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privé du copiste et non destinées à une utilisation
collective » et d’autre part, que les analyses et courtes
citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute
représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite
sans le consentement de l’auteur ou ses ayants droit ou
ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, tout comme le fait de
la stocker ou de la transmettre sur quelque support que ce
soit, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée pénalement par les articles L. 335-
2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

31-35, rue Froidevaux – 75685 Paris cedex 14


© Éditions Dalloz, 2022
© EpubsFR, 2022
ISBN numérique : 978-2-247-21635-2
ISBN papier : 978-2-247-20619-3
Ce document numérique a été réalisé
par SCM • Toulouse
www.editions-dalloz.fr
Sommaire
Avant-propos

Méthodologie
Généralités
Le commentaire d’arrêt
Le cas pratique
La dissertation juridique

Sujets corrigé
Les sources du droit administratif
• Sources
Dissertation
Gweltaz Eveillard, Professeur, Université Rennes 1
Commentaire d’arrêt : TA Besançon, 10 octobre 1996,
Glory c/ Commune de Châtenois-les-Forges, no 960071
Laurent Seurot, Professeur, Université de Lorraine
Les actes de l’Administration
• Acte administratif
Dissertation
Agathe Van Lang, Professeure, Université de Nantes
Cas pratique
Arnaud Sée, Professeur, Université Paris Nanterre
• Acte administratif unilatéral
Commentaire d’arrêt : CAA Douai 10 novembre 2010,
Association « Société Centrale Canine »
Marguerite Canedo-Paris, Professeure, Université de
Poitiers
Dissertation
Delphine Costa, Professeure, Aix-Marseille Université
• Contrat administratif
Dissertation
Nicolas Chifflot, Professeur, Université de Strasbourg
Les fonctions de l’Administration
• Service public
Cas pratique
Carole Gallo, Professeure, Université de Lille
Commentaire d’arrêt : CAA Nantes, 1er mars 2019, req.
no 18NT01878
Laurent Seurot, Professeur, Université de Lorraine
Cas pratique
Élise Untermaier-Kerléo, Maîtresse de conférences,
Université Jean Moulin Lyon 3
• Police administrative
Dissertation
Nicolas Chifflot, Professeur, Université de Strasbourg
Commentaire d’arrêt : CAA Nancy, 1er octobre 2020, req.
no 19NC00494
Nathalie Jacquinot, Professeur, Université Toulouse 1
Capitole
Cas pratique
Bertrand Seiller, Professeur, Université Paris II Panthéon-
Assas
La justice administrative
• Responsabilité
Commentaire d’arrêt : CE 10 avril 2013, Ville de
Marseille, req. no 359803
Jean-François Brisson, Professeur, Université de Bordeaux
Cas pratique
Arnaud Sée, Professeur, Université Paris Nanterre
• Responsabilité administrative
Commentaire d’arrêt : CE 9 juin 2020, M. B…, req. no
423383
Fanny Tarlet, Professeure, Université de Montpellier
• Contrôle juridictionnel
Commentaire d’arrêts
Élise Untermaier-Kerléo, Maîtresse de conférences,
Université Jean Moulin Lyon 3
Dissertation
Virginie Donier, Professeure de droit public, Université de
Toulon
Cas pratique
Jean-François Brisson, Professeur, Université de Bordeaux
Cas pratique
Romain Rambaud, Professeur, Université Grenoble Alpes

Index
Avant-propos
La collection des Annales du droit a comme ambition de
fournir un nouvel outil de travail aux étudiants de la licence
en droit mais aussi à tous ceux qui suivent des
enseignements juridiques dans le cadre des instituts
d’études politiques ou des préparations aux concours
administratifs.
Les Annales du droit se présentent comme le
complément nécessaire du manuel ou du cours oral
dans les disciplines fondamentales du droit que sont
l’introduction au droit et le droit des personnes et des
biens, le droit constitutionnel, le droit civil des obligations
et le droit administratif.
L’analyse systématique des institutions, des procédures et
des relations juridiques qui est faite de manière didactique
dans les manuels et les cours est le premier versant de la
formation juridique. Le second versant est la mise en
œuvre et l’application de ces notions, la présentation
organisée d’une question juridique, l’analyse des sources
du droit, la résolution d’une question pratique. C’est ce
second versant que doivent permettre de gravir les Annales
du droit en exposant la méthodologie des exercices
demandés à tout juriste et l’illustrant par la présentation
des sujets corrigés qui ont été donnés dans un échantillon
représentatif d’universités françaises.

Mode d’emploi des Annales du droit


Conçues et dirigées par un enseignant qui a accepté de
prendre la responsabilité d’un des quatre ouvrages
consacrés aux disciplines de base, les Annales du droit,
publiées par les éditions Dalloz depuis un quart de siècle,
sont tout d’abord des ouvrages de méthodologie.
Le responsable de l’ouvrage présente les différentes
méthodes qui sont utilisées dans l’enseignement du droit
en accompagnant cette présentation de conseils pour les
trois principaux types d’exercice qui sont demandés aux
juristes, que ce soit dans le cadre du contrôle continu, des
examens ou des concours :
• la dissertation, exposé systématique d’une question
avec ses exigences de présentation et d’analyse du sujet, de
plan, d’organisation des idées ;
• le commentaire qui peut porter sur un texte de droit
international ou de droit communautaire, une loi, un
règlement, une décision de jurisprudence et qui doit
permettre de comprendre le sens du texte, d’en mesurer la
portée, les apports, de l’évaluer ;
• l’étude de cas consistant à appliquer à une question
pratique les connaissances acquises, à replacer la question
posée dans son environnement juridique et à rechercher la
solution d’un litige.
La collecte de l’information disponible et actualisée étant
l’un des préalables à tout travail juridique, les Annales
comportent également l’exposé des méthodes de
recherches bibliographiques et des outils
informatiques disponibles.
Les conseils méthodologiques sont illustrés par une
vingtaine de sujets corrigés choisis parmi ceux qui ont
été donnés dans les universités françaises lors des
dernières sessions d’examen. À cet effet, et selon une
méthode originale par rapport aux ouvrages de même type,
les professeurs responsables des enseignements de la
discipline à laquelle est consacrée chacune des quatre
Annales ont accepté de présenter les sujets qu’ils ont
retenus pour l’examen et d’en faire le corrigé. Les Annales
du droit illustrent ainsi la diversité des analyses qui sont le
propre de la méthode universitaire.
Les Annales du droit sont conçues comme devant être
l’accompagnement nécessaire des cours et des manuels. À
cette fin, les sujets retenus sont présentés en suivant
le plan habituel des cours consacrés à la matière : ils
en illustrent et complètent les grandes parties.
Pour chaque sujet est indiqué le thème principal qui en
est l’objet. Les mots-clés, enfin, recensent les principaux
points de droit abordés dans chaque sujet corrigé. L’index
thématique qui figure en fin d’ouvrage permet de retrouver
aisément les questions et les points de droit que le lecteur
souhaite étudier.
Yves Jégouzo
méthodologie

Généralités
Les études juridiques ont souvent la réputation de
reposer sur l’acquisition d’une masse importante de
connaissances. Si l’affirmation n’est pas infondée, elle
n’épuise pas la finalité de l’enseignement du droit. Il est
d’abord question d’acquérir une capacité d’analyse et de
réflexion et de développer un raisonnement juridique.
Autrement dit, les connaissances acquises sont un moyen et
non une fin. Les différents exercices proposés aux étudiants
(commentaire d’arrêt, cas pratique, dissertation) visent à
éprouver leur capacité à mobiliser leurs connaissances au
soutien de l’analyse structurée et critique d’un sujet. Il
reste que la maîtrise des connaissances est un préalable
nécessaire à l’ensemble de ces exercices.
Les métiers du droit sont des métiers de l’écrit. Il en
résulte une exigence particulière à l’égard de la maîtrise de
l’expression en français durant les études de droit. Les
étudiants doivent donc veiller à la qualité de leur
orthographe, de leur conjugaison, etc. ce qui suppose de
conserver un peu de temps en fin d’exercice pour la
relecture.
La réussite passe également par la maîtrise du temps. La
durée de l’épreuve est en général de 3 heures. Il n’existe
pas de formule unique pour la gestion du temps. Dans tous
les cas, il n’est pas possible de rédiger l’ensemble de
l’exercice au brouillon avant de le recopier sur la copie. Il
est raisonnable de consacrer un tiers du temps imparti (1
heure) à la préparation, et les deux heures restantes à la
rédaction.
Pour compléter le cours et préparer ses travaux dirigés,
l’étudiant peut s’aider d’un certain nombre d’outils.
Ouvrages généraux
S. Braconnier et al., Droit administratif : les grandes
décisions de la jurisprudence, PUF, coll. « Thémis Droit ».
G. Braibant et al., Grands arrêts de la jurisprudence
administrative, Dalloz, coll. « Grands arrêts ».
N. Chifflot et P. Chrétien, Droit administratif, Sirey, coll. «
Sirey université ».
P.-L. Frier et J. Petit, Droit administratif, LGDJ, coll. « Précis
Domat ».
M. Lombard, G. Dumont et J. Sirinelli, Droit administratif,
Dalloz, coll. « HyperCours ».
B. Seiller, Droit administratif, t. 1 : Les sources et le juge,
Flammarion, coll. « Champs université ».
B. Seiller, Droit administratif, t. 2 : L’action administrative,
Flammarion, coll. « Champs université ».
D. Truchet, Droit administratif, PUF, coll. « Thémis Droit ».
Revues
Actualité juridique, Droit administratif (AJDA), Dalloz,
hebdomadaire.
Droit administratif, LexisNexis, mensuel.
Revue du droit public et de la science politique (RDP),
Lextenso, 6 numéros par an.
Revue française de droit administratif (RFDA), Dalloz, 6
numéros par an.
Revue générale du droit (revue numérique gratuite :
www.revuegeneraledudroit.eu/).
Semaine juridique, Administration et collectivités
territoriales, LexisNexis, hebdomadaire.
Le commentaire d’arrêt
I/ Généralités
Le commentaire d’arrêt est une analyse juridique,
structurée et critique d’une décision de justice.
Il ne doit pas être :
• Un prétexte pour déballer des paragraphes de cours
sans considération pour la décision et ses particularités. Il
n’est pas une dissertation ayant pour thème la ou les
questions de droit que recèle cette décision. Des références
à l’arrêt lui-même dans chacune des subdivisions du
commentaire permettent d’échapper à ce premier écueil.
• La simple reformulation des termes de l’arrêt, c’est-à-
dire sa paraphrase. Le commentaire suppose de mobiliser
les connaissances acquises en cours ou dans un ouvrage,
connaissances qui vont permettre d’évaluer l’arrêt,
d’apprécier sa portée, etc.
• Le commentaire du dispositif de l’arrêt. Le dispositif
n’exprime pas la question de droit. Cette dernière ne peut
être : La requête de Mme X ou de la commune Y est-elle
fondée ? Le commentaire porte principalement sur les
motifs de l’arrêt, c’est-à-dire sur les questions de droit que
le juge a dû aborder afin de trancher le litige.
Le commentaire d’arrêt en droit administratif se
différencie par rapport au même exercice en droit civil. Les
arrêts de la Cour de cassation sont souvent plus concis que
les décisions du juge administratif et centrés sur quelques
attendus à la structure immuable. La Cour de cassation
tranche une question de droit qui a vocation à structurer le
commentaire. Les arrêts soumis aux étudiants en droit
administratif sont souvent plus longs, et le juge ne statue
pas toujours en tant que juge de cassation ; il est aussi
souvent juge du fond, qu’il s’agisse d’une cour
administrative d’appel ou du Conseil d’État saisi en premier
et dernier ressort ou en référé. Il en résulte que la
recherche des points de droit ayant vocation à structurer le
commentaire est parfois malaisée et que les faits ne doivent
pas être négligés.

II/ Travail préparatoire


A – La fiche d’arrêt
L’apprentissage de la fiche d’arrêt précède généralement
celui du commentaire d’arrêt. Il en est aussi la première
étape puisqu’elle est censée faciliter la compréhension de
l’arrêt. Par ailleurs, l’introduction du commentaire a
vocation à puiser l’essentiel de ses éléments dans cette
fiche.
La fiche d’arrêt consiste à décomposer (déconstruire)
l’arrêt pour en particulariser les différents éléments à
savoir :
• les faits ;
• la procédure (requérant, type de recours, juridictions,
état de la procédure) ;
• la ou les questions de droit soulevées par l’arrêt ;
• la réponse apportée par le juge saisi à chacune des
questions de droit ;
• la solution du litige (dispositif) ;
• l’annonce de plan.

B – La ou les questions de droit


La découverte de la question de droit est une étape
décisive puisqu’elle a vocation à structurer le commentaire.
Elle est rendue difficile par la diversité des types d’arrêts
susceptibles d’être soumis aux étudiants en droit
administratif.
En simplifiant, il existe deux idéaux types de décisions
proposées aux étudiants :
• L’arrêt principalement concentré sur quelques
considérants dans lesquels le juge expose plus ou moins
longuement son interprétation de la règle de droit et
l’applique à l’espèce. La question de droit renvoie donc aux
dits considérants et le commentaire s’articulera autour
d’eux.
• L’arrêt plus long et à l’occasion duquel le juge répond à
de multiples moyens sans que l’un d’entre eux n’émerge
vraiment. Chacun peut alors s’analyser comme une
question de droit, et le commentaire s’organisera alors
autour d’une pluralité de questions de droit.
La difficulté est de déterminer le type de la décision
soumise aux étudiants. La longueur peut être un indice,
mais c’est surtout la résonance de l’arrêt dans les
connaissances acquises en cours qui doit permettre
d’établir son type. Si le commentaire est donné à l’étudiant
en TD, il est probable que la question de droit est en
rapport avec le thème de la séance. Dans le cadre d’un
examen final, la recherche peut s’avérer plus délicate.

C – Le plan
L’élaboration du plan est déterminée par l’étape
précédente puisque le commentaire est structuré autour de
la ou des questions de droit soulevées par l’arrêt. Les
étudiants de L2 sont généralement invités à retenir un plan
en 2 parties et 2 sous-parties.
Pour les arrêts à multiples points de droit (second idéal
type), il est souvent conseillé de structurer le propos autour
des grandes catégories de moyens que le juge doit trancher
(compétence/fond, recevabilité/fond, légalité
externe/interne, responsabilité pour faute/sans faute).
Pour les arrêts à question unique, le plan s’articule
parfois autour de la distinction « principe/application à
l’espèce », mais elle n’est pas toujours opératoire. Il
convient alors d’aborder la question de droit dans ses
différentes dimensions. En tout état de cause, le plan
chronologique est vivement déconseillé (I/ avant l’arrêt, II/
l’arrêt) puisqu’il conduit à reporter le commentaire de
l’arrêt sur la seconde partie.

III/ Rédaction
A – Introduction
Elle comprend plusieurs temps.
• une phrase d’attaque (ou d’accroche) qui permet de
situer l’arrêt. Le lecteur doit savoir dans quel champ du
droit administratif vont se situer les développements à
suivre. Il est aussi possible d’opérer un lien entre la
décision sous commentaire, son champ et l’actualité. Si
nécessaire, l’attaque peut se déployer sur plusieurs phrases
;
• le rappel des faits et de la procédure : ils ont déjà été
identifiés à l’occasion de la fiche d’arrêt ;
• l’exposé de la ou des questions de droit que recèle la
décision. Il est déconseillé d’utiliser la forme interrogative
pour formuler lesdites questions ;
• l’exposé sommaire des réponses du juge à la ou aux
questions de droit retenues puis, par voie de conséquence,
de la solution qu’il donne au litige ;
• l’annonce de plan : elle n’est pas nécessairement très
développée puisque le plan a vocation à s’ordonner autour
des questions de droit évoquées précédemment.

B – Développements
Ils sont structurés à travers le plan. Le plan doit être
apparent dans la copie (titres et sous-titres soulignés par
ex.).
Des phrases doivent assurer la transition entre les
différentes subdivisions.
En principe, le commentaire d’arrêt ne comporte pas de
conclusion et, si c’est le cas, elle est courte.
Le cas pratique
I/ Généralités
Le cas pratique (parfois appelé « consultation juridique »)
consiste à proposer une réponse motivée en droit à une ou
plusieurs questions portant sur une série de faits exposés
de manière brute. Il est donc d’abord un exercice de
qualification juridique de situations, d’actes ou de faits.
Cette opération de qualification est centrale parce qu’elle
détermine à la fois la procédure (juge compétent, type de
recours) et le régime juridique applicable au fond de
l’affaire.
Exemple no 1 : dans un cas pratique mettant en cause un
contrat entre un particulier et une collectivité publique, la
qualification de la relation contractuelle (contrat
administratif ou non ; marché public, DSP ou autre)
influera sur la détermination du juge compétent pour
connaître du litige, du type de recours (référés, excès de
pouvoir, plein contentieux) ainsi que des règles de droit
applicables au fond du litige.
Exemple no 2 : dans un cas pratique mettant en cause un
accident consécutif au fonctionnement d’un établissement,
le recours juridictionnel et le droit applicable dépendent
largement de la qualification de l’établissement en cause
(personne publique ou non) et du service qu’il assume
(service public ou non ; SPIC ou SPA).
Il convient de ne pas se méprendre sur les finalités de
l’exercice. L’essentiel n’est pas de dire ce que sera la
solution du litige si l’affaire devait être soumise à un juge,
l’étudiant doit surtout exposer les voies de droit pertinentes
et définir le cadre juridique applicable au litige. Il n’est pas
toujours suffisamment armé pour « deviner » ce que sera la
solution au fond. Il appartient donc à l’étudiant de faire
part de ses intuitions sur la solution tout en sachant que
l’appréciation de son travail se concentrera surtout sur les
étapes qui lui ont permis d’en arriver là.
Le cas pratique ne saurait être le prétexte pour exposer
des connaissances sans lien avec l’affaire en utilisant cette
dernière comme une porte d’entrée sur un chapitre du
cours.

II/ Rédaction
Le contenu du cas pratique est en partie déterminé par sa
formulation. Deux types de cas pratique peuvent être
soumis aux étudiants :
• Le cas pratique « ouvert » : il se présente comme
l’exposé d’une série de faits et se conclut par une question
généralement formulée sous forme de consultation
juridique (« M. X vous demande ce qu’il peut faire »).
L’étudiant se doit d’aborder l’affaire dans toutes ses
dimensions. Il convient non seulement de s’interroger sur
le cadre juridique applicable, voire la solution qu’elle
appelle, mais aussi, et au préalable, sur la ou les voies de
droit qui permettront à la personne concernée d’obtenir
satisfaction.
• Le cas pratique « dirigé » : il repose lui aussi sur
l’exposé de faits, mais cet exposé est jalonné de questions
plus ou moins précises auxquels les étudiants sont invités à
répondre. Il appartient à l’étudiant de répondre aux
questions posées, ni plus ni moins.
En présence d’un cas pratique « ouvert », le devoir
comprend les éléments suivants :
• bref rappel des faits ;
• exposé des voies de droit ouvertes à la personne qui
consulte l’auteur. Il suppose souvent de procéder à des
qualifications des faits, actes ou situations en cause ne
serait-ce que pour identifier le juge compétent (cf. ex.
supra). Il est préférable de ne pas se limiter à des propos
superficiels sur la compétence ou le type de voies de
recours. La « mise en situation » suppose aussi de ne pas
se désintéresser de questions telles que les délais de
recours, les référés qui peuvent se greffer sur l’action
principale, la règle de la décision préalable en matière de
responsabilité, etc. ;
• la définition et l’exposé du régime juridique applicable à
l’affaire ; sa définition dépend en grande partie de l’analyse
et de la qualification juridique des éléments de l’affaire (cf.
ex. supra) ;
• l’application du régime juridique à l’affaire et la solution
du litige. L’étudiant ne doit pas surestimer l’importance de
cette étape. Le cours ne lui donne pas toujours les éléments
de connaissance suffisant pour avancer une solution
certaine, il sera alors plutôt « attendu » sur les deux étapes
qui précédent. Il se doit néanmoins de suggérer une
solution. Dans d’autres hypothèses, les connaissances
acquises en cours lui permettront d’aller plus loin. Exemple
: si le cas pratique met en cause une différence de
traitement entre des usagers d’un service public, on peut
imaginer que le cours de L2 lui fournira des connaissances
(jurisprudentielles) suffisantes pour envisager la solution
qui pourrait être celle d’un juge.
Les différents éléments qui composent le devoir n’ont pas
forcément vocation à être déclinés dans l’ordre indiqué ci-
dessus. En particulier, la formulation du cas pratique peut
justifier de reporter les développements sur les voies de
recours à la fin du propos. Par ailleurs, il est bienvenu de
faire ressortir les différentes étapes de la consultation en
formulant des titres lorsque sa longueur le justifie.
La dissertation juridique
La dissertation est un exercice d’analyse structurée et
critique d’un sujet formulé à partir de quelques mots ou
d’une phrase éventuellement sous la forme interrogative.
Elle est l’occasion de mobiliser les connaissances acquises
au soutien d’une réflexion et d’une démonstration. À
l’instar des autres exercices proposés aux étudiants, elle ne
saurait être un prétexte pour empiler les connaissances
acquises sans considération pour le sujet.

I/ Travail préparatoire
La première étape est la délimitation du sujet. Elle est
déterminante puisqu’une délimitation erronée mène tout
droit au hors sujet. À l’aide des connaissances acquises,
elle suppose de :
• définir les termes du sujet ;
• analyser la formulation du sujet : présence par exemple
de conjonctions de coordination, forme interrogative, etc. ;
• situer le sujet dans l’espace et dans le temps.
Dans un second temps, l’étudiant recense ses
connaissances en rapport avec le sujet. Le recensement a
vocation à être exhaustif, quitte par la suite à mettre de
côté certaines desdites connaissances. Il convient ensuite
d’analyser les connaissances afin de faire émerger des
connexions entre elles, de les classer, de dégager des
tendances. L’objectif est de dégager une problématique qui
structurera le sujet.
La troisième étape est consacrée à l’élaboration du
plan. Un plan en 2 parties et 2 sous-parties est souvent
imposé aux étudiants ; le plan en 3 parties est parfois
autorisé. Le plan découle naturellement de l’analyse des
connaissances réalisée auparavant. Il est aussi déterminé
par la formulation du sujet ; si elle est interrogative, le plan
doit permettre à l’étudiant de répondre à la question posée.
En tout état de cause, le plan « oui/non » est déconseillé
puisque l’étudiant est invité à prendre position. Si le sujet
repose sur la confrontation/comparaison de deux notions ou
de deux institutions juridiques (ex. « Contrat et recours
pour excès de pouvoir »), le plan ne doit pas conduire à
traiter successivement les deux termes du sujet (ex. : I/ Le
contrat, II/ Le recours pour excès de pouvoir). Pour le
reste, il existe plusieurs plans types auxquels l’étudiant
dépourvu d’idées peut recourir. Ils ne sont pas toujours
adaptés : « Principe/Exceptions », « Notion/Régime », «
Conditions/Effets », « Avantages/Inconvénients », «
Avant/Après », « Ressemblances/Différences ».

II/ Rédaction
A – Introduction
Elle comprend plusieurs temps :
• une phrase d’attaque (ou d’accroche) qui permet de
situer le champ dans lequel se situe la dissertation ; il peut
s’agir d’une citation ;
• la définition et l’analyse des termes du sujet ;
• la problématique que recèle le sujet ;
• l’annonce du plan qui structurera le devoir.

B – Développements
Ils sont structurés à travers le plan. Le plan doit être
apparent dans la copie (titres et sous-titres soulignés par
ex.).
Des phrases doivent assurer la transition entre les
différentes subdivisions.
En principe, la dissertation juridique ne comporte pas de
conclusion.
Sujets corrigés

Les sources du droit


administratif
Thème principal
Sources
Mots-clés
Principes généraux du droit, Loi, Sources internationales
Sujet et corrigé établis par
Gweltaz Eveillard, Professeur, Université Rennes 1
Premier semestre 2019-2020

〉Dissertation
Les sources du droit administratif

〉Préparation
Analyse du sujet

Il est difficile de proposer un corrigé sur le sujet,


tant il peut donner lieu à des traitements différents
et, pour autant, pertinents. Il convient donc de ne
pas l’aborder avec des œillères en partant du
principe qu’il existerait une, et une seule,
démonstration correcte. Tout devoir témoignant
d’une démonstration complète et cohérente mérite,
selon sa qualité, une note allant de « moyen » à «
très bon », même s’il est très différent du corrigé ici
proposé.
Le sujet se caractérise par son apparente difficulté.
En effet, son contenu est très vaste puisqu’il couvre
une partie entière du cours de droit administratif.
La difficulté n’est donc pas tant de trouver
l’information que de la sélectionner pour en retenir
l’essentiel, et de la mettre ensuite au service d’une
démonstration.

Quatre types de devoirs ne respectent pas cette


exigence.

En premier lieu, les devoirs incomplets. Toutes les


connaissances nécessaires au traitement du sujet
sont regroupées dans une partie du cours : on ne
peut pas sérieusement admettre que les étudiants
aient oublié une source du droit administratif.
Quant à d’éventuelles exclusions volontaires de
certaines sources, on avoue ne pas trop voir quelle
lecture stricte du sujet pourrait conduire à la
justifier sans réécrire ledit sujet et en changer le
sens.

En deuxième lieu, les devoirs descriptifs. Le risque


avec un sujet de ce type est de tomber dans la
récitation, dans l’inventaire des sources du droit
administratif… Il est donc nécessaire d’établir un
minimum de classement de ces sources – et un
classement qui ne soit pas uniquement didactique,
mais témoigne au contraire d’une problématisation
véritable. On notera au passage qu’il doit s’agir de
l’objectif poursuivi par toute dissertation, et que
celle-ci n’échappe donc pas à la règle – si ce n’est
que cette dernière est peut-être un peu complexe à
appliquer que pour d’autres sujets.

En troisième lieu, les devoirs qui se perdent dans


les détails au détriment d’une vue d’ensemble. Il
est difficile d’en vouloir aux étudiants, puisque la
matière à traiter, si on veut être exhaustif, est
immense. Néanmoins, à supposer même qu’une
telle exhaustivité soit possible en temps limité – ce
qui n’est clairement pas le cas – il convient de
souligner que le but du devoir consiste à
développer une vue d’ensemble des sources du
droit administratif, et non à en restituer des détails
qui seraient assurément nécessaires si le sujet
portait sur telle ou telle source, mais sont ici
superflus, voire de nature à brouiller le
raisonnement.

En quatrième lieu, les devoirs qui déforment le


sujet pour l’orienter vers un autre. Outre le cas déjà
évoqué et qui consisterait à se concentrer sur

certaines sources seulement, voire une seule, on


peut citer d’autres exemples : un devoir qui se
focaliserait sur la sanction des sources, c’est-à-dire
le contrôle de légalité (le sujet deviendrait alors «
le juge administratif et les sources du droit
administratif ») ; ou encore un devoir qui ne
traiterait que le contenu des sources (à savoir les
règles de légalité externe et les règles de légalité
interne) sans s’interroger sur leur hiérarchisation.
Même si de tels développements ont évidemment
leur place, parmi d’autres, dans le devoir, les traiter
à titre exclusif revient à commettre un hors-sujet.

Les difficultés du sujet ayant été soulignées, on


terminera son analyse en soulignant qu’il présente
au moins une facilité : il n’exige pas d’entrer dans
les détails qui peuvent, pour certaines sources (on
pense en particulier aux sources européennes) être
d’une complexité redoutable…

Plan du corrigé

I/ La persistance des sources traditionnelles du


droit administratif

A – Un droit administratif traditionnellement


partagé entre des sources écrites et non écrites

B – Une mutation des sources traditionnelles du


droit administratif

II/ Le développement de nouvelles sources du droit


administratif

A – La valeur supra-législative des nouvelles


sources du droit administratif

B – La remise en cause de l’autorité de la loi par les


nouvelles sources du droit administratif

〉Corrigé
Il est de bon ton, lorsqu’on étudie toute branche du droit,
de s’intéresser à ses sources. Néanmoins, peu de
disciplines s’y intéressent autant que le droit administratif
puisque, avant même l’étude du contenu des règles de ce
dernier, la plupart des manuels consacrent à ses sources
des développements souvent substantiels. Il faut avouer
que cette étude n’est pas vaine, car les sources du droit
administratif possèdent une originalité certaine, qui
explique dans une certaine mesure la construction
historique et l’état actuel de la discipline.
Le droit administratif, c’est-à-dire la branche du droit
public gouvernant les rapports entre l’Administration et les
administrés, ou entre les administrations elles-mêmes,
possède évidemment des sources, c’est-à-dire des normes,
écrites ou non, dont le respect s’impose à ceux qui doivent
l’appliquer, et qui se présentent, comme dans les autres
branches du droit, comme un ensemble hiérarchisé. Ces
sources ne sont d’ailleurs pas toujours, d’un strict point de
vue formel, très différentes de celles des autres branches
du droit : on y trouve assez logiquement la loi et le
règlement, mais aussi, plus récemment, le « bloc de
constitutionnalité », les traités internationaux et le droit de
l’Union européenne. D’autres, en revanche, lui sont plus
spécifiques. Par ailleurs, même les sources manquant de
singularité formelle peuvent présenter une originalité
substantielle.
Ces deux observations résultent de l’histoire même du
droit administratif, qui en fait un droit dérogatoire par
rapport au « droit commun » représenté par le droit privé.
Le droit administratif est en effet apparu en conséquence
du principe de séparation des autorités administratives et
judiciaires consacré par la loi des 16 et 24 août 1790 et le
décret du 16 fructidor an III. Il n’en était pas une
conséquence nécessaire : rappelons que le principe de
séparation des autorités se bornait à priver le juge
judiciaire de toute compétence pour juger l’Administration,
du moins dans le cadre de ses activités administratives. Il
n’impliquait pas, ou du moins pas directement, la naissance
d’un juge administratif, et encore moins celle d’un droit
particulier applicable à l’Administration. Cependant, le juge
administratif, au cours de sa consécration progressive, a
cherché à forger son propre corps de règles juridiques pour
en imposer le respect à l’Administration dans le cadre du
contrôle de légalité qu’il mettait en place. C’est ainsi qu’est
née la légende d’un droit jurisprudentiel, exagérée sans
doute car il a toujours existé des sources écrites du droit
administratif, mais pour autant indéniable : les principes
généraux du droit dégagés par le juge administratif ont,
dès avant d’être qualifiés comme tels, constitué des sources
majeures du droit administratif. L’ensemble de ces sources
a permis de dégager les règles s’imposant à
l’Administration dans le cadre de son action, qu’il s’agisse
des règles de légalité externe – compétence, procédure,
forme – ou des règles de légalité interne relatives au
contenu, au but et aux motifs des actes administratifs. Le
juge administratif, qu’il dégage lui-même les sources ou
soit simplement chargé de veiller à leur respect par
l’Administration dans le cadre du contrôle de légalité, joue
un rôle capital : même lorsqu’il ne les dégage pas, c’est à
lui de procéder à l’articulation des différentes sources du
droit administratif. La hiérarchisation des sources du droit
administratif est donc assez largement l’œuvre du juge
administratif car, même lorsqu’elles précisent elles-mêmes
leurs valeurs respectives, c’est tout de même assez souvent
à leur garant potentiel de préciser dans quelle mesure il
s’estime compétent pour le faire.
Même si l’on fait abstraction de leur contenu – une telle
étude dépasserait l’objet du présent sujet, qui porte en
réalité sur leur nature et leur articulation entre elles –
l’étude des sources du droit administratif ne révèle pas
d’un panorama statique. Plusieurs sortes d’évolutions les
ont affectées au cours de la seconde moitié du XXe siècle et
au début du XXIe siècle : diversification des sources, qui
pose des problèmes accrus de structuration et de garantie
de la « pyramide des normes » s’imposant à
l’Administration, mais également accroissement, d’un
simple point de vue quantitatif, de la place de certaines
sources. La question des sources devient donc de plus en
plus complexe, ce qui explique sans doute la place de plus
en plus conséquente qu’elle occupe dans l’étude de la
matière. Il est donc tout à fait pertinent de s’interroger sur
l’état actuel des sources du droit administratif, et sur la
nature exacte des normes qui s’imposent aujourd’hui à
l’Administration.
Cette étude révèle la persistance des sources
traditionnelles du droit administratif (I), mais également le
développement de « nouvelles » sources (II) – même si leur
développement est de moins en moins récent.

I/ La persistance des sources


traditionnelles du droit administratif
Traditionnellement, le droit administratif trouvait ses
sources dans deux types de normes : des sources écrites,
de valeur législative ou réglementaire, et des sources
jurisprudentielles (A). Ces sources subsistent, ce qui ne
signifie pas que leurs places respectives n’ont pas évolué
(B).

A – Un droit administratif
traditionnellement partagé entre des
sources écrites et non écrites
Il serait exagéré de prétendre que le droit administratif
est un droit uniquement jurisprudentiel. Il a de tout temps
été régi également par des sources législatives et
réglementaires. La loi, en particulier, a toujours constitué
une source majeure du droit administratif. Il n’est besoin,
pour en attester, que de se référer à la manière dont la
doctrine désigne traditionnellement le contrôle de la
juridicité des actes administratifs par le juge administratif,
ainsi que certains éléments de ce contrôle : il est ainsi
désigné sous l’appellation de « contrôle de légalité », la
méconnaissance par un acte administratif d’une norme
supérieure à lui dans la hiérarchie des normes constitue
une « violation de la loi » et l’un des vices tenant aux motifs
de droit de l’acte, en l’occurrence le fait de le fonder sur
une norme inadéquate, est qualifié de « défaut de base
légale ». Le développement d’autres sources, sans doute
plus intéressantes d’un point de vue théorique, ne saurait
faire oublier que, dans l’immense majorité des cas, c’est au
regard de la loi que le juge administratif contrôle la
juridicité de l’acte administratif.
Ces sources législatives sont tout aussi traditionnellement
complétées et précisées par des sources réglementaires,
depuis que la Constitution de l’an VIII a institué un pouvoir
réglementaire d’application des lois. L’acte réglementaire
présente d’ailleurs cette particularité d’être à la fois source
et objet du droit administratif : adopté par des autorités
administratives, il est donc un acte administratif unilatéral
soumis au contrôle de légalité (CE 6 déc. 1907, Compagnie
des chemins de fer de l’Est), mais il s’impose également à
d’autres actes administratifs, notamment les actes non
réglementaires pris sur son fondement.
Cependant, les sources législatives et réglementaires du
droit administratif ont très tôt été complétées par des
sources jurisprudentielles, qualifiées à partir de 1944-1945
de principes généraux du droit (CE, sect., 5 mai 1944,
dame veuve Trompier-Gravier ; CE, ass., 26 oct. 1945,
Aramu).
En effet, le droit administratif n’était traditionnellement
pas codifié. Autant dire que le droit écrit était constitué de
textes épars, souvent techniques et comportant de vastes
lacunes : si le juge a pu s’inspirer de dispositions
législatives, voire réglementaires, ou encore des
stipulations de traités internationaux, pour dégager des
principes généraux du droit, c’est afin de donner aux
normes ainsi consacrées une portée plus large. De surcroît,
l’absence de valeur de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen en droit positif a conduit le juge administratif
à ériger en principes généraux du droit les droits et libertés
consacrés par ce texte. Ces principes généraux du droit,
comme leur nom l’indique, ont ainsi pu revêtir une portée
générale, dépassant le cadre des réglementations
spécifiques et comblant leurs lacunes.
Si la doctrine a pu se diviser sur la question de la place
des principes généraux du droit dans la hiérarchie des
normes, il existe au moins une certitude : leur valeur est
supra-réglementaire, puisqu’ils s’imposent aux plus élevés
des actes administratifs (CE, sect., 26 juin 1959, Syndicat
général des ingénieurs conseils). Pour le reste, il semble
que la thèse de R. Chapus, qui leur attribue une valeur
infra-législative, soit la plus conforme au droit positif, le
Conseil constitutionnel ayant proclamé que la loi peut
déroger à un principe général du droit (Cons. const. 26 juin
1969, no 69-55 L, Protection des sites). Néanmoins,
d’autres auteurs peuvent soutenir la thèse d’une valeur
variable des principes généraux du droit, selon la source
dont ils s’inspirent. Mais, on l’aura compris, la question de
la place des principes généraux du droit par rapport à la loi
est de peu d’intérêt dès lors que, en tout état de cause,
cette dernière prime devant le juge administratif.
Ce dernier a complété sa construction jurisprudentielle
en consacrant, dans le même ordre d’idées mais à un
niveau inférieur aux principes généraux du droit, des règles
générales de procédure de valeur simplement supplétive, et
s’inclinant devant tout texte contraire, même de valeur
réglementaire – souvent, comme leur nom l’indique, en
matière de procédure administrative contentieuse ou non-
contentieuse.
Si ces sources traditionnelles du droit administratif
subsistent, elles ont néanmoins connu une mutation
importante.
B – Une mutation des sources
traditionnelles du droit administratif
La première évolution des sources traditionnelles du droit
administratif concerne les principes et règles
jurisprudentiels, qui ont tendance à décliner.
L’explication de ce phénomène est double. Tout d’abord,
et comme on le verra, la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen s’est vue progressivement reconnaître, depuis
1958, une valeur en droit positif, au niveau constitutionnel :
cette reconnaissance frappe d’une relative inutilité les
principes généraux du droit qui s’inspirent de ses
dispositions et qui, bien que n’étant pas formellement
abandonnés, ne sont aujourd’hui plus guère utilisés, le juge
administratif préférant se référer à la norme écrite et du
niveau le plus élevé. Ensuite, le droit administratif est
engagé, depuis une trentaine d’années, dans un
mouvement d’écriture et, plus spécialement, de codification
: sans prétention à l’exhaustivité, ont ainsi pu être adoptés
un code général des collectivités territoriales, un code de
justice administrative, un code général de la propriété des
personnes publiques, un code des relations entre le public
et l’Administration ou encore un code de la commande
publique. Ces codes ne se contentent pas de compiler les
textes législatifs et réglementaires existants, ils codifient
également, au niveau législatif ou réglementaire, l’œuvre
jurisprudentielle du Conseil d’État. Or, là encore, dès lors
qu’un principe général du droit ou une règle générale de
procédure est consacré par écrit au niveau législatif ou
réglementaire, c’est la disposition de droit écrit qui est
utilisée par le juge.
Cela ne signifie certes pas que les principes et règles
jurisprudentiels ont disparu : tous n’ont pas été portés par
écrit ou ne disposent pas d’un équivalent constitutionnel.
Mais ils tendent de moins en moins à mériter leur
qualificatif de « généraux », tant ils deviennent précis et
sectoriels au fur et à mesure que les lacunes du droit écrit
se comblent.
Une seconde évolution concerne le développement des
sources réglementaires par rapport aux sources
législatives.
La Constitution de 1958 a en effet consacré, aux côtés du
pouvoir réglementaire d’application des lois, l’existence
d’un pouvoir réglementaire autonome : dans les matières
qui ne relèvent pas du domaine de la loi, limitativement
énuméré par la Constitution et notamment par son article
34, le pouvoir réglementaire peut désormais intervenir
directement, à la place de la loi (article 37 Constitution).
Même si les matières les plus importantes continuent à
relever du domaine de la loi, que cette dernière doive en
fixer les règles ou qu’elle se contente d’en déterminer les
principes les plus fondamentaux, un certain nombre de
matières se trouve désormais relever du domaine
réglementaire autonome, là où ce dernier était auparavant
limité à quelques domaines très spécifiques tels que
l’exercice du pouvoir de police administrative (CE 8 août
1919, Labonne) ou l’organisation des services publics (CE 4
mai 1906, Babin). Les sources réglementaires – car les
règlements autonomes ne se substituent à la loi que
matériellement, et n’ont bien qu’une valeur simplement
réglementaire (CE, sect., 26 juin 1959, Syndicat général
des ingénieurs conseils) – tendent ainsi à occuper une place
nettement plus importante parmi les sources du droit
administratif, même s’il ne faut point exagérer la portée du
phénomène : le fait majoritaire qui constitue la règle sous
la Ve République conduit volontiers le gouvernement à faire
adopter par voie législative des dispositions relevant
pourtant du domaine du règlement, de tels empiétements
n’étant pas constitutifs d’une inconstitutionnalité
sanctionnable par le Conseil constitutionnel (Cons. const.
30 juill. 1982, no 82-143 DC, Blocage des prix et des
revenus) et n’étant relevés que lorsque le gouvernement,
désireux de modifier, par souci de rapidité, les dispositions
en cause par voie réglementaire, les fait déclasser par le
Conseil constitutionnel au moyen de la procédure de
l’article 37 alinéa 2 de la Constitution.
La Constitution de 1958 a également consacré la
possibilité d’une législation déléguée, le gouvernement
pouvant, sur habilitation législative, adopter dans les
domaines relevant de la loi des ordonnances disposant
d’une valeur simplement réglementaire tant que le
législateur ne les aura pas ratifiées (art. 38 Constitution).
Ici toutefois, l’évolution est en réalité moins importante, le
texte constitutionnel se bornant à consacrer la pratique
antérieure des décrets-lois. De même, si le recours aux
ordonnances est assez fréquent en pratique, pour des
raisons de rapidité ou de technicité des matières en cause,
il n’apparaît pas qu’il soit notablement plus répandu que ne
l’était, sous les Républiques précédentes, le recours aux
décrets-lois.
Ainsi, même si les sources traditionnelles du droit
administratif subsistent, et continuent même à en
constituer la principale source, elles ont connu des
évolutions conséquentes. Ces dernières ne sont cependant
rien à côté du mouvement, de portée plus fondamentale,
qui a vu le développement de nouvelles sources du droit
administratif.

II/ Le développement de nouvelles


sources du droit administratif
Pendant longtemps, la loi a constitué, conformément
d’ailleurs à la conception légicentriste du droit français, la
source la plus élevée du droit administratif. Or, aujourd’hui,
se sont développées des sources supra-législatives (A), qui
viennent remettre en cause l’autorité de la loi (B).
A – La valeur supra-législative des
nouvelles sources du droit
administratif
Le droit administratif s’est, tout d’abord, enrichi de
sources constitutionnelles. Il n’a en réalité jamais existé
d’obstacle théorique à ce que les normes constitutionnelles
constituent des sources du droit administratif, mais
jusqu’en 1946, la question n’a pas eu à se poser, compte
tenu de la quasi-inexistence, dans les textes
constitutionnels successifs et notamment dans les lois
constitutionnelles de 1875, applicables au moment où le
droit administratif s’est le plus développé, de dispositions
intéressant l’Administration. Ce n’est qu’à partir de 1946
que les choses ont changé : la Constitution de la IVe
République, en particulier dans son préambule, mais
également du fait de la référence opérée par celui-ci à la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi qu’à
des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République », comportait un certain nombre de
dispositions, notamment substantielles, susceptibles de
concerner l’activité administrative. Il en est allé de même
de la Constitution de la Ve République, à ceci près que son
préambule ne comporte en lui-même aucune norme, mais
se borne à renvoyer à d’autres textes qui en comportent : la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, toujours,
mais également le préambule de la Constitution précédente
ainsi, depuis la révision constitutionnelle de 2005, que la
Charte de l’environnement.
Cet enrichissement des normes constitutionnelles a
conduit le juge administratif à en imposer le respect aux
actes administratifs. Il a ainsi reconnu la force
contraignante du préambule de la Constitution (CE, ass., 7
juill. 1950, Dehaene) et des textes auxquels ce préambule
renvoie (CE, sect., 12 févr. 1960, Société Eky), et il a donné
une effectivité à la notion de « principe fondamental
reconnu par les lois de la République » en se reconnaissant
le pouvoir d’en consacrer (CE, ass., 11 juill. 1956, Amicale
des annamites de Paris). Il a ainsi ouvert la voie au Conseil
constitutionnel, lequel, une fois institué, n’a plus eu qu’à
reprendre les raisonnements ouverts par son homologue du
Palais-Royal (Cons. const. 16 juill. 1971, no 71-44 DC,
Liberté d’association). Globalement, à une exception près,
dans laquelle le Conseil d’État a consacré un principe
fondamental reconnu par les lois de la République que le
Conseil constitutionnel avait implicitement refusé de
dégager (CE, ass., 3 juill. 1996, Koné), le Conseil d’État se
range à la définition du bloc de constitutionnalité opérée
par le Conseil constitutionnel – lequel, au demeurant, s’est
aussi largement inspiré de l’œuvre déjà entreprise par son
homologue (des principes constitutionnels tels que la
liberté d’association ou la continuité du service public
ayant par exemple été, plus ou moins explicitement,
reconnus par le Conseil d’État avant de l’être par le Conseil
constitutionnel).
Le droit administratif a vu également naître et prospérer
des sources internationales et européennes.
Si la France passe, depuis fort longtemps, des traités
internationaux avec d’autres États ainsi qu’avec des
organisations internationales, ces derniers n’ont pendant
longtemps et compte tenu de leur objet, guère concerné les
administrés. Ce n’est aujourd’hui plus le cas, notamment –
mais pas exclusivement – du fait du développement des
traités internationaux relatifs aux droits de l’homme. C’est
l’article 26 de la Constitution de 1946 qui, pour la première
fois, a reconnu aux traités internationaux une place dans la
hiérarchie des normes – en l’occurrence une valeur
législative – avant que l’article 55 de la Constitution de
1958 ne leur donne une valeur supra-législative,
quoiqu’infra-constitutionnelle (CE, ass., 30 oct. 1998,
Sarran et Levacher). Ainsi, le juge administratif ne voit
aucun obstacle à en imposer le respect aux actes
administratifs (CE, ass., 30 mai 1952, dame Kirkwood),
pour peu qu’ils aient été régulièrement introduits en droit
français et, pour les traités bilatéraux, qu’ils soient
appliqués de manière réciproque par l’autre partie – deux
conditions dont le juge administratif se reconnaît
compétent pour contrôler (respectivement : CE, ass., 18
déc. 1998, SARL du Parc d’activités de Blotzheim ; CE, ass.,
9 juill. 2010, Mme Cheriet-Benseghir) – et pour peu
également que leurs stipulations revêtent un effet direct.
Par ailleurs, l’adhésion de la France aux Communautés
européennes, puis à l’Union européenne, a entraîné la
naissance et le développement d’un droit, d’abord qualifié
de droit communautaire, puis de droit de l’Union
européenne, qui constitue aujourd’hui une source majeure
du droit administratif français. Formellement, il n’est rien
d’autre qu’un droit international et ne possède d’autre
valeur que celle reconnue par l’article 55 de la Constitution
aux traités ; mais cette dernière s’étend, contrairement à
ce qu’il en est pour les autres ordres juridiques
internationaux, au droit dérivé (en particulier aux
règlements et directives) ainsi qu’aux principes généraux
du droit de l’Union européenne. Il en résulte une très forte
influence du droit de l’Union européenne sur le droit
français, le droit administratif compris, que ce soit par
l’effet direct de la plupart de ses normes ou par l’obligation
de transposition des directives, dont le Conseil
constitutionnel se fait le garant vis-à-vis du législateur
(Cons. const., 10 juin 2004, no 2004-496 DC, Loi pour la
confiance dans l’économie numérique) et le Conseil d’État
vis-à-vis du pouvoir réglementaire (CE, ass., 22 déc. 1978,
Cohn-Bendit) – et ce même si le Conseil d’État, après l’avoir
longtemps refusé, a fini par se rallier à la jurisprudence de
la Cour de justice de l’Union européenne et par reconnaître
un effet direct aux directives lorsqu’elles sont suffisamment
inconditionnelles et précises (CE, ass., 30 oct. 2009, Mme
Perreux). Au demeurant, et même si le droit de l’Union
européenne reste formellement de valeur infra-
constitutionnelle, il est remarquable que, désormais, les
lois et règlements de transposition des directives ne voient
plus contrôlée leur constitutionnalité, mais leur
conventionalité, dans la mesure du moins où les normes
constitutionnelles françaises et le droit de l’Union
européenne ont un contenu similaire (Cons. const., 27 juill.
2006, no 2006-540 DC, Loi relative au droit d’auteur et aux
droits voisins dans la société de l’information, pour les lois
de transposition ; CE, ass., 8 févr. 2007, Société Arcelor,
pour les règlements de transposition) : si la hiérarchie des
normes est formellement sauve – et d’autant plus que ce
contrôle de conventionnalité est en réalité fondé sur
l’obligation constitutionnelle de transposition résultant de
l’article 88-1 – la symbolique est assez nette : le juge
français entend donner à la Cour de justice l’illusion de la
primauté absolue du droit de l’Union européenne.
Ce développement de ces sources supra-législatives
entraîne, assez logiquement, une remise en cause de
l’autorité de la loi comme source principale du droit
administratif.

B – La remise en cause de l’autorité


de la loi par les nouvelles sources du
droit administratif
Jusqu’à une période assez récente, la loi constituait,
devant le juge administratif, la norme suprême s’imposant
à l’Administration : elle dispose en effet du pouvoir de
déroger aux principes généraux du droit et il ne saurait
exister de contrariété entre un règlement – même un
règlement autonome – et elle. Le développement de
sources supra-législatives suscite un changement de
paradigme.
Non pas qu’il induise nécessairement un conflit de
normes : lorsque l’acte administratif n’est pas pris en
application d’une loi, il est contrôlé directement par
rapport aux normes constitutionnelles ou conventionnelles
ou par rapport au droit de l’Union européenne, et annulé
en cas de méconnaissance des unes ou de l’autre. En
revanche, dès lors qu’il est pris en application d’une loi, le
contrôle de sa constitutionnalité ou de sa conventionnalité
implique un contrôle de constitutionnalité ou de
conventionnalité de la loi elle-même, d’où il tirerait son vice
éventuel.
Pour le juge administratif, la réponse à cet éventuel
conflit dans la hiérarchie des normes a longtemps été
considérée comme échappant à sa compétence : chargé
d’appliquer la loi et soumis à elle, il ne saurait contrôler sa
conformité à des normes supérieures, même par voie
d’exception, à l’occasion d’un recours dirigé contre un acte
administratif pris sur son fondement.
Cette théorie, dite de l’écran législatif, a tout d’abord été
consacrée en matière de contrôle de constitutionnalité (CE,
sect., 6 nov. 1936, Arrighi), avant d’être étendue au
contrôle de conventionnalité (CE, sect., 1er mars 1968,
Syndicat général des fabricants de semoules de France).
Elle ne suscite que des exceptions qui n’en sont pas
vraiment. La théorie de l’écran transparent, tout d’abord,
revient à affirmer que la loi ne fait écran au contrôle de la
constitutionnalité ou de la conventionnalité de l’acte que
dans la limite de son contenu, ce dont il résulte, par
exemple, qu’une loi purement habilitative ne fait pas
obstacle au contrôle de la constitutionnalité ou de la
conventionnalité au fond de l’acte administratif : mais ici,
en réalité, il n’existe justement pas de disposition
législative de nature à former un écran. La théorie de
l’abrogation implicite, ensuite, qui consiste à constater que
l’adoption d’une disposition constitutionnelle ou la
ratification d’un traité entraîne l’abrogation implicite des
dispositions législatives antérieures et qui seraient
incompatibles avec la norme nouvelle : néanmoins, ce
constat fait abstraction de toute considération hiérarchique
entre les normes en cause – l’adoption d’une loi nouvelle
produirait du reste le même effet – et résulte simplement
de l’application des principes de succession des normes
dans le temps et du fameux adage lex posterior priori
derogat.
Ainsi, et contrairement à ce qui devrait résulter de la
hiérarchie des normes, la place de la loi comme source du
droit administratif restait prépondérante devant le juge
administratif.
Ce constat fait, il est vrai, abstraction de l’existence
d’autres contrôles, relevant d’autres juges, et exercés sur
la loi. C’est du reste ainsi que le Conseil d’État a justifié
l’écran législatif en matière de contrôle de
constitutionnalité, le contrôle de constitutionnalité des lois
étant confié au Conseil constitutionnel (CE 5 janv. 2005,
Mlle Deprez et Baillard). C’est néanmoins faire abstraction
de ce que, jusqu’à la révision constitutionnelle du 23 juillet
2008 et ses textes d’application, ledit Conseil
constitutionnel ne pouvait être saisi de la loi qu’a priori,
par voie d’action et à l’initiative d’autorités politiques : une
fois promulguée, sans avoir vu sa constitutionnalité
nécessairement contrôlée, la loi devenait donc un acte
incontestable et irréprochable. Par ailleurs, c’était
également faire abstraction de ce que le Conseil
constitutionnel s’est refusé à exercer le contrôle de la
conventionnalité des lois (Cons. const. 15 janv. 1975, no 74-
54 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse)
: il n’existait dès lors aucun juge à cette conventionnalité.
Ce dernier constat explique sans doute que le juge
administratif ait fini par renoncer à l’écran législatif en
matière de contrôle de conventionnalité (CE, ass., 20 oct.
1989, Nicolo) : désormais, il se reconnaît le droit d’écarter
une loi contraire à un traité international.
En revanche, la théorie de l’écran législatif est réaffirmée
avec constance en matière de contrôle de
constitutionnalité. Elle connaît toutefois, depuis la révision
constitutionnelle de 2008, un contournement majeur :
l’institution de la procédure de question prioritaire de
constitutionnalité de l’article 61-1 de la Constitution, qui
permet au justiciable, à l’occasion d’un procès devant les
juridictions ordinaires – notamment, donc, les juridictions
administratives – de soulever l’inconstitutionnalité de la loi
qui lui est applicable, si du moins elle méconnaît un droit
ou une liberté garanti par la Constitution. Il incombe alors
à la juridiction ordinaire, si un certain nombre de
conditions sont remplies – et, notamment, si elle estime la
question sérieuse ou nouvelle – d’en saisir le Conseil
constitutionnel, qui la tranchera. Est ainsi réalisée une
conciliation entre, d’une part, le moyen de faire prévaloir la
Constitution sur la loi dans le cadre d’un procès ordinaire,
d’autre part le respect des compétences de chaque ordre
de juridiction et notamment le monopole du Conseil
constitutionnel pour contrôler la constitutionnalité des lois
– même si on peut objecter à cela que le juge administratif
contrôle bien, d’une certaine façon, la constitutionnalité de
la loi lorsqu’il refuse d’en saisir le Conseil constitutionnel
au motif de l’absence de caractère sérieux de la question.
Ainsi, progressivement, la hiérarchie des sources du droit
administratif achève de se structurer, moins d’un point de
vue théorique – la valeur respective desdites sources est
établie depuis longtemps – que du point de vue de sa
garantie par le juge. Au prix, sans doute, de la complexité,
mais également d’une meilleure protection qui va, en
définitive, dans l’intérêt de l’administré…
Les sources du droit
administratif
Thème principal
Sources
Mots-clés
Principe général du droit, Recours pour excès de pouvoir,
Principe hiérarchique
Sujet et corrigé établis par
Laurent Seurot, Professeur, Université de Lorraine
Premier semestre 2019-2020

〉 Commentaire d’arrêt : TA
Besançon, 10 octobre 1996, Glory c/
Commune de Châtenois-les-Forges, no
960071
[…] Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’article 28 de
la loi susvisée du 13 juillet 1983 que le fonctionnaire « doit
se conformer aux instructions de son supérieur
hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est
manifestement illégal et de nature à compromettre
gravement un intérêt public » ;
Considérant, d’autre part, qu’il résulte du principe général
dont s’inspire l’article L. 231-8-1 du code du travail
qu’aucune sanction, aucune retenue de salaire, ne peut être
prise à l’encontre d’un salarié ou d’un agent public qui s’est
retiré d’une situation de travail dont il avait un motif
raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et
imminent pour sa vie ou pour sa santé ;
Considérant que M. Glory, agent technique qualifié de la
commune de Châtenois-les-Forges a refusé à deux reprises,
les 20 novembre et 6 décembre 1995, d’exécuter des
travaux prescrits par le maire ; que, pour ce double motif,
ce dernier lui a infligé, par décision du 7 décembre 1995, la
sanction d’exclusion temporaire des fonctions pour une
durée de trois jours ;
Considérant, en premier lieu, s’agissant de l’incident du 20
novembre 1995, que M. Glory justifie son refus d’accomplir
les travaux de nettoyage des regards d’égout par une
température extérieure inférieure à 8° et par le fait qu’il ne
disposait pas d’un blouson avec bandes réfléchissantes ;
que ces seuls éléments ne permettent pas d’identifier
l’existence d’un ordre manifestement illégal donné par le
maire, ou d’une situation présentant de manière flagrante
un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de
l’agent ; qu’ainsi, l’attitude de M. Glory pouvait à bon droit
être regardée comme fautive par le maire ;
Considérant, en second lieu, s’agissant de l’incident du 6
décembre 1995, qu’il ressort des pièces du dossier et
notamment du rapport d’inspection du conseiller technique
« hygiène, sécurité et conditions de travail » auprès du
centre départemental de gestion, que les travaux de mise
en place des illuminations de Noël confiés à M. Glory
devaient être accomplis selon des modalités ne permettant
pas de garantir sa sécurité ; qu’en effet, l’opération
consistant à fixer les illuminations à partir d’une échelle et
d’un godet de tracteur levé à quatre mètres du sol dans
lequel l’agent devait prendre place pouvait être regardée
comme présentant un danger grave et imminent pour sa vie
ou pour sa santé ; qu’ainsi, M. Glory était en droit de se
retirer d’une telle situation de travail et ne pouvait être
sanctionné pour cette attitude ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le maire
de Châtenois-les-Forges n’aurait pas retenu comme sanction
l’exclusion temporaire des fonctions s’il avait tenu compte
du seul incident du 20 novembre 1995 ; que, dès lors, M.
Glory est fondé à demander l’annulation de la décision en
date du 7 décembre 1995.
Le tribunal décide :
Article 1er : La décision du maire de Châtenois-les-Forges
en date du 7 décembre 1995 prononçant à l’encontre de M.
Patrick Glory une mesure d’exclusion temporaire des
fonctions pour une durée de trois jours est annulée […].

〉Préparation
Analyse du sujet

Le commentaire de ce jugement obligeait les


étudiants à mobiliser les connaissances qu’ils
avaient acquises sur quelques-unes des principales
notions étudiées durant le premier semestre : le
pouvoir hiérarchique, les principes généraux du
droit et le recours pour excès de pouvoir. Le
jugement est court, mais il est dense : chacun de
ses considérants appelle des explications, des
précisions, des appréciations. Celles que j’attendais
figurent dans le corrigé ci-dessous. Elles sont
accompagnées de quelques commentaires, d’ordre
principalement méthodologique, écrits en petits
caractères.

Dans le sujet distribué aux étudiants, le jugement


était accompagné de la première phrase de l’article
L. 231-8-1 du code du travail, dans sa version alors
applicable, auquel le jugement fait référence mais
sans le citer : « Aucune sanction, aucune retenue
de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un
salarié ou d’un groupe de salariés qui se sont
retirés d’une situation de travail dont ils avaient un
motif raisonnable de penser qu’elle présentait un
danger grave et imminent pour la vie ou pour la
santé de chacun d’eux ».

Plan du corrigé

I/ L’affirmation d’un nouveau principe général du


droit

A – L’absence de fondement textuel

B – Le recours aux principes généraux du droit

II/ L’application du nouveau principe général du


droit

A – Le refus de nettoyer les regards d’égout

B – Le refus d’installer les illuminations de Noël

〉Corrigé
Ce jugement témoigne de l’importance du rôle joué, en
droit administratif, par les principes généraux du droit
(PGD). Celui dégagé en l’espèce par le tribunal
administratif de Besançon permet d’assurer à l’agent public
une protection équivalente à celle dont bénéficie, en vertu
du code du travail, le salarié du secteur privé.
M. Glory est agent public territorial, plus précisément
agent technique qualifié de la commune de Châtenois-les-
Forges. Il a refusé à deux reprises, les 20 novembre et 6
décembre 1995, d’exécuter des travaux prescrits par le
maire, son supérieur hiérarchique. Pour ce double motif, ce
dernier lui a infligé, par une décision du 7 décembre 1995,
la sanction d’exclusion temporaire des fonctions pour une
durée de trois jours.
M. Glory a alors saisi le tribunal administratif de
Besançon d’un recours pour excès de pouvoir. Par le
jugement qui fait l’objet du présent commentaire, le
tribunal lui a donné satisfaction en annulant la sanction.
La sanction infligée au requérant était motivée par les
deux refus qu’il avait successivement opposés au maire. Il
avait justifié ces refus par les dangers que présentaient
selon lui les missions que le maire lui avait demandé
d’exécuter. Autrement dit, il invoquait à son profit
l’existence d’un droit de retrait qui lui permettait de se
soustraire à l’obligation qu’il a normalement d’obéir aux
ordres de son supérieur hiérarchique. Ainsi, la présente
affaire posait deux questions. La première se situe au
niveau des principes : un agent public peut-il légalement
refuser d’accomplir une tâche qui lui est demandée par son
supérieur hiérarchique au motif qu’elle le placerait dans
une situation dangereuse ? La seconde découle de la
réponse positive donnée à la première : elle se situe au
niveau de l’application des principes aux faits de l’espèce et
consistait pour le tribunal à se demander si, en l’espèce, les
tâches demandées par le maire à M. Glory le plaçaient
effectivement dans une situation l’autorisant à refuser de
les accomplir.
C’est autour de ces deux questions que seront organisés
les développements qui suivent : on verra, d’abord, que le
tribunal a dégagé un nouveau PGD permettant à un agent
public de se retirer d’une situation de travail présentant un
danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé (I) ;
on s’intéressera, ensuite, à la manière dont le tribunal a
appliqué ce nouveau PGD aux faits de l’espèce (II).

I/ L’affirmation d’un nouveau principe


général du droit
Toute la difficulté pour le requérant tenait au fait que les
textes qui lui étaient applicables ne lui donnaient pas le
droit de se retirer d’une situation de travail au motif qu’elle
le placerait dans une situation dangereuse. En particulier,
la position du code du travail qui consacre ce droit au
bénéfice des salariés du secteur privé ne lui était pas
applicable (A). Le tribunal a cependant considéré que ce
droit de retrait consacré par le code du travail constituait
un PGD dont pouvaient également se prévaloir les agents
publics (B).
* Il était possible de structurer différemment cette première partie. Ainsi,
certains étudiants ont consacré la première sous-partie au principe
d’obéissance hiérarchique, la seconde à ses deux limites (devoir de
désobéir à un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre
gravement un intérêt public, et droit de retrait). Si j’ai préféré une autre
structure, c’est notamment dans un souci d’équilibre entre les deux sous-
parties.

A – L’absence de fondement textuel


Dans l’Administration, le supérieur hiérarchique dispose,
à l’égard de ses subordonnées, du pouvoir hiérarchique. Il
en dispose de plein droit, ce qui signifie qu’il en est investi
en sa qualité de supérieur hiérarchique, sans qu’un texte
ne soit nécessaire. Pour le Conseil d’État, ce pouvoir
hiérarchique fait partie des « principes généraux du droit
public » (CE, sect., 30 juin 1950, Quéralt). Il se compose de
trois éléments : à côté des pouvoirs d’annulation et de
réformation des actes de ses subordonnés – qui ne sont pas
concernés par la présente affaire –, le supérieur
hiérarchique dispose du pouvoir d’instruction. Ce pouvoir
lui permet d’encadrer l’action de l’ensemble des agents
placés sous son autorité en leur donnant des instructions
générales et des ordres particuliers.
Les agents subordonnés doivent se conformer à ces
ordres et instructions sous peine de faire l’objet de
poursuites disciplinaires. Le pouvoir d’instruction du
supérieur hiérarchique a donc pour corollaire le devoir
d’obéissance des agents placés sous son autorité. Ce devoir
d’obéissance figure à l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983,
aux termes duquel le fonctionnaire « doit se conformer aux
instructions de son supérieur hiérarchique ». Il est une
nécessité : sans lui, l’action administrative risquerait d’être
incohérente et inefficace.
Incontestable dans son principe, le devoir d’obéissance
hiérarchique n’est cependant pas sans limites. Une
première limite figure à l’article 28 de la loi du 13 juillet
1983, qui précise que le devoir d’obéissance vaut « sauf
dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de
nature à compromettre gravement un intérêt public ». Si
ces deux conditions sont réunies, ce qui est fort rare, non
seulement l’agent n’est pas tenu d’obéir, mais il commet
une faute disciplinaire en ne désobéissant pas (CE, sect.,
10 nov. 1944, Langneur). Cette exception au devoir
d’obéissance hiérarchique n’était pas en cause ici, dans la
mesure où ce qui était demandé à M. Glory n’avait rien de
« manifestement illégal » – le juge le dit expressément à
propos de l’incident du 20 novembre – et ne compromettait
pas « gravement un intérêt public ».
Le requérant ne pouvait pas non plus se fonder sur
l’article L. 231-8-1 du code du travail (aujourd’hui L. 4 131-
3), qui avait consacré, au bénéfice des salariés du secteur
privé, le droit de se retirer d’une situation de travail dont
ils ont un motif raisonnable de penser qu’elle présente un
danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé. En
effet, le code du travail, sauf disposition contraire, n’est pas
applicable aux agents publics.
* Le jugement ne le dit pas et les étudiants ne pouvaient pas le savoir, mais
un décret du 9 mai 1995 avait transposé les dispositions de l’article L. 231-
8-1 du code du travail au bénéfice des agents de l’État. Mais le requérant
ne pouvait guère se prévaloir de ce texte qui ne concernait que les agents
de l’État et non les agents des collectivités territoriales. Les étudiants ne
pouvaient pas non plus savoir que, postérieurement à ce jugement, un
décret du 16 juin 2000 a consacré le droit de retrait au bénéfice des agents
de la fonction publique territoriale. Mais ce décret, évidemment, n’était pas
encore applicable.
Il résulte de ces développements qu’aucun texte ne
donnait à M. Glory le droit de refuser d’accomplir une
tâche qui lui avait été demandée en raison des dangers
qu’elle présenterait. Le tribunal a cependant pallié
l’inapplicabilité de la disposition du code du travail
consacrant le droit de retrait au bénéfice des salariés du
secteur privé, en estimant que la règle qu’elle contenait
constituait un PGD dont le champ d’application dépassait
celui du code du travail et incluait les agents publics.

