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DOSSIER : L'innovation publique à l'épreuve du droit


Dossier publié à l'adresse https://www.lagazettedescommunes.com/819975/apprehender-le-financement-participatif-en-toute-securite-juridique/

FINANCES LOCALES
Appréhender le financement participatif en toute sécurité juridique
Auteur associé | Actu juridique | Analyses juridiques | France | Toute l'actu finances | Publié le 27/07/2022 | Mis à jour le 15/09/2022

Les collectivités peuvent appréhender le financement participatif de différentes manières, qui


aboutissent à des positionnements juridiques très variés. L’un des avantages principaux du
financement participatif est d’offrir aux administrés le choix d’être partie prenante dans un projet de
collectivité locale. Explications et montages juridiques adéquats.

[1]

Parmi les outils pouvant être parés du qualificatif de « participatif » figure le « financement » qui est une variante
du procédé que les anglophones appellent le « crowdfunding » (ou plus précisément « crowdlending », lorsqu’il
s’agit d’un prêt), ou financement par la foule.

Ce procédé consiste, pour simplifier, à collecter des fonds par le biais de plateformes internet dédiées, auprès de
participants plutôt privés, plutôt nombreux et plutôt modestes dans leur apport, puis de les affecter à des projets
identifiés.

On mesure immédiatement comment ce procédé peut être tentant pour mobiliser des fonds de citoyens désireux
d’être partie prenante dans un projet de collectivité locale : invitation des administrés à exprimer un choix,
facteur d’implicationdans la vie locale et, au passage, source de financement complémentaire. Le procédé coche
de nombreuses cases…

Ce qui justifie que des collectivités soient curieuses de ce nouvel outil, utilisable de multiples façons. A cela
s’ajoute que nombre de sociétés dédiées de ce secteur sont en situation délicate, le crowdfunding étant
nettement moins à la mode dans le privé qu’en 2014-2015, lorsque le droit a été réformé pour permettre à ce
procédé de trouver une place dans la palette des outils de financement de l’économie, y compris au profit des

collectivités locales (décret n° 2015-1670 du 14 décembre 2015 [2], de portée très limitée).

La recherche de nouveaux marchés, facteur puissant de mobilisation, sera probablement relayée par l’effet de

l’entrée en application, depuis le 10 novembre 2021, du règlement UE 2020/1503 [3] et les mesures
d’accompagnement attendues en droit interne (loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions
d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie
et des finances).

Il n’est pas inutile que les collectivités territoriales soient informées de la variété, des avantages mais aussi des
fragilités de cet outil, qui fera probablement l’objet de sollicitations dans les prochains mois.

La variété des situations

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Les collectivités peuvent appréhender le financement participatif de diverses manières, qui aboutissent à des
positionnements juridiques très différents. Plusieurs lignes de partage parcourent en effet la matière. Il faut
d’abord distinguer le financement participatif sous forme de dons, qui fait écho lointain à l’offre de concours, et le
financement participatif sous forme de prêt, lui-même subdivisé en émission obligataire, prêt simple, sans
[4]
intérêts ou avec intérêts (1) .

Selon la nature des financements recherchés, le statut juridique de la plateforme peut changer. Seconde
distinction majeure, la collectivité entend-elle recevoir lesdits financements pour ses propres projets et, dans ce
cas, passer ou ne pas passer par un intermédiaire, ou proposer aux administrés une plateforme locale permettant
à ces derniers de financer des projets privés qui leur sembleront pertinents ?

Les différences sont, cette fois encore, significatives. La collectivité peut effectivement, dans certaines conditions
que nous examinerons, recourir au financement participatif pour ses propres besoins, en direct s’il s’agit de dons
(on est alors proche du fonds de concours) ou par l’intermédiaire d’un professionnel pour des dons ou des prêts.
En revanche, la commune ne peut tout simplement pas offrir elle-même aux administrés un service récurrent
d’intermédiation (une plateforme en d’autres termes) qui permettrait à ces derniers de financer tel projet
commercial (un nouveau maraîcher bio), social (insertion, enfance), sportif (nouveau club) ou culturel (spectacle,
tiers-lieux) porté par des entreprises ou des associations locales.

La tentation peut exister. Certains opérateurs économiques offrent en « marque blanche » des kits complets
permettant de créer une plateforme internet. L’activité en question requiert de disposer du statut d’intermédiaire
en financement participatif pour les dons et les prêts modestes (immatriculé à l’Organisme pour le registre unique
des intermédiaires en assurance, banque et finance [Orias] et régulé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de
résolution [ACPR]), le cas échéant, de conseiller en investissement participatif (opération en capital ou obligataire
– Orias et Autorité des marchés financiers [AMF]), voire de prestataire de services en investissement.

