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DROIT PÉNAL COMPARÉ

I. Droit pénal comparé de fond


Traditionnellement, on entend par droit pénal de fond les règles substantielles qui définissent les
comportements interdits, les sanctions encourues en cas de transgression et les principes généraux qui
conditionnent l’application de la loi pénale et la responsabilité pénale. Le droit pénal de fond se
compose du droit pénal général (principes applicables à toutes les infractions) et du droit pénal spécial
(catalogue des infractions).

Nous nous limiterons à deux exemples de droit pénal général offrant une belle assise de comparaison :
les sources de la loi pénale (A) et la théorie de la responsabilité (B).

A. Les sources de la loi pénale

Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction, il existe une différence fondamentale entre les pays de
tradition civiliste ou romano-germanique et les pays de common law quant aux sources du droit. En
droit pénal, toutefois, cette différence tend à s’atténuer par la multiplication des sources écrites dans les
pays de common law. Il convient d’abord de comparer ces deux modèles, avant d’envisager d’autres
modèles plus singuliers.

1- Le modèle romano-germanique

Comme son nom l’indique, ce modèle est issu du droit romain qui a prospéré en Europe continentale.
C’est un droit écrit où la loi, au sens formel, tient une place prépondérante.

Par conséquent, la source principale du droit pénal est la loi. Quelques remarques sont nécessaires
concernant la codification et le rôle du juge dans ce modèle.

- La codification : jusqu’au début du 18ème siècle, le droit pénal appliqué en Europe avait une triple
source : le droit romain, le droit commun et le droit coutumier. Le droit était alors complexe et
peu accessible. D’où l’appel des juristes des Lumières, tels que Beccaria ou Bentham, à la
codification afin d’unifier les sources du droit pénal dans un souci de cohérence et
d’accessibilité. C’est au milieu du 18ème siècle que sont nés

1
les premiers codes pénaux sur le continent européen : le code criminel bavarois en
1751 promulgué par Maximilien Joseph III de Bavière, l’ordonnance criminelle
promulguée par Marie Thérèse d’Autriche en 1786 ou encore le premier code pénal
français de 1791 issu de la Constituante. L’effort de codification s’est poursuivi tout le
long du 19ème siècle dans tout le monde romano-germanique. Il s’est exporté hors
Europe dans les anciennes colonies françaises et belges en Afrique, espagnoles ou
portugaises en Amérique latine.
Malgré les objectifs de rationalisation et d’unification assignés à l’entreprise de
codification, l’inflation législative qui n’est pas propre à la matière pénale s’est
traduite par la multiplication à partir du 20ème siècle des réformes à l’intérieur des
codes voire des recodifications entières (ex. nouveau code pénal français de 1994,
nouveau code pénal espagnol de 1995), mais aussi par une multiplication des lois
pénales en dehors des codes couvrant notamment des domaines techniques, tels que
le travail, l’environnement ou l’urbanisme.
- Le rôle du juge : en vertu du principe de légalité, le juge dans ce système n’a aucun
pouvoir créateur d’incrimination ni de sanction. Son rôle se limite à l’interprétation
des textes pénaux sans pouvoir utiliser l’analogie, sauf si elle est favorable au
prévenu. C’est le principe de l’interprétation stricte qui découle du principe de
légalité criminelle. Si la loi n’est pas claire ou comporte des mots vagues ou obscurs
(ex. bonnes mœurs, ordre public), le juge peut seulement recourir à la méthode
d’interprétation dite téléologique qui se fonde sur l’intention du législateur.
2- Le modèle de common law

C’est le modèle qu’on trouve dans les pays anglo-saxons (Angleterre, États-Unis, Canada,
Nouvelle-Zélande, Australie…). Ce modèle accorde une place très importante au juge. Ce
sont les juges qui créent la loi pour l’appliquer au cas d’espèce. Il s’agit donc d’un droit
jurisprudentiel (case law) où le précédent judiciaire constitue une règle à suivre pour l’avenir
(règle du stare decisis ou du binding precedent). La législation (statute law) a un rôle
seulement supplétif. Ce portrait général est toutefois aujourd’hui nuancé par la
multiplication des statutes qui régissent de nombreux pans du droit pénal, même si la
common law reste la source principale du droit. Souvent, les lois ne font que consacrer des
solutions jurisprudentielles et même quand elles créent de nouvelles incriminations ou de
nouvelles règles procédurales, le travail jurisprudentiel reste très important.