B – Le recours aux principes généraux


du droit
Dans le présent jugement, le tribunal a dégagé un PGD,
c’est-à-dire un principe qui s’impose à l’Administration «
même en l’absence de texte » (CE, ass., 26 oct. 1945,
Aramu), au bénéfice des agents publics et donc applicable
aux agents publics territoriaux. Il résulte de ce PGD – «
dont s’inspire l’article L. 231-8-1 du code du travail »,
précise le tribunal – « qu’aucune sanction, aucune retenue
de salaire, ne peut être prise à l’encontre d’un salarié ou
d’un agent public qui s’est retiré d’une situation de travail
dont il avait un motif raisonnable de penser qu’elle
présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou pour
sa santé ».
Le recours à la technique des « principes généraux dont
s’inspire telle ou telle disposition du code du travail » pour
consacrer des droits nouveaux au bénéfice des agents
publics appelle plusieurs remarques.
D’abord, il n’est pas nouveau : la première illustration de
ce mouvement jurisprudentiel est l’affirmation du principe
interdisant de licencier une femme enceinte, le code du
travail prévoyant une telle protection pour les salariées du
secteur privé (CE, ass., 8 juin 1973, Dame Peynet). La
démarche du juge est toujours la même : elle consiste à
constater que les dispositions du code du travail s’inspirent
d’un PGD et à en déduire que les agents publics, en dépit
du silence des textes les concernant, doivent aussi en
bénéficier. L’objectif poursuivi, également, est toujours le
même : préserver une équivalence entre les droits des
agents publics et ceux des salariés du secteur privé.
Ensuite, si ce recours aux principes généraux dont
s’inspire le code du travail n’est pas nouveau, il faut
néanmoins souligner l’audace du tribunal administratif de
Besançon.
* Certains étudiants ont pensé que le tribunal n’avait fait qu’appliquer un
PGD que le Conseil d’État avait antérieurement dégagé, sans être, bien
entendu, capables de citer cette décision du Conseil d’État qui n’existait
pas. Il aurait été cependant injuste de le leur reprocher dans la mesure où
cette hypothèse, si elle était fausse, était tout à fait plausible. Le doute était
donc permis et, dans le doute, il fallait faire preuve de prudence en disant,
par exemple, qu’il était possible, même probable, que le tribunal fasse
application d’un PGD que le Conseil d’État avait antérieurement dégagé,
mais qu’il était également possible que le tribunal ait dégagé lui-même un
tel PGD, auquel cas il fallait souligner son audace.
Enfin, la démarche du tribunal administratif de Besançon
est d’autant plus audacieuse que la reconnaissance d’un tel
PGD au bénéfice des agents publics n’avait rien de tout à
fait évident. En effet, l’exercice du droit de retrait peut être
incompatible avec l’accomplissement de certaines missions
dont sont chargés certains agents publics. Ainsi, on
imagine mal un agent du GIGN ou de la BRI faire valoir son
droit de retrait et se retirer de la colonne d’assaut au motif
qu’il ne pensait pas que les terroristes étaient armés. Pour
ce qui concerne les agents publics territoriaux, on songe
notamment aux sapeurs-pompiers et aux policiers
municipaux, qui peuvent se trouver confrontés à des
situations objectivement dangereuses. Pour le dire
simplement, il pouvait paraître aventureux de consacrer
l’existence d’un principe « général » qui, pour des raisons
qui tiennent aux missions de l’Administration, ne peut pas,
précisément, avoir un caractère tout à fait général et doit
donc faire l’objet d’un certain nombre d’exceptions.
Ces considérations n’ont cependant pas découragé le
tribunal, qui a sans doute considéré que la consécration
d’un PGD n’empêchait pas sa conciliation avec les
exigences de l’action administrative, ici la nécessité
d’assurer la continuité des missions de sécurité et de
secours. Cet esprit de conciliation correspond du reste tout
à fait à la mission dont l’arrêt Blanco investit le juge
administratif (T. confl. 8 févr. 1873) : concilier les droits des
particuliers – agents publics inclus – avec l’impératif de bon
fonctionnement des services publics. À cet égard, la
décision précitée Dame Peynet avait pris soin de préciser
que le principe général inspiré du code du travail qu’elle
reconnaissait au bénéfice des femmes employées dans les
services publics ne s’appliquait qu’à la condition qu’«
aucune nécessité propre à ces services ne s’y oppose ».
Restait au tribunal – cela correspond à la seconde moitié
du jugement – à faire application de ce nouveau PGD aux
faits de l’espèce.

II/ L’application du nouveau principe


général du droit
Au regard de ce qui vient d’être dit, l’alternative était la
suivante : soit M. Glory avait un motif raisonnable de
penser que sa situation de travail présentait un danger
grave et imminent pour sa vie ou sa santé et le maire ne
pouvait pas légalement lui infliger de sanction, soit il n’en
avait pas et son refus était constitutif d’une faute
susceptible de faire l’objet de poursuites disciplinaires.
Mais les choses sont ici compliquées par le fait que deux
incidents sont à l’origine de la sanction. C’est donc incident
par incident qu’il faut examiner la régularité de l’exercice
par M. Glory de son droit de retrait. C’est ainsi qu’a
procédé le tribunal, en examinant successivement, à la
lumière du PGD qu’il venait de dégager, le refus du 20
novembre, qui portait sur le nettoyage des regards d’égout
(A), et celui du 6 décembre, à propos de l’installation des
illuminations de Noël (B).
* Il était possible de structurer cette seconde partie différemment et, par
exemple, de consacrer la première sous-partie au bien-fondé des deux refus
de l’agent et la seconde aux conséquences qu’il fallait tirer de la
circonstance que seul le premier refus était fautif. Mais, comme ce second
point avait été assez peu étudié en cours, il pouvait être difficile pour les
étudiants d’y consacrer toute une sous-partie. Surtout, je voulais que les
étudiants s’intéressent sérieusement aux faits de l’espèce et qu’ils
s’efforcent, quelques instants, de se mettre à la place du juge.
A – Le refus de nettoyer les regards
d’égout
Le 20 novembre 1995, M. Glory a refusé d’accomplir des
travaux de nettoyage des regards d’égout. Il a justifié son
refus par le fait, d’une part, que la température extérieure
était inférieure à 8° et par le fait, d’autre part, qu’il ne
disposait pas d’un blouson avec bandes réfléchissantes.
Pour le tribunal, ces éléments ne « permettent pas
d’identifier l’existence d’une situation présentant de
manière flagrante un danger grave et imminent pour la vie
ou pour la santé de l’agent ».
Que penser de l’appréciation portée par le tribunal ? Ainsi
que cela a été vu, seul un danger à la fois « grave » et «
imminent » autorise l’agent à faire usage de son droit de
retrait. Cela exclut donc l’exercice de ce droit face à un
danger qui apparaîtrait trop bénin ou trop lointain. Dans
ces conditions, il semble que l’appréciation portée par le
tribunal mérite d’être approuvée.
En effet, en ce qui concerne, en premier lieu, le froid dont
se plaint le requérant, on fera remarquer que, dans le nord-
est de la France – la ville de Châtenois-les-Forges se situe
dans le ressort du tribunal administratif de Besançon –, la
température est inférieure à 8° durant une bonne partie de
l’année. Les agents qui travaillent à l’extérieur y sont
habitués et il leur suffit de s’habiller chaudement. De
surcroît, le nettoyage des regards d’égout est une tâche
active qui ne dure pas forcément très longtemps. On a donc
du mal à concevoir en quoi effectuer une telle tâche par
une température inférieure à 8° pourrait constituer une
situation présentant un danger grave et imminent pour la
sécurité ou la santé de l’agent.
En ce qui concerne, en second lieu, la mise à disposition
d’un blouson avec bandes réfléchissantes, on fera
remarquer qu’il est tout à fait possible aux agents de
signaler leur présence autrement, par une signalisation
appropriée. Dans ces conditions, quand bien même il aurait
pu paraître souhaitable de doter M. Glory d’un tel blouson,
on peut difficilement soutenir que le fait de ne pas en avoir
mis un à sa disposition lui faisait courir un danger grave et
imminent.
Ainsi, le refus de M. Glory du 20 novembre pouvait à bon
droit être regardé par le maire comme fautif. Le refus du 6
décembre appelait quant à lui une appréciation différente.

B – Le refus d’installer les


illuminations de Noël
S’agissant de l’incident du 6 décembre, M. Glory avait
reçu la consigne de fixer des illuminations de Noël à partir
d’une échelle et d’un godet de tracteur levé à quatre
mètres du sol dans lequel il devait prendre place. Pour le
tribunal, cette situation pouvait être regardée comme
présentant un danger grave et imminent pour sa vie ou
pour sa santé. Par conséquent, il était en droit de faire
valoir son droit de retrait et ne pouvait pas être sanctionné
pour cette attitude.
Il est délicat de porter une appréciation sur cette partie
du jugement dans la mesure où l’on a assez peu de détails
sur le dispositif mis en place par la commune : on ne sait
pas, par exemple, si elle avait pris des précautions pour
éviter que l’agent ne chute ou au moins pour amortir sa
chute (même si on ne voit pas très bien en quoi ces
précautions pourraient exactement consister). Il ne le
semble pas et on peut penser qu’à cette hauteur une chute
aurait des conséquences dramatiques. Le jugement
s’appuie d’ailleurs sur un rapport d’inspection d’un
conseiller technique « hygiène, sécurité et conditions de
travail » auprès du centre départemental de gestion dont il
ressort clairement que les travaux demandés à M. Glory
devaient être accomplis selon des modalités qui ne
permettaient pas de garantir sa sécurité. Là encore, il nous
semble donc que l’appréciation portée par le tribunal
mérite d’être approuvée.
* Certains étudiants avaient fait l’effort de s’interroger sur les
conséquences de la solution et avaient expliqué en substance que, si la
commune de Châtenois-les-Forges avait mis en place ce procédé pour le
moins rudimentaire de fixation des illuminations de Noël, c’était sans doute
parce qu’elle ne disposait pas du matériel adéquat, que l’on songe, par
exemple, à un élévateur de nacelle ; ils en avaient déduit que la solution
avait pour effet d’inciter la commune à en acquérir un puisque, si elle ne le
faisait pas, les agents pourraient faire valoir leur droit de retrait ; et dans le
cas où la commune n’aurait pas les moyens d’en acheter un, elle pourrait
être tentée de renoncer à ses illuminations de Noël, ce qui serait bien
dommage. Cet effort de réflexion a été récompensé. Il fallait toutefois éviter
de dramatiser et, pourquoi pas, envisager la possibilité pour la commune de
Châtenois-les-Forges de demander à une commune limitrophe ou à l’EPCI
dont elle est membre de mettre à sa disposition le matériel nécessaire le
temps d’installer puis de retirer les illuminations.
Le maire, dans l’exercice de son pouvoir de sanction, ne
pouvait donc retenir que le seul incident du 20 novembre.
Restait au tribunal à en tirer les conséquences sur la
légalité de la sanction. Ces conséquences se déduisent du
principe selon lequel, lorsqu’un acte administratif repose
sur plusieurs motifs explicitement invoqués et que l’un
d’entre eux est illégal alors que d’autres sont réguliers, le
juge peut sauver l’acte de l’annulation s’il s’avère que le
motif irrégulier n’a pas eu d’influence réelle sur la décision
(CE, ass., 12 janv. 1968, Dame Perrot). Le tribunal devait
donc rechercher si le maire aurait pris la même sanction en
se fondant sur le seul refus du 20 novembre. Pour le
tribunal, cela n’aurait pas été le cas et, par conséquent, M.
Glory était fondé à demander l’annulation de la sanction
dont il avait fait l’objet. Le tribunal ne donne cependant pas
d’explication, se contentant de faire référence aux pièces
du dossier. Que faut-il en penser ? Dans la mesure où la
sanction date du 7 décembre, on peut effectivement
présumer qu’elle a été principalement sinon exclusivement
motivée par l’incident de la veille. S’il ne s’était fondé que
sur l’incident du 20 novembre, sans doute le maire aurait-il
retenu une sanction moins sévère, un avertissement par
exemple. Peut-être même se serait-il contenté d’une simple
mise en garde.
Les actes de
l’Administration
Thème principal
Acte administratif
Mots-clés
Acte administratif unilatéral, Contrat administratif, Personne
publique, Qualification, Compétence juridictionnelle
Sujet proposé et corrigé établi par
Agathe Van Lang, Professeure, Université de Nantes
Second semestre 2020-2021

〉Dissertation
Le critère organique dans la définition des actes
administratifs

〉Préparation
Analyse du sujet

Le sujet appelle à traiter des actes unilatéraux et


contractuels ; c’est donc un sujet de synthèse.

Il nécessite de bien définir une problématique, car il


ne s’agit pas de réciter le cours en parlant des
actes unilatéraux d’une part et des contrats d’autre
part.

Il importe aussi d’identifier les enjeux du sujet, et


donc de préciser, notamment en introduction,
pourquoi il est important de déterminer la nature
administrative ou privée des actes juridiques : il en
découle un régime juridique particulier, et donc
également un régime contentieux différent selon
que l’acte est administratif ou non (compétence du
juge administratif ou judiciaire).

La question porte globalement sur le caractère


déterminant ou non du critère organique pour
caractériser l’acte administratif : la présence d’une
personne publique (auteur de l’acte ou partie au
contrat) est-elle indispensable, ou non ? Est-elle
suffisante ? Si ces questions appellent des réponses
négatives, quels sont les autres critères
d’administrativité ? Il est difficile de traiter le sujet
sans évoquer les critères matériels, mais ces
développements ne doivent pas consister à décrire
en détail tous les critères matériels, car il faut
rester centré sur le sujet, le critère organique.

On s’interrogera naturellement sur l’évolution de la


place du critère organique, ce qui permet de
conférer une perspective dynamique au sujet.

Plan du corrigé

I/ Un critère décisif de l’administrativité des actes


juridiques

A – Un critère au fondement de raisonnements


présomptifs

B – Un critère renforcé en matière contractuelle


II/ Un critère non déterminant nécessitant le
recours à d’autres critères

A – L’intervention du critère matériel au soutien du


critère organique

B – La suppléance du critère organique par d’autres


conditions

〉Corrigé
Le droit administratif est souvent conçu comme le droit
applicable au fonctionnement de l’Administration et à ses
relations avec les personnes privées, selon une approche
qui met l’accent sur les acteurs, les organes. L’opposition
entre les institutions de la puissance publique et les
personnes privées fonde aussi largement la dichotomie
entre droit public et droit privé. On comprend dès lors le
rôle essentiel conféré en droit au critère organique.
Le critère organique constitue donc un élément, un
caractère, qui permet d’opérer des distinctions en prenant
en compte les organes ou auteurs impliqués. En droit, il est
courant d’attribuer un effet plus déterminant aux critères
qu’aux indices, qui doivent être réunis en faisceau pour
permettre une qualification, tandis qu’un critère, s’il est
satisfait, peut être à lui seul décisif. La caractérisation des
actes juridiques n’échappe pas au jeu des critères. Il nous
est demandé de réfléchir particulièrement au cas des actes
administratifs, ce qui revient à questionner leur nature –
administrative ou de droit privé. À défaut d’information
supplémentaire quant aux actes en question, nous
considérerons que le sujet porte sur les actes unilatéraux et
les actes contractuels.
Les enjeux de la détermination de l’administrativité des
actes juridiques sont loin d’être négligeables : en effet, il en
découle l’application d’un régime juridique souvent qualifié
d’« exorbitant du droit commun », régi par des règles et
principes de droit administratif. Il en résulte également,
lorsqu’un acte administratif unilatéral ou un contrat
administratif suscite un litige, la compétence du juge
administratif pour en connaître, tandis que les actes de
droit privé – y compris émanant de l’Administration –
relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire.
Or, la définition des actes administratifs unilatéraux et
des contrats administratifs n’est pas le fruit de données
physiques ou de calculs mathématiques. Elle résulte de la
jurisprudence et de textes législatifs, et conjugue dans une
part variable le critère organique avec des critères
matériels. Partant de ce constat, il paraît intéressant de
nous demander quelle est la place occupée par le critère
organique dans la définition des actes administratifs. La
présence d’une personne publique à l’origine d’un acte
unilatéral ou partie à un contrat suffit-elle à qualifier l’acte
d’administratif ? Ou bien faut-il lui adjoindre un ou des
critères matériels pour conclure à l’administrativité de
l’acte ? Peut-on rencontrer des actes reconnus comme
administratifs alors qu’aucune personne publique ne
semble en être l’auteur ? Curieusement, le droit positif
montre que toutes ces situations peuvent se présenter, ce
qui conduit à un tableau nuancé quant au rôle du critère
organique.
Ainsi, il est possible d’affirmer que la considération de
l’auteur de l’acte reste déterminante de sa nature
administrative ou privée (I), mais que le critère organique
est parfois insuffisant, voire négligé, dans l’identification
des actes administratifs (II).

I/ Un critère décisif de
l’administrativité des actes juridiques
Le critère organique est un critère d’un emploi
particulièrement simple, dans la mesure où il n’y a
généralement pas de doute quant à la nature publique ou
privée des personnes auteurs des actes, ce qui permet de
fonder des présomptions. Il semble aujourd’hui
particulièrement décisif en droit des contrats.

A – Un critère au fondement de
raisonnements présomptifs
L’existence d’une présomption rend superflu le travail de
qualification. C’est donc un raccourci particulièrement
utile, notamment pour le juge. Concernant la nature des
actes juridiques, il existe plusieurs présomptions fondées
sur le critère organique, ce qui révèle son rôle fondamental
dans la définition des actes administratifs.
Ainsi, en matière d’acte administratif unilatéral, il existe
une double présomption : les actes pris par des personnes
publiques sont présumés administratifs (CE 6 déc. 1907,
Cie des chemins de fer de l’est ; T. confl. 16 juin 1923,
Septfonds), les actes émanant de personnes privées sont
présumés de droit privé. Toutefois, ces présomptions sont
réfragables. Il peut advenir en effet qu’une personne
publique édicte un acte unilatéral de droit privé –
hypothèse rare – ou qu’une personne privée soit l’auteur
d’une décision administrative – hypothèse plus courante.
En matière de contrat, il existe une règle selon laquelle
un contrat passé entre deux personnes publiques est
présumé administratif (T. confl. 21 mars 1983, Union des
Assurances de Paris). L’arrêt réserve toutefois le cas où le
contrat ne fait naître entre les parties que des rapports de
droit privé, ce qui conduit à l’identification d’un contrat de
droit privé (par ex. CE 11 mai 1990, Bureau d’aide sociale
de Blénod-lès-Pont-à-Mousson, à propos d’un bail locatif
conclu entre deux établissements publics). La prise en
compte de l’objet du contrat indépendamment de la nature
des parties ouvre donc des exceptions au principe. Comme
pour les actes unilatéraux, nous sommes en présence d’une
présomption simple, ce qui permet d’envisager des
hypothèses d’infléchissement du critère organique.
Néanmoins, celui-ci connaît un notable regain de vigueur
dans le domaine des contrats.

B – Un critère renforcé en matière


contractuelle
La définition jurisprudentielle du contrat administratif
attribue une place prépondérante au critère organique. En
effet, un contrat ne peut en principe être administratif que
si l’une des parties au contrat est une personne publique. À
défaut, s’il apparaît que le contrat a été conclu entre deux
personnes privées, il ne peut s’agir que d’un contrat de
droit privé (CE 13 déc. 1963, Synd. des praticiens de l’art
dentaire du département du Nord). Le jeu du critère
organique peut conduire à des incohérences lorsque deux
contrats, ayant le même objet, sont de nature différente
selon qu’ils sont passés entre deux personnes privées, ou
avec une personne publique, et donc soumis à des régimes
juridiques différents. Pourtant, ce critère a été récemment
renforcé.
D’une part, la jurisprudence a accru le rôle du critère
organique en abandonnant la solution posée par le Tribunal
des conflits en 1963, dans l’arrêt Sté entreprise Peyrot. Cet
arrêt avait jugé qu’un contrat passé pour la construction
d’autoroutes est de nature administrative, même si aucune
personne publique n’est partie au contrat, au vu de son
objet, qui appartient par nature à l’État. Désormais, l’arrêt
du Tribunal des conflits du 9 mars 2015, Mme Rispal c/ Sté
ASF, affirme que tous les contrats passés par les sociétés
concessionnaires d’autoroute avec une autre personne
privée sont des contrats de droit privé. Le Tribunal des
conflits a ainsi opéré une rationalisation de sa
jurisprudence car l’arrêt Sté entreprise Peyrot hésitait
entre critère organique et matériel. Il œuvre en faveur de
la simplification en définissant un bloc de compétence
judiciaire pour tous les contrats conclus par les sociétés
concessionnaires d’autoroute avec une autre personne
privée.
D’autre part, le Code de la commande publique entré en
vigueur le 1er avril 2019, confirme la revalorisation du
critère organique. Les marchés publics et concessions
peuvent être conclus par des personnes publiques ou
privées, mais seuls ceux conclus par une personne publique
sont administratifs. Ceci résulte de l’article L. 6 du CCP : «
s’ils sont conclus par des personnes morales de droit
public, les contrats relevant du présent code sont des
contrats administratifs ». La condition de la présence d’une
personne publique au contrat confirme donc l’importance
du critère organique, dont le retour en force en droit des
contrats avait été amorcé par la loi du 11 décembre 2001
dite MURCEF pour les marchés publics. Cette évolution
paraît cependant contestable dans la mesure où elle remet
en cause l’unité du régime de ces contrats. Les évolutions
antérieures du droit des contrats visaient précisément à en
unifier le régime, en plaçant leur objet au cœur de la
définition des contrats administratifs, indépendamment de
la nature des parties. Des critères matériels peuvent en
effet contribuer à fonder l’administrativité des actes, au
point de concurrencer le critère organique.

II/ Un critère non déterminant


nécessitant le recours à d’autres
critères
On constate que parfois, la présence d’une personne
publique ne suffit pas à qualifier un acte administratif, il
faut y adjoindre d’autres critères (matériels). On observe
également que la non-satisfaction du critère organique
(absence de toute personne publique) n’exclut pas
nécessairement la qualification administrative de l’acte.
A – L’intervention du critère matériel
au soutien du critère organique
Il existe en droit des contrats une autre présomption
selon laquelle un contrat conclu entre une personne
publique et une personne privée est de nature privée. Ceci
montre que le critère organique n’est pas suffisant, puisque
la présence d’une partie publique au contrat ne permet pas
de le qualifier de contrat administratif. Pour renverser cette
présomption, il faut donc prendre en compte, outre la
présence d’une partie publique – qui reste le préalable
indispensable, car si le contrat est conclu entre deux
personnes privées, il est en principe de droit privé – un
critère matériel alternatif. La jurisprudence retient, d’une
part, le lien avec un service public pour qualifier le contrat
et déterminer la juridiction compétente pour en connaître
(CE 4 mars 1910, Thérond ; CE 20 avr. 1956, Épx Bertin ;
CE 20 avr. 1956, Min. agriculture c/ Grimouard). Ainsi, le
contrat qui confie à une personne privée l’exécution d’un
service public, ou l’y associe directement, est de nature
administrative. Le juge s’attache donc à l’objet, ou à la
finalité du contrat.
D’autre part, le caractère administratif du contrat peut
résulter du choix par l’Administration contractante de
procédés de puissance publique, ce qui revient à opter pour
une doctrine des moyens de préférence à celle des fins (le
service public). La présence de clauses exorbitantes du
droit commun (CE 31 juill. 1912, Sté des granites
porphyroïdes des Vosges ; T. confl. 13 oct. 2014, Sté Axa
France) permet ainsi d’identifier le contrat administratif à
partir de « sa forme et sa contexture » (conclusions Blum,
1912). De même, le régime exorbitant du droit commun
auquel est soumis le contrat révèle sa nature
administrative (CE 19 janv. 1973, Sté d’exploitation
touristique de la rivière du Sant).
Dans ces hypothèses, le juge n’examine le critère matériel
qu’après avoir vérifié la présence d’une personne publique
partie au contrat. Mais il peut également se présenter des
situations où le caractère administratif de l’acte est
indépendant de l’intervention d’une personne publique.

B – La suppléance du critère
organique par d’autres conditions
Dans certains cas de figure, l’administrativité de l’acte
semble déconnectée du critère organique, auquel le juge
substitue d’autres conditions.
Pour l’acte administratif unilatéral, il est admis par la
jurisprudence qu’une personne privée peut-être à l’origine
d’une décision administrative lorsque l’acte est pris pour
les besoins du service public géré par la personne privée
(CE 31 juill. 1942, Monpeurt ; CE 2 avr. 1943, Bouguen ; T.
confl. 15 janv. 1968, Air France c/ Épx Barbier), ou lorsque
l’acte traduit l’exercice de prérogatives de puissance
publique en dehors de toute mission de service public (CE 6
déc. 1961, Sté des huileries métropolitaines moyennes et
artisanales ; T. confl. 7 juill. 1978, Min. qualité de la vie c/
Vauxmoret). Le juge peut aussi qualifier l’acte par la
combinaison des deux critères, service public et puissance
publique (CE 13 janv. 1961, Magnier ; CE 22 nov. 1974,
FIFAS). On notera toutefois que derrière la création du
service public, comme à l’origine de l’attribution des
prérogatives de puissance publique, il y a toujours une
personne publique (sauf rares exceptions pour l’initiative
privée du service public). Donc la dimension organique
reste présente, de manière implicite.
Pour l’acte contractuel, la jurisprudence admet qu’un
contrat peut être de nature administrative alors qu’aucune
personne publique n’est partie au contrat, soit en raison de
l’existence d’un mandat exprès (une personne privée agit
au nom et pour le compte d’une personne publique), soit
parce que le juge identifie dans les clauses du contrat ou le
cahier des charges du cocontractant, un mandat implicite :
dans ce cas, la partie privée a agi pour le compte d’une
personne publique (T. confl. 30 mai 1975, Sté d’équipement
de la région montpelliéraine ; T. confl. 18 déc. 2010, Sté
Green Yellow). Les indices du mandat implicite peuvent
résider par exemple dans l’existence d’un contrôle de
l’Administration sur l’exécution du contrat, ou un
financement par des subventions publiques. Nous
apercevons là encore que, derrière l’une des parties
privées au contrat, se cache une personne publique. Dès
lors, le critère organique n’est écarté qu’en apparence.
Au terme de cette étude, il paraît possible de conclure
que la définition des actes administratifs, unilatéraux et
contractuels, demeure étroitement liée au critère
organique. Si la prise en compte de l’intervention d’une
personne publique n’a jamais réellement disparu, elle a vu
son importance réaffirmée récemment en droit des
contrats. Le recours au critère organique présente en effet
un atout majeur : celui de la simplicité.
Les actes de
l’Administration
Thème principal
Acte administratif
Mots-clés
Acte administratif unilatéral, Ordonnance, Contrat
administratif, Juridiction administrative
Sujet proposé et corrigé établi par
Arnaud Sée, Professeur, Université Paris Nanterre
Second semestre 2020-2021

〉Cas pratique
Nota : les faits contenus dans ces exercices sont
totalement fictifs.
1. La loi du 23 mars 2020 a habilité le gouvernement,
pendant trois mois, à édicter des dispositions relevant du
domaine de la loi afin de lutter contre l’épidémie de la
covid-19. L’ordonnance no 2020-305 du 25 mars 2020,
portant adaptation des règles applicables devant les
juridictions de l’ordre administratif, a été édictée sur ce
fondement. L’ordonnance prévoit des dérogations au
principe de publicité des audiences en disposant que « le
président de la formation de jugement peut décider que
l’audience aura lieu hors la présence du public ou que le
nombre de personnes admises à l’audience sera limité ».
L’ordonnance prévoit en outre que les audiences pourront
se tenir dans d’autres lieux que les salles d’audience des
juridictions. Un projet de loi de ratification de cette
ordonnance a été déposé à l’Assemblée nationale le 13 mai
2020, mais ce texte n’a pas été adopté par le Parlement.
Devant l’urgence, le Conseil d’État n’a pas pu être consulté.
Le syndicat de la juridiction administrative est étonné de
ces dispositions. Il vous rappelle que si le législateur est seul
compétent pour fixer les règles fixant les garanties
fondamentales des citoyens à l’occasion du procès (art. 34
de la Constitution), le pouvoir réglementaire, pour sa part,
demeure compétent pour déterminer les règles de
procédure applicables aux juridictions.
Le syndicat considère que l’ordonnance contrevient tant au
droit au procès équitable garanti par l’art. 6 CEDH, qu’au
principe constitutionnel de publicité des audiences qui
résulte de l’art. 16 DDH. Il a demandé son abrogation aux
autorités compétentes le 12 janvier 2021, mais n’a obtenu à
ce jour aucune réponse.
Vous lui indiquerez comment et devant quelle(s)
juridiction(s) contester l’ordonnance et la décision refusant
de l’abroger, les moyens invocables et ce que pourrait être
la décision du juge.
2. M. Klug est persécuté dans son pays d’origine, la
Syldavie, en raison de ses opinions politiques. Il conteste
depuis plusieurs années le régime monarchique en place, et
a subi plusieurs interpellations et emprisonnements
injustifiés. La Syldavie ne garantit en effet pas la libre
expression des pensées, ce qui a d’ailleurs motivé à
plusieurs reprises son refus d’intégration au Conseil de
l’Europe et à l’Union européenne. Face à ces difficultés, M.
Klug s’est rendu en France et a formé une demande d’asile
devant l’Office français de protection des réfugiés et
apatrides (OFPRA) en juin 2020.
L’OFPRA a rejeté la demande d’asile de M. Klug le 30 mars
2021. L’Office a appliqué la convention franco-syldave du 11
mars 1957, qui stipule, dans son article 5, que les citoyens
syldaves sont exclus de toute protection de la part de l’État
français, alors que, réciproquement, les citoyens français ne
pourront demander l’asile à la Syldavie. Cette convention a
été régulièrement ratifiée par la France dès 1958.
M. Klug entend contester la décision de l’OFPRA devant la
Cour nationale du droit d’asile (CNDA), juridiction
administrative spécialisée compétente dans cette matière. Il
considère que la décision de l’OFPRA est contraire à la
convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés,
qui permet la protection de toute personne craignant avec
raison d’être persécutée du fait de ses opinions politiques,
sans pouvoir bénéficier de la protection de ce pays. La
décision lui semble en outre contredire l’al. 4 du préambule
de la Constitution de 1946, qui dispose que « tout homme
persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a
droit d’asile sur les territoires de la République ». Il est
d’autant plus choqué que l’un de ses amis français a obtenu
pour sa part l’asile en Syldavie il y a quelques mois.
Que pensez-vous de ces arguments et de l’issue probable
de son recours ?
3. La société Love s’est vu confier par la commune de
Saint-Amour la gestion de la médiathèque municipale, par
un contrat d’occupation du domaine public conclu en 2019.
Hélas, la crise de la covid-19 a quelque peu compliqué ses
activités. La fermeture des établissements ouverts au public
entre mars et juillet 2020 a fortement réduit sa
fréquentation. La commune a dans un premier temps
souhaité que la société Love continue à exécuter la
convention malgré la pandémie. Mais la société Love a
préféré qu’il soit mis fin au contrat. Elle a donc décidé
volontairement de ne pas s’exécuter, et la commune a
prononcé la résiliation unilatérale du contrat pour faute le
13 avril 2021.
La société Love est aujourd’hui préoccupée par cette
décision, qui a des conséquences financières bien plus
lourdes que ce qu’elle imaginait. La société souhaite
aujourd’hui contester la sanction prononcée par la
commune. Elle considère qu’elle a simplement commis une
erreur d’appréciation concernant la convention et, ayant
appris que l’erreur était désormais permise en droit
administratif, estime que la résiliation n’était finalement pas
justifiée. De la même façon, M. Lecter, usager régulier de la
médiathèque, souhaite demander au juge (mais lequel ?)
l’annulation de la décision de résiliation. Vous les
conseillerez sur les voies de droit à mettre en œuvre.

〉Préparation
Analyse du sujet

Le cas pratique proposé aux étudiants au second


semestre de l’année universitaire 2020-2021
portait sur les ordonnances de l’article 38, la
hiérarchie des normes et le contentieux
contractuel.

Il était certainement un peu plus long et un peu


plus complexe que d’ordinaire, afin d’adapter les
modalités d’examen à une évaluation à distance.

Le premier exercice impliquait une bonne


connaissance du nouveau régime juridique des
ordonnances issu des décisions rendues en 2020
par les juridictions administrative et
constitutionnelle. Il nécessitait une analyse fine, qui
devait distinguer la nature juridique de
l’ordonnance de la possibilité de former un recours
contentieux, mais aussi, au sein de l’ordonnance,
les dispositions réglementaires des dispositions
ayant acquis une valeur législative.

Le second exercice, totalement fictif et improbable,


consistait en réalité en une réflexion sur la
compétence du juge administratif pour contrôler un
acte de la puissance publique au regard de
certaines normes supérieures.

La dernière partie de l’examen portait


exclusivement sur le contentieux contractuel, et
faisait appel lui aussi à des solutions récentes : la
possibilité pour les tiers de contester en excès de
pouvoir les actes détachables postérieurs à la
conclusion du contrat, et celle, pour les parties au
contrat, de saisir le juge de pleine juridiction.

En tout état de cause, et comme pour chaque


exercice de consultation, c’est la pertinence du
raisonnement juridique qui est évaluée, et non la
justesse de la réponse en elle-même.

〉Corrigé
Exercice 1 (8 points)
L’ordonnance litigieuse a été adoptée sur le fondement de
la loi d’habilitation du 23 mars 2020. Un projet de loi de
ratification de cette ordonnance a été déposé à l’Assemblée
nationale le 13 mai 2020, mais ce texte n’a pas été adopté
par le Parlement, et le Conseil d’État n’a pas pu être
consulté. Le syndicat de la juridiction administrative
souhaite faire annuler ces dispositions par une juridiction.
Avant d’envisager les recours possibles (2), il convient au
préalable de déterminer la nature juridique de
l’ordonnance (1).
1 • La nature juridique de l’ordonnance
Se pose en premier lieu la question de la nature juridique
de l’ordonnance. Le délai d’habilitation ayant expiré, les
dispositions relevant du domaine de la loi de l’ordonnance
doivent être considérées comme étant de valeur législative
(Cons. const. 28 mai 2020, QPC, Force 5).
En l’espèce, certaines dispositions de l’ordonnance
portent sur les garanties fondamentales du procès
(publicité des débats) et relèvent donc du domaine de la loi
; elles ont par conséquent une valeur législative. Les autres
dispositions, qui portent sur l’organisation de la justice
administrative, conservent une valeur réglementaire.
2 • Les recours envisageables
La valeur législative de certaines dispositions de
l’ordonnance litigieuse n’empêche toutefois pas la
formation d’un recours devant le juge administratif (CE,
ass., 16 déc. 2020, CFDT), et précisément le Conseil d’État
(CJA, art. R. 311-1). Ceci étant, le délai de recours est ici
largement expiré. Le syndicat requérant pourra toutefois
contester le refus d’abrogation de l’ordonnance (décision
implicite née le 13 mars 2021), recours à l’occasion duquel
le juge s’interrogera sur la légalité de l’ordonnance.
La question de l’examen au fond des ordonnances impose
de distinguer les dispositions de l’ordonnance ayant valeur
législative, de celles ayant simplement valeur
réglementaire.
Concernant les dispositions de l’ordonnance ayant valeur
législative, seule une question prioritaire de
constitutionnalité est envisageable pour invoquer le moyen
tiré de leur contrariété aux droits et libertés garantis par la
Constitution. C’est le cas du moyen tiré de la contrariété de
l’ordonnance à l’art. 16 DDH. Mais la QPC n’empêche pas
le juge administratif d’annuler l’ordonnance pour d’autres
motifs. Il pourrait notamment annuler l’ordonnance pour
inconventionnalité, en raison de sa contrariété à l’art. 6
CEDH.
Concernant les dispositions de l’ordonnance ayant valeur
réglementaire, plusieurs moyens pourraient conduire le
juge à les censurer. D’abord, le Conseil d’État n’ayant pas
été consulté, l’ordonnance est en principe entachée
d’incompétence, et ce moyen est d’ordre public (CE, ass.,
1978, SCI Bd Arago). Ensuite, le juge devrait examiner le
moyen tiré de l’inconventionnalité de l’ordonnance. En
revanche, les vices de forme et de procédure ne seront pas
examinés dans le cadre d’un contentieux de l’exception
d’illégalité d’un acte réglementaire (CE, ass., 18 mai 2018,
CFDT).

Exercice 2 (7 points)
M. Klug souhaite contester devant la Cour nationale du
droit d’asile (CNDA) la décision de l’OFPRA ayant rejeté sa
demande d’asile. Cette décision est fondée sur une
convention franco-syldave excluant toute protection en
France au bénéfice des ressortissants syldaves.
Afin d’examiner la légalité de cette décision, il convient
en premier lieu de vérifier si la convention internationale
fondant la décision de l’OFPRA était bien applicable au
litige (1). Il est nécessaire ensuite d’examiner la pertinence
des moyens que le requérant entend soulever (2).
1 • L’applicabilité de la convention franco-
syldave
La décision de l’OFPRA étant fondée sur une convention
internationale, il était nécessaire de se demander si cette
dernière était bien applicable au litige. À ce titre, les
stipulations d’une convention internationale sont
applicables si le traité a été régulièrement ratifié, et s’il est
appliqué réciproquement par l’ensemble des parties. La
régularité de la ratification ne pose pas de difficulté en
l’espèce. En revanche, la condition de réciprocité, que le
juge peut examiner lui-même (CE, ass., 9 juill. 2010,
Cheriet Benseghir), n’est pas remplie puisqu’un
ressortissant syldave a obtenu l’asile en France.
La convention n’étant pas applicable au litige, elle sera
écartée par le juge en cas de recours du requérant. La
décision OFPRA, fondée sur cette convention, sera donc
remise en cause par la juridiction administrative
spécialisée en cas de recours.
2 • Les autres moyens soulevés par le
requérant
Le requérant entend tout d’abord invoquer le moyen tiré
de la contrariété de la décision de l’OFPRA à la convention
du 28 juillet 1951. Ce moyen pourra être examiné par la
juridiction administrative, qui effectue un contrôle de
conventionnalité des actes administratifs (CE, ass., 30 mai
1952, Kirkwood). Mais si le juge décidait de l’applicabilité
de la convention (ce qui semble ici improbable), il devrait
toutefois s’interroger sur la conciliation entre les deux
conventions internationales (CE, ass., 23 déc. 2011,
Kandyrine).
Le requérant entend ensuite soulever le moyen tiré de la
contrariété de la décision OFPRA à l’al. 4 du préambule de
la Constitution de 1946. Les dispositions du préambule ont
en effet valeur constitutionnelle (not. CE, ass., 12 févr.
1960, Eky). Ce moyen ne pourra toutefois pas être examiné
par la juridiction administrative. La décision administrative
litigieuse étant fondée sur un traité, l’examen du moyen
conduirait le juge à confronter le traité à la norme
constitutionnelle, ce qu’il ne saurait faire en raison de la
compétence exclusive du Conseil constitutionnel en la
matière (CE, ass., 9 juill. 2010, Fédération de la libre
pensée). En revanche, si le juge décidait d’écarter le traité
du fait de son inapplicabilité, il pourrait confronter la
décision administrative à la norme constitutionnelle.

Exercice 3 (5 points)
La société Love a refusé volontairement d’exécuter la
convention qui la liait à la commune de Saint-Amour, et
cette dernière a prononcé la résiliation unilatérale pour
faute du contrat le 13 avril 2021.
L’énoncé de l’exercice évoque une convention
d’occupation domaniale, contrat administratif par
détermination de la loi (CGPPP, art. L. 2331-1). L’objet du
contrat portant essentiellement sur la gestion de la
médiathèque, il aurait été possible de discuter d’une
éventuelle requalification de la convention en contrat de la
commande publique. Toutefois, les éléments étaient
insuffisants dans le cas pratique pour se prononcer sur ce
point, et, surtout, la question n’était pas posée.
Les interrogations portaient ici sur les recours du
cocontractant et d’un tiers au contrat contre la décision de
résiliation unilatérale de la puissance publique.
La société cocontractante pourra former une action en
contestation de la validité de la mesure de résiliation
devant le juge du plein contentieux (CE, ass., 2011, Béziers
II). Ce recours semble cependant voué à être rejeté au
fond. La société invoque le droit à l’erreur de l’art. L. 123-2
CRPA ; or, cette disposition n’est pas applicable aux
sanctions prononcées en matière contractuelle (même
disposition, al. 3).
Le tiers au contrat, pour sa part, pourra saisir le juge de
l’excès de pouvoir d’une mesure d’exécution du contrat qui
doit être analysée comme un acte détachable postérieur à
la conclusion du contrat. Il convient de rappeler que le
recours « Tarn et Garonne » de 2014 (CE, ass., 4 avr. 2014)
n’a fermé le recours en excès de pouvoir des tiers que
contre les actes détachables antérieurs au contrat, ce qui
permet toujours aux tiers de contester les actes
détachables postérieurs devant le juge de l’annulation (CE
23 déc. 2016, Assoc. Études et consommation CFDT du
Languedoc-Roussillon). Il est à noter que le recours «
France Manche » (CE, sect., 30 juin 2017, Sté France
Manche), qui ne concerne que la contestation des refus de
résiliation, n’est pas envisageable ici.
Les actes de
l’Administration
Thème principal
Acte administratif unilatéral
Mots-clés
Acte administratif unilatéral, Service public administratif,
Recours pour excès de pouvoir, Contrôle juridictionnel
Sujet proposé et corrigé établi par
Marguerite Canedo-Paris, Professeure, Université de Poitiers
Second semestre 2020-2021

〉Commentaire d’arrêt : CAA Douai


10 novembre 2010, Association «
Société Centrale Canine »
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour
administrative d’appel de Douai le 10 février 2010,
présentée pour l’association « Société Centrale Canine »,
dont le siège est 155 avenue Jean Jaurès à Aubervilliers
(93535), représentée par son Président, par Me Sergent ;
l’association « Société Centrale Canine » demande à la cour
:
1°) d’annuler le jugement no 0702687 du 15 décembre
2009 par lequel le tribunal administratif d’Amiens a annulé
la décision du 16 mai 2007 par laquelle la « Société canine
d’Île de France » a infligé à M. Frédéric Beyer la sanction de
l’exclusion temporaire pour une durée de sept années de
toutes les manifestations organisées par ses soins ou ses
associations affiliées et la décision du 10 juillet 2007 par
laquelle l’association « Société Centrale Canine » a confirmé
cette décision en lui interdisant de participer en quelque
qualité que ce soit à toute manifestation canine organisée
par ses soins ou par ses membres pendant une durée de
sept ans et en a étendu les effets sur tout le territoire
national ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. Beyer en
première instance ;
3°) de condamner M. Beyer à lui verser la somme de 2 000
€ sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du
code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret no 47-561 du 27 mars 1947 portant
réglementation des associations tenant un livre
généalogique ;
Vu le décret no 74-195 du 26 février 1974 relatif à la tenue
du livre généalogique pour l’espèce canine ;
Vu l’arrêté du 20 mai 1994 portant agrément de la «
Société Centrale Canine » ;
Vu les statuts et le règlement intérieur de l’association «
Société Centrale Canine » ;
Vu le code rural ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de
l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique le
rapport de M. Dominique Naves, président-assesseur, les
conclusions de M. Xavier Larue, rapporteur public et les
parties présentes ou représentées ayant été invitées à
présenter leurs observations, Me Sergent, pour l’association
« Société Centrale Canine » ;
Considérant que, par une décision du 16 mai 2007,
l’association « Société canine d’Île de France » a infligé à M.
Frédéric Beyer, éducateur canin, la sanction de l’exclusion
temporaire pour une durée de sept années de toutes les
manifestations organisées par ses soins ou ses associations
affiliées et, par une décision du 10 juillet 2007, l’association
« Société Centrale Canine » a confirmé cette décision en
interdisant à M. Beyer de participer en quelque qualité que
ce soit à toute manifestation canine organisée par ses soins
ou par ses membres pendant une durée de sept ans et en a
étendu les effets sur tout le territoire national ; que
l’association « Société Centrale Canine » relève appel du
jugement du 15 décembre 2009 par lequel le tribunal
administratif d’Amiens a annulé ces deux décisions des 16
mai et 10 juillet 2007 et l’a condamnée, ainsi que
l’association « Société canine d’Île de France », à payer à M.
Beyer la somme de 1 500 € au titre des frais exposés par lui
et non compris dans les dépens ;
[…]
Sur la compétence de la juridiction administrative :
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de l’arrêté du 20
mai 1994 portant agrément de l’association « Société
Centrale Canine » : « La Société Centrale Canine pour
l’amélioration des races de chiens en France, fondée en
1882 et reconnue comme établissement d’utilité publique
par décret du 28 avril 1914, dont le siège social est établi
155, avenue Jean Jaurès, à Aubervilliers [93] est agréée en
qualité de Fédération nationale chargée de la tenue du livre
généalogique pour les animaux de l’espèce canine » ; qu’en
application des dispositions du décret susvisé du 27 mars
1947 portant réglementation des associations tenant un
livre généalogique, complétées par celles du décret du 26
février 1974 relatif à la tenue du livre généalogique pour
l’espèce canine, et aujourd’hui codifiées aux articles D. 214-
8 et suivants du code rural, l’association s’est vue confier
par les pouvoirs publics la tenue du livre généalogique
unique de l’espèce canine, dit « Livre des origines françaises
» ; qu’à ce titre, elle est chargée d’inscrire les chiens de
race sur un fichier unique divisé en sections correspondant
à chacune des races répertoriées et de veiller au respect de
la réglementation en vigueur par les éleveurs et les
propriétaires de ces chiens, notamment par des inspections,
éventuellement inopinées, dans les élevages ; que
l’association doit être ainsi regardée comme assurant une
mission de service public de caractère administratif ; qu’il
résulte de ces mêmes dispositions que l’organisation par
l’association « Société Centrale Canine » des expositions et
concours officiels pour l’attribution des récompenses
portées dans le pedigree des animaux constitue le
prolongement direct et indissociable de la mission de
service public de tenue du livre généalogique ; qu’ainsi,
lorsque l’association « Société Centrale Canine » inflige une
sanction à l’encontre soit d’un membre, soit d’un amateur
participant à ces manifestations, elle fait usage des
prérogatives de puissance publique qui lui sont confiées
pour l’exercice de cette mission de service public ; qu’ainsi,
cette décision a le caractère d’un acte administratif dont la
contestation ressortit à la compétence de la juridiction
administrative ; que, par suite, il y a lieu d’écarter
l’exception d’incompétence soulevée par l’association «
Société Centrale Canine » et l’association « Société canine
d’Île de France » ;
Sur les conclusions en annulation de M. Beyer :
Considérant qu’aux termes de l’article 30 du règlement
intérieur de l’association « Société Centrale Canine » (SCC) :
« La juridiction de la SCC s’étend à tous les membres de
fédération, sociétés régionales ou clubs spéciaux, ainsi qu’à
toutes les manifestations organisées par les groupements
affiliés ou par leurs sections. Elle s’étend également à toute
personne membre ou non d’un groupement affilié ayant
délibérément violé ce règlement même en dehors de toute
manifestation. Elle statue en dernier ressort sur les faits
soumis à la juridiction des groupements affiliés » ; qu’aux
termes de l’article 31 du même règlement intérieur : « La
juridiction de tout groupement affilié – sociétés régionales et
clubs spéciaux – s’étend sur toute sa zone d’action même
en dehors de toute compétition sur toutes les
manifestations, et à l’occasion de toutes réunions
organisées par lui, ou avec son autorisation. Elle s’applique
aussi bien à ses membres qu’à tous autres amateurs ayant
participé à ces manifestations en contrevenant ouvertement
aux règlements de la SCC ou en se comportant de façon
incorrecte. Mais comme précisé à l’article précédent, le
comité de la SCC juge en dernier ressort : il doit donc être
avisé chaque fois par les groupements intéressés des
sanctions prises par ces derniers » ; qu’aux termes de
l’article 33 : « Les sanctions varient suivant que la faute est
imputable à un groupement ou à une personne […]. Les
sanctions applicables aux personnes sont : I. – Au 1er degré :
1° L’avertissement. II. – Au 2e degré : 2° L’interdiction de
faire inscrire des chiens au LOF. 3° L’exclusion temporaire ou
définitive de toutes les manifestations, qui entraîne la
suppression de tous rapports avec la SCC » ; qu’aux termes
de son article 34 : « Les sanctions prévues à l’article 33 sont
prononcées par un conseil de discipline présidé par le
président de la SCC et composé d’au moins 7 membres du
comité [art. 6 des statuts de la SCC]. En cas de partage la
voix du président est prépondérante. Les sanctions contre
les groupements sont prononcées uniquement par le conseil
de discipline. Les sanctions prononcées par les comités des
groupements affiliés [sociétés régionales ou clubs spéciaux]
sont applicables dans leur zone ou rayon d’action.
Cependant l’intéressé peut en appeler au conseil de
discipline de la SCC qui juge en dernier ressort. La SCC peut
demander à la Fédération cynologique internationale (FCI)
l’extension à toutes les nations fédérées des sanctions
qu’elle a été amenée à prendre soit par elle-même soit par
ses groupements affiliés. De leur côté, les groupements
affiliés peuvent demander à la SCC d’étendre les sanctions à
toute la France, voire de proposer à la FCI leur extension à
toutes les nations fédérées. Dans tous les cas, le conseil de
discipline de la SCC est seul juge en dernier ressort » ;
En ce qui concerne les conclusions en annulation dirigées
contre la décision susvisée du 16 mai 2007 ;
Considérant qu’il résulte de la combinaison des articles 30
et 34 précités du règlement intérieur de l’association «
Société Centrale Canine » que les sanctions prises à
l’échelon des groupements affiliés (sociétés régionales ou
clubs spéciaux) doivent obligatoirement faire l’objet d’un
recours administratif devant le conseil de discipline de
l’association « Société Centrale Canine », préalablement à la
saisine du juge administratif ; que la décision de cet
organisme s’est substituée à celle de la formation
disciplinaire du premier degré qui doit être réputée avoir
disparu ; que, par suite, les conclusions sus-analysées ne
sont pas recevables et doivent être rejetées ;
En ce qui concerne les conclusions en annulation dirigées
contre la décision du 10 juillet 2007 ;
Considérant que dans sa décision attaquée, l’association «
Société Centrale Canine » a constaté que « […] s’il est établi
que M. Beyer est étranger à une autre bagarre qui s’est
déclarée ensuite, il a fallu plusieurs personnes pour le
maîtriser et que seule cette intervention l’a empêché de
frapper » ;
Considérant qu’il ressort tant des rapports du 19 février
2007 du président de l’association « Société canine d’Île de
France » et du 25 février 2007 du président du club de
Pierrelaye, produits par l’association requérante, que des
attestations des 11, 15 et 26 juin 2007 produites par M.
Beyer, que ce dernier, lors du championnat régional junior
en ring, organisé le 11 février 2007 à Pierrelaye, a eu avec
une autre personne un échange verbal assez violent qui a
nécessité l’intervention de plusieurs personnes pour le faire
cesser ; que, toutefois, il ne ressort pas des pièces du
dossier que, lors de cette altercation verbale, M. Beyer ait
eu l’intention de porter des coups ; que l’association «
Société Centrale Canine » n’établit pas la réalité du
comportement dangereux du requérant ; que, dans ces
conditions, en infligeant à M. Beyer la sanction de
l’exclusion temporaire pour une durée de sept années, en
quelque qualité que ce soit, de toutes les manifestations
organisées par ses soins ou ses associations affiliées sur
l’ensemble du territoire national, l’association « Société
Centrale Canine » a entaché son appréciation d’une erreur
manifeste ; que, M. Beyer est donc fondé à demander
l’annulation de la décision du 10 juillet 2007 ;
Sur les conclusions tendant à l’application de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de
justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge
condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie
perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine
au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Le juge tient compte de l’équité ou de la situation
économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office,
pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il
n’y a pas lieu à cette condamnation » ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit
mise à la charge de l’association « Société canine d’Île de
France », qui n’est pas, dans la présente instance, la partie
perdante, la somme que demande M. Beyer au titre des
frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que,
dans les circonstances de l’espèce, il ne paraît pas
inéquitable de laisser à la charge de cette association les
frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de
l’espèce, de mettre à la charge de l’association « Société
Centrale Canine » le versement à M. Beyer d’une somme
globale de 2 500 € en application des mêmes dispositions ;
Décide :
Article 1er : Le jugement no 0702687 du 15 décembre 2009
du tribunal administratif d’Amiens est annulé.
Article 2 : La décision du 10 juillet 2007 de l’association «
Société Centrale Canine » est annulée.
Article 3 : L’association « Société Centrale Canine » versera
à M. Beyer une somme de 2 500 € au titre des dispositions
de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l’association «
Société Centrale Canine », à l’association « Société canine
Î
d’Île de France » et à M. Frédéric Beyer.

〉Préparation
Analyse du sujet

Commenter un arrêt, ce n’est pas seulement


expliquer ce qui est écrit en toutes lettres dans la
décision rendue par le juge ; c’est aussi mettre en
évidence et éclairer, par les connaissances
juridiques et jurisprudentielles appropriées, les
silences et les raisonnements implicites.

Telle était sans doute la principale difficulté de


l’arrêt à commenter, la Cour administrative d’appel
de Douai ne vérifiant pas expressément la réunion
des conditions qui permettaient de qualifier de
service public l’activité assurée par la « Société
Centrale Canine » (SCC), ne justifiant pas la nature
administrative de ce service public, et ne procédant
pas davantage à un contrôle explicite de la
qualification juridique des faits reprochés à
l’éducateur canin et qui lui avaient valu la sanction
à l’origine du litige.

Dans un contexte de crise sanitaire exigeant, une


fois encore, l’organisation d’une épreuve à
distance, il était attendu des étudiants non pas (et
moins que jamais !) qu’ils récitent du cours et
restituent des connaissances, ceux-ci ayant à
disposition non seulement leurs notes et manuels
mais toute la documentation (bonne ou mauvaise)
disponible sur internet, mais qu’ils sachent les
utiliser en les mettant au service de l’analyse de
l’arrêt. Le correcteur s’est donc montré tout
particulièrement attentif aux efforts d’explication et
de démonstration et à la rigueur du raisonnement
développé dans les copies.

Cette exigence de rigueur explique par ailleurs que


ne pouvait en aucun cas être admis un plan
inversant les deux parties du commentaire : un tel
plan, qui irait à l’encontre de celui qui apparaît de
manière visible dans l’arrêt, serait totalement
incohérent puisque le juge administratif ne peut
statuer sur un recours en annulation avant de
s’être assuré de sa compétence pour le faire.

Il n’était pas non plus pertinent de consacrer une


sous-partie au rejet, pour irrecevabilité, des
conclusions dirigées contre la décision du 16 mai
2017 prise par la « Société canine d’Île de France »
: outre qu’une telle sous-partie aurait soulevé des
difficultés pour construire un plan logique et
équilibré, les étudiants n’avaient pas matière à
nourrir de tels développements et la Cour
administrative d’appel de Douai s’est montrée elle-
même très brève sur ce point. Il convenait donc
d’évacuer cette question en introduction.

Enfin, si certaines des références figurant dans le


corrigé ne faisaient pas partie de la grille de
correction initialement établie par l’enseignant,
celles-ci n’ayant pas été portées à la connaissance
des étudiants au cours de l’année universitaire,
elles ont été finalement insérées dans la version ici
proposée car elles ont été relevées (sans doute un
effet de la magie internet !) dans nombre de
copies.

Plan du corrigé

I/ La recevabilité de la requête dirigée contre une


sanction prise par une personne morale de droit
privé

A – Une association gestionnaire d’une mission de


service public administratif

B – Une sanction constitutive d’une décision


administrative

II/ La reconnaissance de l’illégalité d’une sanction


manifestement disproportionnée

A – L’admission implicite du caractère fautif du


comportement de M. Beyer

B – Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation


opéré sur le choix de la sanction prononcée

〉Corrigé
Le droit administratif se niche parfois là où on ne l’attend
pas et si la discipline est souvent mal-aimée – voire
redoutée ! – des étudiants, qui la considèrent trop
technique ou trop abstraite, c’est sans doute faute de
savoir toujours la débusquer dans leur vie de tous les jours.
L’arrêt à commenter en témoigne et aura enseigné aux
amateurs de compétitions et autres manifestations canines
qu’en y participant, ils sont assujettis au droit administratif,
lequel peut également, le cas échéant, les protéger contre
des sanctions dont ils pourraient faire l’objet à cette
occasion.
Lors d’un concours canin en ring organisé le 11 février
2007 dans une commune du Val d’Oise, M. Beyer,
éducateur canin, avait eu avec une autre personne une
altercation verbale suffisamment grave pour nécessiter
l’intervention de tiers afin de pouvoir y mettre un terme.
L’association « Société canine d’Île de France » prononça
alors, par une décision en date du 16 mai 2007, l’exclusion
de M. Beyer, pendant une durée de sept ans, de toute
manifestation organisée par elle ou par l’une de ses
associations affiliées. La sanction fut confirmée et étendue
à tout le territoire national par une décision de l’association
« Société centrale canine » (SCC) en date du 10 juillet
2007.
Sur requête de M. Beyer, ces deux décisions furent
annulées par le tribunal administratif d’Amiens par un
jugement du 15 décembre 2009.
Saisie en appel contre ce jugement par la SCC, la Cour
administrative d’appel (CAA) de Douai devait donc à son
tour se prononcer sur la légalité de la sanction attaquée
par M. Beyer. Néanmoins, et au préalable, il lui fallait
s’assurer de sa compétence pour trancher ce litige puisque
celle-ci était contestée par la SCC et la « Société canine
d’Île de France ».
Par un arrêt du 10 novembre 2010, qu’il s’agit ici de
commenter, les juges douaisiens confirmèrent tout à la fois
la compétence de la juridiction administrative pour se
prononcer sur le fond du litige et l’illégalité de la sanction
prononcée par la SCC dans sa décision du 10 juillet 2007.
En revanche, ils rejetèrent les conclusions dirigées contre
la décision du 16 mai 2007 prise par la « Société canine
d’Île de France », conformément à une jurisprudence
éprouvée selon laquelle lorsqu’une décision administrative
est soumise à une procédure de recours administratif
préalable obligatoire, la décision arrêtée à l’issue du
recours administratif se substitue entièrement à celle qui a
fait l’objet du recours et devient seule contestable devant le
juge par la voie du recours pour excès de pouvoir (CE,
sect., 18 nov. 2005, M. Houlbreque). Or, la CAA de Douai a
considéré que les articles 30 et 34 du règlement intérieur
de la SCC avaient instauré une telle procédure en imposant
l’exercice d’un recours administratif devant l’instance
disciplinaire de cette association préalablement à tout
recours contentieux à l’encontre des sanctions prises
notamment par les sociétés régionales. Se prononçant donc
exclusivement sur la décision du 10 juillet 2007, la Cour
conclut à son illégalité, faisant à nouveau droit, sur ce
point, à la demande de M. Beyer.
Cet arrêt est l’occasion pour les juges d’appel de
confirmer plusieurs jurisprudences administratives
classiques relatives d’une part à la qualification des
activités prises en charge et des décisions adoptées par les
personnes morales de droit privé ; d’autre part à
l’appréciation de l’adéquation des sanctions administratives
infligées au comportement qu’il s’agit de réprimer.
Il présente néanmoins l’intérêt d’illustrer l’utilisation que
fait le juge, dans un domaine un peu particulier, celui des
compétitions canines, des critères lui permettant d’abord
d’admettre la recevabilité d’un recours en annulation
contre une sanction édictée par une personne morale de
droit privé (I), ensuite de conclure à son caractère
manifestement disproportionné, et cela dans un contexte de
renforcement du contrôle de la juridiction administrative
sur le choix des sanctions (II).

I/ La recevabilité de la requête
dirigée contre une sanction prise par
une personne morale de droit privé
Si la requérante contestait en l’espèce la compétence de
la juridiction administrative pour statuer sur le litige, c’est
sans doute parce que la SCC ayant le statut d’association et
étant donc une personne morale de droit privé, la décision
prononcée le 10 juillet 2007 aurait dû, par application du
critère organique, être considérée comme un acte de droit
privé échappant à la compétence du juge administratif.
Néanmoins, le critère organique n’est pas absolu en la
matière et la jurisprudence reconnaît depuis longtemps que
les personnes privées assurant la gestion d’un service
public peuvent, sous certaines conditions, édicter des actes
administratifs. C’est ce que rappelle ici la CAA de Douai en
confirmant que la sanction contestée par M. Beyer est bien
une décision administrative (B), après avoir affirmé que la
SCC assure une mission de service public administratif (A).

A – Une association gestionnaire


d’une mission de service public
administratif
Même si le service public n’est plus la « pierre angulaire
du droit administratif » chère à Gaston Jèze, il n’en
demeure pas moins un critère important dans
l’identification jurisprudentielle de nombreuses notions clés
du droit administratif. Il est pourtant, et paradoxalement,
difficile à définir, même si la doctrine, en s’appuyant sur la
jurisprudence, a pu mettre en avant ses éléments
constitutifs. René Chapus affirmait ainsi que le service
public est une activité d’intérêt général « assurée ou
assumée par une personne publique », la force du critère
organique permettant de soutenir qu’une activité d’intérêt
général directement prise en charge par une personne
publique est présumée être une activité de service public. À
l’inverse, l’identification du service public devient plus
délicate lorsque l’activité à qualifier est assurée par une
personne privée.
Tel était justement le cas dans l’affaire dont avait à
connaître la CAA de Douai, la SCC, dont il était impératif
de pouvoir définir la nature juridique de la sanction
prononcée, étant une personne morale de droit privé. Plus
précisément, il était indispensable de pouvoir affirmer que
l’activité assurée était bien une activité de service public,
faute de quoi la décision contestée n’aurait pu se voir
reconnaître le caractère de décision administrative.
La CAA de Douai va ainsi faire une application de son
ancienne jurisprudence Narcy, afin de déterminer si
l’activité de la SCC était bien une activité de service public.
Selon cette jurisprudence issue d’un arrêt de section du
Conseil d’État en date du 28 juin 1963 et confirmée plus
récemment par un arrêt CE, sect., 22 février 2007, Assoc.
du personnel relevant des établissements pour inadaptés
(APREI), dans le silence de la loi, doit être considérée
comme étant chargée d’une mission de service public la
personne privée qui assure une activité d’intérêt général
sous le contrôle de l’Administration et qui dispose à cette
fin de prérogatives de puissance publique. L’arrêt APREI a
en outre précisé qu’en l’absence même de prérogatives de
puissance publique, une personne privée peut malgré tout
être considérée comme assurant une mission de service
public dès lors qu’il ressort d’un ensemble d’indices
concordants que l’Administration a entendu lui confier une
telle mission. Néanmoins, les juges douaisiens n’ont pas eu,
en l’espèce, à appliquer la technique du faisceau d’indices
introduite par la décision APREI puisque les trois
conditions classiques posées dès l’arrêt Narcy de 1963
étaient bel et bien réunies.
En effet, et tout d’abord, la CAA de Douai relève que la
SCC est « chargée de la tenue du livre généalogique pour
les animaux de l’espèce canine ». Celle-ci doit y inscrire les
chiens de race et veiller au respect de la réglementation
par les éleveurs et les propriétaires de ces animaux. En
définitive, elle est chargée par son action de l’amélioration
des races de chien en France, comme l’indique son nom
complet, ce qui constitue à n’en pas douter une mission
d’intérêt général. Vont également dans le sens de cette
qualification le fait que cette mission lui ait été confiée par
les pouvoirs publics, qui lui délivrent un agrément à cette
fin (article 1er de l’arrêté d’agrément en date du 20 mai
1994), et la circonstance qu’elle ait été reconnue comme
établissement d’utilité publique par un décret du 28 avril
1914.
Ensuite, la SCC agit sans conteste sous le contrôle des
pouvoirs publics puisque ceux-ci lui délivrent un agrément
afin qu’elle puisse tenir le « Livre des origines françaises »
(LOF) et pourraient bien évidemment le lui retirer si elle ne
se conformait pas aux textes en vigueur ou n’accomplissait
pas correctement sa mission.
Enfin, l’association dispose d’un pouvoir de contrôle à
l’égard des éleveurs et des propriétaires de chiens de race,
pour l’exercice duquel elle se voit autorisée à procéder à
des inspections, y compris inopinées, dans les élevages, ce
qui peut être qualifié de prérogative de puissance publique.
Peut sans doute également recevoir cette qualification le
monopole qu’elle détient dans la tenue du livre
généalogique « unique » de l’espèce canine. En outre, et
même si la CAA de Douai n’en fait pas état à ce stade du
raisonnement, la SCC dispose d’un pouvoir de sanction à
l’égard des personnes placées sous son autorité, lequel est
classiquement reconnu comme une prérogative de
puissance publique ; la jurisprudence abondante relative
aux sanctions prononcées par les fédérations sportives peut
en témoigner.
L’identification d’une activité de service public entre les
mains de la SCC était un préalable obligatoire afin de
pouvoir qualifier d’acte administratif la décision contestée
du 10 juillet 2007. Mais elle n’était pas pour autant une
condition suffisante.
B – Une sanction constitutive d’une
décision administrative
Si le critère organique demeure encore très solide en
matière contractuelle, un contrat conclu entre personnes
privées ne pouvant en principe être qualifié de contrat
administratif (T. confl. 3 mars 1969, Sté
interprofessionnelle du lait et de ses dérivés « Interlait »), il
n’en va pas de même en matière d’actes administratifs
unilatéraux, le Conseil d’État ayant admis dès 1961 que des
actes unilatéraux adoptés par des gestionnaires privés de
service public puissent être qualifiés d’administratifs. Par
un arrêt Magnier du 13 janvier 1961, le juge administratif
affirmait ainsi qu’un acte unilatéral édicté par une
personne privée gestionnaire d’un service public
administratif présentait le caractère d’acte administratif
dès lors tout à la fois qu’il avait été pris dans le cadre de
l’exécution de ce service public et qu’il traduisait la mise en
œuvre de prérogatives de puissance publique. De son côté,
le Tribunal des conflits précisait, dans une décision du 15
janvier 1968, Cie Air France c/ Épx Barbier, que les actes
réglementaires relatifs à l’organisation d’un service public
industriel ou commercial présentaient le caractère d’actes
administratifs alors même qu’ils avaient été édictés par des
personnes privées.
En l’espèce, la décision contestée par M. Beyer ne
présentait pas un caractère réglementaire : prononçant une
sanction à l’encontre de celui-ci, elle constituait une
décision individuelle et ne pouvait donc espérer se voir
reconnaître un caractère administratif qu’en application de
la jurisprudence Magnier. En d’autres mots, il convenait de
pouvoir soutenir que le service public pris en charge par la
SCC était un service public administratif et que la sanction
litigieuse avait été prise dans le cadre de l’exécution de
celui-ci.
Bien que contestée par la doctrine en raison de sa
relativité et des subtilités dont elle est responsable, la
distinction entre les services publics industriels et
commerciaux et les services publics administratifs, apparue
suite à la célèbre décision Sté commerciale de l’Ouest
africain (T. confl. 22 janv. 1921), demeure essentielle
aujourd’hui encore pour pouvoir, dans nombre de cas et
comme en atteste encore l’arrêt commenté, déterminer le
droit applicable à un litige. Selon le critère jurisprudentiel
dégagé par le Conseil d’État dans son arrêt d’assemblée du
16 novembre 1956, Union syndicale des industries
aéronautiques, un service public est présumé être un
service public administratif mais cette présomption pourra
être renversée si l’activité à qualifier ressemble tout à la
fois par son objet, par l’origine de ses ressources et par ses
modalités de fonctionnement, aux activités habituellement
prises en charge par les entreprises privées. L’absence
d’une seule de ces trois conditions suffit théoriquement à
empêcher le renversement de la présomption de service
public administratif, tandis que la réunion des trois doit
être exigée pour pouvoir retenir la qualification de service
public industriel et commercial. Dans la pratique, le juge
applique souplement le critère de distinction, quitte à
sembler parfois faire preuve d’un réel manque de rigueur
(par ex. T. confl. 21 mars 2005, Mme Alberti-Scott).
En l’occurrence, c’est sans plus de précisions que la CAA
de Douai s’est contentée d’affirmer que l’activité assurée
par la « Société Centrale Canine » constitue un « service
public de caractère administratif ». Peut-être lui a-t-il paru
inutile d’appliquer le critère jurisprudentiel habituel,
l’activité en question ayant déjà fait l’objet par le passé
d’une telle qualification, notamment par un arrêt CE 18
juin 2008, M. Landes. Peut-être les juges d’appel ont-ils
implicitement appliqué le critère jurisprudentiel, tout en
considérant que les conditions permettant de renverser la
présomption de service public administratif n’étaient pas
ici réunies. Il est vrai que l’objet de l’activité assurée par la
SCC, et dont on a vu plus haut qu’elle consiste à améliorer
les races de chien en France en tenant le livre
généalogique de l’espèce canine et en veillant au bon
respect de la réglementation par les propriétaires et les
éleveurs de chiens de race, ne semble pas présenter de
dimension industrielle ou commerciale. Elle pourrait sans
doute être rapprochée des activités assurées par les ordres
professionnels ou les fédérations sportives délégataires, et
qui ont été qualifiées de services publics administratifs par
la jurisprudence (pour une fédération sportive, voir
notamment l’arrêt de principe : CE, sect., 22 nov. 1974,
Fédération des industries françaises d’articles de sport).
Reste que, en l’espèce, la décision à qualifier n’avait pas
été prise dans le cadre de l’activité de tenue du LOF : M.
Beyer avait été sanctionné en raison du comportement qu’il
avait eu à l’occasion d’un concours canin. Or, afin que cette
sanction puisse être considérée comme étant constitutive
d’une décision administrative, il fallait, conformément à la
première condition de la jurisprudence Magnier, pouvoir
affirmer qu’elle avait été prise dans l’exécution d’une
mission de service public administratif. C’est ce que
confirme la CAA de Douai en disposant de manière
péremptoire que l’organisation de « concours officiels pour
l’attribution des récompenses portées au pedigree des
animaux constitue le prolongement direct et indissociable
de la mission de service public de tenue du livre
généalogique ». En conséquence, et tout comme cette
dernière, elle présente elle aussi le caractère de service
public administratif. On peut ne pas être convaincu et
considérer que les juges douaisiens ont apprécié avec
générosité les contours du service public confié à la SCC.
Cet arrêt s’inscrit à cet égard encore dans le sillage de
celui rendu le 18 juin 2008 par le Conseil d’État, et au vu
duquel le professeur H. Pauliat faisait remarquer que
l’activité de la SCC avait « un caractère parfois attractif »
(« Les animaux et le droit administratif », Pouvoirs 2009/4,
no 131, p. 57).
Quoi qu’il en soit, une fois admise la première condition
de la jurisprudence Magnier, il convenait enfin d’identifier
dans l’édiction de la décision du 10 juillet 2007, la mise en
œuvre de prérogatives de puissance publique. La
jurisprudence ayant eu l’occasion à de nombreuses reprises
d’affirmer que l’exercice du pouvoir de sanction constitue
une prérogative de puissance publique, c’est sans difficulté
que cette condition a été considérée comme remplie.
La décision sanctionnant M. Beyer, bien que prise par une
personne privée, constituait donc bien une décision
administrative et la juridiction administrative était par
conséquent compétente, contrairement à ce que soutenait
la SCC, pour trancher le litige que son édiction avait
suscité.
Statuant sur le fond de la requête, la CAA de Douai
conclut à l’illégalité de la sanction contestée, à l’issue d’un
contrôle auquel elle souhaita toutefois conserver une
certaine souplesse.

