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Généralités
Le commentaire d’arrêt
Le cas pratique
La dissertation juridique
Sujets corrigé
Les sources du droit administratif
• Sources
Dissertation
Gweltaz Eveillard, Professeur, Université Rennes 1
Commentaire d’arrêt : TA Besançon, 10 octobre 1996,
Glory c/ Commune de Châtenois-les-Forges, no 960071
Laurent Seurot, Professeur, Université de Lorraine
Les actes de l’Administration
• Acte administratif
Dissertation
Agathe Van Lang, Professeure, Université de Nantes
Cas pratique
Arnaud Sée, Professeur, Université Paris Nanterre
• Acte administratif unilatéral
Commentaire d’arrêt : CAA Douai 10 novembre 2010,
Association « Société Centrale Canine »
Marguerite Canedo-Paris, Professeure, Université de
Poitiers
Dissertation
Delphine Costa, Professeure, Aix-Marseille Université
• Contrat administratif
Dissertation
Nicolas Chifflot, Professeur, Université de Strasbourg
Les fonctions de l’Administration
• Service public
Cas pratique
Carole Gallo, Professeure, Université de Lille
Commentaire d’arrêt : CAA Nantes, 1er mars 2019, req.
no 18NT01878
Laurent Seurot, Professeur, Université de Lorraine
Cas pratique
Élise Untermaier-Kerléo, Maîtresse de conférences,
Université Jean Moulin Lyon 3
• Police administrative
Dissertation
Nicolas Chifflot, Professeur, Université de Strasbourg
Commentaire d’arrêt : CAA Nancy, 1er octobre 2020, req.
no 19NC00494
Nathalie Jacquinot, Professeur, Université Toulouse 1
Capitole
Cas pratique
Bertrand Seiller, Professeur, Université Paris II Panthéon-
Assas
La justice administrative
• Responsabilité
Commentaire d’arrêt : CE 10 avril 2013, Ville de
Marseille, req. no 359803
Jean-François Brisson, Professeur, Université de Bordeaux
Cas pratique
Arnaud Sée, Professeur, Université Paris Nanterre
• Responsabilité administrative
Commentaire d’arrêt : CE 9 juin 2020, M. B…, req. no
423383
Fanny Tarlet, Professeure, Université de Montpellier
• Contrôle juridictionnel
Commentaire d’arrêts
Élise Untermaier-Kerléo, Maîtresse de conférences,
Université Jean Moulin Lyon 3
Dissertation
Virginie Donier, Professeure de droit public, Université de
Toulon
Cas pratique
Jean-François Brisson, Professeur, Université de Bordeaux
Cas pratique
Romain Rambaud, Professeur, Université Grenoble Alpes
Index
Avant-propos
La collection des Annales du droit a comme ambition de
fournir un nouvel outil de travail aux étudiants de la licence
en droit mais aussi à tous ceux qui suivent des
enseignements juridiques dans le cadre des instituts
d’études politiques ou des préparations aux concours
administratifs.
Les Annales du droit se présentent comme le
complément nécessaire du manuel ou du cours oral
dans les disciplines fondamentales du droit que sont
l’introduction au droit et le droit des personnes et des
biens, le droit constitutionnel, le droit civil des obligations
et le droit administratif.
L’analyse systématique des institutions, des procédures et
des relations juridiques qui est faite de manière didactique
dans les manuels et les cours est le premier versant de la
formation juridique. Le second versant est la mise en
œuvre et l’application de ces notions, la présentation
organisée d’une question juridique, l’analyse des sources
du droit, la résolution d’une question pratique. C’est ce
second versant que doivent permettre de gravir les Annales
du droit en exposant la méthodologie des exercices
demandés à tout juriste et l’illustrant par la présentation
des sujets corrigés qui ont été donnés dans un échantillon
représentatif d’universités françaises.
Généralités
Les études juridiques ont souvent la réputation de
reposer sur l’acquisition d’une masse importante de
connaissances. Si l’affirmation n’est pas infondée, elle
n’épuise pas la finalité de l’enseignement du droit. Il est
d’abord question d’acquérir une capacité d’analyse et de
réflexion et de développer un raisonnement juridique.
Autrement dit, les connaissances acquises sont un moyen et
non une fin. Les différents exercices proposés aux étudiants
(commentaire d’arrêt, cas pratique, dissertation) visent à
éprouver leur capacité à mobiliser leurs connaissances au
soutien de l’analyse structurée et critique d’un sujet. Il
reste que la maîtrise des connaissances est un préalable
nécessaire à l’ensemble de ces exercices.
Les métiers du droit sont des métiers de l’écrit. Il en
résulte une exigence particulière à l’égard de la maîtrise de
l’expression en français durant les études de droit. Les
étudiants doivent donc veiller à la qualité de leur
orthographe, de leur conjugaison, etc. ce qui suppose de
conserver un peu de temps en fin d’exercice pour la
relecture.
La réussite passe également par la maîtrise du temps. La
durée de l’épreuve est en général de 3 heures. Il n’existe
pas de formule unique pour la gestion du temps. Dans tous
les cas, il n’est pas possible de rédiger l’ensemble de
l’exercice au brouillon avant de le recopier sur la copie. Il
est raisonnable de consacrer un tiers du temps imparti (1
heure) à la préparation, et les deux heures restantes à la
rédaction.
Pour compléter le cours et préparer ses travaux dirigés,
l’étudiant peut s’aider d’un certain nombre d’outils.
Ouvrages généraux
S. Braconnier et al., Droit administratif : les grandes
décisions de la jurisprudence, PUF, coll. « Thémis Droit ».
G. Braibant et al., Grands arrêts de la jurisprudence
administrative, Dalloz, coll. « Grands arrêts ».
N. Chifflot et P. Chrétien, Droit administratif, Sirey, coll. «
Sirey université ».
P.-L. Frier et J. Petit, Droit administratif, LGDJ, coll. « Précis
Domat ».
M. Lombard, G. Dumont et J. Sirinelli, Droit administratif,
Dalloz, coll. « HyperCours ».
B. Seiller, Droit administratif, t. 1 : Les sources et le juge,
Flammarion, coll. « Champs université ».
B. Seiller, Droit administratif, t. 2 : L’action administrative,
Flammarion, coll. « Champs université ».
D. Truchet, Droit administratif, PUF, coll. « Thémis Droit ».
Revues
Actualité juridique, Droit administratif (AJDA), Dalloz,
hebdomadaire.
Droit administratif, LexisNexis, mensuel.
Revue du droit public et de la science politique (RDP),
Lextenso, 6 numéros par an.
Revue française de droit administratif (RFDA), Dalloz, 6
numéros par an.
Revue générale du droit (revue numérique gratuite :
www.revuegeneraledudroit.eu/).
Semaine juridique, Administration et collectivités
territoriales, LexisNexis, hebdomadaire.
Le commentaire d’arrêt
I/ Généralités
Le commentaire d’arrêt est une analyse juridique,
structurée et critique d’une décision de justice.
Il ne doit pas être :
• Un prétexte pour déballer des paragraphes de cours
sans considération pour la décision et ses particularités. Il
n’est pas une dissertation ayant pour thème la ou les
questions de droit que recèle cette décision. Des références
à l’arrêt lui-même dans chacune des subdivisions du
commentaire permettent d’échapper à ce premier écueil.
• La simple reformulation des termes de l’arrêt, c’est-à-
dire sa paraphrase. Le commentaire suppose de mobiliser
les connaissances acquises en cours ou dans un ouvrage,
connaissances qui vont permettre d’évaluer l’arrêt,
d’apprécier sa portée, etc.
• Le commentaire du dispositif de l’arrêt. Le dispositif
n’exprime pas la question de droit. Cette dernière ne peut
être : La requête de Mme X ou de la commune Y est-elle
fondée ? Le commentaire porte principalement sur les
motifs de l’arrêt, c’est-à-dire sur les questions de droit que
le juge a dû aborder afin de trancher le litige.
Le commentaire d’arrêt en droit administratif se
différencie par rapport au même exercice en droit civil. Les
arrêts de la Cour de cassation sont souvent plus concis que
les décisions du juge administratif et centrés sur quelques
attendus à la structure immuable. La Cour de cassation
tranche une question de droit qui a vocation à structurer le
commentaire. Les arrêts soumis aux étudiants en droit
administratif sont souvent plus longs, et le juge ne statue
pas toujours en tant que juge de cassation ; il est aussi
souvent juge du fond, qu’il s’agisse d’une cour
administrative d’appel ou du Conseil d’État saisi en premier
et dernier ressort ou en référé. Il en résulte que la
recherche des points de droit ayant vocation à structurer le
commentaire est parfois malaisée et que les faits ne doivent
pas être négligés.
C – Le plan
L’élaboration du plan est déterminée par l’étape
précédente puisque le commentaire est structuré autour de
la ou des questions de droit soulevées par l’arrêt. Les
étudiants de L2 sont généralement invités à retenir un plan
en 2 parties et 2 sous-parties.
Pour les arrêts à multiples points de droit (second idéal
type), il est souvent conseillé de structurer le propos autour
des grandes catégories de moyens que le juge doit trancher
(compétence/fond, recevabilité/fond, légalité
externe/interne, responsabilité pour faute/sans faute).
Pour les arrêts à question unique, le plan s’articule
parfois autour de la distinction « principe/application à
l’espèce », mais elle n’est pas toujours opératoire. Il
convient alors d’aborder la question de droit dans ses
différentes dimensions. En tout état de cause, le plan
chronologique est vivement déconseillé (I/ avant l’arrêt, II/
l’arrêt) puisqu’il conduit à reporter le commentaire de
l’arrêt sur la seconde partie.
III/ Rédaction
A – Introduction
Elle comprend plusieurs temps.
• une phrase d’attaque (ou d’accroche) qui permet de
situer l’arrêt. Le lecteur doit savoir dans quel champ du
droit administratif vont se situer les développements à
suivre. Il est aussi possible d’opérer un lien entre la
décision sous commentaire, son champ et l’actualité. Si
nécessaire, l’attaque peut se déployer sur plusieurs phrases
;
• le rappel des faits et de la procédure : ils ont déjà été
identifiés à l’occasion de la fiche d’arrêt ;
• l’exposé de la ou des questions de droit que recèle la
décision. Il est déconseillé d’utiliser la forme interrogative
pour formuler lesdites questions ;
• l’exposé sommaire des réponses du juge à la ou aux
questions de droit retenues puis, par voie de conséquence,
de la solution qu’il donne au litige ;
• l’annonce de plan : elle n’est pas nécessairement très
développée puisque le plan a vocation à s’ordonner autour
des questions de droit évoquées précédemment.
B – Développements
Ils sont structurés à travers le plan. Le plan doit être
apparent dans la copie (titres et sous-titres soulignés par
ex.).
Des phrases doivent assurer la transition entre les
différentes subdivisions.
En principe, le commentaire d’arrêt ne comporte pas de
conclusion et, si c’est le cas, elle est courte.
Le cas pratique
I/ Généralités
Le cas pratique (parfois appelé « consultation juridique »)
consiste à proposer une réponse motivée en droit à une ou
plusieurs questions portant sur une série de faits exposés
de manière brute. Il est donc d’abord un exercice de
qualification juridique de situations, d’actes ou de faits.
Cette opération de qualification est centrale parce qu’elle
détermine à la fois la procédure (juge compétent, type de
recours) et le régime juridique applicable au fond de
l’affaire.
Exemple no 1 : dans un cas pratique mettant en cause un
contrat entre un particulier et une collectivité publique, la
qualification de la relation contractuelle (contrat
administratif ou non ; marché public, DSP ou autre)
influera sur la détermination du juge compétent pour
connaître du litige, du type de recours (référés, excès de
pouvoir, plein contentieux) ainsi que des règles de droit
applicables au fond du litige.
Exemple no 2 : dans un cas pratique mettant en cause un
accident consécutif au fonctionnement d’un établissement,
le recours juridictionnel et le droit applicable dépendent
largement de la qualification de l’établissement en cause
(personne publique ou non) et du service qu’il assume
(service public ou non ; SPIC ou SPA).
Il convient de ne pas se méprendre sur les finalités de
l’exercice. L’essentiel n’est pas de dire ce que sera la
solution du litige si l’affaire devait être soumise à un juge,
l’étudiant doit surtout exposer les voies de droit pertinentes
et définir le cadre juridique applicable au litige. Il n’est pas
toujours suffisamment armé pour « deviner » ce que sera la
solution au fond. Il appartient donc à l’étudiant de faire
part de ses intuitions sur la solution tout en sachant que
l’appréciation de son travail se concentrera surtout sur les
étapes qui lui ont permis d’en arriver là.
Le cas pratique ne saurait être le prétexte pour exposer
des connaissances sans lien avec l’affaire en utilisant cette
dernière comme une porte d’entrée sur un chapitre du
cours.
II/ Rédaction
Le contenu du cas pratique est en partie déterminé par sa
formulation. Deux types de cas pratique peuvent être
soumis aux étudiants :
• Le cas pratique « ouvert » : il se présente comme
l’exposé d’une série de faits et se conclut par une question
généralement formulée sous forme de consultation
juridique (« M. X vous demande ce qu’il peut faire »).
L’étudiant se doit d’aborder l’affaire dans toutes ses
dimensions. Il convient non seulement de s’interroger sur
le cadre juridique applicable, voire la solution qu’elle
appelle, mais aussi, et au préalable, sur la ou les voies de
droit qui permettront à la personne concernée d’obtenir
satisfaction.
• Le cas pratique « dirigé » : il repose lui aussi sur
l’exposé de faits, mais cet exposé est jalonné de questions
plus ou moins précises auxquels les étudiants sont invités à
répondre. Il appartient à l’étudiant de répondre aux
questions posées, ni plus ni moins.
En présence d’un cas pratique « ouvert », le devoir
comprend les éléments suivants :
• bref rappel des faits ;
• exposé des voies de droit ouvertes à la personne qui
consulte l’auteur. Il suppose souvent de procéder à des
qualifications des faits, actes ou situations en cause ne
serait-ce que pour identifier le juge compétent (cf. ex.
supra). Il est préférable de ne pas se limiter à des propos
superficiels sur la compétence ou le type de voies de
recours. La « mise en situation » suppose aussi de ne pas
se désintéresser de questions telles que les délais de
recours, les référés qui peuvent se greffer sur l’action
principale, la règle de la décision préalable en matière de
responsabilité, etc. ;
• la définition et l’exposé du régime juridique applicable à
l’affaire ; sa définition dépend en grande partie de l’analyse
et de la qualification juridique des éléments de l’affaire (cf.
ex. supra) ;
• l’application du régime juridique à l’affaire et la solution
du litige. L’étudiant ne doit pas surestimer l’importance de
cette étape. Le cours ne lui donne pas toujours les éléments
de connaissance suffisant pour avancer une solution
certaine, il sera alors plutôt « attendu » sur les deux étapes
qui précédent. Il se doit néanmoins de suggérer une
solution. Dans d’autres hypothèses, les connaissances
acquises en cours lui permettront d’aller plus loin. Exemple
: si le cas pratique met en cause une différence de
traitement entre des usagers d’un service public, on peut
imaginer que le cours de L2 lui fournira des connaissances
(jurisprudentielles) suffisantes pour envisager la solution
qui pourrait être celle d’un juge.
Les différents éléments qui composent le devoir n’ont pas
forcément vocation à être déclinés dans l’ordre indiqué ci-
dessus. En particulier, la formulation du cas pratique peut
justifier de reporter les développements sur les voies de
recours à la fin du propos. Par ailleurs, il est bienvenu de
faire ressortir les différentes étapes de la consultation en
formulant des titres lorsque sa longueur le justifie.
La dissertation juridique
La dissertation est un exercice d’analyse structurée et
critique d’un sujet formulé à partir de quelques mots ou
d’une phrase éventuellement sous la forme interrogative.
Elle est l’occasion de mobiliser les connaissances acquises
au soutien d’une réflexion et d’une démonstration. À
l’instar des autres exercices proposés aux étudiants, elle ne
saurait être un prétexte pour empiler les connaissances
acquises sans considération pour le sujet.
I/ Travail préparatoire
La première étape est la délimitation du sujet. Elle est
déterminante puisqu’une délimitation erronée mène tout
droit au hors sujet. À l’aide des connaissances acquises,
elle suppose de :
• définir les termes du sujet ;
• analyser la formulation du sujet : présence par exemple
de conjonctions de coordination, forme interrogative, etc. ;
• situer le sujet dans l’espace et dans le temps.
Dans un second temps, l’étudiant recense ses
connaissances en rapport avec le sujet. Le recensement a
vocation à être exhaustif, quitte par la suite à mettre de
côté certaines desdites connaissances. Il convient ensuite
d’analyser les connaissances afin de faire émerger des
connexions entre elles, de les classer, de dégager des
tendances. L’objectif est de dégager une problématique qui
structurera le sujet.
La troisième étape est consacrée à l’élaboration du
plan. Un plan en 2 parties et 2 sous-parties est souvent
imposé aux étudiants ; le plan en 3 parties est parfois
autorisé. Le plan découle naturellement de l’analyse des
connaissances réalisée auparavant. Il est aussi déterminé
par la formulation du sujet ; si elle est interrogative, le plan
doit permettre à l’étudiant de répondre à la question posée.
En tout état de cause, le plan « oui/non » est déconseillé
puisque l’étudiant est invité à prendre position. Si le sujet
repose sur la confrontation/comparaison de deux notions ou
de deux institutions juridiques (ex. « Contrat et recours
pour excès de pouvoir »), le plan ne doit pas conduire à
traiter successivement les deux termes du sujet (ex. : I/ Le
contrat, II/ Le recours pour excès de pouvoir). Pour le
reste, il existe plusieurs plans types auxquels l’étudiant
dépourvu d’idées peut recourir. Ils ne sont pas toujours
adaptés : « Principe/Exceptions », « Notion/Régime », «
Conditions/Effets », « Avantages/Inconvénients », «
Avant/Après », « Ressemblances/Différences ».
II/ Rédaction
A – Introduction
Elle comprend plusieurs temps :
• une phrase d’attaque (ou d’accroche) qui permet de
situer le champ dans lequel se situe la dissertation ; il peut
s’agir d’une citation ;
• la définition et l’analyse des termes du sujet ;
• la problématique que recèle le sujet ;
• l’annonce du plan qui structurera le devoir.
B – Développements
Ils sont structurés à travers le plan. Le plan doit être
apparent dans la copie (titres et sous-titres soulignés par
ex.).
Des phrases doivent assurer la transition entre les
différentes subdivisions.
En principe, la dissertation juridique ne comporte pas de
conclusion.
Sujets corrigés
〉Dissertation
Les sources du droit administratif
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan du corrigé
〉Corrigé
Il est de bon ton, lorsqu’on étudie toute branche du droit,
de s’intéresser à ses sources. Néanmoins, peu de
disciplines s’y intéressent autant que le droit administratif
puisque, avant même l’étude du contenu des règles de ce
dernier, la plupart des manuels consacrent à ses sources
des développements souvent substantiels. Il faut avouer
que cette étude n’est pas vaine, car les sources du droit
administratif possèdent une originalité certaine, qui
explique dans une certaine mesure la construction
historique et l’état actuel de la discipline.
Le droit administratif, c’est-à-dire la branche du droit
public gouvernant les rapports entre l’Administration et les
administrés, ou entre les administrations elles-mêmes,
possède évidemment des sources, c’est-à-dire des normes,
écrites ou non, dont le respect s’impose à ceux qui doivent
l’appliquer, et qui se présentent, comme dans les autres
branches du droit, comme un ensemble hiérarchisé. Ces
sources ne sont d’ailleurs pas toujours, d’un strict point de
vue formel, très différentes de celles des autres branches
du droit : on y trouve assez logiquement la loi et le
règlement, mais aussi, plus récemment, le « bloc de
constitutionnalité », les traités internationaux et le droit de
l’Union européenne. D’autres, en revanche, lui sont plus
spécifiques. Par ailleurs, même les sources manquant de
singularité formelle peuvent présenter une originalité
substantielle.
Ces deux observations résultent de l’histoire même du
droit administratif, qui en fait un droit dérogatoire par
rapport au « droit commun » représenté par le droit privé.
Le droit administratif est en effet apparu en conséquence
du principe de séparation des autorités administratives et
judiciaires consacré par la loi des 16 et 24 août 1790 et le
décret du 16 fructidor an III. Il n’en était pas une
conséquence nécessaire : rappelons que le principe de
séparation des autorités se bornait à priver le juge
judiciaire de toute compétence pour juger l’Administration,
du moins dans le cadre de ses activités administratives. Il
n’impliquait pas, ou du moins pas directement, la naissance
d’un juge administratif, et encore moins celle d’un droit
particulier applicable à l’Administration. Cependant, le juge
administratif, au cours de sa consécration progressive, a
cherché à forger son propre corps de règles juridiques pour
en imposer le respect à l’Administration dans le cadre du
contrôle de légalité qu’il mettait en place. C’est ainsi qu’est
née la légende d’un droit jurisprudentiel, exagérée sans
doute car il a toujours existé des sources écrites du droit
administratif, mais pour autant indéniable : les principes
généraux du droit dégagés par le juge administratif ont,
dès avant d’être qualifiés comme tels, constitué des sources
majeures du droit administratif. L’ensemble de ces sources
a permis de dégager les règles s’imposant à
l’Administration dans le cadre de son action, qu’il s’agisse
des règles de légalité externe – compétence, procédure,
forme – ou des règles de légalité interne relatives au
contenu, au but et aux motifs des actes administratifs. Le
juge administratif, qu’il dégage lui-même les sources ou
soit simplement chargé de veiller à leur respect par
l’Administration dans le cadre du contrôle de légalité, joue
un rôle capital : même lorsqu’il ne les dégage pas, c’est à
lui de procéder à l’articulation des différentes sources du
droit administratif. La hiérarchisation des sources du droit
administratif est donc assez largement l’œuvre du juge
administratif car, même lorsqu’elles précisent elles-mêmes
leurs valeurs respectives, c’est tout de même assez souvent
à leur garant potentiel de préciser dans quelle mesure il
s’estime compétent pour le faire.
Même si l’on fait abstraction de leur contenu – une telle
étude dépasserait l’objet du présent sujet, qui porte en
réalité sur leur nature et leur articulation entre elles –
l’étude des sources du droit administratif ne révèle pas
d’un panorama statique. Plusieurs sortes d’évolutions les
ont affectées au cours de la seconde moitié du XXe siècle et
au début du XXIe siècle : diversification des sources, qui
pose des problèmes accrus de structuration et de garantie
de la « pyramide des normes » s’imposant à
l’Administration, mais également accroissement, d’un
simple point de vue quantitatif, de la place de certaines
sources. La question des sources devient donc de plus en
plus complexe, ce qui explique sans doute la place de plus
en plus conséquente qu’elle occupe dans l’étude de la
matière. Il est donc tout à fait pertinent de s’interroger sur
l’état actuel des sources du droit administratif, et sur la
nature exacte des normes qui s’imposent aujourd’hui à
l’Administration.
Cette étude révèle la persistance des sources
traditionnelles du droit administratif (I), mais également le
développement de « nouvelles » sources (II) – même si leur
développement est de moins en moins récent.
A – Un droit administratif
traditionnellement partagé entre des
sources écrites et non écrites
Il serait exagéré de prétendre que le droit administratif
est un droit uniquement jurisprudentiel. Il a de tout temps
été régi également par des sources législatives et
réglementaires. La loi, en particulier, a toujours constitué
une source majeure du droit administratif. Il n’est besoin,
pour en attester, que de se référer à la manière dont la
doctrine désigne traditionnellement le contrôle de la
juridicité des actes administratifs par le juge administratif,
ainsi que certains éléments de ce contrôle : il est ainsi
désigné sous l’appellation de « contrôle de légalité », la
méconnaissance par un acte administratif d’une norme
supérieure à lui dans la hiérarchie des normes constitue
une « violation de la loi » et l’un des vices tenant aux motifs
de droit de l’acte, en l’occurrence le fait de le fonder sur
une norme inadéquate, est qualifié de « défaut de base
légale ». Le développement d’autres sources, sans doute
plus intéressantes d’un point de vue théorique, ne saurait
faire oublier que, dans l’immense majorité des cas, c’est au
regard de la loi que le juge administratif contrôle la
juridicité de l’acte administratif.
Ces sources législatives sont tout aussi traditionnellement
complétées et précisées par des sources réglementaires,
depuis que la Constitution de l’an VIII a institué un pouvoir
réglementaire d’application des lois. L’acte réglementaire
présente d’ailleurs cette particularité d’être à la fois source
et objet du droit administratif : adopté par des autorités
administratives, il est donc un acte administratif unilatéral
soumis au contrôle de légalité (CE 6 déc. 1907, Compagnie
des chemins de fer de l’Est), mais il s’impose également à
d’autres actes administratifs, notamment les actes non
réglementaires pris sur son fondement.
Cependant, les sources législatives et réglementaires du
droit administratif ont très tôt été complétées par des
sources jurisprudentielles, qualifiées à partir de 1944-1945
de principes généraux du droit (CE, sect., 5 mai 1944,
dame veuve Trompier-Gravier ; CE, ass., 26 oct. 1945,
Aramu).
En effet, le droit administratif n’était traditionnellement
pas codifié. Autant dire que le droit écrit était constitué de
textes épars, souvent techniques et comportant de vastes
lacunes : si le juge a pu s’inspirer de dispositions
législatives, voire réglementaires, ou encore des
stipulations de traités internationaux, pour dégager des
principes généraux du droit, c’est afin de donner aux
normes ainsi consacrées une portée plus large. De surcroît,
l’absence de valeur de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen en droit positif a conduit le juge administratif
à ériger en principes généraux du droit les droits et libertés
consacrés par ce texte. Ces principes généraux du droit,
comme leur nom l’indique, ont ainsi pu revêtir une portée
générale, dépassant le cadre des réglementations
spécifiques et comblant leurs lacunes.
Si la doctrine a pu se diviser sur la question de la place
des principes généraux du droit dans la hiérarchie des
normes, il existe au moins une certitude : leur valeur est
supra-réglementaire, puisqu’ils s’imposent aux plus élevés
des actes administratifs (CE, sect., 26 juin 1959, Syndicat
général des ingénieurs conseils). Pour le reste, il semble
que la thèse de R. Chapus, qui leur attribue une valeur
infra-législative, soit la plus conforme au droit positif, le
Conseil constitutionnel ayant proclamé que la loi peut
déroger à un principe général du droit (Cons. const. 26 juin
1969, no 69-55 L, Protection des sites). Néanmoins,
d’autres auteurs peuvent soutenir la thèse d’une valeur
variable des principes généraux du droit, selon la source
dont ils s’inspirent. Mais, on l’aura compris, la question de
la place des principes généraux du droit par rapport à la loi
est de peu d’intérêt dès lors que, en tout état de cause,
cette dernière prime devant le juge administratif.
Ce dernier a complété sa construction jurisprudentielle
en consacrant, dans le même ordre d’idées mais à un
niveau inférieur aux principes généraux du droit, des règles
générales de procédure de valeur simplement supplétive, et
s’inclinant devant tout texte contraire, même de valeur
réglementaire – souvent, comme leur nom l’indique, en
matière de procédure administrative contentieuse ou non-
contentieuse.
Si ces sources traditionnelles du droit administratif
subsistent, elles ont néanmoins connu une mutation
importante.
B – Une mutation des sources
traditionnelles du droit administratif
La première évolution des sources traditionnelles du droit
administratif concerne les principes et règles
jurisprudentiels, qui ont tendance à décliner.
L’explication de ce phénomène est double. Tout d’abord,
et comme on le verra, la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen s’est vue progressivement reconnaître, depuis
1958, une valeur en droit positif, au niveau constitutionnel :
cette reconnaissance frappe d’une relative inutilité les
principes généraux du droit qui s’inspirent de ses
dispositions et qui, bien que n’étant pas formellement
abandonnés, ne sont aujourd’hui plus guère utilisés, le juge
administratif préférant se référer à la norme écrite et du
niveau le plus élevé. Ensuite, le droit administratif est
engagé, depuis une trentaine d’années, dans un
mouvement d’écriture et, plus spécialement, de codification
: sans prétention à l’exhaustivité, ont ainsi pu être adoptés
un code général des collectivités territoriales, un code de
justice administrative, un code général de la propriété des
personnes publiques, un code des relations entre le public
et l’Administration ou encore un code de la commande
publique. Ces codes ne se contentent pas de compiler les
textes législatifs et réglementaires existants, ils codifient
également, au niveau législatif ou réglementaire, l’œuvre
jurisprudentielle du Conseil d’État. Or, là encore, dès lors
qu’un principe général du droit ou une règle générale de
procédure est consacré par écrit au niveau législatif ou
réglementaire, c’est la disposition de droit écrit qui est
utilisée par le juge.
Cela ne signifie certes pas que les principes et règles
jurisprudentiels ont disparu : tous n’ont pas été portés par
écrit ou ne disposent pas d’un équivalent constitutionnel.
Mais ils tendent de moins en moins à mériter leur
qualificatif de « généraux », tant ils deviennent précis et
sectoriels au fur et à mesure que les lacunes du droit écrit
se comblent.
Une seconde évolution concerne le développement des
sources réglementaires par rapport aux sources
législatives.
