le geste se généralise. Mais sur quels critères sont basées ces applications ? Et peut-on se fier à leurs résultats ?
> 8 millions de Français utilisent une appli
d’information nutritionnelle, dont 76 % depuis moins d’un an (étude Ifop/Charal).
Scanner un aliment pour en savoir plus, ce geste est
devenu presque banal : un tiers des Français utilisent ou ont déjà utilisé une application alimentaire pour vérifier si un article contient trop de sucre, de sel, d’additifs (étude réalisée par l’Ifop pour Charal en octobre 2019). Open Food Facts, Scan Eat, Y’a Quoi Dedans… il en existe plus d’une quinzaine mais c’est Yuka qui est plébiscitée : elle regroupe 88 % des utilisateurs. « Il semble que les consommateurs ont pris conscience qu’ils ont un rôle à jouer en s’intéressant à ce qu’ils mangent, observe la docteure Mathilde Touvier, qui dirige l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Eren, à l’Inserm) qui a élaboré le Nutri-Score. Il y a une forte pression sur les industriels pour améliorer la qualité de l’offre. Cela va dans le bon sens. » 1. Elles s’appuient sur une base de données conçue par des bénévoles Le phénomène n’est pas récent. La première base de données sur la composition des aliments a été élaborée par Open Food Facts, une association à but non lucratif créée en France en 2012. « Nous sommes partis du constat qu’il était très compliqué de faire ses courses, par exemple d’identifier les bonnes céréales du petit déjeuner dans un rayon de supermarché », explique Stéphane Gigandet, informaticien et fondateur de l’association. De par le monde, 16 000 consommateurs ont contribué à enrichir la base de données d’Open Food Facts. Elle contient aujourd’hui les informations nutritionnelles d’un million de produits vendus dans plus de 180 pays.
Pour ajouter une référence, le contributeur doit
seulement télécharger l’appli Open Food Facts, scanner le code-barres de l’article avec son smartphone et envoyer une photo de son étiquette. « Aujourd’hui, nous utilisons de plus en plus d’outils d’intelligence artificielle pour extraire automatiquement les données nutritionnelles des photos, ce qui limite le risque d’erreur, poursuit Stéphane Gigandet. Mais au départ, cette opération était essentiellement manuelle, le contributeur devait saisir toutes les données sur le site. » Certains participants ont ajouté des centaines d’aliments, y consacrant de longues heures. Les outils informatiques ont également été élaborés par des bénévoles du monde entier. « Notre modèle, c’est Wikipédia, souligne Stéphane Gigandet. Notre base de données est libre de droits et ouverte à tous, car nous considérons que les informations sur la nourriture sont d’intérêt public. Elle est collaborative, car elle est alimentée par les citoyens. » À l’instar de Yuka, une centaine d’applications mobiles utilisent ou ont utilisé les données d’Open Food Facts, en France mais également dans d’autres pays. C’est aussi le cas des sites Web comme Combien de sucres ? ou des entreprises comme Terraillon, qui fabrique des balances intelligentes. Les chercheurs ne sont pas en reste : la base est citée dans une centaine d’articles scientifiques.
2. Les industriels les ont en ligne de
mire Le succès des applications alimentaires inquiète-t-il les industriels, comme le titrent nombre de nos confrères ? Plusieurs indices le suggèrent. Vingt et un fabricants interrogés par Yuka ont confirmé avoir amélioré la recette de leurs produits afin qu’ils soient mieux notés par les applications. Liebig a supprimé les arômes artificiels, l’amidon modifié et le sucre, réduit le sel et enrichi en légumes les soupes de la gamme PurSoup’. De la même manière, Carte d’Or a lancé des glaces bio contenant moins d’ingrédients et seulement deux additifs. « Nous n’avons pas attendu ces applis pour faire évoluer la qualité nutritionnelle de nos produits, argue Barbara Bidan, nutritionniste et responsable du pôle Santé et alimentation durable chez Fleury-Michon. Mais leur succès est une très bonne nouvelle pour nous, car elles permettent aux consommateurs de constater le travail que nous menons depuis vingt ans, par exemple pour réduire progressivement la teneur en sel dans nos plats cuisinés : elle a baissé de 20 %. »
Pour beaucoup d’industriels, ces applis sont une
aubaine car elles les aident à mettre en avant leurs efforts. Toutefois, ils se gardent bien de dire ce qu’ils ont mis à la place des « mauvais » ingrédients. « Si le sucre, le sel et le gras sont remplacés par des agents de texture ou des exhausteurs de goût, ce n’est pas ainsi qu’on mangera équilibré », prévient dans le magazine de l’Inserm Nicole Darmon, nutritionniste et directrice de recherche à l’Inra. Dans les yaourts 0 %, l’amidon transformé et les carraghénanes (des épaississants) sont incorporés pour se substituer à l’onctuosité du gras. Autre exemple, le nitrite de sodium, cet additif conservateur (E250) qui, ajouté à la charcuterie, lui donne une couleur rose mais augmente aussi ses effets cancérogènes. Plusieurs industriels ont cherché des solutions pour se passer de cet additif. « Nous avons travaillé sur des bouillons de légumes comme le céleri associé à des ferments lactiques, détaille Barbara Bidan. Cette préparation assure le même niveau de conservation que le E250. » Et pour cause : sous l’action des ferments lactiques, les nitrates contenus dans les légumes se transforment en… nitrites ! Cette version naturelle est-elle moins nocive que la chimique ? Des études sont en cours pour le vérifier, mais les chercheurs en doutent.
