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Une table d'orientation pédagogique d'aide à la (co)conception d'un projet


d'architecture : Des principes directeurs des systèmes aux questionnements
des modèles architecturaux

Article · January 2013

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1 author:

Damien Claeys
Université Catholique de Louvain - UCLouvain
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Une table d’orientation pédagogique d’aide à la (co)conception
d’un projet d’architecture
Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

Damien CLAEYS
damien.claeys@uclouvain.be

Architecte, Chef de travaux, doctorant


UCL – Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme
LOCI – Site de Bruxelles
Rue Wafelaerts, 47/51 – B-1060 Bruxelles
Tél : + 32 (0)2 539 71 11
-> http://www.uclouvain.be/loci.html

Co-fondateur du Réseau Architecture & Complexité


-> http://www.architecture-et-complexite.org

Résumé
Travail de certification dans le cadre du Groupe d’Intervention et Recherche en Organisation
des Systèmes (GIROS) pour obtenir le certificat : « Intervenant systémicien des
organisations ».
À partir de principes directeurs à l’œuvre dans tous les systèmes, des questionnements
spécifiques aux modèles architecturaux sont proposés. Outre quelques méta-questionnements
contextuels, ceux-ci peuvent être organisés en questionnements formels, structurels et
fonctionnels.
Une table d’orientation pédagogique pour questionner le modèle architectural d’un projet
d’architecture en cours de (co)conception est proposée à partir de l’interaction entre tous les
questionnements.

Mots-clés
architecture, conception, système, pédagogie, modèle, projet, table d’orientation

GIROS – FASO4 | Travail de certification | Damien CLAEYS – 2012-13 1


Une table d’orientation pédagogique d’aide à la (co)conception
d’un projet d’architecture
Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

Introduction
Le sujet d’étude de ce travail de certification est intimement lié à des recherches personnelles
entreprises notamment dans le cadre plus large d’une pratique de l’encadrement pédagogique
d’étudiants en architecture et d’un doctorat en « Art de bâtir et urbanisme » qui a pour finalité
l’élaboration d’un « modèle systémique du processus de (co)conception qui vise
l’architecture ». Le processus de (co)conception étudié ici est donc à l’œuvre lorsque qu’un
(co)concepteur (un architecte) mobilise les informations relationnées du domaine de
connaissance qu’il vise (l’architecture) pour construire des édifices (les architectures). Le
(co)concepteur embraye alors un processus de (co)conception dynamique d’un modèle
architectural (Mi), c.-à-d. d’un analogon du projet d’architecture.
Ce travail de certification montre donc qu’à partir de l’analyse des « 12 principes directeurs
des systèmes » développés par Andrée Piecq (2011) en systémique des organisations, il est
possible de proposer des « questionnements des modèles architecturaux » en tant qu’outils
pratiques de (co)conception activables à tout moment. Alors qu’ils sont (re)liés sous la forme
d’une véritable « table d’orientation », ces derniers facilitent l’analyse (auto)réflexive et le
pilotage de tout processus de (co)conception d’un projet d’architecture. Ces outils sont
efficace quels que soient le type et/ou l’échelle de l’édifice projeté. Nous partons donc du
Giroscope pour en (re)créer un autre, destiné cette-fois spécifiquement au domaine de la
(co)conception architecturale.
Outre la visée contextualisée et la conscience de l’inter-dépendance des phénomènes qu’elle
permet, l’approche systémique est utilisée ici parce qu’un des outils (les plus) efficaces de
cette méthode systémique est la modélisation graphique de processus. Et c’est bien du
processus de (co)conception du modèle architectural (Mi) qui nous occupe. Il ne s’agit pas
d’analyser des édifices réels ou l’édification de ceux-ci, mais d’aider le (co)concepteur à
s’orienter dans la succession des images mentales du projet d’architecture qu’il (co)construit
au cours du processus de (co)conception. Ceci permet le développement d’outils
pédagogiques de démystification du processus de (co)conception architecturale lui-même.
Pour aider les lecteurs originaires d’autres domaines de connaissance, il n’est pas inutile de
(re)poser quelques hypothèses qui concernent celui de la (co)conception architecturale :
1. il existe une difficulté incontournable, inhérente à la condition humaine, dans la
superposition entre le réel et la (re)présentation que nous en avons. Les modalités au
travers desquelles il apparaît à notre conscience ne sont que le résultat de tentatives de
superpositions répétées, que nous projetons à partir de notre monde intérieur. L’homme
construit donc un réel que nous qualifions d’augmenté, auquel, impertinent, le réel résiste
dès que nous le provoquons ;
2. la nature du réel augmenté est interprétée ici à partir de trois niveaux d'organisation : les
niveaux de la configuration formelle (Niv.1), du structuralisme hiérarchique (Niv.2) et de
l'émergentisme systémique (Niv.3). Chaque niveau est associé respectivement à la
(co)construction d’une opérande de base : l’ensemble (Ensi), la structure (Structi) et le
système (Systi), qui permettent d’élaborer respectivement les modèles agrégatif, statique et
dynamique du projet d’architecture en cours de (co)conception ;
3. la méta-finalité poursuivie par le (co)concepteur (l’architecte) est de faire émerger des
lieux, c.-à-d. d’équilibrer les rapports trialogiques entretenus par la culture, l’homme
(auto)organisé et l’environnement (éco)systémique à l’aide d’artefacts architecturaux ;
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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

4. le (co)concepteur architectural est nécessairement inter-disciplinaire avec une visée trans-


disciplinaire. Un architecte ne peut connaître seul tous les savoirs de tous les autres
acteurs de la (co)conception (et encore moins du chantier par la suite), mais il est capable
de les organiser. Seuls la mise en espace et la création de lieux qui rencontrent la méta-
finalité sont/devraient être des savoirs disciplinaires ;
5. la (co)conception d’un projet d’architecture est un processus complexe qui évolue
constamment, au cours duquel le (co)concepteur opère sur le modèle architectural (Mi) du
projet d’architecture à l’aide d’opérations cognitives.

1. Les douze principes directeurs du Giroscope pour les systèmes


Une fois que ces quelques principes de bases du domaine de la (co)conception architecturale
ont été explicités, intéressons-nous au Giroscope développé par Andrée Piecq (2011).
Lorsqu’un projet d’architecture est engagé, le (co)concepteur opère sur un modèle
architectural (Mi), c.-à-d. une image mentale en actualisation constante du projet à
(co)concevoir. Il modifie alors celui-ci à l’aide d’opérations cognitives. À tout état tn du
processus, le choix des opérations et l’ordre dans lequel le (co)concepteur les utilise pour
passer à un état tn+1 vient notamment de la capacité qu’il a de questionner l’état du projet en
cours. À partir du moment où tout modèle architectural peut être (co)construit en tant que
système et que tous les systèmes possèdent des principes directeurs communs, nous pouvons
nous demander s’il n’existe pas des règles de fonctionnement communes à tous les modèles
architecturaux d’un point de vue systémique. Pour questionner un modèle architectural (Mi)
en cours d’élaboration, le concepteur simule le comportement de celui-ci à l’aide de règles de
fonctionnement heuristiques et pertinentes pour tous les systèmes. Plus précisément, quels que
soient le projet d’architecture engagé, le contexte de celui-ci, le point de vue du
(co)concepteur, ou la nature de la relation que ceux-ci entretiennent, une grille de lecture
composée de principes directeurs valables pour tous les modèles architecturaux doit être
élaborée. La construction d’une telle grille est valable uniquement dans le cas où le modèle
architectural est appréhendé à l’aide des systèmes au sein d’un réel augmenté.
Parmi différentes grilles de lecture existantes, nous proposons de (re)formuler en partie celle
que propose Andrée Piecq (2011) pour constituer son « Giroscope » dans le champ de
l’intervention systémique au sein des organisations. Le « Giroscope » dont nous parlons ici
est à distinguer du gyroscope, bien que le nom de celui-ci soit porteur de sens pour celui-là.
En effet, un gyroscope est un appareil de navigation qui donne la position angulaire de son
référentiel par rapport à un référentiel inertiel de référence selon un, deux ou trois axes. Il
s’agit donc d’un capteur de position angulaire qui permet, p. ex., de donner un horizon
artificiel à un avion ou de stabiliser une caméra placée sur un bateau. Par analogie avec le
gyroscope, cet appareil qui regarde la rotation et permet de ne pas perdre tout rapport avec
une assise horizontale, le « Giroscope » est une « boîte à outils » qui permet de « garder le
cap », lors de la gestion et du pilotage d’organisations humaines (GIROS 2010-12). Les douze
principes directeurs des systèmes tels que définis dans le « Giroscope » sont des règles de
fonctionnement des systèmes, présentes dans toutes les organisations observables.
Créé en 2000, le Groupe d’Intervention et de Recherche en Organisation des Systèmes
(GIROS) propose la formation, la recherche, l'intervention, et l'accompagnement des
organisations. Ce groupe combine l’approche systémique et l’utilisation du « Giroscope » –
développé depuis 1982 par Andrée Piecq – qui repose sur l’utilisation des « 12 principes
directeurs des systèmes » et de l’ « évaluation circulaire ». De sa (longue) pratique des
organisations, Andrée Piecq a dégagé des constantes auxquelles toutes les organisations sont