La Constitution de 1958 a en effet consacré, aux côtés du
pouvoir réglementaire d’application des lois, l’existence
d’un pouvoir réglementaire autonome : dans les matières
qui ne relèvent pas du domaine de la loi, limitativement
énuméré par la Constitution et notamment par son article
34, le pouvoir réglementaire peut désormais intervenir
directement, à la place de la loi (article 37 Constitution).
Même si les matières les plus importantes continuent à
relever du domaine de la loi, que cette dernière doive en
fixer les règles ou qu’elle se contente d’en déterminer les
principes les plus fondamentaux, un certain nombre de
matières se trouve désormais relever du domaine
réglementaire autonome, là où ce dernier était auparavant
limité à quelques domaines très spécifiques tels que
l’exercice du pouvoir de police administrative (CE 8 août
1919, Labonne) ou l’organisation des services publics (CE 4
mai 1906, Babin). Les sources réglementaires – car les
règlements autonomes ne se substituent à la loi que
matériellement, et n’ont bien qu’une valeur simplement
réglementaire (CE, sect., 26 juin 1959, Syndicat général
des ingénieurs conseils) – tendent ainsi à occuper une place
nettement plus importante parmi les sources du droit
administratif, même s’il ne faut point exagérer la portée du
phénomène : le fait majoritaire qui constitue la règle sous
la Ve République conduit volontiers le gouvernement à faire
adopter par voie législative des dispositions relevant
pourtant du domaine du règlement, de tels empiétements
n’étant pas constitutifs d’une inconstitutionnalité
sanctionnable par le Conseil constitutionnel (Cons. const.
30 juill. 1982, no 82-143 DC, Blocage des prix et des
revenus) et n’étant relevés que lorsque le gouvernement,
désireux de modifier, par souci de rapidité, les dispositions
en cause par voie réglementaire, les fait déclasser par le
Conseil constitutionnel au moyen de la procédure de
l’article 37 alinéa 2 de la Constitution.
La Constitution de 1958 a également consacré la
possibilité d’une législation déléguée, le gouvernement
pouvant, sur habilitation législative, adopter dans les
domaines relevant de la loi des ordonnances disposant
d’une valeur simplement réglementaire tant que le
législateur ne les aura pas ratifiées (art. 38 Constitution).
Ici toutefois, l’évolution est en réalité moins importante, le
texte constitutionnel se bornant à consacrer la pratique
antérieure des décrets-lois. De même, si le recours aux
ordonnances est assez fréquent en pratique, pour des
raisons de rapidité ou de technicité des matières en cause,
il n’apparaît pas qu’il soit notablement plus répandu que ne
l’était, sous les Républiques précédentes, le recours aux
décrets-lois.
Ainsi, même si les sources traditionnelles du droit
administratif subsistent, et continuent même à en
constituer la principale source, elles ont connu des
évolutions conséquentes. Ces dernières ne sont cependant
rien à côté du mouvement, de portée plus fondamentale,
qui a vu le développement de nouvelles sources du droit
administratif.
〉 Commentaire d’arrêt : TA
Besançon, 10 octobre 1996, Glory c/
Commune de Châtenois-les-Forges, no
960071
[…] Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’article 28 de
la loi susvisée du 13 juillet 1983 que le fonctionnaire « doit
se conformer aux instructions de son supérieur
hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est
manifestement illégal et de nature à compromettre
gravement un intérêt public » ;
Considérant, d’autre part, qu’il résulte du principe général
dont s’inspire l’article L. 231-8-1 du code du travail
qu’aucune sanction, aucune retenue de salaire, ne peut être
prise à l’encontre d’un salarié ou d’un agent public qui s’est
retiré d’une situation de travail dont il avait un motif
raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et
imminent pour sa vie ou pour sa santé ;
Considérant que M. Glory, agent technique qualifié de la
commune de Châtenois-les-Forges a refusé à deux reprises,
les 20 novembre et 6 décembre 1995, d’exécuter des
travaux prescrits par le maire ; que, pour ce double motif,
ce dernier lui a infligé, par décision du 7 décembre 1995, la
sanction d’exclusion temporaire des fonctions pour une
durée de trois jours ;
Considérant, en premier lieu, s’agissant de l’incident du 20
novembre 1995, que M. Glory justifie son refus d’accomplir
les travaux de nettoyage des regards d’égout par une
température extérieure inférieure à 8° et par le fait qu’il ne
disposait pas d’un blouson avec bandes réfléchissantes ;
que ces seuls éléments ne permettent pas d’identifier
l’existence d’un ordre manifestement illégal donné par le
maire, ou d’une situation présentant de manière flagrante
un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de
l’agent ; qu’ainsi, l’attitude de M. Glory pouvait à bon droit
être regardée comme fautive par le maire ;
Considérant, en second lieu, s’agissant de l’incident du 6
décembre 1995, qu’il ressort des pièces du dossier et
notamment du rapport d’inspection du conseiller technique
« hygiène, sécurité et conditions de travail » auprès du
centre départemental de gestion, que les travaux de mise
en place des illuminations de Noël confiés à M. Glory
devaient être accomplis selon des modalités ne permettant
pas de garantir sa sécurité ; qu’en effet, l’opération
consistant à fixer les illuminations à partir d’une échelle et
d’un godet de tracteur levé à quatre mètres du sol dans
lequel l’agent devait prendre place pouvait être regardée
comme présentant un danger grave et imminent pour sa vie
ou pour sa santé ; qu’ainsi, M. Glory était en droit de se
retirer d’une telle situation de travail et ne pouvait être
sanctionné pour cette attitude ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le maire
de Châtenois-les-Forges n’aurait pas retenu comme sanction
l’exclusion temporaire des fonctions s’il avait tenu compte
du seul incident du 20 novembre 1995 ; que, dès lors, M.
Glory est fondé à demander l’annulation de la décision en
date du 7 décembre 1995.
Le tribunal décide :
Article 1er : La décision du maire de Châtenois-les-Forges
en date du 7 décembre 1995 prononçant à l’encontre de M.
Patrick Glory une mesure d’exclusion temporaire des
fonctions pour une durée de trois jours est annulée […].
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan du corrigé
〉Corrigé
Ce jugement témoigne de l’importance du rôle joué, en
droit administratif, par les principes généraux du droit
(PGD). Celui dégagé en l’espèce par le tribunal
administratif de Besançon permet d’assurer à l’agent public
une protection équivalente à celle dont bénéficie, en vertu
du code du travail, le salarié du secteur privé.
M. Glory est agent public territorial, plus précisément
agent technique qualifié de la commune de Châtenois-les-
Forges. Il a refusé à deux reprises, les 20 novembre et 6
décembre 1995, d’exécuter des travaux prescrits par le
maire, son supérieur hiérarchique. Pour ce double motif, ce
dernier lui a infligé, par une décision du 7 décembre 1995,
la sanction d’exclusion temporaire des fonctions pour une
durée de trois jours.
M. Glory a alors saisi le tribunal administratif de
Besançon d’un recours pour excès de pouvoir. Par le
jugement qui fait l’objet du présent commentaire, le
tribunal lui a donné satisfaction en annulant la sanction.
La sanction infligée au requérant était motivée par les
deux refus qu’il avait successivement opposés au maire. Il
avait justifié ces refus par les dangers que présentaient
selon lui les missions que le maire lui avait demandé
d’exécuter. Autrement dit, il invoquait à son profit
l’existence d’un droit de retrait qui lui permettait de se
soustraire à l’obligation qu’il a normalement d’obéir aux
ordres de son supérieur hiérarchique. Ainsi, la présente
affaire posait deux questions. La première se situe au
niveau des principes : un agent public peut-il légalement
refuser d’accomplir une tâche qui lui est demandée par son
supérieur hiérarchique au motif qu’elle le placerait dans
une situation dangereuse ? La seconde découle de la
réponse positive donnée à la première : elle se situe au
niveau de l’application des principes aux faits de l’espèce et
consistait pour le tribunal à se demander si, en l’espèce, les
tâches demandées par le maire à M. Glory le plaçaient
effectivement dans une situation l’autorisant à refuser de
les accomplir.
C’est autour de ces deux questions que seront organisés
les développements qui suivent : on verra, d’abord, que le
tribunal a dégagé un nouveau PGD permettant à un agent
public de se retirer d’une situation de travail présentant un
danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé (I) ;
on s’intéressera, ensuite, à la manière dont le tribunal a
appliqué ce nouveau PGD aux faits de l’espèce (II).
〉Dissertation
Le critère organique dans la définition des actes
administratifs
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan du corrigé
〉Corrigé
Le droit administratif est souvent conçu comme le droit
applicable au fonctionnement de l’Administration et à ses
relations avec les personnes privées, selon une approche
qui met l’accent sur les acteurs, les organes. L’opposition
entre les institutions de la puissance publique et les
personnes privées fonde aussi largement la dichotomie
entre droit public et droit privé. On comprend dès lors le
rôle essentiel conféré en droit au critère organique.
Le critère organique constitue donc un élément, un
caractère, qui permet d’opérer des distinctions en prenant
en compte les organes ou auteurs impliqués. En droit, il est
courant d’attribuer un effet plus déterminant aux critères
qu’aux indices, qui doivent être réunis en faisceau pour
permettre une qualification, tandis qu’un critère, s’il est
satisfait, peut être à lui seul décisif. La caractérisation des
actes juridiques n’échappe pas au jeu des critères. Il nous
est demandé de réfléchir particulièrement au cas des actes
administratifs, ce qui revient à questionner leur nature –
administrative ou de droit privé. À défaut d’information
supplémentaire quant aux actes en question, nous
considérerons que le sujet porte sur les actes unilatéraux et
les actes contractuels.
Les enjeux de la détermination de l’administrativité des
actes juridiques sont loin d’être négligeables : en effet, il en
découle l’application d’un régime juridique souvent qualifié
d’« exorbitant du droit commun », régi par des règles et
principes de droit administratif. Il en résulte également,
lorsqu’un acte administratif unilatéral ou un contrat
administratif suscite un litige, la compétence du juge
administratif pour en connaître, tandis que les actes de
droit privé – y compris émanant de l’Administration –
relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire.
Or, la définition des actes administratifs unilatéraux et
des contrats administratifs n’est pas le fruit de données
physiques ou de calculs mathématiques. Elle résulte de la
jurisprudence et de textes législatifs, et conjugue dans une
part variable le critère organique avec des critères
matériels. Partant de ce constat, il paraît intéressant de
nous demander quelle est la place occupée par le critère
organique dans la définition des actes administratifs. La
présence d’une personne publique à l’origine d’un acte
unilatéral ou partie à un contrat suffit-elle à qualifier l’acte
d’administratif ? Ou bien faut-il lui adjoindre un ou des
critères matériels pour conclure à l’administrativité de
l’acte ? Peut-on rencontrer des actes reconnus comme
administratifs alors qu’aucune personne publique ne
semble en être l’auteur ? Curieusement, le droit positif
montre que toutes ces situations peuvent se présenter, ce
qui conduit à un tableau nuancé quant au rôle du critère
organique.
Ainsi, il est possible d’affirmer que la considération de
l’auteur de l’acte reste déterminante de sa nature
administrative ou privée (I), mais que le critère organique
est parfois insuffisant, voire négligé, dans l’identification
des actes administratifs (II).
I/ Un critère décisif de
l’administrativité des actes juridiques
Le critère organique est un critère d’un emploi
particulièrement simple, dans la mesure où il n’y a
généralement pas de doute quant à la nature publique ou
privée des personnes auteurs des actes, ce qui permet de
fonder des présomptions. Il semble aujourd’hui
particulièrement décisif en droit des contrats.
A – Un critère au fondement de
raisonnements présomptifs
L’existence d’une présomption rend superflu le travail de
qualification. C’est donc un raccourci particulièrement
utile, notamment pour le juge. Concernant la nature des
actes juridiques, il existe plusieurs présomptions fondées
sur le critère organique, ce qui révèle son rôle fondamental
dans la définition des actes administratifs.
Ainsi, en matière d’acte administratif unilatéral, il existe
une double présomption : les actes pris par des personnes
publiques sont présumés administratifs (CE 6 déc. 1907,
Cie des chemins de fer de l’est ; T. confl. 16 juin 1923,
Septfonds), les actes émanant de personnes privées sont
présumés de droit privé. Toutefois, ces présomptions sont
réfragables. Il peut advenir en effet qu’une personne
publique édicte un acte unilatéral de droit privé –
hypothèse rare – ou qu’une personne privée soit l’auteur
d’une décision administrative – hypothèse plus courante.
En matière de contrat, il existe une règle selon laquelle
un contrat passé entre deux personnes publiques est
présumé administratif (T. confl. 21 mars 1983, Union des
Assurances de Paris). L’arrêt réserve toutefois le cas où le
contrat ne fait naître entre les parties que des rapports de
droit privé, ce qui conduit à l’identification d’un contrat de
droit privé (par ex. CE 11 mai 1990, Bureau d’aide sociale
de Blénod-lès-Pont-à-Mousson, à propos d’un bail locatif
conclu entre deux établissements publics). La prise en
compte de l’objet du contrat indépendamment de la nature
des parties ouvre donc des exceptions au principe. Comme
pour les actes unilatéraux, nous sommes en présence d’une
présomption simple, ce qui permet d’envisager des
hypothèses d’infléchissement du critère organique.
Néanmoins, celui-ci connaît un notable regain de vigueur
dans le domaine des contrats.
B – La suppléance du critère
organique par d’autres conditions
Dans certains cas de figure, l’administrativité de l’acte
semble déconnectée du critère organique, auquel le juge
substitue d’autres conditions.
Pour l’acte administratif unilatéral, il est admis par la
jurisprudence qu’une personne privée peut-être à l’origine
d’une décision administrative lorsque l’acte est pris pour
les besoins du service public géré par la personne privée
(CE 31 juill. 1942, Monpeurt ; CE 2 avr. 1943, Bouguen ; T.
confl. 15 janv. 1968, Air France c/ Épx Barbier), ou lorsque
l’acte traduit l’exercice de prérogatives de puissance
publique en dehors de toute mission de service public (CE 6
déc. 1961, Sté des huileries métropolitaines moyennes et
artisanales ; T. confl. 7 juill. 1978, Min. qualité de la vie c/
Vauxmoret). Le juge peut aussi qualifier l’acte par la
combinaison des deux critères, service public et puissance
publique (CE 13 janv. 1961, Magnier ; CE 22 nov. 1974,
FIFAS). On notera toutefois que derrière la création du
service public, comme à l’origine de l’attribution des
prérogatives de puissance publique, il y a toujours une
personne publique (sauf rares exceptions pour l’initiative
privée du service public). Donc la dimension organique
reste présente, de manière implicite.
Pour l’acte contractuel, la jurisprudence admet qu’un
contrat peut être de nature administrative alors qu’aucune
personne publique n’est partie au contrat, soit en raison de
l’existence d’un mandat exprès (une personne privée agit
au nom et pour le compte d’une personne publique), soit
parce que le juge identifie dans les clauses du contrat ou le
cahier des charges du cocontractant, un mandat implicite :
dans ce cas, la partie privée a agi pour le compte d’une
personne publique (T. confl. 30 mai 1975, Sté d’équipement
de la région montpelliéraine ; T. confl. 18 déc. 2010, Sté
Green Yellow). Les indices du mandat implicite peuvent
résider par exemple dans l’existence d’un contrôle de
l’Administration sur l’exécution du contrat, ou un
financement par des subventions publiques. Nous
apercevons là encore que, derrière l’une des parties
privées au contrat, se cache une personne publique. Dès
lors, le critère organique n’est écarté qu’en apparence.
Au terme de cette étude, il paraît possible de conclure
que la définition des actes administratifs, unilatéraux et
contractuels, demeure étroitement liée au critère
organique. Si la prise en compte de l’intervention d’une
personne publique n’a jamais réellement disparu, elle a vu
son importance réaffirmée récemment en droit des
contrats. Le recours au critère organique présente en effet
un atout majeur : celui de la simplicité.
Les actes de
l’Administration
Thème principal
Acte administratif
Mots-clés
Acte administratif unilatéral, Ordonnance, Contrat
administratif, Juridiction administrative
Sujet proposé et corrigé établi par
Arnaud Sée, Professeur, Université Paris Nanterre
Second semestre 2020-2021
〉Cas pratique
Nota : les faits contenus dans ces exercices sont
totalement fictifs.
1. La loi du 23 mars 2020 a habilité le gouvernement,
pendant trois mois, à édicter des dispositions relevant du
domaine de la loi afin de lutter contre l’épidémie de la
covid-19. L’ordonnance no 2020-305 du 25 mars 2020,
portant adaptation des règles applicables devant les
juridictions de l’ordre administratif, a été édictée sur ce
fondement. L’ordonnance prévoit des dérogations au
principe de publicité des audiences en disposant que « le
président de la formation de jugement peut décider que
l’audience aura lieu hors la présence du public ou que le
nombre de personnes admises à l’audience sera limité ».
L’ordonnance prévoit en outre que les audiences pourront
se tenir dans d’autres lieux que les salles d’audience des
juridictions. Un projet de loi de ratification de cette
ordonnance a été déposé à l’Assemblée nationale le 13 mai
2020, mais ce texte n’a pas été adopté par le Parlement.
Devant l’urgence, le Conseil d’État n’a pas pu être consulté.
Le syndicat de la juridiction administrative est étonné de
ces dispositions. Il vous rappelle que si le législateur est seul
compétent pour fixer les règles fixant les garanties
fondamentales des citoyens à l’occasion du procès (art. 34
de la Constitution), le pouvoir réglementaire, pour sa part,
demeure compétent pour déterminer les règles de
procédure applicables aux juridictions.
Le syndicat considère que l’ordonnance contrevient tant au
droit au procès équitable garanti par l’art. 6 CEDH, qu’au
principe constitutionnel de publicité des audiences qui
résulte de l’art. 16 DDH. Il a demandé son abrogation aux
autorités compétentes le 12 janvier 2021, mais n’a obtenu à
ce jour aucune réponse.
Vous lui indiquerez comment et devant quelle(s)
juridiction(s) contester l’ordonnance et la décision refusant
de l’abroger, les moyens invocables et ce que pourrait être
la décision du juge.
2. M. Klug est persécuté dans son pays d’origine, la
Syldavie, en raison de ses opinions politiques. Il conteste
depuis plusieurs années le régime monarchique en place, et
a subi plusieurs interpellations et emprisonnements
injustifiés. La Syldavie ne garantit en effet pas la libre
expression des pensées, ce qui a d’ailleurs motivé à
plusieurs reprises son refus d’intégration au Conseil de
l’Europe et à l’Union européenne. Face à ces difficultés, M.
Klug s’est rendu en France et a formé une demande d’asile
devant l’Office français de protection des réfugiés et
apatrides (OFPRA) en juin 2020.
L’OFPRA a rejeté la demande d’asile de M. Klug le 30 mars
2021. L’Office a appliqué la convention franco-syldave du 11
mars 1957, qui stipule, dans son article 5, que les citoyens
syldaves sont exclus de toute protection de la part de l’État
français, alors que, réciproquement, les citoyens français ne
pourront demander l’asile à la Syldavie. Cette convention a
été régulièrement ratifiée par la France dès 1958.
M. Klug entend contester la décision de l’OFPRA devant la
Cour nationale du droit d’asile (CNDA), juridiction
administrative spécialisée compétente dans cette matière. Il
considère que la décision de l’OFPRA est contraire à la
convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés,
qui permet la protection de toute personne craignant avec
raison d’être persécutée du fait de ses opinions politiques,
sans pouvoir bénéficier de la protection de ce pays. La
décision lui semble en outre contredire l’al. 4 du préambule
de la Constitution de 1946, qui dispose que « tout homme
persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a
droit d’asile sur les territoires de la République ». Il est
d’autant plus choqué que l’un de ses amis français a obtenu
pour sa part l’asile en Syldavie il y a quelques mois.
Que pensez-vous de ces arguments et de l’issue probable
de son recours ?
3. La société Love s’est vu confier par la commune de
Saint-Amour la gestion de la médiathèque municipale, par
un contrat d’occupation du domaine public conclu en 2019.
Hélas, la crise de la covid-19 a quelque peu compliqué ses
activités. La fermeture des établissements ouverts au public
entre mars et juillet 2020 a fortement réduit sa
fréquentation. La commune a dans un premier temps
souhaité que la société Love continue à exécuter la
convention malgré la pandémie. Mais la société Love a
préféré qu’il soit mis fin au contrat. Elle a donc décidé
volontairement de ne pas s’exécuter, et la commune a
prononcé la résiliation unilatérale du contrat pour faute le
13 avril 2021.
La société Love est aujourd’hui préoccupée par cette
décision, qui a des conséquences financières bien plus
lourdes que ce qu’elle imaginait. La société souhaite
aujourd’hui contester la sanction prononcée par la
commune. Elle considère qu’elle a simplement commis une
erreur d’appréciation concernant la convention et, ayant
appris que l’erreur était désormais permise en droit
administratif, estime que la résiliation n’était finalement pas
justifiée. De la même façon, M. Lecter, usager régulier de la
médiathèque, souhaite demander au juge (mais lequel ?)
l’annulation de la décision de résiliation. Vous les
conseillerez sur les voies de droit à mettre en œuvre.
〉Préparation
Analyse du sujet
〉Corrigé
Exercice 1 (8 points)
L’ordonnance litigieuse a été adoptée sur le fondement de
la loi d’habilitation du 23 mars 2020. Un projet de loi de
ratification de cette ordonnance a été déposé à l’Assemblée
nationale le 13 mai 2020, mais ce texte n’a pas été adopté
par le Parlement, et le Conseil d’État n’a pas pu être
consulté. Le syndicat de la juridiction administrative
souhaite faire annuler ces dispositions par une juridiction.
Avant d’envisager les recours possibles (2), il convient au
préalable de déterminer la nature juridique de
l’ordonnance (1).
1 • La nature juridique de l’ordonnance
Se pose en premier lieu la question de la nature juridique
de l’ordonnance. Le délai d’habilitation ayant expiré, les
dispositions relevant du domaine de la loi de l’ordonnance
doivent être considérées comme étant de valeur législative
(Cons. const. 28 mai 2020, QPC, Force 5).
En l’espèce, certaines dispositions de l’ordonnance
portent sur les garanties fondamentales du procès
(publicité des débats) et relèvent donc du domaine de la loi
; elles ont par conséquent une valeur législative. Les autres
dispositions, qui portent sur l’organisation de la justice
administrative, conservent une valeur réglementaire.
2 • Les recours envisageables
La valeur législative de certaines dispositions de
l’ordonnance litigieuse n’empêche toutefois pas la
formation d’un recours devant le juge administratif (CE,
ass., 16 déc. 2020, CFDT), et précisément le Conseil d’État
(CJA, art. R. 311-1). Ceci étant, le délai de recours est ici
largement expiré. Le syndicat requérant pourra toutefois
contester le refus d’abrogation de l’ordonnance (décision
implicite née le 13 mars 2021), recours à l’occasion duquel
le juge s’interrogera sur la légalité de l’ordonnance.
La question de l’examen au fond des ordonnances impose
de distinguer les dispositions de l’ordonnance ayant valeur
législative, de celles ayant simplement valeur
réglementaire.
Concernant les dispositions de l’ordonnance ayant valeur
législative, seule une question prioritaire de
constitutionnalité est envisageable pour invoquer le moyen
tiré de leur contrariété aux droits et libertés garantis par la
Constitution. C’est le cas du moyen tiré de la contrariété de
l’ordonnance à l’art. 16 DDH. Mais la QPC n’empêche pas
le juge administratif d’annuler l’ordonnance pour d’autres
motifs. Il pourrait notamment annuler l’ordonnance pour
inconventionnalité, en raison de sa contrariété à l’art. 6
CEDH.
Concernant les dispositions de l’ordonnance ayant valeur
réglementaire, plusieurs moyens pourraient conduire le
juge à les censurer. D’abord, le Conseil d’État n’ayant pas
été consulté, l’ordonnance est en principe entachée
d’incompétence, et ce moyen est d’ordre public (CE, ass.,
1978, SCI Bd Arago). Ensuite, le juge devrait examiner le
moyen tiré de l’inconventionnalité de l’ordonnance. En
revanche, les vices de forme et de procédure ne seront pas
examinés dans le cadre d’un contentieux de l’exception
d’illégalité d’un acte réglementaire (CE, ass., 18 mai 2018,
CFDT).
Exercice 2 (7 points)
M. Klug souhaite contester devant la Cour nationale du
droit d’asile (CNDA) la décision de l’OFPRA ayant rejeté sa
demande d’asile. Cette décision est fondée sur une
convention franco-syldave excluant toute protection en
France au bénéfice des ressortissants syldaves.
Afin d’examiner la légalité de cette décision, il convient
en premier lieu de vérifier si la convention internationale
fondant la décision de l’OFPRA était bien applicable au
litige (1). Il est nécessaire ensuite d’examiner la pertinence
des moyens que le requérant entend soulever (2).
1 • L’applicabilité de la convention franco-
syldave
La décision de l’OFPRA étant fondée sur une convention
internationale, il était nécessaire de se demander si cette
dernière était bien applicable au litige. À ce titre, les
stipulations d’une convention internationale sont
applicables si le traité a été régulièrement ratifié, et s’il est
appliqué réciproquement par l’ensemble des parties. La
régularité de la ratification ne pose pas de difficulté en
l’espèce. En revanche, la condition de réciprocité, que le
juge peut examiner lui-même (CE, ass., 9 juill. 2010,
Cheriet Benseghir), n’est pas remplie puisqu’un
ressortissant syldave a obtenu l’asile en France.
La convention n’étant pas applicable au litige, elle sera
écartée par le juge en cas de recours du requérant. La
décision OFPRA, fondée sur cette convention, sera donc
remise en cause par la juridiction administrative
spécialisée en cas de recours.
2 • Les autres moyens soulevés par le
requérant
Le requérant entend tout d’abord invoquer le moyen tiré
de la contrariété de la décision de l’OFPRA à la convention
du 28 juillet 1951. Ce moyen pourra être examiné par la
juridiction administrative, qui effectue un contrôle de
conventionnalité des actes administratifs (CE, ass., 30 mai
1952, Kirkwood). Mais si le juge décidait de l’applicabilité
de la convention (ce qui semble ici improbable), il devrait
toutefois s’interroger sur la conciliation entre les deux
conventions internationales (CE, ass., 23 déc. 2011,
Kandyrine).
Le requérant entend ensuite soulever le moyen tiré de la
contrariété de la décision OFPRA à l’al. 4 du préambule de
la Constitution de 1946. Les dispositions du préambule ont
en effet valeur constitutionnelle (not. CE, ass., 12 févr.
1960, Eky). Ce moyen ne pourra toutefois pas être examiné
par la juridiction administrative. La décision administrative
litigieuse étant fondée sur un traité, l’examen du moyen
conduirait le juge à confronter le traité à la norme
constitutionnelle, ce qu’il ne saurait faire en raison de la
compétence exclusive du Conseil constitutionnel en la
matière (CE, ass., 9 juill. 2010, Fédération de la libre
pensée). En revanche, si le juge décidait d’écarter le traité
du fait de son inapplicabilité, il pourrait confronter la
décision administrative à la norme constitutionnelle.
Exercice 3 (5 points)
La société Love a refusé volontairement d’exécuter la
convention qui la liait à la commune de Saint-Amour, et
cette dernière a prononcé la résiliation unilatérale pour
faute du contrat le 13 avril 2021.
L’énoncé de l’exercice évoque une convention
d’occupation domaniale, contrat administratif par
détermination de la loi (CGPPP, art. L. 2331-1). L’objet du
contrat portant essentiellement sur la gestion de la
médiathèque, il aurait été possible de discuter d’une
éventuelle requalification de la convention en contrat de la
commande publique. Toutefois, les éléments étaient
insuffisants dans le cas pratique pour se prononcer sur ce
point, et, surtout, la question n’était pas posée.
Les interrogations portaient ici sur les recours du
cocontractant et d’un tiers au contrat contre la décision de
résiliation unilatérale de la puissance publique.
La société cocontractante pourra former une action en
contestation de la validité de la mesure de résiliation
devant le juge du plein contentieux (CE, ass., 2011, Béziers
II). Ce recours semble cependant voué à être rejeté au
fond. La société invoque le droit à l’erreur de l’art. L. 123-2
CRPA ; or, cette disposition n’est pas applicable aux
sanctions prononcées en matière contractuelle (même
disposition, al. 3).
Le tiers au contrat, pour sa part, pourra saisir le juge de
l’excès de pouvoir d’une mesure d’exécution du contrat qui
doit être analysée comme un acte détachable postérieur à
la conclusion du contrat. Il convient de rappeler que le
recours « Tarn et Garonne » de 2014 (CE, ass., 4 avr. 2014)
n’a fermé le recours en excès de pouvoir des tiers que
contre les actes détachables antérieurs au contrat, ce qui
permet toujours aux tiers de contester les actes
détachables postérieurs devant le juge de l’annulation (CE
23 déc. 2016, Assoc. Études et consommation CFDT du
Languedoc-Roussillon). Il est à noter que le recours «
France Manche » (CE, sect., 30 juin 2017, Sté France
Manche), qui ne concerne que la contestation des refus de
résiliation, n’est pas envisageable ici.
