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Un mois, trois mois que nous sommes mariés, nous retournons à la fac , je donne des cours de
latin. Le soir descend plus tôt , on travaille ensemble dans la grande salle. Comme nous sommes
5 doucettement. D'accord je travaille La Bruyère ou Verlaine dans la même pièce que lui, à deux
mètres l'un de l'autre. La cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vous verrez, chantonne sur
ressemblance. L'un des deux se lève, arrête la flamme sous la cocotte, attend que la toupie folle
10 était resté. Moi . Elle avait démarré, la différence. Par la dinette . Midi et soir je suis seule devant
les casseroles. Je ne savais pas plus que lui préparer un repas, juste les escalopes panées, la
mousse au chocolat, de l'extra, pas du courant. Pourquoi de nous deux suis-je la seule à me
plonger dans un livre de cuisine, à éplucher des carottes, laver la vaisselle en récompense du
dîner, pendant qu'il bossera son droit constitutionnel. Au nom de quelle supériorité. (...)
15 À la fac, en octobre, j'essaie de savoir comment elles font les filles mariées, celles qui, même, ont
un enfant. Quelle pudeur, quel mystère, « pas commode » elles disent seulement, mais avec un
air de fierté, comme si c'était glorieux d'être submergée d'occupations. La plénitude des femmes
mariées. Plus le temps de s'interroger, le réel c'est ça, un homme, et qui bouffe, pas deux yaourts
et un thé, il ne s'agit pas d'être une braque. Alors, jour après jour, de petits pois cramés en quiche
20 trop salée, sans joie, je me suis efforcée d'être la nourricière, sans me plaindre.
INTRODUCTION
Annie Ernaux, née en 1940, est une écrivaine française de la seconde moitié du XXe
siècle. Après des études de lettres, elle devient professeure agrégée de lettres
modernes.
Sa vie et ses expériences sont sa principale source d’inspiration, elle se plaît à raconter
sans détour les évènements marquants de son parcours. Mélangeant l’expérience
historique et l’expérience individuelle, elle qualifie elle-même son écriture comme
«auto-socio-biographique».
Ses œuvres ont remporté de nombreux prix littéraires. En octobre 2022 elle reçoit le
prix Nobel de Littérature.
Dans son roman autobiographique « La femme gelée », publié en 1981, Annie Ernaux
évoque sa vie maritale avec un étudiant en droit, tous deux pleins de théories idéales
sur l’égalité entre les sexes. Cependant, Elle est vite happée par un conditionnement
imposé par la société
À travers ce roman, Annie Ernaux expose les limites de l'émancipation féminine dans
les années 60, illustrant comment une femme peut progressivement perdre son élan, ses
propres désirs de liberté et devenir comme tant d’autres une « femme gelée ».
Dans cet extrait, Annie Ernaux nous plonge au cœur du quotidien de son couple idéaliste
alors qu'ils révisent leurs cours, un moment banal qui se révèle être le théâtre de
réflexions profondes sur les inégalités de genre. À travers le bruit de la cocotte-minute, la
narratrice entame une critique ironique de la répartition des tâches ménagères.
30
Premier mouvement (L1 à L4) : L’illusion d’un jeune couple égalitaire
35 Les premières lignes de cet extrait peignent le portrait d'un jeune couple
égalitaire.
Annie Ernaux utilise le présent de narration pour donner vivacité et intensité au récit.
80 La narratrice réalise peu à peu que leur idéalisme initial n’est qu’illusion.
La réalité de la vie maritale se révèle être bien différente.
85 A travers la métaphore de la «cocotte-minute», la narratrice nous dévoile les failles et les
inégalités du quotidien, notamment la répartition des tâches ménagères.
135 La narratrice exprime son profond ressentiment face à cette réalité sociale.
L’auteure Annie Ernaux expose comment la réalité ébranle les rêves d'égalité en mettant
en évidence les différences entre les hommes et les femmes.
170
Pourtant, la narratrice ne se révolte pas, cette soumission contraste donc vivement avec sa
révolte intérieur.
