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Le jugement en date du 14 novembre civil prévoit ainsi que « lorsque les époux
2017 1, rendu par le tribunal de pre- s’entendent sur la rupture du mariage et
mière instance de Tunis, retient l’atten- ses effets, ils constatent, assistés cha-
tion par les solutions audacieuses et cun par un avocat, leur accord dans une
pertinentes qu’il propose. Il se prononce, convention prenant la forme d’un acte
pour la première fois, sur la question sous signature privée contresigné par
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(1) Tribunal de première instance de Tunis, réf., 14 nov. 2017, n° 86358, jugement inédit, AJ fam. 2018. 148, étude
C. Roth.
(2) Loi no 2016-1547 du 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, JORF 19 nov. 2016, no 19, texte
no 1.
(3) Sur la réforme, v. notamment, J.-R. Binet, Le divorce par consentement mutuel sans juge, Propos liminaires, Dr.
fam. janv. 2017. Dossier 2, p. 12 ; N. Fricero et F. Dymarski, Le nouveau divorce extrajudiciaire par consentement
mutuel, Dr. fam. janv. 2017. Dossier 3, p. 14 ; H. Fulchiron, Le divorce sans juge, c’est maintenant. Et après ?
Observations sur l’après-divorce sans juge, Dr. fam. janv. 2017. Dossier 4, p. 17.
(4) Selon l’art. 229-3 C. civ., « Le consentement au divorce et à ses effets ne se présume pas. La convention com-
porte expressément, à peine de nullité : 1° les nom, prénoms, profession, résidence, nationalité, date et lieu de
naissance de chacun des époux, la date et le lieu de mariage, ainsi que les mêmes indications, le cas échéant,
posur chacun de leurs enfants ; 2° le nom, l’adresse professionnelle et la structure d’exercice professionnel des
avocats chargés d’assister les époux ainsi que le barreau auquel ils sont inscrits ; 3° la mention de l’accord des
époux sur la rupture du mariage et sur ses effets dans les termes énoncés par la convention ; 4° les modalités
du règlement complet des effets du divorce conformément au chapitre III du présent titre, notamment s’il y a
lieu au versement d’une prestation compensatoire ; 5° l’état liquidatif du régime matrimonial, le cas échéant en
la forme authentique devant notaire lorsque la liquidation porte sur des biens soumis à publicité foncière, ou la
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(11) Décr. d’application no 2016-1907 du 28 déc. 2016, relatif au divorce prévu à l’article 229-1 du code civil et à
diverses dispositions en matière successorale, JURSC1633390D, JORF 29 déc. 2016.
(12) Circ. de présentation du divorce par consentement mutuel sans juge, JUSC1638274C du 26 janv. 2017. La circulaire
est complétée par 12 fiches.
(13) M.-L. Niboyet, I. Rein-Lescastereyres et L. Dimitrov, art. préc.
(14) Règl. CE no 2201 /2003 du Conseil du 27 nov. 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution
des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, abrogeant règl. Bruxelles II
du 29 mai 2000 no 1347/2000, JOUE L 338, 23 déc. 2003. Sur le règlement Bruxelles II, v. notamment B. Ancel
et H. Muir Watt, La désunion européenne, Le règlement dit « Bruxelles II », Rev. crit. DIP 2001. 403 ; H. Gau-
demet-Tallon, Le règlement no 1347/2000 : Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière
matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs, JDI 2001. 381. Sur le règlement
Bruxelles II bis, v. notamment B. Ancel et H. Muir Watt, L’intérêt supérieur de l’enfant dans le concert des juri-
dictions : Le règlement Bruxelles II bis, Rev. crit. DIP 2005. 569.
(15) Règl. UE no 1259/2010 du Conseil du 20 déc. 2010, mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine
de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, JOUE L 343/10, du 29 déc. 2010 (sur ce texte, v. not. :
S. Corneloup (dir.), Droit européen du divorce, LexisNexis, 2013, spéc. p. 483 s. ; P. Hammje, Rev. crit. DIP 2011.
291). La fiche no 4 annexée à la circulaire du 26 janv. 2016 rappelle que le règlement Rome III permet un choix
de la loi applicable au divorce. Elle prévoit que « si les époux souhaitent divorcer en utilisant le mécanisme de
l’article 229-1, il est préférable qu’ils désignent expressément la loi française comme loi applicable à leur divorce,
dans la mesure où il s’agit de la loi de l’État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion
de la convention, de la loi de l’État de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l’un d’eux
y réside encore au moment de la conclusion de la convention, de la loi de l’État de la nationalité de l’un des
époux au moment de la conclusion de la convention ».
