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KRESSMANN TAYLOR

Inconnu à cette adresse


# Troisième : agir dans la cité – individu
et pouvoir
# Histoire des arts : cahier photos couleur
# Ouvertures : éducation aux médias et à
l’information ; un livre, un film : La Liste
de Schindler, de Steven Spielberg 978-2-0802-5240-1
4,50 € – 160 p.

PAROLES DE PROF

« Pour les EPI, cette nouvelle


est au croisement idéal entre
les lettres, l’histoire et
l’histoire des arts. »
Fabien Clavel,
enseignant à Argenteuil (95).

Inconnu à cette adresse permet d’aborder le thème « Agir dans


la cité : individu et pouvoir », recommandé par les instructions
officielles, à travers toutes ses composantes (oral, écriture, lec-
ture, étude de la langue). En effet, les événements historiques qui
sous-tendent la correspondance de Max et Martin – les lettres
s’échelonnent du 12 novembre 1932 au 3 mars 1934 – sont
bien plus qu’une simple toile de fond du récit, puisque la
construction de l’intrigue contribue à éclairer les mutations
profondes qui bouleversèrent l’Allemagne du début des
années 1930, mettant les individus face à un pouvoir autori-
taire et bientôt totalitaire. Le regard porté sur l’Histoire est
d’autant plus intéressant qu’il est celui d’une Américaine

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(Kathrine Kressmann Taylor), qui a cherché à alerter ses contem-
porains sur le danger que représentait le nazisme, avant même
que son pays ne se décide à entrer en guerre contre Hitler.
Court, écrit dans une langue claire et construit sur une intri-
gue à la fois simple et subtile, Inconnu à cette adresse contri-
buera à développer les compétences de lecture des élèves. Les
séances supplémentaires proposées ci-après complètent la
séquence accessible sur le site de la collection (www.eton-
nantsclassiques.fr). Elles permettront, suivant les recommanda-
tions des Nouveaux Programmes, d’aborder la notion
d’engagement par le biais d’autres supports artistiques et cultu-
rels. On pourra ainsi envisager une étude de la représentation
de la Shoah à travers une analyse filmique de La Liste de Schin-
dler (Steven Spielberg), qui permettra de soulever avec les élèves
la question du rapport entre fiction et réalité historique. Une
dernière séance en EPI avec les arts plastiques sera l’occasion de
confronter les regards de différents artistes sur le traumatisme
d’après-guerre, en prolongement des œuvres présentées dans le
cahier photos de l’édition.

I. Rappel de la séquence
Travail de
Séances Supports Objectifs
préparation
1 – L’ensemble du Vérifier la Contrôle de lecture
Évaluation récit compréhension de
initiale – Présentation de l’œuvre
l’édition, p. 9-27
– « Avez-vous bien
lu ? », p. 94-95
2 – Lettre du – Lire un incipit – Correction des
Le seuil du récit 12 novembre 1932, – Étudier le réponses de la
p. 43-46 schéma narratif microlecture no 1
– Microlecture no 1, du texte – Recherche
p. 95-96 – Connaître la personnelle : la
structure d’une lettre officielle et
lettre les formules de
– Examiner la politesse
situation
d’énonciation

2 | Étonnants Classiques
Travail de
Séances Supports Objectifs
préparation
3 – Lettre du – Réviser – Correction des
Écrire une lettre 25 mars 1933, l’impératif réponses de la
p. 55-58 – Écrire une lettre microlecture no 2
– Microlecture no 2, officielle – Travail d’écriture
p. 96 – Étudier la (en groupes) :
– Dossier, Valérie comparaison et la rédiger une lettre
Zenatti, Une métaphore officielle
bouteille dans la
mer de Gaza,
p. 114-118
4 – Arno Breker, Der Analyser une Lecture d’image
Histoire des Wächter (La Garde), œuvre de
arts : l’art cahier photos, p. 3 propagande
allemand au – Dossier,
service de la questionnaire,
propagande p. 120
5 – Lettres du 5 et Étudier les temps – Correction des
La rupture du 23 novembre du récit et leurs réponses de la
1933, p. 71-74 valeurs microlecture no 3
– Microlecture no 3, – Exercice de
p. 97 transformation des
– Lettre du 9 juillet temps d’un extrait
1933, p. 61-63 de texte
6 – Wolf Willrich, La – Comparer deux Lecture d’images
Histoire des Famille (1939), tableaux
arts : art officiel cahier photos, p. 3 – Analyser des
allemand et – Otto Dix, La œuvres
« art dégénéré » Famille de l’artiste représentatives de
(1927), p. 5 l’art officiel et de
– Dossier, l’« art dégénéré »
questionnaires,
p. 122-123
7 – Lettres du – Le genre – Correction des
La vengeance 15 février et du épistolaire réponses de la
3 mars 1933, p. 87- – Le schéma microlecture no 4
89 actanciel – Lecture
– Microlecture no 4, comparée de
p. 98 textes épistolaires
– Dossier,
groupement de
textes
« Affrontement et
récit épistolaire »,
p. 109-118
Travail de
Séances Supports Objectifs
préparation
8 – John Heartfield, Analyser des – Lecture d’images
Histoire des Comme au Moyen œuvres d’art – Lecture
arts : les arts au Âge… et sous le engagées dans la analytique
service de la Troisième Reich lutte contre le
lutte contre le (1934), cahier nazisme
nazisme photos, p. 7
– Victor Brauner,
Sans titre – Hitler
(1934), cahier
photos, p. 6
– Dossier,
groupement de
textes : « Dire
l’indicible : le
nazisme raconté
par la littérature »,
p. 103-109
9 – La Liste de Analyser une – Visionner la
Analyse filmique Schindler (Steven séquence de film scène d’ouverture
Spielberg, États- de La Liste de
Unis, 1993) Schindler (Steven
– Dossier, « Un Spielberg, États-
livre, un film » Unis, 1993)
– Répondre aux
questions d’« Un
livre, un film »
10 Lettres du 1er et du – Entraînement Devoir surveillé de
Évaluation finale 18 août 1933, aux épreuves du type brevet en
p. 65-68 brevet 4 heures
– Évaluer les
acquis de la
séquence
11 – Dossier, Arts 2.0 – Rechercher des Organiser une
Prolongements – Dossier, informations et exposition virtuelle
(EPI) Éducation aux des œuvres sur
médias et à Internet
l’information – Travailler en
pluridisciplinarité
– Confronter des
œuvres artistiques
II. Déroulement de la séquence

Séance no 1 : évaluation initiale


Objectif → Vérifier la compréhension de l’œuvre.
Supports → L’ensemble du récit.
→ Présentation de l’édition (p. 9-27).
→ « Avez-vous bien lu ? » (p. 94-95).
Avant d’aborder la première séance, les élèves devront avoir
lu l’ensemble de l’œuvre ainsi que la Présentation, et répondu
au questionnaire du dossier « Avez-vous bien lu ? ». La correc-
tion du questionnaire permettra de vérifier la compréhension
des éléments principaux de l’intrigue.

■ Corrigé du questionnaire
1. Max Eisenstein est un galeriste juif installé aux États-Unis,
à San Francisco.
2. Martin Schulse est l’associé de Max. Il est allemand, et
rentre s’installer dans son pays d’origine.
3. Elsa est l’épouse de Martin.
4. Griselle est la sœur de Max. Elle a entretenu une liaison
amoureuse avec Martin.
5. Martin refuse soudain de correspondre avec Max parce que
ce dernier est juif. D’une part, Martin est devenu nazi, donc
antisémite. D’autre part, dans l’Allemagne nazie, le courrier est
surveillé et censuré : correspondre avec un juif devient dange-
reux (comme Martin l’indique à Max dans sa lettre du 9 juillet
1933 : « Il devient impossible pour moi de correspondre avec un
juif ; et ce le serait même si je n’avais pas une position officielle
à défendre », p. 61).
6. Griselle est poursuivie par la SA parce que, bien qu’elle
soit juive, elle s’est produite sur scène en Allemagne (lettre du
8 décembre 1933 : « Elle avait montré sur scène son corps impur
à des jeunes Allemands : je devais la retenir et la remettre sur-le-
champ aux SA », p. 76).
7. Griselle demande de l’aide à Martin. Ce dernier, embri-
gadé par l’idéologie nazie, refuse de l’aider.

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8. Max envoie à Martin un câblogramme dans lequel il
s’adresse à lui comme s’il était juif. Les indications qu’il y donne
sur la vente de tableaux sont tellement peu réalistes qu’elles ne
peuvent que donner l’impression aux censeurs, qui contrôlent
les courriers, que ce télégramme est rédigé dans un langage
codé.
9. Tout est fait pour que les nazis, en interceptant la lettre,
imaginent qu’elle est destinée à fomenter un attentat.
10. La dernière lettre de Max est renvoyée à l’expéditeur avec
la mention « Inconnu à cette adresse ». Cela signifie que, comme
Griselle, Martin a été arrêté par la SA.

