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Résumé
Développé sans cesse depuis la fin du XIXe siècle, le béton armé est aujourd’hui
le matériau de construction le plus répandu dans le monde. Si le béton a la capa-
cité d’empêcher la corrosion des armatures, encore faut-il connaître à quelles
conditions.
La corrosion des armatures a lieu à la suite de la carbonatation du béton d’enro-
bage et/ou de la pénétration des chlorures. Le processus de corrosion est un phé-
nomène électrochimique qui se produit au sein du béton. La détérioration se
déroule en deux étapes, dans la première phase, dite d’amorçage, l’acier est pro-
tégé initialement par l’alcalinité élevée de la solution interstitielle régnant à l’inté-
rieur du béton : il se forme une couche passive mince d’oxydes protecteurs. La
carbonatation du béton en diminuant le pH et/ou une quantité suffisante de chlo-
rures peuvent détruire cette passivité et amorcer la deuxième étape, à savoir la
propagation de la corrosion. L’apport d’oxygène et surtout l’humidité ambiante rè-
glent alors la vitesse de corrosion. La propagation de la corrosion conduit pro-
gressivement à la formation de fissures et au décollement du béton d’enrobage.
Pour améliorer la durabilité des ouvrages en béton armé, il faut autant que pos-
sible allonger la période d’amorçage en utilisant des bétons compacts et peu per-
303
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
304
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
305
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
vie estime les coûts indirects pour l’usager, dus aux retards et à la perte de pro-
ductivité, à plus de dix fois les coûts directs de maintenance, réparation et réhabi-
litation des ouvrages corrodés. Dans le cas cité, la corrosion est principalement
induite par les ions chlorure provenant des sels de déverglaçage et de l’exposition
marine.
Au Canada, environ 40 % des ponts autoroutiers ont plus de 40 ans de service. Un
grand nombre d’entre eux exigent un renouvellement ou un remplacement en rai-
son des dommages causés par la corrosion. Ces travaux sont estimés à 10 mil-
liards de dollars canadiens (≈ 6 500 M€) [LAF 05, CUS 04], dont 30 à 50 %
devraient être affectés à la remise en état des tabliers de ponts [LOU 03]. Au Qué-
bec, la majorité des 4000 ponts gérés par le ministère des Transports sont en béton
armé. Un grand nombre d’entre eux ont une durée de service supérieure à 50 ans
et se trouvent dans un état de détérioration avancé. En 1998, on estimait que 25 %
de ces ouvrages souffraient, à des degrés divers, de corrosion des armatures
[VEZ 98]. En Amérique du Nord, le coût total des dégradations de l’infrastructure
en béton liées à la corrosion par les sels de déverglaçage est estimé à 150 milliards
de dollars [BRO 00].
Au Royaume-Uni, le département des transports estime que le coût de réparations
des ponts routiers inventoriés et endommagés par la corrosion, soit environ 10 %,
s’élève à environ 617 millions de livres sterling (≈ 900 M€) [LAF 05, BRO 00].
Le réseau autoroutier suisse compte 1043 ponts routiers, 1096 passages supé-
rieurs et 1095 passages inférieurs (total de 3 234), dont 53 % sont en béton pré-
contraint, 45 % en béton armé et 2 % en acier [CON 00]. Les coûts d’entretien du
réseau autoroutier sont en augmentation durant ces dernières années mais les
montants exacts imputables aux dégâts issus de la corrosion ne sont pas connus.
En France, la direction des Routes du ministère de l’Équipement a conduit en
1997 des enquêtes d’image qualité des ouvrages d’art (enquête IQOA) qui sont
des évaluations précises du patrimoine national [DAL 99]. Il ressort de ces études
que les dégradations observées sur les ouvrages d’art en béton armé sont essen-
tiellement dues à la corrosion des armatures. Sur un échantillon de 315 ponts du
réseau national (hors ponts métalliques et en maçonnerie), la base IQOA indique
que 89 d’entre eux sont atteints de corrosion, soit 28 % de l’échantillon. De plus,
la plupart des désordres touchant les bâtiments est également liée à la corrosion
des aciers.
Les interventions de maintenance engendrent également des coûts indirects impu-
tables à l’utilisateur. Ces coûts comprennent les pertes dues aux ralentissements
et aux attentes, les surcoûts d’exploitation des véhicules et les coûts d’atteinte à
306
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
l’environnement. Ces coûts indirects sont estimés à plus de dix fois les coûts de
maintenance et de remplacement des ouvrages corrodés [YUN 06].
À l’heure actuelle, une période de restriction économique limite les budgets d’en-
tretien et les travaux de réparation accusent des retards. Cette constante pression
sur la disponibilité des budgets de maintenance favorise le développement de
nouvelles technologies de monitoring d’ouvrages, le développement de modèles
plus fiables et la mise en place de surveillances et d’auscultations permettant de
répertorier, de suivre et de prédire l’évolution des détériorations. L’analyse de
l’évolution des détériorations permet de mieux planifier la maintenance et de pro-
céder à un échelonnement optimal des interventions dans le temps et dans l’espa-
ce en maintenant une sécurité adéquate.
Les catastrophes majeures d’ouvrages engendrées par la corrosion sont heureuse-
ment relativement rares mais l’éventualité de telles défaillances ne doit pas être
sous-estimée. La figure 9.1 illustre un effondrement d’ouvrage provoqué par la
corrosion des aciers du béton à l’université Syracuse de New York (rupture d’une
dalle portante de parking en porte-à-faux). L’enquête a conclu que la capacité por-
tante des aciers supérieurs a été réduite par la corrosion provoquée par les sels de
déverglaçage apportés par les voitures en stationnement.
Figure 9.1 : rupture d’une dalle de parking due à la corrosion des aciers.
Le tableau 9.1 recense quelques exemples de défaillances avec les durées de ser-
vice associées. Bien que les évènements survenus sur ces ouvrages aient été en-
gendrés en partie par la corrosion, ils sont souvent dus à la conjonction d’une série
d’évènements critiques.
307
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
Tableau 9.1 : défaillances survenues sur des structures par l’action de la corrosion
[CON 06].
Année Durée
Événements Lieu
d’occurrence de service
Berlin Ouest
Effondrement de la halle de congrès de Berlin Ouest 1980 23 ans
(Allemagne)
Massachusetts
Effondrement du pont Mianus River 1983 26 ans
(États-Unis)
canton d’Uri
Démolition du pont autoroutier Elmenrüti 1984 14 ans
(Suisse)
canton de Zurich
Effondrement du plafond de la piscine d’Uster 1985 13 ans
(Suisse)
Harrisburg, Pennsylvanie
Effondrement du pont de Walnut Street 1996 96 ans
(États-Unis)
Effondrement d’une dalle de parking Minnesota (États-Unis)
Effondrement d’une dalle dans la cour d’un collège Yverdon (Suisse) 2005 30 ans
308
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
Fe
Fe3O4
Fe(OH)2
Fe(OH)3
Fe(OH)3, 3H2O
0 1 2 3 4 5 6
Volume (cm3)
309
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
La figure 9.3 illustre les différentes phases précédentes selon le modèle de Tuutti
[TUU 82].
I II
Temps
Figure 9.3 : schéma de dégradation des armatures au cours du temps, d’après [TUU 82].
Après une période d’amorçage, ou d’incubation (zone I), la corrosion débute (point A). Elle se poursuit
dans une phase de propagation (zone II) et conduit à une dégradation progressive du béton qui s’ac-
célère après la destruction de l’enrobage (point D).
310
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
311
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
103
OH–
K2O
102
Teneur (mmol/kg)
Na2O
SO3
10
CaO
1
10 15 30 60 min 5h 2 7 28 90 j 6 mois 2 ans
Temps
312
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
La phase aqueuse est extraite par compression de pâtes pures de rapport E/C = 0,5. Sa basicité croît
rapidement et devient alcaline, alors que la teneur en chaux décroît de façon significative.
Après environ 6 mois, l’évolution des différentes espèces devient faible et les valeurs atteintes sont
alors celles du milieu dans lequel baignent les armatures métalliques. Soumises à un environnement
basique formé par la phase aqueuse fortement chargée en ions (provenant de l’hydratation du ciment
ou ayant pénétré depuis l’extérieur dans le béton par l’intermédiaire du réseau poreux), ces armatures
vont être soumises à des réactions électrochimiques.
313
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
Atmosphère
O2 H2O
e– Armature en acier
Figure 9.6 : schéma de formation des produits de corrosion, d’après [DUV 92].
La création d’une pile électrochimique locale sur l’acier entre les zones cathodique et anodique en
présence d’eau et d’oxygène conduit à la dissolution du métal au niveau de l’anode et la précipitation
de différents oxydes ferreux.
