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Enquête

■ Image

POURQUOI LES BOÎTES


VERROUILLENT
LEUR COM SOCIALE
Délocalisations, plans sociaux, salaire du P-DG… les groupes
sont de plus en plus souvent pris à partie sur leurs pratiques
sociales. Face à ces attaques, vite relayées par les médias et
désastreuses en interne comme à l’extérieur, les entreprises
préfèrent s’en remettre aux experts en communication.

● Par Anne Fairise et Sandrine Foulon D’autres sociétés mesurent, à l’instar de Nicolas Sar-
kozy, l’impact de leur discours sur l’opinion. «Elles sont de
C’est un écran scindé en deux, qui a fait ses preuves dans plus en plus nombreuses à pré et post-tester leurs cam-
la série à succès «24 Heures». En haut, les salariés de To- pagnes institutionnelles. Chaque fois, nous introduisons
tal sur les plates-formes pétrolières, exploitant le gaz du dans l’enquête une question sur la responsabilité sociale.
Grand Nord. En bas, vous, moi, heureux consommateurs Il s’agit de savoir si l’engagement de l’entreprise est perçu
au quotidien de ces énergies, sous la douche, faisant chauf- comme une façade, s’il est sincère… », explique Muriel
fer la bouilloire du petit déjeuner… La campagne institu- Humbertjean, directrice générale adjointe de TNS Sofres.
tionnelle du pétrolier a inondé, au printemps, la presse, les De son côté, Geos, société de sécurité, de protection du per-
écrans de télé et de cinéma. Est-ce pour redorer le blason sonnel et des sites, a développé depuis 2003 un pôle d’in-
d’une entreprise secouée par le naufrage de l’Erika, les ac- telligence économique qui s’attelle à traquer les «atteintes
cusations de travail forcé en Birmanie, l’explosion d’AZF à l’image et à la réputation». L’agence dresse des revues
à Toulouse ? « Plutôt pour renouer avec l’image d’une de presse musclées, mesure sur le Net, à l’international, le
compagnie qui n’est pas seulement pétrolière, répond nombre d’articles publiés, jauge leur tonalité. «Cela permet
Yves-Marie Dalibard, le dircom du groupe. Nous n’étions de voir la distorsion entre l’image et les faits et d’affûter des
plus perçus tels que nous sommes dans notre diversité de argumentaires», explique-t-on à Geos.
métiers. C’était une demande de nos collaborateurs.»
Après des années de communication discrète, surtout fi- Éviter l’emballement médiatique
nancière, cette explication ne convainc guère les commu- De plus en plus contestés sur ce terrain, les grands
nicants. «Le recours à la publicité se justifie lorsque l’on a groupes n’ont souvent d’autre choix que de réagir. Parfois
épuisé toutes les formes de promotion gratuite. C’est un maladroitement. Après un long silence radio sur les re-
aveu d’échec en lui-même», commente un consultant. Et vendications salariales dans les hypers, un motus et bouche
de citer ces six années de crises successives qui n’ont pas cousue assez gêné sur les indemnités de départ et la retraite
fait frémir le cours de Bourse du quatrième pétrolier mon- chapeau de 38,8 millions d’euros de l’ancien président
dial, toujours au plus haut, mais qui lui ont valu une répu- Daniel Bernard, le service de presse de Carrefour invite les
tation déplorable. En février dernier, selon un sondage journalistes, fin mai, à une conférence de presse sur les «ac-
Ipsos pour le Point-cabinet Posternak Margerit, 55% des tions menées en 2004 pour un commerce responsable et
personnes interrogées avaient une mauvaise image de une mondialisation positive» et à aborder la notation sol-
Total (dont 70% chez les cadres). En avril, une autre étude licitée avec l’agence Vigeo. Le groupe de distribution af-
Datops-Observatoire de la réputation des entreprises du fiche aussi son engagement dans l’apprentissage et l’in-
CAC 40 plaçait la firme en 32e position. Si le groupe pé- sertion des jeunes. Pourquoi cette com sélective? «On ne
trolier affirme ne pas en subir les conséquences puisque les peut pas ne pas communiquer. Mais on choisit de répondre
candidatures sont toujours aussi nombreuses,il reste attentif au cas par cas», se défend le service de communication, qui
à sa cote d’amour. Comme beaucoup d’entreprises,il se sou- botte en touche dès qu’il s’agit de s’exprimer sur sa stra-
met à des bilans d’image deux fois par an. tégie. «Ils cherchent le bâton pour se faire battre, ●●●

