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Charles Tissot

Lettre à M. E. Desjardins sur la découverte d'un texte


épigraphique. Table de Souk El-Khmis (Afrique)
In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 24e année, N. 1, 1880. pp. 80-87.

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Tissot Charles. Lettre à M. E. Desjardins sur la découverte d'un texte épigraphique. Table de Souk El-Khmis (Afrique). In:
Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 24e année, N. 1, 1880. pp. 80-87.

doi : 10.3406/crai.1880.68598

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1880_num_24_1_68598
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dans le détail cjui exigerait une démonstration par trop tech-


nique. J'arrêterai ici mes observations, bien persuadé que j'en
ai dit assez pour faire, comprendre combien l'étude du ma-
nuscrit ouïgour m'offrait d'intérêt, je dirai même d'attraction r
quelles que fussent les difficultés dont elle était entourée.

LETTRE DE M. CHARLES TISSOT, CORRESPONDANT DE L'INSTITUT,


À M. E. DESJARDINS SUR LA DECOUVERTE D'UN TEXTE EPIGRAPHIQDE.

TABLE DE SOUK EL-KHMIS ( AFRIQUE).

Athènes, 13 mars 1880.


Mon cher ami.
Je vous envoie ci-joint, en vous priant de le communiquer
à l'Académie , l'estampage d'une inscription trouvée récemment «
à Souk el-Khmis, sur la route de Garthage à Bulla Regia, entre
Sidi Ali Djibin (Novis Aquilianis) et HenchirelKaria(.4ii.4rm<w-
cld). Je dois cet estampage à l'obligeance de M. le Dr Dumartin,
médecin adjoint de la ligne de Tunis à la frontière algérienne ,
que j'avais chargé , en quittant l'Afrique il y a huit mois , de
me tenir au courant des découvertes qui pourraient être faites
sur cette ligne.
Autant qu'on en peut juger par l'empreinte que je vous
transmets, l'inscription est gravée sur une table de calcaire
mesurant om,7O sur om, 90. La largeur primitive devait être
de près de im,2O. Une cassure a malheureusement emporté le
quart de la pierre, du côté gauche. L'extrémité inférieure a
également été brisée.
Le texte se composait de quatre colonnes d'une trentaine de
lignes. La première colonne a presque entièrement disparu par
suite de la brisuie latérale. La seconde colonne compte encore
trente-deux lignes : les dix premières seules sont entières, les
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FAC-SIMILE DE L'INSCRIPTION DE SOUK. EL- KHMIS


Ch. Tissot.
— 81 —

autres sont plus ou moins entamées bu, pour' mieux dire, de


plijs,. e$ plus entamées; par la cassure oblique qui a emporté
tourte oôté gauche de la pierre- La troisième colonne se com
pose d© trente lignes. La quatrième en compte vingt-huit,
mais 'i ée la quinzième à la vingt-deuxième ligne , elle présente
une lacune occasionnée par un accident qui a emporté la sur
face de la pierre.
ι

