Cas clinique

La prothèse composite
dans la gestion esthétique
et biomécanique d’un édentement
unilatéral de grande étendue
H. Benyahia, L. Fajri, H. Rohkssi
N. Merzouk, S. Berrada
Chirurgiens-dentistes

Quelles sont les difficultés liées

à la réhabilitation des édentements
de classe II de grande étendue ?
Pourquoi concevoir et matérialiser
un projet prothétique ?

L
Quelles sont les étapes de réalisation
a réhabilitation des édentements termi-
d’une prothèse composite ?
naux unilatéraux de grande étendue par
prothèse amovible partielle métallique
(PAPIM) conventionnelle pose plusieurs
problèmes essentiellement d’ordre biomé-
canique mais aussi esthétique.
En effet, soumise aux forces de mastication, la pro-
thèse est sujette à un ensemble de mouvements para-
sites inhérents à la topographie de l’édentement d’une
part, et aux structures d’appui aux comportements dif-
férents d’autre part, ce qui nuit à sa stabilité.
Ce type de réhabilitation semble induire une certaine
insatisfaction de la part des patients, qui non seule-
Les auteurs déclarent
ment souffrent de son amovibilité, mais surtout de
ne pas avoir de lien d’intérêt.
l’aspect inesthétique occasionné inévitablement par

Stratégie prothétique mai-juin 2016 • vol 16, n° 3

1
Prothèse composite - H. Benyahia et coll.
1 2a b c
3a b
1. Vue exobuccale. le bras vestibulaire des crochets métal-
Soutiens jugual et labial liques au niveau du secteur visible et par
insuffisants.
la fausse gencive.
2a à c. Vues Sur le plan fonctionnel, la barre cingulaire,
endobuccales. indispensable dans ce type d’édente-
3a et b. Anciennes ment, assure en partie la fonction de gui-
prothèses de la patiente. dage, cependant elle reste tributaire des
rapports d’occlusion antérieurs et impose
souvent une surélévation de la DVO (1).
Dans ce cadre, le recours à la prothèse
composite permet de pallier la majo-
rité de ces problèmes. Cependant, elle
ne peut être envisagée que lorsque les
dents résiduelles présentent un préjudice
esthétique, un délabrement important, ou
encore dans le cas de parodonte affaibli
nécessitant leur contention.
La séquence opératoire de ce type de
restauration sera détaillée à travers d’un
cas clinique, en soulignant les avantages
offerts par la prothèse composite dans la
gestion fonctionnelle et esthétique des
édentements terminaux unilatéraux de
grande étendue.
Stratégie prothétique mai-juin 2016 • vol 16, n° 3
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Observation clinique
Il s’agit d’une patiente âgée de 72 ans,
qui se présente en consultation pour des
doléances d’ordres fonctionnel et esthé-
tique en rapport avec sa prothèse com-
posite maxillaire et sa prothèse amovible
complète (PAC) mandibulaire (fig. 1, 2, 3).
En effet, le déficit esthétique est majeur
sur le plan exobuccal et surtout au sourire
installé révélant :
- un lichen plan, plus sévère au niveau de la
gencive des dents antérieures maxillaires,
- des dents antérieures inesthétiques por-
teuses de restaurations défectueuses au
composite sur 11, 12 et 21, opaques et en
vestibulo version, non compatibles avec
les souhaits esthétiques de la patiente,
- prothèse composite de conception erro-
née associant un bridge (CCM) de 17 à
13 à une PAPIM compensant un édente-
ment de classe II de Kennedy-Applegate.
Les restaurations fixées sont inadaptées
au niveau cervical et ne présentent aucun
fraisage nécessaire au port de la PAPIM,

