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JOSEF KOUDELKA : QU’EST-CE QUI NOUS REND LIBRES ?


Texte : Andrey Troïtsky
Photographies : Josef Koudelka

Bonjour à tous. Aujourd’hui je vais parler de Josef Koudelka. Ce photographe réputé


d’origine Tchèque est célèbre par ces images iconiques qui ont fait quelque révolution dans
le monde de photographie. Koudelka a proposé un tel regard sur la réalité externe qui lance
un défi à notre perception et à notre pratique artistique. Mais avant d’analyser en détail
quel est le défi que portent en eux ses œuvres, il est nécessaire de raconter en bref de
l’auteur-même.

Le premier projet qui a rendu Koudelka très célèbre était sa série intitulée « L’invasion ».
Elle racontait de dix jours d’août, quand en 1968 les chars soviétiques ont envahi Prague
pour réprimer à l’aide d’armes les réformes démocratiques qui ont été commencé peu
avant cela en Tchécoslovaquie.

Permettez-moi une légère digression. On doit admettre que l’histoire se répète, et


aujourd’hui le gouvernement de la Russie mène une guerre sanglante en Ukraine en
cherchant, comme autrefois, écraser la liberté et l’indépendance dans l’autre pays.
Évidemment cela était pendant beaucoup des générations, et continue à être maintenant,
un paradigme principal du pouvoir Russe – il voulait toujours asservir ses citoyens comme
les autres peuples, parce qu’il voit le monde comme une prison. On peut dire que ceci est
une formule de son existence, et si quelque société tente à construire sa vie sur les
principes de la liberté – cela est considéré par le pouvoir russe comme un vrai défi.

En fait ma digression est liée étroitement avec le thème qui passe à travers toute la carrière
artistique de Koudelka. Non, après la série « L’invasion » il ne s’occupait pas de critiquer
L’URSS et cependant on peut formuler le thème de son art comme la recherche de la
liberté. Qu’est-ce que c’est – la liberté ? Pourquoi Koudelka était-il si intéressé par ce
phénomène ?
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Regardez les œuvres du livre « L’invasion » qui contient plus de 200 photos choisies par
l’auteur. Je veux attirer votre attention sur un aspect : la série raconte de l’invasion de
l’armée soviétique mais en même temps les photos semblent parler une autre chose. Il en
reste un sentiment aigu de la liberté – elle est dans ces visages des Praguois, elle est dans
leurs gestes, dans leurs yeux, elle est même dans les funérailles des étudiants tués par les
militaires soviétiques, elle est dans un homme qui, d’indignation, jette une pierre au char
soviétique. Donc c’est justement ce sentiment de la liberté et pas une agression, pas la
guerre qui reste comme un sujet de la série.

Voilà comment Koudelka lui-même disait de cela : « Ce n’était pas à cause d’un grand
courage que je photographiais, mais parce que c’était une situation extrême, et quelque
chose est sorti de moi, peut-être le meilleur en moi. Il m’est arrivé comme aussi pour la
plupart des gens qui étaient aux rues ces jours-là ». Cette citation est de son entretien pour
le festival Look3.

Vraiment, je ne pourrais pas trouver des projets pleins de tel esprit de la liberté. Regardez
ces gens-ci. Oui, dans peu de temps la société en Tchécoslovaquie saura des repressions, le
printemps finira, mais en ce moment, quand étaient faites ces photos, ces gens se sentent
libres.

Ce thème – la liberté – deviendra déterminant pour Josef Koudelka. Toute sa vie ultérieure
sera construite autour d’elle. Deux ans plus tard il ira en exil qui durera vingt années, et sa
façon de vie peut être décrit comme la vie de vagabond ou même la vie d’un moine errant
qui a refusé de l’idée de la propriété, bien qu’il ne s’occupât jamais par des questions
religieuses. La liberté comme le thème principal de son art ne signifie pas que toutes les
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photographies de Koudelka sont les images de la liberté mais son esprit semble dissous
dans son regard.

Maintenant, après parler brièvement de l’auteur, je vais expliquer de quelle sorte du défi
j’ai parlé au début. Ce défi que nous lancent les œuvres de Koudelka est lié avec une
tentative d’exprimer par l’image visuelle cette notion – la liberté. Ses photos nous posent
une question : pouvons-nous découvrir notre propre regard libre ?

La photographie confirme avec une évidence suffisante une thèse qu’un artiste participe
dans la création d’un œuvre avec la totalité de son être. Bien-sûr, la photographie semble
se créer sans auteur – il y a un charme irrésistible dans un épreuve qui représente une
certaine réalité objective. Et cependant, choisissant un moment, un point d’observation et
un fragment de la réalité parmi d’immense quantité des options, l’auteur transmet par ce
choix son regard. Des actions du photographe, son déplacement dans l’espace, ce choix
permanent qu’il fait à propos du sujet de son observation – tout ça est définit par le
caractère de son attention.