Afin de préparer la séance no 2, les élèves sont invités à relire


la lettre du 12 novembre 1932 (p. 43-46) et à répondre aux
questions de la microlecture no 1 (p. 95-96).

Séance no 2 : le seuil du récit


Objectifs → Lire un incipit.
→ Étudier le schéma narratif du texte.
→ Connaître la structure d’une lettre.
→ Examiner la situation d’énonciation.
Supports → Lettre du 12 novembre 1932 (p. 43-46).
→ Microlecture no 1 (p. 95-96).
On trouvera ci-dessous les réponses corrigées de la micro-
lecture no 1.

■ Les caractéristiques de l’incipit


L’incipit est le début d’un récit (les premiers mots, les pre-
mières lignes, voire les premières pages). Il donne souvent des
informations importantes pour comprendre la suite du récit :
personnages principaux, sujet de l’intrigue, date et lieu de
l’action.
1. Dans le cas d’Inconnu à cette adresse, le cadre spatial est
partagé entre la Californie et l’Allemagne ; l’histoire prend place
en 1932 ; elle s’étend jusqu’en 1933. Les noms des person-
nages, les mots allemands employés, ainsi que l’en-tête de la
lettre permettent de relever ces informations.

6 | Étonnants Classiques
2. Grâce au travail effectué au cours de la séance no 1, les
élèves auront été introduits au contexte politique de l’Allemagne
des années 1930 – contexte illustré dans la lettre du
12 novembre 1932 puisque Max y évoque les quatorze années
moroses qu’a connues le pays depuis la fin de la Première
Guerre mondiale, ainsi qu’une nouvelle « Allemagne démocra-
tique » (p. 43), qui désigne la République de Weimar.
3. Le principe de l’incipit est d’engager l’histoire. Ici, on peut
dire que le départ de Martin est l’élément déclencheur. Le début
de l’histoire correspond à un début in media res : le lecteur est
plongé dans une action en cours. Cependant, les rappels nostal-
giques de Max permettent de reconstituer la situation initiale. Ce
texte peut être l’occasion de voir ou revoir le schéma narratif
et ses cinq étapes :
1. Situation initiale : Martin et Max travaillent ensemble en
Californie.
2. Élément déclencheur : Martin rentre en Allemagne au
moment où Hitler prend progressivement le pouvoir.
3. Péripéties : la montée progressive des nazis, les difficultés
de Griselle et sa mort.
4. Élément de résolution : la vengeance de Max.
5. Situation finale : la disparition de Martin.

■ Présentation des personnages


1. Max : apparaît comme un personnage sympathique et nos-
talgique, très attaché à son ami et à son pays. Il travaille dans
une galerie de tableaux et il est juif. Il a une sœur, Griselle. Il
proclame ouvertement son attachement à la démocratie.
2. Martin : rentre dans son pays. Il est meilleur vendeur que
Max, plus roublard sans doute. Il est également artiste peintre
(comme l’était Hitler dans sa jeunesse). Il a une famille : sa
femme, Elsa, et ses deux fils, dont l’un se nomme Heinrich.
3. Griselle : elle est artiste et sœur de Max. Elle est donc un
trait d’union entre les deux personnages. On apprend d’ailleurs
que Martin a eu une liaison avec elle et qu’il s’est pourtant marié
avec une autre. Cela apporte un premier éclairage sur le carac-
tère de Martin, qui se range du côté de la discipline et des conve-
nances. Les premières ombres apparaissent déjà sur le
personnage.

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■ La mise en place des éléments de l’intrigue
1. L’insistance de Max sur les changements politiques en
Allemagne annonce la montée du nazisme.
2. La mention de l’identité juive de Max annonce la rupture
prochaine entre les deux amis.
3. Les débuts prometteurs de Griselle dans le monde du spec-
tacle annoncent sa mort à venir.
On pourrait même aller plus loin en montrant que la descrip-
tion des tableaux vendus (toiles de Picasso, achetées par les
Fleshman) annonce le dénouement puisque Max reprendra les
mêmes termes pour se venger.

■ La structure d’une lettre


L’étude de l’incipit sera l’occasion d’apprendre aux élèves à
distinguer les différents éléments d’une lettre : l’en-tête : « Gale-
rie Eisenstein, USA… » ; l’adresse du destinataire : « Herr Martin
Schulse, Munich… » ; l’objet : aucun ; le lieu et la date :
« 12 novembre 1932 » ; la formule d’appel : « Mon cher
Martin » ; la formule d’introduction : « Te voilà de retour en Alle-
magne » ; la formule finale : « Mon cher Martin, laisse-moi […]
et aux garçons » ; la signature : « Ton fidèle Max » ; le post-
scriptum : aucun.
On définira les notions d’émetteur (destinateur) et de récep-
teur (destinataire). La situation d’énonciation met en relation
un émetteur, un destinataire et s’enracine dans un cadre spatio-
temporel. Le message délivré doit s’adapter à la situation
d’énonciation.
On parle d’énoncé ancré dans la situation d’énonciation
lorsque l’énoncé se réfère au moment de l’énonciation. C’est en
général un texte au présent (les dialogues, les lettres…). On
parle d’énoncé coupé de la situation d’énonciation lorsque
l’énoncé ne se réfère pas au moment de l’énonciation. C’est en
général un récit au passé.
Il est évident que nous avons sous les yeux une lettre intime :
son sujet, le tutoiement, les formules utilisées le prouvent. Le
texte est ponctué de nombreux points d’interrogation et d’excla-
mation qui témoignent des sentiments de l’énonciateur. On fera
relever aux élèves le vocabulaire des sentiments.

8 | Étonnants Classiques
À l’inverse, une lettre officielle doit observer des codes plus
précis de mise en page et être respectueuse de son destinataire,
écrite dans un style soutenu et dans un ton neutre.

Afin de préparer la séance no 3, les élèves sont invités à relire


la lettre du 25 mars 1933 (p. 55-58) et à répondre aux ques-
tions de la microlecture no 2 (p. 96). Ils doivent également
rechercher des exemples de formules de politesse employées
dans une lettre officielle.

Séance no 3 : écrire une lettre


Objectifs → Réviser l’impératif.
→ Écrire une lettre officielle.
→ Étudier la comparaison et la métaphore.
Supports → Lettre du 25 mars 1933 (p. 55-58).
→ Microlecture no 2 (p. 96).
→ Dossier, Valérie Zenatti, Une bouteille dans la mer de
Gaza (p. 114-118).

■ La lettre officielle
On commencera la séance en reprenant la recherche sur les
formules de politesse. On évalue ensemble celles qui sont cor-
rectes. On peut alors les classer en deux catégories : celles que
l’on adresse à un interlocuteur connu et celles que l’on adresse
à un interlocuteur inconnu. C’est l’occasion aussi de réviser
l’impératif présent à partir de ces formules.
Pour réinvestir ce qui aura été vu, on demandera aux élèves
de s’adapter à une nouvelle situation d’énonciation : ils devront
écrire (éventuellement en groupes) une lettre au ministre de
l’Éducation nationale afin de lui soumettre des propositions sur
l’amélioration du collège.
On étudiera ensuite le dernier texte du corpus « Affrontement
et récit épistolaire » présenté dans le dossier (p. 114-118) : le
texte de Valérie Zenatti illustrera les conséquences d’une erreur
de destinataire.

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■ La montée du nazisme
On trouvera ci-dessous un corrigé synthétique des questions
de la microlecture no 2.
Le portrait d’Hitler dressé par Martin est assez fidèle au per-
sonnage historique. Les persécutions ont commencé et le pou-
voir totalitaire se met en place. En relisant la fin de la lettre
précédente de Max (p. 53), il apparaît nettement que Martin ne
fait à présent que répondre à la question : « Qui est cet Hitler ? »
La réponse balance entre doute et enthousiasme. S’il est claire-
ment fasciné par Hitler, Martin tend à nuancer son optimisme.
Malgré tout, les arguments en faveur du nazisme l’emportent.
Le personnage reproduit politiquement la conversion qui a déjà
eu lieu dans son intimité : il épouse la cause officielle. Son voca-
bulaire est déjà déformé par la propagande nazie puisqu’il parle
de sa « race ». De plus, obsédé par les apparences et la réussite
sociale, il se réjouit que le maire soit son invité alors que le
nouveau régime persécute toute une catégorie de la population.
De même, le discours qu’il tient sur sa femme, que la grossesse
empêcherait de réfléchir, est assez odieux.

