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CI E C OLLÈG E

CLASSIQUES &

Edmond Rostand

Cyrano
de Bergerac
(1897)
TEXTE INTÉGRAL DES ACTESI, II, III ET V
(AVEC UN RÉSUMÉ DE L’ACTEIV)

Notes et dossier
Claire Gauthier,
agrégée de lettres classiques

Laure Péquignot-Grandjean,
certiée de lettres modernes et théâtre
2202 siraP reitaH ©
SOMMAIRE

LAVANTTEXTE
• Qui est l’auteur ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
• Que se passe-t-il à l’époque ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
• Quelle est l’histoire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
• Qui sont les personnages ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
• Entretien avec un metteur en scène . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

LE TEXTE

Acte I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
 Lecture active 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
 Lecture active 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
 Lecture active 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Acte II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
 Lecture active 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
 Lecture active 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
 Lecture active 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
Acte III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
 Lecture active 7 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
Acte IV (résumé) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233
Acte V . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
 Lecture active 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
 Dé lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272

2
LE PARCOURS DE LECTURE
Une comédie entre rire et larmes
• Repères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276
• Étapes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 280
• Ateliers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 296

LE GROUPEMENT TEXTES  IMAGES


« Scènes de balcon »
ou l’amour empêché . . . . . . . . . . . . 300

LENQUÊTE
La vie quotidienne
sous Louis XIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310

LES ANNEXES
• Lexique littéraire
et dramatique . . . . . . . . . . . . . . . . . 328
• À lire et à voir . . . . . . . . . . . . . . . . 330

3
Cyrano de Bergerac

Qui est l’auteur ?


Edmond Rostand

(1868-1918)

Portrait d’Edmond Rostand en 1910.


Photographie de Léonard de Selva.
Collection privée.

Edmond Rostand naît à Marseille dans une famille bourgeoise


aisée, passionnée d’art et de culture. Il commence à composer
des vers pendant ses études de droit.
Dans les années 1890, il écrit plusieurs pièces de théâtre
dont La Princesse lointaine (1895). La plus grande comédienne
de l’époque, Sarah Bernhardt, interprète le rôle principal
et présente au jeune poète le comédien Coquelin, qui devient
son ami, et pour lequel il écrit le rôle de Cyrano.
Le succès de Cyrano de Bergerac (1897) bouleverse la vie
de l’écrivain. Il reçoit la Légion d’honneur ; ses pièces sont jouées
sur les plus grandes scènes de France et d’Europe, et il acquiert
une célébrité rare pour un dramaturge. Ses pièces suivantes
ne remportent pas le même succès, mais il est désormais
un homme de lettres reconnu, admis à l’Académie française
en 1901, alors qu’il n’a que 33 ans.

As-tu bien lu ?

1 Qui est le premier comédien


à incarner le personnage de Cyrano ?
2 En quoi cette pièce a-t-elle changé
la vie d’Edmond Rostand ?

4
LAVANTTEXTE

1897 Cyrano de Bergerac est


jouée pour la première fois.

Jouer Cyrano en 1897 en vogue, et leurs auteurs


Le public se presse dans les très connus (Courteline,
théâtres ociels pour y admirer Feydeau). Lors de la première
la star Sarah Bernhardt. de Cyrano de Bergerac, Edmond
Rostand craint un échec, tant
sa pièce se démarque des
genres à la mode, et puise
dans tous les registres (drame
héroïque, commedia dell’arte,
néoromantisme…).
Un succès international
et intemporel
La première est un triomphe !
Les applaudissements durent
plus d’une heure, provoquant
quarante rappels. Coquelin
incarnera le rôle des centaines
de fois, aux côtés de Sarah
Bernhardt, dans le monde
entier et dans toutes
Sarah Bernhardt photographiée les langues. Monter Cyrano
par Nadar (1864). est une gageure, tant les
Getty Museum (Los Angeles). personnages sont nombreux
et le rôle-titre dicile
Dans les théâtres des Grands à tenir, en raison de la durée
Boulevards, les vaudevilles, de la présence du héros
comédies légères, sont très sur scène.

5
Cyrano de Bergerac

Que se passe-t-il à l’époque ?


Sur le plan politique

• La République triomphante
À la n du e siècle et au début du e siècle, des lois
importantes sont votées : celles sur la liberté de réunion,
de la presse et des syndicats, celle de Jules Ferry sur l’école
laïque, gratuite et obligatoire, et celle sur la séparation
des Églises et de l’État (1905).

• Les fastes de la Belle Époque


La France connaît une période de prospérité économique
et l’industrie ache une croissance spectaculaire.
Les progrès de l’alphabétisation et la multiplication
des journaux permettent d’atteindre toutes les classes
sociales. Sur le plan culturel, Paris apparaît comme
la capitale artistique de la Belle Époque : des artistes
du monde entier viennent s’y installer.

Discours de Jules Ferry Début


à l’Assemblée sur l’expansion de l’aaire Dreyfus Invention du cinéma
coloniale par les frères Lumière
Construction
de la tour Eiel

La Belle Époque

6
LAVANTTEXTE

Sur le plan culturel

• La recherche de nouvelles formes esthétiques


Les ctions réalistes (Flaubert, Maupassant) se déroulent
dans un univers proche du lecteur, cherchant à atteindre une
vérité psychologique et sociale. Le naturalisme applique à cette
connaissance du réel des méthodes scientiques (romans de
Zola, théâtre de Tchekhov, d’Ibsen). D’autres écrivains considèrent
que l’art a pour unique but la recherche du Beau (Parnassiens) ;
d’autres encore cherchent des formes nouvelles (Symbolistes).

• La naissance de la mise en scène moderne


Au théâtre, l’éclairage à l’électricité permet des eets de contrastes,
de couleurs, des mouvements de décors plus uides.
Ces innovations favorisent l’apparition de nouveaux métiers
comme ceux de metteur en scène et de technicien lumière.

Loi sur la séparation Naufrage


des Églises et de l’État du Titanic

Première Guerre mondiale

7
Cyrano de Bergerac

Quelle est l’histoire ?


Les circonstances

L’intrigue se situe au e siècle, sous le règne de Louis XIII,


qui dirige son royaume avec l’appui du cardinal de Richelieu.
La guerre de Trente Ans fait rage en Europe : en 1640, le siège
d’Arras oppose les Français aux Espagnols.

L’action

1 Le trio amoureux 2 Le sacrice de Cyrano


Cyrano, désespérément Sacriant ses sentiments
amoureux de sa cousine pour faire le bonheur
Roxane, apprend qu’elle de sa cousine, Cyrano
est éprise du beau Christian. propose à Christian d’écrire
Mais ce dernier n’a pas assez à sa place des lettres
d’esprit pour plaire à Roxane. d’amour.

8
LAVANTTEXTE

Le but

Dans cette comédie héroïque, Edmond


Rostand fait revivre la France de Louis XIII
et célèbre les valeurs portées par Cyrano :
le courage, l’indépendance, la loyauté et
le panache.

Constant Coquelin habillé en Cyrano de Bergerac.


Illustration de Percy Anderson, extraite de Costume
Fanciful, Historical and Theatrical, 1906.

3 Le mariage clandestin 4 Une lueur d’espoir


Les deux amoureux réussissent pour Cyrano ?
à se marier, provoquant De Guiche manœuvre pour que
la jalousie du comte de Guiche. Christian soit envoyé au front,
où il meurt. Cyrano va-t-il
enn déclarer son amour
à Roxane ?

9
Cyrano de Bergerac

Qui sont les personnages ?


De Guiche
Comte puissant et sans
scrupule, il veut obliger
Roxane à épouser
le vicomte de Valvert
et devenir l’amant
de la jeune femme.

Roxane
Madeleine Robin, dite
Roxane, dont la beauté fait
chavirer les cœurs, est la
cousine de Cyrano. Éprise
de poésie précieuse et de
nobles sentiments, elle rêve
d’avoir un amant qui allierait
la beauté à l’esprit.

10
LAVANTTEXTE

Christian
de Neuvillette
Ce jeune aristocrate,
qui appartient à la même
compagnie de cadets que
Cyrano, est très amoureux
de Roxane.

Les cadets de Gascogne


Ces jeunes militaires, qui aiment
boire, rire et se battre, forment
une compagnie très soudée.

Cyrano de Bergerac
Gascon er et plein d’esprit, admiré
de ses camarades de la compagnie
des cadets et craint par ses ennemis,
Cyrano aime autant se battre que
composer des vers.

11
Cyrano de Bergerac

Entretien avec un
metteur en scène
Gaspard Baumhauer

(Collectif Chapitre XIII


mise en scène au festival
d’Avignon, 2019)

•Cyrano
Pourquoi avoir choisi de mettre en scène
deBergerac ?
L’idéal d’une exigence plus haute que notre quotidien résonne
encore aujourd’hui. Cyrano nous permet de montrer qu’il est
possible d’être héroïque sans égoïsme et d’être romantique
sans ridicule.

• Votre Cyrano n’a pas de grand nez. Pourquoi ?


Dans la plupart des mises en scène de Cyrano, le comédien a
un faux nez. Pour moi, la laideur de Cyrano vient avant tout
d’un complexe, de son regard sur lui-même et de sa sensibilité
au regard des autres. Ce type de complexe est universel.
Je voulais montrer que tout le monde peut s’identier à Cyrano.

• Pourquoi avoir fait de Cyrano un rappeur ?


Quand je suis reparti de la description qui se trouve dans le texte
(bretteur, musicien…), j’ai immédiatement pensé aux rappeurs
du rap conscient : ils ont l’amour du mot et sont en opposition
avec le système établi. Ils portent en eux une colère profonde,
une fougue proche de celle de Cyrano.

12
LAVANTTEXTE

•pour
Pourquoi avez-vous choisi un terrain de basket
décor ?
Pour les rappeurs, le coin du terrain de basket, c’est typiquement
le lieu où l’on peut se retrouver pour faire des freestyles (rap d’impro).
C’est un lieu où l’on teste de nouvelles idées, un lieu de partage
artistique.

• Comment conduisez-vous les comédiens ?


Pour moi, le metteur en scène est un accompagnateur plus qu’un
directeur. Il est garant du parti pris global, mais il observe aussi
le jeu de l’actrice ou de l’acteur, la façon dont son jeu résonne
avec l’œuvre ; il retient ce qui est original et explore les pistes
à creuser. J’aime travailler dans la liberté, en invitant les
comédiennes et les comédiens à proposer leur interprétation
du rôle, de manière à coconstruire avec eux le spectacle.

•enComment avez-vous eu l’idée de travailler


plan-séquence en faisant intervenir un réalisateur ?
Je voulais que les spectateurs aient l’impression d’être avec
les personnages, parmi eux, de faire partie de l’histoire.
Ça donne une esthétique qui rappelle le clip et qui traduit
le côté vertigineux du rythme de la pièce…

hatier-clic.fr/8446460

Anthony Martine (Le Bret), Younès Boucif (Cyrano), Nicolas Monsavane (Flanquin),
Samuel Labrousse (Ragueneau) dans Cyrano de Bergerac, mise en scène de Gaspard
Baumhauer, Collectif Chapitre XIII, août 2021.
13
Cyrano (Gérard Depardieu) accompagné
des cadets, dans l’adaptation
cinématographique de Cyrano de Bergerac
réalisé par Jean-Paul Rappeneau, en 1990.
LE TEXTE
Cyrano
de Bergerac
Les personnages
C  C D 
B D L 
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U  L 
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U 
T  L 
U 
M B U 
B   U 
J L  U 

La foule, bourgeois, marquis, mousquetaires, tire-laine, pâtissiers, poètes, cadets,


Gascons, comédiens, violons, pages, enfants, soldats espagnols, spectateurs,
spectatrices, précieuses, comédiennes, bourgeoises, religieuses, etc.
Les quatre premiers actes ont lieu en 1640, le cinquième, en 1655.

