Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
FICHE RETOUR
___________________________________________________
Au-delà des arrêts mentionnés dans la fiche, les arrêts suivants, relatifs au domaine d’application de
la loi Badinter, à la notion d’implication et à la faute inexcusable, pouvaient retenir votre attention.
Les deux premiers sont traités dans le cours magistral. Il est toujours utile d’avoir à l’esprit quelques
arrêts récents et de les utiliser dans vos devoirs, afin d’éviter de faire des commentaires d’arrêt ou des
dissertations « d’époque » qui ne tiendraient pas compte de l’actualité juridique, qu’elle confirme ou
qu’elle infirme les mouvements jurisprudentiels étudiés.
➢ Civ. 2ème, 5 mars 2020, n° 19-11.411 (sur le domaine d’application de la loi Badinter)
➢ Civ. 2ème, 24 octobre 2019, n° 18-20.910 (sur le domaine d’application de la loi Badinter)
➢ Civ. 2ème, 18 avril 2019, n° 18-14.948 (sur la notion d’implication)
➢ Civ. 2ème, 28 mars 2019, n° 18-14.125 (sur la faute inexcusable)
La formulation du pressage de citron vous invite à étudier la différence entre les causes d’exonération
de la responsabilité du conducteur qui sont admises en cas d’accident de la circulation ayant causé un
dommage corporel à une victime non-conductrice. On laissera donc de côté les causes d’exonération
par la faute de la victime conductrice, qui figurent à l’article 4 de la loi Badinter et se rapprochent de
celles du droit commun.
➢ La faute inexcusable, qui était au cœur du commentaire d’arrêt proposé, désigne depuis une
série d’arrêts de 1987 la faute « volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable
son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ». C’est une définition très restrictive qui
n’est que rarement admise par la Cour de cassation (v. infra les exemples mobilisés dans le cadre du
commentaire d’arrêt).
➢ La faute intentionnelle est celle commise par un auteur qui recherche le dommage et donc le
préjudice causé. En réalité, en matière d’accidents de la circulation, la notion ne vise qu’une seule
hypothèse, extrêmement restrictive : le comportement suicidaire de la victime.
-1-
UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS (PARIS II) SÉANCE 17
TRAVAUX DIRIGÉS – DROIT CIVIL
Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS
On observe donc une hiérarchie de ces fautes en fonction de leur gravité, et à tout le moins une
différence de degré entre les deux fautes : la faute intentionnelle est encore plus rare, et plus stricte,
que la faute inexcusable.
Or on sait que les victimes surprotégées, c’est-à-dire celles « âgées de moins de seize ans ou de plus
de soixante-dix ans, ou lorsque, quel que soit leur âge, elles sont titulaires, au moment de l’accident,
d’un titre leur reconnaissant un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80% »
(L. Badinter, art. 3 al. 2) ne peuvent se voir opposer que leur faute intentionnelle, à l’exclusion de la
faute inexcusable. Les victimes normalement protégées, elles, peuvent se voir opposer leur faute
intentionnelle et, le cas échéant, leur faute inexcusable si elle est la cause exclusive de l’accident
(L. Badinter, art. 3 al. 1er).
La différence de régime prévue par la loi au regard de la nature des fautes s’explique donc par
la volonté du législateur de protéger les catégories d’individus les plus fragiles.
Les deux notions sont reprises dans le projet de réforme de la responsabilité civile. L’article 1286
proj. reprend l’article 3 al. 3 de la loi Badinter en rappelant que la victime d’un accident de la
circulation « n’a pas droit à réparation (…) lorsqu’elle a volontairement recherché le dommage qu’elle
a subi ». L’article 1287 proj., quant à lui, rappelle que « la faute inexcusable prive la victime de tout
droit à réparation si elle a été la cause exclusive de l’accident » (al. 2). On notera en revanche que
l’alinéa 3 dispose que « lorsqu’elle n’est pas la cause exclusive de l’accident, la faute inexcusable
commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter son droit à
réparation » – d’où l’on pourrait déduire que la faute simple de la victime conductrice ne permettrait
plus, contrairement à l’état actuel du droit positif, de réduire son droit à indemnisation.