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

sujettes, ce qui l’a amenée à formaliser les douze principes directeurs des systèmes. Si leur
mise en relation est originale, ils regroupent par contre des concepts énoncés par des auteurs
incontournables de l’approche systémique, parmi lesquels Gregory Bateson, Ludwig von
Bertalanffy, Heinz von Foerster, Francisco J. Varela, Humberto R. Maturana, Paul
Watzlawick, Edgar Morin, Joël de Rosnay, Ilya Prigogine, Mony Elkaïm… Ces outils sont
appliqués par les membres du groupe dans de nombreux secteurs professionnels marchand et
non-marchand (PME, grosses entreprises, services publics, administrations, hautes écoles,
DRH…). Ils leurs permettent d’étudier la structure, de repérer les principales étapes de
développement, de diagnostiquer le fonctionnement et de piloter l'évolution des organisations
pour lesquelles ils interviennent.
Outre la présence du (0) contexte et du temps, les douze principes directeurs proposés par
Andrée Piecq (2011) sont : (1) la finalité, (2) le (sous-)système, (3) les membres, (4) les
frontières, (5) les règles, (6) les rétroactions, (7) la circularité, , (8) l’équifinalité, (9) la
totalité, (10) l’homéostasie, (11) l’émission et (12) la réception d’informations. Elle en
propose par ailleurs une (re)présentation graphique sous la forme d’une matrice uniformément
répartie – sans hiérarchisation – dans laquelle chaque pôle est occupé par un des principes
directeurs. Le temps est là pour rappeler qu’un système – ici une organisation – peut évoluer
au cours du temps.

Illustration 1 – Les « 12 principes directeurs » des systèmes. Andrée Piecq (2011, p.116)

Ce qui est moins lisible sur le schéma, mais qui a toute son importance, c’est que « chaque
principe contient les autres » (GIROS 2010-12), et que tous sont en inter-action les uns avec
les autres : le « Giroscope » est donc un modèle théorique qui permet une causalité circulaire.
Il s’agit d’une méthode pour tenter de contourner la « rationalité limitée » (Simon 1957)
inhérente à notre condition humaine et pour tenter de réduire l’incertitude. En effet, les
principes directeurs sont à l’œuvre simultanément, mais la « rationalité limitée » de l’individu
ne lui permet pas de les envisager tous à la fois. Il est donc nécessaire de les examiner un à un
selon un ordre qui peut varier en fonction de l’organisation à observer. Lorsque l’intervenant
systémicien démarre l’observation avec un des principes directeurs, il le fait en pleine

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

conscience de l’interdépendance de celui-ci avec tous les autres. Et l’utilisation d’un principe
directeurs n’a d’intérêt que parce qu’il permet de mettre en valeur tous les autres. Si un des
principes directeurs est utilisé seul, sans tenir compte des autres, alors l’approche devient uni-
causale : c’est précisément ce que le « Giroscope » essaie d’éviter.
Si les « douze principes directeurs des systèmes » d’Andrée Piecq (2011) sont des principes
qui permettent d’observer des systèmes quels qu’ils soient pour l’intervention dans les
organisations, leur transposition particulière au domaine de l’architecture (telle qu’elle est
proposée ici) devra tenir compte des trois manières différentes d’organiser le réel augmenté :
à l’aide des ensembles (Ensi), des structures (Structi) et des systèmes (Systi).
À première vue, les principes du « Giroscope » ne tiennent pas compte des configurations
formelles (Niv.1) qui mène à la (co)construction d’ensembles (Ensi). Bien que rien ne soit dit
à propos des relations entre les éléments, (2) les systèmes, (3) les membres et (4) les
frontières sont des principes qui peuvent permettre de (co)construire le modèle statique du
projet d’architecture au niveau du structuralisme hiérarchique (Niv.2), sous la forme d’une
structure (Structi). Et d’autres principes, tels que (1) la finalité, (7) la circularité ou (10)
l’homéostasie, permettent d’appréhender le modèle architectural plutôt à partir du concept de
système (Systi) au niveau de l’émergentisme systémique (Niv.3). Les principes directeurs que
nous allons (re)formuler ici doivent pouvoir permettre au (co)concepteur d’évaluer la
configuration d’un projet à l’état d’ensemble, autant qu’à l’état de structure statique ou, enfin,
à l’état de système dynamique.

2. Les principes directeurs deviennent des questionnements en architecture


Nous allons (re)formuler les « 12 principes directeurs des systèmes » (Piecq 2012) utilisés par
le Groupe d’Intervention et de Recherche en Organisation des Systèmes (GIROS) en ce que
nous appelons pour commencer les principes directeurs des modèles architecturaux. Nous
verrons plus loin qu’il est plus intéressant de parler de questionnements plutôt que de
principes. Cette (re)formulation est nécessaire pour rendre ces principes directeurs opérants
lorsqu’il s’agit de viser spécifiquement le domaine de la (co)conception architecturale. La
principale nécessité d’une telle (re)formulation vient de la différence qui existe entre une
organisation, c.-à-d. un système (co)construit à partir de l’observation des comportements et
des interactions dynamiques entre les membres d’un groupe humain, et un modèle
architectural (Mi), c.-à-d. un système (co)construit à partir de la (re)présentation d’un projet et
des interactions dynamiques entre tous les éléments qui le constituent. Cette différence
explique également la difficulté de toute transposition (trop) directe des principes de
fonctionnement de la première sur le deuxième.
Après (re)formulation, les principales différences avec le « Giroscope » sont :
1. des questionnements ont été ajoutés pour interroger des modèles architecturaux par le
filtre d’une organisation formelle, dans le cadre du premier niveau d’organisation du réel
augmenté (Niv.1) : « zones d’influences », « figure/fonds » et « rétroduction » ;
2. le principe (4) les frontières est renommé en « les limites » ; le concept de limite nous
semble plus général que celui de frontière qui ne concerne que les limites identitaires des
membres d’une organisation ;
3. un questionnement « les relations » est apparu pour compléter l’interrogation des modèles
architecturaux par le filtre structurel, dans le cadre du second niveau d’organisation du
réel augmenté (Niv.2) ;

