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L’école au secours d’une langue minorée : quels impacts

Chapter · June 2021

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Meksem Zahir Hamdi Naimanaima


Université de Béjaïa Université de Béjaïa
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Amari Samira
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L’école au secours d’une langue minorée :
quels impacts ?1

Introduction
La langue constitue une mémoire collective où sont stockées
toutes les particularités identitaires, culturelles, linguistiques
d’un peuple. Elle est le témoin fiable et fidèle qui raconte
l’histoire d’une société et protège en son sein les pensées, les
traditions, la littérature, l’éducation, les discours, les rires, les
jeux, les émotions d’une communauté. Sans elle, comme dit
une grand-mère chamicuro, on ne peut exister et sentir la vie.
Elle l’exprimait ainsi : « Je rêve en chamicuro, mais mes rêves,
je ne peux les raconter à personne, parce que plus personne ne
parle chamicuro. » (Yamamoto, 2009 : 36.)
Cela montre que quand la langue est laissée à l’état oral, elle
tend à perdre des pans entiers de sa vitalité et, à long terme, elle
s’éteindra définitivement. L’histoire nous a appris que,

1
Zahir Meksem, Naima Hamdi, Samira Amari, Université de Bejaia,
laboratoire LAILEMM, Algérie.
Nous reprenons ici, avec quelques modifications, le thème d’une
communication présentée au 17ème congrès international de l’ARIC
(Association Internationale pour la Recherche Interculturelle), tenu du 17
au 21 juin 2019, à Genève. Marielle Rispail, animatrice de l’atelier où a été
présenté ce travail, y a dirigé le débat sur le rôle de l’école dans la survie des
langues minorées et la promotion de la diversité.
Par ailleurs, Zahir Meksem, tient à exprimer à travers ce texte sa profonde
reconnaissance à Marielle Rispail pour tous les changements qu’elle a
apportés dans sa vie : scientifique, sociale et professionnelle, depuis leur
rencontre en 2000, en Kabylie, à l’occasion d’un colloque sur les langues
maternelles.

147
diachroniquement, plusieurs langues ont disparu et que
d’autres sont sur le point de l’être. « La mort des langues n’est
pas un phénomène nouveau. Depuis au moins 5000 ans, les
linguistes estiment qu’au moins 30000 langues sont nées et
disparues, généralement sans laisser de trace. » (Leclerc, 1995).
Plusieurs facteurs participent à la disparition des langues.
Mais dans la plupart des cas, ce sont les politiques linguistiques
qui œuvrent délibérément pour la liquidation des langues
régionales, minorées, minorisées au nom du de l’unicité et de
l’unité de l’état. Cette situation de marginalisation engendre, à
long terme, la substitution de ces langues marginalisées par
d’autres langues protégées et défendues par les pouvoirs en
place.
En plus de ces facteurs glottopolitiques, d’autres facteurs se
présentent comme des causes de l’extermination d’une langue,
tels : l’oralité, l’absence graphique, la non-transmission
intergénérationnelle, l’absence de l’écrit, la non-scolarisation,
la minoration.
Or la disparition d’une langue, en dehors d’une perte pour
ses locuteurs, est ressentie comme une perte pour toute
l’humanité qui, par ce fait, perd en diversité culturelle qui fait
partie du patrimoine de l’humanité entière. Dans le même
esprit des lois qui sont promulguées pour sauvegarder les
espèces animales et végétales, il est plus que souhaitable que
d’autres lois voient le jour pour protéger les langues. Il s’agit,
contre ce phénomène de disparition des langues, « de le ralentir
ou d’y mettre fin en encourageant le respect des droits
linguistiques et culturels, la coexistence pacifique dans des
sociétés multiculturelles et la préservation de notre patrimoine
bioculturel. » (Bühmann, Trudell, 2008 : 5).
Incontestablement, la sauvegarde d’une langue incombe en
premier à ses locuteurs, - une condition sine qua non - mais, les
États, les pouvoirs politiques et le monde entier doivent en
assumer également cette responsabilité.
C’est contre cet état de fait que les instances internationales
comme l’ONU s’intéressent aux mécanismes à mettre en place
pour la sauvegarde des langues. Pour ce faire l’UNESCO a
institutionnalisé depuis 2000, exactement « le 21 février,