Selon les études réalisées à l’Université de Nancy sur les différents types de
rouilles vertes [REF 93, GEN 96, GEN 98, GEN 01, LEG 01], la formation des
différents produits de corrosion comprend les étapes suivantes :
– dissolution du fer sous forme d’ions ferreux Fe2+ ;
– formation d’hydroxyde ferreux Fe(OH)2 ;
– formation de rouille verte stable en l’absence d’oxygène ([FeII3 FeIII (OH)8] +
[Cl.H2O]– en présence de chlorures ou [FeII4 FeIII2 (OH)12]2+ [CO3 2H2O]2–
dans un béton carbonaté) ;
– formation de ferrihydrite 5Fe2O3.9H2O;
– formation d’autres oxydes (goethite (α - FeOOH), lépidocrocite (γ - FeOOH),
akagénite (β - FeOOH), magnétite (Fe3 O4)) qui correspondent à la rouille rouge
et gonflante connue classiquement, ou stabilisation de la ferrihydrite.
Ces études ont également conduit à proposer, pour ces composés intermédiaires,
la formule générale :
[FeII(1-x) FeIIIx (OH)2]x+· [(x/n) An–·(m/n) H2O]x–
dans laquelle x est le rapport FeIII/Fetotal et An–, l’anion considéré (OH–, Cl–,
SO42– ou CO32–).
314
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
315
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
Pour mesurer le potentiel d’une électrode, il est nécessaire d’introduire dans la so-
lution un second conducteur électronique qui constitue une deuxième électrode ;
c’est la différence des potentiels internes des deux conducteurs électroniques qui
représente le potentiel de l’électrode.
Le passage en solution des ions métalliques lors de la réaction anodique d’un mé-
tal M est soumis à un équilibre dynamique :
M ↔ Mn+ + ne–
Cet équilibre correspond à un potentiel E représentant la différence de potentiel
entre le métal M et la solution contenant les ions Mn+. E est le potentiel réversible
de la réaction d’électrode. Ce potentiel peut être calculé par la relation de Nernst :
n+
E = E 0 + RT-------- ln [ M ] (V)
nF
avec :
E0 potentiel standard de l’électrode de métal M (potentiel du métal en équilibre
avec une solution de ses ions de concentration égale à 1 mol/L) (V);
R constante des gaz parfaits (8,314 J/mol/K);
T température (K);
n valence du métal;
F nombre de Faraday (96500 coulomb);
[Mn+] : concentration en ions métalliques dans la solution (mol/L).
Une quantité telle que E n’est pas mesurable directement. Pourtant, la connaissan-
ce et la comparaison des potentiels d’équilibre de différentes réactions d’électro-
de s’avèrent nécessaires en électrochimie et en corrosion. Dans ce but, on mesure
les potentiels d’équilibre E par rapport à une autre électrode, désignée sous le nom
d’électrode de référence, à l’équilibre et en contact électrique avec la première
par l’intermédiaire de la solution.
L’électrode de référence arbitrairement choisie est l’électrode standard à l’hydro-
gène (ENH). Elle est constituée d’un métal inerte (platine) plongé dans une solu-
tion d’acide normale à 25 °C dans laquelle on effectue un barbotage d’hydrogène
sous une pression d’une atmosphère. La tension mesurée correspond donc à la dif-
férence de potentiel entre le métal et l’électrode standard à hydrogène. Par con-
vention, le potentiel EENH de cette électrode est arbitrairement pris comme égal à
zéro. On utilise également d’autres électrodes de référence telles que l’électrode
au calomel saturé (ECS, mélange Hg/Hg2Cl2 immergé dans du chlorure de potas-
sium saturé, à 20 °C, E Hg ⁄ H g Cl = EENH + 0,25 V) ou l’électrode cuivre/sulfate
2 2
de cuivre (Cu/CuSO4).
316
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
1,4
pH = 13,5
1,2
Fe3+ (b)
0,8
Potentiel (V) EENH
0,4
Fe2O3
Fe2+
0
Immunité
– 1,2
Fe
– 1,6
0 2 4 6 8 10 12 14
pH
Figure 9.7 : diagramme de Pourbaix du système Fe-H2O à 25 °C.
Dans un béton sain (pH de l’ordre de 13,5 et température de 25 °C), les armatures sont dans un état
électrochimique qui empêche la corrosion (immunité ou création d’un film passif qui empêche la cor-
rosion). Si le pH descend en dessous d’une valeur limite d’environ 9, la corrosion peut se déclencher
selon le potentiel de l’acier. Un béton sain est donc un milieu protecteur pour les armatures en acier,
toute baisse de pH significative va rendre possible une corrosion des aciers.
317
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
– tous les métaux dont le potentiel d’équilibre est situé entre les droites (a) et (b)
ne sont attaqués qu’en présence d’oxygène ;
– tous les métaux dont le potentiel d’équilibre est situé au dessus de la droite (b)
sont thermodynamiquement stables.
Selon la disponibilité en oxygène, le potentiel de l’acier passivé peut varier sur
une plage relativement étendue. Expérimentalement, on peut mesurer le poten-
tiel d’une armature noyée dans le béton, c’est le potentiel de corrosion.
Pour des structures exposées à l’air dans des conditions normales, les mesures de
potentiel de corrosion donnent des valeurs variant entre – 200 mV et + 100 mV
s’inscrivant nettement dans la partie supérieure du domaine de passivité présenté
par le diagramme de Pourbaix. L’analyse de la couche passive montre que l’acier
dans le béton est effectivement recouvert d’une pellicule fine d’une solution soli-
de Fe3O4–Fe2O3 γ dont l’épaisseur varie entre 10–3 et 10–1 µm [SAG 90]. Lors-
que la couche passive se détruit et que la corrosion se développe, le potentiel
évolue vers des valeurs nettement négatives.
Bien que les diagrammes de Pourbaix ne fassent pas intervenir de considérations
cinétiques et qu’ils supposent que la composition du milieu électrolytique au voi-
sinage du métal est connue, ce qui est rarement le cas, on peut affirmer que la for-
mation d’une couche passive à la surface de l’acier dans un béton sain est la règle
générale et que le développement de l’hydratation qui se traduit par un enrichis-
sement en ions OH– au cours du temps, et donc par une augmentation du pH, ne
peut avoir que des effets bénéfiques sur la stabilité de cette couche.
3.3. Influence des additions minérales sur le pH du liquide interstitiel
L’utilisation d’additions minérales (laitiers de haut-fourneau, cendres volantes,
fumées de silice, fillers) modifie les équilibres chimiques au sein du béton et peut
avoir des conséquences sur le pH du liquide interstitiel et donc sur la stabilité de
la couche passive.
Les cendres volantes et le laitier de haut-fourneau conduisent à une teneur en port-
landite plus faible dans le béton. En effet, les cendres volantes réagissent avec la
portlandite (réaction pouzzolanique) pour former des C-S-H supplémentaires.
Quant aux laitiers de haut-fourneau, leur hydratation ne conduit pas à la formation
de portlandite. On peut donc s’attendre à une légère diminution du pH du liquide
interstitiel en sachant toutefois que ce sont les alcalis qui deviennent prépondé-
rants au bout de quelques heures.
Le pH de la phase liquide est déterminé par le taux initial d’alcalins présents dans
les cendres volantes utilisées qui peut atteindre 3 à 4 % suivant leur origine. Pour
318
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
Na2O = 0,23
CEM I 0,69 0,65 13,9
K2O = 1,16
14
0%
pH de la solution interstitielle
10 %
13
20 %
12 30 %
11
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90
Temps de cure (jours)
319
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
Le faible rapport C/S dans les C-S-H formés en présence de fumées de silice serait
responsable de l’épuisement en alcalis par adsorption de ceux-ci sur les silicates
hydratés [DIA 83]. Les fumées de silice diminuent le pH de la solution mais comp-
te tenu du fait que, pour d’autres impératifs, le taux de substitution ne dépasse pas
10 %, cette diminution ne doit pas altérer la passivité de l’acier dans le béton.
Quel que soit le type de ciment utilisé, il se forme une couche passive d’oxydes à
la surface de l’armature qui maintient le métal dans un état stable.
320
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
321
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
322
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
17
16
15
Porosité (%) 14
13
12
M25 : porosité (Hg)
11 M25 : porosité (J)
10
0 20 40 60 80
h (mm)
Figure 9.10 : profils de porosité d’un béton déterminés par gammadensimétrie (γ)
et par intrusion de mercure (Hg) d’après [THI 06a].
Le béton étudié a une résistance moyenne de 25 MPa à 28 jours. Les porosités sont mesurées après
14 jours de carbonatation accélérée (à l’issue de 3 mois de conservation dans l’eau et d’1 mois d’étu-
vage à 45 °C), le transfert de CO2 à travers le béton se faisant de la gauche vers la droite, La préci-
pitation de la calcite au sein de la matrice cimentaire a pour conséquence une diminution de la
porosité. Ceci rend plus difficile la pénétration des espèces agressives dans le béton.
La carbonatation n’est pas, en soi, nocive pour le béton et, au contraire, il a sou-
vent été mentionné dans la littérature scientifique que la résistance mécanique
et le module d’élasticité augmentaient après carbonatation.
