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Daniel-Louis Seiler – Les partis politiques

Première Partie - Prendre parti : le phénomène partisan

Chapitre 1 : Qu’est-ce qu’un parti politique ?


Traiter des partis politiques signifie pour le chercheur aborder un rivage où il sera contraint de
prendre position, de choisir son camp.

I – Un phénomène ancien…

L’emploi du mot parti dérive d’une acceptation révolue du verbe partir qui, en vieux français,
signifiait « faire des parts, diviser ». « Parti » désignera tout d’abord un groupe armé, agissant en
marge du gros des forces armées ou en rupture de ban avec elles ; une sorte de « corps francs ».
Avec le temps, le mot en vint à désigner une faction armée organiquement constituée pour ensuite
devenir le synonyme de faction politique, avant de revêtir son acceptation actuelle. Les sciences
sociales recourent très tôt au vocable « parti ». Ainsi, des traducteurs d’Aristote en usèrent pour
désigner les groupes sociaux qui s’opposaient à Athènes. Les spécialistes de la Rome Antique
employèrent les concepts de « parti plébéien » et de « parti patricien », relatant les luttes partisanes
qui déchirèrent la République romaine.

La majorité des politistes se rallie à l’une des positions énoncées par Max Weber : les partis sont des
enfants de la démocratie et du suffrage universel. L’un des seuls à s’être posé la question de l’origine
du fait partisan, Jean Charlot, finit par valider la définition a-historique de Lapalombara et Weiner.
Les deux politistes américains résolvent en effet un problème que Weber avait pu envisager : celui
posé par ces formations politiques que Raymond Aron appelait partis monopolistes. Selon Jo
Lapalombara et Myron Weiner, pour qu’un groupe puisse être considéré comme un parti politique, il
doit remplir quatre conditions :

- « la continuité dans l’organisation », c’est-à-dire une organisation dont l’espérance de vie ne
dépend pas de celle de ses dirigeants actuels
- Une organisation visible et vraisemblablement permanente au niveau local, dotée de
communications régulières et d’autres modes de relations entre éléments locaux et
nationaux
- Une détermination consciente des dirigeants de conquérir et de conserver le pouvoir de
décision seuls ou en coalition avec d’autres, tant au niveau local que national, et non
d’influencer simplement l’exercice du pouvoir
- Un souci de l’organisation en vue de gagner des partisans lors d’élections ou de tout autre
moyen d’obtenir l’appui populaire

Seul Jean Blondel rompt l’unanimisme ambiant pour rappeler en premier lieu l’unité, le phénomène
partisan et le conflit, et en second lieu que si on ne découvre que peu de partis avant la
démocratisation des systèmes politiques, le phénomène existe néanmoins, jusque et y compris dans
l’Antiquité.
II – Pour un savoir récent

La science politique doit beaucoup au phénomène partisan. A l’ombre de l’Etat fort, l’étude du fait
politique se vit longtemps monopolisé par le droit public. Les premiers observateurs scientifiques du
phénomène partisan furent aussi les pères fondateurs de la science politique.

III – Bref survol historique de l’étude des partis politiques

On peut dégager quatre étapes dans la progression de la réflexion et de la recherche sur le


phénomène partisan. La première correspond à la préhistoire de la science politique, époque où
philosophes, essayistes et idéologues divers tiennent sur les partis un discours de type normatif. La
deuxième est celle des founding fathers de la discipline, caractérisée par une volonté de visser leur
discours sur le socle de la scientificité, tout en cédant parfois à des préoccupations normatives. La
troisième représente la période axiale de la sociologie politique des partis, totalement marquée par
l’œuvre séminale de Maurice Duverger, Les partis politiques. La quatrième période, enfin, est celle de
la sortie du débat ouvert par Duverger.

A – L’époque normative

L’époque normative commence avec les révolutions anglaises, pour s’achever avec les derniers
remous provoqués par la vague révolutionnaire de 1848. Deux traits significatifs marquent le
jugement que philosophes et essayistes portent sur le phénomène partisan. En premier lieu,
l’appréciation qu’ils donnent des partis se révèle directement proportionnelle avec le degré
d’institutionnalisation et d’intégration de ceux-ci à la société politique. Plus les partis auront pignon
sur rue et se seront installés dans le paysage politique, plus favorable sera le jugement des
précurseurs. En second lieu, les nombreux penseurs et philosophes, engagé ou non, qui s’essayeront
à définir le mot « parti », le feront tous en référence aux idées que partagent ou qui rassemblent des
individus.

