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Introduction
Dressons la problématique du comique et du tragique à partir de
la Poétique d’Aristote
Leur première définition se trouve dans la Poétique d’Aristote. Comment
évoluent-ils et s’incarnent-ils, séparés ou mêlés, jusqu’à notre époque ?
Comment les aborder dans des textes anciens et des textes du 20°
siècle ?
Dans la Poétique, tout est appréhendé sous le signe de la mimésis
Les trois genres étudiés par Aristote : épopée, tragédie, comédie
La tragédie
La question de la catharsis et de la séparation des genres de la comédie et de
la tragédie au cours des siècles
Le devenir de la Poétique : sa lecture et son interprétation au Moyen-Age
La Renaissance : traduction et commentaires de la Poétique d’Aristote
Le 17ème siècle
Le 18ème siècle et Diderot
Après la Révolution
Le XXe siècle
Reference
Introduction
Le thème « comique et tragique » peut circuler selon plusieurs perspectives :
L’histoire littéraire,
Les genres et registres,
Argumenter,
Travail de l’écriture ( voir à ce sujet la dernière version des œuvres de Racine, par Georges
Forestier)
Il sera abordé dans la continuité du collège et du lycée, dans sa conformité et ses variations par
rapport aux codes.
Comique et tragique sont des catégories esthétiques normatives qui se concrétisent selon
des règles et des codes directifs. A d’autres moments, ces catégories sont plus floues à
définir, se combinent et s’entremêlent.
La disparition des contraintes et des codes remet en question les frontières entre les genres.
Il établit des jeux de similitudes et d’oppositions, pour souligner les similitudes dans un premier
temps . Cela se retrouve au 17° siècle au niveau des personnages. Pour lui, l’action est la notion
centrale des trois genres qui se ressemblent car ils représentent des actions dont les actants sont
des hommes. La littérature est la représentation de personnages agissants.
C’est sur la nature des personnages agissants que se fonde la différence des genres. Dans le
chapitre 2, il opère une scission entre épopée-tragédie /comédie à partir des personnages :
Epopée et tragédie : personnages nobles et positifs,
Comédie : personnages bas et négatifs.
Les caractères relèvent exclusivement de ces deux types (bassesse/ noblesse) : personnages
plus ou moins que nous : accentuation du réel par l’art et non sa traduction absolue.
Au chapitre 5, il définit la comédie puis il n’en parlera plus. A partir du chapitre 6, tout porte sur la
tragédie pour la comparer à l’épopée et conclure à sa supériorité. On pense que la Poétique est
incomplète et qu’il aurait dû y avoir d’autres chapitres sur la comédie. Au 17° siècle, le peu de
choses publiées sur la comédie repose sur ce chapitre 5 ; si bien que, le plus souvent, la
comédie - et non la farce - voit ses règles alignées sur celles de la tragédie.
Un aspect négatif et péjoratif est apporté aux « personnages bas » et « pires que nous » ; la
comédie représente l’homme bas. Il définit le comique comme « une laideur sans douleur ni
dommage » : on exploite un vice, un défaut ; mais cette laideur n’entraîne aucune douleur,
aucun dommage.
Le problème de la catharsis
Aristote ne définit pas la catharsis mais dit simplement que « c’est le but de la tragédie ». C’est le
plus important.
La mise de côté chez Aristote de ce qui est pratique et mise en scène pèse sur nos pratiques. Pour
lui, le texte est roi, notamment le texte tragique, longtemps appelé poème dramatique. Le théâtre se
range du côté de la poésie.
Pas de poétique de la scène, mais souci de la réception, de l’effet produit sur le
spectateur. Très étrangement, ce souci passe par-dessus la scène. Le texte doit être assez fort à
lui seul pour produire ce genre d’émotion.
La catharsis est très difficile à définir ; la notion a été transformée, interprétée différemment,
notamment au 17° siècle où l’épuration est pris au sens moral de purgation. Or, « catharsis » est
une métaphore médicale (cf une purgation) ; cet effet passe par le corps, touche très
profondément. (notion si évidente à son époque qu’il ne la défend même pas ?) . Il en reparle dans
sa Politique à propos de la musique où il accentue le sens médical du terme. Mais il ne faut pas
réduire la catharsis à un soulagement thérapeutique.
1° difficulté : sens du mot
2° difficulté : relier la catharsis, notion négative(terreur et pitié) à la notion de plaisir. Ce
paradoxe pose de nombreuses questions. Platon condamne absolument le théâtre de la
cité idéale dans la République ( il corrompt ; c’est l’art de l’illusion ; il est si pervers que l’on
prend plaisir à des actions mauvaises). Plaisir paradoxal difficile à expliquer.