2
Quelques observations sur la codification et le rôle du juge.

3
- La codification : Si l’Angleterre reste à l’heure actuelle l’un des rares pays au monde
qui n’a ni code pénal ni code de procédure pénale 1, d’autres pays de tradition de
common law se sont dotés de codes pénaux ou de procédure pénale. On peut citer, à
titre d’exemple, les États-Unis où en plus des codes des États (ex. Code de la
Louisiane qui est inspiré du droit français), il existe des codes fédéraux à l’instar du
United States Code dont le titre 28 est intitulé Crimes and criminal procedure. Le
Canada a aussi un code criminel contenant des dispositions de fond et de forme
promulgué en 1892 et réformé plusieurs fois depuis. En Australie, coexistent des
États sans codification qui appliquent les principes de common law (common law
jurisdictions) et des États, tels que Queensland et l’Australie de l’Ouest, qui se sont
dotés d’un code criminel dit Code Griffith du nom du chief justice du Queensland en
1897 (codes jurisdictions).
- Le rôle du juge : Contrairement au rôle limité du juge dans le système romano-
germanique, le juge joue un rôle très important dans les pays de tradition common
law. Outre le rôle créateur des cours suprêmes (notamment aux États-Unis où les
principes régissant la procédure et la preuve sont issus de la jurisprudence de la Cour
suprême2), les juges ordinaires, saisis d’espèces particulières, créent le droit
applicable au cas par cas. Mais ceci est surtout vrai dans le passé. Aujourd’hui, ce
pouvoir créateur est moindre en raison des principes de légalité et d’interprétation
stricte qui s’appliquent également dans ces pays. Prenons l’exemple de l’Angleterre :
si dans le passé, le juge anglais avait le pouvoir de créer des incriminations (common
law offences), telles que le meurtre ou le vol, la jurisprudence récente affirme la
soumission du juge au principe de légalité. Mais, cela n’empêche que les infractions
créées par la jurisprudence et qui n’ont pas été consacrées par la loi continuent
d’exister et de s’appliquer, tout comme les règles qui constituent des précédents
jurisprudentiels qui lient les juges inférieurs. Cette règle au cœur de ce modèle
signifie que « les affaires doivent être tranchées de la même façon lorsque leurs faits
matériels sont les mêmes »3.

1
En revanche, en Angleterre, il existe de nombreuses lois procédurales qui apparaissent comme des mini-codes
tant elles sont longues et complètes. On peut donner à titre d’exemple les Criminal Procedure Rules entrées en
vigueur en 2005 et actualisées en 2011 qui procèdent à une consolidation du droit existant, mais ne remplacent
pas les dispositions particulières existantes. Voir J. Pradel, p. 803.
2
C’est le cas aussi de certaines règles de fond. A partir des dix premiers amendements à la Constitution
américaine de 1787, appelés Bill of rights de 1791, la Cour suprême a créé de nouveaux principes directeurs
applicables en matière pénale. C’est le cas par exemple de la notion d’intimité de la vie privée utilisée pour
4
invalider une loi d’État qui incriminait l’usage de contraceptif et le fait de prodiguer des conseils en cette
matière (1965).
3
Cité par J. Pradel, p. 838.

5
3- D’autres modèles

Nous allons ici présenter deux modèles, l’un fondé sur la coutume applicable dans certains
pays africains, l’autre fondé sur la religion applicable dans certains pays musulmans.

a. Le modèle coutumier

Dans certains pays d’Afrique subsaharienne (ex. Togo, Sénégal) et à Madagascar, la source
du droit (pas seulement pénal) est coutumière. Ces coutumes sont très nombreuses et
varient, à l’intérieur d’un même espace géographique, d’une ethnie à l’autre. Elles sont dès
lors très difficiles d’accès et variables d’une région à l’autre.