175
Le contexte temporel de l’action "A la fac", en octobre, nous indique que la narratrice
interroge ses camarades féminines à l’université, « les filles mariées » y compris celles
qui sont mères.
185
Elle remarque que ces femmes parlent de leurs occupations avec discrétion et retenue
comme le souligne les expressions « quelle pudeur, quel mystère », malgré les
difficultés auxquelles elles sont confrontées : «pas commode ».
Cela montre qu'elles sont habituées à affronter ces difficultés sans chercher à se
190 plaindre ouvertement.
Plus encore, elles éprouvent de la fierté, ce qui est mis en évidence par la
proposition subordonnée circonstancielle de concession « mais avec un air de
fierté » et la proposition subordonnée comme si c'était glorieux d'être submergée
195 d'occupations.
Cette phrase « Plus le temps de s'interroger, le réel c'est ça » met en lumière les
pressions sociales qui pèsent sur la femme qui n’a plus temps pour réfléchir ou
remettre en question sa situation.
200
Cependant, la phrase nominale « La plénitude des femmes mariées » avec la
substitution de filles mariées à femme mariées met en évidence de manière ironique
l’acceptation de ces femmes, censées être remplies de bonheur et de satisfaction dans
leur rôle.
205
Ce constat la confronte à la réalité inévitable de son propre quotidien, où elle se trouve
contrainte d'assumer le rôle traditionnel de nourricière sans révolte apparente.
On comprend alors par sa phrase « il ne s'agit pas d'être une braque » que la
210 narratrice comme les autres femmes mariées, est sous pression sociale et les normes
de genre qui pèsent sur elle, l'obligeant à s'adapter pour correspondre aux attentes
imposées.
Aussi, « jour après jour» malgré son manque de satisfaction, souligné par les
215 locutions adverbiales «sans joie» et «sans me plaindre», la narratrice montre son
acceptation tacite de son rôle.
CONCLUSION
Le jeune époux, derrière ses postures progressistes, se révèle n’être que l’énième
représentant des conventions sociales.
Un processus se met en place petit à petit, Annie Ernaux est insidieusement amenée à
225 sacrifier ses études pour se consacre à son mari.
En montrant cette inégalité dès les premiers mois de mariage, Ernaux dénonce les
inégalités de genre et les normes sociales oppressives qui restreignent la liberté des
femmes, celles-ci sont gelées par la société et incapables de se réaliser.
230
Dans cet extrait de La Femme gelée, nous percevons l’ironie de la narratrice qui découvre
le quotidien de la vie de couple et l’inégalité persistante entre homme et femme. Comme
Olympe de Gouges, l’écriture se présente comme le moyen de combattre pour l’égalité.
Cette œuvre
235 autobiographique dépasse
alors le
cadre du récit de vie et
s’inscrit dans le genre des
mémoires où elle prend une
240 portée argumentative.
Dans cet extrait, elle raconte
sa désillusion au début de son
mariage, quand elle s’est
retrouvée
245 confrontée à un mari
progressiste dans ses propos,
mais bien moins dans ses
actes, ainsi que sa
molle soumission à la
250 situation malgré son refus
intérieur
Cette œuvre
autobiographique dépasse
alors le
255 cadre du récit de vie et
s’inscrit dans le genre des
mémoires où elle prend une
portée argumentative.
Dans cet extrait, elle raconte
260 sa désillusion au début de son
mariage, quand elle s’est
retrouvée
confrontée à un mari
progressiste dans ses propos,
265 mais bien moins dans ses
actes, ainsi que sa
molle soumission à la
situation malgré son refus
intérieur
270 Cette œuvre
autobiographique dépasse
alors le
cadre du récit de vie et
s’inscrit dans le genre des
275 mémoires où elle prend une
portée argumentative.
Dans cet extrait, elle raconte
sa désillusion au début de son
mariage, quand elle s’est
280 retrouvée
confrontée à un mari
progressiste dans ses propos,
mais bien moins dans ses
actes, ainsi que sa
285 molle soumission à la
situation malgré son refus
intérieur