148
comme la journée internationale de la langue maternelle » dont
l’objectif est la promotion de la diversité linguistique et
culturelle. Puis à la faveur de cette institutionnalisation :
Le 16 mai 2007, l’Assemblée générale des Nations Unies, dans sa
résolution 61/266, a « demandé aux États membres et au
Secrétariat d’encourager la conservation et la défense de toutes les
langues parlées par les peuples du monde entier.
La préservation peut être assurée par plusieurs mesures :
parmi lesquelles on trouve évidemment la grammaire et le
dictionnaire chers au linguiste, mais aussi des gestes de nature
moins académiques comme l’enregistrement de séquences audio
et vidéo témoignant de l’usage de la langue, ou encore d’un recueil
d’histoires ou de récits issus des savoirs locaux, qui sont au moins
aussi importants. (Gibson, 2012 : 90).
C’est pour relever ce défi que l’école apparait, entre autres
moyens, comme l’institution qui peut garantir la sauvegarde et
la promotion de la langue. La question à laquelle nous
tenterons de répondre est la suivante : comment l’école a-t-elle
pu contribuer à la revitalisation de tamazight en Algérie?
Avec cette contribution nous nous pencherons sur le cas de
la langue amazighe dans le contexte algérien pour expliquer
comment, son introduction à l’école et son
institutionnalisation ont engendré une vitalité pour cette
langue. Il s’agit de montrer également comment l’école
participe à sa régénération, à son développement, à sa visibilité
graphique et environnementale et par conséquent à sa
sauvegarde et sa promotion.
Sur le plan méthodologique, pour étayer nos analyses et nos
réponses, nous nous sommes basés sur des données
historiques, des statistiques, des constats faits sur le terrain
étant nous-même enseignants de cette langue et sur des
analyses de documents montrant l’évolution de cette langue en
ce qui concerne les aspects liés à son passage à l’écrit, à sa
normalisation, à son enseignement, à ses représentations
linguistiques et à sa littératie.

149
1. Quelques repères historiques
Tamazight, langue de l’Afrique du Nord a vécu une
marginalisation sur tous les plans ; c’est une langue qui a été
confinée dans l’oralité pendant des siècles. Notons qu’elle n’a
jamais été adoptée comme langue officielle du pouvoir. Même
si elle a développé son propre système d’écriture en
l’occurrence « le tifinagh ». Cependant, celui-ci n’a connu
qu’un usage restreint, à savoir son utilisation pour des écrits
limités et pour de courts textes.
Chez les Touaregs, cette écriture a une fonction essentiellement
ludique (messages amoureux, jeux langagiers) et symbolique
(marques de propriété, signatures); son usage utilitaire était et
reste limité à la rédaction de courts messages. Elle n’a pas servi à
fixer la mémoire historique ou la littérature de ce groupe
berbérophone. (Chaker, 2008 : 4396).
Puis, les vicissitudes de l’histoire de l’Afrique du Nord,
allant d’une colonisation à l’autre, n’ont pas accordé le droit
de cité à cette langue. En effet, les espaces amazighophones,
d’une manière générale, étaient - et sont toujours - sous la
domination des langues étrangères.
Il est à noter que dans ce cadre, les occupations militaires
qui se sont succédé en Afrique du Nord, donnant plus de poids
à leurs langues et à leurs cultures, ont engendré la minoration
et la marginalisation de tamazight. Toutefois, ce sont les
politiques linguistiques des États, où tamazight est langue
autochtone, qui ont accentué davantage cette minoration. Cet
état de fait est à relier aux statuts sociolinguistiques qui lui sont
réservés dans ses espaces légitimes : « langue non reconnue,
non scolarisée, non standardisée à la limite, elle est langue
interdite. Elle a toujours été soumise à une glottophobie » 2
manifeste et latente. Cet ensemble de facteurs a fini par
installer les locuteurs dans une insécurité linguistique et la
haine de soi, au point qu’on a pu, à long terme et dans certaines
zones et chez certains locuteurs, remarquer l’abandon total de

