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PRÉPARATION ESTIVALE 2022 À L’EXAMEN D’ENTRÉE AUX CRFPA

Épreuve de droit des affaires


Corrigé du galop d’essai no 6
06 août – 12 août 2022

1. Madame Mouchette a reçu ce matin une interdiction d’émettre des chèques. Elle reconnaît
avoir émis deux chèques l’un de 25.000 euros, l’autre de 10.000 euros. Elle vous explique
pourtant qu’elle disposait de 12.500 euros sur son compte et de 50.000 euros sur deux autres
comptes ouverts dans les livres du Crédit Viticole. Que peut faire Madame Mouchette à
l’égard de sa banque ? (9 points)

1. L’interdiction d’émettre des chèques faites à Madame Mouchette

1. L’absence de provision sur le compte de Madame Mouchette [3 points]

Aux termes de l’article L. 131-4 du Code monétaire et financier un « chèque ne peut


être tiré que sur un établissement de crédit (…) ayant au moment de la création du titre, des
fonds à la disposition du tireur et conformément à une convention expresse ou tacite d’après
laquelle le tireur a le droit de disposer de ces fonds par chèque ». La provision est une
créance de somme d’argent du tireur contre le tiré. Elle correspond (le plus souvent) au solde
positif du compte bancaire du tireur. Il résulte du texte précédent que la provision doit être (i)
préexistante ; (ii) irrévocable.

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La provision doit exister lors de l’émission du chèque et demeurer disponible au moment où


celui-ci est présenté au paiement. Toutefois, faute de provision lors de la création du chèque,
celui-ci n’en est pas pour autant nul (Cass. com., 12 janv. 1993, n°90-17.015).

La provision est irrévocable en cela que la législation interdit de faire opposition au paiement
d’un chèque pour une autre cause que celles admises par la loi (art. L. 131-35, al. 2,
COMOFI).

En revanche, lorsque le tireur et son établissement de crédit sont liés par plusieurs
conventions de compte, la jurisprudence considère de manière constante « qu’en l’absence de
toute convention (contraire), la règle est que les divers comptes courants ouverts au nom de la
même personne par la même banque sont indépendants (Cass. com. 14 avril 1975,
74-10.651). Les différents comptes ouverts par un client dans les livres d’une banque
fonctionnent de façon autonome sans que le solde d’un compte ne puisse se compenser au
bénéfice d’un autre. Ce n’est qu’en présence d’une convention de fusion ou d’unité de compte
que la provision s’apprécie par rapport au solde global des comptes du client (Cass. com., 16
janv. 1990, n°88-14.883).

En l’espèce, Madame Mouchette disposait au total de 62.500 euros. Seulement sur le


compte sur lequel ses deux chèques (d’un montant total de 35.000 euros) ont été tirés,
présentant un solde positif de 12.500 euros. Ledit solde était insuffisant pour régler les deux
chèques. Il l’était aussi pour régler l’un ou l’autre des deux chèques. En l’absence de
convention contraire, le Crédit Viticole n’était pas autorisé à fusionner les trois comptes de
Madame Mouchette.

En conséquence, Madame Mouchette a bien émis deux chèques sans provision.

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2. Les conséquences d’un chèque sans provision [3 points]

En principe, le banquier reste libre de ne pas payer un chèque dès lors qu’il constate
une absence de provision. Il ressort de l’article L. 131-73 du Code monétaire et financier que
le « banquier tiré peut, après avoir informé par tout moyen approprié mis à disposition par
lui le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision, refuser le paiement d’un
chèque pour défaut de provision suffisante ».

L’obligation d’information du banquier tiré demeure indépendamment de la connaissance que


le client est susceptible d’avoir de l’insuffisance de la provision du/des chèque(s) émis (Cass.
com., 16 juin 2009, n°08-17.319). S’agissant de l’objet de cette information, la banque doit
délivrer une information précise et circonstanciée visant chacun des chèques sans provision
(Cass. com., 18 janv. 2011, n°10-10.259). Il ne lui suffit donc pas d’informer son/sa client(e)
de manière générale sur les conséquences du défaut de provision (Cass. com., 31 mai 2005,
n°03-15.659).