Cette source, bien qu’elle soit aujourd’hui concurrencée par la loi codifiée, reste
prépondérante à la campagne où les membres de la communauté font appel, en cas de litige
même de nature pénale, aux arbitrages coutumiers au lieu des tribunaux étatiques.

Pour donner un exemple concret, on peut citer les tribunaux populaires gacaca (se prononce
gatchatcha) au Rwanda qui ont joué un rôle très important pour le jugement des
participants au génocide rwandais de 1994, alors qu’à l’origine il s’agissait surtout
d’assemblées de villageois présidées par les anciens qui se réunissent sur les collines pour
régler des conflits de voisinage ou des conflits familiaux.

b. Le modèle religieux

C’est le modèle du droit musulman qui tire ses sources du Coran (le texte sacré de la religion
musulmane) et de la Sunna (l’ensemble des récits relatifs à la manière d’être et le
comportement du prophète Mahomet). Ces sources dites premières sont complétées par
des sources dérivées issues de la doctrine (ijtihad) des jurisconsultes musulmans qui sont
l’idjma (accord unanime des docteurs de la loi fondé sur les sources originelles) et le qiyâs
(raisonnement par analogie).

Certains pays, comme l’Arabie Saoudite ou l’Iran, appliquent la Charia qui est la loi
islamique issue des sources originelles et dérivées.

On peut citer à titre d’exemple, l’article 1er du Code de procédure pénale saoudien de 2001
:
« Les juges appliquent les principes de la Charia tels que dérivés du Coran et de la Sunna…Ils
appliqueront aussi les lois promulguées par l’État dans la mesure où elles ne sont pas
contradictoires avec les dispositions du Coran et de la Sunna ».

6
Le Coran contient quelques dispositions de nature pénale relatives à des interdictions et des
sanctions. On peut citer à titre d’exemple l’interdiction de l’adultère sanctionnée de 100
coups de fouet et l’interdiction du vol sanctionnée par l’amputation de la main.

B. La théorie de la responsabilité
1- La responsabilité pénale des personnes morales

Position du problème. – L’un des principes phares du droit pénal moderne est celui de la
responsabilité individuelle. Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait,
comme l’illustre sobrement l’article 121-1 du Code pénal français. Si la responsabilité pénale
des personnes physiques ne pose pas, sur son principe, de difficultés particulières, celle des
personnes morales a fait l’objet d’un débat doctrinal très riche et de solutions législatives
différentes à travers le monde. Le problème réside dans la nature même de la
personne morale, fiction juridique dénuée d’âme, d’esprit et de corps physique, incapable
matériellement de commettre une infraction. Pourtant, la criminalité des entreprises est une
réalité criminologique et sociale qui ne fait pas de doute et qui s’exprime à travers
notamment les infractions contre l’environnement, le travail illégal ou contraire à la dignité
humaine, la corruption, le blanchiment, etc.

Pour résoudre cette contradiction apparente, nous exposerons deux catégories de solutions :
celle qui n’admet pas la responsabilité pénale des personnes morales et celle au contraire
qui la consacre.

a. Des systèmes qui rejettent la responsabilité pénale des personnes morales

L’exclusion est fondée sur le principe Societas delinquere non potest. C’est le cas en
Allemagne, en Italie et en Russie, à l’exclusion pour cette dernière des crimes terroristes qui
peuvent être imputés à une personne morale.

En Italie, l’exclusion est fondée sur l’article 27 de la Constitution qui consacre le principe de
la responsabilité personnelle, limitée à la personne physique. En Allemagne, elle est
fondée sur le principe de culpabilité que la Cour constitutionnelle a érigé en principe
à valeur constitutionnelle.

Pour pallier cette irresponsabilité pénale, certaines législations ont imaginé des solutions
permettant de sanctionner la personne morale sans qu’elle soit tenue pour pénalement
responsable. Le premier palliatif consiste à faire de la personne morale le garant de
l’exécution de la peine d’amende à laquelle a été condamnée son gérant ou son
7
directeur. C’est le cas en Italie par exemple (art. 197 du Code pénal italien prévoit que les
groupements

8
pourvus de la personnalité juridique, à l’exception de l’État, des régions, des provinces et des
communes, sont tenus de payer, en cas d’insolvabilité du condamné, un montant égal à
l’amende infligée). Il s’agit donc ici d’une sanction civile et non pénale.