Cependant, il est à noter que les bétons fabriqués avec des ciments contenant des
laitiers de haut-fourneau voient leurs caractéristiques mécaniques se détériorer
après carbonatation en raison de l’augmentation de leur porosité dans ce cas par-
ticulier [DEC 93].
Par ailleurs, la réaction chimique de carbonatation de la portlandite libère l’eau
qui était liée chimiquement dans cet hydrate. Cette eau relarguée participe aux
transferts hydriques dans le matériau [THI 06a]. La progression de la carbonata-
tion diminue avec le temps, d’autant plus que la formation de carbonates de cal-
cium et le relargage d’eau libre remplissent partiellement les pores
(autoprotection par ralentissement de la diffusion du dioxyde de carbone) et ren-
dent les hydrates moins accessibles à la dissolution (formation d’une gangue de
carbonate de calcium à la surface de la portlandite, par exemple [GRO 90]).
4.1.3. Mesure de la profondeur de carbonatation
La carbonatation du béton s’accompagne d’une diminution progressive du pH comme
le montre schématiquement la figure 9.11. Il est utile de connaitre la profondeur à la-
quelle le pH atteint une valeur de l’ordre de 9 car une armature d’acier située à cette
profondeur est dans la zone de corrosion du diagramme de Pourbaix (figure 9.7). La
323
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
technique la plus simple à mettre en œuvre est le test à la phénolphtaléine qui consiste
à mesurer le changement de couleur de cet indicateur coloré en fonction du pH
(figure 9.12). Le virage de la phénolphtaléine est représentatif d’une zone de pH de
l’ordre de 9,5. La mesure de la profondeur de carbonatation s’effectue de manière
normalisée en faisant la moyenne des valeurs mesurées en différents points [CEN 03].
12
11
10
Virage de la 9
phénolphtaléine
8
– 24 – 18 – 12 –6 0 6 12 18 24 30
Distance du front de neutralisation (mm)
324
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
325
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
30
(1)
10
0
30 40 50 60 70 80 90 100
Humidité relative (%)
326
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
La relation (1) est celle que l’on obtient théoriquement en faisant l’hypothèse que
les réactions chimiques liées à la carbonatation (passage en solution du CO2, dis-
solution de Ca(OH)2, précipitation de CaCO3…) sont infiniment plus rapides que
la diffusion du CO2 gazeux à travers la matrice cimentaire, qui est supposée ne
pas évoluer au cours du temps. La diffusion du CO2 devient alors l’étape limitante
et l’évolution de la carbonatation du matériau est régie par ce seul processus (dif-
fusion « pure ») [THI 07].
4.1.6. Influence de la composition et des conditions de mise en œuvre
sur la carbonatation du béton
Rapport E/C
Les courbes de la figure 9.14 illustrent l’influence du rapport E/C sur la profon-
deur de carbonatation.
15
3URIRQGHXUGHFDUERQDWDWLRQPP
1
,80
10 =0
C
E/
,60 2
=0
E/C
,45
E/C = 0 3
0
0 1 2 3 4 6 10 15
¥WDQQpHV
327
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
30 2
3
/m
3
4
350
10 5
400
500
0
1 mois 3 6 mois 1 an 3 ans 5 ans
Figure 9.15 : relation entre épaisseur carbonatée et dosage en ciment, d’après [VEN 69].
Éprouvettes 7 × 7 × 28 cm de béton préparé avec du CEM I et des granulats 0/20 mm, de même ma-
niabilité, conservées à 20 °C et 50 % HR pendant 5 ans. Les courbes 1 à 5 correspondent à des do-
sages en ciment respectifs de 200, 300, 350, 400 et 500 kg/m3. Pour des bétons fabriqués à même
maniabilité, l’épaisseur carbonatée est d’autant plus faible que le dosage en ciment est plus élevé.
Conditions de cure
La figure 9.16 représente l’influence des conditions de cure sur la carbonatation.
De manière générale, la réduction du temps de cure accroît de façon significative
la profondeur de carbonatation.
Une cure inadaptée conduit à une hydratation insuffisante de la couche superficielle
de béton par manque d’eau ce qui augmente la porosité et, par conséquent, la sensi-
bilité à la carbonatation. La réduction du temps de cure peut donc avoir des consé-
quences néfastes à long terme alors qu’une cure humide prolongée limite la
profondeur de carbonatation. En pratique, l’effet de la cure est particulièrement sen-
sible dans les premiers jours. Ceci est illustré par la figure 9.17 relative à des éprou-
vettes de béton confectionnées avec un ciment Portland renfermant 12 % de C3A
(courbe 1) et un ciment contenant 70 % de laitier de haut-fourneau (courbe 2), con-
servées après une cure initiale dans l’eau, pendant un an à l’air à l’abri de la pluie.
Outre les caractéristiques « intrinsèques » du matériau, les conditions de mise en
œuvre influencent également la vitesse de carbonatation (coffrage, vibration, fi-
nition…). Miragliotta [MIR 00] a notamment étudié les effets de parois.
328
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
40
(1)
20
10
0
0,4 0,6 0,8 1,0 1,2
Rapport E/C
(2)
(1)
0
1 3 7 28 360
Temps de cure dans l'eau (jours)
Figure 9.17 : influence de la cure sur la profondeur carbonatée, d’après [MEY 68].
Éprouvettes de béton confectionnées avec un ciment Portland renfermant 12 % de C3A (courbe 1) et
un ciment contenant 70 % de laitier (courbe 2), conservées après une cure dans l’eau, pendant un an
à l’air, à l’abri de la pluie. Une cure humide prolongée limite la profondeur de carbonatation. L’effet est
particulièrement sensible pour les premiers jours de conservation.
Résistance à la compression
Dans la pratique des ingénieurs, la résistance à la compression est l’indicateur le
plus couramment utilisé pour caractériser un béton durci. La figure 9.18 représen-
329
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
(1)
6
0
20 30 40 50
Résistance à la compression (MPa)
2
50
0,2 % CO2
40
Profondeur de carbonatation (mm)
30
1
20
Atmosphère normale
10
0
10 20 30 40 50 60
Résistance à la compression (MPa)
330
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
Les variations de teneur en CO2 de l’air (figure 9.19), ont une influence sur les
bétons de résistance modérée (≤ 30 MPa environ). Au-delà, la teneur en CO2 n’a
plus d’influence sur la carbonatation et la relation linéaire entre résistance et car-
bonatation est de nouveau observée.
4.1.7. Influence des additions minérales sur la carbonatation
Les bétons contenant des additions minérales telles que les laitiers de haut-four-
neau et les cendres volantes montrent une sensibilité accrue à la carbonatation par
rapport aux bétons de ciment Portland [SKJ 86, MEY 68, FAT 86, HAM 68,
MAT 84, TSU 80, BIE 86, PAI 86, LIT 86]. Dans les bétons incorporant du laitier
de haut fourneau, la profondeur de carbonatation s’accroît avec le pourcentage de
laitier ajouté ; en moyenne, elle est une fois et demie plus élevée pour un béton
fabriqué avec un ciment contenant 50 % de laitier de haut-fourneau par rapport à
un béton de ciment Portland. Pour les cendres volantes, l’accroissement de la car-
bonatation n’est sensible que si le pourcentage de cendres dépasse 30 %. Certains
auteurs affirment même que les différences par rapport au ciment Portland sont
mineures lorsque l’on compare des bétons ayant de mêmes résistances. Il convient
de rappeler ici que la vitesse et le degré d’hydratation des bétons contenant du lai-
tier ou des cendres volantes sont davantage affectés par une cure insuffisante que
les bétons de ciment Portland.
Les ciments Portland composés aux fillers sont une spécificité française. Des étu-
des [RAN 89] montrent que l’ajout de fillers calcaires (15 et 20 % en masse par
rapport au ciment) et de fillers siliceux (10 et 25 %) à des clinkers conduit à des
épaisseurs de carbonatation du même ordre de grandeur que celles obtenues avec
des ciments Portland de même classe de résistance. Par contre, avec un CEM II à
15 % de laitier de haut-fourneau, les bétons se carbonatent plus qu’avec des CEM
II aux fillers calcaires ou siliceux de même classe.
Les fumées de silice ont une place particulière puisqu’elles permettent de confec-
tionner des bétons à hautes performances. Or, l’ajout de fumées de silice consom-
me la portlandite et ceci peut donc modifier la vitesse de carbonatation. On peut
retenir les éléments suivants :
– les bétons contenant des fumées de silice sont plus sensibles que les bétons de
ciment Portland aux effets d’une cure médiocre ;
– la présence de fumées de silice ne donne lieu à une carbonatation importante
que dans le cas des bétons de résistance à la compression moyenne ou médiocre.
L’influence des ajouts minéraux sur la carbonatation peut s’interpréter par leur
action sur la structure microporeuse du béton, sur la porosité globale et sur la po-
rosité de la couche carbonatée. La carbonatation de la portlandite donne essentiel-
lement du carbonate de calcium, dont il existe trois variétés : la calcite, la vatérite
331
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
332
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
des chlorures dépend donc des caractéristiques du matériau et des cycles d’humi-
dification/séchage qu’il subit (durée, conditions climatiques).