2
Glottophobie (voir supra, p.14).

150
l’usage de leur langue même dans les espaces familiaux et
communautaires.
Ces faits historiques, à eux seuls, éclairent la situation de
tamazight que d’aucuns présentent comme langue qui est en
voie de disparition, car les aires linguistiques qui lui sont
réservés jadis commencent à rétrécir.
Cependant en dépit des alertes quant à son extinction, la
langue a vécu et a perduré à travers les temps et contre toute
extermination et toute substitution.
Le constat étant fait, nous expliquerons à présent,
comment, parmi d’autres facteurs3, l’école et son enseignement
en général ont contribué à sa survie et ont été à la base de sa
protection et de son essor présent et futur.

2. La sauvegarde par l’écrit


L’écrit, qui sert de support incontestable pour la sauvegarde
de la langue, de son lexique, de sa culture et de sa littérature a
commencé avec la colonisation française, même si des écrits en
caractère arabe faits par des religieux natifs existaient. Ces
derniers n’ont occupé que la sphère religieuse. Amaoui a relevé
que
la graphie arabe en Kabylie, même si elle n’est pas enracinée et
généralisée comme chez les Ibadites et les Chleuhs du Sud-Ouest
marocain, il n’en demeure pas moins qu’elle est une réalité dont
l’usage est attesté jusqu’à la fin du XIXe siècle. Son cadre de
développement est bien sûr les zawiyas et les instances religieuses
de manière générale. (Amaoui, 2017 : 79).
Si on suit l’historique de l’avènement du passage à l’écrit,
on remontera à l’époque de la colonisation durant laquelle des
missionnaires, des militaires et puis des universitaires étaient
les premiers à s’intéresser à la langue amazighe dans toutes ses
dimensions : littéraires, lexicales, culturelles, artistiques,
civilisationnelles et historiques. Ces « auteurs » étaient les

3
Les facteurs les plus caractéristiques sont : la structure sociale, la
démographie, le système de production et d’appropriation des sols, la
géographie, le militantisme des nouvelles générations.

151
premiers à recueillir et à décrire les matériaux linguistiques et
tout le patrimoine immatériel concernant la langue. Et c’est
également en cette période que la langue a été prise en charge
par les institutions.
Rappelons d’abord qu’en Algérie, le berbère a été institutionnalisé
très tôt, c’est-à-dire dès 1880 à la Faculté des lettres d’Alger,
initialement appelée l’École supérieure des lettres, puis à l’École
normale de Bouzaréah. Très vite, après, respectivement en 1885 et
en 1887, un brevet de langue kabyle et un diplôme de « dialectes
berbères » sont créés. La Faculté des lettres d’Alger, mais
également l’Institut d’Études orientales formeront ainsi un
nombre important de berbérisants qui ont beaucoup apporté à la
langue et à la culture berbères. (Quitout, 2006 : 34).
D’aucuns s’accordent à dire que pour les colons, les
objectifs premiers de ces recherches étaient de découvrir les
modes de vie, les mœurs et les traditions des populations afin
de pouvoir asseoir leur domination et éventuellement les
reconvertir. Cependant, en dépit de ces raisons, d’autres
travaux ont été réalisés par des universitaires dans un but
purement scientifique, ayant pour objectifs la description et
l’analyse de la langue, de sa littérature et de son lexique. À ce
sujet Galand écrit « Sans leurs travaux, la berbérologie
d’aujourd’hui ne serait pas ce qu’elle est et, s’ils ont parfois
méconnu les strictes méthodes de la linguistique, on ne saurait
sans injustice leur refuser l’hommage qui leur est dû. »
(Galand, 1966 : 743).
Pour illustration, voici quelques exemples de travaux plus
connus de cette période) : Thomas Shawde en 1738, Jean-
Michel de Venture de Paradis entre 1787 et 1790, Adolphe
Hanoteau (1814-1897), Gustave Huyghe, Jean-Marie Dallet
(1909-1972), Jacques Lanfry (1910-2000), Henri Genevois
(1913-1978), Madeleine Allain (1915-2002), René Basset
(1855-1924), André Picard, André Basset (1895-1856).
Ces travaux représentent la matérialisation concrète de la
langue. Ils ont tracé des jalons poursuivis pour sa sauvegarde.
De surcroit, loin des idées rétrogrades, glottophobiques et sans
fondement scientifiques, qui ne voient cette langue que comme
un dialecte dépourvu de règles et ne pouvant développer