16
Acte I
U 
 H  B

La salle de l’Hôtel de Bourgogne, en 1640. Sorte de hangar de jeu
de paume aménagé et embelli pour des représentations. La salle est
un carré long ; on la voit en biais, de sorte qu’un de ses côtés forme
le fond qui part du premier plan, à droite, et va au dernier plan, à
gauche, faire angle avec la scène, qu’on aperçoit en pan coupé.
Cette scène est encombrée, des deux côtés, le long des coulisses, par
des banquettes. Le rideau est formé par deux tapisseries qui peuvent
s’écarter. Au-dessus du manteau d’Arlequin, les armes royales. On
descend de l’estrade dans la salle par de larges marches. De chaque
côté de ces marches, la place des violons. Rampe de chandelles.

1. Représenter dans une pièce de théâtre les spectateurs les plus pauvres, qui
une autre pièce de théâtre est un procédé restent debout. Sur les côtés, les deux
courant que l’on appelle « théâtre dans le « galeries latérales » permettent
théâtre ». aux spectateurs plus aisés d’assister
2. L’Hôtel de Bourgogne est un des deux au spectacle assis ; à l’étage supérieur,
théâtres xes qui existent à Paris en 1640. les « loges » sont louées aux plus riches
C’est un théâtre à l’italienne : la scène est d’entre eux. Enn, les « banquettes »,
encadrée d’un « manteau d’Arlequin », situées sur la scène, sont réservées
structure où sont représentés des rideaux aux spectateurs les plus prestigieux.
relevés. La « rampe de chandelles » 3. Le jeu de paume est l’ancêtre du tennis,
et le « lustre » permettent d’assurer que l’on jouait en salle.
l’éclairage, à la bougie. Le « parterre », 4. Armes royales : symboles qui
espace situé devant la scène, accueille représentent la famille royale.

17
Cyrano de Bergerac

Deux rangs superposés de galeries latérales : le rang supérieur est


divisé en loges. Pas de sièges au parterre, qui est la scène même du
théâtre ; au fond de ce parterre, c’est-à-dire à droite, premier plan,
quelques bancs formant gradins et, sous un escalier qui monte vers
des places supérieures, et dont on ne voit que le départ, une sorte
de buet orné de petits lustres, de vases fleuris, de verres de cristal,
d’assiettes de gâteaux, de flacons, etc.
Au fond, au milieu, sous la galerie de loges, l’entrée du théâtre.
Grande porte qui s’entrebâille pour laisser passer les spectateurs. Sur
les battants de cette porte, ainsi que dans plusieurs coins et au-dessus
du buet, des aches rouges sur lesquelles on lit : La Clorise.
Au lever du rideau, la salle est dans une demi-obscurité, vide encore.
Les lustres sont baissés au milieu du parterre, attendant d’être allumés.

S 
L , qui arrive peu à peu. C, , , ,
, L , etc., puis  , C, B,
 ,  , etc.
On entend derrière la porte un tumulte de voix,
puis un cavalier entre brusquement.

L , le poursuivant.
Holà ! vos quinze sols !
L 
J’entre gratis !

1. La Clorise est une pastorale (œuvre 3. La distributrice : l’ouvreuse.


dont les personnages sont des bergers) 4. Sols : sous ; monnaie utilisée
écrite par Balthazar Baro en 1631. au e siècle.
2. Tire-laine : voleur.
18
Acte I

L 
Pourquoi ?
L 
Je suis chevau-léger de la maison du Roi !
L , à un autre cavalier qui vient d’entrer.
Vous ?
D 
Je ne paye pas !
L 
Mais…
D 
Je suis mousquetaire.
P , au deuxième.
On ne commence qu’à deux heures. Le parterre
05 Est vide. Exerçons-nous au fleuret.
Ils font des armes avec des fleurets
qu’ils ont apportés.
U , entrant
Pst… Flanquin ?…

1. Un « chevau-léger de la maison loin comme des « bretteurs », s’entraînent


du Roi » est un cavalier qui sert dans à l’escrime ; deux « laquais » (valets),
l’armée royale. Un « mousquetaire » Flanquin et Champagne, jouent au dés ;
est un soldat qui assure la protection un garde irte avec une « bouquetière »
du roi. Les deux cavaliers refusent (vendeuse de bouquets) ; un petit groupe
de payer l’entrée en prétextant que d’hommes pique-nique par terre ;
leur prestigieuse fonction les en dispense. un bourgeois et son ls discutent
2. Fleuret : épée sans tranchant, dont de théâtre ; des « pages » (serviteurs)
on se sert pour s’entraîner à se battre. dansent et préparent des farces ;
3. On voit ici sur scène plusieurs actions un « tire-laine » donne une leçon de vol
simultanées : des cavaliers, désignés plus à ses complices.

19
Cyrano de Bergerac

U , déjà arrivé.


Champagne ?…
L , lui montrant des jeux qu’il sort de son pourpoint.
Cartes. Dés.
Il s’assied par terre.
Jouons.
L , même jeu.
Oui, mon coquin.
P , tirant de sa poche un bout de chandelle
qu’il allume et colle par terre.
J’ai soustrait à mon maître un peu de luminaire.
U , à une bouquetière qui s’avance.
C’est gentil de venir avant que l’on n’éclaire !…
Il lui prend la taille.
U  , recevant un coup de fleuret.
Touche !
U  
Trèfle !
L , poursuivant la fille.
Un baiser !
L , se dégageant.
On voit !…
L , l’entraînant dans les coins sombres.
Pas de danger !

1. Pourpoint : habit d’homme couvrant 2. Bretteurs : hommes qui aiment


la poitrine du cou jusqu’à la ceinture. se battre à l’épée.

20
Acte I

U , s’asseyant par terre avec d’autres porteurs


de provisions de bouche.
10 Lorsqu’on vient en avance, on est bien pour manger.
U , conduisant son fils.
Plaçons-nous là, mon fils.
U 
Brelan d’as !
U , tirant une bouteille de sous son manteau
et s’asseyant aussi.
Un ivrogne
Doit boire son bourgogne…
Il boit.
à l’Hôtel de Bourgogne !
L , à son fils.
Ne se croirait-on pas en quelque mauvais lieu ?
Il montre l’ivrogne du bout de sa canne.
Buveurs…
En rompant, un des cavaliers le bouscule.
Bretteurs !
Il tombe au milieu des joueurs.
Joueurs !
L , derrière lui, lutinant toujours la femme.
Un baiser !

1. Provisions de bouche : nourriture 3. Lutinant : taquinant.


et boisson.
2. En rompant : en reculant (terme
d’escrime).

21
Cyrano de Bergerac

L , éloignant vivement son fils.


Jour de Dieu !
15 – Et penser que c’est dans une salle pareille
Qu’on joua du Rotrou, mon fils !
L  
Et du Corneille !
U   , se tenant par la main, entre en farandole
et chante.
Tra la la la la la la la la la la la lère…
L , sévèrement aux pages.
Les pages, pas de farce !…
P , avec une dignité blessée.
Oh ! Monsieur ! ce soupçon !…
Vivement au deuxième,
dès que le portier a tourné le dos.
As-tu de la ficelle ?
L 
Avec un hameçon.
P 
20 On pourra de là-haut pêcher quelque perruque.

1. Rotrou et Corneille sont deux auteurs de tragédies du


e siècle. Le bourgeois et son ls déplorent le décalage
entre la noblesse des pièces représentées sur la scène de
l’Hôtel de Bourgogne et l’atmosphère détendue et populaire
qui règne dans la salle.

22
Acte I

U , groupant autour de lui plusieurs hommes


de mauvaise mine.
Or çà, jeunes escrocs, venez qu’on vous éduque :
Puis donc que vous volez pour la première fois…
D , criant à d’autres pages déjà placés aux galeries
supérieures.
Hep ! Avez-vous des sarbacanes ?
T , d’en haut.
Et des pois !
Il soue et les crible de pois.
L  , à son père.
Que va-t-on nous jouer ?
L 
Clorise.
L  
De qui est-ce ?
L 
25 De monsieur Balthazar Baro . C’est une pièce !…
Il remonte au bras de son fils.
L , à ses acolytes.
… La dentelle surtout des canons, coupez-la !

1. Puis donc que : puisque. d’œil au spectateur cultivé en mêlant,


2. Sarbacanes : longs tuyaux qui permettent, aux personnages ctifs, des noms
quand on soue dedans, de jeter de petites de personnes réelles.
balles (par exemple, comme ici, des pois). 4. Acolytes : complices.
3. Balthazar Baro, auteur dramatique 5. Le canon dont il est ici question n’est
qui a réellement existé, est l’auteur pas une arme, mais une pièce de tissu
d’une pastorale intitulée La Clorise. ronde et large, souvent ornée de dentelle,
Dans Cyrano, Rostand multiplie les clins que l’on attachait au-dessus du genou.

23
Cyrano de Bergerac

U , à un autre,
lui montrant une encoignure élevée.
Tenez, à la première du Cid, j’étais là !
L , faisant avec ses doigts le geste de subtiliser.
Les montres…
L , redescendant, à son fils.
Vous verrez des acteurs très illustres…
L , faisant le geste de tirer par petites secousses furtives.
Les mouchoirs…
L 
Montfleury…
Q, criant de la galerie supérieure.
Allumez donc les lustres !
L 
30 Bellerose, l’Épy, la Beaupré, Jodelet !
U , au parterre.
Ah ! Voici la distributrice !…
L , paraissant derrière le buet.
Oranges, lait,
Eau de framboise, aigre de cèdre…
Brouhaha à la porte.

1. Une encoignure : un angle. 4. Furtives : discrètes et rapides.


2. Le Cid est une célèbre tragicomédie 5. Ce sont les comédiens les plus célèbres
de Corneille : la première représentation, de l’Hôtel de Bourgogne.
en 1637, fut un succès, mais la pièce 6. Aigre de cèdre : boisson au citron.
déclencha ensuite de vives polémiques.
3. Subtiliser : voler avec une grande
discrétion.

24
Acte I

U   


Places, brutes !
U , s’étonnant.
Les marquis !… au parterre ?…
U  
Oh ! pour quelques minutes.
Entre une bande de petits marquis.
U , voyant la salle à moitié vide.
Hé quoi ! Nous arrivons ainsi que les drapiers,
35 Sans déranger les gens ? sans marcher sur les pieds ?
Ah fi ! fi ! fi !
Il se trouve devant d’autres gentilshommes entrés peu avant.
Cuigy ! Brissaille !
Grandes embrassades.
C
Des fidèles !
Mais oui, nous arrivons devant que les chandelles…
L 
Ah ! ne m’en parlez pas ! Je suis dans une humeur…

1. Voix de fausset : voix très aiguë. 3. Le marquis déplore que son entrée ne
2. La répartition des spectateurs est faite soit pas assez spectaculaire : il est arrivé
selon le rang social. Le « peuple » reste trop tôt et, comme un simple « drapier »
debout au parterre (d’où l’étonnement (marchand de drap), est passé inaperçu.
du laquais en y voyant le marquis), Pour l’aristocratie, le théâtre est un
les nobles et le public aisé occupent divertissement où l’on vient aussi, dans ses
les loges et les galeries qui orent une plus beaux vêtements, pour se montrer.
meilleure visibilité. 4. Gentilhommes : nobles de haut rang.
Voir aussi note 2 p. 17. 5. Devant que : avant que.

25
Cyrano de Bergerac

U 
Console-toi, marquis, car voici l’allumeur !
L , saluant l’entrée de l’allumeur
40 Ah !…
On se groupe autour des lustres qu’il allume. Quelques personnes ont
pris place aux galeries. Lignière entre au parterre, donnant le bras à
Christian de Neuvillette. Lignière, un peu débraillé , figure d’ivrogne
distingué. Christian, vêtu élégamment, mais d’une façon un peu
démodée, paraît préoccupé et regarde les loges.

S 
L , C, L,
puis R et L B

C
Lignière !
B, riant.
Pas encor gris !…

1. Au e siècle, les salles sont éclairées à 3. Les vêtements démodés de Christian
la bougie. Les entractes, qui ont lieu toutes montrent qu’il ne connaît pas les
les demi-heures environ, permettent habitudes et les règles de la cour. C’est
de remplacer les bougies consumées et un jeune homme qui fait son entrée dans
de « moucher » (éteindre) régulièrement le monde, ce qui explique que Lignière,
les mèches pour que la fumée ne rende pas plus âgé et plus expérimenté, prenne soin
l’atmosphère irrespirable. de le présenter aux marquis.
2. Débraillé : dont les vêtements sont 4. Gris : ivre, saoul.
en désordre.

