation et le tendancieux

Celui qui argumente par sous-entendu n'est jamais assuré de ses effets
car il se peut toujours que ceux qu'il entend influencer ne soient pas dans
une disposition d'idées telle qu'ils interpréteront ses propos dans le sens qu'il
souhaite. Il arrive aussi fréquemment qu'un récepteur voie dans certaines
affirmations des sous-entendus que leur(s) auteur(s) n'y avai(en)t
éventuellement pas mis (l'analyste n'a évidemment aucun recours pour être sûr de cela).
Voici pour finir un assez bel exemple du mécanisme qui consiste à
interpréter un discours pour en expliciter de soi-disant sous entendus (que l'on
présente comme étant sa véritable signification) et à tirer ensuite parti de ce
non-dit afin de discréditer un adversaire :

. L'indépendance Syndicale
■: Un échange caractéristique au Congres de Toulouse ..

,..-, Dans son intervention sur le rapport moral, un «prêsen-.


g>|anl de la minorité Unité et Action a déclaré : ^-
*., ■' « Les partis politiques n'ont pas besoin de fQrcessyndica-.,

rare'
-« II est de trouver une aussi belle illustration de ta

' .-,;■ "1arti


subordination
expliquer
: pasque
dé ledu
débats
syndicat
Syndicat
d'idées,
n'est
au que
parti
le syndicat
la politique.
masse.de
se bat
C'est
manœuvre
et en
le parti
effet
du
iécide.!» " ■ . ..
. (vt*T l9S *xtr*/f8 du rapport moral en p. 10) ■ . ,.

31
La dérive du propos à laquelle on assiste dans cet « échange » (dixit)
rapporté par l'Enseignement Public de février 1980 est parfaitement
révélatrice. Celui qui interprète déplace le discours de l'autre en s'appuyant sur
ce qu'il sait ou croit que l'autre pense ou, pour être plus exact, sur ce qu'il
veut faire croire que l'autre pense vraiment. Egalement, il présente cette
pensée profonde, dont il prétend que le discours adverse est une «
illustration * (dixit), comme étant de nature à expliquer pourquoi l'autre n'a pas pu
ou pas voulu, l'exposer directement. D'où il résulte que l'adversaire est
doublement disqualifié : d'abord on lui prête des propos révoltants (« le syndicat
se bat et le parti décide ») et on l'accuse, en plus, d'avoir voulu les faire
passer au profit d'une manœuvre de style. La simple révélation d'une volonté
de dissimulation suffit d'ailleurs pour « établir » que le propos de l'autre est
scandaleux (« on ne peut cacher que ce qui est mauvais ») ; d'où encore un
avantage supplémentaire par quoi l'orateur qui s'en prend aux sous-entendus
du discours d'autrui gagne jusqu'au privilège d'avoir à les discuter (A. Henry
montrant que le délégué U et A a, selon lui, rusé pour dire ce qu'il lui fait
dire, cela suffit pour prouver que la position qu'il dénonce est scandaleuse).
Prétendre (ou prouver?) qu'un discours est tendancieux revient donc à
induire de façon non moins tendancieuse que son auteur n'a pas même le
courage de ses opinions. Le gain est évidemment énorme d'autant plus que
le montage de l'interprétation qui discrédite peut relever lui-même d'une
volonté parfaitement tendancieuse de tirer le discours de l'adversaire dans un
sens qu'il n'a pas. Ce petit jeu amène plus ou moins à se mordre la queue :
celui qui est mis en cause de cette manière a toujours la ressource de (tenter
de) montrer que l'interprétation prêtée à son discours est elle-même orientée
mais, pour cela, il devra rentrer dans le système de dénigrement exploité par
l'autre et s'exposer finalement à une exégèse de son exégèse. Une autre
solution peut consister à faire une mise au point, à proclamer que l'on n'adhère
pas à la thèse que l'autre prétend vous faire dire, et donc reconnaître, peu
ou prou, que l'on s'est mal exprimé. L'orateur qui se défend ainsi pourra
alors éventuellement suggérer que ceux qui s'en sont pris à la lettre de son
discours pour le tirer dans un sens vraiment contraire à sa pensée ont usé
d'un procédé bien méprisable qui n'argumente pas en leur honneur.
L'exemple que l'on vient de voir montre en tous cas que, même dans
les assemblées comme les congrès où il est pourtant bien prévu que les diverses
familles de pensée réunies vont s'affronter et argumenter ouvertement, on ne
répugne pas à utiliser des procédés plus indirects. On peut même se demander
si, dans des situations comme celles-là, où chacun argumente souvent pour la
forme sans espoir de gagner un « adversaire » qui paraît bien installé sur
ses positions, le plus sûr moyen de l'atteindre n'est pas encore de l'attaquer
indirectement car on peut toujours en escompter un certain effet de confusion,
de vertige, devant quoi il n'aurait plus qu'à se résoudre au silence qui est,
comme on l'a dit au début, l'horizon de toute argumentation.

