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Dr.

Takamte Pierre Marie


Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

UNIVERSITE DE YAOUNDE II-SOA


FACULTE DE SCIENCES JURIDIQUE ET POLITIQUE
DEPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE
NIVEAU 4

ELEMENTS DU COURS DE LA COOPERATION DECENTRALISEE

CHAPITRE 1 :
DEFINITIONS DES CONCEPTS

Si les hommes prenaient la peine de s'entendre au préalable sur les mots qu'ils allaient utiliser, il y aurait moins de
problèmes dans le monde. C'est fort de cette somptueuse allégation d'Aristote (384-329) que nous voulons dégager la
spécificité de sens mieux, la polysémie que renferment les concepts clés de notre cours à savoir, coopération
décentralisée, collectivités territoriales décentralisées, intercommunalité, partenariat...

1.1. LA COOPERATION DECENTRALISEE

Avant d'être reconnue institutionnellement, la coopération décentralisée est née de la pratique spontanée des
collectivités. Il n'existe pas de définition consensuelle au niveau international, mais les pratiques convergent. La
coopération décentralisée désigne en France l'ensemble des initiatives et actions de coopération internationale menées
par une ou plusieurs collectivités territoriales françaises (régions, départements, communes et leurs groupements) et
une ou plusieurs collectivités étrangères, formalisées par des conventions.
En effet, ces conventions définissent les activités qui seront développées au cours de la coopération ainsi que leurs
modalités techniques et financières. La coopération peut prendre diverses formes : aide au développement, appui
institutionnel, gestion commune de biens et de services, coopération transfrontalière ou coopération interrégionale.
L'autonomie des collectivités territoriales est reconnue officiellement par la loi française 1.

La coopération décentralisée au sens français se base donc avant tout sur ses acteurs (les collectivités territoriales)
ainsi que sur la modalité contractuelle, et non sur le contenu, qui peut être extrêmement variable. Les collectivités sont
tenues de respecter les engagements internationaux de la France dans le cadre de leurs actions extérieures. Les
collectivités locales peuvent bénéficier d'un accompagnement institutionnel si elles le souhaitent malgré l'autonomie de
leur coopération vis à vis de l'Etat central.

Au sens français la coopération décentralisée désigne l’établissement de relations de long terme entre collectivités
territoriales françaises (régions, départements, communes et leurs groupements) et étrangères, formalisées par des
conventions. Celles-ci définissent les actions de coopération prévues et leurs modalités techniques et financières. La
coopération peut prendre des formes diverses : aide au développement, appui institutionnel, gestion commune de
biens et de services, coopération transfrontalière ou coopération interrégionale.
Cette définition est inscrite dans la loi (du 25 janvier 2007) : cette capacité reconnue officiellement aux collectivités
territoriales inscrit leur action en matière de coopération dans un cadre juridique, administratif et budgétaire précis.
Selon l’encyclopédie livre Wikipédia, la coopération décentralisée n’est rien d’autre qu’un mode de coopération
comprenant toutes les relations d'amitié, de jumelage ou de partenariat nouées entre les collectivités locales d'un pays
et les collectivités, équivalentes ou non, d'autres pays. La coopération décentralisée doit se concrétiser par une
convention entre deux autorités locales. Par extension, on y inclut différentes formes d'assistance ou d'échanges

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HTTP://WWW.FRANCEAMSUD.ORG
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d'expériences avec des structures publiques locales étrangères. Mais on parle alors d'« action internationale des
collectivités »2.
La notion de "coopération décentralisée" est multidimensionnelle et certains auteurs cèdent à la tentation de parler des
« coopérations décentralisées » (collectif de thiers, 1983). Mais la coopération décentralisée est une et une seule (Nach
Mback, 1994). Dans la pratique, le même terme de « coopération décentralisée » peut revêtir des significations
différentes et englober de manière plus ou moins extensive l'ensemble des acteurs de la coopération internationale.
D'ailleurs, le règlement du conseil d'Europe accorde la qualité d'agent de coopération décentralisée à tous les acteurs
dits "infra étatiques" ; c'est-à-dire toutes les organisations et personnes morales qui ne relèvent pas directement du
gouvernement, qu'elles soient publiques ou privées. Il peut s'agir de la sorte aussi bien de collectivités et autorités
territoriales ou locales que d'associations, d'ONGs et autres partenaires publics ou privés.
En revanche, selon les termes du droit français, la qualité et le statut d'agent de coopération décentralisée sont
réservés uniquement aux collectivités et autorités territoriales car on considère qu'il s'agit des relations décentralisées
au sens public de l'expression (Santus, 2003 : 8).

Pour Jean-Louis Vénard, la Coopération Décentralisée s'entend aujourd'hui dans un double sens : d'une part, les
institutions de coopération tendent de plus en plus à favoriser la mobilisation des collectivités locales des pays
développés au service du développement urbain en Afrique en apportant des compléments de financement aux accords
directs passés entre villes du Nord et du Sud désignés sous le nom de "jumelage - coopération". D'autre part, selon le
sens qui lui est donné par la CEE, la coopération décentralisée a pour objet de mettre l'aide au développement
directement à la disposition des collectivités locales du Sud en contournant les administrations centrales des Etats
(Jaglin et Dubresson, 1993). Allant dans le même sens, Franck Petiteville définit la coopération décentralisée comme
une nouvelle forme de coopération internationale avec pour pendant l'acheminement de l'Aide Publique au
Développement (APD) au Sud, aussi utilise-t-il avec insistance l'expression "coopération décentralisée pour le
développement", pour catégoriser les relations Nord-Sud (Petiteville, 1995).

Remarquons que ces différentes approches de la coopération décentralisée Nord-Sud sont essentiellement
réductionnistes et constituent un facteur de minorisation de cette nouvelle forme de coopération internationale car,
occultant, mieux faisant l'impasse sur les différentes interactions et/ou légitimations réciproques qui sont à l'œuvre dans
ce jeu.
D’après Bernard Dolez, la "coopération décentralisée" renvoie aux relations que les collectivités territoriales nouent
avec leurs homologues étrangers (Dolez, 1993). Née dans un univers relationnel essentiellement interdépendant, la
coopération décentralisée regroupe l'ensemble des actions de coopération internationale menées entre une ou
plusieurs collectivités territoriales (régions, communes et leurs groupements) et une ou plusieurs autorités locales
étrangères dans un intérêt commun fut-il relatif. Il s'agit finalement d'un ensemble de relations de solidarité et/ou de
partenariat que développent les collectivités locales françaises avec leurs homologues Camerounais dans un intérêt
commun sinon égal du moins équitable.

1.2. COLLECTIVITES LOCALES, TERRITORIALES, DECENTRALISEES


On fait quelque fois la distinction entre la collectivité territoriale caractérisée à la fois par son étendue territoriale, s es
attributions et son organisation d'une part, et la collectivité locale, notion plus large qui englobe les collectivités
territoriales au sens strict défini ci-dessus et des établissements publics territoriaux. Les établissements publics
territoriaux se caractérisent par une organisation liée aux collectivités territoriales (il s'agit dans le cas Camerounais des
syndicats de communes).
Suivant cette distinction, une commune est aussi bien une collectivité territoriale qu'une collectivité locale alors que le
syndicat des communes serait un établissement public territorial et une collectivité locale, mais pas une collectivité
territoriale (Finken, 1996 :13). Dans la pratique, on utilise indifféremment les deux termes de même que l'expression
"collectivité décentralisée" pour désigner les constituants de l'administration décentralisée du territoire. Il s'agit de façon
bref des entités relevant du droit public, localisées sur une portion du territoire national, bénéficiant d'une personnalité

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http://fr.wikipedia.org/wiki/Coop%C3%A9ration_d%C3%A9centralis%C3%A9e
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juridique, d'une autonomie financière et d'un pouvoir de s'administrer par les autorités élues (Baguenard, 1980 ;
Burdeau, 1980 : 400-401).
Les termes "infra étatique" ou "sub-étatique" fréquemment mobilisés pour qualifier les collectivités locales marquent la
difficulté des internationalistes à célébrer le deuil tant d'un stato-centrisme que d'un transnationalisme enthousiaste ou
importé, que l'on remet heureusement en cause suite à l'ouvrage de Risse-Kappen (1995).
L'engagement des collectivités locales sur la scène internationale est fondé par l'ordre étatique et l'on ne voit pas, dans
le cas d'espèce, ce qui serait "infra étatique" ou "sub étatique". On constate à contrario que les collectivités locales et
les services de l'Etat agissent de concert sur l'ensemble du territoire national - ce qui est sans doute récent - mais invite
néanmoins à prendre en compte les évolutions globales de l'action publique dans l'analyse des relations internationales
(Vion ; Négrier, 2002 : 7).
Il en est de même des préfixes "infra" ou "sub" qui suggèrent l'existence d'un jeu local échappant au contrôle des
administrations d'Etat. Ceci est certes vrai mais fait l'obstacle sur tout un jeu de légitimations réciproques dans lequel se
renforcent ou se limitent les capacités d'action de tel ou tel autre protagoniste.
Dans le cadre de ce cours, nous allons aussi utiliser le concept d' « acteur gouvernemental non central » cité par
Hocking en 1993 (Négrier ; Vion, 2002 : 8). Ce concept semble plus opératoire dans le cadre de notre cours dans la
mesure où, il sera question de voir dans une certaine mesure comment l'Etat tend à pratiquer une logique de sous-
traitance en matière de politique étrangère en confiant certains secteurs de son agenda politique saturé (Blom ;
Charillon, 2001) aux collectivités locales. Il va de soi cependant que le concept d' « acteur gouvernemental non
central » ne doit pas être appréhendé sous le prisme de la déconcentration administrative mais sous celui de la
décentralisation de la coopération internationale.
1.3. QU’EST-CE QUE L’INTERCOMMUNALITE3 ?
L’expression intercommunalité désigne les différentes formes de coopération existant entre les communes. Le
regroupement de communes au sein d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) peut répondre à
deux objectifs très différents :

 la gestion commune de certains services publics locaux (ramassage des ordures ménagères, transports urbains...) ou
la réalisation d’équipements locaux, de manière à mieux répartir les coûts et à profiter d’économies d’échelle. Dans ce
cas, les communes recherchent une forme de coopération intercommunale relativement souple ou
« associative » ; on parle donc d’une intercommunalité de gestion.
 la conduite collective de projets de développement local. En faisant ce choix, les communes optent pour une forme de
coopération plus intégrée ou « fédérative ». il s’agit pour ce deuxième cas d’une intercommunalité de projet.

Le financement de l’intercommunalité ne sera pas le même suivant que le regroupement intercommunal est de type
associatif ou fédératif. L’intercommunalité associative est dite sans fiscalité propre, c’est-à-dire qu’elle dépend des
contributions des communes membres dont la quote-part est en principe fixée par les statuts de l’établissement.
L’intercommunalité fédérative connaît un régime de fiscalité propre, ce qui permet aux communautés de disposer de
recettes fiscales directes.

L’intercommunalité permet aux communes de se regrouper au sein d’un établissement public, (EPIC), soit pour
assurer certaines prestations (ramassage des ordures ménagères, assainissement, transports urbains...), soit pour
élaborer de véritables projets de développement économique, d’aménagement ou d’urbanisme. Depuis la loi de 1999,
les communes ne peuvent pas adhérer à plus d’un établissement de coopération intercommunale.

1.4. LE PARTENARIAT

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http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/collectivites-territoriales/intercommunalite-cooperation-
locale/comment-definir-intercommunalite.html
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Le mot partenariat est à la mode aujourd'hui. Le banquier, l'entrepreneur se disent volontiers être partenaires de leurs
clients. Dans l'arène sociale et politique, on parle couramment de partenaires sociaux. Même dans un couple, on parle
de partenaires. Aucune de ces définitions ne semble satisfaire à notre préoccupation car il existe donc plusieurs
définitions du terme « Partenariat » :
Selon wikipedia, le partenariat se définit aussi comme une association active de différents intervenants qui, tout en
maintenant leur autonomie, acceptent de mettre en commun leurs efforts en vue de réaliser un objectif collectif relié à
un problème ou à un besoin clairement identifié dans lequel, en vertu de leur mission respective, ils ont un intérêt, une
responsabilité, une motivation, voire une obligation4.
Le partenariat est une technique de développement et de management qui unit des partenaires par un accord d’intérêts
communs aux termes duquel ils s’engagent à coopérer durablement en partageant leurs connaissances et leurs
expériences respectives. Selon cette définitions, les partenaires œuvrent en commun pendant toute la durée du contrat,
en échangeant leurs expériences et leurs connaissances dans le but d’un développement réciproque et équilibré, dans
un esprit de partenariat, éloigné de toute manifestation hiérarchique, tout en préservant l’identité et la réputation du
réseau.

Par ce concept, entendons simplement (ici qu’un partenariat est) un système de relations construites par différents
acteurs dans un univers relationnel essentiellement interdépendant, prenant au sérieux le principe de "réciprocité". C'est
le lieu de rappeler que la réciprocité est un principe de droit international selon lequel un Etat subordonne l'exécution de
ses engagements ou de ses obligations à l'attitude équivalente de la part d'un autre Etat. L'article 55 de la constitution
française de 1958 prévoit d'ailleurs une condition de réciprocité d'application des traités ou accords régulièrement
ratifiés ou approuvés pour que ceux-ci aient dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois (Debbasch ;
Bourdon ; Ricci, 2001).

Pour terminer, selon (Nach Mback, 1994), la notion de partenariat implique un échange de prestations au service des
intérêts mutuels des parties. C’est une relation fondée essentiellement sur la logique « donnant - donnant » et/ou « win -
win » entrainant suivant certains pays la notion de partenariat stratégique.

- Un partenariat stratégique est une entente entre le Programme d’apprentissage mixte, un ministère ou une agence
et un élément, une section locale de l’Alliance de la Fonction publique ou un autre agent négociateur visant la prestation
d’un nombre déterminé d’ateliers échelonnés sur une période précise. L’entente se fait par écrit et prend la forme d’un
protocole d’entente décrivant les responsabilités de chaque partenaire.

La notion de partenariat peut donc se résumer ou se définir par :


a. Une relation équitable entre deux acteurs ou plus,
b. Les objectifs et modalités de la coopération sont le fruit d'une négociation,
c. La relation est basée sur le respect, l'engagement mutuel, et la confiance,
d. Il existe un niveau minimum d'autonomie des partenaires,
e. Une répartition claire des rôles et responsabilités de chacun,
f. Une complémentarité et un échange réciproque entre les acteurs,
g. Les relations se construisent de manière progressive,
h. Malgré les spécificités de chacun, il existe une vision commune du projet,
i. La relation est transparente
j. La communication est fluide et constante avec un langage commun.

CHAPITRE 2
ETAT DES LIEUX DE LA DECENTRALISATION ET GOUVERNANCE LOCALE AU CAMEROUN

Introduction :

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http://fr.wikipedia.org/wiki/Partenariat
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Aux termes de la loi n° 2004/017 du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation


au Cameroun, la décentralisation consiste en un transfert par l’Etat aux collectivités
territoriales décentralisées de compétences particulières et de moyens appropriés. Au
Cameroun, ce phénomène, vieux comme l’histoire institutionnelle de ce pays, a connu
jusqu’à ce jour une triple détente.
D’abord de 18841 à 19602, les solutions relatives à la gestion des populations sont restées
tributaires des politiques mises en œuvre par les forces occupantes. En effet, suite au rejet
par les anglais de l’offre de colonisation des rois Douala, le Cameroun s’est successivement
retrouvé sous le régime de l’occupation allemande, puis du mandat franco-britannique au
lendemain de la première guerre mondiale, après la défaite des allemands contre les forces
alliées.
Pour marquer leur présence sur ce territoire, les britanniques mirent immédiatement en
application le système dit de l’indirect rule qui impliquait les indigènes dans le processus de
gestion des intérêts de l’empire. Ce fut la première amorce de la décentralisation.
Restés dans une logique plus centralisatrice, les français attendirent 1941 pour prendre
l’initiative de créer au Cameroun des communes mixtes. Le décret du 23 avril 1941 qui créa
ces institutions consacrait un système de décentralisation légère avec une structuration
bicéphale. Les deux communes mixtes qu’il instaurait à Douala et à Yaoundé étaient dirigées
par des administrateurs-maires nommés et une commission municipale inégalitairement
composée de quatre notables français discrétionnairement désignés par le Gouverneur
français au Cameroun, et deux indigènes choisis dans les mêmes conditions.

Il a fallu attendre la loi du 18 novembre 1955 réorganisant l’institution municipale au Cameroun pour voir apparaître un
statut communal relativement élaboré, qui restait toutefois dominé par l’exécutif colonial.
La période qui alla de 1960 à 1996 fut marquée, en dépit de la promulgation de la loi du 05 décembre 1974 portant
organisation communale, par la continuation de la logique coloniale à travers l’institutionnalisation d’un mode de
gouvernance qui confinait l’idéal de la décentralisation à sa simple dimension incantatoire.
Mais avec la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996, l’on a assisté à une proclamation plus explicite de la
décentralisation, avec une évolution structurelle à travers la création d’une nouvelle classe de collectivité territoriale
décentralisée à coté de la commune, à savoir la région.
Seulement, au-delà de ces considérations historiques préalables, l’ont observe que si les premières velléités de
décentralisation au Cameroun datent des années qui précèdent l’indépendance, l’intensification de ce phénomène est
rattachable à la période de la crise économique internationale qui a eu une répercussion particulière dans l’ensemble
des pays d’Afrique subsaharienne au début des années 1990.
Il ressort de l’observation logique de cette période que la crédibilité de l’Etat central devenait de plus en plus remise en
cause du fait de l’absence de réponses concrètes aux problèmes quotidiens des populations.
La loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 qui est arrivée dans ce contexte a consacré la décentralisation comme un
principe fondamental de l’organisation de la gouvernance étatique, et les textes d’application qui l’ont suivi affirment
l’engagement du pouvoir central de transférer un certain nombre de compétences aux autorités locales dans la
perspective d’une gestion locale, confinant ainsi le rôle de l’Etat à l’accomplissement de ses missions régaliennes.

A la vérité, les fondements véritables de la décentralisation au Cameroun résident dans l’intensification de la pauvreté,
l’accroissement démographique et le désir de participation des populations à la gestion de leur vie, toutes choses qui
rendaient difficile une gestion efficace de proximité dans la logique dirigiste de l’Etat central.
Par ailleurs, il est important de relever de manière générale que la décentralisation qui consiste pour l’Etat à octroyer un
statut de personne morale de droit public à des collectivités infra étatiques et à doter leurs organes généralement
désignés par l’élection d’un pouvoir de décision sur les affaires locales, constitue l’axe fondamental de promotion du
développement, de la démocratie et de la bonne gouvernance au niveau local.
Au Cameroun, à la lumière des lois de décentralisation de 2004, l’on observe une redéfinition des relations entre le
pouvoir central et le pouvoir local que nous analyserons du double point de vue du transfert étatique de compétences

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aux collectivités territoriales décentralisées (2.1.) et de la consécration des ressources financières nécessaires auxdites
collectivités pour leur permettre de remplir les missions qui leur sont dévolues (2.2.).

2.1. LEMECANISME DE TRANSFERT ETATIQUE DES COMPETENCES AUX COLLECTIVITES TERRITORIALES


DECENTRALISEES : UN MODE D’EMERGENCE DE LA GOUVERNANCE LOCALE

La constitution camerounaise du 18 janvier 1996 et les différentes lois dites de décentralisation instituent au Cameroun
un mécanisme de transfert des compétences par lequel l’Etat reconnait aux collectivités territoriales décentralisées des
attributions et des prérogatives propres, pour une gestion appropriée des affaires locales à travers des organes
consacrés.
De fait, l’on peut affirmer d’un point de vue conceptuel que les collectivités territoriales décentralisées constituent un
cadre d’expression de la gouvernance locale (2 .1.1.), tout en les percevant dans une acception pratique comme des
moteurs de la démocratie et de la gestion publique au niveau de leur cadre territorial de compétence (2 .1.2.).

2 .1.1. Les collectivités territoriales décentralisées : Expression constitutionnelle de la reconnaissance des


compétences locales

Aux termes de l’article 1(2) de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996, « Le Cameroun est un Etat unitaire
décentralisé ». Cette décentralisation se matérialise à travers deux types de collectivités territoriales décentralisées qu e
sont la commune et la région.
L’on peut affirmer dans ce pays qui compte 14 communautés urbaines, 360 communes et 10 régions, que la réception
de l’idée communale date de l’époque coloniale. Dès 1922 dans la partie occidentale sous autorité britannique, les «
native authorities » et les « local Councils », institutions locales gérées par les indigènes, étaient déjà autorisées à
légiférer et à établir des impôts locaux sous le contrôle des « district officers », sorte de Préfets de notre époque.
Dans la partie orientale placée sous influence française, le décret du 23 avril 1941 avait organisé le régime des
communes mixtes, sous la direction combinée de représentants de la métropole et des populations locales. Ces
communes mixtes étaient dirigées par un maire, compétent en matière d’état civil, de police municipale et de petite
voirie. Leurs organes délibérants appelés commissions municipales étaient compétents pour se prononcer sur le budget
communal, les comptes administratifs et de gestion des biens communaux.

L’année 1955 marque une évolution avec la naissance des communes de plein et de moyen
exercice, sans pour autant doter ces institutions de véritables pouvoirs de gestion locales, du
fait de la permanence des velléités centralisatrices des puissances coloniales. C’est avec la réforme du 05 décembre
1974 que la commune camerounaise se retrouve pour
la première fois dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière.
Par la suite, après la promulgation de la constitution de 1996, la loi d’orientation de la
décentralisation du 22 juillet 2004 est intervenue dans l’esprit du constituant de 1996, pour
définir le nouveau contexte institutionnel de la décentralisation au Cameroun. Elle mentionne
notamment que les collectivités territoriales décentralisées sont des personnes morales de
droit public, jouissant de l’autonomie administrative et financière pour la gestion des intérêts
régionaux et locaux.
Un tel statut consacre à la région et à la commune des capacités juridiques nécessaires à la
bonne conduite de nouvelles responsabilités à elles confiées par les dispositions législatives
et réglementaires en vigueur, notamment dans les domaines social, économique, sanitaire et
éducatif.