Mais peut-être on exige trop de la photographie ? Peut-elle répondre à une question


pareille – qu’est que la liberté ? Comment comprend-on la liberté ? On ne peut pas trouver
dans le monde tel objet ou quelque espace dont on pourrait dire : « Voilà – c’est la liberté ».
Non. La liberté c’est notre état intérieur qui est lié seulement en partie avec les aspects
physiques. Pourquoi ? Parce que la liberté n’est pas l’état de notre corps mais l’état de
conscience. De son origine notre corps est une limitation. Son existence engendre en
apparence la non-liberté. Par exemple si quelqu’un voulait limiter ma liberté, un moyen
efficace serait de limiter mes déplacements dans l’espace. Mais dans une situation
ordinaire notre corps est aussi limité. On ne peut pas, suivant sa pensée, se déplacer
immédiatement dans un endroit préféré. On ne peut pas surmonter la gravité terrestre, on
ne peut pas se laisser sans nourriture, sans eau, sans chaleur. C’est-à-dire notre existence
liée avec le corps représente une limitation, et au contraire, on perçoit la liberté comme un
phénomène de notre conscience. Dans ce cas on peut poser une question : comment peut-
on exprimer telle notion que la liberté au moyen d’une image figurative – c’est-à-dire par
une image qui représente des fragments de la réalité physique, qui sont très limités ?

La réponse à cette question est telle qu’outre les objets du monde extérieur la
photographie présente aussi un regard, autrement dit – une certaine unité des sentiments
et des pensées de l’auteur, et cette unité, métaphoriquement dit, s’infiltre à travers la
surface des objets et des situations représentées. Cet « unité » n’est pas donné comme un
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certain objet qui est enregistré par la caméra, cependant nous, spectateurs, pouvons
discerner dans l’image ce regard, cette unité, principalement parce que l’image peut
toucher nos sentiments. Pour qu’une prise de vue pouvait exprimer telle notion
insaisissable comme la liberté il faudrait que le regard du photographe serait rempli de son
compréhension personnel est intuitive – et dans ce cas il sera porteur de sentiments.

Je voudrais analyser les oeuvres de l’autre célèbre projet de Josef Koudelka – « Exils », sur
laquelle il travaillait de 71 à 87, c’est à dire plus de 15 ans. On peut noter dans ces images
deux aspects très intéressants. Le premier consiste à ce que ces photographies, quoique
documentaires, laissent une impression d’une certaine fantasmagorie – de quelque chose
qui s’arrive malgré notre expérience quotidienne. Le deuxième, peut-être moins visible,
consiste à une représentation spéciale de l’évènement enregistré sur la pellicule. Je vais
d’abord m’arrêter sur le dernier.

Nous sommes habitués qu’un évènement se trouve dans une rangée « avant » et « après ».
En général chaque évènement est lié avec des changements, et défini par ceux-ci. Par
exemple, une chose qui était absente apparait ou, au contraire, disparait ou il s’arrive un
tournant. Donc un évènement porte en lui quelque chose qui l’antécédait et aussi notre
supposition de ce qui va arriver. Cependant les photos de Koudelka sortent de ce
conditionnement, puisque dans ces images ce qui se passe en présent éclipse ce « avant »
et « après » - il semble que l’évènement est exclusivement en présent. Pourquoi cela arrive-
t-il ? Cela arrive parce que les images de Koudelka en quelque genre présentent deux
évènements. L’un se déroule dans un monde physique, l’autre – dans un monde de
l’intuition. Voilà c’est pourquoi les images de Koudelka donnent cette impression de
fantasmagorie, quoique nous sommes convaincus qu’elles sont documentaires.
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Regardez cette photo filmée en Irlande en 1976. Quelle est cet évènement saisi par le
photographe ? Quatre hommes sont venus aux toilettes à ciel ouvert clôturées avec du fil
barbelé. Ceci est l’évènement ? Non. Cet évènement qui se déroule dans le mode physique
est très banal, de plus – il ne donne aucunes options à propos des moments « avant » et
« après ». « Avant » ces quatre hommes sont venus ici, « après » ils vont sortir. Dans ce
sens « avant » et « après » sont si évidents qu’ils n’ont plus de signification. Cependant
l’évènement qui se déroule au niveau de la fantasmagorie ou de l’intuition devient quelque
chose énigmatique et grandiose. Tout d’un coup l’espace se divise par l’ombre et la lumière
en deux moitiés, comme si quelqu’un a tracé une frontière entre le bien et le mal, la
connaissance et l’ignorance, et dans cet espace apparaissent comme des signes quatre
personnages tandis que trois entre eux sont habillés à la même façon – dans leurs
manteaux noirs avec les képis à carreaux – comme si c’était leur uniforme, et seulement le
quatrième en se diffère. Notre pensée n’est pas prête à admettre une pareille séparation
dans la nature humaine, mais notre œil saisit immédiatement cet évènement fantastique
– l’univers dans lequel se trouve ces quatre, juste maintenant devant nos yeux s’est divisé
en deux. Il en reste de décider – dans quelle moitie vas-tu pisser. Et peut-être c’est aussi
notre univers ? A propos de cet évènement il est nécessaire d’ajouter qu’il ne contient
quelque réponse et en même temps provoque dans notre perception une question.