3. Le Nutri-Score est encore très peu
affiché sur les produits Preuve que beaucoup d’industriels ont choisi d’accompagner le développement des applications plutôt que de s’y opposer : de plus en plus de fabricants leur transmettent directement leurs données..
En revanche, les industriels sont beaucoup plus
réticents à afficher le Nutri-Score. Ce logo informe sur la qualité nutritionnelle d’un aliment grâce à une lettre et à une couleur. L’échelle compte cinq niveaux : des aliments les plus « vertueux » classés A (vert) à ceux qui le sont le moins, classés E (rouge). Ce score mouline différents indicateurs de la qualité nutritionnelle : la teneur de l’aliment en calories mais aussi en nutriments reconnus pour avoir un impact négatif sur la santé (sucre, sel, graisses saturées), ou positif grâce aux fibres, vitamines, minéraux, protéines ou à la présence de fruits et de légumes. « Les personnes qui consomment une majorité d’aliments avec un mauvais Nutri-Score ont un risque accru de développer des maladies cardio-vasculaires et des cancers, souligne Mathilde Touvier. Ces résultats ont été obtenus dans plusieurs cohortes (groupes de population suivis dans le temps), en France et en Europe. » Ce logo, validé par une quarantaine de publications scientifiques, est officiellement soutenu par Santé publique France et les pouvoirs publics depuis octobre 2017. Or il n’est affiché aujourd’hui que sur 20 à 25 % des denrées. Certains industriels font de la résistance, en particulier ceux dont la plupart des produits sont mal notés, comme Coca-Cola ou Nestlé. Selon Serge Hercberg, président du Plan national nutrition santé (PNNS), « ils se battent au niveau européen pour le torpiller » et ont obtenu de l’Europe que son affichage reste facultatif.
4. Les critiques viennent aussi des
chercheurs Autres détracteurs du Nutri-Score, certains chercheurs qui lui reprochent d’être simpliste et d’induire en erreur. « Il met sur le même plan des aliments qui ont un intérêt nutritionnel, comme l’huile et le fromage, et d’autres comme les chips qui n’en ont aucun, pointe la nutritionniste Nicole Darmon. Il surévalue des produits pauvres en vitamines, fibres et minéraux comme les produits céréaliers raffinés, pâtes et riz blanc, ce n’est pas pédagogique. »
Une critique balayée par l’équipe qui l’a conçu. « Le
Nutri-Score sert à choisir entre des aliments identiques mais de marques différentes, martèle Mathilde Touvier. C’est tout l’intérêt : il permet de discriminer les chips entre B et E selon les types et les marques. On ne peut pas les mettre toutes dans le même sac. Il aide aussi les consommateurs à voir les différences entre les huiles végétales : olive, colza et noix sont les mieux classées, C versus D ou E pour les autres huiles, car ce sont celles qui ont les meilleures propriétés nutritionnelles. Quant aux fromages, ils sont classés D ou E, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas en consommer mais simplement en manger moins fréquemment ou en plus petite quantité, conformément aux recommandations de santé publique. » Et la chercheuse de rappeler les études menées dans un supermarché expérimental en ligne : « Les consommateurs modifient positivement leurs comportements grâce au Nutri-Score. »
5. Malgré leurs défauts, elles offrent
une information indépendante La présence d’additifs (colorants, conservateurs, arômes) dans les aliments est l’information jugée la plus importante par 51 % des utilisateurs des applications alimentaires. Ce paramètre n’est pas pris en compte par le Nutri-Score, pas plus que d’autres susceptibles de peser sur notre santé, comme la teneur en pesticides, en allergènes ou le degré de transformation des produits. Mais il compte dans l’évaluation des denrées proposée par Yuka. « Les additifs représentent 30 % de la note, détaille Ophélia Bierschwale, responsable relations presse et marques chez Yuka. Nous nous basons pour cela sur de nombreuses sources qui ont étudié la dangerosité des additifs alimentaires. La labellisation biologique pèse pour 10 %. Enfin la qualité nutritionnelle évaluée par le Nutri-Score entre pour 60 % dans le calcul. »