2.1.1.1. En matière sociale


La décentralisation confère aux Régions la responsabilité de l’élaboration et de l’exécution des plans régionaux de
développement. La loi d’orientation de la décentralisation dispose que la région peut engager des actions
complémentaires de celles de l’Etat dans le cadre de l’aménagement du territoire, de la planification ou de la gestion
des infrastructures d’intérêt régional.
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Dans le même ordre d’idées, la loi du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes fait de cette institution
la collectivité locale de base, à laquelle revient la compétence de gérer les affaires locales sous la tutelle de l’Etat, en
vue du développement social et culturel de ses populations.
Ce même texte reconnait de larges compétences aux communes en matière d’élaboration des plans d’occupation des
sols, des documents d’urbanisme, de rénovation urbaine et de remembrement, de délivrance des certificats
d’urbanisme, des autorisations de lotir, des permis de construire, ainsi que pour l’organisation et la gestion des
transports publics, l’éclairage des voies publiques, l’adressage et la dénomination des rues, places et édifices publics.

2.1.1.2. En matière économique


La loi du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions mentionne à la charge de ces institutions le devoir
d’animer l’activité économique de leurs espaces de compétence, par la promotion des produits spécifiques de leurs
localités dans le domaine de l’artisanat, de l’agriculture, de l’élevage ou de la pêche.
Quant aux communes, les dispositions textuelles qui en régissent le fonctionnement leur confèrent des responsabilités
sur l’action économique, la gestion de l’environnement et des ressources naturelles, la planification et l’aménagement
du territoire ou les travaux publics. Il s’agit globalement de la promotion des activités productrices, de la mise en valeur
des sites touristiques, de l’appui aux micros projets générateurs d’emplois et de revenus, de la construction
d’équipements, de la gestion et de l’entretien des marchés, des gares routières et des abattoirs.
Cette responsabilité touche également des secteurs comme l’alimentation en eau potable 11, l’enlèvement et la gestion
des ordures ménagères 12 ou les actions de reboisement. Certaines autorités municipales, dans le cadre de
l’assainissement des zones marécageuses, prennent l’initiative de planter des arbres dont le rôle est en même temps
d’assécher les marécages et d’éviter ainsi la prolifération des moustiques. Cette solution est depuis un certain temps
mise en œuvre par les Délégués du gouvernement de Yaoundé et Douala, qui entreprennent l’aménagement des zones
marécageuses jadis réputées insalubres et dangereuses13, en les reboisant et en les réhabilitant pour en faire des
aires de convergence et de loisir pour les populations de leurs localités.
Dans la partie septentrionale du pays, cette pratique du reboisement permet plutôt aux autorités municipales,
notamment dans les villes de Garoua et de Tokombéré de retarder l’avancée du désert, alors que dans la région de
l’Ouest caractérisée par des vents secs, elle sert de stratégie de coupe-vent.

2.1.1.3. Dans le domaine sanitaire


Les lois relatives à la décentralisation reconnaissent aux collectivités territoriales décentralisées des prérogatives
importantes en matière de création, d’entretien, de gestion des formations sanitaires et d’assistance sociale.

2.1.1.4. Dans le domaine éducatif


L’Etat cède aux collectivités locales la conception et la mise en œuvre des politiques publiques afférentes à l’éducation,
à l’alphabétisation et à la formation professionnelle, ainsi qu’à l’épanouissement de la jeunesse, à la promotion des
sports et loisirs, de la culture et des langues nationales. Une telle responsabilité doit se concrétiser par la conception et
la construction des infrastructures sportives et socio-éducatives, des centres socioculturels ou des bibliothèques.
Au regard de tout ce qui précède, il apparait à l’analyse des nombreuses dispositions qui organisent la décentralisation
territoriale au Cameroun que les pouvoirs publics ont résolument fait le choix d’une option en faveur du dessaisissement
par l’Etat d’un nombre considérable de compétences au profit des collectivités territoriales décentralisées. Mais cette
politique de dessaisissement génère des responsabilités considérables qui justifient l’importance de la tache des
organes destinés à animer cette refondation des modes de gestion de la société à travers un décentrement des
vecteurs de développement.

2.1.2. Les organes des collectivités territoriales décentralisées: Moteurs de démocratie et de gestion publique
au niveau local
Avec l’avènement de la démocratie, la décentralisation apparait comme l’innovation institutionnelle majeure que le
Cameroun a connue au cours des deux dernières décennies.
Si ce phénomène offre un champ d’expression particulièrement large aux collectivités territoriales décentralisées, il y a
préalablement lieu de reconnaitre que cette dynamique ne peut être porteuse de résultats concrets que si elle est
animée par des organes compétents et autonomes, détenant des prérogatives incontestables.
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2.1.2.1. Les Conseils des collectivités territoriales décentralisées : Cellules de base de la gestion des affaires
locales
Trois principes font des Conseils des collectivités territoriales décentralisées des instances
motrices de la gestion des affaires locales :

Premièrement, il s’agit d’organes libres. La loi du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation dispose à ce
sujet à son article 04 (2) que les collectivités locales s’administrent librement par des Conseils élus dans des conditions
fixées par la loi.
Deuxièmement, il s’agit d’instances de réflexion. Dans le processus de délibération concernant les questions afférentes
à la vie des collectivités locales, les conseils des collectivités territoriales décentralisées consacrent une grande place
au débat et à la concertation.
Troisièmement, il s’agit d’organes de conception et d’action. Ce sont les Conseils des collectivités territoriales
décentralisées qui définissent la politique générale dans le cadre de
la gestion des affaires locales, en adoptent les orientations, votent le budget, mettent en œuvre les modalités de
fonctionnement de l’administration desdites collectivités. C’est à ce
titre qu’ils statuent sur des questions importantes comme les autorisations spéciales de
recettes et de dépenses, l’approbation des plans d’urbanisme, l’autorisation des conventions
de coopération décentralisées, etc.
Ces Conseils fonctionnent dans une dynamique impulsée par les exécutifs locaux.

2.1.2.2. Les organes exécutifs des collectivités locales : Une dynamique de développement
Les organes exécutifs des collectivités locales exercent une double fonction de direction et d’animation.
De part leur rôle de direction, les chefs des exécutifs locaux représentent les collectivités
territoriales décentralisées dans les différents actes de la vie civile et en justice.
De plus, les deux lois du 22 juillet 2004 fixant respectivement les règles applicables aux communes et aux régions
confient aux maires dans les communes et aux présidents des régions des compétences sur les domaines tels que
l’état civil, la gestion des biens municipaux, la gestion des revenus municipaux, la gestion du personnel communal ou
de la police municipale.
Par ailleurs, dans leur fonction d’animation, les exécutifs locaux initient, impulsent et
dynamisent l’action des collectivités territoriales décentralisées à travers une vision qu’ils
proposent aux populations locales par des projets de développement pour lesquels ils
sollicitent leur confiance et leur adhésion.
Mais l’on peut observer que cette relation entre les exécutifs et les populations locales n’est pas suffisamment étroite,
du fait des limites inhérentes à la nature du mandat qui est confié par les deuxièmes aux premiers.
En effet, comme dans la plupart des législations contemporaines en matière de décentralisation, le système
camerounais soumet les exécutifs locaux à un mandat indicatif.
De fait, il existe comme une présomption irréfragable à travers une fiction juridique qui justifie que le maire de la
commune et le président de la région se situent dans chacun des actes qu’ils posent, dans la logique de la volonté et
donc des intérêts de leurs populations. Cette réalités n’est pas toujours vérifiable dans certains cas de dérive
pouvoiristes observées.
A titre de comparaison, dans le but d’assurer une participation plus active des populations à la gestion des affaires
locales, la législation française a consacré la pratique dite des « référendums officieux » qui donne la possibilité à
l’exécutif d’une collectivité locale de solliciter directement l’avis de la population locale sur une question précise, bien
que les résultats de cette consultation locale ne s’imposent pas à lui.
Cette nécessaire prise en compte de l’implication effective des populations locales est d’autant plus importante que la
principale finalité de la décentralisation est de rapprocher la décision du peuple pour lutter contre la pauvreté à travers
des mesures reposant sur une bonne connaissance des problèmes qui minent les bénéficiaires de cette forme de
gouvernance inversée.
De plus, cette implication des populations locales trouve également son fondement dans le double fait que les pouvoirs
reconnus aux exécutifs des collectivités territoriales décentralisées leur sont attribués à travers le mécanisme juridique
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Dr. Takamte Pierre Marie
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de la délégation par les susdites populations, auxquelles il revient naturellement le droit de contribuer à l’action de leurs
mandataires16 et subséquemment, de procéder aux contrôles y relatifs. Sur ce dernier point, il est évident, sur un plan
sociopolitique, que le contrôle des populations locales, notamment par la réclamation de la transparence dans la
gestion des affaires locales, diminue à tout le moins les risques d’un certain nombre de dérives tel que le risque de
décentralisation de la corruption.
Au terme de ces premiers développements, il apparait que la décentralisation est essentiellement basée sur le principe
du transfert par l’Etat aux collectivités locales des matières nécessaires à leur développement économique, social,
sanitaire, éducatif, culturel et sportif. Mais à la vérité, il convient de reconnaitre que ci ce préalable constitue une
condition nécessaire, celle-ci ne peut pas être suffisante, car il n’y a guère de décentralisation territoriale véritable sans
une décentralisation conséquente des ressources financières utiles à la gouvernance des affaires locales, toute chose
qui nous a conduit dans un deuxième temps à nous poser la question du financement de la décentralisation au
Cameroun.

2.2. LE SYSTEME CAMEROUNAIS DE FINANCEMENT DE LA DECENTRALISATION

L’étude du système de financement de la décentralisation au Cameroun renvoie à deux


aspects relevant d’une part de la contribution des institutions et des partenaires concourant à
la réalisation des missions des collectivités territoriales décentralisées (2.2.1) et d’autre part, à la
prise en compte des moyens issus de la décentralisation des ressources financières (2.2.2).

2.2.1. Les appuis institutionnels à la gestion des collectivités territoriales décentralisées


Un certain nombre de structures assurent un appui indispensable auprès des collectivités
territoriales décentralisées pour leur permettre d’assumer leurs responsabilités:

a) Le Fonds d’Equipement Intercommunal (FEICOM)


Créé par la loi n° 74/23 du 05 décembre 1974 portant organisation communale, le FEICOM
est un établissement public administratif doté de la personnalité juridique et de l’autonomie
financière. Cet organisme assiste les communes et leurs associations dans la mobilisation de
leurs ressources, la formation de leurs personnels, le financement de leurs projets
d’investissement et les opérations de coopération décentralisée.

Initialement conçu pour accompagner les collectivités locales dans le processus de décentralisation, le FEICOM est très
souvent amené à se substituer à elles, du fait de leurs faibles capacités de gestion. Cette possibilité de substitution qui
est prévue comme mesure exceptionnelle par les dispositions du décret qui fixe l’organisation et le fonctionnement du
FEICOM a plutôt tendance à constituer la règle. Ainsi, l’on observe que le paiement des marchés concernant la
réalisation des projets dont les communes son les maitres d’ouvrages s’effectue assez souvent directement par le
FEICOM à la faveur des prestataires, parce que les expériences de gestion directe par lesdites communes n’ont que
très rarement permis de mener à terme ces projets.
Sur un autre plan, le décret n° 98/263/PM du 12 août 1998 confère au FEICOM un rôle de centralisation et de
redistribution des centimes additionnels communaux, qui sont la première ressource des communes.
C’est sur ce fondement que cette institution, à la faveur du décret n° 2000/365 du 11 décembre 2000 portant
réorganisation du FEICOM, a développé à travers ses différentes agences disséminées sur le territoire national, un
réseau de recouvrement des ressources fiscales destinées aux communes. Cette approche a conduit à des résultats
concrets, puisque l’on a par exemple observé que les centimes additionnels communaux redistribués sont passés de
trois milliards en 2000 à près de huit milliards de francs cfa en 2004. L’année 2006 a permis de collecter et de
redistribuer plus de 26 milliards de francs cfa aux communes au titre des centimes additionnels communaux. La même
année, 365 projets ont été financés pour près de six milliards de francs cfa, permettant d’améliorer les conditions de vie
dans la quasi-totalité des communes du pays.
En dehors du FEICOM, l’on note également un appui à la réalisation des objectifs des communes en provenance de
certains partenaires

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Dr. Takamte Pierre Marie
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b) Les partenaires externes


Dans ses diverses missions, le FEICOM, en coaction avec le Ministère de la Décentralisation et du développement local
et le Ministère des Relations Extérieures, contribue à faciliter la rencontre des communes camerounaises avec les
municipalités d’autres pays, à travers un réseau de coopération décentralisée. C’est ainsi que de nombreux contacts
sont régulièrement noués et des jumelages opérés avec des communes d’Europe, d’Amérique et d’Asie.
Cette logique de partenariat est également mise en œuvre avec divers organismes de coopération. Il s’agit par exemple
du Programme National de Développement Participatif (PNDP), du Programme d’Appui aux Capacités Décentralisées
de Développement Urbain (PACDDU), du Programme d’Appui à la Décentralisation et au Développement Local
(PADDL).
Le financement des projets communaux peut aussi se réaliser à travers des actions concertées entre plusieurs
communes nationales dans la perspective d’un intérêt commun.

c) L’intercommunalité
La loi du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation dispose que les collectivités territoriales décentralisées
peuvent, sur une base conventionnelle, se regrouper librement pour exercer des compétences d’intérêt commun à
travers des organismes publics de coopération.
D’autre part, la loi n° 2004/18 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes évoque la possibilité pour
des communes d’un même département ou d’une même région de se regrouper en syndicats de communes. Ces
différentes formes de regroupements intercommunaux permettent souvent aux collectivités territoriales décentralisées
d’alléger le poids de certaines de leurs responsabilités.
Au-delà de la contribution de ces institutions d’appui à la réalisation de certaines missions des collectivités territoriales
décentralisées, il reste bien évident que la mise en œuvre complète et rationalisée de la décentralisation nécessite des
sources de financement substantielles.

2.2.2. La décentralisation des ressources financières

L’un des défis majeurs auxquels devront faire face les collectivités territoriales décentralisées
est celui de l’insuffisance du financement de leurs activités.
En effet, les collectivités locales sont désormais confrontées à une masse considérable d’obligations liées aux
compétences qui leur sont transférées. La plupart des services attendus de ces collectivités relevaient, avant les
mécanismes de transfert de compétences, des responsabilités qu’elles partageaient avec certains services de l’Etat.
Des études menées à ce sujet ont d’ailleurs montré dans le cadre des investissements effectués dans les communes,
que moins de 15% étaient réalisées par celles-ci. Or, dans un contexte nouveau de mise en œuvre effective de la
décentralisation, les collectivités locales sont obligées de rechercher des moyens importants de financement pour
assurer les missions qui leurs sont exclusivement transférées. C’est cette préoccupation qui nous conduit à examiner
leurs différentes sources directes de financement.

a) Les ressources transférées par l’Etat


Il s’agit des ressources fiscales et non fiscales.

a1) Les ressources fiscales


La loi n° 2002/003 du 19 avril 2002 portant code général des impôts attribue aux communes
des ressources issues de l’impôt libératoire, des centimes additionnels communaux et de la
redevance forestière annuelle.
Pour ce qui concerne l’impôt libératoire, la loi susvisée dispose que son tarif est arrêté par les
collectivités territoriales décentralisées bénéficiaires.
Cet impôt est liquidé par les services des impôts en application du tarif arrêté par les
collectivités territoriales décentralisées. Il est acquitté trimestriellement à la caisse de la recette municipale. Il concerne
les contribuables exerçant une activité commerciale ou
industrielle ne relevant ni du régime du bénéficiaire réel, ni du régime simplifié d’imposition.

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L’une des ressources les plus importantes des communes provient sans conteste les centimes
additionnels. Cette taxe instituée au profit des communes est fixée à 10% des impôts sur les
sociétés, des impôts sur le revenu des personnes physiques, de la taxe sur la valeur ajoutée,
de la taxe sur les jeux de hasard et les divertissements.
Les centimes additionnels concernant la taxe foncière sur les propriétés immobilières sont fixés à 25%. La répartition de
cette taxe qui est pour l’essentiel collectée par les régies financières de l’Etat est fixée de la manière suivante par le
décret n° 95/690/PM du 26 décembre 1995 modifié par le décret n° 98/263/PM du 12 août 1998 :

 10% au profit de l’Etat au titre des frais d’assiette et de recouvrement ;


 20% au profit du FEICOM ;
 70% au profit des communes.

Une autre ressource importante affectée aux communes est la redevance forestière annuelle.
Elle est assise sur la superficie du titre d’exploitation. Le produit de la redevance forestière est réparti de la manière
suivante :

 50% au profit de l’Etat ;


 40% pour les communes ;
 10% au bénéfice des communautés villageoises.

Un fonds de péréquation a été institué par l’Etat pour rationaliser la répartition du produit de cette redevance qui jusqu’à
présent, ne bénéficie qu’aux communes des zones forestières.

a2) Les ressources non fiscales


Elles relèvent du produit de l’exploitation du domaine et des services communaux. Il s’agit pour l’essentiel des taxes
liées à l’utilisation des infrastructures communales telles que :
1. la taxe d’abattage due par les bouchers pour le bétail tué dans les abattoirs aménagés
ou gérés par la commune ;
2. les droits de fourrière pour les animaux en divagation, les véhicules et tous les objets
trouvés sans gardien ;
3. les droits de place sur les marchés ;
4. les droits sur les permis de bâtir ;
5. les droits d’occupation temporaire de la voie publique ;
6. les taxes et droits d’occupation des parcs de stationnement ;
7. la taxe sur les spectacles ;
8. les droits de stades ;
9. la taxe sur la publicité ;
10. les droits de timbre ;
11. la taxe pour la dégradation des chaussées ;
12. la taxe de transhumance et de transit.

A la faveur du décret n° 94/232 du 05 décembre 1994 mettant fin au principe de l’unicité de


caisse, les communes gèrent désormais librement leurs recettes et règlent directement leurs dépenses. Les receveurs
municipaux ont ainsi le droit d’ouvrir des comptes séparés du Trésor public pour leurs communes respectives, dans les
conditions prévues par la loi.

b) Les ressources alternatives


L’insuffisance de ressources au niveau des collectivités territoriales décentralisées a de
sérieuses conséquences sur le développement économique, le progrès social et le bien-être
des populations locales.

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De ce fait, les communes doivent dans l’optique du nouveau contexte qui leur confie de grandes responsabilités,
acquérir la culture de l’emprunt à travers notamment le partenariat public/privé, ou par le système du crédit local.

b1) Le Partenariat public /privé


Le partenariat Public/Privé (PPP) est un mode de financement par lequel une autorité publique fait appel à des
prestataires privés pour financer et gérer un équipement assurant ou contribuant au service public. Un exemple typique
de ce partenariat peut consister, pour un entrepreneur privé, à construire par ses moyens, en accord avec une
collectivité locale, une infrastructure d’intérêt public comme un hôpital public, dont il gérera ensuite les activités non
médicales, selon les termes de la convention initiale sus évoquée.

b2) Le crédit local, source de financement de la Commune


Au vu de la faiblesse des ressources fiscales locales eu égard aux besoins de financement
des projets d’investissement à long terme, il devient impératif pour les communes d’avoir
recours à des sources de financement par l’emprunt.
Le problème majeur à ce niveau réside dans la satisfaction des conditions de prêt fixées par
ces institutions financières locales qui s’illustrent très peu en matière de financement des
collectivités territoriales.
En effet, le marché du crédit bancaire traditionnel est régi par la règle principale de la
solvabilité. De ce fait, les projets que présentent les communes doivent être « bancables ».
Ceci implique une nécessité de rentabilité. Or la caractéristique principale des projets
véhiculés par les collectivités locales repose sur leur finalité sociale. Cette logique rend
difficile un retour sur investissement pour des réalisations telles que les logements sociaux,
les parkings ou les adductions d’eau.
Il est donc indispensable, dans la nouvelle configuration de leurs responsabilités, que les collectivités locales fassent
intervenir la notion de rentabilité interne dans l’exploitation de certains de leurs services au titre d’une contribution à leur
financement. C’est dans cet esprit que les municipalités des grandes villes comme Yaoundé et Douala imposent
désormais aux usagers le péage des parkings de stationnement ou de certains axes routiers.

Conclusion chapitre 2
Le processus de décentralisation au Cameroun suit son cours et l’on pourrait penser qu’avec
la détermination des compétences transférées aux collectivités territoriales décentralisées, un grand pas a été franchi,
car le pouvoir de décision est entrain de migrer des sphères centrales de l’Etat vers les instances locales.
Cette mutation en faveur de la bonne gouvernance qui vise à assurer la convergence de toutes les énergies au niveau
local pour la réduction de la pauvreté, entraine de grandes responsabilités de la part des collectivités décentralisées.
Parce qu’une telle reconfiguration institutionnelle implique des ressources financières importantes, les collectivités
territoriales décentralisée devront s’atteler progressivement, avec la volonté du pouvoir central, à créer un cadre
juridique et des conditions propices à la promotion des économies locales.
Il y a toutefois lieux de relever pour une analyse complète que le transfert effectif des compétences aux entités
décentralisées n’annule pas complètement l’implication de l’Etat dans sa fonction de supervision. A titre d’exemple,
s’agissant du décret n° 2010/0242/PM du 26 février 2010 qui fixe les modalités d’exercice de certaines compétences
transférées par l’Etat aux communes en matière de promotion des activités de production agricole et de développement
rural, il est mentionné à son article 02 que les communes exercent leurs compétences « sans préjudice des
responsabilités et prérogatives reconnues à l’Etat». Il s’agit notamment selon la même disposition de « l’élaboration, la
planification et la réalisation des programmes gouvernementaux relatifs à l’agriculture et au développement
rural».
Néanmoins, il est souhaitable que la volonté politique se manifeste davantage pour la mise en œuvre d’une
décentralisation complètement opérationnelle. L’on peut par exemple noter en termes de pesanteurs que certaines
institutions créées par la constitution de 1996 ont récemment vu le jour en 2020. Sur ce point, l’on mentionnera
l’effectivité du Sénat qui, aux termes de l’article 20 de la constitution du 18 janvier 1996 « représente les collectivités
territoriales décentralisées», et du Conseil Constitutionnel, compétent pour statuer souverainement sur « les conflits
d’attribution entre les institutions de l’Etat, entre l’Etat et les régions, ou entre les régions».
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Même s’il faut admettre par référence aux dispositions transitoires de l’article 67 de la constitution de 1996 qu’ « une
lente liquidation d’un ancien ordre juridique ne peut exclure l’émergence d’un ordre nouveau», il y a tout de même lieu
de remarquer que plus de deux décennies après la promulgation de la loi fondamentale, le rythme de la mise en place
des nouvelles institutions créées en son sein n’est guère favorable à la mise en œuvre efficace des réformes qu’elle a
généré, notamment en matière de décentralisation.