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

4. le principe directeur (3) les membres a été généralisé en « les éléments », pour prendre en
compte non seulement les sujets, mais également les objets (choses augmentées à l’aide de
constructions identitaires consécutives à la perception de phénomènes) ;
5. les deux principes directeurs de (11) l’émission et de (12) la réception d’informations ont
été fusionnés ; la distinction nette de ceux-ci est nécessaire pour étudier de manière plus
précise les mécanismes de la communication (inter)personnelle, mais semble superflue
pour le domaine de l’architecture ; de plus, les deux autres « flux fondamentaux » (Miller
1965) du réel augmenté ont été ajoutés à l’information (I) : à savoir la matière (M) et
l’énergie (E), ce qui permet de proposer un questionnement appelé « les échanges MEI » ;
6. le principe directeur (6) les rétroactions est développé à l’aide d’un questionnement plus
général qui tient compte des actions entreprises avant, pendant et après l’état du système
étudié : il se nomme « les pro/inter/rétro-actions » ;
7. un questionnement « l’émergence » est apparu nécessaire pour compléter l’interrogation
des modèles architecturaux par l’approche systémique, dans le cadre du troisième niveau
d’organisation du réel augmenté (Niv.3) ;
8. le principe de (1) la finalité a été renommé en « la (méta/sous-)finalité » en référence au
fait que l’architecture – en tant que domaine de connaissance – et les architectures –
édifices réels ou non – n’ont aucune finalité intrinsèque, seul l’architecte – être
(auto)organisé – en possède une et peut en projeter sur l’architecture et/ou les
architectures. La méta-finalité projetée est de faire émerger des lieux et ceci est rendu
possible par l’instauration de rapports trialectiques entre la culture, l’homme
(auto)organisé et l’environnement (éco)systémique. Outre celle-ci, des sous-finalités
peuvent être projetées plus localement ;
9. absent du « Giroscope », le concept de multi-finalité complète le principe de (8)
l’équifinalité qui devient alors le questionnement de « l’équi/multi-finalité » ;
10. le principe directeur (10) l’homéostasie » a été renommé « le (dés)équilibre » pour éviter
la transposition directe d’un concept des sciences naturelles vers les sciences
anthropiques. Le mot « stabilité » n’a pas été choisi pour éviter de limiter ce
questionnement aux sollicitations mécaniques du projet d’architecture.
Après ces quelques adaptations et compléments, les questionnements des modèles
architecturaux peuvent également être classés en fonction du niveau d’organisation du réel
augmenté qu’ils questionnent. Certains explorent les configurations formelles (Niv.1),
d’autres les hiérarchies structurelles (Niv.2) et d’autres encore les émergences fonctionnelles
(Niv.3). Ainsi, certains questionnements adaptés à l’architecture peuvent donc être comparés
par analogie à des règles de fonctionnement telles que définies par le « Giroscope » pour
l’étude des organisations. Mais, par extension, d’autres peuvent également être des règles de
hiérarchisation structurelle ou de configuration formelle. Au principe directeur (2) le
(sous-)système a donc été ajoutés les questionnements « l’ensemble » et « la structure ».
Numérotés et (re)formulés, les questionnements des modèles architecturaux sont alors
(ré)organisés à partir des concepts de forme, de structure et de fonction :
1. d’abord, le contexte (Q0) du modèle architectural est un méta-questionnement ; les
questionnements sous-jacents concernent, au minimum, les différentes modalités de
(co)positionnement du (co)concepteur : les niveaux d’étendue (Q0.1), les niveaux de durée
(Q0.2), et les combinaisons pondérées des dimensions contextuelles (Q0.3). Le terme
« contexte » est préféré au terme « environnement » qui paraît trop restrictif ;
2. le modèle architectural est ensuite questionné du point de vue de sa configuration
formelle, c.-à-d. des ensembles (Q1) ; les questionnements sous-jacents concernent, au

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

minimum, les zones d’influences (Q1.1), la figure/fond (Q1.2) et la rétroduction (Q1.3). Ces
questionnements permettent l’actualisation du modèle agrégatif ;
3. ensuite, le modèle architectural est questionné du point de vue des hiérarchisations
structurelles, c.-à-d. des (sur/sous-)structures (Q2) ; les questionnements sous-jacents
concernent, au minimum, les différentes entités structurelles des systèmes : les limites
(Q2.1), les éléments (Q2.2), et les relations (Q2.3). L’appréhension de la spatialité du modèle
architectural est alors requise et ces questionnements permettent l’actualisation du modèle
statique ;
4. enfin, le modèle architectural est questionné à partir des émergences fonctionnelles, c.-à-d.
des (sur/sous-)systèmes (Q3) ; les questionnements sous-jacents concernent, au minimum,
les principaux principes de fonctionnement des systèmes : les échanges MEI (Q3.1), les
(pro/inter/rétro-)actions (Q3.2), la circularité (Q3.3), la totalité (Q3.4), l’émergence (Q3.5), les
règles (Q3.6), la (méta/sous-)finalité (Q3.7), l’équi/multi-finalité (Q3.8), et le (dés)équilibre
(Q3.9). L’appréhension de la temporalité du modèle architectural est alors requise et ces
questionnements permettent l’actualisation du modèle dynamique.
Dans ce cadre-ci, les questionnements concernent bien des modèles architecturaux (Mi) de
l’espace de l’architecturer (Esp.2) tels que des images mentales du projet, plutôt que des
systèmes de l’espace de l’architecturé (Esp.1) tels que des édifices réels. Un même modèle
architectural peut donc être appréhendé – successivement et/ou simultanément – par le
(co)concepteur à partir des trois manières d’organiser le réel augmenté. Il peut donc le
projeter en tant qu’ensemble, structure, ou système et le questionner, au minimum,
respectivement avec les questionnements formels, structurels et fonctionnels.
Tout comme les principes directeurs du « Giroscope », les questionnements des modèles
architecturaux sont indissociables. Questionner le modèle architectural du projet
d’architecture en cours à l’aide d’un questionnement unique mène à une analyse réductrice et
uni-causale de celui-ci. La (re)présentation graphique des questionnements proposées ici
valorise le fait que tous les questionnements sont en inter-action.

Illustration 2 – Les questionnements du modèle architectural.

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

Illustration 3 – Les méta-questionnements du modèle architectural.

Cette (re)présentation spatialisée des différents questionnements des modèles architecturaux


permet d’imaginer une « table d’orientation » graphique et synthétique. Une autre manière de
les (re)présenter est de les répartir dans un tableau.

Table 1 – Questionnements des modèles architecturaux.


Méta-questionnements
le contexte (Q0)
combinaisons dimensions (Q0.3) les niveaux d’espace (Q0.1) les niveaux de temps (Q0.2)
Questionnements formels Questionnements structurels Questionnements fonctionnels
l’ensemble (Q1) les (sur/sous-)structures (Q2) les (sur/sous-)systèmes (Q3)
les zones d’influence (Q1.1) les limites (Q2.1) les échanges MEI (Q3.1)
la figure/fond (Q1.2) les éléments (Q2.2) la (pro/inter/rétro-)action (Q3.2)
la rétroduction (Q1.3) les relations (Q2.3) la circularité (Q3.3)
la totalité (Q3.4)
l’émergence (Q3.5)
les règles (Q3.6)
la (méta/sous-)finalité (Q3.7)
l’équi/multi-finalité (Q3.8)
le (dés)équilibre (Q3.9)

À l’instar des « 12 principes directeurs des systèmes », les questionnements des modèles
architecturaux (re)formulés ici ne peuvent être considérés comme des axiomes infaillibles ou
des règles doctrinales à suivre. Ils permettent simplement la constitution d’une grille de
lecture pour questionner le projet en cours de (co)conception. C’est pour cela que le mot
questionnement a été préféré à l’expression « principe directeur » qui exprime plutôt un
héritage cybernétique traduisant littéralement l’ « action de diriger ». Par ailleurs, le
(co)concepteur est libre de (re)définir de nouveaux questionnements en fonction des
spécificités du projet d’architecture poursuivi et des besoins de la modélisation. Ces
questionnements forment une table d’orientation qui permet au (co)concepteur de prendre du
recul en cours de (co)conception et de questionner le projet d’architecture en train de se faire
à l’aide d’une posture (auto)réflexive pour éviter les projets simplistes ou compliqués.
Les questionnements des modèles architecturaux proposés ici sont détaillés ci-après. Leur
fécondité y apparaît à l’aide d’exemples emblématiques du domaine de l’architecture. Ces
exemples sont choisis pour montrer les polarités dialogiques parfois extrêmes, voire
caricaturales, des axes de réflexions émergeant des questionnements des modèles
architecturaux. Mais la plupart des modèles architecturaux se situent bien entendu entre ces
polarités et ces exemples ont pour principale finalité l’appropriation pédagogique des notions.

