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Joël Bockaert

Lachimie des

récepteurs
des neuro-
transmetteurs
Joël Bockaert est Professeur Émérite à l’Université de Montpellier,
fondateur de l’Institut de Génomique Fonctionnelle (IGF) de
Montpellier (CNRS, INSERM) et membre de l’Académie des
sciences.

1 De la similarité des
récepteurs sensoriels
aux hormones et aux
teurs de neurotransmetteurs1
et récepteurs sensoriels.
Et chose extraordinaire, la
neurotransmetteurs… plupart des récepteurs mis
Le tableau de la Figure 1 re- en jeu dans l’odorat, le goût,
l’olfaction et même la vision
présente deux personnages
sont chimiquement très sem-
dégustant des gâteaux et
blables à ceux mis en jeu dans
buvant du vin dans une convi-
les mécanismes d’action des
vialité charmante. De nom-
hormones ou des neurotrans-
breux récepteurs sensoriels
metteurs. Tous ces récepteurs
sont sollicités : récepteurs
sont des récepteurs à sept do-
du goût, récepteurs olfactifs,
maines transmembranaires
vision. Des émotions comme
– ce sont des protéines qui
le plaisir, l’empathie, l’amour
traversent sept fois la cellule
peut-être, sont à l’œuvre. Des
de part et d’autre –, aussi
manifestations physiques
sont présentes comme une
1. Neurotransmetteur (ou neuro-
accélération des battements
médiateur) : molécule chimique
cardiaques. Toutes ces mani- libérée par un neurone qui assure
festations physiologiques im- la transmission de messages à un
pliquent de nombreux récep- autre neurone.
Chimie et cerveau

Figure 1
Allégorie du goût.
Anonyme (XVIIe), Hotel Helvetica
Bristol Florence, modifié de
« La fabrique de la pensée »,
Electa Milano.

­ ppelés récepteurs couplés


a et enfin la pensée (Figure 2).
aux protéines G (RCPGs : on Une chimie incroyable est à
verra plus loin pourquoi ce l’origine de toutes ces fonc-
nom). Tous ces récepteurs tions. Pourrons-nous la com-
dérivent probablement d’un prendre totalement un jour ?
ancêtre commun.
Rappelons à ce propos cette
Mais entrons brièvement dans
citation du philosophe Jean
la chimie du cerveau…
d’Ormesson dans son dernier
ouvrage Comme un champ

2 Comment le cerveau
est-il structuré ?
d’espérance : « L’apparition de
la pensée est à coup sûr l’évé-
nement le plus important de
Le poids du cerveau humain
l’histoire de l’univers depuis sa
est en moyenne de 1,5 kg. Il
est constitué de neurones, sortie du néant ».
de cellules gliales et de vais- Mais notons que la conscience
seaux sanguins. ou la pensée, comme tout dans
l’évolution, ne sont pas appa-
rues subitement avec l’homme,
2.1. Les neurones
mais il est vrai qu’un saut quan-
Pièces maîtresses de notre titatif considérable est a été
cerveau, les neurones sont au franchi chez Homo sapiens.
nombre de cent milliards, et La Figure 3 montre un neu-
on compte un million de mil-
rone et ses synapses qui
liards de connexions entre ces
sont situées au niveau de ces
neurones. Les connexions se
petites structures appelées
situent au niveau de ces struc-
tures appelées synapses, res- épines synaptiques (visibles
ponsables de toutes les fonc- sur la figure), qui permettent
tions du cerveau : les fonctions aux neurones de commu-
Figure 2 motrices et sensorielles, niquer entre eux. Un seul
Le cerveau humain : l’objet le plus les émotions, la mémoire, neurone peut avoir dix mille
18 complexe de l’univers. la conscience, l’inconscient connexions synaptiques.
La chimie des récepteurs des neurotransmetteurs
Le neurone intègre toutes les Figure 3
informations qu’il reçoit au
niveau de ses synapses. Cette Un neurone et ses épines
synaptiques (jusqu’à dix
intégration va déterminer la gé-
mille synapses par neurone)
nération d’un ou d’une série de via lesquelles il reçoit des
potentiels d’action (influx ner- informations provenant d’autres
veux) transmis via un des pro- neurones.
longements du neurone parfois Source : IGF Montpellier.
très long (des dizaines de cm,
parfois quelques dizaines de
microns) qu’on appelle l’axone.
L’extrémité de l’axone constitue Figure 4
la structure pré-synaptique de
Cellule gliale de type astrocyte et
la synapse contenant le neuro- son réseau de microtubules.
transmetteur. Source : CNRS Photothèque
– Homburger Vincent,
Lautredou Nicole.
Les neurones constituent
un extraordinaire réseau
de communication avec
un nombre infini de com-
binaisons possibles, qui
génère beaucoup d’acti-
vités et éventuellement
bien sûr la pensée.
gliales, dont le nombre est de
l’ordre de celui des neurones,
jouent un rôle très important
dans l’activité synaptique, la
2.2. Les cellules gliales mémorisation, le sommeil, et
beaucoup d’autres fonctions.
La Figure 4 présente une
cellule gliale2 du type astro-