Les actes de
l’Administration
Thème principal
Acte administratif unilatéral
Mots-clés
Acte administratif unilatéral, Service public administratif,
Recours pour excès de pouvoir, Contrôle juridictionnel
Sujet proposé et corrigé établi par
Marguerite Canedo-Paris, Professeure, Université de Poitiers
Second semestre 2020-2021
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan du corrigé
〉Corrigé
Le droit administratif se niche parfois là où on ne l’attend
pas et si la discipline est souvent mal-aimée – voire
redoutée ! – des étudiants, qui la considèrent trop
technique ou trop abstraite, c’est sans doute faute de
savoir toujours la débusquer dans leur vie de tous les jours.
L’arrêt à commenter en témoigne et aura enseigné aux
amateurs de compétitions et autres manifestations canines
qu’en y participant, ils sont assujettis au droit administratif,
lequel peut également, le cas échéant, les protéger contre
des sanctions dont ils pourraient faire l’objet à cette
occasion.
Lors d’un concours canin en ring organisé le 11 février
2007 dans une commune du Val d’Oise, M. Beyer,
éducateur canin, avait eu avec une autre personne une
altercation verbale suffisamment grave pour nécessiter
l’intervention de tiers afin de pouvoir y mettre un terme.
L’association « Société canine d’Île de France » prononça
alors, par une décision en date du 16 mai 2007, l’exclusion
de M. Beyer, pendant une durée de sept ans, de toute
manifestation organisée par elle ou par l’une de ses
associations affiliées. La sanction fut confirmée et étendue
à tout le territoire national par une décision de l’association
« Société centrale canine » (SCC) en date du 10 juillet
2007.
Sur requête de M. Beyer, ces deux décisions furent
annulées par le tribunal administratif d’Amiens par un
jugement du 15 décembre 2009.
Saisie en appel contre ce jugement par la SCC, la Cour
administrative d’appel (CAA) de Douai devait donc à son
tour se prononcer sur la légalité de la sanction attaquée
par M. Beyer. Néanmoins, et au préalable, il lui fallait
s’assurer de sa compétence pour trancher ce litige puisque
celle-ci était contestée par la SCC et la « Société canine
d’Île de France ».
Par un arrêt du 10 novembre 2010, qu’il s’agit ici de
commenter, les juges douaisiens confirmèrent tout à la fois
la compétence de la juridiction administrative pour se
prononcer sur le fond du litige et l’illégalité de la sanction
prononcée par la SCC dans sa décision du 10 juillet 2007.
En revanche, ils rejetèrent les conclusions dirigées contre
la décision du 16 mai 2007 prise par la « Société canine
d’Île de France », conformément à une jurisprudence
éprouvée selon laquelle lorsqu’une décision administrative
est soumise à une procédure de recours administratif
préalable obligatoire, la décision arrêtée à l’issue du
recours administratif se substitue entièrement à celle qui a
fait l’objet du recours et devient seule contestable devant le
juge par la voie du recours pour excès de pouvoir (CE,
sect., 18 nov. 2005, M. Houlbreque). Or, la CAA de Douai a
considéré que les articles 30 et 34 du règlement intérieur
de la SCC avaient instauré une telle procédure en imposant
l’exercice d’un recours administratif devant l’instance
disciplinaire de cette association préalablement à tout
recours contentieux à l’encontre des sanctions prises
notamment par les sociétés régionales. Se prononçant donc
exclusivement sur la décision du 10 juillet 2007, la Cour
conclut à son illégalité, faisant à nouveau droit, sur ce
point, à la demande de M. Beyer.
Cet arrêt est l’occasion pour les juges d’appel de
confirmer plusieurs jurisprudences administratives
classiques relatives d’une part à la qualification des
activités prises en charge et des décisions adoptées par les
personnes morales de droit privé ; d’autre part à
l’appréciation de l’adéquation des sanctions administratives
infligées au comportement qu’il s’agit de réprimer.
Il présente néanmoins l’intérêt d’illustrer l’utilisation que
fait le juge, dans un domaine un peu particulier, celui des
compétitions canines, des critères lui permettant d’abord
d’admettre la recevabilité d’un recours en annulation
contre une sanction édictée par une personne morale de
droit privé (I), ensuite de conclure à son caractère
manifestement disproportionné, et cela dans un contexte de
renforcement du contrôle de la juridiction administrative
sur le choix des sanctions (II).
I/ La recevabilité de la requête
dirigée contre une sanction prise par
une personne morale de droit privé
Si la requérante contestait en l’espèce la compétence de
la juridiction administrative pour statuer sur le litige, c’est
sans doute parce que la SCC ayant le statut d’association et
étant donc une personne morale de droit privé, la décision
prononcée le 10 juillet 2007 aurait dû, par application du
critère organique, être considérée comme un acte de droit
privé échappant à la compétence du juge administratif.
Néanmoins, le critère organique n’est pas absolu en la
matière et la jurisprudence reconnaît depuis longtemps que
les personnes privées assurant la gestion d’un service
public peuvent, sous certaines conditions, édicter des actes
administratifs. C’est ce que rappelle ici la CAA de Douai en
confirmant que la sanction contestée par M. Beyer est bien
une décision administrative (B), après avoir affirmé que la
SCC assure une mission de service public administratif (A).
〉Dissertation
En quoi l’acte administratif unilatéral est-il l’expression
de la puissance publique ?
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan du corrigé
〉Corrigé
Se demander en quoi l’acte administratif unilatéral est
l’expression de la puissance publique revient à examiner
comment le premier traduit l’autorité administrative et,
inversement, comment la seconde se matérialise dans
l’action unilatérale. L’acte administratif unilatéral est une
manifestation de volonté d’une personne juridique, souvent
publique, parfois privée, qui tend à produire des effets
juridiques destinés à créer des droits ou des obligations en
direction de destinataires dont il n’est pas besoin de
recueillir le consentement préalable, dans
l’accomplissement d’une fonction administrative. Cet acte
se distingue radicalement des autres actes juridiques :
privés, législatifs, gouvernementaux ou juridictionnels.
Quant à la puissance publique, elle est le moyen par
excellence dont dispose l’Administration – qui assure les
fonctions exécutives de l’État – d’atteindre les fins que ce
dernier se fixe de servir l’intérêt général. La puissance
publique traduit donc la souveraineté de l’État sur le plan
administratif.
L’acte administratif unilatéral se définit grâce à plusieurs
critères : critère organique d’abord, qui exige qu’une
personne publique en soit à l’origine, directement ou
indirectement ; critère formel ensuite, qui isole les formes
et les procédures qui encadrent ordinairement son
élaboration ; critère matériel, qui mêle subtilement le
critère des fins, l’acte devant être édicté dans le cadre
d’une mission de service public ; et le critère des moyens,
dès lors qu’il traduit l’exercice d’une prérogative de
puissance publique (v. notamment : CE, ass., 31 juill. 1942,
Monpeurt, Rec. 239, D. 1942. 138, concl. A. Ségalat, note
P.C. ; CE 30 déc. 2013, SIEMP de la ville de Paris, Rec. 340
; AJDA 2014. 2189, note D. Costa). Ainsi se vérifie le lien
entre l’acte administratif unilatéral et la puissance
publique.
La puissance publique est, en effet, l’un des critères
d’identification des actes administratifs unilatéraux et, au-
delà, du droit administratif, lequel se fond, peu ou prou et
depuis l’an VIII, dans le droit soumis au contrôle du juge
administratif. Ainsi, dans sa décision du 23 janvier 1987, le
Conseil constitutionnel a défini la sphère de compétence
des juridictions administratives de façon à englober tous
les recours en « annulation et [en] réformation [à
l’encontre] des décisions prises, dans l’exercice des
prérogatives de puissance publique, par les autorités
exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités
territoriales de la République ou les organismes publics
placés sous leur autorité ou leur contrôle » (Cons. const. 23
janv. 1987, no 86-224 DC, Loi transférant à la juridiction
judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la
concurrence, Rec. 8 ; AJDA 1987. 345, note J. Chevallier ;
RFDA 1987. 287, note B. Genevois ; RD publ. 1987.1341,
note Y. Gaudemet).
Derechef, apparaît le lien entre l’acte administratif
unilatéral et la puissance publique dès lors que la catégorie
des actes administratifs unilatéraux recouvre celle des
décisions, ainsi qu’en témoigne, notamment, l’article L.
200-1 du code des relations entre le public et
l’Administration : « […] on entend par actes les actes
administratifs unilatéraux décisoires et non décisoires ».
Pour autant, la notion d’acte administratif unilatéral
s’efface progressivement devant de nouvelles expressions
de la normativité administrative, que caractérise la
souplesse, de telle sorte qu’elle s’écarte de la puissance
publique, laquelle, en retour, trouve d’autres voies
d’expression que l’acte administratif unilatéral, dans une
société globalisée où il est nécessaire de convaincre les
citoyens plutôt que de les contraindre, de les persuader
plus que de les obliger, de collaborer avec eux davantage
que de les assujettir.
Incarnation traditionnelle de la puissance publique, l’acte
administratif unilatéral en est la première des prérogatives
(I) mais tend progressivement à s’en éloigner au point que
la puissance publique s’exprime dorénavant autrement que
par l’acte administratif unilatéral (II).
A – L’unilatéralité de la puissance
publique
L’acte administratif unilatéral est la manifestation de la
volonté univoque d’une personne investie d’une fonction
administrative, qui, par ce biais, peut imposer des
obligations ou créer des droits au profit des administrés,
lesquels n’ont pas à consentir préalablement à cet acte. Si,
la plupart du temps, la personne qui édicte un acte
administratif unilatéral est une personne publique, cela
peut être une personne privée à qui la première aura
délégué la possibilité d’édicter des actes administratifs. Du
reste, si une personne privée, telle une fédération sportive,
est associée à l’action administrative car investie d’une
mission de service public, les décisions qu’elle prend ne
sont qualifiées par le juge administratif d’actes
administratifs unilatéraux qu’à la condition de « procéd[er]
de l’exercice d’une prérogative de puissance publique »
(CE 19 déc. 1988, Mme Pascau, Rec. 459, GP 1989. 2. 589,
concl. C. Vigouroux ; AJDA 1989. 271, note J. Moreau), ce
qui confirme, a contrario, que l’unilatéralité de l’acte
administratif est bien l’expression de la puissance publique.
En outre, il existe plusieurs catégories d’actes
administratifs unilatéraux. La première renvoie
précisément au pouvoir de commandement des personnes
publiques, en tant qu’attribut du pouvoir administratif en
ce qu’elle permet de réglementer, de manière générale et
impersonnelle, des situations et des comportements. L’acte
administratif réglementaire est incontestablement une
prérogative de puissance publique de premier rang. Du
reste, nul n’a droit au maintien d’un acte réglementaire car,
précisément, l’Administration doit toujours pouvoir abroger
ou modifier les règles générales et abstraites qu’elle a
édictées, pour tout motif et sans condition de délai (CE 25
juin 1954, Synd. nat. de la meunerie à seigle, Rec. 379 ; D.
1955. 49, concl. J. Donnedieu de Vabres ; sur l’abrogation,
art. L. 243-1 du code des relations entre le public et
l’Administration).
À côté des actes administratifs unilatéraux
réglementaires, les actes administratifs individuels forment
une catégorie distincte qui se singularise par sa portée non
plus générale mais particulière : les actes administratifs
individuels régissent des situations déterminées, dont les
destinataires sont susceptibles d’être identifiés. Se
subdivisent alors les actes individuels qui créent des droits
au profit de leurs destinataires de ceux qui n’en créent pas
: cette distinction a des répercussions sur le régime
juridique applicable aux différents actes, mais ne remet pas
en cause le fait que tous les actes individuels, comme les
actes réglementaires, traduisent la volonté d’une personne
investie de la puissance administrative, de manière
unilatérale. Une troisième catégorie existe bien, à mi-
chemin des actes réglementaires et des actes individuels,
mais elle traduit, comme ceux-ci, la même puissance
publique.
Pour autant, tous ces actes administratifs unilatéraux,
bien qu’exprimant la puissance publique, ne peuvent être
exécutés d’office par leur auteur, ni de manière forcée : si
leurs destinataires ne les exécutent pas, la personne qui les
a édictés devra s’adresser au juge, sauf s’il applique la loi
ou en cas d’urgence (T. confl. 2 déc. 1902, Sté immob. de
Saint-Just, Rec. 713, S. 1904. 3.17, concl., note M.
Hauriou). Du reste, tout acte administratif unilatéral, peut
faire l’objet d’une contestation juridictionnelle en
application du principe de légalité (CE, sect., 17 févr. 1950,
Min. agriculture c/ Dame Lamotte, Rec. 110, RD publ.
1951. 478, concl. J. Delvolvé, note M. Waline ; v. art. L. 100-
2 du code des relations entre le public et l’Administration).
En somme, l’expression unilatérale de la volonté de
l’Administration se traduit par des actes administratifs
porteurs de sa puissance exécutive qui doivent néanmoins
respecter la légalité ; ils sont par ailleurs exorbitants du
droit commun.
B – L’exorbitance de l’action
administrative
Les actes administratifs unilatéraux expriment la
puissance du pouvoir administratif dans la mesure où ils
obéissent à un régime différent de celui qui régit les autres
actes juridiques, régime ainsi qualifié d’exorbitant du droit
commun, dans le sens d’un droit applicable aux relations
juridiques que nouent entre elles les personnes privées.
Distincts des actes privés mais aussi des actes non
administratifs des personnes publiques, comme les actes de
gouvernement, qui se rattachent à la fonction politique des
autorités de l’État et non à leur fonction administrative (CE
9 sept. 2020, req. no 439520 ; AJDA 2020. 2373, concl. A.
Lallet), les actes administratifs unilatéraux expriment leur
exorbitance de plusieurs manières.
Déjà, l’exorbitance s’illustre tout particulièrement dans le
« privilège du préalable » des actes administratifs
unilatéraux, expression désuète qui signifie que la
personne en charge de l’autorité administrative peut
édicter un acte qui est exécutoire par lui-même, sans
qu’elle doive, pour ce faire, s’adresser au préalable au juge
administratif. Au demeurant, le Conseil d’État considère
solennellement que le « caractère [exécutoire] est la règle
fondamentale du droit public » (CE, ass., 2 juill. 1982,
Huglo, Rec. 257 ; AJDA 1982. 657, concl. J. Biancarelli, note
O. Dugrip). Mais ce privilège est tout autant une sujétion
pour la personne qui en jouit puisqu’elle ne peut pas
s’adresser au juge pour exercer le pouvoir administratif à
sa place (CE 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, Rec. 583, S.
1915. 39, note M. Hauriou).
Ensuite, les actes administratifs unilatéraux obéissent à
des règles juridiques exorbitantes, désormais codifiées au
code des relations entre le public et l’Administration, entré
en vigueur le 1er janvier 2016, qui concernent leur
élaboration ainsi que leur entrée et leur sortie de vigueur,
etc. À titre d’illustration, la motivation des actes
administratifs unilatéraux est spécifique en ce que seules
certaines catégories de décisions défavorables,
limitativement énumérées, ou dérogatoires doivent faire
l’objet d’une motivation « écrite » qui comporte « l’énoncé
des considérations de droit et de fait qui [en] constituent le
fondement » (art. L. 211-5 du code ; voir aussi art. L. 211-2
et 3). En d’autres termes, nombre d’actes administratifs
unilatéraux échappent à la règle de motivation, ce qui est
un attribut de la puissance exorbitante du pouvoir
administratif.
Au demeurant, certains actes administratifs peuvent
n’être pas formalisés par écrit : la jurisprudence déduit
parfois du comportement de l’Administration l’intervention
d’actes administratifs unilatéraux, comme la décision du
ministre de la Culture d’édifier les « colonnes de Buren »
dans la cour du Palais Royal (CE 12 mars 1986, Min.
Culture c/ Mme Cusenier, Rec. 403 ; AJDA 1986. 258,
concl. J. Massot). Une telle exorbitance est d’autant plus
étonnante que la signature d’un acte administratif
unilatéral conditionne, d’ordinaire, son existence juridique
(CE, sect., 19 déc. 1952, Mattéi, Rec. 594). Toutefois, il est
fréquent que les actes informels, que révèle leur exécution,
soient illégaux, faute précisément de respecter les règles
propres à l’élaboration des actes administratifs unilatéraux.
En outre, un acte administratif unilatéral est encore
exorbitant du droit commun car s’il doit, habituellement,
régir seulement des situations futures (CE, ass., 25 juin
1948, Sté du journal « L’Aurore », Rec. 289 ; GP 1948. 2.7,
concl. M. Letourneur), il peut, dans certains cas, rétroagir
sur des situations passées, notamment par application
d’une loi, dont la rétroactivité est encadrée néanmoins par
le droit constitutionnel, quoiqu’impossible en matière
répressive (Cons. const. 30 déc. 1982, no 82-155 DC, Rec.
88, RD publ. 1983. 333, note L. Favoreu), ou d’une
convention internationale (CE 8 avr. 1987, Procopio, Rec.
136, AJDA 1987. 472, concl. O. Schrameck), ou bien encore
pour assurer la sécurité juridique, par exemple à la suite
d’une annulation contentieuse (reconstitution de carrière
d’un fonctionnaire : CE 26 déc. 1925, Rodière, Rec. 1065,
RD publ. 1926. 32, concl. G. Cahen-Salvador ; nouveaux
tarifs d’abonnement à un service d’eau : CE, sect., 28 avr.
2014, Anschling, Rec. 96, concl. M.-A. de Barmon, AJDA
2014. 1264, chron. A. Bretonneau et J. Lessi).
Enfin, même quand le droit de l’action administrative
semble s’aligner sur le droit commun en faisant du silence
de l’Administration une décision d’acceptation (art. L. 213-
1 S. du code des relations entre le public et
l’Administration), le nouveau principe est assorti de tant
d’exceptions que l’exorbitance perdure. L’acte administratif
unilatéral jouit ainsi d’un régime exorbitant qui exprime
tout particulièrement la puissance publique. Pourtant, sous
l’effet de mouvements contemporains, le lien entre l’acte
administratif unilatéral et la puissance publique semble se
distendre.
〉Dissertation
Faut-il supprimer le critère organique pour l’identification
des contrats administratifs ?
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan du corrigé
- La qualité du raisonnement
- La qualité de l’expression
〉Corrigé
À la fin du XIXe siècle, Édouard Laferrière affirmait que «
la matière des contrats est peut-être celle où les règles de
compétences sont les plus complexes. Rien n’est plus varié,
en effet, que la nature et l’objet des conventions dans
lesquelles l’Administration peut être intéressée » (É.
Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des
recours contentieux, t. 1, 2e éd., Paris, 1896, p. 587). De
nos jours, un tel constat reste actuel. Les contrats de
l’Administration sont de deux sortes. Certains sont
assimilés à ceux des particuliers. Ils sont soumis au droit
privé, au Code civil et leur contentieux relève du juge
judiciaire. D’autres, au contraire, sont en principe régis par
des règles spécifiques. Si un litige survient à leur propos, il
est tranché par les juridictions administratives. Ces
dernières, lorsqu’il n’existe pas de textes directement
applicables en l’espèce, peuvent, comme en toute autre
matière, se référer à des règles empruntées au droit privé
ou à la jurisprudence judiciaire, voire à tel article du Code
civil. Mais elles ne sont pas tenues de le faire. Ces contrats
sont qualifiés de contrats administratifs. La question qui se
pose est de savoir comment les distinguer des autres
contrats de l’Administration.
Il arrive parfois qu’un texte qualifie expressément le
contrat. Le problème est alors résolu. Ainsi, avant qu’elle
ne soit abrogée, la célèbre loi du 28 pluviôse an VIII, en
attribuant le contentieux aux conseils de préfecture,
conférait le caractère administratif aux contrats relatifs à
l’exécution d’un travail public. De la même manière, le
Code général de la propriété des personnes publiques (art.
L. 2331-1), codifiant un décret-loi du 17 juin 1938, dispose
de nos jours que sont portés devant la juridiction
administrative les litiges relatifs aux autorisations ou
contrats comportant occupation du domaine public, quelle
que soit leur forme ou leur dénomination, accordés ou
conclus par les personnes publiques ou leurs
concessionnaires. Tout aussi clairs sont apparus les articles
3 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés
publics (« Les marchés publics relevant de la présente
ordonnance passés par des personnes morales de droit
public sont des contrats administratifs ») et de
l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de
concession (« Les contrats de concession relevant de la
présente ordonnance passés par des personnes morales de
droit public sont des contrats administratifs »). Dans l’état
actuel du droit, ces dispositions sont codifiées à l’article L.
6 du Code de la commande publique. Toutefois, à défaut de
texte, c’est au juge qu’il revient en cas de litige de
déterminer la nature du contrat en cause. Pour cela, il
utilise différents critères. Le juge prend en compte, d’une
part, la qualité des cocontractants et d’autre part, l’objet
du contrat ou ses clauses ou son régime. À un critère
organique, s’ajoutent ainsi des critères dits matériels qui
apparaissent alternatifs entre eux. Ce faisant, pour qu’il y
ait contrat administratif, au moins l’une des parties doit en
principe être une personne publique.
Si cette exigence est ancienne et régulièrement affirmée
par le juge – il s’agit d’une règle que Guy Braibant qualifiait
déjà de « claire, précise et constante » dans ses conclusions
sur l’arrêt du CE, sect., 13 déc. 1963, Synd. des praticiens
de l’art dentaire du département du Nord – elle comporte
cependant plusieurs exceptions. Cela signifie que dans
certains cas un contrat entre personnes privées peut être
administratif. Il existe également deux hypothèses qu’il
convient de mentionner mais qui ne sont pas, à proprement
parler, des exceptions. La première concerne les contrats
entre personnes privées dont l’une des parties agit comme
mandataire d’une personne publique (v. par ex. CE, sect., 2
juin 1961, Leduc, R. 365). Il y a alors mandat explicite au
sens civiliste du terme et c’est la personne publique
représentée qui est véritablement partie au contrat. Quant
à la deuxième hypothèse, elle concerne le cas où une
personne privée (par exemple une association) est regardée
comme « transparente » car elle n’a pas de véritable
autonomie par rapport à la personne publique dont elle
n’est qu’un prolongement (CE 21 mars 2007, Cne de
Boulogne-Billancourt).
Certaines jurisprudences, en revanche, font
véritablement exception. Elles sont sources, peut-on
penser, de complexité et d’incertitudes. Alors que leur
portée prête à discussion, elles ont conduit, de plus en plus,
à s’interroger sur le principe lui-même (I) et à se demander
s’il ne devrait pas y avoir une évolution, voire un abandon
pur et simple du critère organique (II).
〉Cas pratique
M. Rossignol, habitant la petite ville de Bergues, rencontre
plusieurs déconvenues en ce début d’année. Il vous
consulte sur les affaires suivantes.
1. En premier lieu, M. Rossignol, qui travaille depuis
plusieurs années comme directeur du musée d’art et
d’histoire de la ville, espère pouvoir rouvrir prochainement
les portes de son établissement. Après des mois de
fermeture au public en raison de la crise sanitaire, il entend
bien offrir le meilleur accueil possible aux futurs visiteurs du
musée. Le 20 décembre dernier, il a ainsi modifié deux
dispositions du règlement intérieur de l’établissement et a,
dans la foulée, procédé à son affichage sur le site internet
du musée :
Article 1 : Le musée contribue à la diffusion de la culture,
au progrès de la connaissance et à la mise en œuvre
d’actions éducatives.
Article 2 modifié : Dans le respect des œuvres d’art et des
autres visiteurs, les selfies sont formellement interdits dans
les salles d’exposition.
Article 3 modifié : Le personnel occupant des postes de
sécurité et d’accueil du public est soumis à une tolérance «
zéro alcool » sur le lieu de travail.
Un gardien du musée, M. Bourguignon, bien connu dans la
commune pour son originalité et son goût des procès, a
décidé de saisir le tribunal des prud’hommes pour contester
ces dispositions.
M. Rossignol est fort perplexe car, selon lui, un tel recours
ne peut être porté que devant la juridiction administrative
qui, dit-on, ne condamne jamais l’Administration.
Sans vous intéresser aux chances de succès de l’action
entreprise par M. Bourguignon, ni exposer les modalités de
celle-ci, il vous est demandé d’indiquer à M. Rossignol la
juridiction compétente pour contester les dispositions
modifiées du règlement intérieur et de lui expliquer les
raisons juridiques de sa compétence. (6 points)
2. En second lieu, M. Rossignol est depuis quelques années
le président de l’« Association des conservateurs des
musées des Hauts-de-France ». Il voudrait que les biens
culturels d’importance nationale soient mieux protégés
contre l’exportation. Par conséquent, l’association a décidé
de demander au Premier ministre de déposer à l’Assemblée
nationale un projet de loi allant dans ce sens. Leur demande
étant restée sans réponse, l’association a introduit un
recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État
contre la décision implicite de refus du Premier ministre. Le
Conseil d’État a rejeté leur recours au motif qu’une telle
décision échappe à la compétence de la juridiction
administrative. Face à cet échec, M. Rossignol est
désemparé : il ne comprend pas la position du juge
administratif. Que lui conseillez-vous ? (4 points)
3. En troisième lieu, M. Rossignol se préoccupe également
de la question de l’amélioration de l’accessibilité de son
établissement aux personnes handicapées. Une directive du
13 avril 2019 dont le délai de transposition expire le 1er mai
2021 a imposé à tous les gestionnaires d’établissements
recevant du public, quels qu’ils soient, de permettre à tous
les clients ou usagers qui le souhaitent de pouvoir entrer et
bénéficier de leurs prestations, en rendant leur local
accessible. De son côté, le ministre des solidarités et de la
santé a pris un arrêté le 13 décembre 2020 pour adapter sa
stratégie d’accessibilité aux personnes handicapées. Il
prévoit cependant des dispositions dérogatoires pour
certains établissements recevant du public, plus
précisément les établissements culturels qui se voient
dispensés de telles obligations. La directive ne réservait
cependant de tels aménagements pour aucune catégorie
d’établissements recevant du public. Que peut faire
l’association ? (5 points)
4. Enfin, et en dernier lieu, M. Rossignol a une amie, Mme
Merle, qui travaille depuis plus de deux ans à la Mairie de
Lille. Actuellement en congé de maladie, elle a pris
connaissance d’une « note » adressée aux agents de la
commune le 6 janvier 2021, par laquelle le directeur des
affaires générales indique que : « Le Trésor public nous a
informés qu’un agent ne peut pas prétendre au versement
des primes liées à l’exercice des fonctions durant une
période de congé de maladie ». La note s’achevait par ces
mots : « désolé pour cette mauvaise nouvelle, mais c’est la
loi, nous sommes obligés de l’appliquer ». Mme Merle est
outrée : avant cette note, selon une pratique ancrée dans la
commune, aucune retenue n’était opérée pendant le congé
de maladie. Elle entend contester la note en justice et M.
Rossignol vous sollicite pour connaître les voies de droit et
les chances de succès de son action. (5 points)
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan du corrigé
〉Corrigé
I/ Le règlement intérieur du musée
La première question invite les étudiants à s’interroger
sur la juridiction compétente pour connaître des
dispositions du règlement intérieur du musée.
La véritable difficulté réside ici dans le caractère
progressif des questions, qui délimitent le travail à faire : la
première concerne le statut juridique du musée ; la
seconde est relative à la nature de l’activité assurée par le
musée ; la dernière concerne la nature des dispositions
contestées du règlement intérieur. De la réponse à ces
questions, dépendra la solution du cas pratique. Il faut
donc prendre garde à l’ordre des questions et le respecter
scrupuleusement dans l’utilisation des éléments de
réponse.
Dans un premier temps, il convient de se demander si le
musée est un organisme de droit public ou de droit privé.
On sait qu’en l’absence de qualification légale, le juge
administratif recourt à la technique du faisceau d’indices
pour déterminer la nature de l’organisme en cause (CE,
sect., 13 janv. 1961, Magnier ; T. confl. 20 novembre 1961,
Centre régional de lutte contre le cancer « Eugène Marquis
» ; CE 4 avr. 1962, Chevassier). Parmi les indices pris en
compte, figurent l’initiative de la création, l’octroi de
prérogatives de puissance publique, la nature de la tâche
assumée, les règles d’organisation et de fonctionnement de
l’organisme, le degré de contrôle auquel il est soumis de la
part d’une personne publique ou encore l’origine des
ressources, etc. L’étudiant doit savoir qu’en pareille
situation, la qualification retenue par le juge administratif
procède moins d’un raisonnement déductif, qui serait
typique du syllogisme juridique, que d’une impression
d’ensemble. Au regard du faisceau d’indices, et en
l’absence de précisions dans le cas pratique, on peut tout
aussi bien soutenir – sous réserve de l’appréciation
souveraine du juge – que le musée est un établissement
public ou un organisme privé. Toutefois, les formules « ne
condamne jamais l’Administration » et le lien avec la
commune – « musée d’art et d’histoire de la ville » donne
l’impression d’ensemble qu’il s’agit davantage d’une
personne morale de droit public, et plus précisément, d’un
établissement public.