On rappellera au passage que l’exercice de cette activité sans disposer des qualités requises expose à des
[5]
sanctions pénales non négligeables (2) . Or, au regard de l’exigence d’exclusivité d’activité, une collectivité ne
peut pas, par exemple, devenir un intermédiaire en financement participatif (IFP).

En revanche, il est possible qu’une collectivité s’implique dans la mise en place d’un acteur acteur de ce genre et
[6]
soutienne la création d’une plateforme consacrée à tel ou tel type de projets locaux (3) . Il conviendra alors de
respecter les règles relatives aux aides aux entreprises ou, selon le procédé choisi, celles concernant la
constitution de structures économiques dédiées.

La collectivité peut également souhaiter offrir aux administrés la possibilité de financer ses propres projets. Elle
se positionne alors en bénéficiaire de la collecte et non en intermédiaire.

Ce schéma est juridiquement différent, plus facile d’accès, et ne doit pas être confondu avec le précédent. Il fait
l’objet de nombreuses convoitises, le marché des collectivités locales étant considéré comme une potentialité
importante pour les plateformes, qui peinent sur le secteur du financement privé, en concurrence avec un
financement bancaire abondant et peu cher. A l’heure du choix, il s’agira pour les collectivités de s’interroger sur
les avantages et les fragilités de la proposition.

Les avantages réels ou supposés du financement participatif


L’un des avantages principaux du financement participatif est d’offrir aux administrés une possibilité de choix, de
manifestation d’un engagement au soutien d’un projet donné. Alors que l’impôt est impersonnel et ne connaît pas
de contrepartie, le financement participatif permet l’invidualisation, l’implication personnelle, voire le dynamisme,
dans une époque qui en manque. On mettra, toutefois, cet avantage politique indéniable en balance avec une
difficulté juridique : l’affectation budgétaire des sommes recueillies par l’effet d’un prêt n’est pas possible,
puisqu’elle entre en contradiction avec le principe d’universalité budgétaire et son corollaire, l’absence
d’affectation des recettes. Il existe certes une possibilité de dérogation, le fonds de concours, mais elle ne serait
applicable qu’aux dons et, encore, à des conditions formelles assez lourdes. Si elles veulent souscrire des prêts en

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communiquant sur leur affectation, les collectivités en seront donc réduites, comme pour les budgets participatifs,
à jongler entre l’engagement politique, toujours possible, et l’engagement juridique, impossible.

On relèvera également que l’avantage de « l’affectation » peut aussi se révéler une faiblesse. L’universalité
budgétaire n’est pas seulement une règle contraignante. Elle est aussi la manifestation d’une solidarité : Pierre ne
finance pas par l’impôt seulement ce qui l’intéresse, mais aussi ce qui bénéficie à Paul ou à Françoise. En d’autres
termes, le financement participatif est un outil potentiellement puissant d’implication des administrés, de
réappropriation de l’action publique. C’est indéniable. Cependant, il conviendra de veiller à ce qu’il ne devienne
pas l’outil d’un repli communautaire se traduisant par un financement sélectif.

Il est encore parfois mis en avant que le financement participatif permet de diversifier les approvisionnements
financiers des collectivités locales et, implicitement, de contenir les coûts. Si le premier point est indéniable, il est
tout aussi clair que le financement participatif revient généralement (nettement) plus cher que le financement
bancaire ou l’émission obligataire.

Les intérêts versés aux prêteurs sont généralement au-dessus du marché bancaire (sauf geste social délibéré des
prêteurs) et ils s’ajoutent aux frais d’intermédiation des plateformes.

Le financement participatif des collectivités publiques présente enfin un avantage indéniable : celui d’offrir aux
prêteurs un débiteur à la signature incomparable. Une personne publique locale n’est en effet pas susceptible de
faire défaut, l’Etat étant, in fine, garant des créances. Mais cet avantage, bien réel, n’est pas au bénéfice des
collectivités locales ; il profite essentiellement aux prêteurs et aux plateformes de prêt participatif.

Des limites à respecter


La séduction que peut exercer le financement participatif ne doit pas masquer ses limites et ses fragilités, bien
réelles. Sans revenir sur les contraintes précédemment exposées, relatives à la création d’une plateforme par la
collectivité elle-même, on se consacrera ici aux limites propres à l’usage du financement participatif lorsque les
collectivités entendent recueillir des fonds pour financer leurs propres projets.

La première limite est liée au financement participatif lui-même, en l’état des textes. Mais les dispositions à ce
[7]
sujet pourraient changer assez rapidement, par l’effet du règlement UE 2020/1503 [3] (4) . Il existe ensuite une
[8]
limite tenant à l’interdiction propre aux collectivités locales de financer leur fonctionnement par l’emprunt (5) .
Le financement participatif devra donc être strictement réservé au financement d’opérations relevant de la section
d’investissement.

