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Loi de Finances 2021 :

La législation prix de transfert


à l’épreuve du droit comparé

CÉDRIC MAHEO
CMS Francis Lefebvre Maroc
Directeur Prix de Transfert

La législation marocaine en vigueur en matière de prix de transfert se modernise ; lentement, mais sûrement. La Loi de
Finances 2015 avait ainsi instauré la procédure d’Accord Préalable sur les Prix de Transfert (rendue effective après la
publication du décret du 3 juillet 2017). L’an dernier, c’est la déclaration pays par pays qui fut au menu de la Loi de Finances.
Cette année, le législateur est venu apporter des précisions relatives à l’obligation documentaire d’ores et déjà codifiée dans
le Code Général des Impôts depuis 2019.
Dans une région où il est de bon ton de se conformer diligemment aux directives du Projet BEPS, ce modus operandi
apparaît quelque peu singulier. Car en effet, là où d’autres pays africains transposent d’une traite en droit interne un
package de mesures dictées par l’OCDE, le législateur marocain temporise et « customise ».
Cette tardiveté relative nous offre néanmoins la possibilité d’une analyse comparative plus éclairée. Décryptage…

• c) plus de la moitié de son capital ou des droits de vote


I. Consécration d’un seuil de matérialité est détenue, à la clôture de l’exercice, directement ou
La nouvelle mouture de l’article 214-III-A du Code Général indirectement, par une société remplissant la condition
des Impôts (ci-après « CGI ») impose aux entreprises mentionnée au point a). »
marocaines de préparer une documentation des prix de Ainsi, dès lors qu’une seule entité de la « lignée » dépasse
transfert dès lors qu’elles enregistrent un chiffre d’affaires
le seuil critique, elle plonge mécaniquement l’entité
hors taxe ou un actif brut au bilan supérieur à 50 millions
sénégalaise – qui ne franchissait pas nécessairement le seuil
de dirhams. Une donnée nouvelle, qui amène plusieurs
à son niveau – dans l’obligation.
commentaires :
On remarquera toutefois que ce dispositif comporte lui-
a) Champ d’application
aussi une limite, au sens où il ignore le sort des éventuelles
A titre liminaire, on remarquera que la condition de sociétés sœurs. De ce point de vue, le dispositif français
franchissement de seuil ne porte que sur l’entité marocaine (article L13 AA du Livre des Procédures Fiscales), codifié
visée par une éventuelle vérification de comptabilité. Cela dès 2010, semble le plus complet, puisqu’il introduit un
peut sembler évident, à première vue. Un rapide benchmark élément supplémentaire par rapport aux points b) et c) du
montre cependant qu’il n’en est rien. texte sénégalais, en conditionnant le déclenchement de
En effet, d’autres juridictions, comme le Sénégal, l’obligation documentaire au franchissement du seuil de
conditionnent la production d’une documentation prix de droit interne par n’importe quelle entité du groupe :
transfert au franchissement du seuil par l’entité vérifiée, ses « I. – Les personnes morales établies en France :
actionnaires ou ses filiales (directs ou indirects). Voici en […]
guise d’illustration, un extrait de la rédaction de l’article 638
du CGI sénégalais : • e) Appartenant à un groupe relevant du régime fiscal prévu
à l’article 223 A ou à l’article 223 A bis du même code lorsque
« […] Cette obligation s’applique à la personne morale si : ce groupe comprend au moins une personne morale
• a) elle a un chiffre d’affaires annuel hors taxes ou un actif satisfaisant l’une des conditions mentionnées aux a,
brut d’au moins cinq milliards (5.000.000.000) de francs ; b, c ou d, doivent tenir à disposition de l’administration une
ou documentation permettant de justifier la politique de prix de
transfert pratiquée dans le cadre de transactions de toute
• b) elle détient à la clôture de l’exercice, directement ou
nature réalisée avec des entités juridiques liées […] »
indirectement, plus de la moitié du capital ou des droits de
vote d’une société établie ou constituée au Sénégal ou hors En choisissant de ne faire peser l’obligation documentaire
du Sénégal, remplissant la condition mentionnée au point aux entreprises marocaines que dès lors qu’elles
a) ; ou franchissent elles-mêmes le seuil de 50 millions de