152
l’écriture, ces premières contributions ont montré que
tamazight, comme toutes les autres langues, véhicule une
culture, une littérature et un patrimoine immatériel très riche.
Pour atteindre ces premiers objectifs, plusieurs travaux ont
été initiés afin de recueillir des lexiques, des textes oraux divers.
Ils ont participé à l’élaboration des premières grammaires et
des premiers dictionnaires kabyles.
C’est à base de ces travaux que la langue a connu une
grammatisation importante, qui est « le processus par lequel
une langue se trouve « outillée », notamment à l’aide de
grammaires et de dictionnaires. Ce processus a pour préalable
la construction d’une représentation graphique de la langue. »
(Auroux, 1994 : 5).
Notons que ces travaux ont été à la base du passage à l’écrit
de la langue qui l’ont libérée de son oralité, et ils ont facilité son
introduction à l’école.

3. Les premiers pas dans l’école


Pour des objectifs militaires, religieux et scientifiques, la
nécessité de l’ouverture des écoles a vu le jour pendant la
colonisation. Il s’agit d’une part de former des administrateurs,
des infirmiers, des militaires qui maitrisent la langue afin de
pouvoir communiquer avec leurs administrés et intégrer la
société sans passer par l’intermédiaire des natifs et d’autre part,
il s’agit d’enseigner le français aux enfants pour faciliter leur
conversion, mission prise en main par les évangélistes.
L’ouverture de ces écoles était une aubaine pour lancer des
travaux sur la langue afin de pouvoir fournir des supports
didactiques pour son enseignement. Dans ce cadre, ont été
élaborés les premiers manuels pédagogiques (cf. Chaker, 1987)
de tamazight, tels :
– Bensedira B., 1887, Cours de langue kabyle (grammaire
et versions), Alger, Ed. Adolphe Jourdan.
– Boulifa A.S., 1897, Une première année de langue kabyle,
Alger, Ed. Adolphe Jourdan.

153
– Boulifa A.S., Si Amar-ou-Saïd, 1913, Méthode de langue
kabyle. Étude linguistique, sociologique sur la Kabylie du
Djurdjura, Alger, Ed. Adolphe Jourdan.
– Crouset J., Basset A., 1937, Cours de berbère (parlers de
la Kabylie, Alger, Ed. Adolphe Jourdan.
– De Vincennes L. et Dallet J.M., 1960, Initiation à la
langue berbère (kabyle), premier volume (grammaire),
Fort-National (Grande-Kabylie), Ed. Fichier De
Documentation Berbère.