III. — REMARQUES ET PROLONGEMENTS

1. L'opposition argumentative directe -vs- argumentation indirecte

Des développements qui précèdent, il ressort finalement une opposition


assez nette entre deux formes de conduite argumentative. Dans la forme di-

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recte, un argumentateur, manifestant ouvertement sa volonté d'influencer
autrui à propos d'un objet, développe des considérations visant à provoquer ou
argumenter son adhésion à une thèse expressément formulée. Dans la forme
indirecte, « l'argumentateur » n'avance pas explicitement son intention
d'influencer un auditoire : pour saisir que son intervention cherche à étayer un
point de vue, il faut se livrer à une interprétation qui peut être plus ou moins
suggérée ou orientée (cf. le rôle des indices tendancieux). Cette interprétation,
qui conduit à une perception nouvelle (seconde) de la démarche d'un sujet,
dépend de toutes façons des représentations de la situation qui auront été
éveillées (par rapprochement, généralisation, association de valeurs...) chez les
témoins ou les « victimes ». L'argumentation indirecte a donc un caractère
fondamentalement aléatoire d'où elle tire d'ailleurs sa force : celui qui
argumente par sous-entendus pouvant toujours prétendre qu'il n'a pas voulu
produire l'effet que l'on impute à sa conduite.
L'opposition entre argumentation directe et argumentation indirecte
est assez facile à saisir en théorie. Par contre, dans les faits, il est bien
difficile la plupart du temps d'établir un partage rigoureux entre ces deux
modes d'intervention. Ainsi il arrive très souvent qu'une démarche qui vise
pourtant ouvertement à étayer une conclusion :
— soit lacunaire (la thèse défendue n'est par exemple pas formulée
explicitement),
— mette en jeu des procédés indirects destinés à renforcer le crédit de
l'argumentateur auprès de l'auditoire. (On a noté, par exemple, comment les
signataires de la lettre sur l'enseignement du latin et du grec soulignent leur
statut de leur compétence).
Il en est de même des conduites indirectes :
— qui s'inscrivent dans un contexte où il est convenu que les
participants vont argumenter différentes positions (congrès, parlement...),
— dont l'interprétation amène à prendre en compte des convictions
que l'on peut supposer partagées par l'auditoire entier,
pour lesquelles il faut reconnaître que l'on a beaucoup de peine à expliquer
en quoi elles sous-entendent plutôt qu'elles n'affirment.

2. Effets indirects d'une argumentation directe


II arrive aussi couramment qu'à la lecture d'un texte visant ouvertement
à établir la nécessité de tel point de vue on éprouve le sentiment que son
auteur cherche tout autant à faire valoir ses qualités personnelles (d'
argumentateur, de savant...) qu'à convaincre. Le plus souvent ce sentiment s'impose
quand la thèse soutenue paraît banale, sans intérêt, ou lorsque l'on a déjà
l'expérience de son établissement. L'impression qu'un sujet argumente pour
argumenter, qu'il se livre à un exercice plutôt gratuit à la seule fin de gagner
votre considération peut procurer un certain plaisir. Plaisir de se
reconnaître dans ce qui est dit (connivence), plaisir d'éprouver que l'on est en
avance sur l'autre, plaisir enfin de sentir que l'autre attache de l'importance
à votre estime. Qui veut pénétrer dans un clan, qui veut par exemple être
admis dans un groupe d'experts n'a souvent d'autre solution que d'en passer
par cette gymnastique qui suppose, comme les enseignants le savent bien, un
usage extrêmement périlleux de la démagogie (point trop n'en faut, sinon la
flatterie paraît, entraînant la déconsidération). Concernant par exemple le

33
« milieu scientifique » dans lequel (on l'imagine) nul n'est admis sans de solides
garanties P. Fabbri et B. Latour (12) ont relevé comment la rédaction d'un
article pouvait être pour des chercheurs l'occasion de faire valoir leurs
connaissances, leurs aptitudes à imaginer des procédures expérimentales et à en
exploiter les résultats (même si ceux-ci sont déjà connus), bref de se placer
auprès de leurs supérieurs qui les liront.
Dans un ordre d'idées un peu différent, il arrive aussi qu'un article de
presse paraisse parfois avoir été écrit pour mettre en valeur le «
talent » d'un journaliste et pour perpétrer une sorte d'image que le journal veut
donner lui-même. Ainsi de cet article étudié dans Pratiques 26 (pp. 81-89), à
propos duquel on peut se demander si l'auteur qui disserte sur la dimension
sociologique du phénomène moto ne cherche pas aussi, et peut-être même
avant tout, à nous prouver qu'il a sur le monde d'aujourd'hui des vues d'une
singularité particulièrement aiguisée. Vues à la R. Barthes (on songe à la
« D.S. » de « Mythologies »), faites pour conforter l'estime que ceux qui liront
le papier ne pourront pas ne pas nourrir envers eux-mêmes en se disant qu'ils
sont bien dignes de ces lumières qui, au demeurant, n'éclairent que ce qu'ils
avaient déjà confusément senti (d'où l'effet de connivence avec tout lecteur
en qui sommeille un sociologue vulgaire). Vues faites aussi pour renforcer
l'idée que le journal Le Monde, même dans ses magazines, et sur les sujets
les plus quotidiens, apporte des analyses et des explications qui dépassent les
simples apparences et révèlent la vraie dimension des phénomènes.
Qu'un journal revendique le privilège de proposer à ses lecteurs
la véritable explication des choses, cela ne va pas sans conforter chez
eux l'idée qu'ils se font de bien mériter un tel égard. Dans une
lettre (« Cher ami lecteur ») invitant à l'abonnement, Le Nouvel
Observateur prétend qu'à la différence de « beaucoup de journaux
qui traitent superficiellement » les sujets qu'ils abordent, lui ne
cherche « pas seulement à décrire les faits, mais aussi à trouver les
véritables causes des événements, les racines des maux, à imaginer les
conséquences, à prévenir les crises, les catastrophes, à inventer les
solutions ».
Cette exigence d'explication et de sérieux que fait valoir le
signataire de la lettre (G. Volmer) est évidemment un argument pour
décider le lecteur à envoyer son bulletin d'abonnement (« qui est
peut-être cette fois un bulletin de vote » — on est au début de
l'année 78). Le Nouvel Observateur affiche d'ailleurs en toute occasion
cette vocation à aller au fond des choses : Voici par exemple une
annonce publicitaire invitant à l'achat d'un numéro dont « l'inconnue *
est M. Rocard :