36 LETTRE D’ARTEMIS 1er TRIMESTRE 2021


dirhams, le législateur marocain s’est donc montré plutôt de chiffres d’affaires, mais avec pour seule transaction
clément avec les contribuables. intragroupe des intérêts sur compte courant pour un
montant annuel de 50 000 dirhams, sera soumise à

1. FISCAL ET COMPTABLE
À l’heure des débats enflammés sur l’imposition des GAFA et
obligation documentaire, là où la filiale réalisant un chiffre
des projets Pillar I et Pillar II, on pourra néanmoins regretter
d’affaires de 49 millions de dirhams avec un unique client,
que certains géants du numérique, souvent prompts à
qui se trouve être une société liée, en sera exonéré.
enregistrer un faible niveau de chiffres d’affaires dans les
différentes juridictions d’implantation, mais des milliards de De fait, l’instauration d’un seuil de matérialité portant sur
dollars dans la juridiction du siège, puissent – grâce à ce type le montant agrégé des transactions ne souffre aucun point
de rédaction – passer entre les mailles du filet au Maroc... faible ; le vérificateur ayant bien l’assurance que toutes les
transactions significatives seront documentées.
b) Du choix de l’assiette de référence
En second lieu, on remarquera que le seuil de déclenchement a) Pourquoi 50 millions ?
est exprimé en référence à une double variable. En ce qui Un rapide coup d’œil alentour permettra de constater que
concerne le chiffre d’affaires, la logique est intelligible ; il ce seuil de 50 millions de dirhams est inférieur à ceux en
s’agit de ne viser que les entreprises d’une certaine taille. vigueur dans la région. Pour corroborer le propos, le tableau
Pour l’actif brut en revanche, le point mérite éclaircissements. ci-dessous livre un aperçu des seuils de déclenchement de
L’idée sous-jacente est de pouvoir faire entrer dans le l’obligation documentaire en matière de prix de transfert
champ d’application du texte ce qu’on appelle les « holdings dans certains pays avoisinants :
mixtes », qui – par essence – ont une activité opérationnelle
Seuil de déclenchement
limitée, mais portent en revanche des participations dont les
de l’obligation documentaire
valorisations au bilan peuvent être significatives.
Juridiction prix de transfert
Ces sociétés n’ayant souvent vocation qu’à déployer une En monnaie En Euro
activité intragroupe (assistance technique, concession locale (approx.)
du droit d’utilisation d’actifs incorporels, financement par
compte courant d’associé, etc.) le législateur a souhaité Maroc 50 millions MAD 4,5 millions €
s’aménager la possibilité d’exiger légalement toutes les
Mali 3 milliards XOF 4,6 millions €
informations susceptibles de lui permettre d’apprécier
le respect du principe de pleine concurrence dans la Tunisie 20 millions TND 6 millions €
valorisation du prix des transactions susmentionnées.
300 millions
Si le franchissement d’un niveau de chiffre d’affaires Mauritanie 6,8 millions €
MRU
correspond, et très de loin, à l’expression la plus répandue en
matière de déclenchement des obligations documentaires, Sénégal 5 milliards XOF 7,6 millions €
cela ne doit pas pour autant être considéré comme la
panacée. On constate que le Maroc possède le seuil le plus bas de la
région, ce qui peut sembler contre-
En effet, il existe également intuitif, puisque le marché marocain
des obligations documentaires (et par extension son tissu de firmes
adossées à un seuil de matérialité
des transactions intragroupe.
La doctrine fiscale a multinationales) est de loin le plus
développé par ailleurs (d’après les
En Espagne par exemple, seules scellé, dans la Note données de PIB disponibles). De
ce point de vue, le placement du
doivent être documentées les
transactions dont le montant
annuel agrégé (par nature de
Circulaire n° 731, curseur par le législateur semble
sévère.
transaction) dépasse 250 000€.
Situation quasi-identique au Ghana,
le fait que ces Pour mémoire, la Loi de Finances
2016 avait intronisé un seuil de 50
où les nouvelles TP Regulations
(2020) exonèrent les contribuables
nouvelles règles millions de dirhams de chiffres
d’affaires (article 212-I du CGI)
de documenter les flux dont le
montant agrégé par nature est
applicables en comme élément discriminant
de la durée d’un contrôle fiscal
inférieur à l’équivalent en GNF de
200 000 USD. En Tunisie, la Loi de
matière de prix (3 mois vs. 6 mois). Il s’agissait là
d’un arbitrage permettant d’ériger
Finances 2021 a instauré un seuil
minimum 100 000 TND (un peu
de transfert (sans la nommer explicitement)
une catégorie des « Grandes
plus de 30 000€) pour qu’un flux
soit documenté. visaient « une mise Entreprises ».