B – Les « pères fondateurs »

La deuxième époque voit au tournant du siècle l’émergence d’une réflexion de type scientifique qui,
appliquée au phénomène partisan, inaugure la recherche en science politique. Parallèlement à Max
Weber qui insère ses considérations sur les partis dans une perspective sociologique beaucoup plus
large, on retiendra les noms de Bryce, Lowell, Ostrogorsky et Michels. Le premier et le plus méconnu
s’affirme comme le plus rigoureux et le plus complet dans sa démarche. Le troisième apparaît en
revanche comme le plus archaïque : dans son œuvre, le meilleur y côtoie le pire et les jugements de
valeur abondent dans un prêchi-prêcha moralisateur où des considérations normatives dominent.
Robert Michels et sa « loi d’airain de l’oligarchie » s’applique toujours à nos partis contemporains.
Chez Ostrogorsky et Michels, ceux-ci sont envisagés en tant qu’organisations. L’approche
géographique de Siegfried permet d’envisager le phénomène partisan sous l’angle électoral.

Max Weber et les partis

La sociologie générale resta, à ses débuts, indifférente à l’étude des partis politiques. Seul le grand
sociologue allemand Max Weber. Le discours le plus connu de Weber sur les partis est publié dans Le
Savant et le Politique. On dispose de deux définitions du parti politique. Une version « pop » et une
version savante. Pour la première, le parti est lié au processus électoral et constitue une «  entreprise
politique » qui est « nécessairement une entreprise d’intérêts. Cela signifie qu’un nombre
relativement restreint d’hommes intéressés au premier chef par la vie politique et désireux de
participer au pouvoir recrutent par libre engagement des partisans, se portent eux-mêmes candidats
aux élections ou y présentent leurs protégés, recueillent les moyens nécessaires et vont à la chasse
des suffrages ». La seconde définition, celle savante d’Economie et Société, ne laisse subsister aucune
équivoque : « On doit entendre par parti des associations reposant sur un engagement
(formellement) libre ayant pour but de procurer à leurs chefs le pouvoir au sein d’un groupement et
à leurs militants actifs des chances idéales ou matérielles de poursuivre des buts objectifs, d’obtenir
des avantages personnels ou de réaliser les deux ensembles ».

C – Maurice Duverger

C’est avec la publication en 1951 du livre de Duverger que la connaissance des partis politiques
devient enfin globale et systématique. Si les informations à caractère factuel qu’il donne sur les partis
ont vieilli, deux éléments demeurent intangibles. L’un tient dans la présentation d’une théorie de
l’origine et de la multiplication des partis. Elle lie le phénomène partisan à la dynamique des
institutions et nourrit encore bien des travaux. L’autre réside dans l’édification d’une typologie des
partis basée sur la nature de leur organisation.

D – Le renouveau des études et la crise des partis

On assiste à un renouveau des études portant sur les organisations de partis. En effet, la crise de
recrutement subie par les formations politiques, les scandales financiers, les «  affaires » qui les
affectèrent et in fine la crise idéologique provoquée par la chute du communisme ébranlèrent les
partis politiques jusque dans leurs fondements les plus solides. Peter Mair met en évidence le rôle
structurant que la prépondérance du financement public joue sur la façon dont les partis s’organisent
aujourd’hui.

IV – Systématique des analyses du phénomène partisan

Nous avons vu que la plupart des politistes s’opposaient aux historiens en liant le phénomène
partisan à l’édification du système démocratique. Mais quid des démocraties de l’Antiquité ?