CHAPITRE 3 :
HISTORIQUE ET SOCIOGENESE DE LA COOPERATION DECENTRALISEE
Ce chapitre se limitera à explorer tout d’abord dans un premier temps l’émergence conceptuelle et politique de la
coopération décentralisée (3.1.), avant d’aller par la suite vers la configuration même de la coopération décentralisée
(3.2.).

3.1. L'EMERGENCE CONCEPTUELLE ET POLITIQUE DE LA COOPERATION DECENTRALISEE


La coopération décentralisée se trouve actuellement entre deux grandes tendances : d’abord on peut la placer à la
croisée des chemins de la mondialisation et la décentralisation (1) ; avant de l’arranger ensuite dans une
dynamique issue d'une histoire complexe (2) qui montrerait que ce phénomène n’ait pu exister sans être
nommé héritage des jumelages traditionnels comme des mouvements de solidarité.

3.1.1. La coopération décentralisée à la croisée des chemins de la mondialisation et de la décentralisation.

L'apparition d'une approche nouvelle de la coopération internationale (appelée ici coopération décentralisée) pendant
les années 1980 est de prime abord le produit des mutations récentes du système international légitimé par le
phénomène de mondialisation (A). On pourrait dire qu’on assiste non seulement à l'invasion de nouveaux acteurs sur la
scène internationale qualifiés d'"acteurs transnationaux" mais aussi à une nouvelle distribution de la puissance. Elle est
même aussi le produit des mutations plus profondes de la gouvernance publique, ultérieure à la maturation progressive
des politiques de décentralisation (B).

A- LE PHENOMENE DE MONDIALISATION
L’ascension en puissance de la coopération décentralisée depuis les années 1980 coïncide à une période durant
laquelle le concept de mondialisation s'est imposé, englobant indifféremment diverses évolutions à l’instar de la
transnationalisation des relations internationales d’abord, et par la suite l'internationalisation des affaires locales. Tout
ceci contexte global est même commun aux collectivités territoriales du Nord et du Sud.

1) La trans-nationalisation des relations internationales


Dans leur livre intitulé « Le Retournement du monde », Bertrand Badie et Marie -Claude Smouts définissent les
relations transnationales comme « toutes relations sociales qui, par volonté délibérée ou par destination, se déploient
sur la scène mondiale au-delà du cadre étatique national et qui se réalisent en échappant au moins partiellement au
contrôle ou à l'action médiatrice des Etats » (cités par Blom et Charillon, 2001 :121). Ainsi, à côté des débordement/flux
économiques, démographiques et culturels qui échappent peu ou prou à l'initiative des Etats s'affirment un certain
nombre d'acteurs politiques et religieux auxquels il convient désormais d'ajouter les collectivités décentralisées
(Petiteville, 1995).
L'origine des flux qui constituent les relations internationales est diverse ou plurielle. Bien plus, l'émission étatique des
flux est relative (Sindjoun, 2002b :97). Dans le cas d'espèce, l'Etat aurait manqué son projet de recherche hégémonique
et de totalisation de l'espace (Bayart ; Mbembe ; Toulabor, 1992). Finalement, il serait contourné et relativisé à travers
les "modes populaires d'action transnationale" (Sindjoun, 2002b). Ce faisant, loin d'établir qu'à un « monde stato-
centré » s'est littéralement substitué un « monde multi-centré » (Rosenau, 1990 ; Badie et Smouts, 1992), Il est
question de remarquer que les acteurs transnationaux mieux, les collectivités locales participent d'une manière ou d'une
autre à la dilution du concept de souveraineté suivant le modèle Westphalien et, surtout, suscitent un remodelage de la
configuration hobbesienne de l'autorité souveraine (Mvondo, 2006).
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La réalité des débordements/flux transnationaux est donc permanente dans les relations internationales: transnational
relations are «regular interactions across national boundaries when at least one actor is a non-state agent or does not
operate on behalf of a national government or an intergovernmental organization» 5 (Risse-Kappen, 1995).
La montée en puissance des relations transnationales constitutives d'un "monde multicentré" aurait finalement favorisé
l'action à l'extérieur des collectivités locales en ce sens qu'elle aurait crée les conditions de la dynamique d'extension
des mobilités transterritoriales.
L'Etat n'a jamais occupé à lui tout seul le champ des relations internationales, il a entretenu des relations de
concurrence et/ou de complémentarité avec d'autres acteurs qualifiés par Rosenau d' « acteurs hors souveraineté »,
c'est-à-dire qui échappent de manière totale ou partielle à son contrôle souverain (cité par Sindjoun, 2002b : 96). Que
dire alors de l'internationalisation des affaires locales qui semble être inséparable aux flux des relations transnationales
des collectivités locales ?

2) L'internationalisation des affaires locales


La mondialisation dans laquelle s'inscrit toute action de coopération décentralisée a considérablement élargi le spectre
géographique de destination des projets et les opportunités de partenariat par-delà les continents. Si l'Europe, puis
l'Afrique restent les deux pôles majeurs, la mondialisation et la libération des énergies locales ouvrent de nouvelles
perspectives de coopération comme en témoignent les partenariats plus récents entre les collectivités des pays
émergents et celles du Nord dans une perspective d'apport mutuel pour le développement (Santus, 2003 :13).
L'internationalisation des affaires locales dont nous parlons ici est la conséquence logique de la transnationalisation des
flux inhérents à la coopération décentralisée. En fait, les collectivités locales, dans leur dynamique d'extension hors des
frontières nationales (Petiteville, 1996) renversent le principe de territorialité et finalement, transnationalisent la vie
politique locale (Badie ; Smouts, 1992) en exerçant sur le plan international des compétences qui leur sont reconnues
sur le plan interne. Ces compétences sont résumées à partir de la catégorie d' « affaires locales ». Au-delà du caractère
imprécis et insaisissable de la notion d' « affaires locales » (Baguenard, 1980), l'on peut également souligner le
caractère introuvable de celle-ci tant sur le plan national que sur le plan international (Chapuisat, 1983) du fait de
l'absorption de l'intérêt local par l'enjeu des relations interétatiques. D'ailleurs, Woerlin (1977) prend l'exemple de la
construction d'une station d'épuration d'eau réalisée conjointement par une commune française et une commune
italienne. Une telle coopération internationale est basée sur des compétences reconnues localement à chacun des
partenaires. Mais, si par hypothèse, l'exécution de la convention entre les deux communes se poursuit au moment où
leurs Etats respectifs rompent leurs relations diplomatiques, la coopération décentralisée sera-t-elle sauve ? On ne voit
pas comment (Nach Mback, 1994 :73).
Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas ici de reprendre l'abondante littérature sur le contenu juridique de la notion d'affaire s
locales. Bien plus, il s'agit non seulement de montrer dans le cadre des mutations qu'infère la science des relations
internationales l'enjeu de la "globalisation" - c'est-à-dire, pour emprunter le vocabulaire de Roberston l'inextricable
liaison entre le local et le global - mais aussi la transformation et/ou la substitution du local à l'international, et vice
versa.
C'est l'ensemble des compétences reconnues aux collectivités locales sur le plan interne qui feront à priori l'objet des
relations de coopération entre les collectivités locales françaises et leurs homologues Camerounais dans un contexte
sociopolitique marqué par la décentralisation.

B- LES SEQUELLES OU EFFETS RÉSULTANTS DE LA DECENTRALISATION


Partout où elle s'est développée, l'action extérieure des collectivités locales a bénéficié d'un contexte déterminant de
décentralisation territoriale (1) ; - qu'il s'agisse de dispositions juridiques anciennes, de réformes récentes ou d'un
desserrement progressif du contrôle étatique sur l'action des collectivités locales (Petiteville, 1995 :16)- et surtout des
politiques de démocratisation (2).

1) Le contexte de la décentralisation : le cas du Cameroun

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Il s'agit d'une démultiplication des interactions entre acteurs au-delà du cadre étatique (avec au moins un acteur non étatique qui n'agit pas
sous le couvert de l'Etat ou d'une organisation internationale).
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Introduit dans le vocabulaire politico-administratif du pays depuis presque deux décennies, la décentralisation occupe
une grande place dans la vie politique camerounaise et suscite de nombreuses préoccupations aussi bien chez les
différentes personnalités politiques nationales que chez les organismes d'aide bilatérale et multilatérale. Après les
fondations engagées avec la révision constitutionnelle de Janvier 1996, d'autres jalons viennent d'être posés en vue de
la transformation effective du Cameroun en « Etat unitaire décentralisé ».
En effet, la session parlementaire de Juin 2004 a eu pour point d'orgue l'adoption de trois lois relatives à la
décentralisation. Il s'agit de la loi n°2004/017 portant orientation de la décentralisation, celle n°2004/018 fixant les
règles applicables aux communes et la loi n°2004/019 régissant les régions. Sursaut républicain pour les adeptes bien
endoctrinés à l'hymne de la gouvernance, pis-aller pour les fédéralistes convaincus, feu ou artifice pour les séparatistes
abreuvés à la source d'un irrédentisme malveillant (Obam-Evina, 2004 :12), la décentralisation reste pour le Cameroun
une entreprise noble que l'on devrait bâtir d'une démarche prudente et circonspecte. Il suffit de se munir des lunettes de
sociologue pour comprendre l'utilité d'en rappeler les principes de base qui ne sont pas aussi clairement compris que
pourrait le laisser penser la banalisation du concept.
Contrairement à la centralisation, la décentralisation est caractérisée par une répartition des compétences entre
plusieurs personnes morales : l'Etat, les collectivités locales, les établissements publics... Il ne s'agit pas pour le pouvoir
central de déléguer quelques unes de ses prérogatives à des représentants locaux mais, de transférer certaines de ses
compétences administratives à des personnes morales distinctes (Finken, 1996 :12). L'article 2 de la loi d'orientation de
la décentralisation définit d'ailleurs la décentralisation comme un « transfert par l'Etat aux collectivités territoriales [...]
des compétences et des moyens appropriés ». Dans cette perspective, le pouvoir central n'exerce plus sur les
collectivités décentralisées un pouvoir hiérarchique mais, un simple contrôle plus ou moins serré qui en Afrique
subsaharienne en général et au Cameroun en particulier, porte le nom de « tutelle ». Suivant les conseils de Jacques
Baguenard, la décentralisation suppose l'existence d'une sphère de compétences spécifique au bénéfice des
collectivités locales, des activités locales prises en charge par les autorités locales indépendantes du pouvoir central
tant pour leur nomination que pour leur révocation et une gestion autonome des affaires locales (Baguenard, 1980).
C'est même la maturation de cette décentralisation dans les pays industrialisés (Finken, 1996) et le caractère progressif
des politiques de décentralisation dans les pays du Sud qui auraient favorisé l'envol de la coopération décentralisée
Nord-Sud car, ils auraient accru la marge d'autonomie des collectivités locales et crée les conditions de la dynamique
d'extension de leurs activités hors des frontières nationales (Petiteville, 1995). La coopération décentralisée est donc
l'un des multiples effets résultants de la décentralisation (Thoenig, 1992) dont on ne saurait prématurément disjoindre
de la démocratisation de l'Etat.

2) Le processus de démocratisation de l'Etat


Lors d'un conseil des ministres, Monsieur François Mitterand (1981) alors Président de la République Français e
affirmait que la France a eu besoin d'un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd'hui besoin d'un pouvoir
décentralisé pour ne pas se défaire (Mitterand, 1981).En contribuant à définir un style particulier de relations entre le
pouvoir central et les autorités locales, la décentralisation engendre des effets résultants sur la composition et le
fonctionnement du système politico-administratif (Baguenard, 1980 :73). S'il convient de souligner avec force que l' « on
ne change pas la société par décret », on s'attend néanmoins à ce que la décentralisation structurelle agisse sur les
pratiques administratives.
Les motivations relatives à la "reconstruction de l'Etat" sont liées dans une certaine mesure à son processus de
démocratisation. Il ne s'agit pas en tant que tel de remettre en cause la forme de l'Etat, mais le mode d'exercice du
pouvoir. La démocratisation de l'Etat a pour objectifs avoués l'approfondissement et l'enracinement de la démocratie.
De même, la coopération décentralisée recherche une implication directe des populations dans les processus des
relations internationales de leurs pays respectifs. C'est une coopération à l'échelle humaine qui veut promouvoir une
administration du bas vers le haut (Ingwat II, 1992) et vice versa.
Dès lors, loin d'établir qu'à une « démocratisation par le haut » s'est littéralement substituée « une démocratisation par
le bas », nous voulons montrer dans une perspective interdépendantiste, l'interaction stratégique entre les deux niveaux
d'interprétation de la réalité sociale que sont le « haut » et le « bas ». Cependant, le terme "démocratisation de l'Etat par
le haut » nous semble plus opératoire car, elle n'implique pas l'exclusion des autres forces sociales. Simplement, la
pression de celles-ci est contrôlée et canalisée par les élites dirigeantes.

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La coopération décentralisée, au regard des précisions apportées ci-dessus émerge dans un climat politique marqué
par les phénomènes de mondialisation et de décentralisation. Ce qu'il importe de souligner ici avec force c'est la
transnationalité à travers les "solidarités translocales", les "solidarités en réseau" (Sindjoun, 2002b :17) ; la
décentralisation ne vient que renforcer et/ou consolider cette approche nouvelle de la coopération internationale.
Toutefois, ces relations transnationales des collectivités locales ne sont pas le fruit d'une génération spontanée : elles
ont une histoire assez complexe qui remonte en premier lieu aux jumelages.

3.1.2. LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME UNE DYNAMIQUE ISSUE D'UNE HISTOIRE COMPLEXE
L'histoire de la coopération décentralisée est analysée de différentes manières selon les interlocuteurs et selon le cadre
dans lequel ils s'inscrivent (cadre national ou local ; prise en compte des collectivités locales dans le strict cadre des
entités nationales...). Cette diversité est due en grande partie au fait que la coopération décentralisée a été développée
par des personnes et réseaux divers plus que par des processus institutionnels (ACT Consultants - Gret, 2006 :12).
Afin de faciliter la compréhension, nous allons étudier cette histoire en deux articulations : d'abord le mouvement des
jumelages (A) représentant la figure la plus ancienne des relations, et ensuite la catégorisation des relations
transnationales des collectivités locales (B),

A- LE MOUVEMENT DES JUMELAGES

Les jumelages intercommunaux représentent la première forme de relations établies entre les collectivités locales des
pays différents. Ils sont nés d'une vocation humaniste de contribuer à la "parlementarisation" de la scène internationale
et de rapprocher les peuples dans des contextes internationaux difficiles (Petiteville, 1995 :12). Traditionnellement, les
relations entre collectivités locales furent les jumelages des villes. L'histoire des jumelages a connu trois étapes
majeures à savoir les jumelages - réconciliation (1), les jumelages - compréhension (2) et finalement les jumelages -
coopération (3).

1) Les jumelages - réconciliation

Le mouvement de jumelages - réconciliation naît au lendemain de la deuxième guerre mondiale et se structure en 1951
avec la création d'un conseil des communes d'Europe (CCE) suivie de la mise sur pied de la fédération mondiale des
villes jumelées. Le CCE deviendra plus tard le Conseil des Communes et Région d'Europe (CCRE) (Nach Mback,
1994 :5).

En réalité, ce mouvement, dès sa naissance a pour objectifs principaux de rapprocher les peuples français et allemands
jusqu'alors ennemis et de favoriser ainsi la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays dans un élan de
solidarité et de fraternité. C'est dans ce sens que Bernard Stasi écrit qu'au lendemain de la deuxième guerre mondiale,
un certain nombre d'hommes qui d'ailleurs avaient souffert de la guerre ont eu l'idée de lancer des jumelages entre
villes françaises et allemandes (Stasi, 1989 :75). Dès lors, le mouvement des jumelages - réconciliation se confinait à la
seule sphère de l'Europe occidentale mettant de ce fait les Etats socialistes de l'Europe de l'Est à l'écart. Il fallut
attendre la guerre froide pour que le mouvement des jumelages - réconciliation subisse une mutation non moins
profonde qui, finalement débouchera sur un autre type de jumelages : les jumelages - compréhension.

2) Les jumelages - compréhension

Les jumelages - compréhension ont été constitués en pleine guerre froide par les villes de l'Ouest dites libérales avec
leurs homologues de l'Est dites socialistes afin de favoriser le dialogue et l'entente entre leurs peuples respectifs. Dans
l'optique de rapprocher les peuples éloignés les uns des autres par les clauses injustes des traités passés entre les
puissances de l'Est et de l'Ouest pendant et après la deuxième guerre mondiale (Nach Mback, 1994 :6), la Fédération

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Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

Mondiale des Villes Jumelées (F.M.V.J) entreprit d'entrouvrir des «fenêtres de communication » dans l’intention de
contribuer à la construction d'une solidarité pan-européenne. Mais, il fallut aller plus loin.

3) Les jumelages - coopération

Il s'agit des jumelages établis entre les villes des pays industrialisés avec leurs homologues du tiers monde après les
indépendances (Petiteville, 1995). A en croire Charles Nach Mback, c'est la nécessité d'intégrer les préoccupations de
développement dans le mouvement de jumelages qui a poussé la Fédération Mondiale des Villes Jumelées (F.M.V.J) à
réorienter, dès les années 1980, sa politique vers une coopération Nord - Sud pour le développement (Nach Mback,
1994).

Les échanges effectués dans le cadre de ces différents jumelages avaient une portée essentiellement culturelle qui les
maintenait dans les relations platoniques (Petiteville, 1995). Dans cet ordre d'idées, comment appréhender désormais
les relations transnationales des collectivités locales ? Autrement dit, comment qualifier l'action à l'extérieur des
collectivités locales ?

B- LES CATEGORIES D'APPREHENSION DES RELATIONS TRANSNATIONALES DES COLLECTIVITES


LOCALES

La terminologie s'est montrée chancelante et faible en Europe dans les premiers temps devant la floraison de concepts
qui qualifient le phénomène. En effet, il existe plusieurs formes de relations des collectivités locales françaises avec
l'étranger. Toutefois, les plus importantes et consacrées par des textes juridiques ou de doctrine institutionnelle sont au
nombre de trois.

1) La coopération interrégionale

La notion de coopération interrégionale recouvre toute coopération entre des régions françaises et des entités de taille
régionale étrangères, notamment au sein de l'union européenne et n'impliquant pas forcément un voisinage
géographique (Santus, 2003 :7).

2) La coopération transfrontalière

C'est une forme particulière de coopération décentralisée. Au sens strict, elle correspond aux relations de voisinage qui
s'instaurent avec des partenaires directement au travers des frontières terrestres de la France (Santus, 2003).
D'ailleurs, la convention cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales
(1980) en son article 2 alinéa 1 la définit comme toute concertation visant à renforcer et à développer les rapports de
voisinage entre collectivités ou autorités territoriales relevant de deux ou plusieurs parties contractantes, ainsi que la
conclusion des accords et des arrangements utiles à cette fin.

Le "transfrontiérisme" se réduit ainsi aux relations entre collectivités immédiatement situées de part et d'autre d'une
frontière internationale (Nach Mback, 1994 :8) ; il fait partie d'un concept plus vaste : la coopération décentralisée.

3) La coopération décentralisée

La coopération décentralisée est mise en œuvre par la loi « Administration territoriale de la république » du 6 Février
1992 et repose sur des conventions liant la collectivité française à un partenaire clairement identifié. Selon les termes
de cette loi, la coopération décentralisée est définie en fonction seulement de ses acteurs et non de sa finalité ni de son
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contenu stricto sensu. Il s'agit de la coopération entre des collectivités locales françaises et étrangères (ou leurs
groupements), conduite sous leur seule et pleine responsabilité. Les collectivités locales peuvent faire appel à d'autres
acteurs (ONG, acteurs publics ou parapublics...) mais conservent la maîtrise d'ouvrage des actions. Dans la pratique,
les termes de "coopération Nord - Nord", de coopération "Nord - Sud", ou encore de "coopération Ouest - Est" sont
souvent utilisés ; la coopération décentralisé s'applique à l'ensemble de ces cas de figure (Santus, 2003).

A partir de la définition sus-évoquée de la coopération décentralisée selon laquelle elle renvoie aux opérations de
coopération mises en œuvre directement, ou sous leur impulsion, ou avec leur soutien, par les collectivités territoriales
(Petiteville, 1995 :22), on constate que le critère d'existence de la coopération décentralisée demeure l'intervention
d'une collectivité territoriale fut-elle indirecte. Dans le cas contraire, le concept de coopération décentralisée deviendrait
une expression vulgarisée, ouverte à toutes formes de coopérations associatives, commerciales, techniques. La
coopération décentralisée n'est donc pas le fruit d'une génération spontanée. Elle est le résultat de la simultanéité des
mutations récentes de l'action publique inséparable à un nouveau mode de gouvernabilité.

La coopération décentralisée France-Cameroun met aussi en scène une diversité d'acteurs dont les interactions sont
déterminantes quant à son opérationnalité.

3.2. LA CONFIGURATION DE LA COOPERATION DECENTRALISEE


Il n'est point de connaissance possible des relations sociales sous quelque forme que ce soit sans analyse de sa
configuration, c'est-à-dire au sens de Norbert Elias, la figure globale et toujours changeante que forment les joueurs
(cité par Sindjoun, 2002b : 37). Le modèle de la configuration permet non seulement d'avoir accès aux joueurs ou
acteurs de la coopération décentralisée (1) sans absolutiser leur nature étatique ou transnationale, mais aussi de
penser les interactions complexes entre les acteurs dans une perspective dynamique et même complémentaire (2) ; en
cela, il permet de dépasser le clivage Etat / collectivités locales ou l'inverse.

3.2.1. LES JOUEURS OU ACTEURS DE LA COOPERATION DECENTRALISEE

La coopération décentralisée France - Cameroun au sens large du terme est constituée d'intervenants divers dont les
modes d'actions varient selon qu'on est en France (A) ou au Cameroun (B).

A- LES PRINCIPAUX ACTEURS DE LA COOPERATION DECENTRALISEE EN FRANCE

En France, plusieurs acteurs sont impliqués dans le phénomène de coopération décentralisée, chacun a son titre et à
des degrés divers (les Associations locales, Ministère de l'Intérieur, le Département de la Culture et de la Francophonie,
celui des Départements et Territoires d'Outre-mer, les Organisations Non Gouvernementales,...). Mais, il y a
principalement les Collectivités Locales (1), les Ministères des Affaires Etrangères, de la Coopération et du
Développement (2).