Cette approche semble bien


plus pertinente en pratique. Car
en conformité En d’autres termes, le législateur
n’a fait que reprendre ce seuil pour

avec les normes


mettre l’obligation documentaire
en effet, le dispositif marocain
en matière de prix de transfert
(et ses équivalents à l’étranger)
internationales »
uniquement à la charge de ce qu’il
ouvre la voie a plusieurs situations
considère comme des grandes
dommageables en pratique.
entreprises. La pratique est en ce
À titre d’exemple, une société sens uniforme avec celle du Mali,
réalisant 100 millions de dirhams de la Mauritanie et du Sénégal,

37
juridictions dans lesquelles, seules les entreprises relevant devront comprendre ces fichiers locaux et principaux.
de la « Direction des Grandes Entreprises » sont soumises à
En effet, la doctrine administrative, au travers de sa Note
l’obligation de produire une documentation prix de transfert.
Circulaire n° 729 du 23 janvier 2019, indiquait que « les
L’administration s’explique d’ailleurs sur ce point au travers modalités de présentation de cette documentation seront fixées
de sa doctrine administrative (Note Circulaire n° 731 du 21 par voie réglementaire ». Or, à l’heure où ces lignes sont
janvier 2021) : écrites, soit plus de deux ans après la codification de l’article
214-III-A dans le CGI, ce décret d’application se fait toujours
« Avant l’entrée en vigueur de la LF n° 65-20 pour l’année 2021,
attendre...
l’obligation de mettre à la disposition de l’administration fiscale
la documentation permettant de Il est vrai qu’en matière de définition
justifier la politique de prix de transfert du contenu documentaire, deux
s’appliquait à toutes les entreprises écoles cohabitent. Dans certains
ayant des liens de dépendance directe La Loi de Finances pays, comme en France, au Mali
ou indirecte avec des entreprises ou au Burkina Faso, les éléments
situées hors du Maroc, sans distinction 2021 a été l’occasion devant figurer dans le package
de leur taille et de la nature de leurs documentaire figurent directement
transactions. pour le législateur dans l’article de loi, ce qui simplifie
grandement les choses.
Vu que le coût de conformité à cette
obligation pourrait pénaliser les de moderniser Mais dans nombre d’autres pays
petites et moyennes entreprises,
l’article 6-I de la loi de finances sa sémantique, de la région, le texte du CGI renvoie
ou est complété par un arrêté, un

en introduisant à
n° 65-20 précitée a complété les décret ou encore une instruction ;
dispositions de l’article 214-III-A du c’est le cas notamment en Algérie,
en Tunisie, au Sénégal ou encore au
CGI par une disposition limitant le
champ d’application de l’obligation l’article 214-III-A du Cameroun.