Une interprétation exclusivement artistique et intellectuelle s’impose actuellement, conforme
à celle d’Aristote ; car il a abordé la catharsis à partir de la mimésis où il dit que dès l’enfance
l’homme trouve du plaisir dans la représentation des choses dont la vue lui est pénible et qui
nous repoussent dans la réalité ; en regardant des images, on apprend ainsi à reconnaître.
S’il y a une définition de la catharsis, elle est là.
Ces choses nous sont pénibles La reconnaissance intellectuelle de la chose nous fait plaisir ;
Ce plaisir passe par l’image et par le regard ; le théâtre opère comme la peinture. Si l’on applique
cela à la tragédie, (Oreste, Œdipe dont l’image est considérée comme trop violente), on opère la
reconnaissance du mythe à travers la réalité. C’est alors que se réalise le paradoxe à travers
la catharsis. Le théâtre, contrairement à ce que dit Platon, est donc un moyen pour
apprendre. Ricoeur, dans Métaphore vive, s’avère moins favorable à une interprétation de la
catharsis relative à la psychologie du spectateur que vers une interprétation artistique et esthétique.
Evolution de la catharsis
L’idée de « decorum » devient l’idée de bienséance ;
L’idée de « utile et dulce » devient « instruire et plaire ». Plus que la catharsis, ce sera le
mot d’ordre de la tragédie( cf les préfaces de Racine).
Or Molière revendique les mêmes fonctions pour la comédie : Le 17° siècle moralise la
catharsis.
Interprétation morale de la catharsis et mélange des genres
La catharsis est une notion très peu abordée par les théoriciens, confondue avec le « plaire et
instruire d’Horace » et de plus atténuée.
Racine en propose une autre interprétation dans la préface de Bérénice : « une tristesse
majestueuse ». Or, pour Aristote, les mots violents accentuent l’effet cathartique, ce que remet en
cause la préface de Bérénice en étant une sorte de début de mélange des genres.
Corneille en est le grand représentant. Il écrit trois Grands discours sur la tragédie (cf nouvelle
édition G-F) et l’Epître à Don Sanche , « comédie héroïque » où il définit sa tentative comme une
réinterprétation d’Aristote. Il essaie de justifier le rapprochement possible entre les genres à travers
la notion de comédie héroïque. Il prône un assouplissement du cloisonnement des genres, annonce
une œuvre nouvelle mettant en scène « rois et princes, mais avec une justification privée de leurs
actions » (Don Sanche : les personnages sont nobles et publics mais sont placés dans une
comédie ; cette nouvelle dénomination de « comédie héroïque » concerne trois œuvres , dont Tite
et Bérénice et Pulchérie. Il écrit « J’ajoute à celle-ci[ la comédie] l’épithète « héroïque » pour éviter à
ses personnages la bassesse ». Il justifie le décloisonnement par le contexte propre à Aristote. Pour
lui, l’époque a changé et propose un double renversement :
| Personnages nobles dans la comédie | Annonce le 18ème siècle |
| Personnages bas dans la tragédie | Annonce le 18ème siècle |
Il utilise également un argument : le rapprochement personnage / spectateur pour des raisons
d’humanité et de vérité humaine : « ces rois sont hommes... ». C’est l’ouverture à la
naissance du drame, au 18° siècle, d’un genre intermédiaire. Cf. Diderot qui a la volonté de le
créer. Au début, comme « genre honnête et sérieux » ; puis il utilise le mot « drame » qui prend
alors son sens moderne et opère le rapprochement des genres (environ vers 1750 ) et constitue
une ouverture à la modernité. Les germes de la modernité sont chez Corneille, théoricien
extrêmement intéressant, y compris sur le théâtre par rapport au roman. La grande question posée
dans ces 3 discours est celle de la liberté du poète, notamment pour l’unité de lieu. Il s’imagine
quelle aurait pu être sa liberté s’il avait fait un roman. Il dénonce donc l’invraisemblance des
conventions qui prétendent travailler au nom de la vraisemblance. Pour lui, le romancier est libre. Il
innove également sur le rapprochement des genres ; et c’est sur ce rapprochement que se fonde la
modernité.
Après la Révolution
A partir de là, le drame évolue, mélange le rire et les larmes et inversement (Le mélodrame est l
’avatar du drame après la Révolution.) Voir Sedaine, Mercier (La Brouette du vinaigrier),
Beaumarchais (La Mère coupable) pratiquent le drame bourgeois et Lessing en Allemagne
développe le drame.
En France, l’évolution est chaotique en raison de l’Histoire. Dans le mélodrame, sorte de drame
hyperbolique, tout est poussé à l’extrême et donne naissance au drame romantique.
Victor Hugo part du mélodrame pour arriver au drame. Ses ambitions :
1. Libérer l’écriture avec règles, que Diderot ne remet pas en question. Il fait voler unité
de temps et de lieu, mais pas l’unité d’action ; Stendhal va dans le même sens.
