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CLASSIQUES &
Edmond Rostand
Cyrano
de Bergerac
(1897)
TEXTE INTÉGRAL DES ACTESI, II, III ET V
(AVEC UN RÉSUMÉ DE L’ACTEIV)
Notes et dossier
Claire Gauthier,
agrégée de lettres classiques
Laure Péquignot-Grandjean,
certiée de lettres modernes et théâtre
2202 siraP reitaH ©
SOMMAIRE
LAVANTTEXTE
• Qui est l’auteur ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
• Que se passe-t-il à l’époque ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
• Quelle est l’histoire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
• Qui sont les personnages ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
• Entretien avec un metteur en scène . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
LE TEXTE
Acte I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Lecture active 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Lecture active 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Lecture active 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Acte II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Lecture active 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Lecture active 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
Lecture active 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
Acte III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
Lecture active 7 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
Acte IV (résumé) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233
Acte V . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
Lecture active 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
Dé lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272
2
LE PARCOURS DE LECTURE
Une comédie entre rire et larmes
• Repères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276
• Étapes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 280
• Ateliers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 296
LENQUÊTE
La vie quotidienne
sous Louis XIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310
LES ANNEXES
• Lexique littéraire
et dramatique . . . . . . . . . . . . . . . . . 328
• À lire et à voir . . . . . . . . . . . . . . . . 330
3
Cyrano de Bergerac
(1868-1918)
As-tu bien lu ?
4
LAVANTTEXTE
5
Cyrano de Bergerac
• La République triomphante
À la n du e siècle et au début du e siècle, des lois
importantes sont votées : celles sur la liberté de réunion,
de la presse et des syndicats, celle de Jules Ferry sur l’école
laïque, gratuite et obligatoire, et celle sur la séparation
des Églises et de l’État (1905).
La Belle Époque
6
LAVANTTEXTE
7
Cyrano de Bergerac
L’action
8
LAVANTTEXTE
Le but
9
Cyrano de Bergerac
Roxane
Madeleine Robin, dite
Roxane, dont la beauté fait
chavirer les cœurs, est la
cousine de Cyrano. Éprise
de poésie précieuse et de
nobles sentiments, elle rêve
d’avoir un amant qui allierait
la beauté à l’esprit.
10
LAVANTTEXTE
Christian
de Neuvillette
Ce jeune aristocrate,
qui appartient à la même
compagnie de cadets que
Cyrano, est très amoureux
de Roxane.
Cyrano de Bergerac
Gascon er et plein d’esprit, admiré
de ses camarades de la compagnie
des cadets et craint par ses ennemis,
Cyrano aime autant se battre que
composer des vers.
11
Cyrano de Bergerac
Entretien avec un
metteur en scène
Gaspard Baumhauer
•Cyrano
Pourquoi avoir choisi de mettre en scène
deBergerac ?
L’idéal d’une exigence plus haute que notre quotidien résonne
encore aujourd’hui. Cyrano nous permet de montrer qu’il est
possible d’être héroïque sans égoïsme et d’être romantique
sans ridicule.
12
LAVANTTEXTE
•pour
Pourquoi avez-vous choisi un terrain de basket
décor ?
Pour les rappeurs, le coin du terrain de basket, c’est typiquement
le lieu où l’on peut se retrouver pour faire des freestyles (rap d’impro).
C’est un lieu où l’on teste de nouvelles idées, un lieu de partage
artistique.
hatier-clic.fr/8446460
Anthony Martine (Le Bret), Younès Boucif (Cyrano), Nicolas Monsavane (Flanquin),
Samuel Labrousse (Ragueneau) dans Cyrano de Bergerac, mise en scène de Gaspard
Baumhauer, Collectif Chapitre XIII, août 2021.
13
Cyrano (Gérard Depardieu) accompagné
des cadets, dans l’adaptation
cinématographique de Cyrano de Bergerac
réalisé par Jean-Paul Rappeneau, en 1990.
LE TEXTE
Cyrano
de Bergerac
Les personnages
C C D
B D L
C B L
N
U R
C G
U S M
R
U L
L B
U L
C C M M
J J
U
L L
L
L S C
U
D V U
S
U L
U
D L
U
T L
U
M B U
B U
J L U
16
Acte I
U
H B
La salle de l’Hôtel de Bourgogne, en 1640. Sorte de hangar de jeu
de paume aménagé et embelli pour des représentations. La salle est
un carré long ; on la voit en biais, de sorte qu’un de ses côtés forme
le fond qui part du premier plan, à droite, et va au dernier plan, à
gauche, faire angle avec la scène, qu’on aperçoit en pan coupé.
Cette scène est encombrée, des deux côtés, le long des coulisses, par
des banquettes. Le rideau est formé par deux tapisseries qui peuvent
s’écarter. Au-dessus du manteau d’Arlequin, les armes royales. On
descend de l’estrade dans la salle par de larges marches. De chaque
côté de ces marches, la place des violons. Rampe de chandelles.
1. Représenter dans une pièce de théâtre les spectateurs les plus pauvres, qui
une autre pièce de théâtre est un procédé restent debout. Sur les côtés, les deux
courant que l’on appelle « théâtre dans le « galeries latérales » permettent
théâtre ». aux spectateurs plus aisés d’assister
2. L’Hôtel de Bourgogne est un des deux au spectacle assis ; à l’étage supérieur,
théâtres xes qui existent à Paris en 1640. les « loges » sont louées aux plus riches
C’est un théâtre à l’italienne : la scène est d’entre eux. Enn, les « banquettes »,
encadrée d’un « manteau d’Arlequin », situées sur la scène, sont réservées
structure où sont représentés des rideaux aux spectateurs les plus prestigieux.
relevés. La « rampe de chandelles » 3. Le jeu de paume est l’ancêtre du tennis,
et le « lustre » permettent d’assurer que l’on jouait en salle.
l’éclairage, à la bougie. Le « parterre », 4. Armes royales : symboles qui
espace situé devant la scène, accueille représentent la famille royale.
17
Cyrano de Bergerac
S
L , qui arrive peu à peu. C, , , ,
, L , etc., puis , C, B,
, , etc.
On entend derrière la porte un tumulte de voix,
puis un cavalier entre brusquement.
L , le poursuivant.
Holà ! vos quinze sols !
L
J’entre gratis !
L
Pourquoi ?
L
Je suis chevau-léger de la maison du Roi !
L , à un autre cavalier qui vient d’entrer.
Vous ?
D
Je ne paye pas !
L
Mais…
D
Je suis mousquetaire.
P , au deuxième.
On ne commence qu’à deux heures. Le parterre
05 Est vide. Exerçons-nous au fleuret.
Ils font des armes avec des fleurets
qu’ils ont apportés.
U , entrant
Pst… Flanquin ?…
19
Cyrano de Bergerac
20
Acte I
21
Cyrano de Bergerac
22
Acte I
23
Cyrano de Bergerac
U , à un autre,
lui montrant une encoignure élevée.
Tenez, à la première du Cid, j’étais là !
L , faisant avec ses doigts le geste de subtiliser.
Les montres…
L , redescendant, à son fils.
Vous verrez des acteurs très illustres…
L , faisant le geste de tirer par petites secousses furtives.
Les mouchoirs…
L
Montfleury…
Q, criant de la galerie supérieure.
Allumez donc les lustres !
L
30 Bellerose, l’Épy, la Beaupré, Jodelet !
U , au parterre.
Ah ! Voici la distributrice !…
L , paraissant derrière le buet.
Oranges, lait,
Eau de framboise, aigre de cèdre…
Brouhaha à la porte.
24
Acte I
1. Voix de fausset : voix très aiguë. 3. Le marquis déplore que son entrée ne
2. La répartition des spectateurs est faite soit pas assez spectaculaire : il est arrivé
selon le rang social. Le « peuple » reste trop tôt et, comme un simple « drapier »
debout au parterre (d’où l’étonnement (marchand de drap), est passé inaperçu.
du laquais en y voyant le marquis), Pour l’aristocratie, le théâtre est un
les nobles et le public aisé occupent divertissement où l’on vient aussi, dans ses
les loges et les galeries qui orent une plus beaux vêtements, pour se montrer.
meilleure visibilité. 4. Gentilhommes : nobles de haut rang.
Voir aussi note 2 p. 17. 5. Devant que : avant que.
25
Cyrano de Bergerac
U
Console-toi, marquis, car voici l’allumeur !
L , saluant l’entrée de l’allumeur
40 Ah !…
On se groupe autour des lustres qu’il allume. Quelques personnes ont
pris place aux galeries. Lignière entre au parterre, donnant le bras à
Christian de Neuvillette. Lignière, un peu débraillé , figure d’ivrogne
distingué. Christian, vêtu élégamment, mais d’une façon un peu
démodée, paraît préoccupé et regarde les loges.
S
L , C, L,
puis R et L B
C
Lignière !
B, riant.
Pas encor gris !…
1. Au e siècle, les salles sont éclairées à 3. Les vêtements démodés de Christian
la bougie. Les entractes, qui ont lieu toutes montrent qu’il ne connaît pas les
les demi-heures environ, permettent habitudes et les règles de la cour. C’est
de remplacer les bougies consumées et un jeune homme qui fait son entrée dans
de « moucher » (éteindre) régulièrement le monde, ce qui explique que Lignière,
les mèches pour que la fumée ne rende pas plus âgé et plus expérimenté, prenne soin
l’atmosphère irrespirable. de le présenter aux marquis.
2. Débraillé : dont les vêtements sont 4. Gris : ivre, saoul.
en désordre.
26
Acte I
27
Cyrano de Bergerac
P , regardant les personnes qui entrent dans les loges.
Voilà
La présidente Aubry !
L
Oranges, lait…
L , s’accordant.
La… la…
C, à Christian, désignant la salle qui se garnit.
Du monde !
C
Eh ! oui, beaucoup.
P
Tout le bel air !
Ils nomment les femmes à mesure qu’elles entrent, très parées, dans
les loges. Envois de saluts, réponses de sourires.
D
Mesdames
De Guéméné…
C
De Bois-Dauphin…
P
Que nous aimâmes.
B
50 De Chavigny…
28
Acte I
D
Qui de nos cœurs va se jouant !
L
Tiens, monsieur de Corneille est arrivé de Rouen.
L , à son père.
L’Académie est là ?
L
Mais… j’en vois plus d’un membre ;
Voici Boudu, Boissat, et Cureau de la Chambre ;
Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud…
55 Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau !
P
Attention ! nos précieuses prennent place :
Barthénoïde, Urimédonte, Cassandace,
Félixérie…
D , se pâmant.
Ah ! Dieu ! leurs surnoms sont exquis !
Marquis, tu les sais tous ?
P
Je les sais tous, marquis !
29
Cyrano de Bergerac
30
Acte I
1. Rivesalte : vin doux naturel produit sur le 3. Endimanché : soigné, élégant ; se dit
terroir de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). d’un bourgeois qui a mis ses plus beaux
2. Rôtisseur : cuisinier. habits (péjoratif).
31
Cyrano de Bergerac
L
Brave homme, il s’en excuse !… Et pour un triolet
Ne donnâtes-vous pas ?
R
Des petits pains !
L, sévèrement.
Au lait.
– Et le théâtre ! vous l’aimez ?
R
Je l’idolâtre.
L
85 Vous payez en gâteaux vos billets de théâtre !
Votre place, aujourd’hui, là, voyons, entre nous,
Vous a coûté combien ?
R
Quatre flans. Quinze choux.
Il regarde de tous côtés.
Monsieur de Cyrano n’est pas là ? Je m’étonne.
L
Pourquoi ?
R
Montfleury joue !
L
En eet, cette tonne,
33
Cyrano de Bergerac
34
Acte I
1. Êtres sublunaires : êtres qui se trouvent la plus célèbre s’intitule L’Autre Monde
sous la Lune, c’est-à-dire sur Terre. ou les États et Empires de la Lune.
L’expression est un clin d’œil de l’auteur au 2. Hétéroclite : bizarre.
véritable Cyrano de Bergerac, dont l’œuvre
35
Cyrano de Bergerac
R
Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne
105 Le solennel monsieur Philippe de Champaigne ;
Mais bizarre, excessif, extravagant, falot,
Il eût fourni, je pense, à feu Jacques Callot
Le plus fol spadassin à mettre entre ses masques :
Feutre à panache triple et pourpoint à six basques,
110 Cape que par-derrière, avec pompe, l’estoc
Lève, comme une queue insolente de coq,
Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne
Fut et sera toujours l’alme Mère Gigogne,
Il promène en sa fraise à la Pulcinella,
115 Un nez !… Ah ! messeigneurs, quel nez que ce nez-là !…
On ne peut voir passer un pareil nasigère
Sans s’écrier : « Oh ! non, vraiment, il exagère ! »
Puis on sourit, on dit : « Il va l’enlever… » Mais
Monsieur de Bergerac ne l’enlève jamais.
L B, hochant la tête.
120 Il le porte, – et pourfend quiconque le remarque !
R, fièrement.
Son glaive est la moitié des ciseaux de la Parque !
P , haussant les épaules.
Il ne viendra pas !
R
Si !… Je parie un poulet
À la Ragueneau !
L , riant.
Soit !
Rumeurs d’admiration dans la salle. Roxane vient de paraître dans
sa loge. Elle s’assied sur le devant, sa duègne prend place au fond.
Christian, occupé à payer la distributrice, ne regarde pas.
D , avec des petits cris.
Ah ! messieurs ! mais elle est
Épouvantablement ravissante !
P
Une pêche
125 Qui sourirait avec une fraise !
D
Et si fraîche
Qu’on pourrait, l’approchant, prendre un rhume de cœur !
37
Cyrano de Bergerac
38
Acte I
1. Valvert a passé un accord avec 2. Elle n’y souscrit pas : elle n’est pas
De Guiche : s’il épouse Roxane, De Guiche d’accord.
deviendra l’amant de la jeune femme.
39
Cyrano de Bergerac
Acte I, scènes I et 2
O pages 18 à 40
O Voir aussi
étape 1, p. 280
41
Cyrano de Bergerac
S
L , moins L ; G,
V, puis M
U , voyant de Guiche, qui descend de la loge de Roxane,
traverse le parterre, entouré de seigneurs obséquieux,
parmi lesquels le vicomte de Valvert.
Quelle cour, ce de Guiche !
U
Fi !… Encore un Gascon !
L
Le Gascon souple et froid,
Celui qui réussit !… Saluons-le, crois-moi.
Ils vont vers de Guiche.
D
Les beaux rubans ! Quelle couleur, comte de Guiche ?
Baise-moi-ma-mignonne ou bien Ventre-de-Biche ?
D G
150 C’est couleur Espagnol malade.
P
La couleur
Ne ment pas, car bientôt, grâce à votre valeur,
L’Espagnol ira mal, dans les Flandres !
42
Acte I
D G
Je monte
Sur scène. Venez-vous ?
Il se dirige, suivi de tous les marquis et gentilshommes,
vers le théâtre. Il se retourne et appelle.
Viens, Valvert !
C, qui les écoute et les observe,
tressaille en entendant ce nom.
Le vicomte !
Ah ! je vais lui jeter à la face mon…
Il met la main dans sa poche, et y rencontre
celle d’un tire-laine en train de le dévaliser. Il se retourne.
Hein ?
L
155 Ay !…
C, sans le lâcher.
Je cherchais un gant !
L , avec un sourire piteux.
Vous trouvez une main.
Changeant de ton, bas et vite.
Lâchez-moi. Je vous livre un secret.
C, le tenant toujours.
Quel ?
L
Lignière…
Qui vous quitte…
43
Cyrano de Bergerac
C, de même.
Eh ! bien ?
L
… touche à son heure dernière.
Une chanson qu’il fit blessa quelqu’un de grand,
Et cent hommes – j’en suis – ce soir sont postés !…
C
Cent !
160 Par qui ?
L
Discrétion…
C, haussant les épaules.
Oh !
L , avec beaucoup de dignité.
Professionnelle !
C
Où seront-ils postés ?
L
À la porte de Nesle.
Sur son chemin. Prévenez-le !
C, qui lui lâche enfin le poignet.
Mais où le voir !
L
Allez courir tous les cabarets : le Pressoir
D’Or, la Pomme de Pin, la Ceinture qui craque,
165 Les Deux Torches, les Trois Entonnoirs, – et dans chaque,
Laissez un petit mot d’écrit l’avertissant.
44
Acte I
C
Oui, je cours ! Ah ! les gueux ! Contre un seul homme, cent !
Regardant Roxane avec amour.
La quitter… elle !
Regardant avec fureur Valvert.
Et lui !… – Mais il faut que je sauve
Lignière !…
Il sort en courant. – De Guiche, le vicomte, les marquis, tous les
gentilshommes ont disparu derrière le rideau pour prendre place
sur les banquettes de la scène. Le parterre est complètement rempli.
Plus une place vide aux galeries et aux loges.
L
Commencez.
U , dont la perruque s’envole au bout
d’une ficelle, pêchée par un page de la galerie supérieure.
Ma perruque !
C
Il est chauve !…
170 Bravo, les pages !… Ha ! ha ! ha !…
L , furieux, montrant le poing.
Petit gredin !
R , qui commencent très fort et vont décroissant.
HA ! ! ha ! ha ! ha ! ha !
Silence complet.
45
Cyrano de Bergerac
L B, étonné.
Ce silence soudain ?…
Un spectateur lui parle bas.
Ah ?…
L
La chose me vient d’être certifiée.
M, qui courent.
Chut ! – Il paraît ?… Non !… Si ! – Dans la loge grillée.
– Le Cardinal ! – Le Cardinal ! – Le Cardinal !
U
175 Ah ! diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal !…
On frappe sur la scène. Tout le monde s’immobilise. Attente.
L , dans le silence, derrière le rideau.
Mouchez cette chandelle !
U , passant la tête par la fente du rideau.
Une chaise !
Une chaise est passée, de main en main, au-dessus des têtes. Le marquis
la prend et disparaît, non sans avoir envoyé quelques baisers aux loges.
U
Silence !
On refrappe les trois coups. Le rideau s’ouvre. Tableau. Les marquis
assis sur les côtés, dans des poses insolentes. Toile de fond
46
vers 178 à 191 Acte I
hatier-clic.fr/8446460b
48
Mise en scène de Cyrano de Bergerac par Denis Podalydès à la Comédie-Française
(Paris), en 2010.
49
Cyrano de Bergerac
1. Par cette métaphore, Cyrano menace Champeury de lui asséner de nombreux coups
de bâtons. Dans la comédie, c’est le châtiment réservé aux pitres.
50
Acte I
As-tu bien lu ?
Acte I, scène 3
O pages 42 à 50
51
Cyrano de Bergerac
S
L , C, puis B, J
M, aux marquis.
Venez à mon secours,
Messieurs !
U , nonchalamment.
Mais jouez donc !
C
Gros homme, si tu joues
Je vais être obligé de te fesser les joues !
L
Assez !
C
Que les marquis se taisent sur leurs bancs,
195 Ou bien je fais tâter ma canne à leurs rubans !
T , debout.
C’en est trop !… Montfleury…
C
Que Montfleury s’en aille,
Ou bien je l’essorille et le désentripaille !
U
Mais…
52
Acte I
C
Qu’il sorte !
U
Pourtant…
C
Ce n’est pas encor fait ?
Avec le geste de retrousser ses manches.
Bon ! je vais sur la scène, en guise de buet,
200 Découper cette mortadelle d’Italie !
M, rassemblant toute sa dignité.
En m’insultant, Monsieur, vous insultez Thalie !