3
cyte (Astro = étoile, cyte = Le système
cellule). C’est une cellule en de communication
forme d’étoile dans laquelle du cerveau
on peut voir des réseaux de
microtubules 3 . Les cellules Le transfert de l’information
entre neurones se fait via
l’espace synaptique (Figure 5).
2. Cellules gliales : elles entourent On y distingue les petites
les neurones et participent au
contrôle de l’environnement
chimique et électrique. Elles pro-
duisent la myéline, qui protège
et isole les fibres nerveuses en
leur apportant l’oxygène et les
nutriments nécessaires à leur
fonctionnement ; elles éliminent
également leurs déchets.
3. Microtubules : petits éléments
de forme cylindrique, présents Figure 5
dans le cytoplasme, qui forment,
avec les filaments, le cytosquelette Synapse vue au microscope
de la cellule, lui donnant sa forme électronique.
et permettant son mouvement. Source : IGF Montpellier. 19
Chimie et cerveau

v­ ésicules qui contiennent les de la chimie de ces récep-


molécules de neurotransmet- teurs a énormément pro-
teurs (adrénaline, sérotonine, gressé (voir dans le Chapitre
dopamine, enképhaline4…) du de J.-P. Changeux dans l’ou-
neurone pré-synaptique (celui vrage Chimie et cerveau, EDP
qui émet l’information). Les Sciences, 2015).
neurotransmetteurs libérés Il existe deux principaux types
au niveau de la fente synap- de récepteurs dans le cerveau :
tique vont se fixer et activer
- les récepteurs canaux. La
des récepteurs du neurone
Figure 7 représente une sy-
post-synaptique (celui qui
napse : le neurotransmetteur
reçoit l’information).
libéré (boule rouge) vient se
fixer sur la protéine récep-
Figure 6 3.1. Les neurorécepteurs trice. À gauche (en noir), est
représenté un récepteur canal.
John Newport Langley (1852-
Le concept de récepteur a été Lorsque le neurotransmetteur
1925) est le père du concept de
« récepteur ». proposé, pour la première se fixe sur cette protéine, elle
Source : Wikipédia, Licence CC- fois, par le physiologiste John change de conformation (c’est-
BY-SA-3.0-Rubin, Ronald P. Newport Langley (Figure 6) à-dire de structure tridimen-
en 1905. Ce physiologiste uti- sionnelle) en quelques milli-
lisait des drogues comme la secondes pour permettre le
nicotine et le curare pour sti- passage d’ions dans un sens ou
muler (nicotine) ou bloquer dans l’autre, à travers la mem-
(curare) la conduction ner- brane du neurone. Ce passage
veuse dans le système para- d’ions va dépolariser ou hy-
sympathique. Il a émis l’idée perpolariser5 la membrane. Ce
que la structure chimique du mécanisme de transmission
composé qu’il utilisait était est très rapide puisqu’il cor-
très importante, car ce com- respond à un simple change-
posé devait, selon son hypo- ment de structure de la pro-
thèse, se fixer en s’adaptant téine. Il est de l’ordre de la
à une « molécule réceptrice » milliseconde. Les récepteurs
pour stimuler ou inhiber la canaux sont donc des récep-
transmission. Il proposa donc teurs très rapides mis en jeu
qu’une substance réceptrice, dans les actions motrices, dans
le récepteur, soit le site d’ac- la prise de conscience, la prise
tion de messagers chimiques, de décision, etc.
les neurotransmetteurs, qui
Mais il existe beaucoup
assurent la conduction.
d’autres fonctions qui ne
Mais ce n’est que dans les an- nécessitent pas des actions
nées 1970 que ces récepteurs ayant des constantes de
ont pu être détectés, souvent temps de l’ordre de la mil-
avec des substances radioac- liseconde et qui sont assu-
tives. Depuis, la connaissance rées par des récepteurs
d’un autre type : ce sont les
RCPGs (en rouge à droite de
4. Enképhalines : groupe de pe-
tites molécules protéiques possé-
dant des propriétés analgésiques, 5. Hyperpolarisation : modification
synthétisées dans le cerveau ou du potentiel électrique mesurable de
par des terminaisons nerveuses part et d’autre d’une membrane bio-
situées dans d’autres régions du logique, dans le sens d’une diminu-
20 corps. tion ou d’une inversion de potentiel.
La chimie des récepteurs des neurotransmetteurs
Figure 7
Schéma d’une synapse et des deux
principaux types de récepteurs :
les récepteurs canaux (à gauche)
et les récepteurs membranaires
couplés aux protéines G (à droite).
En haut : neurone pré-synaptique,
en bas : neurone post-synaptique.
Source : IGF Montpellier.

