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Département d’Histoire
Année universitaire 2022-2023
L1 S2 – LHE122M2
Semaine Lundi
1 23 janvier
2 30 janvier
3 6 février
4 13 février
5 27 février
6 6 mars
7 13 mars
8 20 mars
9 27 mars
10 3 avril
11 17 avril
12 24 avril
ÉVALUATION
Rappel : sauf pour les étudiants dispensés du contrôle continu (DCC), trois absences non
justifiées entraînent la défaillance et donc l’impossibilité de valider l’UE et le semestre.
Session de rattrapage.
2
RAPPEL : comment compter les siècles ?
Bibliographie sommaire
• Jean-Claude Cheynet, Byzance. L’empire romain d’Orient, Paris, Armand Colin
(Cursus), 2001.
• Jean-Claude Cheynet, Histoire de Byzance, Paris, 2013 (Collection Que sais-je ?)
http://www.cairn.info/histoire-de-byzance--9782130625650.htm
• Alain Ducellier, Françoise Micheau, Les pays d’Islam, VIIe-XVe siècle, Paris, Hachette
(Les Fondamentaux 139), 2000.
• Alain Ducellier; Michel Kaplan, Françoise Micheau et alii, Le Moyen Âge en Orient,
Hachette, 2014.
• Bernard Flusin, La civilisation byzantine, Paris : PUF, 2012. (Collection Que sais-je ?)
http://www.cairn.info/la-civilisation-byzantine--9782130592532.htm
• Jean-Philippe Genet, Le monde au Moyen Âge, Hachette, 2004.
• Michel Kaplan, Pourquoi Byzance ? Un empire de onze siècle, Paris, Gallimard
(Folio Histoire), 2016.
• Michel Kaplan, Tout l’or de Byzance, Paris, Gallimard (Découvertes), 1991.
• Florian Mazel (dir.), Nouvelle Histoire du Moyen Âge, Seuil, 2021.
• Philippe Sénac, Le monde musulman des origines au XIe siècle, Paris, SEDES
(Campus), 1999.
• Dominique Sourdel, L’Islam, Que sais-je ?, PUF, 2009.
https://www-cairn-info.ezproxy.normandie-univ.fr/l-islam--9782130577317.htm
3
Thématique
4. La reconquête byzantine p. 31
8. Djihad et croisades p. 59
4
Séance 1 L’Etablissement de l’Empire romain chrétien
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
Occident Orient
312 : bataille du Pont Milvius (près de Rome). 325 : premier concile œcuménique, convoqué
Selon la tradition, la vision de la Croix par à Nicée par Constantin Ier
er
l’empereur Constantin I
337 : baptême, sur son lit de mort, de
314-335 : le pape Sylvestre Ier Constantin 1er, par l’évêque arien Eusèbe de
Nicomédie
362-363 : rétablissement éphémère du
paganisme par l’empereur Julien l’Apostat
395 : division définitive de l’Empire romain 395 : division définitive de l’Empire romain
Honorius en Occident (395-423) Arcadius en Orient (395-408)
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511 : concile des Gaules à Orléans Constantinople et reprend les liens avec
l’Eglise de Rome
516 : conversion de Sigismond
V, roi des Burgondes, à l’orthodoxie
catholique, sous l’influence de l’évêque Avite
de Vienne
527-565 : le règne de Justinien Ier
520 : fondation du monastère de Clonard en
Irlande
524 : mort de Boèce
527 : fondation du Mont-Cassin 529 : fermeture de l’Académie d’Athènes par
ordre de Justinien
529 (ou 537) : règle de saint Benoît 532 : mort de saint Sabas
537 : première inauguration de Sainte-Sophie
556 : Martin de Braga, évangélisateur des 565 : mort de Justinien 1er, avènement de
Suèves Justin II
573-594 : Grégoire de Tours, Histoire des
Francs
587 : conversion de Récarède, roi wisigothe, à
l’orthodoxie catholique
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Statue officielle de Constantin Ier, fragments conservés aux Musées du Capitole, Rome
La lutte s’engagea, et les soldats de Maxence avaient l’avantage jusqu’au moment où, avec un
courage renouvelé, Constantin prêt à vaincre ou à mourir, amena toutes ses troupes à
proximité de la Ville et s’établit aux environs du pont Milvius... Constantin fut averti pendant
son sommeil de marquer sur les boucliers le signe céleste de Dieu et d’engager ainsi le
combat. Il obéit et marque le nom du Christ sur les boucliers, avec un X traversé de la lettre I
infléchie vers son sommet. Munie de ce signe, l’armée tire l’épée. L’ennemi s’avance à sa
rencontre sans son empereur et franchit le pont. Les deux armées chargent sur un front
également étendu, on combat avec l’acharnement le plus extrême de chaque côté: «on ne vit
fuir ni les uns ni les autres» (Virgile, Enéide, X, v. 757).
(Lactance, De la Mort des Persécuteurs, 44, A. Chastagnol, Le Bas Empire, Paris, 1969, p.
107-108).
2. Eusèbe de Césarée, Vita Constantini, écrite peu après la mort de Constantin en 337
Constantin pensa qu’il lui fallait honorer le Dieu unique en qui croyait son père. Il en
appela donc à lui de ses vœux, suppliant et implorant qu’il lui révèle qui il était et qu’il lui
tende une main favorable dans les circonstances présentes. Tandis qu’il formulait ces prières
et demandes instantes lui apparut alors un signe tout à fait extraordinaire qui émanait de
Dieu...
7
Un peu après midi, alors que le jour commençait seulement à décliner, il vit de ses
yeux, dit-il, le trophée de la Croix au-dessus du soleil, en plein ciel, formé de lumière, avec
l’inscription: «Toutô Nika» («Vaincs par ceci»). À ce spectacle, l’étonnement le saisit, ainsi
que toute l’armée qui le suivait dans je ne sais quelle marche et avait assisté au miracle.
Il se demanda alors, dit-il, ce que pouvait être cette apparition. Tandis qu’il
réfléchissait ainsi et agitait en lui-même beaucoup de pensées, la nuit tomba; et, plus tard,
pendant son sommeil, le Christ, fils de Dieu, se présenta à lui avec le signe qu’il avait vu dans
le ciel, et lui prescrivit de fabriquer une copie de ce signe qui lui était apparu dans le ciel et de
recourir à son aide dans les combats...
Songe de Constantin et bataille du pont Milvius dans les Homélies de saint Grégoire de
Nazianze (BnF grec 510), folio 440, Xe siècle.
8
La diffusion du christianisme dans l’Empire romain avant et après Constantin
Eusèbe de Césarée, Vie de Constantin, trad. M.-J. Rondeau (Sources chrétiennes, 559), Paris,
Cerf, 2013, p. 413-415.
9
Constantinople médiévale : de la Cité de Constantin (330) au mur de Théodose II (413, 448)
3. Christianisation de l’Empire
Même dans la première ville après Rome, il subsiste encore des temples, dépourvus, il
est vrai, de tout honneur; ils sont en petit nombre après avoir été très nombreux, mais enfin les
temples n’ont pas complètement disparu de son enceinte.
Nous étions encore enfant lorsque celui qui avait couvert Rome d’outrages (Maxence)
fut vaincu par celui qui avait conduit contre lui une armée de Gaulois (Constantin)..., et
lorsque le vainqueur,... après avoir jugé qu’il était avantageux pour lui de reconnaître un autre
dieu, se servit des richesses des temples pour bâtir la ville à laquelle il consacra son zèle, mais
ne changea absolument rien au culte légal : la pauvreté régnait, il est vrai, dans les temples,
mais on pouvait y voir accomplir toutes les cérémonies du culte...
(Libanios, Pour les Temples (386), trad. R. Van Loy, Byzantion, VIII, 1933).
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Politique religieuse de Constance II et de Théodose Ier
Que cesse la superstition, que soit abolie la folie des sacrifices. Car quiconque osera
célébrer des sacrifices contre la loi du divin prince notre père et contre l’ordre présent de
Notre Mansuétude sera passible du châtiment approprié et de la sentence immédiate... (341).
Bien que toute superstition doive être complètement extirpée, nous voulons cependant que les
temples qui sont situés hors les murs demeurent debout et intacts. Car certains d’entre eux ont
donné naissance à des jeux, des spectacles de cirque, des luttes sportives, et il ne convient pas
que soient détruits ceux grâce auxquels les plaisirs traditionnels sont dispensés régulièrement
au peuple romain... (342).
Il a paru bon que les temples soient entièrement fermés dans tous les lieux et toutes les
villes, et que, leur accès étant interdit à tous, le droit d’y contrevenir soit refusé aux hommes
perdus. Car nous voulons que tout le monde s’abstienne de sacrifices. Si quelqu’un perpétrait
un crime de cette nature, il serait terrassé par le glaive vengeur. Nous décidons en outre que
les biens du condamné seraient revendiqués par le fisc... (356).
Credo (profession de foi) de l’Eglise orthodoxe catholique, dit le Credo de Nicée (325) –
Constantinople (381) (qui précise le dogme de la Trinité)
* + et du Fils = ajout spécifique de l’Eglise d’Occident, dit le Filioque (selon la forme latine
du Credo), élaboré au VIIe siècle en Espagne, adopté par les théologiens carolingiens au VIIIe
siècle et validé progressivement par la papauté entre le pontificat de Nicolas Ier (858-867) et le
sacre impérial de Henri II à Rome (1014).
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Premier concile œcuménique, Nicée I, 325
Suivant en tout les décrets des Saints Pères, et reconnaissant le canon des cent
cinquante évêques qui vient d’être lu, nous prenons et votons les mêmes décisions au sujet des
privilèges de la très sainte église de Constantinople, la nouvelle Rome. Les Pères en effet
ont accordé justement au siège de l’ancienne Rome ses privilèges, parce que cette ville est la
ville impériale. Pour le même motif, les cent cinquante très pieux évêques ont accordé des
privilèges égaux au très saint siège de la nouvelle Rome, jugeant avec raison que la ville qui
est honorée de la présence de l’Empereur et du Sénat, et qui jouit des mêmes privilèges que
l’ancienne ville impériale Rome, est, comme celle-ci, grande dans les affaires ecclésiastiques,
étant la seconde après elle ;
En sorte que les seuls métropolitains des diocèses du Pont, de l’Asie et de la Thrace, et
les évêques des parties de ces diocèses situées dans les régions barbares, seront ordonnés par
le très saint siège de la très sainte église de Constantinople ; bien entendu, chaque métropoli-
tain des diocèses susdites ordonne, avec les évêques de la province, les évêques de celle-ci,
comme prescrit par les divins canons ; mais, comme on l’a dit, les métropolitains des susdits
diocèses sont ordonnés par l’archevêque de Constantinople, après élection concordante faite
selon la coutume et notifiée à ce dernier.
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Honorius en Occident Arcadius en Orient
(395-423) (395-408)
Division de l’Empire romain à la mort de Théodose Ier, 379–392, empereur de l’Orient, 392–
395, empereur de tout l’Empire)
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Session 2 L’Affirmation de l’Empire byzantin
Les plus grandes bénédictions dont jouisse le genre humain sont les dons que Dieu lui
a garantis d’En-Haut, le sacerdoce et l’autorité impériale. Le clergé a pour domaine les
affaires divines, tandis que l’autorité impériale est préposée et en charge des choses humaines;
mais l’un et l’autre procèdent d’une seule et même source, et concourent ensemble à embellir
la vie humaine. Par conséquent, rien ne devra tenir plus à cœur à l’empereur que la dignité et
la tenue morale du clergé...
Car, si le clergé échappe en tout à la critique et se montre plein de foi envers Dieu,
tandis que l’autorité impériale illustre justement et dûment les affaires publiques qui lui sont
confiées, il s’ensuivra une heureuse concorde qui entraînera, pour l’humanité, toutes les
bénédictions.
(Justinien, Novelle 6, dans E. Baker, Social and Political Thought in Byzantium, p. 75).
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tous les peuples. Si grande est à notre égard la sollicitude du Dieu d’humanité que son aide...
ne nous fait jamais défaut.
Après que les guerres contre les Perses se sont éteintes dans une paix éternelle, après que
la race des Vandales a été éliminée et que Carthage... a été à nouveau rattachée à l’Empire
romain, Dieu a permis que les lois du passé, alourdies par les années, retrouvent grâce à notre
vigilance une nouvelle beauté et de plus justes proportions, chose que personne avant nous
n’avait jamais conçu et dont on pensait qu’elle excédait les possibilités humaines. Il était en
effet prodigieux de rassembler toute la jurisprudence romaine depuis la fondation de Rome
jusqu’à nos jours..., viciée par des contradictions internes, même dans les constitutions
impériales, et de la ramener à l’unité...
Nous avons confié l’ensemble de la tâche au très noble Tribonien, maître des offices, ex-
questeur de notre Sacré Palais et ex-consul... Déjà les constitutions impériales avaient été
rassemblées en douze livres dans le Code qui s’honore de notre nom ; abordant ensuite le gros
de la tâche, nous avons pris les savants ouvrages de jurisprudence de l’Antiquité, déjà
dispersés et presque perdus, et avons confié au même Tribonien le soin de les recueillir et de
les livrer sous la forme appropriée... Il était nécessaire de lire et d’examiner complètement
pour y choisir ce qui s’y trouvait de mieux... qui fut ramassé en cinquante livres et toutes les
ambiguïtés furent résolues sans équivoque. Nous avons donné aux livres le nom de Digestes
ou Pandectes...
Que personne, ni ceux qui aujourd’hui ont l’expérience du Droit, ni ceux qui l’auront à
l’avenir, n’ose adjoindre à ces lois des commentaires ; sauf si l’on veut traduire par des mots
grecs, dans l’ordre même qui est celui des mots latins...