26
Acte I

L, bas à Christian.


Je vous présente ?
Signe d’assentiment de Christian.
Baron de Neuvillette.
Saluts.
L , acclamant l’ascension du premier lustre allumé.
Ah !
C, à Brissaille, en regardant Christian.
La tête est charmante.
P , qui a entendu.
Peuh !…
L, présentant à Christian.
Messieurs de Cuigy, de Brissaille…
C, s’inclinant.
Enchanté !…
P , au deuxième.
Il est assez joli, mais n’est pas ajusté
Au dernier goût.
L, à Cuigy.
Monsieur débarque de Touraine.
C
45 Oui, je suis à Paris depuis vingt jours à peine.
J’entre aux gardes demain, dans les Cadets.

1. Assentiment : accord, consentement. 4. Les Cadets : la compagnie où les jeunes


2. Ajusté au dernier goût : habillé aristocrates étaient formés au métier
selon la mode. des armes ; les membres de cette
3. La Touraine est une province de l’Ouest compagnie.
de la France, dont la capitale est Tours.

27
Cyrano de Bergerac

P , regardant les personnes qui entrent dans les loges.
Voilà
La présidente Aubry !
L 
Oranges, lait…
L , s’accordant.
La… la…
C, à Christian, désignant la salle qui se garnit.
Du monde !
C
Eh ! oui, beaucoup.
P 
Tout le bel air !
Ils nomment les femmes à mesure qu’elles entrent, très parées, dans
les loges. Envois de saluts, réponses de sourires.
D 
Mesdames
De Guéméné…
C
De Bois-Dauphin…
P 
Que nous aimâmes.
B
50 De Chavigny…

1. Le bel air : l’ensemble des aristocrates 2. Très parées : vêtues de beaux


de la plus haute noblesse. vêtements et portant de riches bijoux.

28
Acte I

D 
Qui de nos cœurs va se jouant !
L
Tiens, monsieur de Corneille est arrivé de Rouen.
L  , à son père.
L’Académie est là ?
L 
Mais… j’en vois plus d’un membre ;
Voici Boudu, Boissat, et Cureau de la Chambre ;
Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud…
55 Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau !
P 
Attention ! nos précieuses prennent place :
Barthénoïde, Urimédonte, Cassandace,
Félixérie…
D , se pâmant.
Ah ! Dieu ! leurs surnoms sont exquis !
Marquis, tu les sais tous ?
P 
Je les sais tous, marquis !

1. L’Académie française, créée par 3. On appelle « précieuses » les femmes


Richelieu en 1635, rassemble les gens qui, dans les salons, participent au
de lettres français les plus illustres, mouvement de la préciosité, laquelle
leur mission étant de xer les règles développe une poésie ranée et
de la langue française. savante. Les dames prennent un surnom
2. Les académiciens sont aussi appelés rané : Barthénoïde, Urimédonte…
« immortels » : mais, contrairement Magdeleine Robin a choisi de s’appeler
à ce qu’arme le bourgeois, beaucoup des Roxane, nom d’une héroïne de roman
noms cités sont tombés dans l’oubli au à la mode.
moment où Rostand compose Cyrano de
Bergerac.

29
Cyrano de Bergerac

L, prenant Christian à part.


60 Mon cher, je suis entré pour vous rendre service :
La dame ne vient pas. Je retourne à mon vice !
C, suppliant.
Non !… vous qui chansonnez et la ville et la cour,
Restez : vous me direz pour qui je meurs d’amour.
L   , frappant sur son pupitre, avec son archet.
Messieurs les violons !…
Il lève son archet.
L 
Macarons, citronnée…
Les violons commencent à jouer.
C
65 J’ai peur qu’elle ne soit coquette et ranée,
Je n’ose lui parler, car je n’ai pas d’esprit…
Le langage aujourd’hui qu’on parle et qu’on écrit,
Me trouble. Je ne suis qu’un bon soldat timide.
– Elle est toujours à droite, au fond : la loge vide.
L, faisant mine de sortir.
70 Je pars.
C, le retenant encore.
Oh ! non, restez !
L
Je ne peux. D’Assoucy

1. Lignière est pressé de retourner s’enivrer. 2. Vous qui chansonnez et la ville


S’il est venu au théâtre, c’est uniquement et la cour : vous qui écrivez des chansons
pour aider Christian, qui veut lui montrer pour vous moquer des bourgeois comme
la jeune femme dont il est tombé amoureux, des aristocrates.
an que Lignière lui dévoile son identité.

30
Acte I

M’attend au cabaret. On meurt de soif, ici.


L , passant devant lui avec un plateau.
Orangeade ?
L
Fi !
L 
Lait ?
L
Pouah !
L 
Rivesalte ?
L
Halte !
À Christian.
73 Je reste encore un peu. – Voyons ce rivesalte ?
Il s’assied près du buet. La distributrice lui verse du rivesalte.
C, dans le public à l’entrée d’un petit homme grassouillet et réjoui.
 Ah ! Ragueneau !…
L, à Christian.
Le grand rôtisseur Ragueneau.
R, costume de pâtissier endimanché ,
s’avançant vivement vers Lignière.
75 Monsieur, avez-vous vu monsieur de Cyrano ?

1. Rivesalte : vin doux naturel produit sur le 3. Endimanché : soigné, élégant ; se dit
terroir de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). d’un bourgeois qui a mis ses plus beaux
2. Rôtisseur : cuisinier. habits (péjoratif).

31
Cyrano de Bergerac

L, présentant Ragueneau à Christian.


Le pâtissier des comédiens et des poètes !
R, se confondant.
Trop d’honneur…
L
Taisez-vous, Mécène que vous êtes !
R
Oui, ces messieurs chez moi se servent…
L
À crédit.
Poète de talent lui-même…
R
Ils me l’ont dit.
L
80 Fou de vers !
R
Il est vrai que pour une odelette…
L
Vous donnez une tarte…
R
Oh ! une tartelette !

1. Se confondant : marquant qu’il trouve des artistes ou des institutions culturelles.


ce compliment excessif. Ragueneau, qui aime la poésie et en écrit
2. Mécène, proche de l’empereur romain lui-même, se plaît à régaler les poètes de
Auguste, protégea et entretint de délicieux gâteaux, dont ils ne manquent
nombreux artistes. Depuis, on appelle pas de proter.
« mécène » un particulier qui nance 3. Une odelette : un petit poème.
32
vers 88 à 141 Acte I
hatier-clic.fr/8446460a

L
Brave homme, il s’en excuse !… Et pour un triolet
Ne donnâtes-vous pas ?
R
Des petits pains !
L, sévèrement.
Au lait.
– Et le théâtre ! vous l’aimez ?
R
Je l’idolâtre.
L
85 Vous payez en gâteaux vos billets de théâtre !
Votre place, aujourd’hui, là, voyons, entre nous,
Vous a coûté combien ?
R
Quatre flans. Quinze choux.
Il regarde de tous côtés.
Monsieur de Cyrano n’est pas là ? Je m’étonne.
L
Pourquoi ?
R
Montfleury joue !
L
En eet, cette tonne,

1. Triolet : petit poème de huit vers. 2. Cette tonne : ce tonneau. (Monteury,


acteur en vogue vers 1640, était très gros.)

33
Cyrano de Bergerac

90 Va nous jouer ce soir le rôle de Phédon.


Qu’importe à Cyrano ?
R
Mais vous ignorez donc ?
Il fit à Montfleury, messieurs, qu’il prit en haine,
Défense, pour un mois, de reparaître en scène.
L, qui en est à son quatrième petit verre.
Eh bien ?
R
Montfleury joue !
C, qui s’est rapproché de son groupe.
Il n’y peut rien.
R
Oh ! Oh !
95 Moi, je suis venu voir !
P 
Quel est ce Cyrano ?
C
C’est un garçon versé dans les colichemardes.
D 
Noble ?
C
Susamment. Il est cadet aux gardes.

1. Phédon est un personnage 2. Colichemardes : épées à larges lames ;


de La Clorise. l’expression signie que Cyrano aime
se battre.

34
Acte I

Montrant un gentilhomme qui va et vient


dans la salle comme s’il cherchait quelqu’un.
Mais son ami Le Bret peut vous dire…
Il appelle.
Le Bret !
Le Bret descend vers eux.
Vous cherchez Bergerac ?
L B
Oui, je suis inquiet !…
C
100 N’est-ce pas que cet homme est des moins ordinaires ?
L B, avec tendresse.
Ah ! c’est le plus exquis des êtres sublunaires !
R
Rimeur !
C
Bretteur !
B
Physicien !
L B
Musicien !
L
Et quel aspect hétéroclite que le sien !

1. Êtres sublunaires : êtres qui se trouvent la plus célèbre s’intitule L’Autre Monde
sous la Lune, c’est-à-dire sur Terre. ou les États et Empires de la Lune.
L’expression est un clin d’œil de l’auteur au 2. Hétéroclite : bizarre.
véritable Cyrano de Bergerac, dont l’œuvre

35
Cyrano de Bergerac

R
Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne
105 Le solennel monsieur Philippe de Champaigne ;
Mais bizarre, excessif, extravagant, falot,
Il eût fourni, je pense, à feu Jacques Callot
Le plus fol spadassin à mettre entre ses masques :
Feutre à panache triple et pourpoint à six basques,
110 Cape que par-derrière, avec pompe, l’estoc
Lève, comme une queue insolente de coq,
Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne
Fut et sera toujours l’alme Mère Gigogne,
Il promène en sa fraise à la Pulcinella,
115 Un nez !… Ah ! messeigneurs, quel nez que ce nez-là !…
On ne peut voir passer un pareil nasigère
Sans s’écrier : « Oh ! non, vraiment, il exagère ! »
Puis on sourit, on dit : « Il va l’enlever… » Mais
Monsieur de Bergerac ne l’enlève jamais.
L B, hochant la tête.
120 Il le porte, – et pourfend quiconque le remarque !

1. Falot : joyeux. et le personnage de farce Mère Gigogne.


2. Philippe de Champaigne est un peintre Ragueneau se moque gentiment de la erté
du e siècle célèbre pour ses portraits qu’éprouvent Cyrano, et les Gascons
ociels des gentilshommes de la cour. en général, à être originaire de Gascogne.
Jacques Callot, quant à lui, est connu pour 6. Cyrano est aussi extravagant
ses portraits de « masques » (c’est-à-dire par sa tenue : il porte habituellement
de personnages) de la commedia dell’arte. un chapeau mal fait (« feutre ») orné de
Cette double référence picturale insiste trois grandes plumes (« panache triple »),
sur la fantaisie de Cyrano, sa personnalité un habit serré (« pourpoint à six basques »),
exubérante et son originalité. une cape, une grande épée (« estoc »),
3. Spadassin : homme d’épée (synonyme et une large collerette (« fraise »),
de bretteur). comparée à celle que porte Pulcinella, l’un
4. Artaban est un personnage de roman des personnages de la commedia dell’arte.
célèbre pour sa erté. 7. Nasigère : nez.
5. L’expression « l’alme Mère Gigogne » mêle 8. Pourfend : perce de son épée.
le latin alma mater, « mère nourricière »
36
Acte I

R, fièrement.
Son glaive est la moitié des ciseaux de la Parque !
P , haussant les épaules.
Il ne viendra pas !
R
Si !… Je parie un poulet
À la Ragueneau !
L , riant.
Soit !
Rumeurs d’admiration dans la salle. Roxane vient de paraître dans
sa loge. Elle s’assied sur le devant, sa duègne prend place au fond.
Christian, occupé à payer la distributrice, ne regarde pas.
D , avec des petits cris.
Ah ! messieurs ! mais elle est
Épouvantablement ravissante !
P 
Une pêche
125 Qui sourirait avec une fraise !
D 
Et si fraîche
Qu’on pourrait, l’approchant, prendre un rhume de cœur !