Le deuxième palliatif consiste dans la consécration, à titre exceptionnel, d’une responsabilité


de type administratif. C’est le cas en Allemagne et en Italie.

En Allemagne, le législateur a prévu, d’une part, la confiscation d’objets appartenant à la


personne morale lorsqu’ils sont l’objet ou le produit d’un crime commis par l’un de ses
représentants ou commis à son profit (c’est une mesure de sûreté préventive). D’autre part,
la personne morale encourt une amende administrative, infligée par les autorités
administratives, en cas d’infraction commise par son dirigeant ou son représentant
indépendamment des poursuites engagées contre celui-ci.

En Italie, cette responsabilité administrative existe depuis 2001, à la différence que la


sanction est infligée par le juge pénal, ce qui a fait dire à une partie de la doctrine italienne
qu’il s’agit d’une responsabilité pénale déguisée.

b. Des systèmes qui admettent la responsabilité pénale des personnes morales

Cette solution est celle qui est aujourd’hui privilégiée en Europe, même si les fondements
d’une telle responsabilité peuvent diverger. Traditionnellement, il existe deux théories
possibles : la responsabilité par ricochet qui stipule que la criminalité de la personne morale
est une criminalité d’emprunt à la personne physique et la théorie de la faute autonome ou
distincte qui admet une criminalité propre à la personne morale indépendamment de la
personne physique. La première thèse (par ricochet) est celle du droit français depuis le
Code pénal de 1994. L’article 121-2 prévoit que « les personnes morales, à l’exclusion de
l'Etat, sont responsables pénalement (…) des infractions commises, pour leur compte, par
leurs organes ou représentants ».

Le droit anglais consacre aussi cette théorie en faisant appel à la notion d’identification ou
d’incarnation (alter ego principle ou organic theory) dans deux arrêts de la cour d’appel
rendus en 1944, puis dans un célèbre arrêt Tesco Supermarketts Ltd v. Nattras rendu en
1972 par la Chambre des Lords : la personne physique est l’incarnation de la société et sa
volonté est la volonté de la société.

La deuxième thèse (autonomie) est admise en droit belge. L’article 5 de code pénal
prévoit que : « toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui
9
sont

10
intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles
dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte. »

C’est le cas aussi en droit suisse qui reconnait pour un nombre très limité d’infractions une
responsabilité pénale directe de l’entreprise, si elle n’a pas pris toutes les mesures
d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher la commission de l’infraction (art.
102, al. 2 CP suisse).

2- La responsabilité pénale des personnes physiques

a. La question de la responsabilité du fait d’autrui

Le droit français est gouverné par le principe de la responsabilité individuelle ou personnelle


consacré à l’article 121-1 du Code pénal selon lequel « nul n’est responsable pénalement
que de son propre fait ». Malgré cette affirmation, la doctrine a reconnu dans la
condamnation de chefs d’entreprise pour des faits commis par les salariés une responsabilité
du fait d’autrui. Ces situations se rencontrent notamment en matière de sécurité et
d’hygiène. Les chefs d’entreprise sont tenus responsables des conditions et des modes
d’exploitation de leur entreprise. Si une infraction (généralement d’imprudence ou de
négligence) est commise par un salarié, le chef d’entreprise peut aussi être tenu responsable
en tant qu’auteur indirect.

La reconnaissance d’une responsabilité pénale du fait d’autrui se rencontre également dans


d’autres droits, soit comme en France en tant qu’exception prétorienne à la règle de
la responsabilité personnelle, soit comme un principe à part entière.

- Dans le premier cas, on peut citer le droit anglais qui admet à titre exceptionnel la
responsabilité indirecte du supérieur du fait de son préposé (vicarious liability). En
effet, il a été jugé que : « alors que, à première vue, un chef d’entreprise ne saurait
être déclaré responsable pour des actes de ses employés, il peut cependant arriver
que la loi interdise un acte ou impose un devoir dans des termes tels que la
prohibition est un devoir absolu ; en ce cas, le patron est responsable si l’acte est en
fait commis par ses employés4 ».