Son équation personnelle est la plus forte.


Il bat tous les records de popularité.
Il se tait depuis de longs mois.
Il a l'image d'un homme politique particulier.
Il fait sa rentrée lundi à « Cartes sur table ».
Il modifie — malgré lui — toutes les données du jeu politique.
Mais quels sont ses vrais objectifs ?
Michel Rocard est-il vraiment différent?

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On soulignera simplement à propos de cette annonce qu'il n'y a
finalement de sens à affirmer que l'on va révéler les vrais objectifs
et la vraie personnalité de M. Rocard qui si l'on pense (et donne
à penser) que ceux à qui l'on s'adresse ne les connaissent pas ou
plus précisément que si l'on pose qu'ils ne croient pas aux idées qui
courent sur ce personnage. A noter encore qu'en « disant » cela
on les met en état de tenir pour faux ce que l'on entend ici ou là
et qui est pourtant communément admis (que l'on pourrait donc dire
ON- VRAI cf. A. Berrendonner (13). Partant on voit bien comment
cette annonce fait aussi indirectement valoir au lecteur habituel ou
occasionnel du Nouvel Observateur que l'on sait bien qu'il n'est pas du
genre à se contenter des on-dits. Flatterie sous-entendue, qui
suppose chez ceux qu'elle vise un désir daccéder à la vraie vérité qui
est bien autre chose que la vérité tout court.

3. Les facteurs d'orientation

II existe dans la langue des termes dont l'usage oriente le discours


dans une direction argumentative déterminée (14). Supposons par exemple qu'au
cours d'un conseil de classe un professeur déclare :

(1) « Dupont a presque la moyenne en maths ».


D'un point de vue informatif (1) indique que :
(1') « Dupont n'a pas la moyenne en maths ».
(1") « que ses résultats en approchent ».

Admettons, en l'occurrence, qu'il ait 9 de moyenne. Supposons


maintenant que le professeur n'ait pas dit (1) mais (2) :
(2) « Dupont a à peine la moyenne en maths ».
L'information communiquée aurait été identique (on peut continuer à
imaginer que Dupont a 9) mais l'effet produit aurait été très différent. L'usage
de « presque » oriente (1) dans un sens favorable disons à l'admission dans
la classe supérieure, alors que l'emploi de « à peine » aurait fait pencher à
l'inverse du côté du redoublement. En introduisant un « presque » dans son
propos, le professeur impose donc à son auditoire de considérer les résultats
de Dupont sous un certain angle ; il oriente les débats dans une direction
bien précise dans la mesure ou (1) n'admet pas n'importe quel enchaînement.
Par exemple (1) peut être prolongé par une réplique comme (3) ou (4) :

(3) » Bon, faisons-le passer »


(4) < Mais il est nul en français »
mais pas par (5).
(5) « Mais il a de bons résultats ailleurs ».
qui pourrait par contre très bien suivre (2). (4) apporte une objection à (1) (de la
même façon que (5) en apporte une autre à (2)). Le « Mais » indique que le
nouvel interlocuteur :