(16) M.-L. Niboyet, I. Rein-Lescastereyres et L. Dimitrov, art. préc., no 4.
membre d’origine sont reconnus et ren- C’est ainsi que plusieurs personnes
dus exécutoires dans les mêmes condi- ayant eu recours au divorce par consen-
tions que les décisions ». C’est ce que tement mutuel extrajudiciaire se sont
rappelle la circulaire du 26 janvier 2017. présentées aux autorités tunisiennes
Le divorce extrajudiciaire, qui constitue aux fins de transcrire sur les registres
un accord entre les parties, sera reconnu de l’état civil la dissolution du mariage.
et rendu exécutoire dans les autres pays
de l’Union européenne. La transcription des divorces prononcés
en France ou en Tunisie est soumise aux
La reconnaissance des effets du divorce dispositions de la Convention tuniso-
sans juge posera davantage de difficul- française du 28 juin 1972 relative à
tés 17, en raison de son incompatibilité l’entraide judiciaire en matière civile et
avec le règlement Bruxelles II bis du commerciale 19. Or l’article 18 de cette
27 novembre 2003 et le règlement « Ali- Convention prescrit la transcription,
ments » du 18 décembre 2008 18. dans les registres de l’état civil, des
« décisions relatives à l’état et à la capa-
En dehors de l’Union européenne, la cir- cité des personnes, émanant des juridic-
culaire se contente de prévoir que « la tions des Hautes Parties contractantes
reconnaissance et l’exécution des décisions rendues par les autorités judiciaires
françaises rendues en matière de divorce en matière d’état et de capacité » 20.
et d’autorité parentale dans un autre État N’étant pas des décisions « rendues par
sont fonction des conventions particulières les autorités judiciaires », les actes de
reliant la France et l’État requis ou du droit divorce se sont retrouvés en dehors des
national applicable en la matière ». dispositions de la Convention de 1972 et
se sont heurtés au refus des services de
214 Dès son entrée en vigueur dans l’ordre l’état civil en Tunisie.
juridique français, le 1er janvier 2017, le
divorce sans juge n’a pas tardé à s’ex- Devant le refus légitime opposé, dans
porter en dehors des frontières euro- plusieurs cas, par les services de l’état
péennes. Eu égard à l’importance des civil de transcrire ce divorce inconnu
relations familiales tuniso-françaises, il des autorités tunisiennes, le minis-
a très vite atterri devant les autorités tère de la Justice réagit en demandant
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(17) Ibid.
(18) Règl. CE no 4/2009 du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions
et la coopération en matière d’obligations alimentaire du 18 déc. 2008, JOUE L 7, 10 janv. 2009. Sur ce règlement,
v. not. : B. Ancel et H. Muir Watt, Aliments sans frontières. Le règlement CE no 4/2009, relatif à la compétence, la
loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires,
Rev. crit. DIP 2010. 457 ; E. Gallant, Règlement no 4/2009/CE relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnais-
sance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, in L. Cadiet, E. Jeuland
et S. Amrani-Mekki (dir.), Droit processuel civil de l’Union européenne, LexisNexis, 2011, p. 99.
(19) Convention relative à l’entraide judiciaire en matière civile et commerciale entre la République française et la
République tunisienne, signée à Paris, le 28 juin 1972. En Tunisie, la Convention a été ratifiée par la loi no 72-65
du 1er août 1972, JORT no 32, 4-8 août 1972, et publiée par le décr. no 74-109 du 21 févr. 1974, JORT no 15, 26 févr.
1974, en France, elle a été ratifiée par la loi n° 73-464 du 9 mai 1973, JORF 10 mai 1973, p. 5187, et publiée par le
décr. no 74-249 du 11 mars 1974, JORF 17 mars 1974, p. 3076. Sur cette Convention, v. K. Meziou, J.-Cl. Int., vol. 9,
Convention franco-tunisienne du 28 juin 1972, fasc. 594, 2014, et M. Hammouda, La Convention tuniso-française
d’entraide judiciaire, quarante ans après, in La diversité dans le droit, Mélanges offerts à la Doyenne Kalthoum
Meziou-Dourai, CPU 2014, p. 423.