Digestes, éd. Th. MOMMSEN, P. KRÜGER, W. KUNKEL, Berlin 1954, pp. 441-448.
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3. La construction de Sainte-Sophie
Sainte Sophie
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Les invasions slave dans la péninsule balkanique et lombarde dans la péninsule italienne
(fin VIe – VIIe siècle)
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4. Fin de la guerre perso-romaine et restitution de la Croix à Jérusalem par
l’empereur Héraclius
Notice sur la vénérable Croix de Vie, comment elle fut rapportée de Babylone à Jérusalem,
par Antiochos Stratègios, un moine du monastère de Mar Saba en Palestine.
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Séance 3. Les débuts de l’Islam
qk
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L’Arabie préislamique et ses voisins
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TABLEAU CHRONOLOGIQUE
680 Victoire de Yazîd à Karbala (Irak) contre Husayn, fils cadet d’Ali et Fatima
21
687 écrasement de la révolte chiite en Irak
Les conquêtes
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732 bataille de Poitiers (Tours)
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1. La lettre de Muhammad à l’empereur Héraclius, c. 630
De Muhammad, Serviteur de Dieu et Son Envoyé, à Héraclius, grand chef des Romains
(Rûm):
Paix à qui suit la vraie voie! J’ajoute que je t’appelle de tout l’appel de l’Islam: embrasse
l’Islam et tu seras sauf; embrasse l’Islam et Dieu te dispensera double mérite. Mais si tu te
dérobes, le crime des paysans retombera sur toi. Et [vous], o gens de l’Ecriture Sainte, venez
vers une parole qui est la même pour nous et pour vous: que nous n’adorions que Dieu, que
nous ne Lui associions quoi que ce soit et que, parmi nous, les uns ne prennent point les
autres comme Maîtres en dehors de Dieu. Si donc ils se dérobent, vous direz: Soyez témoins
que nous sommes des Musulmans (littéralement: des soumis à Dieu).
Alors que nous étions assis chez le Prophète, un homme nous apparut. Ses vêtements étaient
d’une blancheur remarquable et ses cheveux très noirs. Rien dans sa tenue ne laissait voir des
traces de voyage et personne ne le connaissait.
Il s’assit face au Prophète, genoux contre genoux, posa les paumes de ses mains sur ses
cuisses et dit : « O Mohammed, qu’est-ce que l’Islam ? » et le Prophète répondit : « C’est
que tu témoignes qu’il n’y a pas d’autre divinité qu’Allah, et que Mohammed est son
prophète, que tu accomplisses les prières, que tu fasse l’aumône, que tu jeûne les mois de
Ramadan et que tu fasses le pèlerinage au Sanctuaire d’Allah si tu en as les moyens. »
L’homme répondit : « Tu as dit vrai. »
Nous nous étonnâmes alors de cet homme qui posait des questions au Prophète. Il demanda
ensuite « Qu’est-ce que la Foi (iman) ? » Le Prophète répondit : « Que tu crois en Allah, en
Ses Anges, en Ses Livres, en Ses Messagers, dans le jour du Jugement dernier et dans le
Destin, bon ou mauvais. »
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Après ces paroles, l’étranger partit. Après un moment, le Prophète dit : « Ô Omar ! L’avez-
vous reconnu ? » Nous répondîmes : « Allah et Son Prophète savent mieux que nous. » Alors
le Prophète dit : « C’est Gabriel : il est venu vous enseigner votre religion. »
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Quant à moi, je n’y consens pas. Je vais faire venir de la Mecque une armée si nombreuse,
que les gens en seront épouvantés. Je ne veux pas que le commandement soit à d’autres
qu’aux Benî-Omayya. ‘Ali répliqua : « Il y a longtemps que tu es l’ennemi de l’islam; on n’a
jamais vu de toi que du mal ». Lorsque Abou-Bakr fut informé du propos d’Abou-Sofyân et
de son refus de prêter serment, il fit immédiatement appeler le fils aîné d’Abou-Sofyân,
Yezîd, et lui conféra le gouvernement de la Syrie et des contrées [voisines] qui étaient sous la
loi de l’islamisme. Apprenant cette nomination de son fils, Abou-Sofyân vint le soir même et
prêta serment. Le corps du Prophète, couvert d’un manteau, gisait abandonné dans sa maison
: tous étant occupés de l’affaire de l’élection, personne ne songeait à la lotion funéraire, ni à
son enterrement.
Le lendemain matin, ‘Omar conduisit Abou-Bakr à la mosquée, en lui disant : Il y a
encore beaucoup de personnes qui n’ont pas prêté serment ; il faut que tous aient accompli
cet acte. Le peuple s’assembla dans la mosquée, Abou-Bakr s’assit dans la chaire, et ‘Omar,
se tenant au-dessous de la chaire, prit le premier la parole en ces termes : « Musulmans,
rendez grâces à Dieu de ce qu’il a fait tomber vos suffrages sur le meilleur d’entre vous, sur
Abou-Bakr, le compagnon du Prophète, celui qui a été avec lui dans la caverne et qui a
accompli avec lui la Fuite. Que tous ceux qui ne lui ont pas encore rendu hommage le fassent
aujourd’hui. Ceux qui n’avaient pas prêté le serment la veille le prêtèrent ce jour-là, qui est
appelé la Journée du serment du peuple ». Ensuite Abou-Bakr prononça l’allocution suivante
: « Musulmans, je n’ai accepté le pouvoir que pour empêcher qu’il y eût dissension, lutte et
effusion du sang. Je suis aujourd’hui comme hier l’égal de vous tous; je peux faire le bien ou
le mal. Si j’agis bien, rendez grâces à Dieu; mais si j’agis mal, redressez-moi et avertissez-
moi. Tant que j’obéirai à Dieu, obéissez-moi ; si je m’écarte des ordres de Dieu, cessez de
m’obéir, vous serez dégagés du serment que vous m’avez prêté. Maintenant allez et occupez-
vous du Prophète, qui est mort; nous allons lui rendre nos devoirs, le laver, prier sur lui et
l’enterrer ». Ensuite Abou-Bakr descendit de la chaire et entra dans la maison du Prophète,
pour le faire laver et enterrer.
Coran, sourate 17 Les Fils d’Israël, verset 1, trad. Alfred-Louis de Prémare, Les fondations de l’islam.
Entre écriture et histoire, Paris, 2002, p. 421.
Gloire à celui qui fit voyager de nuit son serviteur du sanctuaire sacré au sanctuaire le plus
éloigné dont Nous avons béni le pourtour, afin de lui faire voir nos signes. Il est Celui qui
entend et qui voit.
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2. Une des premières mentions chrétiennes des Arabo-musulmans
Nous cependant, à cause de nos innombrables péchés et de nos très graves erreurs, nous
sommes devenus indignes de contempler ces choses. Il nous est interdit d’aller [à
Bethléem…], c’est par la terreur des Saracènes que nous sommes arrêtés. […] C’est
pourquoi, si nous accomplissons la paternelle volonté [du Christ], si nous tenons fermement
la foi vraie et orthodoxe, nous écarterons facilement le glaive des Ismaélites, nous
détournerons de nous l’arme des Saracènes, nous briserons l’arc des Agarènes, et nous
pourrons, après un temps qui ne sera pas long à venir, contempler la divine Bethléem et en
considérer les choses admirables.
Année du Christ 627 [637-638]. En cette année, Omar fit une expédition en Palestine et,
ayant assiégé la ville sainte durant deux ans, il en prit possession à la suite d’un traité.
Sophronios, évêque de Jérusalem, avait reçu sa parole assurant la sauvegarde de toute la
Palestine. Omar entra donc dans la ville sainte, habillé de vêtements sales et déchirés en poil
de chameau. Faisant montre d’une hypocrisie diabolique, il demanda de voir le Temple des
juifs, celui construit par Salomon, et qu’en soit fait un oratoire pour son impiété. Voyant cela,
Sophronios dit : « C’est vraiment l’abomination de la désolation annoncée par le prophète
Daniel et qui s’installe dans un lieu saint ! »
Balâdhuri (mort vers 892), Conquête des pays, ibid., p. 411 (trad. légèrement modifiée).
Après avoir conquis Qinnasrîn et ses alentours en l’an 16 [637], Abû-Ubayda rejoignit Amr
Ibn al-As qui était en train de faire la siège d’Aelia qui est Jérusalem. On dit qu’Abû-Ubayda
envoya Amr Ibn al-As d’Aelia à Antioche, dont les habitants avaient trahi, pour la
reconquérir, puis que Amr revint et resta là deux ou trois jours. Puis la population d’Aelia
demanda à Abû-Ubayda la sauvegarde et la paix aux mêmes conditions que les habitants des
autres villes de Syrie-Palestine (Shâm) : paiement du tribut de capitation (jizya) et de l’impôt
foncier (kharâj), ainsi qu’acceptation de ce que les autres villes de Syrie-Palestine avaient
accepté, à la condition que ce soit Omar Ibn al-Khattâb lui-même qui vienne conclure l’acte.
Abû-Ubayda écrivit dont à Omar pour lui faire part de cela. Omar arriva et demeura à Jâbiya
venant de Damas, puis il alla à Aelia. Il décida de la paix et leur en donna un rescrit. La
conquête d’Aelia eut lieu en l’an 17 [638]
27
7. Plan de Jérusalem au XXe siècle
28
Dossier 2 : la mosquée des Omeyyades à Damas
29
La cour de la Grande mosquée en 1862 (photographie de Francis Bedford)
Armée arabe en apparat de guerre, selon le Maqamat Al-Hariri, splendide manuscrit arabe
illustré du XIIIe siècle (compendium d’histoires d’al-Hariri (1054-1122), illustré par Yahya
ibn Mahmud al-Wasiti. Paris, BNF, ms. arabe 5847)
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Séance 4. La reprise byzantine
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
Vie politique Vie administrative,
Vie culturelle et religieuse
Relations extérieures économique, sociale
565 : mort de Justinien
553 : cinquième concile
560-570 : début des invasions
œcuménique
slaves
VIIe siècle : apparition du
610 : avènement d’Héraclius système fiscal villageois
626 : siège de Constantinople
par les Avars et les Perses
636 : défaite des armées
byzantines face aux Arabes à
l’Yarmouk 638 : Ekthèsis d’Héraclius
667 : première mention du
système des thèmes
680-681 : sixième concile
œcuménique
674 - 678 : siège de (Constantinople), condamne
Constantinople par les Arabes le monothélisme
717-802 : l’empereur Léon
III (717-741) prend le
pouvoir et fonde la dynastie
Isaurienne
31
Vie politique Vie sociale Vie religieuse
32
1043 : échec de la reconquête
byzantine de Sicile
1045 : annexion de l’Arménie
1054 : « schisme » entre
l’Eglise de Rome (pape Léon
IX) et l’Eglise de
1071 : prise de Bari par les 1052 : premier document sur Constantinople (patriarche
Normands papier conservé Michel Cérulaire)
1071 : victoire turque
seldjoukide (sultan Alp 1068 : début de la dévaluation
Arslan) à Mantzikiert sur catastrophique du 1078 : mort du philosophe et
Romain IV Diogènes nomisma historien Michel Psellos
1074 : appel de Grégoire VII
en faveur de l’Orient
1074 : tentative échouée
d’alliance entre les Normands
d’Italie et l’Empire byzantin
(Michel VII Doukas)
1081-1185 : avènement
d’Alexis 1er, fondateur de la
dynastie des Comnènes
1090-1091 : attaques des 1082 : condamnation du
Pétchenègues dans les philosophe Jean Italos
Balkans, les Turcs occupent
presque toute l’Anatolie
1082 : traité avec Venise
1094-1095 : appel à l’aide
d’Alexios 1er au pape Urbain
II
1095 : concile de Clermont,
appel du pape à l’aide des
chrétiens d’Orient
1095-1099 : première croisade
33
4. L’empereur est soumis à l’obligation de défendre et de maintenir d’abord
toutes les prescriptions de la Sainte Ecriture, ensuite les décisions prises par les sept
saints conciles et également les lois romaïques reconnues.
5. L’empereur doit exceller en orthodoxie et en piété ; il doit être éclatant dans
son zèle pour Dieu, aussi bien en ce qui concerne les dogmes relatifs à la Trinité qu’en
ce qui concerne les décrets sur l’économie selon la chair de notre Seigneur Jésus-
Christ : la consubstantialité de la divinité en trois personnes et l’union hypostatique
des deux natures dans la personne unique du Christ (…).
6. L’empereur doit interpréter les lois édictées par les Anciens, et, d’après elles,
trancher lorsqu’il n’existe pas de loi.
7. Dans l’interprétation des lois, il doit tenir compte des coutumes de la ville.
Ce qui a été introduit (dans la législation) de contraire aux canons ne peut être admis
comme modèle.
8. C’est dans l’amour du bien que l’empereur doit interpréter les lois. (…).
1. Le patriarche est une image vivante et animée du Christ qui, par ses actes et
ses paroles, exprime la vérité.
2. Le but du patriarche est d’abord de conserver dans la piété et la sainteté ceux
qu’il a reçus de Dieu, ensuite de ramener autant qu’il lui est possible à l’orthodoxie
tous les hérétiques et de les réunir à l’Église – les lois et les canons appellent
hérétiques ceux qui ne sont pas en communion avec l’Église catholique –, et aussi
d’amener les incroyants à imiter ceux qui ont la foi par l’exemple frappant de ses
actions éclatantes, remarquables et admirables. Titre
3. La fonction du patriarche est de sauver les âmes qui lui ont été confiées, de
vivre pour le Christ et d’être crucifié au monde.