C, très poli.
Si cette Muse, à qui, Monsieur, vous n’êtes rien,
Avait l’honneur de vous connaître, croyez bien
Qu’en vous voyant si gros et bête comme une urne,
205 Elle vous flanquerait quelque part son cothurne.
L
Montfleury ! Montfleury ! – La pièce de Baro ! –
C, à ceux qui crient autour de lui.
Je vous en prie, ayez pitié de mon fourreau :
Si vous continuez, il va rendre sa lame !
Le cercle s’élargit.
L , reculant.
Hé ! Là !…
53
Cyrano de Bergerac
C, à Montfleury.
Sortez de scène !
L , se rapprochant et grondant.
Oh ! Oh !
C, se retournant vivement.
Quelqu’un réclame ?
Nouveau recul.
U , chantant au fond.
210 Monsieur de Cyrano
Vraiment nous tyrannise,
Malgré ce tyranneau
On jouera La Clorise.
T , chantant.
La Clorise, La Clorise !…
C
215 Si j’entends une fois encor cette chanson,
Je vous assomme tous.
U
Vous n’êtes pas Samson !
C
Voulez-vous me prêter, Monsieur, votre mâchoire ?
U , dans les loges.
C’est inouï !
54
Acte I
U
C’est scandaleux !
U
C’est vexatoire !
U
Ce qu’on s’amuse !
L
Kss ! – Montfleury ! – Cyrano !
C
220 Silence !
L , en délire.
Hi han ! Bêê ! Ouah, ouah ! – Cocorico !
C
Je vous…
U
Miâou !
C
Je vous ordonne de vous taire !
Et j’adresse un défi collectif au parterre !
– J’inscris les noms ! – Approchez-vous, jeunes héros !
Chacun son tour ! Je vais donner des numéros ! –
225 Allons, quel est celui qui veut ouvrir la liste ?
Vous, Monsieur ? Non ! Vous ? Non ! Le premier duelliste,
Je l’expédie avec les honneurs qu’on lui doit !
– Que tous ceux qui veulent mourir lèvent le doigt.
Silence.
55
Cyrano de Bergerac
56
Acte I
M
Je crois,
Messieurs…
C
Deux !
M
Je suis sûr qu’il vaudrait mieux que…
C
Trois !
Montfleury disparaît comme dans une trappe.
Tempête de rires, de siets, de huées.
L
Hu !… hu !… Lâche !… Reviens !…
C, épanoui, se renverse sur sa chaise, et croise ses jambes.
Qu’il revienne, s’il l’ose !
U
L’orateur de la troupe !
Bellerose s’avance et salue.
L
Ah !… Voilà Bellerose !
B, avec élégance.
Nobles seigneurs…
L
Non ! Non ! Jodelet !
ly
on
J s
Il dut sortir !
se
po
L
r
Qu’il rentre !
pu
L
dy
Non !
tu
rs
L
Fo
Si !
U , à Cyrano.
Mais à la fin, Monsieur, quelle raison
Avez-vous de haïr Montfleury ?
C, gracieux, toujours assis.
Jeune oison,
245 J’ai deux raisons, dont chaque est susante seule.
Primo : c’est un acteur déplorable qui gueule,
1. Oison : petit d’une oie. Le mot désigne aussi un homme stupide, car très naïf.
58
Acte I
1. Le duc de Candale est un célèbre mécène 2. Trisse : dise une troisième fois.
de l’époque, c’est-à-dire un protecteur, 3. A le bras long : a beaucoup d’inuence
un « patron » qui nance les artistes. et de pouvoir.
61
Cyrano de Bergerac
62
Acte I
C
Ou crochu comme un bec de hibou ?
L
280 Je…
C
Y distingue-t-on une verrue au bout ?
L
Mais…
C
Ou si quelque mouche, à pas lents, s’y promène ?
Qu’a-t-il d’hétéroclite ?
L
Oh !…
C
Est-ce un phénomène ?
L
Mais d’y porter les yeux j’avais su me garder !
C
Et pourquoi, s’il vous plaît, ne pas le regarder ?
L
285 J’avais…
C
Il vous dégoûte alors ?
1. D’hétéroclite : de bizarre.
63
Cyrano de Bergerac
L
Monsieur…
C
Malsaine
Vous semble sa couleur ?
L
Monsieur !
C
Sa forme, obscène ?
L
Mais pas du tout !…
C
Pourquoi donc prendre un air dénigrant ?
– Peut-être que monsieur le trouve un peu trop grand ?
L , balbutiant.
Je le trouve petit, tout petit, minuscule !
C
290 Hein ? comment ? m’accuser d’un pareil ridicule ?
Petit, mon nez ? Holà !
L
Ciel !
C
Énorme, mon nez !
– Vil camus, sot camard, tête plate, apprenez
Que je m’enorgueillis d’un pareil appendice,
64
Acte I
65
Cyrano de Bergerac
66
vers 309 à 436 Acte I
hatier-clic.fr/8446460b
Agressif : « Moi, monsieur, si j’avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! »
Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse :
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! »
320 Descriptif : « C’est un roc !… c’est un pic !… c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ?… C’est une péninsule ! »
Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ?
D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? »
Gracieux : « Aimez-vous à ce point les oiseaux
325 Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? »
Truculent : « Ça, monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? »
330 Prévenant : « Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! »
Tendre : « Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! »
Pédant : « L’animal seul, monsieur, qu’Aristophane
335 Appelle Hippocampelephantocamélos
Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! »
Cavalier : « Quoi, l’ami, ce croc est à la mode ?
Pour pendre son chapeau, c’est vraiment très commode ! »
Emphatique : « Aucun vent ne peut, nez magistral,
67
Cyrano de Bergerac
69
Cyrano de Bergerac
C
370 Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances.
Je ne m’attife pas ainsi qu’un freluquet,
Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet :
Je ne sortirais pas avec, par négligence,
Un aront pas très bien lavé, la conscience
375 Jaune encor de sommeil dans le coin de son œil,
Un honneur chionné, des scrupules en deuil.
Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise,
Empanaché d’indépendance et de franchise ;
Ce n’est pas une taille avantageuse, c’est
380 Mon âme que je cambre ainsi qu’en un corset,
Et tout couvert d’exploits qu’en rubans je m’attache,
Retroussant mon esprit ainsi qu’une moustache,
Je fais, en traversant les groupes et les ronds,
Sonner les vérités comme des éperons.
L
385 Mais, monsieur…
C
Je n’ai pas de gants ?… La belle aaire !
Il m’en restait un seul… d’une très vieille paire !
70
Acte I
71
Cyrano de Bergerac
72
Acte I
L
Vous…
C
Je vais tout ensemble en faire une et me battre,
Et vous toucher, Monsieur, au dernier vers.
L
Non !
C
Non ?
Déclamant.
« Ballade du duel qu’en l’hôtel bourguignon
405 Monsieur de Bergerac eut avec un bélître ! »
L
Qu’est-ce que c’est que ça, s’il vous plaît ?
C
C’est le titre.
L , surexcitée au plus haut point.
Place ! – Très amusant ! – Rangez-vous ! – Pas de bruits !
Tableau. Cercle de curieux au parterre, les marquis et les ociers mêlés
aux bourgeois et aux gens du peuple ; les pages grimpés sur des épaules
pour mieux voir. Toutes les femmes debout dans les loges. À droite, de
Guiche et ses gentilshommes. À gauche, Le Bret, Ragueneau, Cuigy, etc.
C, fermant une seconde les yeux.
Attendez !… Je choisis mes rimes… Là, j’y suis.
Il fait ce qu’il dit, à mesure.
1. Bélître : coquin.
73
Cyrano de Bergerac
75
Cyrano de Bergerac
Il annonce solennellement.
E
Prince, demande à Dieu pardon !
Je quarte du pied, j’escarmouche,
435 Je coupe, je feinte…
Se fendant.
Hé ! là, donc
Le vicomte chancelle ; Cyrano salue.
À la fin de l’envoi, je touche.
Acclamations. Applaudissements dans les loges. Des leurs
et des mouchoirs tombent. Les oficiers entourent et félicitent
Cyrano. Ragueneau danse d’enthousiasme. Le Bret est heureux
et navré. Les amis du vicomte le soutiennent et l’emmènent.
L , en un long cri.
Ah !…
U
Superbe !
U
Joli !
R
Pharamineux !
U
Nouveau !
L B
Insensé !
Bousculade autour de Cyrano. On entend.
… Compliments… félicite… bravo…
V
C’est un héros !…
U , s’avançant vivement vers Cyrano,
la main tendue.
Monsieur, voulez-vous me permettre ?…
440 C’est tout à fait très bien, et je crois m’y connaître ;
J’ai du reste exprimé ma joie en trépignant !…
Il s’éloigne.
C, à Cuigy.
Comment s’appelle donc ce monsieur ?
C
D’Artagnan.
L B, à Cyrano, lui prenant le bras.
Çà, causons !…
C
Laisse un peu sortir cette cohue…
À Bellerose.
Je peux rester ?
77
Cyrano de Bergerac
B, respectueusement.
Mais oui !…
On entend des cris au-dehors.
J, qui a regardé.
C’est Montfleury qu’on hue !
B, solennellement.
445 Sic transit !…
Changeant de ton, au portier et au moucheur de chandelles.
Balayez. Fermez. N’éteignez pas.
Nous allons revenir, après notre repas,
Répéter pour demain une nouvelle farce.
Jodelet et Bellerose sortent, après de grands saluts à Cyrano.
L , à Cyrano.
Vous ne dînez donc pas ?
C
Moi ?… Non.
Le portier se retire.
L B, à Cyrano.
Parce que ?
C, fièrement.
Parce…
Changeant de ton en voyant que le portier est loin.
Que je n’ai pas d’argent !…
78
Acte I
79
Cyrano de Bergerac
Il va au buet et choisit.
Oh ! peu de chose ! – un grain
De ce raisin…
Elle veut lui donner la grappe, il cueille un grain.
Un seul !… ce verre d’eau…
Elle veut y verser du vin, il l’arrête.
limpide !
460 – Et la moitié d’un macaron !
Il rend l’autre moitié.
L B
Mais c’est stupide !
L
Oh ! quelque chose encore !
C
Oui. La main à baiser.
Il baise, comme la main d’une princesse, la main qu’elle lui tend.
L
Merci, Monsieur.
Révérence.
Bonsoir.
Elle sort.
80
Acte I
As-tu bien lu ?
Acte I, scène 4
O pages 52 à 80
O Voir aussi
étape 2, p. 282
1 Pourquoi Cyrano empêche-t-il Monteury
de jouer ? (deux bonnes réponses)
c Il le juge mauvais acteur.
c Il est jaloux, il veut jouer lui-même.
c Il lui en veut pour une raison secrète.
c Monteury a critiqué son nez.
2 Avec quel argent Cyrano dédommage-t-il le chef de troupe ?
............................................................................................................................................
3 Où Cyrano a-t-il des fourmis ?
c dans le bras c dans le pied c dans son épée
4 Complète puis explique cette célèbre réplique de Cyrano.
« À la n de l’envoi, ....................................................................... »
............................................................................................................................................
5 Ta mission
O Jodelet et Monteury ont
vraiment existé !
a. Fais une petite enquête sur
ces comédiens du e siècle.
b. Rédige une courte biographie
de chacun d’entre eux. Portrait de Jodelet.
81
Cyrano de Bergerac
S
C, L B, puis
C, à Le Bret.
Je t’écoute causer.
Il s’installe devant le buet, et rangeant devant lui le macaron.
Dîner !…
… le verre d’eau.
Boisson !…
… le grain de raisin.
Dessert !…
Il s’assied.
Là, je me mets à table !
– Ah !… j’avais une faim, mon cher, épouvantable !
Mangeant.
465 – Tu disais ?
L B
Que ces fats aux grands airs belliqueux
Te fausseront l’esprit si tu n’écoutes qu’eux !…
Va consulter des gens de bon sens, et t’informe
De l’eet qu’a produit ton algarade.
C, achevant son macaron.
Énorme.
82
Acte I
L B
Le Cardinal…
C, s’épanouissant.
Il était là, le Cardinal ?
L B
470 A dû trouver cela…
C
Mais très original.
L B
Pourtant…
C
C’est un auteur. Il ne peut lui déplaire
Que l’on vienne troubler la pièce d’un confrère.
L B
Tu te mets sur les bras, vraiment, trop d’ennemis !
C, attaquant son grain de raisin.
Combien puis-je, à peu près, ce soir, m’en être mis ?
L B
475 Quarante-huit. Sans compter les femmes.
C
Voyons, compte !
L B
Montfleury, le bourgeois, de Guiche, le vicomte,
Baro, l’Académie…
C
Assez ! tu me ravis !
L B
Mais où te mènera la façon dont tu vis ?
Quel système est le tien ?
C
J’errais dans un méandre ;
480 J’avais trop de partis, trop compliqués, à prendre ;
J’ai pris…
L B
Lequel ?
C
Mais le plus simple, de beaucoup.
J’ai décidé d’être admirable, en tout, pour tout !
L B, haussant les épaules.
Soit ! – Mais enfin, à moi, le motif de ta haine
Pour Montfleury, le vrai, dis-le-moi !
C, se levant.
Ce Silène,
485 Si ventru que son doigt n’atteint pas son nombril,
Pour les femmes encor se croit un doux péril,
Et leur fait, cependant qu’en jouant il bredouille,
Des yeux de carpe avec ses gros yeux de grenouille !…
Et je le hais depuis qu’il se permit, un soir,
85
Cyrano de Bergerac
1. Chez les Romains, Vénus est la déesse 3. Cyrano parle de son nez, qui l’enlaidit
de l’amour, Diane la déesse de la chasse. terriblement.
2. Diaphane : clair au point d’être
transparent.
86
Acte I
1. César et Tite (ou Titus) ont régné sur de César. Bérénice, reine de Palestine,
l’empire de Rome, le premier au er siècle fut aimée de Titus, empereur de Rome.
av. J.-C., le second au er siècle apr. J.-C. 2. Blême : pâle.
Cléopâtre fut reine d’Égypte, et amante 3. Lui parle : parle-lui.
88
Acte I
S
C, L B,
L , avec un grand salut.
De son vaillant cousin on désire savoir
550 Où l’on peut, en secret, le voir.
C, bouleversé.
Me voir ?
L , avec une révérence.
Vous voir.
On a des choses à vous dire.
C
Des ?…
L , nouvelle révérence.
Des choses !
C, chancelant.
Ah ! mon Dieu !
89
Cyrano de Bergerac
L
L’on ira, demain, aux primes roses
D’aurore, – ouïr la messe à Saint-Roch.
C, se soutenant sur Le Bret.
Ah ! mon Dieu !
En sortant, – où peut-on entrer, causer un peu ?
C, aolé.
555 Où ?… Je… mais… Ah ! mon Dieu !…
L
Dites vite.
C
Je cherche !…
L
Où ?…
C
Chez… chez… Ragueneau… le pâtissier…
L
Il perche ?
C
Dans la rue – Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! – Saint-Honoré !…
L , remontant.
On ira. Soyez-y. Sept heures.
1. Aux primes roses : aux premières 3. Saint-Roch est une des églises de Paris.
heures du jour. 4. Il perche : il habite (terme familier).
2. Ouïr : entendre.
90
Acte I
C
J’y serai.
La duègne sort.
S
C, L B, puis , ,
C, B, L, , .
C, tombant dans les bras de Le Bret.
Moi !… D’elle !… Un rendez-vous !…
L B
Eh bien, tu n’es plus triste ?
C
560 Ah ! pour quoi que ce soit, elle sait que j’existe !
L B
Maintenant, tu vas être calme ?
C, hors de lui.
Maintenant…
Mais je vais être frénétique et fulminant !
Il me faut une armée entière à déconfire !
91
Cyrano de Bergerac
92
Acte I
B
Il ne peut rentrer chez lui !
C
Pourquoi ?
L, d’une voix pâteuse,
lui montrant un billet tout chionné.
570 Ce billet m’avertit… cent hommes contre moi…
À cause de… chanson… grand danger me menace…
Porte de Nesle… Il faut, pour rentrer, que j’y passe…
Permets-moi donc d’aller coucher sous… sous ton toit !
C
Cent hommes, m’as-tu dit ? Tu coucheras chez toi !
L, épouvanté.
575 Mais…
C, d’une voix terrible, lui montrant la lanterne allumée
que le portier balance en écoutant curieusement cette scène.
Prends cette lanterne !…
Lignière saisit précipitamment la lanterne.
Et marche ! – Je te jure
Que c’est moi qui ferai ce soir ta couverture !…
Aux ociers.
Vous, suivez à distance, et vous serez témoins !
C
Mais cent hommes !…
C
Ce soir, il ne m’en faut pas moins !
Les comédiens et les comédiennes, descendus de scène,
se sont rapprochés dans leurs divers costumes.
93
Cyrano de Bergerac
L B
Mais pourquoi protéger…
C
Voilà Le Bret qui grogne !
L B
580 Cet ivrogne banal ?…
C, frappant sur l’épaule de Lignière.
Parce que cet ivrogne,
Ce tonneau de muscat, ce fût de rossoli,
Fit quelque chose un jour de tout à fait joli :
Au sortir d’une messe ayant, selon le rite,
Vu celle qu’il aimait prendre de l’eau bénite,
585 Lui que l’eau fait sauver, courut au bénitier,
Se pencha sur sa conque et le but tout entier !…
U , en costume de soubrette.
Tiens ! c’est gentil, cela !
C
N’est-ce pas, la soubrette ?
L , aux autres.
Mais pourquoi sont-ils cent contre un pauvre poète ?
C
Marchons !
Aux ociers.
Et vous, messieurs, en me voyant charger,
590 Ne me secondez pas, quel que soit le danger !
95
Cyrano de Bergerac
96
Acte II
L
La boutique de Ragueneau, rôtisseur-pâtissier, vaste ouvroir au
coin de la rue Saint-Honoré et de la rue de l’Arbre-Sec, qu’on aperçoit
largement au fond, par le vitrage de la porte, grises dans les premières
lueurs de l’aube.
À gauche, premier plan, comptoir surmonté d’un dais en fer
forgé, auquel sont accrochés des oies, des canards, des paons blancs.
Dans de grands vases de faïence, de hauts bouquets de fleurs naïves,
principalement des tournesols jaunes. Du même côté, second plan,
immense cheminée devant laquelle, entre de monstrueux chenets,
dont chacun supporte une petite marmite, les rôtis pleurent dans les
lèchefrites.
À droite, premier plan avec porte. Deuxième plan, un escalier montant
à une petite salle en soupente, dont on aperçoit l’intérieur par des
volets ouverts ; une table y est dressée, un menu lustre flamand y luit :
c’est un réduit où l’on va manger et boire. Une galerie de bois, faisant
suite à l’escalier, semble mener à d’autres petites salles analogues.
Au milieu de la rôtisserie, un cercle de fer que l’on peut faire
descendre avec une corde, et auquel de grosses pièces sont accrochées,
fait un lustre de gibier.
S
R, P, puis L
Ragueneau, à la petite table, écrivant d’un air inspiré,
et comptant sur ses doigts.
P , apportant une pièce montée.
615 Fruits en nougat !
D , apportant un plat.
Flan !
T , apportant un rôti paré de plumes.
Paon !
99
Cyrano de Bergerac
100
Acte II
L
Et les cordes, voyez, en sucre je les fis.
R, lui donnant de l’argent.
635 Va boire à ma santé !
Apercevant Lise qui entre.