L’arrêt du 10 novembre 1995 rendu par l’Assemblée plénière vient confirmer une série d’arrêts du 20
juillet 1987 qui avaient entrepris de définir la notion de faute inexcusable à laquelle se réfère l’article 3
de la loi Badinter, aux termes duquel « les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à
moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis,
sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de la faute inexcusable si elle a été
la cause exclusive de l’accident ». En l’espèce, cette faute n’est pas reconnue, bien que le piéton, vêtu
de sombre, avait traversé la chaussée et s’était maintenu, de nuit, au milieu de la route dépourvue
d’éclairage, à une heure de fréquentation importante.
-2-
UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS (PARIS II) SÉANCE 17
TRAVAUX DIRIGÉS – DROIT CIVIL
Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS
On ne reviendra pas sur la fiche d’arrêt, aisée à réaliser. On n’oubliera cependant pas de relever, car
c’est un arrêt d’Assemblée plénière, que l’arrêt d’appel faisant l’objet du pourvoi avait été rendu sur
renvoi après cassation.
I.- Le refus de caractériser une faute inexcusable de la victime
La Cour de cassation confirme d’abord la définition de la faute inexcusable (A) avant d’exclure cette
qualification au regard des faits de l’espèce (B).
o Une définition étroite de la faute inexcusable – La loi Badinter ne comportant pas de définition
de la faute inexcusable, c’est à la jurisprudence qu’il est revenu d’en donner la définition. La
Cour de cassation, par dix arrêts datant du 20 juillet 1987, a ainsi défini la faute inexcusable
comme « la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son
auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Civ. 2ème, 20 juillet 1987, Bull. civ. II,
n°160). Cette définition est confirmée par l’Assemblée Plénière dans cet arrêt. Elle présente
deux caractéristiques : 1° elle s’inspire de la définition de la faute inexcusable de l’employeur
retenue en droit du travail (v. à ce titre Ass. plén., 18 juillet 1980, Bull. A.P. n°5) ; 2° elle
consacre une conception très étroite de la faute inexcusable en élevant fortement le seuil
nécessaire à sa qualification. Sont ainsi exclues de la catégorie les erreurs banales
d’imprudence ou d’inattention commises par les piétons quotidiennement.
o Les éléments constitutifs de la faute inexcusable – Ils sont de deux ordres. 1° Les éléments
objectifs : i. il faut d’abord une faute d’une exceptionnelle gravité ; ii. il faut ensuite que
l’auteur ait été exposé au danger sans raison valable. 2° Les éléments subjectifs : i. la faute
inexcusable est une faute volontaire. Ce qui signifie que son auteur doit avoir voulu la
réalisation de l’acte mais sans pour autant avoir recherché la réalisation du dommage. On
basculerait alors dans cette hypothèse de la qualification de faute inexcusable à celle de faute
intentionnelle ; ii. la faute inexcusable exige que son auteur ait eu conscience du danger
auquel il s’exposait. Ce qui suppose qu’il ait été doué de discernement au moment de la faute
(Civ. 2ème, 2 mars 2017, n°16-11.986). N.B. : le problème du discernement ne se pose pas
s’agissant de l’infans, qui fait partie des victimes surprotégées.
-3-
UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS (PARIS II) SÉANCE 17
TRAVAUX DIRIGÉS – DROIT CIVIL
Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS
Au reste, cette interprétation étroite de la notion de faute inexcusable ne peut bien se comprendre qu’à
l’aune de la ratio legis de la loi du 5 juillet 1985.