1. Dans la religion romaine, les Parques, 3. La métaphore signie que Roxane


au nombre de trois, sont les divinités qui a un visage magnique, à la peau
président au destin de chaque homme. semblable par sa clarté et sa douceur
La première dévide le l de la vie, à celle d’une pêche, et aux lèvres rouges
la deuxième le le, la troisième le coupe. et appétissantes comme une fraise.
L’expression signie que Cyrano est Cette réplique, comme la suivante,
capable de tuer n’importe qui à l’aide parodie le goût de l’image et de
de son épée (son « glaive »). la métaphore de la poésie précieuse
2. Duègne : gouvernante chargée du e siècle.
de veiller sur une jeune lle.

37
Cyrano de Bergerac

C, lève la tête, aperçoit Roxane,


et saisit vivement Lignière par le bras.
C’est elle !
L, regardant.
Ah ! c’est elle ?…
C
Oui. Dites vite. J’ai peur.
L, dégustant son rivesalte à petits coups.
Magdeleine Robin, dite Roxane. – Fine.
Précieuse.
C
Hélas !
L
Libre. Orpheline. Cousine
130 De Cyrano, – dont on parlait…
À ce moment un seigneur très élégant, le cordon bleu en sautoir,
entre dans la loge et, debout, cause un instant avec Roxane.
C, tressaillant.
Cet homme ?…
L, qui commence à être gris, clignant de l’œil.
Hé ! Hé !…
– Comte de Guiche. Épris d’elle. Mais marié
À la nièce d’Armand de Richelieu. Désire
Faire épouser Roxane à certain triste sire,

1. Cordon bleu : cordon de Saint-Louis, 2. Le cardinal de Richelieu est le tout-


l’une des plus prestigieuses distinctions puissant Premier ministre du roi Louis XIII.
de la noblesse sous l’Ancien Régime. Il est mentionné plusieurs fois au cours
de la scène.

38
Acte I

Un monsieur de Valvert, vicomte… et complaisant.


135 Elle n’y souscrit pas, mais de Guiche est puissant :
Il peut persécuter une simple bourgeoise.
D’ailleurs j’ai dévoilé sa manœuvre sournoise
Dans une chanson qui… Ho ! il doit m’en vouloir !
– La fin était méchante… Écoutez…
Il se lève en titubant, le verre haut, prêt à chanter.
C
Non. Bonsoir.
L
140 Vous allez ?
C
Chez monsieur de Valvert !
L
Prenez garde :
C’est lui qui vous tuera !
Lui désignant du coin de l’œil Roxane.
Restez. On vous regarde.
C
C’est vrai !
Il reste en contemplation. Le groupe de tire-laine, à partir de ce moment,
le voyant la tête en l’air et la bouche bée, se rapproche de lui.
L
C’est moi qui pars. J’ai soif ! Et l’on m’attend
– Dans des tavernes !
Il sort en zigzaguant.

1. Valvert a passé un accord avec 2. Elle n’y souscrit pas : elle n’est pas
De Guiche : s’il épouse Roxane, De Guiche d’accord.
deviendra l’amant de la jeune femme.

39
Cyrano de Bergerac

L B, qui a fait le tour de la salle, revenant vers Ragueneau,


d’une voix rassurée.
Pas de Cyrano.
R, incrédule.
Pourtant…
L B
Ah ! je veux espérer qu’il n’a pas vu l’ache !
L , trépignante.
145 Commencez ! Commencez !

Anne Brochet (Roxane), Philippe Volter (vicomte de Valvert) et Jacques Weber


(comte de Guiche), dans l’adaptation cinématographique de Cyrano de Bergerac
réalisée par Jean-Paul Rappeneau, en 1990.

1 Quels personnages reconnais-tu sur cette photographie ?


2 Quels éléments t’ont permis de répondre à la question
précédente ?
Regarde attentivement les costumes et les attitudes
des personnages.
40
Acte I
As-tu bien lu ?

Acte I, scènes I et 2
O pages 18 à 40
O Voir aussi
étape 1, p. 280

1 Les scènes 1 et 2 de l’acte I se déroulent


dans un théâtre. Mais à quelle époque ?
c au e siècle cau e siècle c au  siècle
e

2 Dans la salle de théâtre, quelle est l’atmosphère générale ?


c calme c bruyante c attentive
3 Parmi les personnages principaux, lequel n’est pas encore
entré en scène ?
c Christian c
Cyrano c De Guiche c Roxane
4 Ta mission
O Qui sont les précieuses ?
Dans Cyrano, Roxane est qualiée
de « précieuse » (notamment v. 128).
a. Cherche des informations sur
ce qu’on appelle les précieuses
au e siècle.
b. Trouve le nom d’une pièce
de théâtre de Molière où l’auteur
se moque d’elles.
Illustration pour Les Précieuses
ridicules, de Molière.

41
Cyrano de Bergerac

S 
L , moins L ;  G,
V, puis M

U , voyant de Guiche, qui descend de la loge de Roxane,
traverse le parterre, entouré de seigneurs obséquieux,
parmi lesquels le vicomte de Valvert.
Quelle cour, ce de Guiche !
U 
Fi !… Encore un Gascon !
L 
Le Gascon souple et froid,
Celui qui réussit !… Saluons-le, crois-moi.
Ils vont vers de Guiche.
D 
Les beaux rubans ! Quelle couleur, comte de Guiche ?
Baise-moi-ma-mignonne ou bien Ventre-de-Biche ?
D G
150 C’est couleur Espagnol malade.
P 
La couleur
Ne ment pas, car bientôt, grâce à votre valeur,
L’Espagnol ira mal, dans les Flandres !

1. Obséquieux : trop polis et trop 2. En 1640, la France est en guerre contre


respectueux. l’Espagne.

42
Acte I

D G
Je monte
Sur scène. Venez-vous ?
Il se dirige, suivi de tous les marquis et gentilshommes,
vers le théâtre. Il se retourne et appelle.
Viens, Valvert !
C, qui les écoute et les observe,
tressaille en entendant ce nom.
Le vicomte !
Ah ! je vais lui jeter à la face mon…
Il met la main dans sa poche, et y rencontre
celle d’un tire-laine en train de le dévaliser. Il se retourne.
Hein ?
L 
155 Ay !…
C, sans le lâcher.
Je cherchais un gant !
L , avec un sourire piteux.
Vous trouvez une main.
Changeant de ton, bas et vite.
Lâchez-moi. Je vous livre un secret.
C, le tenant toujours.
Quel ?
L 
Lignière…
Qui vous quitte…

43
Cyrano de Bergerac

C, de même.
Eh ! bien ?
L 
… touche à son heure dernière.
Une chanson qu’il fit blessa quelqu’un de grand,
Et cent hommes – j’en suis – ce soir sont postés !…
C
Cent !
160 Par qui ?
L 
Discrétion…
C, haussant les épaules.
Oh !
L , avec beaucoup de dignité.
Professionnelle !
C
Où seront-ils postés ?
L 
À la porte de Nesle.
Sur son chemin. Prévenez-le !
C, qui lui lâche enfin le poignet.
Mais où le voir !
L 
Allez courir tous les cabarets : le Pressoir
D’Or, la Pomme de Pin, la Ceinture qui craque,
165 Les Deux Torches, les Trois Entonnoirs, – et dans chaque,
Laissez un petit mot d’écrit l’avertissant.

44
Acte I

C
Oui, je cours ! Ah ! les gueux ! Contre un seul homme, cent !
Regardant Roxane avec amour.
La quitter… elle !
Regardant avec fureur Valvert.
Et lui !… – Mais il faut que je sauve
Lignière !…
Il sort en courant. – De Guiche, le vicomte, les marquis, tous les
gentilshommes ont disparu derrière le rideau pour prendre place
sur les banquettes de la scène. Le parterre est complètement rempli.
Plus une place vide aux galeries et aux loges.
L 
Commencez.
U , dont la perruque s’envole au bout
d’une ficelle, pêchée par un page de la galerie supérieure.
Ma perruque !
C  
Il est chauve !…
170 Bravo, les pages !… Ha ! ha ! ha !…
L , furieux, montrant le poing.
Petit gredin !
R  , qui commencent très fort et vont décroissant.
HA !  ! ha ! ha ! ha ! ha !
Silence complet.

1. Gueux : misérables. du Marais. Elles étaient destinées


2. Au e siècle, trois rangées aux spectateurs distingués. Les jeunes
de banquettes étaient placées seigneurs s’y donnaient souvent en
de part et d’autre des scènes de spectacle, par leurs exclamations, leurs
l’Hôtel de Bourgogne et du théâtre extravagances, et même parfois leurs
apostrophes au parterre.

45
Cyrano de Bergerac

L B, étonné.
Ce silence soudain ?…
Un spectateur lui parle bas.
Ah ?…
L 
La chose me vient d’être certifiée.
M, qui courent.
Chut ! – Il paraît ?… Non !… Si ! – Dans la loge grillée.
– Le Cardinal ! – Le Cardinal ! – Le Cardinal !
U 
175 Ah ! diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal !…
On frappe sur la scène. Tout le monde s’immobilise. Attente.
L   , dans le silence, derrière le rideau.
Mouchez cette chandelle !
U  , passant la tête par la fente du rideau.
Une chaise !
Une chaise est passée, de main en main, au-dessus des têtes. Le marquis
la prend et disparaît, non sans avoir envoyé quelques baisers aux loges.
U 
Silence !
On refrappe les trois coups. Le rideau s’ouvre. Tableau. Les marquis
assis sur les côtés, dans des poses insolentes. Toile de fond

1. Il s’agit du cardinal 4. Au théâtre, un tableau est


de Richelieu. la subdivision d’un acte, durant laquelle
2. Mouchez : éteignez. peuvent se faire à vue des changements
3. On frappe « les trois coups » de lieux et de décors.
avec un grand bâton appelé
« brigadier », pour annoncer le début
de la représentation.

46
vers 178 à 191 Acte I
hatier-clic.fr/8446460b

représentant un décor bleuâtre de pastorale. Quatre petits lustres


de cristal éclairent la scène. Les violons jouent doucement.
L B, à Ragueneau, bas.
Montfleury entre en scène ?
R, bas aussi.
Oui, c’est lui qui commence.
L B
Cyrano n’est pas là.
R
J’ai perdu mon pari.
L B
Tant mieux ! tant mieux !
On entend un air de musette, et Montleury paraît en scène,
énorme, dans un costume de berger de pastorale,
un chapeau garni de roses penché sur l’oreille,
et souflant dans une cornemuse enrubannée.
L , applaudissant.
Bravo, Montfleury ! Montfleury !
M, après avoir salué, jouant le rôle de Phédon.
180 « Heureux qui loin des cours, dans un lieu solitaire,
Se prescrit à soi-même un exil volontaire,
Et qui, lorsque Zéphire a soué sur les bois… »

1. La pastorale, à la mode au e siècle,


met en scène des histoires d’amour
entre bergers et bergères.
2. Musette : instrument à vent.
47
Cyrano de Bergerac

U , au milieu du parterre.


Coquin, ne t’ai-je pas interdit pour un mois ?
Stupeur. Tout le monde se retourne. Murmures.
V 
Hein ? – Quoi ? – Qu’est-ce ?…
On se lève dans les loges, pour voir.
C
C’est lui !
L B, terrifié.
Cyrano !
L 
Roi des pitres,
185 Hors de scène à l’instant !
T  , indignée.
Oh !
M
Mais…
L 
Tu récalcitres ?
V , du parterre, des loges.
Chut ! Assez ! – Montfleury, jouez ! – Ne craignez rien !…
M, d’une voix mal assurée.
« Heureux qui loin des cours dans un lieu sol… »

1. L’entrée en scène de Cyrano est 2. Tu récalcitres ? : Tu résistes ?


retardée pour créer un eet d’attente :
il n’est d’abord qu’une « voix » au milieu
des autres voix du public.

48
Mise en scène de Cyrano de Bergerac par Denis Podalydès à la Comédie-Française
(Paris), en 2010.

1 À quoi reconnais-tu Monteury et Cyrano sur la photographie ?


2 Propose un adjectif qui qualie l’expression de leur visage.
3 Comment la mise en scène instaure-t-elle le procédé
du « théâtre dans le théâtre » ?

49
Cyrano de Bergerac

L , plus menaçante.