Dans la présente articulation, il ne s'agit pas de présenter tous les acteurs de la coopération décentralisée France -
Cameroun, tâche gigantesque au regard de la diversité d'acteurs en présence. Ce qui importe ici c'est de cerner les
principaux acteurs et si possible leurs différents rôles.

1) Les collectivités locales françaises (Communes, régions, départements)

Elles ont une pratique ancienne du jumelage, notamment avec leurs homologues africains. Avec l'émergence de la
décentralisation et du débat démocratique en Afrique, ces relations de jumelages évoluent progressivement, quoique de
façon inégale parfois, vers les relations de collectivité locale à collectivité locale. Nous avons vu que le critère
d'existence de la coopération décentralisée demeure l'intervention d'une collectivité locale fut-elle indirecte car, dans le
cas contraire, le concept de coopération décentralisée deviendrait une expression vulgarisée, ouverte à toutes formes
de coopération associatives, commerciales, techniques... (Petiteville, 1995). Du fait de la reconnaissance du principe de

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la libre administration sur le plan interne, les collectivités locales françaises se sont orientées vers la mise en œuvre de
la démocratie locale, le renforcement de la capacité des collectivités à organiser des services publics... Leur
intervention s'exerce dans différents domaines : l'information, la sensibilisation et la formation des élus, la formation
civique, l'aide à la mobilisation des ressources. Elles améliorent l'accompagnement des collectivités africaines en
matière de formation, d'animation de la vie économique locale, d'exercice de la démocratie locale, d'amélioration de la
gestion financière, d'activation de la médiation sociale. En tant qu'interface entre la société civile et la puissance
publique, les collectivités locales jouent finalement un rôle déterminant dans la production des politiques publiques en
France. Mais qu'est-ce qu'une politique publique ?

Dans la littérature spécialisée sur les politiques publiques, les définitions vont de la qualification minimale, « tout ce que
le gouvernement décide de faire ou de ne pas faire » à des définitions plus complètes où la politique publique se
présente comme « un processus de production d'une série d'actes ou de non actes qu'une ou plusieurs autorités
publiques choisissent d'engager dans un domaine spécifique » (Muller, 1990). Toutefois, pour revenir à la question
relative aux acteurs de la coopération décentralisée en France, il est important de rappeler que la coopération
décentralisée en France fait l'objet d'une coordination nationale à travers les Ministères des Affaires Etrangères, de la
coopération et du développement.

2) Le rôle conjoint des Ministères des Affaires Etrangères, de la Coopération et du Développement

A travers les Ministères des Affaires Etrangères, de la Coopération et du Développement, l'Etat déploie un effort de
mise en phase des diverses initiatives locales de coopération internationale. Il s'agit de faciliter et, si possible,
d'accompagner la mobilisation et l'action des collectivités territoriales dans le cadre de la politique générale de
coopération définie par les autorités centrales de l'Etat (Nach Mback, 1994 :78). Les Ministères des Affaires Etrangères,
de la Coopération et du Développement interviennent de manière conjointe à travers trois organes institutionnels à
savoir : la commission nationale de la coopération décentralisée (a), le bureau de la coopération décentralisée (b) et le
délégué à l'action extérieure des collectivités locales (c).

a) La commission nationale de la coopération décentralisée

C'est la loi du 6 Février 1992 de l'Administration Territoriale de la république qui établit la naissance d'une commission
nationale de la coopération décentralisée en France. La création de cette commission avait été annoncée par le
Ministre Jacques Pelletier de la Coopération et du Développement à Rennes en 1990 en remplacement de la
commission de coopération décentralisée créée par lui-même un an plus tôt (Nach Mback, 1994). Sa mission est triple :

Il s'agit d'informer les collectivités françaises sur l'idée, le droit et la pratique de la coopération décentralisée et si besoin
est, de mettre à la disposition des principaux acteurs de la coopération décentralisée des informations relatives au
contexte et à l'environnement institutionnel, financier, technique, socio-culturel dans lequel vont s'inscrire leurs actions.
Il s'agit également d'une mission de sensibilisation dont l'objectif est d'impulser et d'orienter les collectivités locales
françaises porteuses de projets de façon individuelle vers des pôles de rencontre entre acteurs français agissant en
coopération sur des thèmes ou dans les domaines similaires. Enfin, la commission mobilise les acteurs prestataires de
services afin qu'ils inscrivent leurs actions dans le sillage des collectivités locales. L'objectif étant de créer une affiliation
entre ceux-là et celles-ci au service de la coopération décentralisée (Nach Mback,1994). Organe à pouvoir consultatif,
la Commission Nationale de Coopération Décentralisée (C.N.C.D) dans son action reçoit des coudées franches de la
part d'autres institutions.

b) Le bureau de la coopération décentralisée

Lors d'un entretien accordé à la revue "Ville en Développement" n°5 en Septembre 1989, Gilles Guillaud jusqu'alors
responsable du bureau de la coopération décentralisée affirmait que c'est en Octobre 1986 qu'une section de
coopération décentralisée est créée au Ministère de la coopération et du développement (Nach Mback, 1994 :82). Le

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bureau de la coopération décentralisée travaille en étroite collaboration avec le Ministère des Affaires Etrangères et
s'occupe des soutiens financiers que l'Etat apporte aux initiatives de coopération internationale des collectivités locales.
Ainsi, finalement, les financements sont gérés par le bureau de la coopération décentralisée en étroite collaboration
avec le délégué à l'action extérieure des collectivités locales.

c) Le délégué à l'action extérieure des collectivités locales

Installé auprès du secrétaire général du Ministère des Affaires Etrangères, le délégué à l'action extérieure des
collectivités locales a été institué par une circulaire du premier ministre en 1983 (Nach Mback, 1994). Il a pour mission
de recueillir les informations se rapportant aux rapports qu'entretiennent les collectivités locales françaises avec leurs
homologues étrangers, assurer une action générale de coordination entre les différents services des administrations
centrales de l'Etat...

D'une manière générale, l'action à l'extérieur des collectivités locales en France connaît une influence de la part des
Ministères des Affaires Etrangères, de la Coopération et du Développement. Comme nous l'avons souligné ci haut,
l'Etat à travers ses démembrements cherche à faire participer les collectivités locales à l'élaboration de sa politique
internationale. Mais qu'en est-il au Cameroun ?

B- LES ACTEURS DETERMINANTS DE LA COOPERATION DECENTRALISEE AU CAMEROUN

Tout comme en France, la coopération décentralisée au Cameroun mobilise beaucoup d'acteurs (ONGs, Organisations
paysannes, Chefferies traditionnelles, Associations locales...).Mais, les plus déterminants sont les collectivités locales
(1), les Ministères de l'Administration Territoriale, de la Décentralisation et du développement rural, celui des Relations
Extérieures (2).

1) Les collectivités locales Camerounaises

La commune constitue le premier niveau de décentralisation territoriale au Cameroun (la Communauté urbaine peut en
être considérée comme une variante). Le second niveau - la région - pourtant institué dans le cadre de la nouvelle
constitution (1996) est toujours mis en veilleuse quant à son opérationnalité. Les Provinces, Départements,
Arrondissements et Districts ne sont que des circonscriptions administratives, expression de la déconcentration
administrative (Finken, 1996).

Il est important de rappeler que la constitution de 1960 faisait de la province une collectivité locale en disposant en son
article 46 que « les collectivités locales du Cameroun sont les provinces et les communes ... Ces collectivités
s'administrent librement par des conseils et dans les conditions prévues par la loi ». Elle fut promulguée alors que les
communes étaient les seules collectivités territoriales instituées par le colonisateur. Peut être en raison de l'absence
d'un précédent colonial et du fait que cette constitution n'a fonctionné que 19 mois, aucune province n'a jamais été
érigée en collectivité locale (Finken, 1996 :14).

Quoi qu'il en soit, la commune, collectivité officielle de base constitue généralement l'acteur principal et non unique de
la coopération décentralisée au Cameroun. Elle a une mission générale de développement local et d'amélioration du
cadre et des conditions de vie de ses habitants suivant l'article 3 alinéa 1 de la loi n° 2004/018du 22 Juillet 2004 fixant
les règles applicables aux communes. Ces communes6 sont conceptuellement au nombre de quatre : Les communes
rurales dans les zones rurales, les communes urbaines dans les villes de moyenne importance, les communes urbaines
d'arrondissement dans les villes de Douala et Yaoundé coiffées chacune par une communauté urbaine. Ces deux
dernières sont nées de la loi du 15 Juillet 1987 portant création des communautés urbaines.

6
Voir Décret n°2007/117 du 24 avril 2007 sur la nouvelle carte communale au Cameroun.
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Toutefois, l'action à l'extérieur des collectivités locales Camerounaises, comme en France connaît à certains moments
l'intervention de l'Etat, ceci à travers ses différents démembrements que sont les Ministères des Relations Extérieures,
de l'Administration Territoriale, de la Décentralisation et du Développement Local.

2) L'action conjointe des Ministères des Relations Extérieures, de l'Administration Territoriale et de la


Décentralisation du Développement Local.

Dans le domaine de la coopération décentralisée au Cameroun, les administrations centrales impliquées sont le
Ministère de l'Administration Territoriale, le Ministère de la Décentralisation et du développement local (assurant la
tutelle sur les collectivités territoriales) et le Ministère des Relations Extérieures (responsable de la mise en œuvre de la
politique générale de coopération internationale définie par l'Etat). En dehors du décret n° 77/91 du 27 Mars 1977 qui
donne pouvoir au Ministère de l'Administration Territoriale d'autoriser les initiatives des collectivités locales en matière
de coopération décentralisée7, aucun texte législatif ou réglementaire ne régit directement les interventions de l'Etat en
matière de coopération décentralisée (Nach Mback, 1994 :88-89). Le Ministère de l'Administration Territoriale et de la
Décentralisation et du Développement Local, celui des Relations Extérieures, en la matière ont pour rôle de faciliter les
contacts entre les collectivités locales Camerounaises et leurs homologues étrangers. Au MINDEDEV plus précisément,
la cellule du développement et de la coopération décentralisée de la direction des collectivités locales est chargée du
suivi des actions portant sur la mise en œuvre des mesures d'accompagnement ou de promotion des politiques
gouvernementales et locales ; des interventions des collectivités locales en matière économique, d'aménagement et de
planification ; du développement des initiatives locales, des relations avec les collectivités locales étrangères de même
nature, les organisations gouvernementales et non gouvernementales (Finken, 1996). Le Ministère des Relations
Extérieures dans le cadre de la coopération décentralisée s'emploie principalement à vérifier la cohérence entre les
actions extérieures des collectivités locales et la politique générale de coopération internationale définie par l'Etat.

La configuration de la coopération décentralisée France - Cameroun laisse entrevoir les logiques de tutélisation et
d'autonomisation des collectivités locales aussi bien sur le plan national qu'international.

3.2.2. DE LA TUTELISATION RIGIDE A L'AUTONOMISATION PROGRESSIVE DES COLLECTIVITES LOCALES :


un couloir existentiel de la coopération décentralisée France – Cameroun

Les collectivités locales sont une création de l'Etat. Elles participent de la politique de décentralisation administrative
dans les Etats à structure unitaire. La politique de décentralisation administrative est largement tributaire / dépendante
du pouvoir central qui en est l'inspirateur philosophique. Cette politique est tendanciellement totalisante et ne laisse aux
collectivités locales que des interstices ou intervalles d'autonomie. Dans ce domaine bien plus qu'ailleurs, le pouvoir
central exerce son magistère répressif sur toute aspiration périphérique ambitieuse. Cette attraction centripète des
collectivités "périphériques" se traduit par la haute surveillance tutélaire du pouvoir central (A). Elle a même une
ambition totalisante (Njoya, 2006 :258). Mais, la coopération décentralisée dispose aussi d'une autonomie qui se
consolide progressivement (B). D'ailleurs, comme le précise Réné Chapus, l'idée même de tutelle comporte celle
d'autonomie (Chapus, 1988 : 265).

A- LES COLLECTIVITES LOCALES ET LA HAUTE SURVEILLANCE TUTELAIRE DU POUVOIR CENTRAL : LE


CAS DU CAMEROUN.

Alors que la coopération décentralisée nécessite une grande souplesse dans les formes et une certaine célérité dans
les procédures des autorités de tutelle qui doivent laisser aux magistrats municipaux une marge de manœuvre
considérable dans leurs contacts avec leurs homologues étrangers, la tutelle sur les communes au Cameroun, à
entendre les experts de la Banque mondiale est jugée actuellement stérilisante. Par sa lourdeur, son manque de

7
Le texte dispose en son article 89 « Le Ministère de l'Administration Territoriale décide des missions à accomplir hors du territoire national par
les délégués du gouvernement, les Maires et les Administrateurs Municipaux ainsi que de l'opportunité de jumelage des communes avec celles
des pays étrangers ».
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discernement quant aux actes qui y sont soumis, le fait qu'elle provoque la remontée de tous les contrôles, elle paralyse
le développement des initiatives (Nach Mback, 1994 : 34). Dans le cadre de notre analyse, c'est la loi n°77/91 du 25
Mars 1977 (et ses modifications subséquentes) déterminant les pouvoirs de tutelle sur les communes, les syndicats de
communes et les établissements communaux qui réglemente la coopération décentralisée au Cameroun. La loi
no2019/024 du 24 DEC 2019 portant code générale des collectivités territoriales décentralisées est venue modifier en
renforçant de manière assez subtile le pouvoir de tutelle (ceci nécessite davantage de recherche sur la question). Au-
delà du caractère rigide des textes régissant le pouvoir de tutelle sur les communes (1), l'on peut également noter des
dissonances dans les politiques de décentralisation au Cameroun (2).

1) La rigueur des textes

Le régime juridique de l'action extérieure des collectivités locales au Cameroun tel que prévu par le décret n°2019/024
du 24 DEC 2019 place celles-ci sous une forte tutelle assurée par le Ministre chargé de la Décentralisation et du
Développement Local. Ce texte donne la possibilité aux collectivités locales de mener des actions au-delà des
frontières nationales à travers les magistrats municipaux ; mais, fait dépendre une telle possibilité d'une autorisation
préalable du MINDEDEV. En effet, ce texte dispose que: « Le Ministre chargé de la Décentralisation et du
Développement Local décide des missions à accomplir hors du territoire national par les Super Maires et les
Administrateurs Municipaux, ainsi que de l'opportunité des jumelages des communes avec celles des pays étrangers ».

Cette subordination des relations transnationales des collectivités locales Camerounaises à l'autorité du MINDEDEV
révèle ni plus ni moins le caractère centralisateur de l'organisation territoriale de l'Etat au Cameroun; c'est une politique
restrictive et même « tendanciellement totalisante » qui ne laisse aux collectivités locales que des intervalles
d'autonomie. Dans le cas d'espèce, le MINAT semble jouir d'un pouvoir quasi-absolu car contrôlant de près ou de loin
les collectivités locales à travers certaines autorités déconcentrées ; les gouverneurs ou les préfets eux-mêmes placés
sous son contrôle. La lourde tutelle du pouvoir central hypothèque ainsi la liberté des collectivités décentralisées et
donne à la décentralisation un caractère retenu et même illusoire si comparaison est faite avec certains états en
occident. Les difficultés de municipalisation de la coopération décentralisée au Cameroun révèlent également une
confusion entre les normes et les réalisations, entre la parole et l'acte.

2) De la dissonance entre politique parlementaire et politique pragmatique.

A partir de Bailey, il convient d'effectuer une distinction entre "politique parlementaire" c'est-à-dire la politique telle que
prescrite par les normes, telle que annoncée dans le discours et la "politique pragmatique" c'est-à-dire telle qu'elle se
fait concrètement. Dès lors, il peut arriver que la politique parlementaire consacre la liberté communale et que, au
même moment, la politique pragmatique reconduise l'idée de tutelle d'où la dynamique de décentralisation (dans les
normes, le discours) et de recentralisation (dans les faits). Il est évident que le caractère illusoire de la liberté
communale est tributaire du manque de cohérence mieux de la dissonance apparente entre le discours politique et
l'action politique : il y a une sorte de discontinuité entre le discours, les normes et les faits. Ainsi, au mépris de la
formule chère à Bourdieu selon laquelle le discours politique est une "parole créatrice qui fait exister ce qu'elle énonce"
(Kombi Mouelle, 1996 : 46), l'autorité Camerounaise s'est plutôt consacrée au maintien de la tutelle (jugée stérilisante)
sur les collectivités locales. Par cet acte, elle a contribué au raidissement de la tutelle sur les collectivités locales,
mettant par ricochet à nu la rupture entre la politique parlementaire et la politique pragmatique au Cameroun.

A titre d'illustration, dans son projet de société Pour le libéralisme communautaire, l'actuel chef de l'Etat Camerounais,
son excellence Monsieur Paul Biya annonçait dans son « objectif n°9 » que les populations devraient être capables de
choisir librement leurs représentants (Biya, 1986 :140). Précisant davantage sa promesse généreuse, l'auteur ajoutait
que la pleine participation démocratique des citoyens à la gestion de leurs communes respectives sera garantie par
l'élection compétitive et libre de leurs représentants au niveau des municipalités (Biya, 1986). C'est le lieu de rappeler
que, nommé par décret présidentiel, le délégué du gouvernement (avant la loi no 2019/024 du 24 dec2019 portant code
général des collectivités territoriales décentralisées) disposait de tous les pouvoirs et détenait toutes les attributions
normalement dévolues à un Maire ; ce qui est calamiteux pour la décentralisation car, si l'on s'en tient aux conseils de
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Jacques Baguenard (1980), elle suppose la prise en charge des affaires locales par les autorités locales indépendantes
du pouvoir central tant pour leur nomination que pour leur révocation , l'élection de la municipalité n'étant qu'un gage
réel de l'autonomie communale (Nlep, 1986). Ici l’on pourrait du moins être tenté de croire par défaut que la tutelle de
l’état était exercée par les délégués du gouvernement. Mais depuis les élections municipales et législatives de février
2020 au Cameroun, les super-maires élus ont remplacé les délégués du gouvernement.

De façon concise et brève, il est clair que les politiques de décentralisation au Cameroun sont marquées par la
dynamique de décentralisation (dans les normes, le discours politique) et de recentralisation (dans les faits). Sans
doute, cette situation trouve son explication dans le caractère progressif de la décentralisation au Cameroun. Mais,
soulignons tout de même que les collectivités locales disposent d'une autonomie qui se consolide progressivement
depuis les dernières élections municipales et législatives de février 2020. Nous pensons que le train étant sur les rails, il
ne manque plus que de faire son chemin à une vitesse acceptable si nous souhaitons jouir de ses fruits avant de quitter
cette terre de nos ancêtres en laissant quelque chose de positif à nos progénitures.

B- L'AUTONOMISATION PROGRESSIVE DES COLLECTIVITES LOCALES : VERS UNE CO-PRODUCTION DU


PHENOMENE COOPERATION DECENTRALISEE ?

Aussi paradoxale que cela puisse paraître, l'idée de tutelle comporte celle d'autonomie du moins tel que ce te rme est
entendu en droit administratif. En effet, l'exercice d'un pouvoir de tutelle ou plus exactement d'un pouvoir de contrôle sur
une collectivité locale suppose en même temps une marge de manœuvre laissée à celle-ci car, le pouvoir central
reconnaît et codifie les limites des compétences dévolues aux collectivités locales (Nach Mback, 1994 :105). Dans le
cadre de la coopération décentralisée, on observe tout un processus d'autonomisation des collectivités locales.

Le principe de progressivité consacré dans la Loi d'Orientation de la Décentralisation (L.O.D.) traduit à la fois le souci de
prudence et de méthode dans la dévolution des compétences attribuées aux régions et communes qui se
matérialiseront de façon incrémentale. Mais un recours excessif au principe de progressivité pour justifier les renvois
interminables pourrait s'avérer contreproductif. Ainsi que le note Alain Didier Olinga, il reste que l'abus de la
progressivité risque soit de créer une désaffection par rapport au projet (abandon avant expérimentation) soit de
produire les "effets pervers" de tous ordres8.

Quoi qu'il en soit, les collectivités locales Camerounaises dans l'établissement des relations transterritoriales avec leurs
homologues français disposent d'une marge de manœuvre certaine qui ne dilue pas en tant que tel le pouvoir
monopolistique exercé par l'Etat : l'autonomie ne renvoie pas nécessairement à l'indépendance car nous sommes
toujours dans le cadre d'un Etat unitaire. D'un œil curieux, on remarque plutôt une réduction d'interactions
stratégiques entre l'Etat et les collectivités locales (1) régies par le principe de subsidiarité (2) qui, finalement laisse
entrevoir une sorte de coproduction du phénomène.

1) L'interaction Etat / collectivités locales décentralisées dans le processus de la coopération décentralisée

La collectivité locale est "le masque sous lequel avance l'Etat" (Sindjoun, 2002a :156). Le développement local et la
démocratie qui sont au fondement de la coopération décentralisée constituent le flanc apparent de sa justification
institutionnelle ; du moins sont-ils idéocratiquement surévalués afin de produire des "effets de croyances" (Njoya, 2006).

Le développement de la coopération décentralisée est tributaire de l'allégement de la tutelle administrative sur les
collectivités locales. Ce desserrement de l'étau intervient non seulement en raison de "l'agenda politique saturé" de
l'Etat (Charillon et Blom, 2004 : 97), mais aussi du fait de la recherche de la nécessaire cohérence et complémentarité
de l'action publique. D'ailleurs en France par exemple, les collectivités locales reçoivent un soutien financier et
logistique de la part du pouvoir central en fonction des objectifs à atteindre par celui-ci et celles-là. Comme le précise
Charles Nach Mback (1994), l'Etat a passé entre 1987 et 1990 des contrats de plan avec les collectivités territoriales,

8
Voir bulletin d'analyses et de débats de l'association des anciens élèves Camerounais de l'ENA de Paris, vol.1 p.6.
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contrats dans lesquels étaient inscrits des crédits de soutien à leur programme d'action internationale. Plus
globalement, les collectivités locales françaises ont défini avec l'Etat, pour la période 1979 - 1993 un ensemble
d'objectifs pour lesquels elles souhaitaient s'engager avec lui. Les réalisations étant alors supportées, du point de vue
des charges, de manière paritaire par les deux parties selon les termes d'un contrat pluriannuel qu'elles ont passé à cet
effet. (Nach Mback, 1994 : 84).