Dans un deuxième temps, il convient de se demander si le
musée, public ou privé, est investi d’une mission de service
public. Sans rentrer dans les détails de la qualification de
service public (second semestre), l’étudiant peut utiliser
ses connaissances, et s’appuyer sur l’article 1er du
règlement intérieur, pour établir la mission de service
public du musée. La réponse à cette question ne préjuge
pas nécessairement du caractère d’établissement public du
musée, car on sait, depuis la décision Caisse Primaire «
Aide et Protection » (CE, ass., 13 mai 1938), qu’un
organisme privé peut être investi d’une mission de service
public – sans délégation contractuelle préalable – et agir,
dans ce cadre, en qualité d’autorité administrative sous le
contrôle de la personne publique (CE 31 juill. 1942,
Monpeurt ; CE 2 avr. 1943, Bouguen). En l’espèce, les deux
hypothèses sont à envisager. Toutefois, si le musée est un
établissement public, la qualification de service public ne
pose guère de difficulté, dans la mesure où, sauf rares
exceptions, ces personnes publiques spécialisées sont
créées en vue d’exercer une mission particulière, plus
précisément, pour gérer un service public. En revanche, si
le musée est une personne privée, la qualification de
service public est d’importance, dans la mesure où elle
commande l’application du droit administratif à certaines
de ses activités. Dans les deux cas – que le musée soit
qualifié d’établissement public ou d’organisme privé en
charge d’une mission de service public –, un élément de
régime juridique commun transparaît : les actes pris pour
l’organisation du service public sont des actes
réglementaires (CE 31 juill. 1942, Monpeurt ; CE 2 avr.
1943, Bouguen) et leur contentieux relèvera de la
compétence du juge administratif (Cons. const. 23 janv.
1987, Conseil de la concurrence).
À ce stade, l’étudiant aura qualifié le musée
d’établissement public ou d’organisme privé en charge d’un
service public. Les deux réponses sont valables. Toutefois,
la première offre davantage d’intérêt quant à la troisième
étape du cas pratique, à savoir la nature des dispositions
du règlement intérieur contesté.
Dans un troisième temps, l’étudiant est invité à envisager
les possibles fondements du pouvoir réglementaire du
directeur du musée.
Une seule hypothèse est possible si le musée est un
organisme privé en charge d’un service public : seuls les
actes pris, par la personne privée, pour l’organisation du
service public culturel (service public dont les missions
sont en partie exposées à l’article 1er) sont des actes
réglementaires. L’étudiant pourra convoquer les arrêts
précités Monpeurt et Bouguen pour justifier le caractère
réglementaire de l’une au moins des dispositions du
règlement intérieur (plus probablement l’article 2) et, par
conséquent, la compétence du juge administratif (recours
pour excès de pouvoir) pour en connaître.
Trois hypothèses, d’une pertinence inégale, sont en
revanche possibles si le musée est bien un établissement
public :
Le directeur du musée exerce-t-il un pouvoir
réglementaire d’organisation du service public culturel
(service public dont les missions sont en partie exposées à
l’article 1) ? La jurisprudence reconnaît de manière
constante au président ou au directeur général d’un
établissement public un pouvoir réglementaire
d’organisation du service public (CE 4 févr. 1976, Section
syndicale CFDT du centre psychothérapeutique de Thuir).
Le directeur du musée exerce-t-il un pouvoir
réglementaire de chef de service ? L’étudiant doit ici citer
la jurisprudence Jamart, par laquelle le Conseil d’État a
reconnu au chef de service, c’est-à-dire à l’autorité la plus
élevée d’une Administration, un pouvoir réglementaire,
inhérent à sa fonction, de prendre les mesures nécessaires
au bon fonctionnement du service placé sous sa direction
(CE, sect., 7 févr. 1936, Jamart). Son champ d’application
est toutefois limité aux mesures purement internes au
service. Il peut s’agir d’encadrer les conditions d’accès des
usagers au service, ou encore de réglementer la situation
des agents placés sous ses ordres, s’agissant notamment de
leurs conditions de travail et de rémunération (CE, sect., 24
avr. 1964, Synd. nat. des médecins des établissements
pénitentiaires).
Le directeur de musée exerce-t-il un pouvoir
réglementaire de police administrative spéciale ? Ce
pouvoir réglementaire a été abordé au premier semestre au
titre des fondements de la compétence de l’autorité
administrative, indépendamment donc de l’étude précise de
la police administrative (second semestre). La formulation
de l’hypothèse a son mérite, tout autant que le fait de
l’écarter en l’espèce. Elle se révèle non valable dans la
mesure où, en l’état actuel, et à notre connaissance, la loi
ne confie pas aux directeurs de musées publics un pouvoir
de police administrative spéciale, faute d’un ordre public
spécial à protéger. Notons toutefois qu’un tel pouvoir a par
exemple été attribué par la loi aux présidents d’universités,
qui ont reçu compétence pour maintenir l’ordre et la
sécurité dans l’enceinte et les locaux universitaires (C.
éducation, art. L. 712-2).
Sans préjuger de la légalité – assez douteuse – des
dispositions contestées du règlement intérieur du musée, il
est possible de déduire la nature réglementaire de l’article
2 du règlement intérieur du fondement de l’organisation du
service public culturel ; quant à l’article 3, il semble
davantage fondé sur le pouvoir d’organisation interne du
service qui incombe, au sein d’un établissement public, au
chef de service. Jusqu’à nouvel ordre en revanche, aucune
loi ne délègue aux directeurs de musées publics un pouvoir
de police administrative. Ce fondement est donc à écarter.
Dès lors que les dispositions contestées du règlement
intérieur peuvent, à plusieurs titres, être qualifiées d’acte
réglementaire, la juridiction compétente pour connaître de
leur légalité sera sans doute la juridiction administrative
(Cons. const. 23 janv. 1987, Conseil de la concurrence), et
non le Tribunal des Prud’hommes.
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan du corrigé
〉Corrigé
Le présent arrêt constitue un rappel utile de la portée
donnée par le juge administratif au principe général du
droit d’égalité devant le service public (CE, sect., 9 mars
1951, Sté des concerts du Conservatoire) lorsque sont en
cause des usagers placés dans des situations différentes. Il
rappelle que, si des différences de situation peuvent, à
certaines conditions, autoriser des différences de
traitement, elles ne les imposent pas. Le litige portait plus
précisément sur la tarification du service public, question
qui fait l’objet d’un contentieux important dès lors que,
même si le constituant et le législateur peuvent
ponctuellement l’imposer, il n’existe pas de principe de
gratuité des services publics et qu’il appartient à la
collectivité publique d’en fixer le prix.
En l’espèce, le requérant a, au mois de mai 2015,
transféré le siège social de son activité d’artisan menuisier
sur l’île de Groix tout en restant lui-même domicilié sur le
continent. Il a alors sollicité l’attribution de la carte ouvrant
droit au tarif réduit sur les liaisons maritimes
départementales entre le continent et l’île de Groix. Ce
tarif, prévu dans la convention de délégation de service
public, était cependant réservé aux seuls « insulaires »,
définis comme les « résidents permanents ». Or, si le
requérant avait installé le siège de son entreprise sur l’île
de Groix, il continuait de résider sur le continent. C’est la
raison pour laquelle le président du Conseil départemental
du Morbihan a, le 8 octobre 2015, opposé un refus à sa
demande.
Le requérant a demandé au tribunal administratif de
Rennes l’annulation de ce refus, estimant que la grille
tarifaire définie dans la convention de délégation de service
public et sur le fondement de laquelle lui a été refusé le
bénéfice de la carte insulaire, méconnaît le principe
d’égalité devant le service public en tant qu’elle exclut de
l’avantage tarifaire les nouvelles entreprises qui
s’implantent sur l’île de Groix. À cet égard et pour ne plus y
revenir par la suite, il convient de rappeler que les clauses
dont le requérant allègue l’illégalité, si elles figurent
formellement dans un contrat, sont néanmoins considérées
comme ayant un caractère réglementaire dans la mesure
où elles portent sur les tarifs du service public (CE 30 oct.
1996, Wajs). Il en résulte trois conséquences : d’abord,
qu’elles peuvent être contestées dans le cadre d’un recours
pour excès de pouvoir (CE, ass., 10 juill. 1996, Cayzeele),
sans que la décision Dépt. de Tarn-et-Garonne n’ait entendu
revenir sur cette solution (CE, ass., 4 avr. 2014, Dépt. de
Tarn-et-Garonne) ; ensuite, qu’il est possible de contester le
refus de les abroger (CE 9 févr. 2018, Communauté
d’agglomération Val d’Europe agglomération) ; enfin, qu’il
est possible d’en contester la légalité à toute époque par
voie d’exception (CE 29 déc. 1997, Bessis ; CE, sect., 17
oct. 2003, Synd. des copropriétaires de la résidence
Atlantis), ce qu’entend faire ici le requérant.
On aura compris que le requérant ne contestait pas le fait
que l’Administration lui aurait appliqué une différence de
traitement qui lui aurait été préjudiciable. C’est tout
l’inverse : il prétendait que sa situation d’entrepreneur sur
l’île aurait dû lui permettre de bénéficier d’un tarif
préférentiel, à l’instar de ceux qui y résident, et que, par
conséquent, en réservant le tarif préférentiel aux seuls «
résidents permanents sur les îles », la convention de
délégation de service public en cause a méconnu le
principe d’égalité devant le service public. Par conséquent,
le problème était de savoir si le principe d’égalité était
susceptible d’obliger le gestionnaire du service à faire
bénéficier le requérant d’un tarif réduit du fait de sa
situation particulière. C’était donc la nature juridique de
l’institution d’une différence de traitement qui était au
cœur du problème : s’agit-il simplement d’un pouvoir
reconnu dans certaines circonstances au gestionnaire du
service public, ou s’agit-il d’une obligation qui s’impose à
lui lorsque sont concernés des usagers placés dans des
situations différentes ?
La demande du requérant ayant été rejetée par le
tribunal administratif de Rennes, il relève appel, sans plus
de succès, devant la Cour administrative d’appel de Nantes
: pour la cour, si la différence de situation entre les
résidents permanents et les autres usagers pouvait justifier
que les premiers bénéficient d’un tarif préférentiel, la
situation particulière du requérant, celle d’entrepreneur
sur l’île mais n’y résidant pas, n’imposait pas de le faire
bénéficier lui aussi d’un traitement préférentiel. La cour
rappelle ainsi que, si une différence de situation peut
justifier une différence de traitement (I), elle ne saurait
l’imposer (II).
〉Cas pratique
1. Par un communiqué de presse, le maire de la commune
de Saint-Paul-de-Baucuse a annoncé qu’il ne serait
désormais plus proposé dans les restaurants scolaires
municipaux de menus de substitution aux plats contenant
du porc. Le maire estime en effet que les principes de laïcité
et de neutralité du service public interdisent la prise en
considération de prescriptions d’ordre religieux dans le
fonctionnement d’un service public. Une association de
parents d’élèves décide de former un recours gracieux
contre cette décision, afin d’obtenir le maintien des menus
de substitution. Mais leur courrier reste sans réponse. Peut-
elle former un recours devant le tribunal administratif ?
Contre quelle(s) décision(s) ? Quelles sont ses chances de
succès sur le fond ? (5 points)
2. En raison du manque de places dans les cantines
scolaires, plusieurs mesures sont prises. D’abord, le conseil
municipal de la commune de Saint-Paul-de-Baucuse adopte
une délibération modifiant le règlement de la restauration
scolaire pour les écoles de la commune en posant le
principe selon lequel les enfants dont les deux parents
travaillent pourront seuls manger à la cantine tous les jours,
tandis que les autres enfants ne pourront être accueillis
qu’une fois par semaine, dans la limite des places
disponibles, sauf urgence ponctuelle dûment justifiée. Par la
même délibération, le conseil municipal décide également
de fixer des tarifs plus élevés pour les élèves domiciliés en
dehors de la commune. Cette délibération est-elle légale ?
(4 points)
3. Ensuite, le maire a refusé, faute de place, de faire droit à
la demande de la maman du petit Martin Brazier, arrivé en
cours d’année, qui souhaitaient inscrire leur fils à la cantine.
La mère Brazier souhaite contester cette décision devant le
tribunal administratif. A-t-elle des chances de succès ? (2
points)
4. La commune envisage désormais de confier la gestion
du service de la restauration scolaire à une entreprise
privée. Le prestataire privé percevra directement les
redevances auprès des usagers des restaurants scolaires.
Toutefois, il est prévu que les parties se mettent d’accord
sur un prix unitaire des repas, fixé initialement sur la base
de 303 000 repas par an, comprenant les charges afférentes
aux prestations fournies, ainsi que la rémunération du
prestataire et que, dans les cas où le nombre de repas
commandés au cours d’un exercice s’avèrerait inférieur ou
supérieur de plus de 5 % par rapport à la base de référence
retenue, le prix unitaire des repas fournis sur l’exercice
écoulé serait réajusté par la rectification de divers postes
composant ce prix, en fonction du nombre de repas
effectivement commandés. La commune prendra en charge,
sous forme de subventions, la différence entre les
redevances perçues auprès des usagers et le prix des repas
fixé selon les modalités décrites ci-dessus. Quel type de
contrat doit-elle passer ? Peut-elle négocier directement
avec la société Têtedoie, qui fournit déjà les repas des
restaurants municipaux et de la maison de retraite ? (5
points)
5. La petite Marie-Cécile Pic, âgée de 4 ans, a été blessée à
l’œil gauche par un objet lancé par un de ses camarades
alors qu’il se trouvait dans les locaux de la cantine. Elle a dû
subir deux interventions chirurgicales mais elle ne
retrouvera jamais toute son acuité visuelle. Les parents Pic
veulent obtenir la condamnation de la commune de Saint-
Paul-de-Baucuse à réparer les conséquences dommageables
de l’accident, en invoquant une carence dans l’organisation
du service. Il n’y avait en effet qu’un seul agent municipal
pour assurer la surveillance de plus de 60 enfants présents
dans la cantine scolaire. La commune est-elle susceptible
d’engager sa responsabilité ? Qu’en est-il de la personne
chargée de la surveillance des enfants ? Devant quelle
juridiction les parents Pic doivent-ils former leur recours ? (4
points)
DOCUMENTS ANNEXES
Code des relations entre le public et
l’Administration, article L. 231-4
Par dérogation à l’article L. 231-1, le silence gardé par
l’Administration pendant deux mois vaut décision de rejet :
1° Lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’une
décision présentant le caractère d’une décision individuelle ;
2° Lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure
prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente
le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif
;
3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en
matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;
4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d’État, où
une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le
respect des engagements internationaux et européens de la
France, la protection de la sécurité nationale, la protection
des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la
sauvegarde de l’ordre public ;
5° Dans les relations entre l’Administration et ses agents.
Code de justice administrative, article R. 421-1
La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours
formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir
de la notification ou de la publication de la décision
attaquée.
Code de l’éducation
Article L. 131-13
L’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce
service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés.
Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur
situation ou celle de leur famille.
Article R. 531-52
Les tarifs de la restauration scolaire fournie aux élèves des
écoles maternelles, des écoles élémentaires, des collèges et
des lycées de l’enseignement public sont fixés par la
collectivité territoriale qui en a la charge.
Article R. 531-53
Les tarifs mentionnés à l’article R. 531-52 ne peuvent, y
compris lorsqu’une modulation est appliquée, être
supérieurs au coût par usager résultant des charges
supportées au titre du service de restauration, après
déduction des subventions de toute nature bénéficiant à ce
service.
CE 23 oct. 2009, Fédération des Conseils de parents
d’élèves de l’enseignement public du Rhône, Mme
Pasquier, inédit au recueil Lebon, req. no 329076
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire,
enregistrés les 22 juin et 7 juillet 2009 au secrétariat du
contentieux du Conseil d’État, présentés pour la Fédération
des Conseils de parents d’élèves de l’enseignement public
du Rhône, et Mme Clothilde B, demeurant … ; la Fédération
des Conseils de parents d’élèves de l’enseignement public
du Rhône et Mme B demandent au Conseil d’État d’annuler
l’ordonnance du 5 juin 2009 par laquelle le juge des référés
du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande
tendant à la suspension de l’exécution de la délibération du
26 mars 2009 par laquelle le conseil municipal de la
commune d’Oullins a modifié le règlement du service de la
restauration scolaire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention relative aux droits de l’enfant, signée à
New York le 26 janvier 1990 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Xavier Domino, Auditeur,
– les observations de Me Le Prado, avocat de la Fédération
des Conseils de parents d’élèves de l’enseignement public
du Rhône et de Mme Clothilde B et de la SCP Boutet, avocat
de la commune d’Oullins,
– les conclusions de M. Édouard Geffray, Rapporteur public
;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado,
avocat de la Fédération des Conseils de parents d’élèves de
l’enseignement public du Rhône et de Mme Clothilde B et de
la SCP Boutet, avocat de la commune d’Oullins ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux
juges des référés que, par une délibération du 26 mars
2009, le conseil municipal de la commune d’Oullins a
modifié le règlement de la restauration scolaire pour les
écoles de la commune en posant notamment le principe
selon lequel les enfants dont les deux parents travaillent,
ainsi que ceux qui bénéficient de dispositifs particuliers,
pourront seuls manger à la cantine tous les jours, tandis que
les autres enfants ne pourront être accueillis qu’une fois par
semaine, dans la limite des places disponibles, sauf urgence
ponctuelle dûment justifiée ; que la Fédération des Conseils
de parents d’élèves de l’enseignement public du Rhône et
Mme B se pourvoient en cassation contre l’ordonnance du 5
juin 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal
administratif de Lyon, a rejeté leur demande tendant à la
suspension de l’exécution de cette délibération ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi
;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de
justice administrative : Quand une décision administrative,
même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou
en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en
ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette
décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le
justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en
l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de
la décision ;
Considérant qu’en jugeant que n’était pas de nature à
créer un doute sérieux sur la légalité de la délibération
attaquée le moyen tiré de ce que cette délibération interdit
illégalement l’accès au service public de la restauration
scolaire à une partie des enfants scolarisés, en retenant au
surplus un critère de discrimination sans rapport avec l’objet
du service public en cause, le juge des référés du tribunal
administratif de Lyon a commis une erreur de droit ; que,
par suite, la FCPE et Mme B sont fondées à demander
l’annulation de l’ordonnance qu’ils attaquent ;
Considérant qu’en application des dispositions de l’article
L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu de
régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Considérant en premier lieu que les requérantes font état
de ce que la nouvelle réglementation est applicable dès la
rentrée scolaire 2009-2010 et qu’elle a des conséquences
importantes pour l’organisation et le budget des familles de
la commune ayant des enfants scolarisés ; qu’ainsi, la
condition d’urgence posée par l’article L. 521-1 du code
justice administrative est remplie ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le moyen tiré
de ce que la délibération attaquée interdit illégalement
l’accès au service public de la restauration scolaire à une
partie des enfants scolarisés, en retenant au surplus un
critère de discrimination sans rapport avec l’objet du service
public en cause est de nature à créer, en l’état de
l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de cette
délibération ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il
soit besoin d’examiner l’autre moyen de leur demande, que
la FCPE et Mme B sont fondées à demander la suspension
de l’exécution de la délibération qu’elles attaquent ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1
du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit
mise à la charge de la FCPE et de Mme B, qui ne sont pas la
partie perdante dans la présente instance, la somme que
demande la commune d’Oullins au titre des frais exposés
par elle et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, il
y a lieu, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de
mettre à la charge de cette dernière une somme de 1 500
euros au titre des frais exposés par la FCPE et Mme B et non
compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : L’ordonnance du 5 juin 2009 du juge des
référés du tribunal administratif de Lyon est annulée.
Article 2 : L’exécution de la délibération du 26 mars 2009
par laquelle le conseil municipal de la commune d’Oullins a
modifié le règlement concernant l’accès des enfants au
service de la restauration scolaire est suspendue.
Article 3 : La commune d’Oullins versera à la FCPE et à
Mme B 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de
justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune
d’Oullins au titre de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Fédération
des Conseils de parents d’élèves de l’enseignement public
du Rhône, à Mme Clothilde B, à la commune d’Oullins et au
ministre de l’éducation nationale.
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan et barème
〉Corrigé
I/ La suppression des menus de
substitution (5 points)
Les décisions susceptibles d’être contestées.
Concernant la suppression dans les restaurants scolaires
municipaux de menus de substitution aux plats contenant
du porc, l’association requérante peut former un recours
pour excès de pouvoir dans un délai de deux mois à
compter de la notification ou de la publication de la
décision attaquée, conformément à l’article R. 421-1 du
code de justice administrative (reproduit en annexe).
Le recours est recevable contre la décision révélée par le
communiqué de presse. En effet, la jurisprudence
administrative admet qu’un recours puisse être formé
contre tout acte administratif faisant grief au requérant,
même si celui-ci n’est pas formalisé dans un arrêté ou une
délibération : le recours est recevable contre une décision
simplement verbale (CE 9 janv. 1931, Abbé Cadel) ou dont
l’existence se déduit de certains comportements (CE 12
mars 1986, Mme Cuisenier, à propos de la décision du
ministre de la Culture d’autoriser la réalisation des
colonnes de Buren dans la cour du Palais-Royal, déduite de
l’exécution des travaux).
Le recours peut également être formé contre la décision
implicite de refus (DIR) née du silence gardé par la
commune pendant deux mois à la suite du courrier envoyé
par l’association de parents d’élèves. En effet, le silence de
l’Administration fait en principe naître une décision
implicite d’acceptation depuis la loi du 12 novembre 2013
habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre
l’Administration et les citoyens (art. L. 231-1 du code des
relations entre le public et l’Administration – CRPA).
Toutefois, aux termes de l’article L. 231-4 du CRPA
(reproduit en annexe), le silence gardé par l’Administration
pendant deux mois vaut décision de rejet lorsque la
demande ne tend pas à l’adoption d’une décision
présentant le caractère d’une décision individuelle ou
présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours
administratif.
En l’espèce, la demande formée par l’association de
parents d’élèves ne tendait pas à l’adoption d’une décision
individuelle puisqu’elle souhaitait obtenir le maintien des
menus de substitution dans l’ensemble des restaurants
scolaires municipaux. Elle présentait en outre le caractère
d’un recours administratif, et plus précisément d’un
recours gracieux. En conséquence, le silence gardé par le
maire a fait naître une décision implicite de refus au bout
de deux mois à compter de la réception du courrier envoyé
par l’association de parents d’élèves.
En conclusion, l’association requérante peut former un
recours contre la décision du maire, révélée par le
communiqué de presse, de ne plus proposer dans les
restaurants scolaires municipaux de menus de substitution
aux plats contenant du porc et la décision implicite de rejet
née du silence gardé par le maire sur son recours gracieux.
Les chances de succès sur le fond. La question se pose
de savoir si le principe de laïcité et son corollaire, le
principe de neutralité du service public, interdisent de
proposer aux élèves des repas différenciés leur permettant
de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs
convictions religieuses. La laïcité, consacrée à l’article 1er
de la Constitution selon lequel la France est une
République laïque, ne saurait être comprise comme
interdisant aux usagers des services publics de faire état de
leurs convictions religieuses dans le cadre du service
public. L’obligation de neutralité ne concerne que les
agents dans l’exercice de leurs fonctions, car ils incarnent
alors le service (CE, avis cont., 3 mai 2000, no 217017, Dlle
Marteaux). Les usagers restent en principe libres
d’exprimer leurs convictions religieuses, à condition de ne
pas troubler l’ordre intérieur et le bon fonctionnement du
service (CE 2 nov. 1992, Épx Kherouaa, req. no 130394),
même s’il est vrai que cette liberté a été fortement
restreinte par la loi du 15 mars 2004 qui interdit le port de
signes religieux ostensibles dans l’enceinte des écoles,
collèges et lycées publics. Par ailleurs, les élèves peuvent
bénéficier d’autorisations d’absence pour motifs religieux
(CE, ass., 14 avr. 1995, Koen, req. no 157653).
Dans la lignée de cette jurisprudence protectrice de la
liberté religieuse des usagers, l’arrêt rendu par le Conseil
d’État le 11 décembre 2020, no 426483, Cne de Chalon-sur-
Saône (dont s’inspire ce cas pratique) a affirmé que s’il
n’existe aucune obligation pour les collectivités
territoriales gestionnaires d’un service public de
restauration scolaire de proposer des menus de
substitution, les principes de laïcité et de neutralité
religieuse ne leur interdisent pas de servir de tels menus
dans les cantines scolaires.
En conclusion, le recours a toutes les chances d’être
accueilli sur le fond, conformément à l’arrêt rendu par le
Conseil d’État le 11 décembre 2020, Cne de Chalon-sur-
Saône.
V/ L’action en responsabilité (4
points)
Responsabilité de la commune. Sauf dans quelques
rares domaines où le juge exige une faute lourde, toute
faute qui cause un dommage est de nature à engager la
responsabilité de la collectivité. En l’espèce, la présence
d’un seul agent municipal pour assurer la surveillance de
plus de 60 enfants présents dans la cantine scolaire doit
être regardée comme constitutive d’un défaut
d’organisation du service qui a rendu possible l’accident
survenu à la petite Marie-Cécile Pic, malgré le caractère
difficilement prévisible des gestes des jeunes enfants, de
nature à engager la pleine responsabilité de la commune (v.
en ce sens : CAA Lyon, 25 mai 1989, req. no 89LY00057).
Ce défaut d’organisation du service constitue une faute de
nature à engager la responsabilité de la commune. Étant
donné son jeune âge, le comportement de la victime ne
peut être considéré comme une faute atténuant la
responsabilité de la commune. La victime est donc en droit
d’obtenir réparation du préjudice corporel qu’elle a subi,
ainsi que des souffrances qu’elle a endurées du fait de ses
deux interventions chirurgicales et des troubles dans les
conditions d’existence résultant du fait qu’elle ne trouvera
pas toute son acuité visuelle.
Responsabilité de l’agent. Depuis l’arrêt Pelletier
rendu par le Tribunal des conflits en 1873, l’agent est
susceptible d’engager sa responsabilité civile, devant le
juge judiciaire, uniquement en cas de faute personnelle. La
faute personnelle peut être commise dans l’exercice des
fonctions mais elle est alors détachable de celles-ci, soit en
raison de sa nature intentionnelle (l’agent a commis un
acte malveillant, avec l’intention de nuire à autrui), soit du
fait de sa particulière gravité. En revanche, si le dommage
a été causé par une faute de service, autrement dit une
faute qui n’est pas détachable du service, l’agent public est
personnellement irresponsable : seule la responsabilité de
la personne publique peut être engagée, devant le tribunal
administratif.
En l’espèce, aucune faute personnelle ne peut être
imputée à l’agent puisqu’il était seul pour surveiller un très
grand nombre d’enfants. Aucun défaut de surveillance ne
peut lui être reproché. Sa responsabilité personnelle ne
peut donc être engagée.
En conclusion, les parents Pic doivent rechercher la
responsabilité de la commune devant le tribunal
administratif.
Les fonctions de
l’Administration
Thème principal
Police administrative
Mots-clés
Police administrative, Ordre public, Libertés publiques,
Dignité de la personne humaine
Sujet proposé et corrigé établi par
Nicolas Chifflot, Professeur, Université de Strasbourg
Premier semestre 2019-2020
〉Dissertation
Les composantes de l’ordre public général
〉Préparation
Analyse du sujet
〉Corrigé
La notion fondamentale du droit public qui gouverne les
missions de l’Administration et leur évolution, en exprimant
leur finalité, est celle d’intérêt général. « Pierre angulaire »
de l’action publique, l’intérêt général est cependant une
notion incertaine. Évolutive, elle est difficile à définir et fait
l’objet de controverses d’autant plus importantes qu’il
s’agit, à travers elle, de s’interroger sur l’État et ses
rapports avec la société. Il est possible d’affirmer, malgré
tout, que les activités publiques forment deux catégories.
Les unes ont pour objet des prestations de biens et de
services : ce sont les activités de service public. Les autres
tendent au maintien de l’ordre public : ce sont les activités
de police administrative.
La police administrative se caractérise essentiellement
par ses finalités. Au sein des activités administratives, sa
spécificité tient au but visé : le maintien de l’ordre public.
Les mesures de police administrative ont pour effet
immédiat d’imposer des limitations aux libertés des
individus. Elles ne sont régulières que si elles sont prises
en vue du maintien de l’ordre public. La protection de
l’ordre public permet, du reste, de différencier ces mesures
d’autres activités administratives qui s’en rapprochent (par
exemple la gestion du domaine public et la police de la
conservation).
Dans son expression la plus large, l’ordre public désigne
la paix interne qui permet à un groupe humain de
constituer une société (au sens où l’entendait la philosophie
des Lumières avec la doctrine du contrat social).
L’avènement du droit met fin à l’« état de nature ». Il
permet à chaque individu d’exercer ses droits dans le
respect de ceux d’autrui. Il garantit à tous le bénéfice de
libertés qui sont consacrées dans les préambules des
constitutions. Pour la puissance publique, l’ordre public
constitue aussi une sorte de calme minimal nécessaire à la
poursuite de ses autres missions, notamment la recherche
de la prospérité ou du bien-être du plus grand nombre.