35
— comprend et reconnaît que (1) est orienté dans un sens favorable
à Dupont («on pourrait conclure de (1) que Dupont doit être
admis dans une classe supérieure »),
— oppose à cette orientation un contre-argument présenté comme
plus déterminant.
D'où l'aspect contradictoire de l'enchaînement (1 + 5) : (5) apportant un
élément d'information co-orienté avec (1) ne peut évidemment être introduit
par un « mais » qui sert à marquer un mouvement contraire.
Imaginons maintenant qu'au cours du même conseil, et au sujet de
l'élève Durand, le professeur ait déclaré ensuite :
(6) « Durand est aussi fort en maths que Dubois ».
Il est difficile de ne pas admettre qu'en disant cela le professeur n'ait pas dit
à peu près :
(7) « Durand a la même moyenne en mathématiques que Dubois ».
Or si l'on nie (6) et (7) il paraît que les énoncés obtenus (8) et (9) ne peuvent
plus du tout être considérés comme synonymes :
(8) « Durand n'est pas aussi fort en mathématique que Dubois ».
(9) « Durand n'a pas la même moyenne en mathématiques que Dubois ».
A supposer que pour (6) et (7) la moyenne de Durand et Dubois ait
été de 16 on ne peut entendre (8) que comme signifiant que Durand a une
moyenne inférieure à celle de Dubois (14 par exemple), alors que (9) ne
comporte aucune restriction de ce genre. (Durand peut avoir 14 ou 18). Cette
différence de comportement sous la négation signale, en fait, une orientation
argumentative particulière. Dans une phrase affirmative « a est aussi a que
b » est orienté dans le sens « a est a » et on ne peut lui opposer d'objection que
dévalorisante si a est positif :
(10) « Durand est aussi bon en mathématiques que Dubois, mais ce
n'est (quand même) pas un génie ».
ou que valorisante si a est négatif :
(11) « Durand est aussi faible en mathématiques que Dubois mais il
n'est (quand même) pas nul ».
Dans un contexte négatif « a n'est pas aussi a que b » est orienté du
côté de « a est non a » d'où la possibilité d'un enchaînement comme :
(12) « Durand n'est pas aussi bon en mathématiques que Dubois mais
il se défend bien quand même »
et la bizarrerie de :
(13) « Durand n'est pas aussi bon en mathématiques que Dubois mais
il a de mauvais résultats.
Ces quelques éléments d'analyse suffisent, nous semble-t-il, à montrer
« qu'il existe en français des expressions ni marginales, ni exceptionnelles
dont l'utilisation discursive est soumise à certaines restrictions impossibles à
déduire de leur valeur informative, même en dilatant à l'extrême cette
dernière notion. Plus précisément dès qu'un énoncé les contient on voit
apparaître des contraintes sur le type de conclusions en faveur desquelles il peut
être utilisé ». (J.-C. Anscombre et O. Ducrot, 1976, p. 9) (14).

36
L'interprétation argumentative d'un « à peine » ou d'un « presque »
n'est possible que si l'on perçoit dans quel « champ problématique » (sur
quelle échelle de valeurs, dans quel domaine de possibiltés) ils s'inscrivent
et à l'intérieur duquel ils orientent précisément la perception que l'on doit
en avoir. Supposons par exemple qu'une personne (x) dise à une autre (y) :
(14) « Jules a presque eu le tiercé de dimanche dans l'ordre »
rien ne permet à priori d'établir vers quelle(s) conclusion(s) favorables à
Jules tend (16). Seule la suite de l'échange nous dira comment dans la situation
(y) aura interprété le « presque » de (x) (interprétation qui pourra être
acceptée/corrigée par (x). Ainsi (y) enchaînant (sans provoquer de réactions
chez (x)) par :
(15) « Oui, mais il faut dire qu'il joue tous les dimanches »
on en déduira que (16) avait été énoncé par (x) pour induire que « Jules
est un bon joueur » (intention comprise et par (y) qui lui objecte que...). Si
(y) avait enchaîné par
(16) « Oui mais c'est tous les dimanches pareil ».
on aurait dû interpréter que (y) avait compris (16) comme prêchant en faveur
de la conclusion « Jules doit persévérer, il va bien finir par l'avoir ».
L'interprétation de mots comme « presque », « à peine »... est donc fonction en
dernier ressort de la façon dont les participants à un échange perçoivent la
situation. Des termes comme ceux là orientent certes vers une conclusion mais
cette conclusion n'est décidable qu'en relation avec la situation. Cela paraît
bien encore lorsque l'on envisage un énoncé comme :
(17) « Même Dupont a été reçu au Bac ».
L'emploi d'un tel énoncé requiert que certaines conditions
d'appropriation touchant à la connaissance de la situation par les locuteurs soient
satisfaites. Si une mère d'élève dit cela à sa voisine c'est certainement parce
qu'elle croit que celle-ci sait :
(i) — que d'autres candidats que Dupont ont été reçus,
(ii) — que Dupont est un cancre
à supposer d'ailleurs que la voisine l'ignore, elle n'a d'autre solution que de
déduire (i) et (ii) de (19). On voit toutefois que si (19) présente le succès
de Dupont comme un argument prouvant avec une force particulière («
supérieure ») quelque chose, ce quelque chose n'est pas inférable de l'énoncé
lui-même. (19) peut en effet, suivant la situation servir à étayer :
— « que le lycée dans lequel Dupont et les autres étudiaient est
particulièrement bon »,
— « que maintenant on donne le bac à tout le monde »

II paraît donc bien en définitive que si « à peine », « presque » «


même »..., orientent le discours vers certaines conclusions qu'ils ont pour
fonction d'appuyer, ces conclusions n'étant pas toujours directement formulées,
doivent être reconstruites par interprétation des données de la situation, par
calcul des intentions que peuvent leur attacher ceux qui les emploient. Ces
termes sont des indices de tendance des marqueurs de « tendanciosité », ils in-