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ILLUSTRATION : JOCHEN GERNER

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Enquête

Quand Areva ouvre ses mines


d’uranium aux journalistes
Ou comment les voyages de presse participent de la défense du capital image
Anne Lauvergeon n’est pas femme à laisser invité par Areva, est convié à s’expliquer. Il déplore
s’installer la polémique. Quand Stéphane Lhomme, l’absence d’informations sur la radioactivité à des-
porte-parole de Sortir du nucléaire, association tination de la population. « Si Areva n’a rien à se
en guerre contre tout ce qui touche à l’atome, reprocher, qu’elle organise une étude épidémiolo-
l’interpelle en novembre 2004 sur un plateau de gique indépendante. » L’entretien lève le mystère
France 3 à propos des « conditions absolument sur la genèse de la polémique, semée en 2003
scandaleuses » d’extraction de l’uranium dans les par un e-mail de l’ONG appelant à l’aide. Un vieil
mines d’Areva au Niger, la coupe est pleine. adversaire d’Areva, la Commission de recherche et
Se faisant le porte-parole d’une ONG nigérienne, d’information indépendantes sur la radioactivité
Stéphane Lhomme a déjà accusé le numéro un (Criirad), débarque avec ses appareils de mesure,
mondial du nucléaire civil de « crime contre l’huma- sans passer la douane. Sortir du nucléaire prend
nité » sur la chaîne Public Sénat. « Venez donc avec le relais, puis l’ONG de juristes Sherpa, qui a traîné
moi au Niger », rétorque la présidente du directoire Total en justice dans l’affaire de son gazoduc bir-
d’Areva, fidèle à la politique de transparence affi- man. Mais les journalistes ne sont pas rassasiés.
chée depuis son arrivée à la tête du groupe. Une Le lendemain, une poignée part avec l’ONG recher-
invitation déclinée par l’association. Au nom de cher des traces de radiations. Le butin est maigre :
l’indépendance. Mais acceptée par 15 journalistes des tuyaux, barres métalliques et ferrailles issus
parisiens. « Je suis venu car Areva m’assure que je des mines, recyclés dans les habitations ou vendus
pourrai rencontrer l’ONG locale. Autrement, c’était dans les échoppes, sont parfois radioactifs, dans
niet », expliquait un reporter de France 2 avant des proportions minimes. Un point noir déjà
d’embarquer dans un Fokker spécialement affrété. souligné par l’Institut de radioprotection de sûreté
En fin de journée, en plein désert saharien, nucléaire, qui a effectué mi-2004, sur demande
à 850 kilomètres au nord de Niamey, la capitale d’Areva, un audit environnemental autour d’Arlit.