elles déterminent une courbe occlusale
accentuée dépassant le plan d’occlusion
physiologique. La PAPIM, munie d’un dis-
positif de rétention esthétique au moyen
d’un attachement extracoronaire sur 22
non résilient, restaure un édentement
terminal unilatéral de grande étendue.
On note par ailleurs, une rupture nette de
la transition entre la fausse gencive et la
gencive naturelle,
- une PAC restaurant l’édentement com-
plet mandibulaire jugée très instable, asso-
ciée à des irritations ostéo-muqueuses
occasionnées par la prédominance de la
mastication unilatérale droite.
L’examen occlusal révèle :
- une DVO diminuée par l’usure accentuée
des dents prothétiques,
- un plan d’occlusion perturbé, avec une
courbe de Spee accentuée,
- une perte de calage postérieur, un pro-
glissement mandibulaire et une surcharge
des dents antérieures en rapport avec
l’usure des dents prothétiques,
- des rapports squelettiques de classe II
d’Angle.
Objectifs thérapeutiques
Ils tiennent compte des doléances et exi-
gences de la patiente et s’inscrivent dans
le cadre d’une démarche globale de réha-
bilitation à savoir :
- prendre en charge le lichen plan selon un
protocole admis, et assurer un suivi régu-
lier de son évolution,
- gérer le facteur esthétique et bioméca-
nique de la PAPIM maxillaire,
- restaurer l’édentement unilatéral termi-
nal en respectant les impératifs esthé-
tiques et biomécaniques, tout en tenant
compte du décalage interarcade,
- rétablir les paramètres occlusaux : DVO,
plan d’occlusion et centrage mandibulaire
compatibles avec la stabilité de la PAC
mandibulaire,
- optimiser l’équilibre prothétique chez
une patiente réticente et qui redoute un
nouvel échec thérapeutique.
• Décision thérapeutique
Après présentation à la patiente de toutes
les éventualités thérapeutiques possibles,
la décision retenue est :
Stratégie prothétique mai-juin 2016 • vol 16, n° 3
Cas clinique
- au maxillaire : réalisation
d’une prothèse combinée
associant un bridge de 17
à 23 en intégrant 12, 11, 21
avec 23 en extension, qui
liera le bridge à la PAPIM
compensant la classe II
de Kenney-Appelgate par
l’intermédiaire d’un atta-
chement extracoronaire
supporté par la 23,
- à la mandibule : Prothèse
Amovible Complète stabili-
sée sur implants (PACSI).
• Conception et matéria-
lisation du projet pro-
thétique
L’enregistrement de l’occlu-
sion est effectué par les
anciennes prothèses de la
patiente en relation centrée
et à la bonne dimension ver-
ticale d’occlusion, au moyen
d’un articulé de Tench.
Le montage des modèles
4
sur articulateur présente
un double intérêt :
- analyser le plan d’oc-
clusion selon la tech -
nique géométrique de
Wadsworth (fig. 4),
- élaborer le projet prothé-
tique, grâce à un montage
directeur simulant les pro-
thèses amovibles et sculp-
ture des dents restantes
par meulage sélectif pour
désaccentuer la courbe
de Spee en fonction de la
détermination préalable du
5
plan d’occlusion.
Ledit projet permet de
4. Détermination
juger du volume prothétique utilisable du plan d’occlusion
(VPU) et conditionne le choix des dimen- selon la technique
sions de l’attachement (2). La hauteur doit de Wadsworth.
permettre l’intégration à la fois de l’atta- 5. évaluation de la hauteur
chement, de la dent prothétique et d’une prothétique utilisable.
épaisseur de résine suffisante compatible
avec un rendu esthétique et une résis-
tance suffisante de cette dernière.
Le montage directeur issu du projet pro-
thétique va permettre de (fig. 5) :
3
Prothèse composite - H. Benyahia et coll.
6a b
6a et b. Montage
directeur matérialisant
le projet prothétique.
7. Mise en place
des provisoires issus
de la polymérisation
du montage directeur.
7 manducatrices.
- valider le rendu esthétique, plus précisé-
ment le soutien labial et la DVO,
- réaliser les clés vestibulaires et linguales,
guidant le positionnement des attache-
ments et la préparation dentaire périphé-
rique des moignons supports du bridge,
- concrétiser le schéma occluso-prothé-
tique assurant l’équilibre de la PAC man-
dibulaire, basé sur le respect du concept
d’occlusion bilatéralement équilibrée :
en statique : des contacts généralisés
et une inocclusion antérieure ;
en diduction droite et gauche : une
fonction de groupe et des contacts équi-
librants obtenus grâce à un faible recou-
vrement canin et une accentuation de la
courbe de Wilson ;
en propulsion : des contacts équili-
brants postérieurs obtenus grâce à un
faible recouvrement antérieur, l’accentua-
tion de la courbe de Spee et le choix d’une
angulation cuspidienne adéquate.
Ce montage directeur constitue égale-
ment un excellent outil de communication
indispensable à la triade praticien-prothé-
siste-patient (3, 4) (fig. 6).
Stratégie prothétique mai-juin 2016 • vol 16, n° 3
4
Les prothèses transitoires, le MDP, outil
d’enregistrement et de transfert des
données occlusales, et le guide radiogra-
phique sont obtenus par polymérisation
du montage directeur.
La mise en place des prothèses transi-
toires permettra de valider le projet pro-
thétique et de répondre transitoirement
aux doléances esthétiques et surtout de
pouvoir assurer l’ensemble des fonctions
Les prothèses transitoires permettent
aussi de tester et de corriger la fonction-
nalité de la proposition thérapeutique,
durant une phase de temporisation. La
morphologie palatine du bloc incisivo-
canin maxillaire conditionne la qualité du
guidage et doit être en harmonie avec les
déterminants postérieurs de l’occlusion ;
les contacts occlusaux sont affinés au fur
et à mesure en fonction du cycle mastica-
toire de la patiente (1).
Thérapeutique pré-
prothétique
Les thérapeutiques préprothétiques ont
consisté essentiellement en :
• la prise en charge du lichen plan de la
patiente qui a été placée sous anti-inflam-
matoires stéroïdiens (AIS) ce qui a permis
de retrouver un état assaini de sa gencive,
condition souhaitable avant la réalisation
de la prothèse d’usage,
• une mise en condition à la mandibule,
a été réalisée à l’aide d’une résine à prise
retardée afin d’assurer un assainissement
tissulaire, pour un confort optimal de la
patiente (fig. 7),
 Cas clinique