- Deux débats fondamentaux méritent d’être exposés ici. Le premier concerne le problème des
partis uniques, le second celui du rapport entre partis et sociétés globales. En choisissant de
lier les partis politiques « au suffrage universel et à la démocratie », la majorité des politistes
bute sur un écueil de taille : le problème du parti unique. Nombre d’entre eux se
contentèrent d’ignorer l’obstacle ; pour eux, est parti politique toute organisation qui
s’intitule parti. On se trouve en présence du classique « piège » du langage. Mais pour Jean
Blondel, les partis uniques appartiennent à une catégorie qu’il définit comme «  partis de
mobilisation » qui peuvent se passer de toute concurrence, mobilisant les masses pour le
développement, le socialisme ou quelque autre grande cause et contre la tradition, la
bourgeoisie, l’impérialisme, en bref contre l’ennemi de l’intérieur de l’extérieur. La thèse
inverse fut défendue par Raymond Aron qui, dans Démocraties et totalitarisme, expliqua
comment un parti monopoliste changeait de nature lorsqu’il parvenait à éliminer ses rivaux.
- Premier groupe de politistes, ceux pour qui, selon l’expression de Pierre Birnbaum, le
politique constitue un lieu privilégié au sein de la société. Les partis politiques ne peuvent
alors puiser leur justification que dans la « réalité sociale ». Au sein de la sociologie des partis
politiques, on distingue deux courants différents. D’une part les fonctionnalistes qui font
l’impasse sur la notion de conflit et s’interrogent sur la contribution des partis à la survie,
l’équilibre et au développement du système social et du sous-système politique. D’autre
part, les sociologues des clivages qui, comme Rokkan ou Jean Blondel, voient à l’origine de
chaque parti un conflit social profond.
- Le second groupe, qui rassemble les tenants de la politique pure, se divise également en
deux tendances selon qu’on accepte ou non la réalité du conflit. La première privilégie le
conflit, mais un conflit de nature essentiellement politique. Elle témoigne d’ailleurs d’un goût
immodéré pour l’opposition gauche/droite, présentée tantôt comme une dichotomie, tantôt
comme un continuum. La deuxième quant à elle voit son absence de prise en compte du
conflit tenir dans le fait à l’adoption du paradigme néo-utilitariste emprunté à l’économie, ce
dernier ignorant totalement le conflit. Cette théorie se fonde sur l’utopie d’un Homo
politicus, copie conforme de l’Homo oeconomicus et baptisé « électeur rationnel ». Ce
curieux et savant personnage passe le plus clair de son temps à éplucher les programmes des
partis pour faire régulièrement son « marché politique ». Moins serviles, d’autres tenants de
l’analyse du marché politique ont choisi de s’attacher non plus à la demande mais à l’offre
politique, c’est-à-dire au seul acteur rationnel à évoluer sur le « marché politique » : les
partis. Pour ce faire, ces politistes s’inspirent de l’œuvre de Bourdieu, qui mit en lumière
l’imprégnation de la société globale par les structures de l’économie capitaliste et détourne
celle de Weber qui évoque des « entreprises à caractère politique ».

V – Positions : les hypothèses de travail

A – Sur les commencements

Weber, qui vit dans les partis politiques des enfants du suffrage universel et de la démocratie,
attribua néanmoins l’appellation « partis » aux Guelfes et aux Gibelins. Si l’existence de partis
politiques représente un phénomène des plus rares avant l’instauration du système représentatif et
l’extension du droit de vote, ils apparurent toutefois en certaines occasions. Ainsi constate-t-on la
présence de « partis » à Rome sous la République, dans les villes flamandes en révolte contre
Philippe Le Bel, en Italie du Nord avec l’opposition entre Guelfes et Gibelins, en France sous les
guerres de religion et sous la Révolution avec les Clubs. En effet, ce n’est pas la démocratie, ni le
suffrage universel, ni même l’instauration d’un système représentatif qui donnent naissance aux
partis politiques, mais bien l’irruption des masses sur la scène politique.

En revanche, les conflits recourent à des modalités totalement différentes de mobilisation : l’appel au
peuple et le recrutement de partisans sur une base volontaire. De par leurs finalités, conquérir le
pouvoir et ce en appelant aux masses pour exercer leur pouvoir au nom d’une certaine conception
de l’intérêt général, ces « partis » du passé n se distinguent en rien de nos partis politiques actuels.
En revanche, ils s’en distinguent totalement par la nature des moyens mis en œuvre pour réaliser
leur objectif, c’est-à-dire par leur organisation. Les partis apparaissent comme un phénomène
ancien. Envisagés en tant qu’organisation, leur naissance paraît récente. En définitive, le phénomène
partisan participe de ces deux logiques : dans l’ordre des fins, il correspond à un invariant né de
l’émergence historique des masses dans le jeu politique ; dans l’ordre des moyens, il constitue une
variable qui dépend de la dynamique des institutions politiques. Mais on peut déceler un invariant  :
le fait de constituer une organisation, c’est-à-dire une association programmée rationnellement en
vue d’une finalité, l’association étant quant à elle un groupement volontaire d’individus.

