Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
1. Divers travaux récents ont ramené l'attention sur l'analyse de l'acte humain, soit
dans le texte de saint Thomas, soit dans la tradition qui se réclame de lui. C'est à ces
recherches que l'étude ici publiée voudrait apporter une contribution ; elle ne prétend pas
être définitive et se présente plutôt comme l'amorce d'une « Question disputée » (NDLR).
2. Odon Lottin, O. S. B., La psychologie de Pacte humain chez saint Jean Damascène
ci Us théologiens du XIII9 siècle occidental, dans RT XXXVI, 1931, pp. 631-661.
Cette étude a été reprise avec quelques modifications dans Psychologie et Morale aux
XIIÙ ci XIII9 siècles, I. Problèmes de psychologie, Louvain, 1942, pp. 393-424.
3. R.-A. Gauthier, O. P., Saint Maxime le Confesseur et la psychologie de l’acte
humain, dans RTAM XXI, 1954, pp. 51-100.
394 REVUE THOMISTE
fin comme accessible par les moyens12 ». Suivent dans l’ordre, dans
l’intelligence, puis daps la volonté : le consilium et le consensus, le
judicium practicum et Yelectio, Yimperium et l’usus activus, Vu sus
passives et la fruitio.
Billuart termine son exposé par une remarque générale, qui nous livre
la manière dont il conçoit l'enchaînement de ces actes partiels. C’est
un déroulement psychologique, une suite d’actes psychologiquement
discernables et distincts :
Avec une attention bien en éveil, nous pouvons donc prendre con
science, dans notre mouvement d’accès à l’objet désiré, des douze temps
qui le partagent comme les douze étapes d’un trajet.
1. ■ ...intentio ciuae est actus second us voluntatis circa finem, quo scilicet tendit in
finem ut per media assequlbilem », Ibid.
2. Ibid.
l'acte HUMAIN SUIVANT SAINT THOMAS 397
1. Cajetan, In q. 9, a. z, 11. I.
2. Nous emploierons désormais • vouloir » pour traduire lcr ■ velle » ou « voluntos »
de saint Thomas.
398 REVUE THOMISTE
x. q. 8, a. 2,
2. Nous entendons « psychologique » ici au sens moderne courant, désignant les
faits de conscience tels qu’ils apparaissent à la conscience immédiate, à In suite l'un
de l’autre.
l’acte HUMAIN SUIVANT SAINT THOMAS 401
un vouloir mal formé, imparfait, que je n'ai d’ailleurs pas encore assumé
comme vraiment mien* Voilà donc la simplex volilio finis dont parle
Billuart. Mais, en fait, est-ce bien là le vouloir de la fin dont il doit être
question? L'objet présenté, la fête ou la réjouissance, joue-t-elle bien
ici le rôle de fin? On l'affirme un peu vite. Voyons comment va se
développer mon acte de volonté concernant l'objet présenté. Je me dirai :
je suis religieux ; il ne convient pas que j’y aille. Ou mieux : j'éprouve
et j’estime que ce n’est pas là un bien conforme au vouloir profond qui
oriente ma vie dans le sens de la vocation religieuse. Voici donc que je
considère l'invitation à la fête, que je la juge par rapport à ma volonté
d'être un vrai religieux, qui lui est antérieure. Mais qu'est-ce à dire,
sinon que je situe l'objet qui m'est présenté comme un moyen vis-à-vis
d'une fin, comme un moyen éventuel dont j'ai à juger s’il sera apte à me
conduire à cette fin? La fête qui m'était présentée n’était donc une fin
qu'apparemment ; en réalité elle a joué dans la dialectique de mon
mouvement volontaire le rôle de moyen.
Cependant, à supposer que j'accepte l'invitation qui m'est faite de
me rendre à une fête, parce que ce m'est une obligation de famille, par
exemple, la volonté d’assister à la fête m'est d’abord un moyen par
rapport à cette fin qu’est l'accomplissement de devoirs de famille.
Mais dès lors que j’ai décidé de m’y rendre, cette dernière volonté peut
à son tour me devenir une fin par rapport à des volontés ultérieures
qui en dépendent. Je devrai par exemple vouloir certains moyens pour
me rendre à la fête.