8 9a b

• les traitements endodontiques sont

exécutés sur la 12, 11, 21 et 22 pour des
nécessités prothétiques.

Élaboration
de la prothèse fixée
Le tracé prospectif du châssis (fig. 8) est
un préalable indispensable qui guide la
réalisation des fraisages dont la concep-
tion doit permettre d’obtenir un rapport de
force le plus favorable à l’équilibre prothé-
tique, pour cela :
- une barre corono-cingulaire est de règle,
la dent en extension permet de diminuer
le bras de levier, de garantir une meilleure
transition entre fausse gencive et gencive
naturelle et de loger l’attachement OT
résilient en épaisseur ; 10
- la situation postérieure du crochet per-
met de répondre à la demande esthétique
et d’optimiser la stabilité de la PAPIM ;
- enfin, la rétention assurée par les appuis Le tracé prospectif associé à une fiche 8. Tracé prospectif.
indirects s’oppose à tout soulèvement de la détaillée est fourni au laboratoire pour la 9a et b. Préparations
prothèse par rapport à sa surface d’appui. réalisation de l’armature métallique du dentaires prenant
La préparation des dents doit prévoir l’es- bridge CCM. en compte l’espace
pace nécessaire aux différents fraisages Les fraisages sont des éléments essen- nécessaire aux fraisages.
sans pour autant les fragiliser, surtout que tiels pour la stabilisation des prothèses 10. Empreinte
pour ce cas, le recours aux ancrages radi- composites, leur confection au laboratoire des préparations réalisée
culaires s’avère peu utile (fig. 9). fait appel à deux méthodes différentes : en un seul temps
Les limites sous-gingivales imposent la - soit par fraisage de la maquette en cire entraînant le MDP.
mise en place du cordonnet rétracteur pour de la prothèse fixée ;
une meilleure lecture des limites cervicales. - ou réalisation à partir de préformes de
L’empreinte est prise à l’aide d’un élasto- glissières calcinables (5).
mère réticulant par addition, en un seul L’essayage de l’armature permet de vali-
temps, utilisant un porte-empreinte de der l’adaptation cervicale, l’espace dévolu
commerce et entraînant le MDP, afin de au cosmétique par rapport aux données
faciliter le transfert des modèles sur arti- esthétiques et occlusales et l’emplace-
culateur selon les données occlusales pré- ment de la partie mâle de l’attachement
alablement validées lors de l’élaboration à distance de la muqueuse (fig. 11 et 12)
du projet prothétique (fig. 10). (6).