CGI - les notions de


de produire un fichier principal et un Dès lors, la problématique qui se
fichier local aux grandes entreprises. » pose est bien évidemment celle de
Le législateur épouse en ce sens les
recommandations de l’OCDE, qui
« fichier principal » la célérité avec laquelle le législateur
met les éléments pertinents à
rappellent que :
(de l’anglais disposition du contribuable. De
ce point de vue, on peut citer
« Lorsqu’une juridiction impose la
conservation de certaines informations « Masterfile ») et en exemple le Bénin, qui, après
instauration d’une obligation
aux fins de vérification des prix de
transfert, ces obligations devraient de « fichier local » documentaire en matière de prix
de transfert par la Loi de Finances
correspondre à un juste équilibre
(« Local file »)
2020 (du 27 décembre 2019), a
entre le besoin d’informations de publié l’Arrêté n° 0121-c définissant
l’administration fiscale et la charge le contenu de ladite obligation
que représente le respect de ces règles documentaire dès le 24 janvier
pour les contribuables »1 . 2020, soit moins d’un mois après
Au cas d’espèce, l’affirmation chevaleresque de publication de la loi de Finances : un délai record.
l’administration mérite toutefois d’être nuancée. Car en Au Maroc, le circuit est historiquement plus chronophage...
effet, le décret d’application (rendant l’obligation effective) On se souvient notamment des deux années et demie
n’ayant nullement vu le jour (cf. infra), jamais un contribuable écoulées pour que le décret rendant effectif la procédure
n’a jusqu’à présent été légalement tenu de fournir une d’accord préalable sur les prix soit promulgué. Au cas
documentation prix de transfert en bonne et due forme. d’espèce, ce retard est d’autant plus regrettable qu’il n’existe
Pour le dire plus clairement, l’instauration du seuil visait donc aucune forme de suspense quant au texte qui verra le jour
davantage à combler une lacune de la loi qu’à exonérer qui in fine…
que ce soit.
En effet, la doctrine fiscale a scellé, dans la Note Circulaire
II. Un contenu conforme aux standard internationaux n° 731, le fait que ces nouvelles règles applicables en matière
de prix de transfert visaient « une mise en conformité avec
La Loi de Finances 2021 a également été l’occasion pour le les normes internationales ».
législateur de moderniser sa sémantique, en introduisant –
toujours à l’article 214-III-A du CGI - les notions de « fichier Au surplus, dans un webinaire tenu récemment sur le sujet2,
principal » (de l’anglais « Masterfile ») et de « fichier local » un éminent membre de la DGI expliquait que le décret
(« Local file »). était prêt, et que le contenu de l’obligation ne « s’écarterait
pas des standards » que constituent les Annexe I et II au
Pour autant, les contribuables demeurent toujours à ce jour chapitre V des Principes OCDE Applicables en matière de
dans l’attente de la liste exhaustive des informations que Prix de Transfert.

Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à


1
Webinaire du 25 janvier 2021 sur le thème « Prix de transfert : Apports
2

l’intention des entreprises multinationales et des administrations de la nouvelle loi de finances 2021 », organi-sé par l’ordre des experts
fiscales, OCDE, Juillet 2017 - §5.14 comptable de la région Tanger, Tetouan et Al Hoceima.

38 LETTRE D’ARTEMIS 1er TRIMESTRE 2021


Actifs incorporels du groupe multinational
• Une description générale de la stratégie globale du

1. FISCAL ET COMPTABLE
groupe multinational en matière de mise au point,
de propriété et d’exploitation des actifs incorporels,
notamment la localisation des principales installations
de R&D et celle de la direction des activités de R&D ;
• Une liste des actifs incorporels ou des catégories d’actifs
incorporels du groupe multinational qui sont importants
pour l’établissement des prix de transfert, ainsi que des
Loi de entités qui en sont légalement propriétaires ;

Finances • Une liste des accords importants entre entreprises


associées identifiées relatifs aux actifs incorporels,
y compris les accords de répartition des coûts, les
principaux accords de services de recherche et les
accords de licence ;
• Une description générale des politiques du groupe en
matière de prix de transfert relatives à la R&D et aux
actifs incorporels ;
• Une description générale des éventuels transferts
importants de parts d’actifs incorporels entre entreprises
associées au cours de l’exercice fiscal considéré,
Ainsi, sauf surprise, le décret exigera des contribuables mentionnant les entités, les pays et les rémunérations
marocains visés par l’obligation documentaire qu’ils correspondantes ;
produisent les éléments suivants :
Activités financières interentreprises du groupe
Fichier Principal : multinational