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

3. Les méta-questionnements contextuels (Q0.x)


Le contexte (Q0)
Les premiers questionnements valables dans tous les projets d’architecture émergent de la
dialogique fondamentale habituellement opérée entre le système observé et le contexte de
celui-ci lorsque l’approche systémique est utilisée. Lorsqu’un projet d’architecture est
embrayé, le modèle architectural (Mi) est en interaction dynamique avec un environnement
multi-dimensionnel. Ces premiers questionnements permettent donc au (co)concepteur de
définir progressivement les limites du contexte à prendre en compte lors de la (co)conception
d’un projet d’architecture. Le contexte est alors un premier méta-questionnement du modèle
architectural (Mi) par lequel le (co)concepteur prend en compte l’ensemble des circonstances
(re)connues dans lesquelles s’insère le projet d’architecture à (co)concevoir et avec lesquelles
il interagit. Il suppose trois autres questionnements qui portent sur les niveaux d’espace (Q0.1),
les niveaux de temps (Q1.2) et les configurations dimensionnelles (Q1.3). Le concept d’
« environnement » qui vise surtout les conditions physiques et naturelles du projet
d’architecture est habituellement remplacé par celui de « contexte », plus général, qui tient
compte d’autres dimensions, telles que la forme, la structure, l’économie, la politique,
l’histoire… Le champ d’informations relationnées qui constitue le contexte du projet
d’architecture influence directement le (co)conception du projet. Ainsi, au cours d’un projet
d’architecture, un modèle architectural (Mi) embrayé à partir d’une parcelle urbaine, plate,
étroite et entre mitoyens (p. ex. : la Row House (1975-76) de Tadao Ando à Osaka) va être
orienté différemment que celui qui démarre d’un large terrain verdoyant et en pente (p. ex. : la
« maison sur la cascade » (1935-37) de Frank L. Wright à Bear Run). Toutes les dimensions
du projet d’architecture sont influencées par la relation dynamique entre le contexte et le
modèle architectural (Mi). D’ailleurs, tous les autres questionnements qui suivent sont
quelque-part aussi dans le contexte, puisque celui-ci est considéré globalement dans
l’interaction dynamique qu’il entretient avec le système observé (le modèle architectural). Le
contexte – au même titre que le modèle architectural – peut donc être analysé en fonction de
tous les autres questionnements. À partir du contexte, il existe trois matrices d’analyse du
projet d’architecture en tant que système contexte/modèle architectural : les niveaux
d’étendue, de durée et de configurations dimensionnelles. Chaque matrice peut être gelée pour
mettre en évidence les deux autres.

Illustration 4 – Les méta-questionnements contextuels (Q0.x).

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

Les niveaux d’espace (Q0.1)


Les niveaux d’espace forment un méta-questionnement du modèle architectural (Mi) par
lequel le (co)concepteur structure spatialement le contexte du modèle. Il existe plusieurs
niveaux d’espace dont les lois sont différentes et qui contextualisent différemment le modèle.
Le passage direct d’un niveau à l’autre est donc impossible. Le flocon de Helge von Koch
(1904) et la fractale de Benoît Mandelbrot (1967) sont des illustrations générales de ce
questionnement qui montrent qu’en fonction du niveau de lecture spatiale dans lequel il se
situe le (co)concepteur appréhende des réseaux d’informations relationnées différents qui
appartiennent pourtant au même tout. L’espace est une dimension fondamentale de toute
appréhension du réel augmenté. L’espace ou la spatialité est la dimension dont l’architecte est
le spécialiste. On se situe toujours en un espace n (glocal), plus étendu qu’un espace n-1
(local) et moins étendu qu’un espace n+1 (global). Les (re)présentations graphiques du projet
d’architecture sont alors synchronique dans le sens où le (co)concepteur gèle la dimension
temporelle et il fait varier l’étendue (re)présentée (les échelles). En architecture, il est
intéressant de parler des différents « niveaux d’environnement » (Norberg-Schulz 1971) :
l’objet, le mobilier, la pièce, l’édifice, l’agglomération, le paysage, la géographie et la
cosmographie. Ces niveaux montrent que le projet d’architecture peut être abordé à partir de
différents niveaux d’étendues qui possèdent des logiques différentes. À l’image des zooms
différenciés de Google Earth ou des GPS qui proposent des zooms adaptatifs en fonction du
niveau d’espace mobilisé, le (co)concepteur ne représente pas non plus la même chose à des
niveaux différents : en fonction de l’échelle des documents graphiques (les plans, les coupes,
les élévations, les maquettes…), l’architecte ne (re)présente pas le même nombre de détails.
Chaque niveau d’espace correspond à une échelle contextuelle pour le projet d’architecture et
détermine le nombre des informations (des données spatialisées) prises en compte dans la
(co)conception de ce projet à ce moment-là.
Les niveaux de temps (Q0.2)
Les niveaux de temps forment un autre méta-questionnement du modèle architectural (Mi) par
lequel le (co)concepteur structure temporellement le contexte du modèle. Il existe plusieurs
niveaux de temps dont les lois sont différentes et qui contextualisent différemment le modèle.
Le passage direct d’un niveau à l’autre est donc impossible. On n’a pas la même vue des
choses selon le niveau de temps dans lequel on se situe. Le temps est l’autre dimension
fondamentale de toute appréhension du réel augmenté. On se situe toujours en un temps n
vécu (le présent), précédé par un temps n-1 (ré)interprété (le passé) et avant un temps n+1
incertain (le futur). Chaque niveau de temps correspond à une stratification contextuelle
(historique) pour le projet d’architecture et détermine le nombre des informations (des
données) prise en compte dans la (co)conception de ce projet. Les (re)présentations
graphiques du projet d’architecture sont alors diachronique dans le sens où le (co)concepteur
gèle la dimension spatiale et il fait varier le moment historique (re)présenté (les strates). Les
strates historiques sont visibles, p. ex., lors des représentations des évolutions morphologiques
d’une ville. Chaque projet d’architecture est une strate supplémentaire qui vient se superposer
sur les strates précédentes, et sur laquelle viendront se superposer d’autres projets et d’autres
strates historiques. De la même manière, le (co)concepteur doit se situer du point de vue de la
pérennité qu’il envisage pour l’édifice à construire : un abri d’urgence pour reloger des
populations sinistrées après une catastrophe naturelle, p. ex. les Paper Log Houses (1995-01)
de Shigeru Ban à Kobe, ou un tombeau pour l’éternité, p. ex. la pyramide de Khéops (vers -
2560) à Gizeh.

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

Illustration 5 – Le flocon de Helge von Koch (1904), la fractale de Benoît Mandelbrot (1967)
et la représentation d’un mur de brique avec coulisse à différentes échelles.

Illustration 6 – Evolution de la morphologie urbaine de Bruxelles et Bruxelles palimpseste.


Groupe Architecture Urbaine (1987).