Les ions chlorure interagissent également avec la matrice cimentaire (voir le cha-
pitre 3) : ils peuvent s’adsorber sur les C-S-H ou réagir chimiquement avec cer-
tains composés pour donner de nouveaux produits (les chloroaluminates de
calcium, en particulier le monochloroaluminate de calcium hydraté, ou sel de
Friedel, C3A.CaCl2.10H2O). Ces chlorures sont appelés « chlorures fixés » ou
« chlorures liés ». Les interactions complexes ions-matrice sont souvent décrites
par une isotherme d’interactions non linéaire de type Freundlich [BIG 96,
FRA 98]. La fixation des ions chlorure dépend fortement de la nature du ciment
utilisé et principalement de sa teneur en C3A mais l’alumino-ferrrite de calcium
C4AF ainsi que les sulfates jouent également un rôle.
On peut alors définir :
– les chlorures libres qui se trouvent sous forme ionique dans la solution intersti-
tielle. Ils sont extractibles à l’eau et sont de ce fait appelés également « chlorures
solubles dans l’eau » ;
– les chlorures totaux, qui incluent, outre les précédents, ceux fortement adsor-
bés sur les C-S-H et ceux chimiquement liés dans la matrice cimentaire sous
forme de chloroaluminates de calcium.
On considère que seuls les chlorures libres peuvent diffuser et jouer un rôle actif
dans le processus de dépassivation et de corrosion des armatures. Ces constata-
tions expliquent le fait que les bétons à base de CEM I à teneur relativement éle-
vée en C3A soient plus résistants à la corrosion induite par les chlorures en
raison de leur capacité à fixer une quantité importante de chlorures qui ne se-
ront plus disponibles pour dépassiver les aciers.
Le profil de concentration en chlorures (libres ou totaux) dans un béton est une
courbe concentration-profondeur qui est strictement décroissante (« profil de
diffusion ») si le béton est saturé ou si les cycles d’humidification/séchage sont
négligeables. Dans le cas contraire, ce profil n’est décroissant qu’à partir de la
profondeur où les ions peuvent migrer dans un réseau constamment saturé d’eau
(zone de diffusion), c’est-à-dire au delà de la zone de convection (figure 9.20). Ce
phénomène peut être pris en compte de façon simplifiée en définissant, pour un
type d’environnement donné, une concentration en surface équivalente qui est
l’extrapolation par la solution de la deuxième loi de Fick, au niveau de la surface
de la structure, du profil obtenu au-delà de la zone de convection.
Par rapport au mécanisme induit par la carbonatation, le mécanisme de corrosion
électrochimique en présence de chlorures est différent dans le sens où la corrosion
n’est plus une corrosion généralisée mais une corrosion locale sous forme de pi-
333
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
qûres. Si l’on observe que la vitesse de corrosion est, en général, plus élevée en
présence d’ions chlorure, les mécanismes physico-chimiques sous-jacents ne sont
pas encore parfaitement expliqués. Toutefois, il apparaît qu’une conséquence de
la présence des ions chlorure est la dissolution locale de la couche passive et une
migration à travers celle-ci. De très faibles concentrations en chlorures (> 0,01 %)
modifieraient la morphologie de la couche passive en formant le composé
FeOOH [SAG 90], puis des ions complexes instables FeCl3- qui consomment les
ions hydroxyles présents selon les réactions :
Fe + 3 Cl– → FeCl3– + 2e–
FeCl3– + 2 OH–→ Fe(OH)2 + 3 Cl–
Les électrons libérés par la réaction d’oxydation se déplacent à travers le métal
jusqu’aux sites cathodiques. Selon les réactions ci-dessus, le processus conduit à
une diminution du pH et à un recyclage des ions chlorure (figure 9.21).
Figure 9.20 : illustration de la zone de convection dans une structure en béton armé
soumise à des transferts hydriques et de chlorures.
La création de piles électrochimiques sur l’armature conduit progressivement à la dissolution du métal
dans les zones anodiques.
334
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
Béton d'enrobage
Fe(OH)2, Cl–, H+
Anode (–) e–
e–
Armature en acier
Les piqûres constituant les sites anodiques et le film passif les surfaces cathodi-
ques, on observe des micropiles dont le rapport des surfaces cathode/anode est
élevé. Cela conduit à des densités de courant de corrosion localement très gran-
des. Au niveau des aires cathodiques, la production des ions OH– relève le pH, ce
qui réduit les possibilités d’attaques ultérieures sur ces surfaces. Pour que les
réactions se poursuivent, il faut que les ions Cl– soient toujours disponibles au dé-
triment des ions OH– afin de maintenir le rapport Cl–/OH– au-dessus de la valeur
critique de dépassivation. Or, la formation des produits de corrosion intermédiai-
res contenant du chlore diminue temporairement la concentration en chlorures. En
outre l’apport d’ions OH– à partir de la réserve alcaline du liquide interstitiel tend
à repassiver les zones attaquées et limite la propagation de la corrosion. Si l’ap-
port en chlorures se maintient, la concentration de ces derniers augmente dans les
aires anodiques, puis se redistribue grâce aux courants de corrosion sur toute l’ar-
mature. Les variations d’humidité et les gradients de concentration en chlorures
créent de nouvelles anodes qui finissent par se rassembler en larges zones corro-
dées. La corrosion est d’autant plus élevée que la quantité de chlorures disponible
au niveau de l’armature est importante.
Il est difficile de connaître exactement la concentration en chlorures libres
« critique » (appelée encore « seuil ») susceptible de permettre l’amorçage de la
corrosion des armatures. En effet, cette concentration dépend de nombreux para-
mètres tels que, notamment, la microstructure au contact des armatures. De plus,
335
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
336
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
CaCl2) soit plus rapide que celle des cations monovalents comme NaCl [RAN 89,
ARY 90, ALH 90, SHO 82]. Par contre, les chloroaluminates se forment en quan-
tité plus importante à partir de CaCl2 et les chlorures libres sont moins abondants
[ARY 90]. Il apparaît aussi que la fixation des chlorures réduit la dimension des
pores les plus petits en modifiant la morphologie des fibres de C-S-H. Le chlorure
de calcium conduirait ainsi à une structure plus ouverte au niveau des pores capil-
laires que le chlorure de sodium, ce qui faciliterait la diffusion des espèces chimi-
ques libres [MID 84, REG 78, HAN 85]. Ainsi, les chlorures libres, mais aussi les
chlorures liés, en modifiant la géométrie des pores, influent sur le processus de
pénétration. Ces considérations montrent la complexité des interactions entre les
différents facteurs qui interviennent dans la diffusion des chlorures.
Concernant l’incorporation d’additions minérales dans les ciments, on peut rele-
ver trois conséquences relatives à la pénétration des chlorures :
– la capacité de fixation des chlorures est déterminée par la concentration en (C3A
+ C4AF) du liant. Or la teneur de ces composés diminue par effet de dilution en
présence de laitiers de haut-fourneau ou de cendres volantes puisque les alumina-
tes proviennent du clinker. La quantité de chloroaluminates formée étant réduite,
la teneur en chlorures libres devrait être plus élevée pour des ciments incorporant
des additions minérales. Or, certains auteurs [ARY 90, BYF 87] montrent qu’au
contraire, la quantité de chlorures liés est plus élevée dans les ciments composés
au laitier et aux cendres volantes que dans les ciments Portland. Ce résultat est
assez controversé car Nguyen [NGU 06] trouve que les isothermes d’interactions
sont très proches pour les mortiers à base de ciments de types CEM I et CEM V.
Par contre, la quantité de chlorures liés, mais aussi de chlorures libres, est moindre
dans un béton renfermant des fumées de silice. Selon les travaux de Short et Page
[SHO 82], la diminution de capacité de fixation proviendrait de l’accroissement de
la solubilité des chloroaluminates provoquée par l’abaissement du pH de la solu-
tion interstitielle en présence de fumées de silice ;
– les additions minérales réduisent le pH de la solution interstitielle (tableau 9.2
et figure 9.8), l’effet étant davantage marqué avec les fumées de silice. Cette
diminution conduit à admettre un seuil de concentration en chlorures au niveau
de l’armature plus faible si l’on considère le rapport caractéristique Cl–/OH– ;
– le coefficient de diffusion apparent des chlorures est dépendant des additions
minérales. À condition de respecter une cure humide adaptée, l’ajout de laitiers
de haut-fourneau, de cendres volantes ou de fumées de silice réduit dans des pro-
portions notables les coefficients de diffusion des chlorures dans le béton. Les
valeurs moyennes de ces coefficients sont reportées dans le tableau 9.3 [SHO 82,
BRO 82]. Des données supplémentaires sont fournies dans le chapitre 3 de ce
livre.
