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Nutrition clinique et métabolisme 16 (2002) 188–192

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Compte-rendu de congrès
e
3 Symposium « Intervention nutritionnelle »
Génétique de l’obésité humaine
Karine Clément *
EA 3502 université Paris-VI et Service de médecine et nutrition, Hôtel-Dieu, place du Parvis-Notre-Dame, 75004 Paris, France
Reçu le 21 mai 2002; accepté le 21 mai 2002

Mots clés: Leptine; Pro-opiomélanocortine; Proconvertase 1; MC4R

La physiopathologie de l’obésité met en jeu un déséqui- l’hypothalamus [3] (Figs. 2 et 3). Des mutations des gènes
libre du bilan énergétique (dépense énergétique insuffisante, de la leptine, de son récepteur, de la POMC entraînent des
excès d’apports). Les progrès de la biologie des tissus situations d’obésités exceptionnelles à pénétrance complète
adipeux, les avancées de la neurobiologie du contrôle de la et de transmission autosomique récessive [4-6] (Tableau 1).
prise alimentaire et du bilan d’énergie et l’approche géné- Il a été identifié trois familles porteuses de mutation sur le
tique en ont élargi les conceptions physiopathologiques gène de la leptine, une famille avec 3 patientes affectées
[1,2] (Fig. 1). Des altérations primaires, éventuellement d’une mutation sur le récepteur de la leptine, deux familles
génétiques, des capacités de stockage cellulaire ou de leur porteuses d’une mutation de la POMC et un cas décrit de
régulation paraissent jouer un rôle majeur dans la prédispo- mutation sur la PC1, enzyme de clivage de la POMC. Ces
sition à la maladie et dans la résistance au traitement. La mutations associent une obésité précoce et sévère et des
relative inefficacité des stratégies thérapeutiques disponibles anomalies endocrines. Les courbes de poids des patients
actuellement rend compte de la difficulté de repérer l’impor- affectés montrent une évolution exponentielle avec une
tance de certaines voies physiopathologiques impliquées obésité morbide qui se développe dès les premiers mois de
dans la régulation du poids. C’est le pari des approches vie. Les patients porteurs d’une mutation sur la leptine ou
génétiques. La connaissance des bases moléculaires de son récepteur sont affectés d’un impubérisme complet par
l’obésité a énormément progressé ces dernières années hypogonadisme hypogonadotrophique et d’une insuffisance
grâce au développement des outils de criblage génétiques de thyréotrope d’origine centrale. Une insuffisance de sécrétion
plus en plus rapides. somatotrope est également observée chez les patientes
porteuses d’une mutation sur le récepteur de la leptine.
Le traitement par la leptine recombinante a été effectué
1. Obésités par mutation de la leptine, chez une enfant déficiente en leptine. L’injection journalière
de son récepteur, de la pro-opiomélanocortine (POMC) sous-cutanée a été bien tolérée, entraînant une perte de poids
et de la proconvertase 1 (PC1) de 16,5 kg en une année, principalement de la masse grasse,
avec un effet majeur sur le comportement alimentaire.
Un des succès de l’approche génétique a été la mise en L’hypothèse du rôle de la leptine dans l’initiation de la
évidence de formes rares d’obésité. L’anomalie génétique puberté était renforcée par l’observation d’une élévation
en cause affecte des facteurs clés du contrôle de la régula- graduelle des hormones gonadotropes avec l’apparition
tion du poids, impliquant la leptine (chef d’orchestre contrô- d’une pulsatilité hormonale compatible avec une puberté
lant la régulation du poids et plusieurs voies endocrines) et précoce sous leptinothérapie [4]. L’hypothèse d’un traite-
la voie des mélanocortines, voie cible de la leptine dans ment chez les patients déficients en récepteur de la leptine
reste une question délicate. On peut imaginer l’existence de
* Auteur correspondant. Tél. : +33-1-42-34-86-70 ; fax : +33-1-40-51-
molécules court-circuitant le récepteur de la leptine et
00-57. susceptibles d’activer la voie spécifique STAT3 dans l’hy-
Adresse e-mail : karine.clement@htd.ap-hop-paris.fr (K. Clément). pothalamus, mais leur efficacité et leur innocuité restent à
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PII: S 0 9 8 5 - 0 5 6 2 ( 0 2 ) 0 0 1 5 2 - 8
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Fig. 1. Représentation schématique des interactions gène-environnement dans l’obésité humaine (d’après le rapport de l’IOTF, 1997 publié dans WHO
« preventing and managing the global epidemic »).