Stratégie prothétique mai-juin 2016 • vol 16, n° 3

5
Prothèse composite - H. Benyahia et coll.
11 12
13a b
11. Validation
de l’adaptation des chapes
Réalisation du châssis
sur modèle. métallique de la PAPIM
Compte tenu de l’étendue de surfaces
12. Evaluation de l’espace
fraisées et de leur configuration, un scel-
dévolu au cosmétique.
lement différé a été décidé. En effet, le
13a et b. Essayage transfert des couronnes au laboratoire
des restaurations
par l’intermédiaire de l’empreinte permet
céramiques à l’état
de biscuit. au prothésiste de réaliser le châssis sans
risque d’altération que représenterait une
reproduction en plâtre (fig. 13) (10).
Les couronnes sont positionnées sur leurs
moignons à l’aide d’un élastomère basse
viscosité pour assurer un ajustement par-
fait et identique à celui qu’elles occupe-
raient une fois scellées définitivement.
L’enregistrement de la surface d’appui doit
tenir compte de la différence de dépres-
sibilité entre les deux structures d’appui
dento-parodontale et ostéo-muqueuse,
l’empreinte se fait donc en deux temps ;
Stratégie prothétique mai-juin 2016 • vol 16, n° 3
6
après remarginage et surfaçage au poly-
sulfure de type Permlastic ® du montage
directeur polymérisé, faisant office d’un
porte-empreinte individuel, l’ensemble
sera entraîné dans un PE de commerce
garni d’un élastomère en double visco-
sité (fig. 14). Le châssis, une fois confec-
tionné, est validé sur modèle puis en
bouche. L’essayage permet de vérifier l’in-
sertion, l’adaptation et l’équilibre du châs-
sis, ainsi que la rétention et l’occlusion.
L’efficacité des crochets et leur situation
à distance de la gencive sont également
contrôlées (fig. 15) (8, 9).
Précision du rapport
maxillo-mandibulaire
et montage des dents
Dans ce cas clinique, nous avons eu
recours à l’utilisation de la réplique du

14 15a b
16 17
montage directeur pour l’enregistrement
des paramètres occlusaux, ce qui permet le
transfert de l’ensemble des données occlu-
sales, préalablement validées. Le montage
des dents prothétiques doit répondre aux
règles de montage fonctionnel en assurant
une harmonisation des courbes occlusales
conformément au schéma occluso-prothé-
tique retenu (fig. 16 et 17).
Conclusion
Les réhabilitations globales par pro-
thèse composite nécessitent une grande
rigueur, respect, maîtrise de chaque
étape, et une collaboration étroite avec le
prothésiste de laboratoire.
L’édentement de classe II de Kennedy-
Applegate apparaît comme la classe
d’édentement la plus complexe à traiter
sur le plan de la biomécanique. En effet,
Stratégie prothétique mai-juin 2016 • vol 16, n° 3
Cas clinique
l’unilatéralité rend les forces occlusales 14. Empreinte secondaire
asymétriques et difficiles à maîtriser. entraînant les couronnes
Aussi, l’édentement terminal, lorsqu’il est fixées pour la réalisation
de grande étendue, impose des crochets du châssis.
au niveau du secteur antérieur, mal appré- 15a. Validation du châssis
ciés de la part de nos patients. sur modèle…
Dans ce cadre, la prothèse composite b. …et en bouche.
offre plusieurs avantages, lorsque l’indi- 16. Résultat final.
cation de la prothèse fixée est de mise, 17. Sourire de la patiente.
l’association d’un attachement associé
aux fraisages permet de s’affranchir du
bras vestibulaire du crochet antérieur
inesthétique et les préparations de préci-
sion se comportent comme de véritables
glissières et inhibent les mouvements
parasites de rotation, ce qui optimise
l’équilibre de la prothèse, notamment
dans le cas des édentements en exten-
sion unilatéraux (10, 11, 12).
7
Prothèse composite - H. Benyahia et coll.

Auto-évaluation
1. La prothèse composite peut être envisagée dans toutes les situations
d’édentement unilatérale de grande étendue n Vrai n Faux
2. Une perte de calage postérieure est responsable d’une surcharge
des dents antérieures n Vrai n Faux
3. Le montage directeur est un outil indispensable en prothèse
composite pour juger du volume prothétique utilisable?
n Vrai n Faux
4. L’occlusion intégralement équilibrée est le schéma occlusal à
adopter dans les cas de prothèse composite opposée à une PAC
n Vrai n Faux

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COORDONNEES des auteurs :

Hassnae Benyahia, Leila Fajri, Hasnaa Rokhssi, Nadia Merzouk, Salwa Berrada
Université Mohammed V
Faculté de médecine dentaire
Avenue Allal-El-Fassi
Rue Mohammed-Jazouli, Madinat Al Irfane
BP 6212, Rabat-Instituts, Maroc

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