la Figure 7). Un même neuro- protéines G stimulent alors


transmetteur comme l’acé- la synthèse de messagers
tylcholine, le GABA (acide secondaires aussi appelés
γ-aminobutyrique) ou le glu- messagers intracellulaires.
tamate peut activer soit un ré- Ces derniers peuvent changer
cepteur canal, soit un RCPG : l’activité des canaux membra-
- les récepteurs membra- naires (donc le potentiel mem-
naires couplés aux protéines branaire), mais aussi, réguler
G (RCPGs) : ces récepteurs le métabolisme cellulaire ou
sont constitués de sept do- l’activité des gènes des neu-
maines transmembranaires6 rones qui les expriment.
et sont couplés aux protéines La vitesse de travail de ces
G constituées de trois sous- RCPGs est de l’ordre de la
unités (en gris sur la Figure 7). seconde et parfois même plus
Les protéines G sont intra- lente. Ils contrôlent beaucoup
cellulaires. Les molécules de de fonctions essentielles chez
neurotransmetteurs vont se tous les eucaryotes7, en par-
lier à ces récepteurs et les ticulier l’homme : les états
activer (en changer la confor- d’humeur, le fait que nous
mation). Les RCPGs actifs vont soyons dépressifs ou gais,
activer des protéines G, appe- que nous ayons du plaisir ou
lées ainsi car leur activation que nous n’en ayons pas, que
est le résultat de leur associa- nous soyons anxieux ou pas,
tion avec une molécule de GTP que nous ayons faim ou non,
(Guanosine triphosphate). Les que notre mémoire va être de
courte ou de longue durée­.
6. Un récepteur transmembranaire
peut être divisé en trois parties, ou 7. Les cellules eucaryotes pos-
domaines : un domaine extracel- sèdent un « noyau-vrai », compar-
lulaire, un domaine intracellulaire timent séparé du reste du contenu
et un domaine transmembranaire, cellulaire et qui contient leur ADN.
ce dernier permettant de faire le Les procaryotes, identifiés aux
lien entre domaine intra et extra- bactéries, ont leur ADN dans le
cellulaire. cytoplasme de la cellule. 21
Chimie et cerveau

