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Les pouvoirs de crise du président de la République et du Premier ministre au Gabon

LES POUVOIRS DE CRISE DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ET


DU PREMIER MINISTRE AU GABON

« La réalisation de l’équilibre entre pouvoir et liberté a, de tout temps,


préoccupé constituants et législateurs. Tous les régimes politiques s’orientent
vers cette recherche du juste milieu en espérant y trouver le secret de leur
longévité. Pour autant, la voie qui y conduit n’est pas à l’abri des risques de
remise en cause. En gardant le cap sur l’équilibre qui demeure le principe, aucun
régime ne peut échapper à la survenance d’une crise, fut-elle d’exception1 »
(Guillaume PAMBOU TCHIVOUNDA, Les grands arrêts de la jurisprudence
administrative du Gabon, Paris, Pedone, 1994, p 69)

Ces commentaires du professeur PAMBOU TCHIVOUNDA sur l’affaire


INDJENDJET-GONDJOUT montrent que le constituant et le législateur ont, dès
les premières heures de la République gabonaise, recherché un équilibre entre
pouvoir et liberté, surtout en période de crise. Mais la notion de crise ne doit pas
seulement être perçue comme un différend entre acteurs politiques dans un
objectif de conquête ou de conservation du pouvoir. Elle doit être entendue
comme la situation dans laquelle le fonctionnement régulier des institutions
nationales ou locales est interrompu. Une telle définition, volontairement vaste,
permet d’englober aussi bien les crises résultant de guerres étrangères,
d’insurrections armées, des catastrophes écologiques et, évidemment les crises
sanitaires telles que la pandémie due au COVID 19.

Il est bien acquis, en droit administratif, que de telles situations ont des
incidences sur la légalité. Les pouvoirs des autorités administratives sont accrus.
Les libertés publiques sont restreintes dans l’objectif de permettre à ces autorités
de rétablir l’ordre public. Cette extension des pouvoirs des autorités
administratives est consacrée depuis longtemps par le juge (TA, Libreville, 7

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Guillaume PAMBOU TCHIVOUNDA, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative du Gabon, Paris,
Pedone, 1994, p 69
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février 1962, Indjendjet-Gondjout : proclamation de l’Etat d’alerte et


internement administratif de Monsieur Indjendjet-Gondjout ; CE 28 juin 1918,
Heyriès, suspension de l’application d’une loi par le gouvernement ; CE 28
février 1919, Dame Dol et Laurent : interdiction faite aux tenanciers de bars,
cafés et débits de boissons de recevoir des filles).

Mais le constituant et le législateur peuvent aussi réglementer cette extension


des pouvoirs. Ils confieront alors aux seuls détenteurs principaux du pouvoir
exécutif le soin d’édicter les mesures propres à permettre un retour au
fonctionnement régulier des institutions.

En droit gabonais, le président de la République est « le détenteur suprême


du pouvoir exécutif qu’il partage avec le Premier ministre » (Constitution
gabonaise du 26 mars 1991, art. 8). En d’autres termes, il dispose du pouvoir
réglementaire suprême, qu’il partage avec le chef du gouvernement.

Cette prééminence du président de la République en période normale se


déporte également en période de crise puisque les pouvoirs les plus importants
lui sont attribués.

Cependant, l’évolution des crises fait souvent penser à l’effet boule de neige :
minimes à l’origine, elles peuvent rapidement devenir incontrôlables. En tenant
compte de cette situation, le droit administratif a confié au Premier ministre des
pouvoirs limités pour faire face à des crises mineures (I) et au président de la
République des pouvoirs étendus pour faire face à des crises de plus grande
envergure (II).

I. LES POUVOIRS DE CRISE DU PREMIER MINISTRE

Les pouvoirs de crise du Premier ministre gabonais résultent de l’article 29b


de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991. Ils portent respectivement sur
l’Etat d’état de mise en garde(A) et l’état d’alerte(B).
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A. L’ETAT DE MISE EN GARDE

Aux termes du premier alinéa l’article 29b de la Constitution gabonaise : « le


Premier ministre peut, lorsque les circonstances l’exigent, après délibération du
Conseil des ministres et consultation des présidents de Chambres du Parlement,
proclamer par arrêté l’état de mise en garde, dans les conditions déterminées par
la loi. »

De cette disposition il résulte que la proclamation de l’état de mise en garde


se fait par arrêté. Elle obéit à une procédure échelonnée. D’abord le Conseil des
ministres délibère. Ensuite les présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat
sont consultés. Enfin, le chef du Gouvernement le proclame. On notera que la
Constitution ne prévoit ni la consultation du Conseil d’Etat ni celle de la Cour
constitutionnelle avant une proclamation de l’état de mise en garde.