La charge de la preuve de la bonne exécution de cette obligation incombe au banquier tiré, qui
doit néanmoins seulement prouver qu’il a adressé un courrier au tireur avant le rejet du
chèque (Cass. com., 7 févr. 2012, n°10-27.078). Il n’a toutefois pas à démontrer que ledit
courrier a été reçu par le tireur (Cass. com., 19 nov. 2013, n°12-26.253).

En l’espèce, Madame Mouchette ne nous indique pas avoir reçu d’information


préalable. Cette dernière a seulement reçu une interdiction d’émettre des chèques. Sans
information complémentaire, il y a lieu de présumer que le Crédit Viticole ne lui pas transmis
les informations requises par l’article L. 131-73 du Code monétaire et financier concernant
chacun des deux chèques litigieux et que celui-ci se trouve en conséquence en faute.

3. Les conséquences de l’irrégularité de la procédure de chèque sans provision


[3 points]

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Le Code monétaire et financier n’établit aucune sanction spécifique en cas de violation


de l’obligation d’information découlant de l’article L. 131-73 du Code monétaire et financier.
Pour autant, le banquier rejetant un chèque sans procéder à l’information préalable peut
engager sa responsabilité civile. Le client doit établir que le manquement à l’obligation
d’information lui a causé un préjudice. Celui-ci peut consister dans le fait d’avoir fait perdre
au client une chance d’échapper aux conséquences qui résultent du défaut de paiement du
chèque (Cass. com., 14 juin 2016, n°14-19.742). Encore faut-il que le tireur rapporte la
preuve qu’une information préalable au rejet de son chèque lui aurait permis d’approvisionner
son compte afin d’éviter un incident de paiement (Cass. com. 17 février 2015, n° 13-28495)
ou de reconstituer la provision (Cass. com., 15 févr. 2011, n°10-10.677).

En l’espèce, le Crédit Viticole a commis une faute civile en avertissant pas Madame
Mouchette du défaut de provision de ses deux chèques. Si le Crédit agricole, en raison du
principe d’indépendance des comptes et de l’absence de convention de fusion, ne pouvait pas
compenser les soldes des comptes ; en revanche, en s’abstenant d’informer Madame
Mouchette, il lui a causé un préjudice, puisque celle-ci aurait pu procéder à des virements
rectificatifs. En effet, celle-ci disposait des fonds nécessaires 25.000 € +10.000 € < 12.500 +
50.000 €).

En conséquence, Madame Mouchette devrait pouvoir obtenir une indemnisation


auprès du Crédit Viticole.

2. Un malheur n’arrivant jamais seul, Madame Mouchette s’est fait dérober la semaine
dernière son portefeuille qui contenait sa carte bleue avec une note pour se remémorer son
code. Elle a constaté ce matin que des sommes très importantes ont été débitées sur son
compte grâce à l’utilisation de son code confidentiel. Elle a fait opposition ce matin. Madame
Mouchette vous demande si elle sera remboursée ? (5 points)

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2. Le vol de la carte de paiement de Madame Mouchette [5 points]

L’utilisateur du service de paiement a l’obligation de signaler toute opération de


paiement non autorisée « sans tarder » et « au plus tard dans les treize mois suivant la date de
débit » [Article L. 133-24 du Code monétaire et financier]. En principe, le prestataire de
service de paiement est alors tenu de rembourser immédiatement au payeur le montant de
l’opération de paiement non autorisée lorsque celle-ci lui a été dument signalée [Article L.
133-18 du Code monétaire et financier]. [1 point]

En cas d’opération de paiement non autorisée consécutive à la perte ou au vol de l’instrument


de paiement, le payeur ne supporte (avant l’opposition) que les pertes liées à l’utilisation de
cet instrument, dans la limite d’un plafond de 50 € (Article L. 133-19 COMOFI). Par
exception, le payeur supporte les pertes provoquées par l’opération de paiement non autorisée
« s’il n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave » à ses obligations [Article
L. 133-19, IV, du code Monétaire et financier]. Au titre de ses obligations, l’utilisateur du
service de paiement doit prendre « toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses
dispositifs de sécurité personnalisés » [Article L. 133-16 du code Monétaire et financier]. [1
point]