Sur quelles bases les fondateurs de Yuka ont-ils
composé leur note ? « Nous nous sommes mis d’accord après avoir consulté des panels de consommateurs et des nutritionnistes », argumente Ophélia Bierschwale. « Cette méthode manque de fondement scientifique, met en garde Mathilde Touvier. Les critères pris en compte par le Nutri-Score ont fait l’objet de très nombreux travaux épidémiologiques et cliniques qui ont permis de quantifier les risques qu’ils font peser sur la santé et de donner des recommandations précises. Certes, Santé publique France recommande de limiter la consommation d’additifs et d’aliments ultratransformés, mais on manque encore de connaissances et de preuves sur leur impact précis sur la santé. Comment peut-on alors considérer que les additifs pèsent 30 % dans la note d’un aliment par exemple ? » Isabelle Souchon, directrice de recherches à l’Inra (unité Génie et microbiologie des procédés alimentaires) enfonce le clou : « Certaines applis peuvent conduire les industriels à reformuler leurs produits sur des bases qui ne sont pas scientifiques ! »
Les applications atteignent ainsi leurs limites lorsqu’il
s’agit de calculer une note synthétique. Ce qui a fait leur intérêt, c’est leur praticité et leurs réponses simples. Trop, sans doute. Open Food Facts est la seule application officiellement labellisée par Santé publique France. Et ce n’est pas un hasard. « Nous ne proposons pas de score magique, remarque Stéphane Gigandet. Nous préférons laisser aux utilisateurs la liberté de trancher, en fonction de données scientifiques comme le Nutri-Score ou l’échelle Nova, qui classe les aliments en fonction de leur degré de transformation. » Et le fondateur d’Open Food Facts de pointer une menace : « Les lobbys industriels essaient de reprendre la main, de contrôler les données sur les aliments en supprimant les intermédiaires tels que nous », dénonce-t-il.
L’Association nationale des industries alimentaires,
l’Ania, et l’organisme chargé de la normalisation des codes-barres, GS1, ont en effet créé leur propre base de données, CodeOnline Food, disponible depuis début septembre 2019. « L’objectif est qu’il n’y ait plus qu’une seule base de données, renseignée directement par les fabricants, totalement fiable et mise à jour, expose Sandrine Blanchemanche, directrice du pôle Alimentation, saine, sûre et durable à l’Ania. Les applications ont tout intérêt à utiliser des données de bonne qualité. La fiabilité de l’information pour le consommateur est en jeu, mais aussi l’image des produits s’ils sont mal notés par erreur. » Exit donc les contributions des bénévoles qui ont permis aux applications d’exister et de se développer.
Certes, les applications sont perfectibles mais elles
contribuent à une information indépendante du consommateur et élèvent son niveau d’exigence. En quelque sorte, son avis se professionnalise. Ils sont ainsi de plus en plus nombreux à se soucier de l’origine, du bien-être animal ou de la juste rémunération du producteur. C’est cette information que délivrera une prochaine application proposée par l’association Ferme France. « Le consommateur pourra établir sa hiérarchie en fonction de ses priorités », annonce Maximilien Rouer, cofondateur et porte-parole de l’association. Et une de plus !
Ce qu’il faut retenir
> L’engouement pour les applications alimentaires montre l’attention des Français pour la composition des produits qu’ils achètent et leur souhait d’éviter les ingrédients controversés (additifs, allergènes…).