Malgré ces lacunes et les difficultés de lecture, que présen


tent
quelques-unes des parties conservées , le sens général du
texte n'est pas douteux et permet de se rendre compte des ci
rconstances dans lesquelles a été gravée l'inscription de Souk
el-Khinis.
La, première partie de ce monument reproduit évidemment
le texte d'une requête adressée à l'empereur Commode par les
colons d'un domaine impérial dont le nom se retrouve, je crois %
à Ja 12e ligne de la amo colonne : Saltus Burunidanus ou Bu-
runitanus ; la 8e lettre est douteuse.
Les colons de ce domaine se plaignent, des abus dont se
sont rendus coupables à leur égard certains agents subalternes,
notamment un fermier, conductor, nommé Julius Maximus. Ils
protestent contre des répétitions injustifiables, qui s'appliquent
a μηβ longue période écoulée, per tôt rétro annos. Ils ont va
inement opposé à ces exigences les règlements et les ordres
impériaux : inslanlibus ac suplicantibus ve&tramque divinam sub-
scriptionem adlegantibus. On n'a répondu à leurs justes récl
amations que par des mesures de coercition ; on les arrête, on
les emprisonne , on les fait périr sous le bâton et les verges ,
bien que quelques-uns des plaignants soient citoyens romains ;
et l'autorité militaire prête main-forte à ces abus ; missis mili-
libus. . . adprehendi et vexari . . . nonnullos etiam cives rofmanos]
virgis etfustibm ejfligi (sic) jussit.
Les dernières lignes, malheureusement très mutilées, de la
deuxième colonne faisaient mention d'un autre grief indiqué
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par un mot qui se trouve expliqué plus bas. Les colons impé
riaux se plaignent des corvées, opéras (ligne 3i ), qu'on exige
d'eux contre tout droit, et aussi contre l'intérêt du fisc impér
ial
: contra fas atque inpemicien rationum tuarum (col. n , 3 et ά).
Ce grief ^ comme nous le verrons, est le principal.
Les plaignants font donc appel à la divine sollicitude de
l'Empereur. Ils le prient d'intervenir pour que le bénéfice des
réformes consacrées par la loi d'Hadrien leur soit désormais
acquis sans contestation : Ideo rogamus, [Sàrictjwetme /mpera-
tor, ut kapite legis Hadrian[a\e , quod supra scriptum est, ademp-
tum est, ademplum sit. . . et eo sine uUa controversia; — et
pour que les fermiers, conductores, ne s'arrogent plus le droit
d'augmenter arbitrairement le nombre des prestations au tra
vail : jus etiam. . . conductori adversus colonoù ampliandi partes
agrariàs. . . operar[iarum] proi[bitionum\. Ils demandent, en
un mot, que, conformément aux lettres des procurateurs dé
posées dans les archives de la circonscription domaniale de
Carthage, ils n'aient pas à fournir désormais plus de si* cor
vées par an, deux pour les labours, deux pour le sarclage,
deux pour la moisson : Et, ut se habent litterae procuratorum,
quœ sunt in titulario tuo trdcius Karthag[imensis\, non amplius
annuas quant binas aratorias, binas sartorias, binas messorias ope-
ras (3e colonne, lignes 8- 1 3).
Les mêmes conclusions reviennent à la ligne sa : Heque
amplius prœstare nos quant ex ïege Hadriana ex litteras (sic) pro
curatorum tuorum debeamus, id est [ter] binas opéras, prœcipere
digneris, Ut, heneficis Majestatis tûae, rustici tuiVernulaè. . . sal-
tuum tuorum ... Le reste est malheureusement indécliiffrôbîe
ou a disparu par suite de la mutilation qu'a subie îâ 'partie
inférieure de la pierre. ·
La quatrième et dernière colonne contient la seconde partie ,
c'est-à-dire les dispositions prises par l'autorité impériale pour
taire droit à ces justes réclamations.
— 83 —
' -' E# tête figure «ne lettre de l'empereur Commode à ses"

Lurias t Lucuuus et autres , leur défendant


jï contrairement aux dispositions en vigueur en pareille
ntatrke, piiis de six corvée» annuelle* '.: ι [împerttor Gaç\tm
M/A^cttUug €oMtmdùê [Atiteityiinm Sarmaticm GermaÂicus Maçir
mus, Lurio, Lucullo et nomine aliorum procuratorunt : contem-
phto ne dimpuliftae et mstkuli mei ne plus quant 1er binas opéras. . .
cmtra perpétuant formant a vobis exigatur.
Vient ensuite la copie de -la lettre (eùemplum epistulae)
adressée par le procurateur impérial à un agent subalterne,
Àndronicus. Elle est interrompue à la cinquième ligne par la
îacime diont notis avons· parlé ν et elle se termine par la date :
«d&arièVà Carthage, la veille des ides de septembre. »
Les quatre dernières lignes constatent que la pierre sur
laquelle ont été gravés ces trois documents a été achevée et
posée aux ides de. . . , sous le consulat d'Aelîanus et de Gor-
nelianus, par les soins du magistrat local :