Donc, même dans l'ordre psychologique et génétique, il y a toujours
un vouloir absolu à l'origine. Remarquons pourtant que ce vouloir
absolu ne doit pas nécessairement être antérieur dans le temps* Par
exemple, la volonté d’être religieux qui précède eau salement le refus
d'assister à une fête, peut ne pas le précéder dans le temps ; il suffit qu'il
lui soit simultané. En effet le choix à faire entre accepter et refuser cette
invitation entraînera peut-être une réflexion poussée sur les motifs du
choix et pourra devenir l’occasion donnée à une vocation religieuse de
se révéler, de germer. L’obligation de choisir, la crise qu’elle entraîne,
m’éclaire la conscience, nie contraint à m'orienter en profondeur et
à opérer un choix qui peut porter bien plus loin que l'objet qui l’a
suscité.
Cependant il est clair que le vouloir de la fin peut manifester sa
priorité causale par une priorité temporelle. C’est ce que nous dit saint
Thomas lui-même : ...Et quandoque praecedit tempore : sicut cum ali qui s
primo vult sanitatem, et postea, deliberans quomodo possit sanari, vult
conducere medicum ut saneiur1. Remarquons : si, suivant saint Thomas,
le vouloir de la fin a parfois la priorité dans l’ordre temporel, c’est qu'il
ne l'a pas toujours, et que dans sa pensée, la priorité qu’il reconnaît au
vouloir de la fin se situe dans un autre ordre. Il n’empêche que, fût-ce
dans l'ordre temporel, le vouloir de la fin est au moins simultané à tout
vouloir des moyens.
L’étude thomiste de l’acte volontaire est donc, non d'ordre psycho
logique d’abord, mais essentialiste et structurel. C’était certes le meilleur
i. /»-//", q. 8, a. 3.
402 REVUE THOMISTE
La définition de l* « intentio »
x. « ...Actus voluntatis respectu finis non absohite, sed sccundum quod est terminus
motus voluutatis ■ q. xs, a. t, c. et ad xu“ ; « ...sccundum quod acquiritur
per ea quae sunt ad finem • a. 4, ad 3ttm.
l'acte HUMAIN SUIVANT SAINT THOMAS 405
actes portant immédiatement sur les moyens. Elle tient du vouloir pur,
parce qu’elle a pour objet propre la fin. Elle tient de la volonté des
moyens en ce qu’elle considère la fin sous cet aspect particulier d’être
le terme du mouvement qui ordonne les moyens à la fin. Dès lors, de
même que le vouloir pur contient dans son orbite tous les autres actes
partiels, on peut dire que l’intention est à son tour grosse des actes
concernant les moyens, du côté volontaire, le consensus, Velectio et
Fusus, ce qu’on peut représenter par une accolade -
consensus
{ electio
usus
i. q, 14, a» 2,
L’ACTE HUMAIN SUIVANT SAINT THOMAS 407
r consilium
judicium de fine « judicium practicum
imperium
i. q. 15, a. 3.
3. Pierre Lombard, Sententiarum Libri, II, d. 38.
z. Saint Augustin, Dt Trinitate, I. Il, c. 6, PL XLTT, c. 990 et ss
4. PL XLII, c. 1007.
L’ACTE HUMAIN SUIVANT SAINT THOMAS 409
vers la fin et les moyens, le reste n’étant que des actes secondaires
s’intégrant aux premiers, sans toutefois se confondre avec eux et se
définissant par quelque aspect plus particulier du mouvement volontaire.
Conclusion
'consensus
electio
VOLONTÉ «
usus aciivus
b fruiiio
1. Nous n’entrerons pas ici dans le problème que peut poser l’apparente réduction
de Dieu à être un moyen de satisfaire notre appétit ae bonheur. Remarquons simple
ment qu’il s’agiL ici de l’analyse de la dialectique d’un mouvement, abstraction faite
de l’objet auquel s’appliquera ce mouvement et de ses relations au sujet. La priorité
dialectique de l’appétit de bonheur n’empêche pas la priorité divine dans l'être, ni
dans les relations qui s’établissent entre Dieu et l'homme au moment du choix.
412 REVUE THOMISTE