D. R.
nigérienne, se dessinent Arlit et Akokan, les villes- Également rencontrées, des familles éplorées,
champignons en argile jaune surgies autour des guère convaincue après deux heures de questions. sceptiques quant aux causes de décès de salariés
exploitations minières d’Areva. Là où, il y a trente Le lendemain, visite des écoles Areva destinées d’Areva. « Les gens sont tout le temps fatigués.
ans encore, régnaient le sable et les tribus aux enfants du personnel, des hôpitaux Areva, Mais la pathologie est mal définie. Nous n’avons
nomades, vivent 70 000 habitants. Areva emploie des mines Areva à ciel ouvert et souterraine. Les pas les moyens de faire des études », constate
1 600 salariés, qui font vivre 20 000 personnes. journalistes se ruent sur le moindre salarié pour Fatou Abdourahame, sage-femme dans un dispen-
À travers les vitres, on ne fait qu’entr’apercevoir la l’interroger sur son dosimètre, ce boîtier en plas- saire. Bilan du voyage ? Une dizaine de reportages,
cité minière, les logements gratuits (avec eau, élec- tique jaune qui enregistre les niveaux de radiation. positifs pour les uns, très balancés pour d’autres.
tricité, appareils électroménagers) des employés, Ils traquent les contradictions. Difficile. « Grâce aux Et un documentaire assassin de Canal Plus (auquel
les deux hôpitaux créés par Areva initialement soins apportés à la population, l’espérance de vie Areva a fermé les portes). Que retiendra le public ?
pour les expatriés à l’origine de l’exploitation. de la région d’Arlit est supérieure à la moyenne na- « Il n’était pas visé par ce voyage. Areva devait
Place à la conférence de presse, où les journalistes tionale qui est de 45 ans », affirme Mamoudou Sou- réagir vite. L’affaire du gazoduc birman de Total a
retrouvent les cadres des mines. maila, médecin chef de l’hôpital d’Areva à Akokan montré l’ampleur que peut prendre une polémique.
Le tour d’horizon est complet, depuis la dette du et médecin du travail des mines. En quinze ans, L’important pour nous est de permettre aux journa-
Niger (80 % du PIB), pays le plus pauvre de la il a déclaré trois maladies professionnelles, jure listes de se faire une opinion. Ils ont compris
planète avec la Sierra Leone, jusqu’au taux d’acci- n’avoir mesuré aucune pathologie liée à la radio- qu’Areva est une source crédible d’informations.
dents du travail et aux mesures de surveillance activité. Même constat au syndicat Syntramin. Cela participe de la construction de notre capital
de la radioactivité. Les doses maximales reçues par Son obsession ? « Que le cours de l’uranium grimpe image », avance le service de presse, conseillé
les salariés sont inférieures aux recommandations pour que la production se développe et qu’Areva par l’agence Image 7 d’Anne Meaux, Euro RSCG et
européennes de 20 millisieverts (mSv) par an. embauche », martèle Mamadou Hosman, son secré- TNS Sofres. « Areva est devenu le faire-valoir
L’équivalent de 30 radios pulmonaires, un seuil taire, qui rappelle la diminution par deux des effec- d’ONG qui n’auraient pas de notoriété sans elle.
auquel aucun effet sur la santé n’a été mesuré. tifs voici dix ans, quand le cours s’est effondré. C’est le prix à payer pour notre changement
« Au-dessous de 200 mSv par an, il ne se passe rien Et d’accuser l’ONG nigérienne à l’origine de la po- d’image », renchérit Pierre-Emmanuel Saulnier,
selon les normes internationales », note Yves Du- lémique de « chercher à faire de l’argent ». Almous- son porte-parole. Le groupe prépare un autre
four, ingénieur d’Areva. « Si tout va bien, pourquoi tapha Alhacen, salarié des mines et fondateur de voyage de presse. Et Aghir In’Man milite toujours
avoir organisé ce voyage ? » s’énerve la presse, l’ONG Aghir In’Man (bouclier de l’âme en touareg), pour une étude indépendante. A. F.