Puis à la faveur de cette initiative, des natifs, ayant bénéficié


de ces formations, ont contribué par leurs écrits et recherches
à la fixation graphique de la langue. D. Abrous note que
« Enfin, une des conséquences indirectes de la conquête
française fut l’appropriation de l’écrit par les élites autochtones
formées à l’école ; cette appropriation donna naissance à une
littérature écrite. » (Abrous, 2004 : 4071). Et les premiers natifs
connus sont, entre autres : A.S. Boulifa, Ben Khouas, Ben
Sedira, Cid Kaoui, S. Rahmani, B. Ait Ali…
On comprend aisément comment ce besoin d’enseigner
tamazight a été le premier pas pour sa promotion, sa
sauvegarde et raisonnablement sa vitalité. En effet l’ensemble
des premiers écrits ethnographiques faits de descriptions des
traditions, de recueil et de transcription de textes littéraires
oraux ont pu garder la mémoire vive et ont servi comme socle
de données pour l’entrée de tamazight dans l’ère moderne de
l’écriture. Par ailleurs, ces travaux avaient servi, sur le plan
pédagogique, comme ouvrages de référence pour les premiers
cours en tamazight, soit pour y puiser des supports écrits, soit
pour se servir de leur glossaire et de leurs leçons de grammaire.
Cet ensemble d’outils de grammatisation formait le
fondement qui a accompagné la langue lors de son
introduction à l’école. Elle connaitra un autre essor après
l’indépendance.

154
4. École : une dynamique pour tamazight
Après l’indépendance, l’enseignement de cette langue
connaitra un ostracisme qui l’a bannie complètement des
sphères qui pouvaient lui assurer un développement en tant
que langue native. Hormis une courte expérience d’un
enseignement facultatif assuré par M. Mammeri à l’université
d’Alger entre 1965 et 1972 qui constitue « une exception
notable à cet ostracisme, doit cependant être relevée : d’octobre
1965 à juin 1972, Mouloud Mammeri a été autorisé à donner
un cours de berbère à la Faculté des lettres d’Alger. » (Chaker,
1996 : 2647).
Néanmoins, notons que même si la période de cette
expérience est courte et que cet enseignement est facultatif, ses
résultats ont un impact considérable sur la langue ; car ce sont
ceux qui ont bénéficié de ces cours qui ont rédigé les premiers
romans en tamazight.
Des années après cette expérience éphémère, tamazight
n’avait pas droit de cité dans l’école algérienne ; il a fallu qu’il
y ait une année de grève de l’école, de 1994-1995, connue sous
le nom « grève du cartable » pour que le pouvoir cède enfin à
l’ancienne revendication des amazighohones. « C’est grâce à ce
coup de force que le pouvoir a cédé encore une fois, en faveur
d’une revendication vieille de plus de 10 ans. Pour la première
fois les portes de l’école s’ouvrent à l’amazigh. Hâtivement,
toutes les contraintes institutionnelles, financières, techniques,
pédagogiques s’envolent ». (Meksem, 2013 : 198), afin que
tamazight ait droit à son introduction dans les écoles en
Algérie.

4.1. Scolarisation
Depuis l’introduction de la langue à l’école en 1996, les
statistiques officielles4 indiquent que, sur le plan quantitatif, les
effectifs des scolarisés augmentent d’année en année. Même si
4
Selon le ministère de l’Éducation nationale concernant l’évolution des
effectifs enseignants et élèves, on est passé de 233 enseignants et 37690
apprenants en 1995 à 2757 enseignants pour 343725 apprenants en
2017/2018.