La Constitution gabonaise est silencieuse sur la notion d’état de mise ne


garde et ses conditions de fond. Mais selon la doctrine « la garde est une
position de défense qui vise à protéger d’un danger celui qui l’adopte. Être en
garde consistera donc à se placer dans un état de vigilance en prenant un certain
nombre de mesures pour y aider. » (Guy ROSSATANGA-RIGNAULT, L’Etat
au Gabon, Histoire et Institutions, Libreville, Editions Raponda Walker, 2009, p
339).

Quant aux conditions de fond de proclamation de l’état de mise en garde,


elles sont énoncées par l’article 2 de la loi du 12 novembre 1959 relative au
maintien de l’ordre public en République gabonaise. En vertu de cette
disposition, l’état de mise en garde est déclaré « soit en cas de présomption
risquant de constituer une menace pour l’ordre public, soit en cas d’évènements
présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique. »
Cette disposition montre que l’état de mise en garde peut être déclaré soit pour

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faire face aux atteintes éventuelles à la sécurité, la tranquillité ou la salubrité


publiques, soit pour répondre à des situations de catastrophes diverses, quelles
qu’en soient l’origine. Dans le premier cas l’atteinte à l’ordre public résulte du
fait de l’homme, dans le second cas elle résulte d’un phénomène naturel.

Dans l’histoire du droit administratif gabonais, l’état de mise en garde a été


mis en œuvre une fois, à la suite de la dévaluation du franc CFA au début de
l’année 1994. Ce qui avait provoqué un débat sur l’application de la loi du 12
novembre 1959 relative au maintien de l’ordre public en République gabonaise,
étant donné qu’il s’agissait d’une loi adoptée avant l’indépendance.

Toutefois, ainsi que le rappelait le professeur ROSSATANGA, bien


qu’indépendant depuis le 17 aout 1960, l’Etat gabonais existait depuis 1959.
Ensuite, la pratique courante des Etats nouveaux voulaient qu’ils fassent appel
au droit antérieur à l’indépendance pour régler des situations non encore
encadrées par le nouvel ordonnancement juridique. Enfin, en 1994, la preuve
d’une abrogation de la loi du 12 novembre 1959 n’a pas été rapportée par ceux
qui s’opposaient à la proclamation de l’état d’alerte.

En plus de l’état de mise en garde, le Premier ministre peut proclamer l’état


d’alerte.

B. L’ETAT D’ALERTE

L’état d’alerte se prononce dans conditions de formes proches de celles de


l’état de mise en garde. En effet, il fait l’objet d’un arrêté du Premier ministre
précédé d’une délibération du Conseil des ministres. Cependant, une nuance est
à rappeler. Alors que dans le cadre de l’état de mise en garde seuls les présidents
de l’Assemblée Nationale et du Sénat sont consultés, dans le cadre de l’état
d’alerte ce sont les bureaux de ces institutions et pas seulement les présidents
qui sont consultés.

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Ajoutons que « l’état d’alerte n’a pas besoin d’être précédé de la


proclamation préalable l’état de mise en garde » (TA, Libreville, 7 février 1962,
Indjendjet-Gondjout ).

Selon le professeur ROSSATANGA-RIGNAULT, l’alerte est « un signal


annonçant un danger et appelant à prendre toutes les mesures pour y faire face.
On dit des troupes militaires qu’elles sont en alerte lorsqu’elles sont en situation
d’intervenir immédiatement. »

Cette allusion au monde de la grande muette est adéquate. Cependant étant


donné que l’état d’alerte vise à répondre à des menaces anthropiques ou
naturelles, et pas seulement militaires, ce sont alors toutes les institutions de la
République, ou alors celles concernées au premier chef par la menace qui
doivent être « en alerte ».