Les plafonds d’endettement devront évidemment être respectés, les emprunts souscrits sous cette forme
n’échappant à la contrainte, pas plus qu’à la transparence requise dans les états budgétaires annexes.

On veillera, en outre, à deux questions périphériques, mais non négligeables : le respect des contraintes liées aux
données personnelles des prêteurs (règlement général sur la protection des données) et la prévention des conflits
d’intérêts.

Sur ces deux points, une vigilance particulière devrait prévaloir lors de la mise en place des contrats avec
l’intermédiaire: quels seront ses engagements en matière de protection des données personnelles ? Et quels
seront les dispositifs qu’il propose de mettre en place pour prévenir d’éventuels conflits d’intérêts, par exemple
entre le financement d’un projet par une société et l’attribution de contrats de la commande publique à l’une de
ses filiales ?

Des fragilités juridiques : commande publique et gestion de fait


La soumission de la prestation de l’intermédiaire aux règles de mise en concurrence propre à la commande

publique est par ailleurs vivement recommandée. L’article L.2512-5 du code de la commande publique [9] exonère
certes de publicité et de mise en concurrence les services financiers liés à l’émission, à l’achat, à la vente ou au
transfert de titres ou d’autres instruments financiers définis à l’article L.211-1 du code monétaire et financier
[10]… (5°) et les contrats d’emprunts (6°), mais force est de constater que l’alinéa 6 ne concerne que les prêts
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consentis par les prêteurs eux-mêmes, distincts de l’intermédiaire, et que les prestations fournies par ce dernier
ne relèvent pas de l’alinéa 5.

Pas d’exonération de publicité ou de mise concurrence, donc, dans le principe. Sachant que la rémunération brute
de la plateforme est généralement de l’ordre de 4 % du montant collecté (indépendamment de la rémunération
éventuellement versée aux apporteurs de fonds), on parvient rapidement à des montants de plusieurs milliers
d’euros qui justifient un minimum de mise en concurrence ; et plus les montants collectés seront importants, plus
on se rapprochera de l’obligation de publicité.

Il serait regrettable que l’adoption d’un mécanisme censé rapprocher citoyens et administration se traduise par
des poursuites pour favoritisme… Mais la difficulté majeure tient au risque de gestion de fait, si n’est pas mise en
place une régie de recettes, qui suppose un accord du comptable public ou, au minimum, un mandat lorsque, du
moins, celui-ci est envisageable. On avouera à ce sujet une certaine réserve sur l’efficacité de l’article D. 1611-

32-9 du code de la commande publique [11], introduit par le décret n°2015- 1670 du 14 décembre 2015 [12].
Selon cet article, il est prévu que les collectivités territoriales et leurs établissements publics peuvent confier à un
organisme public ou privé l’encaissement de recettes relatives (2°) : « Aux revenus tirés d’un projet de
financement participatif au profit d’un service public culturel, éducatif, social ou solidaire. »

Mais cette disposition est triplement limitée. En premier lieu, elle ne concerne que certains secteurs précis : rien
n’est actuellement prévu par exemple au profit des équipements sportifs ou en faveur des investissements liés à
la protection de l’environnement. Plus largement, on ne peut manquer de relever que le texte n’évoque que des «
revenus » et non toute sorte de recettes ou de ressources. Or il est clair que des sommes données ou prêtées à
[13]
l’occasion d’un financement participatif ne se confondent pas avec un revenu (6) .

Cette faiblesse rédactionnelle du texte s’explique aisément et n’est, au fond, que la traduction logique du texte

législatif de référence, l’article L.1611-7-1 du code général des collectivités territoriales [14], lequel ne concerne
[15]
qu’un « revenu tiré de prestations » (7) . En somme, le décret ne pouvait être qu’inefficace, en s’en tenant à
des « revenus » qui ne couvrent pas les apports du financement participatif, ou illégal, en sortant du champ de
l’habilitation législative…

Il est possible que la loi à venir réforme ce point et permettre de pratiquer le financement participatif dans des
conditions plus assurées. Mais en l’état, il est à craindre que les juridictions financières, un jour prochain,
complètent leur jurisprudence en matière de gestion de fait de quelques décisions relatives à du financement
participatif sans régie de recettes.

REFERENCES

Règlement (UE) 2020/1503 du Parlement européen et du Conseil du 7 octobre 2020 relatif aux
prestataires européens de services de financement participatif pour les entrepreneurs.

POUR ALLER PLUS LOIN

Modernisation du cadre relatif au financement participatif


"Le financement participatif offre surtout de la visibilité”

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