337
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
Tableau 9.3 : Coefficient de diffusion apparent moyen, Da, de différentes pâtes de ciment
avec additions minérales.
Ciment Portland 5
Ciment au laitier de haut-fourneau 0,5
Ciment aux cendres volantes 1,5
338
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
Xc profondeur de carbonatation ;
A, B paramètres de calages ;
t temps.
Ces modèles ne reposent pas sur des bases physiques et nécessitent des données
de calage afin de prédire le comportement futur. Ils ne prennent pas en compte les
cycles humidification/séchage qui ont une influence non négligeable sur le niveau
de carbonatation et ont donc un intérêt prédictif limité.
Les modèles analytiques et semi-analytiques
Ces modèles considèrent la diffusion comme le facteur limitant de la réaction de
carbonatation et prennent en compte de manière simplifiée la dépendance vis-à-
vis des matériaux et des facteurs environnementaux :
X c = A ( HR, T, Rc, [ CO 2 ]… ) t
avec :
Xc profondeur de carbonatation ;
A(HR, T, Rc,[CO2]…) : fonction prenant en compte la dépendance à des fac-
teurs physiques tels que l’humidité relative, la température, la résistance à la
compression, la teneur en CO2… par l’intermédiaire de lois simplifiées ;
t temps.
Ces modèles analytiques ou semi-analytiques intègrent comme données d’entrée,
de manière directe ou indirecte, des indicateurs performantiels de durabilité phy-
sico-chimique tels que la porosité, la perméabilité, l’état hydrique et la teneur en
matières carbonatables. Ils ont l’avantage de la simplicité et d’une bonne repré-
sentativité globale des phénomènes (modélisation de la pénétration de la carbona-
tation par un front raide) mais ne peuvent pas représenter de manière fine les
réactions. Ils sont bien adaptés à une utilisation de type ingénieur qui cherche à
obtenir l’ordre de grandeur de l’évolution de la dégradation avec le temps.
Dans cette famille, on peut citer, par exemple, les modèles de Papadakis
[PAP 91], Bakker [BAK 94], Duracrete [DUR 00], Petre-Lazar [PET 01].
Les modèles numériques
Ces modèles s’attachent à décrire finement la physique des phénomènes en pre-
nant en compte notamment les transferts en milieu poreux non saturé, les équili-
bres chimiques, les cinétiques des réactions et les modifications de porosité du
matériau. Leur degré de complexité nécessite une implantation numérique consé-
quente.
La prise en compte des phénomènes physico-chimiques de façon plus exhaustive
dans les modèles permet de décrire de mieux en mieux la carbonatation des bé-
tons. Le modèle de Bary et Sellier [BAR 03], prend notamment en compte le rôle
339
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
340
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
avec:
Da coefficient de diffusion apparent des ions chlorure dans le matériau (m2.s–1).
Cette relation est généralement utilisée pour décrire la pénétration des chlorures
par diffusion dans le béton saturé en régime non stationnaire. Dans le cas ou l’on
considère des interactions électriques entre les ions, l’équation de Nernst-Planck
peut être alors utilisée.
341
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
342
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
343
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
On peut citer dans cette catégorie les travaux de Dridi [DRI 06] qui prend en
compte la diffusion, la convection et les interactions ioniques entre les différents
constituants de la phase interstitielle. La corrosion à la surface du métal est con-
trôlée par l’oxydation du fer et la réduction de l’oxygène. Ces travaux tiennent
compte de la polarisation de l’acier et des transferts de masse dans la porosité.
Ces modélisations restent aujourd’hui cantonnées au niveau du matériau et néces-
sitent encore des développements pour être appliquées au niveau de la structure.
Néanmoins, des modélisations de l’impact structural de la corrosion sur des élé-
ments de structure réels existent. On peut citer par exemple le projet national du
« Benchmark des poutres de la Rance » qui, à partir de poutres en béton armé et
précontraint ayant séjournées 40 ans dans l’estuaire de la Rance, a permis de com-
parer différentes modélisations du comportement mécanique de poutres corro-
dées. Les résultats ont montré qu’il est possible de prévoir de manière réaliste le
comportement force/déplacement de poutres corrodées sollicitées en flexion et en
traction. Les différents modèles appliqués allaient de l’approche règlementaire
analytique à la simulation des poutres par éléments finis 3D. L’impact de l’adhé-
rence acier/béton, dégradée par la corrosion, a été pris en compte dans certaines
modélisations de même que la perte de ductilité des aciers [OUG 04].
La figure 9.22 illustre le champ d’endommagement d’une poutre en béton armé,
soumise à une flexion 4 points, obtenu par simulation numérique par éléments fi-
nis [CAP 06].
344
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
345
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
Durées de vie
selon l'état de fissuration
Corrosion
de l'élément de structure
inacceptable
Niveau
nte
uré
rsa
iss
ve
nf
tra
no
on
ton
faç
Bé
de
rsante
ré
non trave
su
de façon
fis
suré
Béton fis
ton
Bé
Temps
Amorçage Propagation
Figure 9.23 : comparaison entre les processus de corrosion du béton armé fissuré
et non-fissuré [FRA 94].
La fissuration du béton modifie le schéma classique de la corrosion (phase d’incubation et de propa-
gation). Une fissure traversant un élément en béton armé permet un démarrage plus rapide des dé-
gradations alors qu’une fissure non traversante va se colmater (débris, produits de corrosion) avec le
temps et l’accélération des désordres est moindre que dans le cas d’une fissure traversante.
346
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
Effets climatiques
Effets (température, Attaque chimique
Eau mécaniques humidité) et biologique
Surface du béton
Béton dégradé
par carbonatation
et chlorures
Béton sain
Figure 9.24 : influence de la fissuration sur la dégradation du béton armé [LAU 99].
Une fissuration d’origine mécanique accélère la pénétration des agents agressifs au niveau de la fis-
sure mais également dans les zones avoisinantes (microfissuration). La période d’incubation diminue
donc par un développement plus rapide de la carbonatation et de la pénétration des chlorures.
FISSURATIONS
Armature en acier
ÉCLATEMENTS
Armature en acier
DÉLAMINATION
Armature en acier
347
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
348
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
Pour concevoir une structure durable avec ces approches probabilistes, il est né-
cessaire de définir :
– un modèle de conception qui prenne en compte les modèles de dégradation des
matériaux, pour décrire l’évolution dans le temps de la résistance de la structure
et de la sollicitation appliquée par l’environnement ;
– des états limites bien identifiés par des critères ;
– la probabilité de défaillance maximale acceptable, associée à l’état limite iden-
tifié précédemment et définie par le maître d’ouvrage ;
– la durée de vie minimale exigée par le maître d’ouvrage pour une probabilité
de défaillance donnée.
En ce qui concerne les structures en béton armé, il est possible de définir des états-
limites de durabilité pour chacun des désordres liés à la corrosion des armatures
(dépassivation, fissuration, éclatement…). Les états limites de service suivants
peuvent être considérés :
– ELS 1 : dépassivation des armatures due à une carbonatation du béton ou à une
pénétration des chlorures (frontière entre périodes d’incubation et de propaga-
tion) ;
– ELS 2 : apparition des premières fissures dues à la formation de produits de
corrosion ;
– ELS 3 : éclatement du béton en parement (si la chute de pièces en béton
n’induit pas la mise en danger de l’usager).
Habituellement, c’est l’ELS 1 qui est considéré comme état limite car la modéli-
sation de la fissuration du béton due à la corrosion est complexe à modéliser.
La durée de vie par rapport à la corrosion des aciers peut alors être définie comme
le temps nécessaire pour que l’ELS1 soit atteint :
– environnement sans chlorure : temps mis pour que la profondeur de carbonata-
tion soit égale à l’enrobage ;
– en présence de chlorures : temps mis pour que la concentration en chlorures
libres [Cl–libres] atteigne une concentration critique [Cl–libres]crit au niveau du
premier lit d’armatures.
Les témoins de durée de vie associés sont [BAR 04b, GUI 04] :
– environnement sans chlorure : profondeur de carbonatation (i.e. zone où pH 9)
et évolution en fonction du temps (cinétique), ou évolution du profil de teneur en
CaCO3 (ou en Ca(OH)2 résiduelle) en fonction du temps ;
– en présence de chlorures : profondeur de pénétration des chlorures (i.e. zone où
[Cllibres] ≥ [Cllibres]crit) et évolution en fonction du temps (cinétique), ou évolu-
tion du profil de [Cllibres] en fonction du temps.
349
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
350
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
351
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
Valeurs moyennes
de R (t) et S (t)
Densités de probabilité
des fonctions R (t) et S (t)
R (t) fR (t1)
fR (t2)
S (t)
fs (t2)
fs (t1)
Densité de probabilité
conjointe fR,s (t)
t1 tk t2 tm Temps d'exposition
Durée de vie Durée de vie
visée moyenne
352
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
L’approche performantielle, [GUI 04, BAR 06], est une voie nouvelle par rapport à
l’approche classique de la durabilité des structures qui considère uniquement la ré-
sistance à la compression mécanique du béton comme indicateur de la durabilité.