Cette assertion est confortée par le contexte dans lequel est prononcé l’état
d’alerte. Ce régime peut être déclaré « en cas de péril imminent résultant
d’évènements graves menaçant l’ordre public ou présentant par leur nature ou
leur gravité le caractère de calamité publique. » (Loi du 12 novembre 1959
relative au maintien de l’ordre public en République gabonaise, article 5)

A travers cette définition, on retient que l’état d’alerte comme l’état de mise
en garde sont proclamés pour faire face à des atteintes à l’ordre public ou des
évènements ayant le caractère de calamité publique : inondations, tsunamis, feux
de brousses, pandémies. Ces régimes visent donc à remédier à des problèmes
similaires. Toutefois, ce qui change c’est la gravité ou le degré du phénomène à
combattre.

L’article 8 de la loi du 12 novembre 1959 permet au Premier ministre de


décider de plusieurs mesures telles que « l’éloignement, l’assignation à
résidence, l’internement et l’expulsion des individus dangereux pour la sécurité
publique ».

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A notre connaissance, l’état d’alerte a été proclamé une fois au Gabon par un
décret du 16 novembre 1960 (Voir TA, Libreville, 7 février 1962, Indjendjet-
Gondjout ; Guillaume PAMBOU TCHIVOUNDA, Les grands arrêts de la
jurisprudence administrative du Gabon, Paris, Pedone, 1994, p 68)

En somme, le Premier ministre gabonais, en cas de crise, peut déclarer par


arrêté l’état de mise en garde ou l’état d’alerte. Les pouvoirs du président de la
République dans des circonstances similaires sont plus étendus.

II. LES POUVOIRS DE CRISE DU PRESIDENT DE LA


REPUBLIQUE

Les pouvoirs président de la République gabonaise sont bien plus importants


que ceux du Premier ministre car ils visent à remédier à des crises qui peuvent
ébranler complètement la vie de la Nation. C’est pourquoi les restrictions
apportées aux libertés qui en découlent peuvent être bien plus grandes.

En analysant les articles 25 et 26 de la constitution gabonaise, on peut


distinguer les pouvoirs de police (A) du président de la République et ses
pouvoirs exceptionnels (B).

A. LES POUVOIRS DE POLICE

Ces pouvoirs de police découlent de l’article 25 de la Constitution gabonaise


du 26 mars 1991, modifiée : « le président de la République peut, lorsque les
circonstances l’exigent, après délibération du conseil des ministres et
consultation des bureaux de l’Assemblée et du Sénat, proclamer par décret l’état
d’urgence ou l’état de siège qui lui confèrent des pouvoirs spéciaux, dans les
conditions déterminées par la loi ».

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A travers cette disposition, on remarque que les pouvoirs de police du


président en temps de crise sont de décréter l’état d’urgence ou l’état de siège.
Ces deux régimes d’exception obéissent aux mêmes règles de procédure et de
forme. En effet, l’état d’urgence et l’état de siège sont proclamés par décret et
non par arrêté comme l’état de mise en garde et l’état d’alerte. Mais avant la
signature de l’un ou l’autre de ces décrets, deux étapes doivent être franchies.
D’abord, le conseil des ministres doit délibérer sur cette question. Puis les
présidents des bureaux des assemblées doivent être consultés.

En raison du fait majoritaire, la procédure actuelle du prononcé de l’état


d’urgence est une balade de santé pour l’exécutif. Mais il n’en a pas toujours été
ainsi. Avant la révision constitutionnelle de 1994, le président de la République
devait obtenir un vote de l’Assemblée nationale à une majorité des deux tiers
avant de proclamer l’état d’urgence ou l’état de siège par décret. Aujourd’hui la
procédure est assouplie.

Cependant l’état d’urgence et l’état de siège diffèrent par leurs conditions de


fond. Pour préciser la notion d’état d’urgence, on peut se reporter au droit
comparé avant de mettre un accent sur le droit gabonais. Aux termes de l’article
premier de la loi camerounaise du 19 décembre 1990 relative à l’état d’urgence,
ce régime d’exception peut être déclaré en trois circonstances : 1) soit en cas
d’évènement présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité
publique ; 2) soit en cas de trouble portant gravement atteinte à l’ordre public ;
3) soit en cas d’agression venant de l’extérieur. Aux termes de l’article 2 de la
loi sénégalaise du 29 avril 1969 relative à l’état d’urgence et à l’état de crise,
l’état d’urgence peut être déclaré « soit en cas de péril imminent résultant
d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas de menées subversives
compromettant la sécurité intérieure, soit en cas d’évènements présentant, par
leur nature et leur gravité, un caractère de calamité publique ». Selon l’article
premier de la loi française du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, l’état

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d’urgence est l’ensemble des mesures qui sont édictées pour faire face à « un
péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou « d’évènements
présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique ».