Eh bien ?
Faudra-t-il que je fasse, ô Monarque des drôles,
Une plantation de bois sur vos épaules ?
Une canne au bout d’un bras jaillit au-dessus des têtes.
M, d’une voix de plus en plus faible.
190 « Heureux qui… »
La canne s’agite.
L 
Sortez !
L 
Oh !
M, s’étranglant.
« Heureux qui loin des cours… »
C, surgissant du parterre, debout sur une chaise,
les bras croisés, le feutre en bataille, la moustache hérissée,
le nez terrible.
Ah ! je vais me fâcher !…
Sensation à sa vue.

1. Par cette métaphore, Cyrano menace Champeury de lui asséner de nombreux coups
de bâtons. Dans la comédie, c’est le châtiment réservé aux pitres.

50
Acte I
As-tu bien lu ?

Acte I, scène 3
O pages 42 à 50

1 Vrai ou faux ? Coche la bonne réponse.


a. Monteury est un ami de Cyrano. c vrai c faux
b. Monteury incarne un valet de comédie. c vrai c faux
2 Plusieurs personnages sont présentés dans cette scène.
Relie chaque personnage à sa description.
De Guiche • • Un voleur lui apprend un secret.
Christian • • Il apparaît entouré de gentilshommes.
Le Bret • • Cette précieuse attire les regards.
Roxane • • Il s’inquiète pour Cyrano.
3 Quel eet produit dans le public l’arrivée retardée de Cyrano ?
c de l’impatience c de la tristesse c de la curiosité
4 Ta mission
O Pourquoi « trois coups » ?
Dans la scène 3 de l’acte I,
une didascalie indique : « On
refrappe les trois coups » (p. 46).
Mène l’enquête et raconte les
origines de cette tradition française.
Aide-toi de la vidéo sur You Tube
« Les trois coups »
(issue de l’émission Karambolage).

51
Cyrano de Bergerac

S 
L , C, puis B, J

M, aux marquis.
Venez à mon secours,
Messieurs !
U , nonchalamment.
Mais jouez donc !
C
Gros homme, si tu joues
Je vais être obligé de te fesser les joues !
L 
Assez !
C
Que les marquis se taisent sur leurs bancs,
195 Ou bien je fais tâter ma canne à leurs rubans !
T  , debout.
C’en est trop !… Montfleury…
C
Que Montfleury s’en aille,
Ou bien je l’essorille et le désentripaille !
U 
Mais…

1. Nonchalamment : avec indiérence. 2. Je l’essorille et le désentripaille : je lui


coupe les oreilles et lui arrache les tripes.

52
Acte I

C
Qu’il sorte !
U  
Pourtant…
C
Ce n’est pas encor fait ?
Avec le geste de retrousser ses manches.
Bon ! je vais sur la scène, en guise de buet,
200 Découper cette mortadelle d’Italie !
M, rassemblant toute sa dignité.
En m’insultant, Monsieur, vous insultez Thalie !
C, très poli.
Si cette Muse, à qui, Monsieur, vous n’êtes rien,
Avait l’honneur de vous connaître, croyez bien
Qu’en vous voyant si gros et bête comme une urne,
205 Elle vous flanquerait quelque part son cothurne.
L 
Montfleury ! Montfleury ! – La pièce de Baro ! –
C, à ceux qui crient autour de lui.
Je vous en prie, ayez pitié de mon fourreau :
Si vous continuez, il va rendre sa lame !
Le cercle s’élargit.
L , reculant.
Hé ! Là !…

1. Cette mortadelle : ce gros saucisson. 3. Fourreau : étui contenant l’épée.


2. Thalie est la muse de la comédie. Elle Derrière la formule, qui semble polie,
est représentée chaussée de « cothurnes », se cache une menace : Cyrano est sur
sandales à semelle très épaisse portées le point de dégainer son épée.
dans la Grèce antique par les comédiens.

53
Cyrano de Bergerac

C, à Montfleury.
Sortez de scène !
L , se rapprochant et grondant.
Oh ! Oh !
C, se retournant vivement.
Quelqu’un réclame ?
Nouveau recul.
U , chantant au fond.
210 Monsieur de Cyrano
Vraiment nous tyrannise,
Malgré ce tyranneau
On jouera La Clorise.
T  , chantant.
La Clorise, La Clorise !…
C
215 Si j’entends une fois encor cette chanson,
Je vous assomme tous.
U 
Vous n’êtes pas Samson !
C
Voulez-vous me prêter, Monsieur, votre mâchoire ?
U , dans les loges.
C’est inouï !

1. Tyranneau : petit tyran. 2. Samson est un personnage biblique


d’une très grande force, célèbre pour
avoir tué mille Philistins avec
une mâchoire d’âne.

54
Acte I

U 
C’est scandaleux !
U 
C’est vexatoire !
U 
Ce qu’on s’amuse !
L 
Kss ! – Montfleury ! – Cyrano !
C
220 Silence !
L , en délire.
Hi han ! Bêê ! Ouah, ouah ! – Cocorico !
C
Je vous…
U 
Miâou !
C
Je vous ordonne de vous taire !
Et j’adresse un défi collectif au parterre !
– J’inscris les noms ! – Approchez-vous, jeunes héros !
Chacun son tour ! Je vais donner des numéros ! –
225 Allons, quel est celui qui veut ouvrir la liste ?
Vous, Monsieur ? Non ! Vous ? Non ! Le premier duelliste,
Je l’expédie avec les honneurs qu’on lui doit !
– Que tous ceux qui veulent mourir lèvent le doigt.
Silence.

55
Cyrano de Bergerac

La pudeur vous défend de voir ma lame nue ?


230 Pas un nom ? – Pas un doigt ? – C’est bien. Je continue.
Se retournant vers la scène où Montfleury attend avec angoisse.
Donc, je désire voir le théâtre guéri
De cette fluxion. Sinon…
La main à son épée.
le bistouri !
M
Je…
C descend de sa chaise, s’assied au milieu du rond
qui s’est formé, s’installe comme chez lui.
Mes mains vont frapper trois claques, pleine lune !
Vous vous éclipserez à la troisième.
L , amusé.
Ah ?…
C, frappant dans ses mains.
Une !
M
235 Je…
U , des loges.
Restez !
L 
Restera… restera pas…

1. Cyrano recourt à une métaphore lée :


Monteury est une maladie (une « uxion »)
dont il veut « guérir » le théâtre. En bon chirurgien,
il n’hésitera pas à utiliser son « bistouri »,
c’est-à-dire son épée…

56
Acte I

M
Je crois,
Messieurs…
C
Deux !
M
Je suis sûr qu’il vaudrait mieux que…
C
Trois !
Montfleury disparaît comme dans une trappe.
Tempête de rires, de siets, de huées.
L 
Hu !… hu !… Lâche !… Reviens !…
C, épanoui, se renverse sur sa chaise, et croise ses jambes.
Qu’il revienne, s’il l’ose !
U 
L’orateur de la troupe !
Bellerose s’avance et salue.
L 
Ah !… Voilà Bellerose !
B, avec élégance.
Nobles seigneurs…
L 
Non ! Non ! Jodelet !

1. L’orateur : ici, le porte-parole.


57
Cyrano de Bergerac

J s’avance, et, nasillard.


Tas de veaux !
L 
240 Ah ! Ah ! Bravo ! très bien ! bravo !
J
Pas de bravos !
Le gros tragédien dont vous aimez le ventre
S’est senti…
L 
C’est un lâche !

ly
on
J s
Il dut sortir !
se
po

L 
r

Qu’il rentre !
pu

L 
dy

Non !
tu
rs

L 
Fo

Si !
U  , à Cyrano.
Mais à la fin, Monsieur, quelle raison
Avez-vous de haïr Montfleury ?
C, gracieux, toujours assis.
Jeune oison,
245 J’ai deux raisons, dont chaque est susante seule.
Primo : c’est un acteur déplorable qui gueule,

1. Oison : petit d’une oie. Le mot désigne aussi un homme stupide, car très naïf.
58
Acte I

Et qui soulève, avec des han ! de porteur d’eau,


Le vers qu’il faut laisser s’envoler ! – Secundo :
Est mon secret…
L  , derrière lui.
Mais vous nous privez sans scrupule
250 De La Clorise ! Je m’entête…
C, tournant sa chaise vers le bourgeois, respectueusement.
Vieille mule,
Les vers du vieux Baro valant moins que zéro,
J’interromps sans remords !
L , dans les loges.
Ha ! – ho ! – Notre Baro !
Ma chère ! – Peut-on dire ?… Ah ! Dieu !…
C, tournant sa chaise vers les loges, galant.
Belles personnes,
Rayonnez, fleurissez, soyez des échansonnes
255 De rêve, d’un sourire enchantez un trépas,
Inspirez-nous des vers… mais ne les jugez pas !
B
Et l’argent qu’il va falloir rendre !
C, tournant sa chaise vers la scène.
Bellerose,
Vous avez dit la seule intelligente chose !
Au manteau de Thespis je ne fais pas de trous :

1. Un échanson est un domestique chargé 2. Un trépas : une mort.


de servir le vin. Le mot est ici féminisé par 3. Thespis est un poète tragique grec, à qui
Cyrano : d’après lui, les femmes doivent l’on attribue l’invention de la tragédie.
se contenter de jouer leur rôle de muses, Cyrano veut dire qu’en empêchant
d’inspiratrices, mais ne sont pas capables Monteury de jouer, il n’a pas fait de tort
de juger de la qualité d’une œuvre. à l’art dramatique.
59
Cyrano de Bergerac

Il se lève et lançant un sac sur la scène.


260 Attrapez cette bourse au vol, et taisez-vous !
L , éblouie.
Ah !… Oh !…
J, ramassant prestement la bourse et la soupesant.
À ce prix-là, Monsieur, je t’autorise
À venir chaque jour empêcher La Clorise !…
L 
Hu !… Hu !…
J
Dussions-nous même ensemble être hués !…
B
Il faut évacuer la salle !…
J
Évacuez !…
On commence à sortir, pendant que Cyrano regarde d’un air
satisfait. Mais la foule s’arrête bientôt en entendant
la scène suivante, et la sortie cesse. Les femmes qui,
dans les loges, étaient déjà debout, leur manteau remis,
s’arrêtent pour écouter, et finissent par se rasseoir.
L B, à Cyrano.
265 C’est fou !…
U , qui s’est approché de Cyrano.
Le comédien Montfleury ! quel scandale

1. Cette bourse : ce petit sac contenant 2. Fâcheux : importun.


des pièces d’or.
60
Acte I

Mais il est protégé par le duc de Candale !


Avez-vous un patron ?
C
Non !
L 
Vous n’avez pas ?…
C
Non !
L 
Quoi, pas un grand seigneur pour couvrir de son nom ?…
C, agacé.
Non, ai-je dit deux fois. Faut-il donc que je trisse ?
270 Non, pas de protecteur…
La main à son épée.
mais une protectrice !
L 
Mais vous allez quitter la ville ?
C
C’est selon.
L 
Mais le duc de Candale a le bras long !
C
Moins long

1. Le duc de Candale est un célèbre mécène 2. Trisse : dise une troisième fois.
de l’époque, c’est-à-dire un protecteur, 3. A le bras long : a beaucoup d’inuence
un « patron » qui nance les artistes. et de pouvoir.

61
Cyrano de Bergerac

Que n’est le mien…


Montrant son épée.
quand je lui mets cette rallonge !
L 
Mais vous ne songez pas à prétendre…
C
J’y songe.
L 
275 Mais…
C
Tournez les talons, maintenant.
L 
Mais…
C
Tournez !
– Ou dites-moi pourquoi vous regardez mon nez.
L , ahuri.
Je…
C, marchant sur lui.
Qu’a-t-il d’étonnant ?
L , reculant.
Votre Grâce se trompe…
C
Est-il mol et ballant, monsieur, comme une trompe ?…
L , même jeu.
Je n’ai pas…

62
Acte I

C
Ou crochu comme un bec de hibou ?
L 
280 Je…
C
Y distingue-t-on une verrue au bout ?
L 
Mais…
C
Ou si quelque mouche, à pas lents, s’y promène ?
Qu’a-t-il d’hétéroclite ?
L 
Oh !…
C
Est-ce un phénomène ?
L 
Mais d’y porter les yeux j’avais su me garder !
C
Et pourquoi, s’il vous plaît, ne pas le regarder ?
L 
285 J’avais…
C
Il vous dégoûte alors ?

