Vous êtes sur la page 1sur 3

VI.

Etude transversale : la crise familiale

Corpus
• Les retrouvailles tendues (première partie, scène 2, p. 30-32)
• Les souvenirs de la mère (première partie, scène 4, p. 47- 48)
• Le conflit des deux frères (deuxième partie, scène 2, p. 92-93)

A. 1. Comment les relations familiales évoluent -elles au cours de la pièce ?

Le texte 2 nous dévoile le retour de Louis et la prise de contact un peu tendue en particulier entre
les deux frères. Catherine « troublée », mais amicale évoque ses enfants. Antoine, sur la défensive,
fait preuve d’ironie envers son frère (« Il est passionné, c’est un homme passionné par cette /
description de notre progéniture », l. 43-44) et d’une forme d’agressivité envers sa femme (« Laisse
ça, tu l’ennuies », l. 1). S’installe alors un malaise formulé par Louis : « c’est méchant », « c’est
déplaisant » (l. 10), « je suis mal à l’aise » (l. 52 et 58), « tu m’as mis mal à l’aise » (l. 55). Comme
dans toute réunion familiale s’ensuit l’évocation des souvenirs (texte 5) qui tisse un lien de
tendresse et de nostalgie entre les personnages écoutant la mère faire le récit des dimanches de
l’enfance. Mais ce récit s’inscrit aussi dans une dimension mythique dans la mesure où la mère
révèle l’origine de la dissension entre les deux frères et l’effet de rupture qu’elle produit dans la
famille. L’adverbe temporel « après » repris en anaphore souligne l’opposition entre un âge d’or de
la famille avec les sorties en voiture du dimanche, « les vacances », « les restaurants, « les pique-
niques » et un temps où plus rien n’est « pareil » (l. 30, mot mis en valeur par son isolement sur une
ligne). On assiste ainsi comme dans la Genèse au récit mythique qui nous dévoile comment cette
famille a été chassée du paradis : « Après ils eurent treize et quatorze ans […] ils ne s’aimaient pas
beaucoup, / ils se chamaillaient toujours, ça mettait leur père en / colère, ce furent les dernières fois
et plus rien n’était / pareil. » (l. 26, 28 à 30), « et eux ils allaient jouer à se battre » (l. 41), « ces ceux-
là sont devenus trop grands » (l. 44), « ils allaient chacun / de leur côté faire de la bicyclette, chacun
pour soi » (l. 47-48). Le dernier extrait (texte 8) située à la fin de la pièce au moment où Louis
s’apprête à partir met en scène le conflit entre les deux frères. Antoine menace de mort son frère, ce
qui crée un climax tragique dans leurs relations tendues. Antoine ne cesse de ressasser le motif de
la culpabilité « cela va encore être de ma faute » (l. 21) qui fait écho à la clôture du texte 2 : « cela va
être de ma faute » (l. 59). Cette formulation triviale et usuelle s’inscrit toutefois dans un malaise
plus profond qui dit les relations compliquées des deux frères.

A. 2. Relevez les éléments qui soulignent la banalité de cette famille et expliquez


pourquoi le dramaturge les met en avant.

Texte 2 : la conversation ennuyeuse d’une mère (Catherine) sur ses enfants : « j’ennuie tout le
monde / avec ça, les enfants, / on croit être intéressante » (l. 4-6).

Texte 5 : les activités banales d’une famille modeste, sorties en voiture les dimanches, pique-
niques, vélo, sieste, les détails prosaïques sur la nourriture : « la friture de carpe ou des grenouilles
à la crème » (l. 24), « on mange sur l’herbe, salade de thon / avec du riz et de la mayonnaise et des
œufs durs, / ‒ celui-là aime toujours autant les œufs durs » (l. 36-38), la répétition de l’adverbe
« toujours » souligne la monotonie d’une existence sans histoire : « toujours / les mêmes histoires »
(l. 14-15).
Texte 8 : une situation en soi plutôt banale, la dispute entre deux frères arbitrée par la mère. Le
dramaturge souligne la banalité de cette famille aux antipodes des grandes dynasties tragiques de
l’Antiquité (les Atrides, les Labdacides) ou des drames shakespeariens (Le roi Lear, Hamlet…) ou
romantiques (Lucrèce Borgia, « Les Atrides du Moyen-Âge » selon Hugo). Le spectateur est invité à
s’identifier à cette famille commune qui illustre les tensions propres à chaque famille et qui n’en
sont pas moins tragiques par la souffrance et la peine qu’elles peuvent engendrer.