■ Comparaison et métaphore
La comparaison est une figure de style qui met en relation
deux éléments : le comparé (élément que l’on compare) et le
comparant (élément auquel on compare) pour en souligner le
point commun. Elle nécessite un outil de comparaison (du type :
comme, tel que, pareil à, ressembler à, etc.). Exemples : « Ils se
sont débarrassés de leur désespoir comme on enlève un vieux
manteau » (p. 56) ; « […] que l’avenir s’élance vers nous telle
une vague prête à déferler » (p. 56).
La métaphore est une figure de style qui met en relation deux
éléments (le comparé et le comparant) sans outil de comparai-
son. Exemples : « […] la petite écume trouble qui se forme en
surface quand bout le chaudron » (p. 56) ; « […] dans les sables
mouvants du désespoir » (p. 57).
L’abondance de ces figures imagées dans la lettre de Martin
indique que le personnage s’éloigne désormais de la réflexion
et, au contraire, pratique l’amalgame et le raccourci. Il n’est plus

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dans le raisonnement intellectuel, mais dans le ressenti – logique
qui est également celle de la propagande nazie.

Séance no 4 : histoire des arts :


l’art allemand au service de la propagande
Objectif → Analyser une œuvre de propagande.
Supports → Arno Breker, Der Wächter (La Garde), cahier photos
(p. 3).
→ Dossier, questionnaire (p. 120).
Au cours de la séance précédente, les élèves ont aperçu la
première étape de la transformation de Martin. Cette première
séance d’histoire des arts leur permettra de mettre en relation
cette transformation avec le contexte historique de l’intrigue (dès
la prise du pouvoir par les nazis, les artistes sont en effet encou-
ragés à mettre leur art au service de la propagande, afin d’exalter
les valeurs du national-socialisme).
On s’attachera plus particulièrement à l’étude du bas-relief
d’Arno Breker, Der Wächter (La Garde), conduite à l’aide du
questionnaire proposé dans le dossier de l’édition (p. 120) et
dont on indique ci-dessous les réponses.

■ Introduction
Der Wächter (La Garde) est un bas-relief de l’Allemand Arno
Breker, un artiste favorable au nazisme. L’œuvre a été sculptée
en 1938. Les nazis sont alors au pouvoir depuis cinq ans, et ont
entrepris de « mettre au pas » la culture, en créant des institu-
tions qui contrôlent le monde de l’art : désormais, ce dernier ne
doit servir qu’à exalter les valeurs du national-socialisme.

■ Description
1. Le personnage est nu, seulement vêtu d’une cape qui vole
au vent, sans recouvrir son corps.
2. Son corps est musclé et vigoureux. Son visage présente des
traits durs.
3. Il est représenté avec un bouclier et un glaive.

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■ Interprétation
1. À travers ce personnage, Arno Breker a voulu représenter
le courage et la détermination.
2. Le guerrier peut être rapproché de l’Aryen type dessiné par
Elvira Bauer : ces deux personnages ont la même carrure et des
traits semblables.
3. Ce personnage incarne l’Aryen idéal. L’image d’Elvira
Bauer sert à inculquer aux enfants la différence qui, selon les
nazis, oppose les Aryens aux juifs : ces derniers sont désignés
comme des ennemis des Aryens, car leur « race impure » risque-
rait de contaminer le « sang pur » des Allemands. En rappro-
chant cette œuvre de celle d’Arno Breker, on comprend que le
personnage sculpté est bien le « gardien » de la « race aryenne »,
au sens où sa mission est de combattre tous ceux qui risquent
de la mettre en péril, au premier rang desquels se trouvent, selon
les nazis, les juifs.
4. Les éléments antiques – le bouclier rond (semblable à celui
des hoplites grecs) et le glaive romain – font de la lutte de la
race aryenne pour sa propre préservation un combat ancestral.

■ Conclusion
Il s’agit bien d’une œuvre de propagande car, d’une part, elle
est destinée à propager dans l’esprit des Allemands le stéréotype
de l’Aryen surpuissant et, d’autre part, elle indique aux hommes
une conduite modèle : celle du guerrier.

Séance no 5 : la rupture
Objectif → Étudier les temps du récit et leurs valeurs.
Supports → Lettres du 5 et du 23 novembre 1933 (p. 71-74).
→ Microlecture no 3 (p. 97).
→ Lettre du 9 juillet 1933 (p. 61-63).

■ Une fin anticipée
On trouvera ci-dessous un corrigé synthétique des questions
de la microlecture no 3.

12 | Étonnants Classiques
Un fossé entre les deux amis. À la suite des lettres des 5 et
23 novembre 1933 (p. 71-74), la rupture est consommée entre
les deux amis. Les intitulés de l’expéditeur et du destinataire se
sont modifiés depuis la lettre du 18 août 1933, dans laquelle
Martin demandait à Max de ne plus lui écrire chez lui. On
remarque que deux lettres de Max se suivent, ce qui indique que,
malgré la gravité du sujet, Martin refuse désormais de corres-
pondre avec son « ami ».
Le roman de Griselle. Dès le début du récit, Griselle est au
centre de la relation entre les deux hommes, notamment en
raison de l’affection qu’ils lui portent tous deux. Mais elle est
également le symbole des valeurs que Martin rejette, bien
qu’elles aient été les siennes. En effet, malgré l’amour que
Martin portait à la jeune fille, il a épousé une femme plus docile ;
de même, il abandonne peu à peu ses idéaux libéraux pour
adhérer au nazisme, faisant de Griselle une victime : la rupture
provoque son chagrin, la trahison entraînera sa mort.
Une étape importante dans le récit. Ces lettres constituent
un roman dans le roman, une mise en abyme révélant l’histoire
de Griselle. Les dates sont floues car Max manque cruellement
d’informations. Il plaide pour que Martin aide sa sœur. Le tra-
gique de la situation fait basculer la nouvelle dans le drame fami-
lial. Ce passage anticipe également la fin du récit car y apparaît
pour la première fois la mention « Inconnu à cette adresse », qui
renvoie au titre même de l’œuvre. Le lecteur pourrait donc
s’attendre à ce que l’histoire s’achève, alors que ces lettres
constituent au contraire un tournant clé de l’intrigue : elles
annoncent la mort de Griselle et la vengeance de Max.

■ Les temps du récit


La correction de la microlecture no 3 sera l’occasion de faire
le point sur les temps du récit et sur leurs valeurs respectives :
les temps n’indiquent pas seulement la simultanéité (deux événe-
ments ont lieu en même temps), la postériorité (un événement
a lieu après un autre) ou l’antériorité (un événement a lieu avant
un autre), ils ont aussi des valeurs.

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Les valeurs du présent
a. Le présent d’énonciation : c’est le présent de celui qui parle
ou qui raconte des événements : « Je regrette beaucoup d’avoir
de mauvaises nouvelles à t’apprendre » (lettre du 8 décembre
1933, p. 75).
b. Le présent de vérité générale : c’est le présent qui sert à
énoncer des vérités toujours valables (ou supposées telles) :
« Hitler est bon pour l’Allemagne » (lettre du 5 mars 1933,
p. 55).
c. Le présent de narration : dans un récit au passé, il sert à
rendre plus intense ce qui est raconté. Par exemple : Martin
ouvrit la porte : Griselle est sur le seuil.
Les valeurs du passé simple et de l’imparfait
Le passé simple est utilisé pour décrire des événements de
premier plan. Ces événements sont uniques, datés, à durée
déterminée. Par exemple : Griselle arriva à Munich à trois
heures.
L’imparfait est utilisé pour évoquer des événements de second
plan (description, décor). Ces événements peuvent être répétés,
durables ou à durée indéterminée : « Elle devait être épuisée »
(lettre du 8 décembre 1933, p. 76).
Les valeurs des temps composés
Ils sont employés pour évoquer des faits achevés ou accomplis
au moment de l’action. On observera que l’auteur emploie sur-
tout les temps du présent, du futur et du passé composé. Cela est
dû au fait que le récit est ancré dans la situation d’énonciation.
Écrire au présent (récit ancré)
Le système des temps verbaux utilisés dans un discours ancré
dans la situation d’énonciation est organisé autour du présent.
Afin d’en rendre compte, on proposera aux élèves un exercice
de repérage : relevez les verbes conjugués dans la lettre du
9 juillet 1933 (p. 61-63) et classez-les selon leur temps.
Écrire au passé (récit coupé)
Le système des temps verbaux utilisés dans un discours coupé
de la situation d’énonciation est organisé autour du passé
simple.