Pour ce qui est de la République gabonaise, la loi n°11/90 du 16 septembre


1990 relative à l’état d’urgence, en son article premier, définit l’état d’urgence
comme « un régime spécial qui permet de faire face, par la prise de mesures qui
restreignent certaines libertés individuelles ou l’exercice de certains droits
fondamentaux ainsi que par une extension des pouvoirs ordinaires de police, soit
à un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit
d’évènement présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité
publique ». Bien que prolixe, le législateur gabonais rejoint le législateur
français relativement aux conditions de fond de l’état d’urgence et ne s’éloigne
pas des législateurs camerounais et sénégalais.

Cependant les lignes qui précèdent montrent que l’état d’urgence et l’état
d’alerte se rejoignent. On se demande alors quel peut être l’intérêt d’avoir dans
un même ordonnancement juridique, qui plus est dans la même Constitution,
deux régimes d’exception au contenu identique. On peut supposer que le
constituant a entendu établir une différence de degrés dans les crises et dans les
pouvoirs attribués aux autorités administratives pour y faire face. Mais rien n’est
certain.

Dans tous les cas l’état d’urgence est un régime qui confère à l’autorité civile
des pouvoirs de police extrêmement étendus. On peut citer, entre autres, la
fermeture des lieux ouverts au public (débits de boissons, écoles, universités,
lieux de culte), le droit de réquisition, la réglementation sélective du séjour et de
la circulation des personnes (interdiction de séjour, assignation à résidence…).

Jusqu’en 2019, l’état d’urgence n’avait jamais été déclaré en République


gabonaise. Toutefois en 2020 le Gabon, comme de nombreux Etats à travers le
monde, a été frappé par la pandémie du COVID 19. Après avoir été consulté le
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mercredi 8 avril 2020, « le Bureau du Sénat (reconnaissait) l’extrême gravité de


cette crise sanitaire et son impact dévastateur tant, au plan social
qu’économique de notre pays » (https://www.gabonreview.com/etat-durgence-
le-senat-donne-son-quitus-a-ali-bongo/ (consulté le 09/04/2020). Quant à la
Cour constitutionnelle, elle a considèré que : « la pandémie du Covid-19, par sa
nature et la rapidité avec laquelle elle se propage d’un pays à un autre et
contamine les populations des pays où elle sévit est, à n’en point douter, une
calamité publique justifiant la proclamation par le président de la République de
l’état d’urgence » (Avis n°018/CC du 04 avril 2020 relatif à la demande du
Premier ministre tendant à savoir si, dans les circonstances actuelles, le
président de la République est bien fondé à recourir aux dispositions de l’article
25 de la Constitution). Le Conseil des ministres du 09 avril 2020 ayant délibéré
sur cette question, la proclamation de l’état d’urgence n’était plus qu’une
question d’heure. C’est ainsi que le Premier ministre, dans une déclaration du 10
avril 2020, a annoncé l’état d’urgence sanitaire dans le but d’éviter au Gabon
« une trajectoire imprévisible et explosive de cette pandémie ».

En somme, la pandémie de COVID 19 actuelle, parce qu’elle menace la vie


humaine comme rarement dans l’histoire de la République gabonaise, parce
qu’elle causerait, si elle se propageait davantage, des dommages sans précédent
sur la vie sociale, économique et culturelle et parce qu’elle perturbe gravement
fonctionnement régulier des institutions, s’analyse par sa nature et sa gravité, en
une calamité publique justifiant la proclamation de l’état d’urgence.

Concernant le régime de l’état de siège il intervient « en cas de péril


imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armé ».
(Encyclopédie Dalloz, Tome II, p. 38). Cette notion renvoie, dans le vocabulaire
militaire, à la situation d’un lieu (ville, province, Etat) assiégé par une armée ou
un groupe armé. Le régime de l’état de siège transfère à l’autorité militaire des
pouvoirs dont l’autorité civile était investie pour le maintien de l’ordre. Il

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emporte une diminution des libertés publiques et une extension des pouvoirs de
police, afin de surmonter les difficultés résultant de la guerre ou de
l’insurrection (Loi n°5/90 du 5 juin 1990, article 1).