Afin d’aider le concepteur, des spécifications-types pour le matériau béton peuvent
être proposées pour différents types d’environnement et différentes valeurs de durée
de vie visée. L’approche performantielle permet de définir des indicateurs perti-
nents, avec leurs valeurs limites, pour différents types d’environnement. À terme,
cette approche pourra être intégrée dans des approches de type probabiliste.
Les spécifications types proposées dans le guide AFGC [GUI 04] pour la durabi-
lité vis-à-vis de la corrosion des armatures induite par la carbonatation ou par les
chlorures sont basées sur les classes d’exposition proposées dans l’EN 206-1
[EN 00] (voir paragraphe 7) et l’Eurocode 2 et sur les enrobages minimaux impo-
sés par les règlements français et européen. Les différents types d’environnement
retenus sont définis comme suit à partir des classes d’expositions.
Type d’environnement
1 : X0 et X1 ; 2 : XC2 ; 3: XC3 ; 4 : XC4 ; 5 : XS1, XD1, XD3 ; 6 : XS2 et XD2 ;7 : XS3
X0 : aucun risque de corrosion, ni d’attaque ;
XC1 à XC4 : corrosion induite par carbonatation ;
XD1 à XD3 : corrosion induite par les chlorures ayant une origine autre que marine ;
XS1 à XS3 : corrosion induite par les chlorures présents dans l’eau de mer.
Différents niveaux d’exigence (1 à 5) sont définis en tenant compte de la durée de
vie exigée et de la catégorie de l’ouvrage. Enfin, des valeurs limites concernant
les quatre indicateurs pertinents pour la corrosion sont données :
– Peau porosité à l’eau du béton ;
– Dapp(mig) coefficient de diffusion apparent des ions chlorure par essai de
migration électrique ;
– kgaz perméabilité au gaz ;
– kliq perméabilité à l’eau.
Les spécifications ont été établies sur la base de données expérimentales et ont été
vérifiées par des simulations numériques effectuées à l’aide de modèles empiri-
ques (approche déterministe ou probabiliste) et physiques. Les spécifications cor-
respondent à des mesures réalisées selon les méthodes décrites dans le guide
AFGC [GUI 04] sur des éprouvettes conservées dans l’eau pendant 3 mois au plus
après le coulage. Les spécifications types proposées se présentent sous la forme
de tableau (carbonatation cf. tableau 9.4 et chlorures cf. tableau 9.5). Pour chaque
niveau d’exigence (par exemple, la durée de vie) et pour chaque type d’environ-
nement, une série d’indicateurs doit être quantifiée et des critères doivent être sa-
tisfaits [GUI 04, BAR 06]. Ces spécifications permettent de garantir des durées
de vie (par exemple 30, 50, 100, 120 ans ou plus) pour les ouvrages en béton, sur
la base de 1, 2, 3 ou 4 grandeurs physiques mesurées.
353
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
354
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
355
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
1. La classe d'exposition XS3 correspond au cas des bétons contenant une armature ou des pièces
métalliques noyées, soumis au contact des chlorures présents dans l’eau de mer en zone de mar-
nage ou à l’action de l’air véhiculant du sel marin ou en zone soumise à des projections de sels.
356
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
357
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
⎧ 2
--- f e
⎪ 3
⎪
σ s ≤ ξ = min ⎨ 0 ,5f e avec ξ, fe et ftj en MPa
⎪ max ⎧
⎪ ⎨
⎩ ⎩ 110 ηf tj
Pour une fissuration très préjudiciable (article 4.5.34), les conditions de travail de
l’acier sont plus sévères :
σ s ≤ 0 ,8ξ
D’autres spécifications concernent également l’écartement maximal des fers pour
des éléments minces (dalles et voiles).
7.2.2. Eurocode 2
Dans le cadre de l’Eurocode 2, les classes d’exposition sont définies conformé-
ment à la classification de l’EN 206-1. Les valeurs minimales d’enrobage, don-
nées dans le tableau 9.7, sont liées aux classes d’exposition et à la classe
structurale de l’ouvrage (définie dans l’annexe nationale).
L’enrobage nominal Cnom est égal à un enrobage minimal Cmin additionné d’une
marge pour tolérances d’exécution ΔCdev :
Cnom = Cmin + ΔCdev
358
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
C min, b
C min = max C min, dur + ΔC dur, y – ΔC dur, st – ΔC dur, add
10 mm
avec :
ΔCdev marge pour tolérances d’exécution : valeur recommandée 10 mm. Cette
valeur peut être réduite si un contrôle qualité de l’enrobage est effectué ou dans
la cadre de la préfabrication ;
Cmin,b enrobage minimal vis-à-vis des exigences d’adhérence : diamètre de la
barre ; dans le cas d’une armature individuelle ou diamètre équivalent dans le
cas d’un paquet ;
Cmin,dur enrobage minimal vis-à-vis des conditions d’environnement ;
ΔCdur,y marge de sécurité : 0 mm en général ;
ΔCdur,st réduction d’enrobage dans le cas de l’acier inoxydable : 0 mm si pas de
précision supplémentaire ;
ΔCdur,add réduction d’enrobage dans le cas d’une protection supplémentaire :
0 mm si pas de précision supplémentaire ;
La valeur de Cmin,dur dépend de la classe structurale et de la classe d’exposition
de l’ouvrage :
Tableau 9.7 : valeurs de Cmin,dur requis vis-à-vis de la durabilité
dans le cas des armatures de béton armé.
S1 10 15 25 30 35 40
S2 15 25 30 35 40 45
S3 Sans 20 30 35 40 45 50
S4 objet 25 35 40 45 50 55
S5 30 40 45 50 55 60
S6 35 45 50 55 60 65
359
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
Classe d’exposition
Critère
X0 XC1 XC2/XC3 XC4 XD1/XS1 XD2/XS2 XD3 /XS3
Durée
d’utilisation 100 ans : majoration de 2 classes
de projet
de 100 ans 25 ans et moins : minoration d’1 classe
Enrobage minoration
compact (2) de 1 classe
(1) Par souci de simplicité, la classe de résistance joue ici le rôle d’un indicateur de durabilité. Il
peut être judicieux d’adopter, sur la base d’indicateurs de durabilité plus fondamentaux et des
valeurs de seuil associées, une justification spécifique de la classe structurale adoptée, en se réfé-
rant utilement au guide AFGC Conception des bétons pour une durée de vie donnée des ouvrages,
ou à des documents normatifs reposant sur les mêmes principes.
(2) Ce critère s’applique dans les éléments pour lesquels une bonne compacité des enrobages peut
être garantie :
– face coffrée des éléments plans (assimilables à des dalles, éventuellement nervurées), coulés
horizontalement sur coffrages industriels ;
– éléments préfabriqués industriellement : éléments extrudés ou filés, ou faces coffrées des élé-
ments coulés dans des coffrages métalliques ;
– sous face des dalles de pont, éventuellement nervurées, sous réserve de l’accessibilité du fond de
coffrage aux dispositifs de vibration.
360
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
(1) L’attention est attirée sur le fait que wmax est une valeur conventionnelle servant pour le calcul.
(2) Sauf demande spécifique des Documents Particuliers du Marché, la maîtrise de la fissuration
est supposée assurée par les dispositions constructives, le calcul de wmax n’est alors pas requis.
(3) Dans le cas des bâtiments des catégories d’usage A à D (voir NF EN 1991-1-1), sauf demande
spécifique des documents particuliers du marché, la maîtrise de la fissuration est supposée assurée
par les dispositions constructives minimales, le calcul de wmax n’est alors pas requis.
En fonction de l’ouverture maximale de fissure recommandée, la norme
NF EN 1992-1-1 permet de déterminer le diamètre des barres qui correspond à
une contrainte donnée dans l’acier, et permet d’en déduire l’espacement maximal
des barres.
8. DIAGNOSTIC DE LA CORROSION
Le diagnostic de l’activité de corrosion des armatures dans le béton peut se dé-
composer en plusieurs niveaux d’objectifs [GUI 03] :
– déceler l’activité de corrosion et évaluer son intensité ;
– identifier l’origine de la corrosion : carbonatation, chlorures (internes ou exter-
nes) ;
– évaluer l’étendue spatiale des désordres observés ou mesurés ;
– prédire l’évolution probable dans le temps et dans l’espace ;
361
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
362
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
Lignes Lignes
Éponge
de courant de potentiel
– 200 mV – 200 mV
– 300 mV
Béton
– 400
– 500
Figure 9.27 : mesure du potentiel d’électrode le long d’une armature, d’après [ELS 03].
La mesure du potentiel d’une armature nécessite de relier électriquement l’armature, un millivoltmètre
à haute impédance et l’électrode de référence. Il est aussi nécessaire de soigner le couplage électri-
que entre le béton et l’électrode au moyen d’une éponge humide. Les zones à fort risque de corrosion
sont matérialisées par les plus basses valeurs de potentiel (de l’ordre de – 300 mV dans le cas du
schéma ci-dessus).