37
diquent ouvertement que celui qui les énonce voit les choses sous un certain
angle que le récepteur doit rechercher s'il ne le perçoit pas immédiatement.
L'affirmation :
(18) « Dupont a bien été admis en 4e »
est très proche de (19)
(19) « Dupont a été admis en 4°
qui, en certaines circonstances et prononcé avec une intonation marquée,
pourra aussi bien que (18) sous-entendre par exemple (20) :
(20) « Alors pourquoi n'admettrions-nous pas Durand ou Dupont ».
La seule différence entre les deux énoncés réside dans le fait que celui
qui énonce (18) ne pourra pas prétendre ne pas avoir voulu dire quelque
chose comme (20) alors qu'un émetteur de (19) pourra toujours soutenir (avec
mauvaise foi) qu'il a simplement voulu relever qu'au bout du compte le
conseil avait admis Dupont en 4e.

4. Typologie des textes et des discours

L'argumentation est une conduite qui n'emprunte pas forcément les


voies du langage. Dans certaines situations, la production d'une action (on
demandera par exemple à une secrétaire qui cherche un emploi, de taper un
texte pour mesurer ses capacités professionnelles) ou même la simple
exposition d'un état (« elle ne sait pas taper, mais elle est jolie ») peuvent être
bien plus déterminants que des discours. De même l'usage de certains objets
(voiture, bateau...) qui peut passer pour une pure commodité est aussi très
souvent l'occasion d'argumenter indirectement qu'on a les moyens de se les
offrir.
Lorsqu'elle passe par le langage, l'argumentation n'implique pas pour
les discours produits qu'ils aient une forme bien spécifique. Certes les textes
écrits directement argumentatifs semblent caractérisés par une disposition
structurelle relativement originale. Cette disposition, appréhendable au niveau
de l'ensemble du texte (au plan macro-structurel), repose sur une composition
de séquences catégorisables sous des termes comme : arguments,
contre-arguments.. Ainsi, dans la lettre sur l'enseignement du latin et du grec, il est
possible de distinguer des unités ayant pour fonction d'exposer des arguments,
de réfuter des contre-arguments (implicites), de rappeler des prémisses, de
tirer des conclusions... Toutefois, les efforts accomplis par certains
chercheurs (15) pour définir des catégories descriptives permettant de rendre compte
de ce mode de disposition et de ses particularités, buttent sur des difficultés
assez considérables. Il faut bien avouer, en effet, que l'on a beaucoup de
peine à saisir, en théorie, les catégories dont on aurait besoin : comment
définir (linguistiquement — discursivement — parlant) une introduction
d'argument ? Qu'est-ce qui la distingue, toujours et absolument, d'une «
déduction » de conclusion ? Quels caractères retiendra-t-on dans la grammaire du
discours pour décider que telle séquence apporte une série d'arguments
favorables alors que telle autre réfute des arguments défavorables ? Pour
disposer de tels outils, il faudrait pouvoir s'appuyer sur une théorie
générale de l'action et singulièrement sur une théorie des actes de langage à
l'intérieur de laquelle des notions comme « réfutation », « corroboration », «
assertion »... auraient un contenu suffisamment net et différencié. Or, ce qui

38
pose problème quand on s'engage dans une telle voie, c'est qu'il n'y a guère
moyen de définir de telles notions sans prendre en compte les dispositions
cognitives (les croyances) de celui ou de ceux qui produisent ou reçoivent
des discours mettant en jeu de tels actes. Un énoncé n'est pas « en soi » un
argument ou un contre-argument, il a valeur d'argument ou de
contre-argument et cette valeur n'est pas forcément marquée dans la forme verbale du
discours. C'est seulement lorsque son émission s'inscrit dans une situation
où l'émetteur croit que..., ou le récepteur croit que... que le fait dénoté par
l'énoncé prendra une valeur argumentative déterminée. Les discours
directement argumentatifs énoncent la plupart du temps une partie au moins de
ces conditions (dans le courrier de « La Redoute », Brigitte dit que sa
lectrice sait comme elle que...), alors que l'interprétation argumentative des
discours indirects est parfois totalement dépendante de paramètres situation-
nels (cf. la chronique de P. Bouvard). Bien souvent les seuls indices
linguistiques révélateurs d'une volonté d'argumenter sont ces petits mots comme
« même », « presque »... qui induisent, comme nous l'avons relevé, une
orientation conclusive sans cependant toujours proprement signifier quel-
le(s) thèse(s) ils servent.