B – Sur le pluralisme

Cependant, qu’arrive-t-il si le parti victorieux parvient à éliminer ses rivaux ? Telle que posée, la
question permet d’écarter les soi-disant «partis » uniques, créés après la révolution ou, le plus
souvent, après un coup d’Etat, comme ce fut le cas pour l’Ethiopie ou le Zaïre. Reste le problème du
parti, que Aron qualifiait de monopoliste, lorsqu’il fait le vide politique autour de lui.

Parti signifie partie résumant de la division d’une totalité politique. Si le tout est différent de la
somme des parties, il n’en demeure pas moins vrai que si les parties disparaissent en une seule, la
totalité n’existe plus ; ou plutôt, la partie restante constitue désormais la nouvelle totalité. Ce qui
signifie que le « parti », tel que nous le connaissons aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en France
est, par nature, en compétition avec d’autres. A partir du moment où il n’a plus de rivaux, il change
de nature. Quand les partis liquident leurs adversaires pour dominer l’appareil politique, Weber
considérait que dès lors ils cessent de jouer leur rôle de parti. En fait, ce qu’il est convenu d’appeler
le « parti-Etat » représente une force politique, s’incarnant dans une institution et non dans une
organisation, mais une force d’une nature différente de celle des partis, qu’ils soient entendus tant
dans l’acceptation moderne du terme que dans son acceptation ancienne.

C – Sur le conflit

Le même raisonnement s’applique au problème du conflit : parti signifie partie, division, c’est-à-dire
conflit. On ne trouve pas un seul parti qui ne puise son origine dans un conflit social. Ainsi les conflits
strictement politiques, soit n’engendrent que d’éphémères coteries ou clientèles, soit apparaissent
comme la résultante de conflits sociaux plus profonds. Le meilleur exemple s’avère, sans conteste,
les oppositions portant sur la forme du régime (monarchie/république) ou de l’Etat
(fédéralisme/unitarisme), elles recouvrent en fait une constellation de conflits de classes
(nobles/bourgeois), religieux ou ethno-régionaux. Jean Blondel est donc tout à fait fondé lorsqu’il
affirme qu’à la base de tout parti on décèle la présence d’un conflit social profond.

Les partis politiques constituent des émanations des conflits sociaux, donc des produits de la société
et du conflit. Cependant, sans vouloir suivre Marx et Engels qui voyaient dans l’histoire de toute
société l’histoire de la lutte des classes, peut-on imaginer une société historique qui reste exempte
de tout conflit ? Pour Pierre Birnbaum dans La fin du politique, « Plongées dans l’histoire, les sociétés
sont donc éminemment conflictuelles, le politique n’étant que le lieu d’expression et
éventuellement de négociation des oppositions sociales ».

VI – Vers une définition

On définit les partis comme étant des organisations visant à mobiliser des individus dans une action
collective menée contre d’autres, pareillement mobilisés, afin d’accéder, seuls ou en coalition, à
l’exercice des fonctions de gouvernement. Cette action collective et cette prétention à conduire la
marche des affaires publiques sont justifiées par une conception particulière de l’intérêt génér al.
Trois logiques s’enchaînent ici : celle de la volonté de pouvoir au nom d’une conception particulière
de l’intérêt général ou logique de projet ; celle de l’association volontaire d’un groupe d’hommes qui
choisissent de s’organiser afin de se doter des moyens rationnels visant à réaliser la mobilisation du
plus grand nombre possible en vue de l’accession concrète au pouvoir, ou logique d’organisation ;
celle enfin des hommes et des femmes qui se mobilisent, accédant ainsi au rôle d’acteur social du
partisan ou, plus modestement, des hommes et des femmes qui constituent la masse de manœuvre
que le parti s’est assigné, le vaste contingent des appelés qui ne répondent pas toujours… c’est la
logique de mobilisation.

Ainsi définis, les partis nous interrogent encore sur différents systèmes qu’ils constituent : ce sont les
systèmes de partis. Cependant, cette définition implique avant toute chose de répondre à la question
de leur utilité sociale.

Chapitre 2 : A quoi servent les partis politiques ?