- Dans le deuxième cas, on peut citer le droit grec qui retient la responsabilité pénale
de tout chef d’usine ou autre directeur, maître-ouvrier d’une industrie ou d’une
manufacture pour les contraventions commises par ses subordonnés5. Au Japon,
la
11
4
Dictum du juge Akkin dans l’affaire Mounsell Brothers Ltd v. London and North Western Railway CO 1917,
cité par J. Pradel, p. 134.
5
Article 411 du Code pénal grec cité par J. Pradel p. 137.

12
responsabilité du dirigeant est engagée dès lors que l’entreprise qu’il dirige n’a pas la
personnalité morale.

b. La question de la pluralité des participants à l’infraction

La question concerne la contribution de plusieurs personnes à la réalisation de l’infraction


et la qualification de leur participation. Si en droit français cette coparticipation peut revêtir,
selon les cas, la qualification de coaction ou de complicité, d’autres systèmes existent.

- Il y a d’abord le système dit de pluralité d’infractions qui n’opère pas de distinction


selon le rôle de chaque participant et considère qu’il y a autant d’infractions que de
participants. Chacun d’eux sera sanctionné pour sa propre participation à l’infraction.
Ce système est minoritaire et se trouve par exemple consacré dans le code pénal
polonais. Ainsi, en présence d’une infraction commise matériellement par une
personne (ex. meurtre) alors qu’elle a été instiguée par une autre (le complice selon
le droit français), en droit polonais, l’instigateur sera sanctionné non pas en tant que
complice, mais en tant qu’auteur de sa propre infraction (l’instigation).

- Il y a ensuite le système dit d’unité d’infraction qui postule la réalisation d’une seule
infraction par plusieurs participants qui revêtiront des qualifications différentes en
fonction de leur rôle dans cette réalisation. On trouve, par exemple, comme en droit
français ou belge, les qualifications d’auteur principal et de complice. D’autres pays,
comme l’Allemagne ou l’Espagne, prévoient trois qualifications distinctes :

 En Allemagne, on distingue l’auteur (celui qui réalise matériellement ou par


l’intermédiaire d’autrui les faits), le complice (celui qui aide l’auteur matériel)
et l’instigateur (celui qui provoque à la commission de l’infraction).

 En Espagne, on distingue les autores, complices (coopération antérieure ou


simultanée) et encubridores (participation ultérieure).

Enfin, d’autres droits prévoient quatre qualifications distinctes. C’est le cas de


plusieurs États d’Amérique latine (Pérou, Bolivie, Chili, Argentine…) qui distinguent
les auteurs, les complices primaires, les instigateurs et les complices secondaires.

II. Droit pénal comparé procédural


La procédure pénale correspond aux règles qui organisent de manière concrète la répression
des infractions (la manière de procéder ou la procédure à mettre en œuvre pour constater

13
l’infraction, poursuivre et juger son auteur et indemniser la victime). Il s’agit donc des
règles

14
relatives au procès pénal au sens large. Là aussi, le droit pénal comparé permet de mettre en
évidence deux modèles classiques de systèmes procéduraux, le système inquisitoire et le
système accusatoire, qui correspondent aux modèles de droit civiliste et de common law.
Mais, là encore, des nuances s’imposent puisque certains systèmes, dits mixtes, empruntent
aux caractéristiques des deux modèles, comme c’est le cas de la procédure pénale française.

A. Présentation générale des systèmes inquisitoire et accusatoire

Les différences entre les modèles romano-germanique et de common law sont encore plus
marquées en procédure pénale.

Le modèle procédural de common law est traditionnellement qualifié d’accusatoire : ce sont


les parties (accusation et défense) qui mènent la procédure et font chacune valoir leur point
de vue. Le juge doit rester neutre et arbitrer entre les parties, il n’entreprend aucune action
ni enquête pour rechercher la vérité (il n’interroge pas lui-même les témoins mais doit
s’assurer que les questions posées par les parties aux témoins sont pertinentes pour
l’affaire : c’est la fameuse « objection accordée » reproduite dans les films américains). Le
rôle du juge est simplement de contrôler le respect de la procédure et de trancher le litige au
profit de la thèse la plus convaincante.