(20) En application de cette convention, une circulaire du ministère de la Justice du 29 nov. 1976 rappelle qu’il est néces-
saire de transcrire les décisions émanant des autorités judiciaires françaises relatives au divorce dans les registres de
l’état civil des intéressés, sans besoin d’obtenir l’exequatur. Circ. citée par M. Ghazouani, La nécessité de reconnaître
immédiatement les décisions étrangères relatives au divorce, Revue tunisienne de droit 2006. 82 (en langue arabe).
(21) Le Centre d’études juridiques et judiciaires relève du ministère tunisien de la Justice. Il a pour principal objet de
mener, dans différents domaines du droit, des études et une recherche scientifique.
(22) La Commission de réforme du code de droit international privé a été instituée par un arrêté du ministère de la
Justice du 30 déc. 2015.
(23) La Convention tuniso-française relative à l’entraide judiciaire en matière de droit de garde des enfants, de droit
de visite et d’obligation alimentaire, signée à Paris le 18 mars 1982, publiée en France par le décr. no 83-555 du
30 juin 1983, JORF 1er juill. 1983, p. 1998, et en Tunisie par le décr. no 83-1088 du 21 nov. 1983, JORT p. 3075.
(24) La Convention de 1982 n’a pas réellement fait progresser la circulation des décisions relatives au droit de garde,
au droit de visite, et à l’obligation alimentaire dans les relations entre la Tunisie et la France. Elle se contente
de reprendre la plupart des conditions de régularité posées par celle de 1972, en aménageant certaines d’entre
elles. La conformité de la décision étrangère à l’ordre public est ainsi toujours exigée. La Convention de 1982
consacre des règles de compétence indirecte spécifiques. Son art. 10 prévoit qu’en matière de garde d’enfants,
la reconnaissance ou l’exécution d’une décision rendue dans l’un des deux États ne peut être refusée par l’autre
État lorsque le tribunal qui a rendu la décision est celui de la résidence commune effective des parents, ou de la
résidence du parent avec lequel l’enfant vit habituellement. Par ailleurs, l’art. 4, al. 2, de la Convention de 1982
prévoit que la décision étrangère relative aux droits de garde et de visite doit seulement être exécutoire dans
l’État où elle a été rendue, alors que la Convention 1972 exige que la décision étrangère soit passée en force de
chose jugée.
(25) En ce sens, I. Béjaoui, La concurrence des normes en matière de conditions de régularité internationale des
jugements étrangers, Droit commun et droit conventionnel, th. Faculté des sciences juridiques, politiques et
sociales de Tunis, 2014 ; S. Ben Achour, Les sources du droit tunisien de l’exequatur, tentative de résolution du
conflit entre le droit commun et le droit conventionnel, in Le code tunisien de droit international privé, deux
ans après, CPU 2003, p. 51.
(26) F. Majoros, Les conventions internationales en matière de droit privé, t. II : Le droit des conflits de conventions,
Pédone, 1980 ; B. Dutoit et F. Majoros, Le lacis des conflits de conventions en droit privé et leurs solutions pos-
sibles, Rev. crit. DIP 1984. 565.
(27) Loi no 98-97 du 27 nov. 1998, portant promulgation du code de droit international privé, JORT no 96, p. 2332.
(28) S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, CPU, 2017, p. 137 à 143.
(29) Le juge n’aurait pas pu non plus trouver une solution dans la loi du 1er août 1957 relative à l’état civil (JORT
nos 2 et 3, des 30 juill. et 2 août 1957), car celle-ci prévoit la transcription des seuls jugements étrangers. Dans sa
version arabe, l’art. 42 de cette loi dispose que « si le jugement de divorce est prononcé à l’étranger, la trans-
cription est faite à la diligence des intéressés, à peine d’une amende… sur les registres de l’état civil du lieu où
le mariage a été transcrit ». En plus, l’art. 42 est inséré dans un chapitre relatif à « la transcription des jugements
prononçant le divorce ou constatant la nullité du mariage ».