Structure organisationnelle • Une description générale de la façon dont le groupe


est financé, y compris des accords de financement
• Schéma illustrant la structure juridique et capitalistique importants conclus avec des prêteurs indépendants du
du groupe multinational ainsi que la situation groupe multinational ;
géographique des entités opérationnelles ;
• L’identification de tous les membres du groupe
Description du domaine d’activité du groupe multinational multinational exerçant une fonction centrale de
financement pour le groupe, y compris du pays de
• Les sources importantes de bénéfices de l’entreprise ;
constitution des entités considérées et de leur siège de
• Une description de la chaîne d’approvisionnement des direction effective ;
cinq principaux biens et/ou services offerts par le groupe • Une description générale des politiques du groupe
(classés en fonction du chiffre d’affaires) ainsi que de tout multinational en matière de prix de transfert relatives aux
autre bien et/ou service représentant plus de 5 pour cent accords de financement entre entreprises associées ;
du chiffre d’affaires du groupe. La description requise
pourrait prendre la forme d’un schéma ou diagramme ; Situations financière et fiscale du groupe multinational

• Une liste et une brève description des accords importants • Les états financiers consolidés annuels du groupe
de prestation de services entre membres du groupe multinational pour l’exercice fiscal considéré s’ils sont
préparés par ailleurs à des fins d’information financière,
multinational, autres que les services de recherche-
réglementaires, de gestion interne, fiscales ou autres ;
développement (R&D), incluant une description des
capacités des principaux sites fournissant des services Une liste et une description brève des accords préalables
importants et des politiques appliquées en matière de en matière de prix de transfert unilatéraux conclus par le
prix de transfert pour répartir les coûts des services groupe et autres décisions des autorités fiscales concernant
et déterminer les prix facturés pour les services intra- la répartition des bénéfices entre pays.
groupe ;
Fichier Local :
• Une description des principaux marchés géographiques
Entité locale
pour les biens et services du groupe auxquels il est fait
référence au deuxième point de cette énumération ; • Une description de la structure de gestion de l’entité
locale, un organigramme local, et une description des
• Une brève analyse fonctionnelle écrite décrivant les personnes auxquelles l’encadrement local rend des
principales contributions des différentes entités du comptes et du (des) pays dans lequel (lesquels) se trouve
groupe à la création de valeur, c’est-à-dire les fonctions l’établissement principal de ces personnes ;
clés exercées, les risques importants assumés et les
actifs importants utilisés ; • Une description précise des activités effectuées et de la
stratégie d’entreprise mise en œuvre par l’entité locale,
• Une description des opérations importantes de indiquant notamment si cette entité locale a été impliquée
réorganisation d’entreprise ainsi que d’acquisition et de dans ou affectée par des réorganisations d’entreprises
cession d’actifs intervenant au cours de l’exercice fiscal ; ou des transferts d’actifs incorporels pendant l’année

39
en cours ou la précédente, et expliquant quels sont les • Une description des éventuels ajustements de
aspects de ces transactions qui affectent l’entité locale ; comparabilité effectués, étant entendu qu’il conviendra
d’indiquer si ces ajustements ont été apportés
• Principaux concurrents ;
aux résultats de la partie testée, aux transactions
Transactions contrôlées comparables sur le marché libre, ou aux deux ;

