Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Séance 5
Chapitre II. De la méta-esthétique ou pour une théorie esthétique
générale
I. Senghor et l’esthétique de la négritude
1. La négritude et son contenu idéal
2. Caractéristiques principales des arts de l’Afrique noire
II. Engelbert Mveng ou les fondements anthropologiques d’une
«esthétique négro-africaine » religieuse
Proposition de lecture
→ Les arts négro-africains sont interdépendants, c’est-à-dire liés les uns aux
autres ; et ils ne sont efficaces que parce que liés les uns aux autres. Ainsi, on
ne peut considérer la sculpture sans la danse et le chant, tout comme le travail
sans le chant et la danse par exemple.
→ Senghor donne ici l’exemple de L’Enfant noir, le père de Laye forgeant un
bijou d’or : le poème, le chant du griot, la danse du forgeron, etc.,
accomplissent l’œuvre et en font un chef-d’œuvre.
→ De même, la sculpture ne peut réaliser pleinement son objet que par la
danse et le chant. Senghor nous rappelle l’exemple de l’homme qui incarne le
Génie-Soleil du Baoulé, sous le masque du Bélier : il danse les gestes du bélier,
au rythme de l’orchestre, tandis que le chœur chante le poème de la geste du
Génie. L’art en Afrique noire est dans la vie et la vie est dans l’art.
La question de l’image
La poésie africaine participe à l’acte créateur de Dieu. Elle est près des
sources divines.
→ Le domaine par excellence de la composition rythmée
est le parallélisme asymétrique : Senghor voulait qu’il
soit
« perceptible sur les statuettes de l’art africain traditionnel
mais également sur les tableaux de peinture moderne. Un
axe vertical au centre du tableau ou au milieu de la
statuette, le (la) partage généralement en deux parties
jugées habituellement identiques, c’est-à-dire égales et
exactement symétriques. Or cette symétrie est, en réalité,
illusoire. C’est au fond une symétrie asymétrique, en ce
sens que les deux parties ne sont jamais rigoureusement
égales, semblables ».
L’artiste utilisait le plus souvent des exemples fournis par la nature pour créer
des œuvres artistiques de façon semblable à celles de la nature. Ainsi, si nous
observons bien les êtres vivants, nous voyons qu’ils ont été créés de manière
équilibrés et proportionnels : l’homme, les animaux sauvages, les oiseaux, ont tous
un axe vertical appelé colonne vertébrale qui les divise en deux parties jugées
symétriques et proportionnels. Tous les autres organes de leur corps occupent une
position symétrique par rapport à cet axe : les membres inférieurs et les membres
supérieurs sont ainsi symétriquement placés par rapport à cette colonne vertébrale.
Chez les quadrupèdes, par exemple, les quatre membres sont façonnés de façon
symétrique par rapport à la colonne vertébrale. Chez l’homme, la tête et le coup
divisent les épaules en deux parties proportionnelles. Le genou aussi divise la
jambe en deux parties supposées égales. Le nez est également un axe symétrique
des yeux et des oreilles.
Cette structure des êtres vivants a beaucoup influencé les artistes dans leurs
créations artistiques. Or, une analyse plus approfondie montre toujours des
déséquilibres là où l’esprit humain croit percevoir des équilibres. La symétrie des
différentes parties d’un ensemble, ou d’un être, n’est pas aussi absolue que le laisse
croire une observation rapide. Nos deux pieds ne sont toujours pas égaux,
l’alliance des cinq doigts d’une main ne sied pas toujours aux cinq doigts de l’autre.
→ Senghor a créé les arts sénégalais modernes conformes à cette
idéologie du parallélisme asymétrique. La production plastique de
l’École de Dakar est « à la fois gaie, chaude et vive, faite avec ce
qui a été reconnu comme couleurs typiques de l’Afrique : les
couleurs chaudes et vives, certaines disent « couleurs
criardes », telles le blanc, le noir, le rouge, le jaune, le bleu,
etc. ».
Les éléments formels tels les lignes, les traits, les points, les signes et
symboles, etc., sont abondants dans leurs œuvres ; ils sont agencés
et combinés et produisent des formes schématiques, irrégulières et
géométriques ; ainsi les formes cubiques, carrées et rectangulaires.