Ce ne sont donc pas des évé- ture de ces récepteurs. Depuis,


nements qui se passent en beaucoup de progrès sur leur
quelques millisecondes : on structure chimique ont été réa-
ne passe pas d’un état de lisés. On sait maintenant les
plaisir à un état de dépres- cristalliser. Il est remarquable
sion en une milliseconde mais de constater que tous ces
en quelques minutes, voire récepteurs ont une structure
quelques heures, quelques très similaire. Cela conduit à
jours ou quelques années. supposer qu’ils ont probable-
Toutes ces fonctions sont es- ment évolué à partir du même
sentielles. Qu’est-ce qui est gène ancestral. Par mutations
plus essentiel que le plaisir et duplications, ils se sont di-
dans la vie ?! Ce sont aussi versifiés et ont été capables de
des récepteurs de ce type qui reconnaître des molécules très
sont la cible de la plupart des diverses : odeurs, neurotrans-
drogues d’abus (morphine, metteurs, hormones, photons,
cannabis… voir le Chapitre etc., que l’on désigne sous le
de M. Besson dans Chimie et nom générique de « ligands ».
cerveau, EDP Sciences, 2015).
3.2.1. Les familles
de récepteurs couplés
3.2. Les récepteurs aux protéines G 
membranaires couplés
La famille la plus nombreuse
aux protéines G (RCPGs)
est celle constituée de récep-
Deux types de récepteurs teurs ayant de fortes ana-
RCPGs sont représentés sur logies de structure avec la
la Figure 8. En 1970, on ne rhodopsine (Figure 8A). Nous
connaissait rien de la struc- avons, en effet dans la rétine,

A B

Figure 8
Représentation de deux familles de RCPGs (ces récepteurs forment des dimères) :
A) la famille « rhodopsine ». Son nom vient du fait que la rhodopsine est le représentant le plus connu.
La rhodopsine lie les photons et assure la vision. Les différents types de ligands reconnus par les récepteurs
de cette famille sont divers : photons, phéromones, dopamine, sérotonine, etc. ; 
B) les récepteurs à « pince de crabe » : les différents types de ligands reconnus sont : le calcium, le glutamate,
le GABA, les molécules sucrées, etc.
22 Source : adapté de Bockaert J. et Pin J.P. (1999). EMBO J.
La chimie des récepteurs des neurotransmetteurs
un récepteur sensible à la lu- de récepteurs, découverte
mière, appelé rhodopsine. Ce par mon équipe à l’Institut
récepteur est activé par des de Génomique Fonctionnelle
photons. D’autres récepteurs (IGF) de Montpellier, recon-
de cette famille reconnaissent naît notamment le gluta-
les molécules responsables mate, neurotr ansmetteur
des odeurs ou des petites majeur du système nerveux
molécules de neurotransmet- central. Cette famille de ré-
teurs telles que la dopamine, cepteurs reconnaît aussi le
la sérotonine, l’adrénaline, calcium, dont la physiologie
des hormones comme la TSH est aussi très impor tante
(«  thyroid-stimulating hor- chez l’homme, mais aussi des
mone »), et beaucoup d’autres. neurotransmetteurs inhibi-
Ce même type de récepteurs teurs comme le GABA (voir
est capable de reconnaître de le Chapitre de J.-P. Changeux
grosses molécules de pro- dans Chimie et cerveau), et
téines, notamment des pep- même des molécules sucrées.
tides tels que les enképha- Tous ces exemples montrent
lines, dont nous parlerons la remarquable adaptation de
plus loin. On peut donc être ces récepteurs pour recon-
étonné par la plasticité de ces naître des molécules extrê-
récepteurs au cours de l’évo- mement diversifiées.
lution, qui se sont adaptés La Figure 9 représente les
pour reconnaître un ensemble structures schématisées des
très diversifié de ligands. récepteurs des molécules du
Il existe plusieurs autres fa- goût. Des récepteurs de la
milles de RCPGs. La famille famille des RCPGS à « pinces
représentée sur la Figure 8B de crabe » sont capables de
est caractérisée par une reconnaître les molécules des
structure par ticulière. La goûts sucrés et umami. Le goût
partie externe en « pince de umami est celui du glutamate
crabe » reconnaît des ligands contenu dans le soja. C’est
particuliers. Cette famille aussi le goût de la viande (qui

Figure 9
Les récepteurs des goûts.
Source : IGF Montpellier. 23
Chimie et cerveau