1. D’hétéroclite : de bizarre.
63
Cyrano de Bergerac

L 
Monsieur…
C
Malsaine
Vous semble sa couleur ?
L 
Monsieur !
C
Sa forme, obscène ?
L 
Mais pas du tout !…
C
Pourquoi donc prendre un air dénigrant ?
– Peut-être que monsieur le trouve un peu trop grand ?
L , balbutiant.
Je le trouve petit, tout petit, minuscule !
C
290 Hein ? comment ? m’accuser d’un pareil ridicule ?
Petit, mon nez ? Holà !
L 
Ciel !
C
Énorme, mon nez !
– Vil camus, sot camard, tête plate, apprenez
Que je m’enorgueillis d’un pareil appendice,

1. Vil : méprisable ; camus, camard : qui a 2. Appendice : long nez.


un nez court et plat.

64
Acte I

Attendu qu’un grand nez est proprement l’indice


295 D’un homme aable, bon, courtois, spirituel,
Libéral, courageux, tel que je suis, et tel
Qu’il vous est interdit à jamais de vous croire,
Déplorable maraud ! car la face sans gloire
Que va chercher ma main en haut de votre col,
300 Est aussi dénuée…
Il le souette.
L 
Ay !
C
De fierté, d’envol,
De lyrisme, de pittoresque, d’étincelle,
De somptuosité, de Nez enfin, que celle…
Il le retourne par les épaules, joignant le geste à la parole.
Que va chercher ma botte au bas de votre dos !
L , se sauvant.
Au secours ! À la garde !
C
Avis donc aux badauds
305 Qui trouveraient plaisant mon milieu de visage,
Et si plaisantin est noble, mon usage
Est de lui mettre, avant de le laisser s’enfuir,
Par-devant, et plus haut, du fer, et non du cuir !

1. Maraud : coquin (insulte). 4. Badauds : niais qui s’amusent de tout.


2. Il le souette : il le gie. 5. Plaisant : amusant.
3. Cyrano évoque les qualités qui, 6. Cyrano menace tous ceux qui se
selon lui, font défaut au fâcheux : risqueraient à se moquer de son nez
le lyrisme (l’expression des émotions) de se venger par des coups d’épée.
et le pittoresque (ce qui, par son aspect
séduisant, est digne d’être peint).

65
Cyrano de Bergerac

D G, qui est descendu de la scène, avec les marquis.


Mais, à la fin, il nous ennuie !
L   V, haussant les épaules.
Il fanfaronne !
D G
310 Personne ne va donc lui répondre ?…
L 
Personne ?
Attendez ! Je vais lui lancer un de ces traits !…
Il s’avance vers Cyrano qui l’observe, et se campant
devant lui d’un air fat.
Vous… vous avez un nez… heu… un nez… très grand.
C, gravement.
Très.
L , riant.
Ha !
C, imperturbable.
C’est tout ?…
L 
Mais…
C
Ah non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… Oh ! Dieu… bien des choses en somme…
315 En variant le ton, – par exemple, tenez :

1. Fanfaronne : se vante. 3. Fat : prétentieux.


2. Traits : mots d’esprit qui ridiculisent
celui auquel ils sont adressés.

66
vers 309 à 436 Acte I
hatier-clic.fr/8446460b
Agressif : « Moi, monsieur, si j’avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! »
Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse :
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! »
320 Descriptif : « C’est un roc !… c’est un pic !… c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ?… C’est une péninsule ! »
Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ?
D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? »
Gracieux : « Aimez-vous à ce point les oiseaux
325 Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? »
Truculent : « Ça, monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? »
330 Prévenant : « Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! »
Tendre : « Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! »
Pédant : « L’animal seul, monsieur, qu’Aristophane
335 Appelle Hippocampelephantocamélos
Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! »
Cavalier : « Quoi, l’ami, ce croc est à la mode ?
Pour pendre son chapeau, c’est vraiment très commode ! »
Emphatique : « Aucun vent ne peut, nez magistral,

1. Un hanap : une très grande tasse. « hippocampelephantocamélos » est


2. Oblongue : de forme allongée. créé par Rostand à partir des mots
3. Pétunez : prisez, fumez du tabac. hippocampe, éléphant et chameau
4. Pédant : prétentieux. (« camélos »).
5. Aristophane est un dramaturge 6. Cavalier : désinvolte, sans gêne.
de l’Antiquité grecque, célèbre 7. Croc : crochet.
pour ses comédies dans lesquelles 8. Emphatique : style grandiloquent,
il invente des mots. Le mot prétentieux.

67
Cyrano de Bergerac

340 T’enrhumer tout entier, excepté le mistral ! »


Dramatique : « C’est la mer Rouge quand il saigne ! »
Admiratif : « Pour un parfumeur, quelle enseigne ! »
Lyrique : « Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? »
Naïf : « Ce monument, quand le visite-t-on ? »
345 Respectueux : « Sourez, monsieur, qu’on vous salue,
C’est là ce qui s’appelle avoir pignon sur rue ! »
Campagnard : « Hé, ardé ! C’est-y un nez ? Nanain !
C’est queuqu’navet géant ou ben queuqu’melon nain ! »
Militaire : « Pointez contre cavalerie ! »
350 Pratique : « Voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot ! »
Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot :
« Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
A détruit l’harmonie ! Il en rougit, le traître ! »
355 – Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit :
Mais d’esprit, ô le plus lamentable des êtres,
Vous n’en eûtes jamais un atome, et de lettres
Vous n’avez que les trois qui forment le mot : sot !
360 Eussiez-vous eu, d’ailleurs, l’invention qu’il faut
Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,
Me servir toutes ces folles plaisanteries,
Que vous n’en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du commencement d’une, car

1. Mistral : vent violent et froid 4. Avoir pignon sur rue : posséder


qui soue dans la vallée du Rhône. une situation confortable et aisée.
2. Une conque : une grande coquille. 5. Pyrame est le héros d’une tragédie
(Ce mot va apparaître plusieurs fois dans de Théophile de Viau, intitulée Pyrame
la suite de la scène.) et Thisbé (1617).
3. Un triton : une divinité marine.
68
Acte I

365 Je me les sers moi-même, avec assez de verve,


Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve.
D G, voulant emmener le vicomte pétrifié.
Vicomte, laissez donc !
L , suoqué.
Ces grands airs arrogants !
Un hobereau qui… qui… n’a même pas de gants !
Et qui sort sans rubans, sans bouettes, sans ganses !

Michel Vuillermoz (Cyrano) dans la mise en scène de Cyrano de Bergerac


par Denis Podalydès à la Comédie-Française (Paris), en 2010.

1. De verve : d’esprit, de brio. 3. Bouettes, ganses : rubans de diérentes


2. Hobereau : petit noble de campagne. formes qui ornaient les habits de l’époque.

69
Cyrano de Bergerac

C
370 Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances.
Je ne m’attife pas ainsi qu’un freluquet,
Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet :
Je ne sortirais pas avec, par négligence,
Un aront pas très bien lavé, la conscience
375 Jaune encor de sommeil dans le coin de son œil,
Un honneur chionné, des scrupules en deuil.
Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise,
Empanaché  d’indépendance et de franchise ;
Ce n’est pas une taille avantageuse, c’est
380 Mon âme que je cambre ainsi qu’en un corset,
Et tout couvert d’exploits qu’en rubans je m’attache,
Retroussant mon esprit ainsi qu’une moustache,
Je fais, en traversant les groupes et les ronds,
Sonner les vérités comme des éperons.
L 
385 Mais, monsieur…
C
Je n’ai pas de gants ?… La belle aaire !
Il m’en restait un seul… d’une très vieille paire !

1. M’attife : me pare ; le mot s’emploie plume. Ici, la métaphore signie


habituellement à propos des femmes, que Cyrano préfère aux ornements
parées de bijoux. matériels la gloire que lui apportent
2. Freluquet : homme frivole. ses qualités morales : l’indépendance
3. Un aront pas très bien lavé : une et la franchise. La suite de la réplique
insulte dont je ne me serais pas vengé. développe la même idée.
4. Scrupules : doutes, incertitudes 6. Éperons : petites branches de métal
sur le plan moral. xées aux talons d’un cavalier, avec
5. Empanaché, au sens propre, signie lesquelles il pique son cheval pour le
« garni d’un panache », d’une longue faire aller plus vite.

70
Acte I

– Lequel m’était d’ailleurs encor fort importun :


Je l’ai laissé dans la figure de quelqu’un.
L 
Maraud, faquin, butor de pied plat ridicule !
C, ôtant son chapeau et saluant
comme si le vicomte venait de se présenter.
390 Ah ?… Et moi, Cyrano-Savinien-Hercule
De Bergerac.
Rires.
L , exaspéré.
Bouon !
C, poussant un cri
comme lorsqu’on est saisi d’une crampe.
Ay !…
L , qui remontait, se retournant.
Qu’est-ce encor qu’il dit ?
C, avec des grimaces de douleur.
Il faut la remuer, car elle s’engourdit…
– Ce que c’est que de la laisser inoccupée ! –
Ay !…
L 
Qu’avez-vous ?
C
J’ai des fourmis dans mon épée !

1. Importun : gênant. 2. Maraud, faquin et butor sont


des qualicatifs insultants.

71
Cyrano de Bergerac

L , tirant la sienne.


395 Soit !…
C
Je vais vous donner un petit coup charmant.
L , méprisant.
Poète !…
C
Oui, monsieur, poète ! et tellement,
Qu’en ferraillant je vais – hop ! – à l’improvisade,
Vous composer une ballade.
L 
Une ballade ?
C
Vous ne vous doutez pas de ce que c’est, je crois ?
L 
400 Mais…
Cyrano, récitant comme une leçon.
La ballade, donc, se compose de trois
Couplets de huit vers…
L , piétinant.
Oh !
C, continuant.
Et d’un envoi de quatre…

1. Une ballade : un poème composé de trois strophes (« couplets ») semblables


et d’une demi-strophe appelée « envoi », dont le premier vers comporte une apostrophe
au destinataire de la ballade.

72
Acte I

L 
Vous…
C
Je vais tout ensemble en faire une et me battre,
Et vous toucher, Monsieur, au dernier vers.
L 
Non !
C
Non ?
Déclamant.
« Ballade du duel qu’en l’hôtel bourguignon
405 Monsieur de Bergerac eut avec un bélître ! »
L 
Qu’est-ce que c’est que ça, s’il vous plaît ?
C
C’est le titre.
L , surexcitée au plus haut point.
Place ! – Très amusant ! – Rangez-vous ! – Pas de bruits !
Tableau. Cercle de curieux au parterre, les marquis et les ociers mêlés
aux bourgeois et aux gens du peuple ; les pages grimpés sur des épaules
pour mieux voir. Toutes les femmes debout dans les loges. À droite, de
Guiche et ses gentilshommes. À gauche, Le Bret, Ragueneau, Cuigy, etc.
C, fermant une seconde les yeux.
Attendez !… Je choisis mes rimes… Là, j’y suis.
Il fait ce qu’il dit, à mesure.

1. Bélître : coquin.
73
Cyrano de Bergerac

Je jette avec grâce mon feutre,


410 Je fais lentement l’abandon
Du grand manteau qui me calfeutre,
Et je tire mon espadon ;
Élégant comme Céladon,
Agile comme Scaramouche,
415 Je vous préviens, cher Myrmidon,
Qu’à la fin de l’envoi je touche !
Premiers engagements de fer.
Vous auriez bien dû rester neutre ;
Où vais-je vous larder, dindon ?
Dans le flanc, sous votre maheutre ?…
420 Au cœur, sous votre bleu cordon ?…
– Les coquilles tintent, ding-aon !
Ma pointe voltige : une mouche !
Décidément… c’est au bedon,
Qu’à la fin de l’envoi, je touche.
425 Il me manque une rime en eutre…
Vous rompez, plus blanc qu’amidon ?
C’est pour me fournir le mot pleutre !