Le tableau 9.10 donne quelques ordres de grandeur des valeurs rencontrées selon
l’environnement dans le cas de la corrosion uniforme [ELS 03] :
363
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
On note que, par rapport à un béton humide sain (+ 0,1 à – 0,2 V/ESC), la présence
de chlorures a tendance à diminuer fortement le potentiel (– 0,4 à – 0,6 V/ESC).
La carbonatation conduit également, mais dans une moindre mesure, à une dimi-
nution de la valeur du potentiel (+ 0,1 à – 0,4 V/ESC). L’état d’humidité du béton
d’enrobage influence aussi considérablement les valeurs de potentiel. Ainsi, les
cycles d’humidification/séchage résultant par exemple d’une exposition aux in-
tempéries peuvent rendre délicate l’interprétation d’un relevé de potentiel. Néan-
moins, si cette influence modifie la valeur du potentiel, les gradients ne sont pas
affectés. Ainsi, une recommandation récente préconise de représenter les gra-
dients et non les valeurs brutes du potentiel pour déterminer les zones à risque de
corrosion maximal (potentiels les plus électronégatifs) [ELS 03].
La norme américaine ASTM C876-91 quantifie la probabilité de corrosion (ta-
bleau 9.11) en fonction des niveaux de potentiel mesurés [AST 99]. Cependant, il
peut être hasardeux d’appliquer ces critères sans discernement, car les valeurs de
potentiels sont difficilement exploitables de manière absolue. C’est pourquoi il
est vivement conseillé de coupler les mesures de potentiel avec des essais supplé-
mentaires (teneur en ions chlorure, profondeur de carbonatation, relevés de zones
de délamination et d’humidité du béton…) afin de mieux cerner le contexte de
corrosion. La figure 9.28 présente les résultats d’une campagne expérimentale
réalisée sur un corpus de 6 ouvrages réels [ELS 03]. Dans cet exemple, les seuils
de potentiel relatifs aux 3 niveaux de risque définis par la norme américaine ont
été évalués expérimentalement sur chaque ouvrage. On peut noter une grande dis-
parité des seuils de potentiels d’un ouvrage à l’autre, montrant ainsi les limites de
l’interprétation du potentiel en termes de valeur absolue.
364
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
0
Potentiel (volt vs Cu/CuSO )
4
– 0,1
– 0,2
– 0,3
– 0,4
– 0,5
– 0,6
1 2 3 4 5 6 7
Zone passive (Prob. > 95 %)
Zone intermédiaire
Zone corrodée (Prob. > 95 %)
Figure 9.28 : mise en évidence expérimentale sur différents ponts (1 à 6) des variations
de seuils de potentiel relatifs aux 3 niveaux de risque ASTM
et comparaison avec les seuils ASTM (7) [ELS 03].
Les seuils de potentiel établis par la norme ASTM C876-91, définissant les zones à probabilité faible
ou forte de corrosion ne sont qu’indicatifs et, même s’ils permettent de définir des tendances généra-
lement observées, ils ne permettent pas de garantir, sur la simple mesure de potentiel, une corrosion
avérée ou non.
365
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
Tableau 9.12 : valeurs indicatives de résistivité et des risques associés [AND 04].
La résistivité électrique est influencée par la teneur en eau du béton mais égale-
ment par la porosité et la composition de la solution interstitielle (présence de
sels). Cette mesure devrait être mise en œuvre systématiquement en complément
des mesures de potentiel afin d’affiner le diagnostic de la corrosion. Le couplage
de ces deux techniques se révèle intéressant puisqu’il permet d’accéder à une in-
formation qualitative sur la cinétique de corrosion, de larges gradients de potentiel
associés à de faibles résistivités pouvant en effet être associés à de fortes vitesses
de corrosion.
8.3. Mesure de la résistance de polarisation
La technique de la résistance de polarisation vise à mesurer la densité de courant
de corrosion anodique et, par conséquent, la vitesse de corrosion de l’acier à un
instant donné de la vie de l’élément testé. Cette technique se positionne donc com-
me la seule à être en mesure de fournir une information quantitative sur la cinéti-
que du processus électrochimique. Cette méthode est basée sur la linéarité des
courbes intensité (I)/potentiel (E) au voisinage du potentiel « libre » (ou
« spontané »). La pente de la droite ΔE/ΔI exprime la résistance de polarisation
Rp (Ω.cm²) qui est reliée à la densité de courant de corrosion icorr selon la relation
de Stern-Geary [STE 57] :
B-
i corr = -----
Rp
où B est une constante (exprimée en mV).
Malgré certaines contraintes théoriques et expérimentales (polarisation, confine-
ment du champ électrique, humidité suffisante, contact électrique), en mesurant
Rp périodiquement, il est possible de contrôler l’évolution du processus de corro-
sion, d’identifier les zones de corrosion active et d’utiliser les résultats pour pré-
dire la durée de vie résiduelle de la structure.
Le benchmark des poutres de la Rance portant sur des corps d’épreuve de plus de
40 ans stockés en zone de marnage [POU 06] a cependant montré des disparités
importantes entre les dispositifs expérimentaux testés (de laboratoires ou com-
merciaux). De même, il faut garder à l’esprit que ces mesures traduisent un état
366
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
367
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
9. PRÉVENTION ET RÉHABILITATION
9.1. Prévention. Mesures constructives
Pour se prémunir des problèmes liés à la corrosion, il est possible d’utiliser des
armatures en acier inoxydable. Le coût d’investissement initial est plus élevé que
celui des armatures classiques, mais il faut considérer le coût global de la structure
en incluant les actions de maintenance sur toute la durée de vie. Dès lors, les dif-
férences sont moindres et le choix de l’inox peut s’avérer économique. Le déve-
loppement d’armatures en matériaux composites (fibres de verre) est également
en cours mais pas encore en phase opérationnelle à grande échelle.
La conception générale d’un ouvrage n’est pas non plus sans influence sur la du-
rabilité générale du béton. Un certain nombre de règles de l’art simples doivent
être respectées afin de réduire au maximum les effets de la corrosion [DUV 92].
• En premier lieu, l’ouvrage doit être dimensionné de telle sorte que les charges ne
donnent lieu au cours du temps qu’à des déformations acceptables de façon à éviter
l’apparition de fissures macroscopiques préjudiciables à sa durabilité. Il apparaît
ainsi que la carbonatation et la pénétration des chlorures sont plus importantes dans
les zones tendues des éléments de structure que dans les zones comprimées [FRA
88]. C’est pourquoi la répartition des armatures doit être étudiée de façon à minimi-
ser la formation éventuelle de fissures : tout ce qui contribue à réduire la concentra-
tion des contraintes a un impact favorable sur la pénétration des agents agressifs.
368
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
• Au niveau des aspects géométriques des ouvrages, les éléments aux formes
simples assorties de dimensions suffisantes permettent un positionnement et un
enrobage correct des armatures. On évitera les structures trop minces où la péné-
tration des agents agressifs s’effectue suivant deux directions opposées. Une
attention particulière est à porter aux angles dans la mesure où l’attaque suivant
deux directions perpendiculaires peut décoller prématurément le béton d’enro-
bage (figure 9.29).
Armatures
eui
uie
Pl
369
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
Ainsi les ponts, les aires de stationnement, les routes, les balcons et terrasses doi-
vent être conçus de façon à d’éviter la stagnation d’eau. Cependant les zones les
plus exposées des surfaces horizontales soumises à une humidité fréquente, à des
éclaboussements répétés avec des sels en ambiance hivernale sont à traiter de fa-
çon spécifique et nécessitent souvent un revêtement imperméable.
9.2. Requalification des ouvrages en béton armé
Si, comme nous l’avons vu, les ruines d’ouvrages directement liées à la corrosion
sont rares, il faut garder à l’esprit que, selon le degré d’avancement des réactions,
la structure atteinte perd une partie de sa capacité portante. Il est donc essentiel de
garder à l’esprit le respect de la sécurité de l’ouvrage en service.
Si la perte de section des armatures est manifeste, il est nécessaire de réévaluer la
capacité portante de l’ouvrage par un calcul mécanique. L’estimation de la section
n’est toutefois pas toujours aisée car elle ne peut se faire que de manière discrète
par l’intermédiaire de sondages, et il est parfois difficile de remonter à des moyen-
nes statistiques.
Si la perte de section est supérieure à 10 %, il convient de renforcer les armatures
[GUI 03]. L’apport de nouvelles armatures peut se faire dans la masse, après dé-
molition des zones atteintes et reconstitution du béton, soit par un apport externe
enrobé dans un béton projeté connecté à la structure, soit par des armatures addi-
tionnelles collées sous forme de plaque de tôles ou de tissus de fibres de carbone.