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

La configuration dimensionnelle (Q0.3)


La configuration dimensionnelle est un méta-questionnement du modèle architectural (Mi) par
lequel le (co)concepteur structure le contexte du modèle à l’aide de dimensions combinées et
pondérées. Ce questionnement nécessite de préciser ce qu’est une dimension. La dimension
(du réel augmenté) est une partition (inter)subjective du réel augmenté dont les informations
relationnées sont mobilisables par le (co)concepteur pour définir des configurations
contextuelles et pour opérer sur le modèle architectural (Mi). Tout contexte qui englobe un
modèle architectural est (co)construit à partir d’une configuration dimensionnelle, c.-à-d. une
combinaison pondérée d’une série de dimensions contextuelles choisies par le (co)concepteur.
Parallèlement à la construction du contexte, celle du modèle architectural l’est également en
fonction des dimensions. Les données appartenant à une dimension sont choisies pour les
relations spatiale (réelle), temporelle (historique) ou culturelles qu’elles partagent. Certaines
dimensions du réel augmenté sont récurrentes : les dimensions formelle, structurelle,
fonctionnelle, symbolique, historique, politique, économique, sociale… D’un (co)concepteur
à l’autre ses dimensions n’ont pas toujours le même nom et en fonction de l’époque leurs
noms peuvent évoluer ou avec un même nom, elles peuvent carrément changer de sens. Ainsi,
le développement durable était une dimension incontournable pendant des années, le sens de
cette dimension s’est progressivement épuisé et aujourd’hui on parle de soutenabilité. Le
(co)concepteur peut pondérer les différentes dimensions dont il tient compte dans son projet
d’architecture : il peut valoriser, mettre en évidence sur l’une ou l’autre dimension du
contexte pour orienter son projet. Une dimension est mise en emphase par rapport aux autres
qui lui sont alors subordonnées. Bien que le (co)concepteur change régulièrement la
configuration dimensionnelle observée : la forme, la structure, la fonction, l’histoire, la
politique, l’économie, la philosophie, la sociologie, l’agriculture, le végétal, l’hydrographie, le
canal, le rail, les routes, les zones bâties… il peut lui arriver d’en geler une pour valoriser les
autres ou pour faire varier les niveaux d’espace ou d’étendue. Les (re)présentations du projet
d’architecture sont alors uni-dimensionnelles.

Illustration 7 – Décomposition de la villa Savoye à Poissy, France, Le Corbusier (1929-31).


Dessins de Francis D.K. Ching (1975).

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

4. Les questionnements formels (Q1.x)


Les limites du contexte étant posées par les méta-questionnements explicités plus haut, les
questionnements formels décrits ci-après émergent cette fois de la définition progressive des
limites du modèle architectural (Mi) par rapport au contexte. Le (co)concepteur utilise alors
les capacités perceptives qu’il possède pour faire émerger progressivement le modèle
architectural (la figure) du contexte (le fond). Le (co)concepteur qui commence à
(co)concevoir un projet d’architecture ne sait pas encore à quoi ce dernier ressemblera à la fin
du processus. Il peut commencer par agréger des éléments (des données du projet
d’architecture) un des ensembles. C’est l’idée de dégager une figure (un modèle architectural)
à partir d’un fond (un contexte) sans avoir déterminé et hiérarchisé les parties qui le
composent, et sans avoir étudié le fonctionnement de ces parties au sein du tout. Les traits
sont outrepassés pour ne pas figer les représentations du projet en cours de (co)conception. Il
n’y a pas encore de lien de hiérarchisation entre ces différents ensembles. C’est une
perception phénoménologique du futur projet d’architecture, encore un peu floue et dans
laquelle l’incertitude des traits est une grande richesse, tout est encore possible. À ce stade, ce
sont les lois de la Gestalttheorie qui accompagne la perception des formes qui sont utilisées.
Le questionnement ne porte plus sur des dimensions, mais sur des ensembles.
L’ensemble (Q1)
L’ensemble est un méta-questionnement formel du modèle architectural (Mi) qui concerne la
modélisation agrégative du modèle (Mod.1) et qui suppose trois autres questionnements : les
zones d’influence (Q1.1), la figure/fond (Q1.2) et la rétroduction (Q1.3). L’ensemble (Ensi) est
toute collection d’éléments (ei), réels ou non, (re)groupés en fonction d’un caractère commun.
C’est une construction élémentaire du niveau de configuration formelle (Niv.1) du réel
augmenté. La (co)construction mentale d’un ensemble précède toute (co)construction
éventuelle d’une structure ou d’un système.
Étant donné que les limites entre le modèle architectural et le contexte sont encore floues, le
questionnement qui suit questionne les zones d’influences des éléments de l’un sur l’autre et
inversement. La zone d’influence (Q1.1) est un questionnement formel du modèle architectural
(Mi) par lequel le (co)concepteur interroge les zones d’interaction potentielles entre des
éléments, ou entre des champs de forces qui montrent les transcendances imaginaires
superposées aux éléments rencontrés dans l’espace de l’architecturer (Esp.2). Sans
hiérarchiser ou opérer des jugements de valeurs, le (co)concepteur peut observer ou induire
non pas des limites claires, mais des zones d’influence du modèle architectural vers/depuis le
contexte. Il s’agit d’observer les relations entre le modèle architectural et le contexte, entre le
modèle architectural et d’autre(s) élément(s), ou encore entre différents éléments du modèle
architectural. Lorsque les zones d’influence de plusieurs éléments se croisent, le
(co)concepteur peut instituer des relations à ceux-ci ce qui mène au questionnement sur les
relations (Q2.3) et à l’étude des articulations entre les éléments. Des illustrations générales de
ce concept de zone d’influence sont les photos de la phase ultime d’un éclaboussement
d’Arold E. Edgerton prises avec une vitesse de 1/50000e de seconde, ou les champs de clous
des œuvres de Günther Uecker. En architecture, des représentations plutôt spatiales de zones
d’influences des parties de projets d’architecture peuvent être mises en évidence dans les
squelettes structurels perceptifs de Rudolph Arnheim (1954), dans les matrices de
composition de la villa Papanice (1969) à Rome de Paolo Portoghesi et Vittorio Gigliotti,
dans les caractéristiques spatiales des figures élémentaires et les champs spatiaux de Pierre
von Meiss (1986), ou dans les dessins de Jean Stillemans (2009). D’autres exemples, tels que
les champs optiques de James J. Gibson (1950) ou les bulles péricorporelles de Edward T.

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

Hall (1969) montrent les zones d’influences à l’œuvre par les mouvements supposés des
agents dans le projet d’architecture.

Illustration 8 – Les questionnements formels (Q1.x).

La figure/fond (Q1.2)
La figure/fond est un questionnement formel du modèle architectural (Mi) par lequel le
(co)concepteur observe les effets des lois perceptives qui interviennent dans la
(co)composition du modèle. Le jeu perceptif de la figure et du fond est un prérequis à toutes
les lois de la perception énoncées ici. Des illusions d’optiques des gravures de Maurice C.
Escher aux jeux de couleurs, de transparence et de rythme entre les plages de couleurs des
aquarelles de Paul Klee, de nombreux exemples peuvent être trouvés dans les arts. En
architecture, les relations entre les couleurs, les matières et les volumes sous la lumières
peuvent régulièrement provoquer des jeux perceptifs.
La rétroduction (Q1.3)
La rétroduction est un questionnement formel du modèle architectural (Mi) par lequel le
(co)concepteur (re)présente à plusieurs reprises l’état probable du modèle auquel il pense
arriver à la fin du processus de (co)conception. Il (co)construit alors différentes hypothèses à
propos du modèle projeté et incertain à partir d’éléments (re)connus pour faire apparaître des
idées neuves. L’abduction est la construction ou le choix d’hypothèses vraisemblables par
rétro-duction ou de conclusions vraisemblables par abstraction pour faire apparaître des idées
neuves. Dans le cas d’un processus de (co)conception, le (co)concepteur n’a pas la solution du
projet d’architecture au départ. Il existe même un très grand nombre de solutions possibles. Le
(co)concepteur a donc intérêt à questionner le modèle architectural par abduction, mais plus
précisément à partir des hypothèses : donc par rétro-duction. Quelques « générateurs
primaires » (Darke 1979) emblématiques qui permettent d’amorcer une première rétro-
duction dans le processus du projet d’architecture sont régulièrement cités : la carapace de
crabe pour la Chapelle de Notre-Dame-du-Haut (1950-55) construite par Le Corbusier à
Ronchamp, ou la coquille d’escargot pour le projet non-construit du Musée à Croissance
illimitée (1939) de Le Corbusier également. De manière plus subtile, d’autres éléments
peuvent fournir des partis architecturaux tels que le dialogue entre une route fréquentée et
bruyante et un paysage verdoyant pour la Fondation Beyeler (1997-00) de Renzo Piano à

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Riehen, ou l’articulation entre l’espace publique urbain et l’espace privatif de la parcelle par
la mise en place d’une triple enveloppe pour la House N (2006) de Sou Fujimoto à Oita.