Le régime de l’état de siège a été prononcé une seule fois au Gabon par un
décret n°609/PR du 28 mai 1990. Ce décret s’appliquait uniquement à la
province de l’Ogooué maritime et visait à y rétablir l’ordre.

De tout ce qui précède il résulte que le président de la République, en cas de


crise, peut décréter l’état de siège ou l’état d’urgence. Il peut également
s’octroyer des pouvoirs exceptionnels.

B. LES POUVOIRS EXCEPTIONNELS

Les pouvoirs exceptionnels du président de la République sont consacrés par


l’article 26 de la Constitution gabonaise. Cet article reprend une bonne partie de
l’article 16 de la Constitution française. Mais il y a ajouté quelques termes qui
en ont profondément modifié le sens. Voici le contenu de cet article
26 : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance ou les intérêts
supérieurs de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses
engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et
que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est
interrompu, le président de la République prend, par ordonnance, pendant les
intersessions, dans les moindres délais, les mesures exigées par les
circonstances, et après consultation officielle du Premier ministre, du président
de l’Assemblée nationale ainsi que de la Cour constitutionnelle.

Il en informe la nation par un message.

Pendant les sessions ces mesures relèvent du domaine de la loi.

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L’Assemblée nationale ne peut être dissoute, ni la révision de la Constitution


entamée ou achevée. »

De cette disposition on retient que le président de la République ne peut


exercer ses pouvoirs résultant de l’article 26 que si les conditions de fond
suivantes sont réunies. D’une part, il doit y avoir menace grave et immédiate sur
les institutions, les intérêts supérieurs de la nation, l’indépendance ou
l’exécution des engagements internationaux etc. D’autre part, cette menace doit
avoir pour conséquence d’interrompre le fonctionnement régulier des
institutions. Si ces conditions ne sont pas réunies, l’article 26 ne sera pas mis en
œuvre. Toutefois ces conditions se révèlent illusoires dans la mesure le président
de la République est seul à décider, sans contrôle, si elles sont réunies.

La mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels en vertu de l’article 26 obéit


aussi à des conditions de procédure et de forme. Le décret par lequel le président
y a recours est obligatoirement précédé d’une consultation officielle du Premier
ministre, du président de l’Assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle.

Les pouvoirs exceptionnels du président de la République résultant de


l’article 26 de la Constitution n’ont jamais été mis en œuvre au Gabon.
Toutefois, l’article 16 de la Constitution française, qui est une disposition au
contenu proche, a déjà été mis en œuvre.

En effet, à la suite d’une insurrection armée dirigée par des généraux à


partir de l’Algérie (encore territoire français) le 21 avril 1961, on eut recours à
l’article 16 de la Constitution française du 23 avril au 29 septembre 1961. La
mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels qui en résultait, couplée à la
proclamation de l’état d’urgence, permit de prendre des mesures attentatoires
aux libertés : interdictions de journaux, révocation des fonctionnaires complices
des généraux, prolongations des délais de garde à vue et procès suivis de neuf
cents condamnations.

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Si le constituant gabonais a repris l’esprit de l’article 16, il y a ajouté


quelques termes qui en ont modifié la substance.

En effet, contrairement à l’article 16 qui permet au président de la


République de s’octroyer des pouvoirs exceptionnels en tout temps, l’article 26
de la Constitution gabonaise enferme les pouvoirs du chef de l’Etat dans un
intervalle de temps restreint : la période des intersessions parlementaires. Ce qui
revient à dire que si les institutions de la République étaient menacées pendant
une session parlementaire, le président ne pourrait pas mettre en œuvre l’article
26.

De plus, les mesures que le président de la République pourrait prendre en


vertu de l’article 26 de la Constitution gabonaise le sont par ordonnance. Le
Parlement pourrait donc les modifier lors de la prochaine session parlementaire.
Ses pouvoirs sont donc respectés.

Au regard de ces constatations, on peut reprendre l’heureuse formule du


professeur ROSSATANGA-RIGNAULT : l’article 26 de la Constitution
gabonaise « ressemble à l’article 16, a le gout de l’article 16 mais n’est pas
l’article 16 » de la Constitution française.

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