II/ La reconnaissance de l’illégalité


d’une sanction manifestement
disproportionnée
Le comportement de M. Beyer à l’occasion d’un concours
canin lui a valu une sanction d’interdiction de participer,
pendant une durée de sept ans, et sur tout le territoire
national, à toute manifestation organisée par la SCC.
C’est là encore sans excès de motivation, et passant
même sous silence le premier temps de son raisonnement,
que les juges de la CAA de Douai vont reconnaître
l’illégalité de la sanction infligée à l’éducateur canin, celle-
ci étant jugée manifestement disproportionnée.

,A – L’admission implicite du caractère


fautif du comportement de M. Beyer
L’histoire du contrôle juridictionnel administratif se
caractérise indéniablement par son renforcement.
L’exemple des sanctions administratives, en cause dans
l’arrêt commenté, en constitue une illustration topique. Le
juge administratif s’est contenté pendant un temps de
vérifier, lorsqu’il devait se prononcer sur la légalité d’une
sanction disciplinaire infligée à un agent public, que ce
dernier s’était bien rendu coupable d’un comportement
fautif, peu important ensuite le quantum de la sanction
dont il avait fait l’objet. Autrement dit, il lui suffisait de se
livrer à un contrôle normal de la qualification juridique des
faits, dans le sillage de l’arrêt CE 4 avr. 1914, Gomel. Dans
ces conditions, il était conduit à admettre la légalité d’une
révocation, sanction grave s’il en est, à l’encontre d’une
infirmière qui avait pourtant commis une faute mineure (CE
22 nov. 1967, Delle Chevreau).
Une telle jurisprudence n’était de toute évidence pas
suffisamment protectrice, ce qui conduisit le juge
administratif à introduire un contrôle sur le choix même de
la sanction infligée. Avec l’arrêt CE, sect., 9 juin 1978,
Lebon, le juge administratif ne se contentait plus
d’apprécier si le comportement de l’agent justifiait une
sanction mais vérifiait si la gravité de la faute reprochée à
celui-ci justifiait la sanction infligée, ce qui le conduisait à
apprécier l’adéquation de la sanction au comportement
fautif.
Ce contrôle se déroulait en réalité en deux temps
puisqu’il fallait d’abord, au vu des faits reprochés à l’agent,
s’assurer que ceux-ci étaient bien constitutifs d’une faute,
puis une fois cette première étape franchie, vérifier que la
sanction n’était pas excessive au regard de la gravité des
fautes commises. En d’autres termes, le juge était
désormais conduit à dépasser le contrôle normal de la
qualification juridique des faits pour se livrer à un second
contrôle relatif à la proportionnalité de la sanction
prononcée.
Sur ce point, la jurisprudence est demeurée constante et
n’a jamais été remise en cause, le contrôle normal de la
qualification juridique des faits étant un préalable
nécessaire, même si insuffisant, pour pouvoir se prononcer
sur la légalité d’une sanction administrative. Il est bien
évident que serait sans objet et inutile un contrôle sur le
choix de la sanction s’il apparaissait que le comportement
reproché à un requérant n’est en réalité pas fautif : le seul
contrôle normal de la qualification juridique des faits
suffirait alors à conclure à l’illégalité de la sanction
prononcée. Cela signifie par conséquent que le juge qui se
livre à un contrôle sur le choix d’une sanction a
nécessairement, même s’il ne le fait pas explicitement,
considéré que le comportement sanctionné est fautif.
Tel semble bien être le cas dans l’arrêt commenté, même
si la CAA de Douai n’effectue pas ouvertement un contrôle
de la qualification juridique des faits. En effet, celle-ci
constate certes que M. Beyer, à l’occasion d’une
compétition canine, « a eu avec une autre personne un
échange verbal assez violent qui a nécessité l’intervention
de plusieurs personnes pour le faire cesser », même s’il
n’est pas avéré qu’il ait pour autant eu l’intention d’en
venir aux mains, mais elle ne se limite pas à effectuer un
simple contrôle de l’exactitude matérielle des faits
conformément à la jurisprudence Camino (CE 14 janv.
1916). En poursuivant son raisonnement pour se prononcer
spécialement sur la légalité de « la sanction de l’exclusion
temporaire pour une durée de sept années » de toutes les
manifestations organisées par la SCC, la Cour a
nécessairement, même si implicitement, considéré que le
comportement de M. Beyer était fautif à défaut d’être
dangereux. Encore une fois, les juges d’appel n’auraient
pas eu besoin d’apprécier spécifiquement la légalité de la
sanction infligée par la SCC si le comportement de
l’éducateur canin n’avait pas été fautif : dans ce dernier
cas, aucune sanction quelle qu’elle soit n’aurait été
admissible. L’on observera d’ailleurs que les juges d’appel
se sont contentés de reconnaître explicitement que le
comportement en question n’était pas « dangereux » mais
n’ont nullement affirmé qu’il n’était pas « fautif ». En outre,
et enfin, le règlement intérieur de la SCC précise, dans son
article 31, que cette dernière statue en dernier ressort sur
les sanctions infligées aux participants à des manifestations
canines qui ont « ouvertement » contrevenu « aux
règlements de la SCC » ou qui ont eu un comportement «
incorrect », tandis que l’article 33, qui précise la gradation
des sanctions susceptibles d’être prononcées, ajoute que
celles-ci « varient suivant que la faute est imputable à un
groupement ou à une personne ». En d’autres termes, la
légalité des sanctions prononcées par la SCC est
subordonnée en premier lieu au caractère fautif du
comportement sanctionné et la CAA de Douai se devait
effectivement de vérifier ce point en procédant à un
contrôle normal, fut-il implicite, de la qualification juridique
des faits reprochés à M. Beyer.
C’est parce que ce contrôle a effectivement eu lieu que
les juges d’appel ont pu, dans un second temps, mesurer
l’adéquation de la sanction, lourde, infligée à l’éducateur
canin, en se livrant à un contrôle de l’erreur manifeste
d’appréciation.

B – Le contrôle de l’erreur manifeste


d’appréciation opéré sur le choix de
la sanction prononcée
Selon une formule largement utilisée en matière de
contrôle de légalité des sanctions disciplinaires, même si
elle est en constante régression, les juges d’appel ont en
l’espèce considéré que la SCC avait « entaché son
appréciation d’une erreur manifeste » en prononçant
l’exclusion contestée. Le contrôle de l’erreur manifeste
d’appréciation sur le choix de la sanction infligée à un
agent public a été consacré par l’arrêt Lebon
précédemment cité. Il témoignait alors d’un renforcement
du contrôle du juge en matière de contentieux disciplinaire
puisque l’Administration n’était désormais plus libre de
prononcer la sanction de son choix face au comportement
fautif d’un agent. Néanmoins, le juge n’a pas souhaité en
1978 se montrer rigoureux à l’extrême et, en se limitant à
un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, que
d’aucuns appellent le « contrôle restreint », il a entendu
préserver une certaine marge de liberté au profit de
l’Administration, et sans doute aussi prendre garde à ne
pas franchir le Rubicon du contrôle d’opportunité : seuls
seraient sanctionnées les disproportions flagrantes, «
manifestes », entre la gravité de la faute commise et la
lourdeur de la sanction appliquée.
En l’espèce, les juges d’appel ont insisté sur le fait que M.
Beyer avait été exclu « pour une durée de sept ans », durée
indéniablement longue, de « toutes les manifestations »
organisées par la SCC « ou ses associations affiliées », ce
qui vise vraisemblablement toutes les expositions et
compétitions auxquelles le requérant pourrait participer, «
en quelque qualité que ce soit », éleveur canin, participant
ou simple visiteur, et cela « sur l’ensemble du territoire
national ». Tous ces éléments additionnés montrent la
lourdeur de la sanction infligée et des conséquences
susceptibles d’en découler pour M. Beyer qui se trouve
ainsi privé de « tous rapports avec la SCC » (article 33-3°
du règlement intérieur de la SCC). On relèvera d’ailleurs
que dans la gradation des sanctions susceptibles d’être
prononcées par l’association à l’encontre des personnes, et
qui est rappelée à l’article 33 de son règlement intérieur,
celle de « l’exclusion temporaire ou définitive de toutes les
manifestations » est la plus lourde. Elle doit donc être
réservée aux fautes les plus graves.
Or, et pour montrer la disproportion « manifeste » entre
la gravité du comportement reproché à M. Beyer et la
sanction prononcée, la CAA de Douai souligne qu’il n’est
pas établi que l’éducateur canin ait eu l’intention de
recourir à la violence physique à l’occasion de l’altercation
qui l’avait opposé à une autre personne, et que son
comportement ait présenté un caractère dangereux. Il
semble résulter d’une interprétation a contrario de cette
observation que la conclusion à laquelle est parvenue la
CAA quant à l’adéquation de la sanction choisie aurait pu
être différente si le requérant avait eu la volonté d’en venir
aux mains. Tel n’est pas le cas et, dès lors, même si le
comportement de M. Beyer appelait sans doute une
sanction, la sanction décidée était manifestement
disproportionnée.
On remarquera toutefois que ce contrôle de l’erreur
manifeste d’appréciation sur le choix de la sanction ne
s’imposait pas, à l’époque, avec la force de l’évidence. En
effet, même si la jurisprudence Lebon concernant la
légalité des sanctions disciplinaires prononcées à
l’encontre des agents publics était encore en vigueur au
moment où l’arrêt commenté a été rendu, le juge
administratif acceptait déjà de se livrer à un contrôle plus
approfondi sur d’autres types de sanctions administratives.
Il en allait notamment ainsi en matière de sanctions pour
dopage prononcées par les fédérations sportives : CE 2
mars 2010, Fédération Française d’Athlétisme. Les juges
d’appel auraient donc pu, sans faire un effort
insurmontable, transposer ce raisonnement au cas des
sanctions prononcées par la SCC. Tel n’a pas été le choix
effectué en novembre 2010 par la CAA de Douai. On peut
cependant se demander si la position adoptée est toujours
valable aujourd’hui, alors que les derniers bastions du
contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur
l’adéquation des sanctions administratives semblent se
réduire comme peau de chagrin. En effet, la jurisprudence
Lebon a été remise en cause par un arrêt CE, ass., 13
novembre 2013, M. Dahan, s’agissant des sanctions
disciplinaires prononcées à l’encontre des agents publics
civils, lesquelles font désormais l’objet d’un contrôle de
stricte proportionnalité, et ce mouvement jurisprudentiel
s’est ensuite étendu aux sanctions infligées aux détenus
dans les établissements pénitentiaires (CE 1er juin 2015,
Boromée) puis à celles appliquées aux militaires (CE 25
janv. 2016, Parent). Dans ce contexte jurisprudentiel
renouvelé, la solution retenue par la CAA de Douai dans cet
arrêt du 10 novembre 2010 apparaîtrait singulièrement
rétrograde.
Les actes de
l’Administration
Thème principal
Acte administratif unilatéral
Mots-clés
Acte administratif unilatéral, Contrat administratif,
Prérogative de puissance publique, Service public
Sujet proposé et corrigé établi par
Delphine Costa, Professeure, Aix-Marseille Université
Premier semestre 2020-2021

〉Dissertation
En quoi l’acte administratif unilatéral est-il l’expression
de la puissance publique ?

〉Préparation
Analyse du sujet

Lorsqu’un sujet confronte deux notions, il est


impératif, tout d’abord, de bien analyser ces
dernières avant d’examiner leur interaction.
Présentement, ce sont les notions d’acte
administratif unilatéral et de puissance publique
qui sont mobilisées. L’acte administratif unilatéral
est une des manifestations de l’action
administrative, qui est précisément l’un des objets
du droit administratif général. Quant à la puissance
publique, elle apparaît comme l’un des critères
d’identification de cette discipline, aux côtés du
service public. L’introduction devra donc définir
l’acte administratif unilatéral ainsi que la puissance
publique.

La question posée consiste ensuite à se demander


en quoi l’acte administratif unilatéral est
l’expression de la puissance publique ou,
inversement, comment la puissance publique se
traduit dans l’acte administratif unilatéral. Au XIXe
siècle, le droit administratif abritait une distinction
entre les actes d’autorité et les actes de gestion,
tandis qu’il a toujours connu d’autres moyens
d’action, tels que le contrat administratif, voire les
activités de service public et de police
administrative. En outre, l’acte administratif
unilatéral est la première des prérogatives de
puissance publique qui singularisent l’action de
l’Administration. Pour autant, ces prérogatives ne
sont pas réservées aux personnes publiques, dès
lors que des personnes privées peuvent également
édicter des actes administratifs unilatéraux, dans
des conditions toujours plus souples.

Mais le sujet invite également à examiner si la


puissance publique peut s’exprimer autrement que
par l’acte administratif unilatéral ainsi qu’à scruter
la manière dont éventuellement l’acte administratif
unilatéral évolue au point, le cas échéant, de se
détacher de la puissance publique. Notamment, la
puissance publique se traduit plus globalement par
l’exorbitance qui caractérise l’ensemble des
activités administratives, qu’il s’agisse de police
administrative ou de prérogatives exorbitantes du
droit commun, repérables par exemple en matière
de contrats administratifs ou de fonction publique.
Quant à eux, les actes administratifs unilatéraux,
subissant les assauts de la régulation qui se
substitue à la réglementation, n’en finissent pas de
subir des évolutions remarquables, de la perte du
caractère décisoire s’agissant des actes de droit
souple à la concurrence accrue que leur livrent les
relations conventionnelles. Dès lors que l’autorité
administrative ne s’incarne plus seulement dans
l’acte administratif unilatéral, le lien entre ce
dernier et la puissance publique se distend au point
de se dissoudre.

Ainsi, la problématique retenue nécessite de faire


saillir les interactions très solides qui unissent l’acte
administratif unilatéral à la puissance publique tout
en soulignant qu’à l’heure actuelle, elles évoluent
vers une disjonction toujours plus croissante entre
ces deux éléments, incarnant pourtant
traditionnellement l’autorité administrative.

Plan du corrigé

I/ L’acte administratif unilatéral comme prérogative


de puissance publique

A – L’unilatéralité de la puissance publique

B – L’exorbitance de l’action administrative


II/ La puissance publique par-delà l’acte
administratif unilatéral

A – La concurrence d’autres moyens d’action

B – L’autorité hors la puissance publique

〉Corrigé
Se demander en quoi l’acte administratif unilatéral est
l’expression de la puissance publique revient à examiner
comment le premier traduit l’autorité administrative et,
inversement, comment la seconde se matérialise dans
l’action unilatérale. L’acte administratif unilatéral est une
manifestation de volonté d’une personne juridique, souvent
publique, parfois privée, qui tend à produire des effets
juridiques destinés à créer des droits ou des obligations en
direction de destinataires dont il n’est pas besoin de
recueillir le consentement préalable, dans
l’accomplissement d’une fonction administrative. Cet acte
se distingue radicalement des autres actes juridiques :
privés, législatifs, gouvernementaux ou juridictionnels.
Quant à la puissance publique, elle est le moyen par
excellence dont dispose l’Administration – qui assure les
fonctions exécutives de l’État – d’atteindre les fins que ce
dernier se fixe de servir l’intérêt général. La puissance
publique traduit donc la souveraineté de l’État sur le plan
administratif.
L’acte administratif unilatéral se définit grâce à plusieurs
critères : critère organique d’abord, qui exige qu’une
personne publique en soit à l’origine, directement ou
indirectement ; critère formel ensuite, qui isole les formes
et les procédures qui encadrent ordinairement son
élaboration ; critère matériel, qui mêle subtilement le
critère des fins, l’acte devant être édicté dans le cadre
d’une mission de service public ; et le critère des moyens,
dès lors qu’il traduit l’exercice d’une prérogative de
puissance publique (v. notamment : CE, ass., 31 juill. 1942,
Monpeurt, Rec. 239, D. 1942. 138, concl. A. Ségalat, note
P.C. ; CE 30 déc. 2013, SIEMP de la ville de Paris, Rec. 340
; AJDA 2014. 2189, note D. Costa). Ainsi se vérifie le lien
entre l’acte administratif unilatéral et la puissance
publique.
La puissance publique est, en effet, l’un des critères
d’identification des actes administratifs unilatéraux et, au-
delà, du droit administratif, lequel se fond, peu ou prou et
depuis l’an VIII, dans le droit soumis au contrôle du juge
administratif. Ainsi, dans sa décision du 23 janvier 1987, le
Conseil constitutionnel a défini la sphère de compétence
des juridictions administratives de façon à englober tous
les recours en « annulation et [en] réformation [à
l’encontre] des décisions prises, dans l’exercice des
prérogatives de puissance publique, par les autorités
exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités
territoriales de la République ou les organismes publics
placés sous leur autorité ou leur contrôle » (Cons. const. 23
janv. 1987, no 86-224 DC, Loi transférant à la juridiction
judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la
concurrence, Rec. 8 ; AJDA 1987. 345, note J. Chevallier ;
RFDA 1987. 287, note B. Genevois ; RD publ. 1987.1341,
note Y. Gaudemet).
Derechef, apparaît le lien entre l’acte administratif
unilatéral et la puissance publique dès lors que la catégorie
des actes administratifs unilatéraux recouvre celle des
décisions, ainsi qu’en témoigne, notamment, l’article L.
200-1 du code des relations entre le public et
l’Administration : « […] on entend par actes les actes
administratifs unilatéraux décisoires et non décisoires ».
Pour autant, la notion d’acte administratif unilatéral
s’efface progressivement devant de nouvelles expressions
de la normativité administrative, que caractérise la
souplesse, de telle sorte qu’elle s’écarte de la puissance
publique, laquelle, en retour, trouve d’autres voies
d’expression que l’acte administratif unilatéral, dans une
société globalisée où il est nécessaire de convaincre les
citoyens plutôt que de les contraindre, de les persuader
plus que de les obliger, de collaborer avec eux davantage
que de les assujettir.
Incarnation traditionnelle de la puissance publique, l’acte
administratif unilatéral en est la première des prérogatives
(I) mais tend progressivement à s’en éloigner au point que
la puissance publique s’exprime dorénavant autrement que
par l’acte administratif unilatéral (II).

I/ L’acte administratif unilatéral


comme prérogative de puissance
publique
Par son caractère unilatéral, l’acte administratif agit par
voie d’autorité, signe de puissance publique (A) ; l’acte
administratif unilatéral traduit ainsi l’exorbitance d’une
action administrative toute-puissante (B).

A – L’unilatéralité de la puissance
publique
L’acte administratif unilatéral est la manifestation de la
volonté univoque d’une personne investie d’une fonction
administrative, qui, par ce biais, peut imposer des
obligations ou créer des droits au profit des administrés,
lesquels n’ont pas à consentir préalablement à cet acte. Si,
la plupart du temps, la personne qui édicte un acte
administratif unilatéral est une personne publique, cela
peut être une personne privée à qui la première aura
délégué la possibilité d’édicter des actes administratifs. Du
reste, si une personne privée, telle une fédération sportive,
est associée à l’action administrative car investie d’une
mission de service public, les décisions qu’elle prend ne
sont qualifiées par le juge administratif d’actes
administratifs unilatéraux qu’à la condition de « procéd[er]
de l’exercice d’une prérogative de puissance publique »
(CE 19 déc. 1988, Mme Pascau, Rec. 459, GP 1989. 2. 589,
concl. C. Vigouroux ; AJDA 1989. 271, note J. Moreau), ce
qui confirme, a contrario, que l’unilatéralité de l’acte
administratif est bien l’expression de la puissance publique.
En outre, il existe plusieurs catégories d’actes
administratifs unilatéraux. La première renvoie
précisément au pouvoir de commandement des personnes
publiques, en tant qu’attribut du pouvoir administratif en
ce qu’elle permet de réglementer, de manière générale et
impersonnelle, des situations et des comportements. L’acte
administratif réglementaire est incontestablement une
prérogative de puissance publique de premier rang. Du
reste, nul n’a droit au maintien d’un acte réglementaire car,
précisément, l’Administration doit toujours pouvoir abroger
ou modifier les règles générales et abstraites qu’elle a
édictées, pour tout motif et sans condition de délai (CE 25
juin 1954, Synd. nat. de la meunerie à seigle, Rec. 379 ; D.
1955. 49, concl. J. Donnedieu de Vabres ; sur l’abrogation,
art. L. 243-1 du code des relations entre le public et
l’Administration).
À côté des actes administratifs unilatéraux
réglementaires, les actes administratifs individuels forment
une catégorie distincte qui se singularise par sa portée non
plus générale mais particulière : les actes administratifs
individuels régissent des situations déterminées, dont les
destinataires sont susceptibles d’être identifiés. Se
subdivisent alors les actes individuels qui créent des droits
au profit de leurs destinataires de ceux qui n’en créent pas
: cette distinction a des répercussions sur le régime
juridique applicable aux différents actes, mais ne remet pas
en cause le fait que tous les actes individuels, comme les
actes réglementaires, traduisent la volonté d’une personne
investie de la puissance administrative, de manière
unilatérale. Une troisième catégorie existe bien, à mi-
chemin des actes réglementaires et des actes individuels,
mais elle traduit, comme ceux-ci, la même puissance
publique.
Pour autant, tous ces actes administratifs unilatéraux,
bien qu’exprimant la puissance publique, ne peuvent être
exécutés d’office par leur auteur, ni de manière forcée : si
leurs destinataires ne les exécutent pas, la personne qui les
a édictés devra s’adresser au juge, sauf s’il applique la loi
ou en cas d’urgence (T. confl. 2 déc. 1902, Sté immob. de
Saint-Just, Rec. 713, S. 1904. 3.17, concl., note M.
Hauriou). Du reste, tout acte administratif unilatéral, peut
faire l’objet d’une contestation juridictionnelle en
application du principe de légalité (CE, sect., 17 févr. 1950,
Min. agriculture c/ Dame Lamotte, Rec. 110, RD publ.
1951. 478, concl. J. Delvolvé, note M. Waline ; v. art. L. 100-
2 du code des relations entre le public et l’Administration).
En somme, l’expression unilatérale de la volonté de
l’Administration se traduit par des actes administratifs
porteurs de sa puissance exécutive qui doivent néanmoins
respecter la légalité ; ils sont par ailleurs exorbitants du
droit commun.

B – L’exorbitance de l’action
administrative
Les actes administratifs unilatéraux expriment la
puissance du pouvoir administratif dans la mesure où ils
obéissent à un régime différent de celui qui régit les autres
actes juridiques, régime ainsi qualifié d’exorbitant du droit
commun, dans le sens d’un droit applicable aux relations
juridiques que nouent entre elles les personnes privées.
Distincts des actes privés mais aussi des actes non
administratifs des personnes publiques, comme les actes de
gouvernement, qui se rattachent à la fonction politique des
autorités de l’État et non à leur fonction administrative (CE
9 sept. 2020, req. no 439520 ; AJDA 2020. 2373, concl. A.
Lallet), les actes administratifs unilatéraux expriment leur
exorbitance de plusieurs manières.
Déjà, l’exorbitance s’illustre tout particulièrement dans le
« privilège du préalable » des actes administratifs
unilatéraux, expression désuète qui signifie que la
personne en charge de l’autorité administrative peut
édicter un acte qui est exécutoire par lui-même, sans
qu’elle doive, pour ce faire, s’adresser au préalable au juge
administratif. Au demeurant, le Conseil d’État considère
solennellement que le « caractère [exécutoire] est la règle
fondamentale du droit public » (CE, ass., 2 juill. 1982,
Huglo, Rec. 257 ; AJDA 1982. 657, concl. J. Biancarelli, note
O. Dugrip). Mais ce privilège est tout autant une sujétion
pour la personne qui en jouit puisqu’elle ne peut pas
s’adresser au juge pour exercer le pouvoir administratif à
sa place (CE 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, Rec. 583, S.
1915. 39, note M. Hauriou).
Ensuite, les actes administratifs unilatéraux obéissent à
des règles juridiques exorbitantes, désormais codifiées au
code des relations entre le public et l’Administration, entré
en vigueur le 1er janvier 2016, qui concernent leur
élaboration ainsi que leur entrée et leur sortie de vigueur,
etc. À titre d’illustration, la motivation des actes
administratifs unilatéraux est spécifique en ce que seules
certaines catégories de décisions défavorables,
limitativement énumérées, ou dérogatoires doivent faire
l’objet d’une motivation « écrite » qui comporte « l’énoncé
des considérations de droit et de fait qui [en] constituent le
fondement » (art. L. 211-5 du code ; voir aussi art. L. 211-2
et 3). En d’autres termes, nombre d’actes administratifs
unilatéraux échappent à la règle de motivation, ce qui est
un attribut de la puissance exorbitante du pouvoir
administratif.
Au demeurant, certains actes administratifs peuvent
n’être pas formalisés par écrit : la jurisprudence déduit
parfois du comportement de l’Administration l’intervention
d’actes administratifs unilatéraux, comme la décision du
ministre de la Culture d’édifier les « colonnes de Buren »
dans la cour du Palais Royal (CE 12 mars 1986, Min.
Culture c/ Mme Cusenier, Rec. 403 ; AJDA 1986. 258,
concl. J. Massot). Une telle exorbitance est d’autant plus
étonnante que la signature d’un acte administratif
unilatéral conditionne, d’ordinaire, son existence juridique
(CE, sect., 19 déc. 1952, Mattéi, Rec. 594). Toutefois, il est
fréquent que les actes informels, que révèle leur exécution,
soient illégaux, faute précisément de respecter les règles
propres à l’élaboration des actes administratifs unilatéraux.
En outre, un acte administratif unilatéral est encore
exorbitant du droit commun car s’il doit, habituellement,
régir seulement des situations futures (CE, ass., 25 juin
1948, Sté du journal « L’Aurore », Rec. 289 ; GP 1948. 2.7,
concl. M. Letourneur), il peut, dans certains cas, rétroagir
sur des situations passées, notamment par application
d’une loi, dont la rétroactivité est encadrée néanmoins par
le droit constitutionnel, quoiqu’impossible en matière
répressive (Cons. const. 30 déc. 1982, no 82-155 DC, Rec.
88, RD publ. 1983. 333, note L. Favoreu), ou d’une
convention internationale (CE 8 avr. 1987, Procopio, Rec.
136, AJDA 1987. 472, concl. O. Schrameck), ou bien encore
pour assurer la sécurité juridique, par exemple à la suite
d’une annulation contentieuse (reconstitution de carrière
d’un fonctionnaire : CE 26 déc. 1925, Rodière, Rec. 1065,
RD publ. 1926. 32, concl. G. Cahen-Salvador ; nouveaux
tarifs d’abonnement à un service d’eau : CE, sect., 28 avr.
2014, Anschling, Rec. 96, concl. M.-A. de Barmon, AJDA
2014. 1264, chron. A. Bretonneau et J. Lessi).
Enfin, même quand le droit de l’action administrative
semble s’aligner sur le droit commun en faisant du silence
de l’Administration une décision d’acceptation (art. L. 213-
1 S. du code des relations entre le public et
l’Administration), le nouveau principe est assorti de tant
d’exceptions que l’exorbitance perdure. L’acte administratif
unilatéral jouit ainsi d’un régime exorbitant qui exprime
tout particulièrement la puissance publique. Pourtant, sous
l’effet de mouvements contemporains, le lien entre l’acte
administratif unilatéral et la puissance publique semble se
distendre.

II/ La puissance publique par-delà


l’acte administratif unilatéral
Si l’acte administratif unilatéral est l’expression usuelle
de la puissance publique, il subit dorénavant la
concurrence d’autres moyens d’action (A), manifestant
aussi que l’autorité administrative trouve à s’exprimer hors
la puissance publique (B).

A – La concurrence d’autres moyens


d’action
Prérogatives et sujétions de puissance publique trouvent
le plus souvent leur traduction dans l’édiction d’actes
administratifs unilatéraux, mais pas nécessairement,
comme en matière d’insaisissabilité des biens publics ou
d’interdiction faite aux personnes publiques de recevoir des
libéralités. En outre, comme expression de la puissance
publique, l’acte administratif unilatéral subit une véritable
concurrence de la part d’autres moyens qu’emprunte
l’action administrative, comme les contrats administratifs
ou certaines opérations matérielles.
En premier lieu, les contrats administratifs figurent en
bonne place aux côtés des actes administratifs unilatéraux
pour exprimer la puissance publique. Certains de ces
contrats sont à mi-chemin du procédé contractuel et du
procédé unilatéral, dès lors qu’ils abritent des clauses «
réglementaires » d’organisation du service public, avec des
conséquences contentieuses propres aux actes
administratifs unilatéraux (CE 21 déc. 1906, Synd. des
propriétaires et contribuables du quartier Croix-de-Seguey-
Tivoli, Rec. 962, concl. J. Romieu, S. 1907. 3.33, note M.
Hauriou ; CE, ass., 10 juill. 1996, Cayzeele, Rec. 274, AJDA
1996. 732, chron. D. Chauvaux et T.-X. Girardot, RFDA
1997. 89, note P. Delvolvé) : par la suite, ils semblent
hériter de la puissance publique attachée aux actes
unilatéraux.
Mais d’autres contrats, comme ceux de la commande
publique, d’occupation du domaine public ou de
recrutement des agents publics, expriment également la
puissance publique du fait du régime exorbitant auquel ils
obéissent : les pouvoirs de direction et de contrôle, de
sanction (CE 31 mai 1907, Deplanque, Rec. 513, concl. J.
Romieu, S. 1907. 3.113, note M. Hauriou), de résiliation
(CE, ass., 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, Rec.
246, AJDA 1958.11.282, concl. J. Kahn) et de modification
(CE 11 mars 1910, Cie gén. fr. des tramways, Rec. 216,
concl. L. Blum, S. 1911. 3.1, concl., note M. Hauriou)
unilatéraux sont bien l’expression de la puissance publique.
Ils sont justifiés par l’intérêt général poursuivi par l’action
administrative, en vertu des règles générales applicables
aux contrats administratifs (CE 2 févr. 1983, Union des
transports publics urbains et régionaux, Rec. 33, RD publ.
1984. 212, note J.-M. Auby).
En outre, le contrat administratif, comme « mode d’action
publique et de production de normes » (Conseil d’État,
Rapport public 2008), concurrence l’acte administratif
unilatéral en ce qu’il permet, contrairement à ce dernier,
de recueillir l’adhésion des partenaires de l’Administration,
le mode conventionnel étant fondé sur la rencontre des
consentements des parties au contrat (exemple de contrat
non écrit : CE 25 juill. 2008, Institut européen
d’archéologie sous-marine, Rec. 802). Du reste, s’agissant
des cocontractants publics, le consentement émane des
personnes publiques compétentes, qui expriment alors leur
puissance publique par ce biais.
En second lieu, la puissance publique peut s’exprimer en
dehors de tout acte administratif unilatéral par la
réalisation d’opérations matérielles telles que des
constructions d’ouvrages publics, des prélèvements
d’impôts ou des opérations de police administrative. Si,
certes, des actes administratifs unilatéraux peuvent être au
fondement de ces opérations, elles n’en expriment pas
moins, à elles seules, la puissance exécutive des personnes
investies de fonctions administratives. Du reste, le Conseil
d’État considère que « ni l’article 12 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, ni aucun
autre principe constitutionnel n’exige […] que les missions
de police administrative comportant l’exercice de
prérogatives de puissance publique ne soient confiées par
des personnes publiques qu’à des fonctionnaires ou à des
agents liés à elles par des contrats de droit public » (CE 4
avr. 2012, Synd. nat. des inspecteurs de l’action sanitaire,
req. no 350952), alors qu’en l’espèce étaient en cause non
des activités de réglementation qui empruntent la voie
unilatérale, mais bien des activités matérielles de police.
Les actes unilatéraux subissent donc la concurrence
d’autres modes d’action de la puissance publique, laquelle
peut également s’effacer au profit d’autres expressions de
l’autorité administrative.

B – L’autorité hors la puissance


publique
Que l’acte administratif unilatéral soit l’expression de la
puissance publique doit être nuancé par le fait que l’action
administrative se manifeste en dehors de la seule puissance
publique à la fois à travers le service public et avec les
actes de droit souple.
D’une part, l’action administrative peut se définir sans
référence aux prérogatives de puissance publique mais
avec d’autres critères, au premier rang desquels figure le
service public. Ainsi, si le Conseil d’État considère qu’une «
personne privée qui assure une mission d’intérêt général
sous le contrôle de l’Administration et qui est dotée à cette
fin de prérogatives de puissance publique est chargée de
l’exécution d’un service public », il admet, alternativement,
que « même en l’absence de telles prérogatives, une
personne privée doit également être regardée, dans le
silence de la loi, comme assurant une mission de service
public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité,
aux conditions de sa création, de son organisation ou de
son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées
ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs
qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que
l’Administration a entendu lui confier une telle mission »
(CE, sect., 22 févr. 2007, Assoc. du personnel relevant des
établissements pour inadaptés, Rec. 92, concl. C. Verot,
AJDA 2007. 793, chron. F. Lenica et J. Boucher). Cette
clarification s’inscrit dans la lignée de jurisprudences
précédentes (CE 20 juill. 1990, Ville de Melun, Rec. 220,
AJDA 1990. 820, concl. M. Pochard).
Sans doute serait-il vain de discuter laquelle des deux
notions du service public ou de la puissance publique
exprime le mieux l’action administrative mais il n’en
demeure pas moins que l’autorité administrative ne
s’épuise nullement dans la seconde (T. confl. 9 déc. 1899,
Assoc. synd. du canal de Gignac, Rec. 731, S. 1900. 3.49,
note M. Hauriou).
D’autre part, un vaste mouvement favorise l’action
administrative teintée de souplesse davantage que de
puissance à travers le développement des actes de droit
souple. Manifestant une « normativité alternative » (CE
2013, Le droit souple), ces actes ne sont pas proprement
juridiques et, à ce titre, n’expriment pas la puissance
publique ; en revanche, ils se caractérisent par les effets,
notamment économiques, qu’ils produisent sur les
comportements et les situations des tiers. Par suite, le
Conseil d’État accepte désormais d’en connaître au
contentieux (CE, ass., 21 mars 2016, Sté Fairvesta et Sté
Numéricable [2 esp.], Rec. 77, concl. S. Von Coester et 89,
concl. V. Daumas, AJDA 2016. 717, chron. L. Dutheillet de
Lamothe et G. Odinet). Du reste, certains de ces actes
peuvent avoir deux faces, l’une qui serait celle d’un acte
administratif unilatéral et l’autre celle d’un acte de droit
souple (v. concl. G. Odinet sur CE, sect., 12 juin 2020,
GISTI, Rec. à paraître, RFDA 2020. 785, concl., note F.
Melleray, AJDA 2020. 1407, chron. C. Malverti et C.
Beaufils).
Comme avec le procédé contractuel, la souplesse de
l’action administrative couplée à l’intervention d’autorités
administratives ou publiques indépendantes, telles que
l’Autorité de la concurrence ou l’Autorité des marchés
financiers, qui se situent en dehors de l’appareil d’État
traditionnel, manifeste le reflux de la puissance publique
comme expression de l’autorité administrative.
En conclusion, si l’acte administratif unilatéral est
l’expression privilégiée de la puissance publique, celle-ci ne
s’épuise toutefois pas dans ce mode d’action publique.
Les actes de
l’Administration
Thème principal
Contrat administratif
Mots-clés
Contrat administratif, Qualification, Critère organique,
Compétence juridictionnelle
Sujet proposé et corrigé établi par
Nicolas Chifflot, Professeur, Université de Strasbourg
Premier semestre 2020-2021

〉Dissertation
Faut-il supprimer le critère organique pour l’identification
des contrats administratifs ?

〉Préparation
Analyse du sujet

Ainsi libellé, ce sujet peut surprendre. La question


posée est étonnante, voire déroutante. Elle n’exige
pas seulement d’exposer des connaissances. Elle
suppose aussi de porter un jugement, d’adopter et
de défendre un point de vue sur le droit positif. En
cela, elle correspond bien aux exigences de la
dissertation. Cette dernière ne constitue pas un
simple exercice de récitation du cours. S’il est
nécessaire d’avoir des connaissances et d’en faire
état, il est non moins exigé de l’étudiant qu’il
conduise une réflexion à partir de ses
connaissances. Quoi de mieux, ce faisant, qu’une
question qui invite directement à faire un choix et à
le défendre au moyen d’un exposé systématique et
argumenté ? Toute la difficulté (et l’intérêt) de ce
sujet réside dans la formulation d’une réponse et
dans la conception d’un plan suffisamment
dynamique pour éviter le piège de la simple
restitution du cours. Si l’étudiant doit puiser dans
ses connaissances, il doit aussi (et surtout)
démontrer qu’il a compris les enjeux que soulève la
question posée. Ce sont ces enjeux qui doivent
guider sa réflexion, lui servir de « fil rouge » et lui
permettre de construire un plan. Pour autant, que
l’étudiant se rassure ! L’auteur de ce sujet n’est (en
principe) ni cruel, ni retors. S’il a choisi de poser
une telle question, c’est qu’il existe une ou
plusieurs bonnes raisons. Comme nous le verrons,
la matière concernée, à savoir l’identification des
contrats administratifs, se prête tout
particulièrement à une telle réflexion critique.

Sur le fond, ce sujet exige de l’étudiant qu’il


maîtrise le thème des contrats de l’Administration,
plus particulièrement celui de l’identification des
contrats administratifs et l’évolution des critères
mis en œuvre, pour ce faire, par le juge
administratif.

Pour commencer, il convient d’analyser les termes


du sujet les uns après les autres avec une attention
toute particulière. Le but premier de cette
opération est d’en dégager la signification précise,
de recenser les connaissances utiles et de poser
une problématique adaptée. Dans le cas présent, la
question paraît en elle-même assez claire (au
risque, peut-être, d’être brutale). Elle exige, à cet
égard, de mobiliser des connaissances qu’un
étudiant attentif peut facilement identifier et
exposer. En outre, la problématique est assez
évidente car contenue, en grande partie, dans la
question même. Les étudiants doivent cependant
faire attention à bien répondre à cette dernière. Le
correcteur – c’est une évidence – attend une
réponse. Trop d’étudiants se sont limités à traiter,
de façon générale, des contrats (ou catégories de
contrats) de l’Administration ou des critères de leur
identification.

Certaines copies, hélas, ont franchi la ligne rouge


du hors sujet en exposant les critères matériels du
contrat administratif, sans établir de lien avec le
critère organique, ni même tenter de répondre au
sujet. Erreur fatale car il ne s’agit évidemment pas
de traiter des contrats administratifs en général, ni
même d’envisager la question de leur identification
de façon trop large. Non seulement le sujet est plus
précis (il s’agit de traiter du seul critère organique)
mais encore faut-il émettre, répétons-le, un
jugement critique, une appréciation sur la valeur, la
pertinence, l’emploi, les mérites ou les défauts
dudit critère. Ce sujet implique ainsi, au préalable,
un effort particulier de compréhension de la
question posée. Il faut questionner la question.
Celle-ci n’est pas évidente : pourquoi donc
conviendrait-il de « supprimer » le critère
organique ? Est-ce justifié ? Est-ce raisonnable ? Et
au regard de quelle exigence ou de quelle
nécessité ? Plus encore, quel est le constat qui
motive l’auteur de ce sujet ?

Plan du corrigé

Attention, il ne s’agit que d’une proposition.


D’autres plans (ou intitulés de plan) sont
évidemment possibles. Tout dépend de la réponse
donnée à la question. Cette dernière peut être
affirmative, négative et, bien sûr, formulée avec
plus ou moins nuances. De surcroît, l’ordre de
présentation des éléments de connaissance peut
valablement différer d’une copie à l’autre. Une
copie qui ne traiterait pas de tous les éléments
suivants ne serait pas pour autant mauvaise. Il est
possible, en effet, d’utiliser d’autres matériaux ou
d’approfondir certains d’entre eux, dès lors qu’ils
sont pertinents et convenablement articulés. Ce qui
compte, c’est d’abord :

- L’attention portée à la formulation d’une réponse


claire, argumentée et convaincante

- La qualité du raisonnement

- La qualité de l’expression

- Le tout appuyé par des connaissances


(suffisamment) nombreuses, précises et
rigoureuses.
I/ La présence d’une personne publique au contrat :
un principe malmené

A – Des exceptions nombreuses et complexes

B – « La vertu faussement simplificatrice du recours


au critère organique » : le cas particulier des
contrats entre personnes publiques

II/ Un effort nécessaire de simplification

A – Vers un abandon pur et simple du critère


organique ?

B – Un principe malgré tout réaffirmé

〉Corrigé
À la fin du XIXe siècle, Édouard Laferrière affirmait que «
la matière des contrats est peut-être celle où les règles de
compétences sont les plus complexes. Rien n’est plus varié,
en effet, que la nature et l’objet des conventions dans
lesquelles l’Administration peut être intéressée » (É.
Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des
recours contentieux, t. 1, 2e éd., Paris, 1896, p. 587). De
nos jours, un tel constat reste actuel. Les contrats de
l’Administration sont de deux sortes. Certains sont
assimilés à ceux des particuliers. Ils sont soumis au droit
privé, au Code civil et leur contentieux relève du juge
judiciaire. D’autres, au contraire, sont en principe régis par
des règles spécifiques. Si un litige survient à leur propos, il
est tranché par les juridictions administratives. Ces
dernières, lorsqu’il n’existe pas de textes directement
applicables en l’espèce, peuvent, comme en toute autre
matière, se référer à des règles empruntées au droit privé
ou à la jurisprudence judiciaire, voire à tel article du Code
civil. Mais elles ne sont pas tenues de le faire. Ces contrats
sont qualifiés de contrats administratifs. La question qui se
pose est de savoir comment les distinguer des autres
contrats de l’Administration.
Il arrive parfois qu’un texte qualifie expressément le
contrat. Le problème est alors résolu. Ainsi, avant qu’elle
ne soit abrogée, la célèbre loi du 28 pluviôse an VIII, en
attribuant le contentieux aux conseils de préfecture,
conférait le caractère administratif aux contrats relatifs à
l’exécution d’un travail public. De la même manière, le
Code général de la propriété des personnes publiques (art.
L. 2331-1), codifiant un décret-loi du 17 juin 1938, dispose
de nos jours que sont portés devant la juridiction
administrative les litiges relatifs aux autorisations ou
contrats comportant occupation du domaine public, quelle
que soit leur forme ou leur dénomination, accordés ou
conclus par les personnes publiques ou leurs
concessionnaires. Tout aussi clairs sont apparus les articles
3 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés
publics (« Les marchés publics relevant de la présente
ordonnance passés par des personnes morales de droit
public sont des contrats administratifs ») et de
l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de
concession (« Les contrats de concession relevant de la
présente ordonnance passés par des personnes morales de
droit public sont des contrats administratifs »). Dans l’état
actuel du droit, ces dispositions sont codifiées à l’article L.
6 du Code de la commande publique. Toutefois, à défaut de
texte, c’est au juge qu’il revient en cas de litige de
déterminer la nature du contrat en cause. Pour cela, il
utilise différents critères. Le juge prend en compte, d’une
part, la qualité des cocontractants et d’autre part, l’objet
du contrat ou ses clauses ou son régime. À un critère
organique, s’ajoutent ainsi des critères dits matériels qui
apparaissent alternatifs entre eux. Ce faisant, pour qu’il y
ait contrat administratif, au moins l’une des parties doit en
principe être une personne publique.
Si cette exigence est ancienne et régulièrement affirmée
par le juge – il s’agit d’une règle que Guy Braibant qualifiait
déjà de « claire, précise et constante » dans ses conclusions
sur l’arrêt du CE, sect., 13 déc. 1963, Synd. des praticiens
de l’art dentaire du département du Nord – elle comporte
cependant plusieurs exceptions. Cela signifie que dans
certains cas un contrat entre personnes privées peut être
administratif. Il existe également deux hypothèses qu’il
convient de mentionner mais qui ne sont pas, à proprement
parler, des exceptions. La première concerne les contrats
entre personnes privées dont l’une des parties agit comme
mandataire d’une personne publique (v. par ex. CE, sect., 2
juin 1961, Leduc, R. 365). Il y a alors mandat explicite au
sens civiliste du terme et c’est la personne publique
représentée qui est véritablement partie au contrat. Quant
à la deuxième hypothèse, elle concerne le cas où une
personne privée (par exemple une association) est regardée
comme « transparente » car elle n’a pas de véritable
autonomie par rapport à la personne publique dont elle
n’est qu’un prolongement (CE 21 mars 2007, Cne de
Boulogne-Billancourt).
Certaines jurisprudences, en revanche, font
véritablement exception. Elles sont sources, peut-on
penser, de complexité et d’incertitudes. Alors que leur
portée prête à discussion, elles ont conduit, de plus en plus,
à s’interroger sur le principe lui-même (I) et à se demander
s’il ne devrait pas y avoir une évolution, voire un abandon
pur et simple du critère organique (II).

I/ La présence d’une personne


publique au contrat : un principe
malmené
D’une manière générale, plusieurs jurisprudences
reconnaissent qu’un contrat entre personnes privées est
administratif lorsque l’une d’entre elles agit « pour le
compte » de la personne publique. Leurs contours sont
difficiles à appréhender (A). À ces hypothèses s’ajoute le
cas particulier des contrats conclus entre personnes
publiques qui fait l’objet d’une solution composite (B).

A – Des exceptions nombreuses et


complexes
Un premier exemple est donné par une jurisprudence
aujourd’hui en voie d’extinction, depuis que le Tribunal des
Conflits y a mis un terme par un arrêt Mme Rispal (T. confl.
9 mars 2015, Mme Rispal c/ Sté des autoroutes du Sud de
la France, no 3984). Dans cette décision, le juge est revenu
sur la solution adoptée par l’arrêt Sté Entreprise Peyrot de
1963 (T. confl. 8 juill. 1963, Sté Entreprise Peyrot c/ Sté de
l’autoroute Estérel-Côte d’Azur) qui admettait, dans un
litige portant sur la construction et l’exploitation d’une
autoroute, que « la construction de routes nationales a le
caractère de travaux publics et appartient par nature à
l’État ». Cette décision précisait que les marchés passés
par un concessionnaire agissant dans ces conditions « pour
le compte de l’État » devaient être soumis aux règles du
droit public, même si ce concessionnaire était une
personne morale de droit privé. Par la suite, cette
jurisprudence avait été étendue et précisée, s’appliquant
par exemple à la construction de tunnels routiers (CE 24
avr. 1968, Sté concessionnaire française pour la
construction et l’exploitation du tunnel routier sous le
Mont-Blanc) ou encore à la réalisation d’une sculpture sur
une aire d’autoroute par une artiste (T. confl. 12 nov. 1984,
Sté d’économie mixte du tunnel de Sainte-Marie-aux-
Mines). Alors qu’elle n’avait cessé d’être discutée, cette
jurisprudence a donc été abandonnée à l’occasion de la
décision Mme Rispal du 9 mars 2015 qui précise désormais
qu’« une société concessionnaire d’autoroute qui conclut
avec une autre personne privée un contrat ayant pour objet
la construction, l’exploitation ou l’entretien de l’autoroute
ne peut, en l’absence de conditions particulières, être
regardée comme ayant agi pour le compte de l’État ».
Parmi les raisons qui ont conduit à ce revirement de
jurisprudence, figure sans doute la disparition de l’une des
justifications de l’arrêt Sté entreprise Peyrot, à savoir le
caractère très particulier, dans les années 1960, de la
construction et de l’exploitation des autoroutes par des
personnes autres que l’État. De nos jours, le contexte des
travaux autoroutiers a indéniablement évolué puisque la
part d’intervention de l’État dans leur réalisation est
beaucoup plus limitée et que les sociétés concessionnaires
ne sont plus des sociétés d’économie mixte que l’État
contrôle, mais des sociétés de droit privé autonomes
auxquelles les autoroutes sont concédées.
Pour autant, la solution de la jurisprudence Mme Rispal
ne constitue pas une rupture franche et nette. En effet, il
est admis que ces contrats demeurent administratifs
lorsque sont reconnues des « conditions particulières ».
Mais quelles sont-elles ? En outre, cette décision détermine
l’application dans le temps de la nouvelle jurisprudence en
précisant qu’elle ne vaudra pas pour les contrats conclus
antérieurement. Autrement dit, les litiges qui
surviendraient à propos de contrats conclus avant le 9 mars
2015 demeurent régis par les principes de la jurisprudence
Sté Entreprise Peyrot qui ne disparaît donc pas
complètement de notre droit positif.
Du reste, ce dernier connaît encore d’autres hypothèses
dans lesquelles deux personnes privées peuvent être à
l’origine d’un contrat administratif. En effet, dans l’affaire
Sté Entreprise Peyrot, c’est principalement l’objet du
contrat (à savoir la construction de routes nationales) qui a
permis au juge de considérer que la personne privée
agissait pour le compte de la personne publique. Toute
autre chose est la jurisprudence issue des arrêts du Conseil
É
d’État, sect., 30 mai 1975, Sté d’équipement de la région
montpelliéraine et du Tribunal des conflits, 7 juill. 1975,
Cne d’Agde qui s’attachent, quant à eux, à rechercher
l’intensité du lien entre la personne publique et la personne
privée pour en conclure que la seconde peut agir, le cas
échéant, pour le compte de la première.
Dans la première affaire, un marché avait pour objet la
construction de voies publiques. Il avait été passé entre
deux personnes morales de droit privé, une société
d’économie mixte (concessionnaire d’une zone à urbaniser)
et une entreprise. Le Conseil d’État a cependant jugé que
le contrat qui les liait était un contrat administratif. Pour ce
faire, il a adopté la méthode dite du « faisceau d’indices ».
Pour l’exécution de ce contrat, il a relevé que la société
concessionnaire recevait des subventions attribuées aux
collectivités locales pour la construction des voies
publiques, mais aussi qu’elle devait remettre les voies et
ouvrages construits dès leur achèvement et que les
collectivités publiques lui étaient substituées de plein droit
pour toute action en responsabilité découlant de
dispositions du code civil. Voilà pourquoi, selon le Conseil
d’État, « pour la construction de ces voies, la société
d’équipement agissait non pas pour son compte propre, ni
en sa qualité de concessionnaire, mais pour le compte des
collectivités publiques auxquelles les voies devaient être
remises ». Pour illustrer cette hypothèse, on peut encore
mentionner l’arrêt du Conseil d’État, sect., 18 juin 1976,
Dame Culard relatif à des contrats de prêts consentis pour
le compte de l’État par le Crédit foncier de France (société
commerciale de droit privé) à des citoyens français
propriétaires d’immeubles en Tunisie et destinés à faciliter
leur réinstallation en France. Plus récemment, le Conseil
d’État a également appliqué cette solution aux contrats par
lesquels la société de droit privé Aéroports de Paris avait
confié l’exécution des missions de police administrative des
aérodromes à une autre société de droit privé. En l’espèce,
son raisonnement fut le suivant : dans la mesure où la loi
prévoit que les agents de cette société doivent être
préalablement agréés par le préfet et le procureur de la
République, et que de telles missions restent assurées sous
l’autorité du préfet, « la mission d’inspection et de filtrage
des passagers, des personnels et des bagages exécutée par
les cocontractants des exploitants d’aéroports, est réalisée
pour le compte de l’État et sous son autorité » (CE 3 juin
2009, Sté Aéroports de Paris, req. no 323594).
En somme, qu’il soit fait appel au lien qui existe entre la
personne privée contractante et la personne publique ou,
avant le 9 mars 2015, à l’objet du contrat en matière de
travaux autoroutiers, il apparaît qu’un contrat entre deux
personnes privées peut parfaitement être administratif si
l’une d’elles agit « pour le compte d’une personne publique
». Cela rappelle évidemment les solutions traditionnelles
relatives au mandat. Toutefois, l’hypothèse demeure très
singulière. La jurisprudence repose en effet sur une idée «
de représentation et de mandat administratif, qui est plus
souple que celle de mandat civil » (B. Genevois, concl. sur
l’arrêt Leduc, préc.). Ce « faux mandat », comme l’ont
affirmé plus récemment deux membres du Conseil d’État,
manifeste un « courant de jurisprudence [qui] joue surtout
un rôle finaliste : il garantit l’application du régime du
contrat administratif et la compétence du juge administratif
dans des situations où l’Administration est omniprésente en
arrière-plan d’un opérateur disposant d’une très faible
autonomie pour l’exécution du contrat » (J. Lessi et L.
Dutheillet de Lamothe, chron. AJDA 2015. 1204).
Certes, mais ne serait-il pas plus simple, dans la plupart
des cas, de recourir à un mandat explicite, au sens civiliste
? C’est aussi ce que suggèrent deux autres membres du
Conseil d’État qui, pour leur part, semblent constater – et
appeler de leurs vœux – le « crépuscule » du mandat
administratif. « Cette notion […] s’apparente davantage à
une nébuleuse obscure, à savoir une nébuleuse qui bloque
la lumière, par opposition à une nébuleuse diffuse, qui
l’émet ou la réfléchit » (S. Roussel et C. Nicolas, chron.
AJDA 2018. 267). On ne saurait mieux dire, et cela d’autant
plus que le Tribunal des conflits a récemment limité le
champ d’application de cette théorie, jugeant que « le
titulaire d’une convention conclue avec une collectivité
publique pour la réalisation d’une opération
d’aménagement ne saurait être regardé comme un
mandataire de cette collectivité, sauf s’il résulte des
stipulations qui définissent sa mission ou d’un ensemble de
conditions particulières prévues pour l’exécution de celle-ci
que la convention doit en réalité être regardée comme un
contrat de mandat, par lequel la collectivité publique
demande seulement à son cocontractant d’agir en son nom
et pour son compte » (T. confl. 11 déc. 2017, Cne de
Capbreton, req. no 4103).
Enfin, on notera encore que sont administratifs les
contrats passés entre personnes privées qui « constituent
l’accessoire d’un contrat de droit public » (T. confl. 8 juill.
2013, Sté d’exploitation des énergies photovoltaïques c/
EDF et ERDF, req. no C3906). Dans cette hypothèse, se
pose évidemment la question de savoir ce qu’est – ou pas –
un contrat « accessoire ». En l’espèce, il a par exemple été
jugé que les contrats de raccordement au réseau
d’installations de production d’électricité photovoltaïque ne
sont pas l’« accessoire » d’un contrat d’achat d’électricité,
lui-même contrat administratif en vertu de la loi (ils
relèvent donc, en cas de litige, de la compétence du juge
judiciaire).
Que penser, somme toute, de ces diverses exceptions, si
ce n’est qu’elles affaiblissent la portée du principe et
qu’elles sont sources, en la matière, de complexité et
d’incertitudes ?
B – « La vertu faussement
simplificatrice du recours au critère
organique » : le cas particulier des
contrats entre personnes publiques
Concernant les contrats entre personnes publiques, le
Tribunal des conflits a consacré une solution qui, en
apparence, a le mérite de la simplicité (T. confl. 21 mars
1983, Union des assurances de Paris et autres c/ Secrétaire
d’État aux P et T).
En pareil cas, il a jugé que le contrat est présumé être
administratif. Quoi de plus logique, en effet, puisque deux
personnes publiques sont parties au contrat, ce qui laisse
présager d’une gestion publique. Cependant, une telle
présomption n’a rien d’irréfragable. Ainsi, le Tribunal des
conflits a-t-il précisé qu’« un contrat conclu entre deux
personnes publiques revêt en principe un caractère
administratif, impliquant la compétence des juridictions
administratives pour connaître des litiges portant sur les
manquements aux obligations en découlant, sauf dans les
cas où, eu égard à son objet, il ne fait naître entre les
parties que des rapports de droit privé ».
Sont ainsi de droit privé, par exemple, les contrats passés
entre une collectivité territoriale et un établissement public
si la première est un usager du service public industriel et
commercial confié au second (tel était le cas, notamment,
des contrats d’abonnement à l’électricité et au gaz liant
une commune à EDF et GDF, avant que ces dernières
entreprises ne deviennent des personnes privées).
De surcroît, la jurisprudence ultérieure a aussi admis que
le contrat pouvait redevenir administratif s’il répondait aux
critères classiques du contrat administratif passé entre une
personne publique et une personne privée. Ainsi, dans sa
décision du 15 nov. 1999, Cne de Bourisp c/ Cne de Saint-
Lary-Soulan, le Tribunal des conflits a considéré – au terme
d’un raisonnement passablement complexe – qu’un contrat
conclu entre deux personnes publiques (présomption
d’administrativité) relatif à la gestion de leur domaine privé
(renversement de la présomption) pouvait néanmoins être
administratif s’il comportait des « clauses exorbitantes du
droit commun ».
Plus récemment, le Tribunal des conflits a aussi jugé que
le contrat par lequel une personne publique cède des biens
immobiliers faisant partie de son domaine privé est, « en
principe », un contrat de droit privé, y compris lorsque
l’acquéreur est une autre personne publique, sauf si le
contrat a pour objet « l’exécution d’un service public » ou
s’il comporte des « clauses qui impliquent, dans l’intérêt
général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats
administratifs » (T. confl. 4 juill. 2016, Cne de Gélaucourt c/
Office public de l’habitat de Toul, req. no 4057).
Sur ce point, ainsi que l’écrit notamment C. Guettier
(Droit des contrats administratifs, PUF, coll. « Thémis », 3e
éd., 2011, p. 123), on ne peut que constater « la vertu
faussement simplificatrice du recours au critère organique
dans le processus de qualification des contrats entre
personnes publiques ».

II/ Un effort nécessaire de


simplification
A – Vers un abandon pur et simple du
critère organique ?
Il est parfaitement admis qu’un acte administratif
unilatéral peut avoir pour auteur une personne privée.
Aussi, pour quelle raison un contrat ne pourrait-il pas être
plus largement reconnu comme étant administratif alors
même qu’il est passé entre deux ou plusieurs personnes
privées ?
En la matière, les interrogations ne sont pas nouvelles.
Ainsi, après avoir rappelé le principe du caractère non
administratif des contrats conclus entre personnes privées,
René Chapus estimait qu’« il est difficile de savoir et de
comprendre pourquoi. Mais la jurisprudence est certaine,
insensible aux objections et abondamment illustrée » (R.
Chapus, Droit administratif, t. 1, Montchrestien, 15e éd.,
2001, no 739). Dans les années 1960, ce débat fut
notamment illustré par le contentieux lié à la politique
d’aide à l’agriculture. Ainsi, pour des interventions tout à
fait comparables, le juge a considéré qu’il y avait contrats
administratifs si ces derniers étaient conclus par une
personne publique (T. confl. 24 juin 1968, Sté « Distilleries
bretonnes »), mais non s’ils l’étaient par une personne
privée (T. confl. 3 mars 1969, Sté interprofessionnelle du
lait et de ses dérivés « Interlait » c/ Sté de participation
dans l’industrie alimentaire « Sapiem »).
Dans cette dernière affaire, le commissaire du
gouvernement N. Mathey proposait d’ailleurs un important
revirement de jurisprudence. Si le Tribunal des conflits ne
l’a pas suivi, sa formule, particulièrement éclairante, mérite
encore d’être citée : « Sans qu’il soit nécessaire de retracer
dans le détail une évolution que nul, au reste, ne peut
ignorer, il est permis de dire que, depuis un quart de siècle,
l’effort le plus intéressant de la jurisprudence du Conseil
d’État, consacrée et même, à l’occasion, devancée par celle
du Tribunal des conflits, tend à dissocier, dans l’analyse des
rapports de droit, le régime applicable à ces rapports eux-
mêmes de la qualité des personnes qui les entretiennent ;
en d’autres termes, il n’y a plus, en général, de
correspondance automatique entre la nature, publique et
privée, d’un acte juridique et la qualité de personne
publique ou de personne privée de son auteur ». Et de
conclure que « la logique rejoint le besoin de simplicité
pour justifier le rejet total du critère organique ».

B – Un principe malgré tout réaffirmé


Si cette dernière doctrine ne s’est pas imposée, c’est que
le critère organique présente pour le juge administratif
d’importants avantages. Jouant un rôle finaliste, il permet
l’application du régime du contrat administratif et la
compétence du juge administratif dans des situations où
l’Administration est présente, mais sans autoriser, à lui
seul, une telle qualification. Le critère organique est
nécessaire mais insuffisant. Il doit être combiné avec
d’autres critères, ce qui permet d’éviter que l’ensemble des
contrats conclus par des personnes publiques ne
ressortissent à la compétence du seul juge administratif, au
risque d’encombrer son prétoire. Le critère organique
permet non moins de contrebalancer le rôle des critères
matériels dont l’emploi n’est pas toujours évident. On peut
songer, sur ce point, à la présence d’une « clause qui,
notamment par les prérogatives reconnues à la personne
publique contractante dans l’exécution du contrat,
implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime
exorbitant des contrats administratifs » (T. confl. 13 oct.
2014, SA Axa France IARD, req. no 3963). En d’autres
termes, le critère organique est utile au juge car, dans son
principe même, il est suffisamment simple, clair et souple
pour lui permettre d’adapter les solutions jurisprudentielles
et faire varier, au gré des espèces et des exigences du
moment, le domaine des contrats administratifs. De la
même façon, les exceptions au principe peuvent s’expliquer
par la volonté du juge de s’adapter aux réalités de l’action
administrative et notamment aux interventions croissantes
d’organismes privés remplissant des fonctions
administratives.
À notre époque, il est vrai que le droit de l’Union
européenne pourrait conduire à reconsidérer la question.
Ainsi que le constatait le Conseil d’État dans son Rapport
public 2008, « ce droit privilégie les critères matériels ou
fonctionnels et ne tient aucun compte des critères
organiques, ce qui le différencie nettement de l’approche
française traditionnelle du contrat administratif dans
laquelle les critères organiques ou les concepts liés au
service public jouent un grand rôle ». Pour autant, le pas
n’a toujours pas été franchi, comme en témoignent les
évolutions récentes du droit administratif français, qu’il
s’agisse de l’abandon de la jurisprudence Sté Entreprise
Peyrot qui traduit un retour du critère organique ou encore
des textes relatifs aux marchés publics et aux contrats de
concession qui, même s’ils s’appliquent à des contrats de
personnes publiques et privées, ne réservent qu’aux seuls
contrats conclus par les personnes publiques la
qualification de contrat administratif.
En définitive, la qualification des contrats administratifs,
dans le silence des textes, demeure une opération
complexe, voire incertaine. Il convient toujours de
rechercher la présence d’une personne publique en tenant
compte de diverses exceptions et, parallèlement, de
s’interroger sur la participation à l’exécution même d’un
service public ou la présence d’une éventuelle clause
exorbitante ou d’un régime exorbitant. À l’évidence, une
telle opération n’est pas exempte de subjectivité et peut
susciter des hésitations à chaque étape du raisonnement,
ce qui nuit également à l’exigence contemporaine de
sécurité juridique.
Malgré tout, on remarquera que ces difficultés
d’identification ne sont pas propres aux seuls contrats.
Nombreuses sont les notions du droit administratif (ou
celles d’autres disciplines juridiques) qui sont affectées,
peu ou prou, du même coefficient d’incertitude. Que l’on
songe, par exemple, à l’acte administratif unilatéral, aux
notions de service public, de prérogatives de puissance
publique, de domaine public, de travaux publics, d’agent
public, etc. En cela réside, depuis toujours, le pouvoir du
juge administratif dont l’appréciation reste primordiale. De
là procède non moins, pour l’étudiant comme pour le
spécialiste, le charme ineffable du droit administratif.
Les fonctions de
l’Administration
Thème principal
Service public
Mots-clés
Service public, Pouvoir réglementaire, Acte de
gouvernement, Sources internationales, Droit souple
Sujet proposé et corrigé établi par
Carole Gallo, Professeure, Université de Lille
Premier semestre 2020-2021

〉Cas pratique
M. Rossignol, habitant la petite ville de Bergues, rencontre
plusieurs déconvenues en ce début d’année. Il vous
consulte sur les affaires suivantes.
1. En premier lieu, M. Rossignol, qui travaille depuis
plusieurs années comme directeur du musée d’art et
d’histoire de la ville, espère pouvoir rouvrir prochainement
les portes de son établissement. Après des mois de
fermeture au public en raison de la crise sanitaire, il entend
bien offrir le meilleur accueil possible aux futurs visiteurs du
musée. Le 20 décembre dernier, il a ainsi modifié deux
dispositions du règlement intérieur de l’établissement et a,
dans la foulée, procédé à son affichage sur le site internet
du musée :
Article 1 : Le musée contribue à la diffusion de la culture,
au progrès de la connaissance et à la mise en œuvre
d’actions éducatives.
Article 2 modifié : Dans le respect des œuvres d’art et des
autres visiteurs, les selfies sont formellement interdits dans
les salles d’exposition.
Article 3 modifié : Le personnel occupant des postes de
sécurité et d’accueil du public est soumis à une tolérance «
zéro alcool » sur le lieu de travail.
Un gardien du musée, M. Bourguignon, bien connu dans la
commune pour son originalité et son goût des procès, a
décidé de saisir le tribunal des prud’hommes pour contester
ces dispositions.
M. Rossignol est fort perplexe car, selon lui, un tel recours
ne peut être porté que devant la juridiction administrative
qui, dit-on, ne condamne jamais l’Administration.
Sans vous intéresser aux chances de succès de l’action
entreprise par M. Bourguignon, ni exposer les modalités de
celle-ci, il vous est demandé d’indiquer à M. Rossignol la
juridiction compétente pour contester les dispositions
modifiées du règlement intérieur et de lui expliquer les
raisons juridiques de sa compétence. (6 points)
2. En second lieu, M. Rossignol est depuis quelques années
le président de l’« Association des conservateurs des
musées des Hauts-de-France ». Il voudrait que les biens
culturels d’importance nationale soient mieux protégés
contre l’exportation. Par conséquent, l’association a décidé
de demander au Premier ministre de déposer à l’Assemblée
nationale un projet de loi allant dans ce sens. Leur demande
étant restée sans réponse, l’association a introduit un
recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État
contre la décision implicite de refus du Premier ministre. Le
Conseil d’État a rejeté leur recours au motif qu’une telle
décision échappe à la compétence de la juridiction
administrative. Face à cet échec, M. Rossignol est
désemparé : il ne comprend pas la position du juge
administratif. Que lui conseillez-vous ? (4 points)
3. En troisième lieu, M. Rossignol se préoccupe également
de la question de l’amélioration de l’accessibilité de son
établissement aux personnes handicapées. Une directive du
13 avril 2019 dont le délai de transposition expire le 1er mai
2021 a imposé à tous les gestionnaires d’établissements
recevant du public, quels qu’ils soient, de permettre à tous
les clients ou usagers qui le souhaitent de pouvoir entrer et
bénéficier de leurs prestations, en rendant leur local
accessible. De son côté, le ministre des solidarités et de la
santé a pris un arrêté le 13 décembre 2020 pour adapter sa
stratégie d’accessibilité aux personnes handicapées. Il
prévoit cependant des dispositions dérogatoires pour
certains établissements recevant du public, plus
précisément les établissements culturels qui se voient
dispensés de telles obligations. La directive ne réservait
cependant de tels aménagements pour aucune catégorie
d’établissements recevant du public. Que peut faire
l’association ? (5 points)
4. Enfin, et en dernier lieu, M. Rossignol a une amie, Mme
Merle, qui travaille depuis plus de deux ans à la Mairie de
Lille. Actuellement en congé de maladie, elle a pris
connaissance d’une « note » adressée aux agents de la
commune le 6 janvier 2021, par laquelle le directeur des
affaires générales indique que : « Le Trésor public nous a
informés qu’un agent ne peut pas prétendre au versement
des primes liées à l’exercice des fonctions durant une
période de congé de maladie ». La note s’achevait par ces
mots : « désolé pour cette mauvaise nouvelle, mais c’est la
loi, nous sommes obligés de l’appliquer ». Mme Merle est
outrée : avant cette note, selon une pratique ancrée dans la
commune, aucune retenue n’était opérée pendant le congé
de maladie. Elle entend contester la note en justice et M.
Rossignol vous sollicite pour connaître les voies de droit et
les chances de succès de son action. (5 points)

〉Préparation
Analyse du sujet

Le cas pratique a été donné aux étudiants de


l’Université de Lille à l’examen de janvier 2021. Il
couvre les principaux thèmes abordés au premier
semestre : la définition organique et matérielle de
l’Administration, les actes administratifs
unilatéraux, la hiérarchie des normes et la
recevabilité du recours pour excès de pouvoir.