5. Les questionnements structurels (Q2.x)


La (sur/sous-)structure (Q2)
Après avoir été questionné du point de vue du contexte et des ensembles, le modèle
architectural est questionné du point de vue structurel.
La (sur/sous-)structure est un méta-questionnement structurel du modèle architectural (Mi) qui
concerne la modélisation statique du modèle (Mod.2) et qui suppose trois autres
questionnements : les limites (Q2.1), les éléments (Q2.2) et les relations (Q2.3).
La structure (Structi) est tout ensemble d’éléments (ei), réels ou non, en interaction statique et
organisé hiérarchiquement. C’est l’entité structurelle de base du niveau du structuralisme
hiérarchique (Niv.2) du réel augmenté. La (co)construction mentale d’une structure
présuppose l’existence d’un ensemble et précède toute (co)construction éventuelle d’un
système. La structure est souvent visible en architecture, à l’image p. ex. de la tour Eiffel
(1887-89) de Gustave Eiffel à Paris, de la célèbre maquette du Monument à la IIIe
Internationale (1920) de Vladimir Tatline ou des photos d’Anonyme Skulpturen (1970) de
Bernhard et Hilla Becher. Les modèles à fils pour l’étude de l’Église de la Colonia Güell
(1898) d’Antonio Gaudí en Espagne montrent que la dimension structurelle peut être utilisée
comme point de départ pour générer toutes les autres dimensions du projet d’architecture. De
nombreuses études ont aussi montré la diversité des analogies possibles entre les structurelles
formelles identifiées directement dans l’analyse de la nature et leur transposition dans la
(co)conception d’édifices. Il s’agit notamment de l’exercice du designo à partir de
l’observation d’animaux par Léonard de Vinci, de recherche sur les tressages de fibres
végétales de Gottfried Semper (1860), de recherches interdisciplinaires autour des analogies
structurelles avec la nature de Frei Otto (1970) ou des formes biomorphiques de Greg Lynn.
La limite (Q2.1)
La limite est un questionnement structurel du modèle architectural (Mi) par lequel le
(co)concepteur analyse toutes les limites, leurs types et leurs influences sur le modèle et son
actualisation. Rapidement identifiables dans un édifice, les limites ne sont pas forcément
spatiales. Néanmoins, une manifestation des questionnements à partir des limites est
cristallisée dans le jeu récurrent entre les pleins et les vides. Parfois, la limite est nette
lorsqu’un mur divise l’espace, mais elle peut également être un lieu en tant que tel, à l’image
du mur de Berlin. Ce dernier n’étant pas à proprement parler un simple mur, mais no man’s
land entre deux murs qui séparait l’Europe de l’Est et celle de l’Ouest. Lorsque la limite n’est
pas spatiale, elle peut se (re)trouver dans les autres dimensions de l’architecture et à des
niveaux d’environnement différents. Quand la surface entoure un volume, elle devient une
enveloppe. Du point de vue énergétique, l’enveloppe architecturale est le lieu des échanges
entre l’édifice et l’environnement : régulation des échanges thermiques. Les limites dans les
projets d’architecture peuvent être des espaces de transition, siège de filtre entre le monde
intérieur et le monde extérieur : c’est le concept de « seuil ». Ils peuvent être des espaces de
transgression (dedans-dehors, homme-nature, privé-public, élément-contexte…). En
urbanisme, la distinction des espaces privés et publics est une question importantes : les
espaces semi-privés ou semi-publics sont sources d’indéfinition spatiale et de problèmes
sociaux. Historiquement, différents dispositifs de morphologie urbaine sont apparus pour
traiter ces types de frontières : l’îlot d’habitation traditionnel, la barre de logement
moderniste, l’îlot ouvert, le lotissement… Dans certains cas, des frontières physiques

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

permettent en même temps de les dépasser pour percevoir un au-delà, ce sont les effets de
perspective et de trompe-l’œil. En architecture, les frontières questionnent un des aspects
structurels des systèmes. Les limites séparent, filtrent ou régulent les flux MEI – le passage de
la matière (M), de l’énergie (E) et de l’information (I) – entre les entités structurelles des
systèmes. Elles sont donc à l’œuvre : entre un (sous)système et le contexte, entre un sous-
système et un sur-système, entre deux sous-systèmes, ou encore, entre deux éléments
appartenant à un même système. Entre ces entités structurantes des systèmes, les frontières
gèrent donc toutes les relations entre le système observé/modélisé et le contexte. Aux pôles,
elles peuvent être souples ou rigides.
L’élément (Q2.2)
L’élément est un questionnement structurel du modèle architectural (Mi) par lequel le
(co)concepteur analyse les éléments, leurs types et leurs influences sur le modèle et son
actualisation. Quel que soit le domaine de connaissances visé, aucune théorie n’a évité la
question de la définition d’une entité de base, ultime et indivisible. Qu’il s’agisse, entre
autres, des « atomes » de Leucippe aux environs du Ve siècle av. J-C, des « monades » de
Gottfried W. Leibniz (1714) en métaphysique, ou des « phonèmes » de Ferdinand de Saussure
(1916) en linguistique, toutes les époques ont eu leur « particule élémentaire ». En
architecture, chaque dimension du projet peut présenter des éléments de base. Parmi d’autres
possibles, un Projet tel que la Final Wooden House (2005-08) de Sou Fujimoto à Kumamoto
(Japon) met p. ex. en valeur les éléments – les pièces de bois – plutôt que les relations. Des
typologies d’éléments de base existent déjà en architecture p. ex. du point de vue du langage
formel. Ainsi, à partir des écrits de Paul Klee (1920) sur les éléments de base de la
composition picturale, Francis D.K. Ching (1975), qui analyse à ce moment-là l’architecture
du point de vue de la composition formelle, propose une typologie des « éléments primaires »
qui sont les « générateurs premiers » de toute forme : le point, la ligne, le plan, et le volume.
Plus récemment, et en citant cette fois Point et ligne sur plan (1926) de Wassaly Kandinsky,
Franziska Ullmann (2011) reprend cette typologie sous la forme d’une « encyclopédie
d’éléments de la conception, d’effets et de calques de sens » pour produire un kaléidoscope de
« langages » architecturaux avec les mêmes point, ligne, plan et volume.

Illustration 9 – Les éléments primaires. Adaptation d’après Francis D.K. Ching (1975)

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

La relation (Q2.3)
La relation est un questionnement structurel du modèle architectural (Mi) par lequel le
(co)concepteur analyse toutes les relations, leurs types et leurs influences sur le modèle et son
actualisation. Comme pour les éléments, il est possible de définir des relations de base pour
chacune des dimensions du projet d’architecture. Les relations spatiales sont les plus
spécifiques lorsqu’il s’agit de (re)lier des éléments : la continuité des parois à La Pedrera
(1906-10) d’Antonio Gaudi à Barcelone, l’intersection des volumes du Pavillon Graubner
(1983) d’Erwin Heerich au Museum Insel Hombroich de Neuss (Allemagne) ou les
articulations de plans du Pavillon de Barcelone (1929) de Ludwig Mies van der Rohe.

Illustration 10 – Les questionnements structurels (Q2.x).