14 | Étonnants Classiques
Pour entraîner les élèves à maîtriser le système temporel du
passé, on leur proposera de transposer au passé et à la troisième
personne du singulier le passage suivant (lettre du 9 juillet 1933,
p. 61-63) : « Après la défaite, ils avaient plié l’échine pendant
quatorze ans. Pendant quatorze ans, ils avaient mangé le pain
amer de la honte et bu le brouet clair de la pauvreté. Mais main-
tenant, ils étaient des hommes libres. Ils se redressèrent,
conscients de leur pouvoir ; ils relevèrent la tête face aux autres
nations. […] Il ne s’attacherait qu’aux ennuis de son propre
peuple. Il refuserait de concevoir que quelques-uns devaient
souffrir pour que des millions fussent sauvés… »

Les correspondances entre les deux systèmes de temps, passé


et présent, peuvent être illustrées par le tableau suivant :

Narration au Imparfait et passé Présent Futur simple


présent composé
Narration au Plus-que-parfait Passé simple ou Conditionnel
passé imparfait présent

Séance no 6 : histoire des arts :


art officiel allemand et « art dégénéré »
Objectifs → Comparer deux tableaux.
→ Analyser des œuvres représentatives de l’art officiel
et de l’« art dégénéré ».
Supports → Wolf Willrich, La Famille (1939), cahier photos (p. 3).
→ Otto Dix, La Famille de l’artiste (1927), cahier photos
(p. 5).
→ Dossier, questionnaires (p. 122-123).
La présente séance vise à approfondir l’étude des arts sous le
nazisme, en menant l’analyse comparée de deux tableaux met-
tant en scène la famille, le premier relevant de l’art officiel nazi,
tandis que le second, réalisé par Otto Dix (un artiste considéré
par les nazis comme dangereux), illustrera la notion d’« art dégé-
néré ». La lecture d’images sera menée grâce aux deux question-
naires d’analyse des œuvres présents dans le dossier (p. 122-
123).

Inconnu à cette adresse | 15


■ L’art officiel nazi : la famille vue par Wolf Willrich
Introduction
La Famille est un tableau peint par Wolf Willrich en 1939. À
l’époque, les nazis sont au pouvoir en Allemagne. Wolf Willrich
leur est favorable.
Description
1. Le tableau représente tous les membres d’une famille : la
mère donne le sein à un nourrisson sous le regard du père. Trois
autres enfants du couple sont représentés : une fille, qui regarde
le nourrisson, une autre, plus jeune, qui joue avec une poupée
et un garçon qui, au sol, semble jouer à planter quelque chose
dans la terre.
2. Ils sont placés dans un décor champêtre, dans lequel la
nature est harmonieuse et maîtrisée par l’homme : les fleurs,
comme les légumes, ont été soigneusement cultivées.
3. Les couleurs choisies par l’artiste sont à la fois chatoyantes
et douces. Le jaune, en accord avec le blond de la chevelure de
tous les membres de la famille, domine.
Interprétation
1. D’après ce tableau, le rôle de la mère est de mettre au
monde les enfants, puis de s’en occuper, et en particulier de les
nourrir. Les deux fillettes sont d’ailleurs exhortées à suivre le
modèle de leur mère : la plus âgée observe attentivement la
manière dont elle donne le sein au nourrisson, tandis que la
plus jeune se prépare à son futur rôle de mère en jouant à la
poupée. Le rôle du père est quant à lui de veiller sur sa famille :
il est le plus grand personnage du tableau et entoure de ses bras
à la fois son épouse et sa fille. Le garçon de la famille sait qu’il
est destiné à assurer les revenus du ménage qu’il fondera :
contrairement à sa petite sœur qui joue, il est déjà occupé à
planter des graines qui assureront sa subsistance.
2. On peut dire que l’artiste a cherché à embellir la réalité,
pour donner une impression d’harmonie et de bonheur, dans
cette famille qui représente l’idéal aryen.
3. Il cherche à susciter l’admiration du spectateur et l’envie
d’atteindre l’idéal représenté.

16 | Étonnants Classiques
Conclusion
On peut faire un rapprochement entre ce tableau et l’évolution
du personnage de Martin dans la nouvelle. Dans les premières
lettres, on apprend qu’il a entretenu, bien que marié, une liaison
avec Griselle. Pourtant, une fois arrivé en Allemagne, il se
conforme peu à peu au rôle de mari que lui assigne l’idéologie
nazie. Sa femme met au monde plusieurs enfants et reste à la
maison pour les élever, tandis que lui se consacre à sa carrière de
haut dignitaire nazi. Il prend soin d’inculquer l’idéologie nazie
à ses enfants, et en particulier à ses fils, qui sont inscrits dans
les Jeunesses hitlériennes – institution en charge de la formation
des jeunes Allemands, dont elle entend faire de parfaits nazis.

■ L’« art dégénéré » : la famille vue par Otto Dix


Introduction
La Famille de l’artiste est un tableau peint par Otto Dix en
1927, c’est-à-dire six ans avant l’arrivée des nazis au pouvoir.
Une fois Hitler nommé chancelier, Otto Dix sera considéré
comme un artiste « dégénéré », et ses œuvres condamnées.
Description
1. Le tableau représente les quatre membres d’une même
famille : la mère, le père (Otto Dix lui-même) et leurs deux
enfants, une petite fille et un nourrisson. Le père et la mère
observent le nourrisson, tandis que la petite fille lui tend une
fleur.
2. Loin des figures longilignes et des corps idéaux des
membres de la famille peinte par Willrich, la famille d’Otto Dix
est représentée avec des corps imparfaits, rebondis, comme celui
de la mère, ou tordus, comme celui du père. De même, leurs
visages ne sont pas sereins : si la mère et la petite fille esquissent
un sourire, le père comme le nourrisson affichent une figure
grimaçante.
3. C’est le rouge qui domine dans ce tableau.
Interprétation
L’autoportrait d’Otto Dix n’est absolument pas flatteur. En
effet, il ne s’agit pas, pour l’artiste, d’embellir la réalité, mais de

Inconnu à cette adresse | 17


la montrer sous un jour inédit. Ainsi, cette peinture ne suscite
guère d’admiration pour le sujet représenté, mais diffuse plutôt
un sentiment de malaise (renforcé par l’utilisation de la cou-
leur rouge).
Conclusion
C’est précisément parce qu’Otto Dix n’a pas cherché à embel-
lir la réalité que son œuvre a été assimilée à l’« art dégénéré » :
bien loin de vouloir propager, comme le fait l’art allemand offi-
ciel, une idéologie reposant sur un modèle univoque et imitable,
l’artiste a veillé à représenter la réalité de manière inattendue. Sa
toile donne l’impression d’une famille aimante, mais provoque
toutefois un sentiment d’étrangeté, voire de malaise, chez le
spectateur. Il ne s’agit pas d’imposer une façon de penser au
public, mais au contraire de l’inciter à réfléchir par lui-même
en s’éloignant des stéréotypes attendus. On comprend dès lors
pourquoi cette forme d’art pouvait apparaître comme un danger
aux yeux des nazis, qui s’employaient à formater une société
uniforme.

Séance no 7 : la vengeance
Objectifs → Le genre épistolaire.
→ Le schéma actanciel.
Supports → Lettres du 15 février et du 3 mars 1933 (p. 87-89).
→ Microlecture no 4 (p. 98).
→ Dossier, groupement de textes « Affrontement et
récit épistolaire » (p. 109-118).

■ L’excipit
On trouvera ci-dessous les réponses corrigées de la microlec-
ture no 4.
Un retour au point de départ ? La fin de la nouvelle opère
une boucle avec le début. Les adresses de l’expéditeur et du des-
tinataire reprennent leur forme d’origine. L’identité juive de Max
est devenue manifeste puisqu’il signe désormais « Eisenstein ».
L’ellipse du prénom montre également qu’il ne se considère plus
comme l’ami de Martin. Quant à la formule « Notre très cher

18 | Étonnants Classiques
Martin », elle consacre le caractère universel de la vengeance :
elle n’est pas seulement d’ordre privé mais est instaurée au nom
de tous les juifs persécutés en Allemagne.
Le « code ». Tout semble indiquer que Max utilise un code :
l’abondance de chiffres, l’insistance sur des éléments insigni-
fiants, l’emploi d’un vocabulaire relatif au monde de la contre-
bande. L’évocation de Picasso et la mention de Fleshman font
écho à la première lettre de Max (p. 43-46). De même, l’allusion
aux deux garçons renvoie aux deux fils de Martin, également
évoqués dans la première lettre.
Une vengeance par lettres. La lettre, qui formait un lien
entre les deux hommes, devient ici le support de la vengeance.
Tous les éléments sont ici renversés. Picasso symbolise l’art
« dégénéré » rejeté par les nazis. Le poids des enfants, peu vrai-
semblable, fait penser à un message codé. La formule de poli-
tesse finale laisse entendre que Martin fomente un attentat, et la
signature elle-même, aux consonances juives, est dangereuse
pour Martin car elle suggère son alliance avec « l’ennemi ». De
même que Max tentait de redevenir allemand via sa première
lettre, il transforme Martin en juif par la force du discours dans
la dernière lettre.