4. Le propre du patriarche est d’enseigner, de traiter sans restrictions tous les
hommes, les puissants comme les humbles, sur un pied d’égalité, d’être bienveillant
quand il juge, mais de se montrer ferme envers les endurcis, de s’exprimer sans peur
devant l’empereur lorsqu’il s’agit de la vérité et de la défense des dogmes.
5. Ce que les Anciens ont érigé en règle, ce que les saints Pères ont décrété et
ce que les saints conciles ont exposé, le patriarche est le seul à pouvoir interpréter.
6. Ce que les Pères d’autrefois, en synode ou dans leur province ont décidé et
arrangé occasionnellement ou généralement, doit être soumis à l’examen du
patriarche.
7. Les canons antérieurs sont comparés à ceux qui ont été pris postérieurement
et ont validité (après comparaison), pour les mêmes personnes, s’entend, et pour les
mêmes cas.
8. La politeia étant constituée de membres et de parties comme l’homme,
les plus grandes et les plus nécessaires sont l’empereur et le patriarche. C’est
pourquoi la paix et le bonheur des sujets, selon l’âme et selon le corps, résident
dans la bonne entente et l’accord en tout point entre l’empereur et le patriarche.1
9. Le siège (patriarcal) de Constantinople étant illustré par (la présence de)
l’empereur, il a été déclaré premier par décision des saints conciles. En s’y
conformant, les lois sacrées prescrivent que les cas litigieux relevant des autres sièges
(patriarcaux) soient portés à sa connaissance et soumis à son jugement.
1
Voir l’extrait de Justinien, Novelle 6, sur la symphonie byzantine.
34
10. Le soin de veiller sur toutes les métropoles, tous les évêchés, les
monastères et les Églises, ainsi que la charge de les juger, condamner ou absoudre,
appartient au patriarche dont chacun relève. Mais il est concédé au « proèdre » de
Constantinople d’exercer dans le ressort des autres patriarcats, là où il n’y a pas eu
consécration antérieure d’église, le droit de stauropégia, ainsi que de connaître des cas
litigieux survenus dans les autres sièges, de rectifier les jugements et d’en imposer
l’exécution.
11. Le soin de toutes les affaires spirituelles incombe au patriarche, et il est
délégué à ceux auxquels lui-même décide de le déléguer. De même le patriarche est
seul arbitre et juge pour le repentir et l’abjuration des fautes et des hérésies, avec ceux
auxquels il délègue lui-même ce pouvoir. Dans les métropoles et les évêchés, la même
hiérarchie et les mêmes pouvoirs sont reconnus aux métropolites et aux évêques.
J. Zepos, P. Zepos, Jus Graeco-Romanum..., p. 240-243, trad. fr. G. Dagron, « L’Église et l’État
(milieu IXe-fin Xe siècle) », dans Histoire du Christianisme des origines à nos jours, t. IV, Evêques, moines et
empereurs (610-1054), Paris, 1993, p. 204-206.
2. Le couronnement impérial
Tous arrivent avec leurs habits de parade. Tout le sénat, les dignitaires des scholes et
des autres tagmes s’habillent et prennent d’avance les insignes pour escorter les souverains.
Lorsque tout est prêt, l’empereur sort de l’Augusteus portant son scaramange et le sagion de
pourpre, escorté du personnel de la chambre et s’en va jusqu’à l’Onopodion. A l’Onopodion a
lieu la première réception des patrices. Le maître des cérémonies dit : « S’il vous plait » et ils
acclament : « Pour de nombreuses et bonnes années. » Ils descendent jusqu’au grand
Consistoire où les consuls et les autres membres du sénat forment consistoire. Les souverains
se tiennent debout sous le baldaquin et tous les membres du sénat tombent à terre avec les
patrices. Lorsqu’ils se sont relevés, les souverains font un signe au préposite et le silentiaire
dit : « S’il vous plaît » et ils acclament : « Nombreuses et bonnes années. » Ils s’en vont à
l’Église [Sainte-Sophie] par les Scholes, et les factions, en habits de parade, se tiennent à leur
place en faisant seulement des signes de croix.
Lorsque l’empereur est entré à l’Horloge, on lève la portière ; il entre dans le mitatorion,
revêt le divitision et le tzitzakion, met par-dessus le sagion2 et entre avec le patriarche. Il
allume des cierges aux portes d’argent, pénètre dans la nef et s’en va sur la soléa ; il prie
devant les saintes portes après avoir allumé des cierges et monte à l’ambon avec le patriarche.
Le patriarche fait la prière sur la chlamyde et lorsqu’il a achevé la prière, le personnel de la
chambre prend la chlamyde et en revêt le souverain. Ensuite, le patriarche fait la prière sur la
couronne du souverain et, ayant achevé, le patriarche en personne prend la couronne et la
place sur la tête du souverain. Aussitôt le peuple lance par trois fois l’acclamation : « Saint,
Saint, Saint, Gloire à Dieu dans les hauteurs et paix sur terre. » Puis: « Nombreuses années à
un tel, grand empereur et autocrator » et la suite. Ceint de la couronne, il descend et s’en va
dans le mitatorion, s’assoit sur son fauteuil3 et les dignitaires entrent, tombant à terre et
baisant ses deux genoux.
2
Peut-être mieux : revêt le divitision et le tzitzakion par-dessus le sagion. L’empereur est arrivé portant le
sagion. Il est probable qu’il n’enlevait pas ce vêtement pour le reprendre après avoir mis le divitision et le
tzitzakion, ce dernier n’étant on usage que lorsque l’empereur n’avait pas la chlamyde.
3
Le sellion à la différence du thronos est un fauteuil spécial, sorte de trône portatif.
35
Constantin VII Porphyrogénète, Le livre des cérémonies, texte établi et traduit par Albert
Vogt, Paris : Les Belles lettres, 1935-1940, tome II, p. 1-5, 84-85.
1. A ceux qui viennent d’obtenir l’empire, il semble qu’il suffise, pour asseoir
solidement leur pouvoir, que le parti civil5 les salue de ses acclamations. Vivant, en effet, en
contact étroit avec ces gens, ils croient, si ce qui leur en vient est favorable, qu’ils sont
affermis dans le pouvoir d’une manière indestructible : aussi, en même temps qu’ils
s’emparent du sceptre, les autorisent-ils à parler et à venir en leur présence ; et quand ceux-ci
ont tout de suite bondi de joie, proféré des paroles flagorneuses et fait quelques discours niais,
les voilà qui, comme s’ils avaient une aide divine, se passent d’un autre soutien. Alors que
leur sécurité repose sur ces trois fondements, le peuple, le sénat et l’armée, le troisième
est le moindre de leurs soucis, mais c’est aux autres que sur-le-champ ils distribuent les
faveurs impériales.
Michel Psellos, Chronographie ou Histoire d’un siècle de Byzance (976-1077), texte établi et trad.
par E. Renauld, Paris : Belles Lettres, 1926, vol. II, p. 82-85. (fragm.)
4
Pour résoudre la crise dynastique, Michel VI avait été adopté par l’impératrice Théodora, avec le soutien du
patriarche Michel Cérulaire.
5
A savoir, la cour, le sénat et les fonctionnaires civils, par opposition au parti militaire.
36
L’Empire romain d’Orient à son apogée, à la mort de Basile II
37
4. Rus’ de Kiev : la conversion du prince Vladimir et du peuple Rus’
(…) [Vladimir restitue Kherson aux Byzantins, retourne à Kiev et détruit le temple et
profane la statue du dieu païen slave Péroun, la jetant dans le Dniéper…]
Ensuite Vladimir fit répandre l’annonce suivante par toute la ville : « Quiconque demain,
riche ou pauvre, misérable ou artisan, ne viendra pas au fleuve pour se faire baptiser tombera
en disgrâce auprès de moi. » Entendant ces paroles le peuple vint avec joie, se réjouissant et
disant : « Si cette religion n’était pas banne, le prince et les boyards ne l’auraient pas reçue. »
Le lendemain Vladimir vint avec les prêtres de la princesse et ceux de Kherson sur le bord du
Dniéper, et un peuple innombrable se rassembla, et entra dans l’eau : les uns en avaient
jusqu’au cou, les autres jusqu’à la poitrine ; les plus jeunes étaient sur le rivage, les hommes
tenaient leurs enfants, les adultes étaient tout à fait dans l’eau, et les prêtres debout disaient les
prières. Et c’était une joie dans le ciel et sur la terre de voir tant d’âmes sauvées… Quand le
peuple fut baptisé, ils retournèrent chacun à leur maison.
38
Vladimir se réjouit de ce qu’il avait connu Dieu, lui et son peuple, leva les yeux au ciel et
dit : « Dieu, créateur du ciel et de la terre, regarde ce peuple nouveau, et donne-lui de te
reconnaître comme le vrai Dieu, ainsi qu’ont fait les pays chrétiens. Fortifie en lui la vraie foi,
rends-la inébranlable ; suis-moi en aide contre l’ennemi : puissé-je, confiant en toi et en ton
royaume, triompher de sa malice. » Il dit cela et ordonna de bâtir des églises et de les établir
aux endroits mêmes où se trouvaient les idoles; Il bâtit l’église de Saint-Basile sur l’éminence
où se trouvait l’idole de Péroun et d’autres, et où le prince et le peuple leur faisaient des
sacrifices. Il ordonna d’établir dans les villes des églises et des prêtres, et d’inviter tout le
peuple à se faire baptiser dans toutes les villes et dans tous les villages ; puis il envoya
chercher les enfants des familles les plus élevées, et les fit instruire dans les livres…
Grâce à la foi de notre prince Vladimir…, le filet a été rompu et nous avons échappé aux
ruses du diable; et sa gloire a péri bruyamment, et le Seigneur dure loué par les fils de la Rus’
qui célèbrent la Trinité, et les démons sont maudits par les hommes fidèles et les femmes
pieuses qui ont reçu le baptême et la pénitence pour la rémission des péchés, par le nouveau
peuple chrétien élu de Dieu.
Chronique dite de Nestor, trad. sur le texte slavon-russe avec introd. et comm. critique par L.
Léger, Paris, 1884, p. 88-92, 96-101.
Le grand prince Vladimir et ses fils Boris et Gleb, considérés saints par l’Eglise orthodoxe
(icône de l’église Sainte Sophie de Novgorod, 15e siècle)
39
Séance 5 Les califats (VIIIe-Xe siècle)
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
40
L’Empire abbasside à son apogée, sous le règne de Haroun al-Rachid (786-809) et ses fils
Contexte : Après une grande invasion dans l’Empire byzantin en 782, arrivant
jusqu’en face de Constantinople, mais sans flotte pour l’assiéger, le prince héritier Haroun,
fils du troisième calife abbasside al-Mahdi, imposa à l’impératrice Irène un lourd tribut,
versé comme capitation (jizya) par laquelle les Byzantins se reconnaissaient, selon le droit
musulman, sujets du Califat. S’émancipant de l’autorité de sa mère, Constantin VI tenta de
rompre les termes de cet armistice défavorable, provoquant la riposte dure de Haroun,
devenu entre temps calife lui-même (al-Rachid), que nous reproduisons plus bas. Après cet
ultimatum, l’impératrice Irène renverse son fils imprudent et restaure en 798 les termes du
premier armistice. En 806 le calife Haroun al-Rachid déclenche une nouvelle expédition
contre l’Empire byzantin – avec les plus grands effectifs militaires jamais mobilisés par les
Abbassides – mais la résistance active de l’empereur Nicéphore 1er (802-811), bat en brèche
cette dernière tentative califale d’envergure contre les Rhômées.
41
Du serviteur de Dieu, Hârûn, Prince des Croyants, à Constantin, grand (souverain) des
Romains (Rûm).
11. [Au Prince des Croyants] lui sont parvenus votre insolence envers Dieu en reniant son
parti, votre mépris pour son droit en mésestimant sa protection (dimma)…. Or, vous savez
que les alliances des pactes et les voeux des serments sont ce que Dieu a établi comme une
chose sacrée (haram) au milieu de ses créatures et une protection (amânan) qu’il a répandue
sur ses serviteurs, pour que leurs âmes se reposent sur elle et que leurs coeurs soient apaisés
par elle, pour qu’ils agissent entre eux selon elle, et, qu’ils établissent sur elle leur vie
terrestre et religieuse. Il n’y a pas un roi, ni une nation qui viole ce qui est interdit par Dieu,
par dédain et insolence envers lui, sans que Dieu lui inflige un revers de la part des états
ennemis et fasse descendre sur lui un châtiment du ciel. (…).
13. Parmi les moyens par lesquels Dieu veut se venger de vous, il y a la décision du
Prince des Croyants et sa détermination, la volonté, l’intention et le dessein que Dieu a
projetés dans son cœur, d’occuper votre pays par les armées, de ravager votre territoire par
les combattants, de se libérer pour vous de toute autre occupation et de préférer à toute autre
action le combat (jihad) contre vous, afin que vous croyiez en Dieu, que vous le vouliez ou
non, ou que vous payiez la capitation (jizya) manuellement, en étant avilis (S. IX, V. 29).
Soyez dans la promesse de la capitation, et dans l’assurance que vous n’avez pas – si Dieu le
veut – la possibilité, si Dieu le permet, la résistance, pour y échapper. Les troupes du Prince
des Croyants sont libres et nombreuses, ses trésors pleins et abondants, son âme est
généreuse pour dépenser et sa main libre pour donner. Les musulmans pleins d’ardeur, se
retournent contre vous et Dieu les a accoutumés à vous rencontrer. Ils espèrent, dans l’attente
d’une rencontre semblable, vous infliger, en vous combattant, une épreuve plus grave que ses
semblables, si Dieu le veut.