Le cas pratique n’est ni un exercice


d’improvisation, ni un prétexte à l’exposé de
connaissances générales. On sanctionnera surtout
l’aspect « récitation de cours » : cela suppose en
particulier de ne pas exposer « en bloc » les règles
de droit pour ensuite les appliquer « en bloc » au
cas concret. Au contraire, le syllogisme juridique
implique de séquencer le propos et d’évoluer par
étapes dans la résolution du cas pratique. Il s’agit
de vérifier que l’étudiant est capable de raisonner
en juriste, c’est-à-dire de faire le lien entre les faits
de l’espèce et ses connaissances, d’expliquer en
permanence les questions soulevées par l’affaire et
de démontrer le bien-fondé des solutions
apportées. On en déduit immédiatement que
l’élément central du raisonnement – et la véritable
difficulté du cas pratique – réside dans la déduction
de la mineure du syllogisme. De sorte que si la
solution est fausse, mais que la réponse résulte
d’argumentations et de justifications tirées de
l’énoncé de la règle de droit, l’exercice est compris.

Plan du corrigé

I/ Le règlement intérieur du musée


II/ Le refus du Premier ministre de déposer un
projet de loi

III/ L’accessibilité du musée aux personnes


handicapées

IV/ La note de service du directeur des affaires


générales

〉Corrigé
I/ Le règlement intérieur du musée
La première question invite les étudiants à s’interroger
sur la juridiction compétente pour connaître des
dispositions du règlement intérieur du musée.
La véritable difficulté réside ici dans le caractère
progressif des questions, qui délimitent le travail à faire : la
première concerne le statut juridique du musée ; la
seconde est relative à la nature de l’activité assurée par le
musée ; la dernière concerne la nature des dispositions
contestées du règlement intérieur. De la réponse à ces
questions, dépendra la solution du cas pratique. Il faut
donc prendre garde à l’ordre des questions et le respecter
scrupuleusement dans l’utilisation des éléments de
réponse.
Dans un premier temps, il convient de se demander si le
musée est un organisme de droit public ou de droit privé.
On sait qu’en l’absence de qualification légale, le juge
administratif recourt à la technique du faisceau d’indices
pour déterminer la nature de l’organisme en cause (CE,
sect., 13 janv. 1961, Magnier ; T. confl. 20 novembre 1961,
Centre régional de lutte contre le cancer « Eugène Marquis
» ; CE 4 avr. 1962, Chevassier). Parmi les indices pris en
compte, figurent l’initiative de la création, l’octroi de
prérogatives de puissance publique, la nature de la tâche
assumée, les règles d’organisation et de fonctionnement de
l’organisme, le degré de contrôle auquel il est soumis de la
part d’une personne publique ou encore l’origine des
ressources, etc. L’étudiant doit savoir qu’en pareille
situation, la qualification retenue par le juge administratif
procède moins d’un raisonnement déductif, qui serait
typique du syllogisme juridique, que d’une impression
d’ensemble. Au regard du faisceau d’indices, et en
l’absence de précisions dans le cas pratique, on peut tout
aussi bien soutenir – sous réserve de l’appréciation
souveraine du juge – que le musée est un établissement
public ou un organisme privé. Toutefois, les formules « ne
condamne jamais l’Administration » et le lien avec la
commune – « musée d’art et d’histoire de la ville » donne
l’impression d’ensemble qu’il s’agit davantage d’une
personne morale de droit public, et plus précisément, d’un
établissement public.
Dans un deuxième temps, il convient de se demander si le
musée, public ou privé, est investi d’une mission de service
public. Sans rentrer dans les détails de la qualification de
service public (second semestre), l’étudiant peut utiliser
ses connaissances, et s’appuyer sur l’article 1er du
règlement intérieur, pour établir la mission de service
public du musée. La réponse à cette question ne préjuge
pas nécessairement du caractère d’établissement public du
musée, car on sait, depuis la décision Caisse Primaire «
Aide et Protection » (CE, ass., 13 mai 1938), qu’un
organisme privé peut être investi d’une mission de service
public – sans délégation contractuelle préalable – et agir,
dans ce cadre, en qualité d’autorité administrative sous le
contrôle de la personne publique (CE 31 juill. 1942,
Monpeurt ; CE 2 avr. 1943, Bouguen). En l’espèce, les deux
hypothèses sont à envisager. Toutefois, si le musée est un
établissement public, la qualification de service public ne
pose guère de difficulté, dans la mesure où, sauf rares
exceptions, ces personnes publiques spécialisées sont
créées en vue d’exercer une mission particulière, plus
précisément, pour gérer un service public. En revanche, si
le musée est une personne privée, la qualification de
service public est d’importance, dans la mesure où elle
commande l’application du droit administratif à certaines
de ses activités. Dans les deux cas – que le musée soit
qualifié d’établissement public ou d’organisme privé en
charge d’une mission de service public –, un élément de
régime juridique commun transparaît : les actes pris pour
l’organisation du service public sont des actes
réglementaires (CE 31 juill. 1942, Monpeurt ; CE 2 avr.
1943, Bouguen) et leur contentieux relèvera de la
compétence du juge administratif (Cons. const. 23 janv.
1987, Conseil de la concurrence).
À ce stade, l’étudiant aura qualifié le musée
d’établissement public ou d’organisme privé en charge d’un
service public. Les deux réponses sont valables. Toutefois,
la première offre davantage d’intérêt quant à la troisième
étape du cas pratique, à savoir la nature des dispositions
du règlement intérieur contesté.
Dans un troisième temps, l’étudiant est invité à envisager
les possibles fondements du pouvoir réglementaire du
directeur du musée.
Une seule hypothèse est possible si le musée est un
organisme privé en charge d’un service public : seuls les
actes pris, par la personne privée, pour l’organisation du
service public culturel (service public dont les missions
sont en partie exposées à l’article 1er) sont des actes
réglementaires. L’étudiant pourra convoquer les arrêts
précités Monpeurt et Bouguen pour justifier le caractère
réglementaire de l’une au moins des dispositions du
règlement intérieur (plus probablement l’article 2) et, par
conséquent, la compétence du juge administratif (recours
pour excès de pouvoir) pour en connaître.
Trois hypothèses, d’une pertinence inégale, sont en
revanche possibles si le musée est bien un établissement
public :
Le directeur du musée exerce-t-il un pouvoir
réglementaire d’organisation du service public culturel
(service public dont les missions sont en partie exposées à
l’article 1) ? La jurisprudence reconnaît de manière
constante au président ou au directeur général d’un
établissement public un pouvoir réglementaire
d’organisation du service public (CE 4 févr. 1976, Section
syndicale CFDT du centre psychothérapeutique de Thuir).
Le directeur du musée exerce-t-il un pouvoir
réglementaire de chef de service ? L’étudiant doit ici citer
la jurisprudence Jamart, par laquelle le Conseil d’État a
reconnu au chef de service, c’est-à-dire à l’autorité la plus
élevée d’une Administration, un pouvoir réglementaire,
inhérent à sa fonction, de prendre les mesures nécessaires
au bon fonctionnement du service placé sous sa direction
(CE, sect., 7 févr. 1936, Jamart). Son champ d’application
est toutefois limité aux mesures purement internes au
service. Il peut s’agir d’encadrer les conditions d’accès des
usagers au service, ou encore de réglementer la situation
des agents placés sous ses ordres, s’agissant notamment de
leurs conditions de travail et de rémunération (CE, sect., 24
avr. 1964, Synd. nat. des médecins des établissements
pénitentiaires).
Le directeur de musée exerce-t-il un pouvoir
réglementaire de police administrative spéciale ? Ce
pouvoir réglementaire a été abordé au premier semestre au
titre des fondements de la compétence de l’autorité
administrative, indépendamment donc de l’étude précise de
la police administrative (second semestre). La formulation
de l’hypothèse a son mérite, tout autant que le fait de
l’écarter en l’espèce. Elle se révèle non valable dans la
mesure où, en l’état actuel, et à notre connaissance, la loi
ne confie pas aux directeurs de musées publics un pouvoir
de police administrative spéciale, faute d’un ordre public
spécial à protéger. Notons toutefois qu’un tel pouvoir a par
exemple été attribué par la loi aux présidents d’universités,
qui ont reçu compétence pour maintenir l’ordre et la
sécurité dans l’enceinte et les locaux universitaires (C.
éducation, art. L. 712-2).
Sans préjuger de la légalité – assez douteuse – des
dispositions contestées du règlement intérieur du musée, il
est possible de déduire la nature réglementaire de l’article
2 du règlement intérieur du fondement de l’organisation du
service public culturel ; quant à l’article 3, il semble
davantage fondé sur le pouvoir d’organisation interne du
service qui incombe, au sein d’un établissement public, au
chef de service. Jusqu’à nouvel ordre en revanche, aucune
loi ne délègue aux directeurs de musées publics un pouvoir
de police administrative. Ce fondement est donc à écarter.
Dès lors que les dispositions contestées du règlement
intérieur peuvent, à plusieurs titres, être qualifiées d’acte
réglementaire, la juridiction compétente pour connaître de
leur légalité sera sans doute la juridiction administrative
(Cons. const. 23 janv. 1987, Conseil de la concurrence), et
non le Tribunal des Prud’hommes.

II/ Le refus du Premier ministre de


déposer un projet de loi
La deuxième question ne présente guère de difficulté. Elle
invite les étudiants à s’intéresser à la problématique des
actes de gouvernement et de leur justiciabilité.
L’étudiant doit ici expliquer à M. Rossignol la solution
retenue par le Conseil d’État. Pour ce faire, il faudra
procéder à la qualification de la décision de refus du
Premier Ministre de déposer un projet de loi à l’Assemblée
nationale.
Il convient d’observer que la décision de refus s’inscrit
dans le cadre des rapports, établis par la Constitution,
entre le Premier ministre et l’Assemblée nationale, à savoir
deux pouvoirs constitués. On est logiquement conduit à se
demander si la décision de refus du Premier ministre
constitue ce que l’on appelle un acte de gouvernement.
La théorie moderne des actes de gouvernement, issue de
la décision Prince Napoléon (CE 19 févr. 1875, Prince
Napoléon), a pour résultat que les actes de gouvernement
ne se rencontrent que dans deux domaines bien délimités.
Le premier domaine est celui des actes administratifs
mettant en cause les relations internationales de la France,
à l’exception de ceux qui peuvent en être détachés. Par
exemple, la décision d’engager les forces françaises à
l’étranger (CE 5 juill. 2000, Mégret), la décision de
reprendre des essais nucléaires (CE, ass., 29 sept. 1995,
Assoc. Greenpeace France) ou encore la reconnaissance
d’un statut diplomatique (CE 30 déc. 2015, Dupin) ont été
considérées comme des actes de gouvernement. Le second
domaine regroupe les actes mettant en cause les relations
entre les pouvoirs publics constitutionnels, plus
précisément, ceux mettant en cause le pouvoir exécutif
dans ses rapports avec les autres pouvoirs constitués. Il en
va ainsi notamment des actes par lesquels le président de
la République met en œuvre ses pouvoirs propres, comme
la décision de nommer un membre du Conseil
constitutionnel (CE, ass., 9 avr. 1999, Mme Ba) ou de
dissoudre l’Assemblée nationale (CE 26 mai 2006, Hoffer).
De la même manière, constituent un acte de gouvernement
les décisions liées à la procédure législative telles que le
refus de déposer un projet de loi (CE 29 nov. 1968,
Tallagrand).
Dans le cas présent, il s’agit de déterminer si la décision
du Premier Ministre peut être rattachée à l’une de ces deux
catégories. La première catégorie peut d’emblée être
écartée. En effet, les faits de l’espèce ne touchent en rien
aux relations diplomatiques. En revanche, il semble
possible de considérer que la décision de refus est un acte
mettant en cause les rapports entre les pouvoirs constitués.
En effet, la décision attaquée affecte les relations entre
l’exécutif et l’Assemblée nationale. En outre, comme dans
la jurisprudence Tallagrand, il s’agit bien d’une décision de
refus de déposer un projet de loi.
Par conséquent, cette décision apparaît bien comme un
acte de gouvernement. Le propre de cette catégorie est de
viser des actes qui, tout en étant pourtant administratifs,
ne sont pas susceptibles de recours et bénéficient d’une
immunité juridictionnelle. Certes, on peut soutenir qu’il y a
actuellement un rétrécissement de la catégorie des actes
de Gouvernement au nom de la protection des droits des
administrés (CE, sect., 25 sept. 1998, Mégret), ce qui est
d’autant plus aisé que leur identification repose sur une
distinction entre politique et Administration et dépend
largement de l’appréciation du juge.

III/ L’accessibilité du musée aux


personnes handicapées
Cette question invite les étudiants à s’intéresser à la
thématique de la hiérarchie des normes et plus
précisément de la transposition des directives de l’Union
européenne dans l’ordre interne.
En l’occurrence, il est évident qu’il existe une
contradiction entre d’un côté la directive qui pose de
manière claire, précise et inconditionnelle un objectif
d’accessibilité pour l’ensemble des catégories
d’établissements recevant du public (ERP) et l’arrêté qui
réserve un sort spécifique à certains ERP, en l’occurrence,
les musées. Le problème ici est que le délai de
transposition de la directive expire en mai 2021.
Formellement, l’obligation de transposition qui pèse sur
l’État ne sera donc exigible qu’à cette date. Toutefois, le
Conseil d’État estime, conformément à la jurisprudence de
la CJUE (CJUE 18 déc. 1997, ASBL Inter-environnement
Wallonie, aff. C-129/96), que si, pour atteindre le résultat à
l’issue du délai qui leur est imparti par une directive, les
autorités nationales restent seules compétentes pour
décider de la forme à donner à l’exécution de ces directives
et pour fixer elles-mêmes, sous le contrôle des juridictions
nationales, les moyens propres à leur faire produire leurs
effets en droit interne, « elles ne peuvent légalement
prendre […] pendant le délai imparti par la directive, des
mesures de nature à compromettre sérieusement la
réalisation du résultat prescrit » (CE 10 janv. 2001, Assoc.
France nature environnement). Or, tel peut être le cas de
l’arrêté litigieux, qui est susceptible d’être regardé comme
étant de nature à compromettre sérieusement la réalisation
du résultat prescrit par la directive.
En principe, une directive n’est pas invocable avant
l’expiration du délai de transposition. La raison à cela tient
au fait que les directives sont des actes adressés à un ou
plusieurs États, qui obligent ces derniers par un résultat à
atteindre, et doivent être transposées dans un délai imparti
par un acte de droit interne (TFUE, art. 288). En l’espèce,
le délai de transposition expire le 1er mai 2021. La directive
ne semble donc pouvoir être invoquée avant cette date. Tel
n’est cependant pas tout à fait le cas. En application de la
jurisprudence Assoc. France Nature Environnement, elle
l’est, par voie d’action ou d’exception, contre l’arrêté
ministériel dans la mesure où ce dernier est de nature à
compromettre sérieusement la réalisation du résultat
prescrit par la directive. Autrement dit, si l’inertie est
excusable tant que le délai de transposition n’est pas
expiré, il n’est pas possible d’adopter dans ce délai des
actes réglementaires manifestement incompatibles avec la
directive. Il peut ainsi être soutenu que l’arrêté contesté
est susceptible de produire un tel effet négatif.
En cas de doute sur ce point, il reste possible de
demander au juge de saisir la CJUE par la voie du renvoi
préjudiciel en interprétation afin que la Cour précise si le
droit de l’Union européenne doit être interprété comme
prohibant l’édiction d’un tel arrêté (TFUE, art. 267).
Le délai de recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté
ministériel n’étant pas expiré (à la date de l’examen de
janvier 2021), M. Rossignol peut saisir le juge administratif
; en l’occurrence, le Conseil d’État, qui est compétent en
premier et dernier ressort s’agissant des recours dirigés
contre les actes règlementaires des ministres (CJA, art. R.
311-1) d’une action tendant à l’annulation de l’arrêté
ministériel en ce qu’il serait manifestement incompatible
avec la directive.

IV/ La note de service du directeur


des affaires générales
Cette dernière question invite les étudiants à s’intéresser
à la thématique des actes dits de droit souple et, plus
précisément, à la recevabilité du recours pour excès de
pouvoir formé contre une note de service.
Le cas présent s’inspire d’un arrêt rendu par la Cour
administrative d’appel de Douai le 30 juillet 2020 (req. no
18DA01192).
Il s’agit ici de faire application de la décision GISTI du 12
juin 2020. Si le Conseil d’État n’y remet pas en cause la
distinction entre circulaires impératives et non impératives
(CE, sect., 18 déc. 2002, Mme Duvignères), il est désormais
clair que cette distinction est sans incidence sur la
recevabilité du recours pour excès de pouvoir, qui nous
intéresse ici. La distinction des actes décisoires et non
décisoires n’en perd toutefois pas son intérêt propre, dès
lors qu’elle peut avoir des répercussions sur l’étendue des
vices susceptibles d’affecter la légalité de l’acte : ainsi, le
moyen tiré de la violation de la loi semble, dans bien des
cas, inopérant à l’égard des actes non décisoires, dans la
mesure où ils ne prescrivent rien, ne se prononcent sur
rien.
À côté de cette distinction, le Conseil d’État recourt à un
autre critère, qui détermine quant à lui la recevabilité du
recours pour excès de pouvoir : le « document de portée
générale » (en particulier les circulaires, instructions,
recommandations, notes, présentations ou interprétations
du droit positif), fait-il ou non grief ? Si les « documents »
qui présentent un caractère impératif sont, parce qu’ils
comportent une décision, toujours susceptibles de faire
grief à leurs destinataires (c’est d’ailleurs ainsi qu’il faut
comprendre la formule de la décision GISTI selon laquelle «
Ont notamment de tels effets [notables] ceux de ces
documents qui ont un caractère impératif »), cela en
revanche est plus discutable pour les documents dépourvus
d’un tel caractère non impératif. Dans la droite ligne de la
jurisprudence Mme Le Pen (CE, ass., 19 juillet 2019, Mme
Le Pen), le Conseil d’État reconnaît, dans sa décision GISTI,
qu’un acte non décisoire est toutefois susceptible de faire
grief à ses destinataires, s’il est démontré qu’il a eu des «
effets notables » sur la situation du requérant, effets qui
peuvent être de tout ordre, économiques comme non
économiques. Par « effets notables », il faut comprendre
que l’acte, alors même qu’il ne prescrit rien, n’en a pas
moins lésé des droits ou des situations.
En l’espèce, et en premier lieu, la note de service
présente toutes les caractéristiques d’un acte non
décisoire. Dépourvue de caractère impératif, elle n’induit
aucune modification de l’ordonnancement juridique
existant. Au contraire, elle se borne à indiquer aux agents
que le régime indemnitaire lié à l’exercice des fonctions est
suspendu pendant les périodes de congé maladie. Quel
qu’en soit le bien-fondé, la note du directeur constitue
apparemment un rappel du cadre législatif et
réglementaire en vigueur.
Une fois établi le caractère non décisoire de la note, et en
second lieu, on rappellera que ce trait ne préjuge pas de
l’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir formé à
son encontre. L’apport principal de la décision GISTI sur ce
terrain réside dans le champ d’application qu’elle confère
désormais au droit dit souple. Si la décision Mme Le Pen
avait – sans surprise – extrait le contentieux du droit souple
de la régulation sectorielle dans lequel la décision Fairvesta
semblait l’avoir enfermé (CE, ass., 21 mars 2016,
Fairvesta), les actes de droit souple restaient jusqu’alors
cantonnés aux « avis, recommandations, mises en garde et
prises de position » adoptés par les autorités
administratives. Désormais, sont également considérés
comme des actes de droit souple – c’est-à-dire comme des
actes non décisoires susceptibles de faire l’objet d’un
recours pour excès de pouvoir – tous « les documents de
portée générale émanant d’autorités publiques,
matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions,
recommandations, notes, présentations ou interprétation
du droit positif » (CE, ass., 12 juin 2020, GISTI). En
l’espèce, la note de service contestée constitue bien un acte
entrant dans le champ d’application de la jurisprudence
GISTI, ce qui autorise par conséquent à s’interroger sur la
recevabilité du recours pour excès de pouvoir à son
encontre.
Une fois résolue la question des actes susceptibles de
faire l’objet d’un recours, il devient possible, en dernier
lieu, de s’interroger sur les conditions rendant Mme Merle
recevable à contester la note de service. À ce stade, Mme
Merle doit démontrer que la note lui fait personnellement
grief. Précisons tout de suite que, dans le cadre du recours
pour excès de pouvoir, la qualité d’acte faisant grief et
d’intérêt personnellement lésé sont deux faces opposées
d’une même médaille. Pour que le requérant soit recevable
à agir, il faut que cet acte soit susceptible, en lui-même, de
faire grief. Pour que l’acte lui fasse grief, le requérant doit
justifier, au jour de l’introduction du recours, d’un intérêt
personnel à la solution du litige, ce qui semble être le cas
en l’espèce. Cette concordance entre la nature de l’acte et
la qualité du demandeur doit, dans chaque hypothèse, se
trouver réalisée pour intenter un recours pour excès de
pouvoir. Depuis la décision Mme Le Pen, que confirme sur
ce point la décision GISTI, le Conseil d’État juge que
l’intérêt rendant le requérant recevable à contester un acte
non décisoire doit être direct et certain, et qu’il s’apprécie
à l’aune d’un critère : celui des « effets notables » de la
mesure en cause au regard de la situation de son
destinataire.
Ainsi, à condition d’établir que la note de service est
susceptible, en elle-même, d’avoir un effet notable sur la
situation de ses destinataires, et de démontrer un intérêt
personnellement lésé par cet acte non décisoire, Mme
Merlin sera recevable à contester la note devant le juge
administratif dans le cadre d’un recours pour excès de
pouvoir.
En outre, la note de service ayant été notifiée le 6 janvier
2021, le délai du recours pour excès de pouvoir expire le 7
mars 2021.
Les fonctions de
l’Administration
Thème principal
Service public
Mots-clés
Service public, Principe d’égalité
Sujet proposé et corrigé établi par
Laurent Seurot, Professeur, Université de Lorraine
Premier semestre 2020-2021

〉Commentaire d’arrêt : CAA Nantes,


1er mars 2019, req. no 18NT01878
[…] Considérant ce qui suit :
1. M. C… A…, ayant transféré le siège social de son activité
d’artisan menuisier sur l’île de Groix au mois de mai 2015,
relève appel du jugement du tribunal administratif de
Rennes du 6 avril 2018 en tant que le tribunal a rejeté sa
demande tendant à l’annulation de la décision du 8 octobre
2015 par laquelle le président du conseil départemental du
Morbihan lui a refusé le bénéfice de la carte ouvrant droit au
tarif réduit réservé aux insulaires sur les liaisons maritimes
départementales entre le continent et l’île de Groix.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l’article 19 de la convention de
délégation de service public relative à la gestion des
transports maritimes réguliers de personnes et de biens à
destination de Belle-Île-en-Mer, Groix, Houat et Hoëdic pour
la période 2015-2020 : « […] Le délégataire doit appliquer
les principes tarifaires suivants : Conformément à la
définition de l’annexe 9, les parties distinguent : 1. les
résidents permanents sur les îles (insulaires), qui bénéficient
d’une tarification privilégiée, tant pour le transport des
personnes que pour celui des véhicules de moins de trois
tonnes et demie ; 2. les autres usagers ; […] ». Selon
l’annexe 9.3 de cette convention, relative aux tarifs et
conditions générales de vente, ont seuls la qualité d’«
insulaires » les « résidents permanents sur l’île
conformément à l’annexe 9.4 […] » et « Les tarifs Insulaires
et abonnés ne s’appliquent qu’aux véhicules propriété du
détenteur de la carte de réduction correspondante lorsqu’ils
sont conduits par leur propriétaire ». Par ailleurs, aux termes
de l’annexe 9.4 relative à la délivrance des cartes insulaires,
« Le bénéfice d’une carte insulaire peut être accordé selon
les modalités suivantes : le demandeur doit fournir l’avis
d’imposition sur le revenu précisant la domiciliation fiscale
sur une île à titre de résidence principale. […] Pour
bénéficier des tarifs véhicules insulaires, le demandeur doit
être lui-même reconnu insulaire et fournir une copie de la
carte grise à son nom, à son adresse insulaire. […] Dans le
seul cas d’une arrivée récente sur l’île ne permettant pas de
fournir un justificatif fiscal, une carte provisoire pourra être
accordée sur présentation des pièces suivantes : – Un acte
notarié certifiant l’achat d’une résidence, ou une copie de la
déclaration d’achèvement de travaux dans le cas d’une
construction, ou une copie d’un contrat de location ; – Une
attestation sur l’honneur que la personne s’engage à résider
sur l’île au moins 6 mois par an ». Par ailleurs, par une
délibération du 5 décembre 2014, la commission
permanente du conseil général du Morbihan a décidé que
les personnes sollicitant la délivrance d’une carte insulaire
devaient fournir, pour justifier d’une présence effective d’au
moins six mois par an sur une île, l’avis d’imposition, ou de
non-imposition, à l’impôt sur le revenu précisant la
domiciliation sur l’île du foyer fiscal et tout autre document
permettant de justifier d’une présence sur l’île d’au moins
six mois par an (factures d’eau, d’électricité…). Il résulte de
ce dispositif que seules peuvent bénéficier des tarifs réduits
de traversée maritime entre les îles concernées et le
continent, pour elles-mêmes et leurs véhicules, les
personnes physiques ayant la qualité de résident permanent
au vu de leur domiciliation fiscale, et titulaires à ce titre de
la carte d’insulaire. Une carte provisoire valable un an peut
en outre être délivrée aux personnes récemment installées
sur les îles en cause et justifiant y résider au moins six mois
par an.
3. En premier lieu, la fixation de tarifs différents
applicables, pour un même service rendu, à diverses
catégories d’usagers d’un service public implique, à moins
qu’elle ne soit la conséquence nécessaire d’une loi, qu’il
existe entre les usagers des différences de situation
appréciables ou que cette mesure soit justifiée par une
nécessité d’intérêt général en rapport avec les conditions
d’exploitation du service. En revanche, le principe d’égalité
n’implique pas que des personnes se trouvant dans des
situations différentes doivent être soumises à des régimes
différents.
4. D’une part, il existe, entre les personnes résidant de
manière permanente sur l’île de Groix et les habitants du
continent dans son ensemble, une différence de situation de
nature à justifier des tarifs de passage réduits applicables
aux seuls habitants de cette île. Par suite, la fixation de
tarifs différents pour les résidents permanents de l’île de
Groix d’une part et les autres usagers d’autre part ne
contrevient pas au principe d’égalité de traitement des
usagers d’un même service public. D’autre part, en
s’abstenant d’instaurer un tarif réduit spécifique au bénéfice
des personnes morales et entités économiques exerçant en
tout ou partie leur activité sur l’île de Groix, le conseil
départemental du Morbihan n’a pas davantage méconnu ce
même principe d’égalité, dont le respect n’impose pas que
des personnes se trouvant dans des situations différentes
soient nécessairement soumises à des régimes différents et
n’exigeait donc pas qu’une catégorie particulière d’usagers
soit créée au bénéfice des « entreprises îliennes » pour
ouvrir à celles-ci en tant que telles un tarif préférentiel. Par
suite, le moyen tiré de la méconnaissance par le conseil
départemental du Morbihan du principe d’égalité de
traitement des usagers d’un même service public doit être
écarté.
5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M.
A… ne justifiait pas, à la date de la décision litigieuse, être
domicilié… Par suite, et alors même qu’il exerçait son
activité d’artisan essentiellement sur l’île de Groix où il a
fixé le siège de son entreprise à partir de mai 2015, le
président du conseil départemental du Morbihan, en
refusant de délivrer à l’intéressé la carte d’insulaire ouvrant
droit aux tarifs réduits sur les liaisons maritimes
départementales entre le continent et l’île de Groix, n’a pas
entaché sa décision d’illégalité.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. A… n’est pas
fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement
attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa
demande tendant à l’annulation de la décision du 8 octobre
2015 du président du conseil départemental du Morbihan.
[…]
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C… A… est rejetée. […]

〉Préparation
Analyse du sujet

L’arrêt porte sur le principe d’égalité devant le


service public. Sur le plan des règles applicables, il
n’apporte rien de plus que ce que les étudiants
étaient censés savoir. Ce n’est du reste pas l’objet
d’un arrêt d’une cour administrative d’appel que
d’innover sur les principes dès lors que ceux-ci sont
clairement fixés par le Conseil d’État. Pour ce qui
nous intéresse ici, ces principes tiennent dans la
formule suivante : si des différences de situation
entre des usagers peuvent légalement justifier des
différences de traitement, elles ne les imposent
pas.

Il était attendu des étudiants, avant tout, qu’ils


maîtrisent les différentes implications du principe
d’égalité, qu’ils en connaissent les fondements –
j’entends par là les arrêts de principe – et les
conditions dont est assortie leur mise en œuvre. Il
était également attendu des étudiants qu’ils
s’interrogent sur l’application qui en est faite en
l’espèce. Pour cela, il fallait déjà bien comprendre
les faits, ce qui obligeait les étudiants à ne pas se
contenter d’une lecture rapide de l’arrêt. Il fallait
bien saisir ce que voulait le requérant, qui ne se
plaignait pas d’être victime d’une différence de
traitement qu’il estimerait illégale, mais qui
considérait tout au contraire que sa situation
particulière imposait à l’Administration de le traiter
différemment des usagers ordinaires et de le faire
bénéficier, lui aussi, d’un tarif préférentiel, alors
qu’il ne remplissait pas les conditions pour
bénéficier de celui qui avait été prévu.

Mais les étudiants devaient également s’efforcer de


prendre un peu de recul par rapport aux faits. Ils
devaient être capables de faire, en quelque sorte,
des va-et-vient entre les faits, parfaitement banals,
et les idées. Par idées, j’entends ici les différentes
conceptions que l’on peut avoir de ce que doit
signifier, en droit, l’égalité. Il était important d’au
moins relever la divergence qui existe entre les
juridictions françaises et les juridictions
européennes. Selon la conception française, dite
républicaine ou universaliste, un traitement
identique appliqué à tous ne peut jamais
méconnaître le principe d’égalité, ce qui revient
finalement à faire de la prise en compte des
différences de situation un choix politique et non
une obligation juridique qui s’imposerait à
l’Administration et dont le juge assurerait le
respect. Pour les juridictions européennes – Cour de
justice et Cour européenne des droits de l’homme
–, l’application de la même règle à des situations
sensiblement différentes contrevient au contraire
au principe d’égalité.

Le plan du corrigé proposé résulte d’un certain


nombre de choix sur lesquels il convient de dire un
mot. D’une part, il m’a semblé préférable, par souci
de clarté, de faire figurer un verbe conjugué dans
les intitulés des deux parties.

Il convient néanmoins de mettre les étudiants en


garde : c’est un choix qui peut à la rigueur convenir
tant que la phrase reste simple (sujet, verbe,
complément), mais un intitulé qui comprendrait
une ou deux propositions subordonnées
témoignerait à l’évidence d’un manque d’esprit de
synthèse. D’autre part, le lecteur remarquera un
déséquilibre assez net, dans la seconde partie,
entre les deux sous-parties. Il aurait été préférable
de l’éviter et il était bien sûr possible à l’étudiant
de structurer cette seconde partie différemment. Il
m’a cependant semblé important de mettre en
évidence l’opposition entre les deux idées qui la
structurent, à savoir que, si la différence de
situation entre les entreprises situées sur l’île et les
autres non-résidents aurait sans doute pu justifier
une différence de traitement, elle ne l’imposait pas.

Plan du corrigé

I/ Une différence de situation peut justifier une


différence de traitement

A – Les justifications des différences de traitement

B – L’existence d’une différence de situation entre


les résidents permanents de l’île et les autres
usagers

II/ Une différence de situation n’impose pas une


différence de traitement

A – L’existence d’une différence de situation entre


les entreprises situées sur l’île et les autres non-
résidents

B – L’absence d’obligation de traitement différent

〉Corrigé
Le présent arrêt constitue un rappel utile de la portée
donnée par le juge administratif au principe général du
droit d’égalité devant le service public (CE, sect., 9 mars
1951, Sté des concerts du Conservatoire) lorsque sont en
cause des usagers placés dans des situations différentes. Il
rappelle que, si des différences de situation peuvent, à
certaines conditions, autoriser des différences de
traitement, elles ne les imposent pas. Le litige portait plus
précisément sur la tarification du service public, question
qui fait l’objet d’un contentieux important dès lors que,
même si le constituant et le législateur peuvent
ponctuellement l’imposer, il n’existe pas de principe de
gratuité des services publics et qu’il appartient à la
collectivité publique d’en fixer le prix.
En l’espèce, le requérant a, au mois de mai 2015,
transféré le siège social de son activité d’artisan menuisier
sur l’île de Groix tout en restant lui-même domicilié sur le
continent. Il a alors sollicité l’attribution de la carte ouvrant
droit au tarif réduit sur les liaisons maritimes
départementales entre le continent et l’île de Groix. Ce
tarif, prévu dans la convention de délégation de service
public, était cependant réservé aux seuls « insulaires »,
définis comme les « résidents permanents ». Or, si le
requérant avait installé le siège de son entreprise sur l’île
de Groix, il continuait de résider sur le continent. C’est la
raison pour laquelle le président du Conseil départemental
du Morbihan a, le 8 octobre 2015, opposé un refus à sa
demande.
Le requérant a demandé au tribunal administratif de
Rennes l’annulation de ce refus, estimant que la grille
tarifaire définie dans la convention de délégation de service
public et sur le fondement de laquelle lui a été refusé le
bénéfice de la carte insulaire, méconnaît le principe
d’égalité devant le service public en tant qu’elle exclut de
l’avantage tarifaire les nouvelles entreprises qui
s’implantent sur l’île de Groix. À cet égard et pour ne plus y
revenir par la suite, il convient de rappeler que les clauses
dont le requérant allègue l’illégalité, si elles figurent
formellement dans un contrat, sont néanmoins considérées
comme ayant un caractère réglementaire dans la mesure
où elles portent sur les tarifs du service public (CE 30 oct.
1996, Wajs). Il en résulte trois conséquences : d’abord,
qu’elles peuvent être contestées dans le cadre d’un recours
pour excès de pouvoir (CE, ass., 10 juill. 1996, Cayzeele),
sans que la décision Dépt. de Tarn-et-Garonne n’ait entendu
revenir sur cette solution (CE, ass., 4 avr. 2014, Dépt. de
Tarn-et-Garonne) ; ensuite, qu’il est possible de contester le
refus de les abroger (CE 9 févr. 2018, Communauté
d’agglomération Val d’Europe agglomération) ; enfin, qu’il
est possible d’en contester la légalité à toute époque par
voie d’exception (CE 29 déc. 1997, Bessis ; CE, sect., 17
oct. 2003, Synd. des copropriétaires de la résidence
Atlantis), ce qu’entend faire ici le requérant.
On aura compris que le requérant ne contestait pas le fait
que l’Administration lui aurait appliqué une différence de
traitement qui lui aurait été préjudiciable. C’est tout
l’inverse : il prétendait que sa situation d’entrepreneur sur
l’île aurait dû lui permettre de bénéficier d’un tarif
préférentiel, à l’instar de ceux qui y résident, et que, par
conséquent, en réservant le tarif préférentiel aux seuls «
résidents permanents sur les îles », la convention de
délégation de service public en cause a méconnu le
principe d’égalité devant le service public. Par conséquent,
le problème était de savoir si le principe d’égalité était
susceptible d’obliger le gestionnaire du service à faire
bénéficier le requérant d’un tarif réduit du fait de sa
situation particulière. C’était donc la nature juridique de
l’institution d’une différence de traitement qui était au
cœur du problème : s’agit-il simplement d’un pouvoir
reconnu dans certaines circonstances au gestionnaire du
service public, ou s’agit-il d’une obligation qui s’impose à
lui lorsque sont concernés des usagers placés dans des
situations différentes ?
La demande du requérant ayant été rejetée par le
tribunal administratif de Rennes, il relève appel, sans plus
de succès, devant la Cour administrative d’appel de Nantes
: pour la cour, si la différence de situation entre les
résidents permanents et les autres usagers pouvait justifier
que les premiers bénéficient d’un tarif préférentiel, la
situation particulière du requérant, celle d’entrepreneur
sur l’île mais n’y résidant pas, n’imposait pas de le faire
bénéficier lui aussi d’un traitement préférentiel. La cour
rappelle ainsi que, si une différence de situation peut
justifier une différence de traitement (I), elle ne saurait
l’imposer (II).

I/ Une différence de situation peut


justifier une différence de traitement
Après avoir rappelé les différents motifs pour lesquels des
usagers d’un service public peuvent faire l’objet d’un
traitement différent (A), la cour reconnaît l’existence, entre
les résidents permanents de l’île et les autres usagers,
d’une différence de situation qui permettait de faire
bénéficier les premiers de tarifs préférentiels (B).

A – Les justifications des différences


de traitement
La cour reprend le principe qu’avait formulé le Conseil
d’État dans l’arrêt Denoyez et Chorques (CE, sect., 10 mai
1974, Denoyez et Chorques), suivant lequel « la fixation de
tarifs différents […] à diverses catégories d’usagers d’un
service public implique, à moins qu’elle ne soit la
conséquence nécessaire d’une loi, qu’il existe entre les
usagers des différences de situation appréciables ou que
cette mesure soit justifiée par une nécessité d’intérêt
général en rapport avec les conditions d’exploitation du
service » (pt 3).
De cette formulation, il résulte qu’il est possible de traiter
des usagers d’un service public de manière différente dans
plusieurs situations.
Tout d’abord, lorsque le législateur en a décidé ainsi. On
rappellera néanmoins que la compétence du législateur
s’exerce sous le contrôle du Conseil constitutionnel, qui
peut être amené, notamment dans le cadre d’une question
prioritaire de constitutionnalité, à contrôler le respect par
la loi du principe constitutionnel d’égalité (Cons. const. 12
juill. 1979, déc. no 79-107 DC). La jurisprudence
constitutionnelle laisse à cet égard une certaine marge de
manœuvre au législateur puisqu’elle considère – comme la
jurisprudence administrative du reste – que « le principe
d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de
façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il
déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu
que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui
en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui
l’établit » (v. par ex. Cons. const. 23 janv. 2015, déc. no
2014-439 QPC, cons. 10).
Des usagers peuvent, ensuite, faire l’objet d’une
différence de traitement, d’une part, lorsqu’il existe entre
eux des différences de situation « appréciables » ou,
d’autre part, lorsque cette différence de traitement est
justifiée par une nécessité d’intérêt général, étant précisé
que le juge procède en principe dans cet ordre, ne faisant
référence à la nécessité d’intérêt général pouvant justifier
la différence de traitement qu’à titre subsidiaire, dans le
cas où celle-ci ne pourrait être fondée sur une différence
appréciable de situation.
Si le principe d’égalité ne s’oppose donc pas à ce que des
situations différentes fassent l’objet de traitements
différents, c’est à une double condition (CE 10 janv. 2005,
Hardy et Le Cornec) : d’une part, que la différence de
situation soit en lien avec l’objet du service public et,
d’autre part, que l’ampleur de la différence de traitement
ne soit pas « manifestement disproportionnée » par rapport
à la différence de situation dont elle procède. Au sujet de
cette seconde condition, le Conseil d’État a précisé que,
lorsqu’il est saisi d’un moyen tiré de ce qu’un acte
administratif méconnaît le principe d’égalité, le juge ne
peut pas se borner à constater l’existence d’une différence
de situation en rapport avec l’objet de cet acte : il doit
d’office, c’est-à-dire même en l’absence d’une
argumentation spécifique du requérant sur ce point,
rechercher si la différence de traitement n’est pas
manifestement disproportionnée par rapport à cette
différence de situation (CE 30 mai 2007, Hoffer).

B – L’existence d’une différence de


situation entre les résidents
permanents de l’île et les autres
usagers
La cour reconnaît en l’espèce, entre les personnes
résidant de manière permanente sur l’île et les habitants du
continent, l’existence d’une différence de situation
permettant de faire bénéficier les premiers de tarifs de
passage réduits (pt 4).
Cette solution peut se prévaloir de certains précédents
jurisprudentiels par lesquels le juge a admis que le lieu de
résidence pouvait être pris en compte pour la fixation des
tarifs d’utilisation du service public. Ainsi, dans le cas de la
fixation des tarifs de stationnement sur les voies publiques,
le Conseil d’État a pu juger qu’il existait entre les résidents
et les non-résidents d’une commune « des différences de
situation de nature à justifier, pour les premiers, des tarifs
préférentiels » (CE 28 févr. 1996, Assoc. « Le Vésinet sans
parcmètre »). Dans le même sens, il a pu être jugé, à
propos de l’instauration de tarifs différents pour les
usagers d’un parking, qu’il existe entre les résidents et les
non-résidents une différence de situation de nature à
justifier, en faveur des premiers, des tarifs préférentiels
(CAA Nantes, 3 févr. 2012, req. no 10NT00378).
L’existence d’une différence de situation, en elle-même,
ne suffit cependant pas : on l’a déjà dit, il faut notamment
que cette différence de situation soit en lien avec l’objet du
service public. Ainsi, dans le cadre d’un service public
intervenant dans un secteur concurrentiel, il est possible
d’instituer un tarif préférentiel au bénéfice des
consommateurs les plus importants. Par exemple, le service
de distribution des eaux peut légalement fixer des tarifs
dégressifs en fonction du volume consommé (CE 17 déc.
1982, Préfet de la Charente-Maritime, req. no 23293). En
l’espèce, même si la cour ne dit rien à ce sujet, on peut
penser que les résidents de l’île sont obligés de se rendre
fréquemment sur le continent : pour aller faire leurs
courses, pour leurs démarches administratives, pour y
travailler, pour y étudier, etc. En exagérant à peine, on
pourrait dire qu’il y a une différence de nature et non
seulement de degré entre l’utilisation qu’ils font du
transport en question et l’utilisation qu’en font la plupart
des autres usagers, les touristes notamment.
Si la différence entre les résidents permanents de l’île et
les autres usagers pouvait donc justifier une différence de
traitement, cela ne suffisait cependant pas à donner
satisfaction au requérant dans la mesure où ce dernier, s’il
avait transféré son entreprise sur l’île de Groix, n’y était
pas domicilié.

II/ Une différence de situation


n’impose pas une différence de
traitement
Le requérant avançait que sa situation particulière
d’entrepreneur sur l’île devait lui permettre de bénéficier
lui aussi d’un tarif préférentiel. Il revendiquait ainsi
l’existence d’une catégorie « entreprises îliennes » dont les
membres auraient dû bénéficier du même traitement
tarifaire que celui réservé aux résidents permanents et
donc différent du tarif normal dont doivent s’acquitter « les
autres usagers ». Cependant, s’il existe sans doute, parmi
les non-résidents de l’île, une différence de situation entre
ceux qui y ont installé leur entreprise et les autres, qui
aurait pu justifier que les premiers bénéficient de tarifs
réduits (A), la cour estime qu’une telle différence de
traitement ne s’imposait pas (B).

A – L’existence d’une différence de


situation entre les entreprises
situées sur l’île et les autres non-
résidents
Le requérant ne se plaignait pas de l’existence d’un tarif
préférentiel au bénéfice des résidents permanents. Il se
plaignait du fait qu’il n’en bénéficiait pas alors qu’il
considérait qu’en tant qu’entrepreneur sur l’île, il était
dans une situation comparable à celle des résidents
permanents et différente de celles des autres non-
résidents. Il reprochait à la réglementation de le traiter,
finalement, comme un usager ordinaire, de le classer dans
la catégorie des « autres usagers » au sens des stipulations
de la délégation de service public.
Au regard de ce que nous avons dit dans la première
partie et bien que la cour ne le dise pas, il fait peu de doute
que, si le Département du Morbihan en avait décidé ainsi, il
aurait pu faire bénéficier les entrepreneurs îliens d’un tarif
réduit spécifique en raison de la fréquence avec laquelle ils
doivent se rendre sur l’île. À cet égard, dans l’arrêt Assoc.
« Le Vésinet sans parcmètre » précité, le Conseil d’État
avait admis, à propos des tarifs de stationnement, qu’il
existait une différence de situation justifiant une différence
de traitement sur le plan tarifaire entre les « non-résidents
travaillant dans la commune » et les « autres non-résidents
». Ce qui était reproché au département, précisément, c’est
de ne pas l’avoir fait, ce qui pose la question de savoir s’il
avait simplement le droit de faire bénéficier « les
entreprises îliennes » d’un tarif préférentiel ou s’il en avait
l’obligation.
B – L’absence d’obligation de
traitement différent
Si la situation particulière du requérant et de tous ceux
qui travaillent sur l’île sans y habiter aurait certainement
pu être prise en compte, l’autorité délégante n’avait pas
l’obligation de le faire. C’est ce que juge la cour en
indiquant qu’en s’abstenant d’instaurer un tarif réduit
spécifique au bénéfice des personnes morales et entités
économiques exerçant en tout ou partie leur activité sur
l’île de Groix, le Conseil départemental du Morbihan n’a
pas méconnu le principe d’égalité (pt 4).
Cette solution est conforme à la jurisprudence du Conseil
d’État qui considère que, comme le rappelle la cour, « le
principe d’égalité n’implique pas que des personnes se
trouvant dans des situations différentes doivent être
soumises à des régimes différents » (pt 3). Ce principe
traditionnel (CE 22 mars 1950, Sté des ciments français),
ponctuellement réaffirmé (v. par ex. CE, ass., 28 mars
1997, Sté Baxter), correspond à une conception du principe
d’égalité qui est également celle du Conseil constitutionnel
(v. par ex. Cons. const. 7 oct. 2011, déc. no 2011-175 QPC,
cons. 4).
Si la solution était donc attendue, elle n’en appelle pas
moins plusieurs remarques. En premier lieu, cette
conception du principe d’égalité, que l’on qualifie parfois
de républicaine ou d’universaliste, n’est pas partagée par
les juridictions européennes. Ainsi, la Cour de justice de
l’Union européenne considère que « l’application de la
même règle à des situations différentes » constitue tout
autant une discrimination que « l’application de règles
différentes à des situations comparables » (CJCE 14 févr.
1995, Finanzamt Köhl-Altstadt c/ R. Schumacker, aff. C-
279/93, § 30). Dans le même sens, la Cour européenne des
droits de l’homme considère que le principe d’égalité est
méconnu « lorsque, sans justification objective et
raisonnable, les États n’appliquent pas un traitement
différent à des personnes dont les situations sont
sensiblement différentes » (CEDH 6 avr. 2000, Thlimmenos
c/ Grèce, req. no 34369/97, § 44).
En deuxième lieu, le principe d’égalité tel qu’il est
entendu par le juge administratif revient à laisser à
l’autorité responsable du service public une grande marge
de liberté, puisqu’elle peut décider d’adapter le tarif du
service à la situation particulière de certaines catégories
d’usagers comme elle peut décider de ne pas le faire.
En troisième lieu, cette conception du principe d’égalité
n’est pas sans nuance dans la mesure où le droit reconnaît
parfois, au profit de certains usagers du service public, une
obligation de prise en compte de leur situation particulière.
C’est le cas, par exemple, s’agissant des situations de
handicap (CE, ass., 22 oct. 2010, Bleitrach c/ Garde des
Sceaux). Dans cet arrêt, le Conseil d’État ne dit certes pas
que le principe d’égalité implique de traiter différemment
les usagers placés dans des situations différentes, mais il
accepte de rechercher la responsabilité de l’État pour
rupture de l’égalité devant les charges publiques en raison
du temps mis par l’Administration pour réaliser les
aménagements imposés par la loi pour permettre l’accès
des personnes en situation de handicap à des bâtiments de
justice.
En quatrième et dernier lieu, on peut se demander si, tout
en maintenant le principe selon lequel une différence de
situation n’implique pas nécessairement une différence de
traitement, la solution n’aurait pas pu en l’espèce être
différente. Car, après tout, le requérant, bien qu’il ne réside
pas sur l’île, est dans une situation de dépendance par
rapport au service : il l’utilise très fréquemment, peut-être
quotidiennement. Or, ainsi qu’on l’a dit plus haut, ce qui
permet de faire bénéficier les résidents permanents d’un
tarif préférentiel, c’est la fréquence avec laquelle ils
utilisent le service et la dépendance à son égard. Dans ces
conditions, si on ne peut pas aller jusqu’à dire que le
requérant est placé dans une situation identique à celle des
résidents permanents de l’île, sa situation a plus à voir avec
la leur qu’avec celle de nombreux « autres usagers »,
notamment les touristes. Serait-ce solliciter excessivement
le principe d’égalité que de considérer qu’en traitant les
entrepreneurs travaillant sur l’île mais n’y résidant pas
différemment des résidents de l’île, sont traités de manière
différente des usagers qui sont en fait dans une situation,
sinon identique, au moins comparable au regard de la
fréquence avec laquelle ils utilisent le service ?
Les fonctions de
l’Administration
Thème principal
Service public
Mots-clés
Service public, Neutralité, Usager, Acte administratif,
Contrat administratif, Responsabilité
Sujet proposé et corrigé établi par
Élise Untermaier-Kerléo, Maîtresse de conférences,
Université Jean Moulin Lyon 3
Second semestre 2020-2021

〉Cas pratique
1. Par un communiqué de presse, le maire de la commune
de Saint-Paul-de-Baucuse a annoncé qu’il ne serait
désormais plus proposé dans les restaurants scolaires
municipaux de menus de substitution aux plats contenant
du porc. Le maire estime en effet que les principes de laïcité
et de neutralité du service public interdisent la prise en
considération de prescriptions d’ordre religieux dans le
fonctionnement d’un service public. Une association de
parents d’élèves décide de former un recours gracieux
contre cette décision, afin d’obtenir le maintien des menus
de substitution. Mais leur courrier reste sans réponse. Peut-
elle former un recours devant le tribunal administratif ?
Contre quelle(s) décision(s) ? Quelles sont ses chances de
succès sur le fond ? (5 points)
2. En raison du manque de places dans les cantines
scolaires, plusieurs mesures sont prises. D’abord, le conseil
municipal de la commune de Saint-Paul-de-Baucuse adopte
une délibération modifiant le règlement de la restauration
scolaire pour les écoles de la commune en posant le
principe selon lequel les enfants dont les deux parents
travaillent pourront seuls manger à la cantine tous les jours,
tandis que les autres enfants ne pourront être accueillis
qu’une fois par semaine, dans la limite des places
disponibles, sauf urgence ponctuelle dûment justifiée. Par la
même délibération, le conseil municipal décide également
de fixer des tarifs plus élevés pour les élèves domiciliés en
dehors de la commune. Cette délibération est-elle légale ?
(4 points)
3. Ensuite, le maire a refusé, faute de place, de faire droit à
la demande de la maman du petit Martin Brazier, arrivé en
cours d’année, qui souhaitaient inscrire leur fils à la cantine.
La mère Brazier souhaite contester cette décision devant le
tribunal administratif. A-t-elle des chances de succès ? (2
points)
4. La commune envisage désormais de confier la gestion
du service de la restauration scolaire à une entreprise
privée. Le prestataire privé percevra directement les
redevances auprès des usagers des restaurants scolaires.
Toutefois, il est prévu que les parties se mettent d’accord
sur un prix unitaire des repas, fixé initialement sur la base
de 303 000 repas par an, comprenant les charges afférentes
aux prestations fournies, ainsi que la rémunération du
prestataire et que, dans les cas où le nombre de repas
commandés au cours d’un exercice s’avèrerait inférieur ou
supérieur de plus de 5 % par rapport à la base de référence
retenue, le prix unitaire des repas fournis sur l’exercice
écoulé serait réajusté par la rectification de divers postes
composant ce prix, en fonction du nombre de repas
effectivement commandés. La commune prendra en charge,
sous forme de subventions, la différence entre les
redevances perçues auprès des usagers et le prix des repas
fixé selon les modalités décrites ci-dessus. Quel type de
contrat doit-elle passer ? Peut-elle négocier directement
avec la société Têtedoie, qui fournit déjà les repas des
restaurants municipaux et de la maison de retraite ? (5
points)
5. La petite Marie-Cécile Pic, âgée de 4 ans, a été blessée à
l’œil gauche par un objet lancé par un de ses camarades
alors qu’il se trouvait dans les locaux de la cantine. Elle a dû
subir deux interventions chirurgicales mais elle ne
retrouvera jamais toute son acuité visuelle. Les parents Pic
veulent obtenir la condamnation de la commune de Saint-
Paul-de-Baucuse à réparer les conséquences dommageables
de l’accident, en invoquant une carence dans l’organisation
du service. Il n’y avait en effet qu’un seul agent municipal
pour assurer la surveillance de plus de 60 enfants présents
dans la cantine scolaire. La commune est-elle susceptible
d’engager sa responsabilité ? Qu’en est-il de la personne
chargée de la surveillance des enfants ? Devant quelle
juridiction les parents Pic doivent-ils former leur recours ? (4
points)
DOCUMENTS ANNEXES
Code des relations entre le public et
l’Administration, article L. 231-4
Par dérogation à l’article L. 231-1, le silence gardé par
l’Administration pendant deux mois vaut décision de rejet :
1° Lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’une
décision présentant le caractère d’une décision individuelle ;
2° Lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure
prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente
le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif
;
3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en
matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;
4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d’État, où
une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le
respect des engagements internationaux et européens de la
France, la protection de la sécurité nationale, la protection
des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la
sauvegarde de l’ordre public ;
5° Dans les relations entre l’Administration et ses agents.
Code de justice administrative, article R. 421-1
La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours
formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir
de la notification ou de la publication de la décision
attaquée.
Code de l’éducation
Article L. 131-13
L’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce
service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés.
Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur
situation ou celle de leur famille.
Article R. 531-52
Les tarifs de la restauration scolaire fournie aux élèves des
écoles maternelles, des écoles élémentaires, des collèges et
des lycées de l’enseignement public sont fixés par la
collectivité territoriale qui en a la charge.
Article R. 531-53
Les tarifs mentionnés à l’article R. 531-52 ne peuvent, y
compris lorsqu’une modulation est appliquée, être
supérieurs au coût par usager résultant des charges
supportées au titre du service de restauration, après
déduction des subventions de toute nature bénéficiant à ce
service.
CE 23 oct. 2009, Fédération des Conseils de parents
d’élèves de l’enseignement public du Rhône, Mme
Pasquier, inédit au recueil Lebon, req. no 329076
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire,
enregistrés les 22 juin et 7 juillet 2009 au secrétariat du
contentieux du Conseil d’État, présentés pour la Fédération
des Conseils de parents d’élèves de l’enseignement public
du Rhône, et Mme Clothilde B, demeurant … ; la Fédération
des Conseils de parents d’élèves de l’enseignement public
du Rhône et Mme B demandent au Conseil d’État d’annuler
l’ordonnance du 5 juin 2009 par laquelle le juge des référés
du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande
tendant à la suspension de l’exécution de la délibération du
26 mars 2009 par laquelle le conseil municipal de la
commune d’Oullins a modifié le règlement du service de la
restauration scolaire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention relative aux droits de l’enfant, signée à
New York le 26 janvier 1990 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Xavier Domino, Auditeur,
– les observations de Me Le Prado, avocat de la Fédération
des Conseils de parents d’élèves de l’enseignement public
du Rhône et de Mme Clothilde B et de la SCP Boutet, avocat
de la commune d’Oullins,
– les conclusions de M. Édouard Geffray, Rapporteur public
;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado,
avocat de la Fédération des Conseils de parents d’élèves de
l’enseignement public du Rhône et de Mme Clothilde B et de
la SCP Boutet, avocat de la commune d’Oullins ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux
juges des référés que, par une délibération du 26 mars
2009, le conseil municipal de la commune d’Oullins a
modifié le règlement de la restauration scolaire pour les
écoles de la commune en posant notamment le principe
selon lequel les enfants dont les deux parents travaillent,
ainsi que ceux qui bénéficient de dispositifs particuliers,
pourront seuls manger à la cantine tous les jours, tandis que
les autres enfants ne pourront être accueillis qu’une fois par
semaine, dans la limite des places disponibles, sauf urgence
ponctuelle dûment justifiée ; que la Fédération des Conseils
de parents d’élèves de l’enseignement public du Rhône et
Mme B se pourvoient en cassation contre l’ordonnance du 5
juin 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal
administratif de Lyon, a rejeté leur demande tendant à la
suspension de l’exécution de cette délibération ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi
;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de
justice administrative : Quand une décision administrative,
même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou
en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en
ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette
décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le
justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en
l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de
la décision ;
Considérant qu’en jugeant que n’était pas de nature à
créer un doute sérieux sur la légalité de la délibération
attaquée le moyen tiré de ce que cette délibération interdit
illégalement l’accès au service public de la restauration
scolaire à une partie des enfants scolarisés, en retenant au
surplus un critère de discrimination sans rapport avec l’objet
du service public en cause, le juge des référés du tribunal
administratif de Lyon a commis une erreur de droit ; que,
par suite, la FCPE et Mme B sont fondées à demander
l’annulation de l’ordonnance qu’ils attaquent ;
Considérant qu’en application des dispositions de l’article
L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu de
régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Considérant en premier lieu que les requérantes font état
de ce que la nouvelle réglementation est applicable dès la
rentrée scolaire 2009-2010 et qu’elle a des conséquences
importantes pour l’organisation et le budget des familles de
la commune ayant des enfants scolarisés ; qu’ainsi, la
condition d’urgence posée par l’article L. 521-1 du code
justice administrative est remplie ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le moyen tiré
de ce que la délibération attaquée interdit illégalement
l’accès au service public de la restauration scolaire à une
partie des enfants scolarisés, en retenant au surplus un
critère de discrimination sans rapport avec l’objet du service
public en cause est de nature à créer, en l’état de
l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de cette
délibération ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il
soit besoin d’examiner l’autre moyen de leur demande, que
la FCPE et Mme B sont fondées à demander la suspension
de l’exécution de la délibération qu’elles attaquent ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1
du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit
mise à la charge de la FCPE et de Mme B, qui ne sont pas la
partie perdante dans la présente instance, la somme que
demande la commune d’Oullins au titre des frais exposés
par elle et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, il
y a lieu, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de
mettre à la charge de cette dernière une somme de 1 500
euros au titre des frais exposés par la FCPE et Mme B et non
compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : L’ordonnance du 5 juin 2009 du juge des
référés du tribunal administratif de Lyon est annulée.
Article 2 : L’exécution de la délibération du 26 mars 2009
par laquelle le conseil municipal de la commune d’Oullins a
modifié le règlement concernant l’accès des enfants au
service de la restauration scolaire est suspendue.
Article 3 : La commune d’Oullins versera à la FCPE et à
Mme B 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de
justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune
d’Oullins au titre de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Fédération
des Conseils de parents d’élèves de l’enseignement public
du Rhône, à Mme Clothilde B, à la commune d’Oullins et au
ministre de l’éducation nationale.

〉Préparation
Analyse du sujet

Ce sujet donné à l’Université Jean Moulin Lyon 3


lors de la première session d’examen 2020-2021
porte sur le programme des deux semestres de la
deuxième année de licence. Ce cas pratique
concerne principalement le service public. Il
conduit à traiter différentes problématiques
juridiques concernant la gestion des cantines
scolaires au sein des écoles maternelles et
primaires, dont les communes ont la charge :
suppression des menus de substitution aux plats
contenant du porc, restrictions d’accès et
différenciation tarifaire, externalisation,
responsabilité encourue pour les dommages causés
aux enfants laissés sans surveillance. La résolution
de ce cas pratique nécessite donc de maîtriser non
seulement la notion et les lois du service public,
mais aussi des connaissances sur l’acte
administratif unilatéral, notamment la notion de
décision implicite, la qualification des contrats
administratifs, en particulier la distinction des
marchés et concessions de services, ainsi que la
responsabilité administrative et la différence entre
faute de service et faute personnelle.

Les étudiants lyonnais avaient trois heures pour


traiter le sujet. L’exercice est facilité par le fait que
questions sont expressément posées dans
l’énoncé. Il faut faire attention à ne pas perdre de
temps en développant des points inutiles, comme
la démonstration que la restauration scolaire est un
service public (c’est évident) ou la vérification des
critères jurisprudentiels du contrat confiant la
fourniture des repas à une entreprise privée (il
s’agissait d’un contrat administratif par
détermination de la loi).

Plan et barème

I/ La suppression des menus de substitution (5


points)

II/ La délibération modifiant le règlement de la


restauration scolaire (4 points)

III/ Le refus d’inscription à la cantine (2 points)

IV/ Le contrat confiant la gestion de la restauration


scolaire à une entreprise privée (5 points)

V/ L’action en responsabilité (4 points)

〉Corrigé
I/ La suppression des menus de
substitution (5 points)
Les décisions susceptibles d’être contestées.
Concernant la suppression dans les restaurants scolaires
municipaux de menus de substitution aux plats contenant
du porc, l’association requérante peut former un recours
pour excès de pouvoir dans un délai de deux mois à
compter de la notification ou de la publication de la
décision attaquée, conformément à l’article R. 421-1 du
code de justice administrative (reproduit en annexe).
Le recours est recevable contre la décision révélée par le
communiqué de presse. En effet, la jurisprudence
administrative admet qu’un recours puisse être formé
contre tout acte administratif faisant grief au requérant,
même si celui-ci n’est pas formalisé dans un arrêté ou une
délibération : le recours est recevable contre une décision
simplement verbale (CE 9 janv. 1931, Abbé Cadel) ou dont
l’existence se déduit de certains comportements (CE 12
mars 1986, Mme Cuisenier, à propos de la décision du
ministre de la Culture d’autoriser la réalisation des
colonnes de Buren dans la cour du Palais-Royal, déduite de
l’exécution des travaux).
Le recours peut également être formé contre la décision
implicite de refus (DIR) née du silence gardé par la
commune pendant deux mois à la suite du courrier envoyé
par l’association de parents d’élèves. En effet, le silence de
l’Administration fait en principe naître une décision
implicite d’acceptation depuis la loi du 12 novembre 2013
habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre
l’Administration et les citoyens (art. L. 231-1 du code des
relations entre le public et l’Administration – CRPA).
Toutefois, aux termes de l’article L. 231-4 du CRPA
(reproduit en annexe), le silence gardé par l’Administration
pendant deux mois vaut décision de rejet lorsque la
demande ne tend pas à l’adoption d’une décision
présentant le caractère d’une décision individuelle ou
présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours
administratif.
En l’espèce, la demande formée par l’association de
parents d’élèves ne tendait pas à l’adoption d’une décision
individuelle puisqu’elle souhaitait obtenir le maintien des
menus de substitution dans l’ensemble des restaurants
scolaires municipaux. Elle présentait en outre le caractère
d’un recours administratif, et plus précisément d’un
recours gracieux. En conséquence, le silence gardé par le
maire a fait naître une décision implicite de refus au bout
de deux mois à compter de la réception du courrier envoyé
par l’association de parents d’élèves.
En conclusion, l’association requérante peut former un
recours contre la décision du maire, révélée par le
communiqué de presse, de ne plus proposer dans les
restaurants scolaires municipaux de menus de substitution
aux plats contenant du porc et la décision implicite de rejet
née du silence gardé par le maire sur son recours gracieux.
Les chances de succès sur le fond. La question se pose
de savoir si le principe de laïcité et son corollaire, le
principe de neutralité du service public, interdisent de
proposer aux élèves des repas différenciés leur permettant
de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs
convictions religieuses. La laïcité, consacrée à l’article 1er
de la Constitution selon lequel la France est une
République laïque, ne saurait être comprise comme
interdisant aux usagers des services publics de faire état de
leurs convictions religieuses dans le cadre du service
public. L’obligation de neutralité ne concerne que les
agents dans l’exercice de leurs fonctions, car ils incarnent
alors le service (CE, avis cont., 3 mai 2000, no 217017, Dlle
Marteaux). Les usagers restent en principe libres
d’exprimer leurs convictions religieuses, à condition de ne
pas troubler l’ordre intérieur et le bon fonctionnement du
service (CE 2 nov. 1992, Épx Kherouaa, req. no 130394),
même s’il est vrai que cette liberté a été fortement
restreinte par la loi du 15 mars 2004 qui interdit le port de
signes religieux ostensibles dans l’enceinte des écoles,
collèges et lycées publics. Par ailleurs, les élèves peuvent
bénéficier d’autorisations d’absence pour motifs religieux
(CE, ass., 14 avr. 1995, Koen, req. no 157653).
Dans la lignée de cette jurisprudence protectrice de la
liberté religieuse des usagers, l’arrêt rendu par le Conseil
d’État le 11 décembre 2020, no 426483, Cne de Chalon-sur-
Saône (dont s’inspire ce cas pratique) a affirmé que s’il
n’existe aucune obligation pour les collectivités
territoriales gestionnaires d’un service public de
restauration scolaire de proposer des menus de
substitution, les principes de laïcité et de neutralité
religieuse ne leur interdisent pas de servir de tels menus
dans les cantines scolaires.
En conclusion, le recours a toutes les chances d’être
accueilli sur le fond, conformément à l’arrêt rendu par le
Conseil d’État le 11 décembre 2020, Cne de Chalon-sur-
Saône.