contient aussi du glutamate). protéines, donc présent dès


Le goût amer est reconnu par le début de la vie) ou d’une
des RCPGs de la famille « rho- substance déjà présente chez
dopsine ». Pour reconnaître les bactéries, l’AMP cyclique.
le goût acide, le goût salé, ce L’AMP cyclique deviendra une
sont des récepteurs canaux qui molécule de communication
interviennent (Figure 9). chez certaines amibes 8 et
chez les êtres pluricellulaires,
3.2.2. RCPGs et évolution un messager secondaire.
On ne connaît pas vraiment Chez les champignons ou
l’ancêtre commun des RCPGs, dans la levure de bière, on
dont l’arbre généalogique est ne retrouve que trois RCPGs.
représenté sur la Figure 10. Aucune trace significative de
On suppose que c’était un ré- ces récepteurs n’a été trouvée
cepteur du glutamate (un des dans les plantes.
acides animés constitutifs des
Mais les petits vers tels que
les nématodes 9 expriment
déjà mille RCPGs !! Les ron-
geurs possèdent quant à
eux près de mille trois cents
M. musculus H. sapiens RCPGs, et l’homme en pos-
1318 865 sède un peu moins car nous
avons moins de récepteurs
268 90 Mya olfactifs que les rongeurs !
Mammalia Notre odorat fonctionne en
A. gambiae effet grâce à des récepteurs
210 T. rubripes
RCPGs olfactifs de la famille
286 « rhodopsine » (environ six
D. melanogaster
420 Mya
D. rerio 737 cents) ; il est un peu moins
Vertebrata sophistiqué que celui des ron-
geurs ou des chiens car ces
Arthropoda C. intestinalis espèces ont beaucoup plus de
550 Mya
1149 Chordata 208 récepteurs RCPGs olfactifs.
C. elegans Il important de savoir que les
530 Mya
Nematoda RCPGs constituent 3 % des
1 gènes chez l’homme, ce qui
O. sativa prouve que ces récepteurs
ont une énorme importance
Bilateria
9 pour le fonctionnement de nos
6
Plants S. pombe
A. thaliana
Fungi 8. Les amibes sont des êtres
Alveolats 520 Mya
3 vivants unicellulaires eucaryotes
0 P. falciparum 1200 Mya
S. cerevisiae caractérisés par un corps cellu-
laire déformable émettant des pro-
longements de forme changeante
Figure 10 leur permettant de ramper sur un
support ou de capturer des proies.
Arbre généalogique des espèces possédant des récepteurs couplés aux 9. Les nématodes sont des vers
protéines G, avec, pour chaque espèce le nombre de récepteurs qu’elle ronds qui forment un groupe
possède, à chaque branche le nom de la famille associée et à chaque fourche zoologique homogène par leurs
l’ancienneté de la séparation des espèces (en millions d’années, Mya). caractères anatomiques et mor-
Source : adapté de Perez, Mol. Pharm. (2005) et de Fredriksson, phologiques mais très diversifié
24 Mol. Pharm. (2005). par leurs modes de vie.
La chimie des récepteurs des neurotransmetteurs
­ rganismes, pour l’olfaction, la
o Récepteurs, canaux,
gustation, la vision, mais aussi tranporteurs Enzymes Autres
dans toute la physiologie des Toutes les 47,3 30,5 7,6
communications des systèmes pathologies
hormonaux et neuronaux.
Vu leur importance physiolo-
Système
gique, il n’est pas surprenant 88,9 11,1
nerveux
qu’ils constituent à peu près
30 % des cibles des médica- 0 20 40 60 80 100
ments vendus en pharmacie. Mode d’action des médicaments (%)