14. La lettre du Prince des Croyants est un messager devant ses soldats et celui qui
précède ses armées. A moins que vous ne payiez la capitation à laquelle t’invite le Prince des
Croyants et vers laquelle il te pousse, toi et les tiens, par pitié pour les faibles, dont tu n’as
pas pitié, par compassion pour les pauvres, à la déportation, le rapt, la mort, la captivité, la
pauvreté et l’oppression desquels tu ne compatis pas (…)
17. (…). Mais aujourd’hui, alors que lui sont apparus votre trahison, votre violation, votre
rupture, votre mépris pour votre religion et votre insolence envers votre Seigneur, il n’y a
plus, entre le Prince des Croyants et vous, que l’Islam ou la guerre déclarée, si Dieu le veut.
(…). Que la paix soit sur celui qui suit la bonne direction ! (S. XX, V. 49).
Lettre du calife Hārūn al-Rašīd à l’empereur Constantin VI, [réd. par Muhammad b. al-
Layt]; texte présenté, commenté et trad. par Hadi Eid ; préf. de Gérard Troupeau, Paris, 1992.
42
2. Un rappel des fondamentaux : les devoirs du calife dans un temps de crises
Al-Mawardî (m. 1058), juriste au service des califes abbasides, rédige son ouvrage à une
époque où les émirs bouyides shiites (qui ont mis les califes sous leur tutelle depuis 945)
connaissent un certain déclin. C’est une tentative - soutenue par al-Mawardî - de redressement
du pouvoir califal et de restauration du sunnisme.
Maintenir la religion selon les principes fixés et ce qu’a établi l’accord des plus
anciens musulmans (...)
Exécuter les décisions rendues entre plaideurs et mettre fin aux procès des litigeux, de
façon à faire partout régner la justice et à ce qu’il n’y ait ainsi ni méfait de l’oppresseur, ni
écrasement de l’opprimé.
Protéger les pays d’Islam et en respecter les abords, pour que la population puisse
gagner son pain et faire librement les déplacements qui lui sont nécessaires sans exposer ni sa
vie ni ses biens.
Appliquer les peines légales pour mettre les prohibitions édictées par Allâh à l’abri de
toute atteinte et empêcher que les droits de ses serviteurs ne soient violés ou anéantis.
Approvisionner les places frontières et y mettre des garnisons suffisantes pour que
l’ennemi ne puisse, profitant d’une négligence, y commettre de méfait ou verser le sang soit
d’un musulman, soit d’un allié.
Combattre ceux qui, après y avoir été invités, se refusent à embrasser l’Islam, jusqu’à
ce qu’ils se convertissent ou deviennent tributaires, à cette fin d’établir les droits d’Allâh en
leur donnant la supériorité sur toute autre religion.
Prélever le butin et les dîmes conformément au texte des prescriptions sacrées et à leur
consciencieuse interprétation, et cela sans crainte ni injustice.
Déterminer les traitements et les charges d(i Trésor sans prodigalité ni parcimonie, et
en opérer le paiement au temps voulu sans avance ni retard.’
Rechercher des gens de confiance et nommer des hommes loyaux au double point de
vue des postes dont il les investit et des sommes dont il leur remet le soin (...)
S’occuper personnellement de la surveillance des affaires (...) sans trop se fier à des
délégations d’autorité grâce auxquelles il pourrait se livrer lui- même aux plaisirs ou à la
dévotion, car un homme de confiance n’est pas toujours sûr, un conseiller sincère peut devenir
fourbe.
AL-MAWARDÎ, Les Statuts gouvernementaux, trad. FAGNAN, E., Alger 1915, p. 30-33.
3. L’expansion du Califat fatimide, selon une Généalogie des imâms fâtimides, présentée
comme une prophétie post-factum attribuée à Alî
43
à leur capitale, enchaîné, souffrant tortures et douleur. Il échappera cependant après avoir, en
apparence, subi la mort.
Le Dixième naîtra en 199. Et quand le Dixième de mes descendants se lèvera, il
émigrera au Maghreb, où il construira une ville appelée de son nom (Mahdia). Il y trouvera
beaucoup d’ennemis et il y sera le « Soleil Levant ». Il sera celui par qui Dieu conquerra le
Maghreb.
Le Onzième épousera la fille de son oncle paternel et le Douzième une des esclaves
de son père, une Grecque. Le Treizième soumettra Tunis, Fès et Sidjilmâsa. Il laissera pour
successeur le Quatorzième. Ce dernier aura plusieurs frères qui revendiqueront ce que Dieu
lui a laissé et chacun se proclamera imâm en même Temps. Mais il l’emportera et établira
fermement son autorité, constituera une grande armée et manifestera ses aspirations. Il fera
marcher son armée et ses avant- gardes pénétreront en Égypte et dans ses dépendances. Il
conquerra l’Égypte avec l’aide de son esclave dévoué - malheur alors aux terres syriennes !
W. Ivanow, Ismaili Traditions concerning the Rise of the Fâtimides, Oxford 1942, p. 305.
Ce document, élaboré au début du XIe s. dans les milieux fâtimides, est un texte de propagande, qui
prend la forme absconse d’une prophétie attribuée à Alî, le gendre du Prophète. Elle raconte post-
factum (après le déroulement des évènements) la conquête par les Fâtimides de l’Ifriqiya (909), du
Maghreb, puis de l’Egypte en 969. Le califat fatimide dans le contexte méditerranéen :
44
Séance 6. Les Normands en Italie du Sud et en Sicile
535-553 reconquête de l’Italie par l’empereur Justinien face aux Ostrogoths : la Sicile
province byzantine
535 prise de Palerme par le général Bélisaire face au roi des Ostrogoths Théodat
826 Euphémius, amiral byzantin, gouverneur de la Sicile offre l’île à l’émir aghlabide de
Kairouan, Ziadeth-Allah Ier, gouverneur de l’Afrique du nord
838 révolte des musulmans qui font appel à l'empereur byzantin Romain Lécapène
909 dynastie des Fatimides chiites en Afrique en révolte contre les Abbassides de Bagdad
1037-1042 tentative de reconquête de la Sicile par les Grecs avec l'aide d'une faction
musulmane et de mercenaires normands
1266 conquête de la Sicile par Charles Ier, comte d’Anjou, frère de Saint Louis
30 mars 1282 Vêpres siciliennes : massacre des Français de Sicile
1282-1285 Conquête de la Sicile par Pierre III, roi d’Aragon (1275-1285), marié à Constance
de Sicile, fille de Manfred de Hohenstaufen
45
Les Normands d’Italie et la papauté de la réforme grégorienne
[Dans la bataille de Civitate (18 juin 1053), l’armée normande dirigée par le comte Onfroi de
Hauteville tailla en pièce une armée italo-lombardo-allemande, conduite par le pape Léon IX
lui-même, Gérard, duc de Lorraine et Rudolf de Bénévent].
L'issue de la bataille remplit le pape d’affliction; il se réfugia dans la ville (de Civitate)
en se lamentant profondément. Mais les citoyens, craignant de déplaire aux Normands
victorieux, le reçurent mal. Les Normands lui demandèrent respectueusement pardon, à
genoux, prosternés devant lui. Le pape les reçut avec bienveillance. Tous lui baisèrent les
pieds. Il les admonesta pieusement et les bénit. Et, déplorant amèrement qu'on eût dédaigné
leurs propositions de paix, il pria en pleurant pour ses frères morts.
La victoire augmenta beaucoup le courage des Normands. Aucune ville de la Pouille
ne leur resta plus rebelle.
Après avoir célébré les obsèques (de son frère Onfroi, comte des Normands d'Italie,
mort en 1057) selon les rites, Robert retourna en Calabre, et mit aussitôt le siège devant la
ville de Cariatï, pour terroriser les autres villes par sa prise. Mais, apprenant entretemps
l’arrivée du pape Nicolas II, il laissa au siège le gros de sa cavalerie, et se rendit à Melfi avec
une petite escorte.
Le pape fut reçu à Melfi avec de grands honneurs (23 août 1059). Il venait dans cette
région pour traiter des affaires ecclésiastiques. Car les prêtres, les diacres, tout le clergé s’y
mariaient ouvertement. Le pape y tint un concile et, avec l'approbation de cent prélats qu'il
avait convoqués au synode, il exhorta les prêtres et les ministres de l'autel à s'armer de
chasteté; il les nomma et leur ordonna d’être les époux de l'Eglise: car celui qui s’adonne à la
luxure n'est pas un véritable prêtre. Il extermina ainsi complètement de ce pays les épouses
des prêtres, et menaça d’anathème ceux qui désobéiraient. A la fin du synode, le pape, à la
demande de plusieurs, donna à Robert la dignité ducale. Seul parmi les comtes, il reçut le titre
de duc, et prêta serment de fidélité au pape, qui lui concéda toute la Calabre et la Pouille, et la
domination sur ses compatriotes en Italie. [Selon les termes du serment, Robert prit le titre de
Robertus Dei gratia et sancti Petri dux Apuliae et Calabriae et utroque subveniente futurus
Siciliae].
Le pape retourna à Rome; le duc, avec une nombreuse escorte de chevaliers, regagna
Cariati assiégée, où le gros de sa cavalerie, qu’il y avait laissé, était resté fidèlement.
46
Le couronnement ducal de Melfi, (G. Villani, Nuova Cronica, Bibl. du Vatican)
[A l’appel de Grégoire VII, assiégé par l’empereur Henri IV à Rome, Robert Guiscard
interrompit son expédition contre l’Empire byzantin commencée en 1081 et retourna en Italie
en 1084, à la rescousse du pape].
Au bout d'un an, Robert traversa la mer Adriatique avec deux bateaux et retourna en
Pouille, après avoir confié l’armée à son fils Bohémond et à Brienne.
Après avoir détruit Cannes, il se mit en route pour Rome, pour attaquer Henri, ennemi
du pape romain Grégoire, dont une foule de barbares assiégeaient la ville depuis deux ans (·) ;
540 ils avaient brisé avec des machines de jet les hauts remparts et démoli beaucoup de tours
de la ville invaincue. Ils avaient déjà soumis le quartier du Transtévère. Grégoire était retran-
ché dans une citadelle admirablement construite, très forte, et inexpugnable, qu'il avait munie
d'une garnison fidèle
Quand le roi Henri apprit que Robert faisait de tels préparatifs, et qu’il portait les
armes contre lui avec une si grande armée, il s'enfuit. L'audace du duc et sa valeur fameuse
dans le monde entier l’épouvantaient. N'osant l'attendre, il se retira en lieu sûr.
Robert se hâta de venir à Rome. Il perça de force les murs de l'illustre ville, avec l'aide
toutefois de quelques partisans de Grégoire. Ensuite, après avoir incendié quelques édifices, il
délivra violemment le pape du siège qu’il subissait depuis si longtemps, et le conduisit à
Salerne avec de grands honneurs. Les cupides Quirites (i.e. les Romains) cédèrent de
nouveau à Henri après le départ du duc. Henri leur avait donné pour pape Guibert de Ravenne
qui, s’insurgeant scélératement contre le saint père, osa usurper le siège apostolique et se fit
appeler Cément (III, anti-pape) par la plèbe. Le duc licencia à Salerne les troupes ramenées de
la ville de Romulus. Jamais il n'eut une armée égale à celle-là. Il avait conduit à Rome six
mille cavaliers et trente mille fantassins.
47
Une double victoire sur Alexis Comnène et sur Henri IV
Ainsi furent vaincus, en même temps, les deux maîtres de la terre, le roi d’Allemagne (Henri
IV) et le souverain de l’Empire Romain (Alexis Ier Comnène). L'un, courant aux armes, fut
vaincu par les armes. L'autre céda à la seule crainte de son nom.
En ce temps-là (25 mai 1085) mourut à Salerne le pape Grégoire, homme vénérable
que jamais personne ni l'amour de l'or ne fléchit. Il observa toujours une juste rigueur. Les
choses joyeuses ne pouvaient réjouir son cœur outre mesure, ni les choses tristes l'affliger.
Consolateur de l'affligé, voie de lumière, docteur d'honnêteté, il se servait des lois pour ré-
primer les superbes et protéger les humbles. Il fut la terreur des impies, le bouclier des justes,
et, répandant la semence du Verbe salutaire, il ne cessa jamais de rappeler le peuple fidèle
des vices aux mœurs par lesquelles on gagne le ciel.Sa vie fut toujours en accord avec sa
doctrine. Il ne fut pas instable, ni léger comme le roseau.
A la nouvelle de la mort de ce grand homme, le duc ne retint pas ses larmes. La mort
d'un père ne l'aurait pas fait pleurer davantage, ni la vue de son fils et de sa femme à leurs
derniers instants. Sa mort lui causait une grande douleur parce qu'un grand amour les avait
unis pendant sa vie. Jamais l'un ne se départit de l’amour de l’autre, après qu’ils eurent signé
ensemble un traité mutuel de paix.
Le pape, enterré dans l'église de saint Matthieu, illustre la ville par le trésor d'un tel
6
corps . C'est cette ville, fameuse par la translation de l'apôtre Matthieu, et dont le pape qui y
repose augmente encore les mérites, que le duc eût choisie entre toutes comme résidence s'il
avait vécu. Mais il ne lui fut pas donné de retourner après la mort du pape Grégoire dans
l’Italie qu'il avait quittée.
Qui aurait pu voir d'un œil sec les larmes du peuple présent? Qui aurait eu l'âme assez
dure, assez insensible pour ne pas compatir à l’affliction de tant d’hommes? Parmi tant de
larmes il reçut le corps et le sang du Jésus Christ, et, mourant, se dépouilla de la vie bien-
aimée. Ainsi l’esprit du robuste prince se dévêtit dans l'exil de ses membres et les abandonna.