• Une description des transactions contrôlées importantes • Une description des raisons pour lesquelles il a été conclu
(telles que l’achat de services de fabrication, l’acquisition que les prix des transactions considérées avaient été
de biens, la fourniture de services, les prêts, les garanties établis conformément au principe de pleine concurrence
financières et garanties de bonne exécution, la concession via l’application de la méthode de détermination des prix
de licences portant sur des actifs incorporels, etc.) et du de transfert retenue ;
contexte dans lequel se déroulent ces transactions ;
• Une synthèse des informations financières utilisées
• Les montants des paiements et recettes intragroupe pour appliquer la méthode de détermination des prix de
pour chaque catégorie de transactions contrôlées transfert ;
impliquant l’entité locale (c’est-à-dire des paiements et
• Une copie des accords de fixation préalable de prix de
recettes correspondant à des biens, des services, des
transfert (APP) unilatéraux, bilatéraux et multilatéraux
redevances, des intérêts, etc.) ventilés en fonction de la
existants ainsi que des autres décisions des autorités
juridiction fiscale du payeur ou du bénéficiaire étranger ;
fiscales auxquelles la juridiction fiscale locale n’est pas
• Une identification des entreprises associées impliquées partie et qui sont liées à des transactions contrôlées
dans chaque catégorie de transactions contrôlées et des décrites plus haut ;
relations qu’elles entretiennent ;
Informations financières
• Une copie de tous les accords interentreprises
importants conclus par l’entité locale ; • Les comptes financiers annuels de l’entité locale pour
l’exercice fiscal considéré. S’il existe des états financiers
• Une analyse de comparabilité et une analyse fonctionnelle vérifiés, ils doivent être fournis et dans le cas contraire,
détaillées du contribuable et des entreprises associées il conviendra de fournir les états financiers non vérifiés
pertinentes pour chaque catégorie de transactions existants.
contrôlées évoquée dans la documentation, y compris
les éventuels changements par rapport aux années • Des informations et des tableaux de répartition montrant
précédentes ; comment les données financières
utilisées pour appliquer la méthode
• Une indication de la méthode de détermination des prix de
de détermination des prix transfert peuvent être reliées aux
de transfert la plus adaptée
états financiers annuels ;
au regard de la catégorie de
transactions considérée et des La non- • Tableaux synthétiques des
raisons pour lesquelles cette
méthode a été choisie ; documentation données financières se rapportant
aux comparables utilisés dans le
• Une indication de l’entreprise
associée choisie comme partie
est perçue comme cadre de l’analyse et des sources
dont sont tirées ces données.
testée, le cas échéant, et une
explication des raisons de cette
un élément de Au niveau du Masterfile, la
transmission à l’administration
sélection ;
dissimulation, un fiscale marocaine des comptes
consolidés du groupe – document
• Une synthèse des hypothèses
importantes qui ont été posées facteur aggravant du souvent considéré comme sensible
– marque une véritable rupture. Il
pour appliquer la méthode de
fixation des prix de transfert transfert de bénéfice n’est pas impossible que ce nouvel
impératif occasionne d’ailleurs une
retenue ;
• Le cas échéant, une explication à l’étranger certaine réticence de la part des
entreprises.
des raisons pour lesquelles
une analyse pluriannuelle a été Côté Local File en revanche, la
réalisée ; description minutieuse des attentes
en termes d’études de comparables
• Une liste et une description pourrait se révéler plutôt favorable aux contribuables... En
de certaines transactions comparables sur le marché effet, les inspecteurs n’auront à termes d’autres choix que
libre (internes ou externes), le cas échéant, et des de monter en compétence pour « parler le même langage »
informations sur les indicateurs financiers pertinents
que les entreprises.
relatifs à des entreprises indépendantes, utilisés dans le
cadre de l’analyse des prix de transfert, y compris une Gageons donc que cette nouvelle donne sonne le glas de
description de la méthode de recherche de données l’utilisation des fameux « comparables secrets » ; odieuse
comparables et de la source de ces informations ; pratique (dénoncée par l’OCDE3) trop souvent usitée par les

Source: « Transfer Pricing Comparability Data and Developing Countries » - Publication CDE – 2014 – Page 5
3

40 LETTRE D’ARTEMIS 1er TRIMESTRE 2021


vérificateurs pour gonfler artificiellement les montants des Ce minimum est le plus élevé parmi les pays du Maghreb,
notifications de redressements. comme en témoigne le tableau ci-dessous :