II/ La délibération modifiant le


règlement de la restauration scolaire
(4 points)
La délibération adoptée par le conseil municipal de la
commune de Saint-Paul-de-Baucuse limite l’accès des
usagers au service public de la restauration scolaire. Elle
est donc susceptible de porter atteinte à l’une des « lois »
qui régit le service public, le principe d’égalité, consacré
sous la forme d’un principe général du droit par l’arrêt du
Conseil d’État du 9 mars 1951, Sté des concerts du
conservatoire. L’arrêt Denoyez et Chorque rendu par la
Haute juridiction en 1974 a admis que certaines catégories
d’usagers puissent se voir appliquer des règles distinctes,
et notamment des tarifs différents, si une telle différence
de traitement est prévue par la loi, ou bien si elle est
justifiée par une différence de situation appréciable entre
les usagers ou encore par une nécessité d’intérêt général
en rapport avec les conditions d’exploitation du service.
En posant le principe selon lequel les enfants dont les
deux parents travaillent pourront seuls manger à la cantine
tous les jours, tandis que les autres enfants ne pourront
être accueillis qu’une fois par semaine, dans la limite des
places disponibles, sauf urgence ponctuelle dûment
justifiée, la délibération a interdit illégalement l’accès au
service public de la restauration scolaire à une partie des
enfants scolarisés, en retenant au surplus un critère de
discrimination sans rapport avec l’objet du service public
en cause, comme l’a affirmé le juge des référés du Conseil
d’État par une ordonnance du 23 octobre 2009 (req. no
329076, reproduite en annexe du sujet).
En revanche, le lieu de résidence de l’usager peut
justifier l’application d’un tarif préférentiel dès lors que le
fonctionnement du service fait appel à un financement par
le budget de la collectivité. Tel est le cas de services
publics administratifs facultatifs comme, par exemple, une
école de musique (CE 20 mars 1987, Cne de la Ciotat, req.
no 68507 ; CE 2 déc. 1987, Cne de Romainville, req. no
71028). En revanche, lorsque le financement d’un service
public local non obligatoire repose sur les redevances
perçues auprès des usagers, le seul critère du domicile est
insuffisant pour justifier l’application de tarifs modulés
(CAA Lyon, 13 avr. 2000, Cne de Saint-Sorlin-d’Arve, req. no
96LY02472). S’agissant de la restauration scolaire, le juge
administratif a admis que la collectivité puisse fixer des
tarifs plus élevés pour les élèves domiciliés en dehors de la
commune et réserver aux élèves domiciliés dans la
commune l’application d’un tarif réduit grâce à la prise en
charge partielle du prix du repas par le budget communal.
Cependant, le plus élevé des deux tarifs fixés par le conseil
municipal ne doit pas excéder le prix de revient du repas
(CE, sect., 5 oct. 1984, Commissaire de la République de
l’Ariège, req. no 47875). En ce sens, l’article R. 531-53 du
code de l’éducation (reproduit en annexe) énonce que les
tarifs fixés par la collectivité territoriale « ne peuvent, y
compris lorsqu’une modulation est appliquée, être
supérieurs au coût par usager résultant des charges
supportées au titre du service de restauration ».
En conclusion, la délibération modifiant le règlement de
la restauration scolaire pour les écoles de la commune est
illégale en ce qu’elle prévoit que les enfants dont les deux
parents travaillent pourront seuls manger à la cantine tous
les jours, tandis que les autres enfants ne pourront être
accueillis qu’une fois par semaine, dans la limite des places
disponibles, sauf urgence ponctuelle dûment justifiée. La
fixation d’un tarif plus élevé pour les élèves domiciliés en
dehors de la commune est légale dès lors que le service de
la restauration scolaire est pris partiellement en charge par
le budget de la collectivité et à condition que ce tarif
n’excède pas le prix de revient du repas.

III/ Le refus d’inscription à la cantine


(2 points)
La restauration scolaire constitue, pour les communes, un
service public administratif facultatif. Aux termes de
l’article L. 131-13 du code de l’éducation, créé par l’article
186 de la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la
citoyenneté : « L’inscription à la cantine des écoles
primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous
les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune
discrimination selon leur situation ou celle de leur famille
». Ces dispositions instituent le droit pour tous les enfants
scolarisés en école primaire d’être inscrits à la cantine dès
lors que le service de restauration scolaire a été créé par la
collectivité territoriale compétente.
Dans le cadre d’un litige concernant la commune de
Besançon, le tribunal administratif de Besançon, puis la
cour administrative d’appel de Nancy, ont jugé dans le
même sens que lorsqu’elle a créé un tel service, la
collectivité territoriale est tenue de garantir l’inscription de
chaque enfant scolarisé dans une école primaire dès lors
qu’il en fait la demande, sans que puisse être opposé le
nombre de places disponibles (TA Besançon, 7 déc. 2017,
Mme G., no 1701724, confirmé par CAA Nancy, 5 févr. 2019,
req. no 18NC00237). Toutefois, le Conseil d’État a infirmé
cette solution en considérant que si tous les élèves ont le
droit d’être inscrits à la cantine, dès lors que celle-ci existe,
les collectivités territoriales peuvent cependant refuser
l’accueil d’un enfant quand que la capacité maximale du
service est atteinte (CE 22 mars 2021, Cne de Besançon,
req. no 429361).
En conclusion, la mère Brazier a peu de chance d’obtenir
l’annulation du refus d’inscription de son fils Martin à la
cantine, dès lors que celui-ci est justifié par l’absence de
place disponible.

IV/ Le contrat confiant la gestion de


la restauration scolaire à une
entreprise privée (5 points)
Type de contrat. Le contrat par lequel la commune
confie à une entreprise privée la gestion du service de la
restauration scolaire, peut être soit un marché public de
services, soit une concession de services, et plus
précisément une délégation de service public, qui est une
concession de services ayant pour objet un service public et
conclue par une collectivité territoriale (art. L. 1121-3 du
code de la commande publique).
En effet, un marché public de services et une délégation
de service public peuvent avoir tous deux pour objet de
confier à un tiers la gestion d’une activité de service public,
telle que la restauration scolaire. En conséquence, la
distinction entre ces deux catégories de contrats repose sur
le critère du risque financier, consacré par la jurisprudence
(CE 7 nov. 2008, Dépt. de la Vendée, req. no 291794) puis
par l’article 5 de l’ordonnance du 29 janvier 2015 relative
aux contrats de concession, repris à l’article L. 1121-1 du
code de la commande publique. La délégation de service
public est un contrat de concession par lequel une autorité
délégante confie la gestion d’un service public à un ou
plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un
risque lié à l’exploitation du service. L’article L. 1121-1
précité précise que « la part de risque transférée au
concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du
marché ».
En l’espèce, le contrat peut, à première vue, être qualifié
de concession de services, et plus précisément de
délégation de service public, dans la mesure où la
rémunération du cocontractant provient des redevances
versées par les usagers pour avoir accès au service.
L’entreprise semble donc supporter un risque financier,
notamment si les repas qu’elle sert ne donnent pas
satisfaction aux usagers.
Néanmoins, dans la mesure où la commune prend en
charge, sous forme de subventions, la différence entre les
redevances perçues auprès des usagers et le prix unitaire
des repas fixé par le contrat, l’entreprise ne supporte pas
de risque réel d’exploitation. L’absence de risque est
confortée, comme l’a jugé le Conseil d’État dans l’arrêt du
5 juin 2009, Sté Avenance-Enseignement et Santé, par le
fait que la plupart des usagers, constitués pour l’essentiel
d’enfants des centres aérés et des écoles, n’est pas
susceptible de diminuer de manière substantielle d’une
année sur l’autre. Autrement dit, le nombre de repas
fournis ne dépend que très peu de la qualité du service, le
cocontractant bénéficiant d’une clientèle dite « captive ».
En conclusion, le cocontractant ne supportant pas de réel
risque d’exploitation, le contrat que la commune envisage
de passer constitue un marché public de services, et non
une délégation de service public (concession).
Négociation. Comme le rappelle l’article L3 du code de
la commande publique, la passation des marchés publics ou
des concessions est soumise au respect des principes de
liberté d’accès et de transparence des procédures. En
principe, une personne publique ne peut librement
conclure un marché en négociant avec l’entreprise de son
choix. Elle doit mettre en œuvre une procédure d’appel
d’offres, qui la conduit à retenir « l’offre économiquement
la plus avantageuse, sans négociation, sur la base de
critères objectifs préalablement portés à la connaissance
des candidats » (art. L. 2124-2 du code de la commande
publique).
En conclusion, la commune ne pourra pas négocier
directement avec l’entreprise avec la société Têtedoie, qui
fournit déjà les repas des restaurants municipaux et de la
maison de retraite.

V/ L’action en responsabilité (4
points)
Responsabilité de la commune. Sauf dans quelques
rares domaines où le juge exige une faute lourde, toute
faute qui cause un dommage est de nature à engager la
responsabilité de la collectivité. En l’espèce, la présence
d’un seul agent municipal pour assurer la surveillance de
plus de 60 enfants présents dans la cantine scolaire doit
être regardée comme constitutive d’un défaut
d’organisation du service qui a rendu possible l’accident
survenu à la petite Marie-Cécile Pic, malgré le caractère
difficilement prévisible des gestes des jeunes enfants, de
nature à engager la pleine responsabilité de la commune (v.
en ce sens : CAA Lyon, 25 mai 1989, req. no 89LY00057).
Ce défaut d’organisation du service constitue une faute de
nature à engager la responsabilité de la commune. Étant
donné son jeune âge, le comportement de la victime ne
peut être considéré comme une faute atténuant la
responsabilité de la commune. La victime est donc en droit
d’obtenir réparation du préjudice corporel qu’elle a subi,
ainsi que des souffrances qu’elle a endurées du fait de ses
deux interventions chirurgicales et des troubles dans les
conditions d’existence résultant du fait qu’elle ne trouvera
pas toute son acuité visuelle.
Responsabilité de l’agent. Depuis l’arrêt Pelletier
rendu par le Tribunal des conflits en 1873, l’agent est
susceptible d’engager sa responsabilité civile, devant le
juge judiciaire, uniquement en cas de faute personnelle. La
faute personnelle peut être commise dans l’exercice des
fonctions mais elle est alors détachable de celles-ci, soit en
raison de sa nature intentionnelle (l’agent a commis un
acte malveillant, avec l’intention de nuire à autrui), soit du
fait de sa particulière gravité. En revanche, si le dommage
a été causé par une faute de service, autrement dit une
faute qui n’est pas détachable du service, l’agent public est
personnellement irresponsable : seule la responsabilité de
la personne publique peut être engagée, devant le tribunal
administratif.
En l’espèce, aucune faute personnelle ne peut être
imputée à l’agent puisqu’il était seul pour surveiller un très
grand nombre d’enfants. Aucun défaut de surveillance ne
peut lui être reproché. Sa responsabilité personnelle ne
peut donc être engagée.
En conclusion, les parents Pic doivent rechercher la
responsabilité de la commune devant le tribunal
administratif.
Les fonctions de
l’Administration
Thème principal
Police administrative
Mots-clés
Police administrative, Ordre public, Libertés publiques,
Dignité de la personne humaine
Sujet proposé et corrigé établi par
Nicolas Chifflot, Professeur, Université de Strasbourg
Premier semestre 2019-2020

〉Dissertation
Les composantes de l’ordre public général

〉Préparation
Analyse du sujet

Ainsi libellé, ce sujet peut dérouter. Car il est plat,


sans relief, sans aspérité. Il convient, bien sûr, de
se méfier. La dissertation n’est pas un exercice de
récitation du cours. S’il est nécessaire d’avoir des
connaissances et d’en faire état, il est non moins
exigé de l’étudiant qu’il conduise une réflexion à
partir de ses connaissances. La difficulté de ce
sujet réside précisément dans la découverte d’une
problématique pertinente et dans la conception
d’un plan suffisamment dynamique pour éviter le
piège de la simple restitution du cours. L’étudiant
doit puiser dans ses connaissances, mais aussi (et
surtout) démontrer qu’il a compris les enjeux que
soulève le sujet. Ce sont ces enjeux qui doivent
guider sa réflexion et lui permettre de construire un
plan.

Sur le fond, ce sujet exige de l’étudiant qu’il


maîtrise le thème des finalités de l’action
administrative, plus particulièrement de la police
administrative et de l’évolution récente des
composantes de l’ordre public général.

Il convient d’analyser les termes du sujet les uns


après les autres avec une attention toute
particulière. Le but est d’en dégager la signification
précise et de poser une problématique claire. Pour
traiter ce sujet, il convient de définir l’ordre public
général (distincts des ordres publics spéciaux) et
donc, au préalable, de cerner la notion de police
administrative. Tout l’intérêt de ce sujet réside dans
l’évolution du contenu (ou composantes) de l’ordre
public général. Il s’agit notamment d’identifier les
implications de cette évolution sur les missions et
les pouvoirs des autorités de police et donc, en
contrepoint, sur la protection des libertés. De nos
jours, on constate en effet une mutation profonde
de l’ordre public général. De « matériel et extérieur
» qu’il était – et qu’il demeure, bien sûr, avec la
trilogie classique sécurité/tranquillité/salubrité
publiques – il tend à devenir immatériel en
intégrant, tout particulièrement, les exigences liées
à la protection de la dignité de la personne
humaine.
Plan du corrigé

I/ Les composantes traditionnelles de l’ordre public


général

A – Un ordre public matériel et extérieur

B – Des références limitées à la moralité publique

II/ Les nouvelles frontières de l’ordre public général

A – L’irruption de la dignité de la personne


humaine, nouvelle composante d’un ordre public
immatériel

B – La dignité de la personne humaine, nouveau


ressort des interventions de la police administrative
générale

〉Corrigé
La notion fondamentale du droit public qui gouverne les
missions de l’Administration et leur évolution, en exprimant
leur finalité, est celle d’intérêt général. « Pierre angulaire »
de l’action publique, l’intérêt général est cependant une
notion incertaine. Évolutive, elle est difficile à définir et fait
l’objet de controverses d’autant plus importantes qu’il
s’agit, à travers elle, de s’interroger sur l’État et ses
rapports avec la société. Il est possible d’affirmer, malgré
tout, que les activités publiques forment deux catégories.
Les unes ont pour objet des prestations de biens et de
services : ce sont les activités de service public. Les autres
tendent au maintien de l’ordre public : ce sont les activités
de police administrative.
La police administrative se caractérise essentiellement
par ses finalités. Au sein des activités administratives, sa
spécificité tient au but visé : le maintien de l’ordre public.
Les mesures de police administrative ont pour effet
immédiat d’imposer des limitations aux libertés des
individus. Elles ne sont régulières que si elles sont prises
en vue du maintien de l’ordre public. La protection de
l’ordre public permet, du reste, de différencier ces mesures
d’autres activités administratives qui s’en rapprochent (par
exemple la gestion du domaine public et la police de la
conservation).
Dans son expression la plus large, l’ordre public désigne
la paix interne qui permet à un groupe humain de
constituer une société (au sens où l’entendait la philosophie
des Lumières avec la doctrine du contrat social).
L’avènement du droit met fin à l’« état de nature ». Il
permet à chaque individu d’exercer ses droits dans le
respect de ceux d’autrui. Il garantit à tous le bénéfice de
libertés qui sont consacrées dans les préambules des
constitutions. Pour la puissance publique, l’ordre public
constitue aussi une sorte de calme minimal nécessaire à la
poursuite de ses autres missions, notamment la recherche
de la prospérité ou du bien-être du plus grand nombre.
Le droit positif contemporain définit dans un sens plus
restreint les composantes de l’ordre public général. Il en
distingue trois principalement qui sont caractéristiques de
la police administrative. La tranquillité publique résulte de
l’interdiction de toute violence et suppose des mesures très
diverses, par exemple la réglementation du bruit ; la
sécurité publique peut être illustrée par la sécurité de la
circulation, notamment celle des piétons et des véhicules
de toutes sortes ; la salubrité publique correspond à tout ce
qui concerne l’hygiène (propreté des villes, des halles et
marchés, etc.) et la santé publique. À cette trilogie
classique, est venue s’ajouter une quatrième composante,
la « moralité publique » qui est plus difficile à cerner. Elle
justifie notamment qu’un maire interdise la projection d’un
film sur le territoire de sa commune en raison du caractère
« immoral » de ce film et de « circonstances locales
particulières ».
Comme pour l’intérêt général, la délimitation exacte du
contenu de l’ordre public général demeure contingente et
évolutive. Ce contenu varie en fonction d’un certain
consensus, interprété par les autorités publiques, dans une
société donnée, à un moment particulier de son évolution.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel en atteste, en
faisant référence à la notion sans jamais en déterminer
précisément le contenu. Affirmant que « la sauvegarde de
l’ordre public est un objectif de valeur constitutionnelle »,
le Conseil constitutionnel estime généralement qu’il
appartient au législateur de concilier l’exercice des libertés
et la prévention des atteintes à l’ordre public. Il admet,
selon sa formule, toute « conciliation qui n’est pas
manifestement disproportionnée ».
De nos jours, l’incertitude entourant la délimitation de
l’ordre public général est renforcée par l’émergence d’une
cinquième composante, la dignité de la personne humaine.
Encore récente, cette évolution est de première
importance. Car la dignité de la personne humaine est une
notion singulière. Elle est objective, universelle,
insusceptible de variations. Elle exige que la personne
humaine ne soit jamais traitée comme un moyen, mais
comme une fin en soi. Ce faisant, la dignité n’est pas un
idéal abstrait, un objectif à atteindre ou une représentation
subjective qui pourrait être relativisée dans le temps et
dans l’espace. Elle est un « principe ». Elle renvoie non pas
à un « donné », mais à un « dû », comme tel non négociable
(car lié, dit-on aussi, à l’« irréductible humain »).
La dimension fondamentale de la dignité est ainsi
susceptible de modifier la conception traditionnelle de
l’ordre public général. Justifiée par l’approfondissement
des exigences liées à la protection de la personne humaine,
l’inclusion de la dignité dans les composantes de l’ordre
public conduit à une diversification des finalités en vue
desquelles les autorités de police peuvent restreindre les
libertés. Source de nombreux droits pour les individus, elle
exige aussi de nouvelles interventions des autorités de
police. Or, la notion d’ordre public a longtemps été conçue
de façon restrictive, comme visant un « ordre minimal » au
bénéfice des libertés. De « matériel et extérieur » qu’il était
(et qu’il demeure en partie), l’ordre public tend à devenir «
immatériel ». Pour paraphraser Maurice Hauriou, avec la
dignité, c’est notre « ordre public » que l’on change.
Si l’ordre public général peut toujours être caractérisé
par ses composantes traditionnelles (I), la dignité de la
personne humaine tend ainsi à modifier sa conception,
justifiant de nouvelles interventions de la part des autorités
de police administrative (II).

I/ Les composantes traditionnelles de


l’ordre public général
A – Un ordre public matériel et
extérieur
L’ordre public comprend traditionnellement la
tranquillité, la sécurité, et la salubrité publiques. Pour les
autorités de police, il convient d’éviter des dommages
(individuels ou collectifs) provoqués par des désordres, des
accidents, des atteintes à la santé et à l’hygiène publique.
Maurice Hauriou en a ainsi dégagé les thèmes principaux :
« l’ordre public, au sens de la police, est l’ordre matériel et
extérieur considéré comme un état de fait opposé au
désordre, l’état de paix opposé à l’état de trouble […] ». De
façon imagée, il précisait encore que « le désordre matériel
est le symptôme qui guide la police comme la fièvre est le
symptôme qui guide le médecin. Et la police emploie,
comme la médecine, une thérapeutique qui tend
uniquement à faire disparaître les symptômes ; elle n’essaie
point d’atteindre les causes profondes du mal social, elle se
contente de rétablir l’ordre matériel et même, le plus
souvent, l’ordre dans la rue ; en d’autres termes, elle ne
poursuit pas ce que l’on a appelé à une certaine époque
l’ordre moral, l’ordre dans les idées et dans les sentiments,
elle ne pourchasse pas les désordres moraux, elle est pour
cela radicalement incompétente ; si elle l’essayait, elle
verserait immédiatement dans l’inquisition et dans
l’oppression des consciences à cause de la lourdeur de son
mécanisme » (M. Hauriou, Précis de droit administratif et
de droit public, 9e éd., Sirey, 1919).
De nos jours, le code général des collectivités territoriales
définit l’objet de la police municipale comme étant
d’assurer « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la
salubrité publiques » (CGCT, art. L. 2212-2). On notera que
ces composantes classiques de l’ordre public sont
complétées par de multiples textes. Au maintien d’un état
de paix s’ajoute en effet la recherche d’un « mieux-être »
(ou d’un « mieux-vivre ») individuel et collectif. Font ainsi
partie d’un même ensemble toutes les législations et
réglementations de la vie sociale (par ex. la réglementation
des normes de construction dans un but d’hygiène et de
sécurité ou de développement durable, la réglementation
sur les vaccinations et les dépistages de maladies, etc.). De
nos jours, la composante traditionnelle qu’est la salubrité a
pris une dimension très large avec la notion de « sécurité
sanitaire ». Toutefois, au sens strict, il s’agit moins, dans ce
cas, de police générale que de polices spéciales qui
prolongent et précisent l’ordre public général.

B – Des références limitées à la


moralité publique
S’agissant de l’ordre public que tend à préserver la police
générale, une certaine conception se dégage aussi des
jurisprudences administratives relatives à la police
municipale. En principe, cet ordre est fonction des «
circonstances locales » qui, dans une situation donnée,
engendrent des « risques de troubles ».
Dans ce cadre, sont apparues des références à la «
moralité ». La décision la plus emblématique est l’arrêt de
section du Conseil d’État du 18 décembre 1959, Société «
Les films Lutétia ». La haute juridiction a reconnu qu’un
maire, responsable du maintien de l’ordre dans sa
commune, pouvait interdire sur le territoire de celle-ci la
représentation d’un film auquel le visa ministériel
d’exploitation avait été accordé mais dont la projection
était susceptible d’entraîner des troubles sérieux ou d’être,
« à raison du caractère immoral » dudit film et de «
circonstances locales », préjudiciable à l’ordre public. Il a
souvent été considéré que le motif de l’interdiction était
l’immoralité même du film, appréciée localement. Ce
faisant, le Conseil d’État aurait introduit la moralité dans
l’ordre public.
Cette jurisprudence a d’emblée suscité de nombreuses
discussions. L’immoralité peut en effet être appréhendée
comme constituant un danger pour le maintien de l’ordre
public matériel avec la menace de « troubles sérieux »
(risque de protestations, de manifestations, etc.). De façon
classique, il s’agit alors de préserver l’ordre public au sens
matériel (sécurité ou tranquillité publiques). Toutefois,
l’autorité de police peut aussi prendre en compte, en tant
que tels, les sentiments, les valeurs, les croyances qui
dominent au sein de la population. Pour reprendre la
formulation de Pierre-Henri Teitgen, il s’agit alors de
prévenir « les atteintes publiques au minimum d’idées
morales naturellement admises, à une époque donnée, par
la moyenne des individus » (P.-H. Teitgen, La police
municipale, Sirey, 1934, p. 34). La jurisprudence exige
toutefois des « circonstances locales particulières ». La «
moralité » dont il est question ne saurait être entendue de
façon abstraite, philosophique, au risque d’instituer comme
le craignait M. Hauriou un « ordre moral ». C’est moins le
caractère intrinsèque du film qui compte que les
circonstances particulières de sa diffusion.
Le champ est large malgré tout et non sans risques pour
les libertés puisqu’il inclut des cas comme celui de la
diffusion d’une « œuvre blasphématoire » dans une ville de
pèlerinage ou encore d’un film évoquant une affaire
criminelle dans la localité où celle-ci s’est produite. De nos
jours, en raison de l’évolution des mœurs, on remarque que
les maires n’utilisent que très rarement leur pouvoir
d’interdiction de films et que le juge administratif exerce,
pour sa part, un contrôle très rigoureux.

II/ Les nouvelles frontières de l’ordre


public général
A – L’irruption de la dignité de la
personne humaine, nouvelle
composante d’un ordre public
immatériel
Dans l’évolution de la notion d’ordre public général, une
jurisprudence a fait exception, incontestablement.
Considérant que « le respect de la dignité de la personne
humaine est une des composantes de l’ordre public », le
Conseil d’État, dans son arrêt d’assemblée du 27 octobre
1995, Commune de Morsang-sur-Orge, a admis que «
l’autorité investie du pouvoir de police municipale peut,
même en l’absence de circonstances locales particulières,
interdire une attraction » qui lui porte atteinte. Dans cette
affaire, était en cause « l’attraction de “lancer de nains”
consistant à faire lancer un nain par des spectateurs ».
Cette attraction « conduit à utiliser comme projectile une
personne affectée d’un handicap physique et présentée
comme telle ».
Le Conseil d’État a considéré que « par son objet même,
une telle attraction portait atteinte à la dignité de la
personne humaine ». Il en a déduit que « l’autorité investie
du pouvoir de police municipale pouvait, dès lors,
l’interdire même en l’absence de circonstances locales
particulières et alors même que des mesures de protection
avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne
en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette
exhibition, contre rémunération ». C’est donc en lui-même
et non en raison des circonstances qu’un acte ou un
spectacle est attentatoire à la dignité. Cette jurisprudence
a eu pour conséquence de consacrer l’émergence d’un
ordre public immatériel.
Conscient des dangers d’une interprétation extensive, le
commissaire du gouvernement Patrick Frydman a insisté,
dans ses conclusions, sur le fait que le juge devait être très
restrictif. Par la suite, les cas d’application de cette
jurisprudence sont restés peu nombreux.
Le débat a toutefois été relancé à l’occasion de décisions
en référé très médiatisées rendues en 2014 dans l’affaire
Dieudonné (CE, ord., 9, 10 et 11 janv. 2014, req. no
374508). Par rapport à la jurisprudence Commune de
Morsang-sur-Orge, elles ont marqué une certaine extension
des cas dans lesquels la police générale pouvait interdire
un spectacle contraire à la dignité de la personne humaine.
En effet, étaient en cause des paroles et non des actes
matériels, tel le traitement physique dégradant interdit en
1995.
Statuant au fond sur la légalité de la circulaire
ministérielle ayant conduit aux interdictions litigieuses, le
Conseil d’État a ainsi confirmé que « des propos et gestes,
notamment ceux à caractère antisémite, incitant à la haine
raciale et faisant l’apologie des discriminations,
persécutions et exterminations perpétrées au cours de la
Seconde Guerre mondiale, peuvent porter atteinte à la
dignité de la personne humaine, alors même qu’ils ne
provoqueraient pas de troubles matériels » (CE 9 nov.
2015, Association générale contre le racisme et pour la
défense de l’identité française chrétienne et SARL Les
productions de la Plume, req. no 376107).
B – La dignité de la personne
humaine, nouveau ressort des
interventions de la police
administrative générale
Plus récemment, la jurisprudence administrative a encore
franchi une nouvelle étape, traduisant une « mutation de la
dignité de la personne humaine en tant que but de la police
administrative générale » (J. Petit, Précis de droit
administratif, 13e éd., Montchrestien, 2019, p. 331). Cette
évolution revêt une double dimension.
Elle concerne, tout d’abord, le fondement du principe.
Depuis 1994, le Conseil constitutionnel admet que la «
sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre
toute forme d’asservissement et de dégradation est un
principe à valeur constitutionnelle » découlant du premier
alinéa du préambule de la Constitution de 1946 (Cons.
const. 27 juill. 1994, no 94-343/344 DC). Dans les
ordonnances rendues dans l’affaire Dieudonné, le Conseil
d’État s’est inspiré de cette jurisprudence (ce qu’il aurait
pu faire bien plus tôt) en considérant que la dignité faisait
partie « des valeurs et principes consacrés par la
Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen » (et par la
« tradition républicaine », a-t-il aussi précisé). Dans le
contentieux des mesures de police administrative, la
dignité de la personne humaine ne repose donc plus sur un
fondement juridique jurisprudentiel, mais sur une norme
constitutionnelle.
Ensuite, et surtout, le Conseil d’État a indiqué que les
autorités titulaires du pouvoir de police générale étaient
désormais « garantes du respect du principe
constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine » (CE
8 nov. 2017, GISTI, req. no 406256). Cette nouvelle
formulation est de grande portée. Elle signifie que le
principe constitutionnel de la dignité de la personne
humaine constitue l’une des finalités de la police
administrative générale.
Cette évolution comporte, à l’évidence, un fort potentiel
de transformation pour l’activité de police administrative.
Les droits qui découlent de la dignité peuvent se muer,
désormais, en autant d’éléments de l’ordre public général.
En outre, ainsi conçue, la dignité transforme la conception
du rôle des autorités de police générale. Si la dignité peut
être limitatrice de libertés comme le démontrent les
affaires Morsang-sur-Orge ou Dieudonné (s’agissant, dans
ces cas, de la liberté individuelle, de la liberté du travail et
des libertés d’expression et de réunion) et qu’elle est
source de prérogatives d’action pour les autorités
administratives, elle peut aussi devenir, à présent, source
de droits pour les individus et donc d’obligations d’action
pour ces mêmes autorités.
Ainsi, dans la décision précitée GISTI de 2017, le Conseil
d’État estime qu’« il appartient […], en tout état de cause
aux autorités de police générale, garantes du respect du
principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la
personne humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit
de toute personne à ne pas être soumise à des traitements
inhumains ou dégradants soit garanti et de prendre toute
mesure en ce sens ». En l’espèce, le principe de dignité
exigeait une modification de la répartition des compétences
entre les autorités administratives concernées. Pour le
Conseil d’État, la compétence de principe du département
en matière d’aide sociale à l’enfance ne faisait pas obstacle
à l’intervention de l’État, au titre de ses pouvoirs de police
générale, pour prendre en charge, à titre exceptionnel, des
mineurs, dès lors qu’une telle intervention paraissait
nécessaire, notamment « en raison de l’ampleur et de
l’urgence des mesures à prendre pour la protection de
mineurs ».
En conclusion, si les composantes traditionnelles de
l’ordre public général ont permis, historiquement, une
relative limitation des interventions des autorités de police
administrative, on constate que la dignité de la personne
humaine implique, au contraire, une extension du champ
d’action de ces mêmes autorités. Désormais, l’ordre public
général intègre une certaine conception de l’homme que
l’État et la société doivent respecter. Cette évolution peut
sans aucun doute être regardée comme un important
progrès. De prime abord, elle renforce la conception
libérale de l’ordre public. Mais elle est ambivalente,
également, en ce qu’elle confirme la tendance actuelle à
l’extension des interventions de la police administrative au
travers de la diversification des finalités poursuivies.
Les fonctions de
l’Administration
Thème principal
Police administrative
Mots-clés
Police administrative, Ordre public, Dignité de la personne
humaine, Principe d’égalité, Maire
Sujet proposé et corrigé établi par
Nathalie Jacquinot, Professeur, Université Toulouse 1
Capitole
Premier semestre 2020-2021

〉Commentaire d’arrêt : CAA Nancy,


1er octobre 2020, req. no 19NC00494
Par une requête enregistrée sous le no 19NC00494 le 18
février 2019, complétée par un mémoire enregistré le 20
février 2020, l’association « Les Effronté-e-s » et
l’association « Osez le féminisme 67 », représentées par Me
B…, demandent à la cour :
1°) d’annuler l’article 1er du jugement du tribunal
administratif de Strasbourg du 19 décembre 2018 ;
2°) d’annuler la décision […] du maire de Dannemarie de
faire afficher la campagne organisée dans le cadre de «
l’année de la femme » dans l’espace public de la commune ;
[…]
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Dannemarie (Haut-Rhin), qui choisit
chaque année un thème qu’elle décline en animations et en
événements sur son territoire, a décidé de faire de l’année
2017 l’année de la femme. Dans ce cadre, elle a notamment
procédé à l’installation, dans des espaces publics, de
panneaux représentant des accessoires féminins, des
éléments du corps féminin et des silhouettes de femmes.
Les associations « Les Effronté-e-s » [et] « Osez le
féminisme 67 » […], qui estiment que ces panneaux ont un
caractère sexiste, discriminant et attentatoire à la dignité de
la femme, ont demandé au tribunal administratif de
Strasbourg d’annuler la décision […] par laquelle le maire de
Dannemarie a décidé de les faire installer dans les espaces
publics de la commune. Les deux premières de ces
associations font appel du jugement du 19 décembre 2018
par lequel le tribunal administratif a rejeté leur demande
d’annulation de cette décision.
Sur la légalité de la décision contestée :
En ce qui concerne l’atteinte à la dignité des femmes et au
principe d’égalité entre hommes et femmes :
2. Aux termes de l’article 1er de la Déclaration universelle
des droits de l’homme du 10 décembre 1948 : « Tous les
êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en
droits […] ». Aux termes du Préambule de la Constitution du
27 octobre 1946 : « […] le peuple français proclame à
nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de
religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et
sacrés. […] La loi garantit à la femme, dans tous les
domaines, des droits égaux à ceux de l’homme […] ». Aux
termes de l’article 14 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales : « La jouissance des droits et libertés
reconnus dans la présente Convention doit être assurée,
sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la
race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques
ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale,
l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la
naissance ou toute autre situation ». Aux termes du
préambule de la charte des Nations unies du 26 juin 1945 :
« Nous, peuples des Nations Unies, résolus […] à proclamer
à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de
l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne
humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des
femmes, ainsi que des nations, grandes et petites […] ».
Aux termes de l’article 55 de la même charte : « En vue de
créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires
pour assurer entre les nations des relations pacifiques et
amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des
droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes,
les Nations Unies favoriseront : […] c. le respect universel et
effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales
pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de
religion. […] ». […]
3. Il ressort des pièces du dossier que, sur les cent vingt-
cinq panneaux installés dans les espaces publics de la
commune, soixante avaient la forme d’accessoires féminins
ou d’éléments du corps féminin. Contrairement à ce que
soutiennent les requérantes, si ces panneaux représentent
des chapeaux, sacs, chaussures à talons, bottes, lunettes de
femmes, lèvres rouges et pulpeuses et têtes féminines, ils
ne portent pas atteinte à la dignité de la femme ou au
principe d’égalité entre hommes et femmes. Ils ne sauraient
davantage s’assimiler à une propagande discriminatoire à
l’encontre d’une partie de la population.
4. Il ressort des pièces du dossier que soixante-cinq des
panneaux litigieux représentaient des silhouettes de
femmes, à différents âges de la vie et dans différentes
attitudes, tantôt seules, tantôt accompagnées d’enfants.
Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne
ressort pas des pièces du dossier que les panneaux
représentant la silhouette d’une femme portant une robe
courte en tissu jaune, avec des motifs imitant une peau de
léopard, et marchant en talon hauts sur un trottoir feraient «
référence à la symbolique prostitutionnelle ». […] En outre,
si la plupart de ces panneaux représentent des femmes
minces, certains d’entre eux représentent la silhouette
d’une femme enceinte ou d’une femme d’âge mûr aux
formes plus amples. Si certains panneaux, minoritaires,
représentant une femme assise sur une chaise, jambes
largement écartées, ou genoux à terre, jambes légèrement
écartées, manifestent un goût douteux, ils ne sauraient
toutefois être regardés, dans le contexte de l’ensemble de
la manifestation, comme portant atteinte à la dignité de la
femme ou au principe d’égalité entre hommes et femmes,
ni être assimilés à une propagande discriminatoire à
l’encontre des femmes.
5. Par suite, les associations requérantes ne sont pas
fondées à soutenir que les dispositions et stipulations citées
au point 2 du présent arrêt ont été méconnues. […]
En ce qui concerne la méconnaissance, par le maire de
Dannemarie, de l’étendue de ses pouvoirs de police :
9. Aux termes de l’article L. 2542-3 du code général des
collectivités territoriales : « Les fonctions propres au maire
sont de faire jouir les habitants des avantages d’une bonne
police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la
sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices
publics. Il appartient également au maire de veiller à la
tranquillité, à la salubrité et à la sécurité des campagnes. ».
10. Il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police
municipale de prendre toute mesure pour prévenir une
atteinte à l’ordre public, dont une des composantes est le
respect de la dignité de la personne humaine.
11. Il résulte de ce qui a été indiqué aux points 3 à 4 du
présent arrêt que les associations requérantes ne sont pas
fondées à soutenir que le maire de Dannemarie aurait dû,
en application de ces dispositions, faire disparaître les
panneaux litigieux de l’espace public, dès lors qu’ils
auraient contrevenu à l’ordre public et à la dignité humaine.
[…]

〉Préparation
Analyse du sujet
L’arrêt à commenter aborde des thématiques vues
en cours et en travaux dirigés qui ne posaient pas
de difficultés particulières. Il convenait toutefois de
ne pas fonder tout le commentaire sur le seul
thème de la police administrative, au risque
d’oublier autrement certains éléments de l’arrêt.
Par ailleurs, sur un sujet volontiers polémique,
l’écueil majeur était sans doute de basculer dans
des remarques type café de commerce au lieu de
réussir à rester sur des considérations et
arguments purement juridiques. L’arrêt ne
présentait malgré tout pas de difficulté particulière
de compréhension ou d’analyse et il était donc
attendu des étudiants une maîtrise de la méthode
du commentaire d’arrêt et des connaissances
suffisamment précises pour pouvoir être en mesure
de réellement commenter cet arrêt.

Plan du corrigé

I/ L’affirmation de l’absence de méconnaissance


des normes constitutionnelles et internationales

A – Le recours indifférencié à diverses normes de


références

B – Le rejet relativement peu argumenté de la


violation des principes d’égalité et de dignité

II/ La reconnaissance consécutive de l’absence de


méconnaissance de l’étendue de ses pouvoirs de
police par le maire
A – Le rappel classique des pouvoirs de police du
maire

B – Le rejet logique du moyen tiré de la violation


par le maire de l’obligation d’exercer ses pouvoirs
de police

〉Corrigé
Le juge administratif se retrouve régulièrement confronté
depuis quelques années à des affaires se rattachant à des
questions de société et relevant de problématiques très
contemporaines, ce que confirme l’arrêt rendu par la cour
administrative d’appel de Nancy le 1er octobre 2020, Assoc.
« Les Effronté-e-s » et Assoc. « Osez le féminisme 67 » qui
a amené le juge à se prononcer sur une affaire concernant
le regard porté par la société sur les femmes de nos jours
et l’égalité entre les sexes.
En l’espèce, la commune de Dannemarie, située en
Alsace, après avoir choisi de faire de 2017 l’année de la
femme, avait décidé à ce titre d’installer dans les espaces
publics de la commune des panneaux représentants des
accessoires féminins, des éléments du corps féminin et des
silhouettes de femmes. Deux associations, « Les Effronté-e-
s » et « Osez le féminisme 67 », considérant que ces
panneaux avaient un caractère sexiste mais aussi qu’ils
constituaient une propagande discriminatoire à l’égard des
femmes et portaient atteinte à la dignité de la femme,
avaient introduit un recours pour excès de pouvoir devant
le tribunal administratif de Strasbourg. Suite au rejet de
leur demande d’annulation par un jugement du 19
décembre 2018 les deux associations requérantes avaient
alors interjeté appel devant la cour administrative d’appel
de Nancy le 18 février 2019.
Sans grande surprise, la cour administrative d’appel de
Nancy n’a pas fait droit à la requête des associations des
requérantes. De fait, dans une ordonnance du 1er
septembre 2017, le Conseil d’État, qui avait été saisi en
appel dans le cadre d’un référé liberté portant sur cette
affaire, avait notamment estimé que l’installation de tels
éléments ne portait pas d’atteinte grave et manifestement
illégale au droit au respect de la dignité humaine et que,
par conséquent, c’est à tort que le juge des référés du
tribunal administratif de Strasbourg avait enjoint à la
commune de retirer les éléments en question. Deux
questions étaient en réalité posées à la cour, l’une portant
classiquement sur la conformité d’un acte administratif à
des règles de droit supérieures, l’autre sur la non
utilisation de ses pouvoirs de police par le maire. Au cœur
de ce débat se trouvait principalement la question de la
dignité de la personne humaine mais aussi le principe
d’égalité entre hommes et femmes, amenant ainsi le juge à
se prononcer sur des questions très actuelles et sources
d’importants débats au sein de la société. La cour
administrative d’appel de Nancy a utilisé ici un
raisonnement en deux temps avec tout d’abord la
confrontation de la mesure contestée (à savoir la décision
d’installer les éléments litigieux dans les espaces publics) à
des normes constitutionnelles et internationales, qui l’a
conduite à affirmer l’absence de violation des normes en
question (I), puis une analyse au regard de l’étendue du
pouvoir de police du maire (II).

I/ L’affirmation de l’absence de
méconnaissance des normes
constitutionnelles et internationales
Si l’affirmation de l’absence de méconnaissances des
normes constitutionnelles et internationales ne surprend
pas au vu de l’ordonnance précitée du Conseil d’État, le
recours indifférencié à diverses normes de références (A)
retient toutefois l’attention, de même qu’il convient de
souligner que le rejet de la violation des principes de
dignité et d’égalité entre hommes et femmes reste
relativement peu argumenté (B).

A – Le recours indifférencié à diverses


normes de références
Dans son paragraphe 2, l’arrêt de la cour administrative
d’appel de Nancy se réfère aux nombreuses normes qui ont
été invoquées par les associations à l’appui de leur requête.
L’arrêt n’opère aucune différenciation entre elles et évoque
aussi bien des dispositions constitutionnelles que des
stipulations issues de traités internationaux. S’agissant des
dispositions constitutionnelles il se réfère au Préambule de
la Constitution de 1946, dont on sait depuis la décision dite
liberté d’association, rendue par le juge constitutionnel le
16 juillet 1971 qu’il figure dans le bloc de
constitutionnalité. De par sa place au sommet de la
hiérarchie des normes il s’impose donc au juge
administratif également et il est donc légitime que le juge
administratif puisse contrôler son respect par un acte
administratif, en l’occurrence une décision prise par le
maire d’une commune. S’agissant des stipulations
internationales, le juge se réfère tout à la fois à la
Déclaration universelle des droits de l’homme, à la
Convention européenne des droits de l’homme et à la
Charte des Nations Unies. Le juge ne prend pas la peine de
rappeler que les traités internationaux étant placés dans la
hiérarchie des normes au-dessus des lois, en vertu de
l’article 55 de la Constitution, leur respect s’impose a
fortiori aux autorités administratives lorsqu’elles agissent.
En effet, la supériorité des traités internationaux sur les
actes administratifs est admise de longue date, depuis un
arrêt d’assemblée Dame Kirkwood du 30 mai 1952, et l’on
comprend aisément que le juge n’ait pas jugé bon
d’effectuer un tel rappel sur ce point.
Il convient toutefois de souligner qu’aux termes de
l’article 55 de la Constitution, cette supériorité est
subordonnée non seulement au respect d’une condition de
réciprocité mais aussi au fait que ces traités ou accords
aient été régulièrement ratifiés ou approuvés ainsi que
publiés. Or rien n’est dit sur ce point par la cour
administrative d’appel de Nancy qui place ainsi sur le
même plan ces trois traités. S’il est vrai que le respect de
ces conditions ne pose pas problème pour un traité comme
la Convention européenne des droits de l’homme et qu’il
est légitime de ne pas avoir à le rappeler
systématiquement, tel n’est cependant pas toujours le cas.
En l’espèce, et cela traduit un manque de rigueur de la part
de la cour administrative d’appel de Nancy, la Déclaration
universelle des droits de l’homme ne remplit pas ses
conditions car, si elle a bien été publiée, celle-ci n’a pas fait
l’objet d’une ratification par la France et n’est donc pas
entrée en vigueur dans notre pays, ce que ne manque pas
de souligner régulièrement le Conseil d’État depuis 1951
(CE 18 avr. 1951, Élections de Nolay). La cour
administrative d’appel de Nancy aurait ainsi dû souligner
que les associations requérantes ne pouvaient utilement se
prévaloir de ce texte, même si cela n’aurait pas changé
grand-chose au final pour elles puisque le principe de
dignité, protégé par l’article 1er de la Déclaration
universelle des droits de l’homme, l’est également par le
Préambule de la Constitution de 1946.

B – Le rejet relativement peu


argumenté de la violation des
principes d’égalité et de dignité
Après avoir énuméré les normes invoquées par les
associations requérantes, relatives tout à la fois au principe
d’égalité entre hommes et femmes et au principe de dignité
de la personne humaine, la cour administrative d’appel de
Nancy s’est attachée à vérifier si la décision litigieuse prise
par le maire y portait ou non atteinte, sans apporter de
précisions sur la portée ou le contenu de ces principes. Il
convient de relever cependant que si était fait référence ici
au Préambule de la Constitution de 1946 à partir duquel le
juge constitutionnel a dégagé le principe de dignité de la
personne humaine (décision Bioéthique du 27 juillet 1994),
le Conseil d’État a pour sa part rattaché ce principe à la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans un
avis contentieux rendu en 2009 (CE, ass., 16 févr. 2009,
Hoffmann-Glemane). Aucune référence n’apparaît non plus
dans cet arrêt au principe général d’égalité qui connaît de
multiples déclinaisons en droit administratif, dont le
fameux principe général d’égalité devant les services
publics (CE, sect., 9 mars 1951, Soc des Concerts du
Conservatoire), et qui interdit les différences de traitement
injustifiées ce qui englobe celles qui pourraient être
opérées entre les hommes et les femmes.
La cour administrative a fait le choix de ne pas examiner
successivement les atteintes qui auraient été portées à l’un
puis l’autre de ces principes et a donc rendu une
motivation dans ses paragraphes 3 et 4 qui n’opère pas de
distinction entre les atteintes reprochées à l’un et à l’autre.
Pour cela, elle a relevé qu’environ la moitié des panneaux
installés dans les espaces publics de la commune
représentaient des accessoires féminins (chapeaux, sacs,
etc.) ou des têtes féminines et affirmé qu’ils ne portaient
atteinte ni à la dignité de la femme ni au principe d’égalité
entre hommes et femmes et ne constituaient pas davantage
en « une propagande discriminatoire à l’encontre d’une
partie de la population » (§ 3). Elle a ensuite affirmé dans
son paragraphe 4 qu’il en allait de même s’agissant des
panneaux représentant cette fois-ci « des silhouettes de
femmes, à différents âges de la vie et dans différentes
attitudes, tantôt seules, tantôt accompagnées d’enfants »,
même si elle a reconnu que certains d’entre eux,
minoritaires, « manifestent un goût douteux ». Si cette
solution n’étonne guère au vu de l’ordonnance précitée du
É
Conseil d’État rendue dans cette affaire, la motivation
reste, comme à l’accoutumée il est vrai, assez succincte et
aurait sans doute mérité de plus amples développements.
De fait, la décision d’afficher ces panneaux, même si ceux-
ci reproduisent certains stéréotypes sexistes, et sauf à faire
évoluer la jurisprudence administrative relative au principe
d’égalité, traduit difficilement une rupture d’égalité au sens
habituellement retenue par le juge administratif qui
examine normalement les différences de traitement
opérées entre deux catégories de personnes, alors qu’ici
seules les femmes sont concernées par ces panneaux
puisqu’il s’agissait de l’année de la femme. La situation
aurait été différente si dans le même temps avaient été
affichés également des panneaux représentant des hommes
dans des situations et des postures toujours valorisantes et
flatteuses, car le juge aurait pu apprécier cette fois la
différence de traitement réservée aux uns et aux autres.
Quant au principe de dignité là encore le juge ne s’est pas
étendu, alors que ce principe se conçoit tout à la fois
comme interdisant les traitements inhumains et dégradants
et comme, dans une acception abstraite, protégeant l’être
humain en tant que tel.
L’affirmation de l’absence de méconnaissance de ces
principes et en particulier du principe de dignité ne pouvait
ensuite que conduire la cour administrative d’appel de
Nancy à considérer qu’il ne pouvait être reproché au maire
de ne pas avoir exercé ses pouvoirs de police.

II/ La reconnaissance consécutive de


l’absence de méconnaissance de
l’étendue de ses pouvoirs de police
par le maire
Peu de développements ont été consacrés à ce point par
la cour administrative d’appel de Nancy. Celle-ci a toutefois
pris soin, de manière classique, d’effectuer un rappel
préalable des pouvoirs de police du maire (A) avant de
rejeter en toute logique le moyen tiré de la violation par le
maire de l’obligation d’utiliser ses pouvoirs de police (B).

A – Le rappel classique des pouvoirs


de police du maire
De façon classique, comme à chaque fois qu’est évoqué le
pouvoir de police administrative, la cour administrative de
Nancy se réfère au fondement de ce pouvoir. En
l’occurrence le juge cite dans son paragraphe 9 l’article L.
2542-3 du code général des collectivités territoriales selon
lequel « Les fonctions propres au maire sont de faire jouir
les habitants des avantages d’une bonne police, notamment
de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la
tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics. Il
appartient également au maire de veiller à la tranquillité, à
la salubrité et à la sécurité des campagnes ». Ce choix peut
de prime abord paraître surprenant car, en principe,
s’agissant du pouvoir de police du maire, le juge se réfère à
l’article L. 2212-1 du code général des collectivités
territoriales, issu de l’article 97 de la loi du 5 avril 1884. Il
s’explique cependant tout simplement par le fait que cet
article n’est pas applicable (en vertu de l’article L. 2541-1
de ce même code) aux communes situées dans les
départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle,
lesquels sont soumis à un régime particulier. Ces deux
articles ont toutefois un contenu plutôt similaire et font
référence aux trois composantes traditionnelles de l’ordre
public que sont la sécurité publique, la salubrité publique
et la tranquillité publique.
L’arrêt commenté reste très succinct sur le pouvoir de
police du maire en se contentant de préciser qu’il «
appartient à l’autorité investie du pouvoir de police
municipale de prendre toute mesure pour prévenir une
atteinte à l’ordre public, dont une des composantes est le
respect de la dignité de la personne humaine » (§ 10). Le
juge n’a pas pris la peine de rappeler expressément quelles
sont toutes les composantes de l’ordre public. Aucun
développement ne concerne ainsi les composantes
traditionnelles mais cela peut aisément s’expliquer par le
fait que celles-ci n’étaient pas en jeu dans l’affaire
examinée. Il en va de même pour l’absence de toute
référence à la moralité publique, consacrée comme
composante de l’ordre public depuis l’arrêt Lutétia (CE 18
déc. 1959, Sté les films Lutétia). Le juge a par contre
souligné que la dignité de la personne humaine fait bien
partie de l’ordre public, dans la mesure justement où
l’argumentation des associations requérantes reposait sur
le non-respect de cette composante. Il s’agit par ailleurs
d’une composante relativement récente, reconnue par deux
arrêts d’assemblée du Conseil d’État rendus le 27 octobre
1995, Cne de Morsang-sur-Orge et Ville d’Aix-en-Provence,
beaucoup moins utilisée dans la jurisprudence
administrative, même si l’on compte certaines affaires très
médiatisées sur ce point avec notamment les fameuses
ordonnances Dieudonné rendues en 2014 puis l’arrêt CE 9
nov. 2015, Assoc. générale contre le racisme et pour le
respect de l’identité française chrétienne.

B – Le rejet logique du moyen tiré de


la violation par le maire de
l’obligation d’exercer ses pouvoirs de
police
Dans l’arrêt commenté la Cour a rejeté de manière très
rapide le moyen tiré de la violation l’obligation d’agir du
maire en matière de police administrative. L’obligation
d’agir des autorités de police afin d’assurer la protection de
l’ordre public n’a d’ailleurs même pas été rappelée, la cour
s’étant contenté de l’affirmation selon laquelle « il
appartient à l’autorité investie du pouvoir de police
municipale de prendre toute mesure pour prévenir une
atteinte à l’ordre public », qui souligne la compétence du
maire en matière de police administrative. Cette absence
peut surprendre, d’autant plus que la jurisprudence
relative à cette question est bien établie depuis la
jurisprudence Doublet (CE 23 oct. 1959, Doublet). Le
Conseil d’État a eu en effet maintes fois l’occasion de
préciser que la carence des autorités de police constitue
une faute de nature à engager la responsabilité de la
personne publique. Afin d’assurer la protection de l’ordre
public l’autorité de police est ainsi tenue d’adopter non
seulement des règlements de police ainsi que les mesures
nécessaires à leur application (CE, sect., 14 déc. 1962,
Doublet) mais aussi, le cas échéant, des décisions
individuelles (CE 1er juin 1973, Delle Ambrigot).
À l’absence de développements consacrés au rappel des
implications de la carence fautive de l’autorité de police
s’ajoute la simple indication, pour rejeter le moyen soulevé
par les associations requérantes, selon laquelle ces
dernières ne sont pas fondées à soutenir, au regard de ce
qui a été indiqué aux points 3 à 4 du présent arrêt « que le
maire de Dannemarie aurait dû, en application de ces
dispositions, faire disparaître les panneaux litigieux de
l’espace public, dès lors qu’ils auraient contrevenu à l’ordre
public et à la dignité humaine » (§ 11). La motivation du
juge est ici réduite au minimum, celui-ci se contentant de
faire référence aux motifs précédemment invoqués. Le rejet
du moyen soulevé ici était de toute façon inévitable et
logique dans la mesure où le juge avait auparavant estimé
que la décision d’afficher de tels panneaux ne portait pas
atteinte au principe de dignité. Cela explique sans doute
aussi le moindre intérêt que semble avoir porté le juge à
l’examen de ce moyen. Il est vrai également que le cas de
figure était un peu curieux, et même paradoxal, car en
règle générale la carence fautive de l’autorité de police est
invoquée lorsqu’une autorité de police, face à une situation
qui ne dépend pas ou ne résulte pas de sa volonté, n’a pas
pris de mesure de police ou n’a pas adopté de mesure
suffisante alors qu’ici il s’agissait de demander au juge de
dire qu’une même autorité en prenant un acte (la décision
d’afficher des panneaux) avait commis une illégalité fautive
en ne prenant pas ensuite une mesure de police
d’interdiction de cet affichage !
Les fonctions de
l’Administration
Thème principal
Police administrative
Mots-clés
Police administrative, Responsabilité, Compétence
juridictionnelle
Sujet proposé et corrigé établi par
Bertrand Seiller, Professeur, Université Paris II Panthéon-
Assas
Second semestre 2020-2021

〉Cas pratique
Le maire de la commune de X rencontre quelques
difficultés dans la gestion des voies de sa commune.
1. Cela fait plusieurs mois que les habitants d’une des rues
piétonnes du centre historique se plaignent auprès des
services de la mairie de ce que la chaussée et les trottoirs
de cette rue sont en permanence encombrés par des
étalages installés sans autorisation et qu’il en résulte des
nuisances et des troubles importants tant pour la sécurité
du passage que pour la salubrité des lieux. Deux passages
des agents de la police municipale ont certes procuré une
amélioration mais les désordres ont à chaque fois repris peu
après. Après un courrier adressé au maire le 10 mars
dernier et resté sans réponse, dans lequel il lui demandait
de prendre toute mesure pour remédier à cette situation et
une indemnisation de 3 000 euros en réparation du
préjudice qui en résulte pour lui dans sa vie quotidienne, un
résident du quartier est décidé à agir en justice. Il
s’interroge sur la pertinence de son action. (8 points)
2. Par ailleurs, pour combler des trous constatés dans la
chaussée d’une des rues longeant le parc municipal, deux
agents du service de la voirie ont déversé plusieurs seaux
de gravillons sur cette chaussée. Dans les heures qui ont
suivi, un motard, qui connaît bien cette rue tranquille qu’il a
l’habitude d’emprunter car elle lui permet de rouler à vive
allure, a dérapé sur ces gravillons. Il s’est blessé au coude
et a endommagé sa moto. Il souhaite savoir si et comment il
pourra être indemnisé des dommages qu’il estime avoir
ainsi subis. (7 points)
3. Immédiatement averti de l’accident, le maire a
convoqué les deux agents ayant procédé à cette
intervention technique pour le moins inadaptée. Ayant
appris qu’ils avaient été récemment recrutés par contrats, le
maire a décidé de mettre un terme à ceux-ci dans le respect
des procédures légales. Estimant cependant n’avoir fait
qu’exécuter les ordres donnés par leur responsable, les
deux agents entendent contester leur licenciement devant
le conseil de prud’hommes. Le maire se demande si la
juridiction en cause est bien compétente pour statuer. (5
points)

〉Préparation
Analyse du sujet

Le cas pratique donné à la session de mai 2021 a


été adapté aux conditions particulières imposées
par la crise sanitaire (épreuve de 2 heures et non 3
heures). Les trois aspects à traiter portaient sur
divers thèmes du cours du second semestre (police
administrative, responsabilité, contrats) mais
supposaient évidemment une maîtrise de ceux
traités au premier semestre (par ex. pour les
questions de répartition des compétences
juridictionnelles). Moins qu’une appréciation exacte
des chances de succès des recours, c’est une
correcte analyse juridique des problèmes exposés,
reposant sur des éléments précis (jurisprudence ou
textes) qui était attendue.

Plan du corrigé

I/ La carence dans l’exercice des pouvoirs de police


(sur 8 points)

II/ L’accident du motard (sur 7 points)

III/ Le licenciement des agents (sur 5 points)

〉Corrigé
I/ La carence dans l’exercice des
pouvoirs de police (sur 8 points)
La situation décrite dans le cas pratique est relative aux
conséquences de l’inaction supposée des autorités de la
commune pour faire respecter les conditions normales
d’utilisation de la voie publique. Les riverains font valoir à
ce titre que l’installation d’étalages sans autorisation
provoque des nuisances et des troubles importants tant
pour la sécurité du passage que pour la salubrité des lieux.
Ils mettent ainsi en cause une carence dans la mise en
œuvre des pouvoirs de police administrative confiés au
maire de la commune. La police administrative tend, en
effet, au maintien de la sécurité, de la salubrité et de la
tranquillité publiques. Toute situation qui cause un trouble
à l’une ou l’autre de ses composantes relève ainsi de la
mise en œuvre du pouvoir de police administrative.
Lorsque ce trouble ne concerne qu’une seule commune,
c’est au maire de celle-ci, autorité de police municipale, de
prendre les mesures qui s’imposent pour prévenir le
trouble et/ou empêcher qu’il ne continue.
Il est indiqué que les riverains se sont plaints de la
situation à plusieurs reprises ces derniers mois auprès des
services de la mairie. Ceux-ci ne sont certes pas restés
totalement inactifs puisque la police municipale est
intervenue deux fois et a permis un retour à la normale.
Cependant, il n’a été, à chaque fois, que temporaire. Il est
donc possible de considérer que les mesures prises ont été
insuffisantes car elles n’ont pas dissuadé les commerçants
concernés de réinstaller leurs étalages sur les trottoirs.
Le courrier adressé par le riverain est en date du 10 mars
dernier. Il est resté sans réponse ce qui doit conduire à
considérer qu’il a fait naître, deux mois après sa réception,
une décision implicite de refus. En effet, ce courrier,
tendant d’une part, à l’édiction de mesures propres à
remédier à la situation et d’autre part, au versement d’une
indemnité en réparation des préjudices subis par le riverain
dans sa vie quotidienne, ne relève pas du principe selon
lequel le silence conservé par l’Administration sur une
demande vaut acceptation de celle-ci (art. L. 231-1 du code
des relations entre le public et l’Administration). Il en est
donc résulté, sur les deux demandes contenues dans ce
courrier, l’apparition d’une décision implicite de refus (le
10 mai ou dans les jours qui ont suivi, en fonction de la
date de réception du courrier à la mairie). En tout état de
cause, à la date de l’examen (27 mai 2021), cette décision
de refus est née et peut être contestée.
Si le riverain persiste dans sa volonté, il peut donc
exercer un recours pour excès de pouvoir contre la décision
du maire refusant de prendre les mesures de police
administrative propres à restaurer l’ordre public dans la
rue en cause. Il a deux mois et un jour, à compter de la date
d’apparition de la décision de refus, pour exercer ce
recours, soit jusqu’au 11 juillet (ou les jours suivants, cf. ci-
dessus). Un tel recours pour excès de pouvoir est dispensé
À
du ministère d’avocat. À l’appui de ce recours, le requérant
doit établir l’illégalité de la carence du maire dans
l’exercice de son pouvoir de police. Alors que le juge
n’admettait initialement l’illégalité de l’abstention des
autorités de police administrative que dans des
circonstances très restrictives (CE 23 oct. 1959, Doublet), il
est désormais plus exigeant au sujet de la mise en œuvre
du pouvoir de police en cas de troubles à l’ordre public.
Ainsi, tout porte à croire, qu’en l’espèce, au regard des
demandes anciennes, répétées et dépourvues d’effets réels,
le juge administratif (ici le tribunal administratif dans le
ressort duquel se situe la commune) estimera que le refus
de prendre de nouvelles mesures plus fermes est entaché
d’illégalité.
Par ailleurs, si le riverain persiste également dans sa
volonté d’obtenir la réparation des préjudices qu’il estime
subir dans sa vie quotidienne du fait de la persistance des
troubles à l’ordre public dans sa rue, il peut engager une
action en responsabilité contre la commune (et non contre
le maire, organe de celle-ci, qui n’a pas commis de faute
personnelle en l’occurrence). Une action en responsabilité
est soumise au ministère d’avocat obligatoire, sauf lorsque,
comme en l’espèce, elle est dirigée contre une collectivité
locale (CJA, art. R. 431-3, 5°). Il s’agira d’une action en
responsabilité fondée sur la faute simple constituée par la
carence de l’autorité de police municipale (CE 2003, Cne
de Moissy-Cramayel). Sur ce point encore, les
circonstances conduisent à penser que cette action sera
reconnue fondée. Le juge administratif appréciera
cependant le montant du préjudice réellement subi par le
riverain.

II/ L’accident du motard (sur 7 points)


Le motard a été victime d’un accident causé par la façon,
assurément rudimentaire, par laquelle ont été comblés les
trous constatés dans la chaussée. Il est susceptible de
demander la réparation des préjudices subis (corporels :
blessure ; biens : dégâts sur la moto) à la commune sur le
territoire de laquelle la rue est située et dont les agents
sont ainsi maladroitement intervenus.
Cette action en responsabilité doit être portée devant la
juridiction administrative puisqu’elle est liée à l’entretien
de l’ouvrage public que constitue la route (art. 4 Loi du 28
pluviôse an VIII). Elle devra cependant respecter la règle de
la décision préalable. Pour cela, le motard devra
préalablement demander à la commune de l’indemniser et,
en cas de refus (éventuellement né du silence conservé
pendant 2 mois sur sa demande), contester ce refus devant
le tribunal administratif dans le ressort duquel est située la
commune. Il demandera au juge de condamner la commune
à l’indemniser des préjudices dont il se plaint. Cette action
ne sera pas soumise au ministère d’avocat bien qu’elle
relève du plein contentieux (CJA, préc., art. R. 431-3, 5°).
Sur le fond, le fondement de la responsabilité de la
commune sera une responsabilité pour faute mais
aménagée de façon très favorable à la victime. En effet, le
motard a été victime d’un accident en circulant sur la voie
publique. Comme il a été précédemment indiqué, celle-ci
est un ouvrage public. Or la jurisprudence administrative
fait bénéficier les usagers des ouvrages publics d’une
responsabilité pour faute présumée. La faute qui est ainsi
présumée est un défaut d’entretien normal de l’ouvrage
public. Le motard n’aura donc qu’à établir son préjudice et
le lien de causalité entre son accident et la présence de
gravillons sur la chaussée. Le mécanisme de la faute
présumée permet à la personne dont la responsabilité est
recherchée de renverser la présomption. En l’occurrence, il
faudrait que la commune établisse qu’elle n’a pas commis
de faute dans l’entretien de la chaussée, c’est-à-dire qu’elle
a entretenu normalement celle-ci. Tout porte cependant à
considérer, au regard des indications données dans
l’exposé des faits, que l’entretien de la route a été fait de
façon particulièrement inadaptée : le simple apport de
gravillons ne suffisait pas à restaurer la chaussée et était
même particulièrement dangereux pour les usagers de la
route. La commune ne pourra donc probablement pas se
soustraire à sa responsabilité.
Elle devrait néanmoins réussir à réduire le montant de
l’indemnité à laquelle elle sera probablement condamnée. Il
est en effet indiqué, dans l’exposé des faits, que le motard
emprunte la rue en cause car elle lui permet de rouler à
vive allure. Si la commune parvient à établir qu’au moment
de l’accident, le motard roulait effectivement trop vite
(notamment compte tenu de l’état de la chaussée : trous
antérieurs ou désormais présence de gravillons), elle
établira qu’il a concouru à la réalisation de son dommage.
Elle démontrera ainsi une faute de la victime, constitutive
d’une cause d’exonération de sa responsabilité. Le juge
administratif réduira alors le montant de l’indemnité
allouée au motard de la part de sa propre responsabilité
dans l’accident.