Au stade de la preuve, « Lorsqu’un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une
opération de paiement qui a été exécutée », le prestataire de services de paiement doit
« prouver que l’opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée
et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre » [Article L. 133-23 du
code Monétaire et financier]. En revanche, l’« utilisation de l’instrument de paiement (…) ne
suffit pas nécessairement en tant que telle à prouver que l’opération a été autorisée par le
payeur ou que celui-ci n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux
obligations lui incombant en la matière. » [Article L133-23, al. 2, du code Monétaire et
financier]. [1 point]

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La Cour de cassation rappelle avec constance que la preuve de la négligence du payeur « ne


peut se déduire du seul fait que l’instrument de paiement ou les données personnelles qui lui
sont liées ont été effectivement utilisés » [Cass. com., 18 janvier 2017, n°15-18102]. Il en va
ainsi de l’utilisation de la carte avec le code confidentiel. La Cour de cassation considère que
le fait que la carte ait été utilisée à l’aide de la composition du code confidentiel est, à lui seul,
re
insusceptible de constituer la preuve d’une telle faute (Cass. com., 2 octobre 2007 ; Cass. 1

civ., 28 mars 2008 ; Cass. com., 21 sept. 2010, n° 09-16.534 [NB : rendu sous l’empire du
droit antérieur, mais transposable en droit positif]). La négligence grave ne saurait non plus
être caractérisée par l’absence d’explication des moyens avec lesquels le fraudeur a pu avoir
accès aux informations confidentielles (Cass. com., 21 nov. 2018, n°17-18.888). [1,5 point]

En revanche, il a été jugé que le titulaire d’une carte a agi avec une imprudence constitutive
d’une faute lourde, lorsque la plainte établie par les services de police au moment de la
déclaration du vol de sa carte a fait ressortir que le client avait laissé, comme d’habitude, cette
carte dans son véhicule et son code confidentiel dans la boîte à gants. Il en résultait que, de
son propre aveu, qu’il avait commis une imprudence grave en laissant son code personnel à
proximité de sa carte de retrait dans un lieu sans surveillance (Cass. com., 16 octobre 2012, n°
11-19.98). [0,5 point]

En l’espèce, les opérations frauduleuses ont eu lieu avant l’opposition. Or, Madame
Mouchette a commis une négligence susceptible d’être grave en laissant une note avec son
code confidentiel à côté de sa carte de paiement. A ce stade, le Crédit Viticole n’en est pas
informé et aura la charge de prouver que Madame Mouchette avait laissé une note avec son
code confidentiel dans son portefeuille. Si Madame Mouchette garde le silence, elle devrait
pouvoir obtenir le remboursement des sommes débitées frauduleusement et ne supportera les
pertes que dans la limite de 50 euros.

3. Madame Mouchette s’inquiète aussi au sujet d’un débit de 1300 euros qu’elle constate sur
son compte en banque. Après avoir mené son investigation, elle comprend que le chèque a été
remis en paiement dans une boutique de luxe bien connue. Elle vous explique à ce propos
qu’elle conserve toujours dans son portefeuille « deux ou trois » formules de chèque vierge

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« au cas où ». Elle vous demande, ce qu’elle doit faire, si elle risque quelque chose et si elle
peut être remboursée par le Crédit Viticole (6 points)

3. Le vol d’une formule de chèque vierge / non-signée

3.1. L’opposition au paiement des chèques (1,5 point)

La législation n’admet d’opposition au paiement par chèque, que dans des cas
limitatifs et notamment « en cas de perte, de vol ou d’utilisation frauduleuse du chèque » (art.
L. 131-35 COMOFI). L’opposition faite en cas de perte ou de vol du/des chèque(s) implique
une dépossession involontaire du tireur (Cass. com., 1er avril 2014, n°13-11.252). Le tiré qui
reçoit une opposition doit informer l’opposant des sanctions qu’il encourt si l’opposition n’est
pas faite pour l'une des causes autorisées par la loi (art. L. 131-35, al. 3, COMOFI). En cas
d’opposition, le « tireur doit immédiatement confirmer son opposition par écrit, quel que soit
le support de cet écrit » (art. L. 131-35 COMOFI).

En l’espèce, des formules de chèques ont été volées, la semaine dernière (avant
l’interdiction donc) avec le portefeuille de Madame Mouchette. Celle-ci devra en
conséquence faire opposition sans délai et par écrit, en se prévalant du vol au titre du motif
d’opposition.