●●● commente un consultant. On ne peut pas convoquer fitent pour arracher des garanties. «Il faut éviter qu’une af-
la presse quand on a envie de lui montrer ses bonnes pra- faire devienne un symbole de l’ensemble des conflits fran-
tiques et lui claquer la porte au nez quand ça va mal.» çais», commente Joël Amar, consultant spécialisé dans la
Les entreprises ont aussi appris à prendre les devants communication. Dans un contexte de désamour grandis-
pour éviter l’emballement médiatique. Échaudée par sa cé- sant avec l’opinion, l’entreprise est vite prise pour cible.
lèbre jurisprudence sur la réintégration des salariés après SEB, qui est passé à l’été 2004 de 32 à 35 heures, n’en re-
la nullité de son plan social, la Samaritaine a aussitôt réagi vient toujours pas d’avoir été qualifié de fossoyeur des
à la fermeture, pour raisons de sécurité, de son grand ma- 35 heures. Idem pour Arcelor, qui a eu le malheur de re-
gasin parisien. Le même message est ressassé sur les ondes: négocier son accord en plein débat sur le détricotage de la
il n’y aura aucun licenciement.Tout le monde monte au cré- RTT. «Même Martine Aubry nous a montré du doigt. Or
neau: le P-DG de la Samaritaine, Philippe de Beauvoir, personne ne travaillait à 35 heures», commente la DRH
comme Nicolas Bazire, du comité exécutif de LVMH, pro- groupe. Après l’annonce de résultats record en 2004, le
priétaire du grand magasin. Du coup, les syndicats en pro- géant de la sidérurgie, tout comme Total, n’a pas non plus

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Pourquoi les boîtes verrouillent leur com sociale

Même le très discret Michelin s’est doté d’un service


de presse ad hoc pour gérer les sujets sociaux…
échappé au débat national sur les «superprofits» des en- loppement durable et, sa contrepartie, le dialogue avec
treprises du CAC 40. Relayant la grogne sociale, les poli- les stakeholders, les fameuses parties prenantes, pour
tiques s’en sont saisi pour enjoindre aux plus riches une construire sa communication.Le cimentier en a recensé une
meilleure redistribution des résultats.Afin d’éviter d’être dizaine, depuis les syndicats, le secrétaire du CCE, les fé-
entraîné dans ce maelström politico-médiatique, BNP Pa- dérations professionnelles,jusqu’aux ONG (WWF,Care…),
ribas, qui a affiché 5,5 milliards d’euros de bénéfices, a eu et les rencontre une ou deux fois par an pour la rédaction
le réflexe tactique de lancer sur-le-champ une gigantesque du rapport développement durable,afin d’échanger sur «un
campagne de recrutements. Une défense par l’emploi im- sujet de fond stratégique» et de répondre à leurs deman-
parable. De quoi éviter l’assaut d’élus qui sont souvent les des d’explications. Idem au niveau de chaque entreprise de
premiers à monter au créneau face aux délocalisations.«De- la branche ciments, enjointes depuis trois ans d’identifier
puis deux ans, le social est monté au même rang que l’en- leurs interlocuteurs clés. Un réseau qui permet d’anticiper
vironnement et la santé. Les députés profitent de la session les crises. «Récemment, les fédérations syndicales inter-
de l’Assemblée nationale retransmise sur France 3 pour nationales de notre secteur nous ont rapporté un pro-
faire remonter les sujets locaux, la petite usine qui ferme blème en Serbie, où le management n’aurait pas respecté
ou qui part en Roumanie», explique une consultante. certaines conventions de l’OIT. On a vérifié et constaté que
tout avait été fait en respect du droit. On ne peut pas tout
À l’écoute des « stakeholders » maîtriser partout. En revanche, la vigilance et la veille de
Les attaques peuvent venir de toutes parts, de l’extérieur nos partenaires permettent de s’assurer de la bonne tenue
(mouvance altermondialiste, ONG), mais aussi de l’inté- de nos objectifs», explique Alain Guillen, DRH de Lafarge
rieur: les syndicats médiatisent les conflits, les salariés at- Ciments et ex-responsable du développement durable.
taquent le management par bouquins interposés, à l’instar Tactique de base, adopter la plus grande prudence. Ce
de Corinne Maier, économiste à mi-temps chez EDF (Bon- n’est plus «pour vivre heureux, vivons cachés» mais «pour
jour paresse), voire confient leur acrimonie à leurs blogs vivre heureux, vivons protégés». Fusions, rémunération des
(voir page 22). La société de l’instantané avec ses chaînes dirigeants,plans sociaux,santé et sécurité au travail:les com-
d’info en continu et Internet qui relaie l’information de municants ont pris le contrôle sur les grands sujets sociaux.
l’usine à toutes les rédactions en un simple clic… met les Le recours aux cabinets spécialisés (voir encadré page 18)
entreprises sur la défensive. D’autant que les consomma- est devenu systématique dans les grands groupes. Même
teurs ne sont pas en reste pour interpeller leurs marques Alain de Pouzilhac, l’ex-patron de Havas, dont la com-
préférées. «Nous avons été pris à notre propre jeu. À trop munication est le cœur de métier, n’a pas hésité à appeler
vouloir jouer la carte de la complicité avec le consomma- à la rescousse Anne Méaux, d’Image 7, concurrente de sa
teur, via la pub, il nous demande des comptes», explique propre filiale Euro RSCG, lors de la bataille d’action-
Jean-René Buisson, ex-DRH de Danone, président de naires qui l’a opposé, en juin dernier, à Vincent Bolloré.
l’Association nationale des industries agroalimentaires. Même les plus récalcitrants s’y mettent. Le discret Mi-
Les entreprises à très forte notoriété en ont pris leur parti. chelin s’est doté, depuis trois ans, d’un service de presse sur
«Nos clients vivent avec les salariés. Inévitablement, cer- les sujets sociaux. L’arrivée aux commandes d’Édouard Mi-
taines conversations tournent autour des conditions de chelin,puis l’affaire des licenciements dits boursiers n’y sont
travail, du statut du GO, de la santé économique du groupe. pas étrangers. McDo a formé, cette année, ses franchisés au
Alors,impossible pour nous d’avoir une communication to- risque image. Et les PME, dépourvues de service de com-
talement verrouillée», constate Thierry Orsoni, directeur munication, recourent à des prestataires extérieurs.
de la communication du Club Med. Lafarge a lui aussi opté Contrecoup de cette mainmise de la communication,
pour la transparence et décidé de s’appuyer sur le déve- toute prise de parole se « procédurise ». Tout est ●●●