En comparaison à la situation qui prévaut en France, la coopération décentralisée au Cameroun semble bénéficier d'un
soutien non moins négligeable du pouvoir central à travers ses démembrements que sont principalement
le MINDEDEV, MINAT et le MINREX. Ce soutien est d'ailleurs apparent dans l'établissement ou la formalisation des
liens de coopération décentralisée, dans l'élaboration des « contrats-types » à l'usage des collectivités locales
Camerounaises dans leurs relations de partenariat avec l'extérieur. Il y a donc des synergies dans la conception et
l'opérationnalisation des politiques publiques entre le « haut » et le « bas ».Seulement, nous ne le soulignerons jamais
assez, ces synergies, du fait de leur "fluidité" et en raison de la recherche de la cohérence et de l'efficacité de l'action
publique, nécessitent une reconnaissance sinon pratique du moins formelle des compétences dévolues à chaque
acteur de la coopération décentralisée.

2) La coopération décentralisée France - Cameroun et l'observance du principe de subsidiarité

La mobilisation du principe de la "subsidiarité du local" comme mode de gouvernabilité des relations entre l'Etat et les
collectivités locales dans le processus de coopération décentralisée obéit à un appel d'air venant des couches les plus
diverses de la société. La subsidiarité est un principe opérationnel qui permet de prendre les décisions au niveau le plus
décentralisé dès lors que le passage au niveau supérieur ne s'impose pas. Cette notion qui prend tout son sens dans la
mise en œuvre des compétences concurrentes était définie ainsi dans le traité de Maastricht : "Dans les domaines qui
ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité,
que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les
Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au
niveau communautaire. (Administration et citoyenneté n°1 :5). La subsidiarité est donc au cœur des problématiques de
recherche de la cohérence, de la complémentarité et de l'efficacité de la coopération décentralisée car ainsi que le note
Alain Didier Olinga, l'exigence de subsidiarité postule en règle générale que les actions visant à la satisfaction des
besoins des populations soient menées au niveau institutionnel le plus proche desdites politiques.

CONCLUSION DU CHAPITRE 3

La coopération décentralisée n'est donc pas le fruit d'une génération spontanée. Elle est le résultat de l’adéquation des
mutations récentes de la scène internationale et des politiques de décentralisation. En réalité son histoire remonte en
premier lieu aux jumelages (Petiteville, 1995). De même, l'action à l'extérieur des collectivités locales soulève un certain
nombre de problèmes tant sur le plan interne que sur le plan international. Mais, il n'est plus de notre propos de revenir
sur ce pan de la coopération décentralisée longuement analysé, explicité et aujourd'hui dépassé. Ce qu'il convient de
souligner ici et de manière forte, c'est la réduction des interactions entre l'Etat et les collectivités locales qui laissent
entrevoir une sorte de coproduction du phénomène coopération décentralisée. En réalité, l'Etat en raison de son
agenda politique saturé confie une partie de ses compétences (nationales et internationales) a des personnes morales
distinctes : les collectivités locales. C'est ici que se pose la problématique de la nature des actes des collectivités
locales sur la scène internationale. La personnalité juridique internationale des collectivités locales passe par une
définition interne suivie d'une reconnaissance internationale.

S'il est vrai que cette "immédiateté normative internationale" érige les actes de coopération décentralisée en actes
juridiques internationaux (Nach Mback, 1994 :110), il nous semble tout de même que les conventions entre les
collectivités locales Camerounaises et leurs homologues de l'hexagone ne peuvent en aucun cas être des « traités
internationaux ». Seul un sujet de droit international a la capacité requise pour conclure un traité puisque par définition,
celui-ci est un acte conclu entre sujets de droit international. Si l'on excepte les organisations internationales et dans
une moindre mesure les mouvements de libération nationale, seuls les Etats ont la capacité de conclure une convention
24
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

internationale (Claisse, 1994 :23-24). Dans le vocabulaire des relations internationales, on utilise très souvent le
concept de para-diplomatie dont le préfixe tient compte de l'incapacité diplomatique d'ordre juridique des collectivités
locales. Il laisse ouverte la question de savoir si leur action à l'étranger est susceptible d'avoir de manière officieuse et
informelle des effets politiques (Petiteville, 1995 : 20). C'est donc vers l'examen des enjeux et des défis de la
coopération décentralisée France - Cameroun que nous nous orientons maintenant.

CHAPITRE 4 :
DOMAINES D’INTERVENTION ET DEFIS DE LA COOPERATION DECENTRALISEE FRANCE
CAMEROUN.
Concept à caractère un peu énigmatique, la coopération décentralisée sera traitée dans le cadre de cette narration
sous l’acception française qui fait d’elle les relations internationales que seules nouent les collectivités locales et
leurs groupements. Ensuite, compte tenu de l’abondante littérature disponible sur l’action internationale des collectivités
locales françaises, nous nous consacrerons presque exclusivement à décrire la réalité telle qu’elle se déroule au
Cameroun et quel lien elle a avec le processus de décentralisation en cours dans le pays. On dénombre en ce
moment une vingtaine de coopérations et de partenariats entre les collectivités et autres acteurs infra étatiques de la
France et du Cameroun. Parmi les plus actifs on peut citer : Ville de Nantes/Ville de Dschang, Communauté urbaine de
Nantes/ Ministère de la ville (ou ministère de l’urbanisme et de l’habitat) au Cameroun, Eybens/ région du Mbam,
Région Alsace/ collectivités camerounaises, et bien sûr les coopérations et partenariats accompagnés par Lianes
coopération9.
Au regard des autres pays de l’Afrique centrale et des Grands Lacs qui ont toujours eu des relations
traditionnelles de coopération avec la France, le Cameroun peut être considéré comme étant le pays le plus avancé en
matière de coopération décentralisée. Le Cameroun est avec près de 50 % des moyens engagés sur
programmes, le premier pays d'intervention de l'IRCOD qui est l’Institut Régionale de Coopération- Développement et
qui en réalité s'occupe des coopérations et partenariats en région d'Alsace, et la 6ème destination des projets financés
en Nord – Pas de Calais.
Contrairement à la France où les collectivités locales ont investi l’espace international dans le souci notamment
de favoriser la réconciliation et la connaissance mutuelle des peuples au lendemain de la Grande Guerre, la
coopération décentralisée au Cameroun semble répondre à une nécessité des autorités et des élus locaux 10 de
trouver ou de multiplier les pistes de solution à leurs problématiques de développement local. Certes d’autres
motivations d’origine y sont présentes (rayonnement international), mais la question du soutien au
développement local est toujours au cœur de l’action internationale des collectivités camerounaises qui la
conduisent malgré la persistance d’une organisation administrative et territoriale qui reste toujours centralisatrice
d’après les sceptiques, mais en décentralisation progressive selon les positivistes.
Mais, depuis juillet 2004, le Cameroun a promulgué trois textes sur la décentralisation, les règles communes
applicables aux communes et les règles communes applicables aux régions. Ces lois d'orientation fixent entre
autres les compétences des collectivités territoriales décentralisées et touchent aux questions de développement
local. C’est à s’interroger si la coopération décentralisée, tout étant utile globalement à la problématique du
développement local au Cameroun, pourrait servir de levier au processus de décentralisation en cours dans le pays ?
Autrement dit, la coopération décentralisée peut-elle libérer les collectivités locales du joug du pouvoir central en
leur permettant d’avoir la pleine maîtrise du processus de développement local par le biais de la décentralisation ?
Pareil questionnement pourrait trouver un début de réponse si on étudiait d’abord les domaines d’intervention,
champs d’application et les coopérations françaises actives au Cameroun. Ensuite on pourrait s’appesantir sur
les défis et ou contraintes que rencontre au Cameroun la coopération décentralisée avant de présenter des pistes de
9
M. Guy M VELLE Enseignant-Chercheur en science politique à l’Université Jean MOULIN, intervenant - pour le compte de Cités
Unies France, Paris - sous le thème : La coopération décentralisée au Cameroun : une opportunité à la décentralisation ?
10
La construction européenne et la contribution au développement sont les deux autres motivations d’origine que retient
Michel ROUSSET dans l’action internationale des collectivités locales. Rousset, Michel : "L’action extérieure des collectivités
locales", LGDJ, 1998.
25
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

solutions et les grands chantiers qui pourraient soutenir le processus de décentralisation et de développement
local.

4.1. DOMAINES D'ACTION, MODALITES D'INTERVENTION ET COOPERATIONS ACTIVES


On traitera d’abord des domaines d’actions et de leurs modalités d’intervention, avant de parler de quelques
coopérations actives.

4.1.1. DOMAINES D’ACTION ET MODALITES D’INTERVENTION


Les domaines/champs d’actions dans lesquels interviennent les acteurs de coopération au Cameroun concernent en
règle générale le développement local. Cette expression renvoie à toutes les actions qui touchent à la gestion
des affaires locales : santé, éducation, gestion urbaine, gestion des grands services publics locaux, transports urbains,
approvisionnement des populations en eaux, assainissement… Si tous ces domaines ne sont pas encore mis en œuvre
dans le cadre des coopérations existantes, il est à noter qu’ils constituent tout de même les principales préoccupations
des collectivités et autorités locales camerounaises. Et dans le même ordre d’idées on peut ajouter des domaines de
plus en plus préoccupants tels que la protection de l’environnement, l’aspect institutionnel, l’économie, la culture, le
tourisme, l’épargne et le microcrédit… Bref tous les fondamentaux du développement local sont considérés
dans la quête des partenariats extérieurs. En bref, la coopération décentralisée s’exerce dans les domaines de
compétences que les différentes lois administratives et territoriales confèrent aux collectivités et aux autorités
locales. Et ces compétences s’en trouveront alors plus élargies avec les nouvelles évolutions législatives sur la
décentralisation au Cameroun.
La coopération entre la ville de Nantes et Dschang porte sur quatre volets : la culture, le tourisme,
l’environnement et l’urbanisme (création d’un pôle d’activités commerciales et tertiaires).
Entre la Communauté urbaine de Nantes et le ministère camerounais de la ville, il est question d’engager les villes de
plus de 100.000 habitants dans une démarche de contrat de ville et d’apporter les soutiens nécessaires en formation
aux municipalités qui s’y engagent. Entre Eybens/Localité de Talba dans le Mbam et Kim, les actions concernent
en règle général la santé et l’éducation.
Dans les différentes coopérations entre l’Alsace et les collectivités camerounaises cinq domaines sont abordés :
le renforcement des capacités des collectivités locales (Douala 1er , Yaoundé 6e , Sa’a, Ombessa), la promotion de
l’économie rurale (Sa’a), le développement des structures de santé (hôpitaux de Douala), appui à l’éducation et à la
formation (IUT de Douala, Bandjoun et de Ngoundéré) et enfin, culture et éducation au développement (Ombessa).
Dans une récente étude réalisée par Lianes coopération, toutes les coopérations identifiées entre le Nord – Pas de
Calais et le Cameroun touchent aussi aux domaines du développement local et donc de la décentralisation :
éducation et formation, santé, développement rural, culture, action social, développement économie…

Les modalités d’intervention de la coopération décentralisée entre la France et le Cameroun se manifestent de


plusieurs façons. On retrouve d’abord et toujours le traditionnel appui au financement ou au cofinancement des actions
menées. C’est le cas dans presque tous les partenariats actifs qui existent entre les deux pays. À cela il faut ajouter
d’autres modalités telles que la coopération par projet, les actions d’urgence, les échanges, les transferts, la formation
et l’expertise, les échanges et chantiers de jeunes et les actions de sensibilisation.
Au regard de tout ce qui précède, l’on peut remarquer que la coopération décentralisée au Cameroun intervient
dans les domaines par excellence relevant des compétences des collectivités territoriales au cas où le processus de
décentralisation s’en trouverait accompli.
Les nouvelles lois prévoient que soient entre autres de la compétence des communes : l'environnement et la gestion
des ressources naturelles, la santé, la population et l'action sociale, la jeunesse, les sports et les loisirs, la culture,
l'éducation, l'alphabétisation et la formation, l'action économique, l'aménagement du territoire… Dans les compétences
des communautés urbaines par exemple, on retrouve : l'urbanisme et l'aménagement urbain, les marchés et les foires,
l'hygiène et la salubrité, l'assainissement, l'eau, l'action sanitaire et sociale… C'est dire que le champ d'intervention
de la coopération décentralisée entre la France et le Cameroun correspond bien au champ de compétences que les
lois de juillet 2004 confèrent aux collectivités territoriales décentralisées.

26
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

Mais malheureusement, l’on n’est pas encore à l’abri des menaces du pouvoir central et des autres réalités
nationales qui, freinant le développement de la coopération décentralisée, menaceront le processus de
décentralisation ou vice-versa.

4.1.2. QUELQUES PARTENARIATS ACTIFS

Ne sont évoquées ici que les coopérations actives11 ayant fait l’objet d’une enquête récente par Cités Unies France.

a) Coopération Ville de Dschang/ Ville de Nantes

Depuis 1996 il existe une coopération entre la ville de Dschang et la ville de Nantes. Selon les partenaires de cette
coopération, "Il s’agit d’une démarche globale qui aura un impact positif sur tous les aspects de la vie de la cité et de
ses habitants : économie, culture, éducation, santé et environnement". Ce projet a pour ambition de lutter contre la
pauvreté, d’améliorer les conditions de vie et de développer les activités économiques de cette région de l’ouest
Cameroun. Il se décline en plusieurs volets :
- Volet culturel : mise en valeur du patrimoine avec le programme de La route des chefferies
- Volet touristique : éco-tourisme et développement local durable

b) Coopération Alsace/ Cameroun

- Volet environnemental : mise en valeur des ressources naturelles et amélioration des conditions de vie au quotidien.
- Volet urbanistique : création d’un pôle d’activités commerciales et tertiaires.

À la suite des assises qui ont réuni en février 2003 les différents partenaires de cette coopération, un bilan a été
dressé et des perspectives ont été retenues. C’est ainsi qu’un programme de développement triennal pour la
période 2003-2005 a retenu pour l’essentiel un certain nombre de projets. Il s’agit de l’aménagement du Lac
municipal de la ville de Dschang, la promotion culturelle, le développement du tourisme et des partenariats
universitaires et scolaires12.

c) Coopération Communauté urbaine de Nantes/Ministère de la ville du Cameroun

Cette coopération est en passe d’être signée (courant septembre 2004) entre la Communauté urbaine de Nantes et le
Ministère camerounais de la Ville. Elle consiste à engager les collectivités de plus de 100.000 habitants dans une
démarche de contrat de ville et d’apporter les soutiens nécessaires en formation aux municipalités qui s’y engagent. La
formation concerne les élus, les fonctionnaires municipaux, notamment les services techniques et la société civile.
Toutes ces formations sont mises en œuvre avec le concours de l’ENSP - Ecole nationale supérieure Polytechnique -
du Cameroun. En somme, le développement urbain reste la priorité dans les choix actuels et futurs.

d) Coopération Commune d’Eybens/ région du Mbam


Cette coopération est née de la volonté des autorités de la commune d’Eybens (près de Grenoble) de s’impliquer
dans un projet de solidarité internationale envers un pays en voie de développement. C’est ainsi qu’un membre du
CRIAD13 présenta à la mairie un projet sur la migration des planteurs de cacao de la Lekié, aux terres épuisées, vers la
forêt du Mbam, dans la province du Centre (chef-lieu Yaoundé), afin d’échapper à la famine14. A côté de ce projet de
migration, il était question d’envisager aussi des activités d’accompagnement. C’est ainsi qu’est créée en 1986

11
Guy MVELLE est l'auteur d'une récente étude sur la coopération décentralisée entre la France et 11 pays de l'Afrique centrale
et des Grands Lacs, pour le compte de Cités Unies France
12
Source : Projet de développement à Dschang, Ville de N antes, APLC, juin 2004.
13
Centre de relations internationales entre agriculteurs pour le développement.
14
En 1970, cette migration vers des terres plus riches, est préconisée par une commission du Bureau international du Travail
comme lutte contre une famine annoncée pouvant toucher de très nombreux foyers de la Lekié.
27
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

l’association Eybens/ Cameroun. Son objectif général est de soutenir les initiatives villageoises de la zone de Talba
(Département du Mbam et Kim).
Cette coopération s’exerce dans les deux domaines fondamentaux du développement que sont la santé et
l’enseignement. Les modalités d’intervention sont les échanges, le développement des compétences et les
financements des projets concrets. Plusieurs réalisations peuvent être citées : la construction des cases
communautaires, la construction des écoles de villages gérées par les parents d’élèves et la construction des cases de
santé.
La sensibilisation entreprise auprès des groupements villageois par la Mission de Talba a permis la réalisation,
entre 1994 et 1999, d’un important projet à financement européen pour accélérer la mise en place des infrastructures.
Ainsi est né en 1994 le centre de développement rural de Talba, "outil efficace pour réunir les moyens d’action et aider
les groupements en organisant des formations pour les leaders villageois". Dans le même temps, l’association qui
conduit la coopération Eybens/ Cameroun répond aux souhaits des écoles primaires des villages pour une aide à la
construction et la mise en place d’échanges scolaires avec les écoles élémentaires d’Eybens. D’après les partenaires
français aujourd’hui la migration des planteurs de la Lekié dans le Mbam est sans retour. "Pour mieux vivre, les besoins
des planteurs ont évolué", disent-ils. Pour suivre cette évolution, les projets actuels s’articulent autour de trois
volets : santé, enseignement et regroupements féminins.
La coopération entre les collectivités alsaciennes et les collectivités camerounaises est conduite par l’IRCOD.
Ainsi le Cameroun reste, avec 44% des moyens engagés sur programmes, le premier pays d’intervention de
l’institut. Ceci est dû notamment à l’action conduite dans le cadre du programme financé par la Banque
mondiale pour le développement de l’IUT de Douala. Les dépenses sur programmes (146.000 ¤) représentent à elles
seules 47% du montant des dépenses pour le Cameroun, soit 21% des dépenses sur programme de l’IRCOD. Ce
projet s’est achevé mi-2003, mais la région d’Alsace et l’Etat français, dans le cadre du contrat plan, en ont fait
une cible de coopération privilégiée. Grâce à ce soutien, l’IRCOD a également mobilisé d’autres collectivités
alsaciennes : Lingolsheim, la communauté des communes et la ville de Sélestat, Erstein et Than. L’adhésion récente de
la ville de Colmar renforce ce réseau de partenaires.

4.2. DEFIS/CONTRAINTES A LA COOPERATION DECENTRALISEE ET MENACE DE BLOCAGE A LA


DECENTRALISATION ET AU DEVELOPPEMENT LOCAL AU CAMEROUN

La première catégorie de contraintes porte sur les questions d’ordre juridique, administratif et
institutionnel, ensuite vient le problème de la coordination et de la concertation entre les différents intervenants,
la cohérence des projets par rapport aux politiques sectorielles du Cameroun, la logique d’intervention de
certains acteurs du développement et les questions financières, matérielles et de ressources humaines.

4.2.1. DEFIS ET CONTRAINTES JURIDIQUES, ADMINISTRATIVES ET INSTITUTIONNELLES


À la lecture de la loi 74/23 du 5 décembre 1974 et des textes subséquents et de la loi n°87/015 du 15 juillet 1987
portant création des communautés urbaines, les termes de coopération décentralisée y ont absents. La raison est
relativement simple et tient au fait que ces textes ont été pris à une époque où les collectivités locales n’étaient pas
encore affirmées et que dominaient les relations classiques entre Etats ou entre ceux-ci et les organisations
internationales. Ce terme de coopération décentralisée n’apparaît alors que dans les organigrammes des ministères
en charge des collectivités territoriales et des relations extérieures.
Cette nouvelle forme de coopération n’est donc pas encore bien organisée au Cameroun. Aucun texte législatif en
vigueur n’y aborde la question stricto sensu soit pour souligner son intérêt, soit pour indiquer la procédure à suivre ou
encore pour définir les contours, les principes ou les règles à respecter. Cette situation a pour conséquence que "(…)
les collectivités locales évoluent dans un univers flou", et ne sont pas contrôlées dans leurs partenariats avec un risque
d’anarchie inévitable.

28
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

On peut relever ensuite que les attributions des services de l’Etat en charge de la coopération décentralisée
sont "vagues". De plus il y a "une dilution de responsabilité et une absence de coordination de leurs actions" 15 (Kuate,
2003).
Dans le même ordre d’idées, malgré la forte émancipation des collectivités camerounaises, notamment leur
rayonnement international, la question de la tutelle administrative n’est pas encore complètement réglée entre elles et
le pouvoir central. Il ne peut en être d’ailleurs autrement dans la mesure où les dispositions constitutionnelles sur la
décentralisation n’ont pas encore fait l’objet de lois d’application et de traduction effective dans les faits.
Les compétences propres aux collectivités locales existent, mais subsistent encore les effets pervers de la forte
centralisation et la lourdeur bureaucratique qui rendent presque difficile les différentes initiatives locales. Certaines
coopérations en ont souffert et ont vu leurs actions ralentir juste parce que le partage de compétences en matière
d’occupation de sol ou de délivrance de titre foncier entre l’administration centrale et la collectivité locale concernée
était flou. Impossible ou difficile de s’octroyer alors un titre foncier face à de longues transactions avec une hiérarchie
administrative lourde.

4.2.2. OBSTACLES DE COORDINATION ET DE CONCERTATION ENTRE LES DIFFERENTS INTERVENANTS

On fait face au relatif isolement des acteurs de la coopération au Cameroun. Il existe d’abord au Cameroun,
un risque de confusion institutionnelle entre les ministères en charge de la coopération décentralisée. Cela se
traduit par une absence de concertation et un déficit de coordination, car les attributions desdits départements
semblent moins précis selon les sceptiques. Il y a ensuite comme la note Kuate, une dilution de responsabilité et une
absence de coordination de leurs actions. L’on est même arrivé à parler de concurrence entre ces différents
départements ministériels qui se disputent chacun la compétence naturelle en matière de coopération
décentralisée. Cela s’aggrave par le fait que les textes sont assez imprécis dans la détermination de leurs
compétences. D’aucuns parlent d’émiettement et d’inefficacité de ces structures institutionnelles d’accompagnement
de la coopération décentralisée au Cameroun. A titre d’exemple, le ministère des relations extérieures a pour
mission d’assurer la coordination et la mise en œuvre d’une politique concertée des rapports entre le Cameroun
et les institutions décentralisées, pendant que le MINAT est entre autres en charge des relations avec les
collectivités décentralisées étrangères, ainsi qu’avec les organisations gouvernementales et non-
gouvernementales. Le ministère de la Ville quant à lui assure la coopération avec les structures et organismes
internationaux chargés des problèmes de la ville… Ce problème de coordination et de concertation touche aussi
les acteurs principaux que sont les collectivités territoriales décentralisées et leurs associations. Très peu de
rencontres sont organisées, tout comme l’on note une relative efficacité de l’action des associations existantes.