Il rendit l'âme, lui qui fortifiait toujours les âmes des autres, et qui ne permit jamais aux siens
d’avoir peur en sa présence.
Sa femme ne voulant pas que le corps de son mari restât dans le pays des Grecs,
s'efforça de le ramener dans ses terres. Elle s'embarqua sur la galère qu’elle savait la plus
rapide, y déposa le corps de Robert, et traversa la mer, pour que l’Italie eût la consolation de
voir revenir le corps de celui qui n'avait pu retourner vivant dans son domaine.
6
Son tombeau se trouve dans l'abside droite de la cathédrale de Salerne, dans la chapelle dite
de Grégoire VII ou « delle Crociate », sous l'autel. Le corps de saint Matthieu fut transporté à
Salerne en 954 par le prince Gisolf I; il est conservé dans la crypte de la cathédrale.
48
Le couronnement royal de Roger II de 1130. L’église Santa Maria dell’ammiraglio (Palerme)
49
Séance 7. Les Latins et l’Islam
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
50
1204 : prise de Constantinople par les croisés, fondation de l’Empire latin de Constantinople
(1204-1261)
1229 : traité de Jaffa entre al-Kâmil et Frédéric II qui entre dans la cité et s’y couronne roi de
Jérusalem
1260 : victoire mamlûke sur les Mongols et conquête de la Syrie par Baybars
1274 : concile de Lyon II, union de l’Eglise byzantine avec l’Eglise romaine imposée par Michel
VIII Paléologue
1396 : défaite des croisés hongrois, français et roumains à Nicopolis, par le sultan Bayezid 1er
1444 : défaite des croisés hongrois et roumains à Varna par le sultan Murad II
1448 : victoire décisive de Murad II sur les croisés à la seconde bataille de Kossovopolje
51
1. L’expansion du sultanat seldjoukide en Orient
52
Bataille de Mantzikert (1071) entre le sultan Alp Arslan et l’empereur Romain IV
XI. (…) Romain IV Diogène proclama la guerre contre les Perses. (...) Il entreprend une
expédition contre les barbares menaçants. Car ces peuples ne cessaient, le printemps venu, de ravager
le territoire romain et d’y exécuter en masse des randonnées. Il part donc une fois encore, emmenant
avec lui, plus considérable encore qu’auparavant, un contingent de troupes alliées et de forces
nationales.
XIX. (…) Le voilà qui, sans regarder derrière lui, s’élance contre les ennemis. Mais eux, dès qu’ils
se furent aperçus de sa marche en avant, voulant l’attirer subrepticement dans l’intérieur du pays et le
prendre dans leurs filets, se mirent à courir en avant avec leurs chevaux, puis, revenant en arrière, à
faire de nouveau volte-face comme s’ils avaient décidé de fuir ; par la répétition de cette manœuvre,
ils s’emparèrent de quelques-uns de nos généraux et les firent prisonniers.
XX. (…) Le sultan en personne, j’ai nommé le roi des Perses et des Kurdes [Alp Arslan], était là
avec son armée. Mais l’empereur ne voulait même pas la paix, pensant qu’au premier assaut, il ferait
prisonnière l’armée ennemie. Son ignorance de la stratégie divisa les forces : tandis qu’il retenait les
unes sur place, il envoie les autres sur un autre point, et, alors qu’il fallait, avec toute la masse de son
armée, s’opposer aux ennemis, lui, avec la partie la plus faible, il se rangea contre eux en ordre de
bataille.
XXI. Ce qui arriva après cela, je n’ai pas à le louer, mais je ne puis le blâmer : l’empereur accepte
le danger intégral. La considération que voici est le moyeu terme entre les deux extrêmes : si, en effet,
l’on envisageait ce prince à titre d’homme courageux et de combattant plein de vaillance, on aurait
motif à éloge; mais si l’on considérait que, alors qu’il faut, quand on est général en chef, se tenir,
conformément aux règles de la stratégie, à l’écart de la mêlée et donner à la masse les ordres
nécessaires, lui, sans rien calculer, s’exposait témérairement au danger.
XXII. Donc, il s’était équipé de son armure complète de guerrier et il avait tiré son glaive contre
les ennemis, … il tua beaucoup d’ennemis et contraignit les autres à la fuite. Mais ensuite, lorsque
ceux qui lui lançaient des traits eurent reconnu qui il était, ils l’entourèrent de leur cercle ; frappé, il
glisse de cheval ; alors, on s’assure de sa personne, et voilà que, prisonnier de guerre, au loin, chez les
ennemis, est emmené le basileus des Romains. Son armée se dissout ; une faible partie parvient à fuir ;
de ceux qui restaient — c’étaient les plus nombreux, les uns sont faits prisonniers, les autres
deviennent la proie de l’épée. (…)
[A la nouvelle de la défaite de Mantzikert, Michel VII Doukas est proclamé à Constantinople
unique empereur]
XXVI. Le chef de l’armée ennemie [le sultan Alp Arslan], à la vue du basileus des Romains
devenu son prisonnier, loin d’être exalté par son triomphe, est confus devant l’excès de son succès et
se conduit dans sa victoire avec une modération telle que nul ne s’y fût jamais attendu : il console son
prisonnier ; il lui fait prendre place à sa table ; il le comble d’honneurs ; il lui attribue une garde du
corps ; pour lui être agréable, il délivre de leurs fers tous ceux qu’il désirait; en fin de compte, il
l’affranchit lui-même de sa captivité, et, après avoir conclu avec lui un traité d’alliance et reçu de lui
des promesses sous serment, avec une escorte de gardes du corps aussi nombreuse qu’on pouvait le
désirer, il le renvoie dans son propre empire, ce qui fut une source de maux et la cause capitale de
maintes calamités. Ayant donc obtenu ce qu’il n’espérait pas, l’empereur pensa pouvoir reprendre sans
difficulté possession de l’empire des Romains, et, assumant lui-même, pour ainsi dire, le rôle d’un
messager portant la nouvelle de sa mauvaise, puis de sa bonne fortune, il fait savoir à l’impératrice,
par lettre autographe, ce qui lui est arrivé.
XXVII. [La guerre civile éclate entre Michel VII Doukas et Romain IV Diogène, ce dernier étant
vaincu et déposé].
Michel Psellos, Chronographie ou histoire d’un siècle de Byzance (976-1077), texte établi et traduit
par Emile Renauld, Paris, Les Belles Lettres, 1928, (Collection byzantine). [t. II, p. 157-164.]
53
2. Le pape Urbain II, discours du 27 novembre 1095 lors de la clôture du concile de
Clermont
« Bien-aimés frères,
Poussé par les exigences de ce temps, moi, Urbain, portant par la permission de Dieu
le signe de l’Apôtre, préposé à toute la terre, suis venu ici vers vous, pour vous dévoiler
l’ordre suivant: Bien que, enfants de Dieu, vous ayez promis au Seigneur de maintenir la paix
au milieu de vous et de soutenir fidèlement les droits de votre Pays, et de l’Eglise, il vous est
pourtant nécessaire, nouvellement fortifiés dans la grâce du Seigneur, de montrer la force de
votre vigueur dans une précieuse tâche qui ne vous concerne pas moins que le Seigneur : car il
vous est urgent d’apporter en hâte à vos frères d’Orient l’aide si souvent promise et d’une
nécessité pressante.
Les Turcs et les Arabes les ont attaqués, comme beaucoup d’entre vous le savent, et se
sont avancés dans le territoire de la Romanie jusqu’à cette partie de la Méditerranée que l’on
appelle le Bras de Saint-Georges, et pénétrant toujours plus avant dans le pays de ces
Chrétiens, les ont par sept fois vaincus en bataille, en ont tués et fait captifs un grand nombre,
ont détruits les églises et dévasté le royaume. Si vous les laissez à présent sans résister, ils
vont étendre leur vague plus largement sur beaucoup de fidèles serviteurs de Dieu.
C’est pourquoi je vous prie et exhorte, les pauvres comme les riches, de vous hâter de
chasser cette vile engeance des régions habitées par nos frères et d’apporter une aide
opportune aux adorateurs du Christ. Je parle à ceux qui sont présents, je le proclamerai aux
absents [...] Que ceux qui étaient auparavant habitués à combattre méchamment en guerre
privée contre les fidèles, se battent contre les infidèles et mènent à une fin victorieuse la
guerre qui aurait dû être commencée depuis longtemps déjà; que ceux qui jusqu’ici ont été
brigands deviennent soldats ; que ceux qui ont autrefois combattus leurs frères et leurs parents
se battent comme ils doivent contre les barbares ; que ceux qui ont été autrefois mercenaires
pour des gages sordides gagnent à présent les récompenses éternelles ; que ceux qui se sont
épuisés au détriment à la fois de leur corps et de leur âme s’efforcent à présent pour une
double récompense. Engagez-vous sans tarder ; que les guerriers arrangent leurs affaires et
réunissent ce qui est nécessaires pour pourvoir à leurs dépenses, et qu’ils pourvoient aux plus
nécessiteux à qui ils se feront un devoir d’apporter leur soutien et leur protection ».
54
milles, et l’eau qu’on sortait de ces récipients était une eau fétide ; mais, autant que cette eau
puante, le pain d’orge était pour nous l’objet quotidien de gêne et de dégoûts violents...
Quand nos seigneurs eurent reconnu le côté le plus faible de la cité, ils transportèrent une nuit
de samedi [9 juillet] la machine et le château de bois du côté est... Quant au comte de Saint-
Gilles, il faisait réparer sa machine dans le secteur sud...
Le vendredi [15 juillet]..., à l’approche de l’heure où Notre Seigneur Jésus-Christ a
daigné souffrir pour nous le supplice de la Croix et tandis que nos chevaliers, et notamment le
duc Godefroi et le comte Eustache son frère, se battaient courageusement dans le château,
l’un de nos chevaliers nommé Létaud escalada le mur de la ville. Sitôt qu’il fut monté, tous
les défenseurs de la ville s’enfuirent des murs de la cité...
Après avoir enfoncé les païens, les nôtres appréhendèrent dans le temple un grand
nombre d’hommes et de femmes, tuant ou épargnant qui bon leur semblait... Puis, tout
heureux et pleurant de joie, les nôtres allèrent adorer le Sépulcre de Notre Sauveur Jésus...
Le huitième jour après la prise de la ville, on élut le duc Godefroi prince de la cité... On élut
également patriarche le très sage et honorable Arnoul...
Histoire anonyme de la première croisade, éd. et trad. L. Bréhier, Paris 1924, pp. 195-209.
55
Deuxième croisade (1147-1149)
56
4. Quatrième croisade, prise et sac de Constantinople
Après l’assaut général, commencé par la flotte vénitienne et les croisés le 8 avril 1204, la muraille
maritime est franchie le 12 avril, permettant aux croisés de charger le camp de tentes posé par
l’empereur Alexis V (« Murzuphlos ») et de s’installer dans la ville pour la nuit.
« Le comte Baudouin de Flandre et de Hainaut se logea dans les tentes vermeilles de l’empereur
Murzuphle qu’il avait laissées tendues, et Henri son frère devant le palais de Blaquerne; Boniface le
marquis de Montferrat, lui et ses gens, vers le gros de la ville. L’armée fut logée ainsi que vous avez
ouï, et Constantinople prise le lundi de Pâque fleurie (12 avril 1204). (…).
LIV. (Fuite de Murzuphle (Alexis V), qui abandonne la capitale ; nouvel incendie de
Constantinople.
247. En cette nuit, devers le camp de Boniface le marquis de Montferrat, je ne sais quelles
gens qui craignaient que les Grecs ne les attaquassent, mirent le feu entre eux et les Grecs; et la ville
commença à prendre et à flamber bien fort, et elle brûla toute cette nuit et le lendemain jusqu’au soir.
Et ce fut le troisième feu qu’il y eut en Constantinople depuis que les Francs vinrent au pays ; et il y
eut plus de maisons brûlées qu’il n’y en a dans les trois plus grandes cités du royaume de
France.
248. Cette nuit passa, et le jour vint, qui était le mardi matin (13 avril 1204); et alors tous
s’armèrent dans le camp, et chevaliers et sergents; et chacun alla à son corps de bataille. Et ils sortirent
du camp, et pensèrent trouver les ennemis plus nombreux qu’ils n’avaient fait le jour d’avant ; car ils
ne savaient pas du tout que l’empereur se fût enfui la nuit. Mais ils ne trouvèrent personne qui fût
contre eux.
249. Le marquis Boniface de Montferrat chevaucha tout le long du rivage vers Bouchelion;
et quand il fut là le palais lui fut rendu, la vie sauve pour ceux qui étaient dedans. Là furent trouvées la
plupart des hautes darnes qui s’étaient enfuies au château; là fut en effet trouvée la sœur du roi de
France qui avait été impératrice, et la sœur du roi de Hongrie qui avait aussi été impératrice, et
beaucoup d’autres dames. Du trésor qui était en ce palais il n’en faut pas parler ; car il y en avait tant
que c’était sans fin ni mesure.
57
250. Tout comme ce palais fut rendu au marquis Boniface de Montferrat, fut rendu celui de
Blaquerne à Henri, frère du comte Baudouin de Flandre, la vie sauve à ceux qui étaient dedans. Là
aussi fut trouvé un si grand trésor qu’il n’y en avait pas moins qu’en celui de Bouchelion. Chacun
garnit de ses gens le château qui lui fut rendu, et fit garder le trésor. Les autres gens qui étaient
répandus par la ville gagnèrent aussi beaucoup ; et le butin fait fut si grand, que nul ne vous en saurait
dire le compte, d’or et d’argent, de vaisselles et de pierres précieuses, de satins et de draps de soie, et
d’habillements de vair, de gris et d’hermines, et de tous les riches biens qui jamais furent trouvés sur
terre. Et bien témoigne Geoffroi de Ville-Hardouin le maréchal de Champagne, à son escient et
en vérité, que jamais, depuis que le monde fut créé, il n’en fut autant gagné en une ville.