Chut ! ma femme ! Circule,
Et cache cet argent !
À Lise, lui montrant la lyre d’un air gêné.
C’est beau ?
L
C’est ridicule !
Elle pose sur le comptoir une pile de sacs en papier.
R
Des sacs ?… Bon. Merci.
Il les regarde.
Ciel ! Mes livres vénérés !
Les vers de mes amis ! déchirés ! démembrés !
Pour en faire des sacs à mettre des croquantes…
640 Ah vous renouvelez Orphée et les bacchantes !
L, sèchement.
Et n’ai-je pas le droit d’utiliser vraiment
Ce que laissent ici, pour unique paiement,
Vos méchants écriveurs de lignes inégales !
R
Fourmi !… n’insulte pas ces divines cigales !
101
Cyrano de Bergerac
L
645 Avant de fréquenter ces gens-là, mon ami,
Vous ne m’appeliez pas bacchante, – ni fourmi !
R
Avec des vers, faire cela !
L
Pas autre chose.
R
Que faites-vous alors, madame, avec la prose ?
S
L , ,
qui viennent d’entrer dans la pâtisserie.
R
Vous désirez, petits ?
P
Trois pâtés.
R, les servant.
Là, bien roux…
650 Et bien chauds.
D
S’il vous plaît, enveloppez-les-nous ?
102
Acte II
1. Ulysse et son épouse Pénélope sont le 3. Sonnet : poème à forme xe, composé
couple mythique de l’Odyssée d’Homère. de deux quatrains et de deux tercets.
Au retour de la guerre de Troie, après un 4. Nicodème est un nom propre devenu
long voyage semé d’embûches, Ulysse nom commun pour désigner un homme
nit par retrouver son royaume d’Ithaque grossier et niais.
et Pénélope qui l’y attendait dèlement. 5. Une crédence : un buet.
2. Phœbus (ou Phébus) est le surnom latin
du dieu grec Apollon.
103
Cyrano de Bergerac
S
R, L, C, puis
C
Quelle heure est-il ?
R, le saluant avec empressement.
Six heures.
C, avec émotion.
Dans une heure !
Il va et vient dans la boutique.
R, le suivant.
Bravo ! J’ai vu…
104
Acte II
C
Quoi donc ?
R
Votre combat !…
C
Lequel ?
R
Celui de l’Hôtel de Bourgogne !
C, avec dédain.
Ah !… Le duel !…
R, admiratif.
Oui, le duel en vers !…
L
Il en a plein la bouche !
C
665 Allons ! tant mieux !
R, se fendant avec une broche qu’il a saisie.
« À la fin de l’envoi, je touche !…
À la fin de l’envoi, je touche !… » Que c’est beau !
Avec un enthousiasme croissant.
« À la fin de l’envoi… »
105
Cyrano de Bergerac
C
Quelle heure, Ragueneau ?
R, restant fendu pour regarder l’horloge.
Six heures cinq !… « … je touche ! »
Il se relève.
… Oh ! faire une ballade !
L, à Cyrano, qui en passant devant son comptoir
lui a serré distraitement la main.
Qu’avez-vous à la main ?
C
Rien. Une estafilade.
R
670 Courûtes-vous quelque péril ?
C
Aucun péril.
L, le menaçant du doigt.
Je crois que vous mentez !
C
Mon nez remuerait-il ?
Il faudrait que ce fût pour un mensonge énorme !
Changeant de ton.
J’attends ici quelqu’un. Si ce n’est pas sous l’orme,
Vous nous laisserez seuls.
106
Acte II
R
C’est que je ne peux pas ;
675 Mes rimeurs vont venir…
L, ironique.
Pour leur premier repas.
C
Tu les éloigneras quand je te ferai signe…
L’heure ?
R
Six heures dix.
C, s’asseyant nerveusement à la table
de Ragueneau et prenant du papier.
Une plume ?…
R, lui orant celle qu’il a à son oreille.
De cygne.
U , superbement moustachu,
entre et d’une voix de stentor.
Salut !
Lise remonte vivement vers lui.
C, se retournant.
Qu’est-ce ?
R
Un ami de ma femme. Un guerrier
Terrible, – à ce qu’il dit !…
ly
on
Six et quart !…
s
C, frappant sa poitrine.
se
… un seul mot de tous ceux que j’ai là !
po
Il reprend la plume.
dy
Eh bien ! écrivons-la,
tu
108
Acte II
S
R, L, , C,
à la petite table, écrivant ; les poètes, vêtus de noir,
les bas tombants, couverts de boue.
L entrant, à Ragueneau.
Les voici, vos crottés !
P , entrant, à Ragueneau.
Confrère !…
D , de même, lui secouant les mains.
Cher confrère !
T
Aigle des pâtissiers !
Il renifle.
Ça sent bon dans votre aire.
Q
690 Ô Phœbus-Rôtisseur !
C
Apollon maître-queux !
R, entouré, embrassé, secoué.
Comme on est tout de suite à son aise avec eux !…
P
Nous fûmes retardés par la foule attroupée
À la porte de Nesle !…
D
Ouverts à coups d’épée,
Huit malandrins sanglants illustraient les pavés !
C, levant une seconde la tête.
695 Huit ?… Tiens, je croyais sept.
Il reprend sa lettre.
R, à Cyrano.
Est-ce que vous savez
Le héros du combat ?
C, négligemment.
Moi ?… Non !
L, au mousquetaire.
Et vous ?
L , se frisant la moustache.
Peut-être !
C, écrivant à part,
on l’entend murmurer de temps en temps.
Je vous aime…
P
Un seul homme, assurait-on, sut mettre
Toute une bande en fuite !…
D
Oh ! c’était curieux
Des piques, des bâtons jonchaient le sol !…
C, écrivant.
… vos yeux…
T
700 On trouvait des chapeaux jusqu’au quai des Orfèvres !
P
Sapristi ! ce dut être un féroce…
C, même jeu.
… vos lèvres…
P
Un terrible géant, l’auteur de ces exploits !
C, même jeu.
… Et je m’évanouis de peur quand je vous vois.
D , happant un gâteau.
Qu’as-tu rimé de neuf, Ragueneau ?
C
… qui vous aime…
Il s’arrête au moment de signer,
et se lève, mettant sa lettre dans son pourpoint.
705 Pas besoin de signer. Je la donne moi-même.
R, au deuxième poète.
J’ai mis une recette en vers.
111
Cyrano de Bergerac
112
Acte II
R
Comment on fait les tartelettes amandines.
Battez, pour qu’ils soient mousseux,
715 Quelques œufs ;
Incorporez à leur mousse
Un jus de cédrat, choisi ;
Versez-y
Un bon lait d’amande douce ;
720 Mettez de la pâte à flan
Dans le flanc
De moules à tartelette ;
D’un doigt preste, abricotez
Les côtés ;
725 Versez goutte à gouttelette
Votre mousse en ces puits, puis
Que ces puits
Passent au four, et, blondines,
Sortant en gais troupelets,
730 Ce sont les
Tartelettes amandines !
L , la bouche pleine.
Exquis ! Délicieux !
U , s’étouant.
Homph !
Ils remontent vers le fond, en mangeant.
C, nettement.
Ragueneau me plaît. C’est pourquoi, dame Lise,
Je défends que quelqu’un le ridicoculise.
L
Mais…
C, qui a élevé la voix
assez pour être entendu du galant.
À bon entendeur…
Il salue le mousquetaire, et va se mettre en observation,
à la porte du fond, après avoir regardé l’horloge.
L, au mousquetaire qui a simplement rendu son salut à Cyrano.
Vraiment, vous m’étonnez !…
745 Répondez… sur son nez…
L
Sur son nez… sur son nez…
Il s’éloigne vivement, Lise le suit.
C, de la porte du fond,
faisant signe à Ragueneau d’emmener les poètes.
Pst !…
R, montrant aux poètes la porte de droite.
Nous serons bien mieux par là…
C, s’impatientant.
Pst ! pst !…
R, les entraînant.
Pour lire
Des vers…
P , désespéré, la bouche pleine.
Mais les gâteaux !…
D
Emportons-les !
Ils sortent tous derrière Ragueneau,
processionnellement, et après avoir fait une rafle de plateaux.
Xavier Gallais (Cyrano), dans la mise en scène de Cyrano de Bergerac par Jacques
Weber au théâtre de Bobigny, en 2001.
4 Ta mission
O Enquête sur les mousquetaires.
Dans la scène 3 apparaît
un mousquetaire.
a. Qu’est-ce qu’un mousquetaire ?
b. Quel auteur a mis à l’honneur
les mousquetaires dans un célèbre
roman ?
Stefano Della Bella (1610-1664),
Mousquetaire à cheval,
1642-1645. Eau-forte sur papier.
117
Cyrano de Bergerac
S
C, R,
C
Je tire
Ma lettre si je sens seulement qu’il y a
Le moindre espoir !…
Roxane, masquée, suivie de la duègne,
paraît derrière le vitrage. Il ouvre vivement la porte.
Entrez !…
Marchant sur la duègne.
Vous, deux mots, duègna !
L
750 Quatre.
C
Êtes-vous gourmande ?
L
À m’en rendre malade.
C, prenant vivement des sacs de papier sur le comptoir.
Bon. Voici deux sonnets de monsieur Benserade…
L , piteuse.
Heu !…
C
… que je vous remplis de darioles.
118
Acte II
1. J’en fais état : je l’apprécie. 4. J’en suis férue : je les aime beaucoup.
2. Saint-Amant et Chapelain étaient 5. Découvert : son chapeau à la main,
d’autres poètes de l’époque. en signe de respect.
3. Poupelin : petit gâteau au beurre.
119
Cyrano de Bergerac
S
C, R, , un instant.
C
Que l’instant entre tous les instants soit béni
Où, cessant d’oublier qu’humblement je respire
Vous venez jusqu’ici pour me dire… me dire ?…
R, qui s’est démasquée.
Mais tout d’abord merci, car ce drôle, ce fat
765 Qu’au brave jeu d’épée, hier, vous avez fait mat,
C’est lui qu’un grand seigneur… épris de moi…
C
De Guiche ?
R, baissant les yeux.
Cherchait à m’imposer… comme mari…
C
Postiche ?
Saluant.
Je me suis donc battu, madame, et c’est tant mieux,
Non pour mon vilain nez, mais bien pour vos beaux yeux.
R
770 Puis… je voulais… Mais pour l’aveu que je viens faire
1. Fat : vaniteux.
2. Vous avez fait mat : vous avez vaincu.
3. Postiche : factice ; c’est-à-dire faux mari, ici.
120
Acte II
122
Anne Brochet (Roxane) et Gérard Depardieu (Cyrano), dans l’adaptation cinémato-
graphique de Cyrano de Bergerac réalisée par Jean-Paul Rappeneau, en 1990.
123
Cyrano de Bergerac
124
Acte II
125
Cyrano de Bergerac
R
Enfin, je l’aime. il faut d’ailleurs que je vous die
Que je ne l’ai jamais vu qu’à la Comédie…
C
Vous ne vous êtes donc pas parlé ?
R
Nos yeux seuls.
C
Mais comment savez-vous, alors ?
R
Sous les tilleuls
810 De la place Royale, on cause… Des bavardes
M’ont renseignée…
C
Il est cadet ?
R
Cadet aux gardes.
C
Son nom ?
R
Baron Christian de Neuvillette.
126
Acte II
C
Hein ?…
Il n’est pas aux cadets.
R
Si, depuis ce matin :
Capitaine Carbon de Castel-Jaloux.
C
Vite,
815 Vite, on lance son cœur !… Mais, ma pauvre petite…
L , ouvrant la porte du fond.
J’ai fini les gâteaux, monsieur de Bergerac !
C
Eh bien ! lisez les vers imprimés sur le sac !
La duègne disparaît.
… Ma pauvre enfant, vous qui n’aimez que beau langage,
Bel esprit, – si c’était un profane, un sauvage ?
R
820 Non, il a les cheveux d’un héros de d’Urfé !
C
S’il était aussi maldisant que bien coié !
R
Non, tous les mots qu’il dit sont fins, je le devine !
C
Oui, tous les mots sont fins quand la moustache est fine.
127
Cyrano de Bergerac
C
C’est bien, je défendrai votre petit baron.
R
Oh ! n’est-ce pas que vous allez me le défendre ?
J’ai toujours eu pour vous une amitié si tendre.
C
840 Oui, oui.
R
Vous serez son ami ?
C
Je le serai.
R
Et jamais il n’aura de duel ?
C
C’est juré.
R
Oh ! je vous aime bien. Il faut que je m’en aille.
Elle remet vivement son masque,
une dentelle sur son front, et distraitement.
Mais vous ne m’avez pas raconté la bataille
De cette nuit. Vraiment ce dut être inouï !…
845 – Dites-lui qu’il m’écrive.
Elle lui envoie un petit baiser de la main.
Oh ! je vous aime !
C
Oui, oui.
129
Cyrano de Bergerac
R
Cent hommes contre vous ? Allons, adieu. – Nous sommes
De grands amis !
C
Oui, oui.
R
Qu’il m’écrive ! – Cent hommes ! –
Vous me direz plus tard. Maintenant, je ne puis.
Cent hommes ! Quel courage !
C, la saluant.
Oh, j’ai fait mieux depuis.
Elle sort. Cyrano reste immobile, les yeux à terre. Un silence.
La porte de droite s’ouvre. Ragueneau passe sa tête.
131
Cyrano de Bergerac
S
C, R, ,
C CJ, , , etc.,
puis G
R
850 Peut-on rentrer ?
C, sans bouger.
Oui…
Ragueneau fait signe et ses amis rentrent. En même temps,
à la porte du fond paraît Carbon de Castel-Jaloux, costume de
capitaine aux gardes, qui fait de grands gestes en apercevant Cyrano.
C CJ
Le voilà !
C, levant la tête.
Mon capitaine…
C, exultant.
Notre héros ! Nous savons tout ! Une trentaine
De mes cadets sont là !…
C, reculant.
Mais…
C, voulant l’entraîner.
Viens ! on veut te voir !
C
Non !
132
Acte II
C
Ils boivent en face, à la Croix du Trahoir.
C
Je…
C, remontant à la porte,
et criant à la cantonade, d’une voix de tonnerre.
Le héros refuse. Il est d’humeur bourrue !
U , au-dehors.
855 Ah ! Sandious !
Tumulte au-dehors, bruit d’épées et de bottes qui se rapprochent.
C, se frottant les mains.
Les voici qui traversent la rue !…
L , entrant dans la rôtisserie.
Mille dioux ! – Capdelious ! – Mordious ! – Pocapdedious !
R, reculant épouvanté.
Messieurs, vous êtes donc tous de Gascogne !
L
Tous !
U , à Cyrano.
Bravo !
C
Baron !
1. La Croix du Trahoir est le nom d’un cabaret 3. Mille dioux […] sont d’autres jurons
parisien de l’époque. gascons.
2. Sandious est un juron gascon, diou étant
une déformation régionale du mot « dieu ».
133
Cyrano de Bergerac
C, épouvanté.
Tu ne leur as pas dit où je me trouve ?…
L B, se frottant les mains.
Si !
U , entrant, suivi d’un groupe.
865 Monsieur, tout le Marais se fait porter ici !
Au-dehors, la rue s’est remplie de monde.
Des chaises à porteurs, des carrosses s’arrêtent.
L B, bas, souriant à Cyrano.
Et Roxane ?
C, vivement.
Tais-toi !
L , criant dehors.
Cyrano !…
Une cohue se précipite dans la pâtisserie.
Bousculade. Acclamations.
R, debout sur une table.
Ma boutique
Est envahie ! On casse tout ! C’est magnifique !
D , autour de Cyrano.
Mon ami… mon ami…
C
Je n’avais pas hier
Tant d’amis !…
135
Cyrano de Bergerac
L B, ravi.
Le succès !
U , accourant, les mains tendues.
Si tu savais, mon cher…
C
870 Si tu ?… Tu ?… Qu’est-ce donc qu’ensemble nous gardâmes ?
U
Je veux vous présenter, Monsieur, à quelques dames
Qui là, dans mon carrosse…
C, froidement.
Et vous d’abord, à moi,
Qui vous présentera ?
L B, stupéfait.
Mais qu’as-tu donc ?
C
Tais-toi !
U , avec une écritoire.
Puis-je avoir des détails sur ?…
C
Non.
L B, lui poussant le coude.
C’est Théophraste
875 Renaudot ! l’inventeur de la gazette.
136
Acte II
C
Baste !
L B
Cette feuille où l’on fait tant de choses tenir !
On dit que cette idée a beaucoup d’avenir !
L , s’avançant.
Monsieur…
C
Encor !
L
Je veux faire un pentacrostiche
Sur votre nom…
Q, s’avançant encore.
Monsieur…
C
Assez !
Mouvement. On se range. De Guiche paraît escorté d’ociers.
Cuigy, Brissaille, les ociers qui sont partis avec Cyrano
à la fin du premier acte. Cuigy vient vivement à Cyrano.
C, à Cyrano.
Monsieur de Guiche
Murmure. Tout le monde se range.
880 Vient de la part du maréchal de Gassion !
D G, saluant Cyrano.
… Qui tient à vous mander son admiration
137
Cyrano de Bergerac
C
Aux cadets, oui.
U , d’une voix terrible.
Chez nous !
D G, regardant les Gascons, rangés derrière Cyrano.
890 Ah ! ah !… Tous ces messieurs à la mine hautaine,
Ce sont donc les fameux ?…
C CJ
Cyrano !
C
Capitaine ?
C
Puisque ma compagnie est, je crois, au complet,
Veuillez la présenter au comte, s’il vous plaît.
C, faisant deux pas vers De Guiche, et montrant les cadets.
Ce sont les cadets de Gascogne
895 De Carbon de Castel-Jaloux ;
Bretteurs et menteurs sans vergogne,
Ce sont les cadets de Gascogne !
Parlant blason, lambel, bastogne,
Tous plus nobles que des filous,
900 Ce sont les cadets de Gascogne
De Carbon de Castel-Jaloux :
Œil d’aigle, jambe de cigogne,
Moustache de chat, dents de loups,
1. « Lambel » et « bastogne » (mot calqué sur baston) sont des termes de « blason »,
ce dernier désignant l’ensemble des armoiries d’une famille noble.
139
Cyrano de Bergerac
C
Non, Monsieur, à personne.
D G
Votre verve amusa mon oncle Richelieu,
Hier. Je veux vous servir auprès de lui.
L B, ébloui.
Grand Dieu !
D G
930 Vous avez bien rimé cinq actes, j’imagine ?
L B, à l’oreille de Cyrano.
Tu vas faire jouer, mon cher, ton Agrippine !
D G
Portez-les-lui.
C, tenté et un peu charmé.
Vraiment…
D G
Il est des plus experts.
Il vous corrigera seulement quelques vers…
C, dont le visage s’est immédiatement rembruni.
Impossible, Monsieur ; mon sang se coagule
935 En pensant qu’on peut y changer une virgule.
D G
Mais quand un vers lui plaît, en revanche, mon cher,
Il le paye très cher.
141
Cyrano de Bergerac
C
Il le paye moins cher
Que moi, lorsque j’ai fait un vers, et que je l’aime,
Je me le paye, en me le chantant à moi-même !
D G
940 Vous êtes fier.
C
Vraiment, vous l’avez remarqué ?
U , entrant avec, enfilés à son épée, des chapeaux
aux plumets miteux, aux coies trouées, défoncées.
Regarde, Cyrano ! ce matin, sur le quai,
Le bizarre gibier à plumes que nous prîmes !
