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HEIP B3 MAJEURE SCIENCE POLITIQUE


LA CULTURE POLITIQUE AU CENTRE :


RECHERCHE D’UNE IDENTITÉ

PIERRE KARST 1 of 9
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INTRODUCTION

Ce mémoire propose de présenter et d’analyser la culture politique centriste en France,


pour comprendre sa place dans la con guration politique actuelle et contemporaine. En
ces temps politiquement brouillés et mouvants, il importe d’analyser de quoi est constitué
cet espace central.

Entre la droite et la gauche, le centre possède-t-il une essence propre ? Une idéologie
construite, et durable ? Ou bien n’est-il qu’un espace de compromis, pris entre le feu du
grand clivage politique gauche-droite ? Pendant longtemps, les politologues et historiens
ont insisté sur la di culté française à constituer un centre politique. L’ouvrage Sous la
Restauration, d’Aurelian Craiutu, démontre la spéci cité française, où un pouvoir
centralisé, un héritage absolutiste et la violence de la Révolution ont empêché la
constitution d’un centre solide, qui serait capable d’agréger autour de lui d’autres forces,
comme cela existe en Allemagne ou en Suisse, par exemple. Des tentatives ont existé,
pour faire vivre cette philosophie spéciale du centre, dont le but est de dépasser les
clivages, et redonner une place légitime à la raison.

En 2017, les deux grands partis traditionnels — le Parti Socialiste et Les Républicains —
subissent un revers historique en étant absents du second tour de l’élection
présidentielle. Cela prouve que la question de la disparition de ce clivage se pose bel et
bien. D’un autre côté, la di culté du parti Renaissance à s’enraciner dans les territoires,
montre qu’il n’est pas si évident que cela de construire et de développer un nouveau parti
politique, sans l’avoir au préalable attaché à une culture politique.

Plus anciens, mieux implantés et mieux organisés, le Mouvement Démocrate, l’UDI, ou


encore le Parti radical, sont les témoins d’une existence et d’une persistance du centre
politique. Dans un article intitulé Le centre à la recherche de sa culture politique,
l’historien Serge Berstein reconnaît au centrisme une réelle “ténacité”. Cette ténacité
transcrit une certaine endurance, une certaine délité à des idées ou des principes, ou au
moins à un état d’esprit.

Mais par rapport à cette endurance, assiste-t-on aujourd’hui à l’accès au pouvoir d’une
essence centriste déjà présente, ou seulement à la convergence opportuniste de deux
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cultures, droite et gauche ? Les formations politiques nées depuis 2017, comme
Territoires de progrès ou Horizons, se rattachent clairement à cette optique de
convergence, là où les partis plus anciens se rattachent à leur histoire centriste pour
marquer une certaine légitimité.

Pourtant, au-delà des stratégies politiciennes, le centre ne représente-t-il pas une


cohérence philosophique, que l’on pourrait suivre sur le temps long ? Si les avis
divergent, ce n’est pas simplement une a aire de préférences partisanes, cela tient plutôt,
à la nature essentiellement plastique du centre.

En France, l’histoire du clivage droite-gauche est documentée, étayée, par des ouvrages
de référence : Les droites en France de René Rémond et, également, Les gauches
françaises de Jacques Julliard. Si l’on part du principe qu’il existe une pensée du centre,
alors il faut dé nir une essence commune à ses di érentes rami cations, qui permettrait
de mettre au jour une identité commune, un terreau idéologique dans “le monde
des idées”, comme dirait Platon.

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I/ UN CENTRE PRAGMATIQUE, LONGTEMPS INTROUVABLE

Dans l’imaginaire collectif, les Français ont longtemps eu tendance à se dé nir


spontanément comme de droite ou de gauche, comme si ces options politiques
correspondaient aussi à une forme de tempérament, d’attitude. C’est notamment la thèse
d’Alain-Gérard Slama, qui rappelle les vertus de la psycho-histoire. Entre la gauche à
teinte révolutionnaire et la droite qui préfère l’ordre, Slama place un centre di cile à
dé nir et à stabiliser, solidi er.