6. Les questionnements fonctionnels (Q3.x)


Le (sur/sous-)système (Q3)
Après avoir été questionné à partir du contexte, des ensembles et des structures, le modèle
architectural (Mi) peut être questionné par les systèmes. De manière générale, ce passage de la
structure à la fonction correspond au passage de la séparation des connaissances
encyclopédique telle que représentée par la gravure de Jan Cornelius Woudanus représentant
la Bibliothèque universitaire de Leiden (1610) aux cartographies de l’Internet proposées par
Google. Le célèbre schéma de Paul Baran (1964) montre qu’en communication nous sommes
passés des réseaux centralisé – en passant par les réseaux décentralisés – aux réseaux
distribués. Christopher Alexander (1966) dans un article célèbre montre que nous sommes
passés de la ville arbre (structure hiérarchisée) à la ville en réseau (treillis).
Le (sur/sous-)système est un méta-questionnement fonctionnel du modèle architectural (Mi)
qui concerne la modélisation dynamique du modèle (Mod.3) et qui suppose neuf autres
questionnements : les (sur/sous-)systèmes (Q3), les échanges MEI (Q3.1), la
(pro/inter/rétro-)action (Q3.2), la circularité (Q3.3), la totalité (Q3.4), l’émergence (Q3.5), les
règles (Q3.6), la (méta/sous-)finalité (Q3.7), l’équi/multi-finalité (Q3.8), le (dés)équilibre (Q3.9).
Le système (Systi) est un ensemble d’élément en interaction dynamique orientés en fonction
d’un but (Rosnay 1975, p.101). C’est l’entité structurelle de base du niveau de l’émergentisme
systémique (Niv.3) du réel augmenté. La construction mentale d’un système présuppose
l’existence d’une structure et donc également d’un ensemble. Dans le domaine de la
(co)conception architecture, un grand nombre de systèmes peuvent être (co)construits. Le

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

système observé est ici le modèle architectural (Mi) lui-même, bien qu’il comporte d’autres
(sous-)systèmes qui correspondent p. ex. aux différentes visées dimensionnelles de celui-ci.
Les échanges MEI (Q3.1)
Les échanges MEI forment un questionnement fonctionnel du modèle architectural (Mi) par
lequel le (co)concepteur analyse les échanges de matière (M), d’énergie (E) et d’information
(I) entre les différentes entités structurelles du modèle, ou entre celles-ci et le contexte. Ainsi,
les éléments et les structures stockent, les limites filtrent et les relations sont parcourues par
des flux MEI. Il est possible d’illustrer toute la diversité des échanges MEI mobilisés lors de
la (co)conception d’un projet d’architecture à partir de la comparaison d’édifices réels : p. ex.
distinguer le scintillement de Time Square à New York (USA) de l’économie de moyens
présentée par la Chapelle (2007) de Peter Zumthor à Wachendorf (Allemagne).
La (pro/inter/rétro)action (Q3.2)
La (pro/inter/rétro)action est un questionnement fonctionnel du modèle architectural (Mi) par
lequel le (co)concepteur analyse les régulations dynamiques à l’œuvre entre les éléments du
modèle. Celles-ci viennent de l’action pro-active d’un élément sur un autre, de leurs inter-
actions ponctuelles, ou de l’action rétro-active du second sur le premier. Il existe de nombreux
exemples de (pro/inter/rétro-)action en architecture. Dans le H2Oexpo (1993-97), pavillon
d’expérience de l’eau et installation interactive au Waterland à Neeltje Jans (Pays-Bas), NOX
conçoit p. ex. un édifice inter-actif : l’usager par ses déplacements dans l’espace intérieur
déclenche des sons, des écoulements d’eau et des jeux de lumières. Les moucharabiehs
automatiques de l’Institut du monde arabe (IMA) (1981-87) de Jean-Nouvel à Paris (France)
sont munis de diaphragmes, pilotés par des cellules photoélectriques, qui peuvent s'ouvrir et
se fermer en fonction de l'ensoleillement, afin de remplir le rôle de régulateur thermique.
Parmi d’autres, deCOI Architects a créé un prototype de mur Aegis Hyposurface (1999) à
Birmingham (Royaume-Uni) qui réagit à la présence des humains.
La circularité (Q3.3)
La circularité est un questionnement fonctionnel du modèle architectural (Mi) par lequel le
(co)concepteur observe qu’un sein du modèle, tous les éléments sont en interaction
dynamique et toute modification de l’un de ceux-ci par le (co)concepteur entraîne une
modification de tous les autres, mais aussi du système tout entier. L’idée que le battement
d’aile d’un papillon puisse déclencher une tornade à l’autre bout de la terre est bien connue.
Lors de la (co)conception d’un projet d’architecture, ce phénomène existe aussi. Plutôt qu’une
suite de dominos bien rangés dont la chute de l’un entraîne la chute des autres de manière
linéaire, la (co)conception architecturale s’apparente plutôt à un jeu de Mikado. Le
déplacement d’une barre particulière est visée, mais toutes les autres barres peuvent en être
affectés, même celles qui ont déjà été déplacées : la causalité y est circulaire. Lorsqu’une des
entités structurelles du modèle architectural est modifiée (une sous-structure, une limite, un
élément ou une relation), c’est toutes les autres qui peuvent être modifiées de manière
circulaire. Au sein du modèle architectural, c’est le déplacement de l’escalier, qui entraîne
l’élargissement du hall, qui s’accompagne de la modification de la superficie du living, qui
favorise le changement des ouvertures, qui amène à redimensionner le corps de chauffe…
La totalité (Q3.4)
La totalité est un questionnement fonctionnel du modèle architectural (Mi) par lequel le
(co)concepteur interroge la dialogique entre le tout (la structure) et les parties du modèle (les
éléments). Lorsque le modèle est consistant, toutes les parties sont nécessaires à la
(co)construction du tout, et inversement, ce dernier est nécessaire pour donner sens à chacune
d’elles. La totalité en architecture est souvent contenue dans l’idée répandue que lorsqu’un

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

édifice est bien conçu, on ne peut enlever aucune de ses parties sans dénaturer le tout. Quand
un (co)concepteur parle aujourd’hui de totalité dans son projet d’architecture, il ne s’agit pas
de dire qu’il crée une œuvre totale et définitive, mais que les différentes éléments, relations,
structure, niveaux d’espaces, niveaux de temps et configurations dimensionnelles qu’il prend
en compte doivent former un tout cohérent dans le projet. C’est louer une vision synthétique
du (co)concepteur. Il est impossible d’appréhender tout le réel dans un projet, la totalité est à
l’œuvre uniquement dans la partition de réel augmenté choisie au départ du projet.
L’émergence (Q3.5)
L’émergence est un questionnement fonctionnel du modèle architectural (Mi) par lequel le
(co)concepteur analyse que le tout est différent des parties. Certaines propriétés du tout
apparaissent spontanément et ne peuvent être déduites directement à partir des parties et de
leurs relations de base, mais résultent néanmoins de leurs interactions : ce qui contraste avec
une approche uniquement hiérarchique des parties. L’exemple canonique du concept
d’émergence est le cas de l’eau. Une solution à base de deux corps gazeux simple, deux
atomes d’hydrogène (H) et un atome d’oxygène (O), permet l’émergence d’un corps liquide
unique : l’eau (H2O). Dans des conditions standard de température et de pression, le tout
(l’eau) possède alors au moins une propriété (elle est liquide) que ne possédaient pas ses
parties constituantes (les atomes d’hydrogène et d’oxygènes). Un autre exemple archétypal de
l’émergence formelle est la fourmilière géante des fourmis coupeuses de feuille. La reine ne
donne pas d’ordres directs, et chaque fourmis réagit individuellement et spontanément aux
odeurs chimiques et laisse à son tour un parfum pour les autres fourmis. C’est un
comportement récursif, qui résulte de la structure ordonnée des mouvements, de la
construction, de la recherche et de la disposition à un niveau macroéconomique. Elles
trouvent géométriquement le site le plus éloigné de tous les points d’entrée du nid ou elles
recherchent les zones de rayon constant dans la colonie (Burry & Burry 2010). La forme de la
fourmilière émerge de la relation entre les fourmis et le contexte, cette forme n’était pas
prévisible avant. C’est ce genre d’émergence qui intéresse un (co)concepteur du point de vue
de la forme. Mais il existe une autre utilisation (très) importante du concept d’émergence en
architecture : le lieu est une propriété émergente importante en architecture. Un lieu
(architectural) est une propriété émergente – réelle ou non – au sein du réel augmenté, de
l’organisation – fortuite ou intentionnelle – d’un ensemble éléments variés en interaction
constante et orienté vers un équilibre trialectique entre culture, être (auto)organisé et éco-
système. Les éléments utilisés peuvent être variés (objets, sujets, portions d’espaces, portions
de temps…), et appartenir à des dimensions, des niveaux d’environnement ou des types
logiques différents.
Les règles (Q3.6)
Les règles forment un questionnement fonctionnel du modèle architectural (Mi) par lequel le
(co)concepteur analyse les mesures qui lui imposent un comportement ou une conduite dans
le choix des opérations qu’il mène sur le modèle, ou qui déterminent les configurations
légitimes des éléments (contenus) et des relations du modèle. En (co)conception
architecturale, les règles historiquement étaient plutôt esthétiques dans les ordres
inlassablement repris dans les traités classiques de théorie de l’architecture (p. ex. les cinq
ordres de l’architecture : toscan, dorique, ionique, corinthien et composite, définis par
Vincenzo Scamozzi (1615)). Plus récemment, les règles de composition du Modulor (1950)
ont même été utilisée par Le Corbusier pour (co)concevoir la Cité radieuse, Unité d’habitation
de Marseilles (1945-52). Mais au-delà des règles esthétiques, chaque métier d’art possède des
règles de l’art, mais aussi des règles de conduite dont le modèle architectural doit prendre en
compte. Il est par ailleurs intéressant de remarquer que lorsqu’il n’y a pas de règles – ou pas

