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UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS (PARIS II) SÉANCE 17

TRAVAUX DIRIGÉS – DROIT CIVIL


Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS

LA RESPONSABILITÉ DU FAIT DES ACCIDENTS DE LA CIRCULATION

FICHE RETOUR

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Vous trouverez ci-dessous des éléments de corrigé concernant la fiche de TD n° 17 lauréate du


concours, ainsi qu’une rubrique d’actualisation comprenant des arrêts récents que vous pourrez aller
consulter. Si toutefois certains points du cours resteraient encore flous, n’hésitez pas à vous rapprocher
de vos chargés de TD respectifs.

I.- Actualisation jurisprudentielle

Au-delà des arrêts mentionnés dans la fiche, les arrêts suivants, relatifs au domaine d’application de
la loi Badinter, à la notion d’implication et à la faute inexcusable, pouvaient retenir votre attention.
Les deux premiers sont traités dans le cours magistral. Il est toujours utile d’avoir à l’esprit quelques
arrêts récents et de les utiliser dans vos devoirs, afin d’éviter de faire des commentaires d’arrêt ou des
dissertations « d’époque » qui ne tiendraient pas compte de l’actualité juridique, qu’elle confirme ou
qu’elle infirme les mouvements jurisprudentiels étudiés.

➢ Civ. 2ème, 5 mars 2020, n° 19-11.411 (sur le domaine d’application de la loi Badinter)
➢ Civ. 2ème, 24 octobre 2019, n° 18-20.910 (sur le domaine d’application de la loi Badinter)
➢ Civ. 2ème, 18 avril 2019, n° 18-14.948 (sur la notion d’implication)
➢ Civ. 2ème, 28 mars 2019, n° 18-14.125 (sur la faute inexcusable)

II.- Pressage de citron

La formulation du pressage de citron vous invite à étudier la différence entre les causes d’exonération
de la responsabilité du conducteur qui sont admises en cas d’accident de la circulation ayant causé un
dommage corporel à une victime non-conductrice. On laissera donc de côté les causes d’exonération
par la faute de la victime conductrice, qui figurent à l’article 4 de la loi Badinter et se rapprochent de
celles du droit commun.

➢ La faute inexcusable, qui était au cœur du commentaire d’arrêt proposé, désigne depuis une
série d’arrêts de 1987 la faute « volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable
son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ». C’est une définition très restrictive qui
n’est que rarement admise par la Cour de cassation (v. infra les exemples mobilisés dans le cadre du
commentaire d’arrêt).

➢ La faute intentionnelle est celle commise par un auteur qui recherche le dommage et donc le
préjudice causé. En réalité, en matière d’accidents de la circulation, la notion ne vise qu’une seule
hypothèse, extrêmement restrictive : le comportement suicidaire de la victime.

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On observe donc une hiérarchie de ces fautes en fonction de leur gravité, et à tout le moins une
différence de degré entre les deux fautes : la faute intentionnelle est encore plus rare, et plus stricte,
que la faute inexcusable.

Or on sait que les victimes surprotégées, c’est-à-dire celles « âgées de moins de seize ans ou de plus
de soixante-dix ans, ou lorsque, quel que soit leur âge, elles sont titulaires, au moment de l’accident,
d’un titre leur reconnaissant un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80% »
(L. Badinter, art. 3 al. 2) ne peuvent se voir opposer que leur faute intentionnelle, à l’exclusion de la
faute inexcusable. Les victimes normalement protégées, elles, peuvent se voir opposer leur faute
intentionnelle et, le cas échéant, leur faute inexcusable si elle est la cause exclusive de l’accident
(L. Badinter, art. 3 al. 1er).

La différence de régime prévue par la loi au regard de la nature des fautes s’explique donc par
la volonté du législateur de protéger les catégories d’individus les plus fragiles.