Jusque dans les petits symboles, le clivage droite-gauche est souvent présenté comme
une évidence. Aujourd’hui encore, l’imaginaire et les symboles du centre manquent.
Lorsqu’on longe l’Assemblée nationale, par exemple, la boutique de l’Assemblée propose
toutes sortes d’objets marqués “droite”, en bleu, et “gauche”, en rouge. Comme si les
camps étaient toujours bien identi és. Pas d’objets aux couleurs du centre, qui aurait
même tendance, selon de nombreux théoriciens, à se scinder en un centre-droit ou un
centre-gauche, selon les enjeux.

L’historien Serge Berstein a même soutenu, dans l’article « Le centre à la recherche de sa


culture politique », qu’il n’existe pas de culture politique du centre, au même titre qu’il
existe une culture et un imaginaire de droite et de gauche. Pourquoi ? Car le centrisme se
dé nit, selon Berstein, davantage par un tempérament et des pratiques que par des
valeurs : aspiration de l’opinion, stratégie politique, pratique du pouvoir, le centrisme
apparaît davantage comme un comportement que comme une force politique.

Ce préjugé correspond-il à la réalité ? Sous la IIIe et la IVe République, où les majorités


parlementaires exigeaient des alliances temporaires, les hommes du centre passaient
fréquemment d’une étiquette à l’autre, car le contexte l’imposait, ce qui ne signi ait pas
non plus une in délité à leurs principes. Mais avec la présidentialisation, instituée par la
Ve République, les centristes ont pu développer une forme de consistance dans leur
pensée, commencer à occuper un petit espace central.

Forcément, pour les seconds tours des élections présidentielles, ils restaient voués à
s’allier à la droite ou à la gauche. Pour autant, lors des élections locales, le centre est en

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mesure d’exister. C’est à la fois à l’échelon local et dans la perspective de la construction
européenne, que les centristes peuvent percevoir un avenir durable.

Pour Serge Berstein, le centrisme puise à droite ou à gauche, selon les enjeux et les
positionnements du clivage droite-gauche à tel moment. Deux courants principaux se
dégagent : le courant radical, plutôt centre gauche, et le courant démocrate-chrétien,
plutôt centre-droit. Ces deux courants ont néanmoins, selon Berstein, des di cultés à
s’entendre sur certaines questions fondamentales, comme la question scolaire et la
laïcité, par exemple.

II/ LA MODÉRATION CONTRE LA LOGIQUE PARTISANE

Il faut attendre la IIIe République, avec des hommes politiques comme Emile Ollivier ou
Jules Ferry pour voir apparaître une politique centrale. D’une certaine manière, le
centrisme de la IIIe République, souvent quali é d’opportunisme, se veut avant tout
comme un compromis entre les extrêmes.

Au l des coalitions, centre-droit et centre-gauche se rejoignent ainsi plus étroitement,


pour s’opposer à l’extrémisme. Les modérés se caractérisent par la recherche du
compromis, par la défense du pluralisme, ou le goût de la modération.

En observant l’histoire des XIXe et XXe siècles, on s’aperçoit que ce qui est en jeu avec le
centrisme, c’est un certain rapport à la religion qui peu à peu, disparaît en ayant au
préalable posé certaines bases. Le courant démocrate-chrétien, par exemple, s’est
généralement désigné comme « d’inspiration chrétienne », montrant ainsi l’absence d’une
quelconque a liation à l’Église.

Si le quali catif « chrétienne » renvoie à une sensibilité, une forme d’humanisme, c’est le
mot « démocratie » qui porte l’essence du courant centriste. Dès 1924, le choix de se
désigner comme démocrates, avec la création du parti Centre Démocrate, possède une
signi cation. En 1976, le parti devient le Centre des Démocrates Sociaux, le nom mettant
l’accent sur le lien entre l’aspiration à l’égalité, et l’exigence de solidarité.

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La “démocratie chrétienne”, dans son idée initiale, vise à associer davantage les citoyens,
selon une conception du pouvoir qui n’est pas uniquement vertical. Aussi la défense du
pluralisme, ou le principe représentation proportionnelle, sont deux constantes dans la
pensée du centre. Le pluralisme est à comprendre comme l’autre nom de la démocratie,
tandis que la représentation proportionnelle de toutes les couleurs politiques est une
exigence proprement essentielle. En n, les centristes se caractérisent par une con ance
dans la délibération et le débat démocratique, directement liée à leur défense du
pluralisme.