1. Calfeutre : protège. 5. Cyrano joue sur le double sens du verbe


2. Espadon : épée. larder qui signie « mettre des lardons
3. Cyrano se compare ici d’abord dans une viande ou une volaille », mais
à Céladon, héros du roman L’Astrée aussi « transpercer de coups d’épée ».
d’Honoré d’Urfé, puis à Scaramouche, 6. Maheutre : manche rembourrée qui
personnage de la commedia dell’arte couvrait le bras de l’épaule jusqu’au coude.
célèbre pour son agilité. 7. Coquilles : poignées des épées.
4. Selon la légende, les Myrmidons, 8. Bedon : ventre.
peuple de la Grèce antique, étaient nés
de la métamorphose de fourmis en 9. Amidon : substance blanche utilisée
hommes. D’où l’emploi de ce mot pour dans la blanchisserie.
désigner un homme de très petite taille. 10. Pleutre : homme sans courage, lâche.
74
Acte I

Tac ! je pare la pointe dont


Vous espériez me faire don :
430 J’ouvre la ligne,– je la bouche…
Tiens bien ta broche, Laridon !
À la fin de l’envoi, je touche.

Philippe Volter (vicomte de Valvert) et Gérard Depardieu (Cyrano),


dans l’adaptation cinématographique de Cyrano de Bergerac réalisé
par Jean-Paul Rappeneau, en 1990.

1. Laridon est le chien d’une fable de La Fontaine (VII, 24),


qui ne quittait pas la cuisine.

75
Cyrano de Bergerac

Il annonce solennellement.
E
Prince, demande à Dieu pardon !
Je quarte du pied, j’escarmouche,
435 Je coupe, je feinte…
Se fendant.
Hé ! là, donc
Le vicomte chancelle ; Cyrano salue.
À la fin de l’envoi, je touche.
Acclamations. Applaudissements dans les loges. Des leurs
et des mouchoirs tombent. Les oficiers entourent et félicitent
Cyrano. Ragueneau danse d’enthousiasme. Le Bret est heureux
et navré. Les amis du vicomte le soutiennent et l’emmènent.
L , en un long cri.
Ah !…
U 
Superbe !
U 
Joli !
R
Pharamineux !
U 
Nouveau !

1. « Je quarte », « ’escarmouche », 2. Chevau-léger : cavalier.


« je coupe », « je feinte », « se fendant » 3. Pharamineux (ou faramineux) :
sont des termes techniques utilisés fantastique, prodigieux.
en escrime.
76
Acte I

L B
Insensé !
Bousculade autour de Cyrano. On entend.
… Compliments… félicite… bravo…
V  
C’est un héros !…
U , s’avançant vivement vers Cyrano,
la main tendue.
Monsieur, voulez-vous me permettre ?…
440 C’est tout à fait très bien, et je crois m’y connaître ;
J’ai du reste exprimé ma joie en trépignant !…
Il s’éloigne.
C, à Cuigy.
Comment s’appelle donc ce monsieur ?
C
D’Artagnan.
L B, à Cyrano, lui prenant le bras.
Çà, causons !…
C
Laisse un peu sortir cette cohue…
À Bellerose.
Je peux rester ?

1. Homme de guerre français 2. Cohue : foule nombreuse et désordonnée.


(vers 1611-1673), dont Alexandre Dumas
a fait le héros de son célèbre roman
Les Trois Mousquetaires (1844). Comme
Cyrano, d’Artagnan est gascon, et manie
l’épée comme personne.

77
Cyrano de Bergerac

B, respectueusement.
Mais oui !…
On entend des cris au-dehors.
J, qui a regardé.
C’est Montfleury qu’on hue !
B, solennellement.
445 Sic transit !…
Changeant de ton, au portier et au moucheur de chandelles.
Balayez. Fermez. N’éteignez pas.
Nous allons revenir, après notre repas,
Répéter pour demain une nouvelle farce.
Jodelet et Bellerose sortent, après de grands saluts à Cyrano.
L , à Cyrano.
Vous ne dînez donc pas ?
C
Moi ?… Non.
Le portier se retire.
L B, à Cyrano.
Parce que ?
C, fièrement.
Parce…
Changeant de ton en voyant que le portier est loin.
Que je n’ai pas d’argent !…

1. Sic transit : premiers mots de l’expression


latine sic transit gloria mundi (« Ainsi passe
la gloire terrestre »), utilisée pour signier
que la gloire est éphémère.

78
Acte I

L B, faisant le geste de lancer son sac.


Comment ! le sac d’écus ?…
C
450 Pension paternelle, en un jour, tu vécus !
L B
Pour vivre tout un mois, alors ?…
C
Rien ne me reste.
L B
Jeter ce sac, quelle sottise !
C
Mais quel geste !…
L , toussant derrière son petit comptoir.
Hum !…
Cyrano et Le Bret se retournent. Elle s’avance intimidée.
Monsieur… vous savoir jeûner… le cœur me fend…
Montrant le buet.
J’ai là tout ce qu’il faut…
Avec élan.
Prenez !
C, se découvrant.
Ma chère enfant,
455 Encor que mon orgueil de Gascon m’interdise
D’accepter de vos doigts la moindre friandise,
J’ai trop peur qu’un refus ne vous soit un chagrin,
Et j’accepterai donc…

1. Le sac jeté avec panache par Cyrano aux comédiens


contient tout l’argent légué par son père.

79
Cyrano de Bergerac

Il va au buet et choisit.
Oh ! peu de chose ! – un grain
De ce raisin…
Elle veut lui donner la grappe, il cueille un grain.
Un seul !… ce verre d’eau…
Elle veut y verser du vin, il l’arrête.
limpide !
460 – Et la moitié d’un macaron !
Il rend l’autre moitié.
L B
Mais c’est stupide !
L 
Oh ! quelque chose encore !
C
Oui. La main à baiser.
Il baise, comme la main d’une princesse, la main qu’elle lui tend.
L 
Merci, Monsieur.
Révérence.
Bonsoir.
Elle sort.

80
Acte I
As-tu bien lu ?

Acte I, scène 4
O pages 52 à 80
O Voir aussi
étape 2, p. 282
1 Pourquoi Cyrano empêche-t-il Monteury
de jouer ? (deux bonnes réponses)
c Il le juge mauvais acteur.
c Il est jaloux, il veut jouer lui-même.
c Il lui en veut pour une raison secrète.
c Monteury a critiqué son nez.
2 Avec quel argent Cyrano dédommage-t-il le chef de troupe ?
............................................................................................................................................
3 Où Cyrano a-t-il des fourmis ?
c dans le bras c dans le pied c dans son épée
4 Complète puis explique cette célèbre réplique de Cyrano.
« À la n de l’envoi, ....................................................................... »
............................................................................................................................................

5 Ta mission
O Jodelet et Monteury ont
vraiment existé !
a. Fais une petite enquête sur
ces comédiens du e siècle.
b. Rédige une courte biographie
de chacun d’entre eux. Portrait de Jodelet.

81
Cyrano de Bergerac

S 
C, L B, puis  

C, à Le Bret.
Je t’écoute causer.
Il s’installe devant le buet, et rangeant devant lui le macaron.
Dîner !…
… le verre d’eau.
Boisson !…
… le grain de raisin.
Dessert !…
Il s’assied.
Là, je me mets à table !
– Ah !… j’avais une faim, mon cher, épouvantable !
Mangeant.
465 – Tu disais ?
L B
Que ces fats aux grands airs belliqueux
Te fausseront l’esprit si tu n’écoutes qu’eux !…
Va consulter des gens de bon sens, et t’informe
De l’eet qu’a produit ton algarade.
C, achevant son macaron.
Énorme.

1. Belliqueux : qui cherchent le combat. 2. Algarade : attaque lancée brusquement


contre quelqu’un.

82
Acte I

L B
Le Cardinal…
C, s’épanouissant.
Il était là, le Cardinal ?
L B
470 A dû trouver cela…
C
Mais très original.
L B
Pourtant…
C
C’est un auteur. Il ne peut lui déplaire
Que l’on vienne troubler la pièce d’un confrère.
L B
Tu te mets sur les bras, vraiment, trop d’ennemis !
C, attaquant son grain de raisin.
Combien puis-je, à peu près, ce soir, m’en être mis ?
L B
475 Quarante-huit. Sans compter les femmes.
C
Voyons, compte !
L B
Montfleury, le bourgeois, de Guiche, le vicomte,
Baro, l’Académie…

1. Le Cardinal : Richelieu, ministre 2. Richelieu, passionné par le théâtre,


de Louis XIII. a écrit plusieurs pièces sans les signer.
83
Cyrano de Bergerac

C
Assez ! tu me ravis !
L B
Mais où te mènera la façon dont tu vis ?
Quel système est le tien ?
C
J’errais dans un méandre ;
480 J’avais trop de partis, trop compliqués, à prendre ;
J’ai pris…
L B
Lequel ?
C
Mais le plus simple, de beaucoup.
J’ai décidé d’être admirable, en tout, pour tout !
L B, haussant les épaules.
Soit ! – Mais enfin, à moi, le motif de ta haine
Pour Montfleury, le vrai, dis-le-moi !
C, se levant.
Ce Silène,
485 Si ventru que son doigt n’atteint pas son nombril,
Pour les femmes encor se croit un doux péril,
Et leur fait, cependant qu’en jouant il bredouille,
Des yeux de carpe avec ses gros yeux de grenouille !…
Et je le hais depuis qu’il se permit, un soir,

1. Un méandre : une sinuosité décrite 2. Dans la mythologie grecque, Silène


par un cours d’eau ; employé ici au sens est un satyre particulièrement laid.
guré, pour signier des choix diciles
à faire, des détours, des procédés
indirects et tortueux.
84
Acte I

490 De poser son regard, sur celle… Oh ! j’ai cru voir


Glisser sur une fleur une longue limace !
L B, stupéfait.
Hein ? Comment ? Serait-il possible ?…
C, avec un rire amer.
Que j’aimasse ?
Changeant de ton et gravement.
J’aime.
L B
Et peut-on savoir ? Tu ne m’as jamais dit ?…
C
Qui j’aime ?… Réfléchis, voyons. Il m’interdit
495 Le rêve d’être aimé même par une laide,
Ce nez qui d’un quart d’heure en tous lieux me précède ;
Alors moi, j’aime qui ?… Mais cela va de soi !
J’aime – mais c’est forcé ! – la plus belle qui soit !
L B
La plus belle ?…
C
Tout simplement, qui soit au monde !
500 La plus brillante, la plus fine,
Avec accablement.
La plus blonde !
L B
Eh ! mon Dieu, quelle est donc cette femme ?…
C
Un danger

85
Cyrano de Bergerac

Mortel sans le vouloir, exquis sans y songer,


Un piège de nature, une rose muscade
Dans laquelle l’amour se tient en embuscade !
505 Qui connaît son sourire a connu le parfait.
Elle fait de la grâce avec rien, elle fait
Tenir tout le divin dans un geste quelconque,
Et tu ne saurais pas, Vénus, monter en conque,
Ni toi, Diane, marcher dans les grands bois fleuris,
510 Comme elle monte en chaise et marche dans Paris !…
L B
Sapristi ! je comprends. C’est clair !
C
C’est diaphane.
L B
Magdeleine Robin, ta cousine ?
C
Oui, – Roxane.
L B
Eh bien ! mais c’est au mieux ! Tu l’aimes ? Dis-le-lui !
Tu t’es couvert de gloire à ses yeux aujourd’hui.
C
515 Regarde-moi, mon cher, et dis quelle espérance
Pourrait bien me laisser cette protubérance !
Oh ! je ne me fais pas d’illusion ! – Parbleu,

1. Chez les Romains, Vénus est la déesse 3. Cyrano parle de son nez, qui l’enlaidit
de l’amour, Diane la déesse de la chasse. terriblement.
2. Diaphane : clair au point d’être
transparent.