être démontrées. Bien qu’exceptionnelles, ces situations 2. Obésités monogéniques par mutation du récepteur
d’obésités monogéniques méritent d’être identifiées, car aux mélanocortines de type 4 (MC4R)
elles peuvent (ou pourront) être traitées.
Les deux enfants porteurs d’un déficit en POMC ont un Plusieurs mutations différentes, entraînant un change-
déficit en ACTH pouvant conduire à une insuffisance ment d’acide aminé de MC4R, ont été décrites dans des
surrénalienne aiguë dès la naissance. Ces enfants ont des populations d’enfants et d’adultes allemands, français, an-
cheveux roux du fait de l’absence de l’αMSH sur les glais et américains. La fréquence de ces mutations a été
récepteurs périphériques aux mélanocortines impliqués dans évaluée à 1 à 2 % des obésités et pourrait atteindre environ
la pigmentation. La patiente affectée d’une mutation de PC1 4 % dans les formes sévères d’obésités [7-9]. Dans une
souffre d’une obésité associée à des malaises hypoglycémi- cohorte d’enfants massivement obèses français, 6 % des
ques post-prandiaux et des troubles de la fertilité. Les enfants étaient porteurs de mutations de MC4R. Elles se
dosages hormonaux montrent une élévation importante de la transmettent de manière autosomique dominante. La péné-
pro-insuline avec une insulinémie basse. Les malaises trance de la maladie est incomplète et l’expression variable.
postprandiaux tardifs sont expliqués par l’accumulation de Au sein d’une famille, l’expression des mutations MC4R
la pro-insuline. L’absence de maturation de la POMC due à entraîne des obésités de gravité variable. Cela suggère, le
la mutation de PC1 entraîne le blocage de la voie des rôle non négligeable de l’environnement ainsi que celui
mélanocortines. d’autres facteurs génétiques qui pourraient contribuer à la

Tableau 1
Formes monogéniques d’obésité chez l’homme
Gène Cas Transmission Obésité Phénotype associé
Nombre [familles]
Leptine 5 [2] Récessive Sévère premiers jours de vie Insuffisance gonadotrope
Récepteur leptine 3 [1] Récessive Sévère, premiers jours de vie Insuffisance gonadotrope, thyréotrope,
somatrotrope
Proopiomélanocortine 3 [2] Récessive Sévère, premiers mois de vie Insuffisance ACTH, Cheveux roux
Proconvertase 1 1 [1] Récessive Importante, premiers mois de vie Insuffisance gonadotrope et
corticotrope, Hyperproinsulinémie
Récepteur 4 aux mélanocortines > 20 [> 10] Dominante Plutôt précoce, de sévérité variable non
.
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Fig. 2. Complexité physiopathologique de l’obésité.


L’obésité est considérée comme la pathologie du tissu adipeux (organe de stockage d’énergie) et de ses relations avec les autres structures impliquées dans
la mise en réserve et l’utilisation d’énergie : le muscle, le foie, le système nerveux central entre autres. Il existe des signaux ascendants informant le système
nerveux central des réserves d’énergie. La leptine sécrétée en proportion des réserves graisseuses fait partie des signaux d’adiposité, mais bien d’autres sont
en cause. Des signaux descendants contribuent également à contrôler les réserves adipeuses (d’après [1]).