En n, par rapport à leur conception européenne, depuis 1970, les centristes ont soutenus
systématiquement tous les élargissements. Depuis 1979, jusqu’à nos jours, jamais les
centristes français ne se sont détachés de la question de l’Europe, tout en proposant
régulièrement une conception plutôt fédérale.

III/ UNE CULTURE DU COMPROMIS

De grandes gures politiques ont marqué la pensée du centre : Waldeck-Rousseau,


Robert Schuman, Simone Veil, Valéry Giscard d’Estaing, François Bayrou et d’autres, tous
animés par la volonté de dépasser le clivage entre les divers mouvements de droite et de
gauche. Parmi les gures du centre, seules deux ont exercé le pouvoir présidentiel, Valéry
Giscard d’Estaing de 1974 à 1981 et Emmanuel Macron, depuis 2017.

Certains politologues ou éditorialistes ont remarqués les ressemblances entre les deux
hommes et leurs stylers, tous deux étant jeunes, modernes et libéraux et, surtout,
attachés aux idéaux européens. Les di érences restent néanmoins visibles : Valéry
Giscard d’Estaing s’appuyait sur un parti constitué autour de principes clairs et établis, là
où Emmanuel Macron vise à concilier les solutions et idées venues et de la droite et de la
gauche, sans prendre comme matrice une pensée centriste. Quant à Georges Pompidou,
que l’on situe normalement à droite de l’échiquier, il s’est lui-même positionné au centre,
en rappelant certaines valeurs, comme la conservation, la sagesse pratique et le
compromis.

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Mais depuis l’époque de Pompidou, le contexte international a changé et toute
comparaison avec la politique d’Emmanuel Macron trouve rapidement des limites.
Gouverner au centre, dans les années 2020, revient-il à réconcilier les idées de droite et
de gauche ? Ou bien à réconcilier les politiques, au niveau européen comme mondial, par
l’exercice du compromis, prôné depuis des siècles par les courants du centre ?

Jean-Claude Casanova, directeur de la revue Commentaire, fondée par Raymond Aron, a


cette dé nition du centre : “Quelle est l’idée centrale de la gauche ? La justice. La gauche
n’a cru au progrès que parce qu’il lui semblait aller dans le sens d’une plus grande justice,
en permettant de donner à chacun plus de droits, plus de chances, plus de biens. De
l’idée de justice découle le souci, voire la passion de l’égalité. Quelle est l’idée centrale de
la droite ? On a dit l’ordre. Je ne crois pas. Ce serait plutôt la délité, c’est-à-dire la
volonté de voir conservé et respecté ce qui dé nit l’identité d’un pays ou d’une famille,
ses souvenirs, ses morts, son histoire, sa religion. Les deux idées directrices de la gauche
et de la droite sont-elles exclusives l’une de l’autre ? Qui ne voudrait être à la fois dèle et
juste ? L’aspiration au centre découle de cette évidence.”

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IV/ CONCLUSION

En France, le centre a ceci de singulier qu’il résiste à l’idéologie, en se voulant


constamment ouvert. Les principes servent de cadre pour accueillir les idées, d’où
qu’elles viennent, comme une forme de creuset d’une certaine plasticité. D’une certaine
manière, le centre crée lui-même les doutes ou les critiques qu’il peut susciter, en
appuyant les vertus du pluralisme, d’un débat équilibré, qui prend en compte les
positions adverses.

Libéral pour l’une de ses branches, il conserve aussi une branche descendante de la
tradition démocrate chrétienne, ainsi qu’une branche venant davantage des radicaux, les
trois pouvant se concilier. De même que le libéralisme n’existe pas au singulier, le centre
existe en accueillant au sein de son espace les centristes, di érents par leurs préférences
d’idées, mais regroupés par leur tempérament.

Ce tempérament se résume en quelques mots qui donnent le cap : la recherche du


compromis, la défense du pluralisme, la modération. C’est par cette quête du consensus,
qui implique une espérance dans l’intelligence collective, que la culture politique du
centre se dé nit, nalement, le mieux.

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