I – Partis et démocratie représentative

L’opinion publique est toujours encline à blâmer les partis politiques et à en faire les boucs
émissaires de tout ce qui va mal dans le gouvernement du pays. Ce sont d’ailleurs les nations qui, à
l’instar de la France, aiment le moins les partis et qui leur refusèrent longtemps les moyens matériels
de jouer un rôle fondamental, qui s’indignèrent le plus de découvrir des scandales relatifs au
financement de leurs campagnes électorales. Le soutien financier de l’Etat aux parties réduit
considérablement le risque de dérapage. Mais pour Moïse Ostrogorsky, les partis politiques sont un
obstacle à la bonne marche d’une démocratie. Cependant, pour Michels, c’est le fonctionnement des
partis, oligarchiques et personnalisés, qui n’est pas démocratique. Selon E.E. Schattschneider, «  la
seule forme d’organisation capable de traduire dans les faits l’idée du gouvernement majoritaire est
le parti politique ».

Le discrédit jeté sur les partis existe depuis quasi leur apparition sur la scène politique. Elle
représente l’opinion dominante des observateurs qui s’accordent à les considérer comme un écran
interposé entre les gouvernants et les gouvernés, un frein mis à l’exercice de la démocratie. En
définitive, la question n’est pas de savoir si les partis servent ou non la démocratie, mais quelle
corrélation ils entretiennent avec celle-ci.

- Une relation positive : aucune démocratie ne fonctionne sans partis politiques. Il n’existe
dans le monde d’aujourd’hui aucune démocratie représentative qui ne se fonde sur la
compétition entre les partis. L’expérience de démocratie directe, telle que la Suisse la
connaît, n’a pas réduit les partis qui ont su tirer parti des occasions de mobilisation que leur
offrent les procédures référendaires. Les projets concevant des modèles de démocraties qui
se passeraient du concours des partis sont jusqu’à présent demeurés au stade de l’utopie. En
revanche, dès qu’un régime autoritaire amorce un mouvement de démocratisation, les
organisations partisanes prolifèrent. Qui plus est, nombre de régimes autoritaires
s’ingénièrent à maintenir voire à organiser le simulacre de multipartisme. Ainsi ces
démocraties populaires de RDA, Pologne, Tchécoslovaquie ou Bulgarie qui vécurent cette
fiction jusqu’à la fin ; et même certains d’entre eux comme le Parti populaire tchèque
survécurent au rétablissement de la démocratie représentative.
- Une relation négative existe également entre la démocratie et les partis, mais elle ne va pas
dans le sens qu’imaginaient les anciens. En effet, chaque fois que dans le monde une
démocratie tombait sous les coups de quelques partis monopolistes, le premier acte posé par
les nouveaux maîtres est d’abolir les partis politiques, ou de les réduire au rôle d’apparence
lorsqu’ils veulent assurer une face démocratique à leur pouvoir sans limite.
- Les partis politiques comptent-ils au nombre des instances de la démocratie représentative ?
C’est la thèse soutenue depuis Schattschneider et Key par nombre de politistes américains.
Pour Key, il faut distinguer entre la démocratie idéale et la démocratie réelle, la première
supportant mal les partis, les seconds s’en accommodant aux mieux. Le fait est que si les
assemblées censitaires pouvaient se contenter de groupes parlementaires plus ou moins
inorganisés, la généralisation du suffrage universel s’accompagna de celle du phénomène
partisan.

II – Les fonctions des partis politiques

L’interrogation sur un phénomène évoque d’emblée le fonctionnalisme comme cadre théorique


global d’une part, certains de ses apports de l’autre. Si de ce premier point de vue la théorie
fonctionnaliste nous paraît dépassée, elle n’en a pas moins contribué au progrès de la science
politique. On retiendra comme fil conducteur la typologie d’un néo-fonctionnaliste P.H. Merkl, qui
ajoute un réel systématisme au genre inventaire. Elle se compose de six fonctions qui recouvrent
l’ensemble de celles que les politistes attribuent aux partis :

- Recrutement et sélection du personnel dirigeant pour les postes de gouvernement. R.G.