Les caractéristiques essentielles de la procédure accusatoire sont l’oralité, la publicité et le


contradictoire.

Le modèle procédural civiliste ou romano-germanique est qualifié d’inquisitoire. Le juge


interroge les témoins, pose des questions aux parties. Il a un rôle plus actif dans la procédure
puisqu’il doit rechercher à établir la vérité matérielle sur la base des preuves présentées.
D’ailleurs, il ne se contente pas des preuves fournies par les parties, il peut demander un
supplément d’enquête ou ordonner à une partie de communiquer une preuve qu’elle
détient. Le juge a ainsi pour mission non pas de trancher le litige en fonction des arguments
les plus convaincants mais d’établir la vérité des faits avant de prendre une décision juste.

La procédure inquisitoire est une procédure écrite, secrète et non contradictoire.

Cette distinction entre les deux modèles classiques tend à s’estomper en raison de
l’influence des instruments de protection des droits de l’homme qui ont imposé le
contradictoire comme condition essentielle du procès équitable (article 6 de la Convention
européenne des droits de l’homme).

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En France, par exemple, la procédure est dite mixte. On distingue la phase d’instruction qui
est inquisitoire (d’ailleurs la France est l’un des rares pays ayant un juge d’instruction) et la
phase de jugement qui emprunte les caractéristiques du modèle accusatoire (notamment
l’oralité et le contradictoire). Néanmoins, le juge garde un rôle très actif durant le procès
puisqu’il dirige l’instance et est à l’initiative de toute démarche utile à la manifestation de la
vérité.

B. Focus sur la question de la preuve

Quel que soit le modèle procédural, la preuve est au cœur du procès pénal. C’est elle qui
permet d’établir la culpabilité de l’auteur de l’infraction (faits établis imputables à la
personne poursuivie) et, en son absence ou en cas de doute, de le relaxer (devant un
tribunal) ou de l’acquitter (devant la cour d’assises).

On comparera les modèles ci-dessus évoqués sur trois questions relatives à la preuve : à qui
incombe la charge de la preuve ? Comment est-elle administrée et comment doit-elle être
appréciée par le juge ?

1. La charge de la preuve

Dans tous les systèmes procéduraux des pays démocratiques, le principe est la présomption
d’innocence. Par conséquent, il revient au poursuivant ou à l’accusation de prouver les faits
et la culpabilité de la personne poursuive.

La question est de savoir comment, dans les deux systèmes, est réparti le fardeau de la
preuve entre l’accusé, le poursuivant et le juge.

Comme on l’a vu, dans le système accusatoire, ce sont les parties qui apportent les preuves
et exposent leur propre version des faits (deux vérités). La vérité jaillit de la confrontation
entre les parties qui sont placées sur un pied d’égalité, l’audience ressemble à un match ou
un duel où le plus habile emportera la conviction du juge.

Dans le système inquisitoire, le but du procès est de rechercher la vérité objective. Il revient
donc au juge (avant le procès c’est le juge d’instruction et lors du procès le président ou
le juge d’audience) de rechercher les preuves, par exemple, en interrogeant l’accusé, la
victime et les témoins, ou en ordonnant des expertises. La place laissée aux parties est
réduite.

Cette distinction doit être relativisée notamment dans les systèmes pénaux européens où

16
une harmonisation semble s’effectuer « progressivement autour d’un standard européen
privilégiant, au sein de chaque tradition nationale, une justice à la fois contradictoire
et

17
efficace. »6 A titre d’exemple, la procédure française accorde aujourd’hui une place
importante à l’intervention des parties dans la phase d’instruction (alors qu’historiquement,
le juge d’instruction avait des pouvoirs illimités et ne rendaient compte de ses investigations
à personne). « À l’opposé, la Grande-Bretagne a accru le rôle des magistrats chargés de
diriger les enquêtes judiciaires, regroupés depuis 1986 au sein d’un Crown Prosecution
Service »7.