3.2.3. Les médicaments qui


ciblent les RCPGs Figure 11
Parmi ces 30 % des médi- Cibles des médicaments (antipsychotiques, anxiolytiques, antimigraineux,
caments agissant sur les antiparkinsonnien, anti-épileptiques, etc.) dans différentes pathologies,
RCPGs, on peut citer les anti- donc celles du système nerveux.
histaminiques, les antipsycho-
tiques, les antimigraineux, les
bétabloquants, la morphine, rétine, ce qui a facilité la tâche
certains antihypertenseurs, des chercheurs.
indirectement des antidépres- On peut distinguer les sept
seurs, etc. domaines tr ansmembr a-
On peut regretter que l’indus- naires, qui sont identifiés par
trie pharmaceutique s’inté- des couleurs différentes, et
resse, ces derniers temps, de une petite molécule (jaune
moins en moins à ces récep- sur la figure) au sein des do-
teurs, alors qu’il reste encore maines transmembranaires :
une énorme réserve de possibi- c’est le rétinal. Le rétinal est
lités thérapeutiques à exploiter. une sorte de neurotransmet-
teur qui se lie en permanence
88,9 % de médicaments des
à la rhodopsine. Il a la pro-
pathologies du système ner-
priété de changer de confor-
veux central ont pour cibles
mation lors du contact avec
des RCPGs, des canaux ou
un photon. Ce changement de
des transporteurs de neu-
conformation entraîne secon-
rotransmetteurs (Figure 11).
dairement un changement de
Ce sont de petites molécules
conformation de la rhodop-
capables de franchir la bar-
sine laquelle active alors la
rière hémato-encéphalique10.
protéine G.
3.2.4. La structure des RCPGs La cristallisation des RCPGs
La rhodopsine (Figure 12) a (avec leurs ligands) a été
été le premier RCPG à avoir une étape très importante
été cristallisé car elle est puisqu’elle permet de déter-
présente en quantité dans la miner leur structure ato-
mique, donc d’identifier
l’ensemble des atomes qui
10. La barrière hémato-encépha- constituent cette molécule. Figure 12
lique est la barrière physiologique On peut donc déterminer
entre la circulation sanguine et le Projection de la représentation
toutes les interactions entre
système nerveux central, consis- en trois dimensions de la forme
tant en un groupement de cellules le neurotransmetteur – ici, cristallisée de la rhodopsine.
qui régulent le flux sanguin au c’est le rétinal – et la protéine Source : adapté de Palczewski
niveau du cerveau. elle-même. L’objectif est de et coll. (2000). 25
Chimie et cerveau

­ ouvoir, grâce à la connais-


p La Figure 14 montre un té-
sance de la structure des tramère de ce récepteur en
RCPGs et de leurs interactions interaction avec deux pro-
avec leurs ligands, concevoir téines G (en vert). Ce cristal
« sur mesure » de nouvelles est maintenant bien connu et
molécules thérapeutiques. on sait que la morphine se
Depuis cette première cristal- lie peu profondément dans le
lisation de la rhodopsine, près récepteur. Cela représente
d’une centaine de ces RCPGs une chance pour ceux qui font
Figure 13
ont été cristallisés. Le prix des overdoses à la morphine
Robert Lefkowitz et Brian Kobilka, Nobel de Chimie 2012 a été (ou héroïne) parce qu’on peut
prix Nobel de chimie 2012 attribué à Robert Lefkowitz et utiliser une autre molécule
pour leurs travaux sur les RCPGs bloquant ce récepteur (la
Brian Kobilka (Figure 13) pour
et leur cristallisation.
leurs travaux sur les RCPGs et naloxone) qui peut ainsi, très
leur cristallisation. rapidement, prendre la place
de la morphine et sauver les
personnes de cette overdose.
3.3. Le RCPGs : cibles
de drogues d’abus et de On n’a pas attendu de décou-
médicaments vrir la structure du récepteur
de la morphine pour utiliser
3.3.1. Les neurorécepteurs la morphine (Figure 15) qui,
des drogues d’abus extraite du pavot, a été utilisée
La morphine de tout temps pour calmer à
la fois les douleurs physiques
La morphine, utilisée depuis
et les douleurs morales (voir
des millénaires pour com-
le Chapitre de B. Kieffer dans
battre la douleur mais aussi
Chimie et cerveau). Cette der-
comme drogue d’abus, agit
nière propriété peut conduire
sur plusieurs récepteurs
à une addiction surtout avec
RCPGs. Le plus important est
des dérivés de la morphine
le récepteur Mu. La Figure 14
qui pénètrent plus rapide-
représente la structure tri-
ment dans le cerveau comme
dimensionnelle du récep-
l’héroïne.
teur Mu de la morphine,
qui a été cristallisée par un Notre cerveau contient na-
chercheur de l’Institut de turellement, non pas de la
Génomique Fonctionnelle de morphine, mais des pep-
Montpellier, en collaboration tides, tels que les enképha-
avec Brian Kobilka. lines (Figure 16), qui sont des
neurotransmetteurs dont la
structure « a des analogies »
avec celle de la morphine. Les
TM1- TM5- TM1- enképhalines se fixent sur
TM2- TM2-
C H8 A
TM6
B H8 D les neurorécepteurs Mu, et,
comme la morphine, modi-
fient nos sensations de dou-
leur et de plaisir.
Figure 14 L’ergot du seigle
Il existe d’autres drogues,
Structure du récepteur Mu (µ)
de la morphine. sans doute moins connues
Source : adapté de Manglik Protéine G que la morphine, comme cet
26 et coll. (2012). Nature. alcaloïde provenant de l’ergot
La chimie des récepteurs des neurotransmetteurs
Glycine Méthionine
Glycine

