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ARTS & MYTHES.

LE MÉPRIS DE GODARD
HOMÈRE, DANTE ET MORAVIA DANS LE MIROIR DU CINÉMA
FRANÇAIS

DE L’ÎLE DE CALYPSO À LA ‘NOUVELLE VAGUE’

MIRCEA ELIADE, ASPECTS DU MYTHE, PARIS GALLIMARD 1963

Le mythe raconte une histoire sacrée : il relate un évènement


qui a lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des
commencements

Le mythe est considéré comme un moyen de connaissance : si un récit est désigné de


mythique, alors il explique quelque chose d’indispensable.

LE MÉPRIS : FILM DE JEAN LUC GODARD, 1963

Il fut considéré comme un film mythique, base de la nouvelle vague.


Il reprend beaucoup de mythes et propose une réflexion sur le cinéma et les arts.
De plus, il devient un mythe lui-même. Il a inspiré de nombreuses réécritures.

Godard se sert du cinéma pour comprendre, traduire et nous donner à voir ce que le scénariste
exprime à travers les mots. Il exprime ce que Homère avait exprimé en utilisant les mots.

Le Mépris est un film rigoureusement expérimental Alain


BERGALA 

Le Mépris raconte l’histoire dans un tournage, on a donc un tournage dans un tournage et un


film dans un film. Ce film à l’intérieur du film est Odysseus.

Le scénario du Mépris est tiré du livre de l’auteur italien de Alberto MORAVIA.

La première séquence du film se passe à Cinecittà, quartier de Rome où les cinéastes


reproduisent les décors de film. La deuxième partie est centrée sur les personnages du film. La
troisième partie est tournée à Capri, précisément à la Villa Malaparte.
Les trois parties sont d’une durée sensiblement égale :
- 1ère partie : mort du cinéma classique
- 2ème partie : mise à mort d’un couple
- 3ème partie : le destin tragique, sous le regard des dieux

Ce film est mythique car c’est un film qui raconte le cinéma.

Brigitte Bardot, actrice principale du film qui est elle-même un mythe. Elle est le mythe de
la beauté, de la femme séduisante.

Fritz Lang, réalisateur allemand ayant fui les Allemands nazis en partant aux États-Unis. Il
joue dans le film de Godard, il joue le personnage de son propre rôle c’est-à-dire le réalisateur
lui-même. Tout ce qu’il dit dans le film est une propre réflexion, ces citations sont ses propres
points de vue. Il offre ainsi un point de vue de réalisateur sur le cinéma lui-même. Il était
l’incarnation même du réalisateur exceptionnel et donc un mythe.

Godard choisit ses acteurs pour représenter les différents cinémas :

- Brigitte Bardot représente le cinéma populaire


- Michel Piccoli, jouant le rôle du scénariste, qui incarne lui, le cinéma d’auteur, le
cinéma intellectuel
- Jacques Palance qui joue le rôle du producteur américain incarne lui le cinéma
d’aventures.
 Le fait de réunir ces acteurs constitue en soi une réflexion sur le cinéma. Le film se
présente comme une réflexion de plusieurs niveaux.

De plus il représente une mise en scène de tous les langages artistiques possible. On a une
forte présence de statues des dieux grecs. Les statues sont des présences immobiles qui
scrutent les hommes d’une manière très froide.

Villa de Malaparte : Son nom vient de celui d’un écrivain italien ayant beaucoup écrit sur la
guerre, il était journaliste. La villa est une merveille de l’architecture, construite dans le but
d’être en harmonie complète avec le paysage.

La musique : Georges Delerue


Thème de Camille (cité dans La Nuit américaine de François Truffaut)

Image Ulysse devant la mer : 1ère image de l’Odyssée et dernière image du film = image
même de la nostalgie.

Dans le film on trouve des images de Michel Piccoli devant la mer, qui va réfléchir et se poser
sur le rivage.