Ce niveau que j’ai indiqué comme la fantasmagorie ou le niveau de l’intuition est en fait le
regard d’auteur et de plus – le regard unique. La présence de telles images où on peut
séparer une partie physique – ce qu’on voit – et le regard-même, pose devant nous une
question fondamentale : comment peut-on découvrir ce regard dans notre conscience ?
Bien-sûr je ne vous convaincs pas à photographier au style de Koudelka, je dis d’une autre
chose : comment peut-on découvrir le regard qui est séparé des objets observés ? Voilà
réellement quel est le défi que portent en eux les images de Josef Koudelka. Plusieurs
spectateurs des ses oeuvres souvent posaient des questions : que doit-on ressentir et sous
quel angle faut-il regarder pour voir le monde comme ci ? Parce que dans les photos de
Koudelka vous observer deux mondes : l’un est un monde des objets et des évènements
externes, l’autre c’est son l’envers caché, et il semble d’impossible à le voire de l’œil nu.

Essayons à le découvrir. Et il faut commencer par ce comment fonctionne-il notre propre


regard. En effet, pourquoi le regard d’une personne peut observer l’envers caché des
phénomènes et le regard d’une autre – non ? Je vais poser cette question autrement : à
quel mesure notre regard est vraiment notre regard personnel ? Est-il correct de dire à
propos du regard en termes de l’appropriation ? – comme on peut dire de notre corps
lequel nous appartiens. On ne devient pas automatiquement l’auteur et l’origine d’une
pensée par ce fait qu’elle surgit dans notre conscience. Ce dernier nous apparait assez
raisonnable mais en ce cas pourquoi on ne peut pas dire le même à propos du regard ?

On peut comprendre sous le regard un certain ensemble, une unité de nos sentiments et
représentations. Dans ce cas on peut dire que ce qu’on appelle « le regard » est proche à
la notion de « la réalité intersubjective ». Qu’est-ce que c’est ? « La réalité intersubjective »
– c’est un espace mental lequel est formé en notre conscience au cours de notre
communication dans la société. Ce phénomène laisse des gens à communiquer,
comprendre l’un l’autre, poser des cibles communes et par cela s’unir, faire quelque chose
ensemble, réaliser quelque chose. Cependant, avec la capacité d’unir les gens – ce qui est
un aspect positif – « la réalité intersubjective » a d’autre aspect – elle devient une façon
d’aliénation, en quelque genre – une clôture intérieure, au-delà de laquelle on a peur de
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sortir. Une caractéristique de la réalité intersubjective est celle qu’on ne la voit pas comme
une chose d’extérieur, alors qu’elle est formée par notre éducation, nos parents, par la
société et l’état, par des différents interdictions, règles et règlements – c’est-à-dire, par la
communication dans la société.

Lorsqu’on dit qu’on voit le monde et des évènements d’une certaine façon, on part d’une
position qu’un évènement n’est que celui-ci à cause de ses propriétés. Par exemple, un
paysage qu’on observe peut nous apparaitre comme triste, et on peut croire que sa
tristesse – c’est une caractéristique de ce terrain ou de ce moment, ou de cette lumière
avec laquelle on l’observe. Mais à vrai dire « ce que je vois » est tout d’abord « comment je
vois ». Ce « comment » en gros partie peut se conditionner par la réalité intersubjective, et
dans ce cas notre regard n’est pas notre regard. Plus précis – il y a quelque chose dans
notre regard qui est de notre expérience personnelle, il y a quelque chose de la société et
quelque chose a les racines archaïques descendant vers l’inconscient collectif.