Carbone
Hydrogène

Tyrosine Oxygène
Azote
Phénylalanine.
Sulfure
Méthionine encéphaline Morphine

Figure 15 Figure 16
La morphine, extraite du pavot, Comparaison des structures de la morphine et d’une molécule
a été utilisée de tout temps « morphine-like » : la méthionine enképhaline.
pour calmer douleurs physiques Source : adapté de : Drugs and the brain,
et morales, mais peut conduire S.H. Snyder Scientific American library,
à une addiction. New-york, Oxford.

A B Figure 17
L’ergotisme est également
connu sous le nom de mal des
ardents ou feu de Saint-Antoine
(A). Il est provoqué par un des
quatre alcaloïdes du champignon
Claviceps purpura, qui infecte
le seigle et d’autres céréales (B).
Tableau : Le retable d’Issenheim,
de Matthias Grünewald,
musée d’Unterlinden de Colmar.

du seigle dont la structure est nombreux états de l’humeur.


représentée sur la Figure 17A. Quatre alcaloïdes de l’ergot
Au Moyen-Âge notamment, de seigle agissent sur les ré-
le seigle était contaminé par cepteurs de la sérotonine de
un champignon qui produisait type 5-HT2A et produisent des
cette substance qui donnait ce hallucinations (que ne produit
qu’on appelait l’ergotisme, ou pas la sérotonine), mais aussi
feu de Saint-Antoine, une pa- des vasoconstrictions qui sont
thologie terrible se traduisant illustrées dans Le retable d’Is-
par des vasoconstrictions très senheim (Figure 17B).
fortes, mais aussi éventuelle-
ment par des hallucinations Le cannabis
diverses. Cette substance agit Le cannabis (Figure 18) est une
sur les RCPGs de la séroto- drogue d’abus très utilisée,
nine, un neurotransmetteur qui contient une molécule ac- Figure 18
naturellement présent dans tive, le tétrahydrocannabinol Le cannabis contient du
notre cerveau, et qui joue un (THC). Celle-ci se lie sur des tétrahydrocannabinol, qui se lie sur
rôle très important pour de RCPGs du cerveau qui sont des récepteurs RCPGs du cerveau. 27
Chimie et cerveau

physiologiquement la cible de été les premiers à introduire


neurotransmetteurs naturels la chlorpromazine en clinique
comme l’anandamide. dans les années 1950. Cette
découverte remarquable a
3.3.2. Les médicaments ayant été réalisée bien avant nos
pour cibles les RCPGs connaissances sur les récep-
Ces récepteurs RCPGs sont teurs sur lesquels elle agit.
très importants en médecine
car ils sont la cible de nom-
breux médicaments. Parmi
tous les RCPGs qui sont la 4 Le système de
communication
des êtres vivants, une
cible de médicaments, une
des cibles très importantes machinerie biochimique
est le récepteur de la dopa- très complexe
mine D2, sur lequel agissent Le transfert d’information
les antipsychotiques. Le pre- d’un neurone à l’autre s’effec-
mier antipsychotique décou- tue, on l’a déjà dit, au niveau
vert fut la chlorpromazine. La de la synapse, dont une re-
chlorpromazine a permis des présentation est illustrée sur
progrès considérables en psy- la Figure 20. Le nombre de
chiatrie. Elle réduit considéra- protéines identifiées dans la
blement les symptômes néga- synapse a fait un bond specta-
tifs et positifs (hallucinations) culaire entre les années 1990
des schizophrènes – maladie et 2010. On en connaissait
qui touche 1 % de la popula- une douzaine en 1990, et plus
tion –, et leur a permis d’avoir, de mille aujourd’hui. On peut
bien souvent, une vie sociale reconnaître sur ce dessin un
acceptable en milieu ouvert. certain nombre de récepteurs
Dans les années 1950, ce fut comme celui de la sérotonine
une révolution en psychiatrie. (5-HT2C), par exemple.
La chlorpromazine, premier Ces récepteurs ne sont pas
antipsychotique isolés. Ils sont en interaction
Les psychiatres Jean Delay et avec des réseaux complexes
Pierre Denicker (Figure 19) ont de protéines. La synapse est