1. FISCAL ET COMPTABLE
Mais, au-delà de ces considérations subsidiaires, force Sanction minimale (par
est de constater d’emblée qu’il s’agit là d’un format exercice vérifié) pour défaut de
documentaire extrêmement lourd. Pour mémoire, sa production d’une documentation
Juridiction prix de transfert
production est censée s’effectuer de manière automatique.
La Loi de Finances 2021 consent certes un délai de 30 jours En monnaie En Euro
si ladite documentation n’est pas produite « à première locale (approx.)
demande », mais en l’absence d’anticipation, cette tolérance Mauritanie 500 000 MRU 11 500€
risque fort de s’avérer insuffisante.
Algérie 2 000 000 DZD 12 500€
D’autant plus qu’au cas particulier, les différences de niveau
Tunisie 50 000 TND 15 000€
de seuils d’un pays à un autre ne jouent pas nécessairement
en faveur du contribuable marocain… On rappelle que, Maroc 200 000 MAD 18 000€
dans l’esprit, la préparation du fichier principal est plutôt
du ressort de la maison mère. Quid, dès lors, d’une maison
mère non soumise à obligation dans son pays, mais tenue Autre donnée à méditer, l’amende au Maroc est presque
à la production d’un Masterfile au Maroc ? Et le cas n’a rien 2 fois supérieure à la sanction en vigueur en France (10
000€ par exercice vérifié), alors même que le seuil de
de théorique. On rappelle que le Maroc compte plus de 900
déclenchement de l’obligation documentaire y est près de
filiales de groupes français sur son territoire4. Or, en France,
90 fois inférieur... Le législateur marocain a décidément
le seuil de déclenchement de l’obligation de documentation eu la main bien lourde…
des prix de transfert s’établit à 400 M€ de chiffre d’affaires
(statutaire) ou d’actif brut. b) Le faux rapport de cause à effet

Dans bon nombre de situations, la filiale marocaine (parce On sait l’administration des impôts marocaine formaliste ;
parfois plus tatillonne sur la forme que sur le fond. Et de ce
qu’elle franchit à son niveau le seuil en vigueur au Maroc)
point de vue, la manière dont est rédigée la loi apporte un
sera tenue de communiquer un fichier principal qui n’est
éclairage formidable.
pas prêt au niveau de la maison mère, et ce pour l’exacte
raison inverse. En effet, au Maroc (comme en Mauritanie, au Sénégal ou
encore en Tunisie), la pénalité s’exprime par référence aux
C’est donc à l’entité marocaine que reviendra le fardeau montants des transactions « non-documentées ». En France,
de préparer – from scratch – un Masterfile susceptible de l’Article 1735 ter du CGI ajoute un mécanisme alternatif.
satisfaire aux exigences de l’administration, avec toutes En effet, la pénalité égale à 0,5% du montant des transactions
les difficultés d’accès à l’information pertinente que cela ne s’applique que si elle est supérieure à une pénalité
égale à 5% du montant des rectifications opérées
implique. Sacré chantier.
par l’inspecteur concernant les prix de transfert
(sans – bien sûr – que l’une ou l’autre des deux sanctions
III. Réflexions autour de la sanction potentielles ne puissent être inférieures au minimum
de 10 000€ susmentionné).
La Loi de Finances 2021 a également instauré une sanction
en cas de défaut de production de la documentation prix En d’autres termes, la non-documentation est perçue
de transfert visée à l’article 214-III-A du CGI, comblant ainsi comme un élément de dissimulation, un facteur aggravant
l’incroyable vide qu’avait laissé la Loi de Finances 2019. du transfert de bénéfice à l’étranger. Sur le plan conceptuel,
le raisonnement est limpide... Le fait de s’être rendu
Désormais donc, la non-communication des documents coupable d’érosion de sa base taxable mérite d’autant plus
exigés se traduira par l’application d’une amende égale à d’être sanctionné si les documents pertinents ont fait l’objet
0,5% du montant des transactions intragroupe non- de rétention. Mais pourquoi, dès lors, ne pas avoir repris
documentées, sans que le montant de l’amende ne puisse cette sanction alternative (prévue en droit français depuis
2010) en droit interne ?
être inférieur à 200 000 dirhams par exercice vérifié
(Article 185-IV du CGI). Un dispositif qui invite lui-aussi à Est-ce à dire que le législateur marocain, en tant
quelques réflexions : qu’observateur éclairé, ne place aucune espèce de
confiance en la pratique du contrôle fiscal tel qu’effectué
a) Une pénalité minimale record par ses brigadiers (et préfère à ce titre s’auto-censurer pour
prévenir toute forme d’abus) ? Il est à tout le moins permis
On se souvient que le droit de reprise de l’administration de le penser.
(souvent appelé « prescription ») est de 4 exercices au Maroc.
Ainsi, l’absence de communication d’une documentation c) La menace d’un anachronisme
prix de transfert en cas de contrôle fiscal pourrait être Une ultime réflexion, mais non des moindres, concerne la
sanctionnée d’une amende de 800 000 dirhams, minimum. question de l’applicabilité de cette sanction dans le temps.