(30) A. Mezghani, Commentaires du code de droit international privé, CPU, 1999, p. 184.
(31) Sur cette question, v. S. Bollée, L’extension du domaine de la méthode de reconnaissance unilatérale, Rev. crit.
DIP 2007. 307 ; P. Callé, L’acte public en droit international privé, Économica, 2004 ; E. Fohrer-Dedeurwaerder,
La prise en considération des normes étrangères, LGDJ, 2008 ; P. Lagarde, La reconnaissance, mode d’emploi, in
Mélanges en l’honneur de H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 479 ; P. Mayer, La méthode de la reconnaissance
en droit international privé, in Le droit international privé, esprit et méthodes, Mélanges Paul Lagarde, Dalloz,
2005, p. 547 ; Ch. Pamboukis, L’acte public étranger en droit international privé, LGDJ, 1993 ; La renaissance-mé-
tamorphose de la méthode de la reconnaissance, Rev. crit. DIP 2008. 513 ; Les actes quasi publics en droit inter-
national privé, Rev. crit. DIP 1993. 565.
(32) En ce sens, S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères…, op. cit., p. 48 ; M. Ben Jemia, L’exequatur
des décisions étrangères en matière de statut personnel, Revue tunisienne de droit, 2000. 139 ; A. Mezghani,
Commentaires…, op. cit., p. 184 et 185 ; S. Triki, La coordination des systèmes juridiques en droit international
privé de la famille, th. Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, 2012, nos 307 à 311 ; La reconnaissance des
situations juridiques en droit international privé de la famille, in Actualités du droit international privé de la
famille en Tunisie et à l’étranger, op. cit., p. 117.
(33) L’art. 117 du code algérien de la famille dispose que « le recueil légal (kafala) est accordé par devant le juge ou
le notaire, avec le consentement de l’enfant quand celui-ci a un père et une mère ».
(34) Dans plusieurs pays, les décisions de répudiation interviennent devant une autorité publique (adouls) qui prendra
acte de la volonté du mari. Tel était notamment le cas au Maroc, avant la promulgation du Nouveau code de la
famille par la loi du 3 févr. 2004.
(35) S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères…, op. cit., p. 51 ; L. Chedly et M. Ghazouani, Code de droit
international privé annoté, CEJJ, 2008, p. 277.
(36) V. sur ce point les réf. citées supra, note 31.
à une situation, « sur le point de vue fait du prononcé d’une formule par l’une
normatif précédemment concrétisé dans des parties. Dans chacun de ces choix,
un État étranger dont les titres à régir la l’ordre juridique précise la condition qui
situation sont reconnus » 37. Ainsi, lors- donne au divorce une existence juridique
qu’une situation est constituée à l’étran- et qui en fait une situation opposable et
ger en conformité avec la loi applicable à pouvant être sanctionnée par le système
l’étranger, le for renonce à la soumettre juridique concerné » 40.
à un second examen conformément à
ses propres règles de conflit. En effet, Le tribunal de première instance de
une réévaluation de la situation valable Tunis semble adopter ce point de vue.
à l’étranger, selon le système de conflit Bien qu’elle soit issue de la seule volonté
de lois du for, peut aboutir à l’invalider. privée, et simplement déposée au rang
des minutes du notaire, la convention
La méthode de reconnaissance des de divorce présentée a donc été recon-
situations permet notamment de « repê- nue par le juge tunisien. Mais afin de
cher » les situations que les tenants de parvenir à ce résultat, le juge devait
la thèse restrictive entendent exclure du montrer une grande tolérance à l’égard
domaine de la reconnaissance des déci- du divorce non judiciaire.
sions, car elles ne sont pas issues d’un
acte décisionnel, mais d’un acte non
décisionnel, voire de la volonté privée 38. B – La tolérance à l’égard
du divorce non judiciaire
C’est justement à propos de la recon-
naissance des situations issues de la
volonté privée que la méthode de la En acceptant de reconnaître le divorce
reconnaissance révèle sa spécificité et sans juge, le tribunal de première ins- 219
son utilité 39. La position libérale prô- tance de Tunis fait preuve d’une très
nant la reconnaissance des situations grande tolérance dans le traitement des
issues de la volonté privée a gagné du divorces transfrontières.
terrain dans la doctrine à l’étranger
et en Tunisie. Menant sa réflexion à Le caractère judiciaire du divorce consti-
partir du divorce, Madame Salma Triki tue, en effet, l’un des piliers du droit
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(37) S. Clavel, Droit international privé, Dalloz, coll. « HyperCours », 3e éd., 2015, no 220. Comp., D. Bureau, H. Muir
Watt, Droit international privé, t. I, PUF, 4e éd., 2017, § 569 s., et les réf. citées sur la méthode de la reconnais-
sance.