Les remarques ci-dessus amènent, une fois de plus, à souligner que


si certains textes ont bien l'apparence de l'argumentation (une apparence que
l'on a donc beaucoup de peine à décrire) d'autres, n'ayant pourtant pas cette
apparence, peuvent néanmoins fort bien remplir, en situation, une fonction
argumentative. Pour ne prendre que le cas du récit, les exemples abondent
de textes qui argumentent sous couvert de raconter. Ainsi de ce « petit récit
de la vie quotidienne » étudié par C. Bachmann dans Pratiques n° 17, où
l'on voit comment un jeune garçon, qui rapporte Oralement à ses camarades
une mésaventure l'ayant conduit au poste de police, cherche, par son récit,
à renforcer son prestige auprès de ses camarades, à promouvoir une image
de lui-même propre à assurer son leadership, bref, à argumenter sa place
à l'intérieur d'un groupe de pairs. Si l'on songe maintenant à des textes
comme « Candide » ou « Zadig » leur portée argumentative, même si elle
s'est estompée avec le temps, paraît, à l'inverse, tellement évidente qu'il est
impossible de les lire comme de pures relations d'aventures
merveil euses. D'où alors plusieurs questions :

— comment les modèles du récit que l'on connaît (cf. entre autre
Pratiques 11/12 et 13) peuvent-ils intégrer cette potentialité ou cette portée
argumentative attachée (de quelle façon?) à certains textes narratifs?

— comment expliquer que cette potentialité soit plus forte pour


certains textes que pour d'autres (« Madame Bovary » n'est tout de même pas
une fable au même degré, et de la même manière, que « Candide » ou «
Zadig ») ?

— Y a-t-il dans les récits potentiellement argumentatifs des indices


(et lesquels) marquant explicitement que la narration a valeur d'exemple ou
de parabole ?

— Est-ce que finalement tous les textes narratifs ne sont pas


virtuellement argumentatifs ?

39
Ces questions ne sont pas faciles. Leur examen renvoie au moins
pour partie aux problèms de la réception, de la lecture et de l'interprétation
des textes. Elles seront reprises en détail par J.-M. Adam dans un article
consacré aux rapports entre narrativité et argumentativité et qui sera publié
dans le prochain numéro de la revue consacré à l'argumentation (« Les
discours argumentes », n° 30, juin 1981).

ARGUMENTATIONS INDIRECTES ET SITUATION SCOLAIRE

Les occasions qui, à l'école, disposent à l'argumentation indirecte sont


nombreuses. Chacun a V expérience de ces propos tendancieux qui, en classe
comme ailleurs, sont monnaie courante lorsqu'il s'agit d'accabler, de
défendre, d'appuyer quelqu'un en face par exemple d'un interlocuteur qui ne
vous reconnaît pas le droit de le faire ouvertement (ou que l'on croit dans
une telle disposition d'esprit). L'usage de procédés indirects est
certainement favorisé par les situations infériorisantes qu'entretient le modèle
pédagogique transmissif et directif. Combien de fois n'éprouve-t-on pas, à la lecture
d'une copie, que l'élève à qui l'on demandait d'exposer et de justifier un
point de vue a produit une idée uniquement pour faire valoir qu'il avait
« bien appris et retenu que »... sans même se demander si cette idée qu'il
avançait, avait rapport ou non avec le sujet traité. Dès lors que, dans un domaine,
le maître n'accepte pas de considérer les élèves comme des argumentateurs
autorisés, dès lors qu'il les met en position de se faire valoir, il est plus ou
moins fatal que ceux-ci recourent à des démarches indirectes comme pour
essayer, quand même, soit de faire passer ce qu'ils avaient à dire, soit de
mettre (de façon quasi-obsessionnelle) toutes les chances de leur côté. D'où,
comme le souligne dans ce numéro, Cl. Garcia, la difficulté qu'il y a à
organiser de véritables débats en situation scolaire, car les élèves, ressentant plus
ou moins la présence du maître, ont souvent tendance à produire les
arguments qu'ils pensent qu'il attend, qu'ils croient qu'il apprécie et, bien sûr,
à taire ceux qu'ils présument qu'il condamnerait. Ceci ne voulant pas dire
naturellement qu'entre pairs on n'use pas aussi de procédés indirects pour
influencer son auditoire en faveur d'une thèse, ou pour établir sa place.

Les quelques considérations qui précèdent sur la typologie des textes


et des discours ne sont pas sans conséquences au plan pédagogique, en
particulier en ce qui concerne l'étude des textes. Etant donné les difficultés que
l'on rencontre lorsque l'on cherche à saisir ce qui serait la forme
caractéristique de V argumentativité, étant donné aussi le caractère fréquemment
parabolique de l'argumentation, ce que l'on est en droit d'attendre d'un travail
de réflexion sur ce sujet, c'est qu'il permette de comprendre quelles sont les
opérations interprétatives que doit développer un récepteur pour arriver à
appréhender que tel récit ou tel texte d'information veut aussi (et parfois
surtout) dire tel point de vue, ou prêche sans en avoir l'air en faveur de telle
thèse. Partant, une meilleur connaissance de ces opérations (à quoi prétend
contribuer ce numéro de la revue) devrait conduire :

• à mieux mesurer les difficultés rencontrées par les élèves à qui l'on
demande très souvent de découvrir dans les textes des significations plus ou
moins indirectes.

40
• à mieux comprendre comment les élèves arrivent parfois (et très
« logiquement » dans leur système) à interpréter un texte dans un sens
second que l'on avait pas prévu et qui peut être inacceptable (vu ce que dit le
texte ou vu la fausseté de ce qu'il faut croire pour l'interpréter de la sorte).