Les feutres des fuyards !…
C
Des dépouilles opimes !
T , riant.
Ah ! Ah ! Ah !
C
Celui qui posta ces gueux, ma foi,
945 Doit rager aujourd’hui.
B
Sait-on qui c’est ?
142
Acte II
D G
C’est moi.
Les rires s’arrêtent.
Je les avais chargés de châtier, – besogne
Qu’on ne fait pas soi-même, – un rimailleur ivrogne.
Silence gêné.
L , à mi-voix, à Cyrano, lui montrant les feutres,
Que faut-il qu’on en fasse ? Ils sont gras… Un salmis ?
C, prenant l’épée où ils sont enfilés, et les faisant,
dans un salut, tous glisser aux pieds de De Guiche.
Monsieur, si vous voulez les rendre à vos amis ?
D G, se levant et d’une voix brève.
950 Ma chaise et mes porteurs, tout de suite : je monte.
À Cyrano, violemment.
Vous, Monsieur !…
U , dans la rue, criant.
Les porteurs de monseigneur le comte
De Guiche !
D G, qui s’est dominé, avec un sourire.
… Avez-vous lu Don Quichot ?
C
Je l’ai lu.
Et me découvre au nom de cet hurluberlu.
D G
Veuillez donc méditer alors…
U , paraissant au fond.
Voici la chaise.
D G
955 Sur le chapitre des moulins !
C, saluant.
Chapitre treize.
D G
Car, lorsqu’on les attaque, il arrive souvent…
C
J’attaque donc des gens qui tournent à tout vent ?
D G
Qu’un moulinet de leurs grands bras chargés de toiles
Vous lance dans la boue !…
C
Ou bien dans les étoiles !
De Guiche sort. On le voit remonter en chaise. Les seigneurs
s’éloignent en chuchotant. Le Bret les réaccompagne. La foule sort.
144
Cyrano (Gérard Depardieu) accompagné des cadets, dans l’adaptation cinémato-
graphique de Cyrano de Bergerac réalisée par Jean-Paul Rappeneau, en 1990.
145
Cyrano de Bergerac
S
C, L B, , qui se sont attablés
à droite et à gauche et auxquels on sert à boire et à manger.
C, saluant d’un air goguenard ceux qui sortent
sans oser le saluer.
960 Messieurs… Messieurs… Messieurs…
L B, désolé, redescendant, les bras au ciel.
Ah ! dans quels jolis draps…
C
Oh ! toi ! tu vas grogner !
L B
Enfin, tu conviendras
Qu’assassiner toujours la chance passagère,
Devient exagéré.
C
Hé bien oui, j’exagère !
L B, triomphant.
Ah !
C
Mais pour le principe, et pour l’exemple aussi,
965 Je trouve qu’il est bon d’exagérer ainsi.
1. Goguenard : moqueur.
146
vers 966 à 1046 Acte II
hatier-clic.fr/8446460d
L B
Si tu laissais un peu ton âme mousquetaire
La fortune et la gloire…
C
Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
970 Et s’en fait un tuteur en lui léchant l’écorce,
Grimper par ruse au lieu de s’élever par force ?
Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? se changer en bouon
Dans l’esprit vil de voir, aux lèvres d’un ministre,
975 Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d’un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? une peau
Qui plus vite, à l’endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?…
980 Non, merci. D’une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l’autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
1. Dans cette tirade, Cyrano expose son intérêt ; « marcher sur le ventre »,
idée de l’honneur : il refuse de se mettre au c’est-à-dire ramper, c’est faire preuve
service d’un noble plus puissant, et de renier de soumission ; « atter la chèvre et
ses convictions, ou de devenir un poète le chou », c’est cultiver des amitiés qui
apprécié dans les salons, mais médiocre. vous seront utiles ; « proposer la rhubarbe
2. Circonvient : entoure. (Le lierre est pour avoir le séné », c’est accepter un
une plante grimpante.) compromis ; « donner de l’encensoir »,
3. Dans cette tirade, Cyrano détourne c’est atter de manière excessive ;
plusieurs expressions imagées : « avaler « rendre à César ce qui est à César »,
un crapaud » (ou une couleuvre), c’est c’est reconnaître ce que son succès doit
faire quelque chose à contrecœur, par à un autre.
147
Cyrano de Bergerac
148
Acte II
149
Cyrano de Bergerac
150
Acte II
As-tu bien lu ?
151
Cyrano de Bergerac
S
C, L B, , C N
U , assis à une table du fond, le verre à la main.
Hé ! Cyrano !
Cyrano se retourne.
Le récit ?
C
Tout à l’heure !
Il remonte au bras de Le Bret. Ils causent bas.
L , se levant et descendant.
Le récit du combat ! Ce sera la meilleure
Leçon
Il s’arrête devant la table où est Christian.
pour ce timide apprentif !
C, levant la tête.
Apprentif ?
U
Oui, septentrional maladif !
C
Maladif ?
P , goguenard.
1050 Monsieur de Neuvillette, apprenez quelque chose :
1. Défuncter : mourir.
2. Linceul : drap qui enveloppe les morts.
153
Cyrano de Bergerac
155
Cyrano de Bergerac
Je…
Puis il se domine, et dit d’une voix sourde.
Très bien…
Il reprend.
Je disais donc…
Avec un éclat de rage dans la voix.
Mordious !…
Il continue d’un ton naturel.
que l’on n’y voyait rien
Stupeur. On se rassied en se regardant.
Et je marchais, songeant que pour un gueux fort mince
J’allais mécontenter quelque grand, quelque prince,
1080 Qui m’aurait sûrement…
C
Dans le nez…
Tout le monde se lève. Christian se balance sur sa chaise.
C, d’une voix étranglée.
Une dent… –
Qui m’aurait une dent… et qu’en somme, imprudent,
J’allais fourrer…
C
Le nez…
C
Le doigt… entre l’écorce
Et l’arbre, car ce grand pouvait être de force
À me faire donner…
C
Sur le nez…
C, essuyant la sueur à son front.
Sur les doigts.
1085 – Mais j’ajoutai : Marche, Gascon, fais ce que dois !
Va, Cyrano ! Et ce disant, je me hasarde,
Quand, dans l’ombre, quelqu’un me porte…
C
Une nasarde.
C
Je la pare, et soudain me trouve…
C
Nez à nez…
C, bondissant vers lui.
Ventre-Saint-Gris !
Tous les Gascons se précipitent pour voir ;
arrivé sur Christian, il se maîtrise et continue.
… avec cent braillards avinés
1090 Qui puaient…
C
À plein nez…
C, blême et souriant.
L’oignon et la litharge !
Je bondis, front baissé…
157
Cyrano de Bergerac
C
Nez au vent !
C
et je charge !
J’en estomaque deux ! J’en empale un tout vif !
Quelqu’un m’ajuste : Paf ! et je riposte…
C
Pif !
C, éclatant.
Tonnerre ! Sortez tous !
ly
Tous les cadets se précipitent vers les portes.
on
s
P
se
C’est le réveil du tigre !
r po
C
pu
D
tu
Bigre !
rs
On va le retrouver en hachis !
Fo
R
En hachis ?
U
Dans un de vos pâtés !
R
Je sens que je blanchis,
Et que je m’amollis comme une serviette !
158
Acte II
Éric Ruf (Christian) et Michel Vuillermoz (Cyrano), dans la mise en scène de Cyrano
de Bergerac par Denis Podalydès à la Comédie-Française (Paris), en 2010.
C
Sortons !
U
Il n’en va pas laisser une miette !
U
1100 Ce qui va se passer ici, j’en meurs d’eroi !
U , refermant la porte de droite.
Quelque chose d’épouvantable !
Ils sont tous sortis, – soit par le fond, soit par les côtés, – quelques-
uns ont disparu par l’escalier. Cyrano et Christian restent
face à face, et se regardent un moment.
S
C, C
C
Embrasse-moi !
C
Monsieur…
C
Brave.
C
Ah çà ! mais !…
C
Très brave. Je préfère.
160
Acte II
C
Me direz-vous ?…
C
Embrasse-moi. Je suis son frère.
C
De qui ?
C
Mais d’elle !
C
Hein ?…
C
Mais de Roxane !
C, courant à lui.
Ciel !
1105 Vous, son frère ?
C
Ou tout comme : un cousin fraternel.
C
Elle vous a ?…
C
Tout dit !
C
M’aime-t-elle ?
C
Peut-être !
161
Cyrano de Bergerac
1. Coi : muet.
162
Acte II
C
Las ! je suis sot à m’en tuer de honte !
C
1115 Mais non, tu ne l’es pas, puisque tu t’en rends compte.
D’ailleurs, tu ne m’as pas attaqué comme un sot.
C
Bah ! on trouve des mots quand on monte à l’assaut !
Oui, j’ai certain esprit facile et militaire,
Mais je ne sais, devant les femmes, que me taire.
1120 Oh ! leurs yeux, quand je passe, ont pour moi des bontés…
C
Leurs cœurs n’en ont-ils plus quand vous vous arrêtez ?
C
Non ! car je suis de ceux, – je le sais… et je tremble ! –
Qui ne savent parler d’amour.
C
Tiens !… Il me semble
Que si l’on eût pris soin de me mieux modeler,
1125 J’aurais été de ceux qui savent en parler.
C
Oh ! pouvoir exprimer les choses avec grâce !
C
Être un joli petit mousquetaire qui passe !
C
Roxane est précieuse et sûrement je vais
Désillusionner Roxane !
1. Las : hélas.
163
Cyrano de Bergerac
164
Acte II
C
Tu me fais peur !
C
Puisque tu crains, tout seul, de refroidir son cœur,
Veux-tu que nous fassions – et bientôt tu l’embrases ! –
Collaborer un peu tes lèvres et mes phrases ?…
C
Tes yeux brillent !…
C
Veux-tu ?…
C
Quoi ! cela te ferait
1145 Tant de plaisir ?…
C, avec enivrement.
Cela…
Se reprenant, et en artiste.
Cela m’amuserait !
C’est une expérience à tenter un poète.
Veux-tu me compléter et que je te complète ?
Tu marcheras, j’irai dans l’ombre à ton côté :
Je serai ton esprit, tu seras ma beauté.
C
1150 Mais la lettre qu’il faut, au plus tôt, lui remettre !
Je ne pourrai jamais…
C, sortant de son pourpoint la lettre qu’il a écrite.
Tiens, la voilà, ta lettre !
165
Cyrano de Bergerac
C
Comment ?
C
Hormis l’adresse, il n’y manque plus rien.
C
Je…
C
Tu peux l’envoyer. Sois tranquille. Elle est bien.
C
Vous aviez ?…
C
Nous avons toujours, nous, dans nos poches,
1155 Des épîtres à des Chloris… de nos caboches,
Car nous sommes ceux-là qui pour amante n’ont
Que du rêve soué dans la bulle d’un nom !…
Prends, et tu changeras en vérités ces feintes ;
Je lançais au hasard ces aveux et ces plaintes :
1160 Tu verras se poser tous ces oiseaux errants.
Tu verras que je fus dans cette lettre – prends ! –
D’autant plus éloquent que j’étais moins sincère !
– Prends donc, et finissons !
C
N’est-il pas nécessaire
De changer quelques mots ? Écrite en divaguant,
1165 Ira-t-elle à Roxane ?
166
Acte II
C
Elle ira comme un gant !
C
Mais…
C
La crédulité de l’amour-propre est telle,
Que Roxane croira que c’est écrit pour elle !
C
Ah ! mon ami !
Il se jette dans les bras de Cyrano. Ils restent embrassés.
S
C, C, ,
, L
U , entrouvrant la porte
Plus rien… Un silence de mort…
Je n’ose regarder…
Il passe la tête.
Hein ?
T , entrant et voyant Cyrano et Christian
qui s’embrassent.
Ah !… Oh !…
1. Ils restent embrassés : ils se serrent dans les bras l’un de l’autre.
167
Cyrano de Bergerac
U
C’est trop fort !
Consternation.
L , goguenard.
1170 Ouais ?…
C
Notre démon est doux comme un apôtre !
Quand sur une narine on le frappe, – il tend l’autre ?
L
On peut donc lui parler de son nez, maintenant ?…
Appelant Lise, d’un air triomphant.
– Eh ! Lise ! Tu vas voir !
Humant l’air avec aectation.
Oh !… Oh !… c’est surprenant !
Quelle odeur !…
Allant à Cyrano, dont il regarde le nez avec impertinence.
Mais monsieur doit l’avoir reniflée ?
1175 Qu’est-ce que cela sent ici ?…
C, le souetant .
La giroflée !
Joie. Les cadets ont retrouvé Cyrano ; ils font des culbutes.
RIDEAU
168
Acte III
L R
Une petite place dans l’ancien Marais. Vieilles maisons. Perspectives
de ruelles. À droite, la maison de Roxane et le mur de son jardin que
débordent de larges feuillages. Au-dessus de la porte, fenêtre et balcon.
Un bac devant le seuil. Du lierre grimpe au mur, du jasmin enguirlande
le balcon, frissonne et retombe.
Par le banc et les pierres en saillie du mur, on peut facilement
grimper au balcon.
En face, une ancienne maison de même style, brique et pierre, avec
une porte d’entrée. Le heurtoir de cette porte est emmailloté de linge
comme un pouce malade.
Au lever de rideau, la duègne est assise sur le banc. La fenêtre est
grande ouverte sur le balcon de Roxane.
Près de la duègne se tient debout Ragueneau, vêtu d’une sorte de
livrée : il termine un récit, en s’essuyant les yeux.
169
Cyrano de Bergerac
S
R, , puis R,
C et
R
… Et puis, elle est partie avec un mousquetaire !
Seul, ruiné, je me pends. J’avais quitté la terre.
Monsieur de Bergerac entre, et, me dépendant,
Me vient à sa cousine orir comme intendant.
L
1180 Mais comment expliquer cette ruine où vous êtes ?
R
Lise aimait les guerriers, et j’aimais les poètes !
Mars mangeait les gâteaux que laissait Apollon :
– Alors, vous comprenez, cela ne fut pas long !
L , se levant et appelant vers la fenêtre ouverte.
Roxane, êtes-vous prête ?… On nous attend !
L R, par la fenêtre.
Je passe
1185 Une mante !
L , à Ragueneau, lui montrant la porte d’en face.
C’est là qu’on nous attend, en face.
170
Acte III
De Gassendi !
L , jouant et chantant.
La ! la !
C, lui arrachant le théorbe et continuant la phrase musicale.
Je peux continuer !
1195 La ! la ! la ! la !
R, paraissant sur le balcon.
C’est vous ?
C, chantant sur l’air qu’il continue.
Moi qui viens saluer
Vos lys, et présenter mes respects à vos ro… ses !
R
Je descends !
Elle quitte le balcon.
L , montrant les pages.
Qu’est-ce donc que ces deux virtuoses ?
C
C’est un pari que j’ai gagné sur d’Assoucy.
Nous discutions un point de grammaire. – Non ! – Si !
1200 Quand soudain me montrant ces deux grands escogries
Habiles à gratter les cordes de leurs gries,
Et dont il fait toujours son escorte, il me dit :
« Je te parie un jour de musique ! » Il perdit.
172
Acte III
173
Cyrano de Bergerac
174
Acte III
C, modeste.
Oh !… un maître !…
R, péremptoire.
Un maître !
C, saluant.
Soit !… un maître !
L , qui était remontée, redescendant vivement.
Monsieur de Guiche !
À Cyrano, le poussant vers la maison.
Entrez… car il vaut mieux, peut-être,
Qu’il ne vous trouve pas ici ; cela pourrait
Le mettre sur la piste…
R, à Cyrano.
Oui, de mon cher secret !
1240 Il m’aime, il est puissant, il ne faut pas qu’il sache !
Il peut dans mes amours donner un coup de hache !
C, entrant dans la maison.
Bien ! bien ! bien !
De Guiche paraît.
S
R, D G, , à l’écart.
R, à De Guiche, lui faisant une révérence.
Je sortais.
D G
Je viens prendre congé.
R
Vous partez ?
D G
Pour la guerre.
R
Ah !
D G
Ce soir même.
R
Ah !
D G
J’ai
Des ordres. On assiège Arras.
R
Ah !… on assiège ?…
1. Prendre congé : faire mes adieux. En 1640, Louis XIII décide d’assiéger
2. Arras, ville du Nord de la France, la ville pour la rattacher au royaume
était sous domination espagnole. de France.
177
Cyrano de Bergerac
D G
1245 Oui… Mon départ a l’air de vous laisser de neige.
R, poliment.
Oh !…
D G
Moi, je suis navré. Vous reverrai-je ?… Quand ?
– Vous savez que je suis nommé mestre de camp ?
R, indiérente.
Bravo.
D G
Du régiment des gardes.
R, saisie.
Ah ! des gardes ?
D G
Où sert votre cousin, l’homme aux phrases vantardes
1250 Je saurai me venger de lui, là-bas.
R, suoquée.
Comment !
Les gardes vont là-bas ?
D G, riant.
Tiens ! c’est mon régiment !
R, tombant assise sur le banc – à part.
Christian !
1. Mestre : maître.
178
Acte III
D G
Qu’avez-vous ?
R, tout émue.
Ce… départ… me désespère !
Quand on tient à quelqu’un, le savoir à la guerre !
D G, surpris et charmé.
Pour la première fois me dire un mot si doux,
1255 Le jour de mon départ !
R, changeant de ton et s’éventant.
Alors, – vous allez vous
Venger de mon cousin ?…
D G, souriant…
On est pour lui ?
R
Non, – contre !
D G
Vous le voyez ?
R
Très peu.
D G
Partout on le rencontre
Avec un des cadets…
Il cherche le nom.
1. De Guiche croit que Roxane parle de lui, alors qu’elle pense à Christian.
La jeune femme entretient volontairement le malentendu tout le reste de la scène,
en utilisant des expressions ambiguës, c’est-à-dire pouvant être interprétées
de deux manières diérentes.
179
Cyrano de Bergerac
R, le regardant.
Quelquefois.
D G, tout près d’elle.
Vous m’aolez ! Ce soir – écoutez – oui, je dois
1280 Être parti. Mais fuir quand je vous sens émue !…
Écoutez. Il y a, près d’ici, dans la rue
D’Orléans, un couvent fondé par le syndic
Des capucins, le Père Athanase. Un laïc
N’y peut entrer. Mais les bons Pères, je m’en charge !
1285 Ils peuvent me cacher dans leur manche : elle est large.
– Ce sont les capucins qui servent Richelieu
Chez lui ; redoutant l’oncle, ils craignent le neveu. –
On me croira parti. Je viendrai sous le masque.
Laissez-moi retarder d’un jour, chère fantasque !
R, vivement.
1290 Mais si cela s’apprend, votre gloire…
D G
Bah !
R
Mais
Le siège, Arras…
D G
Tant pis ! Permettez !
R
Non !
D G
Permets !
R, tendrement.
Je dois vous le défendre !
D G
Ah !
R
Partez !
À part.
Christian reste.
Haut.
Je vous veux héroïque, – Antoine !
D G
Mot céleste !
Vous aimez donc celui ?…
R
Pour lequel j’ai frémi.
D G, transporté de joie.
1295 Ah ! je pars !
Il lui baise la main.
Êtes-vous contente ?
R
Oui, mon ami !
Il sort.
L , lui faisant dans le dos une révérence comique.
Oui, mon ami !
183
Cyrano de Bergerac
R, à la duègne.
Taisons ce que je viens de faire :
Cyrano m’en voudrait de lui voler sa guerre !
