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Libéré(e)s, Délivré(e)s... ♫ ♪♫...

Je viens de lire « La comédie (in)humaine » (*), le dernier ouvrage de Julia de Funès et


Nicolas Bouzou sur les dérives du management dans pas mal d’entreprises aujourd’hui et du
mal-être et des frustrations qui en résultent. A tous ceux qui se posent des questions sur la
« machine à laver » dans laquelle ils ont l’impression d’être au boulot, ou à ceux qui
s’interrogent sur leur mode de management, je conseille vivement cette lecture
(investissement modique : 17 euros !). En 168 pages, les auteurs font une analyse lucide et
malheureusement réaliste des travers du management « moderne »:

 Ils décrivent les symptômes : réunions interminables qui ne débouchent sur rien,
reporting omniprésent qui tourne à la surveillance, team-building clownesques, etc..
avec des manifestations cliniques plus ou moins graves : burn-out (trop de pression,
trop de stress), bore-out (l’ennui au boulot), brown-out (« qu’est ce que je fais là ? »).
 Ils établissent le diagnostic. Si je devais résumer en deux points, je dirais : faiblesse
du leadership et perte de sens.
 Ils proposent des pistes pour en sortir. Ce que j’ai apprécié dans « La comédie
(in)humaine » c’est que les auteurs n’aboient pas avec la meute sur le thème « Tous
pourris » ou encore: le mal est consubstantiel de la nature de l’entreprise, voire c’est
une conséquence du capitalisme. Ils s’accordent pour dire que les dysfonctionnements
pointés sont des dérapages et qu’il est possible (avec quelques principes de bon sens)
de revenir à une pratique de la vie en entreprise plus apaisée, plus motivante, plus
épanouissante et finalement plus efficace. Je ne veux pas déflorer les « Cinq principes
pour travailler mieux » et les « Quinze propositions pour être plus efficace » avec
lesquels ils concluent ; j’en partage simplement deux exemples : supprimer les chartes
éthiques creuses ; agir contre l’inflation d’emails inutiles (ce fameux « cover-my-ass
syndrome » qui fait enfler les champs cc/ des messageries...).

J’ai trouvé dans le livre une confirmation d’une réalité que j’ai vue dans plusieurs grandes
entreprises – et j’y ai sans doute parfois contribué moi-même dans ma propre pratique
managériale... mais je me soigne !

En complément, je voudrais partager quelques idées qui constituent pour moi des piliers du
leadership:

1. Ne pas confondre leadership et management. Le management est une fonction de


gestion, d’organisation – qui a parfois tendance à trop pencher du côté du contrôle et
de la contrainte. Un des soucis majeurs avec le management c’est que trop souvent on
pousse des collaborateurs de talent vers des fonctions de management sans qu’ils y
soient préparés ou formés, parfois alors qu’ils pourraient mieux exprimer leur talent et
développer leur motivation dans des fonctions sans encadrement (dans des fonctions
d’expert par exemple). Sans parler du travers, que j’ai souvent rencontré dans les
sociétés de service où j’ai travaillé, qui consiste à faire du management une étape
« obligée » dans la carrière d’un collaborateur ou d’une collaboratrice. Comme le
notent J. de Funès et N. Bouzou, une fonction managériale est une compétence avant
d’être une promotion. Le management est une fonction nécessaire à la bonne marche
d’une entreprise (et il faut s’assurer que tout est mis en œuvre pour que les managers
exercent correctement leur fonction, soient formés et accompagnés pour le faire) mais
en aucun cas suffisante. La pierre angulaire est autre : c’est le leadership. Le
leadership c’est inspirer, guider, là où le management consiste à commander,
organiser, contrôler. Le leader est celui qui donne le « la », partage la vision
stratégique (qui n’est pas uniquement le fruit de son cerveau fécond... mais une
projection partagée avec les actionnaires et les collaborateurs), prend les décisions
structurantes pour assurer que les discours seront traduits en actes, s’assure de la
présence de talents et de leur épanouissement dans l’intérêt général, etc.

2. Le rôle du leader est de donner du sens. Trop souvent les dirigeants sont incapables
d’expliquer pourquoi l’entreprise est là, quelle est sa mission au-delà de faire croître le
chiffre d’affaires et gagner de l’argent. Ces dernières injonctions sont une exigence de
pérennité et les salariés la comprennent bien, mais nous avons tous besoin d’un
supplément d’âme pour arriver au bureau avec le sourire et accomplir nos missions
avec enthousiasme et, comme disent les anglo-saxons, « run the extra mile ». Le sens
c’est le « purpose », comme on aime bien dire chez les marketeurs, c’est l’objectif de
l’entreprise, sa mission. Les auteurs reviennent à l’étymologie de motivation : quel est
le motif de tout cela ? Sans tomber dans l’anecdote célèbre (vraie ou pas) du balayeur,
qui, à la question de J.F. Kennedy (« Que faites-vous à la NASA ? »), répondit « Je
contribue à envoyer un homme sur la Lune », chacun doit savoir quel est l’objet
social (sic) de la société et il est important que cette finalité soit partagée par tous et
que tous, chacun à sa place et dans sa fonction (commerciale, technique, comptable,
etc.), sachent comment ils s’inscrivent dans la réalisation de cet objectif. Il n’est pas
toujours aussi facile, de définir clairement un « purpose » noble comme DANONE
(« One Planet, One Health ») ou un laboratoire pharmaceutique (améliorer la santé de
ses concitoyens) mais il est nécessaire de savoir pourquoi l’entreprise existe, à quoi
elle sert et en conséquence pourquoi chaque employé est là. En l’absence de cette
clarification de la « mission », on finit par faire les choses mécaniquement, de manière
utilitariste, simplement pour payer son loyer et ses vacances, au lieu de faire du travail
un espace de réalisation de soi et d’épanouissement (on y passe quand même une
bonne moitié de notre temps éveillé).