■ Le schéma actanciel
Le schéma actanciel permet de distinguer les rapports entre
les actants d’un récit : le sujet (le plus souvent le personnage
principal du récit) ; l’objet (ce que cherche à obtenir le sujet,
sachant qu’il peut être concret – un anneau par exemple – ou
abstrait – la sagesse, l’amour, etc.) ; les adjuvants (personnages
amis, valeurs ou sentiments) qui aident le sujet dans sa quête ;
les opposants (personnages ennemis, maladies ou autres péripé-
ties) qui gênent le sujet dans sa quête.
À partir de ces informations, les élèves peuvent établir le
schéma actanciel de la nouvelle : sujet (Max) ; objet (survie de
Griselle, puis vengeance de Griselle) ; adjuvants (Martin, puis le
nazisme) ; opposants (le nazisme, puis Martin).
La grande force de cette histoire est de renverser les opposants
et les adjuvants.

Inconnu à cette adresse | 19


■ Le genre épistolaire
On pourra conclure la séance en présentant aux élèves
d’autres exemples d’histoires construites à travers une série de
lettres : les Lettres persanes, de Montesquieu (p. 111-112), qui
s’achèvent aussi par une vengeance, et Les Liaisons dangereuses,
de Laclos (p. 113-114), roman épistolaire mettant en scène une
situation d’affrontement entre deux personnages.
Dans les deux cas, les lettres n’ont pas pour seul objectif de
raconter une histoire mais ont un but argumentatif. Elles
évoquent le thème de la condition des femmes – sujet présent
en filigrane dans Inconnu à cette adresse. En effet, Roxane pro-
clame sa liberté en se suicidant, et Mme de Merteuil refuse de
se soumettre à son égal masculin, M. de Valmont. On peut rap-
procher ces deux figures de Griselle, qui s’affirme comme une
femme libre, en opposition avec Elsa, la femme soumise,
dévouée à la maternité. Cependant, dans les trois cas, les
femmes sont punies de leur désir de liberté par la mort (dans le
cas de Mme de Merteuil, la mort est symbolique : l’héroïne est
défigurée). On pourra faire remarquer aux élèves que, à la diffé-
rence de Roxane et de Mme de Merteuil, Griselle ne prend pas
la parole dans Inconnu à cette adresse. Il serait donc intéressant
d’imaginer quel pourrait être son discours.

Séance no 8 : histoire des arts : les arts


au service de la lutte contre le nazisme
Objectif → Analyser des œuvres d’art engagées dans la lutte
contre le nazisme.
Supports → John Heartfield, Comme au Moyen Âge… et sous le
Troisième Reich (1934), cahier photos (p. 7).
→ Victor Brauner, Sans titre – Hitler (1934), cahier
photos (p. 6).
→ Dossier, groupement de textes : « Dire l’indicible :
le nazisme raconté par la littérature » (p. 103-109).
L’étude du roman Inconnu à cette adresse fait apparaître la
dimension argumentative de l’œuvre : il s’agit, pour l’écrivain,
de mettre en garde l’Amérique contre la violence de l’État nazi

20 | Étonnants Classiques
et le danger qu’il représente. C’est pourquoi on prolongera
l’étude de la nouvelle par une dernière séance d’histoire des arts,
consacrée aux moyens mis en œuvre par les artistes pour lutter
contre le régime nazi.
À travers l’étude de deux œuvres plastiques, on inscrira
Inconnu à cette adresse dans le courant des œuvres qui, dès le
début des années 1930, s’engagèrent, par des moyens artis-
tiques, dans la lutte contre l’idéologie nazie.

■ John Heartfield, Comme au Moyen Âge…


et sous le Troisième Reich (1934)
Introduction
Ce photomontage, intitulé Comme au Moyen Âge… et sous le
Troisième Reich, est l’œuvre de l’artiste allemand John Heart-
field. Il date de 1934. Les nazis sont alors au pouvoir depuis
moins d’un an.
Description
1. La partie supérieure de l’œuvre représente un homme
subissant la torture de la roue.
2. De même, on observe, dans la partie inférieure de l’œuvre,
un homme supplicié.
3. Un élément important a changé : dans la partie inférieure,
la croix gammée a remplacé la roue.
Interprétation
1. L’artiste rapproche le Troisième Reich qu’entend créer
Hitler du Moyen Âge, considéré dans l’imaginaire collectif
comme une période violente et irrationnelle.
2. C’est la violence utilisée par les nazis pour prendre et pré-
server leur pouvoir qui justifie ce rapprochement.
3. Heartfield reproche aux nazis de faire régresser l’Alle-
magne et de la faire entrer dans un nouvel âge sombre.
Conclusion
L’artiste cherche à choquer le spectateur afin de l’inciter à se
défaire du carcan idéologique imposé par la propagande nazie.

Inconnu à cette adresse | 21


■ Victor Brauner, Sans titre – Hitler (1934)
Introduction
Ce portrait d’Hitler est l’œuvre du peintre roumain Victor
Brauner. Comme le photomontage de John Heartfield, il a été
réalisé en 1934, un an après l’arrivée au pouvoir d’Hitler.
Description
1. On reconnaît Hitler à la forme de son visage, et surtout à
sa moustache caractéristique.
2. Son visage est transpercé par une multitude d’objets : on
reconnaît par exemple un glaive, un marteau, un clou et un
parapluie.
3. Les couleurs dominantes sont le noir et le marron, qui
contrastent avec le rouge du sang d’Hitler.
Interprétation
1. Cette toile évoque une scène onirique grâce à sa dimension
surréaliste. Tout se passe comme si le peintre réussissait, dans
un monde imaginaire, à retourner contre Hitler toute la violence
de son programme.
2. Elle témoigne ainsi d’un sentiment de haine profonde
envers Hitler.
3. On peut mettre en perspective ce tableau avec l’affiche pré-
sentant un portrait d’Hitler, légendé du slogan Ein Volk, ein
Reich, ein Führer (cahier photos, p. 1). Alors que l’image de
propagande met en scène un chef tout-puissant et vise à susciter
l’admiration, Victor Brauner dégrade la figure du Führer et
dénonce sa violence.
Conclusion
Avec cette œuvre, il s’agit certainement pour Victor Brauner
de lutter contre la propagande nazie, en proposant une alterna-
tive qui dévoile un autre visage – le vrai visage – du nouveau
chancelier allemand. On peut rapprocher le travail de Brauner
de celui de Charlie Chaplin dans Le Dictateur, quelques années
plus tard. Bien qu’il s’agisse d’une comédie à l’esthétique bien
éloignée de celle du peintre roumain, le réalisateur américain
prend également le contre-pied de l’image officielle d’Hitler

22 | Étonnants Classiques
(telle que la présente la propagande), en tournant en ridicule sa
volonté de puissance.

■ Prolongement : groupement de textes


« Dire l’indicible : le nazisme raconté
par la littérature »
On pourra prolonger la séquence en lisant trois textes qui,
souvent écrits après la chute du régime d’Hitler, témoignent
chacun à leur manière de ce que fut le nazisme. On répondra
aux questions qui suivent les extraits (comme ci-dessous).
Stefan Zweig, Le Monde d’hier (1941)
1. Stefan Zweig fait allusion à la mise en place du pouvoir
nazi, à la mise au pas de la société et de la culture (par exemple
à travers les autodafés) et à la persécution des juifs et des oppo-
sants au système nazi.
2. Selon Zweig, les intellectuels se sont montrés indifférents
à la progression du national-socialisme car ils ont sous-estimé
son caractère radical. D’après lui, cette erreur de jugement
s’explique par la confiance que les intellectuels portaient dans
la culture allemande et européenne : selon eux, celle-ci devait
empêcher les Européens de tomber dans la barbarie.
3. Les nazis ont pris soin d’éviter de soulever l’indignation
de la communauté internationale en adoptant des mesures pro-
gressives.
Primo Levi, Si c’est un homme (1947)
1. Ce poème s’adresse aux hommes qui n’ont pas fait l’expé-
rience des camps de concentration.
2. Il évoque les souffrances infligées aux juifs dans ces camps
de concentration : le travail forcé, la faim, le froid, les coups, les
humiliations et la mort.
3. Primo Levi a voulu témoigner pour que les hommes tirent
une leçon de l’histoire, afin que la barbarie mise en place par
les nazis ne puisse plus se reproduire.
Kressmann Taylor, Jours d’orage (1978)
1. Grussmann justifie les atrocités commises par les nazis au
nom de la raison de guerre.

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2. Comme Martin, Grussmann est un dignitaire nazi qui per-
çoit la persécution des juifs et des ennemis de l’Allemagne
comme un mal nécessaire, qu’on ne peut pas lui reprocher.
3. Après Inconnu à cette adresse, Kressmann Taylor choisit à
nouveau la forme romanesque pour mener sa réflexion sur le
nazisme. Ce genre lui permet de transcrire les pensées mêmes
de nazis et, ainsi, de faire apparaître leur logique propre, afin
de mieux la combattre.

Séance no 9 : analyse filmique


Objectif → Analyser une séquence de film.
Supports → La Liste de Schindler (Steven Spielberg, États-
Unis, 1993).
→ Dossier, « Un livre, un film ».