Elle appelle vers la maison.
Cousin !
S
R, L , C
R
Nous allons chez Clomire.
Elle désigne la porte d’en face.
Alcandre y doit
Parler, et Lysimon !
L , mettant son petit doigt dans son oreille.
Oui ! mais mon petit doigt
1300 Dit qu’on va les manquer !
C, à Roxane.
Ne manquez pas ces singes.
Ils sont arrivés devant la porte de Clomire.
L , avec ravissement.
Oh ! voyez ! le heurtoir est entouré de linges !…
Au heurtoir.
On vous a bâillonné pour que votre métal
Ne troublât pas les beaux discours – petit brutal !
Elle le soulève avec des soins infinis et frappe doucement.
184
Acte III
C
Chut !…
R
Pas un mot !…
Elle rentre et referme la porte.
C, la saluant, la porte une fois fermée.
En vous remerciant !
La porte se rouvre et Roxane passe la tête.
R
Il se préparerait !…
C
Diable, non !…
T , ensemble.
Chut !…
La porte se ferme.
C, appelant.
Christian !
S
C, C
C, vite, à Christian.
Je sais tout ce qu’il faut. Prépare ta mémoire.
Voici l’occasion de se couvrir de gloire.
Ne perdons pas de temps. Ne prends pas l’air grognon.
1315 Vite, rentrons chez toi, je vais t’apprendre…
186
Acte III
C
Non !
C
Hein ?
C
Non ! J’attends Roxane ici.
C
De quel vertige
Es-tu frappé ? Viens vite apprendre…
C
Non, te dis-je !
Je suis las d’emprunter mes lettres, mes discours,
Et de jouer ce rôle, et de trembler toujours !…
1320 C’était bon au début ! Mais je sens qu’elle m’aime !
Merci. Je n’ai plus peur. Je vais parler moi-même.
C
Ouais !
C
Et qui te dit que je ne saurai pas ?…
Je ne suis pas si bête à la fin ! Tu verras !
Mais, mon cher, tes leçons m’ont été profitables.
1325 Je saurai parler seul ! Et, de par tous les diables,
Je saurai bien toujours la prendre dans mes bras !…
Apercevant Roxane, qui ressort de chez Clomire.
– C’est elle ! Cyrano, non, ne me quitte pas !
C, le saluant.
Parlez tout seul, Monsieur.
Il disparaît derrière le mur du jardin.
187
Cyrano de Bergerac
S
C, R, et ,
et , un instant.
R, sortant de la maison de Clomire avec une compagne
qu’elle quitte : révérences et saluts.
Barthénoïde ! – Alcandre ! –
Grémione !…
L , désespérée.
On a manqué le discours sur le Tendre !
Elle rentre chez Roxane.
R, saluant encore.
1330 Urimédonte !… Adieu !…
Tous saluent Roxane, se resaluent entre eux, se séparent et
s’éloignent par diérentes rues. Roxane voit Christian.
C’est vous !…
Elle va à lui.
Le soir descend.
Attendez. Ils sont loin. L’air est doux. Nul passant.
Asseyons-nous. Parlez. J’écoute.
C s’assied près d’elle, sur le banc. Un silence.
Je vous aime.
R, fermant les yeux.
Oui, parlez-moi d’amour.
188
Acte III
C
Je t’aime.
R
C’est le thème.
Brodez, brodez.
C
Je vous…
R
Brodez !
C
Je t’aime tant.
R
1335 Sans doute. Et puis ?
C
Et puis… Je serais si content
Si vous m’aimiez ! – Dis-moi, Roxane, que tu m’aimes !
R, avec une moue.
Vous m’orez du brouet quand j’espérais des crèmes !
Dites un peu comment vous m’aimez ?…
C
Mais… beaucoup.
R
Oh !… Délabyrinthez vos sentiments !
1. Brodez : développez.
2. Du brouet : de la bouillie.
189
Cyrano de Bergerac
190
Acte III
R
Allez rassembler votre éloquence en fuite !
C
1345 Je…
R
Vous m’aimez, je sais. Adieu.
Elle va vers la maison.
C
Pas tout de suite !
Je vous dirai…
R, poussant la porte pour entrer.
Que vous m’adorez… oui, je sais.
Non ! non ! Allez-vous-en !
C
Mais je…
Elle lui ferme la porte au nez.
C, qui depuis un moment est rentré sans être vu.
C’est un succès.
S
C, C, , un instant.
C
Au secours !
191
Cyrano de Bergerac
C
Non, Monsieur.
C
Je meurs si je ne rentre
En grâce, à l’instant même…
C
Et comment puis-je, diantre !
1350 Vous faire à l’instant même, apprendre ?…
C, lui saisissant le bras.
Oh ! là, tiens, vois !
La fenêtre du balcon s’est éclairée.
C, ému.
Sa fenêtre !
C, criant.
Je vais mourir !
C
Baissez la voix !
C, tout bas.
Mourir !…
C
La nuit est noire…
C
Eh ! bien ?
192
Acte III
C
C’est réparable !
Vous ne méritez pas… Mets-toi là, misérable !
Là, devant le balcon ! Je me mettrai dessous…
1355 Et je te souerai tes mots.
C
Mais…
C
Taisez-vous !
L , reparaissant au fond, à Cyrano.
Hep !
C
Chut !…
Il leur fait signe de parler bas.
P , à mi-voix.
Nous venons de donner la sérénade
À Montfleury !…
C, bas, vite.
Allez vous mettre en embuscade,
L’un à ce coin de rue, et l’autre à celui-ci ;
Et si quelque passant gênant vient par ici,
1360 Jouez un air !
D
Quel air, monsieur le gassendiste ?
193
Cyrano de Bergerac
C
Joyeux pour une femme, et, pour un homme, triste !
Les pages disparaissent, un à chaque coin de rue.
– À Christian.
Appelle-la !
C
Roxane !
C, ramassant des cailloux qu’il jette dans les vitres.
Attends ! Quelques cailloux.
S
R, C, C,
d’abord caché sous le balcon.
R, entrouvrant sa fenêtre.
Qui donc m’appelle ?
C
Moi.
R
Qui moi ?
C
Christian.
R, avec dédain.
C’est vous ?
194
vers 1364 à 1493 Acte III
hatier-clic.fr/8446460e
C
Je voudrais vous parler.
C, sous le balcon, à Christian.
Bien. Bien. Presque à voix basse.
R
1365 Non ! Vous parlez trop mal. Allez-vous-en !
C
De grâce !…
R
Non ! Vous ne m’aimez plus !
C, à qui Cyrano soue ses mots.
M’accuser, – justes dieux ! –
De n’aimer plus… quand… j’aime plus !
R, qui allait refermer sa fenêtre, s’arrêtant.
Tiens, mais c’est mieux !
C, même jeu.
L’amour grandit bercé dans mon âme inquiète…
Que ce… cruel marmot prit pour… barcelonnette !
R, s’avançant sur le balcon.
1370 C’est mieux ! – Mais puisqu’il est cruel, vous fûtes sot
De ne pas, cet amour, l’étouer au berceau !
C, même jeu.
Aussi l’ai-je tenté, mais… tentative nulle :
195
Cyrano de Bergerac
1. Dans son discours, Christian multiplie encore au berceau, deux serpents qu’Héra,
les références à la mythologie. Le « cruel la femme de Zeus, lui avait envoyés pour
marmot » évoque Cupidon, le dieu de le tuer.
l’amour, représenté sous les traits d’un 2. Strangula : étrangla.
petit enfant portant dans son carquois 3. Goutte : maladie provoquant
les èches qui percent le cœur. Hercule, la paralysie des membres inférieurs ;
ls illégitime de Zeus et d’une mortelle, à l’imaginative : à l’imagination.
doué d’une force surhumaine, étrangla,
196
Acte III
C
Ils trouvent tout de suite ? Oh ! cela va de soi,
Puisque c’est dans mon cœur, eux, que je les reçoi ;
Or, moi, j’ai le cœur grand, vous, l’oreille petite.
1385 D’ailleurs vos mots à vous descendent : ils vont vite,
Les miens montent, Madame : il leur faut plus de temps !
R
Mais ils montent bien mieux depuis quelques instants.
C
De cette gymnastique, ils ont pris l’habitude !
R
Je vous parle, en eet, d’une vraie altitude !
C
1390 Certes, et vous me tueriez si de cette hauteur
Vous me laissiez tomber un mot dur sur le cœur !
R, avec un mouvement.
Je descends.
C, vivement.
Non !
R, lui montrant le banc qui est sous le balcon.
Grimpez sur le banc, alors, vite !
C, reculant avec eroi dans la nuit.
Non !
R
Comment… non ?
197
Cyrano de Bergerac
R
Quoi ?
C
… le vertige où tremble
198
Acte III
1. Raillé : moqué.
2. Cueillir la eurette : tenir des discours galants.
199
Cyrano de Bergerac
C
Ce soir, dédaignons-la !
R
Vous ne m’aviez jamais parlé comme cela !
C
1420 Ah ! si, loin des carquois, des torches et des flèches,
On se sauvait un peu vers des choses… plus fraîches !
Au lieu de boire goutte à goutte, en un mignon
Dé à coudre d’or fin, l’eau fade du Lignon,
Si l’on tentait de voir comment l’âme s’abreuve
1425 En buvant largement à même le grand fleuve !
R
Mais l’esprit ?…
C
J’en ai fait pour vous faire rester
D’abord, mais maintenant ce serait insulter
Cette nuit, ces parfums, cette heure, la Nature,
Que de parler comme un billet doux de Voiture !
1430 – Laissons, d’un seul regard de ses astres, le ciel
Nous désarmer de tout notre artificiel :
Je crains tant que parmi notre alchimie exquise
Le vrai du sentiment ne se volatilise,
Que l’âme ne se vide à ces passe-temps vains,
1435 Et que le fin du fin ne soit la fin des fins !
R
Mais l’esprit ?…
C
Je le hais dans l’amour ! C’est un crime
Lorsqu’on aime, de trop prolonger cette escrime !
Le moment vient d’ailleurs inévitablement,
– Et je plains ceux pour qui ne vient pas ce moment ! –
1440 Où nous sentons qu’en nous un amour noble existe
Que chaque joli mot que nous disons rend triste !
R
Eh bien ! si ce moment est venu pour nous deux,
Quels mots me direz-vous ?
C
Tous ceux, tous ceux, tous ceux
Qui me viendront, je vais vous les jeter, en toue,
1445 Sans les mettre en bouquets : je vous aime, j’étoue,
Je t’aime, je suis fou, je n’en peux plus, c’est trop ;
Ton nom est dans mon cœur comme dans un grelot,
Et comme tout le temps, Roxane, je frissonne,
Tout le temps, le grelot s’agite, et le nom sonne !
1450 De toi, je me souviens de tout, j’ai tout aimé :
Je sais que l’an dernier, un jour, le douze mai,
Pour sortir le matin tu changeas de coiure !
J’ai tellement pris pour clarté ta chevelure
Que comme lorsqu’on a trop fixé le soleil,
1455 On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil,
Sur tout, quand j’ai quitté les feux dont tu m’inondes,
Mon regard ébloui pose des taches blondes !
1. Vermeil : rouge.
201
Cyrano de Bergerac
R
1480 Oui, je tremble, et je pleure, et je t’aime, et suis tienne !
Et tu m’as enivrée !
C
Alors, que la mort vienne !
Cette ivresse, c’est moi, moi, qui l’ai su causer !
Je ne demande plus qu’une chose…
C, sous le balcon.
Un baiser !
R, se rejetant en arrière.
Hein ?
C
Oh !
R
Vous demandez ?
C
Oui… je…
À Christian, bas.
Tu vas trop vite.
C
1485 Puisqu’elle est si troublée, il faut que j’en profite !
C, à Roxane.
Oui, je… j’ai demandé, c’est vrai… mais justes cieux !
Je comprends que je fus bien trop audacieux.
R, un peu déçue.
Vous n’insistez pas plus que cela ?
203
Cyrano de Bergerac
C
Si ! j’insiste…
Sans insister !… Oui, oui ! votre pudeur s’attriste !
1490 Eh bien ! mais, ce baiser… ne me l’accordez pas !
C, à Cyrano, le tirant par son manteau.
Pourquoi ?
C
Tais-toi, Christian !
R, se penchant.
Que dites-vous tout bas ?
C
Mais d’être allé trop loin, moi-même je me gronde ;
Je me disais : tais-toi, Christian !…
Les théorbes se mettent à jouer.
Une seconde !…
On vient !
Roxane referme la fenêtre. Cyrano écoute les théorbes,
dont l’un joue un air folâtre et l’autre un air lugubre.
Air triste ? Air gai ?… Quel est donc leur dessein ?
1495 Est-ce un homme ? Une femme ? – Ah ! c’est un capucin !
Entre un capucin qui va de maison en maison,
une lanterne à la main, regardant les portes.
204
Françoise Gillard (Roxane), Michel Vuillermoz (Cyrano) et Éric Ruf (Christian),
dans la mise en scène de Cyrano de Bergerac par Denis Podalydès à la Comédie-Française
(Paris), en 2010.
205
Cyrano de Bergerac
206
Acte III
As-tu bien lu ?
............................................................................................................................................
3 Que se passe-t-il à partir du vers 1378 ?
c Cyrano se met à parler à la place de Christian.
c Roxane aperçoit Cyrano et Christian à la lumière de la lune.
c Christian arrive à trouver les mots justes.
4 Ta mission
O La carte d’un pays imaginaire.
Au début de la scène 5, la Duègne
est déçue d’avoir « manqué le
discours sur le Tendre » (v. 1327).
Fais une recherche :
a. Qu’est-ce que la carte de Tendre ?
b. Que te dit-elle du personnage
de Roxane ? Carte du Pays de Tendre, Paris,
1856. BnF.
207
Cyrano de Bergerac
S
C, C,
C, au capucin.
Quel est ce jeu renouvelé de Diogène?
L
Je cherche la maison de madame…
C
Il nous gêne !
ly
on
L s
Magdeleine Robin…
se
po
C
r
pu
Que veut-il ?…
dy
Par ici !
rs
L
Je vais pour vous – merci :
1500 Dire mon chapelet jusqu’au grain majuscule.
Il sort.
208
Acte III
C
Bonne chance ! Mes vœux suivent votre cuculle !
Il redescend vers Christian.
S
C, C, R
R, s’avançant sur le balcon.
C’est vous ?
Nous parlions de… de… d’un…
C
Baiser. Le mot est doux.
Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l’ose ;
S’il la brûle déjà, que sera-ce la chose ?
1510 Ne vous en faites pas un épouvantement :
N’avez-vous pas tantôt, presque insensiblement,
Quitté le badinage et glissé sans alarmes
Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes !
Glissez encore un peu d’insensible façon :
1515 Des larmes au baiser il n’y a qu’un frisson !
R
Taisez-vous !
C
Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ?
Un serment fait d’un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer ;
1520 C’est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille,
211
Cyrano de Bergerac
212
Acte III
1. Se leurre : s’illusionne.
2. Feint : fait semblant.
213
Cyrano de Bergerac
S
C, C, R,
, R
L
C’est ici – je m’obstine –
Magdeleine Robin !
C
Vous aviez dit : Ro-lin.
L
Non : bin. B, i, n, bin !
R, paraissant sur le seuil de la maison,
suivie de Ragueneau, qui porte une lanterne, et de Christian.
Qu’est-ce ?
L
Une lettre.
C
Hein ?
L , à Roxane.
Oh ! il ne peut s’agir que d’une sainte chose !
C’est un digne seigneur qui…
R, à Christian.
C’est De Guiche !
C
Il ose ?…
214
Acte III
R
1550 Oh ! mais il ne va pas m’importuner toujours !
Décachetant la lettre.
Je t’aime, et si…
À la lueur de la lanterne de Ragueneau, elle lit,
à l’écart, à voix basse.
« Mademoiselle,
Les tambours
Battent ; mon régiment boucle sa soubreveste ;
Il part ; moi, l’on me croit déjà parti : je reste.
Je vous désobéis. Je suis dans ce couvent.
1555 Je vais venir, et vous le mande auparavant
Par un religieux simple comme une chèvre
Qui ne peut rien comprendre à ceci. Votre lèvre
M’a trop souri tantôt : j’ai voulu la revoir.
Éloignez un chacun, et daignez recevoir
1560 L’audacieux déjà pardonné, je l’espère,
Qui signe votre très… et cætera… »
Au capucin.
Mon père,
Voici ce que me dit cette lettre. Écoutez.
Tous se rapprochent, elle lit à haute voix .
« Mademoiselle,
Il faut souscrire aux volontés
Du Cardinal, si dur que cela vous puisse être.
1565 C’est la raison pourquoi j’ai fait choix, pour remettre
1. Une soubreveste : un long vêtement sans en changeant le contenu : elle fait dire
manche que portent les mousquetaires. à ce dernier qu’il souhaite qu’elle épouse
2. Vous le mande : vous en informe. Christian. Elle n’oublie pas, au passage,
3. Simple : bête. de atter le religieux, et de lui promettre
4. Pour tromper le capucin, Roxane une récompense.
lit la lettre écrite par De Guiche 5. Souscrire aux volontés : obéir aux ordres.
215
Cyrano de Bergerac
R, vivement.
Post-scriptum :
1580 « Donnez pour le couvent cent vingt pistoles. »
L
Digne,
Digne seigneur !
À Roxane.
Résignez-vous !
R, en martyre.
Je me résigne !
Pendant que Ragueneau ouvre la porte au capucin que Christian
invite à entrer, elle dit bas à Cyrano :
Vous, retenez ici De Guiche ! Il va venir !
Qu’il n’entre pas tant que…
C
Compris !
Au capucin.
Pour les bénir
Il vous faut ?…
L
Un quart d’heure.
C, les poussant tous vers la maison.
Allez ! moi, je demeure !
R, à Christian.
1585 Viens !…
Ils entrent.
S
C, seul.
C
Comment faire perdre à De Guiche un quart d’heure ?
Il se précipite sur le banc, grimpe au mur, vers le balcon.
Là !… Grimpons !… J’ai mon plan !…
Les théorbes se mettent à jouer une phrase lugubre.
Ho ! c’est un homme !
Le trémolo devient sinistre.
Ho ! ho !
Cette fois, c’en est un !…
Il est sur le balcon, il rabaisse son feutre sur ses yeux, ôte son épée,
se drape dans sa cape, puis se penche et regarde au-dehors.
Non, ce n’est pas trop haut !…
Il enjambe les balustres et attirant à lui la longue branche d’un
des arbres qui débordent le mur du jardin, il s’y accroche des deux
mains, prêt à se laisser tomber.
Je vais légèrement troubler cette atmosphère !…
S
C, D G
D G, qui entre, masqué, tâtonnant dans la nuit.
Qu’est-ce que ce maudit capucin peut bien faire ?
218
Acte III
C
1590 Diable ! et ma voix ?… S’il la reconnaissait ?
Lâchant d’une main, il a l’air de tourner une invisible clef.
Cric ! crac !
Solennellement.
Cyrano, reprenez l’accent de Bergerac !…
D G, regardant la maison.
Oui, c’est là. J’y vois mal. Ce masque m’importune !
Il va pour entrer. Cyrano saute du balcon en se tenant à la branche,
qui plie et le dépose entre la porte et De Guiche ; il feint de tomber
lourdement, comme si c’était de très haut, et s’aplatit
par terre, où il reste immobile, comme étourdi.
De Guiche fait un bond en arrière.
Hein ? Quoi ?