(38) Selon cette thèse, la méthode de la reconnaissance des décisions s’appliquerait aux seuls actes publics déci-
sionnels, tandis que la méthode de la reconnaissance des situations concernerait les situations émanant d’actes
publics non décisionnels, ainsi que celles qui sont issues de la volonté privée des personnes. Critiquant ces points
de vue, M. A. Bucher (La dimension sociale du droit international privé, RCADI 2009, vol. no 341, p. 313, no 188)
estime que « les auteurs qui soutiennent que seuls les actes décisionnels seraient susceptibles de reconnaissance
sont… obligés de compléter leur thèse par une autre, en sens opposé, dans le but d’assurer un minimum de
respect aux rapports de droit créés valablement et de bonne foi à l’étranger avec le concours d’une autorité
n’ayant pas agi avec sa volonté propre. Au lieu d’être fondée sur l’acte non décisionnel, la reconnaissance serait
commandée par le respect de la prévision légitime des parties ».
(39) S. Triki, th. préc., nos 312 à 315.
(40) S. Triki, La reconnaissance des situations juridiques…, art. préc., p. 127.
(41) En ce sens, Y. Ben Achour, Politique, religion et droit dans le monde arabe, CERP, 1992, p. 203 ; F. Fregosi,
Bourguiba et la régulation institutionnelle de l’Islam : les contours audacieux d’un gallicanisme politique à
la tunisienne », in M. Camau et V. Geiser (dir.), Habib Bourguiba, La trace et l’héritage, Paris/Institut d’études
politiques, Aix-en-Provence, éd. Karthala, 2004, p. 78.
(42) En ce sens, S. Ben Achour, Le code du statut personnel et les législations des pays arabes, in R. Jelassi et S. Ben
Achour (dir.), Le code du statut personnel (1956-2016), Une révolution par le Droit, CPU, 2017, sous presse (en
langue arabe) ; K. Meziou, Du bon usage du droit comparé. À propos du code de la famille marocain et de la
réforme algérienne de 2005, in Droits et culture, Mélanges en l’honneur du Doyen Yadh Ben Achour, CPU, 2008,
p. 367.
(43) Notons toutefois que quelques rares décisions dénient aux actes non judiciaires toute efficacité dans l’ordre
juridique tunisien. C’est notamment le cas du jugement rendu le 19 juin 2000 (no 34116, rapporté par L. Chedly
et M. Ghazouani, Code annoté, préc., p. 277), qui affirme que « le document dont le mari demande l’exequa-
tur est une simple preuve de la dissolution du mariage établi au Maroc entre un mari marocain et son épouse
tunisienne. Cet acte n’a pas un caractère judiciaire et ne peut recevoir l’exequatur ». C’est également le cas du
jugement rendu le 9 juill. 2001 par le tribunal de première instance de Tunis (no 35878). Le juge refuse l’exe-
quatur d’une décision américaine relative à la garde parce qu’elle n’émane pas d’une autorité juridictionnelle,
inédit rapporté par S. Triki, th. préc., p. 264, note 967.
(44) Tribunal de première instance Tunis, 27 juin 2000, no 34179, Revue tunisienne de droit 2000. 425, note M. Ben Jemia.
(45) Tribunal de première instance Tunis, 1er déc. 2003, no 47564, rapporté par L. Chedly et M. Ghazouani, Code
annoté, préc., p. 248.
(46) En l’espèce, l’acte prononçant la répudiation n’a pas été reconnu, car il ne remplissait pas les conditions de
régularité exigées par l’article 11 du code de droit international privé. Le tribunal avait considéré qu’il était
contraire au principe d’égalité entre les sexes.
(47) Sur les conditions de régularité, S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères…, préc., p. 83 à 162.