3.2. L’éventuelle responsabilité à l’égard du porteur du chèque falsifié (1,5 point)

Aux termes de l’article L. 131-2 du Code monétaire et financier un chèque doit


notamment contenir la signature de celui qui émet le chèque (le tireur). L’article L. 131-3 du
Code monétaire et financier dispose que le titre auquel fait défaut la signature du tireur ne
vaut pas comme chèque. La formule de chèque vierge, volée ne contient pas la signature du

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tireur. Celle-ci est nécessairement fausse. Ce dont il résulte que le porteur, même de bonne
foi, ne peut exiger le paiement de ce chèque.

En revanche, la jurisprudence admet la responsabilité du titulaire du compte puisse être


engagée lorsque celui-ci, par son imprudence, a facilité la perte ou le vol de la formule (par
ex. : Cass. com., 28 févr. 1989, n°87-17.374 ; Cass. com. 3 juin 1982 : 81-10.179 ; Cass. com.
15 décembre 2021, n°20-15.107).

En l’espèce, Il ne doit pas y avoir de faute du seul fait de transporter une formule de
chèque vierge dans son portefeuille. Madame Mouchette ayant été victime d’un vol, elle n’a
pas non plus commis de faute. Il semble difficile, en l’état de notre connaissance des faits, de
reprocher une faute ou une négligence grave à Madame Mouchette.

3.3. L’obligation de restitution du Crédit Viticole (3 points)

L’article 1937 du Code civil, prévoit que « le dépositaire ne doit restituer la chose
déposée qu'à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou celui
qui a été indiqué pour le recevoir ». L’article 1342-2 du Code civil aux termes duquel « le
paiement doit être fait au créancier ou à la personne désignée pour le recevoir ». Aux termes
de l’article L. 131-38 du Code monétaire et financier celui qui paie un chèque sans opposition
est présumé valablement libéré. Le tiré qui paie un chèque endossable est obligé de vérifier la
régularité de la suite des endossements, mais non la signature des endosseurs.

L’obligation de vérification des anomalies doit être conciliée avec le principe de non-
ingérence du banquier dans les affaires de ses clients (constant depuis Cass. civ. 28 janv.
1930 ; Cass. com. 27 janv. 2015). Il en résulte qu’un établissement de crédit n’a pas à
s’assurer que les opérations de ses clients sont régulières, mais qu’en revanche, il doit détecter
les anomalies apparentes (v. par ex. Cass. com. 15 nov. 2016, n° 15-14.133) sans quoi il
engage sa responsabilité civile (par ex. : Cass. com. 6 janvier 2021, n° 19-10.753).

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Le banquier tiré devra recréditer le compte de son client du montant d’un chèque falsifié
lorsqu’il n’a pas détecter la fausseté apparente de sa signature, peu important qu’il n’ait
commis lui-même aucune faute et que la fausse signature fût indécelable (par ex. : Cass. com.,
9 févr. 1993, n°90-21.792 ; Cass. com., 26 nov. 1996, n° 94-19.071 ; Cass. com., 2 juill. 2002,
n° 00-10.121 ; Cass. com., 12 juill. 2017, n° 16-13.576). La banque ne peut s’exonérer de sa
responsabilité civile qu’en démontrant que le paiement effectué a eu pour cause exclusive une
faute imputable au titulaire du chéquier (Cass. com. 15 décembre 2021, n° 20-15.107). Enfin,
en cas d’anomalie apparente de la signature, le banquier présentateur peut être également jugé
responsable (Cass. com., 24 oct. 2000, n°97-15.719 ; Cass. com., 23 juin 1999, n°96-10.734).

En l’espèce, nous savons que les formules de chèques sont vierges. Il ne doit pas y
avoir de faute du seul fait de transporter une formule de chèque dans son portefeuille.
Madame Mouchette ayant été victime d’un vol, elle n’a pas non plus commis de faute. Nous
sommes moins d’une semaine après les faits. L’opposition ne devrait pas être jugée tardive.
Nous n’avons aucune indication relative à la signature. En revanche, suite à un vol, il y a tout
lieu de penser que celle-ci a été falsifiée et que la signature, s’il y en a une, ne correspondra
pas à celle de Madame Mouchette.

Le Crédit Viticole a certainement manqué à son obligation de vérification de la régularité


apparente du chèque et ne devrait pas pouvoir s’exonérer de sa responsabilité. Madame
Mouchette devrait pouvoir être remboursée.

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