modulation du phénotype. L’analyse clinique ne permet pas [2]. Les résultats de ces études concernant de très nombreux
de repérer ces formes d’obésités qui ressemblent aux formes gènes sont reportés chaque année dans la revue internatio-
communes. Elles sont non syndromiques. nale « Obesity Research » [10]. Si les gènes impliqués dans
Le traitement des formes monogéniques d’obésité impli- les formes monogéniques d’obésité ne le sont pas de
quant les gènes de la voie des mélanocortines doit être manière significative dans les formes communes d’obésité,
évalué. La mise en place d’un traitement substitutif par les on ne peut toutefois exclure complètement leur contribution.
agonistes de l’αMSH est plausible chez les enfants porteurs Des variations dans le gène de la leptine en particulier ont
de mutations de la POMC. Dans l’avenir, des agonistes de été associées aux concentrations de leptine circulante et à la
l’αMSH seront probablement disponibles. Ce type de thé- capacité de perte de poids. Une méta-analyse a confirmé
rapie, chez les patients hétérozygotes pour les mutations de l’implication d’une liaison de la région du gène de la leptine
MC4R, devra être évalué. Les études fonctionnelles des et de la corpulence. Certains gènes contribueraient à l’ag-
récepteurs MC4R mutés seront nécessaires dans cette éven- gravation du phénotype chez des patients déjà obèses. Des
tualité. facteurs contribuant à la régulation du métabolisme énergé-
tique font aussi partie des facteurs génétiques les plus
étudiés. Une capacité accrue à prendre du poids au cours de
3. Les obésités multifactorielles la vie a été observée chez des français massivement obèses
porteurs de la mutation Trp64Arg du récepteur β3-
L’étude génétique de l’obésité commune repose sur adrénergique et d’un variant de la région régulatrice du gène
l’étude de polymorphismes génétiques de gènes candidats et de la protéine découplante 1 (UCP1) [11]. Le récepteur
sur l’exploration du génome de larges cohortes de familles β3-adrénergique et la protéine découplante 1 sont des
et de sujets obèses. Des banques d’ADN et de données facteurs contribuant à la régulation du métabolisme énergé-
cliniques ont été constituées dans plusieurs pays. De nom- tique. La présence conjointe des deux variants géniques
breuses études génétiques sont menées dans de larges aurait un effet additif sur la prise de poids au cours de la vie
populations de familles comportant plusieurs sujets obèses chez des sujets déjà obèses et soumis à un environnement
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Fig. 3. Mutations sur les voies de la leptine et des mélanocortines dans le noyau arqué de l’hypothalamus.
La leptine stimule la voie des mélanocortines. Elle met en action l’hormone stimulante des mélanocytes (αMSH) et l’adrénocorticotrophine (ACTH),
produites dans le système nerveux central à partir du clivage endoprotéolytique de l’hormone proopiomélanocortine (POMC) par des proconvertases (dont
la proconvertase 1). L’αMSH agit sur les récepteurs aux mélanocortines à sept domaines transmembranaires couplés aux protéines G. La leptine stimule la
POMC et la stimulation hypothalamique du récepteur aux mélanocortines de type 4 (MC4R) par l’αMSH inhibe la prise alimentaire.