3. Une des clés de la transformation des entreprises pour aller vers un modèle plus
efficace et plus épanouissant réside dans la capacité qu’elles auront à libérer les
énergies. Pour ce faire je suggère quelques principes :

 Autonomie & Confiance

Dans un post sur les entreprises agiles ("Acrobate ou agile ?"), j’écrivais l’an
dernier : « Les entreprises agiles sont optimistes, font confiance à la capacité
de leurs employés de résoudre les problèmes courants. » On ne peut
effectivement pas complètement exclure que nos collaborateurs soient intelligents,
connaissent leur métier et soient capables de résoudre les problèmes opérationnels
pour atteindre les objectifs fixés... (Ironie, pour ceux qui prendraient le propos au
premier degré...) Pour ce faire, deux conditions : 1) une culture de la confiance (qui
implique une part d’abandon du contrôle) et 2) une organisation plus simple et légère
qui favorise l’autonomie, avec des unités opérationnelles et des employés qui ont des
missions claires. Manager par la confiance c'est le mantra de Pascal Demurger chez
MAIF, qui en fait un levier de performance. Quand le Ritz-Carlton de New-York
alloue à ses personnels de chambre un budget annuel de 2000 dollars pour agir dans
l'intérêt des clients, donc du business, comme par exemple offrir une coupe de
champagne à une cliente pour son anniversaire, l'action - prompte et concrète - est au
plus proche du client - qui apprécie l'attention et s'en trouvera satisfait voire plus (le
fameux "enchantement" ?) - et l'employé apprécie de pouvoir prendre une décision qui
sort de son périmètre direct de fonction (cité par Capital, 2012). Cela dit, comme on
disait dans la Marine Nationale dans mon jeune temps: "La confiance n'exclut pas le
contrôle" ; tout est affaire de mesure, sans créer de climat de surveillance. Et en même
temps (!) autonomie et confiance ne signifient pas faire n'importe quoi suivant ses
envies: l'entreprise reste le cadre avec ses règles et ses objectifs.

 Talents individuels & Diversité

Une entreprise est riche des individus qui la composent. Aucune entreprise ne réussit
sur la base d’un collectif mou où aucune tête ne dépasse. Les modes récentes des
séminaires de leadership ont popularisé les happenings collectifs pour trouver des
idées ou créer de nouvelles dynamiques. Peine perdue. Je crois en la force des talents
individuels (le terme « talent » est galvaudé et remplace trop souvent celui d’employé
dans la communication) qui, travaillant ensemble et alignés sur un objectif commun,
vont constituer une équipe forte. J’ajouterais qu’il est crucial que le choix des talents
cultive la diversité (voir mon post « Diversity is good ! »). Manager des talents c'est
parfois sportif (l'analogie du sport fonctionne bien ici, on imagine qu'il n'est pas facile
de manager les stars et les ego du vestiaire du Real Madrid) mais tellement plus riche
et puissant quand tous s'entendent pour aller dans la même direction. Recruter et
développer les talents individuels c'est aussi entretenir une culture de l'excellence et ne
pas tolérer la médiocrité.
 Goût du risque & Liberté d’essayer

Trop d’entreprises sont paralysées par la volonté de tout contrôler et la peur d’échouer.
Les grandes réussites et la croissance forte passent par une prise de risque pour tester
de nouveaux produits, aller conquérir de nouveaux marchés, innover et développer de
nouvelles technologies... sans garantie préalable de succès. Et ces initiatives et projets
sont souvent excitantes pour les équipes qui les lancent. Malheureusement l’exigence
d’un retour sur investissement « certain » à court terme, la volonté de ne pas trop
perdre au cas où cela ne marcherait pas, tout autant qu’une culture qui stigmatise
l’échec et recherche les « coupables » quand un projet rate, sont autant de facteurs qui
n’incitent pas à innover ou à sortir du cadre. Etant entendu que prendre des risques ne
signifie pas sauter de l’avion aveuglément... Et que prudence, préparation, évaluation
des différents scénarios ne signifient pas inaction.

 Latitude de « vagabonder »

Un esprit créatif a besoin de temps, d’espace et d’air pour être fécond. Outre la
nécessité de garder des moments pour la vie personnelle pour rester en pleine forme
(le fameux « work life balance ») – et parce que la vie ne se résume pas au boulot – il
est important de garder dans son agenda des moments pour lire, surfer sur le web,
réfléchir, rencontrer des gens, sans que cela ne soit directement relié à un projet ou à
un client, aller à des conférences... pour humer l’air du temps, s’enrichir des
expériences des autres, flairer les tendances... C’est le temps « libre » que Charles-
Edouard Bouée, patron du cabinet de conseil Roland Berger, consacre à que qu'il
appelle la « prospective ».

Sans doute, beaucoup des points soulevés dans le livre et des travers dénoncés ne concernent-
ils que les grandes entreprises. Dans les TPE/PME les organigrammes sont souvent plus
simples et les relations humaines moins désincarnées. Les mêmes principes de bon sens
peuvent s’y appliquer aussi pour le bénéfice de tous et de chacun: sens, confiance,
autonomie...

Bonne lecture.

Jean-Michel JANOUEIX

(Septembre 2018)

(*) « La comédie (in)humaine ». Nicolas Bouzou & Julia de Funès – Editions de


l’Observatoire

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