Les deux notions sont reprises dans le projet de réforme de la responsabilité civile. L’article 1286
proj. reprend l’article 3 al. 3 de la loi Badinter en rappelant que la victime d’un accident de la
circulation « n’a pas droit à réparation (…) lorsqu’elle a volontairement recherché le dommage qu’elle
a subi ». L’article 1287 proj., quant à lui, rappelle que « la faute inexcusable prive la victime de tout
droit à réparation si elle a été la cause exclusive de l’accident » (al. 2). On notera en revanche que
l’alinéa 3 dispose que « lorsqu’elle n’est pas la cause exclusive de l’accident, la faute inexcusable
commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter son droit à
réparation » – d’où l’on pourrait déduire que la faute simple de la victime conductrice ne permettrait
plus, contrairement à l’état actuel du droit positif, de réduire son droit à indemnisation.

III-. Commentaire d’arrêt

A.- Remarques sur l’arrêt choisi

L’arrêt du 10 novembre 1995 rendu par l’Assemblée plénière vient confirmer une série d’arrêts du 20
juillet 1987 qui avaient entrepris de définir la notion de faute inexcusable à laquelle se réfère l’article 3
de la loi Badinter, aux termes duquel « les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à
moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis,
sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de la faute inexcusable si elle a été
la cause exclusive de l’accident ». En l’espèce, cette faute n’est pas reconnue, bien que le piéton, vêtu
de sombre, avait traversé la chaussée et s’était maintenu, de nuit, au milieu de la route dépourvue
d’éclairage, à une heure de fréquentation importante.

Il était intéressant de le soumettre au commentaire, notamment en ce qu’il permettait d’observer la


rigueur dont la Cour de cassation fait preuve dans la définition de la notion de faute inexcusable ainsi
que son application, guidée en cela par la ratio legis de la loi du 5 juillet 1985, qui poursuit
l’amélioration de la situation des victimes et à l’accélération des procédures d’indemnisation.

B.- Proposition de corrigé

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On ne reviendra pas sur la fiche d’arrêt, aisée à réaliser. On n’oubliera cependant pas de relever, car
c’est un arrêt d’Assemblée plénière, que l’arrêt d’appel faisant l’objet du pourvoi avait été rendu sur
renvoi après cassation.
I.- Le refus de caractériser une faute inexcusable de la victime

La Cour de cassation confirme d’abord la définition de la faute inexcusable (A) avant d’exclure cette
qualification au regard des faits de l’espèce (B).

A.- Une définition confirmée

o Une définition étroite de la faute inexcusable – La loi Badinter ne comportant pas de définition
de la faute inexcusable, c’est à la jurisprudence qu’il est revenu d’en donner la définition. La
Cour de cassation, par dix arrêts datant du 20 juillet 1987, a ainsi défini la faute inexcusable
comme « la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son
auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Civ. 2ème, 20 juillet 1987, Bull. civ. II,
n°160). Cette définition est confirmée par l’Assemblée Plénière dans cet arrêt. Elle présente
deux caractéristiques : 1° elle s’inspire de la définition de la faute inexcusable de l’employeur
retenue en droit du travail (v. à ce titre Ass. plén., 18 juillet 1980, Bull. A.P. n°5) ; 2° elle
consacre une conception très étroite de la faute inexcusable en élevant fortement le seuil
nécessaire à sa qualification. Sont ainsi exclues de la catégorie les erreurs banales
d’imprudence ou d’inattention commises par les piétons quotidiennement.

o Les éléments constitutifs de la faute inexcusable – Ils sont de deux ordres. 1° Les éléments
objectifs : i. il faut d’abord une faute d’une exceptionnelle gravité ; ii. il faut ensuite que
l’auteur ait été exposé au danger sans raison valable. 2° Les éléments subjectifs : i. la faute
inexcusable est une faute volontaire. Ce qui signifie que son auteur doit avoir voulu la
réalisation de l’acte mais sans pour autant avoir recherché la réalisation du dommage. On
basculerait alors dans cette hypothèse de la qualification de faute inexcusable à celle de faute
intentionnelle ; ii. la faute inexcusable exige que son auteur ait eu conscience du danger
auquel il s’exposait. Ce qui suppose qu’il ait été doué de discernement au moment de la faute
(Civ. 2ème, 2 mars 2017, n°16-11.986). N.B. : le problème du discernement ne se pose pas
s’agissant de l’infans, qui fait partie des victimes surprotégées.