Enfin le problème de concertation et de coordination touche aussi l’action des organismes français d’appui et
d’accompagnement, ainsi que les organismes de financement 16 (AFD). Nous y reviendrons plus loin.
Il n’existe presque pas au Cameroun une plate forme de discussion mettant en commun les organes publics et les
organismes privés, comme c’est le cas du HCCI (Haut Conseil de la Coopération internationale) avec toutes les

15
Au plan institutionnel, trois départements ministériels sont impliqués dans le cadre de la coopération décentralisée : le
ministère de l’Administration territoriale (MINAT), le ministère des relations extérieures (MINEREX) et le ministère de la ville (ou
de l’habitat et du développement urbain). À l’intérieur de chacun d’eux, existe un service chargé de la coopération
décentralisée. Pour le ministère de l’Administration territoriale c’est le décret n° 98/174 du 17 juillet 1998 portant organisation
du ministère qui prévoit également au sein de la Direction des collectivités décentralisées, une cellule du développement et de
la coopération décentralisée. Au ministre des Affaires étrangères c’est le décret n°96/234 du 9 octobre 1996 portant
organisation du ministère qui prévoit aussi au sein de la Direction des Nations Unies et de la coopération non-
gouvernementale, un service de la coopération décentralisée qui a pour mission d’assurer la coordination et la mise en œuvre
d’une politique concertée des rapports entre le Cameroun et les institutions décentralisée. Enfin s’agissant du ministère de la
Ville c’est le décret n°98/153 du 24 juillet 1998 portant organisation du ministère qui prévoit aussi comme c’est le cas des
autres départements une cellule de la coopération internationale. D’autres ministères interviennent en fonction des
programmes et des sollicitations.
16
Agence française de développement - www .afd.fr
29
Dr. Takamte Pierre Marie
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améliorations que cela nécessite pour son fonctionnement17. Mêmes les associations d’élus locaux, bien qu’ayant
conscience de l’utilité de la coopération décentralisée, n’en sont qu’à leur stade de commencement. Par ailleurs
les acteurs français engagés au Cameroun ont très peu de rencontres entre eux, d’où la multiplication d’initiatives
parfois inefficaces et une lente avancée des projets à causes de multiples obstacles qui pourraient êtres
surmontés collectivement.
Ces questions constituent des préoccupations fondamentales dans les relations entre la Communauté urbaine
de Nantes et les autorités du Cameroun. Les coopérations qui s’engagent sont de plus en plus lourdes et ont
pour but de faire changer l’administration locale. Or deux épreuves/écueils se présentent : la décentralisation et
le manque de moyens financiers. La décentralisation n’est pas encore effective dans nombre de pays d’Afrique noire
dont le Cameroun. Les moyens qui devraient accompagner les transferts de pouvoir et des compétences n’existent pas
encore pour toutes les collectivités territoriales du notre pays.

4.2.3. LA COHERENCE DES PROJETS PAR RAPPORTS AUX POLITIQUES SECTORIELLES AU CAMEROUN

La presque totalité des pays africains engagés dans des programmes de réformes économiques et structurelles
a élaboré des Documents stratégiques de lutte ou de réduction de la pauvreté (DSRP). La version finale du DSRP,
qui constitue désormais le document de la politique de développement à long terme du Cameroun, a été transmise
le 9 avril 2003 au conseil d'administration de la Banque mondiale et du FMI. Elle intègre les résultats de l'enquête sur
les conditions de vie des ménages camerounais (enquête ECAM II)18 et du profil de la pauvreté en mai 2002, ainsi
que les propos recueillis lors d'une consultation nationale conduite auprès de la société civile en janvier 2002. Les
principaux points portent notamment sur :
- La réalisation des réformes macroéconomiques et structurelles
- La conduite à son terme du programme FRPC triennal 2000-2003 avec le FMI, pour garantir la stabilité du cadrage
macroéconomique
- Une utilisation efficace des économies budgétaires réalisées par la remise de la dette.
- Une mise en œuvre satisfaisante des réformes soutenues par la Banque mondiale19
- L'amélioration de la gouvernance et la lutte contre la corruption20
- Promouvoir les secteurs sociaux (Education & Santé)21

Il serait alors intéressant que les projets mis en œuvre dans le cadre de la coopération décentralisée tiennent
compte de cette stratégie mise en place par le gouvernement pour une meilleure coordination des efforts en vue d’une
action efficace et efficiente en direction du développement en général. À défaut de cela il peut y avoir cacophonie
entre les actions du gouvernement et celles des collectivités territoriales décentralisées, avec risque de blocage
pour les décisions prises au plan local, et donc frein à la décentralisation. Il serait intéressant que les acteurs de la
coopération décentralisée au Cameroun montent des projets cohérents et intégrés.

17
Haut Conseil de la Coopération internationale - www .hcci.gouv.fr
18
ECAM= Enquête Camerounaise Auprès des Ménages.
19
Il s'agit des privatisations de la "Cameroun Corporation Development" -société d'exploitation agricole des filières thé,
hévéa, bananes-, de la SNEC -Société Nationale d'Electricité- et de l'Opérateur téléphonique CAMTEL. Les deux autres réformes
concernent les transports (amélioration de la gestion portuaire) et le secteur Forestier (répressions des exploitations illégales…).
20
Le Cameroun doit mettre en place le Programme National de Gouvernance et améliorer sa gestion dans quatre
domaines : judiciaire (création de la Chambre des Comptes et du Conseil Constitutionnel) ; passation des marchés publics
(nouveau Code des marchés publics, mise en place d'une Agence de régulation des marchés publics) ; exécution du budget et
prestation des services publics dans le secteur de l'éducation et de la santé (publication des résultats et
recommandations de l'évaluation par les bénéficiaires) ; agence de régulation (autonomie et fonctionnement pour les
principaux secteurs : eau, électricité et télécommunications).
21
Le Cameroun doit mettre en œuvre les actions déclinées dans les stratégies sectorielles de ces deux secteurs prioritaires
pour lutter contre la pauvreté. Par exemple pour l'éducation : construction de 2.500 salles de classes, décentralisation de la
gestion des enseignants… et pour la santé : augmentation à 70% des taux de vaccination, actions massives de lutte contre le
VIH/SIDA d'ici 2003-2004.
30
Dr. Takamte Pierre Marie
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4.2.4. LA LOGIQUE D’INTERVENTION DE CERTAINS ACTEURS DU DEVELOPPEMENT

La logique d’intervention de certains acteurs du développement peut être une source du faible développement
de la coopération décentralisée. C’est le cas des interventions de l’Agence française de développement (ADF) au
Cameroun. Mais on pourrait aussi l’évoquer pour certaines associations et ONG travaillant au Cameroun qui
préfèrent travailler avec soit des correspondants occidentaux déjà en place, ou encore d’autres associations sans
toujours associer les collectivités locales dans leurs actions.
Dans la synthèse des observations de la mission d’expertise sur la coopération décentralisée entre la
Communauté urbaine de Nantes et le ministère camerounais de la ville (15 au 29 mars 2004), il avait été analysé le rôle
de l’AFD dans le développement urbain au Cameroun. De l’étude, il en ressort entre autres que la notion de
coopération et de développement tel que l’entend l’Agence repose plutôt sur "l’intervention ponctuelle sans qu’il
n’y ait un réel transfert de compétences au bénéfice des acteurs locaux. Ces derniers sont en généra l peu
associés aux travaux de l’AFD, qui intervient le plus souvent en prise directe avec les ministères, sans qu’une réelle
concertation soit engagée avec les élus, dont l’avis n’est pas dans ce cas sollicité"22. Et l’étude de poursuivre : "Ce
type de démarche, outre qu’elle va à l’encontre des principes même de coopération, renforce l’attentisme et la
passivité des équipes municipales face aux projets de développement. Ce modèle d’interventionnisme, calqué sur les
pratiques anglo-saxonnes, conforte localement le sentiment d’impuissance et de dépendance face aux
problématiques de développement"23.
Au niveau de la France et de l’Europe, existent aussi des blocages tels que celui de l’absence de
financement européen sur la coopération décentralisée, ou encore un profil de poste dans la fonction publique
territoriale pour la coopération décentralisée.

4.2.5. LE PROBLEME DE LA CORRUPTION


Si la corruption est une réalité au Cameroun, il est à préciser qu’elle est omniprésente dans les pays de l’Afrique
centrale et des Grands Lacs, objet de cette étude. Une étude commanditée par l’Union africaine l’a estimé en
septembre 2002 à 148 milliards de dollars US par an en Afrique. Pour la contrer, l’Union africaine a élaboré une
législation anti-corruption. Et si ce phénomène constitue une préoccupation des partenaires français du Cameroun,
c’est dire donc qu’il peut freiner le développement de plusieurs types de relations extérieures dont les relations de
coopération décentralisée. Il y a une grande crainte de la part des porteurs de projets. La corruption entame la qualité
de la gouvernance, créant ainsi un climat de méfiance entre les partenaires, lui-même entretenu par des incertitudes
associées à une gouvernance arbitraire. "À cause de la corruption, l’application des principes de responsabilités et
de transparence peut-être délibérément entravée", note le rapport de la Banque Africaine de développement.
Cette inquiétude est donc exprimée par les partenaires français des coopérations avec le Cameroun qui n’hésitent
pas de douter de la destination que pourraient prendre les efforts fournis pour les populations. C’est du moins l’avis
des partenaires français de la coopération Eybens/ Cameroun, qui sont obligés de passer par des intermédiaires
occidentaux installés au Cameroun, en l’occurrence les "Frères des écoles chrétiennes". Ceux-ci aident l’association
notamment à acheminer du matériel et autres effets du projet.
Toutes ces défis et ou contraintes évoqué(e)s plus haut ne sont pas les seules capables de menacer ou de bloquer le
développement de la coopération décentralisée au Cameroun, et donc du processus de décentralisation en cours.
D’autres existent et sont d’une importance incontestable

4.2.6. LES DEFIS ou CONTRAINTES D’ORDRE FINANCIER, MATERIEL ET DE RESSOURCES HUMAINES


Le financement des collectivités territoriales d’Afrique centrale est une contrainte pouvant freiner leurs engagements à
l’étranger dans la mesure où, en l’absence de moyens financiers conséquents, il est difficile, voire impos sible
pour une entité, de s’engager véritablement dans des relations de coopération décentralisée. La raison est que ces
relations tendent de plus en plus à reposer aujourd’hui beaucoup plus sur un esprit de partenariat, d’égalité et de

22
Communauté urbaine de Nantes, Agence d’urbanisme de l’agglomération nantaise, "Mission d’expertise du 15 au 29
mars au Cameroun, synthèse des observations", mars 2004.
23
Communauté urbaine de Nantes, op cit.

31
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

réciprocité, que d’assistance d’une collectivité vis-à-vis d’une autre24. Du coup le défaut de ressources financières
pourrait rendre plus difficile le montage d’un projet de sa phase initiale à son évaluation en passant par la
programmation et le suivi.

Dans les nouvelles lois de juillet 2004, il est prévu que les ressources des communes soient composées de recettes
fiscales, des exploitations du domaine et de services locaux, de ristournes accordées par l'Etat ou d'autres collectivités
territoriales sur le montant des impôts et taxes recouvrés à leur profit et de la répartition annuelle du fo nds
de dotation de la décentralisation. Mais malgré ces dispositions, des inquiétudes persistent sur la volonté du
pouvoir central à accompagner la décentralisation administrative d'une décentralisation fiscale. D'ailleurs il a été prouvé
qu'en Afrique les budgets locaux ne dépassent pas en moyenne 5 % du budget de l'Etat, les capacités d'épargne des
collectivités locales sont très limitées et leur dépendance vis-à-vis de l'Etat est grande pour toutes les dépenses
exceptionnelles. Et cette rareté de finances pour les collectivités locales s'aggrave par le fait que la coopération
décentralisée ne bénéficie pas de ligne budgétaire au niveau de la Commission européenne qui est restée attachée aux
relations avec les Etats.
Dans l’action que ERA Cameroun25 mène dans le développement urbain, il a été constaté que malgré les avancées
significatives constatées, il apparaît clairement que très peu de communes peuvent supporter les frais d’une formation
de leur personnel technique, ni même envisager une restructuration de leurs services.

4.3. SENTIERS D'AMELIORATION ET GRANDS CHANTIERS DE LA COOPERATION DECENTRALISEE AU


CAMEROUN

On abordera notre dernière partie en commençant par les pistes globales d’amélioration pour ensuite parler des
grands chantiers.

4.3.1. LES SENTIERS (ou PISTES GLOBALES) D’AMELIORATION

Tous les blocages cités plus haut ne sont pas insurmontables et certains ont même déjà trouvé des pistes de solutions
qui passent par une décentralisation effective, une synergie entre les structures d’accompagnement, une
stratégie de relance plus efficace et pédagogique et la lutte contre la corruption et la moralisation de la société
camerounaise.

4.3.1.1. Une décentralisation progressivement effective - concordant à la vitesse de la politique interne.


La coopération décentralisée nécessite une décentralisation effective, ceci pouvant permettre aux acteurs locaux d’avoir
la pleine maîtrise de leurs initiatives locales. La décentralisation reconnaît une existence juridique aux diversités locales.
Elle est fondée sur l’idée qu’il existe des affaires qui ne sont pas d’intérêt national, et que les intéressés peuvent et
doivent prendre en charge eux-mêmes ces affaires.
Analysant par exemple la question de la décentralisation du système de santé publique et les ressources humaines,
domaine où devrait bien intervenir la coopération décentralisée, Jean-François MEDARD en est arrivé à une
conclusion ferme. Pour l’auteur, "Le système de santé publique comme l’ensemble des administrations publiques
au Cameroun, cumule les effets pervers classiques de la bureaucratie et de la centralisation, comme toute

24
L’égalité suppose que la coopération décentralisée met en relation des partenaires égaux sur le plan des droits,
devoirs et responsabilités en dépit des différences et des disparités existantes en termes politiques, économiques, sociaux,
environnementaux, culturels, civils et religieux. La réciprocité repose sur une logique de partage et va bien au-delà de la
traditionnelle aide humanitaire ou mise à disposition de fonds… L’idée de partenariat renvoie à ce que tout projet de
coopération doit mobiliser l’ensemble de partenaires concernés des collectivités territoriales et les associer dès la conception
et tout au long de sa mise en œuvre.

25
ERA Cameroun est une association qui depuis sa création développe des activités visant à baisser le taux de concentration des
déchets dans les villes et campagnes, à accroître l’accès à l’eau potable dans les périphéries des grandes villes et les centres
secondaires, à limiter des émissions des gaz à effet de serre. Il développe des technologies propres pour l’énergie décentralisée
ERA Cameroun regroupe des ingénieurs, des universitaires des sociologues et des éducateurs.
32
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

administration publique centralisée, et ceux du patrimonialisme, c’est-à-dire de la privatisation informelle du domaine


public"26. Et comme solution, "l’Etat doit renoncer à ce mode de gestion dont l’échec est patent". Loin d’abdiquer
devant ses responsabilités, le pouvoir central doit les exercer désormais différemment, en passant du rôle de
gestion à celui de régulation plus indirecte, s’appuyant sur la rationalité économique, tout en élaborant un système
de normalisation et de contrôle. Il ne s’agit pas de privatiser des secteurs aussi fondamentaux comme la santé
comme on le fait pour les entreprises publiques, mais de procéder à sa décentralisation dont la privatisation n’est
que le stade ultime. Cela n’est d’ailleurs que la résultante des dispositions de la Constitution du 26 janvier 1996 qui
prévoit un transfert de compétences aux collectivités territoriales, désormais responsables de la gestion et du
fonctionnement des services de santé.
Au plan financier et matériel, les pistes qui sont évoquées reposent en premier lieu sur le fait que les collectivités
locales doivent continuer à bénéficier du soutien des Etats et des bailleurs de fonds. Mais les collectivités doivent
apprendre à être solvables afin que soit préparée la transition vers des systèmes pérennes pour un développement
durable.

L’AFD s’était aussi interrogée sur un certain nombre de questions notamment :


- À quelles conditions peut-on inciter à la création d’une institution financière spécialisée dans un pays ou un ensemble
géographique donné?
- Faut-il soutenir l’idée d’un mécanisme de crédit aux communes de niveau régional ? Dans ce cas, quel rôle peuvent
remplir les banques de développement régionales africaines ?
- Quelles mesures d’accompagnement peut-on prévoir pour assurer la crédibilité d’un mécanisme de crédit
communal ?
- Quelle serait la viabilité d’un fonds de garantie à l’échelle régionale chargé de solvabiliser auprès du secteur bancaire
les emprunts directs des collectivités ?
- Quelle sera la conséquence des initiatives d’annulation de la dette sur la viabilité des systèmes de
financements des collectivités locales (le marché de ces institutions risque de se trouver singulièrement réduit
par un afflux de subventions…) ?

Une autre solution au problème des ressources financières des collectivités territoriales de l’Afrique pourrait
s’inspirer du programme d’Appui au développement des Collectivités locales que finance le Service de
coopération et d'action culturelle de l'Ambassade de France au Cameroun. Ce programme a mis en évidence un
élément important au niveau des villes secondaires : l’appui en matière de fiscalité locale est primordial, notamment
pour l’optimisation de la mobilisation des recettes, qui permet d’inscrire les communes dans une logique de rentabilité et
d’investissement sur le long terme.

4.3.1.2. Une synergie entre les structures d’accompagnement : ne pas travailler seul !
Il est intéressant que l’Etat crée une sorte de synergie entre les différentes structures d’appui à la coopération
décentralisée et une coordination entre les acteurs gouvernementaux et les partenaires non gouvernementaux que sont
les collectivités territoriales, mais aussi les ONG. L’autre hypothèse consiste à envisager la création d’une structure
unique compétente en la matière, à l’image, mais avec beaucoup plus d’effectivité, de l’actuel Comité de
Coordination des Aides au Développement (CCAD) qui est sous l’autorité du Premier ministre, chef du
gouvernement. Un Comité de Coordination et de Concertation de la Coopération Décentralisée au Cameroun (5CD)
similaire au Haut Conseil de la Coopération internationale en France. Une autre idée repose aussi sur la création d’un
Observatoire de la coopération décentralisée à dimension nationale avec des ramifications sous-régionales. On peut
aussi parler d’un réseau des acteurs français intervenant au Cameroun.

4.3.1.3. Une stratégie de relance plus offensive


L’idée résulte une fois de plus du sommet des Africités 2003. Pour KUATE, cette stratégie peut être basée sur 7 points
au moins suivant :

26
MEDARD, Jean-François, "Décentralisation du système de santé publique et ressources humaines au Cameroun" in "Les
métamorphoses du politique au N ord et au Sud", Khartala, 2004, p362.
33
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

 Évaluation de la coopération au niveau de chaque commune en relançant celles qui existent déjà et en faisant
de nouvelles prospections. Ensuite au niveau de l’Etat, l’idée d’un séminaire est à explorer ;
 Prise de conscience des dirigeants étatiques et des responsables des collectivités locales de cette
nouvelle donne dans la recherche des voies et moyens d’apporter le bien-être aux populations ;
 Nécessité d’une dynamique de coopération intercommunale en amont 27. Par exemple, les collectivités locales
d’un département ou d’une zone géographique doivent commencer par apprendre à évoluer ensemble, à
cultiver l’esprit de solidarité à la base. L’idée serait bénéfique pour les plus petites entités ;
 Renforcement des associations nationales des élus locaux, pour en faire des interlocuteurs efficaces des
pouvoirs publics et des autres partenaires de développement local ;
 La bonne gouvernance : pour bénéficier de la confiance des partenaires, les élus doivent faire un effort
de bien gérer leurs collectivités et en donner ainsi une bonne image ;
 Ne pas trop embrasser : éviter de multiplier des relations que l’on ne peut pas gérer ;
 Mettre en avant l’esprit de partenariat, d’égalité et de réciprocité dans les relations. "Chaque partenaire
doit apporter quelque chose".

4.3.1.4. Lutte contre la corruption


La meilleure méthode pour réduire sensiblement la corruption pourrait consister à mener des actions "résolues
et ciblées" dans le cadre général d’un programme de bonne gouvernance 28. Plusieurs pays bien corrompus sont
arrivés sur une période plus ou moins longue à réduire substantiellement ce phénomène. Il a fallu plus d’un siècle à
l’Angleterre, mais Hong-Kong et Singapour sont passés relativement vite d’un système très corrompu à un
"système relativement probe". On peut aussi citer le cas du Botswana, du Chili, de la Pologne ou de l’Ouganda.
Ainsi à côté des mesures spécifiques prises par le Gouvernement camerounais, il est intéressant de s’attaquer
à la corruption en passant par ses causes sous-jacentes. Priorité doit être faite à la prévention, c’est-à-dire sur les
réformes des politiques, des institutions et des incitations économiques. Sans cela, les efforts visant à améliorer la mise
en application de la législation anti-corruption au travers des services de police, des bureaux d’éthique ou des
agences spécialisées au sein du gouvernement resteront moins productifs.

De la part des partenaires français de la coopération décentralisée au Cameroun, il est souhaitable qu’un certain
nombre de principes continuent à être appliqués :
- Privilégier la main d’œuvre et les compétences locales dans les actions cofinancées ;
- Participer à la mise en place des mécanismes de coordination et de financement ;
- Soutenir les collectivités camerounaises par la mise en place des systèmes de fiscalité locale ;
- Soutenir les actions de formation ;
- Accorder une importance stratégique à l’intégration sous-régionale en favorisant les programmes dans la sous-région
Afrique centrale et des Grands Lacs et en soutenant les institutions sous-régionales
- Participer et insister sur les questions d’évaluation et de mesure d’impact…

4.3.2. LES GRANDS CHANTIERS DE LA COOPERATION DECENTRALISEE AU CAMEROUN

L’intérêt de ces grands chantiers de la coopération décentralisée au Cameroun tient au fait que non seulement
ils soutiennent les collectivités camerounaises dans leur problématique de développement local et de la gestion du
service public local, mais aussi ils assurent l’émancipation de ces collectivités. Cela peut accélérer le processus de
décentralisation face à des acteurs ayant débuté plus que jamais la maîtrise de leurs supposées compétences.