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

d’architecte – dans les architectures vernaculaire, des constances (des règles) peuvent
apparaître spontanément en réaction à des impératifs contextuels, sociaux ou économiques.
La méta/sous-finalité (Q3.7)
La méta/sous-finalité est un questionnement fonctionnel du modèle architectural (Mi) par
lequel le (co)concepteur analyse la méta-finalité du modèle et les sous-finalités de ses
éléments. La méta-finalité du processus de (co)conception qui vise l’architecture proposée ici
est l’émergence de lieux par l’équilibrage des rapports trialogiques entre l’homme, la société
et l’environnement.

Illustration 11 – Les questionnements fonctionnels (Q3.x).

L’équi/multi-finalité (Q3.8)
L’équi/multi-finalité est un questionnement fonctionnel du modèle architectural (Mi) par
lequel le (co)concepteur observe qu’à partir d’états multiples et synchroniques du modèle (ou
d’une partie de celui-ci) en ti-1, peut apparaître un état unique en ti, à partir duquel peuvent
apparaître également plusieurs état synchroniques en ti+1. Dans le cadre d’un concours
d’architecture ou d’un projet proposé à des étudiants, à partir d’un même cahier de charges ou
d’un même énoncé de départ, chaque concurrent ou chaque étudiants arrivera à un modèle

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

architectural différents à la fin du processus de (co)conception sans pour autant avoir des
projet d’architecture qui ne réponde pas à la même (méta-)finalité : c’est l’illustration de la
multi-finalité. À l’inverse, un (co)concepteur peut à partir de plusieurs variantes d’un même
projet décider de (co)concevoir un modèle architectural unique : c’est l’illustration de l’équi-
finalité. Un exemple construit d’équi-finalité est la grande variété des maisons unifamiliales
du quartier de Borneo à Amsterdam (Pays-Bas) élaborées par des architectes différents à
partir des mêmes règlementations urbanistiques. Certaines caractéristiques telles que la taille
de la parcelle ou la hauteur des gabarits tendent à réduire cette variété des réponses possibles
(équi-finalité), tandis que le choix des couleurs, des matériaux et de la taille des ouvertures
tendent à développer la variété des projets (multi-finalité).
Le (dés)équilibre (Q3.9)
Le (dés)équilibre est un questionnement fonctionnel du modèle architectural (Mi) par lequel le
(co)concepteur interroge les équilibres et les déséquilibres potentiels entre les différentes
entités structurelles du modèle. Ce questionnement peut concerner toutes les dimensions
convoquées par le modèle et n’est donc pas limité à l’étude de l’équilibre mécanique du
modèle.

Conclusions : une « table d’orientation » pédagogique


L’élaboration de ce travail de certification m’a permi de tester en détail le modèle théorique
proposés par Andrée Piecq (2011) et de manière générale l’efficacité des outils pratiques de
l’approche systémique dans le domaine de l’architecture.
Plus précisement, la tentative de transposition des « 12 principes directeurs des systèmes »
depuis la systémique des organisations vers le domaine de la (co)conception architecturale
s’avère féconde puisqu’elle mène à la création d’une « table d’orientation » pédagogique
complète, utile aux étudiants (aux architectes) pour orienter les processus qu’il amorcent pour
« faire » du projet d’architecture.
Nous avons pu découvrir qu’une modélisation d’un état particulier (ti) du modèle architectural
au cours du processus de (co)conception est définie entre les données du projet d’architecture
prises en compte et les données utiles à la construction potentielle de celui-ci. Elle est
structurée à partir des questionnements des modèles architecturaux. Ceux-ci sont en
interaction dynamique et ils se retrouvent a priori dans tous les modèles architecturaux. Le
modèle architectural est donc questionné du point de vue de méta-questionnements (le
contexte (Q0), les niveaux d’espace (Q0.1), les niveaux de temps (Q0.2) et les configurations
dimensionnelles (Q0.3)), de questionnements formels lorsque le modèle est agrégatif
(l’ensemble (Q1), les zones d’influence (Q1.1), la figure/fond (Q1.2) et la rétroduction (Q1.3)),
de questionnements structurels lorsque le modèle est statique (les (sur/sous-)structures (Q2),
les limites (Q2.1), les éléments (Q2.2) et les relations (Q2.3)) et, enfin, de questionnements
fonctionnels lorsque le modèle est dynamique (les (sur/sous-)systèmes (Q3), les échanges MEI
(Q3.1), la (pro/inter/rétro-)action (Q3.2), la circularité (Q3.3), la totalité (Q3.4), l’émergence
(Q3.5), les règles (Q3.6), la (méta/sous-)finalité (Q3.7), l’équi/multi-finalité (Q3.8) et le
(dés)équilibre (Q3.9)).
Il est alors possible de proposer une (re)présentation graphique de cette « table d’orientation »
pédagogique en combinant la (re)présentation matricielle des questionnements des modèles
architecturaux avec les illustrations de chacun d’eux.

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

Illustration 12 – Table d’orientation pédagogique.

La construction de cette table d’orientation pédagogique pour (co)concevoir tout projet


d’architecture permet à tout (co)concepteur d’employer un outil supplémentaire de
démystification du processus de (co)conception du projet d’architecture. Cet outil permet le
questionnement successif du modèle architectural pour permettre à l’étudiant (l’architecte)
d’actualiser – c.-à-d. d’opérer des changements – le modèle architectural en pleine

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Des principes directeurs des systèmes aux questionnements des modèles architecturaux

connaissance de l’inter-dépendance des phénomènes pris en compte dans le projet


d’architecture en cours de (co)conception. Après la formulation d’hypothèses à partir de
l’observation du modèle architectural à travers le filtre des questionnements des modèles
architecturaux, une évaluation est en effet possible, pour déterminer dans le modèle ce qui est
opérant et ce qui ne l’est pas. Ceci permet au modélisateur, si cela s’avère nécessaire, de
proposer une évolution ou d’opérer des changements dans le projet d’architecture en cours.
Différents axes de réflexion peuvent être dégagés de ce travail : enrichir cette table
d’orientation de nouveaux (sous-)questionnements des modèles architecturaux ou d’étendre la
modélisation du processus jusqu’au chantier, ou d’étudier les résistances au changement
propres au modèle architectural lui-même, mais aussi du point de vue des modèles mentaux
dans la tête du (co)concepteur.

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