ALBERTO MORAVIA, IL DISPREZZO, 1954


Très jeune auteur italien, écrivain à succès durant les années 50, très engagé politiquement il
écrivait également pour les journaux italiens. Il était passionné de cinéma.

Disprezzo est un roman dont le héros est Riccardo Molteni, scénariste et écrivain qui rêve
d’être écrivain de théâtre. Suite à son mariage avec la jeune Émilia, il a besoin d’argent pour
pouvoir rendre sa femme heureuse et avoir un appartement où vivre. Il accepte donc de
travailler pour le cinéma suite à la proposition d’un producteur, Battista, producteur typique
voulant réaliser beaucoup de films pour avoir beaucoup d’argent. Il y a aussi le réalisateur,
Reinghold, allemand qui a une vision très psychanalyste, il incarne la culture européenne en
décalage avec les intellectuels italiens de l’époque.

Ces trois personnages ont trois interprétations différentes de l’Odyssée. Le producteur


voudrait faire un film d’aventures sur l’épopée d’Ulysse (genre Péplum). Le réalisateur
souhaite une interprétation beaucoup plus freudienne. L’interprétation freudienne est à
l’époque très à la mode. Freud, père de la psychanalyse, a mis en lumière le concept de
l’inconscient. Le fil conducteur du film serait donc qu’inconsciemment Ulysse n’aurait pas
envie de retourner à Ithaque et de retrouver sa femme. Ce qui donne un film plutôt
introspectif. L’écrivain lui, voudrait reproduire la poésie d’Homère et de Dante. C’est-à-dire
qu’il souhaite un film qui exprime, avec la même force que les deux poètes, le mythe
d’Ulysse.

L’écrivain n’arrive donc pas à écrire le scénario car il est confronté au réalisateur et au
producteur qui n’arrivent pas à se mettre d’accord ainsi qu’à ses propres limites d’écrivain, à
ses propres lacunes car il n’a pas le talent du poète Homère ou Dante. Finalement, le couple
du scénariste et de sa femme finit par s’identifier eux-mêmes à Ulysse et Pénélope. Ainsi,
entre temps le couple se sépare tragiquement car Emilia cède aux avances de Battista le
producteur et s’en va avec lui. Mais elle mourra tragiquement un peu plus tard dans un
accident de voiture.

Le roman se termine avec le personnage qui dit qu’il écrira un roman sur la fin de son
mariage, comme forme d’écriture source de consolation ou de résilience.

GODARD n’a pas du tout un regard positif sur ce roman qu’il qualifie de ‘roman de gare’,
c’est-à-dire avec une analyse des sentiments désuète et banale mais il affirme que sur des
romans de ce type on peut faire de beaux films. C’est là que selon lui, se trouve le défi du
cinéma.

François TRUFFAUT :

Appartenant à la nouvelle vague il faisait partie du même cercle de cinéaste que Godard qu’il
considérait d’ailleurs comme son maître. Il a lui aussi fait un film sur le cinéma ‘ La Nuit
Américaine’
C’est un film sur un tournage dans lequel Truffaut joue son propre rôle de réalisateur, il dit
exactement la même chose : ‘c’est une histoire dont je pourrais faire un très beau film’.

Le cinéma était pour cette génération de cinéaste, l’art le plus beau qu’il soit.
JACQUES ROZIER, PAPARAZZI , FILM DOCUMENTAIRE , 1963

Film qui commence par l’arrivée de Brigitte Bardot à Naples. Elle provoque des mouvements
de foules tellement elle était appréciée en tant qu’actrice. Une partie du documentaire se
déroule aussi à Capri, où l’on voit des photographes qui essayent par tous les moyens de
prendre Brigitte Bardot en photo.

Citations utilisées par GODARD pour nourrir le dialogue à partir de la littérature :


À partir du chant XXVI, DANTE :

Enfer  : moment où Dante rencontre Ulysse alors qu’il se


trouve avec son guide Virgile aux Enfers à l’endroit où sont
punis les personnages qui ont trahi par la parole. Ulysse a
utilisé la parole pour orienter vers le mal (ruse du cheval de
Troie) c’est pourquoi il doit brûler en Enfer.