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Enquête Pourquoi les boîtes verrouillent leur com sociale

presse, il faut savoir les lire. Qui annonce une nécessaire


«adaptation au marché mondial» prépare des charrettes.
Qui entend «recréer un fort sentiment d’appartenance»
cherche à empêcher ses équipes de partir en courant.
Selon la bonne vieille méthode de L’Oréal, à la discré-
tion légendaire, la prudence semble payer. Gare aux sujets
délicats comme la parité ou la lutte contre la discrimina-
tion raciale! «Si une entreprise présente un dispositif sur
la parité et que, deux jours après, un salarié dépose plainte,
cela met à mal la crédibilité du dispositif. Beaucoup pré-
fèrent différer l’annonce et attendre les premiers effets du
dispositif pour communiquer»,commente Séverine Lesieur,
chargée de la communication de crise chez Hill & Knowl-
ton. «On n’est pas sûr d’avoir les fesses propres partout»,
renchérit une consultante, qui conseille la com profil bas.
Une leçon entendue par le Club Med. «Depuis 2001, nous
avons été tellement échaudés que, comme la plupart des
grandes entreprises,nous sommes devenus prudents:même
lorsque les résultats sont positifs, nous nous gardons de tout
triomphalisme et rappelons au marché que nous ne sommes
pas à l’abri d’un impondérable», souligne Thierry Orsoni.