155
la prépondérance se concentre plus dans la zone kabylophone,
il n’en demeure pas moins que l’enseignement de tamazight
dans les autres aires linguistiques commence également à se
déployer.
Actuellement son enseignement existe, au plan vertical : de
l’école primaire, où il débute en 4è année, jusqu’aux classes
terminales. Mais, sur le plan horizontal, il peine à se répandre
au niveau national. Les raisons sont diverses, elles se situent au
niveau sociolinguistique, au niveau de la politique éducative et
au niveau économique. Notons que « malgré les cadres officiels
et les garanties du statut, les soubassements idéologiques
perdurent dans la stigmatisation et maintiennent l’effet de
minoration. Chassez le naturel, il revient au galop. » (Al
Barkani, Meksem, 2019 : 17).
Néanmoins, les plus difficiles à surmonter ce sont les raisons
sociolinguistiques car cela relève de la volonté de certains
citoyens qui, ayant intériorisé la marginalisation de la langue
et sa minoration et ayant intériorisé le sentiment d’appartenir
à la « nation arabe » préconisée et assumée par l’État,
continuent à maintenir, eux aussi, des représentations
négatives envers cette langue. De ce fait, ils ne sont pas
enthousiasmés par cet enseignement. Les raisons économiques,
se situent au niveau du manque de postes budgétaires ; par
conséquent on n’arrive pas à occuper tous les postes
pédagogiques restés vacants.
Cependant, par le fait de son enseignement, le nombre de
ces locuteurs et son aire linguistique s’agrandissent, car elle
commence à être utilisée, même si cela est limité au cadre
scolaire, par des locuteurs qui naguère l’ont oubliée et ils
commencent à se la réapproprier.

4.2. Alphabétisation
Même moins répandue, l’alphabétisation commence à voir
le jour dans certaines régions. Le mérite revient au HCA qui a
initié ce type d’enseignement en faveur des citoyens qui
aspirent, au moins dans les premiers temps, apprendre à lire et
à écrire dans cette langue. C’est pour répondre à ce projet que

156
le premier manuel de l’alphabétisation est né 5 . Cela montre
qu’au-delà de l’école, la langue se répand par d’autres moyens
de scolarisation.

4.3. Prise en charge des variantes


Comme toute autre langue, tamazight connait une
variation importante. Cette variation, pour rappel, existe à
plusieurs niveaux au point ou la communication immédiate,
jugée sociolinguistiquement comme l’indicateur de l’unité de
langue, devient ardue vu que chaque variante s’est développée
historiquement dans son aire géolinguistique spécifique.
À cet effet, au moment de l’introduction de tamazight à
l’école, les questions cruciales qui se sont posées et qui se
posent, sont : quelle variante enseigner ? Quelle norme pour
l’école ? Comment dégager un standard à enseigner?
Plusieurs réponses ont été proposées, à partir des positions
des uns et des autres et des analyses des spécialistes. En se
fondant sur les expériences sociolinguistiques existantes à
travers le monde, on a opté pour la stratégie de la
standardisation convergente. Autrement dit, sur le plan de
planification linguistique, il s’agit dans un premier temps, vu
l’état de la langue, de standardiser d’abord les variantes
chacune dans son aire géolinguistique. Puis, dans un deuxième
temps et à long terme, dégager des passerelles pour tendre vers
la norme standard qui respecterait toutes les variantes. Pour
l’heure, par le biais de l’école, des normes médianes 6
concernant les variantes commencent à se dresser sans se
couper des pratiques langagières réelles des locuteurs. Ce qui
apparait important à signaler c’est l’emploi commun de
certaines terminologies partagées par les amazighophones au

5
HAMEK B., 2015, Ad lemdeɣ tamaziɣt – Tizzayrit, Haut-Commissariat à
l’Amazighité - Association Algérienne d’Alphabétisation IQRAA, Alger.
6
Langue médiane : Il s’agit d’une langue dont le lexique et les structures
syntaxiques sont les plus répandues, autrement dit les plus employées.
Ajoutons à cela que sur le plan orthographique, on a pu dégager une norme
de transcription la plus neutre possible. À ce niveau il s’agit de réduire au
maximum les variations régionales et phonétiques, tout en laissant la
possibilité aux réalisations orales d’exister (Meksem, Amari, 2012).

157
niveau international, à l’exemple du Maroc et de la Lybie
notamment en ce qui concerne la métalinguistique et le lexique
spécialisé et moderne. Par cette stratégie, la langue perdure
dans sa diversité linguistique et le continuum société-école est
assuré. On évitera la création d’un standard unique qui
engendrera une diglossie qui serait non productive pour la
langue à long terme.