A. 3. Quelles remarques pouvez-vous faire sur le cadre spatio-temporel de la pièce ?


Appuyez votre réponse sur les extraits du corpus et sur la prise en compte de la
didascalie initiale.

Selon la didascalie initiale l’action se passe « dans la maison de la Mère et de Suzanne, un


dimanche » (p. 22). On retrouve ainsi les unités de temps et de lieu des tragédies classiques qui
permettent un resserrement propre à l’éclatement des tensions. (L’unité d’action est également
présente puisque l’intrigue de la pièce porte sur l’annonce de la mort de Louis). En effet les trois
extraits correspondent à des moments de cette journée : le texte 2 à l’arrivée de Louis, le texte 5 à
une conversation familiale sur les souvenirs, et le texte 8 au départ de Louis à la fin de la journée.
Antoine commente lui -même cette temporalité : « une si bonne journée » (texte 2, l. 60). Le texte 5
nous permet d’échapper à ce huis-clos avec une plongée dans le passé de la famille avec un bref
moment au présent de narration qui est ressenti par le spectateur comme une actualisation de
moments heureux : « oh là là là ! / bon, c’est l’été et on mange sur l’herbe, salade de thon /avec du
riz et de la mayonnaise et des œufs durs » (l. 35-37). Cette scène du passé en extérieur propose une
échappée heureuse, une éphémère dilatation de l’espace-temps. Toutefois la seconde partie de la
didascalie initiale vient contester la clarté de cette temporalité : « ou bien durant près d’une année
entière » (p.22). Cela correspond à certains passages de la pièce qui paraissent effectivement hors
temps : le prologue, les monologues de Louis et de sa mère, l’intermède et l’épilogue.

A. 4. Quelles tonalités sont perceptibles dans ces extraits ?

Le texte 2, en fonction de l’interprétation du lecteur et des choix d’un metteur en scène, joue sur
une palette d’émotions différentes :
‒ une tonalité pathétique avec un sentiment de compassion face au personnage de Catherine qui se
juge inintéressante et que l’on sent un peu brimée par son mari,
‒ tonalité comique lorsque Louis s’emmêle dans les dénominations : « Cela ne m’ennuie pas du
tout, tout ça mes filleuls, / neveux, mes neveux, ce ne sont pas mes filleuls, mes / neveux, nièces,
ma nièce, ça m’intéresse. » (l. 11-13),
‒ tonalité satirique avec l’ironie d’Antoine qui tourne en dérision son frère : « Il est passionné, c’est
un homme passionné par cette / description de notre progéniture » (l. 43-45) et caractérise de
manière ambiguë le moment vécu : « une si bonne journée » (l. 60)

Le texte 5 propose une tonalité élégiaque exprimant la nostalgie de la mère face à l’unité perdue de
la famille : « est-ce qu’on peut savoir comment tout disparaît ? » (l. 46), mais elle n’exclut pas des
apartés comiques et tendres qui permettent de relativiser la mélancolie de l’évocation « celui-là
aime toujours autant les œufs durs » (l. 38).
Le texte 8 met en avant la tonalité tragique soulignant l’impossible communication et les
malentendus familiaux dans un climat de violence verbale avec la menace de mort d’Antoine à
l’égard de son frère.
La diversité de ces tonalités confère une grande justesse à la représentation de la cellule familiale
où se côtoient toutes les émotions dans un basculement parfois incontrôlé dans le tragique. Les
spectateurs ne peuvent que retrouver des scènes vécues au sein de leur propre famille, ce qui
donne une universalité à cette représentation des crises familiales.

Vous aimerez peut-être aussi