■ La séquence du début
On projette le début de la séquence (du début à 00.09.39) et
on invite les élèves à répondre aux questions portant sur la
rubrique dans « Un livre, un film » dans le Dossier de l’édition.
Puis on effectue une correction en classe.

1. En quoi l’ouverture du film est-elle déconcertante


pour le spectateur ?
Le spectateur est confronté à un grand nombre de questionne-
ments au début du film. Il est d’abord surpris par le passage
progressif de la couleur au noir et blanc, alors que rien n’indique
qu’il y ait un changement d’époque entre la première et la
deuxième scène.
Par ailleurs, malgré l’affichage de plusieurs cartons explicatifs,
les scènes proposées sont volontairement fragmentaires : on
insiste sur des objets, on multiplie les ellipses, les personnages,
sans nécessairement fournir d’éléments permettant d’identifier
le cadre spatio-temporel. Le spectateur est souvent réduit à
n’émettre que des hypothèses.
Enfin, c’est principalement au niveau de l’identification que le
spectateur est désarçonné. En effet, sachant qu’il va voir un film
évoquant la Shoah, il devrait pouvoir s’identifier aux victimes

24 | Étonnants Classiques
innocentes. Or les personnages de la première scène demeurent
anonymes et disparaissent rapidement. De même, ceux de la
gare disparaissent trop vite pour qu’on puisse s’y intéresser indi-
viduellement, bien qu’ils soient nommés et montrés en gros
plan, de face. Finalement, la seule possibilité pour le spectateur
reste de s’identifier à un personnage peu recommandable
puisqu’il porte un insigne nazi et se livre à des affaires louches
avec les militaires d’invasion. On en vient même à être placé
dans la situation des nazis qui s’interrogent sur l’identité de
l’homme qui les invite.
L’ambiguïté s’instaure donc dès le début.

2. Combien de scènes cette séquence contient-elle ?


On peut distinguer trois scènes dans cette séquence
d’ouverture :
– la prière du shabbat (00.00.00 à 00.01.26) : on distingue
plusieurs fois le mot « shabbat » dans la prière prononcée par le
père de famille ; il pourrait s’agir de la récitation de la havdalah,
même si aucun sous-titre ne nous éclaire sur les paroles pronon-
cées. Cette scène ne donne aucun repère spatio-temporel ; elle
pourrait se situer à n’importe quel moment du XXe siècle (on
remarque tout de même une photographie en fond). Les deux
bougies qui s’éteignent sont un élément à la fois rituel et symbo-
lique : on nous annonce par ce biais la fin d’un monde ou
d’une époque ;
– l’arrivée à la gare (00.01.26 à 00.03.11) : un carton
annonce que les juifs des campagnes autour de Cracovie doivent
se présenter en ville suite à la défaite de la Pologne contre l’Alle-
magne nazie. Une scène de guichet que l’on retrouvera plusieurs
fois au long du film se met en place. L’ambiance est digne, aus-
tère, sans pour autant être dénuée d’humour quand deux
femmes prononcent leurs noms en même temps et que l’une
d’elles esquisse un sourire ;
– la présentation de Schindler (00.03.11 à 00.09.39) : un
homme se costume pour une soirée, arrive au restaurant et par-
vient à charmer des dignitaires nazis en leur offrant un banquet
improvisé, sans doute avec ses derniers billets. L’identité de cet
homme nous est révélée au fur et à mesure : il s’agit d’Oskar
Schindler.

Inconnu à cette adresse | 25


3. En quoi ces scènes s’opposent-elles les unes aux autres ?
Ces scènes sont présentées au moyen de séries d’oppositions.
La première scène est hors du temps et en couleur, tandis que
les deux autres sont davantage ancrées temporellement et sont
en noir et blanc. Cela vaut aussi pour la musique, absente de la
première scène, qu’on entend ensuite. La première scène est en
outre anonyme, tandis que les deux autres sont centrées autour
des noms des personnages. Enfin, la première scène concerne
un petit groupe familial tandis que les deux autres montrent un
grand nombre de personnes.
De façon contrastée, les deux premières scènes convoquent
des juifs qui semblent absents de la troisième (à part dans les
propos antisémites des officiers nazis). Elles n’ont pas de per-
sonnage principal alors qu’Oskar Schindler devient le protago-
niste de la troisième.
Enfin, la première et la dernière scènes sont des scènes de
repas où l’on consume des bougies ou des cigarettes. Elles sont
aussi filmées en intérieur nuit, contrairement à la deuxième qui
est filmée en extérieur jour. Cet aspect hétéroclite participe aussi
de la surprise suscitée chez le spectateur.

4. Quels sont les liens établis de l’une à l’autre ?


Certains éléments permettent néanmoins de tisser des liens
entre les scènes et de leur conférer une certaine homogénéité.
En effet, le lien entre la première et la deuxième scène est visuel :
il y a glissement de la fumée de la bougie à celle de la locomo-
tive, passant du fond noir au fond blanc. En outre, la couleur
s’estompe progressivement et la fin de la première scène est déjà
en noir et blanc.
Quant au passage de la deuxième à la troisième scène, c’est
la bande sonore (un élément auditif prend le relais du visuel)
qui est vecteur de lien : la musique qu’on entend à la fin de la
scène 2 était en fait écoutée par Schindler sur un poste.
Enfin, des thématiques communes traversent les trois scènes.
Les objets y ont une place importante, que ce soit ceux du rituel
du shabbat, ceux du greffier prenant les noms des arrivants ou
bien ceux de Schindler. D’autre part, on remarque dans les trois
scènes une construction par ellipses qui accélèrent le temps et

26 | Étonnants Classiques
empêchent le spectateur de réfléchir à l’enchaînement des
scènes, fondues dans un même élan. Ainsi, les bougies
s’éteignent en quelques plans, les voyageurs passent d’une
famille à des dizaines en un seul cut, la soirée de Schindler est
une sorte de sommaire entrecoupé d’ellipses.

5. Par quels procédés le personnage d’Oskar Schindler est-il


présenté ?
La caractérisation du personnage d’Oskar Schindler est extrê-
mement progressive. Il est d’abord évoqué en filigrane, métony-
miquement. Ses mains s’activent pour boire un verre, choisir ses
boutons de manchettes, choisir sa cravate et la nouer, épingler
le macaron du parti nazi. On devine qu’il dépense ses derniers
billets à cette occasion, vu leur aspect froissé et le fait qu’il
fouille deux fois dans le tiroir, comme s’il vidait ses réserves.
Puis, on l’aperçoit de dos dans un plan-séquence au cours
duquel il se fait attribuer une table. Son visage n’est révélé
qu’après, avec notamment une insistance sur les yeux, la bouche
étant souvent masquée par la main qui tient la cigarette.
Ce n’est qu’ensuite qu’on l’entend parler pour la première
fois. Jusqu’alors sa voix était inaudible, un geste de la main
munie d’un billet suffisait.
La dernière partie de cette scène de présentation est entière-
ment construite autour de son nom :
– le maître d’hôtel s’interroge sur son patronyme derrière une
vitre, comme s’il était placé dans la position du spectateur
devant son écran, tandis que le personnage se trouve de dos ;
– le serveur lui demande son nom quand il commande une
bouteille pour le couple ; à cet instant, nous le voyons toujours
de dos ;
– un premier officier nazi s’enquiert de son identité en
l’observant de loin ;
– la demande est réitérée par un second officier nazi, qui
s’adresse au maître d’hôtel afin d’obtenir sa réponse ; la boucle
étant ainsi bouclée.

6. En quoi peut-on dire que Schindler est un antihéros ?


Tous les éléments développés dans cette présentation font de
Schindler un antihéros. En effet, il possède des qualités manifestes :

Inconnu à cette adresse | 27


élégance, éloquence, charme, charisme, intelligence. Cependant,
il les utilise à mauvais escient pour séduire et attirer des officiers
nazis sans que l’on sache encore pour quelle raison. Les diffé-
rents accessoires et habits qu’il revêt aboutissent à l’insigne nazi,
ce qui peut surprendre dans un film consacré à la Shoah : on ne
s’attend pas à ce que le héros désigné dans le titre arbore un
tel symbole.
D’autres éléments en font une sorte d’aventurier sans scru-
pules. Il aime le luxe, la fête, l’alcool, les femmes, la cigarette, et
ces frivolités semblent être son unique motivation. L’indifférence
dont il fait preuve vis-à-vis du sort des juifs est évidente dans le
montage alterné entre les propos de table des officiers antisé-
mites et sa discussion simultanée portant sur le choix d’un vin
de luxe.
En fait, à cet instant, le film nous a présenté la « liste »
(scène 2) et « Schindler » (scène 3) mais le titre est pour l’instant
mensonger : les deux parties ne sont pas encore réunies. Ce
début inaugure le parcours que l’antihéros devra accomplir pour
devenir héros à part entière du film.