Quand il lève les yeux, la branche s’est redressée ;
il ne voit que le ciel ; il ne comprend pas.
D’où tombe donc cet homme ?
C, se mettant sur son séant, et avec l’accent de Gascogne.
De la lune !
D G
De la ?…
C
Quelle heure est-il ?
D G
N’a-t-il plus sa raison ?
219
Cyrano de Bergerac
C
1595 Quelle heure ? Quel pays ? Quel jour ? Quelle saison ?
D G
Mais…
C
Je suis étourdi !
D G
Monsieur…
C
Comme une bombe
Je tombe de la lune !
D G, impatienté.
Ah çà ! Monsieur !
C, se relevant, d’une voix terrible.
J’en tombe !
D G, reculant.
Soit ! soit ! vous en tombez !… c’est peut-être un dément !
C, marchant sur lui.
Et je n’en tombe pas métaphoriquement !…
D G
1600 Mais…
C
Il y a cent ans, ou bien une minute,
1. Venise, Gênes (ou Gêne) sont des villes 2. Une dame m’attend / Je suis donc à
d’Italie célèbres pour leur carnaval. Paris : Paris est considéré comme la ville
de la galanterie par excellence.
3. Éther : air des espaces célestes.
222
Acte III
223
Cyrano de Bergerac
D G, découragé.
C’est un fou !
C, dédaigneux.
Je n’ai pas refait l’aigle stupide
1645 De Regiomontanus, ni le pigeon timide
D’Archytas!…
D G
C’est un fou – mais c’est un fou savant.
C
Non, je n’imitai rien de ce qu’on fit avant !
De Guiche a réussi à passer et il marche vers la porte de Roxane.
Cyrano le suit, prêt à l’empoigner.
J’inventai six moyens de violer l’azur vierge !
D G, se retournant.
Six ?
C, avec volubilité.
Je pouvais, mettant mon corps nu comme un cierge,
1650 Le caparaçonner de fioles de cristal
Toutes pleines des pleurs d’un ciel matutinal,
Et ma personne, alors, au soleil exposée,
L’astre l’aurait humée en humant la rosée !
D G, surpris et faisant un pas vers Cyrano.
Tiens ! Oui, cela fait un !
225
Cyrano de Bergerac
227
Cyrano de Bergerac
C
Vous devinez ?
D G
Non !
C
La marée !…
À l’heure où l’onde par la lune est attirée,
Je me mis sur le sable – après un bain de mer –
Et la tête partant la première, mon cher
1680 – Car les cheveux, surtout, gardent l’eau dans leur frange ! –
Je m’enlevai dans l’air, droit, tout droit, comme un ange.
Je montais, je montais, doucement, sans eorts,
Quand je sentis un choc !… Alors…
D G, entraîné par la curiosité et s’asseyant sur le banc.
Alors ?
C
Alors…
Reprenant sa voix naturelle.
Le quart d’heure est passé, Monsieur, je vous délivre :
1685 Le mariage est fait.
D G, se relevant d’un bond.
Çà, voyons, je suis ivre !…
Cette voix ?
La porte de la maison s’ouvre, des laquais paraissent
portant des candélabres allumés. Lumière.
Cyrano ôte son chapeau au bord abaissé.
Et ce nez !… Cyrano ?
C, saluant.
Cyrano.
– Ils viennent à l’instant d’échanger leur anneau.
D G
Qui cela ?
Il se retourne. – Tableau. Derrière les laquais, Roxane et Christian
se tiennent par la main. Le capucin les suit en souriant.
Ragueneau élève aussi un flambeau. La duègne ferme la marche,
ahurie, en petit saut-de-lit.
Ciel !
S
L , R, C,
L , R, L, L
D G, à Roxane.
Vous !
Reconnaissant Christian avec stupeur.
Lui ?
Saluant Roxane avec admiration.
Vous êtes des plus fines !
À Cyrano.
Mes compliments, Monsieur l’inventeur des machines :
1690 Votre récit eût fait s’arrêter au portail
1. Saut-de-lit : peignoir.
229
Cyrano de Bergerac
1. Encore une allusion à l’Histoire comique 2. Sans doute : sans aucun doute.
des États et Empires de la Lune, de l’écrivain
Cyrano de Bergerac.
230
Acte III
231
Cyrano de Bergerac
C
J’essaierai… mais ne peux cependant
Promettre…
R, même jeu.
Promettez qu’il sera très prudent !
C
Oui, je tâcherai, mais…
R, même jeu.
Qu’à ce siège terrible
Il n’aura jamais froid !
C
Je ferai mon possible.
1710 Mais…
R, même jeu.
Qu’il sera fidèle !
C
Eh oui ! sans doute, mais…
R, même jeu.
Qu’il m’écrira souvent !
C, s’arrêtant.
Ça – je vous le promets !
RIDEAU
232
Résumé de l’acte IV
L G
L’acte IV met en scène le siège d’Arras. Cyrano, fidèle à sa promesse,
écrit tous les jours de longues lettres d’amour à Roxane au nom de
Christian. Celui-ci voudrait avouer la vérité à la jeune femme mais
Cyrano l’en dissuade. C’est alors que le jeune homme est blessé au
combat, le jour même où Roxane parvient à le rejoindre. Il meurt
dans ses bras en pensant qu’elle l’aime pour sa beauté. Roxane ignore
toujours que Cyrano est l’auteur des lettres.
234
Acte V
toute la scène, craquent sous les pas dans les allées, couvrent à demi
le perron et les bancs.
Entre le banc de droite et l’arbre, un grand métier à broder devant
lequel une petite chaise a été apportée. Paniers pleins d’écheveaux et
de pelotons. Tapisserie commencée.
Au lever du rideau, des sœurs vont et viennent dans le parc ; quelques-
unes sont assises sur le banc autour d’une religieuse plus âgée. Des
feuilles tombent.
S
M M, M,
C,
S M, à Mère Marguerite.
Sœur Claire a regardé deux fois comment allait
Sa cornette, devant la glace.
M M, à sœur Claire.
C’est très laid.
S C
Mais sœur Marthe a repris un pruneau de la tarte,
1715 Ce matin : je l’ai vu.
237
Cyrano de Bergerac
S M
Mais chaque samedi, quand il vient d’un air fier,
Il me dit en entrant : « Ma sœur, j’ai fait gras, hier ! »
M M
Ah ! il vous dit cela ?… Eh bien ! la fois dernière
Il n’avait pas mangé depuis deux jours.
S M
Ma Mère !
M M
1740 Il est pauvre.
S M
Qui vous l’a dit ?
M M
Monsieur Le Bret.
S M
On ne le secourt pas ?
M M
Non, il se fâcherait.
Dans une allée du fond, on voit apparaître Roxane, vêtue de noir,
avec la coie des veuves et de longs voiles ;
De Guiche, magnifique et vieillissant, marche auprès d’elle.
Ils vont à pas lents. Mère Marguerite se lève.
Allons, il faut rentrer… Madame Madeleine,
Avec un visiteur, dans le parc se promène.
1. J’ai fait gras : j’ai mangé de la viande, alors que les chrétiens
doivent jeûner le vendredi.
238
Acte V
S
R, G, G,
puis L B et R
L
Et vous demeurez ici, vainement blonde,
Toujours en deuil ?
R
Toujours.
239
Cyrano de Bergerac
L
Aussi fidèle ?
R
Aussi.
L , après un temps.
Vous m’avez pardonné ?
R, simplement, regardant la croix du couvent.
Puisque je suis ici.
Nouveau silence.
L
1750 Vraiment c’était un être ?…
R
Il fallait le connaître !
L
Ah ! Il fallait ?… je l’ai trop peu connu, peut-être !
… Et son dernier billet, sur votre cœur, toujours ?
R
Comme un doux scapulaire, il pend à ce velours.
L
Même mort, vous l’aimez ?
R
Quelquefois il me semble
1755 Qu’il n’est mort qu’à demi, que nos cœurs sont ensemble,
Et que son amour flotte, autour de moi, vivant !
240
Acte V
241
Cyrano de Bergerac
L , hautainement.
Je sais, oui : j’ai tout ; il n’a rien…
1785 Mais je lui serrerais volontiers la main.
Saluant Roxane.
Adieu.
R
Je vous conduis.
Le duc salue Le Bret et se dirige avec Roxane vers le perron.
L , s’arrêtant, tandis qu’elle monte.
Oui, parfois, je l’envie.
– Voyez-vous, lorsqu’on a trop réussi sa vie,
On sent, – n’ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal ! –
Mille petits dégoûts de soi, dont le total
1790 Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure ;
Et les manteaux de duc traînent, dans leur fourrure,
Pendant que des grandeurs on monte les degrés,
Un bruit d’illusions sèches et de regrets,
Comme, quand vous montez lentement vers ces portes,
1795 Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes.
R, ironique.
Vous voilà bien rêveur ?…
L
Eh ! oui !
Au moment de sortir, brusquement.
Monsieur Le Bret !
À Roxane.
Vous permettez ? Un mot.
Il va à Le Bret, et à mi-voix.
C’est vrai : nul n’oserait
Attaquer votre ami ; mais beaucoup l’ont en haine ;
Et quelqu’un me disait, hier, au jeu, chez la Reine :
1800 « Ce Cyrano pourrait mourir d’un accident. »
L B
Ah ?
L
Oui. Qu’il sorte peu. Qu’il soit prudent.
L B, levant les bras au ciel.
Prudent !
Il va venir. Je vais l’avertir. Oui, mais !…
R, qui est restée sur le perron, à une sœur
qui s’avance vers elle.
Qu’est-ce ?
L
Ragueneau veut vous voir, Madame.
R
Qu’on le laisse
Entrer.
Au duc et à Le Bret.
Il vient crier misère. Étant un jour
1805 Parti pour être auteur, il devint tour à tour
Chantre…
L B
Étuviste…
R
Acteur…
L B
Bedeau…
R
Perruquier…
L B
Maître
Du théorbe…
R
Aujourd’hui, que pourrait-il bien être ?
R, entrant précipitamment.
Ah ! Madame !
Il aperçoit Le Bret.
Monsieur !
R, souriant.
Racontez vos malheurs
À Le Bret. Je reviens.
R
Mais, Madame…
Roxane sort sans l’écouter, avec le duc. Il redescend vers Le Bret.
245
Cyrano de Bergerac
S
L B, R
R
D’ailleurs,
1810 Puisque vous êtes là, j’aime mieux qu’elle ignore !
– J’allais voir votre ami tantôt. J’étais encore
À vingt pas de chez lui… quand je le vois de loin,
Qui sort. Je veux le joindre. Il va tourner le coin
De la rue… et je cours… lorsque d’une fenêtre
1815 Sous laquelle il passait – est-ce un hasard ?… peut-être ! –
Un laquais laisse choir une pièce de bois.
L B
Les lâches !… Cyrano !
R
J’arrive et je le vois…
L B
C’est areux !
R
Notre ami, Monsieur, notre poète,
Je le vois, là, par terre, un grand trou dans la tête !
L B
1820 Il est mort ?
1. Tantôt : ce matin.
2. Choir : tomber.
246
Acte V
R
Non ! mais… Dieu ! je l’ai porté chez lui.
Dans sa chambre… Ah ! sa chambre ! il faut voir ce réduit !
L B
Il soure ?
R
Non, Monsieur, il est sans connaissance.
L B
Un médecin ?
R
Il en vint un par complaisance.
L B
Mon pauvre Cyrano ! – Ne disons pas cela
1825 Tout d’un coup à Roxane ! – Et ce docteur ?
R
Il a
Parlé, – je ne sais plus, – de fièvre, de méninges !…
Ah ! si vous le voyiez – la tête dans des linges !…
Courons vite ! – Il n’y a personne à son chevet ! –
C’est qu’il pourrait mourir, Monsieur, s’il se levait !
L B, l’entraînant vers la droite.
1830 Passons par là ! Viens, c’est plus court ! Par la chapelle !
R, paraissant sur le perron et voyant Le Bret s’éloigner
par la colonnade qui mène à la petite porte de la chapelle.
Monsieur Le Bret !
1. De méninges : du cerveau.
247
Cyrano de Bergerac
S
R seule, puis , un instant.
R
Ah ! que ce dernier jour de septembre est donc beau !
Ma tristesse sourit. Elle qu’Avril ousque,
1835 Se laisse décider par l’automne, moins brusque.
Elle s’assied à son métier. Deux sœurs sortent de la maison
et apportent un grand fauteuil sous l’arbre.
Ah ! voici le fauteuil classique où vient s’asseoir
Mon vieil ami !
S M
Mais c’est le meilleur du parloir !
R
Merci, ma sœur.
Les sœurs s’éloignent.
Il va venir.
Elle s’installe. On entend sonner l’heure.
Là… l’heure sonne.
– Mes écheveaux ! – L’heure a sonné ? Ceci m’étonne !
S
R, C, et, un moment, M
R, sans se retourner.
Qu’est-ce que je disais ?…
Et elle brode. Cyrano, très pâle, le feutre enfoncé sur les yeux, paraît.
La sœur qui l’a introduit rentre. Il se met à descendre le perron
lentement, avec un eort visible pour se tenir debout,
et en s’appuyant sur sa canne. Roxane travaille à sa tapisserie.
Ah ! ces teintes fanées…
Comment les rassortir ?
À Cyrano, sur un ton d’amicale gronderie.
Depuis quatorze années,
249
Cyrano de Bergerac
250
Acte V
Au réfectoire
Vous viendrez tout à l’heure, et je vous ferai boire
Un grand bol de bouillon… Vous viendrez ?
C
Oui, oui, oui.
S M
1865 Ah ! vous êtes un peu raisonnable, aujourd’hui !
R, qui les entend chuchoter.
Elle essaie de vous convertir ?
S M
Je m’en garde !
C
Tiens, c’est vrai ! Vous toujours si saintement bavarde,
Vous ne me prêchez pas ? C’est étonnant, ceci !…
Avec une fureur bouonne.
Sabre de bois ! Je veux vous étonner aussi !
1870 Tenez, je vous permets…
Il a l’air de chercher une bonne taquinerie, et de la trouver.
Ah ! la chose est nouvelle ?…
De… de prier pour moi, ce soir, à la chapelle.
R
Oh ! oh !
C, riant.
Sœur Marthe est dans la stupéfaction !
S M, doucement.
Je n’ai pas attendu votre permission.
Elle rentre.
252
vers 1884 à 2045 Acte V
hatier-clic.fr/8446460f
C
Voici !
R
Ah !
C, de plus en plus pâle, et luttant contre la douleur.
Samedi, dix-neuf :
Ayant mangé huit fois du raisiné de Cette,
Le Roi fut pris de fièvre ; à deux coups de lancette
Son mal fut condamné pour lèse-majesté,
Et cet auguste pouls n’a plus fébricité !
1890 Au grand bal, chez la Reine, on a brûlé, dimanche,
Sept cent soixante-trois flambeaux de cire blanche ;
Nos troupes ont battu, dit-on, Jean l’Autrichien ;
On a pendu quatre sorciers ; le petit chien
De madame d’Athis a dû prendre un clystère…
R
1895 Monsieur de Bergerac, voulez-vous bien vous taire !
C
Lundi… rien. Lygdamire a changé d’amant.
R
Oh !
254
Acte V
C
1905 Mais ce n’est rien. Cela va finir.
Il sourit avec eort.
C’est fini.
R, debout près de lui.
Chacun de nous a sa blessure : j’ai la mienne.
Toujours vive, elle est là, cette blessure ancienne,
Elle met la main sur sa poitrine.
Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant
Où l’on peut voir encor des larmes et du sang !
Le crépuscule commence à venir.
C
1910 Sa lettre !… N’aviez-vous pas dit qu’un jour, peut-être,
Vous me la feriez lire ?
R
Ah ! vous voulez ?… Sa lettre ?
C
Oui… Je veux… Aujourd’hui…
R, lui donnant le sachet pendu à son cou.
Tenez !
C, le prenant.
Je peux ouvrir ?
R
Ouvrez… lisez !…
Elle revient à son métier, le replie, range ses laines.
256
Acte V
C, lisant.
« Roxane, adieu, je vais mourir ! »
R, s’arrêtant, étonnée.
Tout haut ?
C, lisant.
« C’est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée !
1915 J’ai l’âme lourde encor d’amour inexprimée,
Et je meurs ! Jamais plus, jamais mes yeux grisés,
Mes regards dont c’était… »
R
Comme vous la lisez,
Sa lettre !
C, continuant.
« … dont c’était les frémissantes fêtes,
Ne baiseront au vol les gestes que vous faites ;
1920 J’en revois un petit qui vous est familier
Pour toucher votre front, et je voudrais crier… »
R, troublée.
Comme vous la lisez, – cette lettre !
La nuit vient insensiblement.
C
« Et je crie :
Adieu !… »
R
Vous la lisez…
C
« Ma chère, ma chérie,
257
Cyrano de Bergerac
Mon trésor… »
R, rêveuse.
D’une voix…
C
« Mon amour !… »
R
D’une voix…
Elle tressaille.
1925 Mais… que je n’entends pas pour la première fois !
Elle s’approche tout doucement, sans qu’il s’en aperçoive,
ly
passe derrière le fauteuil, se penche sans bruit, regarde la lettre. –
on L’ombre augmente.
s
se
C
po
258
Acte V
C
Non, non, Roxane, non !
R
J’aurais dû deviner quand il disait mon nom !
C
Non ! ce n’était pas moi !
R
C’était vous !
C
Je vous jure…
R
1935 J’aperçois toute la généreuse imposture :
Les lettres, c’était vous…
C
Non !
R
Les mots chers et fous,
C’était vous…
C
Non !
R
La voix dans la nuit, c’était vous.
C
Je vous jure que non !
1. Imposture : tromperie.
259
Cyrano de Bergerac
R
L’âme, c’était la vôtre !
C
Je ne vous aimais pas.
R
Vous m’aimiez !
C, se débattant.
C’était l’autre !
R
1940 Vous m’aimiez !
C, d’une voix qui faiblit.
Non !
R
Déjà vous le dites plus bas !
C
Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas !
R
Ah ! que de choses qui sont mortes… qui sont nées !
– Pourquoi vous être tu pendant quatorze années,
Puisque sur cette lettre où lui n’était pour rien
1945 Ces pleurs étaient de vous ?
C, lui tendant la lettre.
Ce sang était le sien.
R
Alors, pourquoi laisser ce sublime silence
Se briser aujourd’hui ?
260
Acte V
C
Pourquoi ?
Le Bret et Ragueneau entrent en courant.
S
L , L B et R
L B
Quelle imprudence !
Ah ! j’en étais bien sûr ! il est là !
C, souriant et se redressant.
Tiens, parbleu !
L B
Il s’est tué, Madame, en se levant !
R
Grand Dieu !
1950 Mais tout à l’heure alors… cette faiblesse ?… cette ?…
C
C’est vrai ! je n’avais pas terminé ma gazette :
… Et samedi, vingt-six, une heure avant dîné,
Monsieur de Bergerac est mort assassiné.
Il se découvre ; on voit sa tête entourée de linges.
R
Que dit-il ? – Cyrano – Sa tête enveloppée !…
1955 Ah ! que vous a-t- on fait ? Pourquoi ?
261
Cyrano de Bergerac
C
« D’un coup d’épée,
Frappé par un héros, tomber la pointe au cœur ! »…
– Oui, je disais cela !… Le destin est railleur !…
Et voilà que je suis tué dans une embûche,
Par-derrière, par un laquais, d’un coup de bûche !