B.- Une qualification rejetée


o La réunion des éléments subjectifs de la faute inexcusable – Le piéton était en l’espèce en état
d’ébriété, sans pour autant que son ivresse ne l’ait privé de son discernement (cf. arrêt
d’appel). La jurisprudence admet en tout état de cause difficilement que la consommation
d’alcool ou de drogue permettent d’exclure la qualification de faute inexcusable pour absence
de discernement, car cela reviendrait à admettre qu’elle tire un avantage de sa propre turpitude.
De surcroît, la victime pouvait ici difficilement ne pas avoir conscience du danger auquel elle
s’exposait, celle-ci ayant évité de justesse quelques instants auparavant une première collision.
C’est sur le terrain des éléments objectifs que la qualification est donc rejetée.

o L’absence « d’exceptionnelle gravité » de la faute commise – S’agissant des éléments


objectifs, le piéton n’avait en l’espèce aucune « raison valable » pour expliquer son exposition
au danger. Il poursuivait en effet, selon les juges du fond, une « simple commodité ». C’est
donc en définitive le caractère « d’exceptionnel gravité » de la faute qui fait défaut. La

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solution peut paraître étonnante au regard des faits et du comportement particulièrement


téméraire du piéton. Elle se comprend mieux si l’on observe que la jurisprudence de la Cour
de cassation tend à limiter quasi exclusivement la caractérisation de « l’exceptionnelle
gravité » à l’hypothèse des piétons qui s’engagent sur une voie de grande circulation réservée
aux véhicules (ex. autoroute ou voie rapide) et dont l’interdiction d’accès est matérialisée
(ex. terre-plein planté de haies, glissière de sécurité, grillage, existence d’un passage
aménagé ; v., parmi de nombreux exemples : Civ. 2ème, 7 mars 1990, Bull. civ. II, n°531). Tel
n’était pas le cas en l’espèce, l’accident étant survenu sur un chemin départemental sans
balisage. La faute peut donc être qualifiée de lourde, mais pas d’inexcusable.

Au reste, cette interprétation étroite de la notion de faute inexcusable ne peut bien se comprendre qu’à
l’aune de la ratio legis de la loi du 5 juillet 1985.

II.- Une interprétation étroite de la faute inexcusable conforme aux objectifs de la loi Badinter

L’interprétation étroite de la faute inexcusable est d’abord conforme à l’objectif d’amélioration de la


situation des victimes en ce qu’elle limite fortement la possibilité d’exonération du conducteur (A) ;
ensuite, en ce qu’elle tend à accélérer l’indemnisation des victimes en dissuadant les assureurs d’en
invoquer systématiquement l’existence devant les tribunaux (B).

A. L’amélioration de la situation des victimes par la limitation de l’exonération du conducteur

o Faute inexcusable et exonération du conducteur – S’agissant des dommages résultant des


atteintes à leur personne, les victimes non conductrices ne peuvent se voir opposer leur propre
faute pour réduire ou exclure leur droit à indemnisation (L. Badinter, art. 3). Cette disposition
permet d’éviter les inconvénients que présentaient le régime de la responsabilité du fait des
choses s’agissant de l’indemnisation des accidents de la circulation, avant le célèbre arrêt
Desmares du moins. Alors que toute faute était sur ce fondement susceptible de limiter voire
d’exclure l’indemnisation de la victime, seule une faute qualifiée d’inexcusable peut désormais
être opposée à la victime si elle est la cause exclusive de l’accident. Où l’on comprend que plus
la définition et l’interprétation données à cette notion sont étroites, plus l’objectif de la loi
Badinter qui poursuit l’amélioration de la situation des victimes est rempli.