2. L’administration de la preuve

Dans le modèle anglo-saxon, l’administration de la preuve (càd la recherche et le recueil de


la preuve) repose notamment sur l’interrogatoire et le contre-interrogatoire des témoins
voire de l’accusé s’il accepte de parler (il dispose d’un droit au silence). Ce sont les fameuses
règles d’examination sur lesquelles repose le système d’administration des preuves anglo-
saxon : examination in chief par l’accusation, suivie de cross-examination par la défense, puis
re- examination par l’accusation, etc.

« La Common Law estime que les meilleures preuves sont celles qui résultent des
interrogatoires des témoins déposant à l’audience sous serment. » 8 Pour être recevable, la
preuve testimoniale doit être orale, publique et en relation directe avec les faits. D’où la
règle no hearsay evidence (pas de preuve par ouï-dire ou témoignage indirect) : la
déclaration d’un témoin qui rapporte les propos d’une autre personne absente à l’audience
ne prouve pas la teneur de ces propos (mais simplement que la personne a bien fait une
déclaration).

Dans le système inquisitoire, historiquement, la préférence était accordée à l’aveu,


considéré comme la reine des preuves. Le but des interrogatoires était d’obtenir l’aveu
même par le recours à la torture (ex. en France, l’ordonnance royale de 1670 avait instauré
l’interrogatoire sur la sellette à l’audience et la question préparatoire jusqu’à leur
suppression en 1788 sous l’influence des juristes et philosophes des Lumières).

Aujourd’hui, si la production de la preuve est libre, son administration est soumise à


des règles strictes pour préserver les droits et libertés des individus.

3. L’appréciation de la preuve

Une fois la preuve recueillie, il s’agit pour le juge d’apprécier son bien-fondé pour fonder sa
décision de condamnation ou d’acquittement. Ici aussi, les deux modèles procéduraux
s’opposent.
18
6
Nicolas Braconnay, Procédure accusatoire/procédure inquisitoire : deux modèles pour la justice pénale, en
ligne.
7
Ibid.
8
Dominique Inchauspé, L'innocence judiciaire, PUF, 2012, p. 324.

19
Dans les pays anglo-saxons, l’accusation doit prouver selon la règle beyond reasonable doubt
(au-delà de tout doute raisonnable). C’est le standard de la preuve imposé à l’accusation.
Pour ce qui est de la défense, le standard est plus faible : il lui suffit de susciter un doute
raisonnable. C’est le système dit de balance de probabilités ou de prépondérance des
preuves : l’accusé doit prouver sa cause. Cela ne veut pas dire qu’il doit la démontrer. Si la
conclusion la plus probable est celle qu’il soutient compte tenu des éléments de preuve
réunis, le tribunal doit lui donner effet.

Dans le modèle romano-germanique, le juge apprécie souverainement les preuves produites


et décide d’après son intime conviction. C’est une notion centrale qui permet au juge
d’acquérir la certitude sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé en faisant appel à la
raison.

Pour un exemple très parlant, voir l’article 353 du Code de procédure pénale français qui
prévoit l’instruction lue par le président de la cour d’assises aux jurés avant qu’ils ne retirent
pour délibérer :

« Sous réserve de l'exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à


chacun des juges et jurés composant la cour d'assises des moyens par lesquels ils se sont
convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement
dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-
mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur
conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre
l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui
renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Avez-vous une intime conviction ? »

Plusieurs auteurs rapprochent le standard de preuve adopté par la Common Law de l’intime
conviction française9.

C. L’exemple du plaider-coupable

Cet exemple montre à la fois les possibilités et les limites des transpositions de dispositifs
étrangers en droit interne. Mais d’abord qu’est-ce que le plaider-coupable ?

Le plaider-coupable est la traduction française de la locution anglaise guilty plead qui


désigne en droit anglo-saxon une entente entre le ministère public et la personne poursuivie
sur la culpabilité et la peine. Cette procédure, née aux États-Unis dans le 19ème siècle,

20
est très

9
V. Jean Pradel, p. 414. Voir pour une illustration de la place du doute dans les deux systèmes, les deux films
suivants : Intime conviction d’Antoine Raimbault sorti en 2018 ; Douze hommes en colère de Sidney Lumet sorti
en 1957.