L’information, parade contre les rumeurs


A contrario, les entreprises renforcent leur communi-
cation vers les salariés, grands oubliés de ces dernières an-
nées. La technique a des avantages: bien informé, un salarié
Au printemps, ●●● codifié et soumis à protocole.Toute demande d’in- ne prêtera pas crédit aux attaques ou rumeurs extérieures.
le groupe pétrolier terview doit être formulée par écrit. Heureux le journaliste Mieux, il fera rempart. «Une ONG sachant communi-
français a lancé une
grande campagne qui ne conduit pas son entretien en duplex et sous le quer sur Internet peut facilement concentrer l’attention.Or,
institutionnelle, contrôle de l’attaché de presse. Les citations sont scru- dès qu’on s’exprime à l’externe, il faut s’adresser à l’interne.
histoire de redorer
son blason auprès puleusement relues par les intéressés et leurs services de Représentants du personnel et salariés ont un rôle à jouer
du grand public. communication. Et, inévitablement, bon nombre de pro- en matière de communication extérieure», reprend Alain
pos virent au politiquement correct. «L’éclatement syndi- Guillen, de Lafarge Ciments. Quand les médias citent Mi-
cal»,déploré par ce P-DG en entretien,devient la «diversité chelin dans le dossier de sa filiale Wolber, ou celui des dis-
syndicale» après réécriture. Quant aux communiqués de criminations syndicales, le roi du pneu publie une note in-
terne. «On donne uniquement les résultats.
Il faut laisser au maximum les salariés s’infor-

Les gourous du conseil mer comme ils veulent », relate Françoise


Rault, chargée de com. En revanche, no com-
ment sur un documentaire comme Paroles de

en notoriété sociale Bib, jugé «hostile et partisan».


Total entend aussi s’appuyer sur l’interne
pour parer aux attaques. Sont diffusées sur
Une nuée de cabinets se partagent un gâteau qui grossit l’intranet les infos sur le dossier birman, sur
Les entreprises n’ont que l’embarras du choix pour blicité, ont de leur côté élargi leur champ d’inter- AZF… «Les salariés sont fiers de travailler
peaufiner leur image sociale. Groupes de communi- ventions aux RH, au management et à la communi- dans cette entreprise. Le turnover doit frôler
cation, agences spécialisées dans le reclassement, cation corporate et interne. Même les spécialistes les 1%. Les salariés font bloc», souligne Yves-
publicitaires : le marché s’est étoffé ces dernières du lobbying, conseils des P-DG du CAC 40, Marie Dalibard.Tout l’enjeu est de construire
années, au fur et à mesure que le social montait les influents Anne Méaux, fondatrice d’Image 7, une réputation à l’externe et une confiance
dans les préoccupations. Bien implantées : les et Michel Calzaroni, directeur général délégué en interne. «La réputation ne permettra pas
agences de relations publiques comme I & E, dont de DGM, connus pour leur impressionnant carnet
le P-DG, Jean-Pierre Beaudoin, est devenu le spé- d’adresses, ont jugé bon d’ajouter une corde
d’éviter le déchaînement médiatique mais
cialiste du management des stratégies d’opinion ; sociale à leur arc. « On a suivi l’évolution de la de- l’amortira», commente Jean-Pierre Piotet, pré-
les anglo-saxonnes aussi, tels les cabinets Edel- mande des clients », commente-t-on chez Image 7 sident de l’Observatoire de la réputation et pré-
man, Hill & Knowlton ou Burson-Marsteller. Elles où une consultante est spécialisée dans les inter- sident du groupe de communication Thomp-
interviennent de façon préventive ou jouent, quand ventions sociales. Plus souvent à chaud qu’à froid. sonCorp. L’accumulation de crises vécues par
cela est nécessaire, les pompiers. Ces agences Derniers intervenants et non des moindres, les ca- Total, qui remonte la pente, a laissé dans l’opi-
côtoient une flopée de cabinets français, de plus binets Altedia, BPI, ou les plus petits comme Algoé
petite taille, comme MCC, dirigé par Marie-Céline et consorts, spécialistes du reclassement collectif
nion des traces plus profondes que la fermeture
Terré, qui goûtent eux aussi au gâteau. Des et de l’outplacement, qui offrent aussi leurs de l’usine de LU par Danone. Mais Frank Ri-
groupes comme Publicis ou Euro RSCG C & O, qui services pour la communication accompagnant les boud et avant lui son père,Antoine, ont réussi
ont bâti leur prospérité et leur notoriété sur la pu- plans sociaux. Un exercice de haute voltige. A. F. à s’attirer la réputation de «boîte sociale». ●

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