> Des industriels et des distributeurs ont compris
l’intérêt qu’ils avaient à se conformer aux critères de ces applications pour séduire les clients. Mais ces améliorations ne représentent qu’une infime partie des produits en rayon.
> Un autre outil garant de la qualité nutritionnelle des
aliments et conçu par des scientifiques s’impose : le Nutri-Score. La loi ne l’a toujours pas rendu obligatoire. Les industriels des boissons, pâtisseries et confiseries refusent de l’apposer.
Les petits plus de chaque appli
Comme il est difficile de partir de zéro, les applications puisent leurs informations dans la même base de données ouverte à tous et gratuite : celle constituée par l’association Open Food Facts depuis 2012. Reste quelques différences dans les critères de choix.
Les applis et vous*
> Quels articles sont systématiquement scannés ? Plats préparés : 40 %** Gâteaux, biscuits sucrés : 35 % Les snacks rayon traiteur (pizzas, sandwichs, burgers, etc.) : 32 % Les produits végans/traiteur végétal : 29 %
> Quelle est l’incidence des applis sur le
comportement des consommateurs ? Un tiers des utilisateurs environ changent de marque si un produit affiche un mauvais résultat.
> Que vérifient les consommateurs ?
La composition des aliments est la recherche principale, à commencer par…
Peut-on laisser nos assiettes aux applis ?
PUBLIÉ LE : 20/09/2019 TEMPS DE LECTURE : 5 MIN ACTUALITÉ
SCIENCE
Les applis d’évaluation nutritionnelle se multiplient comme des
petits pains. Des millions de consommateurs en ont téléchargé pour savoir par une simple note si ce qui les fait saliver est sain. Ces systèmes de notation feront-ils de nous de bons élèves ? Alors que le Conseil national de l’alimentation rendra prochainement son avis sur l’éducation alimentaire, Mathilde Touvier, épidémiologiste, Nicole Darmon, nutritionniste, et Jean- Pierre Loisel, sociologue, nourrissent notre réflexion.
Un article à retrouver dans le n°44 du magazine de l’Inserm
Les différentes applis de notation alimentaire disponibles utilisent des
informations et des critères variés : sucre, gras, sel, additifs, pesticides, respect de la charte vegan, production bio, impact écologique ou social… Certaines s’appuient sur le Nutri-Score, issu des travaux de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN). De plus en plus souvent présent sur les emballages, le NutriScore indique par cinq valeurs possibles le profil nutritionnel des produits à partir de leur apport calorique, teneur en sucre, sel et graisses saturées, et de leur apport en protéines, fibres, fruits, légumes et oléagineux.
L’avis de Mathilde Touvier
Les informations des applis de notation alimentaire sont multiples et
leur validité scientifique très variable. Certaines « lissent » à leur façon les résultats du Nutri-Score, ce qui n’est pas acceptable. D’autres modifient les scores selon les procédés de production ou la composition en additifs, sans fondement scientifique. Ces amalgames sont dangereux. La fiabilité de l’information pour le consommateur est en jeu. Les acteurs de la santé publique appellent à la prudence mais soutiennent les projets étayés par un fort niveau de preuve. Open Food Facts, base de données collaborative, internationale et bénévole a ainsi été labellisée par Santé publique France. Son appli permet de scanner les aliments pour en obtenir le Nutri-Score, développé au sein de notre équipe. Contrairement à Yuka, Open Food Facts ne pondère pas cette note selon la présence d’additifs : elle les mentionne, mais reconnaît que nous ne savons pas encore s’ils présentent, seuls ou en mélange, un risque pour la santé humaine à plus ou moins long terme. Par principe de précaution, Santé publique France recommande toutefois de limiter la consommation d’additifs et d’aliments ultratransformés. Open Food Facts va donc dans le bon sens. Je me réjouis aussi de l’initiative citoyenne européenne qui vise à rendre obligatoire l’étiquetage du Nutri-Score : la lutte contre le diabète, l’obésité et les maladies cardiovasculaires passe par de meilleurs choix alimentaires individuels. Des études faites dans un supermarché expérimental en ligne montrent que les consommateurs modifieront positivement leurs comportements grâce au Nutri-Score*. Certains industriels de l’agroalimentaire mènent un lobbying actif contre ce renforcement de l’information et du pouvoir de décision des consommateurs, alors que d’autres jouent le jeu et s’engagent.