III/ Le licenciement des agents (sur 5


points)
La question principale que pose cette dernière partie du
cas est celle de la juridiction compétente pour connaître de
l’action engagée par les deux agents contre les deux
décisions mettant fin à leur contrat. Les agents pensent
devoir saisir le conseil de prud’hommes pour contester ces
décisions mais se trompent.
Le juge compétent doit être en effet déterminé en
fonction de la nature (administrative ou de droit privé) des
contrats de travail qui unissaient ces agents à la commune.
En l’absence ici de dispositions législatives susceptibles
d’accorder directement une qualification administrative aux
contrats en cause, il convient de mettre en œuvre les
critères jurisprudentiels de l’administrativité des contrats.
Ces contrats unissent une personne publique (la
commune) à des personnes physiques (donc des personnes
privées). Pour qu’un contrat conclu entre une personne
publique et une personne privée soit administratif, il faut
rechercher s’il est relatif à l’exécution même du service
public (CE 1956, Épx Bertin) ou s’il comporte des éléments
exorbitants. Rien dans l’exposé des faits ne permet
d’identifier la présence d’éléments exorbitants dans les
contrats par lesquels ces agents ont été recrutés. En
revanche, il est certain que ces contrats sont relatifs à
l’exécution même du service public puisqu’ils ont été
conclus pour recruter des agents affectés au service de la
voirie.
Ce service de la commune est en effet un service public
administratif : même si rien n’est dit à son sujet dans
l’exposé des faits, il ne fait aucun doute d’une part, que
cette activité est un service public puisqu’elle est d’intérêt
général et maîtrisée par une personne publique (la
commune), et d’autre part, qu’elle ne remplit pas les
conditions qui confèrent à un service public le caractère
d’un service public industriel et commercial. Ces conditions
sont une triple ressemblance avec l’activité d’une personne
privée par son objet, l’origine de ses ressources et ses
modalités de financement et de fonctionnement (CE 1956,
Union syndicale des industries aéronautiques). Il s’agit
donc bien d’un service public administratif.
Or les contrats par lesquels une personne publique
recrute des agents pour les besoins d’un service public
administratif sont des contrats administratifs (T. confl.
1996, Berkani). Les litiges y afférents, et donc y compris
ceux relatifs à leur résiliation, relèvent ainsi de la
juridiction administrative. Les agents devront donc plutôt
saisir le tribunal administratif dans le ressort duquel est
située la commune de leur action à l’encontre des décisions
de mettre fin à leur contrat.
Sur le fond, compte tenu de la faiblesse des éléments
donnés par l’exposé des faits, il est difficile d’apprécier
leurs chances de succès. Il est toutefois possible de relever
qu’ils affirment n’avoir fait qu’exécuter les ordres de leur
supérieur hiérarchique. Il est donc vraisemblable que leur
licenciement sera considéré comme une mesure excessive
et donc illégale.
La justice administrative
Thème principal
Responsabilité
Mots-clés
Responsabilité pour faute, Faute personnelle, Faute de
service
Sujet proposé et corrigé établi par
Jean-François Brisson, Professeur, Université de Bordeaux
Premier semestre 2019-2020

〉Commentaire d’arrêt : CE 10 avril


2013, Ville de Marseille, req. no
359803
3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis
aux juges du fond que la ville de Marseille avait opposé
devant le tribunal administratif une fin de non-recevoir, tirée
de ce que le contentieux n’était plus lié par la demande
préalable présentée par le requérant en raison de la
modification de ses prétentions indemnitaires en cours
d’instance ; que la cour administrative d’appel de Marseille,
en faisant droit aux conclusions de la société Natixis Factor
sans avoir au préalable écarté cette fin de non-recevoir qui
n’avait pas été expressément abandonnée par la ville de
Marseille, a méconnu son office ; que son arrêt doit, pour ce
motif, être annulé ;
4. Considérant qu’il y a lieu, pour le Conseil d’État, sans
qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi,
de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2
du code de justice administrative ;
5. Considérant que la société Natixis Factor forme
régulièrement appel, et dans le délai qui lui était imparti,
contre le jugement par lequel le tribunal administratif de
Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de
la ville de Marseille à lui payer la somme de 311 186, 50
euros ;

Sur la responsabilité de la ville de Marseille :


8. Considérant que la victime non fautive d’un préjudice
causé par l’agent d’une Administration peut, dès lors que le
comportement de cet agent n’est pas dépourvu de tout lien
avec le service demander au juge administratif de
condamner cette Administration à réparer intégralement ce
préjudice [corrigé, plan/ 1re partie], quand bien même une
faute personnelle commise par l’agent devrait être regardée
comme détachable du service [corrigé, plan/ 1re partie, B] ;
9. Considérant qu’il résulte de l’instruction que par un arrêt
du 16 novembre 2005, devenu définitif, la cour d’appel
d’Aix-en-Provence a, d’une part, confirmé le jugement du
tribunal correctionnel de Marseille du 31 janvier 2003
condamnant M. B…, responsable de la division Nord des
services de la ville de Marseille, à payer à la société Natixis
Factor la somme de 311 186, 50 euros en réparation du
préjudice causé par les faux en écriture dont il a été
reconnu coupable et, d’autre part, condamné l’intéressé à
dix-huit mois d’emprisonnement dont six avec sursis et à
l’interdiction d’exercer dans la fonction publique pendant
cinq ans ; que les agissements de M. B… constatés par le
juge pénal portaient sur l’établissement de faux certificats
de paiement au titre de travaux non réalisés par la société
Compagnie nationale des fluides titulaires d’un marché de la
ville de Marseille ; que ces agissements sont constitutifs
d’une faute grave commise par un agent de la ville de
Marseille dans l’exercice de ses fonctions [corrigé, plan/ 1re
partie, A] et ne sont, par suite, pas dépourvus de tout lien
avec le service [corrigé, plan/ 1re partie, B] ; qu’ainsi la
société Natixis Factor est fondée à demander à la ville de
Marseille la réparation du préjudice du fait des faux en
écriture commis par M. B…, indépendamment des
conditions de solvabilité de l’intéressé et alors même que la
faute de cet agent doit être regardée comme détachable du
service [corrigé, plan/ 1re partie, A] ; que cette dès lors
qu’elle aura été subrogée à concurrence de la somme
correspondant au préjudice, que cette dernière circonstance
permet seulement à la ville de Marseille, condamnée à
assumer les conséquences de cette faute personnelle,
d’engager une action récursoire contre cet agent [corrigé,
plan/ 2nde partie, A] dès lors qu’elle aura été subrogée à
concurrence de la somme correspondant au préjudice subi,
aux droits résultants pour la société Natixis Factor des
condamnations qui auraient été ou seraient susceptibles
d’être prononcées à son profit contre M. B… à raison des
mêmes faits par l’autorité judiciaire [corrigé, plan/ 2nde
partie, B] ;

Sur le préjudice :
10. Considérant que le préjudice de la société Natixis
Factor a été fixé par les juridictions judiciaires à 311 186,50
euros à la date du 31 janvier 2003, comme correspondant
au montant des certificats pour paiement de travaux non
réalisés sur lesquels M. B… a néanmoins apposé sa
signature et son timbre humide ; qu’il y a lieu, par suite, de
condamner la ville de Marseille à verser cette somme à la
société Natixis Factor, assortie des intérêts à compter du 20
décembre 2004, la ville étant subrogée dans les droits de la
société Natixis Factor dans la créance que celle-ci détient à
l’encontre de M. B… dans la limite de ce montant ;
11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la
société Natixis Factor est fondée à soutenir que c’est à tort
que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de
Marseille a rejeté sa demande.

〉Préparation
Analyse du sujet
L’exercice donné à l’examen est un commentaire
d’arrêt. D’un point de vue méthodologique,
l’étudiant doit veiller à construire son devoir en
s’appuyant sur le raisonnement et l’enchaînement
logique des arguments développés par le juge. Le
commentaire d’arrêt ne doit pas être le prétexte à
une dissertation déguisée. Le corrigé proposé
souligne en ce sens les passages de l’arrêt servant
à la construction du plan. Une attention toute
particulière doit être portée à la construction de
l’introduction de manière à souligner l’intérêt de
l’arrêt au regard des questions juridiques qu’il
soulève. Le corrigé proposé formalise en ce sens
les différentes étapes de construction de
l’introduction. Sur le fond du droit, un bon devoir
rappellera que la responsabilité de l’Administration,
personne morale, est par définition une
responsabilité du fait d’autrui. Aidé par la rédaction
très pédagogique de l’arrêt, le commentaire
s’attachera plus particulièrement à mettre en avant
la différence de contenu de la distinction faute de
service-faute personnelle selon que l’action est
exercée devant le juge administratif ou le juge
judiciaire, selon que la victime agit contre
l’Administration ou son agent, ou l’Administration
contre son agent. À cet égard, une bonne
connaissance de la jurisprudence est indispensable
afin de recenser les différentes hypothèses de mise
en œuvre de la distinction faute personnelle-faute
de service et de dresser la typologique des fautes
non dépourvues de tout lien avec le service.
L’angle retenu par le corrigé, dicté par les
circonstances de l’affaire, insiste sur l’idée de
gravité des faits reprochés aux agents de
l’Administration. Il permet de dissocier à l’encontre
du sens commun les notions de faute grave et de
faute personnelle.

Plan du corrigé

I/ La gravité du fait personnel, condition


négligeable dans la détermination de la
responsabilité de l’Administration à l’égard des
victimes

A – La couverture par l’Administration des fautes


personnelle graves même détachables du service

B – L’appréciation purement objective des liens


entre la faute personnelle et le service

II/ La gravité du fait personnel, condition


déterminante dans la reconnaissance de la
responsabilité de l’agent à l’égard de
l’Administration

A – La gravité du fait personnel, critère de la faute


personnelle dans le contentieux de l’action
récursoire devant le juge administratif

B – La gravité du fait personnel, condition d’une


éventuelle responsabilité de l’agent devant le juge
civil
〉Corrigé
[Accroche] Une collectivité territoriale est condamnée en
justice à raison d’une escroquerie commise par l’un de ses
agents. La chose heurte le sens commun et les premiers
juges s’y étaient refusés. Mais elle est courante comme
l’illustre l’arrêt Ville de Marseille. La solution retenue par
le Conseil d’État souligne la subtilité juridique des relations
unissant l’Administration, ses agents et les administrés
victimes d’agissements personnels gravement fautifs
commis à l’occasion de l’exécution du service public.
[Présentation du contexte de l’arrêt] La complexité de ces
relations tient d’abord à ce que la responsabilité de
l’Administration est toujours une responsabilité du fait
d’autrui dès lors que l’Administration, personne morale,
agit par l’entremise d’un agent.
Or tous les agissements d’un agent ne sauraient être
imputables de la même manière à l’Administration
personne morale. À cette fin, le Tribunal des conflits dans
l’arrêt Pelletier en 1873 avait érigé une distinction de
principe entre les agissements individuels qualifiables de
faute de service et imputables à l’Administration personne
morale, responsable par voie de conséquence devant le
juge administratif ; et les fautes personnelles imputables
exclusivement à l’agent et relevant alors du juge judiciaire
et des mécanismes du droit civil.
Dès l’origine, cette distinction a soulevé d’importantes
difficultés. Édouard Laferrière proposait des critères très
impressionnistes : la faute personnelle est empreinte d’une
certaine gravité, c’est celle qui voit l’agent sortir de ses
fonctions pour laisser voir ses erreurs, ses faiblesses, ses
passions (Laferrière, conclusions sur T. confl. 1877,
Laumonnier-Carriol). Ensuite, et l’affaire Ville de Marseille
l’illustre parfaitement, une faute personnelle, révélant les
faiblesses et les passions de l’agent, a pu être commise
dans l’exercice des fonctions, à l’occasion du service, avec
les moyens du service. La prise en compte du contexte dans
lequel la faute s’est réalisée va conduire le commissaire du
gouvernement Blum dans ses conclusions sur l’affaire
époux Lemonnier (1918) à admettre que le faute se détache
peut-être du service mais que le service ne se détache pas
de la faute.
Le Conseil d’État en tirera l’idée du cumul de
responsabilités permettant à la victime de tels agissements
personnels d’engager, si elle le souhaite, pour éviter
l’insolvabilité du coupable, la responsabilité de
l’Administration devant le juge administratif, plutôt que
celle de l’agent devant le juge judiciaire.
[Présentation de l’arrêt] L’affaire Ville de Marseille
montre que le cumul de responsabilités joue y compris
quand la faute commise par l’agent est très grave et même
passible contre lui de poursuites pénales. Un agent de la
ville de Marseille avait établi de faux certificats de
paiement au titre de travaux non réalisés à la société
Natifix Factor. Alors même que le juge pénal avait
condamné l’agent pour cette infraction, la société lésée,
craignant l’insolvabilité du coupable, avait par ailleurs
engagé la responsabilité de la ville laquelle en contestait le
principe en opposant le caractère strictement personnel de
la faute commise.
En l’espèce, le Conseil d’État va faire rejeter le pourvoi
en cassation de la ville confirmant la condamnation à
verser des dommages-intérêts prononcée par les juges du
fond. Fidèle à sa jurisprudence et aux principes de l’arrêt
époux Lemonnier, le Conseil d’État estime que la faute
commise par l’agent n’était pas dépourvue de tout lien avec
le service et qu’en conséquence la réparation du préjudice
devait être assurée par la ville de Marseille.
[Portée de l’arrêt] Cette décision n’est donc pas un arrêt
de principe ouvrant la voie à un changement de
jurisprudence. Il s’inscrit au contraire dans la continuité de
l’édifice jurisprudentiel établi depuis 1918. Il en conforte
même la solidité en démontrant que la gravité de la faute
commise par l’agent n’exerce aucune incidence lorsqu’il va
s’agir d’établir le lien avec le service afin d’assurer la
réparation de la victime d’un dommage subi à l’occasion de
ses rapports avec l’Administration. À la lecture de l’arrêt,
une première conclusion s’impose : la distinction entre la
faute personnelle et la faute de service est totalement
dévalorisée, l’Administration pouvant toujours être
poursuivie et condamnée pour des faits non dépourvus de
tout lien avec le service. Faut-il en déduire que la gravité
des agissements personnels des agents n’est jamais prise
en considération par le juge administratif ? La chose serait
moralement choquante : la protection des victimes ne doit
pas conduire à la déresponsabilisation d’agents auteurs
d’actes inadmissibles, gravement contraires aux valeurs du
service public. C’est ce que s’efforce de rappeler aussi le
Conseil d’État en soulignant que la ville de Marseille reste
fondée en l’espèce, parce que condamnée à réparer les
conséquences d’agissements qui sont détachables du
service, à exercer une action récursoire contre son agent à
raison du préjudice qu’elle a été amenée à couvrir.
[Problématique/ idée générale] À la lecture de l’arrêt, on
peut se demander si l’exclusion du degré de gravité dans
l’appréciation d’une faute non dépourvue de tout lien avec
le service, motivée par une meilleure prise en compte du
droit à indemnisation des victimes, ne contribue pas à
remettre en question les fondements de la distinction entre
la faute personnelle et la faute de service ? La réponse
n’est pas évidente. Disons que l’arrêt Ville de Marseille
confirme le statut juridique ambivalent de la faute
personnelle dans le contentieux de la responsabilité ouvert
devant le juge administratif : dévalorisée dans les relations
de l’Administration avec la victime, réactivée dans les
relations de l’Administration avec ses agents.
[Annonce du plan] La gravité de la faute de l’agent n’est
pas un critère déterminant lorsqu’il convient de mettre en
cause la responsabilité de l’Administration à l’égard des
victimes (I). Elle conserve cependant une importance
fondamentale lorsqu’il faut départager la responsabilité
incombant à l’agent vis-à-vis de l’Administration (II).

I/ La gravité du fait personnel,


condition négligeable dans la
détermination de la responsabilité de
l’Administration à l’égard des
victimes
En l’espèce, l’arrêt du Conseil d’État fait référence,
conformément à une jurisprudence classique à la notion de
faute personnelle héritée de l’arrêt Pelletier, mais cette
qualification n’a pas d’incidence sur la responsabilité de la
ville de Marseille car, comme l’explique le juge
administratif, « la victime non fautive d’un préjudice causé
par l’agent d’une Administration peut lui demander […] de
condamner cette Administration à réparer intégralement ce
préjudice, quand bien même une faute personnelle
commise par l’agent devrait être regardée comme
détachable du service » ; et ce dès lors que « le
comportement de cet agent n’est pas « dépourvu de tout
lien avec le service ». Or la jurisprudence développe depuis
l’arrêt époux Lemonnier une conception objective des liens
unissant les fautes commises durant le service : objective,
car indépendante de la notion de gravité. Ce qui conduit à
admettre dans la plupart des cas la responsabilité de
l’Administration.

A – La couverture par l’Administration


des fautes personnelle graves même
détachables du service
L’affirmation par le Conseil d’État de ce que la ville de
Marseille peut être tenue pour responsable d’une faute
personnelle même détachable du service illustre le déclin
de la distinction entre la faute personnelle et la faute de
service consécutive à l’arrêt Pelletier (T. confl. 1873).
Cette distinction permettait d’opérer un partage de
responsabilité entre l’agent et l’Administration. Lorsque la
faute se détache du service : elle relève de la compétence
du juge judiciaire qui n’a pas à s’intéresser au
fonctionnement de l’Administration. Au contraire, lorsque
la faute est liée au service, elle relève de la compétence du
juge administratif qui est compétent pour apprécier le
fonctionnement du service. La distinction visait à séparer la
responsabilité de l’Administration de la responsabilité de
l’agent selon que la faute résultait d’un mauvais
fonctionnement du service ou d’une faute résultant du
comportement de l’agent.
Cette distinction n’est plus de mise aujourd’hui puisque
l’Administration peut être amenée à couvrir des fautes qui,
bien que détachables du service, ont été commises dans
l’exercice des fonctions.
Dans l’affaire commentée, il ne fait aucun doute que les
agissements reprochés à l’agent ne sauraient être qualifiés
de faute de service. Il s’agit de comportements purement
personnels en raison même de leur objet (faux en écritures,
tentatives d’escroquerie à l’égard d’un fournisseur de
l’Administration). Pour reprendre, la formule de Laferrière,
ils sortent des fonctions et révèlent les faiblesses et
passions personnelles de l’agent. C’est en ce sens que le
juge les qualifie ici de détachables du service. À l’évidence,
il n’entre pas dans les fonctions d’un agent de commettre
une infraction pénale a fortiori intentionnelle et ici
d’escroquer un fournisseur de la ville à des fins
personnelles.
Mais de toute façon, cette qualification n’a aucune
incidence sur la responsabilité de l’Administration dès lors
que ces agissements ont été commis par l’agent dans
l’exercice de ses fonctions.
L’affaire commentée correspond à l’hypothèse du cumul
de responsabilités admis depuis l’arrêt époux Lemonnier
afin de mieux protéger les victimes qui, face à une faute
personnelle, ne pouvaient auparavant qu’engager la
responsabilité de l’agent (pas toujours solvable). La
commune ayant dans l’espèce Lemonnier était tenue
responsable des négligences répétées du maire dans
l’organisation d’un stand de tir à l’occasion d’une fête
locale.
Le cumul de responsabilité avait été annoncé par l’arrêt
Anguet (1911) qui avait consacré le principe de la
responsabilité de l’Administration en cas de cumul de
fautes. Le cumul de faute supposerait dans l’affaire
commentée pour la société Natixis de faire-valoir que la
ville de Marseille a commis une faute propre par exemple
dans l’organisation du service en n’assurant pas la
surveillance de son agent. De ce point de vue, le cumul de
responsabilité est bien plus favorable à la victime qui n’a
pas à démontrer l’existence d’une faute de la collectivité
mais simplement à expliquer que la faute de l’agent n’est
pas dépourvue de tout lien avec le service.

B – L’appréciation purement objective


des liens entre la faute personnelle
et le service
L’arrêt Ville de Marseille rappelle que l’Administration est
tenue de garantir aux victimes l’indemnisation des
conséquences dommageables de toute faute non dépourvue
de tout lien avec le service.
L’expression « faute non dépourvue de tout lien avec le
service », qui est de jurisprudence constante, témoigne des
largesses du cumul de responsabilités. Le juge
administratif a une conception purement objective des liens
avec le service.
L’Administration est ainsi tenue responsable pour une
faute personnelle à l’occasion du service mais étrangères
aux fonctions de l’agent (CE 1949, Mimeur). Mais
également pour des fautes commises au domicile de l’agent
avec les moyens du service (CE 1973, Sadoudi, à propos
d’un agent de police tuant un collègue à l’occasion du
nettoyage de son arme de service à son domicile). Il suffit
que le dommage puisse se rattacher d’une manière
quelconque au service.
Dans cet ordre d’idées, la gravité de la faute n’a pas à
être prise en compte.
Le juge administratif a déjà reconnu qu’une infraction
pénale ne confère pas nécessairement un caractère
personnel à la faute de l’agent (T. confl. 1935, Thépaz). Et
dans l’affaire Razewski de 1989, le Conseil d’État a admis
la responsabilité de l’État à l’égard de la victime d’un crime
commis par un gendarme délinquant sexuel récidiviste et
ayant participé en raison de son statut aux enquêtes
criminelles.
Dans la décision commentée, la faute de l’agent s’est
déroulée dans le cadre du service et la victime a été mise
en présence de l’agent par l’entremise du service. Dans ces
conditions, il ne faisait guère de doute que le Conseil d’État
conclut à ce que faute de l’agent était de nature à engager
la responsabilité de l’Administration quelle que soit sa
gravité.
C’est seulement dans des circonstances très particulières
que le juge considérera que la faute de l’agent est
dépourvue de tout lien avec le service. Ainsi, lorsque
l’agent « n’a agi qu’en raison des relations personnelles »
qu’il entretenait avec la victime. C’est ce qu’affirme par
exemple le Tribunal des conflits dans sa décision du 6
juillet 2009, req. no C3709. L’affaire rappelait les faits de
l’arrêt Sadoudi à propos d’un officier français participant
aux opérations de rétablissement de la paix en Côte-
d’Ivoire, qui avait accidentellement blessé la victime en lui
expliquant le maniement d’une arme à feu qu’il l’avait aidé
à se procurer auprès d’un tiers pour assurer sa défense en
dehors de toute instruction donnée par sa hiérarchie.
La qualification de faute non dépourvue de tout lien avec
le service ne dépend en conséquence ni d’une
condamnation de l’agent par le juge pénal, ni du degré de
gravité de la faute.
Cette admission large de la responsabilité de
l’Administration a pour conséquence de complexifier et de
multiplier les cas susceptibles d’engager la responsabilité
des collectivités publiques du fait des agents qu’elles
emploient. Dans le même temps, elle permet au juge
d’adapter cette responsabilité aux circonstances de chaque
espèce et de conforter le droit d’indemnisation des
victimes.
Cet élargissement a aussi pour conséquence sur le plan
théorique de dédoubler la notion de faute personnelle ; car
comme on va le voir, la faute que la victime pourrait
reprocher à l’agent – mais que le cumul des responsabilités
permet d’imputer à l’Administration – ne sera pas
forcément la même que celle que l’Administration
reprochera ultérieurement à l’agent.

II/ La gravité du fait personnel,


condition déterminante dans la
reconnaissance de la responsabilité
de l’agent à l’égard de
l’Administration
En l’espèce, on a vu que le juge administratif estime que
les agissements de l’agent « sont constitutifs d’une faute
grave […] que la faute de cet agent doit être regardée
comme détachable du service ». Cette appréciation, si elle
n’a pas d’incidence sur la responsabilité de
l’Administration, a par contre une importance cruciale dans
les relations entre l’Administration et son agent.
En effet, le Conseil d’État précise « que cette dernière
circonstance permet […] à la ville de Marseille, condamnée
à assumer les conséquences de cette faute personnelle,
d’engager une action récursoire contre cet agent » (A).
L’action récursoire ouvre la possibilité à l’Administration
d’obtenir une indemnité couvrant le préjudice qu’elle a subi
du fait de la garantie apportée à la victime. Elle vient
compléter utilement le mécanisme de la subrogation dès
lors que la victime n’aurait pas jugé opportun d’agir
parallèlement devant le juge judiciaire (B).

A – La gravité du fait personnel,


critère de la faute personnelle dans
le contentieux de l’action récursoire
devant le juge administratif
Le cumul des responsabilités suscite en réplique un
contentieux périphérique devant le juge administratif où la
faute personnelle retrouve toute sa place.
Le cumul de responsabilité simplifie l’indemnisation des
victimes en leur permettant d’engager la responsabilité de
l’Administration lorsqu’un agent commet une faute
personnelle ayant un lien avec le service. Ce lien a
essentiellement une fonction instrumentale puisqu’il
n’impute pas la responsabilité au véritable auteur du
dommage. C’est l’agent qui a commis une faute
personnelle. Dans ces conditions, le juge administratif va
admettre que l’Administration va pouvoir se retourner
contre l’agent à la place duquel elle a été condamnée (CE
1951, Laruelle).
À l’origine l’irresponsabilité des fonctionnaires était
largement conçue et empêchait l’Administration de
demander réparation à l’agent fautif (CE 1924, Poursines).
Cette jurisprudence était inconciliable avec le cumul de
responsabilités. En effet, comme le précise le juge dans la
décision commentée, l’action récursoire est ouverte lorsque
la faute de l’agent se détache du service. Elle permet à
l’Administration de faire supporter à l’agent les
conséquences de [sa] faute personnelle.
Le « véritable » partage des responsabilités intervient
donc dans un second temps à l’occasion d’un second
contentieux ouvert par l’Administration. C’est à ce stade
que la gravité de la faute de l’agent va retrouver toute son
importance. Elle permet de réactiver la distinction entre la
faute personnelle et la faute de service dès lors que les
conséquences dommageables d’une faute dénuée de
gravité resteront à la charge de l’Administration ; faute
pour l’employeur public de pouvoir démontrer en quoi,
commise dans l’exercice des fonctions, elle se détacherait
du service. Toutefois, certaines fautes graves resteront
indissociables du service : par exemple, pour les fautes
commises par chirurgiens hospitaliers lors de leurs
interventions qui sont graves à raison de leurs
conséquences (T. confl. 1957, Chilloux).
La distinction faute personnelle-faute de service joue
dans l’action récursoire d’une autre manière que dans la
jurisprudence Pelletier. Le contentieux de l’action
récursoire fait donc renaître la distinction faute de service-
faute personnelle. Mais la faute que l’Administration
reproche à l’agent n’est pas celle que la victime reproche à
l’Administration. La faute personnelle a ici une coloration
disciplinaire : l’agent a manqué aux obligations qu’il a
envers le service et son manquement sera d’autant plus
grave qu’il occupe un poste important dans la hiérarchie.
Cette autonomie de la faute permet d’ajuster la
responsabilité et l’indemnisation de l’Administration à la
gravité du préjudice subi par l’Administration (qui ne tient
pas seulement à la somme qu’elle a versé à la victime).
Le Conseil d’État a pu estimer que cette part de
responsabilité « doit être appréciée en raison de la gravité
des fautes imputables » (CE 1957, Jeannier) et qu’une faute
d’une « extrême gravité […] justifie qu’ait été mise à la
charge [de l’agent] la totalité des conséquences
dommageables qui en ait résulté » (CE 1999, Moine).
É
Dans la décision commentée, le Conseil d’État estime que
la faute de l’agent, compte tenu de sa gravité, est
détachable du service. Ce faisant, il invite la ville de
Marseille à engager une action récursoire contre son agent
pour les sommes qu’elle a versé à la société Natixis Factor
pour le préjudice qu’elle a subi en raison, répétons-le, de la
faute personnelle commise par l’agent.

B – La gravité du fait personnel,


condition d’une éventuelle
responsabilité de l’agent devant le
juge civil
L’arrêt Ville de Marseille évoque pour finir la possibilité
de la ville de Marseille d’être subrogée dans les droits de la
victime.
La subrogation joue dans l’hypothèse où la victime aurait
obtenu réparation devant le juge civil du préjudice causé
par l’agent. Cette technique part du principe que la victime
ne pourra pas être indemnisée deux fois et qu’en cas
d’indemnisation prononcée par le juge judiciaire, la ville de
Marseille sera subrogée dans ses droits à hauteur de
l’indemnité fixée par le Conseil d’État et déjà versée par la
ville à la société victime de l’escroquerie.
Cette hypothèse ne peut pas être écartée au moment où
le Conseil d’État rend son arrêt.
D’abord parce que le cumul de responsabilité n’interdit
pas à la victime d’opter pour un recours contre l’agent
devant le juge civil. Ensuite, parce qu’en l’espèce, l’affaire
a déjà donné lieu à une condamnation de l’agent par le juge
pénal et que le juge pénal peut au titre de l’action civile
allouer des dommages et intérêts aux victimes. Enfin, parce
que le juge judiciaire retient, un peu à la manière de
Laferrière et de la jurisprudence Pelletier, l’idée qu’une
faute inexcusable est généralement une faute civile
détachable du service. Or en l’espèce, les faits reprochés à
l’agent sont inexcusables en raison de leur gravité.
En tout état de cause, le juge civil est tenu par la
distinction faute personnelle-faute de service. Condamner
un agent personnellement pour une faute de service, ce qui
ne serait pas le cas en l’espèce, c’est en effet méconnaître
le principe de séparation des autorités administratives et
judiciaires. Le conflit pourrait être élevé à bon droit. C’est
ce que rappelle le Tribunal des conflits 19 octobre 1998,
Préfet du Tarn à propos d’un technicien d’urbanisme
poursuivi devant le juge judiciaire en raison de
l’irrégularité des documents d’urbanisme qu’il avait
préparé dans le cadre de ses fonctions).
Au demeurant, il appartient à l’agent condamné par le
juge judiciaire pour ce qu’il juge être une faute de service
de saisir le juge administratif d’une action récursoire pour
en faire supporter la charge à l’Administration (CE 1954,
Moritz). L’agent obtiendra gain de cause s’il arrive à
démontrer l’existence d’une faute de service soit comme
cause exclusive du dommage soit dans le cadre d’un cumul
de fautes et d’un partage alors de responsabilités (CE
2002, Papon). Bien évidemment en cas de cumul de
responsabilités, et notre affaire l’illustre parfaitement,
aucune faute de service ne saurait être reprochée à
l’Administration et l’action récursoire de l’agent est vouée
à l’échec à raison des caractéristiques de la faute commise
: intrinsèquement personnelle et seulement non dépourvue
de tout lien avec le service au sens de la jurisprudence
époux Lemonnier.
La justice administrative
Thème principal
Responsabilité
Mots-clés
Responsabilité pour faute, Responsabilité sans faute,
Responsabilité contractuelle, Contrat administratif
Sujet proposé et corrigé établi par
Arnaud Sée, Professeur, Université Paris Nanterre
Second semestre 2019-2020

〉Cas pratique
La crise sanitaire de la covid-19 a, en quelques jours,
totalement bouleversé le droit positif. Le ministre de la
santé a d’abord édicté, en application de son pouvoir de
police spéciale sanitaire (L. 3131-1 du code de la santé
publique), un arrêté prononçant la fermeture
d’établissements au public (arrêté du 14 mars 2020). Le
Premier ministre, sur le fondement de la théorie des
circonstances exceptionnelles, a ensuite édicté un décret
prononçant le confinement de la population (décret du 16
mars 2020, aujourd’hui codifié dans le décret du 23 mars
2020). Enfin, une loi d’urgence a décrété l’état d’urgence
sanitaire et donné compétence au Gouvernement pour
édicter des ordonnances afin de prendre des mesures
urgentes (loi du 23 mars 2020).
Dans ce contexte particulier, vous êtes consulté par la ville
de Paris, l’Assistance publique – hôpitaux de Paris (APHP) et
des commerçants locaux sur plusieurs aspects de droit
administratif.
• Premier exercice (8 points)
Vous êtes d’abord consulté par la ville de Paris qui se pose
plusieurs questions.
1/ M. Bleu est propriétaire d’un café-restaurant dans le 17e
arrondissement de Paris. La ville de Paris a conclu avec M.
Bleu une convention d’occupation du domaine public, par
laquelle elle autorise l’occupation du domaine public pour
l’installation d’une terrasse, en contrepartie du versement
d’une redevance par l’occupant. M. Bleu est préoccupé du
versement de cette redevance, dès lors que la fermeture
des établissements au public ainsi que les mesures de
confinement ont totalement réduit à néant son activité
économique. Il se demande dans quelle mesure il pourrait
éviter de verser cette somme voire même être indemnisé.
2/ M. Vert est sous-directeur des affaires sociales à la ville
de Paris. Le dimanche 15 mars, il a été appelé en urgence
par le service des affaires électorales pour remplacer un
assesseur malade dans un bureau de vote de la capitale, ce
qu’il a accepté. Mais son arrivée au bureau de vote a été
catastrophique. Aucune distance de sécurité n’était
respectée entre les citoyens, et aucun gel hydroalcoolique
n’a été prévu. Paniqué, M. Vert a commencé à courir vers la
sortie, a trébuché sur une dalle mal fixée de l’école
maternelle dans laquelle se déroulaient les opérations
électorales, et s’est cassé une jambe. Quatre jours plus tard,
il est testé positif au coronavirus et est hospitalisé ; il en
guérit par la suite, mais reste affecté de séquelles
neurologiques inquiétantes.
3/ La ville souhaite en outre distribuer des masques de
protection à ses habitants. Elle a déjà contacté plusieurs
entreprises locales qui se sont reconverties récemment dans
cette activité. Elle souhaite faire financer ces masques par
des publicités sur le tissu, exploitées par les fabricants. Le
service juridique de la ville s’interroge sur le type et la
nature du contrat qui doit être conclu.
4/ Le contrat est finalement conclu de gré à gré avec un
fabricant local de vêtements le 12 avril 2020. Mais, le
lendemain, le ministre de l’intérieur, déclare à l’occasion
d’une interview que, eu égard à la pénurie, l’ensemble des
masques fabriqués doit être réquisitionné par l’État. La
société ne peut donc respecter ses engagements
contractuels et se demande ce qu’il adviendra de
l’exécution du contrat conclu avec la ville. M. Rouge,
contribuable local, ainsi que le préfet, entendent demander
au juge l’annulation de la délibération du Conseil de Paris du
10 avril 2020 autorisant le maire à signer le contrat.
• Deuxième exercice (8 points)
Le service juridique de l’Assistance publique – Hôpitaux de
Paris (APHP) a lui aussi des questions importantes à vous
poser.
1/ Un médecin de l’hôpital public, M. Un, a été affecté aux
patients atteints de la covid-19 et a lui-même été infecté
par le virus. Il est décédé le 12 avril 2020, sans avoir vu
pour une dernière fois ses enfants.
2/ Son collègue, M. Deux, est très inquiet. Il a été exposé
aux mêmes patients que M. Un et redoute d’être malade à
son tour, d’autant plus que, étant diabétique, il est une
personne à risque. Il considère que la puissance publique a
commis une faute en ne commandant pas suffisamment de
masques et de gel hydroalcoolique, ce qui a augmenté les
risques au sein de l’hôpital.
3/ L’un des patients hospitalisés en réanimation, M. Trois, a
subi une avarie de son appareil respiratoire. Le patient était
placé dans le coma depuis plusieurs jours, mais l’appareil a
cessé de fonctionner pendant six minutes le 14 avril 2020.
M. Trois a pu être sauvé mais le dysfonctionnement risque
de lui causer des séquelles lourdes. Il s’interroge sur la
possibilité de poursuivre le fabriquant chinois du respirateur.
Quelles responsabilités peuvent être engagées ?
• Troisième exercice (4 points + 2 points bonus)
Vous êtes enfin consulté par deux commerçants voisins du
18e arrondissement.
1/ M. Quatre gère une boutique de fleurs, qui a dû fermer
depuis que l’arrêté du 14 mars 2020 (codifié aujourd’hui
dans le décret du 23 mars 2020) a ordonné la fermeture de
la plupart des établissements recevant du public et que le
décret du 16 mars 2020 (codifié lui aussi dans le décret du
23 mars 2020) a ordonné le confinement de la population.
Son chiffre d’affaires est quasi-nul depuis plusieurs
semaines, ce qui l’inquiète. Il se demande dans quelle
mesure la puissance publique ne serait pas responsable de
son préjudice économique.
2/ M. Cinq, son voisin, est boucher. Il a pu continuer son
activité pendant le confinement, mais n’a pas pu se
protéger pendant son activité, du fait de la pénurie de
masques. Il n’a même pas pensé à se fabriquer un masque
en tissu, car il a entendu à plusieurs reprises le chef de
l’État et son Premier ministre déclarer à la télévision que «
les masques ne sont pas nécessaires » et qu’il est «
déconseillé d’en porter ». Il n’était en effet pas inquiet à
l’époque, et n’a notamment pas mis en place de film de
protection devant sa caisse. M. Cinq a été contaminé par le
virus le 5 avril et a dû fermer sa boutique en conséquence. Il
considère aujourd’hui que la puissance publique est
responsable du préjudice économique qu’il subit. Qu’en
pensez-vous ?

〉Préparation
Analyse du sujet

La notation prend en compte la clarté et la rigueur


du raisonnement (rappel des faits, question de
droit, rappel du droit applicable, application en
l’espèce). Les arrêts indiqués dans la correction
sont ceux qui devaient être cités impérativement
dans le devoir.

Concernant les hypothèses d’engagements de la


responsabilité de la puissance publique, il
convenait d’envisager toutes les conditions
d’engagement de cette responsabilité : préjudice,
fondement, lien de causalité et exonérations
notamment.

Enfin, au regard de la longueur du devoir, il était


attendu des étudiants des réponses précises. Tous
les développements hors sujet ou qui ne répondent
pas à la question de droit sont sanctionnés.

〉Corrigé
• Premier exercice
1/ M. Bleu est propriétaire d’un café-restaurant dans le
17e arrondissement de Paris. La ville de Paris a conclu avec
M. Bleu une convention d’occupation du domaine public,
par laquelle elle autorise l’occupation du domaine public
pour l’installation d’une terrasse, en contrepartie du
versement d’une redevance par l’occupant. M. Bleu est
préoccupé du versement de cette redevance, dès lors que
la fermeture des établissements au public ainsi que les
mesures de confinement ont totalement réduit à néant son
activité économique. Il se demande dans quelle mesure il
pourrait être indemnisé.
M. Bleu, qui a passé une convention d’occupation
domaniale avec la ville, ne peut exploiter la dépendance
concernée en raison des mesures de confinement et de
fermeture des établissements au public pendant la crise
sanitaire. Il se demande dans quelle mesure il pourrait ne
pas verser la redevance d’occupation domaniale et même
être indemnisé du préjudice économique subi.
(0,5 pt) Afin de déterminer le régime applicable au
contrat en cause, il convenait de qualifier préalablement ce
dernier. La convention d’occupation domaniale est un
contrat administratif par détermination de la loi (CGPPP,
art. L. 2331-1), qualification déterminant le régime
exorbitant du droit des contrats administratifs.
Il convenait ensuite de qualifier les effets de la pandémie
et des mesures de confinement adoptées pour y faire face.
(1,5 pt) Il était possible, tout d’abord, d’envisager
l’application de la théorie de l’imprévision (CE 1916, Gaz
de Bordeaux). La pandémie et les mesures sanitaires
constituent un événement qui ne pouvait pas être
raisonnablement prévu par les parties au contrat. Cet
événement est extérieur aux parties au contrat (nota : les
mesures décidées par l’exécutif sont prises par une
personne publique autre que celle qui a conclu le contrat).
Reste la question de savoir si cet événement peut être
considéré comme bouleversant l’économie du contrat. La
réponse à cette question est positive si l’on considère que
l’occupation du domaine public demeure possible, mais
économiquement désastreuse en raison de l’absence de
chiffre d’affaires réalisé par le restaurateur.
En cas d’imprévision, la puissance publique doit verser
une indemnité compensant presque intégralement le
déséquilibre, mais des stipulations contractuelles peuvent
faire reposer la charge de l’imprévision sur le
cocontractant.
(1,5 pt) Il était aussi possible de considérer que dès lors
que les établissements, et notamment les restaurants, sont
fermés au public, la terrasse ne peut être installée sur le
domaine public et la convention domaniale ne peut être
exécutée. Se pose alors la question de l’application de la
théorie de la force majeure. Comme dit supra, la
pandémie et les mesures pour y faire face sont imprévues
et extérieures aux parties. Il est possible de qualifier
l’événement d’irrésistible, car rendant l’exécution du
contrat totalement impossible1.
En cas de force majeure, les obligations contractuelles
sont suspendues, et par conséquent le restaurateur n’aura
pas à verser la redevance d’occupation domaniale. Et si les
événements se révèlent définitifs, chaque partie au contrat
pourra le résilier, mais cela semble peu probable en
l’espèce.
2/ M. Vert est sous-directeur des affaires sociales à la ville
de Paris. Le dimanche 15 mars, il a été appelé en urgence
par le service des affaires électorales pour remplacer un
assesseur malade dans un bureau de vote de la capitale, ce
qu’il a accepté. Mais son arrivée au bureau de vote a été
catastrophique. Aucune distance de sécurité n’était
respectée entre les citoyens, et aucun gel hydroalcoolique
n’avait été prévu. Paniqué, M. Vert commence à courir vers
la sortie et trébuche sur une dalle mal fixée de l’école
maternelle dans laquelle se déroulent les opérations
électorales. Il se casse une jambe. Quatre jours plus tard, il
est testé positif au coronavirus et est hospitalisé ; il en
guérit par la suite, mais reste affecté de séquelles
neurologiques inquiétantes.
M. Vert, agent de la ville de Paris, a subi plusieurs
préjudices dont il pourrait demander l’indemnisation. Il
s’est cassé une jambe en trébuchant sur une dalle mal fixée
d’un bâtiment public. Il a été infecté par le coronavirus à
l’occasion de la surveillance (ou de la tentative)
d’opérations électorales (préjudice corporel et
éventuellement professionnel).
(1,5 pt) Concernant l’infection par le coronavirus, celle-ci
résulte de la mauvaise organisation sanitaire du bureau de
vote. Elle semble révéler une faute de la puissance
publique ; mais il convient d’examiner avant tout si une
hypothèse de responsabilité sans faute peut ici trouver à
s’appliquer, la responsabilité sans faute primant la
responsabilité pour faute. M. Vert est en l’espèce un
collaborateur occasionnel du service public, et il a subi un
préjudice à l’occasion de cette collaboration. Le régime de
responsabilité sans faute du fait d’une telle collaboration
occasionnelle peut trouver à s’appliquer (CE, ass., 1946,
Commune de Saint Priest La Plaine) : M. Vert a bien été
sollicité par l’Administration, et il s’est rendu au bureau de
vote ce qui laisse penser à une collaboration effective (il
était possible d’en discuter, puisque M. Vert, blessé, n’a
finalement pas contrôlé les opérations de vote).
(1 pt) Concernant la chute en raison de la dalle cassée, il
s’agit d’un préjudice résultant du défaut d’entretien normal
d’un ouvrage public. En l’espèce, M. Vert était un usager de
l’ouvrage, mais en tant que collaborateur du service public.
Le régime de responsabilité applicable est celui d’une
responsabilité pour faute présumée (CE 1971, Ville de
Fréjus) : il appartiendra à la ville de démontrer l’entretien
normal de l’ouvrage en l’espèce. Il était en outre possible
de discuter d’une éventuelle faute de la victime atténuant
la responsabilité de la commune, M. Vert ayant couru vers
la sortie de façon imprudente.
3/ La ville souhaite distribuer des masques de protection
à ses habitants. Elle a déjà contacté plusieurs entreprises
locales qui se sont reconverties récemment dans cette
activité. Elle souhaite faire financer ces masques par des
publicités sur le tissu, exploitées par les fabricants. Le
service juridique de la ville s’interroge sur le type et la
nature du contrat qui doit être conclu.
(0,5 pt) Le contrat est un contrat de la commande
publique (CCP, art. L. 1111-1) :
– le contrat est conclu entre une personne publique et un
opérateur économique ;
– il est conclu pour répondre aux besoins de la personne
publique (sécurité, salubrité) ;
– c’est un contrat conclu à titre onéreux.
(1 pt) Ce contrat n’est pas un marché public mais un
contrat de concession. En effet, suivant le critère financier,
la rémunération est essentiellement liée aux résultats de
l’exploitation, l’opérateur économique supportant un risque
d’exploitation (CE 2008, Dpt de la Vendée). Cette
concession ne semble pas porter sur un service public, ce
qui n’exclut pas depuis 2014 ladite qualification.
(0,5 pt) Le contrat de concession étant conclu par une
personne publique, il s’agit d’un contrat administratif par
détermination de la loi (CCP, art. L. 6).
4/ Le contrat est finalement conclu de gré à gré avec un
fabricant local de vêtements le 12 avril 2020. Mais, le
lendemain, le ministre de l’intérieur, déclare à l’occasion
d’une interview que, eu égard à la pénurie, l’ensemble des
masques fabriqués doit être réquisitionné par l’État. La
société ne peut donc respecter ses engagements
contractuels et se demande ce qu’il adviendra de
l’exécution du contrat conclu avec la ville. M. Rouge,
contribuable local, ainsi que le préfet, entendent demander
au juge l’annulation de la délibération du Conseil de Paris
du 10 avril 2020 autorisant le maire à signer le contrat.
(1 pt) Suite à la réquisition de masques par la puissance
publique, les cocontractants s’interrogent sur le sort du
contrat qu’ils ont conclu. Devait être envisagée ici
l’application de la théorie du fait du prince, quand la
puissance publique cocontractante aggrave ou rend
impossible l’exécution du contrat. Reste que la théorie du
fait du prince ne trouve pas à jouer quand c’est une autre
personne publique que celle qui a conclu le contrat qui a
aggravé les conditions d’exécution. Dans une telle
hypothèse, la théorie de la force majeure peut trouver à
s’appliquer (CE, sect., 1982, Propétrol).
(1 pt) Le préfet et un contribuable local souhaitent en
outre contester la délibération du Conseil de Paris
autorisant la signature du contrat, c’est-à-dire un acte
détachable de la convention. M. Rouge est un tiers au
contrat, qui dispose de la faculté de former une action en
contestation de la validité du contrat devant le juge du
plein contentieux (CE, ass., 2014, Tarn et Garonne). Or,
l’ouverture du recours de plein contentieux ferme le
recours en excès de pouvoir contre un acte détachable du
contrat (CE 2014, préc.). Le recours de M. Rouge sera
irrecevable. Il n’en va pas de même de celui du préfet, qui
est toujours possible (même décision).
• Deuxième exercice
1/ Médecin de l’hôpital public, M. Un, a été affecté aux
patients atteints de la covid-19 et a lui-même été infecté
par le virus. Il est décédé le 12 avril 2020, sans avoir vu
pour une dernière fois ses enfants.
(2 pts) Se pose ici la question de savoir dans quelle
mesure les héritiers de l’agent peuvent être indemnisés du
préjudice subi par ce dernier. Il était important de rappeler
que le droit à réparation se transmet aux héritiers de la
victime (CE, sect., 2000, APHP c/ Jacquié).
– Le préjudice réparable est le décès du médecin, mais
aussi le préjudice moral de ses enfants (troubles dans les
conditions d’existence).
– Du point de vue de la causalité, le préjudice est survenu
à l’occasion du service de M. Un.
– Étant un agent de la puissance publique, le préjudice
qu’il a subi est indemnisé de manière forfaitaire par le
versement d’une pension prévue par la loi. L’indemnisation
est ici justifiée par la rupture d’égalité devant les charges
(CE 1895, Cames). Mais l’indemnisation n’est plus limitée à
ce forfait depuis l’abandon de la règle du forfait de la
pension (CE, ass., 2003, Moya-Caville). Les héritiers
pourront donc demander la réparation intégrale du
préjudice.
2/ Son collègue, M. Deux, est très inquiet. Il a été exposé
aux mêmes patients que M. Un et redoute d’être malade à
son tour, d’autant plus que, étant diabétique, il est une
personne à risque. Il considère que la puissance publique a
commis une faute en ne commandant pas suffisamment de
masques et de gel hydroalcoolique, ce qui a augmenté les
risques au sein de l’hôpital.
– (1 pt) Le préjudice subi par M. Deux, agent, est un
préjudice d’anxiété (CE 9 nov. 2016, Bindjouli). Il ne sera
indemnisé qu’à hauteur de la chance perdue d’avoir pu
éviter la contamination.
– (1 pt) Le régime de responsabilité applicable est celui
du risque professionnel (accident du travail subi par un
agent, v. supra). La responsabilité sans faute prime une
éventuelle responsabilité pour faute.
3/ L’un des patients hospitalisés en réanimation, M. Trois,
a subi une avarie de son appareil respiratoire. Le patient
était placé dans le coma depuis plusieurs jours, mais
l’appareil a cessé de fonctionner pendant six minutes le 14
avril 2020. M. Trois a pu être sauvé mais le
dysfonctionnement risque de lui causer des séquelles
lourdes. Il s’interroge sur la possibilité de poursuivre le
fabricant chinois du respirateur.
M. Trois a subi un préjudice corporel à l’occasion de la
défaillance d’un appareil de santé. Il souhaite se faire
indemniser par le fabriquant de l’appareil.
(1 pt) Le dommage ayant été subi à l’occasion d’une
activité de service public, c’est en principe la puissance
publique qui est responsable du dommage de M. Trois. Le
dommage résultant de la défaillance d’un appareil de santé,
cette responsabilité est une responsabilité sans faute
fondée sur la rupture d’égalité devant les charges
publiques (CE 2003, APHP c/ Marzouk). M. Trois devra en
principe demander à être indemnisé par la puissance
publique.
(1 pt) Ceci étant, la Cour de justice de l’UE considère
pour sa part que pour que ce régime de responsabilité soit
compatible avec le DUE, il faut que la victime puisse
poursuivre, outre le prestataire, le producteur de l’appareil
(CJUE 2011, CHU de Besançon). La victime a donc ici le
choix, entre une action contre l’hôpital (qui pourra dans un
second temps se retourner contre le constructeur) ou
contre le fabriquant.
• Troisième exercice
1/ M. Quatre gère une boutique de fleurs, qui a dû fermer
depuis que l’arrêté du 14 mars 2020 (codifié aujourd’hui
dans le décret du 23 mars 2020) a ordonné la fermeture de
la plupart des établissements recevant du public et que le
décret du 16 mars 2020 (codifié lui aussi dans le décret du
23 mars 2020) a ordonné le confinement de la population.
Son chiffre d’affaires est quasi-nul depuis plusieurs
semaines, ce qui l’inquiète. Il se demande dans quelle
mesure la puissance publique ne serait pas responsable de
son préjudice économique.
(1 pt) M. Quatre a subi un préjudice économique du fait
des mesures de confinement et de fermeture des
établissements ouverts au public, décidées par acte
réglementaire. Se pose la question de la responsabilité de
la puissance publique en l’espèce. Le régime est celui d’une
responsabilité sans faute du fait d’actes réglementaires
réguliers (CE 1963, Cne de Gavarnie).
(1 pt) Mais les conditions d’engagement d’une telle
responsabilité ne sont pas remplies. D’abord,
l’indemnisation ne peut être décidée qu’en cas de spécialité
du préjudice, ce qui n’est pas le cas en l’espèce dès lors
que l’ensemble des commerçants l’a subi. Ensuite, et
surtout, la force majeure pourrait ici exonérer la puissance
publique de sa responsabilité.
(Point bonus) Il était en outre possible de se demander si
le préjudice d’anxiété pourrait être transposé au domaine
économique, la crise induisant des craintes sérieuses pour
l’avenir des opérateurs économiques. Ceci étant, le juge
administratif pourrait tout autant considérer que le
préjudice subi par la population et les opérateurs constitue
un préjudice collectif, dont on sait qu’il ne peut faire l’objet
que d’une indemnisation morale et symbolique (CE, avis,
ass., 16 févr. 2009, Hoffmann Glemane).
2/ M. Cinq, son voisin, est boucher. Il a pu continuer son
activité pendant le confinement, mais n’a pas pu se
protéger pendant son activité, du fait de la pénurie de
masques. Il n’a même pas pensé à se fabriquer un masque
en tissu, car il a entendu à plusieurs reprises le chef de
l’État et son Premier ministre déclarer à la télévision que «
les masques ne sont pas nécessaires » et qu’il est «
déconseillé d’en porter ». Il n’était en effet pas inquiet à
l’époque, et n’a notamment pas mis en place de film de
protection devant sa caisse. M. Cinq a été contaminé par le
virus le 5 avril et a dû fermer sa boutique en conséquence.
Il considère aujourd’hui que la puissance publique est
responsable du préjudice économique qu’il subit. Qu’en
pensez-vous ?
Se pose ici encore la question de l’indemnisation du
commerçant pour le préjudice corporel qu’il a subi, et le
préjudice économique qui en a résulté.
Du point de vue de la causalité, ces préjudices résultent
des déclarations de l’exécutif, mais aussi de l’absence de
mesures de protection au sein de son commerce.
(1 pt) Les déclarations du chef de l’État et du Premier
ministre sont qualifiables d’actes de droit souple (CE, ass.,
2016, Fairvesta), dont on sait qu’ils peuvent être édictés
par toute autorité administrative (CE 2019, Le Pen). Outre
le fait que le juge est indifférent à la forme de l’acte
administratif (CE 2017, Bail à part), ces déclarations ont eu
des effets notables et ont surtout été suivies par les
administrés.
(0,5 pt) Dans ces conditions, le régime de responsabilité
applicable est celui d’une responsabilité pour faute du fait
d’un acte de droit souple illégal (CE 2003, Bergaderm).
Encore faudra-t-il démontrer l’illégalité des déclarations
exécutives.
(0,5 pt) Reste que, en l’espèce, la victime a commis une
faute en n’installant pas de protection en plastique pour les
clients. Cette faute de la victime devrait exonérer
partiellement la puissance publique de sa responsabilité.
(Bonus) Il était aussi possible d’envisager une
responsabilité pour faute simple du fait de la carence des
autorités de police sanitaire, qui n’ont pas imposé le port
du masque. Concernant le degré de la faute exigée en
matière de carence de l’autorité de police sanitaire, la
jurisprudence s’était orientée vers la faute simple ces
dernières années (CE 9 nov. 2016, Faure). Mais, eu égard à
la difficulté de la tâche en l’espèce, le juge pourrait très
bien revenir à un régime de faute lourde, et tenir compte
en tout état de cause des moyens mis à la disposition de
l’Administration.
(Bonus) Le juge pourrait en outre s’inspirer du régime de
présomption de faute mise en place dans le contentieux de
la prévention des risques liés à l’amiante (CE, ass., 3 mars
2004, Botella).

1. Pour information, c’est ce qu’a considéré le ministre de l’Économie au début de la crise, et ce


qu’ont confirmé certains tribunaux judiciaires en 2020.
La justice administrative
Thème principal
Responsabilité administrative
Mots-clés
Responsabilité, Préjudice, Faute, Agent public
Sujet proposé et corrigé établi par
Fanny Tarlet, Professeure, Université de Montpellier
Second semestre 2020-2021

〉Commentaire d’arrêt : CE 9 juin


2020, M. B…, req. no 423383
« Vu la procédure suivante :
M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Marseille
de condamner la commune des Baux-de-Provence à
l’indemniser à hauteur de 4 000 euros du préjudice financier
qu’il a subi du fait de la sanction d’exclusion temporaire des
fonctions prononcée à son encontre. Par un jugement no
1600385 du 19 juin 2018, le tribunal administratif de
Marseille a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et
un mémoire en réplique enregistrés les 20 août et 20
novembre 2018 et le 6 août 2019 au secrétariat du
contentieux du Conseil d’État, M. B… demande au Conseil
d’État :
1°) d’annuler ce jugement en tant que, après avoir reconnu
le comportement fautif de la commune, il a rejeté ses
conclusions indemnitaires ;
2°) de mettre à la charge de la commune des Baux-de-
Provence la somme de 3 000 euros au titre de l’article L.
761-1 du code de justice administrative. […]
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond
que M. B…, qui est employé par la commune des Baux-de-
Provence en qualité d’agent contractuel de droit public, a
fait l’objet d’une sanction d’exclusion temporaire des
fonctions de trente jours, prononcée par arrêté du maire de
cette commune du 17 juillet 2015. Par lettre du 17
septembre 2015, M. B… a demandé à la commune de
l’indemniser du préjudice financier qu’il estimait avoir subi
en raison de l’absence de versement de sa rémunération au
cours de la période d’exécution de cette sanction, selon lui
illégale. Par un jugement no 1600385 du 19 juin 2018, le
tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête de M.
B… tendant à la condamnation de la commune des Baux-de-
Provence à l’indemniser de ce préjudice financier, estimé à
4 000 euros. M. B… se pourvoit en cassation contre ce
jugement en tant que, après avoir reconnu le comportement
fautif de la commune, il a rejeté ses conclusions
indemnitaires.
2. En vertu des principes généraux qui régissent la
responsabilité de la puissance publique, un agent public
irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du
préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure
illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables
les préjudices de toute nature avec lesquels l’illégalité
commise présente, compte tenu de l’importance respective
de cette illégalité et des fautes relevées à l’encontre de
l’intéressé, un lien direct de causalité. Pour l’évaluation du
montant de l’indemnité due, doit être prise en compte la
perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités
dont l’intéressé avait, pour la période en cause, une chance
sérieuse de bénéficier, à l’exception de celles qui, eu égard
à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles
elles sont versées, sont seulement destinées à compenser
des frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des
fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le
montant des rémunérations que l’agent a pu se procurer par
son travail au cours de la période d’éviction.
3. Pour rejeter la demande indemnitaire présentée par M.
B… en réparation du préjudice que lui a causé l’exécution de
la sanction d’exclusion temporaire de trente jours prononcée
à son encontre, le tribunal administratif de Marseille, après
avoir relevé que cette mesure présentait un caractère
disproportionné et que l’illégalité en résultant était de
nature à engager la responsabilité de la commune, s’est
borné à juger que cette dernière prendrait nécessairement
une nouvelle sanction et régulariserait en conséquence la
situation financière de son agent.
4. En statuant ainsi, le tribunal administratif s’est abstenu,
soit de se prononcer sur les droits du requérant, soit de le
renvoyer devant la commune pour qu’il procède au
règlement de tel aspect du litige dans les conditions
déterminées par les motifs de son jugement. Ce faisant, le
tribunal administratif a commis une erreur de droit et
méconnu son office de juge de plein contentieux.
5. Il résulte de ce qui précède que M. B… est fondé, sans
qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen de son
pourvoi, à demander l’annulation du jugement qu’il attaque,
en tant que, après avoir reconnu que la commune avait
commis une faute de nature à engager sa responsabilité, il
statue sur le préjudice subi par lui.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre
à la charge de la commune des Baux-de-Provence la somme
de 3 000 euros à verser à M. B… au titre des dispositions de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces
mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit
mise à ce titre à la charge de M. B… qui n’est pas, dans la
présente instance, la partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de
Marseille du 19 juin 2018 est annulé en tant qu’il statue sur
le préjudice subi par M. B…
Article 2 : L’affaire est renvoyée dans cette mesure au
tribunal administratif de Marseille.
Article 3 : La commune des Baux-de-Provence versera la
somme de 3 000 euros à M. B… au titre de l’article L. 761-1
du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées au titre de l’article L.
761-1 du code de justice administrative par la commune des
Baux-de-Provence sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A… B… et
à la commune des Baux-de-Provence. »

〉Préparation
Analyse du sujet

Champ du sujet. La décision qui a été donnée à


commenter aux étudiants montpelliérains en mai
2021 est relativement simple. Il s’agit d’une
décision d’espèce qui confirme le droit antérieur et
applique des règles générales. Elle a donné
l’occasion aux étudiants de mobiliser les
connaissances de ce semestre, qui portait sur le
contentieux administratif et sur la responsabilité
administrative. En effet, il s’agissait de savoir si
une personne pouvait obtenir réparation du
préjudice subi en raison d’un acte administratif
illégal et de vérifier l’office du juge du fond.

Précisément, la victime était un agent contractuel


de droit public, ce qui suppose quelques
particularités liées au contentieux de la fonction
publique : il n’était pas attendu des étudiants qu’ils
développent les singularités éventuelles de ce
contentieux qui, à Montpellier, fait l’objet du
programme de 3e année et c’est simplement le
cadre général de la reconstitution de carrière qui
devait être expliqué.

Par ailleurs, les connaissances pertinentes vues au


premier semestre devaient être mobilisées (notion
et régime des actes administratifs notamment).

Éléments attendus. Le présent corrigé rend


compte de ce qui est attendu d’un étudiant de fin
de L2. Les connaissances citées ici sont tirées
uniquement du cours magistral et des travaux
dirigés (concernant les jurisprudences citées, seule
la mention de l’année est attendue, non le jour et
le mois qui sont précisés ici à titre d’information).
Notamment, il fallait bien faire état de l’articulation,
dans le recours de pleine juridiction, entre le
contrôle de légalité d’un acte administratif et
l’engagement de la responsabilité de l’auteur de
cet acte.

Également, il convenait d’envisager l’office du juge


de plein contentieux, qui donne lieu à l’annulation
du jugement rendu au fond.

Quel qu’ait été le plan retenu par l’étudiant, il


importait qu’il fasse le tour de ces deux questions
principales (indemnisation et office du juge).

Erreurs fréquentes. Bien sûr les erreurs


méthodologiques habituelles ont été sanctionnées
(titres non qualifiés, développements dissertatifs,
paraphrase, etc.).
Au titre des erreurs grossières qui ont été
commises, on notera d’abord que les étudiants ont
souvent confondu l’indemnisation avec la
condamnation aux frais irrépétibles de l’article L.
761-1 du CJA (qui est une forme de compensation
des frais de procédure, et en aucun cas une
indemnisation du préjudice). Cette confusion nous
a particulièrement surpris. Ensuite, ils ont pu
longuement discuter de la légalité de la sanction
alors qu’ils ne disposaient

pas d’éléments pour en connaître dans l’arrêt, ce


qui revient à extrapoler (le Conseil d’État ne
tranche pas ici la question de l’illégalité, il prend
acte de ce qu’elle a été constatée par le juge du
fond, de tels développements étaient donc non
seulement infondés mais surtout hors sujet) et à
inventer des choses.

Plan du corrigé

I/ Le rappel classique des conditions


d’indemnisation d’un agent illégalement sanctionné

A – L’application bienvenue de la responsabilité


pour faute aux sanctions disciplinaires

B – L’imputabilité habituelle du préjudice


indemnisable

II/ L’obligation de mise en œuvre des pouvoirs du


juge du fond en plein contentieux
A – L’obligation du juge de statuer sur
l’indemnisation

B – La possible injonction à la commune de


procéder à l’indemnisation

〉Corrigé
La rigueur du droit a ceci d’ironique qu’elle permet à un
agent fautif de mettre à l’amende tout à la fois une
Administration publique et un juge administratif. C’est ce
type de solution cocasse qui a donné lieu à la décision
rendue par le Conseil d’État le 9 juin 2020 aux termes de
laquelle un agent municipal sanctionné pour faute (dont on
peut donc présumer qu’il a commis des manquements à ses
obligations) peut obtenir l’annulation de la sanction en
question lorsqu’elle s’avère disproportionnée au but
poursuivi par la collectivité territoriale, ainsi que
l’annulation du jugement du tribunal administratif qui ne
tire pas tous les effets de la déclaration d’illégalité qu’il
prononce. Le coupable initial est bien devenu victime sous
l’effet des erreurs administratives (le maire était allé trop
loin) et des glissements contentieux (le tribunal n’était pas
allé assez loin).
Concrètement dans cette affaire M. A… B… était employé
par la commune des Baux-de-Provence en qualité d’agent
contractuel de droit public (il n’était donc pas
fonctionnaire). En raison de faits qui ne sont pas
mentionnés, le maire a pris une sanction à son encontre par
un arrêté en date du 17 juillet 2015, prononçant une
sanction d’exclusion temporaire de trente jours, période
pendant laquelle il n’a logiquement pas perçu de
rémunération.
Estimant que la décision de sanction était illégale et que
la privation de revenus constituait un préjudice
indemnisable qu’il évaluait à 4 000 €, M. B… a formé un
recours indemnitaire devant le tribunal administratif de
Marseille. Par un jugement du 19 juin 2018, le juge du fond
a conclu à l’illégalité de la mesure de sanction et a renvoyé
à la commune le soin de régulariser la situation du
requérant, sans accueillir pleinement sa demande
d’indemnisation. Ce jugement a été rendu en premier et
dernier ressort et n’est pas susceptible d’appel, comme tel
est le cas pour tous les recours indemnitaires dont le
montant est inférieur à 10 000 € (CJA, art. R. 811-1 et R.
222-14). La seule possibilité ouverte à M. B… était donc de
former un recours en cassation.
Ainsi, sa demande d’indemnisation n’étant pas satisfaite,
le requérant a formé un tel pourvoi en cassation devant le
Conseil d’État contre le jugement du tribunal administratif,
qui a passé le filtre de l’admission des pourvois en
cassation et qui donne lieu à la présente décision rendue le
9 juin 2020.
Le Conseil d’État était amené dans cette affaire à se
prononcer sur deux éléments centraux, à savoir la
possibilité d’indemniser le requérant victime d’une décision
administrative illégale, et la possibilité pour le juge du fond
de prononcer lui-même cette indemnisation. Il s’agissait
donc pour la Haute juridiction de déterminer si le juge du
fond qui conclue à l’engagement de la responsabilité d’une
personne publique à raison d’une sanction disciplinaire
disproportionnée, peut se borner à renvoyer à la personne
publique elle-même pour tirer les conséquences de sa
décision.
La réponse à cette question sera sans surprise et sans
suspens. En effet, le Conseil d’État ne fait ici qu’appliquer
une jurisprudence constante tirée des principes généraux
de la responsabilité administrative et du contentieux, il n’y
a là rien d’étonnant puisque la décision a été rendue dans
la plus simple des formations de jugement – une chambre
jugeant seule – et que la décision n’aura même pas l’intérêt
d’une mention dans les tables du Recueil Lebon, c’est donc
É
bien une pure décision d’espèce. Ainsi, le Conseil d’État
commence par rappeler les conditions générales
d’indemnisation pour faute fondée sur un acte administratif
illégal, pour rappeler notamment l’appréciation de
l’étendue du préjudice indemnisable dans l’hypothèse où la
victime est un agent de droit public, avant de confirmer
comme c’était attendu dans un tel cas que le juge du fond a
l’obligation de tirer toutes les conséquences de sa décision,
notamment de prononcer l’indemnisation ou de mettre
l’Administration en demeure d’y procéder.
Ici, le juge administratif raisonne donc en deux temps.
Après avoir rappelé les conditions générales
d’indemnisation de la personne victime d’une sanction
administrative illégale (I), il remet au pas le juge du fond
qui avait pu méconnaître son office de plein contentieux
(II). Autrement dit pour le juge de cassation, il s’agit
d’abord de rappeler les modalités du contrôle opéré par le
juge du fond sur l’Administration, sans y procéder lui-
même, puis de vérifier les modalités du contrôle opéré par
le juge du fond lui-même.