// Analogie entre la flamme et la faute commise

« L’homme est fait pour la connaissance » ARISTOTE (Quel


genre de connaissance ?)

« Que j’eus d’acquérir l’expérience du monde, vices humains


et de la valeurs », Ulysse ; justifiant le fait qu’il ne retourne
pas à Ithaque.
L A LITTÉRATURE AU CINÉMA  :
Les mythes d’Homère, notamment Ulysse n’ont pas inspirés les poètes français, à
l’inverse de ceux des autres nations. Par exemple, en Angleterre, cette tradition de reprise du
mythe homérien est plus traditionnelle. Ainsi, le personnage d’Ulysse n’est pas très présent
dans la littérature française, hormis dans le sonnet de Du Bellay, l’image d’Ulysse a évolué et
est alors plus celui qui veut le retour, mais plutôt une image de connaissance et de conquête.
Dans le film de Godard, l’image d’Ulysse est reprise de manière pertinente et reprend ainsi les
choses à sa façon.

Visualisation extrait n°1 - Le Mépris, film de Godard.

Dans ce film, Godard mélange de manière volontaire les langues (anglais, italien,
français, allemand…). Dans cette première séquence, le personnage du scénariste décide de
quitter le tournage et ce travail qu’il n’arrive pas à gérer comme il le souhaite (réécriture de
l’Odyssée plus complexe que prévu). On constate que l’importance de la poésie a sa place
dans la construction d’un film car cela permet de transmettre des sentiments. En effet,
Godard, à travers les citations qu’il utilise transmet à ses spectateurs des faits et entame un
dialogue. Le film est compréhensible si les spectateurs rentrent dans le film avec ce défi de
comprendre les citations. Godard confie aux citations la tâche de transmettre le but du film.

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Visualisation extrait n°2 – Le Mépris, film de Godard

Ici Godard met en scène un système d’auto citation à l’intérieur du film. Par exemple
dans cette scène, c’est Brigitte Bardot qui va lire la citation permettant alors de faire avancer
l’intrigue. Ici il y a une adaptation de l’Odyssée avec Ulysse qui admet qu’il n’a aucune envie
de retrouver Pénélope.

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Visualisation extrait n°3 – Le Mépris, film de Godard

Le scénariste pousse sa femme à aller avec l’acteur. C’est une attitude que peut
adopter aussi Ulysse qui laisse souvent Pénélope seule avec des prétendants, c’est une scène
miroir donc.

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Visualisation extrait n°4 – Le Mépris, film de Godard

« La mort des personnages n’est pas une conclusion, tuer n’est jamais une
solution » : paroles de Fritz Lang à propos de l’interprétation de l’Odyssée, nous savons
cependant que la conclusion du film est la mort d’un personnage. Pourquoi Godard fait-il dire
ceci au réalisateur ? Et bien car il ne considère pas la mort du personnage de Brigitte Bardot
comme la conclusion du film. Ainsi, si la mort n’est pas la conclusion du film, quelle est-
elle ?

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Visualisation extrait n°5 – Le Mépris, film de Godard

Dans cette scène finale, on a le héros qui va dire au revoir au réalisateur (rappel, récit
enchâssé, tournage dans le tournage). Cette scène est intéressante car le 1 er regard d’Ulysse
sur Ithaque n’existe pas, ici c’est la caméra qui se concentre sur la Mer. La conclusion du film
(en prenant en compte de l’enchâssement et des citations), marque le retour au cinéma et à la
production artistique qui est plus forte que l’intrigue du roman. L’image de Godard peut ainsi
être vue comme une ouverture sans limite (de la Mer) pour que Ulysse puisse vivre son
aventure, mais dans le même temps, la mer qui se referme sur le navire d’Ulysse après le
naufrage.

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