4.4. Normalisation orthographique


Par normalisation, connue aussi sous d’autres termes :
normativisation, codification, il faut entendre un travail sur le
corpus de la langue pour pouvoir l’aménager et l’outiller de
moyens linguistiques et d’une graphitisation, à savoir : la
grammaire, l’orthographe et le lexique, afin de l’enseigner et de
l’écrire. Car :
Si un vernaculaire oral doit devenir la langue destinée à aborder
tous les sujets et couvrir tous les besoins d’une société développée,
il va lui falloir mettre au point des outils linguistiques nécessaires,
et pour cela acquérir une forme écrite (la graphisation) ainsi que
la syntaxe que requièrent des documents écrits (la grammaire de
l’écrit a un fonctionnement sensiblement différent de celle de
l’oral). Il va également devoir adapter son lexique pour aborder
une gamme plus vaste de domaines. (López, 2004 : 257).
C’est dans le cadre scolaire que le processus de
graphitisation s’est posé de manière impérative car enseigner
une langue nécessite de dégager des règles d’écriture communes
et homogènes pour tous les usagers de la langue. Cette
situation a exigé des rencontres entre les linguistes et les
praticiens de la langue afin d’élaborer et d’établir une
orthographe unique. C’est à l’issue de ces rencontres et
travaux7 qu’une norme d’écriture appelée «écriture usuelle » a
été élaborée et peaufinée peu à peu. De ce fait, l’école
représente la première instance de d’harmonisation et de

7
Il s’agit de : rencontres Inalco 1996, 1998 ; Barcelone 2007 ; Boumerdes
2010 ; Ilugan n tira 2005, 2009 ; Aslugen n tira 2010.

158
diffusion du standard graphique et a pu faciliter la fixation de
la langue et sa vulgarisation dans la société.

4.5. Naissance des genres


Dans la même lancée et avec l’école, tamazight a également
connu la naissance de genres textuels nouveaux, qui sont des
textes écrits ou oraux, conçus comme des modèles par le biais
desquels tout domaine d’activités développe ses propres
pratiques langagières : « les genres sont spécifiques à chaque
culture, à chaque langue et à chaque époque : c’est dans ce
cadre qu’on les qualifie de socio-historiquement situés ».
(Meksem, 2016).
Ces dernières années la langue a connu une diversification
textuelle importante :
Les changements opérés par les lois concernant l’amazigh, en
Algérie au Maroc, ont été à l’origine de l’introduction de cette
langue dans des sphères nouvelles qui l’ont amenée à se déployer
langagièrement pour assurer sa survie, sa vitalité et son
fonctionnement. (Meksem, 2016 : 198).
En somme, son introduction dans le système éducatif l’a
obligée à se doter de moyens langagiers lui permettant de
fonctionner comme toute autre langue en classe. C’est dans ce
cadre que sont élaborés des genres scolaires qui sont des textes
spécifiques à l’école et n’ont d’existence que dans le cadre
scolaire, à savoir : manuels, documents d’accompagnement,
programmes, leçons, exercices, projets pédagogiques,
consignes, productions écrite et orales, résumés. Par ces textes,
la nomenclature générique de la langue s’est enrichie et sans la
découverte de l’école comme domaine nouveau, les genres
scolaires amazighes naissants n’auront pas pu voir le jour.

4.6. Représentations sociolinguistiques


Les représentations sociolinguistiques qui sont, «l’ensemble
des images, des positions idéologiques, des croyances qu’ont
les locuteurs à propos des langues en présence et des pratiques
linguistiques, les leur et celles des autres » (Calvet, 1998 : 22)