(48) Sur l’ordre public international tunisien, notamment, M. Ben Jemia, Le jeu de l’ordre public dans les relations
internationales privées de la famille, th. Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, 1997 ;
Ordre public, Constitution, et exequatur, in Mélanges en l’honneur de Habib Ayadi, CPU, 2000, p. 272 ; Y a-t-il du
nouveau en matière d’ordre public familial international, in Actualités du droit international privé de la famille
en Tunisie et à l’étranger, op. cit., p. 43.
(49) K. Meziou, Formation du mariage et principe de monogamie, in Polygamie et répudiation dans les relations
internationales, Unité de recherches RIPCAM, éditions AB Consulting, 2006, p. 43.
(50) Sur cette question, v. S. Ben Achour, L’ordre juridique tunisien face à la répudiation islamique, in Polygamie et
répudiation dans les relations internationales, Unité de recherches RIPCAM, éditions AB Consulting, 2006, p. 43 ;
M. Ben Jemia, Répudiation islamique et effet atténué de l’ordre public, in Le code tunisien de droit international
privé, deux ans après, op. cit., p. 129.
(51) Tribunal de première instance de Tunis, 27 juin 2000, no 34179, Revue tunisienne de droit 2000. 425, note M. Ben Jemia.
(52) Décision du président de l’Assemblée constituante du 31 janv. 2014 relative à l’autorisation de publier la Consti-
tution de la République tunisienne, JORT no 10, p. 316. La version française de la Constitution a été publiée au
JORT 2015, n° spécial du 20 avr. 2015, p. 3.
(53) Loi no 85-68 du 12 juill. 1985 portant ratification de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discri-
mination à l’égard des femmes, JORT no 54, 12-16 juill. 1985, p. 919. Sur cette convention, La non-discrimination
à l’égard des femmes entre la convention de Copenhague et le discours identitaire, Colloque, Tunis 13-16 janv.
1988, UNESCO-CERP, 1989.
(54) Sur cette question, notamment, v. C. Saïd, La nouvelle Constitution et les droits, in Mouvances du droit, études
en l’honneur du Professeur Rafâa Ben Achour, Konrad Adenauer Stiftung, 2015, p. 521.
(55) La Tunisie avait fait usage d’une réserve à l’art. 16 de la convention de Copenhague au moment où elle l’a
ratifiée. Selon cette réserve, « le gouvernement tunisien ne se considère pas lié par les alinéas c, d, f et h de
l’article 16 ». Cette réserve était surtout destinée à préserver au mari sa qualité de chef de famille. Elle signifiait
aussi que « l’épouse n’assumera pas l’autorité au sein de la famille étant donné que le mari monopolise l’autorité
paternelle » (en ce sens, v. H. Chekir, Les réserves présentées par la Tunisie, in La non-discrimination à l’égard des
femmes…, colloque préc., p. 51). Mais cette réserve ne remettait nullement en cause la réglementation égalitaire
de la dissolution du mariage en droit tunisien. La réserve a ensuite été retirée par le décret-loi du 24 oct. 2011
(JORT no 82, p. 246). La notification des réserves au secrétaire général des Nations unies a d’abord été gelée
par les gouvernements de Hammadi Jebali et de Ali Larayedh. Elle n’a eu lieu qu’au mois d’avr. 2014, avec le
gouvernement de Mehdi Jomaa.
(56) Selon le paragraphe 2 de cet article, « les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins
nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres
personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administra-
tives appropriées ». Selon le paragraphe 3 de l’article 3, « les États parties veillent à ce que le fonctionnement des
institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux
normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en
ce qui concerne le nombre et la compétence de leurs personnels ainsi que l’existence d’un contrôle approprié ».
(57) Sur cette question, S. Ben Achour, Enfance disputée, les problèmes juridiques relatifs aux droits de garde et de
visite après divorce dans les relations franco-maghrébines, CPU, 2004.
(58) Civ. 2 mars 2001, no 7286-2000, RJL, janv. 2002, p. 183, Revue tunisienne de droit 2001. 201, note M. Ghazouani.
(59) En ce sens, v. S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères…, préc., p. 133 ; A. Mezghani, Commen-
taires…, p. 199.