La corrosion entraîne également une perte d’adhérence qui nécessite la dépose du
béton dégradé puis la reconstitution de l’enrobage. Il est à noter que cette opéra-
tion libère totalement les ancrages des barres. Il faut généralement étayer l’ouvra-
ge pour ce type d’opération car le risque de modification du comportement et de
mauvais fonctionnement des matériaux en tant que béton armé, peut alors être im-
portant.
Si les aciers sont la partie dégradée la plus naturelle quand on parle de corrosion,
il ne faut pas négliger la diminution de la section efficace de béton qui joue un rôle
dans le fonctionnement du béton armé notamment en compression. Comme pour
les problèmes d’adhérence, il faut s’assurer du bon fonctionnement des matériaux
acier et béton ce qui peut nécessiter un étayement. Les produits de réparation doi-
vent être compatibles avec les matériaux en place et assurer une adhérence suffi-
sante à défaut de quoi le comportement mécanique initial ne sera pas restauré.
9.3. Méthodes de réhabilitation
L’objectif de ce paragraphe n’est pas de recenser de manière exhaustive toutes les
techniques existantes mais plutôt de passer en revue les grandes familles de mé-
thodes. Des informations plus précises concernant le domaine d’action, la mise en
370
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
œuvre ou les limites et précautions d’emplois sont données dans les tableaux 9.14
à 9.21. Pour des informations plus détaillées, le lecteur pourra consulter le guide
AFGC Réhabilitation du béton armé dégradé par la corrosion [GUI 03].
Les différentes méthodes de réhabilitation des ouvrages en béton armé
concernent:
• la reconstitution de l’enrobage. Elle permet de réparer et d’arrêter la progres-
sion des dégradations d’un parement. Après élimination des zones dégradées,
remplacement des armatures trop corrodées et protection directe des armatures si
l’enrobage reconstitué est trop faible par rapport aux normes actuelles, un béton
de réfection est appliqué. Celui-ci devra montrer une bonne adhérence avec les
matériaux en place ;
• l’imprégnation. Les produits appliqués par imprégnation sont des consolidants
(consolidation locale et peu profonde d’une zone faiblement altérée) ou des
hydrofuges (constitution d’une barrière interne vis-à-vis de l’eau liquide mais
pas de la vapeur d’eau, ce n’est donc pas un imperméabilisant). Ces produits
n’ont pas d’action directe sur la corrosion mais sont des traitements complémen-
taires ;
• les inhibiteurs de corrosion, composés chimiques ajoutés en faible concentra-
tion au milieu cimentaire ralentissant, ou stoppant, le processus de corrosion.
Ces produits ont pour fonction de pénétrer l’enrobage du béton, d’abaisser la
vitesse de corrosion de l’acier sans altérer ce dernier. Ils doivent être stables et
compatibles avec le milieu cimentaire et ne pas être toxiques. On distingue les
inhibiteurs anodiques (diminution du courant sur la partie anodique du métal),
les inhibiteurs cathodiques (augmentation de la surtension cathodique) et les
inhibiteurs mixtes. Actuellement, l’efficacité de ces produits est de l’ordre d’une
dizaine d’années ;
• les revêtements de surface. La mise en peinture des ouvrages a pour objectif
d’améliorer l’esthétique, de contribuer à la protection du béton (l’amélioration
de l’imperméabilité du support ralentit la pénétration de l’humidité, de la vapeur
d’eau et des agents agresseurs) et à la correction des défauts de surface (porosité,
fissures). Les ouvrages concernés sont les bâtiments, les tunnels, les murs de
soutènement, les écrans acoustiques et certains ponts. Un critère important de
tenue dans le temps est la bonne adhérence au support ;
• le béton projeté, mélange de granulats, de ciment et d’eau, contenant parfois
des ajouts, projeté sous pression d’air comprimé sur une paroi. Il existe deux
techniques de projection : la voie sèche (eau introduite au niveau de la lance) et
la voie humide (eau introduite au malaxage du béton). Les ajouts peuvent être à
la fois :
– des adjuvants, qui confèrent des propriétés spécifiques à la mise en œuvre
(fluidité, résistance initiale),
371
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
– des fibres, qui selon leur type et dosage permettent une meilleure cohésion,
des effets de retrait réduits, une amélioration possible des caractéristiques
mécaniques,
– des fumées de silice qui améliorent l’aptitude à la projection (meilleure
accroche) ainsi que la durabilité (béton moins poreux) ;
• les traitements électrochimiques. Il en existe deux types :
– la ré-alcalinisation et l’extraction des chlorures. Ces traitements consistent
à polariser l’armature à l’aide d’une anode enrobée d’une pâte saturée d’un
électrolyte approprié et recouvrant le parement. Le courant de polarisation
circule de l’anode vers l’armature (cathode). Les armatures plus profondes
doivent être reliées électriquement à celle qui est directement polarisée. Ces
traitements durent environ de une à six semaines et sont temporaires. On
distingue la technique suivant laquelle un générateur électrique (technique
du courant imposé) est placé entre l’anode et l’armature et la technique sui-
vant laquelle l’anode, en alliage judicieusement choisi, est directement
reliée à l’armature (courant galvanique). L’objectif de ces méthodes est de
redonner au béton d’enrobage sa capacité à protéger les armatures. La ré-
alcalinisation permet d’augmenter le pH d’un béton qui a été carbonaté ; la
déchloruration permet d’extraire les ions chlorure qui ont pénétré l’enro-
bage,
– la protection cathodique. La protection cathodique des armatures permet de
ralentir, voire d’arrêter la corrosion. Elle consiste à abaisser le potentiel
électrochimique de l’armature jusqu’à une valeur seuil, dite potentiel de
protection, qui est telle que la vitesse de corrosion de l’acier devient négli-
geable. Le principe de la protection cathodique consiste à polariser l’arma-
ture dans le béton à l’aide d’une anode placée de façon permanente sur le
parement, ou parfois dans l’enrobage. Le courant de polarisation, qui cir-
cule de l’anode vers l’armature, se situe entre 2 et 50 mA/m2 de surface
d’armature. Il existe deux techniques de protection cathodique :
– par courant imposé : un générateur électrique est placé entre l’anode et
l’armature,
– par anode sacrificielle (courant galvanique) : l’anode, en alliage correcte-
ment sélectionné, est directement reliée à l’armature.
Une installation de protection cathodique est efficace tant que les éléments les
moins durables que sont les électrodes de références et l’anode, sont fonctionnels.
Ces éléments sont facilement remplaçables et, dans le cas d’une électrode de tita-
ne, la durée de vie peut atteindre 20 ans.
Ce survol rapide des différentes méthodes de réparation et de protection montre
qu’il existe aujourd’hui un large éventail de techniques permettant de prolonger
372
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
la durée de vie des ouvrages dégradés. Le choix de la technique repose sur des as-
pects technico-économiques liés à la structure et nécessite une étude au cas par
cas de manière à optimiser les coûts.
Tableau 9.14 : reconstitution de l’enrobage.
Domaine d’action Restauration de l’apparence du parement
Enlèvement béton dégradé, remplacement d’armatures
Mise en œuvre
de préférence par des armatures inox), protection éventuelle
Limites et précautions d’emploi Attention au risque de déséquilibre de la structure
Efficacité, contrôle, durée Contrôle des renforcements
Effets secondaires, Risque de récidive si la partie corrodée n’est pas parfaitement
incidences sur l’ouvrage enlevée. Effets cathodiques adjacents
373
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
374
La durabilité des armatures et du béton d’enrobage
10. CONCLUSION
L’examen des ouvrages affectés par une détérioration du béton d’enrobage recou-
vrant les armatures révèle que les dommages résultent presque toujours d’une
épaisseur d’enrobage trop mince et/ou d’un béton défectueux, poreux et peu résis-
tant. La corrosion des armatures du béton armé est aujourd’hui la pathologie qui
coûte le plus cher à la collectivité. Les paramètres dégagés lors des observations et
des études montrent que la durabilité des armatures passe en premier lieu par la
réalisation d’un béton compact et d’une épaisseur d’enrobage adaptée. Les bétons
préparés avec des additions minérales (laitiers de haut-fourneau, cendres volantes,
fumées de silice, fillers) limitent en général la diffusion des ions chlorure.
Les approches modernes ne se basent plus uniquement sur la simple résistance à
la compression comme indicateur de durabilité mais sur des approches où les ca-
ractéristiques du matériau sont définies en fonction d’une durée de vie visée dans
un environnement donné (normes Eurocodes, approche performantielle).
Les progrès réalisés dans la modélisation numérique et la prise en compte des in-
certitudes, dans les approches fiabilistes notamment, permettent de calculer des
durées de vie par rapport à des états limites donnés (initiation de la corrosion, per-
te d’un pourcentage de section d’acier). La requalification mécanique de l’ouvra-
ge permet alors de définir la maintenance adéquate (réparation, confortement,
remplacement). Afin d’éviter des interventions lourdes, il est toujours préférable
d’identifier les désordres le plus tôt possible par des inspections ciblées.
375
LA DURABILITÉ DES BÉTONS
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