Figure 19
Jean Delay et Pierre Denicker ont été les premiers à introduire
en traitement clinique la chlorpromazine, qui bloque les récepteurs
28 de la dopamine.
La chimie des récepteurs des neurotransmetteurs
une machine remarquable, On étudie beaucoup les réseaux
extrêmement sophistiquée et protéiques associés aux récep-
régulée. Elle est plastique et teurs synaptiques (Figure 21).
son activité peut être augmen- Toute altération de ces réseaux
tée ou diminuée pendant de peut entraîner des pathologies
longues périodes, constituant neurologiques ou psychia-
ainsi la base moléculaire de la triques. La Figure 21 repré-
mémoire. sente une synapse ayant pour

Figure 20
Illustrations de la synapse liée à la
réception du glutamate (à gauche)
et de la sérotonine (à droite).

Figure 21
Réseau des protéines synaptiques
susceptibles d’intervenir dans
le syndrome de l’autisme.
Source : adapté de Delorme et
coll. (2013). Nature Medecine.

29
Chimie et cerveau

neurotransmetteur le gluta- bilité à l’autisme dont un certain


mate. Les molécules en orange nombre sont représentés ici.
sont des molécules dont on Ce ne sont pas des mutations
suspecte, pour des raisons qui « tuent » la protéine mais
génétiques bien avérées, l’in- de petites variations d’activité
tervention dans l’autisme. Il y a de ces protéines qui entrainent
deux cents gènes de suscepti- des déficits cognitifs.

La communication chez les êtres


vivants : quelle évolution ?
Les synapses sont donc, on l’aura compris, les
briques élémentaires du fonctionnement céré-
bral. Chez les mammifères, et bien entendu chez
l’homme, elles sont d’une extrême complexité.
Les réseaux de synapses permettent de géné-
rer des fonctions complexes comme la mémoire
ou la conscience. Ces synapses ne sont pas
apparues soudainement chez les organismes
complexes, elles sont le résultat d’une longue
évolution.
Quand on étudie, comme l’a fait Seth Grant,
l’évolution des protéines de la synapse, on
s’aperçoit que chez les procaryotes et chez les
êtres unicellulaires, certaines de ces protéines
sont déjà présentes (Figure 22). Ce sont des
protéines que l’on retrouvera, bien plus tard
au cours de l’évolution, dans le comparti-
ment post-synaptique des synapses. Ces êtres
unicellulaires communiquent entre eux et avec
leur environnement. Ils utilisent ces protéines
pour reconnaître les messages venant de leurs
congénères ou de l’environnement.
L’évolution des êtres multicellulaires a été
étroitement liée à la capacité qu’ont acquise
leurs cellules à communiquer entre elles.
Parmi les multiples systèmes de communi-
cation intercellulaires du vivant, l’émergence
du système nerveux tient un rôle particulier.
Les scientifiques s’accordent pour penser que
30 les neurones tels que nous les connaissons
La chimie des récepteurs des neurotransmetteurs
aujourd’hui Figure 22
Vertébré
Évolution de la structure
de la synapse.
~ 500 Source : adapté de Seth Grant.
~ 600

Invertébré
~ 1500

Eucaryote unicellulaire

Procaryote

Début de
la vie :
~ 4000
millions
d’années

­ pparaissent très tôt au cours de l’évolution,


a
il y a environ 600-1000 millions d’années. La
synapse apparaît réutilisant des éléments
post-synaptiques comme les récepteurs déjà
présents des espèces qui les ont précédées et
y ajoutant les éléments pré-synaptiques dont
les neurotransmetteurs. Entre les invertébrés
et les vertébrés, on observe simplement une
complexification de ces réseaux : il apparaît
plus de récepteurs, des récepteurs de diffé-
rentes nature, plus complexes, des protéines
régulatrices, etc.
Il est certain que nous avons encore beaucoup
de travail pour comprendre le fonctionnement
cérébral. Nous allons faire d’immenses progrès
dans les décennies futures. Un jour peut-être,
tout nous apparaitra plus simple que nous l’ima-
ginons ! Comme le disait Constantin Brancusi,
« La simplicité est la complexité résolue » !
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