Schwartzenberg parle de fonction de recrutement. C’est ce que Jean-Marie Denquin appelle
la « fonction de sélection des candidats ». Elle recouvre également la fonction que Georges
Lavau désignait du nom de « fonction de relève politique » qui permet au système politique
de n’être « ni immobile, ni unidimensionnel » et de s’adapter aux changements survenus
dans son environnement.
- Genèse de programmes et de politiques pour le gouvernement. On retrouve cette fonction à
une place importante dans l’inventaire de Schwartzenberg : c’est l’importante « fonction de
programmation » qui « donne son vocabulaire au suffrage ». Le système évite le chaos
destructeur et canalise à son profit l’énergie que recèlent les conflits et que les partis
convertissent en idées, projets et réalisations gouvernementales.
- Coordination et contrôle des organes gouvernementaux. Cette fonction constitue le principal
apport de Frank Sorauf à l’analyse fonctionnelle des partis politiques : elle consiste à
encadrer les élus, conditionnant ainsi la coordination et le contrôle des processus de
décisions politiques. Pour Schwartzenberg, elle est articulée en deux niveaux
complémentaires : au premier, elle assure le lien entre les mandataires élus et leurs
mandats, les citoyens électeurs ; au second, elle discipline et encadre les élus. Chez Lavau,
par le contrôle qu’ils exercent, les parties jouent un rôle de courroie de transmission entre
« les sommets de l’Etat » d’une part et d’autre part la base formée des assujettis au système
dont ils entendent représenter la volonté. Donc ces derniers ont l’impression de contrôler
l’exercice du pouvoir rendu ainsi légitime. Par ailleurs, ils en assurent la cohérence en
coordonnant les organes gouvernementaux qu’ils contrôlent, lui conférant une stabilité
considérable.
- Intégration sociétale par la satisfaction et la conciliation des demandes de groupes ou par
l’apport d’un système commun de croyances ou idéologies. Le monde « développé » a donné
le monopole de cette fonction aux partis qui « agrègent et globalisent les demandes
ponctuelles et catégorielles véhiculées par les associations et par les groupes de pression  ».
Elle correspond chez Denquin au « rôle d’intégration sociale » joué par les partis, mais
envisagé sous son aspect « d’intégration de groupes sociaux ». Il s’agit à nouveau de la
fonction de légitimation-stabilisation proposée par Georges Lavau. En effet, sans partis, la
scène politique ressemblerait au plateau de France 2 le soir du référendum sur la ratification
du Traité de Maastricht.
- Intégration sociale des individus par mobilisation de leurs appuis et par socialisation politique.
Il s’agit ici de rencontrer à la fois les aspects permettant la participation des individus au
système et ceux du rôle pédagogique des partis, qui recomposent des lieux de sociabilité.
- Contre-organisation et subversion. Seul Georges Lavau avait perçu les effets favorables que la
contestation d’un système donné peut apporter à la survie du même système. Le parti assure
la survie du système, car il « dévie des virtualités révolutionnaires » : utile soupape de
sécurité…

III – Conclusion : la fonction sociale des partis

Si nous retenons la contribution de Georges Lavau, nous constatons que les partis assurent la relève
en hommes et en idée, qu’ils stabilisent le système en le rendant légitime aux yeux des citoyens et
canalisent les mécontentements, renforçant ainsi la légitimité du système. A la limite, on peut
résumer les fonctions remplies par les partis à deux : la relève, c’est-à-dire fournir des gouvernants
de façon continue, et la légitimation, c’est-à-dire rendre ce mode d’accès aux fonctions de
gouvernement acceptable aux gouvernés. Les partis politiques assurent la représentation des
citoyens tout en lui conférant la légitimité nécessaire à l’accomplissement de la fonction
représentative. Ils permettent aux électeurs de choisir, même indirectement, leurs législateurs et
leurs gouvernants tout en fixant le cadre et les grandes orientations de la politique qu’ils souhaitent
voir réaliser. Recourant aux votes des électeurs, les partis apportent au régime l’onction du suffrage
universel, fondement de toute légitimité.

Chaque parti recherche le monopole de la représentation légitime d’un secteur de la population (ex  :
Mélenchon avec le Front de Gauche souhaitant incarner la parole du peuple en souffrance). Les
partis politiques médiatisent la volonté politique de catégories ou de groupes sociaux qui
s’affrontent : comme l’écrivait Rokkan, ils sont à la fois les agents du conflit et les instruments de son
intégration. Ils traduisent et convertissent ainsi les revendications sectorielles en projets politiques
globaux. Ainsi comprend-on mieux la part essentielle que prennent les partis dans la vie de la
démocratie représentative. La démocratie représentative, c’est le « régime exclusif des partis ». Voilà
pourquoi toute crise des partis traduit toujours une crise des médiations et une crise de la
démocratie. Voilà pourquoi la démocratie, tout en les abominant, n’a jamais pu se passer des partis
politiques.

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