Mathilde Touvier est épidémiologiste, directrice de l’EREN, Centre de
recherche en épidémiologie et statistiques (CRESS, unité 1153 Inserm) qui coordonne la cohorte NutriNet-Santé
*voir notamment M. Egnell et al. Am J Public Health, août 2019 ; doi :
10.2105/AJPH.2019.305115
L’avis de Nicole Darmon
Beaucoup d’applis nutritionnelles se fondent sur des données
erronées ou incomplètes, dont même Open Food Facts est truffée, ou inventent leur propre classement en toute opacité. Avec ces outils, notre rapport à l’alimentation s’individualise, le plaisir et la spontanéité cèdent la place à l’inquiétude et à la norme, ce qui pourrait favoriser un comportement ultrarationnel, potentiellement source de déséquilibres nutritionnels. Le Nutri-Score aussi pose des problèmes, liés en partie à son algorithme de calcul, qui combine en une seule note les caractéristiques positives et négatives de l’aliment — ce qui n’a aucun fondement physiologique, comme l’indiquait l’Anses en 2008. Il sait plutôt bien distinguer les aliments favorables à la santé de ceux dont il est important de limiter la consommation, mais même les consommateurs qui ont le moins de connaissances en nutrition savent le faire ! Pour les aliments intermédiaires, en revanche, le Nutri-Score est beaucoup moins performant. Par exemple, il met sur le même plan ceux qui ont un intérêt nutritionnel, comme l’huile et le fromage, et d’autres qui n’en ont aucun, comme les chips ! Il surévalue des produits pauvres en vitamines, fibres et minéraux, comme les produits céréaliers raffinés (pâtes et riz blanc). Ce n’est pas pédagogique. Où est la logique nutritionnelle ? Il n’y en a pas. Il est dangereux de laisser croire que les aliments sont bons ou mauvais sans indiquer pourquoi en toute simplicité. L’effet bénéfique du Nutri-Score sur les comportements d’achat n’a pas été démontré en conditions réelles. Il se peut qu’il oriente les stratégies des industriels, notamment vers des produits allégés. Mais si le sucre, le sel et le gras sont remplacés par des agents de texture ou des exhausteurs de goût, ce n’est pas ainsi que l’on mangera plus équilibré.
Nicole Darmon est nutritionniste, directrice de recherche à l’Inra,
UMR Marchés, organisations, institutions et stratégies d’acteurs
L’avis de Jean-Pierre Loisel
Depuis plusieurs années, des crises sanitaires impliquant l’industrie
agroalimentaire suscitent une méfiance croissante des consommateurs, désormais sensibilisés aux risques. Des millions d’entre eux ont désormais téléchargé des applis qui leur permettent d’acheter en connaissance de cause. C’est un véritable phénomène de société ! Mais ces outils sans précédent ne sont pas parfaits. Certains ne sont pas transparents sur leurs méthodes de calcul, d’autres ont des partis pris discutables. Ainsi, Yuka est alarmiste : la présence d’additifs suffit à faire baisser un score, quelle qu’en soit la quantité. MyLabel relaie les alertes des associations sur l’impact social d’une entreprise ou de ses produits, au risque de transmettre des rumeurs et en contraignant l’usager à décider d’avance qui croire. Et des applis de plus en plus contestables pourraient fleurir, créées par des entreprises de l’agroalimentaire ! De plus, les personnes à plus faibles revenus, qui consomment les produits les plus transformés, ne sont pas prêtes à modifier leur alimentation en fonction de ces scores : leur premier critère est économique. Les applis ne sont pas faites pour eux, elles sont la marque d’une société à plusieurs vitesses. Pour ces personnes, l’affichage du Nutri-Score sur les emballages aurait un intérêt réel s’il était obligatoire car il est parlant et facile à utiliser, même si ses résultats peuvent être discutables — la réalité est toujours plus complexe que cinq couleurs ! Il pourra être amélioré si besoin. Je soutiens donc la pétition en faveur d’une telle obligation : pour l’instant, les plus fragiles évitent les produits à Nutri-Score mauvais, pour acheter ceux qui n’ont pas de score du tout ! Dans l’ensemble, applis et Nutri-Score rééquilibrent un peu le rapport de force avec l’industrie agroalimentaire… mais c’est le pot de terre contre le pot de fer !
Jean-Pierre Loisel est sociologue et chef du service Communication,
éducation, développement de l’Institut national de la consommation