Le droit positif contemporain définit dans un sens plus
restreint les composantes de l’ordre public général. Il en
distingue trois principalement qui sont caractéristiques de
la police administrative. La tranquillité publique résulte de
l’interdiction de toute violence et suppose des mesures très
diverses, par exemple la réglementation du bruit ; la
sécurité publique peut être illustrée par la sécurité de la
circulation, notamment celle des piétons et des véhicules
de toutes sortes ; la salubrité publique correspond à tout ce
qui concerne l’hygiène (propreté des villes, des halles et
marchés, etc.) et la santé publique. À cette trilogie
classique, est venue s’ajouter une quatrième composante,
la « moralité publique » qui est plus difficile à cerner. Elle
justifie notamment qu’un maire interdise la projection d’un
film sur le territoire de sa commune en raison du caractère
« immoral » de ce film et de « circonstances locales
particulières ».
Comme pour l’intérêt général, la délimitation exacte du
contenu de l’ordre public général demeure contingente et
évolutive. Ce contenu varie en fonction d’un certain
consensus, interprété par les autorités publiques, dans une
société donnée, à un moment particulier de son évolution.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel en atteste, en
faisant référence à la notion sans jamais en déterminer
précisément le contenu. Affirmant que « la sauvegarde de
l’ordre public est un objectif de valeur constitutionnelle »,
le Conseil constitutionnel estime généralement qu’il
appartient au législateur de concilier l’exercice des libertés
et la prévention des atteintes à l’ordre public. Il admet,
selon sa formule, toute « conciliation qui n’est pas
manifestement disproportionnée ».
De nos jours, l’incertitude entourant la délimitation de
l’ordre public général est renforcée par l’émergence d’une
cinquième composante, la dignité de la personne humaine.
Encore récente, cette évolution est de première
importance. Car la dignité de la personne humaine est une
notion singulière. Elle est objective, universelle,
insusceptible de variations. Elle exige que la personne
humaine ne soit jamais traitée comme un moyen, mais
comme une fin en soi. Ce faisant, la dignité n’est pas un
idéal abstrait, un objectif à atteindre ou une représentation
subjective qui pourrait être relativisée dans le temps et
dans l’espace. Elle est un « principe ». Elle renvoie non pas
à un « donné », mais à un « dû », comme tel non négociable
(car lié, dit-on aussi, à l’« irréductible humain »).
La dimension fondamentale de la dignité est ainsi
susceptible de modifier la conception traditionnelle de
l’ordre public général. Justifiée par l’approfondissement
des exigences liées à la protection de la personne humaine,
l’inclusion de la dignité dans les composantes de l’ordre
public conduit à une diversification des finalités en vue
desquelles les autorités de police peuvent restreindre les
libertés. Source de nombreux droits pour les individus, elle
exige aussi de nouvelles interventions des autorités de
police. Or, la notion d’ordre public a longtemps été conçue
de façon restrictive, comme visant un « ordre minimal » au
bénéfice des libertés. De « matériel et extérieur » qu’il était
(et qu’il demeure en partie), l’ordre public tend à devenir «
immatériel ». Pour paraphraser Maurice Hauriou, avec la
dignité, c’est notre « ordre public » que l’on change.
Si l’ordre public général peut toujours être caractérisé
par ses composantes traditionnelles (I), la dignité de la
personne humaine tend ainsi à modifier sa conception,
justifiant de nouvelles interventions de la part des autorités
de police administrative (II).
〉Préparation
Analyse du sujet
L’arrêt à commenter aborde des thématiques vues
en cours et en travaux dirigés qui ne posaient pas
de difficultés particulières. Il convenait toutefois de
ne pas fonder tout le commentaire sur le seul
thème de la police administrative, au risque
d’oublier autrement certains éléments de l’arrêt.
Par ailleurs, sur un sujet volontiers polémique,
l’écueil majeur était sans doute de basculer dans
des remarques type café de commerce au lieu de
réussir à rester sur des considérations et
arguments purement juridiques. L’arrêt ne
présentait malgré tout pas de difficulté particulière
de compréhension ou d’analyse et il était donc
attendu des étudiants une maîtrise de la méthode
du commentaire d’arrêt et des connaissances
suffisamment précises pour pouvoir être en mesure
de réellement commenter cet arrêt.
Plan du corrigé
〉Corrigé
Le juge administratif se retrouve régulièrement confronté
depuis quelques années à des affaires se rattachant à des
questions de société et relevant de problématiques très
contemporaines, ce que confirme l’arrêt rendu par la cour
administrative d’appel de Nancy le 1er octobre 2020, Assoc.
« Les Effronté-e-s » et Assoc. « Osez le féminisme 67 » qui
a amené le juge à se prononcer sur une affaire concernant
le regard porté par la société sur les femmes de nos jours
et l’égalité entre les sexes.
En l’espèce, la commune de Dannemarie, située en
Alsace, après avoir choisi de faire de 2017 l’année de la
femme, avait décidé à ce titre d’installer dans les espaces
publics de la commune des panneaux représentants des
accessoires féminins, des éléments du corps féminin et des
silhouettes de femmes. Deux associations, « Les Effronté-e-
s » et « Osez le féminisme 67 », considérant que ces
panneaux avaient un caractère sexiste mais aussi qu’ils
constituaient une propagande discriminatoire à l’égard des
femmes et portaient atteinte à la dignité de la femme,
avaient introduit un recours pour excès de pouvoir devant
le tribunal administratif de Strasbourg. Suite au rejet de
leur demande d’annulation par un jugement du 19
décembre 2018 les deux associations requérantes avaient
alors interjeté appel devant la cour administrative d’appel
de Nancy le 18 février 2019.
Sans grande surprise, la cour administrative d’appel de
Nancy n’a pas fait droit à la requête des associations des
requérantes. De fait, dans une ordonnance du 1er
septembre 2017, le Conseil d’État, qui avait été saisi en
appel dans le cadre d’un référé liberté portant sur cette
affaire, avait notamment estimé que l’installation de tels
éléments ne portait pas d’atteinte grave et manifestement
illégale au droit au respect de la dignité humaine et que,
par conséquent, c’est à tort que le juge des référés du
tribunal administratif de Strasbourg avait enjoint à la
commune de retirer les éléments en question. Deux
questions étaient en réalité posées à la cour, l’une portant
classiquement sur la conformité d’un acte administratif à
des règles de droit supérieures, l’autre sur la non
utilisation de ses pouvoirs de police par le maire. Au cœur
de ce débat se trouvait principalement la question de la
dignité de la personne humaine mais aussi le principe
d’égalité entre hommes et femmes, amenant ainsi le juge à
se prononcer sur des questions très actuelles et sources
d’importants débats au sein de la société. La cour
administrative d’appel de Nancy a utilisé ici un
raisonnement en deux temps avec tout d’abord la
confrontation de la mesure contestée (à savoir la décision
d’installer les éléments litigieux dans les espaces publics) à
des normes constitutionnelles et internationales, qui l’a
conduite à affirmer l’absence de violation des normes en
question (I), puis une analyse au regard de l’étendue du
pouvoir de police du maire (II).
I/ L’affirmation de l’absence de
méconnaissance des normes
constitutionnelles et internationales
Si l’affirmation de l’absence de méconnaissances des
normes constitutionnelles et internationales ne surprend
pas au vu de l’ordonnance précitée du Conseil d’État, le
recours indifférencié à diverses normes de références (A)
retient toutefois l’attention, de même qu’il convient de
souligner que le rejet de la violation des principes de
dignité et d’égalité entre hommes et femmes reste
relativement peu argumenté (B).
〉Cas pratique
Le maire de la commune de X rencontre quelques
difficultés dans la gestion des voies de sa commune.
1. Cela fait plusieurs mois que les habitants d’une des rues
piétonnes du centre historique se plaignent auprès des
services de la mairie de ce que la chaussée et les trottoirs
de cette rue sont en permanence encombrés par des
étalages installés sans autorisation et qu’il en résulte des
nuisances et des troubles importants tant pour la sécurité
du passage que pour la salubrité des lieux. Deux passages
des agents de la police municipale ont certes procuré une
amélioration mais les désordres ont à chaque fois repris peu
après. Après un courrier adressé au maire le 10 mars
dernier et resté sans réponse, dans lequel il lui demandait
de prendre toute mesure pour remédier à cette situation et
une indemnisation de 3 000 euros en réparation du
préjudice qui en résulte pour lui dans sa vie quotidienne, un
résident du quartier est décidé à agir en justice. Il
s’interroge sur la pertinence de son action. (8 points)
2. Par ailleurs, pour combler des trous constatés dans la
chaussée d’une des rues longeant le parc municipal, deux
agents du service de la voirie ont déversé plusieurs seaux
de gravillons sur cette chaussée. Dans les heures qui ont
suivi, un motard, qui connaît bien cette rue tranquille qu’il a
l’habitude d’emprunter car elle lui permet de rouler à vive
allure, a dérapé sur ces gravillons. Il s’est blessé au coude
et a endommagé sa moto. Il souhaite savoir si et comment il
pourra être indemnisé des dommages qu’il estime avoir
ainsi subis. (7 points)
3. Immédiatement averti de l’accident, le maire a
convoqué les deux agents ayant procédé à cette
intervention technique pour le moins inadaptée. Ayant
appris qu’ils avaient été récemment recrutés par contrats, le
maire a décidé de mettre un terme à ceux-ci dans le respect
des procédures légales. Estimant cependant n’avoir fait
qu’exécuter les ordres donnés par leur responsable, les
deux agents entendent contester leur licenciement devant
le conseil de prud’hommes. Le maire se demande si la
juridiction en cause est bien compétente pour statuer. (5
points)
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan du corrigé
〉Corrigé
I/ La carence dans l’exercice des
pouvoirs de police (sur 8 points)
La situation décrite dans le cas pratique est relative aux
conséquences de l’inaction supposée des autorités de la
commune pour faire respecter les conditions normales
d’utilisation de la voie publique. Les riverains font valoir à
ce titre que l’installation d’étalages sans autorisation
provoque des nuisances et des troubles importants tant
pour la sécurité du passage que pour la salubrité des lieux.
Ils mettent ainsi en cause une carence dans la mise en
œuvre des pouvoirs de police administrative confiés au
maire de la commune. La police administrative tend, en
effet, au maintien de la sécurité, de la salubrité et de la
tranquillité publiques. Toute situation qui cause un trouble
à l’une ou l’autre de ses composantes relève ainsi de la
mise en œuvre du pouvoir de police administrative.
Lorsque ce trouble ne concerne qu’une seule commune,
c’est au maire de celle-ci, autorité de police municipale, de
prendre les mesures qui s’imposent pour prévenir le
trouble et/ou empêcher qu’il ne continue.
Il est indiqué que les riverains se sont plaints de la
situation à plusieurs reprises ces derniers mois auprès des
services de la mairie. Ceux-ci ne sont certes pas restés
totalement inactifs puisque la police municipale est
intervenue deux fois et a permis un retour à la normale.
Cependant, il n’a été, à chaque fois, que temporaire. Il est
donc possible de considérer que les mesures prises ont été
insuffisantes car elles n’ont pas dissuadé les commerçants
concernés de réinstaller leurs étalages sur les trottoirs.
Le courrier adressé par le riverain est en date du 10 mars
dernier. Il est resté sans réponse ce qui doit conduire à
considérer qu’il a fait naître, deux mois après sa réception,
une décision implicite de refus. En effet, ce courrier,
tendant d’une part, à l’édiction de mesures propres à
remédier à la situation et d’autre part, au versement d’une
indemnité en réparation des préjudices subis par le riverain
dans sa vie quotidienne, ne relève pas du principe selon
lequel le silence conservé par l’Administration sur une
demande vaut acceptation de celle-ci (art. L. 231-1 du code
des relations entre le public et l’Administration). Il en est
donc résulté, sur les deux demandes contenues dans ce
courrier, l’apparition d’une décision implicite de refus (le
10 mai ou dans les jours qui ont suivi, en fonction de la
date de réception du courrier à la mairie). En tout état de
cause, à la date de l’examen (27 mai 2021), cette décision
de refus est née et peut être contestée.
Si le riverain persiste dans sa volonté, il peut donc
exercer un recours pour excès de pouvoir contre la décision
du maire refusant de prendre les mesures de police
administrative propres à restaurer l’ordre public dans la
rue en cause. Il a deux mois et un jour, à compter de la date
d’apparition de la décision de refus, pour exercer ce
recours, soit jusqu’au 11 juillet (ou les jours suivants, cf. ci-
dessus). Un tel recours pour excès de pouvoir est dispensé
À
du ministère d’avocat. À l’appui de ce recours, le requérant
doit établir l’illégalité de la carence du maire dans
l’exercice de son pouvoir de police. Alors que le juge
n’admettait initialement l’illégalité de l’abstention des
autorités de police administrative que dans des
circonstances très restrictives (CE 23 oct. 1959, Doublet), il
est désormais plus exigeant au sujet de la mise en œuvre
du pouvoir de police en cas de troubles à l’ordre public.
Ainsi, tout porte à croire, qu’en l’espèce, au regard des
demandes anciennes, répétées et dépourvues d’effets réels,
le juge administratif (ici le tribunal administratif dans le
ressort duquel se situe la commune) estimera que le refus
de prendre de nouvelles mesures plus fermes est entaché
d’illégalité.
Par ailleurs, si le riverain persiste également dans sa
volonté d’obtenir la réparation des préjudices qu’il estime
subir dans sa vie quotidienne du fait de la persistance des
troubles à l’ordre public dans sa rue, il peut engager une
action en responsabilité contre la commune (et non contre
le maire, organe de celle-ci, qui n’a pas commis de faute
personnelle en l’occurrence). Une action en responsabilité
est soumise au ministère d’avocat obligatoire, sauf lorsque,
comme en l’espèce, elle est dirigée contre une collectivité
locale (CJA, art. R. 431-3, 5°). Il s’agira d’une action en
responsabilité fondée sur la faute simple constituée par la
carence de l’autorité de police municipale (CE 2003, Cne
de Moissy-Cramayel). Sur ce point encore, les
circonstances conduisent à penser que cette action sera
reconnue fondée. Le juge administratif appréciera
cependant le montant du préjudice réellement subi par le
riverain.
Sur le préjudice :
10. Considérant que le préjudice de la société Natixis
Factor a été fixé par les juridictions judiciaires à 311 186,50
euros à la date du 31 janvier 2003, comme correspondant
au montant des certificats pour paiement de travaux non
réalisés sur lesquels M. B… a néanmoins apposé sa
signature et son timbre humide ; qu’il y a lieu, par suite, de
condamner la ville de Marseille à verser cette somme à la
société Natixis Factor, assortie des intérêts à compter du 20
décembre 2004, la ville étant subrogée dans les droits de la
société Natixis Factor dans la créance que celle-ci détient à
l’encontre de M. B… dans la limite de ce montant ;
11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la
société Natixis Factor est fondée à soutenir que c’est à tort
que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de
Marseille a rejeté sa demande.
〉Préparation
Analyse du sujet
L’exercice donné à l’examen est un commentaire
d’arrêt. D’un point de vue méthodologique,
l’étudiant doit veiller à construire son devoir en
s’appuyant sur le raisonnement et l’enchaînement
logique des arguments développés par le juge. Le
commentaire d’arrêt ne doit pas être le prétexte à
une dissertation déguisée. Le corrigé proposé
souligne en ce sens les passages de l’arrêt servant
à la construction du plan. Une attention toute
particulière doit être portée à la construction de
l’introduction de manière à souligner l’intérêt de
l’arrêt au regard des questions juridiques qu’il
soulève. Le corrigé proposé formalise en ce sens
les différentes étapes de construction de
l’introduction. Sur le fond du droit, un bon devoir
rappellera que la responsabilité de l’Administration,
personne morale, est par définition une
responsabilité du fait d’autrui. Aidé par la rédaction
très pédagogique de l’arrêt, le commentaire
s’attachera plus particulièrement à mettre en avant
la différence de contenu de la distinction faute de
service-faute personnelle selon que l’action est
exercée devant le juge administratif ou le juge
judiciaire, selon que la victime agit contre
l’Administration ou son agent, ou l’Administration
contre son agent. À cet égard, une bonne
connaissance de la jurisprudence est indispensable
afin de recenser les différentes hypothèses de mise
en œuvre de la distinction faute personnelle-faute
de service et de dresser la typologique des fautes
non dépourvues de tout lien avec le service.
L’angle retenu par le corrigé, dicté par les
circonstances de l’affaire, insiste sur l’idée de
gravité des faits reprochés aux agents de
l’Administration. Il permet de dissocier à l’encontre
du sens commun les notions de faute grave et de
faute personnelle.
Plan du corrigé
〉Cas pratique
La crise sanitaire de la covid-19 a, en quelques jours,
totalement bouleversé le droit positif. Le ministre de la
santé a d’abord édicté, en application de son pouvoir de
police spéciale sanitaire (L. 3131-1 du code de la santé
publique), un arrêté prononçant la fermeture
d’établissements au public (arrêté du 14 mars 2020). Le
Premier ministre, sur le fondement de la théorie des
circonstances exceptionnelles, a ensuite édicté un décret
prononçant le confinement de la population (décret du 16
mars 2020, aujourd’hui codifié dans le décret du 23 mars
2020). Enfin, une loi d’urgence a décrété l’état d’urgence
sanitaire et donné compétence au Gouvernement pour
édicter des ordonnances afin de prendre des mesures
urgentes (loi du 23 mars 2020).
Dans ce contexte particulier, vous êtes consulté par la ville
de Paris, l’Assistance publique – hôpitaux de Paris (APHP) et
des commerçants locaux sur plusieurs aspects de droit
administratif.
• Premier exercice (8 points)
Vous êtes d’abord consulté par la ville de Paris qui se pose
plusieurs questions.
1/ M. Bleu est propriétaire d’un café-restaurant dans le 17e
arrondissement de Paris. La ville de Paris a conclu avec M.
Bleu une convention d’occupation du domaine public, par
laquelle elle autorise l’occupation du domaine public pour
l’installation d’une terrasse, en contrepartie du versement
d’une redevance par l’occupant. M. Bleu est préoccupé du
versement de cette redevance, dès lors que la fermeture
des établissements au public ainsi que les mesures de
confinement ont totalement réduit à néant son activité
économique. Il se demande dans quelle mesure il pourrait
éviter de verser cette somme voire même être indemnisé.
2/ M. Vert est sous-directeur des affaires sociales à la ville
de Paris. Le dimanche 15 mars, il a été appelé en urgence
par le service des affaires électorales pour remplacer un
assesseur malade dans un bureau de vote de la capitale, ce
qu’il a accepté. Mais son arrivée au bureau de vote a été
catastrophique. Aucune distance de sécurité n’était
respectée entre les citoyens, et aucun gel hydroalcoolique
n’a été prévu. Paniqué, M. Vert a commencé à courir vers la
sortie, a trébuché sur une dalle mal fixée de l’école
maternelle dans laquelle se déroulaient les opérations
électorales, et s’est cassé une jambe. Quatre jours plus tard,
il est testé positif au coronavirus et est hospitalisé ; il en
guérit par la suite, mais reste affecté de séquelles
neurologiques inquiétantes.
3/ La ville souhaite en outre distribuer des masques de
protection à ses habitants. Elle a déjà contacté plusieurs
entreprises locales qui se sont reconverties récemment dans
cette activité. Elle souhaite faire financer ces masques par
des publicités sur le tissu, exploitées par les fabricants. Le
service juridique de la ville s’interroge sur le type et la
nature du contrat qui doit être conclu.
4/ Le contrat est finalement conclu de gré à gré avec un
fabricant local de vêtements le 12 avril 2020. Mais, le
lendemain, le ministre de l’intérieur, déclare à l’occasion
d’une interview que, eu égard à la pénurie, l’ensemble des
masques fabriqués doit être réquisitionné par l’État. La
société ne peut donc respecter ses engagements
contractuels et se demande ce qu’il adviendra de
l’exécution du contrat conclu avec la ville. M. Rouge,
contribuable local, ainsi que le préfet, entendent demander
au juge l’annulation de la délibération du Conseil de Paris du
10 avril 2020 autorisant le maire à signer le contrat.
• Deuxième exercice (8 points)
Le service juridique de l’Assistance publique – Hôpitaux de
Paris (APHP) a lui aussi des questions importantes à vous
poser.
1/ Un médecin de l’hôpital public, M. Un, a été affecté aux
patients atteints de la covid-19 et a lui-même été infecté
par le virus. Il est décédé le 12 avril 2020, sans avoir vu
pour une dernière fois ses enfants.
2/ Son collègue, M. Deux, est très inquiet. Il a été exposé
aux mêmes patients que M. Un et redoute d’être malade à
son tour, d’autant plus que, étant diabétique, il est une
personne à risque. Il considère que la puissance publique a
commis une faute en ne commandant pas suffisamment de
masques et de gel hydroalcoolique, ce qui a augmenté les
risques au sein de l’hôpital.
3/ L’un des patients hospitalisés en réanimation, M. Trois, a
subi une avarie de son appareil respiratoire. Le patient était
placé dans le coma depuis plusieurs jours, mais l’appareil a
cessé de fonctionner pendant six minutes le 14 avril 2020.
M. Trois a pu être sauvé mais le dysfonctionnement risque
de lui causer des séquelles lourdes. Il s’interroge sur la
possibilité de poursuivre le fabriquant chinois du respirateur.
Quelles responsabilités peuvent être engagées ?
• Troisième exercice (4 points + 2 points bonus)
Vous êtes enfin consulté par deux commerçants voisins du
18e arrondissement.
1/ M. Quatre gère une boutique de fleurs, qui a dû fermer
depuis que l’arrêté du 14 mars 2020 (codifié aujourd’hui
dans le décret du 23 mars 2020) a ordonné la fermeture de
la plupart des établissements recevant du public et que le
décret du 16 mars 2020 (codifié lui aussi dans le décret du
23 mars 2020) a ordonné le confinement de la population.
Son chiffre d’affaires est quasi-nul depuis plusieurs
semaines, ce qui l’inquiète. Il se demande dans quelle
mesure la puissance publique ne serait pas responsable de
son préjudice économique.
2/ M. Cinq, son voisin, est boucher. Il a pu continuer son
activité pendant le confinement, mais n’a pas pu se
protéger pendant son activité, du fait de la pénurie de
masques. Il n’a même pas pensé à se fabriquer un masque
en tissu, car il a entendu à plusieurs reprises le chef de
l’État et son Premier ministre déclarer à la télévision que «
les masques ne sont pas nécessaires » et qu’il est «
déconseillé d’en porter ». Il n’était en effet pas inquiet à
l’époque, et n’a notamment pas mis en place de film de
protection devant sa caisse. M. Cinq a été contaminé par le
virus le 5 avril et a dû fermer sa boutique en conséquence. Il
considère aujourd’hui que la puissance publique est
responsable du préjudice économique qu’il subit. Qu’en
pensez-vous ?
〉Préparation
Analyse du sujet
〉Corrigé
• Premier exercice
1/ M. Bleu est propriétaire d’un café-restaurant dans le
17e arrondissement de Paris. La ville de Paris a conclu avec
M. Bleu une convention d’occupation du domaine public,
par laquelle elle autorise l’occupation du domaine public
pour l’installation d’une terrasse, en contrepartie du
versement d’une redevance par l’occupant. M. Bleu est
préoccupé du versement de cette redevance, dès lors que
la fermeture des établissements au public ainsi que les
mesures de confinement ont totalement réduit à néant son
activité économique. Il se demande dans quelle mesure il
pourrait être indemnisé.
M. Bleu, qui a passé une convention d’occupation
domaniale avec la ville, ne peut exploiter la dépendance
concernée en raison des mesures de confinement et de
fermeture des établissements au public pendant la crise
sanitaire. Il se demande dans quelle mesure il pourrait ne
pas verser la redevance d’occupation domaniale et même
être indemnisé du préjudice économique subi.
(0,5 pt) Afin de déterminer le régime applicable au
contrat en cause, il convenait de qualifier préalablement ce
dernier. La convention d’occupation domaniale est un
contrat administratif par détermination de la loi (CGPPP,
art. L. 2331-1), qualification déterminant le régime
exorbitant du droit des contrats administratifs.
Il convenait ensuite de qualifier les effets de la pandémie
et des mesures de confinement adoptées pour y faire face.
(1,5 pt) Il était possible, tout d’abord, d’envisager
l’application de la théorie de l’imprévision (CE 1916, Gaz
de Bordeaux). La pandémie et les mesures sanitaires
constituent un événement qui ne pouvait pas être
raisonnablement prévu par les parties au contrat. Cet
événement est extérieur aux parties au contrat (nota : les
mesures décidées par l’exécutif sont prises par une
personne publique autre que celle qui a conclu le contrat).
Reste la question de savoir si cet événement peut être
considéré comme bouleversant l’économie du contrat. La
réponse à cette question est positive si l’on considère que
l’occupation du domaine public demeure possible, mais
économiquement désastreuse en raison de l’absence de
chiffre d’affaires réalisé par le restaurateur.
En cas d’imprévision, la puissance publique doit verser
une indemnité compensant presque intégralement le
déséquilibre, mais des stipulations contractuelles peuvent
faire reposer la charge de l’imprévision sur le
cocontractant.
(1,5 pt) Il était aussi possible de considérer que dès lors
que les établissements, et notamment les restaurants, sont
fermés au public, la terrasse ne peut être installée sur le
domaine public et la convention domaniale ne peut être
exécutée. Se pose alors la question de l’application de la
théorie de la force majeure. Comme dit supra, la
pandémie et les mesures pour y faire face sont imprévues
et extérieures aux parties. Il est possible de qualifier
l’événement d’irrésistible, car rendant l’exécution du
contrat totalement impossible1.
En cas de force majeure, les obligations contractuelles
sont suspendues, et par conséquent le restaurateur n’aura
pas à verser la redevance d’occupation domaniale. Et si les
événements se révèlent définitifs, chaque partie au contrat
pourra le résilier, mais cela semble peu probable en
l’espèce.
2/ M. Vert est sous-directeur des affaires sociales à la ville
de Paris. Le dimanche 15 mars, il a été appelé en urgence
par le service des affaires électorales pour remplacer un
assesseur malade dans un bureau de vote de la capitale, ce
qu’il a accepté. Mais son arrivée au bureau de vote a été
catastrophique. Aucune distance de sécurité n’était
respectée entre les citoyens, et aucun gel hydroalcoolique
n’avait été prévu. Paniqué, M. Vert commence à courir vers
la sortie et trébuche sur une dalle mal fixée de l’école
maternelle dans laquelle se déroulent les opérations
électorales. Il se casse une jambe. Quatre jours plus tard, il
est testé positif au coronavirus et est hospitalisé ; il en
guérit par la suite, mais reste affecté de séquelles
neurologiques inquiétantes.
M. Vert, agent de la ville de Paris, a subi plusieurs
préjudices dont il pourrait demander l’indemnisation. Il
s’est cassé une jambe en trébuchant sur une dalle mal fixée
d’un bâtiment public. Il a été infecté par le coronavirus à
l’occasion de la surveillance (ou de la tentative)
d’opérations électorales (préjudice corporel et
éventuellement professionnel).
(1,5 pt) Concernant l’infection par le coronavirus, celle-ci
résulte de la mauvaise organisation sanitaire du bureau de
vote. Elle semble révéler une faute de la puissance
publique ; mais il convient d’examiner avant tout si une
hypothèse de responsabilité sans faute peut ici trouver à
s’appliquer, la responsabilité sans faute primant la
responsabilité pour faute. M. Vert est en l’espèce un
collaborateur occasionnel du service public, et il a subi un
préjudice à l’occasion de cette collaboration. Le régime de
responsabilité sans faute du fait d’une telle collaboration
occasionnelle peut trouver à s’appliquer (CE, ass., 1946,
Commune de Saint Priest La Plaine) : M. Vert a bien été
sollicité par l’Administration, et il s’est rendu au bureau de
vote ce qui laisse penser à une collaboration effective (il
était possible d’en discuter, puisque M. Vert, blessé, n’a
finalement pas contrôlé les opérations de vote).
(1 pt) Concernant la chute en raison de la dalle cassée, il
s’agit d’un préjudice résultant du défaut d’entretien normal
d’un ouvrage public. En l’espèce, M. Vert était un usager de
l’ouvrage, mais en tant que collaborateur du service public.
Le régime de responsabilité applicable est celui d’une
responsabilité pour faute présumée (CE 1971, Ville de
Fréjus) : il appartiendra à la ville de démontrer l’entretien
normal de l’ouvrage en l’espèce. Il était en outre possible
de discuter d’une éventuelle faute de la victime atténuant
la responsabilité de la commune, M. Vert ayant couru vers
la sortie de façon imprudente.
3/ La ville souhaite distribuer des masques de protection
à ses habitants. Elle a déjà contacté plusieurs entreprises
locales qui se sont reconverties récemment dans cette
activité. Elle souhaite faire financer ces masques par des
publicités sur le tissu, exploitées par les fabricants. Le
service juridique de la ville s’interroge sur le type et la
nature du contrat qui doit être conclu.
(0,5 pt) Le contrat est un contrat de la commande
publique (CCP, art. L. 1111-1) :
– le contrat est conclu entre une personne publique et un
opérateur économique ;
– il est conclu pour répondre aux besoins de la personne
publique (sécurité, salubrité) ;
– c’est un contrat conclu à titre onéreux.