159
constituent un levier important pouvant contribuer à la
sauvegarde ou non de la langue. L’école sert ordinairement à
construire autour d’une langue des représentations positives.
Parfois, elle est jugée comme une arme à double tranchant car,
dans la main du pouvoir et servant son idéologie, elle ne peut
que suivre l’orientation glottopolitique du pays qui dicte les
mécanismes à mettre en œuvre pour fonder le type de
représentations envers une langue. Dans le cas de la
minoration d’une langue qui est un type de marginalisation, il
se décline sous plusieurs indices qui renforcent la minoration
que P. Blanchet qualifie de glottophobie,
C’est-à-dire un mépris, une hostilité, voire une haine, et donc un
rejet, une exclusion, exercés contre des personnes utilisant
certaines formes linguistiques (des langues, des dialectes ou des
usages d’une langue) considérées comme incorrectes, inférieures,
mauvaises, en général en focalisant sur les formes linguistiques et
sans avoir pleinement conscience de l’ampleur des effets produits
sur les personnes. (Blanchet, 2013 : 101).
C’est dans ce bain glottophobique que tamazight a vivoté
pendant plusieurs années après l’indépendance. Cependant,
même si tous ces ingrédients négatifs existent, ils n’ont pas pu
entamer la volonté et la motivation des élèves à étudier leur
langue. Pour preuve, en Algérie, son enseignement est
facultatif, parfois non-sanctionné par des examens de fin de
cycle. Dans certaines régions, il est soumis à l’autorisation
parentale ; toutefois en dépit de toutes ces entraves, aucune
demande venant des parents n’est introduite pour dispenser
leurs enfants de cet enseignement.
Il est donc important de voir que le rôle de l’école ne se
limite pas à transmettre des savoirs linguistiques et
métalinguistiques, mais elle sert aussi à encourager des
attitudes positives envers la langue. Par ailleurs, cette
scolarisation garantira la survie et la sauvegarde de la langue
car plusieurs générations participeront à sa protection et à sa
transmission intergénérationnelles.

160
4.7. Littéracie et présence graphique
A l’origine, l’écriture en tamazight a connu une indigence
graphique importante, même si on fait remonter les premiers
écrits au XIXe siècle. Sa position sur l’échelle des valeurs dans
le marché linguistique n’a pas explicitement encouragé la
publication dans cette langue et son lectorat s’est limité à
quelques initiés. Par conséquent sa présence graphique est
pratiquement absente. Après l’indépendance, c’est dans la
clandestinité et dans le sillage du tissu associatif que quelques
expériences en écriture ont connu le jour.
C’est avec l’école que l’écrit s’est amplifié. En effet, la
scolarisation de plusieurs milliers de locuteurs, d’abord dans
les associations, puis dans les universités et enfin dans les écoles
primaires, les collèges et les lycées, a permis l’émergence de
compétences littéraciques dans cette la langue. L’indicateur le
plus parlant à ce sujet est le nombre des lecteurs et des
productions écrites qui se développent de jour en jour. Et cela
représente un encouragement pour l’édition en tamazight qui
a été à l’origine de l’expansion de sa graphie dans tous les
domaines : journaux, romans, revues, bandes dessinées, actes
de colloques, manuels, para-scolaires, dictionnaires, lexiques,
et supports pédagogiques modernes tels que : écrits
numériques, logiciels informatiques servant à l’apprentissage
de la langue.
La langue prend donc place dans l’environnement, dans
l’édition et sa présence graphique se répand dans de nouvelles
sphères qui lui octroient une grande visibilité.

Pour conclure
Cette modeste contribution montre comment l’école peut
assurer une vitalité pour la langue et comment elle peut
contribuer, avec son articulation avec d’autres domaines
d’usage, au développement d’une langue minorée. Comme
nous venons de le voir, dans le cas de tamazight, l’école a été
l’un des moteurs, et non les moindres, qui ont participé sur
plusieurs plans et d’une manière implicite ou explicite à la

161
garantie de la diversité linguistique, à sa sauvegarde et à sa
vitalité, à sa promotion sur le plan littéracique et sur le plan de
sa visibilité graphique et enfin à sa transmission
intergénérationnelle.
Le schéma suivant récapitule l’apport de l’école à la survie de
la langue.

Figure 1. L’école et son impact sur la revitalisation de tamazight.

162
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