CONSVMMATA ET DEDICATA
ÎDIBVS.... t«]ELIANQ ET CORNE
LÎAN[O qOSCVRA ACÎENTE
•■■;; CIVLIO SALAPVTI MAG·

n de^Souk el^Khmis forme, eoname vous le voyez,


tihén cher ami, le: pendant de ceHe deSaepinum1. Dans les
deux ca«, l'autorité impériale intervient pour protéger l'agri
culture contre les abus et les vexations des agents de l'admis
niétfation. Mais le. texte que vient de nous livrer la province
d'Afrique offre un plus grand intérêt en ce sens qu'il se rattache
à une (tes questions les plus discutées , je veux parler des
ér%ines du coionat et de la condition des colons. Nous ne
connaissons l'institution du coionat que par les textes légis-

1 Mommsen, I. N. N., 4916. , '. 1



__ 84 —

latifs de la basse époque, A part un fragment bien connu de


Marcien, qui semble d'ailleurs s'appliquer à certain» inquilini
plutôt qu'à des coloni proprement dits, nous ne possédions
aucun document antérieur. La découverte d'un texte épigra-
phique de la fin du h" siècle est par conséquent une véritable
bonne fortuue.
Ce n'est pas au moment où ce texte va passer sous vos yeux
et sous les yeux de MM. L. Renier, Wallon et Giraud, que
j'essayerai d'en dégager tous les éléments nouveaux d'info
rmation qu'on peut y puiser. Je me borne à constater que l'in<·
scription de Souk el-Khmis justifie complètement l'origine
assignée au colonat par M. Wallon, contre les théories all
emandes, et qu'elle atteste non seulement le plein fonctionne
ment de cette institution au ne siècle de notre ère, comme l'avait
déjà supposé Savigny, mais une première réforme du coionat à
l'époque d'Hadrien.
Au point de vue géographique , l'inscription de Souk ,el
Khmis nous fait connaître une localité nouvelle : le Saltus
Burunidanus qui devait couvrir de ses pâturages et de ses
broussailles1 les pentes méridionales du plateau de Vacca (Badja)
comprises entre Novis Aquilianis et le cours inférieur de
YÂrmascfo (Oued bou Heurtma).
Notre texte enrichit également la géographie administrative
d'une circonscription nouvelle : nous connaissions déjà un
traiïus Thevestinus; l'inscription de Souk el-Khmis nous fait
connaître le tractus Karthaginiensis.
Elle ajoute deux mots nouveaux au dictionnaire épigra-
phique: l'adjectif sartorius, dérivé du verbe sarrire, ne figure
dans aucun lexique; le substantif sartorium, équivalent de
sàrculus, n'appartient qu'à la basse latinité. Le moi tiiularium
était également inconnu : je l'ai traduit par r archives», mais

1 Festus : «Saltum Gallus Aelius, lib.'II significationum -quae ad jus pertinent,


ila définit : saltus est ubi silvae et pasliones sunt ; quarura causa , casae quoque. ?»
— 85 — ■„