27
Le cadre juridique de l’intercommunalité au Cameroun est prévu dans la loi n° 73/23 du 05 décembre 1973 portant
organisation communale. Elle dispose : « Les communes d’un département peuvent, soit à la demande de l’autorité de
tutelle, soit par délibération concordantes dûment approuvées, se regrouper en syndicats pour réaliser en commun des
opérations intercommunales telles que : l’ouverture ou l’entretien des voies intercommunales, l’achat et l’utilisation d’engins
routiers communs ou l’exploitation des services par voie de concessions». Les structures prévues à cet effet ont été créées, mais
sont tombées en faillite, et l’Etat a procédé à leur dissolution en 1993.
28
Gray, C.W et D. Kaufman, "corruption and development" in rapport BAD, p52 et s
34
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

On peut citer particulièrement la coopération entre la Communauté urbaine de Nantes et le ministère de la Ville. Cette
coopération consiste à engager les villes de plus de 100.000 habitants dans une démarche de contrat de ville et
d’apporter les soutiens nécessaires en formation aux municipalités qui s’y engagent.
La formation concerne les élus, les fonctionnaires municipaux, notamment les services techniques et la société civile.
Toutes ces formations sont mises en œuvre avec le concours de l’Ecole Nationale Supérieure Polytechnique (ENSP) du
Cameroun. En somme, le développement urbain reste la priorité dans les choix actuels et futurs.

CONCLUSION :
Quelles qu’en soient les formes, la décentralisation repose sur une donnée essentielle à l’épanouissement des
collectivités, notamment dans leurs relations avec l’extérieur : la reconnaissance de la personnalité juridique. La
décentralisation est bien différente de la régionalisation. Elle est aussi différente du fédéralisme. Elle permet aux
collectivités locales d'avoir une personnalité juridique propre, de gérer elles-mêmes leurs propres affaires tout en
restant contrôlées par le pouvoir central. Les différents acteurs locaux et étrangers doivent garder à l'esprit que
malgré la nécessité d'épanouissement des collectivités territoriales et en dépit de l'urgence sur les questions relatives
au bien-être des populations, le caractère indivisible de l'Etat doit être respecté. Il suppose que la souveraineté ne
doit dans tous les cas n'avoir qu'une seule source s'exerçant sur l'ensemble du territoire. Ensuite, la libre administration
ne confère pas aux collectivités territoriales un pouvoir réglementaire autonome, en dehors du domaine de
compétences défini par la loi. Les décisions prises par les autorités locales demeurent des actes administratifs soumis
au contrôle de tutelle. Par ailleurs, le principe de l'indivisibilité du territoire qui veut que la République soit intangible, doit
être respecté : pas d'indépendance et donc pas de droit de sécession…
La coopération décentralisée pour réussir a donc besoin d’un cadre propice qui est la décentralisation. Et la
décentralisation pour avancer a besoin du soutien de la coopération décentralisée. On n’est pas loin d’une sorte de
cercle erratique sur l’antériorité de la décentralisation à la coopération décentralisée ou vice-versa. Une chose est
sûre, la coopération décentralisée entre la France et le Cameroun intervient bien dans les domaines que la loi
d'orientation de juillet 2004 confère aux collectivités locales. C’est donc un espoir car ces rapports de plus en plus
fréquents entre collectivités territoriales sont bien une opportunité à l'évolution du processus de décentralisation a u
Cameroun. Car malgré l'existence des lois, les faits peuvent toujours souffrir d'une absence de volonté du pouvoir
central et surtout d'un manque de moyens matériel, financier et humain. Et c'est la liberté des collectivités locales
qui s'en trouvera étouffée29.

CHAPITRE 5
EXEMPLE DE LA COOPERATION DECENTRALISEE : ENTRE LE CAMEROUN ET LA FRANCE
Le Cameroun est un des pays historique de l'IRCOD - Institut Régional de Coopération Développement - . L’Institut
s’est en effet engagé dès sa création dans des actions de coopération avec le Cameroun.
Parallèlement au processus de décentralisation amorcé depuis 1996, l’Institut a progressivement conforté et adapté son
action en l’orientant vers le renforcement des capacités de maîtrise d’ouvrage des collectivités locales en mobilisant une
très grande variété d'acteurs de développement du territoire alsacien.
Les pôles géographiques d’activités s’étendent sur les provinces du Littoral, du Centre, du Sud-ouest, de l’Adamaoua et
de l’Ouest.
Outre le renforcement des capacités de maîtrise d’ouvrage, de gestion municipale et de développement des collectivités
locales, les pôles d’intervention de l’Institut concernent également les domaines de la santé et de l’enseignement
technologique30.

29
Lianes coopération - Rencontre des acteurs du Nord – Pas de Calais en coopération avec le Cameroun – 02 oct. 2004, p.21

30
http://www.ircod.org/pays/cameroun
35
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

Ici nous nous concentrerons beaucoup plus sur l’apport d'une collectivité dans le cadre d'une coopération
décentralisée. Il s’agit précisément du partenariat entre Lingolsheim et Douala 1er (action d’aménagement du quartier
Bessengué-Akwa) présenté par M. Claude REGALL, chargé de mission à l’IRCOD Alsace.
L’IRCOD a été créé en 1986 à l’initiative de la Région Alsace, à l’époque présidée par Marcel RUDLOFF, également
maire de Strasbourg. Cet institut avait pour mission de mener des actions de coopération avec les pays du Sud en
rassemblant des collectivités locales et des acteurs du développement à tous les niveaux de la société
alsacienne. Aujourd’hui, 29 ans après, cette structure regroupe plus de 10% des communes, le Département du Bas-
Rhin, la Région Alsace, l’ensemble des universités, des chambres consulaires, des hôpitaux, des associations, des
entreprises alsaciennes et des personnes privées. La coopération alsacienne est orientée en priorité vers
l’Afrique, et notamment le Cameroun et Madagascar, pays sur lesquels ont été mobilisés les 2/3 de moyens
engagés pour l’action de coopération par la France (vers le Sud en 2004). Le Cameroun à lui seul a représenté jusqu’à
maintenant plus de 50% de ces engagements.
Les partenariats noués par l'IRCOD Alsace mobilisent leurs compétences pour le renforcement des capacités de
la collectivité et de la démocratie locale.
Les partenariats engagés au Cameroun concernent depuis quelques années plusieurs collectivités locales :
 la Commune urbaine d’arrondissement de Yaoundé 6ème en partenariat avec la Ville d’Erstein
 la Commune urbaine d’arrondissement de Douala 1er en partenariat avec la Ville de Lingolsheim
 la Commune rurale d’Ombessa et la Commune rurale de Sa’a en partenariat avec la Ville de Sélestat.

Ces partenariats s’étendent actuellement également à :


- la Commune urbaine d’arrondissement de Douala 4ème avec la Ville et la CU de Strasbourg
- la Commune urbaine de Limbé avec la Ville de Colmar
- la Commune urbaine de Bafia avec la Ville de Thann
- l’association des communes du Mbam et Inoubou avec laquelle nous comptons travailler sur des
problématiques propres à l’intercommunalité.

Les collectivités locales de plein exercice sont de création relativement récente au Cameroun. Elles sont confrontées à
des difficultés fortes :
 le manque d’expérience d’une gestion décentralisée respectueuse de la base et soucieuse des intérêts
locaux,
 le manque de moyens et, en particulier, de moyens financiers et humains.

Dans ces conditions, l’enjeu se situe essentiellement dans leur capacité, d’une part à développer des
programmes cohérents dont elles doivent assurer la maîtrise d’ouvrage et d’autre part, à mobiliser la société civile
autour des priorités de développement pour un portage en synergie, en cohérence et en complémentarité de ces
projets.

L’absence de moyens financiers doit ainsi être palliée par la mise en commun de l’effort autour d’objectifs
acceptés par la majorité. La réussite du développement des pays du Sud se jouera certainement, en grande partie, au
niveau local.

Pour cela, il faut que les institutions – et en priorité les collectivités locales – puissent remplir leur rôle, assumer leurs
compétences au mieux. C’est à ce niveau aussi que la société civile reprendra confiance dans les institutions
publiques. C’est parce que ces institutions publiques réaliseront qu’elles doivent être d’abord au service de la population
et qu’elles le seront effectivement, qu’elles trouveront une légitimité populaire. C’est donc cela qu’il s’agit d’aider à
construire.

La coopération engagée par les collectivités qui se retrouvent au sein de cet institut n’a donc rien à voir avec l’action
humanitaire. Il ne s’agit pas de donner du matériel, de l’argent ou de fournir "clés en mains" des infrastructures
publiques, mais bien de renforcer les capacités des collectivités et des acteurs de développement pour qu’ils
soient en mesure de définir leurs objectifs, de définir leur programme de développement et de l’exécuter.
36
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

C’est donc avant tout un échange de savoir faire basé sur une coopération de proximité, de territoire à territoire,
mobilisant un ensemble de compétences riches de leur expérience pour accompagner les collectivités et, en
particulier, les communes dans le cadre de programmes de développement qu’elles ont jugé prioritaires et qui
répondent aux aspirations de la population.

Les relations engagées entre collectivités alsaciennes et camerounaises sont formalisées par des conventions
de partenariat qui intègrent en général trois axes d’intervention : l’appui à la gestion municipale et à la maîtr ise
d’ouvrage, l’appui à des actions de développement local et les échanges entre établissements dans le cadre de
l’éducation au développement.

5.1. Partenariat entre Lingolsheim et Douala 1er pour l'aménagement du quartier Bessengué-Akwa
La démarche mise en œuvre associe à la fois :
 le renforcement des compétences des élus
 le renforcement des compétences des techniciens municipaux
 et la participation des bénéficiaires à la définition du projet et à sa gestion future.
Le travail d’animation et de suivi de cette démarche a été confié à une association locale : Doual’Art.

a) La construction d’une démarche de développement local participative : un partenariat entre la


municipalité et les habitants du quartier.
 La structuration de la société civile a été accompagnée par un appui à la création d’un comité de
développement du quartier qui représente les diverses composantes sociales et ethniques du quartier.
 Les travaux menés par le comité de développement ont abouti à l’identification des besoins des
habitants du quartier, besoins orientés vers l’amélioration des conditions de vie (infrastructures,
intégration sociale). Le comité de développement est devenu un interlocuteur privilégié et il est
maintenant reconnu par la commune pour les questions touchant à l’aménagement et à la vie du
quartier31.
 La commune du Sud s’est donnée les moyens de son implication active dans la démarche en
responsabilisant un technicien pour accompagner et soutenir au quotidien l’évolution de l’action.

b) L’élaboration d’un plan de développement du quartier : la recherche de synergies entre les acteurs
institutionnels
L’élaboration d’un plan de développement a fait suite au diagnostic précis des problèmes du quartier qui a été réalisé
par les partenaires locaux en lien avec des partenaires alsaciens.
- Il a conduit à l’élaboration de propositions d’actions concrètes en rapport avec les projets identifiés par le
comité de développement et la commune : désenclavement, alimentation en eau potable, lutte contre les
inondations,…
- Il a mis en évidence que l’aménagement du quartier relève de compétences communales mais aussi
communautaires : des démarches entreprises par la commune de Douala 1er auprès de la communauté
urbaine de Douala ont abouti à la signature d’une convention de collaboration, et un cadre de la
communauté urbaine a été affecté au suivi et à la coordination des actions à réaliser de façon
concertée entre les deux collectivités.
- Il a enfin dégagé des thèmes de formation pour compléter le savoir faire des techniciens chargés du suivi des
projets : les deux techniciens de la commune et de la communauté ont été accueillis auprès de services
administratifs et de bureaux d’études alsaciens pour renforcer leurs compétences techniques et leur
capacité de conseil des collectivités en matière de maîtrise d’ouvrage. A leur retour, ils ont élaboré un
manuel de gestion de projets qui guide la commune de Douala 1er dans la mise en œuvre du plan de
développement.

31
Lianes coopération - Rencontre des acteurs du Nord – Pas de Calais en coopération avec le Cameroun – 02 oct. 2004, p.24.

37
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

c) La mise en œuvre du plan de développement a renforcé la concertation entre l’ensemble des partenaires
impliqués :
 La mise en œuvre de ces actions a donné lieu à des réunions d’informations, de concertations et de
négociations entre les acteurs impliqués. Le projet n’est ainsi plus la décision d’une autorité, mais devient
l’objet d’une volonté collective permettant à chacun de s’approprier l’action en fonction de ses prérogatives.
 Le comité de pilotage qui a été créé pour le suivi des actions va dans ce sens. Il officialise l’effort de
concertation et réunit des élus et des techniciens de la commune et de la communauté urbaine, des
représentants du comité de développement du quartier, et de l’ONG chargée du suivi.
 La mise en œuvre du plan de développement a permis une professionnalisation des acteurs : certaines actions
telles que la construction de borne fontaine ou de passerelles permettent de renforcer la connaissance
qu’ont les acteurs institutionnels et civils des procédures administratives qui régissent les marchés publics.

5.2. Nature de l’accompagnement assuré par les partenaires alsaciens

A) Soutien technique / formation


L’accompagnement assuré par la Ville de Lingolsheim et la communauté urbaine de Strasbourg a eu
différentes formes :
 Formation : deux techniciens de la communauté urbaine de Douala et de Douala 1er ont été accueillis en stage
en Alsace.
 Suivi-conseil : des échanges qui passent par l’intermédiaire du représentant de l’IRCOD au Cameroun
contribuent à la validation de documents intermédiaires (tels que les termes de référence, les lettres de
commande, ordres de service, et autres) et à la validation des études réalisées. Ces échanges
apportent également un appui méthodologique ponctuel, notamment concernant les procédures de
passation de marchés.
 Missions courtes sur le terrain : elles permettent aux partenaires alsaciens, par la connaissance du terrain,
de réagir à bon escient aux demandes d’appuis-conseils émanant des partenaires camerounais.

Autre forme de soutien qui a une importance capitale dans l’avancement du projet, l’association Doual’Art 32
appuie de manière plus proche la municipalité dans la réalisation des documents techniques requis dans le
processus de maîtrise d’ouvrage (rédaction des dossiers d’appels d’offres aux bureaux d’études, des termes de
référence, etc.).
 Soutien organisationnel/ animation : Doual’art possède une grande expérience d’animation en milieu urbain et
a ainsi apporté une forte contribution organisationnelle et méthodologique au comité de développement du
quartier. Elle a également soutenu la mobilisation et l’implication des acteurs de terrain impliqués dans
l’élaboration et la mise en œuvre du plan de développement par l’animation de réunions régulières. Doual’Art
mène par ailleurs de nombreuses actions à caractère culturel au sein du quartier, ce qui contribue également
à renforcer la cohésion sociale et la dynamique de développement.
 Soutien financier : les fonds mobilisés par l’IRCOD contribuent au cofinancement des études techniques,
à la prise en charge des stages et missions, du soutien apporté par Doual’Art et au cofinancement des
infrastructures.

B) Les résultats
L’accompagnement proposé par l’IRCOD a contribué à construire une méthode de mise en œuvre d’un projet
d’aménagement de quartier qui a permis :

1- La structuration de la dynamique locale

32
L’association Doual’art a donc vu le jour dans ce contexte, en 1991, avec comme objectif "l’éveil mental et critique" des
populations de Douala par des actions culturelles et artistiques. Doual’art se structure selon deux principes : Doual’, qui évoque
l’objectif de développement de la ville par la conduite d’actions dans la cité ; et art, qui désigne les outils artistiques. voir
http://base.d-p-h.info/en/fiches/premierdph/fiche-premierdph-6126.html
38
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

La constitution d’un comité de développement crédible et respecté par les autres acteurs du développement du
quartier a favorisé la responsabilisation de la population et a démontré leur capacité d’organisation et d’action autour de
leaders. Ce comité de développement, qui est un lieu de dialogue et de rencontres, renforce également la cohésion des
groupes sociaux constitutifs du quartier33.

2- La promotion de la démocratie locale


Ce projet participe au renforcement du rôle du citoyen par la meilleure prise en compte de ses besoins dans
l’élaboration d’une politique municipale et par sa participation au processus de décision. Cela va dans le sens de la
construction d’un modèle institutionnel durable associant les décideurs et les électeurs. Par ailleurs, la démarche
employée sensibilise l’habitant du quartier sur ses droits, mais aussi sur ses devoirs par rapport au respect du bien
public.

3- Une certaine légitimation des élus


- Auprès des habitants : ce projet permet aux populations de mieux comprendre le rôle d’un conseil municipal et la
fonction d’une municipalité dans la gestion et l’équipement d’un territoire communal (valeur d’exemple d’un projet
construit et géré dans la transparence) et tendra à crédibiliser la fonction d’élu qui n’est pas toujours bien perçue
par l’électeur. Cette démarche contribue finalement au rapprochement des élus et de la population.
- Auprès des institutions et autres acteurs : le sérieux apporté par l’équipe municipale au montage et au portage de ce
projet est de nature à renforcer progressivement la crédibilité de l’institution municipale. Elle peut maintenant
être un partenaire à part entière dans le développement de son territoire.

4- La promotion d’une politique d’aménagement urbain maîtrisé


L’ambition de ce projet est de rattacher un quartier à l’ensemble urbain que constitue la ville environnante en
le faisant bénéficier d’un niveau d’équipement de base satisfaisant. En intervenant sur un secteur géographique limité,
la prise en compte de l’avis des habitants prend tout son sens pour définir un schéma d’aménagement pertinent et
réaliste dans ses ambitions, ceci dans le cadre d’une gestion durable des équipements. Par ailleurs, l’échelle
d’intervention permet aux services municipaux de s’organiser progressivement en fonction des besoins liés au projet
et d’intégrer les niveaux d’articulation possible avec les autres acteurs du développement de son territoire (communauté
urbaine, associations, opérateurs privés).

5- La concertation entre institutions pour l’atteinte d’un objectif


La création du comité de pilotage qui intègre la communauté urbaine, la commune d’arrondissement et le comité de
développement du quartier a prolongé la convention signée entre la communauté et la commune. La répartition
des responsabilités (que ce soit en termes de maîtrise d’ouvrage, ou de maîtrise d’œuvre, …) est clairement définie à
chaque étape de la réalisation du plan de développement compte tenu de la répartition des compétences de ces
institutions.

6- Effet de levier pour l’aménagement du quartier


La mobilisation des acteurs concernés autour de ce projet et leur capacité à mettre en synergie leurs
compétences ont finalement éveillé l’intérêt de certains bailleurs de fonds qui sont prêt à s’investir à leurs côtés
dans la réalisation d’actions concertées de grande ampleur34.

5.3. Une dynamique locale autour des actions de la commune

a) Implication d’autres acteurs due à des recherches de complémentarité de compétence.


Dans le cadre de l’appui que peut apporter une collectivité, elle peut se confronter aux limites de ses compétences
légales. La loi, selon le principe de subsidiarité, lui interdisant d’intervenir dans ces cas-là, oblige la commune, si elle

33
Ibid., www.lianescooperation.org
34
Ibid, p.26
39
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

veut soutenir son partenaire du Sud, à faire appel aux structures compétentes. Ces structures peuvent être des
collectivités locales d’un autre niveau (Communauté urbaine, Communauté de communes, Conseil général) ou
des structures déconcentrées d’Etat (directions départementales des différents ministères).

b) Implication d’autres acteurs dus à des effets incitatifs


- Structures associatives travaillant sur son territoire : par exemple, le centre socioculturel l’Albatros
de Lingolsheim a eu connaissance des actions de la commune auprès de Douala 1er . Il a souhaité s’associer
à des actions de coopération. Des échanges réguliers associant le public du centre socioculturel et les jeunes
du quartier Bessengué Akwa vont se mettre en place. Concernant le centre socioculturel, ces échanges se feront dans
le cadre d’un contrat de projet couvrant plusieurs années. Outre ces échanges réguliers entre publics, des actions plus
structurantes vont être soutenues par la direction et l’équipe d’animateurs : cela concerne l’appui méthodologique à la
création d’un centre sur place.
- Etablissements scolaires : les écoles maternelles de Lingolsheim se sont engagées dès le début du
partenariat dans des actions d’échange avec les écoles maternelles de Douala 1er. Suite à une mission d’identification
des besoins sur place, trois directrices de Douala 1er ont bénéficié d’un stage de formation de courte durée
en Alsace pour s’imprégner des méthodes pédagogiques adoptées chez nous. Des échanges intéressants ont pu
se mettre en place entre les écoles et le travail se focalise maintenant sur des actions structurantes telles que l a
formalisation de projets d’école. Les effets positifs de ces échanges ont été perçus par d’autres établissements
scolaires de Lingolsheim, au niveau du primaire notamment. Ceux-ci comptent maintenant eux aussi s’engager dans
des actions de partenariat identiques.

5.4. Les retours d'une coopération décentralisée pour la commune du Nord et ses partenaires
- Renforcement de la concertation avec les partenaires institutionnels ou associatifs : la construction de projets de
développement avec le partenaire du Sud se fait au sein de comités de pilotage qui font intervenir différents acteurs du
Nord. Un nouveau type de dialogue s’ouvre entre les élus, les services de la commune et les différents acteurs de
la ville, que ce soient des associations ou des établissements scolaires et donnent ainsi une nouvelle force à la
dynamique locale au nord.
- Acquisition de savoirs et de savoir faire : outre la valorisation du savoir, professionnel ou non, qui peut
se situer au niveau individuel, ou de l’ouverture sur l’extérieur des publics des associations impliquées,
l’engagement dans des actions de coopération décentralisée confronte les individus à d’autres méthodes qui
permettent d’enrichir leur pratique professionnelle. C’est le cas pour le centre socioculturel de Lingolsheim qui compte
tirer des enseignements des pratiques d’ingénierie sociale adoptée dans le cadre de la mise en œuvre du projet de
développement du quartier Bessengué Akwa, et essayer de résoudre de la sorte certains problèmes dans des quartiers
de Lingolsheim en impliquant un peu plus la population dans la définition d’une politique d’aménagement de quartier.
Ca peut être également le cas pour une municipalité elle-même. Strasbourg s’engage actuellement dans un appui à la
commune de Douala 4e sur le thème de l’animation sociale. Les échanges qui se feront dans ce cadre
amèneront peut-être un nouveau point de vue des professionnels qui sont engagés dans ce secteur et leur
feront aborder la problématique différemment.

5.5. Les leçons et ou enseignements tirés des expériences concrètes.


- La coopération décentralisée est avant tout une coopération de proximité fondée sur l’échange d’expérience et
de savoir faire entre les acteurs. Elle implique la nécessité d’une motivation réelle et forte des acteurs concernés, et
notamment des autorités communales de part et d’autre, à s’engager sur la réalisation d’objectifs clairement définis.
La coopération décentralisée n’est pas une coopération qui pourra mobiliser directement des moyens financiers
lourds. Par contre, à travers la mise en œuvre de projets, elle peut cibler le renforcement des capacités permettant aux
différents acteurs de lever les moyens nécessaires à la réalisation de projets bien construits.
- La mise en œuvre de programmes d’aménagements lourds mobilise du temps d’étude et risque de décourager
les acteurs de terrain si d’autres signes ne sont pas donnés. Aussi, à côté des projets qui demandent du temps,
l’IRCOD appuie systématiquement la réalisation de petites actions plus faciles à mettre en œuvre et donne une visibilité
du partenariat à la population.