(60) Pour une étude d’ensemble sur la fraude, B. Audit, La fraude à la loi, Dalloz, 1974 ; E. Cornut, Théorie critique
de la fraude à la loi. Étude de droit international privé de la famille, préface H. Fulchiron, Defrénois, 2006.
(61) L’article 30 du code de droit international privé dispose que « la fraude à la loi est constituée par le changement
artificiel de l’un des éléments de rattachement relatifs à la situation juridique réelle dans l’intention d’éluder
l’application du droit tunisien ou étranger désigné par la règle de conflit applicable ».
(62) B. Audit et L. D’Avout, Droit international privé, 7e éd., Économica, 2013, nos 297 à 301 ; Y. Loussouarn, P. Bourel
et P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, 10e éd., Précis Dalloz, 2013, no 411 ; P. Mayer et V. Heuzé,
Droit international privé, 11e éd., Domat-Montchrestien, 2014, nos 275 à 283 ; D. Bureau et H. Muir Watt, op.
cit., spéc. nos 428 s.
(63) Selon P. de Vareilles-Sommières, Le forum shopping devant les juridictions françaises, TCFDIP 1998-1999, p. 49, il
convient de distinguer entre le forum shopping bonus et le forum shopping malus.
(64) Sur cette question, v. B. Audit et d’Avout, op. cit., no 298 ; E. Cornut, Forum shopping et abus de choix de for
en droit international privé, JDI 2007. 27 ; P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., no 276 ; D. Bureau et H. Muir Watt, op.
cit., no 267 ; P. de Vareilles-Sommières, art. préc., p. 49.
Les juges tunisiens ne semblent pas que les deux époux divorcent par voie
enclins à recourir au mécanisme de la de consentement mutuel extrajudiciaire
fraude. Il semble qu’une seule décision, en France, et que l’un d’eux saisisse le
rendue par la cour d’appel de Tunis le juge tunisien pour obtenir un divorce
22 février 2005 65 dans un litige relatif à dans des conditions qui lui seraient plus
un contrat refuse l’exequatur en raison favorables.
d’une saisine frauduleuse des juridic-
tions étrangères. Si la décision tunisienne précède la
convention de divorce français, l’article
Le jugement du 14 novembre 2017 exa- 11 du code pourrait inspirer une solu-
miné semble fournir un second exemple. tion pour résoudre le conflit. Ce texte
Pour le juge du tribunal de première prévoit que la décision étrangère ne sera
instance de Tunis, la convention de pas accueillie lorsque « les tribunaux
divorce n’était pas entachée de fraude. tunisiens ont déjà rendu une décision
Il prend soin de vérifier que les deux non susceptible de recours par les voies
époux tunisiens résidaient régulière- ordinaires, sur le même objet, entre les
ment en France, que le mari y travaillait mêmes parties et pour la même cause ».
et que leur fille y était née. C’est dire Il accorde donc la primauté à la décision
que les deux époux n’ont usé d’aucune tunisienne sur la décision étrangère. A
manœuvre frauduleuse, et que c’est tout fortiori, la décision tunisienne antérieure
naturellement en France qu’ils devaient l’emportera sur la simple convention
divorcer. extrajudiciaire.
(65) CA Tunis, 22 févr. 2006, rapporté par L. Chedly et M. Ghazouani, Code annoté, op. cit, p. 263.
(66) P. Hammje, Le divorce par consentement mutuel extrajudiciaire…, art. préc., no 6.
(67) Ibid., no 1.
(68) S. Ben Achour, Les conflits de procédures et de décisions en droit international privé tunisien, RID comp. no 2,
2013. 287.
(69) Civ. mai 1997, no 49-602, RJL janv. 2002. 223 ; Civ. 4 janv. 1999, no 69522-98, RJL janv. 2002. 167.
(70) CA Tunis, 13 avr. 2005, no 15886, cité par L. Chedly et M. Ghazouani, Code annoté, op. cit., p. 302.
(71) A. Boiché, Divorce 229-1 …, art. préc. ; A. Devers, Le divorce sans juge…, art. préc. ; P. Hammje, Le divorce par
consentement mutuel extrajudiciaire…, art. préc. ; M.-L. Niboyet, I. Rein-Lescastereyres et L. Dimitrov, art. préc.
Annexes
Tribunal de première instance de Tunis, 14 novembre 2017, no 86358 72
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