(1 pt) Ce contrat n’est pas un marché public mais un
contrat de concession. En effet, suivant le critère financier,
la rémunération est essentiellement liée aux résultats de
l’exploitation, l’opérateur économique supportant un risque
d’exploitation (CE 2008, Dpt de la Vendée). Cette
concession ne semble pas porter sur un service public, ce
qui n’exclut pas depuis 2014 ladite qualification.
(0,5 pt) Le contrat de concession étant conclu par une
personne publique, il s’agit d’un contrat administratif par
détermination de la loi (CCP, art. L. 6).
4/ Le contrat est finalement conclu de gré à gré avec un
fabricant local de vêtements le 12 avril 2020. Mais, le
lendemain, le ministre de l’intérieur, déclare à l’occasion
d’une interview que, eu égard à la pénurie, l’ensemble des
masques fabriqués doit être réquisitionné par l’État. La
société ne peut donc respecter ses engagements
contractuels et se demande ce qu’il adviendra de
l’exécution du contrat conclu avec la ville. M. Rouge,
contribuable local, ainsi que le préfet, entendent demander
au juge l’annulation de la délibération du Conseil de Paris
du 10 avril 2020 autorisant le maire à signer le contrat.
(1 pt) Suite à la réquisition de masques par la puissance
publique, les cocontractants s’interrogent sur le sort du
contrat qu’ils ont conclu. Devait être envisagée ici
l’application de la théorie du fait du prince, quand la
puissance publique cocontractante aggrave ou rend
impossible l’exécution du contrat. Reste que la théorie du
fait du prince ne trouve pas à jouer quand c’est une autre
personne publique que celle qui a conclu le contrat qui a
aggravé les conditions d’exécution. Dans une telle
hypothèse, la théorie de la force majeure peut trouver à
s’appliquer (CE, sect., 1982, Propétrol).
(1 pt) Le préfet et un contribuable local souhaitent en
outre contester la délibération du Conseil de Paris
autorisant la signature du contrat, c’est-à-dire un acte
détachable de la convention. M. Rouge est un tiers au
contrat, qui dispose de la faculté de former une action en
contestation de la validité du contrat devant le juge du
plein contentieux (CE, ass., 2014, Tarn et Garonne). Or,
l’ouverture du recours de plein contentieux ferme le
recours en excès de pouvoir contre un acte détachable du
contrat (CE 2014, préc.). Le recours de M. Rouge sera
irrecevable. Il n’en va pas de même de celui du préfet, qui
est toujours possible (même décision).
• Deuxième exercice
1/ Médecin de l’hôpital public, M. Un, a été affecté aux
patients atteints de la covid-19 et a lui-même été infecté
par le virus. Il est décédé le 12 avril 2020, sans avoir vu
pour une dernière fois ses enfants.
(2 pts) Se pose ici la question de savoir dans quelle
mesure les héritiers de l’agent peuvent être indemnisés du
préjudice subi par ce dernier. Il était important de rappeler
que le droit à réparation se transmet aux héritiers de la
victime (CE, sect., 2000, APHP c/ Jacquié).
– Le préjudice réparable est le décès du médecin, mais
aussi le préjudice moral de ses enfants (troubles dans les
conditions d’existence).
– Du point de vue de la causalité, le préjudice est survenu
à l’occasion du service de M. Un.
– Étant un agent de la puissance publique, le préjudice
qu’il a subi est indemnisé de manière forfaitaire par le
versement d’une pension prévue par la loi. L’indemnisation
est ici justifiée par la rupture d’égalité devant les charges
(CE 1895, Cames). Mais l’indemnisation n’est plus limitée à
ce forfait depuis l’abandon de la règle du forfait de la
pension (CE, ass., 2003, Moya-Caville). Les héritiers
pourront donc demander la réparation intégrale du
préjudice.
2/ Son collègue, M. Deux, est très inquiet. Il a été exposé
aux mêmes patients que M. Un et redoute d’être malade à
son tour, d’autant plus que, étant diabétique, il est une
personne à risque. Il considère que la puissance publique a
commis une faute en ne commandant pas suffisamment de
masques et de gel hydroalcoolique, ce qui a augmenté les
risques au sein de l’hôpital.
– (1 pt) Le préjudice subi par M. Deux, agent, est un
préjudice d’anxiété (CE 9 nov. 2016, Bindjouli). Il ne sera
indemnisé qu’à hauteur de la chance perdue d’avoir pu
éviter la contamination.
– (1 pt) Le régime de responsabilité applicable est celui
du risque professionnel (accident du travail subi par un
agent, v. supra). La responsabilité sans faute prime une
éventuelle responsabilité pour faute.
3/ L’un des patients hospitalisés en réanimation, M. Trois,
a subi une avarie de son appareil respiratoire. Le patient
était placé dans le coma depuis plusieurs jours, mais
l’appareil a cessé de fonctionner pendant six minutes le 14
avril 2020. M. Trois a pu être sauvé mais le
dysfonctionnement risque de lui causer des séquelles
lourdes. Il s’interroge sur la possibilité de poursuivre le
fabricant chinois du respirateur.
M. Trois a subi un préjudice corporel à l’occasion de la
défaillance d’un appareil de santé. Il souhaite se faire
indemniser par le fabriquant de l’appareil.
(1 pt) Le dommage ayant été subi à l’occasion d’une
activité de service public, c’est en principe la puissance
publique qui est responsable du dommage de M. Trois. Le
dommage résultant de la défaillance d’un appareil de santé,
cette responsabilité est une responsabilité sans faute
fondée sur la rupture d’égalité devant les charges
publiques (CE 2003, APHP c/ Marzouk). M. Trois devra en
principe demander à être indemnisé par la puissance
publique.
(1 pt) Ceci étant, la Cour de justice de l’UE considère
pour sa part que pour que ce régime de responsabilité soit
compatible avec le DUE, il faut que la victime puisse
poursuivre, outre le prestataire, le producteur de l’appareil
(CJUE 2011, CHU de Besançon). La victime a donc ici le
choix, entre une action contre l’hôpital (qui pourra dans un
second temps se retourner contre le constructeur) ou
contre le fabriquant.
• Troisième exercice
1/ M. Quatre gère une boutique de fleurs, qui a dû fermer
depuis que l’arrêté du 14 mars 2020 (codifié aujourd’hui
dans le décret du 23 mars 2020) a ordonné la fermeture de
la plupart des établissements recevant du public et que le
décret du 16 mars 2020 (codifié lui aussi dans le décret du
23 mars 2020) a ordonné le confinement de la population.
Son chiffre d’affaires est quasi-nul depuis plusieurs
semaines, ce qui l’inquiète. Il se demande dans quelle
mesure la puissance publique ne serait pas responsable de
son préjudice économique.
(1 pt) M. Quatre a subi un préjudice économique du fait
des mesures de confinement et de fermeture des
établissements ouverts au public, décidées par acte
réglementaire. Se pose la question de la responsabilité de
la puissance publique en l’espèce. Le régime est celui d’une
responsabilité sans faute du fait d’actes réglementaires
réguliers (CE 1963, Cne de Gavarnie).
(1 pt) Mais les conditions d’engagement d’une telle
responsabilité ne sont pas remplies. D’abord,
l’indemnisation ne peut être décidée qu’en cas de spécialité
du préjudice, ce qui n’est pas le cas en l’espèce dès lors
que l’ensemble des commerçants l’a subi. Ensuite, et
surtout, la force majeure pourrait ici exonérer la puissance
publique de sa responsabilité.
(Point bonus) Il était en outre possible de se demander si
le préjudice d’anxiété pourrait être transposé au domaine
économique, la crise induisant des craintes sérieuses pour
l’avenir des opérateurs économiques. Ceci étant, le juge
administratif pourrait tout autant considérer que le
préjudice subi par la population et les opérateurs constitue
un préjudice collectif, dont on sait qu’il ne peut faire l’objet
que d’une indemnisation morale et symbolique (CE, avis,
ass., 16 févr. 2009, Hoffmann Glemane).
2/ M. Cinq, son voisin, est boucher. Il a pu continuer son
activité pendant le confinement, mais n’a pas pu se
protéger pendant son activité, du fait de la pénurie de
masques. Il n’a même pas pensé à se fabriquer un masque
en tissu, car il a entendu à plusieurs reprises le chef de
l’État et son Premier ministre déclarer à la télévision que «
les masques ne sont pas nécessaires » et qu’il est «
déconseillé d’en porter ». Il n’était en effet pas inquiet à
l’époque, et n’a notamment pas mis en place de film de
protection devant sa caisse. M. Cinq a été contaminé par le
virus le 5 avril et a dû fermer sa boutique en conséquence.
Il considère aujourd’hui que la puissance publique est
responsable du préjudice économique qu’il subit. Qu’en
pensez-vous ?
Se pose ici encore la question de l’indemnisation du
commerçant pour le préjudice corporel qu’il a subi, et le
préjudice économique qui en a résulté.
Du point de vue de la causalité, ces préjudices résultent
des déclarations de l’exécutif, mais aussi de l’absence de
mesures de protection au sein de son commerce.
(1 pt) Les déclarations du chef de l’État et du Premier
ministre sont qualifiables d’actes de droit souple (CE, ass.,
2016, Fairvesta), dont on sait qu’ils peuvent être édictés
par toute autorité administrative (CE 2019, Le Pen). Outre
le fait que le juge est indifférent à la forme de l’acte
administratif (CE 2017, Bail à part), ces déclarations ont eu
des effets notables et ont surtout été suivies par les
administrés.
(0,5 pt) Dans ces conditions, le régime de responsabilité
applicable est celui d’une responsabilité pour faute du fait
d’un acte de droit souple illégal (CE 2003, Bergaderm).
Encore faudra-t-il démontrer l’illégalité des déclarations
exécutives.
(0,5 pt) Reste que, en l’espèce, la victime a commis une
faute en n’installant pas de protection en plastique pour les
clients. Cette faute de la victime devrait exonérer
partiellement la puissance publique de sa responsabilité.
(Bonus) Il était aussi possible d’envisager une
responsabilité pour faute simple du fait de la carence des
autorités de police sanitaire, qui n’ont pas imposé le port
du masque. Concernant le degré de la faute exigée en
matière de carence de l’autorité de police sanitaire, la
jurisprudence s’était orientée vers la faute simple ces
dernières années (CE 9 nov. 2016, Faure). Mais, eu égard à
la difficulté de la tâche en l’espèce, le juge pourrait très
bien revenir à un régime de faute lourde, et tenir compte
en tout état de cause des moyens mis à la disposition de
l’Administration.
(Bonus) Le juge pourrait en outre s’inspirer du régime de
présomption de faute mise en place dans le contentieux de
la prévention des risques liés à l’amiante (CE, ass., 3 mars
2004, Botella).
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan du corrigé
〉Corrigé
La rigueur du droit a ceci d’ironique qu’elle permet à un
agent fautif de mettre à l’amende tout à la fois une
Administration publique et un juge administratif. C’est ce
type de solution cocasse qui a donné lieu à la décision
rendue par le Conseil d’État le 9 juin 2020 aux termes de
laquelle un agent municipal sanctionné pour faute (dont on
peut donc présumer qu’il a commis des manquements à ses
obligations) peut obtenir l’annulation de la sanction en
question lorsqu’elle s’avère disproportionnée au but
poursuivi par la collectivité territoriale, ainsi que
l’annulation du jugement du tribunal administratif qui ne
tire pas tous les effets de la déclaration d’illégalité qu’il
prononce. Le coupable initial est bien devenu victime sous
l’effet des erreurs administratives (le maire était allé trop
loin) et des glissements contentieux (le tribunal n’était pas
allé assez loin).
Concrètement dans cette affaire M. A… B… était employé
par la commune des Baux-de-Provence en qualité d’agent
contractuel de droit public (il n’était donc pas
fonctionnaire). En raison de faits qui ne sont pas
mentionnés, le maire a pris une sanction à son encontre par
un arrêté en date du 17 juillet 2015, prononçant une
sanction d’exclusion temporaire de trente jours, période
pendant laquelle il n’a logiquement pas perçu de
rémunération.
Estimant que la décision de sanction était illégale et que
la privation de revenus constituait un préjudice
indemnisable qu’il évaluait à 4 000 €, M. B… a formé un
recours indemnitaire devant le tribunal administratif de
Marseille. Par un jugement du 19 juin 2018, le juge du fond
a conclu à l’illégalité de la mesure de sanction et a renvoyé
à la commune le soin de régulariser la situation du
requérant, sans accueillir pleinement sa demande
d’indemnisation. Ce jugement a été rendu en premier et
dernier ressort et n’est pas susceptible d’appel, comme tel
est le cas pour tous les recours indemnitaires dont le
montant est inférieur à 10 000 € (CJA, art. R. 811-1 et R.
222-14). La seule possibilité ouverte à M. B… était donc de
former un recours en cassation.
Ainsi, sa demande d’indemnisation n’étant pas satisfaite,
le requérant a formé un tel pourvoi en cassation devant le
Conseil d’État contre le jugement du tribunal administratif,
qui a passé le filtre de l’admission des pourvois en
cassation et qui donne lieu à la présente décision rendue le
9 juin 2020.
Le Conseil d’État était amené dans cette affaire à se
prononcer sur deux éléments centraux, à savoir la
possibilité d’indemniser le requérant victime d’une décision
administrative illégale, et la possibilité pour le juge du fond
de prononcer lui-même cette indemnisation. Il s’agissait
donc pour la Haute juridiction de déterminer si le juge du
fond qui conclue à l’engagement de la responsabilité d’une
personne publique à raison d’une sanction disciplinaire
disproportionnée, peut se borner à renvoyer à la personne
publique elle-même pour tirer les conséquences de sa
décision.
La réponse à cette question sera sans surprise et sans
suspens. En effet, le Conseil d’État ne fait ici qu’appliquer
une jurisprudence constante tirée des principes généraux
de la responsabilité administrative et du contentieux, il n’y
a là rien d’étonnant puisque la décision a été rendue dans
la plus simple des formations de jugement – une chambre
jugeant seule – et que la décision n’aura même pas l’intérêt
d’une mention dans les tables du Recueil Lebon, c’est donc
É
bien une pure décision d’espèce. Ainsi, le Conseil d’État
commence par rappeler les conditions générales
d’indemnisation pour faute fondée sur un acte administratif
illégal, pour rappeler notamment l’appréciation de
l’étendue du préjudice indemnisable dans l’hypothèse où la
victime est un agent de droit public, avant de confirmer
comme c’était attendu dans un tel cas que le juge du fond a
l’obligation de tirer toutes les conséquences de sa décision,
notamment de prononcer l’indemnisation ou de mettre
l’Administration en demeure d’y procéder.
Ici, le juge administratif raisonne donc en deux temps.
Après avoir rappelé les conditions générales
d’indemnisation de la personne victime d’une sanction
administrative illégale (I), il remet au pas le juge du fond
qui avait pu méconnaître son office de plein contentieux
(II). Autrement dit pour le juge de cassation, il s’agit
d’abord de rappeler les modalités du contrôle opéré par le
juge du fond sur l’Administration, sans y procéder lui-
même, puis de vérifier les modalités du contrôle opéré par
le juge du fond lui-même.
B – L’imputabilité habituelle du
préjudice indemnisable
Une fois entendue la question du fait générateur de la
responsabilité administrative, le juge doit vérifier la
réunion de plusieurs éléments d’imputabilité qui aboutiront
à l’indemnisation de la victime. Ainsi, il doit établir qu’il
existe bien en premier lieu un lien de causalité direct et
certain entre le fait générateur et le préjudice, et en second
lieu un préjudice indemnisable. C’est dans un considérant 2
très riche que le Conseil d’État rappelle ici ces éléments,
en reprenant à l’identique sa jurisprudence antérieure en la
matière. Pour ce faire, il se fonde sur « les principes
généraux qui régissent la responsabilité de la puissance
publique » (cons. 2). Cette référence témoigne du caractère
prétorien du droit de la responsabilité administrative, droit
érigé par le juge en dehors de la loi sous l’effet du
contentieux depuis la décision fondatrice Blanco (T. confl. 8
févr. 1873, Blanco) qui avait soustrait cette responsabilité
aux règles du code civil et à la compétence du juge
judiciaire, et qui s’était rapidement étendue à la
responsabilité des collectivités territoriales (T. confl. 29
févr. 1908, Feutry).
La première condition pour ouvrir droit à indemnisation
est l’identification d’un « lien direct de causalité » entre le
préjudice allégué et l’illégalité constatée (cons. 3).
Autrement dit, il faut que le préjudice trouve directement
son origine dans l’acte illégal (par exemple, CE, sect., 7
mars 1969, Lassailly et Bichebois ; CE 10 mai 1985, Dame
Ramade). À cet égard, lorsqu’il existe plusieurs origines
possibles au préjudice et plusieurs liens de causalité
potentiels, le juge administratif mobilise la théorie de la
causalité adéquate pour retenir le fait générateur qui a un
lien le plus étroit avec le dommage. En l’espèce, le
préjudice allégué par le requérant consiste en une privation
de revenu pendant les trente jours de son exclusion
temporaire d’emploi, il ne fait aucun doute que ce préjudice
trouve directement son origine dans la décision de sanction
; le juge n’a donc pas besoin d’aller l’étudier plus avant.
Surtout, en mentionnant que ce lien de causalité doit être «
direct », le juge fait implicitement référence aux
éventuelles ruptures du lien de causalité, c’est-à-dire à
d’éventuelles causes d’exonération de responsabilité.
Celles-ci sont diverses, il peut s’agir de la faute de la
victime (CE 20 juin 1980, Cne d’Ax-les-Thermes ), du fait du
tiers (CE 31 juill. 1996, Fonds de garantie automobile), du
cas fortuit (CE, ass., 28 mai 1971, Dépt. du Var) ou encore
de la force majeure (CE 15 nov. 2017, Sté Swisslife
assurance de biens). Dans la présente affaire, aucune de
ces causes d’exonération n’a été soulevée par la commune,
et la faute initiale de l’agent qui avait justifié la mesure de
sanction ne peut bien sûr pas être soulevée ultérieurement
pour refuser d’indemniser le préjudice subi à la suite de la
décision de sanction.
La seconde condition pour ouvrir droit à indemnisation
est l’identification du préjudice indemnisable. Le Conseil
d’État rappelle de façon générique que la victime « a droit
à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement
subi » (cons. 3) ; puis il précise exactement que « sont
indemnisables les préjudices de toute nature » avant de
lister ceux qui sont couverts en matière de fonction
publique. De façon générale, les préjudices « de toute
nature » indemnisables sont les dommages corporels,
moraux (CE, ass., 24 nov. 1961, Letisserand), matériels,
économiques, etc. Ainsi, les seuls préjudices qui ne sont
pas réparables sont strictement restreints par la loi ; il peut
par exemple s’agir des servitudes d’urbanisme (C. urb., art.
L. 160-5), mais non de l’un des chefs de préjudices subis
par M. B… dans cette affaire. Ceci étant entendu, le Conseil
d’État poursuit en listant les éléments qui doivent être pris
en compte pour indemniser la victime d’une sanction
disciplinaire. C’est ainsi que la seconde moitié du
considérant 2 énumère ce qui va donner lieu à réparation
par la commune des Baux-de-Provence, à savoir la perte de
traitement ainsi que la perte des primes et indemnités dont
la victime avait une « chance sérieuse » de bénéficier. Sur
cette dernière précision, elle rappelle que le juge
indemnise les pertes de chance, i. e. les préjudices futurs
dont la réalisation est certaine. Sur ce point, la
jurisprudence du Conseil d’État est constante (CE 5 janv.
2000, Consorts Telle c/ APHP), elle suit d’ailleurs celle de la
Cour de cassation, et concerne diversement le droit de
l’urbanisme (CE 15 avr. 2016, Cne de Longueville), le droit
des services publics dans leur relation avec les usagers (CE
24 juill. 2019, Mme B. pour le service public de l’éducation
; CE 19 oct. 2016, Centre hospitalier d’Issoire pour le
service public de la santé), le droit de la commande
publique (CE 21 oct. 2015, Région Provence-Alpes-Côte-
d’Azur), et ici le droit de la fonction publique. Le juge
poursuit en précisant que le calcul du montant de
l’indemnisation devra tenir compte « du montant des
rémunérations que l’agent a pu se procurer par son travail
au cours de sa période d’éviction », qui devra être déduit
de la somme totale de l’indemnisation. Il s’agit ici d’éviter
un enrichissement sans cause de la victime qui ne doit pas
pouvoir « profiter » de sa situation pour obtenir au final
une somme d’argent plus élevée. Le juge va donc déduire
un éventuel salaire ou des droits à chômage qui auraient pu
être perçus par M. B… pendant les trente jours où il n’a pas
travaillé pour le compte de la commune. Finalement, tout
dans cette situation s’apparente à ce qu’on appelle
communément une reconstitution de carrière au sens des
jurisprudences Rodières et Deberles (CE 26 déc. 1925,
Rodières ; CE, ass., 7 avr. 1933, Deberles), et M. B…
obtiendra une indemnisation environ équivalente à un mois
normal de traitement.
Finalement, le principe de l’engagement de la
responsabilité de la commune des Baux-de-Provence
comme ses modalités ne posent pas de difficulté
particulière dans cette affaire. En revanche, la portée
centrale de cette décision réside dans l’annulation du
jugement du tribunal administratif en ce qu’il a méconnu
son office de juge du plein contentieux.
〉Commentaire d’arrêts
CE 9 nov. 2015, M. Dos Santos Pedro, no 383712
Vu la procédure suivante :
M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Caen
d’annuler pour excès de pouvoir la décision en date du 9
janvier 2012 par laquelle les autorités du centre
pénitentiaire de Caen (Calvados) ont saisi et retenu son
ordinateur et d’enjoindre à l’administration pénitentiaire,
sous astreinte, de lui restituer son ordinateur. Par un
jugement no 12-1028 du 24 janvier 2013, le tribunal
administratif de Caen a rejeté la demande que lui avait
présentée M. B….
Par un arrêt no 13NT01435 du 24 avril 2014, la cour
administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel formé par
M. B… contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire,
enregistrés les 14 août et 12 novembre 2014 au secrétariat
du contentieux du Conseil d’État, M. B… demande au
Conseil d’État :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
[…]
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis
aux juges du fond qu’il a été procédé à un contrôle du
matériel informatique de M. B… le 9 janvier 2012, à l’issue
duquel une corde a été découverte dans l’ordinateur du
requérant ; que le directeur du centre pénitentiaire de Caen
a alors décidé de retenir ce matériel informatique en vue
d’une éventuelle procédure pénale ; que le 24 février 2012,
une saisie judiciaire de ce matériel informatique a été
réalisée ;
2. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article
D. 449-1 du code de procédure pénale alors applicable : «
Les détenus peuvent acquérir par l’intermédiaire de
l’administration et selon les modalités qu’elle détermine des
équipements informatiques. Une instruction générale
détermine les caractéristiques auxquelles doivent répondre
ces équipements, ainsi que les conditions de leur utilisation.
En aucun cas, les détenus ne sont autorisés à conserver des
documents, autres que ceux liés à des activités
socioculturelles ou d’enseignement ou de formation ou
professionnelles, sur un support informatique. Ces
équipements ainsi que les données qu’ils contiennent sont
soumis au contrôle de l’administration. Sans préjudice d’une
éventuelle saisie par l’autorité judiciaire, tout équipement
informatique appartenant à un détenu peut, au surplus, être
retenu, pour ne lui être restitué qu’au moment de sa
libération, dans les cas suivants : 1° Pour des raisons
d’ordre et de sécurité ; 2° En cas d’impossibilité d’accéder
aux données informatiques, du fait volontaire du détenu » ;
3. Considérant que, si une mesure de contrôle par
l’administration pénitentiaire des équipements
informatiques des détenus, eu égard à sa nature et à
l’importance de ses effets sur la situation des détenus, ne
constitue pas, en elle-même, un acte administratif
susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de
pouvoir, tel n’est en revanche pas le cas de la décision
distincte de retenue de ces équipements qui, prise sur le
fondement des dispositions précitées, le cas échéant, en
résulte ;
4. Considérant qu’en regardant, pour rejeter comme
irrecevable la requête de M. B…, ses conclusions comme
dirigées contre la seule décision de contrôle de ses
équipements informatiques, alors qu’il demandait
l’annulation, pour excès de pouvoir, de la décision de
retenue administrative de ces équipements à laquelle ce
contrôle avait conduit, qui est susceptible de recours, la
cour administrative d’appel de Nantes s’est méprise sur la
portée des écritures dont elle était saisie ; qu’il résulte de ce
qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens de son pourvoi, M. B… est fondé à demander
l’annulation de l’arrêt attaqué ; […]
DÉCIDE : Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel
de Nantes du 24 avril 2014 est annulé. Article 2 : L’affaire
est renvoyée à la cour administrative d’appel de Nantes.
[…]
CE, 10e et 9e ch., 6 juin 2018, M. Dos Santos Pedro,
no 410985
M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Caen
d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 janvier
2012 par laquelle les autorités du centre pénitentiaire de
Caen (Calvados) ont saisi et retenu son ordinateur et
d’enjoindre à l’administration pénitentiaire, sous astreinte,
de lui restituer son ordinateur. Par un jugement no 120128
du 24 janvier 2013, le tribunal administratif a rejeté sa
demande.
Par un arrêt no 13NT01435 du 24 avril 2014, la cour
administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel formé par
M. A… B… contre ce jugement.
Par une décision no 383712 du 9 novembre 2005, le Conseil
d’État, statuant au contentieux a annulé cet arrêt et
renvoyé l’affaire devant la cour administrative d’appel de
Nantes.
Par un arrêt no 15NT06504 du 7 décembre 2016, la cour
administrative d’appel de Nantes a annulé le jugement du
tribunal administratif et rejeté la demande de M. A… B…
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire,
enregistrés les 30 mai et 30 août 2017 au secrétariat du
contentieux du Conseil d’État, M. A… B… demande au
Conseil d’État :
1°) d’annuler l’arrêt du 7 décembre 2016 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 4 000
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la loi no 79-587 du 11 juillet 1979 ;
– la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 ;
– le code de procédure pénale ;
– le code de justice administrative ;
[…]
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan du corrigé
〉Corrigé
L’accès des détenus aux outils numériques soulève de
nombreuses difficultés. Si cet accès doit nécessairement
être restreint pour des raisons évidentes de sécurité, il doit
tout de même être préservé, notamment pour que les
détenus puissent opérer certaines démarches, bénéficier
d’informations et suivre des formations proposées en ligne.
À ce titre, le Contrôleur général des lieux de privation de
liberté a rendu un avis du 6 décembre 2019 relatif à l’accès
à internet dans les lieux de privation de liberté. Soulignant
que le numérique est « un outil indispensable de l’accès au
savoir », il recommande de développer, à certaines
conditions, l’accès des détenus aux outils numériques.
L’accès au numérique suscite également des litiges qu’il
appartient aux juridictions administratives de trancher,
comme cette affaire relative à la décision de retenue de
l’ordinateur d’un détenu, prise par l’administration
pénitentiaire.
Après la découverte d’une corde dissimulée dans l’unité
centrale de l’ordinateur d’un détenu, M. Dos Santos Pedro,
le centre pénitentiaire de Caen a ordonné le contrôle de
son matériel informatique puis ordonné la saisie de celui-ci.
Monsieur Dos Santos Pedro a alors formé un recours pour
excès de pouvoir à l’encontre de cette décision devant le
tribunal administratif de Caen, qui a rejeté sa demande.
Saisie à son tour, la Cour administrative d’appel de Nantes
a jugé que la requête était irrecevable, considérant que la
mesure de contrôle du matériel informatique n’était pas
susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de
pouvoir. Le requérant s’est alors pourvu une première fois
en cassation.
Par un premier arrêt du 9 novembre 2015 (req. no
383712, mentionné dans les tables du recueil Lebon), le
Conseil d’État s’est prononcé sur la recevabilité du recours
pour excès de pouvoir à l’encontre des mesures prises par
l’administration pénitentiaire. Contrairement à la Cour, qui
avait considéré, à tort, que les conclusions du requérant
étaient dirigées contre la seule décision de contrôle des
équipements informatiques, la Haute juridiction distingue
la décision de contrôle par l’administration pénitentiaire,
du matériel informatique du détenu de la décision de
retenue de ce matériel qui, le cas échéant, en résulte. La
mesure de contrôle, eu égard à sa nature et à l’importance
de ses effets sur la situation du détenu, ne constitue pas, en
elle-même, un acte administratif susceptible de faire l’objet
d’un recours pour excès de pouvoir. En revanche, un tel
recours est recevable à l’encontre de la décision de retenue
de ce matériel. Considérant que la Cour administrative
d’appel de Nantes s’était méprise sur la portée des
écritures dont elle était saisie, le Conseil d’État, après avoir
annulé l’arrêt attaqué, a renvoyé l’affaire devant elle. Par
un arrêt du 7 décembre 2016 (req. no 15NT06504), la Cour
a de nouveau rejeté la demande du requérant, en estimant
que l’urgence qui s’attachait à la mesure justifiait tant
l’absence de procédure contradictoire que l’absence de
motivation de la décision de retenue. Le requérant s’est
alors de nouveau pourvu en cassation devant le Conseil
d’État. Le requérant soutenait que la mesure de retenue
était illégale car elle n’avait pas été précédée d’une
procédure contradictoire et n’était pas motivée.