40
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

- L’articulation avec d’autres initiatives de coopération et avec l’Etat du pays bénéficiaire est fondamentale. La
réalisation de certains projets tels que la réhabilitation de marchés ou l’aménagement de quartier supposent
des crédits plus importants que ceux mobilisables classiquement par les communes : il faut que ces types de
projets puissent avoir accès à des dispositifs de financement publics nationaux ou mis en place dans le cadre des
accords internationaux du Cameroun, comme par exemple les dispositifs PPTE35 ou le C2D. Il est donc
nécessaire pour la coopération décentralisée de se placer en complémentarité des autres dispositifs.
- L’autorité municipale doit être le garant de la cohérence des actions menées sur son territoire. Au-delà même de la
cohérence avec les dispositifs financiers, se pose fondamentalement la question de la cohérence des actions mises en
œuvre au niveau communal ou dans le cadre des Communautés urbaines. Se pose aussi la question de l’articulation
de la mise en œuvre des projets dans le cadre de compétences partagées entre communes et communautés de
communes. De même, la coordination et la mise en cohérence des interventions extérieures (coopérations
bilatérales, multilatérales, décentralisées, interventions d’ONG) devrait à terme être assurées par les collectivités
sur leur territoire. C’est donc dans le renforcement de cette capacité de maîtrise d’ouvrage que se jouera, à terme, la
crédibilité des collectivités. La réussite d’un projet doit être aussi complétée par le renforcement de ces
capacités de maîtrise d’ouvrage. L’action doit renvoyer vers une réflexion sur l’organisation de la commune et sur
les ressources humaines pour assurer les compétences prioritaires. A défaut, l’appel à des structures extérieures
camerounaises compétentes en appui à la maîtrise d’ouvrage est fondamental.
- Un autre point qui vient en complément de ce qui vient d’être dit : il convient aussi de réfléchir, dans la mise en
œuvre des projets, à la notion de subsidiarité. Les communes rurales, par exemple, auront beaucoup de mal à assumer
individuellement la gestion de l’eau potable. Il faut alors réfléchir à la manière dont cette question pourrait être traitée à
un niveau intercommunal : c’est une expérience que l’IRCOD et les collectivités alsaciennes se proposent de mener
avec l’association des communes du Mbam et Inoubou.
- Nécessité de relations suivies : Pour une pleine efficacité de notre travail, il y a nécessité de relations suivies et dans
la proximité. L’IRCOD s’est donné les moyens d’avoir un représentant au Cameroun qui assure les relations avec les
partenaires directs sur le terrain ainsi qu’avec l’Etat camerounais et les différents acteurs de coopération
internationale, dont particulièrement la coopération bilatérale française. Le souci permanent est celui de la
cohérence de nos actions par rapport aux orientations à la fois des collectivités camerounaises, de l’Etat
camerounais et des autres acteurs présents sur le terrain. Sans la présence permanente d’un représentant dans le
pays, beaucoup de nos coopérations auraient probablement échoué ou perdu de leur sens. La connaissance du pays,
le suivi régulier et le relais qu’il constitue auprès des acteurs alsaciens engagés sont essentiels pour aider à cadrer
l’action sur le terrain et la relancer quand c’est nécessaire. C’est une véritable expertise de la connaissance du contexte
camerounais et de son évolution qui est ainsi également assurée par le permanent en question.
- Sur le versant alsacien ce souci existe aussi : pour chaque projet, des comités de pilotage associant tous les acteurs
alsaciens impliqués permettent une bonne coordination de l’action dans le cadre de stratégie clairement définies par ce
comité. L’IRCOD joue ainsi un rôle de conseiller et d’animation auprès de l’ensemble des acteurs engagés dans une
relation de coopération décentralisée.

5.6. CONCLUSION :
Pour conclure, il est essentiel de mentionner que la mise en place des partenariats et l’exécution des
projets demande du temps : parfois jusqu’à deux ou trois ans entre les premiers contacts et la formalisation
d’un projet de coopération pertinent. Il est nécessaire que les partenaires avancent au même rythme, et se
substituer à l’initiative et au portage des acteurs locaux n’a pas de sens. De plus, la coopération décentralisée n’est
en aucun cas une coopération se substituant à d’autres types de coopérations. Elle en est complémentaire. Et
elle ne doit surtout pas être une coopération d’envoi de conteneurs remplis de matériels, ou de dons divers, y
compris financiers. Ce serait la réduire et la dénaturer en d’autres termes36.

35
PPTE: Pays Pauvres Très Endettés
36
Ibid, p.28.
41
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

CHAPITRE 6 :
ADVERSITÉS MAJEURES LIEES A LA GOUVERNANCE ET A L’INSTRUMENTALISATION DE LA
COOPERATION DECENTRALISEE FRANCE- CAMEROUN

La coopération décentralisée entre les collectivités locales Camerounaises et leurs homologues de l'hexagone pose de
nombreux défis dont les plus importants, nous semble-t-il, sont la promotion d'un développement local durable assorti
des politiques d'aide au développement (6.1), la valorisation des compétences locales à l'échelle nationale et
internationale (6.2).

6. 1. LA PROMOTION D'UN DEVELOPPEMENT LOCAL DURABLE ET LA DEMOCRATISATION DE


L'ADMINISTRATION

6.1.1. LE DEVELOPPEMENT LOCAL DURABLE ET LES POLITIQUES D'AIDE AU DEVELOPPEMENT

Si des modèles comme la démocratie, la bonne gouvernance ou les droits de l'homme et libertés publiques sont
généralement admis comme des normes universelles, le concept de "développement local durable" semble s'imposer
moins facilement. A la croisée des chemins de l'économique, l'environnement ou le social, il est né d'une peur majeure
apparue dans les années 1980 dû aux mouvements de surproduction et de surconsommation de telle sorte que, la
gouvernance mondiale s'est mobilisée sur le sujet et plusieurs sommets dits "de la terre" se sont employés à
promouvoir des mesures de nature à empêcher, sinon retarder le désastre annoncé. Dans les années 1990, des
partenariats plus globaux à dominante institutionnelle et territoriale, d' « aide à la gouvernance locale » ou « d'appui
institutionnel » ont émergé et semblent être une réponse pertinente au défi actuel de l'essor conjoint de la
mondialisation et de la décentralisation. Les collectivités françaises ne sont pas les seules à être confrontées à la
maîtrise de l'urbain. Tandis que la dimension internationale du développement des territoires, leur attractivité, le
dynamisme des acteurs socio-économiques deviennent des enjeux majeurs à prendre en compte dans la promotion
d'un développement durable (Santus, 2003 : 21), la promotion du développement local durable dans les « Suds »,
modèle élaboré, affiné et testé au Nord est consubstantielle aux politiques d'aide au développement ;la coopération
décentralisée se contentant d'être un paravent pour la construction des balises néolibérales (b) et surtout une nouvelle
politique d'acheminement de l'aide au développement (a).

a) La coopération décentralisée : une nouvelle recette d'acheminement de l'aide au développement ?

Dans les pays du Sud où le processus de décentralisation n'est pas toujours achevé, la coopération décentralisée revêt
un autre sens et semble renvoyer plutôt à une nouvelle forme d'aide au développement (Finken, 1996 : 66-67).
D'ailleurs, pour Jean-Louis Venard, la coopération décentralisée s'entend aujourd'hui dans un double sens : d'une part,
les institutions de coopération tendent de plus en plus à favoriser la mobilisation des collectivités locales des pays
développés au service du développement urbain en Afrique, en apportant des compléments de financement aux
accords directs passés entre villes du Nord et du Sud, d'autre part, selon le sens qui lui est donné par la communauté
économique européenne (CEE), la coopération décentralisée a pour objet de mettre l'aide au développement
directement à la disposition des collectivités locales du Sud en contournant les administrations centrales des Etats
(Jaglin ; Dubresson, 1993 : 24).
42
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

Remarquons tout de même que la coopération décentralisée peut certes être considérée comme une nouvelle
technologie d'acheminement de l'aide au développement, mais fétichiser ou naturaliser cette appréhension de la
coopération décentralisée, reviendrait à faire l'impasse sur tout un jeu de légitimation réciproque, d'où l'importance de
remuer la problématique suivante : A quoi sert l'aide publique en Afrique ? Qui aide qui ? Et comment ?

Les gouvernements des grandes puissances le reconnaissent ouvertement : le propos de l'aide dite au développement
n'est pas d'abord d'assurer le développement des pays pauvres mais de garantir leurs intérêts dans certaines parties du
monde, qu'ils soient commerciaux, stratégiques ou tout simplement culturels ou politiques (Brunel, 1997 : 55-56). Dans
le cas d'espèce, ce ne sont pas les pays les plus pauvres qui sont aidés en priorité par la France, mais ceux qui lui sont
le plus utile dans une optique qui est d'abord clientéliste. Ainsi, parmi les objectifs de l'aide publique, le développement
des pays pauvres n'est pas la première priorité (Brunel, 1997) ; elle contribue à contrario à promouvoir la culture
néolibérale.

b) La coopération décentralisée : cheval de Troie de l'idéologie et la gouvernance néolibérale au Cameroun

L'approche néolibérale prône l'application stricte et mécanique de certains préceptes : la dérégulation, la libéralisation
des prix, l'ouverture des marchés... En s'inspirant de l'hypothèse de la « main invisible » d'Adam Smith, tout ce qui nuit
au libre-échange doit être combattu au nom de la rationalité économique (Blom ; Charillon, 2001).

Dans le cadre de la coopération décentralisée France-Cameroun, les collectivités locales françaises et les organismes
internationaux d'appui au développement en relations de coopération avec les collectivités Camerounaises assureraient
la construction des balises néolibérales et la perpétuation d'un contrôle idéologique des entités locales. La diffusion de
la logique marchande serait portée par ces institutions auprès des collectivités locales Camerounaises en vue
d'opérationnaliser les cadres structurels favorables à l'épanouissement de sa dynamique. Dans cette perspective, les
politiques internationales de promotion d'un développement local participatif fondé sur les principes de la bonne
gouvernance, de la démocratie locale et d'un accroissement du processus de décentralisation conduiraient à une
socialisation locale de la culture néolibérale de compétitivité (Latouche, 1998 :9). Le rôle croissant des experts commis
par ces agences internationales à l'entreprise de construction d'un développement local n'induirait pas seulement
l'internationalisation des affaires locales ou la prédominance des acteurs internationaux dans le processus d'élaboration
et de mise en œuvre des politiques nationales, il rendrait aussi compte de l'enjeu politico-idéologique du champ local ou
communal dans l'expansion mondiale de la culture économique du marché (Latouche, 1998). Cette idéologisation de
l'espace sociopolitique de la coopération décentralisée France- Cameroun viserait dès lors à garantir la pérennité du
contrôle et de l'influence des acteurs dominants du développement par la construction d'une culture politique
néolibérale que les acteurs locaux pourraient reproduire dans une perspective réflectiviste (Roche, 2001 : 141).

Finalement, la coopération décentralisée servirait de courroie de transmission de l'idéologie néolibérale et, comme nous
le verrons plus tard, à la "démocratisation" de l'administration.

6.1.2. LE DEFI DE LA DEMOCRATISATION DE L'ADMINISTRATION

Par "démocratisation" de l'administration, entendons la promotion de l'implication des populations à la gestion des
affaires locales (a). Dans le cadre des relations transnationales des collectivités locales, cette situation favorise le
contournement des arcanes bureaucratiques centraux et partants, la subversion sociale par le bas (b).

a) L'implication des populations à la gestion des affaires locales

Lors du sommet africités dont le thème était « assurer l'accès aux services de base dans les collectivités locales »,
Jacques pélissard, Député -Maire de Lons-le-saunier, premier vice Président de l'A.M.F, a ouvert, avec Pierre-André
Wiltzer, Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie et Jean Marie Bockel, Président de l'A.M.G.V.F et
membre du bureau de l'A.M.F, les journées politiques du sommet (5 et 6 décembre 2004). A cette occasion, il a rappelé
43
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

l'importance d'affirmer le rôle des collectivités locales, espaces de cohésion sociale, d'expression citoyenne et de
démocratie. Il faut et c'est un combat commun, parfaire en Afrique comme en France, la décentralisation, c'est-à-dire la
montée en puissance des pouvoirs locaux de plein exercice37.

Il y a là en filigrane l'idée de l'indigénisation de la démocratie, constitutive de la décentralisation. L'exercice effectif de la


démocratie locale suppose l'adhésion des populations au principe d'une participation responsable à la gestion des
affaires locales, c'est-à-dire au principe de citoyenneté. Cette participation se traduit par le droit de chacun d'attendre de
la collectivité sa contribution à l'effort collectif par le paiement d'impôts ou le cas échéant, par la participation à des
activités d'intérêt commun. Dans le cas d'espèce, la décentralisation territoriale viserait à renforcer les initiatives locales
et à impliquer les populations dans la gestion de leurs propres affaires. Ces dernières pouvant ainsi partager le pouvoir
décisionnel avec les pouvoirs publics dans un souci de démocratie participative. C'est dans le dessein d'encourager
cette nouvelle donne que Monsieur Jacques Chirac, (alors Président de la République Française) à la conférence de la
Baule ouverte le 20 Juin 1990 tient un discours dont la teneur suit : « la France liera tout son effort de contribution aux
efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté. Il est évident, poursuit-il, que l'aide normale de la France sera
plus tiède en face des régimes qui se comporteraient de façon autoritaire sans accepter d'évolution vers la démocratie,
et enthousiaste vers ceux qui franchiront le pas avec courage (Njoya, 2006 : 306).

Toutefois, bien que l'indigénisation de la démocratie et l'exigence d'une plus grande implication des populations à la
prise de décision concernant la gestion des affaires locales soient les objectifs le plus souvent évoqués, il apparaît en
fin de compte que ces objectifs ne seraient pourtant pertinents pour la France que dans la mesure où ils concouraient à
assurer le contournement des arcanes bureaucratiques et partant, à favoriser la subversion sociale par le bas.

b) Le contournement des arcanes bureaucratiques centrales : la tendance à la subversion sociale par le bas

Les assises de la coopération Franco-Camerounaise qui se sont tenues les 30 Novembre et 1 er Décembre 2004 à
Yaoundé (capitale politique du Cameroun) sur le thème « faire des relations entre collectivités locales un axe majeur de
la coopération France / Cameroun » ont été l'occasion pour les internationalistes de cerner l'un des enjeux majeurs de
la coopération décentralisée.

On peut à priori mettre à l'actif de la coopération décentralisée une capacité évidente à contourner les arcanes
bureaucratiques traditionnels de la coopération administrative d'Etat à Etat. Comme le remarque Zaki Laïdi dans le
cadre de la coopération urbaine entre la banque mondiale et l'Afrique, ayant eu des difficultés à conserver la maîtrise de
ses projets urbains en négociant avec les Etats centraux, la banque mondiale cherche aujourd'hui à négocier sa
coopération urbaine directement avec les municipalités (Laïdi, 1989). Il en est de même pour la Coopération Française
qui proclame que seule une nouvelle approche des problèmes urbains par les pays intéressés et par la communauté
internationale permettra de prendre en main ces transformations. Ce n'est pas tant au niveau central que ce sera
possible, mais en favorisant plutôt les initiatives et les contributions des habitants et des communautés de base et en
s'appuyant sur des collectivités locales aux pouvoirs et aux moyens renforcés (Petiteville, 1995 :115). A y voir de près,
les « périphéries » deviennent un réservoir de ressources et de matières premières où il faut puiser avec le maximum
de risque, avec ou sans l'aval de l'autorité centrale : Il s'agit ici d'une stratégie de pénétration "abdominale" du système,
c'est-à-dire une tendance affichée à traiter directement avec les cadets et/ou partenaires sociaux, parfois non officiels,
organisant pour ainsi dire la "subversion sociale par le bas" (Njoya, 2006 : 322). La professionnalisation des
interventions et la valorisation des compétences locales à l'échelle nationale et internationale ne sont pas en reste dans
cette stratégie d'instrumentalisation de la coopération décentralisée.

37
Lire document sur le sommet africités, 2004.
44
Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

6.2. PROFESSIONNALISATION DES INTERVENTIONS ET VALORISATION DES COMPETENCES LOCALES A


L'ECHELLE NATIONALE ET INTERNATIONALE

6.2.1. LA PROFESSIONNALISATION DES INTERVENTIONS

La professionnalisation des acteurs ou plus largement le fait de pouvoir s'appuyer sur des acteurs disposant d'une
compétence forte et spécifique d'organisation en amont et d'animation de la coopération est l'un des principaux défis
pour la coopération décentralisée au développement. Le rôle de la coopération technique a longtemps fait oublier
qu'une compétence technique ne constitue pas nécessairement une compétence de coopération. La coopération de
territoire à territoire, politisée et appuyée sur la mobilisation d'acteurs divers, ainsi que sa confrontation de fait à la
professionnalisation des ONG pose d'une manière nouvelle la question des compétences humaines (ACTconsultants-
GRET, 2006 :40). Le partenariat fait le choix légitime de l'éducation et de la formation plutôt que du pur assistanat. Il
décide d'agir en amont, sur la formation et l'information des acteurs en France, plutôt qu'en aval en accordant des
subventions dont on ne sait l'usage qu'il en sera fait (Krykwinski, 2002 : 34). Bien des Maires africains se plaignent
qu'on leur envoie des jeunes coopérants, à la bonne volonté indiscutable mais qu'ils doivent eux-mêmes former.

Le problème majeur auquel on est confronté ici est celui de la difficulté d'opérationnaliser le passage d'une coopération
« d'assistance » à un partenariat stratégique et d'appui institutionnel dû à l'insuffisance des compétences requises de
part et d'autre. La construction d'un partenariat stratégique et l'animation de ce partenariat doivent être le premier
objectif d'une coopération décentralisée. Dans ces domaines, l'enjeu de compétence est très largement partageable
entre les partenaires ; généralement aucun des deux n'est au départ très affûté : c'est donc un champ important de
coopération réciproque (ACTconsultants-GRET, 2006). Il ne s'agit plus seulement des compétences techniques ni
même de la catégorisation technique des pans de travail mais d'une formalisation de nouveaux savoirs, de nouvelles
stratégies, de nouveaux domaines d'expertise.

Finalement, comment reconnaître les innovations, les capitaliser et les diffuser en terme de compétences, de savoir-
faire ? Comment éviter en même temps le risque d'une technocratisation des acteurs et des animateurs de la
coopération décentralisée ? Qu'est-ce qui relève véritablement d'un besoin de professionnalisation des élus locaux ?
L'enjeu prioritaire doit être ici de répondre à la nécessité d'une approche politique et stratégique de la coopération
décentralisée et à la recherche d'une dynamique réciproque « de territoire à territoire ». De ce point de vue, la
professionnalisation des interventions des collectivités locales Camerounaises serait un moyen pour leurs homologues
de France à les préparer à un éventuel partenariat stratégique de moins en moins déstructuré. Ce désir de
professionnaliser les interventions dans les "Suds" participe aussi de la politique de valorisation des compétences
locales à l'échelle nationale et internationale.

6.2.2. LA VALORISATION DES COMPETENCES LOCALES A L'ECHELLE NATIONALE ET INTERNATIONALE

Si le dynamisme et l'animation de la scène locale sont importants pour des raisons avant tout locales, mais aussi dans
une certaine mesure par rapport à l'image extérieure de la ville, le rayonnement lui, suit une logique inverse. Il est,
comme son nom l'indique, beaucoup plus tourné vers l'extérieur de la ville, mais cette dernière en attend quand même
des effets au niveau local (Albine, 2005 :99). Les collectivités locales cherchent à cultiver cette image de marque
notamment au niveau de la coopération décentralisée. Du fait de leur engagement financier fort et en raison de
l'ancienneté de cette politique, les collectivités françaises peuvent prétendre disposer d'une expérience et d'une
expertise qui font elles-mêmes partie de cette image de marque et qui sont aujourd'hui reconnues au plan national
comme international. Cette politique d'image des collectivités locales par rapport à la coopération a des retombées
aussi bien sur la scène nationale qu'à l'extérieur. Si elle se justifie par un terreau favorable et par une volonté affichée
de transparence par rapport à l'usage des fonds publics, il n'en reste pas moins qu'elle est utilisée principalement pour
structurer un territoire et lui donner une identité, c'est-à-dire assurer sa promotion auprès de tous les destinataires
locaux et extérieurs (Albine, 2005 : 102-103).

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Dr. Takamte Pierre Marie
Charge de cours à l’UY II- Soa, FSJP, SPO4

CONCLUSION DU CHAPITRE 6

La coopération décentralisée entre la France et le Cameroun présente de nombreux enjeux et défis pour les différents
partenaires. Mais, dans le souci de démontrer que cette nouvelle forme de coopération internationale pourrait faire
l'objet d'un véritable partenariat entre la France et le Cameroun, nous nous sommes proposés d'étudier spécifiquement
les enjeux pour la France ; non pas que cette coopération ne présente aucun enjeu ni défi pour le Cameroun, mais
parce que la démystification des enjeux et défis pour la France constitue un important point d'attaque de la thèse selon
laquelle cette dernière ne recevrait, mieux n'attendrait rien en retour dans le « partenariat » qui la lie au Cameroun.
Ainsi, nous avons vu que l'engagement des collectivités françaises en relation de coopération avec leurs homologues
Camerounais est conditionné par un « désir narcissique » de rayonnement sur la scène internationale. Ce rayonnement
passe nécessairement par la promotion de la modernisation administrative dans les "Suds" empreinte d'une teinte
d' "occidentalisation" de l'ordre politique local10(*), subséquente des logiques d'exportation des compétences des
collectivités locales françaises, des politiques d'images,... Ceci passe aussi par la promotion des politiques d'aide au
développement, cheval de Troie de l'idéologie néolibérale dont les populations locales Camerounaises reproduiraient
dans une perspective réflectiviste (Roche, 2001). La professionnalisation des interventions, la promotion d'un
développement durable, la valorisation des compétences des collectivités locales ne sont pas en reste dans ce
processus d'instrumentalisation de la coopération décentralisée. Finalement, d'un œil inquisiteur on pourrait dire, pour
paraphraser Clausewitz que la coopération décentralisée est la continuation de la politique par d'autres moyens. Ceci
pourrait induire dans une logique hypothético-déductive que la coopération décentralisée France - Cameroun est un
partenariat à part entière et même entièrement à part.

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