II.- Une interprétation étroite de la faute inexcusable conforme aux objectifs de la loi Badinter
o Une interprétation stricte favorable à la situation des victimes – À l’inverse par exemple des
accidents du travail, l’interprétation stricte de la notion de faute inexcusable bénéficie ici à la
victime. En cantonnant comme en l’espèce drastiquement son domaine aux hypothèses d’un
comportement présentant une dangerosité extrême, la Cour de cassation s’inscrit pleinement
dans la réalisation des objectifs poursuivis par la loi Badinter (objectifs visés dans l’intitulé
même de la loi) et renforce la logique de garantie qui sous-tend le régime de la loi de 1985.
Elle oriente encore davantage le droit positif vers un régime d’indemnisation quasi
automatique des victimes, presque indifférent à l’idée de faute, limitant l’influence de celle-
ci aux « comportements les plus asociaux de la circulation » (R. Badinter). La Cour de
cassation a plus récemment confirmé cette tendance en cassant pour violation de la loi un arrêt
d’appel qui avait reconnu une faute inexcusable dans le comportement de deux cyclistes qui
avaient seulement décidé d’emprunter une route départementale de nuit, sans éclairage, en
1.Une autre hypothèse de faute inexcusable retenue en jurisprudence : celle d’un individu qui saute volontairement d’un
véhicule en mouvement et se blesse à cette occasion ; v., Civ. 2ème, 19 janvier 1994, Bull. civ. II, n° 27.
-4-
UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS (PARIS II) SÉANCE 17
TRAVAUX DIRIGÉS – DROIT CIVIL
Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS
lieu et place d’une piste cyclable (Civ. 2ème, 28 mars 2019, n° 18-14.125). Très favorable à
l’indemnisation des victimes non conductrices, on observera qu’une telle solution tend en
revanche à aggraver encore davantage l’inégalité de traitement vis-à-vis des victimes
conductrices, dont on sait qu’elles peuvent se voir opposer n’importe quel agissement fautif.
Remarque de méthode : vous pourrez aller consulter ces documents afin de vous familiariser à leur
lecture. Les rapport et conclusions d’un arrêt sont en effet des documents souvent utiles à la bonne
compréhension et à l’interprétation d’un arrêt. Ils regorgent également d’exemples et de références
jurisprudentielles. Vous veillerez tout de même à ne pas vous perdre dans leur exhaustivité.
o Une notion reprise dans le projet de réforme de la responsabilité civile – Preuve de son
efficacité à vider le contentieux des accidents de la circulation et donc accélérer la
réparation, la notion de faute inexcusable est reprise dans le projet de réforme (v. supra) :
c’est elle qui « prive la victime de tout droit à réparation si elle est la cause exclusive de
l’accident » (art. 1287, al. 2 proj.), sauf dans l’hypothèse où il s’agit d’une victime
surprotégée (id., al. 3).
2.V. ainsi les conclusions de M. l’avocat général Jéol relatives à l’arrêt : « Il est évident que l’on plaidera d’autant moins
en justice l’exclusion de réparation prévue par le texte litigieux que la notion de faute inexcusable sera entendue de
manière plus restreinte et cantonnée, en pratique, à des hypothèses bien délimitées, repérables à des signes objectifs. Il
est remarquable, à cet égard, que la jurisprudence rigoureuse de notre Cour, au fur et à mesure qu’elle s’imposait
aux juges du fond, a eu sur le contentieux judiciaire lié à l’application de la loi Badinter un effet déflationniste
important, qui s’est répercuté jusqu’à nous... Assouplir cette jurisprudence, ce serait rouvrir la boîte de Pandore
des affaires de circulation. Ce serait aussi, par un effet pervers indirect, rendre plus aléatoire l’octroi d’une provision
à la victime, le juge des référés pouvant légitimement avoir des hésitations sur l’absence de “contestation sérieuse” et,
partant, sur sa compétence ».
-5-
UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS (PARIS II) SÉANCE 17
TRAVAUX DIRIGÉS – DROIT CIVIL
Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS
-6-