Par un second arrêt du 6 juin 2018 (req. no 410985,
mentionné dans les tables du recueil Lebon), le Conseil
d’État a statué, non plus sur la recevabilité du recours,
mais sur la légalité de la décision litigieuse. Il devait
trancher la question de savoir si l’urgence pouvait
dispenser l’administration pénitentiaire de respecter le
contradictoire et de motiver sa décision. À l’instar de la
Cour administrative d’appel, la Haute juridiction
administrative a estimé que les conditions particulières
dans lesquelles est intervenue la décision de retenue de
l’ordinateur, caractérisaient une urgence dispensant le chef
d’établissement pénitentiaire de Caen du respect de la
procédure contradictoire. En revanche, contrairement à la
Cour, le Conseil d’État a considéré que la décision aurait dû
être motivée, dans la mesure où elle ne présentait pas un
caractère d’« urgence absolue ». Après avoir cassé l’arrêt
d’appel, le Conseil d’État évoque l’affaire et annule la
décision de retenue du 9 janvier 2012. Toutefois, dans la
mesure où l’équipement informatique du requérant a fait
l’objet d’une saisie judiciaire à compter du 24 février 2012,
il rejette les conclusions tendant à ce que soit ordonnée la
restitution de l’ordinateur. L’annulation de la décision de
retenue de l’ordinateur n’a donc qu’un effet platonique.
Ces deux arrêts du Conseil d’État, rendus dans le cadre
d’une même instance, illustrent le contrôle juridictionnel
minutieux dont font l’objet les mesures prises par
l’administration pénitentiaire à l’égard des détenus.
Admettant la recevabilité du recours pour excès de pouvoir
à l’encontre de la décision de retenue du matériel
informatique (I), le Conseil d’État contrôle le respect par
l’administration des règles de forme et de procédure au
regard de l’urgence de la situation, veillant au respect des
garanties prévues dans le code des relations entre le public
et l’administration (II).
I/ La recevabilité partiellement
admise du recours pour excès à
l’encontre des mesures prises par
l’administration pénitentiaire
Si la mesure de contrôle par l’administration pénitentiaire
de l’ordinateur d’un détenu ne constitue pas, en elle-même,
un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un
recours pour excès de pouvoir (A), tel n’est pas le cas de la
décision de retenue de cet ordinateur qui, le cas échéant,
en résulte (B).
A – La mesure de contrôle des
équipements informatiques des
détenus, une mesure d’ordre
intérieur
Depuis l’arrêt Marie (CE, ass., 17 févr. 1995, req. no
97754, GAJA), admettant que le recours pour excès de
pouvoir est recevable à l’encontre d’une punition de cellule
« eu égard à la nature et à la gravité de cette mesure », le
champ des mesures d’ordre intérieur dans le milieu
carcéral a considérablement diminué. Cependant, la
catégorie n’a pas complètement disparu. Il subsiste, dans le
milieu pénitentiaire, comme au sein de toutes les
institutions nécessitant un pouvoir disciplinaire étendu,
telles que l’armée, l’école, l’hôpital ou la fonction publique,
des décisions considérées comme d’importance trop
minime pour pouvoir être déférées au juge de l’excès de
pouvoir, conformément à l’adage de minimis non curat
praetor. Ainsi, à l’instar de la Cour administrative d’appel
de Nantes, le Conseil d’État a estimé, en l’espèce, qu’une
mesure de contrôle par l’administration pénitentiaire des
équipements informatiques des détenus, « eu égard à sa
nature et à l’importance de ses effets sur la situation des
détenus, ne constitue pas, en elle-même, un acte
administratif susceptible de faire l’objet d’un recours pour
excès de pouvoir ». Autrement dit, la mesure de contrôle de
l’ordinateur est une mesure d’ordre intérieur.
Effectivement, le contrôle d’un ordinateur a moins d’impact
sur la personne du détenu qu’une mesure de fouille
corporelle intégrale, qui elle, est susceptible de recours
(CE 14 nov. 2008, El Shennawy, req. no 315622). En outre,
comme le souligne Aurélie Bretonneau dans ses
conclusions sur cet arrêt (AJDA 2016. 53), le contrôle de
l’ordinateur ne peut pas en théorie, porter atteinte au droit
au respect de la vie privée des détenus dans la mesure où
les détenus n’ont pas le droit d’y stocker le moindre
contenu personnel. En effet, l’article D. 449-1 du code de
procédure pénale précise que les détenus peuvent
conserver sur un support informatique, uniquement des
documents liés à des activités socioculturelles ou
d’enseignement ou de formation ou professionnelles.
Dans le même sens, la Haute juridiction a considéré que
le refus d’autoriser un détenu à acquérir un système
d’exploitation pour son ordinateur n’est pas une décision
susceptible de recours. Par un autre arrêt du 9 novembre
2015 (req. no 380982, mentionné dans les tables du recueil
Lebon), le Conseil d’État a en effet rejeté un recours formé
par le même requérant, à l’encontre de la décision de
l’administration pénitentiaire refusant de l’autoriser à
acquérir un autre système d’exploitation (Linux) que celui
qu’il utilisait pour son ordinateur (Windows). Le détenu
soutenait que la maîtrise de Linux est requise dans nombre
d’entreprises au sein desquelles il souhaiterait se réinsérer
professionnellement à sa sortie de prison. Il mettait
également en avant le fait que le système Linux est livré
avec des logiciels gratuits, alors que Windows, d’une part,
propose essentiellement des logiciels payants et, d’autre
part, ne les livre pas d’emblée, empêchant de facto leur
acquisition par les personnes détenues, puisqu’elles n’ont
pas accès à internet pour les télécharger. Cependant, le
juge administratif, prenant en considération le fait que le
système d’exploitation déjà installé sur l’ordinateur du
requérant, tout en permettant un meilleur contrôle des
données par l’administration pénitentiaire, lui offrait des
possibilités d’utilisation équivalentes ou relativement
proches, a estimé que le rejet de sa demande d’acquérir un
autre système d’exploitation ne mettait pas en cause ses
libertés et droits fondamentaux. Cette solution est
contestable. De manière générale, plutôt que de perdre du
temps à déterminer si l’intensité des effets de la mesure sur
la situation de l’intéressé justifie la recevabilité du recours
pour excès de pouvoir, le juge administratif devrait faire
disparaître la catégorie des mesures d’ordre intérieur.
Admettre la recevabilité du recours pour excès de pouvoir à
l’encontre de ces mesures ne l’empêchera pas, de toute
façon, de le rejeter sur le fond.
B – L’absence de procédure
contradictoire justifiée par une
situation d’urgence « simple »
Le contradictoire permet aux destinataires d’une décision
administrative de se faire entendre, de présenter à
l’Administration leurs observations sur une mesure qui les
concerne. Ils peuvent ainsi influer – ou tenter d’influer – sur
le sens de la décision à prendre. Le principe du
contradictoire, principe fondamental en matière de
procédure juridictionnelle, a progressivement été appliqué
à la procédure administrative non contentieuse. Dans le
prolongement de la jurisprudence administrative qui
consacra le principe du respect des droits de la défense
sous la forme d’un principe général du droit (CE, sect., 5
mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier), le décret du 28
novembre 1983 concernant les relations entre
l’Administration et les usagers, a imposé à l’Administration
de permettre aux administrés susceptibles d’être l’objet
d’une mesure administrative qu’ils n’ont pas sollicitée, de
faire connaître leurs observations à l’Administration par
écrit ou oralement. L’exigence d’une procédure
contradictoire préalable a ensuite été reprise par l’article
24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens
dans leurs relations avec les administrations, dite loi DCRA,
qui a consacré le droit pour toute personne qui fait l’objet
d’une décision devant être motivée en application de la loi
de 1979 (art. L. 121-1), de présenter des observations
écrites, et le cas échéant, sur sa demande, des observations
orales, en pouvant se faire assister par un conseil (art. L.
122-1). Dans la mesure où la décision de retenue de
l’ordinateur est une mesure de police, elle devait être
motivée en application de la loi de 1979. Elle devait donc
également être précédée d’une procédure contradictoire,
permettant à l’intéressé de présenter ses observations.
Toutefois, l’Administration est dispensée du respect du
contradictoire « en cas d’urgence ou de circonstances
exceptionnelles ». La loi n’exige pas une « urgence absolue
» : une simple situation d’urgence suffit à justifier l’absence
de contradictoire. Il y a donc des degrés dans l’urgence. En
l’espèce, le Conseil d’État reconnaît, comme la Cour
administrative d’appel de Nantes, que « les conditions
particulières dans lesquelles est intervenue la décision du 9
janvier 2012 caractérisaient une urgence dispensant le chef
d’établissement pénitentiaire de Caen du respect de la
procédure contradictoire prévue par les dispositions
précitées ». Si les décisions qui doivent être motivées sont
aussi celles qui doivent être précédées d’une procédure
contradictoire, le respect du contradictoire peut être
dissocié, comme en l’espèce, de l’obligation de motivation.
De la même façon, la Haute juridiction a pu considérer que
la décision du préfet de suspendre un permis de conduire
peut être dispensée du respect du contradictoire en raison
d’une situation d’urgence, s’il apparaît, eu égard au
comportement du conducteur, que le fait de différer la
suspension de son permis pendant le temps nécessaire à
l’accomplissement de la procédure contradictoire créerait
des risques graves pour lui-même ou pour les tiers (CE 28
sept. 2016, Min. de l’Intérieur, req. no 390438 ; CE 18 déc.
2017, Min. de l’Intérieur, req. no 409694). Le Conseil d’État
admet donc plus facilement de dispenser l’Administration
de l’organisation d’une procédure contradictoire que de la
délier de son obligation de motivation. Ceci étant, les
modalités du contradictoire dans le cadre de la procédure
administrative non contentieuse sont relativement faciles à
mettre en œuvre. Il s’agit simplement de permettre à
l’intéressé de présenter des observations écrites, voire
orales. Certes, la corde était cachée dans l’unité centrale
de l’ordinateur. Cela ne signifiait pas cependant que le
matériel informatique allait permettre au détenu de
s’évader. Après avoir contrôlé le matériel et vérifier que
l’ordinateur ne contenait pas un plan d’évasion,
l’Administration aurait pu prendre le temps de recueillir les
observations de l’intéressé. Si les relations entre
l’Administration et les administrés ont été
considérablement améliorées depuis la fin des années 70,
les habitudes administratives, marquées par le secret et
l’unilatéralité, sont loin d’avoir disparu.
La justice administrative
Thème principal
Contrôle juridictionnel
Mots-clés
Compétence juridictionnelle, Recours pour excès de pouvoir
Sujet proposé et corrigé établi par
Virginie Donier, Professeure de droit public, Université de
Toulon
Premier semestre 2018-2019
〉Dissertation
Le juge administratif, juge de la légalité de l’action
administrative
〉Préparation
Analyse du sujet
Plan du corrigé
〉Corrigé
L’activité de l’Administration est encadrée par le principe
de légalité, lequel est l’émanation de l’état de droit. Cela
implique que l’Administration se soumette aux lois en
vigueur, mais aussi, plus largement, aux règles de droit qui
lui sont supérieures, ce qui inclut le droit de l’Union
européenne et le droit international. Soumettre
l’Administration au droit permet de protéger les
administrés face à l’arbitraire, mais c’est aussi un moyen
pour assurer la cohérence de l’action administrative
puisque le droit servira de fil conducteur aux actions des
différents agents publics.
C’est donc le principe de légalité qui définit les contours,
mais aussi les limites de l’action administrative en
s’assurant qu’elle ne déroge pas à la finalité qui lui a été
assignée, à savoir, la satisfaction de l’intérêt général. Pour
contrôler l’Administration et s’assurer qu’elle n’a pas
outrepassé ses pouvoirs au détriment des droits et libertés,
il existe un ordre de juridiction particulier, la France étant
caractérisée par son dualisme juridictionnel. Le juge
administratif est ainsi un juge autonome qui existe
indépendamment de la juridiction judiciaire, comme l’a
rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision no 80-
119 DC du 22 juillet 1980. Par ailleurs, en vertu de la
décision no 86-224 DC, le juge administratif dispose d’un
champ de compétences garanti par un principe
fondamental reconnu par les lois de la République, ce qui
lui confère indéniablement une existence autonome aux
côtés du juge judiciaire.
À l’origine de l’existence de cet ordre juridictionnel
spécifique, figure le principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires affirmé par la loi des 16 et 24
août 1790. Ce texte interdit au pouvoir judiciaire de
s’immiscer dans l’action des autres pouvoirs, et plus
précisément, dans l’action administrative : « les fonctions
judiciaires sont distinctes et demeureront toujours
séparées des fonctions administratives. Les juges ne
pourront à peine de forfaiture troubler de quelques
manières que ce soit les opérations des corps
administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour
raison de leurs fonctions ». De cette affirmation, découlera
la règle selon laquelle le juge judiciaire ne peut statuer sur
les litiges mettant en cause l’Administration, et ce, en vertu
du décret du 16 fructidor an III. Dès lors que le juge de
droit commun ne pouvait être compétent pour statuer sur
les litiges administratifs, il convenait de les confier à un
organe juridictionnel autonome.
La reconnaissance de l’autonomie de la juridiction
administrative est alors le produit de cette évolution
historique, mais elle découle également de la remise en
cause de la théorie du ministre-juge par la loi du 24 mai
1872 par laquelle le Conseil d’État acquiert véritablement
le statut de juridiction, puis par l’arrêt Cadot rendu le 13
décembre 1889. Par cette décision, le Conseil d’État se
déclare juge administratif de droit commun, ce qui sonne le
glas de la théorie du ministre-juge. L’ordre juridictionnel
administratif, composé aujourd’hui du Conseil d’État, des
cours administratives d’appel et des tribunaux
administratifs, a ainsi pour mission de contrôler la légalité
de l’action administrative. Mais la question est de savoir
quel est précisément le rôle dévolu au juge administratif
dans la préservation de l’état de droit, et par conséquent,
dans le contrôle exercé sur l’action administrative. S’il
apparaît que l’étendue de sa compétence ne concerne pas
nécessairement tout le champ de l’action administrative (I),
il bénéficie en revanche d’une compétence exclusive pour
statuer sur les recours pour excès de pouvoirs qui
constituent le principal instrument du contrôle
juridictionnel de la légalité (II).
A – La compétence de principe du
juge administratif pour juger de
l’action administrative
Plusieurs critères se combinent pour dessiner les
contours de la compétence du juge administratif, à
commencer par l’application d’un critère organique car le
juge administratif n’est en principe compétent que pour les
litiges pour lesquels l’Administration est partie. Cela ne
signifie pas pour autant que tous les actes administratifs
peuvent être soumis au contrôle du juge. Certains
bénéficient en effet d’une immunité juridictionnelle
puisqu’il s’agit d’actes de Gouvernement lesquels touchent
aux relations avec le Parlement (CE 29 nov. 1968,
Tallegrand) ou aux relations internationales (CE 5 juill.
2000, Mégret et Mékhantar).
À ce critère organique, vient s’ajouter un autre critère car
le juge administratif ne connaît que des litiges dans
lesquels l’Administration met en œuvre des prérogatives de
puissance publique. C’est d’ailleurs le sens de la décision
du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 et du PFRLR
relatif à la compétence de la juridiction administrative «
pour l’annulation ou la réformation des décisions prises par
les autorités exécutives, leurs agents, les collectivités
territoriales ou les organismes placés sous leur autorité ou
leur contrôle ». Ce principe protège ainsi la compétence du
juge administratif dans le contrôle de légalité exercé sur les
actes traduisant l’emploi de prérogatives de puissance
publique, même si le Conseil constitutionnel considère que,
dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le
législateur peut déroger au PFRLR afin de construire des
blocs de compétences.
Mais il convient de préciser que derrière l’apparente
simplicité du critère organique, se dissimulent en réalité
des solutions jurisprudentielles qui attribuent au juge
administratif une compétence pour statuer sur des litiges
opposant deux personnes privées. Il s’avère en effet qu’une
personne privée peut se voir confier la gestion d’un service
public et disposer, pour mener à bien cette mission, d’une
prérogative de puissance publique. Dans cette affaire, si un
litige survient, il devra être soumis à la compétence du juge
administratif (CE 13 janv. 1961, Magnier ; CE 13 oct. 1978,
ADASEA du Rhône).
Au regard de la jurisprudence, il apparaît ainsi que le
juge administratif peut être appelé à statuer sur des litiges
opposant deux personnes privées. Mais pour cela, il faut
que plusieurs conditions soient réunies : l’une de ces deux
personnes privées doit être chargée d’une mission de
service public et elle doit, dans ce cadre, disposer de
pouvoirs exorbitants du droit commun. En outre, ainsi que
l’a indiqué le Conseil d’État dans son arrêt du 23 mars
1983, SA Bureau Véritas, il faut s’assurer que le litige a
effectivement pris naissance au cours de l’utilisation, par la
personne privée, d’une prérogative de puissance publique.
Il apparaît ainsi que l’action administrative peut reposer
sur des personnes privées, ce qui justifie la compétence du
juge administratif si les conditions précitées sont
satisfaites.
En revanche, lorsque l’Administration ou la personne
privée exerçant une mission de service public n’use pas de
prérogatives de puissance publique, la compétence du juge
judiciaire s’imposera, ce qui tend à démontrer que le juge
administratif n’est pas compétent pour connaître de toute
l’action administrative.
〉Cas pratique
La section bordelaise de l’Observatoire français des prisons
(OFP) vous consulte à propos de la situation d’un détenu, un
dénommé Edmond Dantès, en litige avec l’administration
pénitentiaire du Château d’If.
Edmond Dantès a fait l’objet d’une sanction prononcée par
le directeur de la prison décidant son placement pour vingt-
huit jours en cellule disciplinaire. Edmond Dantès, par
l’intermédiaire de l’Observatoire français des prisons, vous
demande de l’aider à contester cette mesure qui, inscrite à
son dossier, entraînera la perte automatique des remises de
peine prévues par la loi. Edmond Dantès était libérable au
1er janvier 2022. À l’issue de ces vingt-huit jours de cellule,
M. Edmond Dantès a demandé à changer d’établissement
pénitentiaire afin de se rapprocher de sa famille vivant à
Monte-Cristo. Cette demande a été rejetée.
1. L’OFP voudrait savoir s’il est possible de contester
l’ensemble de ces décisions devant le juge administratif ? (4
points)
2. L’OFP fait valoir à l’appui de sa contestation que la
commission de discipline prévue par le code de procédure
pénale ne s’est pas réunie dans des conditions régulières.
En particulier, le second assesseur, dont la loi exige qu’il
s’agisse d’une personnalité extérieure à l’administration
pénitentiaire, n’était pas présent.
Saisi de cette difficulté, M. de Morcef, le directeur régional
des services pénitentiaires, a rejeté le recours hiérarchique
présenté par Edmond Dantès ; arguant :
– d’une part, que l’assesseur extérieur ne dispose que
d’une voix consultative, qu’en conséquence sa participation
obligatoire n’est pas de nature à entraîner l’annulation de la
sanction rendue en son absence.
– d’autre part, que l’assesseur extérieur a été convoqué
mais qu’il ne s’est pas présenté le jour du conseil de
discipline.
Que pensez-vous de la pertinence de ses arguments ? (6
points)
3. L’OFP voudrait également voir contester au fond la
sanction qu’il trouve trop lourde.
Edmond Dantès s’est vu infligé 28 jours de cellule
disciplinaire alors que la peine maximale prévue par les
textes est de 30 jours. L’OFP explique que, jusqu’à la date
de l’altercation qui l’a opposé à un codétenu – Edmond
Dantès a poignardé l’abbé Faria avec lequel il partageait sa
cellule –, l’intéressé avait eu une conduite exemplaire en dix
ans d’incarcération.
Avant de former un recours, l’OFP voudrait savoir :
– d’une part, si le juge acceptera de contrôler le quantum
de la peine prononcée ou s’il en laissera la libre appréciation
à l’Administration ; (3 points)
– d’autre part, si le juge pourra ramener la sanction à une
peine moins lourde au lieu de l’annuler. (2 points)
4. Edmond Dantès souhaite également que l’inscription de
la sanction à son dossier soit effacée afin de ne pas
empêcher sa libération prévue en janvier 2022 ; date à
laquelle il doit épouser la belle Mercédès, visiteuse de
prison, rencontrée durant son incarcération.
À votre avis, est-ce possible ? (3 points)
5. Alexandre Dumas, étudiant en droit, qui, avant de
reprendre le cabinet de son père, effectue un stage auprès
de l’OFP, vous explique qu’il faudra veiller, en rédigeant le
recours, à hiérarchiser les moyens d’annulation invoqués
devant le juge. Qu’en pensez-vous ? (2 points)
〉Préparation
Analyse du sujet
〉Corrigé
Question no 1
Le contrôle par le juge de l’excès de pouvoir des mesures
prises par l’administration pénitentiaire a fait l’objet
d’évolutions importantes. Pendant longtemps, les punitions
et mesures intéressant les détenus ne pouvaient pas être
contestées devant le juge administratif au titre de la
théorie des mesures d’ordre intérieur. Il s’agissait d’une
construction jurisprudentielle appliquée également dans
d’autres secteurs d’activités particuliers, tels que les
établissements scolaires ou à l’égard des militaires, où le
juge entendait de pas gêner la mission des autorités
hiérarchiques dans l’exercice de leur pouvoir disciplinaire.
Or, certaines de ces mesures, et notamment les punitions
infligées aux détenus, n’étaient pas des actes sans
importance et pouvaient porter atteinte aux droits
fondamentaux des intéressés. Ainsi dans l’affaire Caillol,
rendue aux conclusions contraires du commissaire du
gouvernement Genevois, la décision de l’administration
pénitentiaire de placer un détenu en quartier de haute
sécurité n’avait fait l’objet d’aucun contrôle de la part du
juge administratif (CE, ass., 27 juin 1984) alors même que
le Tribunal des conflits avait interdit au juge judiciaire de
se prononcer sur cette question jugée détachable de
l’exécution des décisions de justice (T. confl. 4 juillet 1983).
Sous l’influence de la Convention européenne des droits
de l’homme, l’affaire Campbell et Fell c/ Royaume Uni de la
CEDH 28 juin 1984 mettant en exergue le droit des détenus
à bénéficier d’un procès équitable, le Conseil d’État va
modifier sa jurisprudence (CE, ass., 17 févr. 1995, Marie)
acceptant notamment d’examiner le recours d’un détenu
contre une sanction décidant son placement en cellule de
punition pour une durée de 8 jours. La même solution sera
appliquée aux militaires (affaire Hardouin).
Depuis 1995, la théorie des mesures d’ordre intérieur n’a
pas totalement disparu. La possibilité de contester de telles
mesures est en effet limitée aux seules sanctions qui de par
leur nature ou leur gravité soit portent atteinte aux droits
et libertés soit affectent la situation juridique ou statutaire
É
des intéressés. Mais depuis 2007, le Conseil d’État invite
les juges administratifs à retenir une conception large de
leur office en acceptant de contrôler la décision de
changement d’affectation d’un détenu d’une maison
centrale vers une maison d’arrêt (CE, ass., 14 déc. 2007,
Garde des Sceaux c/ Boussouar), la décision de
déclassement d’emploi d’auxiliaire de cuisine (CE, ass., 14
déc. 2007, Planchenault) ou encore des mesures de
changements fréquents d’une maison d’arrêt à une autre
(CE, ass., 14 déc. 2007, Payet).
De la grille d’analyse dessinée par le Conseil d’État, on
retiendra que la plupart des décisions intéressant les
détenus sont désormais susceptibles d’être contestées et
que l’ouverture du recours ne tient pas à l’objet ou même
au contenu de la mesure mais davantage aux effets de la
décision sur la situation du requérant. Il n’existe pas ainsi
de mesure d’ordre intérieur par nature. Le juge doit en
conséquence se livrer à une analyse au cas par cas qui peut
être fonction du contexte de la situation réelle à laquelle
est confrontée le requérant. À ce titre, on peut considérer
qu’Edmond Dantès est tout à fait fondé à contester la
punition qui lui a été infligée : d’abord au regard de sa
durée (28 jours) qui correspond quasiment à la peine
maximale susceptible d’être prononcée et qui à ce titre
modifie profondément ses conditions de détention ; ensuite,
et surtout, en raison des effets de cette décision sur sa
situation personnelle dès lors que figurant à son dossier
elle fait obstacle à sa libération de prison à la date prévue.
S’agissant du refus de transfert vers un autre
établissement afin de permettre un rapprochement familial,
la réponse est davantage sujette à discussion et sera
fonction de la situation personnelle et familiale d’Edmond
Dantès. Faute d’éléments plus précis sur sa situation
familiale, on peut considérer que la mesure n’a pas d’effet
sur sa situation juridique ou statutaire à la différence des
arrêts Boussouar et Payet où était également en cause un
changement d’affectation de détenus. En l’espèce, le juge
pourrait être amené sur ce point à écarter le recours.
Question no 2
Le directeur régional appuie son raisonnement sur la
jurisprudence du Conseil d’État établie à l’égard des vices
de procédure (CE, ass., 23 déc. 2011, Danthony). En
matière de procédure, le contrôle du juge administratif se
veut le plus réaliste possible afin de ne pas prononcer des
annulations inutiles ou de gêner l’Administration en la
soumettant à un formalisme tatillon. Ainsi toute irrégularité
commise n’entraînera pas nécessairement l’annulation de
la décision dès lors que l’Administration pourrait être
amenée par la suite à reprendre un acte au contenu
identique.
En ce sens, le juge distingue depuis longtemps en matière
de légalité procédurale entre les vices substantiels et les
vices non substantiels. Cette jurisprudence a pris un tour
nouveau avec l’arrêt Danthony où explicitant sa nouvelle
doctrine, le Conseil d’État invite les juges du fond à
n’annuler que les décisions qui en vaillent la peine. L’arrêt
retient ainsi une formule négative et restrictive pour définir
les vices susceptibles d’entraîner l’annulation : « un vice
affectant le déroulement d’une procédure administrative
préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de
nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il
ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible
d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la
décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie
».
La jurisprudence s’intéresse donc aux effets des
irrégularités commises. Soit l’irrégularité a eu pour effet de
priver les intéressés d’une garantie : par exemple dans
l’affaire Danthony, le juge a stigmatisé le défaut de
consultation des comités technique paritaires (où sont
représentés l’ensemble des personnels) concernant la
décision de fusion de deux établissements d’enseignement
supérieur. Soit l’irrégularité a exercé une influence sur le
sens de la décision prise : par exemple dans l’affaire
FNAUT (CE 15 avr. 2016), les informations mises à la
disposition du public lors d’une enquête publique étant
insuffisantes, le juge a considéré que l’avis de la
commission d’enquête a été privé d’effet utile et qu’il n’a
pas pu correctement éclairer l’autorité compétente.
La question de savoir ce qui constitue une garantie dont
l’administré aurait été privé fait parfois l’objet de
discussion en doctrine. Il ne fait cependant pas de doute
que les garanties constituées dans le cadre d’une
procédure disciplinaire destinées à préserver le respect des
droits de la défense sont de manière systématique au
nombre des irrégularités dont le constat entraîne
l’annulation de la décision. En effet, la procédure
disciplinaire a pour objet la protection des personnes visées
par une mesure à caractère punitif qui doivent pouvoir
utilement y faire valoir leurs droits. Ainsi le Conseil d’État
dans l’arrêt Sarrazin du 22 février 2012 a conclu
logiquement à l’annulation de la sanction en raison des
irrégularités concernant le fonctionnement des conseils de
discipline. Il n’en ira autrement que dans la mesure où
serait invoquée devant le juge une irrégularité qui n’a pas
en pratique altéré la procédure disciplinaire. Ainsi toujours
à propos du fonctionnement des conseils de discipline, le
Conseil d’État a jugé que la lecture du rapport en séance
ne peut être regardée, en elle-même, comme une garantie
dont la seule méconnaissance suffirait à entacher
d’illégalité la décision prise à l’issue de la procédure. En
effet, le Conseil d’État a considéré que la communication
du rapport, en temps utile avant la séance, à l’agent et aux
membres du conseil, avait permis de satisfaire aux fins en
vue desquelles sa lecture a été prévue, notamment au
respect des droits de la défense (CE 12 févr. 2014, req. no
352878).
En l’espèce, il ne fait pas de doute que la présence d’un
assesseur extérieur à l’administration pénitentiaire est de
nature à équilibrer les débats en faisant valoir un point de
vue indépendant et le cas échéant différent. En ce sens, le
fait que l’assesseur ne donne qu’un avis consultatif
n’interdit pas de voir dans sa présence, comme le prétend
le directeur régional, une garantie pour le détenu, dès lors
notamment que les débats auxquels ils participent et la
position qu’il y exprime peuvent avoir une influence sur le
sens de la décision prise. Cette dernière observation
montre d’ailleurs que les deux conditions posées par l’arrêt
Danthony ne sont pas totalement indépendantes mais se
recoupent le plus souvent.