il désigne sans doute le dépôt spécial des documents relatifs


à l'affermage des terres fiscales.
Au point de vue chronologique, enfin, l'inscription de
Souk el-Khmis ajoute au moins un nom aux fastes consulaires
du règne de Commode, celui d'un consul suffectus, Corne-
lianus. Nous ne connaissions qu'un seul personnage consulaire
de ce nom : P. Pomponius Comelianus, consul ordinaire en 287.
Le nom ft Aelianus, qui précède celui de Comelianus, a été
porté par deux consuls ordinaires sous le règne de Commode:
Cn. Papirius Aelianus, consul en 1 8Λ avec L. Cossonius Eggius
Maruïlus, etL. Roscius Aelianus , consul en 187 avec L. Brutiius
Quiniius Crispinus. L'un et l'autre sont nommés en seconde
ligne. L. Cossonius Eggius Maruïlus, d'autre part, fut remplacé,
en 18&, par L. Roscius Aelianus Paculus.
Si Y Aelianus de l'inscription de Souk el-Khmis n'est pas un
de ces personnages , ce sont deux consuls sujfecti, au lieu d'un ,
que nous devons ajouter à la liste des Fastes.
Veuillez agréer, mon cher ami, l'expression de mes sent
iments les plus affectueux et les plus dévoués. . -

. . Ch. Tissot.

P.-S. Je ne quitterai pas le terrain de l'épigraphie africaine


sans vous signaler une correction qu'une inscription de Car-
thage nous permet d'apporter à un fragment épigraphique
recueilli par Peyssonnel et publié par Maffei.
Le recueil de MafFei {Muséum Veronense p. cccclx, n. ti)
donne l'inscription suivante comme ayant été trouvée primo
lapide a Bazil bah, dans la régence de Tunis :

DD NN FLAVIO
VALENTINIANO ET
VALENTI AVGG
MVNIM1ZADO
: TËRÈN... ;
— S6 —

Vous savez combien les indications données par Maffei


le lieu de provenance des textes africains sont en général
fectueuses: les noms sont défigurés et les distances appréciées
de la façon la plus arbitraire. Si nous devons reconnaître le
nom de Medjez el-Bab , l'antique MembrttsA, dans celai de
Bazilbab , nous sommes d'autant moins obligés de croire que
l'inscription a été trouvée à un mille de là, qae Peyssonnel
avait signalé la même inscription comme existant à Testour,
«où elle avait été, dit-il, apportée d'ailleurs.» Voici la cgpie
de Peyssonnel (p. 1 39 ):

D-D · Ν · Ν FLAVI F
VALENTINIANO ET VA
LENTI PII FËLICES VIO
SEMPER AVGG·
MVNRVR.A...DO...
TERJENI.. ..

Il s'agit évidemment du même texte dont Maffei aura sup


primé , comme cela lui arrive parfois, une ligne ou quelques
mots suspects.
Le monument est dédié à Valentinien et à Valens par un
municipe dont le nom est fort maltraité dans, la copie de Maffei ,
plus maltraité encore par la transcription de Peyssonnel.
J'avais renoncé à faire figurer cette localité dans mon
travail sur la géographie comparée de la province d'Afrique
lorsqu'en étudiant, pendant mon dernier séjour en Tunisie,
les inscriptions déposées à Saint-Louis de Garthage, j'ai trouvé
le fragment suivant, découvert entre Byrsa et les quais.
Ce débris d'une inscription qui aurait été si précieuse
pour la géographie de la Proconsulairé, puisqu'elle contient
une liste d'ethniques, nous donne, à là quatrième ligne, le
nom exact du municipe mentionné dans le texte de Testour et
qu'il était difficile de" reconstituer avep les deux copies égale-
~ 87 —

ment défectueuses de Peyssonnel et de Maffei. Il faut lire :


MVNI[CÎf>IVM] MIZEÔTERENEN[SE],

ΤΑΝΙΦκ.

ΣN NENSES

UIOTEKl

PJPDANJ Ν

Maxula.
reconnaître
Mais
Novum
nous
la
. Tingitane.
teon
connaissions
fragment
africain
peut
et la
ïes"retrouver,
5e
deux
de
à nous
côté
déjà
Carthage
noms
permet
des
dans
à la
qui
deux
2e
est
lad'inscrire
figurent
ligne,
trop
Mauritanie
localités
mutilé
l'ethnique
à un
ladu
ire
pour
césarienne
troisième
même
et
d'une
àqu'on
la nom
des
3e
Oppidum
et
puisse
ligne.
deux
dans
que

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