Chiffres communiqués par l’Ambassade de France au Maroc pour l’année 2017 – Données publiées sur son site web institutionnel et modifiées pour
4

la dernière fois le 3/12/2019.

41
La doctrine administrative prévoyait une exigibilité
de la documentation prix de transfert dans le cadre
des vérifications de comptabilité engagées à partir du
1er janvier 2020. Dans les faits, le décret d’application
n’existe pas (ou du moins, pas encore). L’obligation n’est donc
pas effective, et un contribuable ne saurait être sanctionné à
ce jour pour non-production d’une documentation des prix
de transfert…
Le législateur nous promet toutefois une promulgation
imminente, ce qui renvoie à une question fondamentale :
dans l’hypothèse d’un contrôle fiscal survenant au 2nd
semestre 2021, une documentation prix de transfert sera-t-
elle exigible ? et le cas échéant, au titre de quel(s) exercice(s) :
2020 seulement, ou également les exercices antérieurs ?
Si ces dernières hypothèses devaient avoir la faveur des
vérificateurs, nous aurions alors un sérieux problème de
constitutionalité, la loi ne pouvant pas – en principe - être
rétroactive.
Espérons, donc, que le décret à venir et/ou une quelconque
doctrine sur le sujet permette de mettre fin au débat en
prenant position de manière suffisamment explicite, et que
le législateur ne se rendra pas coupable - par omission – de
complicité des abus auxquels les examinateurs risquent de
se livrer (en exigeant indûment les documentations).
Sur ce volet, on ne peut qu’inviter le Maroc à s’inspirer de la
Tunisie, dont la doctrine brille par sa transparence. En effet,
la Note Commune n° 13 commentant les dispositions de la
Loi de Finances 2019, précisait noir sur blanc, au sujet de
l’obligation documentaire locale :
«  Les nouvelles dispositions relatives à l’obligation
documentaire en matière de prix de transfert et aux
sanctions y afférentes s’appliquent aux exercices
comptables ouverts à partir du 1er janvier 2020 et faisant
l’objet d’un avis préalable de vérification notifié à partir du
1er janvier 2021 ».
Ou comment remettre au goût du jour la maxime de
Talleyrand : « Si cela va sans dire, cela ira encore mieux en le
disant ! ».
Nous demeurons donc dans l’expectative. Mais, comme
exposé précédemment, les contribuables seraient en
tout état de cause bien inspirés d’entamer dès à présent
les travaux de documentation afin de lisser la charge de
travail ; car les travaux de compliance prix de transfert ne
s’arrêteront pas là !
Selon toute vraisemblance, la Loi de Finances 2022
transposera en effet en droit marocain le dernier élément
du package d’obligations de reporting en matière de
prix de transfert, à savoir la déclaration annuelle des

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N° 18 - 1 ER Trimestre 2021 BULLETIN TRIMESTRIEL D’INFORMATION JURIDIQUE ET FISCALE

1. Fiscal et comptable
L’EXTERNALISATION DU PATRIMOINE
IMMOBILIER PROFESSIONNEL :
Quelles implications juridiques,
fiscales et comptables ?

LA LÉGISLATION PRIX DE TRANSFERT


À L’ÉPREUVE DU DROIT COMPARÉ :
Nouveautés de la loi de finances 2021

2. Juridique
L’APPORT DU NUMÉRIQUE À LA
VEILLE JURIDIQUE POUR LA RÉUSSITE
DE L’INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE
QUEL AVENIR POUR LE RÉGIME
JURIDIQUE DU DIRIGEANT SALARIÉ DANS
LA SOCIÉTÉ ANONYME MAROCAINE ?
CROWDFUNDING AU MAROC :
Nouveau cadre légal
du financement collaboratif

‫ مؤسسة استراتيجية في صلب‬: ‫المعهد العالي للقضاء‬


‫ورش إصالح منظومة العدالة‬
ISM : Une institution stratégique
au cœur du chantier de la
réforme du système judiciaire
M. ABDELHNINE TOUZANI
Chargé des Fonctions de Directeur Général de l’Institut Supérieur de la Magistrature (ISM)

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