1960 C’est très bien. J’aurai tout manqué, même ma mort.
R
Ah ! Monsieur !…
C
Ragueneau, ne pleure pas si fort !…
Il lui tend la main.
Qu’est-ce que tu deviens, maintenant, mon confrère ?
R, à travers ses larmes.
Je suis moucheur de… de… chandelles, chez Molière.
C
Molière !
R
Mais je veux le quitter, dès demain ;
1965 Oui, je suis indigné !… Hier, on jouait Scapin,
Et j’ai vu qu’il vous a pris une scène !
262
Acte V
L B
Entière !
R
Oui, Monsieur, le fameux : « Que diable allait-il faire ?… »
L B, furieux.
Molière te l’a pris !
C
Chut ! chut ! il a bien fait !…
À Ragueneau.
La scène, n’est-ce pas, produit beaucoup d’eet ?
R, sanglotant.
1970 Ah ! Monsieur, on riait ! on riait !
C
Oui, ma vie
Ce fut d’être celui qui soue – et qu’on oublie !
À Roxane.
Vous souvient-il du soir où Christian vous parla
Sous le balcon ? Eh bien ! toute ma vie est là :
Pendant que je restais en bas, dans l’ombre noire,
1975 D’autres montaient cueillir le baiser de la gloire !
C’est justice, et j’approuve au seuil de mon tombeau :
Molière a du génie et Christian était beau !
À ce moment, la cloche de la chapelle, ayant tinté, on voit tout
au fond, dans l’allée, les religieuses se rendant à l’oce.
Qu’elles aillent prier puisque leur cloche sonne !
264
Acte V
265
Cyrano de Bergerac
266
Acte V
1. Elle : la mort.
2. Défaillante : sur le point de s’évanouir.
267
Cyrano de Bergerac
C
Je crois qu’elle regarde…
Qu’elle ose regarder mon nez, cette Camarde !
Il lève son épée.
2030 Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
– Qu’est-ce que c’est que tous ceux-là ! – Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
2035 Le Mensonge ?
Il frappe de son épée le vide.
Tiens, tiens ! – Ha ! ha ! les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés !…
Il frappe.
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! – Ah ! te voilà, toi la Sottise !
– Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;
N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
Il fait des moulinets immenses et s’arrête haletant.
2040 Oui, vous m’arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
2045 J’emporte malgré vous,
268
Acte V
RIDEAU
269
Cyrano de Bergerac
270
Acte V
As-tu bien lu ?
Acte V, scènes 5 et 6
O pages 249 à 269
O Voir aussi
étape 5, p. 288
1 Où le dénouement a-t-il lieu ?
c chez Cyrano
c dans un couvent
c dans un théâtre
2 Que fait Cyrano pour distraire Roxane ?
c IlIl luilui raconte les nouvelles de la cour.
c Il lui litparleun des
poème d’amour qu’il a composé.
c il a assisté. dernières pièces de théâtre auxquelles
3 Quel objet joue un rôle central ?
c une lettre c un livre c un ruban
4 Qu’est-ce qui provoque la mort de Cyrano ?
c IlIl aa une crise cardiaque.
c Il reçoit
une indigestion à cause des pâtisseries de Ragueneau.
c une poutre sur la tête.
5 Ta mission
O Une pièce en vers.
a. Quel type de vers Edmond Rostand utilise-t-il dans la pièce ?
b. Trouve des passages, dans ces deux scènes, où les personnages
se partagent les vers. En quoi est-ce particulièrement émouvant ?
271
Défi lecture
272
3 Parmi ces vers, coche les deux que prononcent Cyrano.
c «« TuAhtenonmets! c’esurst unlespeubras,court, jeune homme ! »
c « Moi, c’est moralement que vraiment, trop d’ennemis ! »
c « Les roseaux fournissaient lej’abois i mes élégances. »
c pour vos épées… »
4 Trouve le mot correspondant à chaque dénition,
puis place-le dans la grille.
1. Région d’où sont originaires Cyrano et ses hommes.
2. Endroit où meurt Christian.
3. Lieu entouré par la mer auquel Cyrano compare son nez.
4. Commerce tenu par Ragueneau.
5. Dame chargée de surveiller Roxane.
6. Militaires au service du roi Louis XIII.
7. Dernier mot prononcé par Cyrano dans la pièce.
6
7
1
2 3
273
Henriot (1857-1933), illustration extraite
des Aventures prodigieuses de Cyrano de Bergerac,
Pellerin (Épinal), 1900 (détail).
LE PARCOURS DE LECTURE
Une comédie
entre rire et larmes
1 LES REPÈRES
Quel est le genre de la pièce ? 276
La pièce fait-elle rire ou pleurer ? 278
2 LES ÉTAPES
Étape 1 • Étudier une scène d’exposition 280
Étape 2 • Analyser la scène de la « tirade du nez » 282
Étape 3 • Observer un dialogue argumentatif 284
Étape 4 • Étudier la « scène du balcon » 286
Étape 5 • Caractériser le dénouement 288
Étape 6 • Analyser le personnage de Cyrano 290
Étape 7 • Étudier le thème du théâtre 292
Étape 8 • Analyser des mises en scène de la pièce 294
3 LES ATELIERS
Expression • Une tirade à la manière de Cyrano 296
Lexique • Le vocabulaire des sensations 297
Théâtre • La tirade du nez 298
Métier • La mise en scène 299
Une comédie entre rire et larmes
REPÈRES
1. Les comédies héroïques françaises trouvent leur origine dans le drame espagnol
(comedia). Dans ce genre apparu au e siècle en Espagne, l’amour, l’honneur
et la violence jouent un rôle de premier plan.
2. Le drame romantique, genre théâtral né dans le premier quart du e siècle,
se caractérise par le refus des règles classiques mises en place au e siècle, fondées
sur les bienséances et la vraisemblance. Il fut théorisé par Victor Hugo dans la préface
de sa pièce Cromwell, en 1827.
276
LE PARCOURS DE LECTURE
Les emprunts
dans Cyrano à la farce italienne
au drame espagnol de Bergerac du e siècle, pour
du e siècle, les personnages
pour l’arrière-plan et certaines
politique situations
La farce italienne
Dans la farce italienne, chaque comédien se spécialise
dans un personnage-type : le soldat fanfaron, le vieillard amoureux,
le couple d’amoureux, le valet rusé. On reconnaît chacun à des éléments
visuels : masque, costume, accessoire. Les mêmes gags (ou lazzi)
se retrouvent de pièce en pièce.
As-tu bien lu ?
277
Une comédie entre rire et larmes
REPÈRES
La visée satirique
La satire dénonce, par le rire, un comportement ridicule ou immoral.
Cyrano évoque la société française du e siècle, raillée par Molière.
Rostand y glisse plusieurs allusions critiques à la société de son époque.
La parodie
On reconnaît dans Cyrano de Bergerac la parodie1 de genres
typiques du e siècle (pastorale, poésie précieuse)
ou d’autres formes littéraires (le roman de cape et d’épée,
tel qu’illustré par Les Trois Mousquetaires, d’Alexandre Dumas).
1. La parodie est l’imitation, dans une intention comique ou satirique, d’un genre
sérieux (comme l’épopée ou la tragédie), du style d’un auteur, d’une œuvre…
278 L’objectif de la parodie est de créer une complicité avec le lecteur.
LE PARCOURS DE LECTURE
As-tu bien lu ?
279
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 1
Analyse l’extrait
280
LE PARCOURS DE LECTURE
3 Un spectacle mouvementé
À l’époque de Cyrano, les salles de spectacle n’étaient pas aussi calmes
qu’aujourd’hui ! On s’y rendait aussi bien pour se montrer et observer
le public que pour regarder le spectacle.
Apprécierais-tu d’assister à un spectacle dans une ambiance
si mouvementée ?
Fais le bilan
5 Sur l’amitié
Ragueneau porte un regard bienveillant sur son ami
Cyrano. Penses-tu que l’amitié puisse eacer les
défauts de l’autre ? Rédige un paragraphe argumenté.
281
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 2
Analyser la scène
de la « tirade du nez »
Support Acte I, scène 4, pages 52 à 80.
Objectifs Mettre en évidence les aspects comiques de la scène
et analyser la maîtrise oratoire de Cyrano.
Analyse l’extrait
282
LE PARCOURS DE LECTURE
Fais le bilan
4 Un virtuose du langage
La scène 4 de l’acte I présente Cyrano comme un personnage plein
de verve et maîtrisant parfaitement l’art du discours.
Complète le texte avec les mots suivants :
scène • Valvert • tirade • Monteury
ballade • public • spectacle
Cyrano déteste le comédien ……………………… et fait tout pour le
faire sortir de ……………………… , provoquant le mécontentement du
……………………… .
Les spectateurs oublient vite leur insatisfaction car Cyrano
se donne lui-même en ……………………… . Il improvise une grande
……………………… sur son nez, provoque le vicomte de ……………………… en
duel et arrive à se battre tout en composant une ……………………… .
Observer un dialogue
argumentatif
Support Acte II, scène 8, pages 146 à 150.
Objectifs Repérer la dimension argumentative du passage
et analyser les arguments de Cyrano et les valeurs
qu’ils expriment.
Analyse l’extrait
284
LE PARCOURS DE LECTURE
3 Tu es comédien
Tu dois passer une audition : choisis-tu d’interpréter la tirade
du nez (v. 313-366) ou la tirade du lierre (v. 967-1017) ?
Réponds de manière argumentée, en t’appuyant sur les eets
produits par chacun des deux passages, et les qualités d’acteur
que tu préférerais mettre en avant.
Fais le bilan
4 Valeurs héroïques
À l’aide du schéma suivant, récapitule les valeurs défendues par Cyrano
et les procédés qu’il utilise pour amener Le Bret à les partager.
Cyrano répond à Le Bret
avec éloquence
Analyse l’extrait
3 Dire l’amour
Christian a du mal à exprimer ses sentiments, alors que Cyrano
est un virtuose du langage. Selon toi, la maîtrise du langage
est-elle un atout de séduction, ou n’est-ce pas l’essentiel ?
Réponds à cette question par un paragraphe argumenté,
dans lequel tu donneras au moins deux raisons.
Fais le bilan
5 Le récit de Roxane
Une fois Christian parti, Roxane raconte
la scène à sa duègne, telle qu’elle l’a vécue,
et lui fait part des émotions qu’elle a ressenties.
Écris son récit en une vingtaine de lignes.
287
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 5
Caractériser le dénouement*
Support Acte V, scènes 5 et 6, pages 249 à 269.
Objectifs Mettre en évidence le caractère pathétique
du dénouement et montrer comment Cyrano
reste maître du jeu jusqu’à la n.
Analyse l’extrait
3 La dramaturgie
En quoi le fait que cette n se déroule quinze ans plus tard renforce-
t-elle le pathétique ? Que se serait-il passé, selon toi, si Roxane avait
découvert la vérité beaucoup plus tôt ?
Fais le bilan
4 Un dénouement pathétique
Les deux dernières scènes de Cyrano constituent un dénouement
pathétique. Complète le texte avec ces mots :
humour • pleurent • quinze • anecdotes
Roxane • duels • batailles • amour
Après avoir connu de nombreux ………………………… et de nombreuses
……………………………, Cyrano meurt blessé par une pièce de bois.
Jusqu’au bout, il cherche à cacher son état à ……………………………. .
Il fait preuve d’……………………………, raconte des ………………………… de la
cour pour distraire sa bien-aimée. Tous ……………………………… à l’idée
de sa disparition prochaine. La vérité sur son …………………………… est
découverte, après ……………………………… ans, mais il est trop tard.
289
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 6
Analyser le personnage
de Cyrano
Support L’ensemble de la pièce et le dossier.
Objectif Comprendre ce qui fait la richesse du personnage
de Cyrano.
Analyse l’œuvre
1 De la réalité à la ction
a. Fais une petite recherche sur Savinien de Cyrano de Bergerac
(voir enquête p. 315). Trouve quatre points communs
entre ce personnage historique et le Cyrano de la pièce.
b. Relis les passages suivants et trouve les clins d’œil de l’auteur
à l’œuvre du vrai Cyrano.
– Acte III scène 13 : Cyrano retarde l’arrivée du comte de Guiche
pour permettre le mariage de Roxane et Christian.
– Acte V scène 6 : la mort de Cyrano.
2 Un héros plein de panache
a. Quelles caractéristiques et quel goût Cyrano partage-t-il
avec ses camarades de la compagnie des Cadets ?
b. Quel défaut peut-on lui reconnaître ?
c l’avarice c l’orgueil c la paresse
c. Que demande Cyrano à Roxane, après qu’elle a découvert
la vérité, dans la scène 5 de l’acte IV ? Quel adjectif convient
le mieux pour qualier son attitude ? Justie ta réponse.
c arrogante c mesquine c noble
d. Montre, de manière argumentée et en prenant appui
c ridicule
Fais le bilan
Mène l’enquête
291
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 7
Analyse l’œuvre
Fais le bilan
5 Un thème central
Complète le texte avec les mots suivants :
genres • rôles • comédie • puissance • hommage
Edmond Rostand rend ………………………… au théâtre. La pièce
emprunte à de nombreux ………………………… théâtraux ; elle est une
réexion sur la ………………………… du théâtre. Cyrano est présenté
comme un homme refusant la ………………………… sociale. Par amour, il
doit cependant jouer des ………………………… qui le rendent malheureux.
Mène l’enquête
293
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 8
294
LE PARCOURS DE LECTURE
Fais le bilan
295
Une comédie entre rire et larmes
ATELIER 1
Atelier expression
Une tirade à la manière
de Cyrano
Objectifs
• S’interroger sur ses valeurs, dénir ses motifs d’indignation.
• Écrire une tirade à la manière de Cyrano.
1 Relis le texte
À la maison, relis la « tirade
du lierre » (vers 967 à 1017).
$ Une tirade est
une longue réplique
Liste 4 ou 5 attitudes qui te prononcée par
choquent, et que tu refuses un personnage.
absolument. Trouve ensuite Les tirades de Cyrano
4 ou 5 autres attitudes qui sont cultes !
correspondent à tes valeurs.
2 Rédige ta tirade
À la manière de Cyrano, rédige ta tirade. Pour chaque motif
d’indignation, formule une question avec un verbe à l’innitif,
qui sera suivie d’un « Non merci ! ». Puis, après un « mais... »,
poursuis la tirade, avec les attitudes que tu as choisi de
valoriser.
3 Présente ta tirade
Illustre ton texte par une photo ou un dessin, et organise
avec tes camarades une exposition dans la classe.
Vous pouvez aussi lire chacun votre texte, à voix haute,
en essayant de transmettre vos sentiments.
296
LE PARCOURS DE LECTURE
ATELIER 2
Atelier lexique
Le vocabulaire des sensations
Objectifs
• Connaître le vocabulaire des sensations.
• Travailler sa mémoire sensorielle.
297
Une comédie entre rire et larmes
ATELIER 3
Atelier théâtre
La tirade du nez
Objectifs
• Jouer les émotions de la tirade du nez.
• Mettre en scène une tirade culte.
298
LE PARCOURS DE LECTURE
ATELIER 4
Atelier métier
La mise en scène
Objectifs
• Découvrir le métier de metteur en scène.
• Mettre en scène la scène du balcon (III, 7, début de la scène,
du v. 1363 à 1395).
299
Eleanor Fortescue-Brickdale (1872-1945),
Romeo and Juliet Farewell – One kiss, and I’ll descend (détail).
Huile sur toile, 81,5 × 112 cm. The Maas Gallery, Londres.
LE GROUPEMENT TEXTES IMAGES
« Scènes de balcon »
ou l’amour empêché
Documents
DOC. 1 Un manuscrit du cycle
du Lancelot-Graal 302
DOC. 2 William Shakespeare, Roméo et Juliette 304
DOC. 3 Victor Hugo, Ruy Blas 306
DOC. 4 Robert Wise et Jerome Robbins,
West Side Story 307
Questions sur les documents 308
« Scènes de balcon » ou l’amour empêché
« Scènes de balcon »
ou l’amour empêché
Objectif
Travailler, à travers diérents documents, sur le motif
de la « scène du balcon », symbole de l’amour inaccessible.
302
LE GROUPEMENT TEXTES IMAGES
303
« Scènes de balcon » ou l’amour empêché
J
Comment es-tu venu, dis, et pourquoi ?
Les murs de ce verger sont hauts, durs à franchir,
Et ce lieu, ce serait ta mort, étant qui tu es,
Si quelqu’un de mes proches te découvrait.
R
5 Sur les ailes légères de l’amour,
J’ai volé par dessus ces murs. Car des clôtures de pierre
Ne sauraient l’arrêter. Ce qui lui est possible,
L’amour l’ose et le fait. Et c’est pourquoi
Ce n’est pas ta famille qui me fait peur.
J
10 Ils te tueront, s’ils te voient.
R
Hélas, plus de périls sont dans tes yeux
Que dans vingt de leurs glaives. Souris-moi,
Et je suis à l’épreuve de leur colère.
J
Je ne voudrais pour rien au monde qu’ils te trouvent.
R
15 J’ai le manteau de la nuit pour me dérober à leurs yeux.
Mais qu’ils me trouvent, si tu ne m’aimes !
Sous les coups de leur haine plutôt mourir
Que d’attendre une lente mort sans ton amour.
J
Qui t’a guidé jusqu’ici ?
304
LE GROUPEMENT TEXTES IMAGES
R
20 L’amour, qui m’a d’abord fait m’enquérir.
Il me donna conseil, je lui prêtai mes yeux.
Je n’ai rien du pilote. Et pourtant, vivrais-tu
Aux rives les plus nues des plus lointaines des mers,
Pour un bien tel que toi je me risquerais.
J
25 Sur mon visage
Je porte, tu le vois, le masque des ténèbres,
Sinon l’idée que tu m’as entendue, ce soir,
Empourprerait mes joues de jeune fille.
Que je voudrais être convenable, que je voudrais,
30 Ce que j’ai dit, le détruire ! Mais adieu, mes bonnes manières,
M’aimes-tu ? je sais bien que tu diras oui,
Et je te croirai sur parole. Mais si tu jures,
Tu peux te parjurer. Des parjures d’amants
On dit que Jupiter se moque... Ô Roméo,
35 Si tu m’aimes, proclame-le d’un cœur bien sincère,
Et si tu m’as trouvée trop aisément séduite,
Je me ferai dure et coquette, je dirai non,
Mais pour que tu me courtises, car autrement
J’en serais incapable... Beau Montaigu,
40 Je suis bien trop éprise, et c’est pourquoi
Tu peux trouver ma conduite légère,
Mais, crois-moi, âme noble, je serai
Plus fidèle que d’autres qui, plus rusées,
Savent paraître froides. […]
William Shakespeare, Roméo et Juliette, acte II, scène 2, 1594-1595.
Traduit de l’anglais par Yves Bonnefoy
© Mercure de France 1968 et 1992.
305
« Scènes de balcon » ou l’amour empêché
L , seule.
Rêvant.
Oh ! Cette main sanglante empreinte sur le mur !
Il s’est donc blessé ? Dieu ! – mais aussi c’est sa faute.
Pourquoi vouloir franchir la muraille si haute ?
Pour m’apporter les fleurs qu’on me refuse ici,
5 Pour cela, pour si peu, s’aventurer ainsi !
C’est aux pointes de fer qu’il s’est blessé sans doute.
Un morceau de dentelle y pendait. Une goutte
De ce sang répandu pour moi vaut tous mes pleurs.
S’enfonçant dans sa rêverie.
