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Interview Figaro 5 Juin 2023

Sébastien Laye, entrepreneur (notamment dans le financement immobilier) et économiste. Auteur du


rapport : « Construire mieux et plus de logements en France, c’est possible »

Comment évolue la part des ménages propriétaires en France sur longue période ? Et des locataires ?

Environ 58% des ménages sont propriétaires de leur résidence principale. Cette proportion a
fortement crû (de près de 8 points) des années 1980 jusqu’à 2010 ; le boom de l’immobilier des
dernières années- qui cède la place à un lent retournement ces jours ci- n’ a pas amené beaucoup
plus de ménages vers la propriété, du fait de la hausse des prix, des décès de propriétaires et des
modes de vie métropolitains moins favorables à la propriété. Un tiers des propriétaires sont
accédants, n’ayant pas encore fini de rembourser leur crédit, une part qui n’augmente plus depuis
quinze ans, ce qui veut dire que la population de propriétaires vieillit avec 40% d’entre eux détenant
leur bien sans dette désormais. L'occupant principal est en moyenne âgé de 60 ans lorsque le ménage
est propriétaire, contre 48 ans lorsqu'il est locataire.
Depuis dix ans aussi, la part des ménages locataires de leur résidence principale se maintient à 40%.  

 Y-t-il toujours un parcours immobilier, avec un début de vie dans le social avant de devenir
propriétaire ? Pourquoi ces évolutions ?
Il faut d’abord préciser que le taux de mobilité des propriétaires (capacité à déménager notamment
pour un emploi) est de seulement 5% en France contre 17% pour les locataires. Cette disparité est
probablement explicable par des prix trop élevés payés au cours des cinq dernières années, avec des
ratios de dette trop importants, qui empechent la revente pour saisir d’autres opportunités.
S’agissant du parcours immobilier, il faisait partie intégrante des politiques publiques du logement il
y a encore dix ans. Or je déplorai justement sa disparition dans mon dernier rapport «  Construire plus
et mieux de logement en France ». La mobilité entre le parc social et privé a disparu, le social ayant
tendance à devenir un avantage à vie. Il faut cependant sur ce point attendre le plein impact d’une
disposition de la Loi Elan. Afin d’accélérer la mobilité dans le parc social, le projet de loi Elan prévoit
dans son article 35 que la situation des locataires HLM sera réexaminée tous les trois ans dans les
zones tendues présentant un déséquilibre important entre l’offre et la demande de logements. C’est
aux pouvoirs publics, trop oublieux de la politique du logement, qu’il revient de réorganiser ces
parcours immobiliers, qui sont avant tout des parcours de vie.

 
On a assisté à une très forte hausse des prix de l’immobilier. Les loyers ont-ils connu le même
mouvement ?
En 10 ans, l’indice des prix du logement, tous biens confondus, a augmenté de 30% (on retrouve ce
30% pour Paris, mais il s’agit d’une moyenne, avec des extrêmes comme Bordeaux où la hausse fut
de 70%).  La progression des loyers a été considérablement plus faible que celle des prix au m² à
l’achat. A titre d’exemple, à Bordeaux, quand les prix de l’immobilier au m² ont bondi, la hausse de la
médiane des loyers mensuels au m² n’a progressé que d’environ 6 %. A Paris, les loyers n’ont
augmenté que de 10%, en tout cas avant l’épisode inflationniste.
Cet écart entre prix d’achat et loyers, qui s’est soldé par des rendements de plus en plus dégradés
pour les investisseurs locatifs, illustre bien le problème du marché immobilier : cette industrie n’a pas
connu de « manne » particulière, l’essentiel de la hausse des prix est à imputer aux politiques
monétaires et à la baisse des taux. Inversement ces jours ci, la hausse des taux entame la valeur des
biens : en dix ans, en plus des tensions croissantes sur l’offre, ce sont surtout les banquiers qui ont
déterminé les prix de l’immobilier. Les loyers eux sont uniquement déterminés par l’offre et la
demande. Ainsi, je considère qu’un tiers de la hausse des patrimoines immobiliers des dernières
années (celle qui correspond au 10% de hausse des loyers) est dû aux fondamentaux  ; le reste n’est
dû qu’aux banques centrales.

 
Comment a évolué la part du budget des ménages consacrée à l’immobilier ? L’évolution est-elle
similaire pour tous les ménages ? Que-ce que qui explique ces évolutions ?
Le fameux parcours immobilier problématique dont nous avons parlé explique ici les disparités, et la
trappe à pauvreté dans laquelle le logement a fini par enfermer certains ménages français. On
connait la borne supérieure pour les dépenses consacrés au logement, que ce soit pour la propriété
(crédit) ou la location (loyer) : le fameux critère des 1/3, qui peut être interprété de manière plus ou
moins libérale selon les périodes.
Les 25 % des ménages les plus modestes (majoritairement locataires) consacrent 32,0 % de leurs
revenus à leurs dépenses en logement, contre 14,1 % pour les ménages les plus aisés
(majoritairement propriétaires non accédants). La première disparité est d’ordre économique et
sociale. La seconde est géographique, puisque pour les locataires parisiens par exemple on
s’approche des 40%....Mais quand on regarde les acquisitions sur les cinq dernières années, la
propriété ne protège plus : les ménages acheteurs ont bénéficié d’une liquidité factice avec des taux
bas mais pour suivre la hausse des prix, ils ont systématiquement utilisé le levier maximum des 33-
35%, ce qui laissent par exemple dans les métropoles dans une situation aussi tendue que les
locataires. A ceci près qu’en cas de retournement économique, ces derniers sont mobiles alors que
les propriétaires récents ne le seront pas, car il faudra au minimum cinq-dix ans avant d’avoir des
fonds propres positifs (après frais de notaires, taxe foncière etc….°).

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