251. Chacun prit hôtel ainsi qu’il lui plut, et il y en avait assez. Ainsi se logea l’armée des
pèlerins et des Vénitiens, et grande fut la joie de l’honneur et de la victoire que Dieu leur avait donnés;
car ceux qui avaient été en pauvreté, étaient dans la richesse et les délices. Ils firent ainsi la Pâque
fleurie (18 avril 1204) et la grande Pâque (25 avril) après, dans cet honneur et dans cette joie que Dieu
leur avait donnés. Et ils en durent bien louer Notre-Seigneur; car ils n’avaient pas plus de vingt mille
hommes d’armes entre eux tous; et par l’aide de Dieu ils avaient pris quatre cent mille hommes ou
plus, et dans la plus forte ville qui fût en tout le monde (et c’était une grande ville), et la mieux
fortifiée. (…)
254. L’avoir fut rassemblé et le butin ; et sachez qu’il ne fut pas tout apporté en
commun. Il fut rassemblé et partagé entre les Francs et les Vénitiens par moitié, ainsi que la
société était jurée. Et sachez que quand ils eurent partagé, les pèlerins payèrent sur leur part
cinquante mille marcs d’argent aux Vénitiens, et qu’à eux tous ensemble ils en partagèrent
bien cent mille entre leurs gens. (…)
255. (…) Vous pouvez bien savoir que l’avoir fut grand ; car sans celui qui fut volé
et sans la part des Vénitiens, il en fut bien rapporté quatre cent mille marcs d’argent, et bien
dix mille montures, des unes et des autres. Le gain de Constantinople fut partagé ainsi que
vous avez ouï.
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vous pouvez savoir qu’il y eut maint riche habillement fait pour le couronnement; et ils
avaient bien de quoi.
1. Le jihad devient une anti-croisade : extraits d’un traité de djihâd (XIIe siècle)
Une partie des infidèles assaillit à l’improviste l’île de la Sicile, mettant à profit des
différends et des rivalités qui y régnaient ; de cette manière les infidèles s’emparèrent aussi
d’une ville après l’autre en Espagne. Lorsque des informations se confirmant l’une l’autre leur
parvinrent sur la situation perturbée de ce pays (la Syrie), dont les souverains se détestaient et
se combattaient, ils résolurent de l’envahir. Et Jérusalem était le comble de leurs vœux.
[Les Francs] menèrent encore avec zèle le djihâd contre les musulmans ; ceux-ci, en
revanche, font preuve de manque d’énergie et d’union dans la guerre, chacun essayant de
laisser cette tache aux autres. Ainsi les Francs parvinrent-ils à conquérir des territoires
beaucoup plus grands qu’ils n’en avaient l’intention, exterminant et avilissant leurs habitants.
Jusqu’à ce moment, ils poursuivent leur effort afin d’agrandir leur entreprise...
Vos doutes s’étant dissipés, vous devez maintenant être sûrs quant à votre obligation
personnelle de guerroyer pour la foi. Cette tâche incombe plus spécialement aux souverains,
puisqu’Allâh leur a confié les destinées des leurs, et prescrit de veiller à leurs intérêts et de
défendre le territoire musulman. Il faut absolument que le souverain s’emploie chaque année à
attaquer les territoires des infidèles et à les en chasser, ainsi qu’il est enjoint à tous les chefs
(musulmans), pour exalter dorénavant la parole de la foi et abaisser celle des mécréants, enfin
pour dissuader les ennemis de la religion d’Allâh de désirer entreprendre de nouveau une telle
expédition. On est saisi d’un étonnement profond à la vue de ces souverains qui continuent à
mener une vie aisée et tranquille lorsque survient une telle catastrophe, à savoir la conquête
du pays par les infidèles, l’expatriation forcée (des uns) et la vie d’humiliation (des autres)
sous le joug des infidèles, avec tout ce que cela comporte : carnage, captivité et supplices qui
continuent jours et nuits.
AI-SULAMÎ, Traité de Djihâd, trad. Cl. Cahen, Orient et Occident au temps des croisades,
Paris 1983, p. 219-220.
59
Expansion du sultanat ayyoubide à l’époque de Saladin (1171-1193)
Source : al-Qalqashandï, L’Art de la rédaction, éd. par M. ‘Abd al-Rasûl Ibrâhîm, 2e éd., Le
Caire, 1963, 14 vol., t. 10, p. 135-144; trad. A.-M. Eddé.
[...] Telles sont tes vertus ô al-Malik al-Nâsir, très illustre seigneur, le grand, le savant,
le juste, le combattant de la guerre sainte, le combattant aux frontières, Salâh al-Dïn Abû l-
Muzaffar Yûsuf b. Ayyûb. Le noble dïwân te les confère pour te remercier. En mentionnant
ton nom, il te situe au-dessus de ses amis en disant : Tu es celui en qui on place une confiance
sans borne et tu es pour la dynastie une flèche qui va droit au but, semblable à une flamme qui
brille, un trésor impérissable quand les autres disparaissent. Qu’importent les absents si toi tu
es présent pour la défendre. Remercie tes efforts qui t’ont rendu digne et t’ont donné la
60
prééminence sur les amis [du calife]. Si d’aucuns peuvent être associés à toi du point de vue
de la croyance, aucun ne te vaut du point de vue de la détermination qui t’a permis de
remporter la grande victoire en faveur de la dynastie.
Il y a une différence dans le degré d’assistance entre celui qui prête son secours avec
son cœur et celui qui le fait par son action, et Dieu ne traite pas ceux qui restent assis de la
même façon que ceux qui disent : « Si tu nous l’ordonnes, nous pousserons nos montures
jusqu’au bout du monde (Coran 4, 95) ! »
[...] L’Emir des croyants t’a donné l’investiture sur les territoires de l’Egypte et du
Yémen, sur leurs monts et leurs vallées, leurs sujets et leurs armées, leurs confins maritimes et
terrestres, ainsi que sur tous les territoires voisins à délivrer, par la paix ou par la force. Il y a
ajouté les territoires de Syrie avec leurs villes et leurs forteresses, à l’exception de ce que
possède Nûr al-Dïn Ismaïl, fils de Nûr al -Dïn Mahmûd - que Dieu lui soit miséricordieux -
c’est-à-dire Alep et sa province. Car son père a laissé de belles traces en Islam qui élèvent sa
mémoire au lang de celles qui méritent d’être évoquées et qui le suivent dans sa descendance.
Quant à son fils, que voici, ses dispositions innées l’ont rendu apte à bien parler et bien agir; il
ne tient cette position élevée que parce qu’il est issu d’une plus haute grandeur encore, [celle
de son père]. Sois proche de lui, en amitié comme lu l’es en territoire, afin de vous soutenir
mutuellement.
Quant à l’éloge que nous t’avons fait, il se peut qu’il dépasse le seuil de la modération
et t’empêche d’en demander davantage, mais prends garde à regarder tes efforts avec
admiration en disant : « J’ai conquis tous ces territoires alors que beaucoup d’autres y ont
renoncé. » Sache que la terre revient à Dieu et à son Prophète et après lui à son calife. Le
mérite ne retombe pas sur l’esclave qui se fait musulman mais sur Dieu qui fait don de l’islam
à son esclave. Combien parmi ceux qui t’ont précédé, s’ils avaient désiré ce à quoi tu aspires,
auraient vu l’inaccessible se rapprocher et ce qui leur est interdit leur être accordé !
Mais Dieu réserve cela pour te récompenser dans l’au-delà en t’accueillant dans son refuge et
te récompense dans ce bas-monde en t’accordant la broderie de ses tirâz (ateliers officiels). En
écoutant ceci, remets-toi à Dieu et dis : « Nous ne savons rien en dehors de ce que tu nous as
enseigné (Coran 2, 32). »
A ton diplôme d’investiture est joint un vêtement d’honneur. Qu’il soit pour toi une
distinction quant au nom et une gloire quant au décret et qu’il s’accorde avec ton cœur et ton
regard, car le plus beau vêtement des grands est bien celui du cœur et du regard. Il comprend
un collier que tu te mettras autour du cou en signe du pacte et de l’alliance et qui t’indiquera
que les bienfaits font entouré comme les colliers encerclent les cous. [...]
Sylvie Denoix et Anne-Marie Eddé (dir.), Gouverner en Islam, Xe-XVe siècle : textes et documents,
Paris : Publications de la Sorbonne, 2015, p. 88-89.
Saint Louis, roi de France, nullement effrayé par les dépenses et les fatigues que lui
avait autrefois occasionnées le voyage d’outre-mer, se mit de nouveau en route au mois de
mars pour aller au secours de la Terre-Sainte avec ses trois fils, Jean comte de Nevers, Pierre
comte d’Alençon, et Philippe, l’aîné de tous; son neveu Robert, comte d’Artois; Thibaut,
comte de Champagne et roi de Navarre, et beaucoup d’autres barons, chevaliers et prélats de
son royaume, dont il abandonna le soin à Matthieu, abbé de Saint-Denis en France, homme
religieux et prudent, et au sage et fidèle chevalier Simon de Clermont, seigneur de Nivelle.
Mais pour qu’on recouvrât plus facilement la Terre-Sainte, le roi et les siens conçurent
le projet de soumettre d’abord au pouvoir des Chrétiens le royaume de Tunis, qui, situé à
moitié chemin, était un grand obstacle pour les pèlerins. Etant arrivés en ce pays, après
61
d’énormes difficultés et de grands dangers courus sur mer, ils s’emparèrent facilement
aussitôt du port et de la ville de Carthage, située près de Tunis, et qui n’est plus maintenant
qu’une petite ville. [1270.]
Au mois d’août, à Carthage, vers les côtes de la mer, une grande mortalité fondit sur
l’armée chrétienne, et, faisant d’excessifs progrès, enleva d’abord Jean comte de Nevers, fils
du roi de France, ensuite l’évêque d’Albe légat de la cour de Rome, et enfin, le lendemain de
la fête de l’apôtre saint Barthélemi, le saint roi de France Louis, avec un grand nombre
d’autres, tant barons que chevaliers et gens du moyen peuple. Mais je ne crois pas devoir
omettre ici avec quelle félicité le saint roi monta vers le Seigneur. En proie à la maladie, il ne
cessait de louer le nom du Seigneur, demandait autant qu’il le pouvait, en s’efforçant de
parler, la faveur des saints qui le protégeaient, et surtout de saint Denis martyr, son patron
spécial; en sorte que, comme il était à l’agonie, ceux qui l’entouraient l’entendirent plusieurs
fois murmurer entre ses lèvres la fin de l’oraison qu’on chante sur saint Denis, à savoir:
«Accorde-nous, Seigneur, de mépriser les prospérités du monde, et de ne craindre aucune de
ses adversités.» Et, priant pour le peuple qu’il avait amené avec lui, il disait: «Sois, Seigneur,
le sanctificateur et le gardien de ton peuple.» Il disait, en levant les yeux au ciel: «J’entrerai
dans ta maison, je t’adorerai à ton temple saint, et je me confesserai à toi, Seigneur.» Après
ces paroles, il s’endormit dans le Seigneur. Tous les barons et les chevaliers alors présents
jurèrent fidélité et hommage pour le royaume de France à Philippe, son fils, qui lui succéda
dans le camp dressé sous les murs de Carthage.
Comme l’armée des Chrétiens était dans la douleur de la mort de saint Louis, Charles
roi de Sicile, fameux homme de guerre, vers lequel son frère Louis roi de France avait envoyé
lorsqu’il vivait encore, arriva par mer avec une grande troupe de chevaliers. Son arrivée fut
pour les Chrétiens un sujet de joie, et pour les Sarrasins un sujet de tristesse. Quoiqu’ils
parussent bien supérieurs en nombre, les Sarrasins n’osaient cependant engager un combat
général avec les Chrétiens, mais ils les incommodaient beaucoup par les piéges qu’ils leurs
tendaient. Enfin, voyant que les Chrétiens préparaient leurs machines et différents instruments
nécessaires pour combattre, et s’apprêtaient à assiéger Tunis par terre et par mer, ils furent
saisis de crainte, et tâchèrent de conclure un traité avec les nôtres. Parmi les conditions, les
principales furent, dit-on, que tous les Chrétiens qui étaient retenus prisonniers dans le
royaume de Tunis seraient mis en liberté, que des prédicateurs catholiques quelconques
prêcheraient la foi chrétienne dans les monastères construits en l’honneur du Christ dans
toutes les cités de ce royaume, que ceux qui voudraient être baptisés le pourraient être
tranquillement, et que le roi de Tunis, après avoir payé toutes les dépenses qu’avaient faites
dans cette expédition les rois et les barons, rétablirait le tribut accoutumé qu’il devait au roi de
Sicile. Le traité et les conditions ainsi établis et conclus de part et d’autre, le roi de France et
les grands de l’armée chrétienne, voyant la diminution qu’éprouvait l’armée par la contagion
de la maladie, résolurent, après avoir fait le serment de revenir dans la Terre-Sainte pour
combattre les Sarrasins, de s’en retourner en France par le royaume de Sicile et la terre
d’Italie, et ensuite, après avoir réparé leurs forces et couronné le roi de France, de se revêtir de
courage contre les ennemis de la foi. Les Chrétiens, à leur tour, furent battus de tempêtes sur
l’Océan; beaucoup périrent dans le port de Trapani en Sicile, et plusieurs, après être
débarqués, moururent en route, à savoir: Thibaut, roi de Navarre, et sa femme, fille de saint
Louis; la reine de France, Isabelle d’Aragon; Alphonse, comte de Poitou, et sa femme; et
beaucoup d’autres chevaliers et barons d’un grand nom.