I/ Le rappel classique des conditions


d’indemnisation d’un agent
illégalement sanctionné
Dans le premier temps de son raisonnement, le Conseil
d’État vérifie que le juge du fond a correctement engagé la
responsabilité de la collectivité territoriale à raison d’une
décision administrative illégale, laquelle doit toujours être
proportionnée au but poursuivi (A). Il en déduit de façon
très classique que la totalité du préjudice subi doit être
indemnisé (B).
A – L’application bienvenue de la
responsabilité pour faute aux
sanctions disciplinaires
Lorsqu’il statue en tant que juge de cassation, le Conseil
d’État ne juge qu’en droit et non en fait, cela signifie qu’il
s’en tient à l’appréciation portée par le juge du fond sur les
faits soumis à son jugement. Autrement dit, il ne peut pas
modifier cette appréciation. En l’espèce, le Conseil d’État
relève dans le considérant 3 que le tribunal administratif de
Marseille a jugé que la sanction disciplinaire adoptée par la
commune des Baux-de-Provence contre le requérant «
présente un caractère disproportionné et que l’illégalité en
résultant était de nature à engager la responsabilité de la
commune » (cons. 3). Ceci suppose de faire deux
précisions, d’abord sur le contrôle des sanctions, ensuite
sur les conséquences d’une illégalité éventuelle.
D’abord, il est de jurisprudence constante que les
sanctions administratives doivent toujours être
proportionnées au but poursuivi par l’Administration. Le
régime des sanctions obéit à plusieurs grands principes,
dont le principe de légalité, le principe de nécessité et de
proportionnalité, le principe de rétroactivité de la loi
répressive plus douce, le principe non bis in idem ou
encore le principe du contradictoire. Concernant les
principes de nécessité et de proportionnalité en particulier,
ils sont tirés de l’article 8 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen et ils signifient que la peine retenue
doit être adaptée au comportement réprimé par elle (elle
ne doit être ni trop douce ni trop sévère). Le Conseil d’État
a pu le rappeler avec fermeté en diverses occasions,
notamment en 1997 (CE, sect., 22 juin 2017, M. Arfi) et en
2019 (CE 17 avr. 2019, Sté Optical center). On se rappelle
que ces principes de nécessité et de proportionnalité sont
communs en droit administratif et qu’ils peuvent également
concerner, par exemple, les mesures de police
administrative (CE 19 févr. 1909, Abbé Olivier ; CE 19 mai
1933, Benjamin). Les faits rapportés mentionnent une
décision d’exclusion temporaire de trente jours prononcée
contre M. B… Si la faute disciplinaire commise par le
requérant et qui justifiait cette mesure n’est pas
mentionnée par la décision commentée, elle n’était de toute
évidence pas suffisamment grave pour entraîner une telle
mesure d’exclusion d’un mois, puisque celle-ci a été
annulée en première instance. Ceci est constaté par le juge
administratif au terme du contrôle entier qu’il opère sur la
proportionnalité des sanctions disciplinaires ; cet important
degré de contrôle a été consacré en 2013 (CE, ass., 13 nov.
2013, Dahan abandonnant le contrôle restreint du juge
administratif sur les sanctions disciplinaires). Ainsi, la
décision de sanction qui a été adoptée par la commune des
Baux-de-Provence est illégale en raison de son caractère
disproportionné. Elle aurait dû être moins sévère pour être
légale. Le tribunal administratif a donc logiquement
procédé à son annulation.
Ensuite, une fois que le juge administratif a annulé un
acte administratif illégal, il doit potentiellement en tirer des
conséquences indemnitaires. En effet, la responsabilité de
l’Administration peut être engagée dès lors qu’on identifie
un fait générateur qui le permet. Ce fait générateur peut
être une faute ou non. S’il n’y a pas de faute, la
responsabilité des personnes publiques peut être engagée
sur d’autres fondements, que sont notamment la rupture
d’égalité devant les charges publiques et le risque, mais qui
ne concernent pas la décision analysée ici. La faute
reprochée à l’Administration peut consister en l’illégalité
d’un acte administratif qu’elle aurait adopté. Le Conseil
d’État admet ce fondement de longue date (CE, sect., 26
janv. 1973, Ville de Paris c/ Driancourt). En la matière, il n’y
a pas lieu de distinguer entre la faute lourde et la faute
simple car tout préjudice causé par un acte illégal entraîne
l’engagement de la responsabilité de l’Administration qui a
failli au respect de la légalité. Concrètement, la légalité de
l’acte administratif sera étudiée par le juge du plein
contentieux, en mobilisant toutes les modalités de contrôle
du recours pour excès de pouvoir (notamment des moyens
d’ordre public pourront être soulevés d’office par le juge ;
v. en ce sens CE 19 juill. 2017, M. J.). Le seul élément qui
pourrait justifier que la victime ne soit pas indemnisée
serait qu’elle n’ait pas subi de préjudice indemnisable, ce
qui est développé par la décision dans le deuxième
considérant qu’il faut envisager maintenant.

B – L’imputabilité habituelle du
préjudice indemnisable
Une fois entendue la question du fait générateur de la
responsabilité administrative, le juge doit vérifier la
réunion de plusieurs éléments d’imputabilité qui aboutiront
à l’indemnisation de la victime. Ainsi, il doit établir qu’il
existe bien en premier lieu un lien de causalité direct et
certain entre le fait générateur et le préjudice, et en second
lieu un préjudice indemnisable. C’est dans un considérant 2
très riche que le Conseil d’État rappelle ici ces éléments,
en reprenant à l’identique sa jurisprudence antérieure en la
matière. Pour ce faire, il se fonde sur « les principes
généraux qui régissent la responsabilité de la puissance
publique » (cons. 2). Cette référence témoigne du caractère
prétorien du droit de la responsabilité administrative, droit
érigé par le juge en dehors de la loi sous l’effet du
contentieux depuis la décision fondatrice Blanco (T. confl. 8
févr. 1873, Blanco) qui avait soustrait cette responsabilité
aux règles du code civil et à la compétence du juge
judiciaire, et qui s’était rapidement étendue à la
responsabilité des collectivités territoriales (T. confl. 29
févr. 1908, Feutry).
La première condition pour ouvrir droit à indemnisation
est l’identification d’un « lien direct de causalité » entre le
préjudice allégué et l’illégalité constatée (cons. 3).
Autrement dit, il faut que le préjudice trouve directement
son origine dans l’acte illégal (par exemple, CE, sect., 7
mars 1969, Lassailly et Bichebois ; CE 10 mai 1985, Dame
Ramade). À cet égard, lorsqu’il existe plusieurs origines
possibles au préjudice et plusieurs liens de causalité
potentiels, le juge administratif mobilise la théorie de la
causalité adéquate pour retenir le fait générateur qui a un
lien le plus étroit avec le dommage. En l’espèce, le
préjudice allégué par le requérant consiste en une privation
de revenu pendant les trente jours de son exclusion
temporaire d’emploi, il ne fait aucun doute que ce préjudice
trouve directement son origine dans la décision de sanction
; le juge n’a donc pas besoin d’aller l’étudier plus avant.
Surtout, en mentionnant que ce lien de causalité doit être «
direct », le juge fait implicitement référence aux
éventuelles ruptures du lien de causalité, c’est-à-dire à
d’éventuelles causes d’exonération de responsabilité.
Celles-ci sont diverses, il peut s’agir de la faute de la
victime (CE 20 juin 1980, Cne d’Ax-les-Thermes ), du fait du
tiers (CE 31 juill. 1996, Fonds de garantie automobile), du
cas fortuit (CE, ass., 28 mai 1971, Dépt. du Var) ou encore
de la force majeure (CE 15 nov. 2017, Sté Swisslife
assurance de biens). Dans la présente affaire, aucune de
ces causes d’exonération n’a été soulevée par la commune,
et la faute initiale de l’agent qui avait justifié la mesure de
sanction ne peut bien sûr pas être soulevée ultérieurement
pour refuser d’indemniser le préjudice subi à la suite de la
décision de sanction.
La seconde condition pour ouvrir droit à indemnisation
est l’identification du préjudice indemnisable. Le Conseil
d’État rappelle de façon générique que la victime « a droit
à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement
subi » (cons. 3) ; puis il précise exactement que « sont
indemnisables les préjudices de toute nature » avant de
lister ceux qui sont couverts en matière de fonction
publique. De façon générale, les préjudices « de toute
nature » indemnisables sont les dommages corporels,
moraux (CE, ass., 24 nov. 1961, Letisserand), matériels,
économiques, etc. Ainsi, les seuls préjudices qui ne sont
pas réparables sont strictement restreints par la loi ; il peut
par exemple s’agir des servitudes d’urbanisme (C. urb., art.
L. 160-5), mais non de l’un des chefs de préjudices subis
par M. B… dans cette affaire. Ceci étant entendu, le Conseil
d’État poursuit en listant les éléments qui doivent être pris
en compte pour indemniser la victime d’une sanction
disciplinaire. C’est ainsi que la seconde moitié du
considérant 2 énumère ce qui va donner lieu à réparation
par la commune des Baux-de-Provence, à savoir la perte de
traitement ainsi que la perte des primes et indemnités dont
la victime avait une « chance sérieuse » de bénéficier. Sur
cette dernière précision, elle rappelle que le juge
indemnise les pertes de chance, i. e. les préjudices futurs
dont la réalisation est certaine. Sur ce point, la
jurisprudence du Conseil d’État est constante (CE 5 janv.
2000, Consorts Telle c/ APHP), elle suit d’ailleurs celle de la
Cour de cassation, et concerne diversement le droit de
l’urbanisme (CE 15 avr. 2016, Cne de Longueville), le droit
des services publics dans leur relation avec les usagers (CE
24 juill. 2019, Mme B. pour le service public de l’éducation
; CE 19 oct. 2016, Centre hospitalier d’Issoire pour le
service public de la santé), le droit de la commande
publique (CE 21 oct. 2015, Région Provence-Alpes-Côte-
d’Azur), et ici le droit de la fonction publique. Le juge
poursuit en précisant que le calcul du montant de
l’indemnisation devra tenir compte « du montant des
rémunérations que l’agent a pu se procurer par son travail
au cours de sa période d’éviction », qui devra être déduit
de la somme totale de l’indemnisation. Il s’agit ici d’éviter
un enrichissement sans cause de la victime qui ne doit pas
pouvoir « profiter » de sa situation pour obtenir au final
une somme d’argent plus élevée. Le juge va donc déduire
un éventuel salaire ou des droits à chômage qui auraient pu
être perçus par M. B… pendant les trente jours où il n’a pas
travaillé pour le compte de la commune. Finalement, tout
dans cette situation s’apparente à ce qu’on appelle
communément une reconstitution de carrière au sens des
jurisprudences Rodières et Deberles (CE 26 déc. 1925,
Rodières ; CE, ass., 7 avr. 1933, Deberles), et M. B…
obtiendra une indemnisation environ équivalente à un mois
normal de traitement.
Finalement, le principe de l’engagement de la
responsabilité de la commune des Baux-de-Provence
comme ses modalités ne posent pas de difficulté
particulière dans cette affaire. En revanche, la portée
centrale de cette décision réside dans l’annulation du
jugement du tribunal administratif en ce qu’il a méconnu
son office de juge du plein contentieux.

II/ L’obligation de mise en œuvre des


pouvoirs du juge du fond en plein
contentieux
Alors que l’appréciation du contentieux indemnitaire a été
correctement réalisée par le tribunal administratif, le
Conseil d’État procède malgré tout à l’annulation de son
jugement. Pour ce faire, il se fonde sur ce que le juge du
fond a méconnu son office de juge de plein contentieux ;
c’est là le cœur de la décision. En effet, l’omission de
statuer sur la demande indemnitaire constitue bien une
erreur de droit (A) et le juge ne pouvait pas renvoyer à la
commune le soin de tirer les conséquences de l’annulation
de sa décision de sanction, du moins pas dans les termes
choisis par lui (B).

A – L’obligation du juge de statuer sur


l’indemnisation
Deux voies de droit principales coexistent devant le juge
administratif, que sont le recours pour excès de pouvoir
(REP) et le recours de pleine juridiction (RPJ). Il est
classique de les distinguer soit en fonction de la question
qui est posée au juge (Duguit), soit en fonction des pouvoirs
dont il dispose (Laferrière). Cette seconde distinction
doctrinale est celle qui fonde aujourd’hui la classification
des recours devant le juge administratif. D’autres
différences les caractérisent plus précisément, comme par
exemple la détermination du droit applicable, les moyens
invocables, le ministère d’avocat, etc. Pour le dire
simplement, le REP permet de demander au juge d’annuler
un acte administratif unilatéral tandis que le RPJ permet de
lui demander toutes autres choses telles que la
modification d’un contrat administratif ou la réparation
d’un préjudice, comme le Conseil d’État l’a explicité en
1982 (CE, sect., 8 janv. 1982, Aldana Barrena). En pleine
juridiction – on dit aussi en plein contentieux – le juge
dispose donc de la palette de pouvoirs la plus large qui soit.
L’affaire commentée aurait pu donner lieu à une incertitude
puisque la responsabilité du fait des actes administratifs
illégaux suppose bien, comme on l’a vu, de procéder au
contrôle de légalité de l’acte qui est à l’origine du
préjudice. Néanmoins, et bien que ce premier temps du
contrôle s’apparente à un REP, il n’en demeure pas moins
que la question posée au juge est bien celle de
l’indemnisation. Les deux contentieux sont donc en quelque
sorte imbriqués, obligeant le requérant à conclure dans une
même requête à la fois à l’annulation de la décision de
sanction disciplinaire et à la condamnation de la commune
(auteur de l’acte) à raison des préjudices résultant de cette
illégalité (CE 31 mars 1911, Blanc, Argaing et Bézié). Le
rappel de la procédure en cause dans l’affaire commentée
mentionne ainsi explicitement que M. B… a demandé au
tribunal « de condamner la commune des Baux-de-Provence
à l’indemniser à hauteur de 4 000 € ». Or, le Conseil d’État
constate que « le tribunal administratif s’est abstenu […] de
se prononcer sur les droits du requérant » (cons. 4). De ce
seul fait, la Haute juridiction estime que le juge du fond a
commis une erreur de droit et a « méconnu son office de
juge de plein contentieux ».
Pour remplir son office, le juge étudie plusieurs types de
moyens. Évidemment les moyens de cassation sont
différents des moyens de légalité qui sont contrôlés par le
juge du fond. En sa qualité de juge de cassation, le Conseil
d’État peut être amené à statuer sur deux types de moyens
: des moyens de cassation externes (par exemple
concernant la composition de la formation de jugement au
fond, la motivation du jugement, le respect d’une
instruction contradictoire, etc.) ou des moyens de cassation
internes (par exemple concernant l’erreur de fait commise
par le tribunal, la dénaturation, l’erreur de qualification
juridique ou encore, pour ce qui concerne l’affaire
commentée, l’erreur de droit). C’est bien une « erreur de
droit » qui est retenue au considérant 4 et qui permet au
Conseil d’État d’opérer un contrôle du bien-fondé de la
décision juridictionnelle soumise à son analyse pour
annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille.
Il est de jurisprudence constante que le Conseil d’État
englobe dans l’erreur de droit le fait pour les juges du fond
ne pas exercer leur contrôle selon l’étendue que leur donne
le droit en vigueur (CE 23 juin 1999, Abitbol). En l’espèce,
en s’abstenant de statuer sur la demande indemnitaire du
requérant et en se bornant à constater le préjudice sans
engager plus avant la responsabilité de la commune, le
tribunal n’a pas épuisé son office et a bien commis une telle
erreur de droit. En quelque sorte, le tribunal s’est
indûment limité comme s’il était en excès de pouvoir en
faisant un simple « procès à un acte ».
Cette censure du Conseil d’État était donc tout à fait
prévisible et il faut se satisfaire de ce qu’il n’ait pas toléré
que le tribunal administratif soit resté en deçà de son office
: s’il est possible de renvoyer à la commune le soin de
procéder à l’indemnisation, cela n’est possible que dans le
cadre d’une procédure adéquate.
B – La possible injonction à la
commune de procéder à
l’indemnisation
L’erreur de droit commise par le juge du fond avait donc
consisté à ne pas prononcer l’indemnisation de la victime et
à « se borner à juger que [la commune] prendrait
nécessairement une nouvelle sanction et régulariserait en
conséquence la situation financière de son agent », ce qui
est précisé à la fin du considérant 3. La question est donc
de savoir si le juge administratif avait un moyen de
contraindre l’Administration à procéder à l’indemnisation
pécuniaire de son agent. Le considérant 4 est ici
intéressant car il offre une alternative au juge. Ainsi, le
tribunal administratif avait deux possibilités : soit il devait
se prononcer lui-même sur les droits du requérant, soit il
devait « le renvoyer devant la commune pour qu’il soit
procédé au règlement de tel aspect du litige ». Cette
seconde possibilité relève du pouvoir d’injonction du juge
administratif.
Le pouvoir d’injonction du juge sur l’Administration se
définit comme un ordre d’adopter un comportement
déterminé, ici de procéder au versement d’une somme
d’argent. Alors qu’il peut sembler surabondant au regard
de l’article 4 du CJA qui dispose que « les jugements sont
exécutoires », il a été consacré par la loi du 8 février 1995
codifiée aux articles L. 911-1 et suivants du CJA pour
contraindre les Administrations réticentes. Les injonctions
sont soit préventives soit d’exécution. Dans le premier cas
la réticence de l’Administration est anticipée par le
jugement (c’est le cas de figure de la présente décision) et
dans le second cas la réticence de l’Administration est
constatée et corrigée au cours d’une autre instance. Le
Conseil d’État a ainsi expressément jugé que lorsque le
juge administratif reconnaît la responsabilité pour faute
d’une personne publique, il peut enjoindre à la personne
publique de mettre fin à son comportement fautif ou d’en
pallier les effets (CE 27 juill. 2015, Cne d’Hébuterne). Cette
solution est donc conforme à ce que prévoit la
jurisprudence « Bourezak » qui livre le mode d’emploi de
ce pouvoir d’injonction, à savoir que le juge doit d’abord
constater que sa décision nécessite une mesure
d’exécution, puis vérifier qu’aucune circonstance n’y fait
obstacle (CE 4 juill. 1997, Épx Bourezak). La présente
décision confirme donc bien que le pouvoir d’injonction
relève à titre égal du recours pour excès de pouvoir comme
du recours de pleine juridiction.
Ainsi, le considérant 4 de la décision laisse une
alternative au juge administratif qui ne procéderait pas lui-
même à l’indemnisation en lui ouvrant la possibilité de
prononcer une injonction à l’Administration. En prévoyant
une telle mesure d’injonction, le tribunal administratif
n’aurait pas statué infra petita et n’aurait pas méconnu son
office. Il est étonnant que le juge du fond n’y ait pas
procédé, laissant la demande du requérant insatisfaite, et
la cassation sur cette erreur de droit est la solution
logiquement attendue dans cette affaire. À ce stade, le
Conseil d’État aurait pu juger lui-même des suites de
l’affaire comme il est parfois amené à le faire « dans
l’intérêt d’une bonne Administration de la justice » et à
reprendre la demande au fond, mais il préfère plus
naturellement renvoyer au juge du fond le soin de remplir
correctement son office dans un second jugement qui
devrait régler définitivement la situation de M. B…
La justice administrative
Thème principal
Contrôle juridictionnel
Mots-clés
Recours pour excès de pouvoir, Mesures d’ordre intérieur,
Acte administratif
Sujet proposé et corrigé établi par
Élise Untermaier-Kerléo, Maîtresse de conférences,
Université Jean Moulin Lyon 3
Second semestre 2019-2020

〉Commentaire d’arrêts
CE 9 nov. 2015, M. Dos Santos Pedro, no 383712
Vu la procédure suivante :
M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Caen
d’annuler pour excès de pouvoir la décision en date du 9
janvier 2012 par laquelle les autorités du centre
pénitentiaire de Caen (Calvados) ont saisi et retenu son
ordinateur et d’enjoindre à l’administration pénitentiaire,
sous astreinte, de lui restituer son ordinateur. Par un
jugement no 12-1028 du 24 janvier 2013, le tribunal
administratif de Caen a rejeté la demande que lui avait
présentée M. B….
Par un arrêt no 13NT01435 du 24 avril 2014, la cour
administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel formé par
M. B… contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire,
enregistrés les 14 août et 12 novembre 2014 au secrétariat
du contentieux du Conseil d’État, M. B… demande au
Conseil d’État :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
[…]
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis
aux juges du fond qu’il a été procédé à un contrôle du
matériel informatique de M. B… le 9 janvier 2012, à l’issue
duquel une corde a été découverte dans l’ordinateur du
requérant ; que le directeur du centre pénitentiaire de Caen
a alors décidé de retenir ce matériel informatique en vue
d’une éventuelle procédure pénale ; que le 24 février 2012,
une saisie judiciaire de ce matériel informatique a été
réalisée ;
2. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article
D. 449-1 du code de procédure pénale alors applicable : «
Les détenus peuvent acquérir par l’intermédiaire de
l’administration et selon les modalités qu’elle détermine des
équipements informatiques. Une instruction générale
détermine les caractéristiques auxquelles doivent répondre
ces équipements, ainsi que les conditions de leur utilisation.
En aucun cas, les détenus ne sont autorisés à conserver des
documents, autres que ceux liés à des activités
socioculturelles ou d’enseignement ou de formation ou
professionnelles, sur un support informatique. Ces
équipements ainsi que les données qu’ils contiennent sont
soumis au contrôle de l’administration. Sans préjudice d’une
éventuelle saisie par l’autorité judiciaire, tout équipement
informatique appartenant à un détenu peut, au surplus, être
retenu, pour ne lui être restitué qu’au moment de sa
libération, dans les cas suivants : 1° Pour des raisons
d’ordre et de sécurité ; 2° En cas d’impossibilité d’accéder
aux données informatiques, du fait volontaire du détenu » ;
3. Considérant que, si une mesure de contrôle par
l’administration pénitentiaire des équipements
informatiques des détenus, eu égard à sa nature et à
l’importance de ses effets sur la situation des détenus, ne
constitue pas, en elle-même, un acte administratif
susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de
pouvoir, tel n’est en revanche pas le cas de la décision
distincte de retenue de ces équipements qui, prise sur le
fondement des dispositions précitées, le cas échéant, en
résulte ;
4. Considérant qu’en regardant, pour rejeter comme
irrecevable la requête de M. B…, ses conclusions comme
dirigées contre la seule décision de contrôle de ses
équipements informatiques, alors qu’il demandait
l’annulation, pour excès de pouvoir, de la décision de
retenue administrative de ces équipements à laquelle ce
contrôle avait conduit, qui est susceptible de recours, la
cour administrative d’appel de Nantes s’est méprise sur la
portée des écritures dont elle était saisie ; qu’il résulte de ce
qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens de son pourvoi, M. B… est fondé à demander
l’annulation de l’arrêt attaqué ; […]
DÉCIDE : Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel
de Nantes du 24 avril 2014 est annulé. Article 2 : L’affaire
est renvoyée à la cour administrative d’appel de Nantes.
[…]
CE, 10e et 9e ch., 6 juin 2018, M. Dos Santos Pedro,
no 410985
M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Caen
d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 janvier
2012 par laquelle les autorités du centre pénitentiaire de
Caen (Calvados) ont saisi et retenu son ordinateur et
d’enjoindre à l’administration pénitentiaire, sous astreinte,
de lui restituer son ordinateur. Par un jugement no 120128
du 24 janvier 2013, le tribunal administratif a rejeté sa
demande.
Par un arrêt no 13NT01435 du 24 avril 2014, la cour
administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel formé par
M. A… B… contre ce jugement.
Par une décision no 383712 du 9 novembre 2005, le Conseil
d’État, statuant au contentieux a annulé cet arrêt et
renvoyé l’affaire devant la cour administrative d’appel de
Nantes.
Par un arrêt no 15NT06504 du 7 décembre 2016, la cour
administrative d’appel de Nantes a annulé le jugement du
tribunal administratif et rejeté la demande de M. A… B…
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire,
enregistrés les 30 mai et 30 août 2017 au secrétariat du
contentieux du Conseil d’État, M. A… B… demande au
Conseil d’État :
1°) d’annuler l’arrêt du 7 décembre 2016 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 4 000
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la loi no 79-587 du 11 juillet 1979 ;
– la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 ;
– le code de procédure pénale ;
– le code de justice administrative ;
[…]

Considérant ce qui suit :


1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond
que, à la suite d’une fouille de la cellule de M. A… B… le 9
janvier 2012, il a été constaté que les scellés apposés sur
l’unité centrale de son ordinateur avaient été brisés et
qu’une corde y avait été dissimulée. Le directeur du centre
pénitentiaire de Caen a ordonné un contrôle du matériel
informatique de M. A… B… et décidé de retenir ces
équipements en vue d’une éventuelle procédure pénale. Le
24 février 2012, une saisie judiciaire de ce matériel
informatique a été réalisée. L’intéressé a saisi le tribunal
administratif de Caen d’une demande tendant à l’annulation
pour excès de pouvoir de la mesure de retenue de son
matériel informatique. M. A… B… se pourvoit contre l’arrêt
du 28 décembre 2015 par lequel la cour administrative
d’appel de Nantes a, après cassation d’un premier arrêt et
renvoi de l’affaire par le Conseil d’État, rejeté sa demande.
2. Aux termes de l’article D. 449-1 du code de procédure
pénale alors applicable : « Les détenus peuvent acquérir par
l’intermédiaire de l’administration et selon les modalités
qu’elle détermine des équipements informatiques. Une
instruction générale détermine les caractéristiques
auxquelles doivent répondre ces équipements, ainsi que les
conditions de leur utilisation. En aucun cas, les détenus ne
sont autorisés à conserver des documents, autres que ceux
liés à des activités socioculturelles ou d’enseignement ou de
formation ou professionnelles, sur un support informatique.
Ces équipements ainsi que les données qu’ils contiennent
sont soumis au contrôle de l’administration. Sans préjudice
d’une éventuelle saisie par l’autorité judiciaire, tout
équipement informatique appartenant à un détenu peut, au
surplus, être retenu, pour ne lui être restitué qu’au moment
de sa libération, dans les cas suivants : 1° Pour des raisons
d’ordre et de sécurité ; 2° En cas d’impossibilité d’accéder
aux données informatiques, du fait volontaire du détenu «.
3. Aux termes de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979
relative à la motivation des actes administratifs et à
l’amélioration des relations entre l’administration et le
public, aujourd’hui codifié à l’article L. 211-2 du code des
relations entre le public et l’administration : « Les personnes
physiques ou morales ont le droit d’être informées sans
délai des motifs des décisions administratives individuelles
défavorables qui les concernent. À cet effet, doivent être
motivées les décisions qui : – restreignent l’exercice des
libertés publiques ou, de manière générale, constituent une
mesure de police […] «. L’article 3 de cette loi, aujourd’hui
codifié à l’article L. 211-5 du code des relations entre le
public et l’administration dispose que : « La motivation
exigée par la présente loi doit être écrite et comporter
l’énoncé des considérations de droit et de fait qui
constituent le fondement de la décision «. Aux termes de
l’article 4 de la même loi, aujourd’hui codifié à l’article L.
211-6 du code des relations entre le public et
l’administration : « Lorsque l’urgence absolue a empêché
qu’une décision soit motivée, le défaut de motivation
n’entache pas d’illégalité cette décision. Toutefois, si
l’intéressé en fait la demande, dans les délais du recours
contentieux, l’autorité qui a pris la décision devra, dans un
délai d’un mois, lui en communiquer les motifs […] «.
4. Ainsi que l’a jugé la cour administrative d’appel de
Nantes, la décision du 9 janvier 2012 procédant à la retenue
du matériel informatique de M. A… B… présente le
caractère d’une mesure de police, prononcée pour « des
raisons d’ordre et de sécurité «, devant en principe faire
l’objet d’une motivation en vertu des dispositions précitées
de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979. En écartant
toutefois le moyen tiré de l’absence de motivation de cette
décision au motif que, prise pour faire obstacle à toute
tentative d’évasion de l’intéressé, elle présentait un
caractère d’urgence absolue, alors qu’il ressortait des pièces
du dossier qui lui était soumis que la confiscation de la
corde qui avait été dissimulée dans l’unité centrale de
l’ordinateur suffisait à prévenir le risque d’une évasion
imminente, la cour a entaché son arrêt d’inexacte
qualification juridique des faits.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin
d’examiner les autres moyens du pourvoi, que M. A… B…
est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.
6. Aux termes du second alinéa de l’article L. 821-2 du
code de justice administrative : « Lorsque l’affaire fait l’objet
d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’État statue
définitivement sur cette affaire «. Le Conseil d’État étant
saisi, en l’espèce, d’un second pourvoi en cassation, il lui
incombe de régler l’affaire au fond.
7. M. A… B… est fondé à soutenir que c’est à tort que, par
le jugement du 24 janvier 2013, le tribunal administratif de
Caen a rejeté sa demande d’annulation de la décision du 9
janvier 2012 au motif qu’elle n’était pas susceptible de faire
l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
8. Il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la
demande de première instance.
9. D’une part, une mesure de retenue du matériel
informatique d’un détenu, prononcée pour des raisons
d’ordre et de sécurité sur le fondement de l’article D. 449-1
du code de procédure pénale précité, constitue une mesure
de police devant faire, en principe, l’objet d’une motivation
écrite en vertu des articles 1er et 3 de la loi du 11 juillet
1979 précités.
10. D’autre part, aux termes de l’article 24 de la loi du 12
avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs
relations avec les administrations, désormais codifié à
l’article L. 122-1 du code des relations entre le public et les
administrations : « Exception faite des cas où il est statué
sur une demande, les décisions individuelles qui doivent
être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi no
79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes
administratifs et à l’amélioration des relations entre
l’administration et le public n’interviennent qu’après que la
personne intéressée a été mise à même de présenter des
observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des
observations orales. […] / Les dispositions de l’alinéa
précédent ne sont pas applicables : / 1° En cas d’urgence ou
de circonstances exceptionnelles ; […] «.
11. Il ressort des pièces du dossier que si les conditions
particulières dans lesquelles est intervenue la décision du 9
janvier 2012 caractérisaient une urgence dispensant le chef
d’établissement pénitentiaire de Caen du respect de la
procédure contradictoire prévue par les dispositions
précitées, la situation ne présentait pas, ainsi qu’il a été dit
au point 4, un caractère d’urgence absolue justifiant
l’absence de motivation écrite de la décision ordonnant la
retenue de l’ordinateur du requérant.
12. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin
d’examiner les autres moyens de sa demande, M. A… B…
est fondé à demander l’annulation de la décision qu’il
attaque.
13. Il résulte de l’instruction que l’équipement
informatique du requérant a fait l’objet d’une saisie
judiciaire à compter du 24 février 2012. Dans ces
conditions, les conclusions tendant à ce que soit ordonnée
la restitution de l’ordinateur ne peuvent qu’être rejetées.
[…]
DÉCIDE : Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel
de Nantes du 7 décembre 2016 et le jugement du tribunal
administratif de Caen du 24 janvier 2013 sont annulés.
Article 2 : La décision du 9 janvier 2012 est annulée. […]

〉Préparation
Analyse du sujet

Ce sujet a été donné, à l’Université Jean Moulin


Lyon 3, dans le cadre d’une évaluation de contrôle
continu (semi-partiel), organisée en amphi juste
avant le confinement. En raison de la crise sanitaire
liée à la covid-19, les examens terminaux du
semestre 4 ont été remplacés par des épreuves de
contrôle continu.

Les deux arrêts reproduits ci-dessus ont été rendus


successivement par le Conseil d’État, juge de
cassation, dans le cadre de la même instance. Il
convient donc de les commenter comme s’il
s’agissait d’un seul et même arrêt. Il ne s’agit pas
de comparer les deux arrêts.
Un détenu a formé un recours pour excès de
pouvoir contre la décision en date du 9 janvier
2012 par laquelle les autorités du centre
pénitentiaire de Caen (Calvados) ont saisi et retenu
son ordinateur. Dans le premier arrêt no 383712 du
9 novembre 2015, la Haute juridiction a annulé
l’arrêt de la CAA de Nantes et renvoyé l’affaire
devant cette Cour. Par un arrêt no 15NT06504 du 7
décembre 2016, la CAA de Nantes a rejeté la
demande du requérant qui s’est pourvu une
seconde fois en cassation. Le Conseil d’État casse
l’arrêt de la CAA et règle cette fois l’affaire au fond.

1) Dans le premier arrêt, la Haute juridiction se


prononce sur la question de savoir si les mesures
attaquées sont des décisions susceptibles de faire
l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Autrement dit, les actes litigieux constituent-ils des
mesures d’ordre intérieur ? Si la mesure de contrôle
par l’administration pénitentiaire de l’ordinateur
d’un détenu ne constitue pas, en elle-même, un
acte administratif susceptible de faire l’objet d’un
recours pour excès de pouvoir, tel n’est pas le cas
de la décision de retenue de cet ordinateur qui, le
cas échéant, en résulte.

2) Le deuxième arrêt est rendu par le Conseil d’État


saisi d’un second pourvoi en cassation. La Haute
juridiction se prononce cette fois sur la légalité de
la mesure attaquée. Le requérant soulève deux
moyens tirés du non-respect des règles qui figurent
désormais dans le code des relations entre le public
et l’Administration : l’absence de motivation et le
non-respect de la procédure contradictoire. La
Haute juridiction estime qu’en raison de l’urgence,
la mesure pouvait être prise sans procédure
contradictoire préalable. En revanche, la décision
devait être motivée.

Plan du corrigé

I/ La recevabilité partiellement admise du recours


pour excès à l’encontre des mesures prises par
l’administration pénitentiaire

A – La mesure de contrôle des équipements


informatiques des détenus, une mesure d’ordre
intérieur

B – La mesure de retenue de ces équipements, un


acte administratif faisant grief

II/ L’analyse minutieuse du respect des règles de


forme et de procédure au regard de l’urgence de la
situation

A – L’absence illégale de motivation à défaut


d’urgence « absolue »

B – L’absence de procédure contradictoire justifiée


par une situation d’urgence « simple »

〉Corrigé
L’accès des détenus aux outils numériques soulève de
nombreuses difficultés. Si cet accès doit nécessairement
être restreint pour des raisons évidentes de sécurité, il doit
tout de même être préservé, notamment pour que les
détenus puissent opérer certaines démarches, bénéficier
d’informations et suivre des formations proposées en ligne.
À ce titre, le Contrôleur général des lieux de privation de
liberté a rendu un avis du 6 décembre 2019 relatif à l’accès
à internet dans les lieux de privation de liberté. Soulignant
que le numérique est « un outil indispensable de l’accès au
savoir », il recommande de développer, à certaines
conditions, l’accès des détenus aux outils numériques.
L’accès au numérique suscite également des litiges qu’il
appartient aux juridictions administratives de trancher,
comme cette affaire relative à la décision de retenue de
l’ordinateur d’un détenu, prise par l’administration
pénitentiaire.
Après la découverte d’une corde dissimulée dans l’unité
centrale de l’ordinateur d’un détenu, M. Dos Santos Pedro,
le centre pénitentiaire de Caen a ordonné le contrôle de
son matériel informatique puis ordonné la saisie de celui-ci.
Monsieur Dos Santos Pedro a alors formé un recours pour
excès de pouvoir à l’encontre de cette décision devant le
tribunal administratif de Caen, qui a rejeté sa demande.
Saisie à son tour, la Cour administrative d’appel de Nantes
a jugé que la requête était irrecevable, considérant que la
mesure de contrôle du matériel informatique n’était pas
susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de
pouvoir. Le requérant s’est alors pourvu une première fois
en cassation.
Par un premier arrêt du 9 novembre 2015 (req. no
383712, mentionné dans les tables du recueil Lebon), le
Conseil d’État s’est prononcé sur la recevabilité du recours
pour excès de pouvoir à l’encontre des mesures prises par
l’administration pénitentiaire. Contrairement à la Cour, qui
avait considéré, à tort, que les conclusions du requérant
étaient dirigées contre la seule décision de contrôle des
équipements informatiques, la Haute juridiction distingue
la décision de contrôle par l’administration pénitentiaire,
du matériel informatique du détenu de la décision de
retenue de ce matériel qui, le cas échéant, en résulte. La
mesure de contrôle, eu égard à sa nature et à l’importance
de ses effets sur la situation du détenu, ne constitue pas, en
elle-même, un acte administratif susceptible de faire l’objet
d’un recours pour excès de pouvoir. En revanche, un tel
recours est recevable à l’encontre de la décision de retenue
de ce matériel. Considérant que la Cour administrative
d’appel de Nantes s’était méprise sur la portée des
écritures dont elle était saisie, le Conseil d’État, après avoir
annulé l’arrêt attaqué, a renvoyé l’affaire devant elle. Par
un arrêt du 7 décembre 2016 (req. no 15NT06504), la Cour
a de nouveau rejeté la demande du requérant, en estimant
que l’urgence qui s’attachait à la mesure justifiait tant
l’absence de procédure contradictoire que l’absence de
motivation de la décision de retenue. Le requérant s’est
alors de nouveau pourvu en cassation devant le Conseil
d’État. Le requérant soutenait que la mesure de retenue
était illégale car elle n’avait pas été précédée d’une
procédure contradictoire et n’était pas motivée.
Par un second arrêt du 6 juin 2018 (req. no 410985,
mentionné dans les tables du recueil Lebon), le Conseil
d’État a statué, non plus sur la recevabilité du recours,
mais sur la légalité de la décision litigieuse. Il devait
trancher la question de savoir si l’urgence pouvait
dispenser l’administration pénitentiaire de respecter le
contradictoire et de motiver sa décision. À l’instar de la
Cour administrative d’appel, la Haute juridiction
administrative a estimé que les conditions particulières
dans lesquelles est intervenue la décision de retenue de
l’ordinateur, caractérisaient une urgence dispensant le chef
d’établissement pénitentiaire de Caen du respect de la
procédure contradictoire. En revanche, contrairement à la
Cour, le Conseil d’État a considéré que la décision aurait dû
être motivée, dans la mesure où elle ne présentait pas un
caractère d’« urgence absolue ». Après avoir cassé l’arrêt
d’appel, le Conseil d’État évoque l’affaire et annule la
décision de retenue du 9 janvier 2012. Toutefois, dans la
mesure où l’équipement informatique du requérant a fait
l’objet d’une saisie judiciaire à compter du 24 février 2012,
il rejette les conclusions tendant à ce que soit ordonnée la
restitution de l’ordinateur. L’annulation de la décision de
retenue de l’ordinateur n’a donc qu’un effet platonique.
Ces deux arrêts du Conseil d’État, rendus dans le cadre
d’une même instance, illustrent le contrôle juridictionnel
minutieux dont font l’objet les mesures prises par
l’administration pénitentiaire à l’égard des détenus.
Admettant la recevabilité du recours pour excès de pouvoir
à l’encontre de la décision de retenue du matériel
informatique (I), le Conseil d’État contrôle le respect par
l’administration des règles de forme et de procédure au
regard de l’urgence de la situation, veillant au respect des
garanties prévues dans le code des relations entre le public
et l’administration (II).

I/ La recevabilité partiellement
admise du recours pour excès à
l’encontre des mesures prises par
l’administration pénitentiaire
Si la mesure de contrôle par l’administration pénitentiaire
de l’ordinateur d’un détenu ne constitue pas, en elle-même,
un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un
recours pour excès de pouvoir (A), tel n’est pas le cas de la
décision de retenue de cet ordinateur qui, le cas échéant,
en résulte (B).
A – La mesure de contrôle des
équipements informatiques des
détenus, une mesure d’ordre
intérieur
Depuis l’arrêt Marie (CE, ass., 17 févr. 1995, req. no
97754, GAJA), admettant que le recours pour excès de
pouvoir est recevable à l’encontre d’une punition de cellule
« eu égard à la nature et à la gravité de cette mesure », le
champ des mesures d’ordre intérieur dans le milieu
carcéral a considérablement diminué. Cependant, la
catégorie n’a pas complètement disparu. Il subsiste, dans le
milieu pénitentiaire, comme au sein de toutes les
institutions nécessitant un pouvoir disciplinaire étendu,
telles que l’armée, l’école, l’hôpital ou la fonction publique,
des décisions considérées comme d’importance trop
minime pour pouvoir être déférées au juge de l’excès de
pouvoir, conformément à l’adage de minimis non curat
praetor. Ainsi, à l’instar de la Cour administrative d’appel
de Nantes, le Conseil d’État a estimé, en l’espèce, qu’une
mesure de contrôle par l’administration pénitentiaire des
équipements informatiques des détenus, « eu égard à sa
nature et à l’importance de ses effets sur la situation des
détenus, ne constitue pas, en elle-même, un acte
administratif susceptible de faire l’objet d’un recours pour
excès de pouvoir ». Autrement dit, la mesure de contrôle de
l’ordinateur est une mesure d’ordre intérieur.
Effectivement, le contrôle d’un ordinateur a moins d’impact
sur la personne du détenu qu’une mesure de fouille
corporelle intégrale, qui elle, est susceptible de recours
(CE 14 nov. 2008, El Shennawy, req. no 315622). En outre,
comme le souligne Aurélie Bretonneau dans ses
conclusions sur cet arrêt (AJDA 2016. 53), le contrôle de
l’ordinateur ne peut pas en théorie, porter atteinte au droit
au respect de la vie privée des détenus dans la mesure où
les détenus n’ont pas le droit d’y stocker le moindre
contenu personnel. En effet, l’article D. 449-1 du code de
procédure pénale précise que les détenus peuvent
conserver sur un support informatique, uniquement des
documents liés à des activités socioculturelles ou
d’enseignement ou de formation ou professionnelles.
Dans le même sens, la Haute juridiction a considéré que
le refus d’autoriser un détenu à acquérir un système
d’exploitation pour son ordinateur n’est pas une décision
susceptible de recours. Par un autre arrêt du 9 novembre
2015 (req. no 380982, mentionné dans les tables du recueil
Lebon), le Conseil d’État a en effet rejeté un recours formé
par le même requérant, à l’encontre de la décision de
l’administration pénitentiaire refusant de l’autoriser à
acquérir un autre système d’exploitation (Linux) que celui
qu’il utilisait pour son ordinateur (Windows). Le détenu
soutenait que la maîtrise de Linux est requise dans nombre
d’entreprises au sein desquelles il souhaiterait se réinsérer
professionnellement à sa sortie de prison. Il mettait
également en avant le fait que le système Linux est livré
avec des logiciels gratuits, alors que Windows, d’une part,
propose essentiellement des logiciels payants et, d’autre
part, ne les livre pas d’emblée, empêchant de facto leur
acquisition par les personnes détenues, puisqu’elles n’ont
pas accès à internet pour les télécharger. Cependant, le
juge administratif, prenant en considération le fait que le
système d’exploitation déjà installé sur l’ordinateur du
requérant, tout en permettant un meilleur contrôle des
données par l’administration pénitentiaire, lui offrait des
possibilités d’utilisation équivalentes ou relativement
proches, a estimé que le rejet de sa demande d’acquérir un
autre système d’exploitation ne mettait pas en cause ses
libertés et droits fondamentaux. Cette solution est
contestable. De manière générale, plutôt que de perdre du
temps à déterminer si l’intensité des effets de la mesure sur
la situation de l’intéressé justifie la recevabilité du recours
pour excès de pouvoir, le juge administratif devrait faire
disparaître la catégorie des mesures d’ordre intérieur.
Admettre la recevabilité du recours pour excès de pouvoir à
l’encontre de ces mesures ne l’empêchera pas, de toute
façon, de le rejeter sur le fond.

B – La mesure de retenue de ces


équipements, un acte administratif
faisant grief
Pour déterminer la recevabilité du recours à l’encontre de
la décision de retenue de l’ordinateur, le Conseil d’État
applique la grille d’analyse résultant des trois décisions
d’Assemblée du 14 décembre 2007, Boussouar (req. no
290730, concernant la décision transférer un détenu d’une
maison centrale, établissement pour peines à la maison
d’arrêt), Planchenault (req. no 290420, concernant une
décision de déclassement d’emploi) et Payet (req. no
306432, concernant la décision de soumettre à un détenu à
des « rotations de sécurité », c’est-à-dire à des
changements d’affectation fréquents d’un établissement à
un autre afin de prévenir toute tentative d’évasion). Le juge
détermine si la décision est susceptible de recours ou si
elle constitue au contraire une mesure d’ordre intérieur au
regard de deux critères : la nature du type de mesure en
cause et l’importance de ses effets sur la situation, en
l’occurrence, des détenus. En outre, si cette approche
catégorielle le conduit à retenir la qualification de mesure
d’ordre intérieur, le juge vérifie encore, au cas par cas, que
la mesure particulière dont il est saisi ne met pas en cause
des libertés et des droits fondamentaux de l’intéressé. Si tel
est le cas, la mesure sera, par dérogation au régime
applicable à sa catégorie, exceptionnellement susceptible
de recours.
À la différence de la mesure de contrôle de l’ordinateur, la
mesure de retenue « eu égard à sa nature et à l’importance
de ses effets sur la situation des détenus » ne constitue pas
une mesure d’ordre intérieur mais une décision susceptible
de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ». Une
telle mesure entraîne en effet la dépossession du matériel
informatique de la personne détenue. Elle l’empêche
d’exercer dans sa cellule toute activité informatique. Elle
l’oblige à utiliser les ordinateurs des salles communes, dont
l’accès est strictement contingenté. Dans le même sens, la
Haute juridiction avait déjà admis la recevabilité du
recours pour excès de pouvoir contre la mesure de
rétention de périodiques destinés aux détenus contenant
des menaces pour la sécurité (CE 10 oct. 1990, Garde des
sceaux, ministre de la justice c/ Hyver, req. no 107266).
Ayant ainsi passé le filtre de la recevabilité, la mesure de
retenue de l’ordinateur fait l’objet d’un contrôle de légalité
minutieux.

II/ L’analyse minutieuse du respect


des règles de forme et de procédure
au regard de l’urgence de la situation
Si, en raison de l’urgence, la mesure de retenue de
l’ordinateur pouvait être prise sans procédure
contradictoire préalable (B), elle devait en revanche être
motivée (A).

A – L’absence illégale de motivation à


défaut d’urgence « absolue »
L’obligation de motivation est une exigence formelle, qui,
en cas de non-respect, conduit à l’annulation de l’acte pour
vice de forme. Elle impose à l’Administration de faire
apparaître, dans le corps même de la décision, les motifs de
celle-ci, c’est-à-dire les considérations de fait et de droit qui
lui servent de fondement. La motivation répond donc à
l’exigence de transparence administrative : il s’agit
d’expliquer au destinataire de l’acte, au regard de quelles
règles de droit et de quels faits cet acte est adopté. Il
n’existe pas, en droit administratif français, d’obligation
générale de motivation des décisions administratives.
Seules certaines d’entre elles doivent être motivées. Aux
termes de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à
la motivation des actes administratifs et à l’amélioration
des relations entre l’Administration et le public, aujourd’hui
codifié à l’article L. 211-2 du code des relations entre le
public et l’Administration : « les personnes physiques ou
morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs
des décisions administratives individuelles défavorables qui
les concernent. /À cet effet, doivent être motivées les
décisions qui […] restreignent l’exercice des libertés
publiques ou, de manière générale, constituent une mesure
de police ». Comme l’a jugé la Cour administrative d’appel
de Nantes, la décision procédant à la retenue du matériel
informatique du détenu présente le caractère d’une mesure
de police, qui doit en principe faire l’objet d’une motivation
en vertu des dispositions précitées de l’article 1er de la loi
du 11 juillet 1979. Ce sont finalement les mêmes raisons
qui justifient à la fois que la décision ne soit pas qualifiée
de mesure d’ordre intérieur et qu’elle soit motivée : la
mesure de retenue de l’ordinateur est défavorable à
l’intéressé car elle contribue à la dégradation de ses
conditions de détention.
Toutefois, selon l’article 4 de la loi du 11 juillet 1979,
aujourd’hui codifié à l’article L. 211-6 du code des relations
entre le public et l’Administration, « lorsque l’urgence
absolue a empêché qu’une décision soit motivée, le défaut
de motivation n’entache pas d’illégalité cette décision ». Se
fondant sur ces dispositions, la Cour administrative d’appel
a considéré que la mesure de retenue de l’urgence n’avait
pas à être motivée : prise pour faire obstacle à toute
tentative d’évasion de l’intéressé, elle présentait un
caractère d’urgence absolue. Le Conseil d’État n’est
cependant pas du même avis : il relève que, d’après les
pièces du dossier, la confiscation de la corde qui avait été
dissimulée dans l’unité centrale de l’ordinateur suffisait à
prévenir le risque d’une évasion imminente. La situation ne
présentait pas un caractère d’urgence absolue justifiant
l’absence de motivation écrite de la décision ordonnant la
retenue de l’ordinateur du requérant. Ainsi les cas
d’urgence absolue justifiant que l’Administration puisse
être dispensée du respect de l’obligation de motivation
restent très rares. Le Conseil d’État a pu admettre que
l’urgence absolue dispensait l’Administration de motiver
des mesures d’expulsion d’un étranger en relation avec les
services de renseignements et les milieux étrangers, dans
le contexte d’une vague de terrorisme ou de la participation
de la France à un conflit armé (CE 6 mai 1988, Abdul, req.
no 79375 ; CE 5 mai 1993, Khdayir, req. no 127645 ; CE 7
juin 1993, Al Hafian, req. no 127669). En revanche, la
Haute juridiction a rappelé que les mesures de police
ordonnant des perquisitions, dans le cadre de l’état
d’urgence, devaient être motivées (CE, ass., 6 juill. 2016,
Napol, req. no 398234).

B – L’absence de procédure
contradictoire justifiée par une
situation d’urgence « simple »
Le contradictoire permet aux destinataires d’une décision
administrative de se faire entendre, de présenter à
l’Administration leurs observations sur une mesure qui les
concerne. Ils peuvent ainsi influer – ou tenter d’influer – sur
le sens de la décision à prendre. Le principe du
contradictoire, principe fondamental en matière de
procédure juridictionnelle, a progressivement été appliqué
à la procédure administrative non contentieuse. Dans le
prolongement de la jurisprudence administrative qui
consacra le principe du respect des droits de la défense
sous la forme d’un principe général du droit (CE, sect., 5
mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier), le décret du 28
novembre 1983 concernant les relations entre
l’Administration et les usagers, a imposé à l’Administration
de permettre aux administrés susceptibles d’être l’objet
d’une mesure administrative qu’ils n’ont pas sollicitée, de
faire connaître leurs observations à l’Administration par
écrit ou oralement. L’exigence d’une procédure
contradictoire préalable a ensuite été reprise par l’article
24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens
dans leurs relations avec les administrations, dite loi DCRA,
qui a consacré le droit pour toute personne qui fait l’objet
d’une décision devant être motivée en application de la loi
de 1979 (art. L. 121-1), de présenter des observations
écrites, et le cas échéant, sur sa demande, des observations
orales, en pouvant se faire assister par un conseil (art. L.
122-1). Dans la mesure où la décision de retenue de
l’ordinateur est une mesure de police, elle devait être
motivée en application de la loi de 1979. Elle devait donc
également être précédée d’une procédure contradictoire,
permettant à l’intéressé de présenter ses observations.
Toutefois, l’Administration est dispensée du respect du
contradictoire « en cas d’urgence ou de circonstances
exceptionnelles ». La loi n’exige pas une « urgence absolue
» : une simple situation d’urgence suffit à justifier l’absence
de contradictoire. Il y a donc des degrés dans l’urgence. En
l’espèce, le Conseil d’État reconnaît, comme la Cour
administrative d’appel de Nantes, que « les conditions
particulières dans lesquelles est intervenue la décision du 9
janvier 2012 caractérisaient une urgence dispensant le chef
d’établissement pénitentiaire de Caen du respect de la
procédure contradictoire prévue par les dispositions
précitées ». Si les décisions qui doivent être motivées sont
aussi celles qui doivent être précédées d’une procédure
contradictoire, le respect du contradictoire peut être
dissocié, comme en l’espèce, de l’obligation de motivation.
De la même façon, la Haute juridiction a pu considérer que
la décision du préfet de suspendre un permis de conduire
peut être dispensée du respect du contradictoire en raison
d’une situation d’urgence, s’il apparaît, eu égard au
comportement du conducteur, que le fait de différer la
suspension de son permis pendant le temps nécessaire à
l’accomplissement de la procédure contradictoire créerait
des risques graves pour lui-même ou pour les tiers (CE 28
sept. 2016, Min. de l’Intérieur, req. no 390438 ; CE 18 déc.
2017, Min. de l’Intérieur, req. no 409694). Le Conseil d’État
admet donc plus facilement de dispenser l’Administration
de l’organisation d’une procédure contradictoire que de la
délier de son obligation de motivation. Ceci étant, les
modalités du contradictoire dans le cadre de la procédure
administrative non contentieuse sont relativement faciles à
mettre en œuvre. Il s’agit simplement de permettre à
l’intéressé de présenter des observations écrites, voire
orales. Certes, la corde était cachée dans l’unité centrale
de l’ordinateur. Cela ne signifiait pas cependant que le
matériel informatique allait permettre au détenu de
s’évader. Après avoir contrôlé le matériel et vérifier que
l’ordinateur ne contenait pas un plan d’évasion,
l’Administration aurait pu prendre le temps de recueillir les
observations de l’intéressé. Si les relations entre
l’Administration et les administrés ont été
considérablement améliorées depuis la fin des années 70,
les habitudes administratives, marquées par le secret et
l’unilatéralité, sont loin d’avoir disparu.
La justice administrative
Thème principal
Contrôle juridictionnel
Mots-clés
Compétence juridictionnelle, Recours pour excès de pouvoir
Sujet proposé et corrigé établi par
Virginie Donier, Professeure de droit public, Université de
Toulon
Premier semestre 2018-2019

〉Dissertation
Le juge administratif, juge de la légalité de l’action
administrative

〉Préparation
Analyse du sujet

Derrière son caractère classique, ce sujet invite à


faire preuve d’esprit de synthèse dans la mesure où
il interroge à la fois la question du champ de
compétence du juge administratif et celle du
contrôle de légalité. La difficulté du sujet tient donc
dans la bonne compréhension de son périmètre et
dans la conception d’un plan permettant d’être
exhaustif.

Sur le fond, le sujet suppose que l’étudiant maîtrise


le principe de légalité, les théories qui excluent la
compétence du juge administratif, à l’instar
notamment de la voie de fait, mais aussi certains
aspects liés au contentieux administratif, et plus
précisément, le recours pour excès de pouvoir.

Plan du corrigé

I/ L’absence de monopole au profit du juge


administratif

A – La compétence de principe du juge


administratif pour juger de l’action administrative

B – Les litiges relevant de la compétence du juge


judiciaire

II/ Un contrôle de légalité exercé dans le cadre du


recours pour excès de pouvoir

A – Les cas d’ouverture du recours pour excès de


pouvoir

B – L’office du juge administratif en matière de


recours pour excès de pouvoir

〉Corrigé
L’activité de l’Administration est encadrée par le principe
de légalité, lequel est l’émanation de l’état de droit. Cela
implique que l’Administration se soumette aux lois en
vigueur, mais aussi, plus largement, aux règles de droit qui
lui sont supérieures, ce qui inclut le droit de l’Union
européenne et le droit international. Soumettre
l’Administration au droit permet de protéger les
administrés face à l’arbitraire, mais c’est aussi un moyen
pour assurer la cohérence de l’action administrative
puisque le droit servira de fil conducteur aux actions des
différents agents publics.
C’est donc le principe de légalité qui définit les contours,
mais aussi les limites de l’action administrative en
s’assurant qu’elle ne déroge pas à la finalité qui lui a été
assignée, à savoir, la satisfaction de l’intérêt général. Pour
contrôler l’Administration et s’assurer qu’elle n’a pas
outrepassé ses pouvoirs au détriment des droits et libertés,
il existe un ordre de juridiction particulier, la France étant
caractérisée par son dualisme juridictionnel. Le juge
administratif est ainsi un juge autonome qui existe
indépendamment de la juridiction judiciaire, comme l’a
rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision no 80-
119 DC du 22 juillet 1980. Par ailleurs, en vertu de la
décision no 86-224 DC, le juge administratif dispose d’un
champ de compétences garanti par un principe
fondamental reconnu par les lois de la République, ce qui
lui confère indéniablement une existence autonome aux
côtés du juge judiciaire.
À l’origine de l’existence de cet ordre juridictionnel
spécifique, figure le principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires affirmé par la loi des 16 et 24
août 1790. Ce texte interdit au pouvoir judiciaire de
s’immiscer dans l’action des autres pouvoirs, et plus
précisément, dans l’action administrative : « les fonctions
judiciaires sont distinctes et demeureront toujours
séparées des fonctions administratives. Les juges ne
pourront à peine de forfaiture troubler de quelques
manières que ce soit les opérations des corps
administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour
raison de leurs fonctions ». De cette affirmation, découlera
la règle selon laquelle le juge judiciaire ne peut statuer sur
les litiges mettant en cause l’Administration, et ce, en vertu
du décret du 16 fructidor an III. Dès lors que le juge de
droit commun ne pouvait être compétent pour statuer sur
les litiges administratifs, il convenait de les confier à un
organe juridictionnel autonome.
La reconnaissance de l’autonomie de la juridiction
administrative est alors le produit de cette évolution
historique, mais elle découle également de la remise en
cause de la théorie du ministre-juge par la loi du 24 mai
1872 par laquelle le Conseil d’État acquiert véritablement
le statut de juridiction, puis par l’arrêt Cadot rendu le 13
décembre 1889. Par cette décision, le Conseil d’État se
déclare juge administratif de droit commun, ce qui sonne le
glas de la théorie du ministre-juge. L’ordre juridictionnel
administratif, composé aujourd’hui du Conseil d’État, des
cours administratives d’appel et des tribunaux
administratifs, a ainsi pour mission de contrôler la légalité
de l’action administrative. Mais la question est de savoir
quel est précisément le rôle dévolu au juge administratif
dans la préservation de l’état de droit, et par conséquent,
dans le contrôle exercé sur l’action administrative. S’il
apparaît que l’étendue de sa compétence ne concerne pas
nécessairement tout le champ de l’action administrative (I),
il bénéficie en revanche d’une compétence exclusive pour
statuer sur les recours pour excès de pouvoirs qui
constituent le principal instrument du contrôle
juridictionnel de la légalité (II).

I/ L’absence de monopole au profit du


juge administratif
Si le contrôle de légalité incombe en principe au juge
administratif, il s’avère que le champ de ses compétences
ne concerne pas l’ensemble de l’action administrative, ce
qui suppose de distinguer les litiges relevant du juge
administratif (A) de ceux qui sont soumis au juge judiciaire
(B).

A – La compétence de principe du
juge administratif pour juger de
l’action administrative
Plusieurs critères se combinent pour dessiner les
contours de la compétence du juge administratif, à
commencer par l’application d’un critère organique car le
juge administratif n’est en principe compétent que pour les
litiges pour lesquels l’Administration est partie. Cela ne
signifie pas pour autant que tous les actes administratifs
peuvent être soumis au contrôle du juge. Certains
bénéficient en effet d’une immunité juridictionnelle
puisqu’il s’agit d’actes de Gouvernement lesquels touchent
aux relations avec le Parlement (CE 29 nov. 1968,
Tallegrand) ou aux relations internationales (CE 5 juill.
2000, Mégret et Mékhantar).
À ce critère organique, vient s’ajouter un autre critère car
le juge administratif ne connaît que des litiges dans
lesquels l’Administration met en œuvre des prérogatives de
puissance publique. C’est d’ailleurs le sens de la décision
du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 et du PFRLR
relatif à la compétence de la juridiction administrative «
pour l’annulation ou la réformation des décisions prises par
les autorités exécutives, leurs agents, les collectivités
territoriales ou les organismes placés sous leur autorité ou
leur contrôle ». Ce principe protège ainsi la compétence du
juge administratif dans le contrôle de légalité exercé sur les
actes traduisant l’emploi de prérogatives de puissance
publique, même si le Conseil constitutionnel considère que,
dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le
législateur peut déroger au PFRLR afin de construire des
blocs de compétences.
Mais il convient de préciser que derrière l’apparente
simplicité du critère organique, se dissimulent en réalité
des solutions jurisprudentielles qui attribuent au juge
administratif une compétence pour statuer sur des litiges
opposant deux personnes privées. Il s’avère en effet qu’une
personne privée peut se voir confier la gestion d’un service
public et disposer, pour mener à bien cette mission, d’une
prérogative de puissance publique. Dans cette affaire, si un
litige survient, il devra être soumis à la compétence du juge
administratif (CE 13 janv. 1961, Magnier ; CE 13 oct. 1978,
ADASEA du Rhône).
Au regard de la jurisprudence, il apparaît ainsi que le
juge administratif peut être appelé à statuer sur des litiges
opposant deux personnes privées. Mais pour cela, il faut
que plusieurs conditions soient réunies : l’une de ces deux
personnes privées doit être chargée d’une mission de
service public et elle doit, dans ce cadre, disposer de
pouvoirs exorbitants du droit commun. En outre, ainsi que
l’a indiqué le Conseil d’État dans son arrêt du 23 mars
1983, SA Bureau Véritas, il faut s’assurer que le litige a
effectivement pris naissance au cours de l’utilisation, par la
personne privée, d’une prérogative de puissance publique.
Il apparaît ainsi que l’action administrative peut reposer
sur des personnes privées, ce qui justifie la compétence du
juge administratif si les conditions précitées sont
satisfaites.
En revanche, lorsque l’Administration ou la personne
privée exerçant une mission de service public n’use pas de
prérogatives de puissance publique, la compétence du juge
judiciaire s’imposera, ce qui tend à démontrer que le juge
administratif n’est pas compétent pour connaître de toute
l’action administrative.

B – Les litiges relevant de la


compétence du juge judiciaire
En application des principes énoncés précédemment,
l’Administration est soumise à la compétence du juge
judiciaire dès lors qu’elle se comporte comme un
particulier (CE 31 juill. 1912, Société des granits
porphyroïdes des Vosges). C’est ce qui justifie la
compétence de principe du juge judiciaire s’agissant des
litiges relatifs aux services publics industriels et
commerciaux, excepté dans le cas où le litige a trait à un
acte réglementaire portant sur l’organisation du service (T.
confl. 15 janv. 1968, Air France c/ Époux Barbier ; T. confl.
11 janv. 2016, Comité d’établissement de l’unité clients et
fournisseurs Île de France des sociétés ERDF et GRDF).
Par ailleurs, certains litiges relèvent du juge judiciaire par
détermination de la loi ; tel est le cas des litiges mettant en
cause la responsabilité de l’État en raison des fautes
commises par les membres de l’enseignement public (loi du
5 avr. 1937) et des litiges mettant en cause la
responsabilité de l’État pour les dommages causés par un
véhicule appartenant à l’Administration (loi du 31 déc.
1957).
Le juge judiciaire est en outre compétent pour connaître
des litiges concernant le fonctionnement de la justice
judiciaire et ce, en application de la décision du Tribunal
des conflits du 27 novembre 1952, Préfet de la Guyane. Le
Tribunal a alors établi une distinction entre les recours
portant sur l’organisation du service public de la justice
judiciaire et ceux relatifs à son fonctionnement, en
indiquant que seuls les premiers pouvaient relever de la
compétence du juge judiciaire.
Surtout, il s’avère que certains litiges sont confiés à la
compétence du juge judiciaire en application de l’article 66
de la Constitution en vertu duquel l’autorité judiciaire est
gardienne des libertés individuelles. Cela n’implique
nullement la reconnaissance d’une compétence générale et
absolue au profit du juge judiciaire, le juge administratif
étant lui aussi un acteur de la protection des libertés
individuelles. Mais il n’en reste pas moins que la
compétence du juge judiciaire vient concurrencer celle du
juge administratif. En vertu de la loi du 5 juillet 2011, le
juge judiciaire est ainsi compétent dans les litiges relatifs à
l’hospitalisation d’office, ce qui lui permet de statuer à la
fois sur la régularité de l’arrêté préfectoral prononçant
l’hospitalisation d’office et sur le bien-fondé de celui-ci.
De plus, en vertu de la théorie de l’emprise, le juge
judiciaire est compétent pour indemniser le préjudice dès
lors que cette emprise aboutit à une dépossession définitive
d’une propriété immobilière et ce, en application de la
décision du Tribunal des conflits du 9 décembre 2013, M.
et Mme Panizzon. Cette décision donne une nouvelle
définition de l’emprise qui tend à réduire le champ de la
compétence judiciaire en imposant l’exigence d’une
dépossession définitive, mais il n’en demeure pas moins
qu’en cas d’emprise, le juge administratif ne peut être
compétent.
Il en est de même dans l’hypothèse de la voie de fait :
lorsque dans l’accomplissement d’un acte matériel,
l’Administration commet une irrégularité grossière portant
atteinte à une liberté ou à une propriété privée, il y a voie
de fait. À l’instar de l’emprise, la définition de la voie de fait
a elle aussi évolué dans un sens qui restreint la compétence
du juge judiciaire car, dans sa décision du 17 juin 2013,
Bergoend c/ Société ERDF, le Tribunal des conflits a limité
la voie de fait aux seules hypothèses d’atteinte aux libertés
individuelles et d’extinction du droit de propriété.
Auparavant, la voie de fait bénéficiait d’une acception plus
extensive puisque le Tribunal des conflits considérait qu’il y
avait voie de fait lorsque l’Administration, en portant une
atteinte « grave au droit de propriété ou à une liberté
fondamentale, soit a procédé à l’exécution forcée, dans des
conditions irrégulières, d’une décision même régulière, soit
a adopté une décision qui est manifestement insusceptible
d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité
administrative » (T. confl. 23 oct. 2000, Boussadar). Si la
définition se veut désormais plus restrictive, elle préserve
tout de même le principe de la compétence judiciaire en
cas de voie de fait afin d’obtenir l’indemnisation des
dommages subis.
Cela tend à démontrer que le juge administratif ne
bénéficie pas d’un monopole pour contrôler la légalité de
l’action administrative même s’il s’avère qu’il est le premier
acteur de ce contrôle dont la mise en œuvre repose
principalement sur le recours pour excès de pouvoir.
II/ Un contrôle de légalité exercé dans
le cadre du recours pour excès de
pouvoir
Dans la mesure où il s’agit d’un recours objectif qui
permet de demander au juge administratif l’annulation d’un
acte administratif contraire au principe de légalité, il
constitue le principal instrument du contrôle juridictionnel
de la légalité de l’action administrative. Les cas d’ouverture
permettent ainsi au juge administratif de contrôler la
légalité externe et la légalité interne des actes de
l’Administration (A), étant toutefois précisé que l’intensité
de son contrôle et l’étendue de ses pouvoirs peuvent être
variables (B).