La saisie d'une intention argumentative cachée dépend en grande partie,


comme nous l'avons relevé, des connaissances de la situation dont dispose
l'interprétant. Il n'est pas étonnant, dès lors, que les élèves qui n'ont pas
accès, la plupart du temps, à des connaissances antérieures n'arrivent pas à
déceler la portée argumentative des textes qu'on leur demande d'«
expliquer ». Cette constatation au demeurant assez banale, conduit à souligner
l'importance de la documentation en tant qu'elle peut justement être un
moyen d'apporter aux élèves des données d'information nécessaires à la
compréhension des textes en particulier pour l'interprétation de leur
potentialité argumentative. Les petites notes plus ou moins encyclopédiques qui
figurent en marge des textes dans les recueils de morceaux choisis
fournissent parfois, de façon condensée, des éléments d'information susceptibles
d'aider les élèves (et le maître !) dans leur lecture. Toutefois lorsqu'on y regarde
de près, on s'aperçoit que ces petites notes sont la plupart du temps
hétéroclites (elles portent sur toutes sortes de savoirs) et que les trois quarts
fournissent des renseignements inutiles pour la compréhension des textes
(biographies en deux lignes des personnalités citées, renseignements géographiques
superflus...). S'il est bien nécessaire, comme nous le pensons, de donner aux
élèves les moyens en information nécessaires à la compréhension des textes,
il paraît encore que seule une connaissance très précise des opérations
d'interprétation peut permettre de saisir qu'elles sont les « informations d'en-
tour » absolument indispensables pour que les élèves réussissent à construire
les possibles significations d'un discours. Ces « informations d'entour »
peuvent être effectivement très diverses (voir ce que nous avons dit qu'il fallait
savoir pour comprendre le billet du « Monde » sur les soutenances de thèse
en robes...) et parfois plus proches des savoirs pratiques que des savoirs
proprement encyclopédiques (si tant est qu'une telle distinction ait quelque
pertinence). Lorsque l'on mesure que ces opérations interprétatives sont d'une
très grande généralité (la compréhension de tous les discours les met en jeu
et pas seulement la lecture expliquée des textes choisis), il paraît encore
plus nécessaire d'avancer dans la voie d'une meilleure connaissance des
savoirs qu'elles engagent et des mécanismes qu'elles impliquent. Car il ne fait
pas de doute, au bout du compte, que si tant d'élèves ne comprennent pas ce
qui se dit ou se lit en classe (et l'on voit quelle ségrégation il peut en
résulter !) cela tient certainement pour beaucoup au fait que l'on n'a pas vraiment
réfléchi à ce qu'il aurait fallu que l'on fasse pour qu'ils puissent « comprendre
du discours » qui, soit dit en passant, est bien autre chose que de comprendre
les mots du livre de vocabulaire ou les phrases du livre de grammaire.

Afin aussi que les élèves puissent par eux-mêmes analyser des
mécanismes intervenant dans l'élaboration des contenus notamment indirects, il
paraît nécessaire de mettre au point de véritables outils de formation. Ces
outils peuvent par exemple consister en des exercices d'analyse
d'interprétation au cours desquels on cherchera à établir ce qu'il faut croire ou savoir
pour faire dire noir à quelqu'un qui a dit blanc, ce que l'on (ou plutôt qui)
gagne à ce jeu, ce qu'il faudra pour qu'un auditoire (et lequel) accepte cette

41
interprétation. La pratique d'activités de ce genre suppose naturellement une
initiation des élèves à la sémantique (des modalités, des verbes d'opinion, de
communication... des évaluatifs...) et à la pragmatique (maximes de
conversation, mécanismes présuppositionnels...). Cette initiation dont le manuel * De
la phrase au texte . . « 3e »» (Delagrave) donne une très bonne idée, devrait
accorder une place importante à l'étude des petits mots comme « presque »,
« même »... dont on a souligné le rôle argumentatif. A cet égard l'article ci-
après de J.-C. Chevalier, Cl. Garcia et A. Leclaire apporte des données sur
le sémantisme et la portée argumentative de « mais » et de « quand même »
et propose une approche plus globale de la concession qui va bien au-delà
des maigres pages (quand il y en a !) que les manuels de grammaire
consacrent à ce chapitre. A noter aussi que J.-C. Chevalier, Cl. Garcia et A.
Leclaire posent le problème de la compréhension des énoncés contenant ces
termes par des enfants à un stade de leur développement psychologique. Cette
question qu'aborde également (à un autre propos) ci-après F. François, est
évidemment capitale pour le pédagogue : de nombreuses études
psycholinguistiques (16) montrent en effet que les enfants n'accèdent qu'à partir d'un
certain âge à une compréhension exacte d'énoncés contenant des mots comme
« seul », « même », « aussi »... ou des verbes présuppositionnels comme
« prétendre », « imaginer »... De même, s'il paraît bien que les adultes
disposent dans l'ensemble d'une sorte de compétence communicationnelle leur
permettant d'évoluer quand ils sont autorisés à argumenter autrui, quand ils leur
faut user de discours indirects, il est non moins certain que cette
compétence résulte d'une acquisition. Où et comment s'effectuent ces apprentissages ?
Par quelles voies se constituent ces acquisitions ? Nul doute que l'école
contribue pour une large part à cette éducation du bon usage de la parole qui
engage bien d'autres choses que le simple bon usage de la langue que l'on
entend habituellement.