7. Comment ce début mêle-t-il fiction et réalité ?


L’ouverture de ce drame historique est construite sur deux
pôles : la réalité historique et la fiction nécessaire. Le premier
aspect est représenté par l’écrit, celui des cartons expliquant la
situation historique au début du film et celui des machines à
écrire sur lesquelles sont tapés les noms des juifs. Le second est
représenté par l’image : les photographies prises lors de la soirée
de Schindler, qui viennent par la suite clore son portrait.
Les images sont le signe du mensonge puisqu’il s’agit pour
Schindler de créer une fausse amitié, une intimité feinte avec des
dignitaires nazis dont il espère tirer profit. On peut y voir un
avertissement du réalisateur qui signale ainsi le caractère fic-
tionnel de son œuvre.
En effet, la préparation de Schindler avant sa soirée a tout de
celle d’un acteur s’apprêtant à entrer en scène, enfilant son cos-
tume avant d’interpréter son rôle. Il s’agit d’une mise en abyme
qui invite le spectateur à garder ses distances avec les images.
D’ailleurs, le passage à la fin du film où l’on voit Liam Neeson

28 | Étonnants Classiques
déposer des fleurs sur la tombe du personnage qu’il interprète,
le véritable Oskar Schindler, renvoie à cette première idée.
Pour brouiller davantage les repères, l’acteur qui interprète le
maître d’hôtel auquel Schindler s’adresse en premier n’est autre
que Branko Lustig, coproducteur du film et rescapé
d’Auschwitz.

■ Analyse d’ensemble
Comme le film est très long (plus de trois heures), cette partie
est facultative. On peut choisir, en fonction du temps dont on
dispose et de l’intérêt des élèves, de montrer la totalité du film
ou seulement une partie. Le choix des scènes est alors à la discré-
tion de l’enseignant (nous conseillons néanmoins de se
concentrer sur les chapitres 14, 15, 21, 28 et 39 du film).
On répond ensuite aux questions d’analyse d’ensemble avec
toute la classe.

1. Quelles sont les étapes de l’évolution du personnage


de Schindler ?
L’évolution de Schindler est l’un des principaux enjeux narra-
tifs du film et de nombreuses scènes sont consacrées à son pas-
sage de l’état de profiteur de guerre à celui de bienfaiteur de
l’humanité. On remarquera d’ailleurs que, pour un grand
nombre d’entre elles, les scènes mentionnées ci-après vont par
paires, comme si Schindler hésitait plusieurs fois à franchir le
seuil de sa propre aventure.
Ainsi, il est d’abord remercié par un ouvrier manchot pour
avoir été engagé ; ce même ouvrier sera tué un peu plus tard.
Schindler congédie l’homme et affiche un certain malaise face à
sa gratitude. Plus tard, une jeune femme lui demande d’embau-
cher ses parents qui risquent la mort. Cette fois, malgré son
refus initial, il demande à son comptable de les recruter.
Son comptable est alors envoyé dans un convoi par erreur et
Schindler va le chercher pour qu’il dirige son affaire. Plus tard,
le train de ses ouvrières est expédié par erreur à Auschwitz où il
se rend en personne pour les sauver, et non par profit personnel.
De même, au début, le personnage principal se montre inca-
pable de choisir une seule secrétaire ; il est guidé par son seul

Inconnu à cette adresse | 29


désir. Une fois à Auschwitz, il secourt les enfants qui sont sépa-
rés de leurs mères car il refuse encore de choisir.
On peut noter aussi qu’il semble ne pas savoir ce qu’il fait en
embrassant une juive lors de son anniversaire, ce qui conduit à
son incarcération. En revanche, il propose à l’ouvrier rabbin de
son usine d’armement de célébrer le shabbat.
Enfin, la célèbre scène de la petite fille au manteau rouge est
le pivot autour duquel s’articule le changement du personnage
de Schindler. On aperçoit ainsi la petite fille une première fois
au moment de la liquidation du ghetto de Cracovie, puis son
cadavre est montré à l’écran quand c’est le camp de Płaszów qui
doit être liquidé à son tour. Ces deux points d’ancrage symbo-
liques marquent des tournants dans l’intrigue.
Le premier est en effet l’occasion de la rencontre avec Amon
Goeth. Jusqu’alors, le comptable Itzhak Stern faisait figure de
mentor auprès de Schindler, lui indiquant la marche à suivre
pour sauver des juifs. Le directeur du camp est présenté comme
un double de Schindler, dont il partage le goût pour les chemises
de luxe, les femmes, l’alcool, les belles demeures (tous deux
s’installent dans des maisons qui ont été réquisitionnées pour
eux). Ils deviennent d’ailleurs amis.
À partir de ce moment-là, Schindler tente de devenir le mentor
d’Amon Goeth en lui recommandant de ne pas trop boire, en
lui apprenant que le véritable pouvoir réside dans le pardon.
Cependant, cette formation échoue et, après avoir tenté de par-
donner, Amon Goeth retombe dans sa violence aveugle.
D’une certaine manière, les deux personnages illustrent la
phrase de Schindler selon laquelle la guerre ne révèle jamais le
meilleur des hommes (ce sera pourtant le cas du principal inté-
ressé) mais toujours le pire (incarné par Amon Goeth).
D’autres scènes du film ont pour fonction de montrer l’oppo-
sition entre les deux hommes. Ainsi, monté sur un cheval,
Schindler assiste avec compassion à la liquidation du ghetto
tandis que, depuis sa « villa » surplombant le camp, Goeth abat
des gens au hasard parce qu’ils ne représentent rien pour lui.
L’un fait de son camp un enfer, tandis que l’autre érige son usine
en un « havre de paix »… D’ailleurs, Goeth ne comprend pas du
tout les intentions de Schindler quand ce dernier lui achète ses
ouvriers ; il ne songe qu’à un profit financier possible.

30 | Étonnants Classiques
Le second point d’ancrage est l’évacuation du camp de
concentration, annoncée par l’incinération des victimes du
ghetto. Le film semble alors recommencer en proposant des
scènes qui sont des répliques formelles des deux premiers tiers
du film (une nouvelle liste est tapée, un train siffle, une autre
scène se déroule à l’église, on assiste à un nouveau shabbat, on
revoit une radio en fonctionnement, une dent en or, on assiste
à une exécution ratée, celle de Goeth après celle du rabbin…).
Cependant, la plupart marquent l’évolution de Schindler.
Ainsi, au lieu d’offrir sa tournée aux nazis, il donne à boire aux
prisonniers en arrosant les wagons à la lance d’incendie. Plutôt
que de compter son argent pour soudoyer les autorités à son
profit, il le fait pour sauver des gens. Il rebâtit une nouvelle
usine, non pour engranger des bénéfices mais pour préserver
l’emploi de ses ouvriers ; il travaille toujours pour l’armée mais
il sabote sa production pour éviter que ses munitions puissent
servir à des fins militaires. Enfin, on le voit se changer et enfiler
une tenue de prisonnier afin de s’enfuir, cette fois comme un
héros.

2. Comment l’horreur de la Shoah est-elle évoquée tout au long


du film ?
Malgré sa violence et sa tension, le film prend le parti de ne
pas aborder la Shoah de front. On est loin des images réalistes
d’un documentaire comme Nuit et brouillard (Alain Resnais,
France, 1956), dont les piles de cadavres poussées par des bull-
dozers restent dans la mémoire des spectateurs de façon
traumatique.
Au contraire, Spielberg ne cesse de renvoyer hors champ
l’extermination des juifs dans les camps d’extermination. Les
nombreux assassinats sont montrés dans le ghetto de Cracovie
et le camp de concentration de Płaszów, mais jamais dans le
camp d’extermination d’Auschwitz. La scène de la douche, qui
a été vivement reprochée au réalisateur, semble plutôt fondée sur
une impossibilité de représenter directement le gazage des juifs.
D’ailleurs, les personnages n’effectuent qu’un court séjour à
Auschwitz et en ressortent vivants (suivant en cela la biographie
de Schindler) alors que plus d’un million d’hommes, de femmes

Inconnu à cette adresse | 31


et d’enfants y ont trouvé la mort. En fait, Spielberg s’appuie
constamment sur la connaissance que le spectateur a de la
Shoah, mais il l’évoque seulement en creux (tout comme il pré-
sente le personnage de Schindler).
Les nombreuses scènes d’appel et de sélection montrent ceux
qui sont sauvés mais évoquent également ceux qui ne le sont
pas. Certaines images familières aux spectateurs sont néanmoins
disséminées dans le film : les trains bardés de fil de fer barbelé,
les tas de valises abandonnées, les dents en or arrachées et les
possessions volées, la pluie de cendres renvoient toutes à la
Shoah par métonymie.
De même, une fois à Auschwitz, la douche et les fours créma-
toires qui fument laissent deviner ce qui se passe dans le camp,
même si le film choisit de se concentrer sur les personnes épar-
gnées grâce à l’action de Schindler. Quand une ouvrière juive
rapporte que les gens sont gazés dans les camps, ses compagnes
ne la croient pas. Les personnages utilisent même pour la Shoah
le terme de « traitement spécial ». Itzhak Stern souligne d’ailleurs
l’ambiguïté de l’expression quand Schindler lui propose un trai-
tement spécial dans le camp (sous-entendu : un traitement de
faveur). Schindler se demande alors s’il faut inventer un nou-
veau langage.
On peut considérer que cette réflexion est au centre du film,
de même qu’elle est au cœur des préoccupations de Spielberg,
qui semble poser la question suivante : doit-on et peut-on inven-
ter un nouveau langage cinématographique pour traiter la
Shoah ? S’il n’a pas révolutionné le cinéma avec ce film en parti-
culier, il essaie cependant d’aborder le sujet d’une manière origi-
nale, par exemple en employant des procédés comme
l’euphémisme et la métonymie. C’est sans doute la raison pour
laquelle il insiste sur le fait qu’il propose une fiction (voir les
premières scènes avec Schindler et les dernières figurant acteurs/
personnages et personnes réelles côte à côte). En conclusion, on
peut dire que La Liste de Schindler ne se veut pas un film trauma-
tisant mais réparateur.