A – Les cas d’ouverture du recours


pour excès de pouvoir
Avant d’analyser ces cas d’ouverture en détail, il convient
de préciser que le recours est soumis à des règles de
recevabilité tenant à la qualité du requérant, lequel doit
justifier d’un intérêt à agir (CE 20 mars 1901, Casanova ;
CE 21 déc. 1906, Syndicat des propriétaires et
contribuables Croix-de-Seguy-Tivoli ). L’action doit par
ailleurs être dirigée contre un acte faisant grief et être
introduite dans le respect des délais de recours qui sont en
principe de deux mois.
Si le recours est jugé recevable, il doit également faire
état des différents moyens d’illégalité invoqués que l’on
présente classiquement en distinguant la légalité externe
de la légalité interne.
Dans le premier cas, le juge administratif est amené à
contrôler, non pas le contenu de la décision, mais la façon
dont l’Administration a décidé, ce qui inclut la compétence
de l’auteur de l’acte. Plus précisément, il s’agit de vérifier
la compétence matérielle, territoriale et temporelle de
l’autorité administrative, étant précisé que l’incompétence
est le vice d’illégalité le plus grave, ce qui explique qu’il
s’agisse d’un moyen d’ordre public. À l’incompétence
s’ajoute le vice de forme et de procédure qui vise à
sanctionner le non-respect par l’Administration des règles
formelles et procédurales qui s’imposent lors de l’édiction
d’un acte administratif. Le vice de procédure concerne le
processus de formation de la décision, tandis que le vice de
forme vise la présentation de celle-ci. Mais en vertu de la
jurisprudence Danthony (CE 23 déc. 2011), seuls les vices
substantiels entrainent l’annulation de l’acte.
S’agissant de la légalité interne, le juge administratif est
amené à contrôler la légalité du but de l’acte, ce qui
implique qu’il doit vérifier que l’autorité administrative n’a
pas usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui pour
lequel ils lui ont été conférés (CE 26 nov. 1875, Pariset).
Par ailleurs, le juge est amené à vérifier que
l’Administration a bien respecté la hiérarchie des normes,
ce qui signifie qu’il contrôle la violation directe de la loi (CE
23 avr. 1982, Ville de Toulouse). Enfin, la légalité interne
suppose d’exercer un contrôle sur les motifs de l’actes,
c’est-à-dire sur les raisons de fait et de droit qui sous-
tendent l’adoption de l’acte. C’est ainsi que le juge
administratif peut être appelé à sanctionner une erreur de
droit qui découlerait de la mise en œuvre d’une norme
inexistante ou inapplicable, c’est-à-dire, une erreur quant à
la base légale de l’acte (CE 2 févr. 1987, Société TV6). Mais
l’erreur de droit peut aussi découler du rattachement de la
décision à une norme légale qui a été mal interprétée (CE
27 juill. 1990, Université de Paris Dauphine). Dans le cadre
de son contrôle sur les motifs, le juge administratif peut
également être amené à sanctionner une erreur de fait liée
à l’inexactitude matérielle des faits qui sont à l’origine de la
décision (CE 14 janv. 1916, Camino). Enfin, le juge
administratif est appelé à contrôler la qualification
juridique des faits, ce qui implique de vérifier que les faits
sont de nature à justifier juridiquement la décision qui a été
prise (CE 4 avr. 1914, Gomel).
Au regard de ces différents moyens, s’il s’avère que l’acte
est illégal, le juge administratif l’annulera, étant précisé
que cette annulation a un effet rétroactif et vaut erga
omnes. Mais l’intensité du contrôle, tout comme ses effets,
peuvent varier selon les circonstances.

B – L’office du juge administratif en


matière de recours pour excès de
pouvoir
L’intensité du contrôle exercé par le juge varie selon la
situation dans laquelle l’Administration se trouve placée.
Elle est en situation de compétence liée lorsque le contenu
de la décision qu’elle doit prendre est dicté par un texte.
Dans cette hypothèse, le juge se livrera à un contrôle
normal de la qualification juridique des faits. En revanche,
lorsque l’Administration est placée dans une situation de
pouvoir discrétionnaire, c’est-à-dire lorsqu’elle a la
possibilité de fixer plus librement le contenu de la décision,
le juge se livrera à un contrôle restreint. Cela consiste à
exercer un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation
sur la qualification juridique des faits et à ne sanctionner
que les seules erreurs grossières (CE 2 nov. 1973, Librairie
François Maspero).
Toutefois, dans la jurisprudence récente, il apparaît que
les hypothèses dans lesquelles le juge exerce un contrôle
restreint tendent à reculer. Tel est notamment le cas des
litiges dans lesquels un agent public conteste une sanction
que l’Administration lui a infligée (CE 13 nov. 2013,
Dahan). Cette jurisprudence s’applique également aux
sanctions infligées aux militaires (CE 25 janv. 2016, M. B.),
mais aussi aux détenus (CE 1er mars 2015, Boromée). Il
s’avère ainsi que le contrôle que le juge exerce sur
l’Administration progresse même s’il n’atteint pas le seuil
du contrôle de proportionnalité mis en œuvre dans le cadre
de la théorie du bilan coût-avantage qui fait figure de
contrôle maximal (CE 28 mars 1971, Ville Nouvelle Est).
Au-delà des variations dans l’intensité du contrôle, le juge
administratif s’est également reconnu la possibilité de
moduler dans le temps les effets de l’annulation. En
principe, l’annulation produit un effet rétroactif, ce qui fait
disparaître l’acte de l’ordonnancement juridique sans
solution transitoire. Afin d’éviter qu’un tel effet ne crée un
vide juridique qui serait néfaste au principe de sécurité
juridique, le juge administratif s’est autorisé à moduler
dans le temps les effets d’une annulation contentieuse (CE
11 mai 2004, Association AC !). La reconnaissance d’un
pouvoir d’injonction par la loi du 8 janvier 1995 avait déjà
contribué à confier au juge administratif un rôle plus
important dans la mise en œuvre du jugement. L’arrêt du
11 mai 2004 apporte une nouvelle évolution en autorisant
le juge à repousser dans le temps les effets de ses décisions
afin de laisser à l’Administration le temps d’adopter un
nouvel acte conforme au droit. Cette jurisprudence permet
ainsi au juge administratif de rendre le recours pour excès
de pouvoir plus efficace en accordant une attention accrue
aux effets de ses décisions.
Pour autant, ce recours n’est pas à l’abri de toute critique
dans la mesure où le juge apprécie la légalité de l’acte au
jour où il a été pris, ce qui ne lui permet pas de tenir
compte de l’entrée en vigueur d’une loi plus douce,
contrairement au plein contentieux. Cela explique alors le
glissement de certains litiges vers le plein contentieux,
notamment en matière de sanction (CE 16 févr. 2009,
ATOM). Mais il n’en demeure pas moins que le recours
pour excès de pouvoir reste « l’arme la plus efficace, la plus
économique et la plus pratique qui existe au monde pour
défendre les libertés », comme l’indiquait déjà Gaston Jèze
en 1929. Le recours pour excès de pouvoir fait donc figure
d’instrument de contrôle de la légalité de l’action
administrative et de préservation contre l’arbitraire.
La justice administrative
Thème principal
Contrôle juridictionnel
Mots-clés
Mesures d’ordre intérieur, Contrôle juridictionnel, Recours
pour excès de pouvoir
Sujet proposé et corrigé établi par
Jean-François Brisson, Professeur, Université de Bordeaux
Second semestre 2020-2021

〉Cas pratique
La section bordelaise de l’Observatoire français des prisons
(OFP) vous consulte à propos de la situation d’un détenu, un
dénommé Edmond Dantès, en litige avec l’administration
pénitentiaire du Château d’If.
Edmond Dantès a fait l’objet d’une sanction prononcée par
le directeur de la prison décidant son placement pour vingt-
huit jours en cellule disciplinaire. Edmond Dantès, par
l’intermédiaire de l’Observatoire français des prisons, vous
demande de l’aider à contester cette mesure qui, inscrite à
son dossier, entraînera la perte automatique des remises de
peine prévues par la loi. Edmond Dantès était libérable au
1er janvier 2022. À l’issue de ces vingt-huit jours de cellule,
M. Edmond Dantès a demandé à changer d’établissement
pénitentiaire afin de se rapprocher de sa famille vivant à
Monte-Cristo. Cette demande a été rejetée.
1. L’OFP voudrait savoir s’il est possible de contester
l’ensemble de ces décisions devant le juge administratif ? (4
points)
2. L’OFP fait valoir à l’appui de sa contestation que la
commission de discipline prévue par le code de procédure
pénale ne s’est pas réunie dans des conditions régulières.
En particulier, le second assesseur, dont la loi exige qu’il
s’agisse d’une personnalité extérieure à l’administration
pénitentiaire, n’était pas présent.
Saisi de cette difficulté, M. de Morcef, le directeur régional
des services pénitentiaires, a rejeté le recours hiérarchique
présenté par Edmond Dantès ; arguant :
– d’une part, que l’assesseur extérieur ne dispose que
d’une voix consultative, qu’en conséquence sa participation
obligatoire n’est pas de nature à entraîner l’annulation de la
sanction rendue en son absence.
– d’autre part, que l’assesseur extérieur a été convoqué
mais qu’il ne s’est pas présenté le jour du conseil de
discipline.
Que pensez-vous de la pertinence de ses arguments ? (6
points)
3. L’OFP voudrait également voir contester au fond la
sanction qu’il trouve trop lourde.
Edmond Dantès s’est vu infligé 28 jours de cellule
disciplinaire alors que la peine maximale prévue par les
textes est de 30 jours. L’OFP explique que, jusqu’à la date
de l’altercation qui l’a opposé à un codétenu – Edmond
Dantès a poignardé l’abbé Faria avec lequel il partageait sa
cellule –, l’intéressé avait eu une conduite exemplaire en dix
ans d’incarcération.
Avant de former un recours, l’OFP voudrait savoir :
– d’une part, si le juge acceptera de contrôler le quantum
de la peine prononcée ou s’il en laissera la libre appréciation
à l’Administration ; (3 points)
– d’autre part, si le juge pourra ramener la sanction à une
peine moins lourde au lieu de l’annuler. (2 points)
4. Edmond Dantès souhaite également que l’inscription de
la sanction à son dossier soit effacée afin de ne pas
empêcher sa libération prévue en janvier 2022 ; date à
laquelle il doit épouser la belle Mercédès, visiteuse de
prison, rencontrée durant son incarcération.
À votre avis, est-ce possible ? (3 points)
5. Alexandre Dumas, étudiant en droit, qui, avant de
reprendre le cabinet de son père, effectue un stage auprès
de l’OFP, vous explique qu’il faudra veiller, en rédigeant le
recours, à hiérarchiser les moyens d’annulation invoqués
devant le juge. Qu’en pensez-vous ? (2 points)

〉Préparation
Analyse du sujet

Le sujet proposé est un cas pratique permettant


d’illustrer différentes questions susceptibles d’être
soulevées devant le juge de l’excès et étudiées au
second semestre. Exigeant une connaissance
précise du cours et des thèmes abordés en travaux
dirigés, il ne présente pas de difficulté majeure. La
méthode du cas pratique exige d’abord des
étudiants qu’ils parviennent à identifier clairement
les différentes situations proposées afin de
procéder aux qualifications juridiques appropriées.
Une fois cette étape préalable mais décisive
franchie, le devoir doit s’efforcer de hiérarchiser les
connaissances tirées du cours ou des dossiers de
travaux dirigés afin de répondre précisément à la
question posée. Il évitera en particulier de restituer
dans leur intégralité et sans discernement des
passages entiers du cours. Pour la résolution du cas
pratique, la connaissance précise de la
jurisprudence constitue un prérequis nécessaire.

〉Corrigé
Question no 1
Le contrôle par le juge de l’excès de pouvoir des mesures
prises par l’administration pénitentiaire a fait l’objet
d’évolutions importantes. Pendant longtemps, les punitions
et mesures intéressant les détenus ne pouvaient pas être
contestées devant le juge administratif au titre de la
théorie des mesures d’ordre intérieur. Il s’agissait d’une
construction jurisprudentielle appliquée également dans
d’autres secteurs d’activités particuliers, tels que les
établissements scolaires ou à l’égard des militaires, où le
juge entendait de pas gêner la mission des autorités
hiérarchiques dans l’exercice de leur pouvoir disciplinaire.
Or, certaines de ces mesures, et notamment les punitions
infligées aux détenus, n’étaient pas des actes sans
importance et pouvaient porter atteinte aux droits
fondamentaux des intéressés. Ainsi dans l’affaire Caillol,
rendue aux conclusions contraires du commissaire du
gouvernement Genevois, la décision de l’administration
pénitentiaire de placer un détenu en quartier de haute
sécurité n’avait fait l’objet d’aucun contrôle de la part du
juge administratif (CE, ass., 27 juin 1984) alors même que
le Tribunal des conflits avait interdit au juge judiciaire de
se prononcer sur cette question jugée détachable de
l’exécution des décisions de justice (T. confl. 4 juillet 1983).
Sous l’influence de la Convention européenne des droits
de l’homme, l’affaire Campbell et Fell c/ Royaume Uni de la
CEDH 28 juin 1984 mettant en exergue le droit des détenus
à bénéficier d’un procès équitable, le Conseil d’État va
modifier sa jurisprudence (CE, ass., 17 févr. 1995, Marie)
acceptant notamment d’examiner le recours d’un détenu
contre une sanction décidant son placement en cellule de
punition pour une durée de 8 jours. La même solution sera
appliquée aux militaires (affaire Hardouin).
Depuis 1995, la théorie des mesures d’ordre intérieur n’a
pas totalement disparu. La possibilité de contester de telles
mesures est en effet limitée aux seules sanctions qui de par
leur nature ou leur gravité soit portent atteinte aux droits
et libertés soit affectent la situation juridique ou statutaire
É
des intéressés. Mais depuis 2007, le Conseil d’État invite
les juges administratifs à retenir une conception large de
leur office en acceptant de contrôler la décision de
changement d’affectation d’un détenu d’une maison
centrale vers une maison d’arrêt (CE, ass., 14 déc. 2007,
Garde des Sceaux c/ Boussouar), la décision de
déclassement d’emploi d’auxiliaire de cuisine (CE, ass., 14
déc. 2007, Planchenault) ou encore des mesures de
changements fréquents d’une maison d’arrêt à une autre
(CE, ass., 14 déc. 2007, Payet).
De la grille d’analyse dessinée par le Conseil d’État, on
retiendra que la plupart des décisions intéressant les
détenus sont désormais susceptibles d’être contestées et
que l’ouverture du recours ne tient pas à l’objet ou même
au contenu de la mesure mais davantage aux effets de la
décision sur la situation du requérant. Il n’existe pas ainsi
de mesure d’ordre intérieur par nature. Le juge doit en
conséquence se livrer à une analyse au cas par cas qui peut
être fonction du contexte de la situation réelle à laquelle
est confrontée le requérant. À ce titre, on peut considérer
qu’Edmond Dantès est tout à fait fondé à contester la
punition qui lui a été infligée : d’abord au regard de sa
durée (28 jours) qui correspond quasiment à la peine
maximale susceptible d’être prononcée et qui à ce titre
modifie profondément ses conditions de détention ; ensuite,
et surtout, en raison des effets de cette décision sur sa
situation personnelle dès lors que figurant à son dossier
elle fait obstacle à sa libération de prison à la date prévue.
S’agissant du refus de transfert vers un autre
établissement afin de permettre un rapprochement familial,
la réponse est davantage sujette à discussion et sera
fonction de la situation personnelle et familiale d’Edmond
Dantès. Faute d’éléments plus précis sur sa situation
familiale, on peut considérer que la mesure n’a pas d’effet
sur sa situation juridique ou statutaire à la différence des
arrêts Boussouar et Payet où était également en cause un
changement d’affectation de détenus. En l’espèce, le juge
pourrait être amené sur ce point à écarter le recours.
Question no 2
Le directeur régional appuie son raisonnement sur la
jurisprudence du Conseil d’État établie à l’égard des vices
de procédure (CE, ass., 23 déc. 2011, Danthony). En
matière de procédure, le contrôle du juge administratif se
veut le plus réaliste possible afin de ne pas prononcer des
annulations inutiles ou de gêner l’Administration en la
soumettant à un formalisme tatillon. Ainsi toute irrégularité
commise n’entraînera pas nécessairement l’annulation de
la décision dès lors que l’Administration pourrait être
amenée par la suite à reprendre un acte au contenu
identique.
En ce sens, le juge distingue depuis longtemps en matière
de légalité procédurale entre les vices substantiels et les
vices non substantiels. Cette jurisprudence a pris un tour
nouveau avec l’arrêt Danthony où explicitant sa nouvelle
doctrine, le Conseil d’État invite les juges du fond à
n’annuler que les décisions qui en vaillent la peine. L’arrêt
retient ainsi une formule négative et restrictive pour définir
les vices susceptibles d’entraîner l’annulation : « un vice
affectant le déroulement d’une procédure administrative
préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de
nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il
ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible
d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la
décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie
».
La jurisprudence s’intéresse donc aux effets des
irrégularités commises. Soit l’irrégularité a eu pour effet de
priver les intéressés d’une garantie : par exemple dans
l’affaire Danthony, le juge a stigmatisé le défaut de
consultation des comités technique paritaires (où sont
représentés l’ensemble des personnels) concernant la
décision de fusion de deux établissements d’enseignement
supérieur. Soit l’irrégularité a exercé une influence sur le
sens de la décision prise : par exemple dans l’affaire
FNAUT (CE 15 avr. 2016), les informations mises à la
disposition du public lors d’une enquête publique étant
insuffisantes, le juge a considéré que l’avis de la
commission d’enquête a été privé d’effet utile et qu’il n’a
pas pu correctement éclairer l’autorité compétente.
La question de savoir ce qui constitue une garantie dont
l’administré aurait été privé fait parfois l’objet de
discussion en doctrine. Il ne fait cependant pas de doute
que les garanties constituées dans le cadre d’une
procédure disciplinaire destinées à préserver le respect des
droits de la défense sont de manière systématique au
nombre des irrégularités dont le constat entraîne
l’annulation de la décision. En effet, la procédure
disciplinaire a pour objet la protection des personnes visées
par une mesure à caractère punitif qui doivent pouvoir
utilement y faire valoir leurs droits. Ainsi le Conseil d’État
dans l’arrêt Sarrazin du 22 février 2012 a conclu
logiquement à l’annulation de la sanction en raison des
irrégularités concernant le fonctionnement des conseils de
discipline. Il n’en ira autrement que dans la mesure où
serait invoquée devant le juge une irrégularité qui n’a pas
en pratique altéré la procédure disciplinaire. Ainsi toujours
à propos du fonctionnement des conseils de discipline, le
Conseil d’État a jugé que la lecture du rapport en séance
ne peut être regardée, en elle-même, comme une garantie
dont la seule méconnaissance suffirait à entacher
d’illégalité la décision prise à l’issue de la procédure. En
effet, le Conseil d’État a considéré que la communication
du rapport, en temps utile avant la séance, à l’agent et aux
membres du conseil, avait permis de satisfaire aux fins en
vue desquelles sa lecture a été prévue, notamment au
respect des droits de la défense (CE 12 févr. 2014, req. no
352878).
En l’espèce, il ne fait pas de doute que la présence d’un
assesseur extérieur à l’administration pénitentiaire est de
nature à équilibrer les débats en faisant valoir un point de
vue indépendant et le cas échéant différent. En ce sens, le
fait que l’assesseur ne donne qu’un avis consultatif
n’interdit pas de voir dans sa présence, comme le prétend
le directeur régional, une garantie pour le détenu, dès lors
notamment que les débats auxquels ils participent et la
position qu’il y exprime peuvent avoir une influence sur le
sens de la décision prise. Cette dernière observation
montre d’ailleurs que les deux conditions posées par l’arrêt
Danthony ne sont pas totalement indépendantes mais se
recoupent le plus souvent.
À ce titre, on peut considérer que l’irrégularité dénoncée
par l’OFP est de nature à entraîner l’annulation de la
sanction prononcée contre Edmond Dantès sur le
fondement de la jurisprudence Danthony. Reste que le
directeur régional explique que la procédure prévue était
impossible à suivre dès lors que l’assesseur concerné
dûment convoqué ne s’est présenté lors du conseil de
discipline.
Cet argument doit être pris au sérieux dès lors que la
jurisprudence administrative, toujours soucieuse de
réalisme, a développé une théorie dite des formalités
impossibles Cette théorie correspond en fait à un ensemble
d’hypothèses où le juge va accepter de couvrir une
irrégularité de forme ou de procédure substantielle – au
sens où dans le cadre de l’arrêt Danthony elle devrait
conduire à l’annulation –, jugeant qu’en l’espèce
l’Administration s’est heurtée à une situation qui rendait le
respect de la règle matériellement impossible. Cette
théorie est régulièrement invoquée par l’Administration
Mais c’est à l’Administration d’apporter la preuve de
l’impossibilité matérielle à laquelle elle s’est heurtée. Et le
juge vérifiera, avant d’admettre l’impossibilité de la
procédure, que l’Administration a procédé à toutes les
diligences nécessaires. En ce sens, on peut citer le CE 5
février 2021, req. no 434 659, C.B. c/ directeur
interrégional des services pénitentiaires de Paris : il
appartient à l’administration pénitentiaire de mettre en
œuvre tous les moyens à sa disposition pour s’assurer de la
présence effective de cet assesseur. Et si, malgré ces
diligences, aucun assesseur extérieur n’est en mesure de
siéger, le Conseil d’État a jugé que la tenue de la
commission de discipline devait être reportée à une date
ultérieure, à moins qu’un tel report ne compromette
manifestement le bon exercice du pouvoir disciplinaire.
Le Conseil d’État fait ainsi une application prudente de
cette théorie ne la faisant jouer qu’en dernière analyse.
L’argument du directeur régional n’est ainsi soutenable
qu’à condition d’être précisé : il lui appartient de montrer
au juge qu’il a pris toutes les mesures nécessaires et que
les circonstances particulières de l’affaire (eu égard au
dossier du détenu, à la gravité des faits ou au climat
général dans la prison) exigent une sanction immédiate ne
pouvant être repoussée.
Question no 3
Le contrôle des sanctions appliquées aux détenus a connu
depuis l’arrêt Marie, rendu en 1995, une évolution
remarquable calquée sur le régime des sanctions
appliquées aux agents publics.
D’une manière générale, le juge administratif a
longtemps laissé en matière de sanction une grande liberté
d’appréciation à l’Administration. Alors même qu’il refusait
de contrôler les sanctions applicables aux détenus, il
n’exerçait qu’un contrôle minimum à l’égard des autres
catégories de sanctions et plus particulièrement quant au
quantum de la sanction prononcée à l’encontre notamment
des agents publics (CE 9 juin 1978, Lebon). Plus
précisément en matière de sanction, le contrôle de la
qualification juridique des faits s’opère en deux temps : le
juge exerce d’abord un contrôle entier pour vérifier que la
personne sanctionnée a commis des faits susceptibles de
constituer une faute ; ce n’est qu’une fois la faute établie
que le juge vérifiera l’adaptation de la sanction prononcée
à la gravité des faits reprochés.
Ce contrôle a longtemps été un contrôle limité à l’erreur
manifeste d’appréciation : dans la fonction publique (CE 1er
févr. 2006, Touzard, confirmant l’arrêt Lebon) mais aussi
par suite à l’égard des détenus (CE 20 mai 2011, Letona
Bineti). Les raisons justifiant la prudence du juge n’étaient
pas techniques : aucune raison juridique ne l’empêchait de
déployer son contrôle. Ainsi, dans certains domaines, le
juge se livrait déjà à un contrôle entier à l’égard des
sanctions notamment à propos des sanctions infligées aux
magistrats (CE 27 mai 2009, Hontang) ou aux opérateurs
économiques (CE 22 juin 2007, Sté Arfi). Elles étaient donc
essentiellement politiques (au sens de l’expression d’une
politique jurisprudentielle), le juge cherchant à ménager
l’autorité et la marge d’appréciation des supérieurs
hiérarchiques sur des questions qui sont
institutionnellement sensibles.
Les évolutions de la société et du système juridique
global, marquées par une meilleure prise en compte des
droits fondamentaux et la diffusion en matière répressive
devant toutes les juridictions du principe de
proportionnalité, ont conduit le Conseil d’État à donner une
nouvelle inflexion d’abord à l’égard des agents publics (CE,
ass., 13 nov. 2013, Dahan) puis des détenus (CE 1er juin
2015, B.A.), la rapporteure publique Aurélie Bretonneau
plaidant dans cette dernière affaire pour un alignement du
contentieux des détenus sur les solutions admises en
général. C’est ainsi de manière générale, y compris pour
les détenus, que le juge vérifie désormais la
proportionnalité de la sanction prononcée à la gravité de la
faute commise. En l’espèce, la gravité des actes commis
par Dantès paraît devoir justifier une sanction sinon la plus
lourde du moins très lourde. En ce sens, 28 jours de cellule
pour un geste risquant d’entraîner la mort de son codétenu
paraissent proportionnés.
Reste que la conduite d’Edmond Dantès a été, jusqu’au
jour des faits, exemplaire. De sorte que si l’annulation de la
sanction paraît difficilement envisageable, il pourrait être
intéressant de demander au juge d’en prononcer la
diminution ainsi que paraît l’exiger la Cour européenne des
droits de l’homme, sur le fondement du principe de
proportionnalité inclus dans le procès équitable affirmé par
l’article 6 § 1 de la Convention (CEDH 23 nov. 1995,
Gradinger c/ Autriche). La difficulté vient que ce type de
demande se heurte à l’étendue des pouvoirs du juge de
l’excès de pouvoir qui n’est pas investi du pouvoir de
réformation. Pour éviter ces difficultés, certains textes
instituent à l’égard des sanctions, notamment prononcées
en matière économique, un recours de pleine juridiction. Le
Conseil d’État lui-même dans l’arrêt Sté Atom a admis être
saisi d’un recours de pleine juridiction plutôt que d’un
recours pour excès de pouvoir afin de pouvoir appliquer la
loi pénale plus douce à certaines sanctions prononcées à
l’encontre d’entreprises en infraction avec la législation
économique (CE, ass., 16 févr. 2009). Mais cette solution
reste l’exception : le contentieux des sanctions
disciplinaires, celles appliquées aux agents publics comme
aux détenus, est confié au juge de l’excès de pouvoir dont
l’office, même s’il connaît une expansion remarquable, ne
va pas jusqu’à comprendre le pouvoir de réformer une
décision prise par l’Administration. Le Conseil d’État ayant
plusieurs fois rappelé par la voix de ses rapporteurs
publics, contre toute évidence, que le recours en annulation
permettant un contrôle entier suffisait à satisfaire les
exigences du principe de proportionnalité. A ainsi été
annulée pour erreur de droit le jugement d’un tribunal
administratif qui à la suite de l’arrêt Sté Atom pensait en
matière de sanction contre les détenus être investi des
pouvoirs du juge de plein contentieux (CAA Nancy 18 févr.
2010).
Question no 4
Manifestement Edmond Dantès a davantage intérêt à
obtenir l’effacement des mentions figurant sur son dossier
que l’annulation d’une décision qui paraît être exécutée et
avoir produit tous ces effets. La situation d’Edmond Dantès
permet de saisir tout l’intérêt des évolutions récentes du
contentieux de l’excès de pouvoir qui autorisent le juge, à
partir de l’annulation de la décision, à tirer toutes les
conséquences qu’exige, pour la situation personnelle du
requérant, le rétablissement de la légalité.
Longtemps, l’office du juge de l’excès de pouvoir a
consisté dans le seul pouvoir d’annuler les décisions
illégales. Le Conseil d’État, soucieux de préserver
l’indépendance de l’Administration active et, selon le mot
de Laferrière, de « ne pas faire acte d’administrateur »,
refusait d’aller plus loin et notamment d’adresser des
injonctions à l’Administration y compris afin que cette
dernière tire toutes les conséquences juridiques découlant
de l’annulation de la décision contestée. Cette
autolimitation donnait à certaines annulations une
dimension largement théorique dès lors qu’elles pouvaient
ne pas avoir d’incidences concrètes sur la situation du
requérant. La loi du 8 février 1995 (CJA, art. L. 911-1 et L.
911-2) a mis fin à ce paradoxe : le juge de l’excès de
pouvoir est depuis habilité à adresser des injonctions à
l’Administration afin de l’amener à tirer toutes les
conséquences de l’annulation prononcée contre elle. Le
législateur précise ainsi que le juge a la possibilité
d’indiquer à l’Administration, dès lors qu’elle se trouve en
situation de compétence liée, l’ensemble des mesures
qu’implique l’annulation de sa décision (CJA, art. L. 911-1).
Initialement conditionnée par le dépôt devant le juge de
conclusions en ce sens, l’injonction fait désormais partie
intégrante des pouvoirs du juge de l’excès pouvoir dès lors
qu’il peut désormais prononcer de telles mesures d’office
(Loi du 23 nov. 2019, article 40). La loi du 8 février 1995 a
entraîné une véritable mutation du contentieux de l’excès
de pouvoir conduisant le cas échéant le juge de l’injonction
à se couler dans les habits du juge de plein contentieux,
afin notamment de pouvoir statuer sur le sens des mesures
à prendre au regard de la situation juridique constituée,
non à la date de la décision annulée comme en excès de
pouvoir, mais au jour où il statue comme en plein
contentieux (CE 4 juill. 1997, Bourezak et Leveau).
L’injonction ainsi prescrite peut être encore assortie d’une
astreinte (CJA, art. L. 911-3).
Aussi importants qu’ils soient, les nouveaux pouvoirs du
juge de l’excès restent cependant conditionnés par la
situation juridique portée devant lui. En effet, dès lors que
l’Administration doit prendre une nouvelle décision et
reste, en raison des textes applicables au litige, libre des
conséquences à tirer de l’annulation contentieuse, le juge
ne pourra au mieux que renvoyer le requérant devant
l’Administration afin qu’elle réexamine l’affaire dans le
nouveau délai que le juge lui prescrit. Cette solution fondée
sur l’article L. 911-2 CJA présente un intérêt pratique
évident quand le requérant conteste une décision de refus
(par exemple, un refus de permis de construire) mais non
comme en l’espèce quand il demande l’annulation d’une
mesure de sanction.
Au cas d’espèce, la question est donc de savoir si
l’administration pénitentiaire est dans une situation de
compétence liée lorsque le juge annule une sanction
disciplinaire. En fait, plusieurs cas de figure méritent d’être
distingués selon le motif de l’annulation retenu. Si
l’annulation a été prononcée en raison d’un vice de
procédure, l’autorité territoriale peut, à raison des mêmes
faits, prendre une nouvelle décision de sanction en tenant
compte des irrégularités relevées par le juge. Si la sanction
a été annulée en raison de son quantum jugé
disproportionné, la nouvelle sanction doit être
proportionnelle à la faute commise par l’agent. Dans ces
cas, les éléments liés à la procédure disciplinaire n’auront
pas à être retirés du dossier individuel de l’agent. Dès lors,
c’est uniquement dans le cas, que l’on jugera sans peine
non établi en l’espèce, où le juge aurait annulé la sanction
au motif que les faits reprochés ne constituent pas une
faute, que l’administration pénitentiaire devra en tirer
toutes les conséquences et sur l’injonction du juge retirer
du dossier du détenu toute mention de la sanction qui a fait
l’objet d’une annulation.
Question no 5
Les conseils d’Alexandre Dumas semblent a priori
particulièrement judicieux. En effet, dans notre affaire, le
requérant est en mesure, comme on l’a vu, de soulever
plusieurs moyens susceptibles d’entraîner l’annulation de
la sanction : des moyens de procédure et des moyens de
fond.
Dans ce cas, les requérants doivent se prémunir du risque
de voir leurs conclusions en injonction neutralisées par la
technique dite de l’économie des moyens. Cette technique
consiste pour le juge de l’excès de pouvoir à fonder son
annulation sur les illégalités les plus flagrantes quitte à ne
pas répondre aux autres moyens. Il se trouve qu’en
pratique, les illégalités les plus facilement décelables pour
un juge sont les vices de forme ou de procédure qui ne vont
pas l’obliger à examiner l’affaire au fond pour satisfaire la
demande du requérant.
Or cette technique n’est plus vraiment adaptée à
l’évolution du contentieux de l’excès de pouvoir. En effet,
l’exercice du pouvoir d’injonction (art. L. 911-1) suppose
que le juge recherche si parmi tous les moyens invoqués
par le requérant, il existe un moyen de fond (légalité
interne) qui placerait l’Administration dans une situation de
compétence liée, lui permettant alors de prescrire des
mesures d’exécution.
Cette difficulté a été immédiatement perçue par les
justiciables et leurs conseils qui ont pris l’habitude de
hiérarchiser les moyens dans leur requête afin d’amener le
juge à statuer d’abord sur ceux susceptibles d’entraîner
l’exercice du pouvoir d’injonction. Mais cette pratique ne
reposait sur aucun texte et était en droit laissée au bon
vouloir du juge. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. L’arrêt du
Conseil d’État, sect., 21 déc. 2018, Sté Eden, est venu
obliger les juges du fond à examiner les moyens dans
l’ordre où le requérant les hiérarchise : il incombe, dit
l’arrêt, au juge de l’excès de pouvoir d’examiner
prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant
fondés, à justifier le prononcé de l’injonction demandée
mais encore de respecter la hiérarchisation établie par le
requérant et d’examiner prioritairement les moyens qui se
rattachent à la cause juridique correspondant à la demande
principale du requérant. En conséquence, s’éloignant
toujours plus de la logique objective qui a présidé à la
formation du recours pour excès de pouvoir, le juge
administratif doit veiller à retenir le raisonnement juridique
le plus à même de répondre à la situation du requérant. En
ce sens, on peut citer l’arrêt du Conseil d’État 4 octobre
2019, AB c/ Présidence de l’Université de Paris 13, où est
cassé un arrêt de Cour administrative d’appel au motif que
le requérant avait seulement obtenu le bénéfice d’une
injonction d’une moindre portée que celle sollicitée,
laquelle aurait été de droit si les moyens non examinés par
le juge avaient, au contraire, été accueillis par le juge
d’appel.
Pour autant, au cas d’espèce, l’invocation de la nouvelle
jurisprudence du Conseil d’État ne présente pas un
véritable intérêt pratique pour le requérant dès lors que,
comme on l’a vu, l’annulation de la sanction pour vice de
procédure comme de fond ne devrait pas aboutir au
prononcé d’une injonction sur le fondement de l’article L.
911-1 du CJA. Il n’en reste pas moins que, de manière
générale, il est désormais de bonne pratique pour les
requérants et leurs conseils de hiérarchiser les moyens
d’annulation soulevés devant le juge.
La justice administrative
Thème principal
Contrôle juridictionnel
Mots-clés
Recours pour excès de pouvoir, Mesures d’ordre intérieur,
Référé-suspension, Référé-liberté, Responsabilité, Dignité
Sujet proposé et corrigé établi par
Romain Rambaud, Professeur, Université Grenoble Alpes
Second semestre 2020-2021

〉Cas pratique
C’est à une crise totalement inattendue que doit faire face
la maison d’arrêt de Varces : un cluster s’est déclenché en
son sein. En effet, le départ en urgence en réanimation d’un
détenu a alerté le directeur de la maison d’arrêt, qui a
ensuite mis en place une campagne de dépistage sur la
base du volontariat : le taux de positivité à la covid-19 est
déjà de 5 %. Il s’avère qu’il s’agit du premier cluster en
prison constaté dans toute la France : tous les médias ont
les yeux rivés sur le sud grenoblois. Pour lutter contre la
flambée de l’épidémie, sous pression, le directeur de la
prison va prendre un certain nombre de mesures.
1. L’ensemble de ces mesures particulières vont être
attaquées par les détenus, mais certaines associations
souhaitent également remettre en cause ces décisions qui,
selon elles, portent atteinte de façon excessive aux droits
des détenus. Il s’agit notamment de l’association « Prison
Justice 38 », dont l’objet est d’assurer l’accueil dans la
Maison d’accueil des familles se rendant aux parloirs et de
sensibiliser l’opinion publique aux problèmes vécus par les
familles de détenu(e)s et les détenu(e)s eux-mêmes, mais
aussi de la section nationale de la « Ligue des droits de
l’homme », qui entend faire de la situation une affaire de
principe de portée nationale. Ces associations vous
saisissent, en tant qu’avocat.e, pour vous demander
si selon vous, elles pourraient attaquer ces
différentes décisions en justice et en principe devant
quel juge. Qu’en pensez-vous ? (3 points)
2. En premier lieu, dans l’impossibilité évidente d’agrandir
les cellules de la prison, le directeur de celle-ci décide
d’adopter une « note de service interne », par laquelle il
impose le port du masque aux détenus non seulement dans
les parties communes, mais aussi dans leurs cellules dès
lors que ces dernières sont collectives, ce qui revient pour
les détenus à devoir porter un masque 24 heures sur 24.
Dans la mesure où les masques sont fournis par la prison, il
s’agit pour le directeur d’une simple mesure de bon sens
visant à éviter la propagation de l’épidémie et le port du
masque n’est pas particulièrement problématique pour les
détenus. Un certain nombre de détenus considèrent
au contraire que le fait d’imposer le port du masque
tout le temps pose un vrai problème. Ils
souhaiteraient attaquer cette note du directeur de la
prison le plus rapidement possible et viennent vous
voir pour cela. Peuvent-ils attaquer cette note du
directeur ? Est-il possible de la remettre en cause en
urgence et quelle procédure doivent-ils utiliser ? Ont-
ils une chance de succès selon vous ? (6 points)
3. En deuxième lieu, le directeur décide de suspendre pour
une semaine les activités collectives, à l’intérieur comme à
l’extérieur, n’autorisant les promenades dans la cour qu’au
compte-gouttes, par groupes de six, avec un système de
réservation préalable. Il considère que le risque de
contamination est trop fort et que la taille de la cour de la
maison d’arrêt est trop petite pour permettre davantage, y
compris à l’extérieur. Le problème est que ce système de
rotation a pour conséquence que les détenus ne peuvent
prendre l’air qu’un jour sur trois désormais. Un certain
nombre de détenus veulent remettre en cause cette
décision en urgence en demandant au juge de
réautoriser les promenades dans la cour
immédiatement, s’il le faut en ordonnant au directeur
de la prison de faire agrandir celle-ci. Quelle
procédure doivent-ils utiliser ? Ont-ils d’après vous
une chance de succès au fond ? (3 points)
4. De manière plus générale, les détenus se demandent
comment faire pour donner une plus grande résonance à
leur affaire et ont deux idées. Tout d’abord, ils envisagent
de demander à la ligue des droits de l’homme de
porter une action de groupe contre ces décisions.
Cela vous paraît-il possible ? (2 points). Ensuite, ils ont
l’idée d’utiliser la toute nouvelle loi tendant à garantir le
droit au respect de la dignité en détention, considérant que
s’ils sont les premiers à utiliser cette nouvelle modalité, cela
donnera un fort retentissement à leur affaire. Selon vous,
le peuvent-ils et cela a-t-il une chance de succès
[pour pouvoir répondre à cette question, v. le texte
de la loi en annexe] ? (4 points)
5. Enfin, l’épidémie progressant malgré tout dans la prison,
plusieurs détenus tombent gravement malades et décèdent
des suites de la covid-19 à l’hôpital de Grenoble. Leurs
ayants droit souhaitent attaquer l’État en
responsabilité, considérant que la maison d’arrêt de
Varces est responsable de la diffusion de l’épidémie.
Ont-ils une chance de succès selon vous ? (2 points)
Annexe : Loi tendant à garantir le droit au respect
de la dignité en détention
Article unique
Le code de procédure pénale est ainsi modifié […]
3° Après l’article 803-7, il est inséré un article 803-8 ainsi
rédigé :
« Art. 803-8. – I. – Sans préjudice de sa possibilité de saisir
le juge administratif en application des articles L. 521-1, L.
521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative, toute
personne détenue dans un établissement pénitentiaire en
application du présent code qui considère que ses
conditions de détention sont contraires à la dignité de la
personne humaine peut saisir le juge des libertés et de la
détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de
l’application des peines, si elle est condamnée et incarcérée
en exécution d’une peine privative de liberté, afin qu’il soit
mis fin à ces conditions de détention indignes.
« Si les allégations figurant dans la requête sont
circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles
constituent un commencement de preuve que les conditions
de détention de la personne ne respectent pas la dignité de
la personne, le juge déclare la requête recevable et, le cas
échéant, informe par tout moyen le magistrat saisi du
dossier de la procédure du dépôt de la requête. Cette
décision doit intervenir dans un délai de dix jours à compter
de la réception de la requête […]
« Si le juge estime la requête fondée, il fait connaître à
l’administration pénitentiaire, dans un délai de dix jours à
compter de la décision prévue au même deuxième alinéa,
les conditions de détention qu’il estime contraires à la
dignité de la personne humaine et il fixe un délai compris
entre dix jours et un mois pour permettre de mettre fin, par
tout moyen, à ces conditions de détention. Avant la fin de ce
délai, l’administration pénitentiaire informe le juge des
mesures qui ont été prises. Le juge ne peut enjoindre à
l’administration pénitentiaire de prendre des mesures
déterminées et celle-ci est seule compétente pour apprécier
les moyens devant être mis en œuvre. Elle peut, à cette fin,
transférer la personne dans un autre établissement
pénitentiaire, sous réserve, s’il s’agit d’une personne
prévenue, de l’accord du magistrat saisi du dossier de la
procédure.
« II. – Si, à l’issue du délai fixé en application du dernier
alinéa du I, le juge constate, au vu des éléments transmis
par l’administration pénitentiaire concernant les mesures
prises et de toute vérification qu’il estime utile, qu’il n’a pas
été mis fin aux conditions indignes de détention, il prend,
dans un délai de dix jours, l’une des décisions suivantes :
« 1° Soit il ordonne le transfèrement de la personne dans
un autre établissement pénitentiaire ;
« 2° Soit, si la personne est en détention provisoire, il
ordonne sa mise en liberté immédiate, le cas échéant sous
contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec
surveillance électronique ;
« 3° Soit, si la personne est définitivement condamnée et si
elle est éligible à une telle mesure, il ordonne une des
mesures prévues au III de l’article 707. »

〉Préparation
Analyse du sujet

Ce cas pratique, transversal, permettait de


contrôler le raisonnement et les connaissances des
étudiants sur le programme du 2e semestre du
cours, organisé autour du contentieux administratif,
des sources et de la responsabilité administrative.
Le cas pratique mobilise les notions d’intérêt à agir
des personnes morales, de recevabilité des recours
en fonction de la nature des actes attaqués, des
procédures d’urgence (notamment référé-liberté),
d’action de groupe, de responsabilité
administrative, etc. Par ailleurs, les étudiants
avaient été invités avant l’examen à une
conférence sur la dignité en prison donnée par
Madame Caroline Abadie, députée de l’Isère,
rapporteure à l’Assemblée nationale de la nouvelle
loi tendant à garantir le droit au respect de la
dignité en détention. Cette conférence leur aura
été directement utile pour répondre à l’une des
questions du cas pratique.
Plan du corrigé

I/ La possibilité pour les associations de contester


les décisions adoptées par le directeur de la prison

II/ Le recours en urgence contre la note de service


interne obligeant au port du masque 24 h/24

III/ Le recours en urgence contre la limitation des


sorties dans la cour

IV/ L’utilisation d’autres procédures pour donner


plus de résonance médiatique à l’affaire

V/ Concernant la responsabilité de la prison pour


des décès de covid-19

〉Corrigé
Suite au déclenchement du premier cluster en prison
constaté en France dans la maison d’arrêt de Varces, le
directeur de la prison, sous pression, a pris un certain
nombre de mesures pour lutter contre la flambée de
l’épidémie. L’ensemble de ces mesures va être attaqué par
les détenus mais également par certaines associations qui
souhaitent remettre en cause ces décisions, qui selon elles
portent atteinte de façon excessive aux droits des détenus :
la question se pose alors de savoir si celles-ci peuvent
intenter des recours (I). Plus spécifiquement, en premier
lieu, le directeur de la prison va adopter une « note de
service interne » visant à faire porter le masque aux
détenus 24 h/24, que les détenus souhaitent remettre en
cause en urgence (II). En deuxième lieu, le directeur
interdit les activités collectives et réglemente très
strictement les sorties dans la cour de la prison qui ne
deviennent possibles qu’un jour sur trois seulement : les
détenus veulent que le directeur de la prison soit obligé de
réautoriser les sorties immédiatement, en agrandissant la
cour s’il le faut (III). De manière plus générale, les détenus
se demandent en outre, pour donner plus d’écho
médiatique à leur affaire, s’il est possible d’intenter une
action de groupe ou d’utiliser la très récente loi tendant à
garantir le droit au respect de la dignité en détention (IV).
Enfin, l’épidémie progressant malgré tout dans la prison,
plusieurs détenus tombent gravement malades et décèdent
des suites de la covid-19 à l’hôpital de Grenoble : leurs
ayants droit souhaitent alors engager la responsabilité de
l’État (V).

I/ La possibilité pour les associations


de contester les décisions adoptées
par le directeur de la prison
Certaines associations souhaitent remettre en cause les
décisions adoptées par le directeur de la prison qui, selon
elles, portent atteinte de façon excessive aux droits des
détenus. Il s’agit notamment de l’association « Prison
Justice 38 », dont l’objet est d’assurer l’accueil dans la
Maison d’accueil des familles se rendant aux parloirs et de
sensibiliser l’opinion publique aux problèmes vécus par les
familles de détenu(e)s et les détenu(e)s eux-mêmes ; ainsi
que de la section nationale de la Ligue des droits de
l’homme, qui entend faire de la situation une affaire de
principe de portée nationale. Ces associations nous
saisissent pour nous demander si elles pourraient attaquer
ces différentes décisions en justice et devant quel juge.
À titre liminaire, il faut souligner que l’énoncé fait ici
référence aux « différentes décisions » adoptées par le
directeur de la prison. En principe, en droit administratif, le
recours en excès de pouvoir est ouvert contre les décisions
seulement, c’est-à-dire des actes qui modifient
l’ordonnancement juridique, les droits et les obligations des
individus : on dit que cet acte doit être décisoire, qu’il doit
faire grief. L’article R. 421-1 du code de justice
administrative dispose ainsi que : « La juridiction ne peut
être saisie que par voie de recours formé contre une
décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification
ou de la publication de la décision attaquée ». En l’espèce,
les actes en cause étant des décisions d’après les termes de
l’énoncé, les recours seraient recevables de ce point de vue
par principe.
Dès lors, c’est la question de l’intérêt à agir de ces
associations qui est posée. Tout le monde ne peut pas
attaquer un acte administratif, il faut démontrer que l’on
dispose d’un intérêt pour attaquer cet acte en justice : il
n’est toutefois pas nécessaire d’invoquer une atteinte à l’un
de ses droits propres, il suffit d’invoquer un intérêt à
obtenir l’annulation d’un acte. Cet intérêt doit présenter un
certain nombre de caractéristiques ; il doit être
suffisamment personnel, direct et certain (ces trois critères
sont cumulatifs). En ce qui concerne les personnes morales,
elles ont un intérêt à agir en justice à deux conditions
cumulatives supplémentaires (CE 1906, Synd. des patrons
coiffeurs de Limoges) : d’une part, à condition que la
décision attaquée ait un rapport direct avec l’objet social
de la personne morale (CE 27 mai 2015, Synd. de la
magistrature) ; d’autre part, que son impact corresponde à
sa zone spatiale d’intervention déterminée par ses statuts.
Ainsi, en principe, une association nationale a vocation à
remettre en cause des actes de portée nationale et à
l’inverse une association locale ne peut remettre en cause
que des actes de portée locale. Cependant, il existe
aujourd’hui une exception à ce principe en matière de
défense des droits de l’homme : si une décision purement
locale soulève, en raison de ses implications, notamment
dans le domaine des libertés publiques, des questions qui,
par leur nature et leur objet, excèdent les seules
circonstances locales, une association de dimension
nationale peut agir contre cette décision locale (CE 4 nov.
2015, Ligue des droits de l’homme).
En l’espèce, l’association « Prison Justice 38 » a pour
objet d’assurer l’accueil dans la Maison d’Accueil des
Familles se rendant aux parloirs et de sensibiliser l’opinion
publique aux problèmes vécus par les familles de
détenu(e)s et les détenu(e)s eux-mêmes. Sur le plan
géographique, le nombre 38 indique que cette association
agit en Isère où se trouve la maison d’arrêt de Varces : ce
critère est rempli. Concernant son objet, il est d’assurer
l’accueil dans la Maison d’accueil des familles se rendant
aux parloirs et de sensibiliser l’opinion publique aux
problèmes vécus par les familles de détenu(e)s et les
détenu(e)s eux-mêmes, ce qui implique que son intérêt à
agir pourrait être discuté selon l’objet de la décision
attaquée. Les décisions touchant les droits des familles
pourront sans difficulté être attaquées. Celles concernant
les droits des détenus pourraient l’être plus difficilement,
sachant cependant que le fait de faire des recours en
justice peut être un moyen, aujourd’hui, pour sensibiliser
l’opinion publique aux problèmes vécus par les détenus
eux-mêmes. Dans cette optique, l’intérêt à agir pourrait se
trouver caractérisé.
La section nationale de la « Ligue des droits de l’homme »
entend aussi attaquer ces décisions. En principe, elle n’a
pas d’intérêt à agir, sauf dans l’hypothèse où une décision
purement locale soulève, en raison de ses implications,
notamment dans le domaine des libertés publiques, des
questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les
seules circonstances locales. En l’espèce, on peut
considérer que c’est le cas parce qu’il s’agit ici du premier
cluster en prison de France : les mesures prises par le
directeur de l’hôpital pourraient donc faire tache d’huile et
il est important de pouvoir déterminer immédiatement si
les mesures adoptées sont ou non légales.
Enfin, les décisions ainsi adoptées ont été prises par le
directeur de la maison d’arrêt de Varces en sa qualité
d’autorité administrative et concernent l’organisation du
service public pénitentiaire. Elles relèvent donc de la
compétence du tribunal administratif de Grenoble.

II/ Le recours en urgence contre la


note de service interne obligeant au
port du masque 24 h/24
En premier lieu, dans l’impossibilité évidente d’agrandir
les cellules de la prison, le directeur de celle-ci décide
d’adopter une « note de service interne » par laquelle il
impose le port du masque aux détenus non seulement dans
les parties communes, mais aussi dans leur cellule dès lors
que ces dernières sont collectives, ce qui revient pour les
détenus à devoir porter un masque 24 h/24. Dans la mesure
où les masques sont fournis par la prison, il s’agit pour le
directeur d’une simple mesure de bon sens visant à éviter
la propagation de l’épidémie et le port du masque n’est pas
particulièrement problématique pour les détenus. Un
certain nombre de détenus considèrent au contraire que le
fait d’imposer le port du masque tout le temps pose un vrai
problème. Ils souhaiteraient attaquer cette note du
directeur de la prison le plus rapidement possible. Peuvent-
ils attaquer cette note du directeur (A) ? Est-il possible de
la remettre en cause en urgence et quelle procédure
doivent-ils utiliser (B) ? Ont-ils une chance de succès (C) ?

A – La possibilité de remettre en
cause la « note de service interne »
En principe, en droit administratif, le recours est ouvert
contre les décisions seulement, c’est-à-dire un acte qui
modifie l’ordonnancement juridique, les droits et les
obligations des individus. Cependant, certains actes sont à
géométrie variable, c’est-à-dire qu’ils vont être parfois
considérés comme décisoires et parfois non : cela dépend
des cas et il faut donc procéder à une analyse au cas par
cas en fonction de certains critères.
Ainsi, les mesures d’ordre intérieur (MOI) sont des actes
qui touchent des usagers d’un service public mais qui sont
considérés comme n’étant pas d’une importance suffisante
pour pouvoir faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir ;
cependant dans certains cas ces MOI peuvent faire grief et
être susceptibles de recours, lorsqu’elles mettent en cause
les droits et libertés des individus (CE, ass., deux arrêts,
1995, Hardouin et Marie). Dès lors que ces mesures
internes à un service public ont pour effet de remettre en
cause les droits fondamentaux des usagers, elles peuvent
faire l’objet d’un recours (CE 2007, Boussouar).
Par ailleurs, une jurisprudence s’est développée sur les
actes de droit souple, clarifiée en dernière analyse par un
arrêt du Conseil d’État GISTI du 12 juin 2020 : « Les
documents de portée générale émanant d’autorités
publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires,
instructions, recommandations, notes, présentations ou
interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge
de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir
des effets notables sur les droits ou la situation d’autres
personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les
mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces
documents qui ont un caractère impératif ou présentent le
caractère de lignes directrices ». Une simple « note » peut
donc être attaquable dès lors qu’elle est susceptible d’avoir
des effets notables sur les droits ou la situation des
administrés.
En l’espèce, la « note de service interne » par laquelle le
directeur de la prison impose le port du masque aux
détenus, non seulement dans les parties communes, mais
aussi dans leurs cellules dès lors que ces dernières sont
collectives (ce qui est le cas dans la plupart des
hypothèses), est certes une mesure d’ordre intérieur mais
elle affecte profondément les droits fondamentaux des
individus, les obligeant à porter le masque 24 h/24. Par
ailleurs, bien que simple « note », elle produit des effets
importants sur leur situation. Pour ces raisons, derrière
cette note se cache en réalité un acte faisant grief
susceptible de recours.

B – Les procédures d’urgence à


utiliser contre cette note
Pour remettre en question cette note en urgence, deux
procédures sont possibles, le référé-liberté et le référé-
suspension.
La procédure la plus rapide est le référé-liberté. En vertu
de l’article L. 521-2 du CJA : « Saisi d’une demande en ce
sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut
ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une
liberté fondamentale à laquelle une personne morale de
droit public ou un organisme de droit privé chargé de la
gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice
d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement
illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de
quarante-huit heures ». Une liberté fondamentale doit être
en cause, notamment le principe de « dignité humaine »
(CE 2014, Dieudonné) et il doit exister une atteinte grave et
manifestement illégale, par exemple une décision de police
ne respectant pas le principe de proportionnalité (CE 1933,
Benjamin). Il doit exister une urgence, qui selon le Conseil
d’État signifie que le juge administratif doit être saisi d’une
demande « justifiée par une urgence particulière », qui lui
permet de prendre « dans les délais les plus brefs et au
regard de critères d’évidence, les mesures de sauvegarde
nécessaires à la protection des libertés fondamentales »
(CE 1er sept. 2017, Cne de Dannemarie).
À défaut, les détenus pourront utiliser une procédure de
référé-suspension, cependant plus lente puisque le juge
dispose d’un délai d’un mois pour répondre. En vertu de
l’article L. 521-1 du CJA : « Quand une décision
administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en
annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi
d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de
l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets,
lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen
propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux
quant à la légalité de la décision. Lorsque la suspension est
prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en
réformation de la décision dans les meilleurs délais. La
suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la
requête en annulation ou en réformation de la décision ».
Le référé-suspension est accessoire d’une requête au fond.

C – Les chances de succès des recours


en urgence
En l’espèce, dans la mesure où elle impose le port du
masque y compris dans leur cellule et oblige les personnes
à les porter 24 h/24, y compris donc en dormant voire en
mangeant, il est possible de considérer que cette mesure
porte atteinte à la dignité humaine, laquelle supposerait
une réaction immédiate du juge pour la faire cesser par
l’intermédiaire du référé-liberté. Par ailleurs le principe de
proportionnalité pourrait être considéré comme méconnu,
dans la mesure où d’autres mesures moins contraignantes
pouvaient être adoptées, comme tester tous les détenus,
isoler les personnes présentant des symptômes et les
personnes malades, obliger certes au port du masque à
l’extérieur de la cellule tout en restreignant les diverses
activités des détenus aux groupes déjà constitués dans les
cellules pour éviter les contaminations, etc. Dans ce cas de
figure, le juge pourrait très rapidement suspendre la
mesure. Le référé-liberté a donc des chances de succès. A
fortiori, un référé-suspension pourrait également
fonctionner, mais de façon plus lente. Rien n’empêche
cependant les détenus de déposer les deux types de
recours d’urgence en même temps, lesquels devront s’ils
constituent un référé-suspension réaliser en parallèle un
recours en excès de pouvoir.

III/ Le recours en urgence contre la


limitation des sorties dans la cour
En deuxième lieu, le directeur décide de suspendre pour
une semaine les activités collectives, à l’intérieur comme à
l’extérieur, n’autorisant les promenades dans la cour qu’au
compte-gouttes, par groupes de six, avec un système de
réservation préalable. Il considère que le risque de
contamination est trop fort et que la taille de la cour de la
maison d’arrêt est trop petite pour permettre davantage, y
compris à l’extérieur. Le problème est que ce système de
rotation a pour conséquence que les détenus ne peuvent
prendre l’air qu’un jour sur trois désormais. Un certain
nombre de détenus veulent remettre en cause cette
décision en urgence en demandant au juge de réautoriser
les promenades dans la cour immédiatement, s’il le faut en
ordonnant au directeur de la prison de faire agrandir celle-
ci. Quelle procédure doivent-ils utiliser ? Ont-ils une chance
de succès au fond ?
La procédure la plus rapide pour agir est le référé-liberté.
En vertu de l’article L. 521-2 du CJA : « Saisi d’une
demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des
référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la
sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une
personne morale de droit public ou un organisme de droit
privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté,
dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et
manifestement illégale. Le juge des référés se prononce
dans un délai de quarante-huit heures ». Une liberté
fondamentale doit être en cause, notamment le principe de
« dignité humaine » (CE 2014, Dieudonné) ou le principe de
la liberté d’aller et venir (CE, ord., 9 janv. 2001,
Desperthes), et il doit exister une atteinte grave et
manifestement illégale, par exemple une décision de police
ne respectant pas le principe de proportionnalité (CE 1933,
Benjamin). Il doit exister une urgence, qui selon le Conseil
d’État signifie que le juge administratif doit être saisi d’une
demande « justifiée par une urgence particulière », qui lui
permet de prendre « dans les délais les plus brefs et au
regard de critères d’évidence, les mesures de sauvegarde
nécessaires à la protection des libertés fondamentales »
(CE 1er sept. 2017, Cne de Dannemarie).
Dans la mesure où les détenus veulent pouvoir obtenir la
remise en cause de la décision du président de la prison «
immédiatement », c’est cette procédure qu’ils doivent
utiliser ; par ailleurs l’interdiction étant d’une semaine, un
référé suspension serait trop tardif et c’est bien le référé-
liberté qu’il convient d’utiliser.
Cependant, les pouvoirs du juge du référé-liberté sont
limités. En vertu de l’article L. 511-1 du CJA, le juge des
référés statue par des mesures qui présentent toujours un
caractère provisoire. Le juge peut ordonner toutes les
mesures nécessaires si elles sont provisoires, ce qui
explique qu’il ne peut en principe annuler un acte
administratif (mais la suspension est possible). Cependant,
il peut parfois aller au-delà du provisoire (CE 2007, Synd.
CFDT Interco), lorsqu’aucune mesure de caractère
provisoire n’est susceptible de satisfaire cette exigence, en
particulier lorsque les délais dans lesquels il est saisi ou
lorsque la nature de l’atteinte y font obstacle : il peut
enjoindre à la personne qui en est l’auteur de prendre toute
disposition de nature à sauvegarder l’exercice effectif de la
liberté fondamentale en cause. Le juge du référé-liberté
intervient régulièrement et fait usage de grands pouvoirs.
En ce sens, on peut citer par exemple la Jungle de Calais où
le juge est intervenu pour obliger l’Administration à
sécuriser le camp qui pouvait être la proie à des incendies
(CE 23 nov. 2015, Jungle de Calais) ; ou dans les prisons
pour obliger l’Administration à mener une campagne de
dératisation afin de mettre fin à des atteintes à la dignité
de la personne humaine (CE 22 déc. 2012, SFOIP).
Cependant, l’office du juge du référé-liberté est limité car
s’il accepte des mesures conjoncturelles, il se refuse à
ordonner des mesures trop structurelles et des mesures de
réorganisation du service public des prisons, considérant
que la mesure n’aurait alors plus de caractère provisoire,
par exemple en matière carcérale (CE 28 juill. 2017,
SFOIP).
En l’espèce, en tant qu’elle n’autorise les sorties à l’air
libre dans la cour qu’un jour sur trois seulement, il est
possible de considérer que cette mesure porte atteinte à la
dignité humaine ainsi qu’à la liberté d’aller et venir des
détenus, atteintes qui supposeraient une réaction
immédiate du juge pour la faire cesser par l’intermédiaire
du référé-liberté. Par ailleurs le principe de
proportionnalité pourrait être considéré comme méconnu,
dans la mesure où d’autres mesures moins contraignantes
pouvaient être adoptées, comme tester tous les détenus,
isoler les personnes présentant des symptômes et les
personnes malades, restreindre les diverses activités des
détenus aux groupes déjà constitués dans les cellules pour
éviter les contaminations, etc. Dans ce cas de figure, le
juge pourrait très rapidement suspendre la mesure.
Cependant, il ne pourra pas, dans le cadre de son office
de juge du référé-liberté, ordonner l’agrandissement de la
cour car il s’agirait d’une mesure structurelle qu’il n’est
pas dans son pouvoir d’ordonner.

IV/ L’utilisation d’autres procédures


pour donner plus de résonance
médiatique à l’affaire
De manière plus générale, les détenus se demandent
comment faire pour donner une plus grande résonance à
leur affaire et ont deux idées. Tout d’abord, ils envisagent
de demander à la « Ligue des droits de l’homme » de porter
une action de groupe contre ces décisions. Ensuite, ils ont
l’idée d’utiliser la toute nouvelle loi tendant à garantir le
droit au respect de la dignité en détention, considérant que
s’ils sont les premiers à utiliser cette nouvelle modalité,
cela donnera un fort retentissement à leur affaire.

A – Concernant la possibilité d’utiliser


une action de groupe
La définition et les critères de l’action de groupe sont
donnés par l’article L. 77-10-3 du CJA : « Lorsque plusieurs
personnes, placées dans une situation similaire, subissent
un dommage causé par une personne morale de droit
public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion
d’un service public, ayant pour cause commune un
manquement de même nature à ses obligations légales ou
contractuelles, une action de groupe peut être exercée en
justice au vu des cas individuels présentés par le
demandeur. Cette action peut être exercée en vue soit de la
cessation du manquement mentionné au premier alinéa,
soit de l’engagement de la responsabilité de la personne
ayant causé le dommage afin d’obtenir la réparation des
préjudices subis, soit de ces deux fins ». Cependant, il faut
noter que cet article a un champ d’application limité, c’est-
à-dire qu’il n’est invocable que dans certains domaines
seulement (CJA, art. L. 77-10-1) : discrimination subie par
les administrés, discrimination subie par les salariés d’un
employeur public, violation du droit de l’environnement,
faute commise dans la production, fourniture ou délivrance
d’un produit de santé, ou violation des règles garantissant
la protection des données à caractère personnel.
Dans les circonstances d’espèce, tous les détenus de la
prison de Varces sont certes traités illégalement mais de la
même manière, et ne subissent pas de discrimination au
sens du droit. Sans s’interroger sur les différents critères
de l’action de groupe, il semble donc que leur situation
n’entre dans aucun des domaines de l’action de groupe
prévus par la loi. Dès lors une action de groupe serait
irrecevable.

B – Concernant la possibilité d’utiliser


la toute nouvelle loi tendant à
garantir le droit au respect de la
dignité en détention
La nouvelle loi tendant à garantir le droit au respect de la
dignité en détention a été adoptée pour faire suite aux
limites du référé-liberté, suite à la condamnation de la
France par la CEDH (CEDH 30 janv. 2020, J.M.B. et autres
contre France) et à la censure du Conseil constitutionnel,
exigeant l’adoption d’une loi pour faire respecter la dignité
en prison (Cons. const. 2 oct. 2020, no 2020-858/859 QPC).
L’article 803-8. – I. du code de procédure pénale dispose
désormais que « Sans préjudice de sa possibilité de saisir le
juge administratif en application des articles L. 521-1, L.
521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative, toute
personne détenue dans un établissement pénitentiaire en
application du présent code qui considère que ses
conditions de détention sont contraires à la dignité de la
personne humaine peut saisir le juge des libertés et de la
détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de
l’application des peines, si elle est condamnée et
incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté,
afin qu’il soit mis fin à ces conditions de détention indignes.
Si les allégations figurant dans la requête sont
circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles
constituent un commencement de preuve que les
conditions de détention de la personne ne respectent pas la
dignité de la personne, le juge déclare la requête recevable
et, le cas échéant, informe par tout moyen le magistrat saisi
du dossier de la procédure du dépôt de la requête. Cette
décision doit intervenir dans un délai de dix jours à
compter de la réception de la requête […] ».
Plusieurs critères sont donc posés par ce texte. Les
conditions de détention doivent d’abord être contraires à la
dignité de la personne humaine : en l’espèce, il a été
précédemment démontré que l’obligation du port du
masque 24 h/24 ainsi que la possibilité de ne prendre l’air
qu’un jour sur trois peuvent être considérés comme
contraires à la dignité humaine. Par ailleurs, les allégations
figurant dans la requête doivent être circonstanciées,
personnelles et actuelles, de sorte qu’elles constituent un
commencement de preuve que les conditions de détention
de la personne ne respectent pas la dignité de la personne.
En l’espèce, elles sont circonstanciées en raison des
mesures adoptées et actuelles, puisqu’en vigueur. La
question de savoir si elles sont « personnelles » peut être
posée, dans le sens où tous les détenus en sont victimes,
mais sur ce point l’intention du législateur est d’exiger que
le détenu soit personnellement concerné, non qu’il soit le
seul à l’être (conférence de la députée Caroline Abadie,
rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, à l’UGA, 8 avr.
2021). Dès lors, les critères du nouveau recours pourraient
être remplis.
Dans la mesure où il s’agit d’une maison d’arrêt, il
faudrait s’adresser au juge des libertés et de la détention.
Les circonstances d’espèce pourraient donc faire partie des
premières utilisations de cette nouvelle loi.

V/ Concernant la responsabilité de la
prison pour des décès liés à la covid-
19
La responsabilité pour faute correspond à la situation la
plus opérationnelle : l’Administration commet une faute
d’une nature quelconque, c’est-à-dire un manquement à
une obligation préexistante, et cette faute cause
directement un préjudice à quelqu’un qu’il faut alors
réparer. Cette faute est celle du service qui a mal
fonctionné : c’est bien le service administratif qui est
responsable de la faute. En matière pénitentiaire, on
n’exige pas de responsabilité pour faute lourde. Il est
possible d’engager la responsabilité de l’État pour faute
simple, par exemple, en matière de suicide d’un détenu (CE
2007, M. D), en cas d’atteinte à son intégrité physique (CE
2008, Zaouiya), ou de dommages aux biens (CE 2008,
Boussouar).
Dès lors, il faudra prouver une faute de l’État pour
engager la responsabilité. En l’espèce, on pourrait
considérer au contraire que le directeur de la prison a pris
toutes les mesures, trop sans doute, pour éviter une telle
situation. D’autres fautes devraient alors être recherchées,
expliquant la diffusion de la pandémie dans la prison ou
alors en faisant valoir que la surpopulation de la prison ou
le non-respect de la loi qui prévoit le principe de
l’encellulement individuel constituent des fautes engageant
la responsabilité de l’État.
Index
A
Acte administratif 1, 2, 3, 4
Acte administratif unilatéral 1, 2, 3, 4
Acte de gouvernement 1
Agent public 1
C
Compétence juridictionnelle 1, 2, 3, 4
Contrat administratif 1, 2, 3, 4, 5, 6
Contrôle juridictionnel 1, 2, 3, 4, 5
Critère organique 1
D
Dignité 1
Dignité de la personne humaine 1, 2
Droit souple 1
F
Faute 1
Faute de service 1
Faute personnelle 1
J
Juridiction administrative 1
L
Libertés publiques 1
Loi 1
M
Maire 1
Mesures d’ordre intérieur 1, 2, 3
N
Neutralité 1
O
Ordonnance 1
Ordre public 1, 2
P
Personne publique 1
Police administrative 1, 2, 3
Pouvoir réglementaire 1
Préjudice 1
Prérogative de puissance publique 1
Principe d’égalité 1, 2
Principe général du droit 1
Principe hiérarchique 1
Principes généraux du droit 1
Q
Qualification 1, 2
R
Recours pour excès de pouvoir 1, 2, 3, 4, 5, 6
Référé-liberté 1
Référé-suspension 1
Responsabilité 1, 2, 3, 4, 5, 6
Responsabilité administrative 1
Responsabilité contractuelle 1
Responsabilité pour faute 1, 2
Responsabilité sans faute 1
S
Service public 1, 2, 3, 4
Service public administratif 1
Sources 1, 2
Sources internationales 1, 2
U
Usager 1

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