2. Le mélange des registres à l’intérieur des deux genres, selon le modèle de
Shakespeare. Chez Hugo, même volonté de rapprocher les deux genres à travers les catégories
esthétiques du sublime et du grotesque.( NB : le sublime a été étudié par Kant au 18° siècle ; ce
n’est pas une notion nouvelle). Il appelle à un drame total qui soit capable de représenter et de
mêler sublime et grotesque. Il considère que le genre le plus moderne de son époque, c’est le
drame.
3. Le drame est un miroir de concentration, différent du miroir stendhalien. Il rend compte
de tout le réel, y compris des contraires, dans une esthétique totalisante. Cf. Anne Ubersfeld,
notamment avec le rôle du bouffon dans Le Roi s’amuse, qui relève d’une union subversive et
carnavalesque du comique et du tragique. C’est cette perspective qui se développe jusqu’à la
crise de l’écriture du drame, à la fin du XIXe siècle. Cette remise en question repense la séparation
des genres.
En France, naissance de la mise en scène avec Antoine. Zola appelle une renaissance du théâtre
(1876-1880), un drame naturaliste et un génie de ce théâtre qu’il ne peut pas faire.
C’est Ibsen, Stringberg, Tchekov qui illustrent à l’étranger ce passage vers une nouvelle
forme dramatique. Cf. les lettres de Tchekov à Stanislavski. Il croit écrire des comédies, voire des
farces. C’est vrai pour ses pièces en un acte mais pas pour les autres et il déplore qu’elles soient
mises en scène trop tristement. Ex La Cerisaie, tragédie pour certains, comédie pour d’autres. Il
reproche à Stanislavski d’en avoir fait une tragédie. La mise en scène peut changer les choses et
une pièce peut se teinter de tragique ou de comique si elle n’obéit pas à des règles strictes.
Ce facteur de la mise en scène n’intervient pas pour les genres bien définis comme la
tragédie mais c’est déjà moins net pour les grandes comédies de Molière. On retrouve la
dimension scénique du théâtre ; ce n’est plus que du texte. On ne peut plus vouloir tout
dominer par le texte, sauf si l’on inscrit tout, dialogue et mise en scène (cf. Beckett).
Le XXe siècle
Le XXe siècle se caractérise par une diminution progressive des contraintes ; « la seule
contrainte est la liberté » dit un critique.
La frontière entre les genres devient plus problématique. Cf Artaud. Dans le Théâtre et son
double, Il substitue la notion d’humour à celle de tragédie et de comédie ; « une poésie objective à
base d’humour », comme celle des Marx Brothers. De même, un certain texte de Pirandello sur
l’humorisme, in Choix d’Essais (Denoël) provient d’une vision du monde qui repose sur l’humour et
la prise en compte des oppositions entre le « sentiment du contraire » et la faculté de lire au-delà de
l’aspect du comique ou du tragique, l’effet contraire. Cf. le théâtre épique de Brecht qui rejette le
théâtre aristotélicien. Il plaide sur la notion de distanciation.
Au plan du spectateur, la distanciation doit permettre une réaction critique et intelligente qui
passe par le sentiment des contraires. La mise en jeu des contraires au théâtre est incarnée
selon Brecht par Charlie Chaplin / Charlot. « C’est un art entièrement pur. Enfants et grandes
personnes rient du malheureux » ; d’une certaine façon, on retrouve une forme de catharsis.
Du point de vue de la mise en scène aussi, l’hybridation conduit à l’humour, voire à l’humour
noir ; cf Beckett. Il définit ce qu’il fait : « en face, le pire, jusqu’à ce qu’il fasse rire. ». Cf également
Thomas Bernhardt(Une fête pour Boris ; une histoire de culs de jatte) et sa nouvelle Est-ce une
comédie, est-ce une comédie.
La notion de genre est complètement remise en cause et les registres complètement mêlés
avec une tendance au déclin du rire et du comique dans les tragédies alors que la tendance à
l’accroissement du tragique dans la comédie se confirme.
Aujourd’hui, nous sommes plus dans le retour du tragique (cf. le programme du Théâtre de la
Colline). On est toujours dans une esthétique négative après la 2ème guerre mondiale,
revivifiée par les Balkans par une retombée dans un tragique contemporain. Jacques Nichet,
metteur en scène à Toulouse, déplore l’absence de comédies contemporaines : « Nous ne
répondons plus à la violence de la société par la violence du rire. » La question des registres
travaille. Alain Badiou (Ahmed le Subtil) essaie de revivifier la comédie. On pourrait se demander
si la vieille vision de la comédie ne revient pas et si la comédie n’est pas relayée par les
sketches. Sont-ce là les effets du « politiquement correct » ? Vinaver est plus humoriste que
comique. Le théâtre ne remplit plus sa fonction de divertissement.
Reference :
NAUGRETTE Catherine, Université de Paris-III , Publié le lundi 12 décembre
2005.
https://lettres.ac-versailles.fr/spip.php?article494