o Une interprétation stricte favorable à la situation des victimes – À l’inverse par exemple des
accidents du travail, l’interprétation stricte de la notion de faute inexcusable bénéficie ici à la
victime. En cantonnant comme en l’espèce drastiquement son domaine aux hypothèses d’un
comportement présentant une dangerosité extrême, la Cour de cassation s’inscrit pleinement
dans la réalisation des objectifs poursuivis par la loi Badinter (objectifs visés dans l’intitulé
même de la loi) et renforce la logique de garantie qui sous-tend le régime de la loi de 1985.
Elle oriente encore davantage le droit positif vers un régime d’indemnisation quasi
automatique des victimes, presque indifférent à l’idée de faute, limitant l’influence de celle-
ci aux « comportements les plus asociaux de la circulation » (R. Badinter). La Cour de
cassation a plus récemment confirmé cette tendance en cassant pour violation de la loi un arrêt
d’appel qui avait reconnu une faute inexcusable dans le comportement de deux cyclistes qui
avaient seulement décidé d’emprunter une route départementale de nuit, sans éclairage, en

1.Une autre hypothèse de faute inexcusable retenue en jurisprudence : celle d’un individu qui saute volontairement d’un
véhicule en mouvement et se blesse à cette occasion ; v., Civ. 2ème, 19 janvier 1994, Bull. civ. II, n° 27.
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lieu et place d’une piste cyclable (Civ. 2ème, 28 mars 2019, n° 18-14.125). Très favorable à
l’indemnisation des victimes non conductrices, on observera qu’une telle solution tend en
revanche à aggraver encore davantage l’inégalité de traitement vis-à-vis des victimes
conductrices, dont on sait qu’elles peuvent se voir opposer n’importe quel agissement fautif.

B. L’accélération de la procédure d’indemnisation par la limitation des recours des assureurs


o Une interprétation constante favorisant l’indemnisation rapide des victimes – Dès le vote
de la loi de 1985, les assureurs ont rapidement tenté de soulever comme moyen de défense
l’existence d’une faute inexcusable de la victime afin d’exclure son droit à l’indemnisation.
La jurisprudence de la Cour de cassation est désormais bien fixée. En limitant de manière
générale la notion de faute inexcusable à des hypothèses très restreintes, la Cour de
cassation a créé une grille de lecture claire et constante qui dissuade désormais les assureurs
d’invoquer systématiquement cette faute par la voie judiciaire. La solution de l’Assemblée
plénière favorise ainsi l’indemnisation rapide et par la voie amiable de la victime qui est,
ainsi que le révèle son titre, un des objectifs de la loi du 5 juillet 1985. Cette analyse est
notamment confirmée par la lecture du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions
de l’avocat général2.

 Remarque de méthode : vous pourrez aller consulter ces documents afin de vous familiariser à leur
lecture. Les rapport et conclusions d’un arrêt sont en effet des documents souvent utiles à la bonne
compréhension et à l’interprétation d’un arrêt. Ils regorgent également d’exemples et de références
jurisprudentielles. Vous veillerez tout de même à ne pas vous perdre dans leur exhaustivité.

o Une notion reprise dans le projet de réforme de la responsabilité civile – Preuve de son
efficacité à vider le contentieux des accidents de la circulation et donc accélérer la
réparation, la notion de faute inexcusable est reprise dans le projet de réforme (v. supra) :
c’est elle qui « prive la victime de tout droit à réparation si elle est la cause exclusive de
l’accident » (art. 1287, al. 2 proj.), sauf dans l’hypothèse où il s’agit d’une victime
surprotégée (id., al. 3).

2.V. ainsi les conclusions de M. l’avocat général Jéol relatives à l’arrêt : « Il est évident que l’on plaidera d’autant moins
en justice l’exclusion de réparation prévue par le texte litigieux que la notion de faute inexcusable sera entendue de
manière plus restreinte et cantonnée, en pratique, à des hypothèses bien délimitées, repérables à des signes objectifs. Il
est remarquable, à cet égard, que la jurisprudence rigoureuse de notre Cour, au fur et à mesure qu’elle s’imposait
aux juges du fond, a eu sur le contentieux judiciaire lié à l’application de la loi Badinter un effet déflationniste
important, qui s’est répercuté jusqu’à nous... Assouplir cette jurisprudence, ce serait rouvrir la boîte de Pandore
des affaires de circulation. Ce serait aussi, par un effet pervers indirect, rendre plus aléatoire l’octroi d’une provision
à la victime, le juge des référés pouvant légitimement avoir des hésitations sur l’absence de “contestation sérieuse” et,
partant, sur sa compétence ».

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