Chaque fois qu’à ce banc je vais chercher les fleurs,
10 Je promets à mon Dieu, dont l’appui me délaisse,
De n’y plus retourner. J’y retourne sans cesse.
– Mais lui ! Voilà trois jours qu’il n’est pas revenu
– Blessé ! – Qui que tu sois, ô jeune homme inconnu
Toi qui, me voyant seule et loin de ce qui m’aime,
15 Sans rien me demander, sans rien espérer même,
Viens à moi, sans compter les périls où tu cours ;
Toi qui verses ton sang, toi qui risques tes jours
Pour donner une fleur à la reine d’Espagne ;
Qui que tu sois, ami dont l’ombre m’accompagne,
20 Puisque mon cœur subit une inflexible loi,
Sois aimé par ta mère et sois béni par moi !
Vivement et portant la main à son cœur.
– Oh ! Sa lettre me brûle !
306
LE GROUPEMENT TEXTES IMAGES
[…]
Oui, je vais la relire
Une dernière fois ! Après, je la déchire !
Avec un sourire triste.
Hélas ! Depuis un mois je dis toujours cela.
Elle déplie la lettre résolument et lit.
25 « Madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là
Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;
Qui soure, ver de terre amoureux d’une étoile ;
Qui pour vous donnera son âme, s’il le faut ;
Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut. »
Victor Hugo, Ruy Blas, acte II, scène 2, 1838.
Natalie Wood (Maria) et Richard Beymer (Tony) dans le lm West Side Story,
réalisé par Jerome Robbins et Robert Wise en 1961.
307
« Scènes de balcon » ou l’amour empêché
Document 1
1 a. Quelles sont la nature et l’époque du document ?
Qui sont les personnages en présence ? Où se trouvent-ils
l’un par rapport à l’autre ?
b. Quels éléments rendent la conquête amoureuse périlleuse
et presque irréalisable ?
c. Fais une petite recherche : qu’est-ce que l’amour courtois ?
En quoi ce texte et cette image sont-ils l’illustration de cette
conception de l’amour ?
Document 2
2 a. À quel endroit et à quel moment Roméo et Juliette
se rencontrent-ils ?
b. Quels obstacles a dû franchir Roméo ? Quels dangers
court-il, selon Juliette ?
c. Que lui avoue Juliette, à la n de l’extrait ?
Document 3
3 a. La Reine parle seule. Comment appelle-t-on ce type
de réplique ?
b. De qui la Reine parle-t-elle au début de sa réplique ?
Qu’a fait ce personnage mystérieux pour elle ?
c. Quels sentiments contradictoires la Reine éprouve-t-elle ?
À quel moment a-t-on l’impression qu’il s’agit d’un véritable
dialogue avec elle-même ?
Document 4
4 a. Comment s’expriment les sentiments des personnages ?
Observe en particulier leur position et leur expression.
b. À ton avis, quel est le sujet de leur conversation ?
308
LE GROUPEMENT TEXTES IMAGES
À ton avis
Écris maintenant
309
Louis XIII et Richelieu menant les troupes pendant la guerre de Trente Ans.
Maurice Leloir (1853-1940), illustration extraite de Richelieu, 1901 (détail).
Collection privée.
LENQUÊTE
La vie quotidienne
sous Louis XIII
L’intrigue de Cyrano de Bergerac se déroule sous le
règne de Louis XIII, et met en scène des personnages
appartenant à la haute société parisienne. Pourtant,
sur plusieurs points, la vie quotidienne sous Louis XIII
était bien diérente de ce que nous montre Edmond
Rostand dans sa pièce.
1. Ordres : c’est ainsi qu’on appelle, sous l’Ancien Régime, les divisions de la société.
On parle aujourd’hui de catégories ou de classes sociales.
2. Duc est le titre de noblesse le plus élevé après celui de prince. Prennent rang ensuite
ceux de marquis, de comte, de vicomte, et enn de baron.
312
LENQUÊTE
L’éducation
d’un gentilhomme1
Pour pouvoir briller à la
cour, les jeunes aristocrates
doivent apprendre les arts
et les techniques qui leur
permettront de s’associer aux
loisirs dusouverain : la danse,
pourparticiper aux ballets,
et surtout l’équitation, pour Philippe de Champaigne, portrait
de Louis XIII, e siècle (détail).
participer à la chasse, activité Huile sur toile. Musée du Château
favorite de Louis XIII. de Chambord.
313
La vie quotidienne sous Louis XIII
314
LENQUÊTE
Le vrai Cyrano
de Bergerac
Savinien Cyrano de Bergerac
fait ses études à Paris, puis
s’engage comme cadet dans
l’armée. Après une blessure,
il quitte l’armée et fréquente
1
les cercles libertins de
Paris. Sa vie dissipée a
raison de son patrimoine, il
doit trouver des protecteurs.
En 1653, sa tragédie La Mort
d’Agrippine fait scandale
en raison de ses idées
antireligieuses. En sortant de
chez son dernier protecteur,
le duc d’Arpajon, il est blessé
à la tête. Il meurt des suites
de sa blessure en 1655. Son
ami Le Bret fait publier, en
1657, l’Histoire comique des Cyrano de Bergerac (1619-1655). Gravure
États et Empires de la Lune, de la n du e siècle, extraite de L’Autre
récit d’un voyage ctif Monde ou Histoire comique des États
dans la lune. et Empires de la Lune (1657).
1. Cercles libertins : cercles intellectuels de penseurs pour qui le monde n’est pas
organisé par Dieu, dont ils nient l’existence, mais selon des lois que l’homme peut
comprendre avec sa raison.
315
La vie quotidienne sous Louis XIII
• Le théâtre
Le théâtre est un plus récent. Ces salles sont
divertissement prisé par de mieux en mieux équipées.
la cour, qui assiste à des Le Théâtre du Marais se
représentations à Paris comme spécialise dans les « pièces
dans les résidences royales à machines ». Le public
de province. C’est l’époque de la y est composé aussi bien
professionnalisation du théâtre. d’aristocrates que de bourgeois,
Les comédiens se rassemblent et même de gens fort modestes.
en troupes, autour d’un acteur Mais la disposition des lieux
vedette qui en est le chef. permet à chacun de rester
Ces compagnies sont souvent « à sa place » : les aristocrates
itinérantes. À Paris, elles ne de haut rang assistent ainsi
disposent que de deux salles : aux spectacles soit dans
l’historique Hôtel de Bourgogne de luxueuses loges, soit sur
et le Théâtre du Marais, la scène même du théâtre.
Le « monopole »
En 1402, Charles VI accorde aux Confrères de la Passion
le monopole du théâtre à Paris. Ils jouent en plein air, ou dans
des salles de jeu de paume, puis font construire une salle sur
le modèle de ces salles de sport : c’est l’Hôtel de Bourgogne.
Toute troupe qui veut se produire à Paris doit obtenir l’accord
des Confrères et payer une redevance énorme. À Paris, vers
1630, on ne compte qu’un seul théâtre alors que Madrid en
compte 40 ! Richelieu est le premier à rompre ce monopole
et ainsi permettre l’ouverture du Théâtre du Marais (1634)
puis du Théâtre du Palais-Royal (1661).
316
LENQUÊTE
L’Hôtel de Bourgogne
dans Cyrano de Bergerac
Le premier acte de Cyrano de Bergerac se déroule lors d’une
représentation à l’Hôtel de Bourgogne. Écrite en 1897, la pièce
comporte des anachronismes : alors que la scène est censée
se dérouler en 1640, on y évoque Bellerose, qui fut un célèbre
directeur de l’Hôtel de Bourgogne… à partir de 1642. L’auteur,
qui prend soin de décrire la salle dans une longue didascalie,
ne se soucie pas d’une dèle reconstitution historique. Pourtant,
il réussit à faire revivre l’atmosphère des spectacles de l’époque,
durant lesquels le silence des spectateurs n’était pas de mise.
317
La vie quotidienne sous Louis XIII
• Les salons
Sous Louis XIII se développe de maison se fait appeler
la mode des « salons », « Arthénice », sa lle Julie
lieux privés dans lesquels la « Mélanide ».
maîtresse de maison invite un
petit cercle de personnalités
– nobles de haute naissance, Deux écrivains
hommes politiques, écrivains précieux
à succès – qui s’emploient à
rivaliser d’élégance et d’esprit. Honoré d’Urfé (1575-1625) :
C’est là que se développe le son œuvre la plus célèbre
mouvement de la préciosité1, est le roman-fleuve L’Astrée
qui se caractérise par la (plus de 5 000 pages !),
ly
recherche du ranement dans qui raconte dans un récit très
le langage et les manières.
on
complexe les amours idéales
s
Le salon le plus célèbre d’Astrée et Céladon, deux
se
ces valeurs. Son vrai nom est elle est l’auteur du roman
Fo
318
LENQUÊTE
319
La vie quotidienne sous Louis XIII
Portrait
du Cardinal
de Richelieu
(autour de 1640)
par Philippe
de Champaigne
(1602-1674).
320
LENQUÊTE
• Présentation
Né en 1602 à Bruxelles, le peintre Philippe
de Champaigne choisit de s’installer
à Paris. Il entre au service de la famille
royale en 1628. Il est le seul peintre
autorisé à représenter le Cardinal
de Richelieu en habit de cardinal. Philippe de Champaigne,
Il le représente onze fois. autoportrait. Musée de Grenoble.
• Description « RAGUENEAU
Certes, je ne crois pas que
Armand Jean du Plessis, Cardinal
de Richelieu (1585-1642), est le jamais nous le peigne
principal ministre de Louis XIII Le solennel monsieur
à partir de 1624. Son inuence Philippe de Champaigne »
Cyrano de Bergerac (v. 104-105).
politique est grande. Intellectuel,
théologien, auteur de nombreux
écrits, grand lecteur, docteur en Sorbonne,
il fait reconstruire cette université dans laquelle il reposera.
Ce portrait en pied est destiné à la galerie des hommes
illustres du Palais-
Cardinal, que le ministre
t édier sur la place
As-tu bien observé ?
321
La vie quotidienne sous Louis XIII
Comment se bat-on
3 à l’époque de Louis XIII ?
Par bien des aspects, la vie sous Louis XIII est bruyante
et violente : les guerres y sont fréquentes, tout comme
les combats entre gentilshommes.
• La guerre
Au e siècle, les guerres entre la logistique s’améliore
la France et les autres États et le soldat manque plus
européens sont nombreuses. rarement de vivres, aux dépens
L’armée, dirigée par le roi, du tiers état (le peuple),
est formée de professionnels. soumis à de lourdes taxes pour
Elle est organisée en corps récolter les fonds nécessaires
d’eectifs réduits, comprenant à la vie quotidienne de l’armée.
des cavaliers et des fantassins.
À leur tête, des nobles Les mousquetaires
sont chargés de recruter et La compagnie des
de payer les soldats. Souvent, mousquetaires du roi,
l’approvisionnement vient qui sert de garde rapprochée
à manquer. La troupe doit alors au souverain, est créée
vivre des ressources du pays par Louis XIII en 1622. Ces
qu’elle occupe, allié ou ennemi. hommes portent un mousquet
Or, les armées sont le plus (arme à feu, ancêtre du fusil)
souvent accompagnées de et un uniforme particulier :
civils : vivandiers et charretiers un habit rouge et une casaque
transportant les vivres et les bleue ornée d’une grande croix
armes, valets au service des d’argent sur la poitrine
ociers, ou encore prostituées. et sur le dos.
À la n du règne de Louis XIII,
322
LENQUÊTE
Un duel célèbre
Le 12 mai 1627, François
de Montmorency-Bouteville,
un jeune aristocrate de 27 ans
qui compte déjà 22 duels à son
actif, se bat en duel avec
le marquis Bussy d’Amboise,
qu’il tue d’un coup d’épée au
cœur de la capitale, en plein
jour et en pleine rue. Bouteville
prend la fuite mais il est
arrêté et jugé. Condamné à la Duel de François de Montmorency-
Bouteville le 12 mai 1627 sur la place
peine capitale, il est décapité Royale, à Paris. Illustration de Maurice
devant une foule nombreuse. Leloir (1901). Collection privée.
Le cardinal de Richelieu venait de publier un édit punissant le duel
de la peine de mort, il s’agit donc d’une exécution pour l’exemple.
1. Duel : combat à l’épée entre deux adversaires, soumis à des règles strictes.
2. Voici quelques motifs de duel : « préséance pour monter en carrosse », « souet »
(gie), « réclamation d’un chapeau prêté et non rendu », « traité d’ivrogne »…
3. Excommunication : exclusion de la communauté de l’Église. 323
La vie quotidienne sous Louis XIII
L’amour et l’argent :
4 comment se marie-t-on ?
Dans Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand met en scène
un mariage très romantique mais fort éloigné des pratiques
courantes de l’époque.
324
LENQUÊTE
Mariage et théâtre
28 pièces de Molière concernent le mariage forcé.
Dans Le Mariage forcé justement, le vieux Sganarelle,
bourgeois en mal de noblesse, veut épouser la belle
Dorimène. Il comprend trop tard qu’elle espère
être veuve très vite, et il se retrouve marié de force.
Dans les comédies-ballets, le père de famille dispose
librement de ses filles et veut les marier à l’homme
de son choix, pour progresser dans l’échelle sociale.
1. Dot : somme d’argent que la famille de la jeune lle s’engage à verser lors du mariage.
2. Roturiers : sous l’Ancien Régime, tous ceux qui ne sont pas nobles.
325
La vie quotidienne sous Louis XIII
Pierre Paul Rubens, L’Échange des deux princesses de France et d’Espagne sur la Bidassoa
à Hendaye, le 9novembre1615.
326 Huile sur toile, vers 1622. Musée du Louvre.
LENQUÊTE
• Présentation
Marie de Médicis commande à Pierre
Paul Rubens un cycle de 21 tableaux
sur sa vie, en 1621. Le peintre a deux ans
pour réaliser cette œuvre imposante,
à la gloire de la veuve d’Henri IV.
L’un de ces tableaux représente
« l’échange » de deux princesses : Portrait de Marie de Médicis
par Rubens, 1622. Musée
Anne d’Autriche, Infante d’Espagne, du Prado.
qui épouse Louis XIII, et Isabelle de France,
sœur de Louis XIII, qui épouse Philippe IV d’Espagne.
• Description
Louis XIII et Anne d’Autriche se marient à 14 ans à peine.
Leur mariage est une aaire d’alliance politique.
Marie de Médicis veut asseoir le pouvoir de la France
en Europe. L’échange des princesses est organisé sur le pont
d’un bateau, sur la rivière d’Andaye, le 9 novembre 1615.
328
Métaphore un hommage, ou avoir
Figure de style qui consiste une visée humoristique.
à comparer deux éléments
sans utiliser d’outil Péripétie
de comparaison. Changement de situation.
Mise en scène Protagoniste
Action de diriger Personnage important
les acteurs (mouvements, d’une pièce de théâtre,
intonations), choisir les d’un lm, d’un roman.
décors et les costumes pour
la représentation. Celui qui Quiproquo
dirige la mise en scène Situation où l’on prend
est le metteur en scène. une personne pour une autre,
où l’on comprend de travers
Monologue et qui génère des eets
Passage où un personnage comiques, parfois en cascade.
parle seul sur scène.
Réplique
Parodie Ce qu’un acteur doit dire
Une parodie reprend en une seule fois.
les personnages, les
situations, le cadre et Satire
le style d’une autre œuvre Écrit qui s’attaque
pour s’en moquer. à quelqu’un, à quelque
chose, en s’en moquant.
Pastiche
Imitation du style d’un Tirade
auteur, d’un artiste. Longue réplique, dans
Le pastiche peut être laquelle un personnage
développe une idée
un simple exercice de style, importante.
329
À lire et à voir
Situer Cyrano dans l’histoire du théâtre
André Degaine, Le Théâtre raconté aux jeunes
Nizet, 2006
Une histoire du théâtre passionnante, riche,
ludique et vivante.
330
Victor Hugo, Ruy Blas (1838)
Don Salluste veut se venger de la reine d’Espagne qui l’a
humilié. Il met tout en œuvre pour qu’elle tombe amoureuse
de son laquais, Ruy Blas. Ce dernier, justement, est fou d’elle…
331
Cyrano au cinéma
Cyrano de Bergerac, télélm de Claude Barma (1960) avec Daniel
Sorano, Françoise Christophe, Michel Le Royer.
Cyrano de Bergerac, lm de Jean-Paul Rappeneau (1990) avec
Gérard Depardieu, Anne Brochet, Vincent Perez.
La pièce en DVD
Cyrano de Bergerac, mise en scène de Denis Podalydès (2006)
pour la Comédie-Française, avec Michel Vuillermoz et Éric Ruf.
332
Table des crédits iconographiques
3h ph © Leonard de Selva / Bridgeman Images
3m ph © The Maas Gallery, London / Bridgeman Images
3b ph © Josse / Bridgeman Images
4 ph © Leonard de Selva / Bridgeman Images
5 Coll. Archives Hatier
9 Doc. Percy Anderson
12 ph © Sidonie Boiron
13 ph © Collectif Chapitre XIII, Conrad Allain
14-15 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
40 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
41 Coll. The Royal Academy of Arts, Londres
49 ph © Brigitte Enguerand / Divergence
51 ph © AGIP / Bridgeman Images
69 ph © Brigitte Enguerand / Divergence
75 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
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116 ph © Pascal Victor / ArtComPress / Bridgeman Images
117 ph © M. Johnston coll. Davison Art Center, Wesleyan University
123 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
130 © Illustration de Rébecca Dautremer extraite de Cyrano © 2005 Gautier-Languereau /
Hachette Livre
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145 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
159 ph © Brigitte Enguerand / Divergence
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206 ph © Brigitte Enguerand / Divergence
207 Coll. Bibliothèque Nationale de France / Archives Hatier
233 ph © Brigitte Enguerand / Divergence
270 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
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274-299 ph © Leonard de Selva / Bridgeman Images
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307 ph © Bridgeman Images
310-311 ph © Josse / Bridgeman Images
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314 ph © Leonard de Selva / Bridgeman Images
315 ph © Granger / Bridgeman Images
317 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
319 © Nina Luec
320 ph © Archives Charmet / Bridgeman Images
321 Coll. Musée de Grenoble
323 ph © Josse / Bridgeman Images
324 ph © Bridgeman Images
326 ph © Josse / Bridgeman Images
327 ph © Boltin Picture Library / Bridgeman Images
330 h © Nizet, 2006
330 hm © Albin Michel, 2016
330 mb © Hatier Œuvres & thèmes, 2020
330 b © Hatier Classiques & Cie Collège, 2015
331 h © L’École des Loisirs, 2018
331 hm © Collection Folio Junior Textes classiques (n° 1690), Gallimard Jeunesse
331 mb © Gallimard Jeunesse, 2021
331 b © Collection Folio Junior (n° 1681), Gallimard Jeunesse
333
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a n s c e l i v r e ?
t r o u v e r d
Q u e va s - t u
un AVANT-TEXTE
pour découvrir les personnages, le TEXTE
l’auteur, son époque de la pièce illustré,
avec des missions
à accomplir
une ENQUÊTE au fil de ta lecture
sur la vie
quotidienne
au temps
de Louis XIII un PARCOURS
DE LECTURE
avec des repères,
un GROUPEMENT des questionnaires,
TEXTES & IMAGES des ateliers
« Scènes de balcon
ou l’amour empêché »
i q u e e t le cata logue
guide pé d a g o g
Le
u e s - e t - cie - college
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