À ce titre, on peut considérer que l’irrégularité dénoncée
par l’OFP est de nature à entraîner l’annulation de la
sanction prononcée contre Edmond Dantès sur le
fondement de la jurisprudence Danthony. Reste que le
directeur régional explique que la procédure prévue était
impossible à suivre dès lors que l’assesseur concerné
dûment convoqué ne s’est présenté lors du conseil de
discipline.
Cet argument doit être pris au sérieux dès lors que la
jurisprudence administrative, toujours soucieuse de
réalisme, a développé une théorie dite des formalités
impossibles Cette théorie correspond en fait à un ensemble
d’hypothèses où le juge va accepter de couvrir une
irrégularité de forme ou de procédure substantielle – au
sens où dans le cadre de l’arrêt Danthony elle devrait
conduire à l’annulation –, jugeant qu’en l’espèce
l’Administration s’est heurtée à une situation qui rendait le
respect de la règle matériellement impossible. Cette
théorie est régulièrement invoquée par l’Administration
Mais c’est à l’Administration d’apporter la preuve de
l’impossibilité matérielle à laquelle elle s’est heurtée. Et le
juge vérifiera, avant d’admettre l’impossibilité de la
procédure, que l’Administration a procédé à toutes les
diligences nécessaires. En ce sens, on peut citer le CE 5
février 2021, req. no 434 659, C.B. c/ directeur
interrégional des services pénitentiaires de Paris : il
appartient à l’administration pénitentiaire de mettre en
œuvre tous les moyens à sa disposition pour s’assurer de la
présence effective de cet assesseur. Et si, malgré ces
diligences, aucun assesseur extérieur n’est en mesure de
siéger, le Conseil d’État a jugé que la tenue de la
commission de discipline devait être reportée à une date
ultérieure, à moins qu’un tel report ne compromette
manifestement le bon exercice du pouvoir disciplinaire.
Le Conseil d’État fait ainsi une application prudente de
cette théorie ne la faisant jouer qu’en dernière analyse.
L’argument du directeur régional n’est ainsi soutenable
qu’à condition d’être précisé : il lui appartient de montrer
au juge qu’il a pris toutes les mesures nécessaires et que
les circonstances particulières de l’affaire (eu égard au
dossier du détenu, à la gravité des faits ou au climat
général dans la prison) exigent une sanction immédiate ne
pouvant être repoussée.
Question no 3
Le contrôle des sanctions appliquées aux détenus a connu
depuis l’arrêt Marie, rendu en 1995, une évolution
remarquable calquée sur le régime des sanctions
appliquées aux agents publics.
D’une manière générale, le juge administratif a
longtemps laissé en matière de sanction une grande liberté
d’appréciation à l’Administration. Alors même qu’il refusait
de contrôler les sanctions applicables aux détenus, il
n’exerçait qu’un contrôle minimum à l’égard des autres
catégories de sanctions et plus particulièrement quant au
quantum de la sanction prononcée à l’encontre notamment
des agents publics (CE 9 juin 1978, Lebon). Plus
précisément en matière de sanction, le contrôle de la
qualification juridique des faits s’opère en deux temps : le
juge exerce d’abord un contrôle entier pour vérifier que la
personne sanctionnée a commis des faits susceptibles de
constituer une faute ; ce n’est qu’une fois la faute établie
que le juge vérifiera l’adaptation de la sanction prononcée
à la gravité des faits reprochés.
Ce contrôle a longtemps été un contrôle limité à l’erreur
manifeste d’appréciation : dans la fonction publique (CE 1er
févr. 2006, Touzard, confirmant l’arrêt Lebon) mais aussi
par suite à l’égard des détenus (CE 20 mai 2011, Letona
Bineti). Les raisons justifiant la prudence du juge n’étaient
pas techniques : aucune raison juridique ne l’empêchait de
déployer son contrôle. Ainsi, dans certains domaines, le
juge se livrait déjà à un contrôle entier à l’égard des
sanctions notamment à propos des sanctions infligées aux
magistrats (CE 27 mai 2009, Hontang) ou aux opérateurs
économiques (CE 22 juin 2007, Sté Arfi). Elles étaient donc
essentiellement politiques (au sens de l’expression d’une
politique jurisprudentielle), le juge cherchant à ménager
l’autorité et la marge d’appréciation des supérieurs
hiérarchiques sur des questions qui sont
institutionnellement sensibles.
Les évolutions de la société et du système juridique
global, marquées par une meilleure prise en compte des
droits fondamentaux et la diffusion en matière répressive
devant toutes les juridictions du principe de
proportionnalité, ont conduit le Conseil d’État à donner une
nouvelle inflexion d’abord à l’égard des agents publics (CE,
ass., 13 nov. 2013, Dahan) puis des détenus (CE 1er juin
2015, B.A.), la rapporteure publique Aurélie Bretonneau
plaidant dans cette dernière affaire pour un alignement du
contentieux des détenus sur les solutions admises en
général. C’est ainsi de manière générale, y compris pour
les détenus, que le juge vérifie désormais la
proportionnalité de la sanction prononcée à la gravité de la
faute commise. En l’espèce, la gravité des actes commis
par Dantès paraît devoir justifier une sanction sinon la plus
lourde du moins très lourde. En ce sens, 28 jours de cellule
pour un geste risquant d’entraîner la mort de son codétenu
paraissent proportionnés.
Reste que la conduite d’Edmond Dantès a été, jusqu’au
jour des faits, exemplaire. De sorte que si l’annulation de la
sanction paraît difficilement envisageable, il pourrait être
intéressant de demander au juge d’en prononcer la
diminution ainsi que paraît l’exiger la Cour européenne des
droits de l’homme, sur le fondement du principe de
proportionnalité inclus dans le procès équitable affirmé par
l’article 6 § 1 de la Convention (CEDH 23 nov. 1995,
Gradinger c/ Autriche). La difficulté vient que ce type de
demande se heurte à l’étendue des pouvoirs du juge de
l’excès de pouvoir qui n’est pas investi du pouvoir de
réformation. Pour éviter ces difficultés, certains textes
instituent à l’égard des sanctions, notamment prononcées
en matière économique, un recours de pleine juridiction. Le
Conseil d’État lui-même dans l’arrêt Sté Atom a admis être
saisi d’un recours de pleine juridiction plutôt que d’un
recours pour excès de pouvoir afin de pouvoir appliquer la
loi pénale plus douce à certaines sanctions prononcées à
l’encontre d’entreprises en infraction avec la législation
économique (CE, ass., 16 févr. 2009). Mais cette solution
reste l’exception : le contentieux des sanctions
disciplinaires, celles appliquées aux agents publics comme
aux détenus, est confié au juge de l’excès de pouvoir dont
l’office, même s’il connaît une expansion remarquable, ne
va pas jusqu’à comprendre le pouvoir de réformer une
décision prise par l’Administration. Le Conseil d’État ayant
plusieurs fois rappelé par la voix de ses rapporteurs
publics, contre toute évidence, que le recours en annulation
permettant un contrôle entier suffisait à satisfaire les
exigences du principe de proportionnalité. A ainsi été
annulée pour erreur de droit le jugement d’un tribunal
administratif qui à la suite de l’arrêt Sté Atom pensait en
matière de sanction contre les détenus être investi des
pouvoirs du juge de plein contentieux (CAA Nancy 18 févr.
2010).
Question no 4
Manifestement Edmond Dantès a davantage intérêt à
obtenir l’effacement des mentions figurant sur son dossier
que l’annulation d’une décision qui paraît être exécutée et
avoir produit tous ces effets. La situation d’Edmond Dantès
permet de saisir tout l’intérêt des évolutions récentes du
contentieux de l’excès de pouvoir qui autorisent le juge, à
partir de l’annulation de la décision, à tirer toutes les
conséquences qu’exige, pour la situation personnelle du
requérant, le rétablissement de la légalité.
Longtemps, l’office du juge de l’excès de pouvoir a
consisté dans le seul pouvoir d’annuler les décisions
illégales. Le Conseil d’État, soucieux de préserver
l’indépendance de l’Administration active et, selon le mot
de Laferrière, de « ne pas faire acte d’administrateur »,
refusait d’aller plus loin et notamment d’adresser des
injonctions à l’Administration y compris afin que cette
dernière tire toutes les conséquences juridiques découlant
de l’annulation de la décision contestée. Cette
autolimitation donnait à certaines annulations une
dimension largement théorique dès lors qu’elles pouvaient
ne pas avoir d’incidences concrètes sur la situation du
requérant. La loi du 8 février 1995 (CJA, art. L. 911-1 et L.
911-2) a mis fin à ce paradoxe : le juge de l’excès de
pouvoir est depuis habilité à adresser des injonctions à
l’Administration afin de l’amener à tirer toutes les
conséquences de l’annulation prononcée contre elle. Le
législateur précise ainsi que le juge a la possibilité
d’indiquer à l’Administration, dès lors qu’elle se trouve en
situation de compétence liée, l’ensemble des mesures
qu’implique l’annulation de sa décision (CJA, art. L. 911-1).
Initialement conditionnée par le dépôt devant le juge de
conclusions en ce sens, l’injonction fait désormais partie
intégrante des pouvoirs du juge de l’excès pouvoir dès lors
qu’il peut désormais prononcer de telles mesures d’office
(Loi du 23 nov. 2019, article 40). La loi du 8 février 1995 a
entraîné une véritable mutation du contentieux de l’excès
de pouvoir conduisant le cas échéant le juge de l’injonction
à se couler dans les habits du juge de plein contentieux,
afin notamment de pouvoir statuer sur le sens des mesures
à prendre au regard de la situation juridique constituée,
non à la date de la décision annulée comme en excès de
pouvoir, mais au jour où il statue comme en plein
contentieux (CE 4 juill. 1997, Bourezak et Leveau).
L’injonction ainsi prescrite peut être encore assortie d’une
astreinte (CJA, art. L. 911-3).
Aussi importants qu’ils soient, les nouveaux pouvoirs du
juge de l’excès restent cependant conditionnés par la
situation juridique portée devant lui. En effet, dès lors que
l’Administration doit prendre une nouvelle décision et
reste, en raison des textes applicables au litige, libre des
conséquences à tirer de l’annulation contentieuse, le juge
ne pourra au mieux que renvoyer le requérant devant
l’Administration afin qu’elle réexamine l’affaire dans le
nouveau délai que le juge lui prescrit. Cette solution fondée
sur l’article L. 911-2 CJA présente un intérêt pratique
évident quand le requérant conteste une décision de refus
(par exemple, un refus de permis de construire) mais non
comme en l’espèce quand il demande l’annulation d’une
mesure de sanction.
Au cas d’espèce, la question est donc de savoir si
l’administration pénitentiaire est dans une situation de
compétence liée lorsque le juge annule une sanction
disciplinaire. En fait, plusieurs cas de figure méritent d’être
distingués selon le motif de l’annulation retenu. Si
l’annulation a été prononcée en raison d’un vice de
procédure, l’autorité territoriale peut, à raison des mêmes
faits, prendre une nouvelle décision de sanction en tenant
compte des irrégularités relevées par le juge. Si la sanction
a été annulée en raison de son quantum jugé
disproportionné, la nouvelle sanction doit être
proportionnelle à la faute commise par l’agent. Dans ces
cas, les éléments liés à la procédure disciplinaire n’auront
pas à être retirés du dossier individuel de l’agent. Dès lors,
c’est uniquement dans le cas, que l’on jugera sans peine
non établi en l’espèce, où le juge aurait annulé la sanction
au motif que les faits reprochés ne constituent pas une
faute, que l’administration pénitentiaire devra en tirer
toutes les conséquences et sur l’injonction du juge retirer
du dossier du détenu toute mention de la sanction qui a fait
l’objet d’une annulation.
Question no 5
Les conseils d’Alexandre Dumas semblent a priori
particulièrement judicieux. En effet, dans notre affaire, le
requérant est en mesure, comme on l’a vu, de soulever
plusieurs moyens susceptibles d’entraîner l’annulation de
la sanction : des moyens de procédure et des moyens de
fond.
Dans ce cas, les requérants doivent se prémunir du risque
de voir leurs conclusions en injonction neutralisées par la
technique dite de l’économie des moyens. Cette technique
consiste pour le juge de l’excès de pouvoir à fonder son
annulation sur les illégalités les plus flagrantes quitte à ne
pas répondre aux autres moyens. Il se trouve qu’en
pratique, les illégalités les plus facilement décelables pour
un juge sont les vices de forme ou de procédure qui ne vont
pas l’obliger à examiner l’affaire au fond pour satisfaire la
demande du requérant.
Or cette technique n’est plus vraiment adaptée à
l’évolution du contentieux de l’excès de pouvoir. En effet,
l’exercice du pouvoir d’injonction (art. L. 911-1) suppose
que le juge recherche si parmi tous les moyens invoqués
par le requérant, il existe un moyen de fond (légalité
interne) qui placerait l’Administration dans une situation de
compétence liée, lui permettant alors de prescrire des
mesures d’exécution.
Cette difficulté a été immédiatement perçue par les
justiciables et leurs conseils qui ont pris l’habitude de
hiérarchiser les moyens dans leur requête afin d’amener le
juge à statuer d’abord sur ceux susceptibles d’entraîner
l’exercice du pouvoir d’injonction. Mais cette pratique ne
reposait sur aucun texte et était en droit laissée au bon
vouloir du juge. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. L’arrêt du
Conseil d’État, sect., 21 déc. 2018, Sté Eden, est venu
obliger les juges du fond à examiner les moyens dans
l’ordre où le requérant les hiérarchise : il incombe, dit
l’arrêt, au juge de l’excès de pouvoir d’examiner
prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant
fondés, à justifier le prononcé de l’injonction demandée
mais encore de respecter la hiérarchisation établie par le
requérant et d’examiner prioritairement les moyens qui se
rattachent à la cause juridique correspondant à la demande
principale du requérant. En conséquence, s’éloignant
toujours plus de la logique objective qui a présidé à la
formation du recours pour excès de pouvoir, le juge
administratif doit veiller à retenir le raisonnement juridique
le plus à même de répondre à la situation du requérant. En
ce sens, on peut citer l’arrêt du Conseil d’État 4 octobre
2019, AB c/ Présidence de l’Université de Paris 13, où est
cassé un arrêt de Cour administrative d’appel au motif que
le requérant avait seulement obtenu le bénéfice d’une
injonction d’une moindre portée que celle sollicitée,
laquelle aurait été de droit si les moyens non examinés par
le juge avaient, au contraire, été accueillis par le juge
d’appel.
Pour autant, au cas d’espèce, l’invocation de la nouvelle
jurisprudence du Conseil d’État ne présente pas un
véritable intérêt pratique pour le requérant dès lors que,
comme on l’a vu, l’annulation de la sanction pour vice de
procédure comme de fond ne devrait pas aboutir au
prononcé d’une injonction sur le fondement de l’article L.
911-1 du CJA. Il n’en reste pas moins que, de manière
générale, il est désormais de bonne pratique pour les
requérants et leurs conseils de hiérarchiser les moyens
d’annulation soulevés devant le juge.
La justice administrative
Thème principal
Contrôle juridictionnel
Mots-clés
Recours pour excès de pouvoir, Mesures d’ordre intérieur,
Référé-suspension, Référé-liberté, Responsabilité, Dignité
Sujet proposé et corrigé établi par
Romain Rambaud, Professeur, Université Grenoble Alpes
Second semestre 2020-2021
〉Cas pratique
C’est à une crise totalement inattendue que doit faire face
la maison d’arrêt de Varces : un cluster s’est déclenché en
son sein. En effet, le départ en urgence en réanimation d’un
détenu a alerté le directeur de la maison d’arrêt, qui a
ensuite mis en place une campagne de dépistage sur la
base du volontariat : le taux de positivité à la covid-19 est
déjà de 5 %. Il s’avère qu’il s’agit du premier cluster en
prison constaté dans toute la France : tous les médias ont
les yeux rivés sur le sud grenoblois. Pour lutter contre la
flambée de l’épidémie, sous pression, le directeur de la
prison va prendre un certain nombre de mesures.
1. L’ensemble de ces mesures particulières vont être
attaquées par les détenus, mais certaines associations
souhaitent également remettre en cause ces décisions qui,
selon elles, portent atteinte de façon excessive aux droits
des détenus. Il s’agit notamment de l’association « Prison
Justice 38 », dont l’objet est d’assurer l’accueil dans la
Maison d’accueil des familles se rendant aux parloirs et de
sensibiliser l’opinion publique aux problèmes vécus par les
familles de détenu(e)s et les détenu(e)s eux-mêmes, mais
aussi de la section nationale de la « Ligue des droits de
l’homme », qui entend faire de la situation une affaire de
principe de portée nationale. Ces associations vous
saisissent, en tant qu’avocat.e, pour vous demander
si selon vous, elles pourraient attaquer ces
différentes décisions en justice et en principe devant
quel juge. Qu’en pensez-vous ? (3 points)
2. En premier lieu, dans l’impossibilité évidente d’agrandir
les cellules de la prison, le directeur de celle-ci décide
d’adopter une « note de service interne », par laquelle il
impose le port du masque aux détenus non seulement dans
les parties communes, mais aussi dans leurs cellules dès
lors que ces dernières sont collectives, ce qui revient pour
les détenus à devoir porter un masque 24 heures sur 24.
Dans la mesure où les masques sont fournis par la prison, il
s’agit pour le directeur d’une simple mesure de bon sens
visant à éviter la propagation de l’épidémie et le port du
masque n’est pas particulièrement problématique pour les
détenus. Un certain nombre de détenus considèrent
au contraire que le fait d’imposer le port du masque
tout le temps pose un vrai problème. Ils
souhaiteraient attaquer cette note du directeur de la
prison le plus rapidement possible et viennent vous
voir pour cela. Peuvent-ils attaquer cette note du
directeur ? Est-il possible de la remettre en cause en
urgence et quelle procédure doivent-ils utiliser ? Ont-
ils une chance de succès selon vous ? (6 points)
3. En deuxième lieu, le directeur décide de suspendre pour
une semaine les activités collectives, à l’intérieur comme à
l’extérieur, n’autorisant les promenades dans la cour qu’au
compte-gouttes, par groupes de six, avec un système de
réservation préalable. Il considère que le risque de
contamination est trop fort et que la taille de la cour de la
maison d’arrêt est trop petite pour permettre davantage, y
compris à l’extérieur. Le problème est que ce système de
rotation a pour conséquence que les détenus ne peuvent
prendre l’air qu’un jour sur trois désormais. Un certain
nombre de détenus veulent remettre en cause cette
décision en urgence en demandant au juge de
réautoriser les promenades dans la cour
immédiatement, s’il le faut en ordonnant au directeur
de la prison de faire agrandir celle-ci. Quelle
procédure doivent-ils utiliser ? Ont-ils d’après vous
une chance de succès au fond ? (3 points)
4. De manière plus générale, les détenus se demandent
comment faire pour donner une plus grande résonance à
leur affaire et ont deux idées. Tout d’abord, ils envisagent
de demander à la ligue des droits de l’homme de
porter une action de groupe contre ces décisions.
Cela vous paraît-il possible ? (2 points). Ensuite, ils ont
l’idée d’utiliser la toute nouvelle loi tendant à garantir le
droit au respect de la dignité en détention, considérant que
s’ils sont les premiers à utiliser cette nouvelle modalité, cela
donnera un fort retentissement à leur affaire. Selon vous,
le peuvent-ils et cela a-t-il une chance de succès
[pour pouvoir répondre à cette question, v. le texte
de la loi en annexe] ? (4 points)
5. Enfin, l’épidémie progressant malgré tout dans la prison,
plusieurs détenus tombent gravement malades et décèdent
des suites de la covid-19 à l’hôpital de Grenoble. Leurs
ayants droit souhaitent attaquer l’État en
responsabilité, considérant que la maison d’arrêt de
Varces est responsable de la diffusion de l’épidémie.
Ont-ils une chance de succès selon vous ? (2 points)
Annexe : Loi tendant à garantir le droit au respect
de la dignité en détention
Article unique
Le code de procédure pénale est ainsi modifié […]
3° Après l’article 803-7, il est inséré un article 803-8 ainsi
rédigé :
« Art. 803-8. – I. – Sans préjudice de sa possibilité de saisir
le juge administratif en application des articles L. 521-1, L.
521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative, toute
personne détenue dans un établissement pénitentiaire en
application du présent code qui considère que ses
conditions de détention sont contraires à la dignité de la
personne humaine peut saisir le juge des libertés et de la
détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de
l’application des peines, si elle est condamnée et incarcérée
en exécution d’une peine privative de liberté, afin qu’il soit
mis fin à ces conditions de détention indignes.
« Si les allégations figurant dans la requête sont
circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles
constituent un commencement de preuve que les conditions
de détention de la personne ne respectent pas la dignité de
la personne, le juge déclare la requête recevable et, le cas
échéant, informe par tout moyen le magistrat saisi du
dossier de la procédure du dépôt de la requête. Cette
décision doit intervenir dans un délai de dix jours à compter
de la réception de la requête […]
« Si le juge estime la requête fondée, il fait connaître à
l’administration pénitentiaire, dans un délai de dix jours à
compter de la décision prévue au même deuxième alinéa,
les conditions de détention qu’il estime contraires à la
dignité de la personne humaine et il fixe un délai compris
entre dix jours et un mois pour permettre de mettre fin, par
tout moyen, à ces conditions de détention. Avant la fin de ce
délai, l’administration pénitentiaire informe le juge des
mesures qui ont été prises. Le juge ne peut enjoindre à
l’administration pénitentiaire de prendre des mesures
déterminées et celle-ci est seule compétente pour apprécier
les moyens devant être mis en œuvre. Elle peut, à cette fin,
transférer la personne dans un autre établissement
pénitentiaire, sous réserve, s’il s’agit d’une personne
prévenue, de l’accord du magistrat saisi du dossier de la
procédure.
« II. – Si, à l’issue du délai fixé en application du dernier
alinéa du I, le juge constate, au vu des éléments transmis
par l’administration pénitentiaire concernant les mesures
prises et de toute vérification qu’il estime utile, qu’il n’a pas
été mis fin aux conditions indignes de détention, il prend,
dans un délai de dix jours, l’une des décisions suivantes :
« 1° Soit il ordonne le transfèrement de la personne dans
un autre établissement pénitentiaire ;
« 2° Soit, si la personne est en détention provisoire, il
ordonne sa mise en liberté immédiate, le cas échéant sous
contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec
surveillance électronique ;
« 3° Soit, si la personne est définitivement condamnée et si
elle est éligible à une telle mesure, il ordonne une des
mesures prévues au III de l’article 707. »
〉Préparation
Analyse du sujet
〉Corrigé
Suite au déclenchement du premier cluster en prison
constaté en France dans la maison d’arrêt de Varces, le
directeur de la prison, sous pression, a pris un certain
nombre de mesures pour lutter contre la flambée de
l’épidémie. L’ensemble de ces mesures va être attaqué par
les détenus mais également par certaines associations qui
souhaitent remettre en cause ces décisions, qui selon elles
portent atteinte de façon excessive aux droits des détenus :
la question se pose alors de savoir si celles-ci peuvent
intenter des recours (I). Plus spécifiquement, en premier
lieu, le directeur de la prison va adopter une « note de
service interne » visant à faire porter le masque aux
détenus 24 h/24, que les détenus souhaitent remettre en
cause en urgence (II). En deuxième lieu, le directeur
interdit les activités collectives et réglemente très
strictement les sorties dans la cour de la prison qui ne
deviennent possibles qu’un jour sur trois seulement : les
détenus veulent que le directeur de la prison soit obligé de
réautoriser les sorties immédiatement, en agrandissant la
cour s’il le faut (III). De manière plus générale, les détenus
se demandent en outre, pour donner plus d’écho
médiatique à leur affaire, s’il est possible d’intenter une
action de groupe ou d’utiliser la très récente loi tendant à
garantir le droit au respect de la dignité en détention (IV).
Enfin, l’épidémie progressant malgré tout dans la prison,
plusieurs détenus tombent gravement malades et décèdent
des suites de la covid-19 à l’hôpital de Grenoble : leurs
ayants droit souhaitent alors engager la responsabilité de
l’État (V).
A – La possibilité de remettre en
cause la « note de service interne »
En principe, en droit administratif, le recours est ouvert
contre les décisions seulement, c’est-à-dire un acte qui
modifie l’ordonnancement juridique, les droits et les
obligations des individus. Cependant, certains actes sont à
géométrie variable, c’est-à-dire qu’ils vont être parfois
considérés comme décisoires et parfois non : cela dépend
des cas et il faut donc procéder à une analyse au cas par
cas en fonction de certains critères.
Ainsi, les mesures d’ordre intérieur (MOI) sont des actes
qui touchent des usagers d’un service public mais qui sont
considérés comme n’étant pas d’une importance suffisante
pour pouvoir faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir ;
cependant dans certains cas ces MOI peuvent faire grief et
être susceptibles de recours, lorsqu’elles mettent en cause
les droits et libertés des individus (CE, ass., deux arrêts,
1995, Hardouin et Marie). Dès lors que ces mesures
internes à un service public ont pour effet de remettre en
cause les droits fondamentaux des usagers, elles peuvent
faire l’objet d’un recours (CE 2007, Boussouar).
Par ailleurs, une jurisprudence s’est développée sur les
actes de droit souple, clarifiée en dernière analyse par un
arrêt du Conseil d’État GISTI du 12 juin 2020 : « Les
documents de portée générale émanant d’autorités
publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires,
instructions, recommandations, notes, présentations ou
interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge
de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir
des effets notables sur les droits ou la situation d’autres
personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les
mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces
documents qui ont un caractère impératif ou présentent le
caractère de lignes directrices ». Une simple « note » peut
donc être attaquable dès lors qu’elle est susceptible d’avoir
des effets notables sur les droits ou la situation des
administrés.
En l’espèce, la « note de service interne » par laquelle le
directeur de la prison impose le port du masque aux
détenus, non seulement dans les parties communes, mais
aussi dans leurs cellules dès lors que ces dernières sont
collectives (ce qui est le cas dans la plupart des
hypothèses), est certes une mesure d’ordre intérieur mais
elle affecte profondément les droits fondamentaux des
individus, les obligeant à porter le masque 24 h/24. Par
ailleurs, bien que simple « note », elle produit des effets
importants sur leur situation. Pour ces raisons, derrière
cette note se cache en réalité un acte faisant grief
susceptible de recours.
V/ Concernant la responsabilité de la
prison pour des décès liés à la covid-
19
La responsabilité pour faute correspond à la situation la
plus opérationnelle : l’Administration commet une faute
d’une nature quelconque, c’est-à-dire un manquement à
une obligation préexistante, et cette faute cause
directement un préjudice à quelqu’un qu’il faut alors
réparer. Cette faute est celle du service qui a mal
fonctionné : c’est bien le service administratif qui est
responsable de la faute. En matière pénitentiaire, on
n’exige pas de responsabilité pour faute lourde. Il est
possible d’engager la responsabilité de l’État pour faute
simple, par exemple, en matière de suicide d’un détenu (CE
2007, M. D), en cas d’atteinte à son intégrité physique (CE
2008, Zaouiya), ou de dommages aux biens (CE 2008,
Boussouar).
Dès lors, il faudra prouver une faute de l’État pour
engager la responsabilité. En l’espèce, on pourrait
considérer au contraire que le directeur de la prison a pris
toutes les mesures, trop sans doute, pour éviter une telle
situation. D’autres fautes devraient alors être recherchées,
expliquant la diffusion de la pandémie dans la prison ou
alors en faisant valoir que la surpopulation de la prison ou
le non-respect de la loi qui prévoit le principe de
l’encellulement individuel constituent des fautes engageant
la responsabilité de l’État.
Index
A
Acte administratif 1, 2, 3, 4
Acte administratif unilatéral 1, 2, 3, 4
Acte de gouvernement 1
Agent public 1
C
Compétence juridictionnelle 1, 2, 3, 4
Contrat administratif 1, 2, 3, 4, 5, 6
Contrôle juridictionnel 1, 2, 3, 4, 5
Critère organique 1
D
Dignité 1
Dignité de la personne humaine 1, 2
Droit souple 1
F
Faute 1
Faute de service 1
Faute personnelle 1
J
Juridiction administrative 1
L
Libertés publiques 1
Loi 1
M
Maire 1
Mesures d’ordre intérieur 1, 2, 3
N
Neutralité 1
O
Ordonnance 1
Ordre public 1, 2
P
Personne publique 1
Police administrative 1, 2, 3
Pouvoir réglementaire 1
Préjudice 1
Prérogative de puissance publique 1
Principe d’égalité 1, 2
Principe général du droit 1
Principe hiérarchique 1
Principes généraux du droit 1
Q
Qualification 1, 2
R
Recours pour excès de pouvoir 1, 2, 3, 4, 5, 6
Référé-liberté 1
Référé-suspension 1
Responsabilité 1, 2, 3, 4, 5, 6
Responsabilité administrative 1
Responsabilité contractuelle 1
Responsabilité pour faute 1, 2
Responsabilité sans faute 1
S
Service public 1, 2, 3, 4
Service public administratif 1
Sources 1, 2
Sources internationales 1, 2
U
Usager 1