LA REUSSITE DE L'ARGUMENTATION

Comprendre que l'argumentation peut emprunter des voies directes et


indirectes est une chose, comprendre comment l'argumentation réussit ou échoue
en est une autre que nous n'avons pas franchement abordée. Il ne suffit pas
en effet qu'une démarche argumentative soit reconnue comme légitime et
appropriée pour qu'elle atteigne la fin qu'elle visait ouvertement ou
tendancieusement. Comment l'emporter par l'argumentation ? Voilà assurément
une question qui importe — et qui revient —, singulièrement pour
l'enseignant qui aimerait bien pouvoir apprendre aux élèves — qui argumentent
si mal — au moins le principe de la bonne argumentation. A cette question,
on l'imagine, il n'y a pas de réponse passe-partout. Car si l'argumentation
touche indiscutablement au raisonnement (dont on conçoit qu'il puisse
s'exercer — cf. ci-après l'article de J.-P. Balpe) elle tient aussi, comme on l'a
souligné, du montage et tire fondamentalement raison de l'auditoire. D'où
alors son caractère dialogique, singulier, spécifique qui l'apparente plus au
stratagème qu'à la démonstration. Dans le prochain numéro de Pratiques
consacré à l'argumentation, nous essaierons de préciser cette différence (et
cette parenté) qui oppose (et unit) l'argumentation à la démonstration pour
finalement nous demander comment une stratégie argumentative peut échouer
ou réussir.

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NOTES ET INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

(1) PERELMAN (C). — L'empire rhétorique. — Vrin 1977. On trouve une définition
très proche chez J.-B. GRIZE. « L'argumentation est une activité discursive
pratique qui vise à intervenir sur des jugements, des opinions, des
préférences » dans « Argumentation, schématisation et logique naturelle ».
(Revue Européenne des Sciences Sociales. Droz, Genève 1974). Cette
définition est plus spécifique en ce sens qu'elle porte sur l'argumentation comme
pratique discursive.
(2) ARISTOTE. — «■ Topiques ». — Vrin 1965.
(3) PERELMAN (C.) et OLBRECHTS-TYTECA (L.). — Traité de l'argumentation. —
PUF, Paris 1958 (première éd.).
(4) Voir la définition de l'argumentation que C. GARCIA (ici même, p. 100) emprunte
à G. VIGNAUX. — L'argumentation. — Droz, Genève, 1976.
(5) Sur les opérations de prédication et de détermination, voir J.-B. GRIZE. —
tériaux pour une logique naturelle. — Travaux du Centre de Recherches Sé-
miologiques n° 29, Neuchâtel, 1976 et M.-J. BOREL. — « Analyse du discours
argumentatif : quelques opérations ». — T.C.R.S. n° 34, Neuchâtel, 1979.
(6) Cf. plus loin III. 3.
(7) GIORDAN (A.). — Observations. Expérimentation : mais comment les élèves
apprennent-ils ? — Revue Française de Pédagogie, n° 45. I.N.R.P., Paris
1978. Sur le même sujet voir dans le même numéro les articles de QUES-
NE (E.) et celui de VIENNOT (L.) ainsi que dans le numéro 35. POLITZER (G.).
— Pour une étude de l'activité didactique de l'enseignant. — 1976.
(8) Voir dans le numéro 27, l'article d'André Petitjean et le numéro 29 « Changer
l'écrire >, à paraître en février 1981.
(9) Cf. AMBITE (V.) dans « Ecole : pouvoirs et démocratie », col. Dialectiques-
Pratiques. — 1978.
(10) Cf. C. GARCIA et F. FRANÇOIS, ci-après.
(11) Cf. M. CHAROLLES. — « L'ordre de la signification ». — Dans « Pour un
nouvel enseignement du français », Actes du colloque Cerisy, 1979. A
paraître et « Langue Française » n° 38.
(*I2) FABBRI (P.) et LATOUR (B.). — « La rhétorique de la science ». — Actes de la
recherche en sciences sociales, n° 7.
(13) BERRENDONNER (A.). — « Le fantôme de la vérité ». — Linguistique et
miologie, n° 4, Lyon, 1977.
(14) Pour ce chapitre DUCROT (O.). — Les mots du discours. — Ed. de Minuit,
1980, ainsi que ANSCOMBRE (J.-C.) et DUCROT (O.). — Lois logiques et
lois argumentatives. — Le Français Moderne, n° 4, 1978 et n° 1, 1979.
(15) Sur ce sujet, voir SPRENGER-CHAROLLES (L.). — Chap. IV. — «
structure et Macro-structure du discours argumentatif », pp. 75-84,
Pratiques, n° 26.
(16) Cf. entre autres, KAIL (M.). — La compréhension des présuppositions chez
l'enfant. — L'année psychologique, 1978, n° 78, — « Compréhension de seul,
môme, aussi chez l'enfant ». — Bulletin de psychologie, T. 32, n° 341, 1979.

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