Edouard, fils aîné de Henri, roi d’Angleterre, qui était venu plus tard que les autres au
siége de Tunis, ne voulant pas encore, après le traité conclu avec le roi de Tunis, s’en
retourner chez lui, résolut avec quelques chevaliers du royaume de France d’achever, s’il
pouvait, l’accomplissement du vœu qu’il avait fait, et passa à Acre, en Syrie, pour secourir la
chrétienté.
62
Chronique de Guillaume de Nangis, éd. Fr. Guizot, Paris, 1825 (Collection des mémoires relatifs à
l’histoire de France ; 13), p. 184-188.
63
Séance 9. Le Maghreb au Moyen Âge
Ibn el-Athir, Annales du Maghreb et de l’Espagne, traduites et annotées par E. Fagnan, Alger, 1898, p. 466-467.
7
Le titre adopté imite celui que porte normalement un calife, amir al-mouminine (commandeur des croyants),
mais en le modifiant, car les Almoravides reconnaissaient formellement l’autorité éloignée des Abbassides de
Bagdad.
64
L’Empire almoravide
Histoire des Almohades, d’ ʿAbd al-Wāḥid ibn ʿAlī al- Marrākušī (1185-1250).
65
mer, de sorte qu’une galère chargée de ses combattants peut pénétrer jusque dans l’arsenal,
sans que de terre on puisse l’en empêcher. Aussi les Chrétiens pouvaient-ils résister au siège,
car à tout instant des secours leur parvenaient de Sicile.
Pendant sept mois moins quelques jours, le siège fut poursuivi par ʿAbd el-Mou’min
et ses troupes, qui eurent beaucoup à souffrir de la disette. Plusieurs personnes m’ont raconté
que dans le camp on achetait sept fèves pour un dirhem mou’mini, qui vaut la moitié du
dirhem légal. ʿAbd el-Mou’min finit enfin par se rendre maître de la ville, après avoir promis
la vie sauve aux Chrétiens qui l’habitaient, à condition qu’ils en sortiraient et regagneraient la
Sicile, leur patrie et le domaine de leur prince. Les vainqueurs pénétrèrent alors dans la ville
et en prirent possession. ʿAbd el-Mou’min envoya ensuite des troupes pour faire la conquête
de Gabès, également occupée par les Chrétiens, puis il conquit Tripoli du Maghreb et fit
soumettre par ses lieutenants le Djerîd, c’est-à-dire (les villes de) Tawzer, Gafça, Neft’a et El-
H’âmma avec leurs territoires respectifs. De toutes ces conquêtes, il expulsa les Francs, qu’il
renvoya chez eux, comme on vient de le voir. Dieu se servit de lui pour faire disparaître de
l’Ifriqiya l’infidélité et anéantir les convoitises de l’ennemi; la vraie religion s’y réveilla de
son sombre sommeil, l’astre de la foi, un moment caché et comme couché, brilla de nouveau
de tout son éclat. Par suite, ʿAbd el-Mou’min réunit toute l’Ifriqiya à son royaume du
Maghreb, de sorte qu’il se vit maître du pays qui s’étend de Tripoli de Barbarie à Soûs el-
Ak’ça chez les Masmoûda, ainsi que de la majeure partie de la Péninsule hispanique; je ne
sache pas que, depuis la chute des Omeyyades jusqu’à l’époque de ce prince, nul ait réuni
tous ces pays entre ses mains. ʿAbd el-Mou’min quitta l’Ifriqiya après l’avoir conquise et
avoir reçu la soumission des habitants.
Histoire des Almohades d’Abd el-Wâh’id Merrâkechi, trad. et annotée par E. Fagnan, Alger :
A. Jourdan, 1893, p. 195-197.
66
Séance 10 Des Mongols aux Mamelouks
L’Empire mongol mondial à la mort du grand khan Möngke, le petit-fils de Gengis-Khan (1259)
La division de l’Empire mongol en khanats rivaux (fin XIIIe siècle) et les voyages d’Ibn Batutta
(XIVe siècle)
67
1. Le code juridique (yasa) de Gengis-Khan : dispositions sur les religions et les armées
Lorsque Gengis-khan, auteur de la puissance des Tartares dans les contrées du Levant,
(…) fut devenu maître du gouvernement, il établit certaines règles fondamentales et certaines
peines, et il mit le tout par écrit dans un livre auquel il donna le nom de yasa. (…) Quand la
rédaction de ce livre fut terminée, il fit graver ces lois sur des planches d’acier, et en fit le
code de sa nation ; les Mogols s’y conformèrent après sa mort, jusqu’à ce que Dieu les
exterminât. Gengis-khan ne professait aucune des religions qui se partagent les habitans de la
terre (…). Le yasa fut pour ses descendants une loi inviolable dont ils ne s’écartaient en rien.
(…)
Gengis-khan accorda l’exemption de toute corvée et charge publique aux descendants
d’Ali (…), aux fakirs, aux lecteurs du Coran, aux jurisconsultes, aux médecins, à tous ceux
qui font profession de quelqu’une des sciences, ou d’une vie consacrée à la dévotion et à la
mortification, aux crieurs des mosquées, enfin à ceux qui lavent les corps des morts. II
ordonna de respecter toutes les religions, sans s’attacher à aucune de préférence aux autres. II
prescrivit tout cela comme autant de moyens de se rendre agréable à Dieu. (…).
Il enjoignit à ses successeurs de faire par eux-mêmes l’inspection des troupes et de leurs
armes, quand ils seraient près de marcher au combat, de se faire représenter tout ce que les
soldats devaient emporter avec eux, et de regarder tout, jusqu’à l’aiguille et au fil; et si, dans
cette inspection, ils trouvaient un soldat à qui il manquât quelque chose de ce dont il avait
besoin, ils devaient le punir. Les femmes qui accompagnaient les armées devaient faire tous
les travaux et se charger de toutes les corvées imposées aux hommes, quand les hommes
étaient absens et occupés à combattre; et il imposa aux troupes, quand elles étaient de retour
des expéditions, certaines corvées pour le service du sultan, dont elles devaient s’acquitter
envers lui. (…)
Il institua, pour commander les troupes, des émirs dont les uns commandaient mille
hommes, d’autres cent hommes, et d’autres dix. II voulut que si le premier des émirs venait à
commettre une faute, et que le roi lui envoyât le dernier de ses serviteurs pour le châtier,
l’émir coupable se jetât par terre devant lui, avec une humble soumission, jusqu’à ce que le
délégué du roi lui eût infligé la peine à laquelle le roi l’aurait condamné, fût-ce même la perte
de la vie. II voulut que les émirs s’adressassent directement et uniquement au roi, et prononça
la peine de mort contre tout émir qui s’adresserait à tout autre que le roi. (…) Il prescrivit au
sultan d’établir des postes régulières, afin d’être instruit promptement de tout ce qui arriverait
dans tout l’empire.
II conféra le droit de faire observer le yasa à son fils Djagataï. Après sa mort, ceux qui
survécurent de ses enfants et de leurs gens, se conformèrent aux ordonnances du yasa avec
autant d’exactitude que les premiers Musulmans en mettaient à obéir aux lois du Coran ;
c’était pour eux une sorte de religion, et l’on n’a pas connaissance qu’aucun d’eux ait agi en
rien d’une manière contraire au yasa.
Aḥmad ibn ʿAlī Taqī al-Dīn al-Maqrīzī (MAKRIZI) (1364-1442), Description historique et
topographique de Misr et du Caire, trad. par Antoine-Isaac Silvestre de Sacy, Chrestomathie
arabe, t. II, Paris, 1826, p. 160-164.
68
Gengis Khan (1185/1206 – 1226), fondateur de l’Empire mongol
1 [Les Turcs] s’emparèrent de nombreux États en Islam qui, dans la plupart des cas,
succédèrent à des États bénéficiant d’un esprit de corps (asâbiya) et d’une solide lignée
comme […] les États qui avaient succédé à l’État seldjoukides tels que ceux […] des
Zankides à Mossoul, en Syrie, ainsi que dans d’autres pays leur appartenant. [Les choses
5 se déroulèrent selon ce processus] jusqu’au moment où l’État fut absorbé par la culture
sédentaire et le luxe, qu’il se couvrit du vêtement de la décrépitude et de l’impuissance,
et qu’il fut, [dans cet état de déclin], envahi par les infidèles du pays des Tartares qui
abolirent le califat, effacèrent la gloire du pays et remplacèrent la Vraie Foi par celle des
infidèles. [Ceci se produisit] par la faute de ce qu’étaient devenus les dirigeants [du pays]
10 à la suite de leur immersion dans le confort, de leur attrait pour les plaisirs et du fait
qu’ils s’étaient abandonnés au luxe, [les menant] à l’affaiblissement de leur volonté, du
refus de s’aider mutuellement, de la perte enfin de leur vigueur et des signes
caractéristiques de la virilité.
[Il advint alors que Dieu rétablit] en Égypte l’unité des musulmans [avec la prise de
15 pouvoir des mamelouks] qui reconnaissaient Son règne et qui défendaient Ses remparts.
Il accomplit cette chose en leur envoyant, émergeant du peuple turc et de ses puissantes
et nombreuses tribus, des émirs protecteurs et de dévoués défenseurs qu’on avait fait
venir comme esclaves depuis les pays des païens jusqu’en terre d’Islam. Ce statut
d’esclavage est une vraie bénédiction. Ils embrassent l’islam avec la conviction de
20 véritables croyants tout en préservant leurs vertus nomades. Les marchands d’esclaves
les amènent en Égypte, chargement après chargement, comme des perdrix des sables qui
viennent aux points d’eau. Les princes les font défiler devant eux, puis se confrontent aux
enchères pour payer le prix le plus élevé pour les obtenir. Le but de leur achat n’est pas
de les réduire en esclavage, mais d’intensifier leur esprit de corps et d’augmenter leurs
25 prouesses et leur tendance à [développer] un esprit de corps qui serve de protection [à ces
69
princes]. Ils choisissent parmi eux [des mamelouks] conformément à la connaissance
qu’ils ont des particularités de ces tribus.
Après quoi, les princes les logent au palais royal, développent leur fidélité et leur donnent
une éducation soignée, comprenant l’étude du Coran et d’autres sujets, jusqu’à ce qu’ils
30 deviennent fort instruits en ces matières. Ils les entraînent ensuite à l’usage de l’arc et de
l’épée, à la course dans les hippodromes, à la lutte avec les lances, jusqu’à en faire des
guerriers rudes et expérimentés pour qui tous ces arts sont une deuxième nature. Lorsque
les princes sont convaincus qu’ils sont prêts à les défendre et à mourir pour eux, ils
décuplent leur salaire, ils augmentent leurs concessions foncières et ils leur imposent de
35 veiller à se perfectionner dans l’usage des armes et dans l’art équestre ainsi qu’à
augmenter le nombre des hommes de leur propre race [qui soient au service du prince]
pour le même propos. Ils les nomment ensuite à de hautes fonctions dans l’État et on
choisit parmi eux jusqu’aux sultans qui dirigent les affaires des musulmans, « ainsi qu’il
a été ordonné par la Providence du Tout-Puissant et par sa bonté envers toutes Ses
40 créatures ». Un groupe [de mamelouks] se trouve ainsi faire suite à un autre, une
génération succède à une autre.
Ibn Khaldûn, Histoire des Berbères, trad. David Ayalon, citée par Christophe Picard, Le monde
musulman du XIe au XVe siècle, Paris, 2000, p. 163-164.
70
Séance 11 Les Ottomans
Pour ma part, je m’étonne surtout de voir la coïncidence des noms et l’inversion des
situations survenues à un tel intervalle de temps, près de mille deux cents ans. Car le basileus
Constantin (1er), chéri de la fortune, fils d’Hélène, édifia cette Ville, l’éleva au comble de la
prospérité et de la félicité, et de nouveau c’est sous le basileus infortuné Constantin (XI), fils
d’Hélène (Dragases), que la Ville tomba et fut réduite au comble de la servitude et de
l’infortune.
La date de la chute
La ville fut donc prise sous le règne du basileus Constantin, le septième des
Paléologues, le 29 de la fin mai, pendant l’année 6961 depuis la Création chez les Romains
(1453 A.D.), mille cent vingt-quatre ans depuis la fondation et le peuplement de la ville.
Constantinople 1453 : des Byzantins aux Ottomans : textes et documents / réunis, traduits et
présentés sous la direction de Vincent Déroche et Nicolas Vatin, Toulouse, 2016, 308-309
71
Jean VIII Paléologue (1425-1448) Mehmed II Fatih (1451-1481),
Portrait de Benozzo Gozzoli, Florence, Portrait de l’atelier de Gentile Bellini
chapelle des Rois Mages
Réparation des remparts terrestres et maritimes détruits par les machines et des autres portions
endommagées, construction d’un nouveau palais et d’un fort prés de la Porte d’Or
Puis il ordonne de reconstruire solidement toutes les portions du rempart abattues par
les machines et de réparer tous les endroits où il avait souffert du temps, l’enceinte maritime
autant que la terrestre, et il jette les fondations du palais pour lequel il avait choisi, comme je
disais, l’endroit le plus vaste et le plus beau de la Ville.