21
utilisée dans les pays de common law où l’audience débute traditionnellement par la
question
« plaidez-vous coupable ou non coupable ? ». Le plaider-coupable permet d’accélérer le
jugement en évitant la phase souvent très longue qui caractérise le modèle
accusatoire, à savoir celle des débats, au cours de laquelle sont entendus les témoins et
experts. Ainsi, le plaider-coupable implique une reconnaissance des faits de la part de la
personne poursuivie qui renonce à la tenue d’un procès classique parfois coûteux, long et
dont l’issue est incertaine en contrepartie d’une réduction de peine.

Il existe également en droit anglo-saxon une forme particulière de plaider coupable appelée
le plea bargain (ou plea bargaining) (littéralement négociation de plaidoyer ou plaidoyer
négocié). Elle repose également sur la reconnaissance de culpabilité mais donne plus de
latitude aux parties pour négocier non seulement la peine mais aussi l’étendue des
poursuites. Elles peuvent, par exemple, négocier l’abandon de certaines charges, une
disqualification des faits, l’engagement de ne pas poursuivre un proche, etc. Cette
négociation entre l’accusation et la défense est courante au Canada et aux États-Unis. En
revanche, elle est plus restreinte au Royaume-Uni où elle peut porter seulement sur une
requalification des faits ou sur l’abandon de certains chefs d’accusation.

Séduits par les avantages de ce dispositif de justice consensuelle ou négociée en termes de


rapidité, de prévisibilité et d’efficacité, plusieurs pays de civil law ont prévu dans leur droit
interne une procédure inspirée du modèle anglo-saxon10. C’est le cas en Italie avec la
procédure du patteggiamento11 introduite en 1989, ou en Espagne du dispositif de
conformidad12 qui date de 1988.

En France, la loi du 9 mars 2004 dite loi Perben II a introduit dans le code de procédure
pénale (article 495-7 et suivants CPP) une procédure de comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité (CRPC) qui, tout en s’inspirant du plaider coupable anglo-saxon, s’en
éloigne par l’absence de véritable négociation entre le ministère public et la personne
poursuivie. En effet, si la défense peut demander au procureur la mise en place d’une CRPC,
seul ce dernier peut proposer une peine qui peut, après un délai de réflexion obligatoire de
10 jours et avec l’assistance obligatoire d’un avocat, être acceptée ou refusée par l’auteur
ayant

10
Pour une vue d’ensemble, voir Le plaider coupable : Étude de législation comparée n° 122 - mai 2003 -
disponible en ligne : https://www.senat.fr/lc/lc122/lc122_mono.html#toc8, ou encore l’arrêt CEDH, 3e section,

22
29 avril 2014, Natsvlishvili et Togonidze c. Géorgie, req. n° 9043/05 § 62 et 63.
11
Qui signifie marchandage. Il s’agit d’un accord entre le ministère public et l’accusé suivi d’une demande au
juge de prononcer la peine convenue dans l’accord.
12
Qui signifie conformité. Il s’agit d’un accord préalable entre la défense et l'accusation suivi d'un « jugement
de conformité ».

23
préalablement reconnu les faits. En cas d’acceptation, la proposition doit être homologuée
par un juge du siège qui contrôle la réalité des faits et leur qualification juridique. Il peut
refuser d’homologuer la peine proposée par le procureur s’il estime qu’elle n’est pas
justifiée au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de l’auteur13.

On voit ainsi les limites de la transposition en droit interne de modèle étranger. Certes,
comme l’écrit une magistrate, « des grands traits communs peuvent être dégagés 14 », mais
des spécificités nationales sont présentes pour garantir une mise en œuvre conforme à la
tradition et aux grands principes du droit pénal interne15.

13
Voir pour un exemple récent l’affaire bBolloré : https://www.dalloz-actualite.fr/node/l-affaire-ibollorei-ou-
limites-d-une-justice-penale-negociee.
14
Sarah Dupont, « Le plaider-coupable dans les systèmes anglo-saxon et romano-germanique », Les Cahiers

24
de la justice, 2015/ 1, p. 85.
15
Pour une comparaison entre les deux systèmes : https://www.youtube.com/watch?v=VEho6pd6LMM

25

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