32 | Étonnants Classiques
Séance no 10 : évaluation finale
Objectifs → Entraînement aux épreuves du brevet.
→ Évaluer les acquis de la séquence.
Supports → Lettres du 1er et du 18 août 1933 (p. 65-68).
Voici un devoir de type brevet à réaliser en quatre heures en
classe ou bien à répartir entre questions en classe et rédaction à
la maison.

■ Questions et corrigés
1. Quelle précaution prend Max pour envoyer sa lettre à
Martin ? Pourquoi ? (1 point)
Max prend la précaution de confier sa lettre « aux bons soins
de J. Lederer » pour éviter la censure.
2. a. Pouvez-vous formuler la question que pose Max à Martin
dans sa lettre ? (1 point)
La question que formule Martin dans sa lettre est la suivante :
« Est-ce que tu joues le jeu de l’opportunisme ? »
b. Quelle réponse Max attend-il ? (0,5 point)
Il attend un « oui » (première lettre).
c. Quelle est la réponse de Martin ? (0,5 point)
Martin répond par un « non » (seconde lettre).
3. Dans sa réponse, Martin cite deux fois la lettre de Max.
Relevez ces deux citations en indiquant à quelle ligne elles se
trouvent dans la première lettre. (2 points)
Martin cite deux fois Max : avec le mot « libéral » (seconde
lettre, l. 5), qui renvoie aux lignes 15 et 20 de la première lettre ;
et avec l’expression « la vue à long terme » (seconde lettre, l. 20-
21), qui renvoie à la ligne 21 de la première lettre.
4. a. Relevez les formules d’appel, les formules finales et les
signatures des deux lettres. (2 points)
On trouve les formules d’appel suivantes : « Mon cher
Martin » (première lettre) et « Cher Max » (seconde lettre). La
formule finale de la première lettre est : « Mes amitiés à vous
tous » ; il n’y en a pas dans la seconde lettre. Les signatures
sont : « Max » (première lettre) et « Martin Schulse » (seconde
lettre).

Inconnu à cette adresse | 33


b. En comparant ces formules, décrivez les sentiments des deux
amis. (2 points)
Max est beaucoup plus chaleureux que Martin : il emploie
« mon cher » au lieu de « cher ». Martin au contraire n’utilise pas
de formule finale et signe de son nom entier. Martin ne veut plus
de l’amitié de Max.
5. a. Quelle est la situation d’énonciation de la première lettre
(énonciateur, destinataire, cadre spatio-temporel) ? (2 points)
Dans la première lettre, l’énonciateur est Max, le destinataire
est Martin. Elle est écrite le 1er août 1933 à San Francisco.
b. Quelle est la situation d’énonciation de la seconde lettre
(énonciateur, destinataire, cadre spatio-temporel) ? (2 points)
Dans la seconde lettre, l’énonciateur est Martin, le destina-
taire est Max. Elle est écrite le 18 août 1933 à Munich.
6. Ces lettres sont-elles des énoncés coupés de la situation
d’énonciation ou ancrés dans la situation d’énonciation ? Justi-
fiez votre réponse. (1 point)
Ces lettres sont des énoncés ancrés dans la situation d’énon-
ciation car l’énonciateur fait référence au moment de l’énoncia-
tion. De plus, ce sont des textes au présent.
7. Relisez la première lettre, de « Je confie cette missive » à « ta
peur de la censure ».
a. Quel est le temps principal employé dans ces phrases ?
(0,5 point)
C’est le présent de l’indicatif qui est principalement employé
dans ces phrases.
b. Quelle est la valeur de ce temps ? (0,5 point)
C’est un présent d’énonciation.
8. Relisez la seconde lettre, de « Un libéral est un homme »
à « Non ».
a. Quel est le temps principal employé dans ces phrases ?
(0,5 point)
C’est le présent de l’indicatif qui est principalement employé
dans ces phrases.
b. Quelle est la valeur de ce temps ? (0,5 point)
C’est un présent de vérité générale.
9. Relisez la seconde lettre, de « Tu devrais te réveiller » à
« sans états d’âme ».

34 | Étonnants Classiques
a. Quel est le nom de cette figure de style ? (0,5 point)
Cette figure de style est une métaphore.
b. Quel est le comparé et quel est le comparant ? (1 point)
Martin compare les nazis (comparé) à un chirurgien
(comparant).
10. « Je confie cette missive à Jimmy Lederer qui doit briève-
ment séjourner à Munich lors de ses vacances européennes. Je ne
trouve plus le repos après la lettre que tu m’as envoyée. Elle te
ressemble si peu que je ne peux attribuer son contenu qu’à ta
peur de la censure ».
Réécrivez ce texte au passé et à la troisième personne en com-
mençant de la manière suivante : « Il confia cette missive à Jimmy
Lederer. » (2,5 points)
Il confia cette missive à Jimmy Lederer qui devait brièvement
séjourner à Munich lors de ses vacances européennes. Il ne
trouvait plus le repos après la lettre qu’il lui avait envoyée.
Elle lui ressemblait si peu qu’il ne put attribuer son contenu
qu’à sa peur de la censure.

■ Sujet de rédaction
Imaginez la lettre que Griselle a écrite à Max en partant pour
Berlin. Dans cette lettre, elle lui explique les raisons de son
départ, décrit ses sentiments et expose ses espoirs au sujet de la
situation actuelle de l’Allemagne.
Lors de ce travail rédaction, vous devrez : 1. Respecter les
règles de présentation de la lettre. – 2. Vous mettre à la place de
Griselle. – 3. Rester cohérent avec les informations données
dans l’œuvre de K. Taylor.

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Séance no 11 : prolongements (EPI)
Objectifs → Rechercher des informations et des
œuvres sur Internet.
→ Travailler en pluridisciplinarité.
Supports → Dossier, Arts 2.0.
→ Dossier, Éducation aux médias
et à l’information.
Ce travail peut donner lieu à un EPI avec le cours d’arts plas-
tiques. En reprenant les questions et le dispositif proposé dans
la rubrique « Arts 2.0 », les élèves sont chargés de confronter des
œuvres traitant de la Shoah et de proposer une exposition.
On pourra répartir les élèves en groupes thématiques selon
deux axes complémentaires, par exemple :
1. L’art comme témoignage, d’après les œuvres d’artistes
ayant vécu l’horreur des camps (voir par exemple Felix Nuss-
baum dans le cahier photos de l’édition, ou encore Zoran
Musˇicˇ, Isaac Celnikier, Marc Chagall, David Olère…).
2. L’art qui perpétue la mémoire, avec des artistes de la
génération d’après-guerre, qui tentent, dans un souci de trans-
mission et par le biais d’expérimentations formelles (abstrac-
tion, surréalisme, etc.), de trouver un nouveau mode de
représentation qui puisse transcender le traumatisme collectif, à
travers notamment :
– des installations (Christian Boltanski, Shimon Attie…) ;
– des sculptures commémoratives (Jochen Gerz, Peter
Eisenman…) ;
– des bandes dessinées (Pascal Croci, Art Spiegelman…) ;
– des techniques « mixtes » (Anselm Kiefer, Arno Gisinger…).
Voici une sélection de sites Web sur lesquels les élèves peuvent
s’appuyer pour leurs recherches :

■ Musées
– mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-
beckmann/ENS-beckmann.html
– musees-nationaux-alpesmaritimes.fr/chagall
– www.memorialdelashoah.org

36 | Étonnants Classiques
■ Sites spécialisés
– www.ottodix.org
– www.max-ernst.com
– johnnyfriedlaender.eu
– isaac.celnikier.free.fr
– www.arnogisinger.com

Fabien CLAVEL,
professeur de Lettres à Argenteuil (Val-d’Oise),
et
Claire JOUBAIRE,
professeur de Lettres à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

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