Le problème du regard personnel consiste à ce que dans la société on est fermé à l’intérieur
de la réalité intersubjective qui entrave notre individualité, en quelque sorte nous aliène
notre individualité. La complexité principale est celle qu’il est difficile pour nous de séparer
le regard de ces choses lesquelles on voit. Je pense qu’on peut indiquer très peu de gens
dans notre milieu qui se posaient à eux-mêmes une question : « Pourquoi je vois quelque
chose d’une certaine façon et pas de l’autre ? La raison n’est pas de quelque refus des
questions pareilles mais de ce que notre regard – c’est-à-dire ce qu’on identifie comme les
formes visibles – est pratiquement non-alternatif. On n’a pas de choix – voir quelque chose
d’une manière ou d’une autre. C’est pourquoi la présence de l’art dans notre vie est
beaucoup importante, parce qu’il nous permet d’affronter un regard alternatif, en quelque
sorte – l’emprunter.
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Je ne veux pas dire qu’il est impossible pour nous d’aller au-delà des représentations
communes, mais je voulais discerner la racine du problème. Revenons aux œuvres de
Koudelka. Sa vision brise la voile de l’habituel, en découvrant derrières elle un espace caché
qui est énigmatique et attirant à la fois.

Voilà une photo très connue, filmé en 1987 – un chien dans un parc d’hiver. C’est un
évènement quotidien, ordinaire – un chien en promenade traverse l’espace enneigé d’une
pelouse, et en même temps c’est un évènement non-quotidien et non-ordinaire : le chien
dans cet espace du parc apparait comme un fantôme, comme si c’était Méphistophélès en
forme de chien surgir devant Faust. Pas tout à fait qu’on a une représentation claire à quoi
ressemblent les fantômes, mais à la fin c’est une impression qui nait en regardant cette
image. Cette impression est créée par le regard du photographe, il a vu cette scène de cette
façon.

Je pourrais constater que l’impression d’un chien-fantôme, elle s’organise par trois aspects
visuels : le premier c’est le dynamisme d’un mouvement saisi – il est à la fois fugace et
symétrique ; le deuxième c’est la composition – deux côtés du parc ont un air de se planer
dans le vide enneigé au-dessus du corps de chien ; le troisième c’est la construction tonale
de cette photo – le chien est absolument noir, sans aucune texture, comme un trou aux
ténèbres découpé dans le papier. Cependant c’est une analyse de la photo déjà faite et le
regard la précédait. Dans ce regard il n’y avait pas d’analyse des éléments visuelles mais il
y avait une autre chose. Quoi ? C’est comme une découverte momentanée, une révélation
qui a été fixé par la photo. Cette révélation est en ce que le photographe, dans l’espace
réel du parc, a vu, a découvert une certaine situation ou même une loi de l’existence – de
sa propre existence et du monde des phénomènes – qui dans cet évènement s’est révélé
en tant qu’une illusion. Un artiste pense au moyen de son regard, il est totalement intuitif.
A la fin de la conversation d’aujourd’hui je veux revenir encore une fois à cette question
très important que posent devant nous les œuvres de Koudelka. Comment pouvons-nous
découvrir notre propre regard libre ?

Évidemment, en regardant ses images on ne peut pas recevoir une recette ou quelque
instruction pour l’obtenir. Cependant, je crois qu’affronter ce problème est déjà faire un
pas en avant. Le regard personnel, comme aussi chaque phénomène, a son origine et sa
raison. Sa possibilité ne provient pas du simple fait que nous le déclarons. Ce regard est un
résultat de notre travail intellectuel et moral, qui n’est pas séparé de toute notre vie. Une
pareille conclusion, quoique raisonnable, ne ressemble pas à quelque chose qui peut nous
inspirer, parce qu’elle attire notre attention pour un problème. En contraste avec elle les
œuvres de Koudelka veulent nous dire une autre chose : notre esprit créatif n’est pas une
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somme des représentations, il n’est pas nécessaire de construire notre regard authentique
puisque la seule authenticité qu’on possède – c’est notre sincérité, en elle il y a une
possibilité de la liberté pour nous.

Notre regard est déjà ici – simplement il faut l’oser, comme autrefois l’a osé Josef Koudelka
ou les autres maitres. Nous devons nous permettre de voir ce monde par notre vision
personnelle et pas par les yeux de la société, la religion, l’état ou n’importe quel autre
système. Bien-sûr le regard personnel est lié avec la responsabilité car, après avoir
commencé ce chemin de recherche, nous devenons responsables de la façon dont nous
voyons ce monde. Cependant, notre regard, après que nous l’avons trouvé, c’est une chose
que personne ne peut nous enlever parce que ce regard est nous-mêmes. Je vous remercie.

Publié sur la chaine YouTube – Andrey Troitsky – en mars 2023

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