Il ordonne encore de construire un puissant fort vers la Porte d’Or (fort de Yedikule),
là où se trouvait jadis le fort des basileis, et que tout cela se fasse au plus vite, et que les
Romains prisonniers y travaillent pour un salaire quotidien de six nomismata ou plus. Pour le
basileus, c’était un moyen de pourvoir à la nourriture des prisonniers, qu’ils se procurent ainsi
leur propre rançon pour la verser à leurs maîtres, et qu’une fois libérés ils s’installent dans la
ville; c’était aussi de sa grande philanthropie et bienfaisance, et aussi de la munificence
72
impériale dont il faisait preuve envers tous, à plus forte raison envers ces prisonniers dont il
avait pitié et qu’il aidait magnifiquement sans cesse. Car souvent lorsqu’il sortait du palais
pour visiter la Ville ou pour une autre raison, s’il en rencontrait certains, il arrêtait son cheval
et leur faisait aussitôt de sa propre main des libéralités abondantes de monnaies d’argent et
souvent d’or, telle était sa compassion pour ces gens.
Constantinople 1453 : des Byzantins aux Ottomans : textes et documents / réunis, traduits et
présentés sous la direction de Vincent Déroche et Nicolas Vatin, Toulouse, 2016, p. 317.
73
3. La réponse de Soliman en 1526 à la demande d’aide de François Ier emprisonné par
Charles-Quint après la défaite de Pavie.
"Lui (Dieu) est élevé, le riche, le généreux, le secourable Moi qui suis, par la grâce de
celui dont la puissance est glorifiée et dont la parole est exaltée, par les miracles sacrés de
Mohammed (que sur lui soient la bénédiction de Dieu et le salut), soleil du ciel de la
prophétie, étoile de la constellation de l’apostolat, chef de la troupe des prophètes, guide de la
cohorte des élus, par la coopération des âmes saintes de ses quatre amis Aboubekr, Omar,
Osman et Ali (que la satisfaction de Dieu très-haut soit sur eux tous), ainsi que tous les favoris
de Dieu ; Moi, dis-je, qui suis le sultan des sultans, le souverain des souverains, le
distributeur des couronnes aux monarques de la surface du globe, l’ombre de Dieu sur
la terre, le sultan et le padichah de la mer Blanche, de la mer Noire, de la Romélie, de
l’Anatolie, de la Caramanie, du pays de Roum, de Zulcadrié, du Diarbekr, du
Curdistan, de l’Azerbaïdjan, de la Perse, de Damas, d’Alep, du Caire, de la Mecque, de
Médine, de Jérusalem, de toute l’Arabie, de l’Yemen et de plusieurs autres contrées que
mes nobles aïeux et mes illustres ancêtres (que Dieu illumine leurs tombeaux) conquirent par
la force de leurs armes, et que mon auguste majesté a également conquises avec mon glaive
flamboyant et mon sabre victorieux, sultan Suleiman-Khan, fils de sultan Sélim-Khan, fils de
sultan Bayezid-Khan.
Toi qui es François, roy du pays de France, vous avez envoyé une lettre à ma Porte,
asile des souverains, par votre fidèle agent Frankipan [l’ambassadeur Frangipani], vous lui
avez aussi recommandé quelques communications verbales ; vous avez fait savoir que
l’ennemi s’est emparé de votre pays, et que vous êtes actuellement en prison, et vous avez
demandé ici aide et secours pour votre délivrance. Tout ce que vous avez dit ayant été exposé
74
au pied de mon trône, refuge du monde, ma science impériale l’a embrassé en détail, et j’en ai
pris une connaissance complète. Il n’est pas étonnant que des empereurs soient défaits et
deviennent prisonniers. Prenez donc courage, et ne vous laissez pas abattre.
Nos glorieux ancêtres et nos illustres aïeux (que Dieu illumine leur tombeau) n’ont jamais
cessé de faire la guerre pour repousser l’ennemi et conquérir des pays. Nous aussi nous avons
marché sur leurs traces. Nous avons conquis en tout temps des provinces et des citadelles
fortes et d’un difficile accès. Nuit et jour notre cheval est sellé et notre sabre est ceint. Que
Dieu Très-Haut facilite le bien ! A quelque objet que s’attache sa volonté, qu’elle soit
exécutée ! Du reste, en interrogeant votre susdit agent sur les affaires et les nouvelles, vous en
serez informé. Sachez-le ainsi."
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Méthode de la dissertation
Disserter consiste à utiliser ses connaissances pour traiter un sujet bien précis de façon
argumentée. Il ne s’agit donc pas de réciter un cours.
L’analyse du sujet
Trop d’étudiants croient utile de se focaliser sur le plan alors que cette étape qui ne doit venir
que dans un deuxième temps. Il est d’abord indispensable de définir le sujet :
Commencez par définir le sens de chaque terme séparément et précisément
(« gouverner » n’est pas synonyme d’« administrer » ou de « diriger » par exemple1),
dans l’ordre de l’énoncé. Ces définitions doivent dans un premier temps être les plus
proches possible de celles d’un dictionnaire de référence (Robert de préférence), puis
elles peuvent être orientées en fonction du contexte historique à étudier.
Définissez ensuite l’ensemble de l’énoncé en tenant compte :
– des connecteurs logiques (les termes « et », « en » ou « dans » se révéleront les plus
importants dans bon nombre de sujets2),
– de l’ordre des mots3,
– des contextes géographique, historique voire historiographique.
Définissez précisément les bornes chronologiques et les délimitations spatiales en
fonction du sujet4.
Autant que possible, essayez de faire apparaître des questions, des points débattus, des
tensions au cours de cette étape car cela vous aidera à bâtir la problématique.
En même temps, notez sur une feuille annexe tous les faits, exemples, idées qui vous
semblent utiles pour traiter le sujet.
Une approche partielle du sujet sera sanctionnée : ne pas comprendre un énoncé dans toute
son ampleur témoigne d’une réflexion insuffisante. Plus grave encore, ne pas analyser
correctement le sujet conduit immanquablement au hors-sujet, avec des effets désastreux en
terme de notation. À chaque étape de votre travail, il est indispensable de vous demander si
l’idée ou l’exemple choisis est vraiment rattaché au sujet.
La problématique
La problématique constitue depuis quelques décennies une étape indispensable dans une
dissertation en sciences humaines ; elle est l’un des principaux critères de notation pour
beaucoup de correcteurs.
Pour la démystifier, rappelons ce que signifie problématiser en mathématique : transformer une
question où il est question d’une baignoire, d’un robinet, d’une fuite et du délai d’attente avant
de se laver en une équation permettant de calculer la réponse, que l’on espère la plus simple
possible. En histoire, la problématique consiste en une question suscitée par l’analyse du
sujet5, appelant une réponse développée et argumentée.
Une méthode possible pour bâtir sa problématique consiste dans un premier temps à
transformer le sujet (une fois qu’il a été défini) en une question, puis à la compléter en
tenant compte du contexte historique voire historiographique. Voyez les exemples
corrigés ci-dessous.
1
Vous avez tout intérêt à vous faire des fiches sur les termes les plus fréquemment employés dans les sciences
humaines : politique, société, religion, institution, genre, etc.
2
Le sujet : « Les Anglais et la France » renvoie à la perception de notre pays par ses voisins, à leurs attitudes, à
leur comportement à son égard. « Les Anglais en France » porte sur le rôle, l’action de ce peuple dans notre pays.
3
« L’Angleterre et la France » met l’accent sur la manière dont l’Angleterre perçoit la France et se comporte à
son égard ; c’est évidemment le contraire pour « La France et l’Angleterre ».
4
« Le milieu du XIVe siècle » sera par exemple à rapprocher du début de la guerre de Cent ans pour un sujet
politique et plutôt de la peste noire pour une question sociale.
5
Bien trop souvent, les étudiants se contentent de plaquer une question connexe sur un sujet pour le problématiser.
Au contraire, la problématique doit obligatoirement être issue de l’analyse du sujet.
11
12
Rédaction de l’introduction
Une fois ces deux étapes menées à bien, vous pouvez rédiger la plus grande partie de votre
introduction ; cela vous fera gagner du temps (évitez de rédiger au brouillon).
Commencez par une phrase d’accroche destinée à piquer la curiosité de votre lecteur,
par exemple en montrant le lien entre une idée ou un exemple connus du grand public
et le sujet qui va vous occuper6.
Énoncez ensuite le sujet (une copie qui ne le fait pas risque de glisser dans le hors-
sujet).
Puis notez votre analyse du sujet (y compris le contexte) et votre problématique.
N’oubliez pas d’aérer votre texte en allant à la ligne à chaque fois que vous changez
d’étape (sauf entre l’accroche et l’énoncé du sujet) ou d’idée.
L’élaboration du plan
Il est impossible de bâtir un bon plan sans avoir longuement réfléchi au sujet.
Commencez par identifier tous les points à aborder sans les classer.
Regroupez-les ensuite en pôles, sans ordre a priori.
Classez ces pôles thématiques selon un ordre logique pour avoir les grandes lignes de
votre plan :
– les plans en trois parties ont l’avantage d’obliger à identifier des points importants que
l’on avait négligés. Cependant, si vous ne voyez vraiment pas de troisième partie
cohérente, restez-en à deux parties.
– Si le sujet porte sur une longue période, étant donné qu’un historien doit faire ressortir
les évolutions, les plans chronologiques ou chrono-thématiques sont vivement
recommandés. Le premier s’impose lorsque vous pouvez identifier des mutations7 ou
des coupures rapides, le second lorsque vous traitez de phénomènes de plus longues
durées. Les plans purement thématiques conduisent trop souvent à négliger
complètement les changements et la solution consistant à traiter de ceux-ci dans une
troisième partie est le plus souvent mauvaise car elle conduit à des redites.
– Évitez aussi les plans préfabriqués qui, sauf cas exceptionnel, sont inadaptés et vous
empêchent de mener une véritable réflexion : citons notamment le trop fameux « plan
à tiroirs » (politique, économique, culturel par exemple) ou la troisième partie sur les
« limites ».
– Vérifiez aussi que votre plan ménage des parties équilibrées en longueur. La
construction du plan à l’échelle des sous-parties ou du plan détaillé peut être l’occasion
de vous apercevoir que vos trois parties étaient mal choisies ou mal agencées. Ne
paniquez pas et recommencez : transformez une partie trop légère en une sous-partie et
réciproquement.
– Faites aussi la traque aux répétitions et aux retours en arrière dans le temps. Faites
attention à la cohérence de votre argumentation, en particulier en cherchant à
« commencer par le commencement », c’est-à-dire à veiller à présenter d’abord les
aspects généraux qui permettront ensuite d’expliquer les détails, ou la situation de départ
avant les évolutions ou mutations.
– Lorsque vous hésitez à placer une idée dans telle ou telle partie, utilisez-la comme
transition8.
6
Évitez absolument « De tout temps » ou pire « De tout temps, les hommes… ».
7
Une mutation est une transformation rapide et importante d’un corps biologique ou social. Elle ne peut donc pas
s’étaler sur un siècle ou davantage, tout au plus sur une ou deux générations.
8
Voici un truc pour vous sortir de la situation où vous n’identifiez vraiment pas de partie : construisez votre plan
comme un pont : cherchez d’abord les rives, c’est-à-dire les deux points par lesquels il est nécessaire de commencer
et de finir le développement (situations de départ et évolution finale par exemple). Puis placez la ou les piles du
pont, autrement dit identifiez une ou deux idées qui pourront vous servir de transition : une ou deux dates marquant
12
13
– Donnez à vos parties et sous-parties des titres précis et aussi simples que possible (pas
de titre à rallonge) pour savoir précisément où vous allez. Utilisez les mots du sujet
dans vos titres ; ce sera un moyen d’éviter le hors-sujet.
– Détaillez votre plan autant que possible, en indiquant dans chaque partie les deux ou
trois idées que vous allez développer, avec à chaque fois un exemple précis, et en
réfléchissant bien à leurs enchaînements.
La rédaction
Achevez votre introduction en lui ajoutant l’annonce du plan. Elle doit comprendre les
titres de vos parties insérés dans une ou plusieurs phrases9. N’oubliez pas d’expliciter
et de justifier les découpages chronologiques et thématiques choisis.
En licence, chaque sous-partie correspondra à deux ou trois paragraphes d’une
douzaine ou d’une quinzaine de lignes. La structure du paragraphe doit être la suivante :
énoncée d’une idée, démonstration à partir d’un exemple précis, conclusion permettant
de passer à l’idée et au paragraphe suivants.
En effet, il faut toujours aérer votre présentation : les parties doivent être séparées les
unes des autres, par exemple par des astérisques (*) ; le passage d’une sous-partie à une
autre sera marqué par le saut d’une ligne.
Encore une fois, n’oubliez pas d’employer fréquemment les mots du sujet. C’est un
moyen efficace pour y revenir quand on s’en est un peu écarté.
La conclusion générale ne doit pas être bâclée. Elle n’a pas pour but de répéter le plan,
mais de répondre de manière synthétique (et non répétitive) à la problématique (inutile
de répéter votre plan), puis d’ouvrir vers un autre sujet connexe (en évitant les formules
trop banales ou les questions dont la réponse est évidente10).
des ruptures historiques ou une ou deux idées charnières. Pour finir, bâtissez les voûtes en caractérisant chaque
partie ainsi définie par une idée majeure.
9
Vous pouvez faire figurer les titres de vos sous-parties dans une phrase au début de chaque partie.
10
Par exemple : « On peut alors se demander si les Anglais vont gagner la guerre de Cent ans. » Mieux vaudrait :
« Si les armées anglaises bénéficièrent d’une supériorité tactique écrasante au XIVe siècle, il est légitime de se
demander si le modèle militaire qui l’avait permis ne fut pas un frein à l’innovation durant les siècles suivants. »
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