A lire :
Pour lire et comprendre Senghor, Souleymane Bachir Diagne (2007) invite les
lecteurs à « ne pas se donner la Négritude trop vite, affronter tout de suite les
formules trop bien connues à quoi on la résume ». Souleymane Bachir Diagne,
op.cit., p.9
C’est, en effet, dans son article « Ce que l’homme noir apporte » que Senghor écrit cette
célèbre formule « l’émotion est nègre comme la raison hellène ». (Senghor L. S., Liberté 1,
« Ce que l’homme noir apporte », p.24.
Souleymane Bachir Diagne, commentant cette phrase dit, très justement, que l’on
n’a pas fait attention aux nombreux commentaires qu’elle a suscités. S’agit-il d’une
« coquetterie de khâgneux agrégé de grammaire et donc nourri aux Lettres classiques » ou bien
d’un « choix de poète qui aime le rythme de l’alexandrin » ? Diagne S. B., op. cit., p. 57).
Pour l’auteur de Léopold Sédar Senghor. L’art africain comme philosophie, certes il y a tout
cela dans la formule, mais le plus important c’est qu’elle fait référence à l’opposition
entre la statuaire grecque et l’art plastique africain.
Selon lui, cette formule de Senghor est orientée uniquement vers l’art. Et
d’ailleurs, nous rappelle-t-il, dans les lignes qui suivent aussitôt la formule, Senghor
explique le concept d’émotion par celui d’attitude rythmique (Senghor, op. cit. p.24.
qui annonce son propos sur l’art. « L’émotion est nègre comme la raison hellène », cela
pourrait donc s’entendre, nous dit Diagne, de la manière suivante : « l’émotion est à
l’œuvre d’art africain ce que la raison est à la statuaire hellène ». (Diagne S. B., op. cit., p. 58).
Senghor voulait ainsi rétablir le lien entre la sculpture et l’ethnos africain :
« Cette formule, avant d’être une théorie d’un penser et d’un sentir africains,
exprime d’abord une philosophie de l’art africain. Pour dire mieux, c’est-à-
dire plus précisément : elle n’est théorie d’un connaître africain que parce
qu’elle est théorie d’un créer africain, l’art étant en lui-même connaissance
du réel ». (S. B. Diagne, op. cit. p. 99).
Le fait est encore plus vrai quand il s’agit de l’art, nous dit Senghor.
Ce qui meut le spectateur n’est pas tant l’aspect de l’objet que sa
réalité profonde, sa « surréalité », pas tant son « signe » que son
« sens ». Ce qui émeut l’Africain, par exemple, dans un masque de
danse, c’est, à travers l’« image » et son rythme, la vision insolite du
« dieu ».
Le Négro-africain ouvre ses sens à tous les contacts. Il sent avant de voir et
il réagit immédiatement au contact de l’objet, voire aux ondes qu’il
émet de l’invisible. C’est par sa puissance d’émotion qu’il prend
connaissance de l’objet. Il vit, traditionnellement, dans et par le cosmos.
C’est un être sans intermédiaire entre le sujet et l’objet ; il est à la fois
sujet et objet. Il meurt à soi pour ressusciter dans l’Autre : il s’identifie
à l’Autre.
« L’art africain que l’on découvre dans les Temps Modernes apparaît comme un art total. Il
représente l’homme. Il représente tout l’homme. Il représente toute sa vie. Les costumes
(masques, parures), la musique et la danse, l’architecture, la sculpture et l’art décoratif, tout
cela permet à l’homme d’associer tous les êtres à son destin, en transformant par l’art la
nature » (p. 15).
En d’autres termes, l’art africain traditionnel est un art holistique figurant la totalité de
l’existence et de la vie. L’holisme artistique de l’art africain traditionnel que relève E. Mveng
lui a permis, sur le plan épistémologique, de tirer des constats et des principes à même
d’aider à sa compréhension dans sa polymorphie, dans sa richesse, et dans sa cohérence.
Conclusion partielle