favorisant. Un autre travail a montré qu’un variant des cas d’obésité commune est possible. Cette stratégie a permis
régions régulatrices du gène UCP 3 (une autre protéine de mettre en évidence plusieurs localisations chromosomi-
découplante du métabolisme énergétique) pourrait être un ques liées à l’obésité et continue de se développer. Au moins
élément contributif de la corpulence chez des sujets obèses 5 gènes situés sur les chromosomes 2, 5, 10, 11 et 20
et non obèses, susceptible d’interagir avec l’activité physi- pourraient être impliqués dans l’obésité. Des travaux menés
que [12]. La présence d’un allèle variant d’UCP3 réduit les dans plusieurs pays européens et aux États-Unis tentent
effets bénéfiques de l’activité physique sur la corpulence actuellement de les identifier [2,10,14]. Lorsqu’ils le seront,
chez des sujets obèses et des témoins. De la même façon, il faudra déterminer les mutations et confirmer qu’elles sont
des interactions entre des polymorphismes du récepteur bien en cause dans le développement de la maladie.
β2-adrénergique et la corpulence ont été rapportées. L’acti-
vité physique modifie également les interactions de ces
polymorphismes avec la corpulence. 4. Développement de nouvelles stratégies
De façon générale, le grand nombre de gènes testés et pour l’analyse génétique des obésités
leurs effets incertains voire discordants illustrent la com-
plexité d’une telle maladie. Certains gènes étudiés sont Comme nous l’avons signalé plus haut, on retient pour
associés avec des caractéristiques particulières, témoignant les formes communes d’obésité le concept de l’intervention
de l’hétérogénéité clinique de cette affection, telles que la de plusieurs variants géniques (hérédité polygénique) diver-
précocité de l’obésité, l’évolution, les facteurs métaboliques sement associés selon les individus (hérédité multigénique).
associés [13], le comportement alimentaire et la corpulence Chaque gène de susceptibilité pris individuellement n’aurait
en interaction avec les caractéristiques d’activités physi- qu’un faible impact sur la variance du poids corporel et la
ques, etc. [10]. Grâce au développement technologique contribution cumulative de ces gènes de susceptibilité ne
d’outils de criblage moléculaire de plus en plus puissants, deviendrait significative qu’en interaction avec des facteurs
l’exploration du génome de familles présentant plusieurs d’environnement (suralimentation, sédentarité, stress...). Il
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apparaît donc indispensable de préciser l’impact des modi- [3] Cummings DE, Schwartz MW. Melanocortins and body weight, a
fications comportementales et de l’environnement nutrition- tale of two receptors. Nat Genet 2000;26:8–9.
nel sur la régulation de l’expression des gènes. En faisant [4] Farooqi IS, Jebb SA, Langmack G, Lawrence E, Cheetham CH,
Prentice AM, et al. Effects of recombinant leptin therapy in a child
appel aux stratégies d’analyse du transcriptome (par la with congenital leptin deficiency. N Engl J Med 1999;341:879–84.
technologie des puces à ADN par exemple), il est mainte-
[5] Clement K, Vaisse C, Lahlou N, Cabrol S, Pelloux V, Cas-
nant possible d’avoir accès à l’expression d’un plus grand suto D, et al. A mutation in the human leptin receptor causes obesity
nombre de facteurs génétiques et à leur corégulation dans and pituitary dysfunction. Nature 1998;392:398–401.
différents tissus. [6] Lahlou N, Clement K, Carel JC, Vaisse C, Lotton C, Le
Ces stratégies s’avèrent, à ce titre, complémentaires de Bihan Y, et al. Soluble leptin receptor in serum of subjects with
l’approche génétique. Le développement de ces technolo- complete resistance to leptin: relation to fat mass. Diabetes 2000;
49:1347–52.
gies fonctionnelles dans le contexte de la connaissance du
génome humain est important. Elles peuvent être appliquées [7] Cone RE. Happloinsufficiency of the melanocortine-4 receptor, part
of the thrifty genotype ? J Clin Invest 2000;106:185–7.
à la régulation du bilan d’énergie.
[8] Vaisse C, Clement K, Durand E, Hercberg S, Guy-Grand B,
Froguel P. Melanocortin-4 receptor mutations are a frequent and
heterogeneous cause of morbid obesity. J Clin Invest 2000;106:
5. Conclusion 253–62.
[9] Farooqi IS, Yeo GS, Keogh JM, Aminian S, Jebb SA, Butler G, et al.
La constitution de banques d’ADN et de données phé- Dominant and recessive inheritance of morbid obesity associated
notypiques de larges cohortes de patients et de familles with melanocortin 4 receptor deficiency. J Clin Invest 2000;106:
271–9.
laisse prévoir des progrès décisifs dans la compréhension et
la prise en charge de l’obésité. L’étude des caractères [10] Chagnon YC, Perusse L, Weisnagel SJ, Rankinen T, Bouchard C.
The human obesity gene map: the 1999 update. Obes Res 2000;8:
héréditaires, l’étude du génome et des gènes, de leur 89–117.
fonction, de leur régulation et de leurs interactions, sont de [11] Clement K, Ruiz J, Cassard-Doulcier AM, Bouillaud F, Ricquier D,
nature à bouleverser notre approche actuelle des maladies à Basdevant A, et al. Additive effects of A->G (-3826) variant of the
fort impact sur la santé publique... Mais on peut imaginer uncoupling protein gene and the Trp64Arg mutation of the beta-3
que la connaissance des facteurs étiologiques permettra de adrenergic receptor gene on gain weight in morbid obesity. Int J
développer dans l’avenir des stratégies préventives plus Obes 1996;20:1062–6.
efficaces et de meilleurs traitements. L’avenir nous dira si le [12] Otabe S, Clement K, Dina C, Pelloux V, Guy-Grand B, Fro-
guel P, et al. Genetic variation in the 5’ flanking region of the UCP3
choix de ces stratégies était judicieux pour la mise en
gene is associated with body mass index in human in interaction
évidence de cibles de médicaments nouveaux. with physical activity. Diabetologia 2000;43:245–9.
[13] Altshuler D, Hirschhorn JN, Klannemark M, Lindgren CM,
Vohl MC, Nemesh J, et al. The common PPARgamma Pro12Ala
Références polymorphism is associated with decreased risk of type 2 diabetes.
Nat Genet 2000;26:76–80.
[1] Kahn R. Triglycerides and toggling the tummy. Nat Genet 2000;25: [14] Hager J, Dina C, Francke S, Dubois S, Houari M, Vatin V, et al. A
6–7. genome-wide scan for human obesity genes shows evidence for a
[2] Barsh GS, Farooqi IS, O’Rahilly S. Genetics of body weight major susceptibility locus on chromosome 10. Nat Genet 1998;20:
regulation. Nature 2000;404:644–51. 304–38.

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