86
Acte I

Oui, quelquefois, je m’attendris, dans le soir bleu ;


J’entre en quelque jardin où l’heure se parfume ;
520 Avec mon pauvre grand diable de nez je hume
L’avril, – je suis des yeux, sous un rayon d’argent,
Au bras d’un cavalier, quelque femme, en songeant
Que pour marcher, à petits pas dans de la lune,
Aussi moi j’aimerais au bras en avoir une,
525 Je m’exalte, j’oublie… et j’aperçois soudain
L’ombre de mon profil sur le mur du jardin !
L B, ému.
Mon ami !…
C
Mon ami, j’ai de mauvaises heures !
De me sentir si laid, parfois, tout seul…
L B, vivement, lui prenant la main.
Tu pleures ?
C
Ah ! non, cela, jamais ! Non, ce serait trop laid,
530 Si le long de ce nez une larme coulait !
Je ne laisserai pas, tant que j’en serai maître,
La divine beauté des larmes se commettre
Avec tant de laideur grossière !… Vois-tu bien,
Les larmes, il n’est rien de plus sublime, rien,
535 Et je ne voudrais pas qu’excitant la risée,
Une seule, par moi, fût ridiculisée !…
L B
Va, ne t’attriste pas ! L’amour n’est que hasard !

1. Je hume : je respire l’odeur de.


87
Cyrano de Bergerac

C, secouant la tête.


Non ! J’aime Cléopâtre : ai-je l’air d’un César ?
J’adore Bérénice : ai-je l’aspect d’un Tite ?
L B
540 Mais ton courage ! ton esprit ! – Cette petite
Qui t’orait là, tantôt, ce modeste repas,
Ses yeux, tu l’as bien vu, ne te détestaient pas !
C, saisi.
C’est vrai !
L B
Hé ! bien ! alors ?… Mais Roxane, elle-même,
Toute blême a suivi ton duel !…
C
Toute blême ?
L B
545 Son cœur et son esprit déjà sont étonnés !
Ose, et lui parle, afin…
C
Qu’elle me rie au nez ?
Non ! – C’est la seule chose au monde que je craigne !
L , introduisant quelqu’un, à Cyrano.
Monsieur, on vous demande…

1. César et Tite (ou Titus) ont régné sur de César. Bérénice, reine de Palestine,
l’empire de Rome, le premier au er siècle fut aimée de Titus, empereur de Rome.
av. J.-C., le second au er siècle apr. J.-C. 2. Blême : pâle.
Cléopâtre fut reine d’Égypte, et amante 3. Lui parle : parle-lui.
88
Acte I

C, voyant la duègne.


Ah ! mon Dieu ! Sa duègne !

S 
C, L B,  

L , avec un grand salut.
De son vaillant cousin on désire savoir
550 Où l’on peut, en secret, le voir.
C, bouleversé.
Me voir ?
L , avec une révérence.
Vous voir.
 On a des choses à vous dire.
C
Des ?…
L , nouvelle révérence.
Des choses !
C, chancelant.
Ah ! mon Dieu !

1. « on » désigne Roxane, qui n’est pas


citée pour ne pas être compromise.

89
Cyrano de Bergerac

L 
L’on ira, demain, aux primes roses
D’aurore, – ouïr la messe à Saint-Roch.
C, se soutenant sur Le Bret.
Ah ! mon Dieu !
 
En sortant, – où peut-on entrer, causer un peu ?
C, aolé.
555 Où ?… Je… mais… Ah ! mon Dieu !…
L 
Dites vite.
C
Je cherche !…
L 
Où ?…
C
Chez… chez… Ragueneau… le pâtissier…
L 
Il perche ?
C
Dans la rue – Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! – Saint-Honoré !…
L , remontant.
On ira. Soyez-y. Sept heures.

1. Aux primes roses : aux premières 3. Saint-Roch est une des églises de Paris.
heures du jour. 4. Il perche : il habite (terme familier).
2. Ouïr : entendre.
90
Acte I

C
J’y serai.
La duègne sort.

S 
C, L B, puis  ,  ,
C, B, L,  ,  .

C, tombant dans les bras de Le Bret.
Moi !… D’elle !… Un rendez-vous !…
L B
Eh bien, tu n’es plus triste ?
C
560 Ah ! pour quoi que ce soit, elle sait que j’existe !
L B
Maintenant, tu vas être calme ?
C, hors de lui.
Maintenant…
Mais je vais être frénétique et fulminant !
Il me faut une armée entière à déconfire !

1. Frénétique : dans un état d’exaltation 2. Déconre : vaincre,


extrême, pris de fureur ; mettre en déroute.
fulminant : qui éclate en menaces
sous l’empire de la colère.

91
Cyrano de Bergerac

J’ai dix cœurs ; j’ai vingt bras ; il ne peut me sure


565 De pourfendre des nains…
Il crie à tue-tête.
Il me faut des géants !
Depuis un moment, sur la scène, au fond, des ombres de comédiens
et de comédiennes s’agitent, chuchotent : on commence à répéter.
Les violons ont repris leur place.
U , de la scène.
Hé ! pst ! là-bas ! Silence ! on répète céans !
C, riant.
Nous partons !
Il remonte ; par la grande porte du fond entrent Cuigy, Brissaille,
plusieurs ociers qui soutiennent Lignière complètement ivre.
C
Cyrano !
C
Qu’est-ce ?
C
Une énorme grive
Qu’on t’apporte !
C, le reconnaissant.
Lignière !… Hé, qu’est-ce qui t’arrive ?
C
Il te cherche !

1. Céans : ici. qui a trop bu : Lignière est complètement


2. La grive est un oiseau, mais le terme saoul, au point qu’il a du mal à parler.
s’emploie aussi à propos d’un homme

92
Acte I

B
Il ne peut rentrer chez lui !
C
Pourquoi ?
L, d’une voix pâteuse,
lui montrant un billet tout chionné.
570 Ce billet m’avertit… cent hommes contre moi…
À cause de… chanson… grand danger me menace…
Porte de Nesle… Il faut, pour rentrer, que j’y passe…
Permets-moi donc d’aller coucher sous… sous ton toit !
C
Cent hommes, m’as-tu dit ? Tu coucheras chez toi !
L, épouvanté.
575 Mais…
C, d’une voix terrible, lui montrant la lanterne allumée
que le portier balance en écoutant curieusement cette scène.
Prends cette lanterne !…
Lignière saisit précipitamment la lanterne.
Et marche ! – Je te jure
Que c’est moi qui ferai ce soir ta couverture !…
Aux ociers.
Vous, suivez à distance, et vous serez témoins !
C
Mais cent hommes !…
C
Ce soir, il ne m’en faut pas moins !
Les comédiens et les comédiennes, descendus de scène,
se sont rapprochés dans leurs divers costumes.

93
Cyrano de Bergerac

L B
Mais pourquoi protéger…
C
Voilà Le Bret qui grogne !
L B
580 Cet ivrogne banal ?…
C, frappant sur l’épaule de Lignière.
Parce que cet ivrogne,
Ce tonneau de muscat, ce fût de rossoli,
Fit quelque chose un jour de tout à fait joli :
Au sortir d’une messe ayant, selon le rite,
Vu celle qu’il aimait prendre de l’eau bénite,
585 Lui que l’eau fait sauver, courut au bénitier,
Se pencha sur sa conque et le but tout entier !…
U , en costume de soubrette.
Tiens ! c’est gentil, cela !
C
N’est-ce pas, la soubrette ?
L , aux autres.
Mais pourquoi sont-ils cent contre un pauvre poète ?
C
Marchons !
Aux ociers.
Et vous, messieurs, en me voyant charger,
590 Ne me secondez pas, quel que soit le danger !

1. Muscat, rossoli : vins liquoreux. 2. Soubrette : servante.


94
Acte I

U  , sautant de la scène.


Oh ! mais, moi, je vais voir !
C
Venez !…
U , sautant aussi, à un vieux comédien.
Viens-tu, Cassandre ?…
C
Venez tous, le Docteur, Isabelle, Léandre,
Tous ! Car vous allez joindre, essaim charmant et fol,
La farce italienne à ce drame espagnol,
595 Et, sur son ronflement tintant un bruit fantasque,
L’entourer de grelots comme un tambour de basque !…
T  , sautant de joie.
Bravo ! – Vite, une mante ! – Un capuchon !
J
Allons !
C, aux violons.
Vous nous jouerez un air, messieurs les violons !
Les violons se joignent au cortège qui se forme.
On s’empare des chandelles allumées de la rampe et on se les distribue.
Cela devient une retraite aux flambeaux.
Bravo ! des ociers, des femmes en costume,
600 Et vingt pas en avant…
Il se place comme il dit.
Moi, tout seul, sous la plume

1. Le Docteur, Isabelle et Léandre sont 3. Une retraite aux ambeaux : un délé


des personnages de la commedia dell’arte. éclairé de bougies.
2. Mante : sorte de cape portée sur
les épaules, par-dessus les vêtements.

95
Cyrano de Bergerac

Que la gloire elle-même à ce feutre piqua,


Fier comme un Scipion triplement Nasica !
– C’est compris ? Défendu de me prêter main-forte ! –
On y est ?… Un, deux, trois ! Portier, ouvre la porte !
Le portier ouvre à deux battants.
Un coin du vieux Paris pittoresque et lunaire paraît.
605 Ah !… Paris fuit, nocturne et quasi nébuleux ;
Le clair de lune coule aux pentes des toits bleus ;
Un cadre se prépare, exquis, pour cette scène ;
Là-bas, sous des vapeurs en écharpe, la Seine,
Comme un mystérieux et magique miroir,
610 Tremble… Et vous allez voir ce que vous allez voir !
T
À la porte de Nesle !
C, debout sur le seuil.
À la porte de Nesle !
Se retournant avant de sortir, à la soubrette.
Ne demandiez-vous pas pourquoi, mademoiselle,
Contre ce seul rimeur cent hommes furent mis ?
Il tire l’épée et, tranquillement.
C’est parce qu’on savait qu’il est de mes amis !
Il sort. Le cortège – Lignière zigzaguant en tête, – puis les comédiennes
aux bras des ociers, – puis les comédiens gambadant, – se met
en marche dans la nuit au son des violons,
et à la lueur falote des chandelles.
RIDEAU

1. Les Scipion, illustre famille romaine 2. Nébuleux : chargé de nuages.


dont plusieurs membres s’illustrèrent 3. Falote : pâle.
par leur bravoure, avaient pour surnom
« Nasica », « qui a le nez mince et pointu ».

96
Acte II
L   

La boutique de Ragueneau, rôtisseur-pâtissier, vaste ouvroir au
coin de la rue Saint-Honoré et de la rue de l’Arbre-Sec, qu’on aperçoit
largement au fond, par le vitrage de la porte, grises dans les premières
lueurs de l’aube.
À gauche, premier plan, comptoir surmonté d’un dais en fer
forgé, auquel sont accrochés des oies, des canards, des paons blancs.
Dans de grands vases de faïence, de hauts bouquets de fleurs naïves,
principalement des tournesols jaunes. Du même côté, second plan,
immense cheminée devant laquelle, entre de monstrueux chenets,
dont chacun supporte une petite marmite, les rôtis pleurent dans les
lèchefrites.
À droite, premier plan avec porte. Deuxième plan, un escalier montant
à une petite salle en soupente, dont on aperçoit l’intérieur par des
volets ouverts ; une table y est dressée, un menu lustre flamand y luit :
c’est un réduit où l’on va manger et boire. Une galerie de bois, faisant
suite à l’escalier, semble mener à d’autres petites salles analogues.
Au milieu de la rôtisserie, un cercle de fer que l’on peut faire
descendre avec une corde, et auquel de grosses pièces sont accrochées,
fait un lustre de gibier.

1. Ouvroir : atelier. 4. Lèchefrites : sortes de plats placés


2. Un dais : une sorte de toit démontable. sous les rôtis pour en recueillir la graisse
3. Chenets : pièces métalliques placées pendant la cuisson.
dans une cheminée, sur lesquelles on pose 5. En soupente : sous les toits.
les bûches. 6. Un réduit : une petite pièce.
97
Cyrano de Bergerac

Les fours, dans l’ombre, sous l’escalier, rougeoient. Des cuivres


étincellent. Des broches tournent. Des pièces montées pyramident,
des jambons pendent. C’est le coup de feu matinal. Bousculade
de marmitons earés, d’énormes cuisiniers et de minuscules gâte-
sauces. Foisonnement de bonnets à plume de poulet ou à aile de
pintade. On apporte, sur des plaques de tôle et des clayons d’osier,
des quinconces de brioches, des villages de petits fours.
Des tables sont couvertes de gâteaux et de plats. D’autres, entourées
de chaises, attendent les mangeurs et les buveurs. Une plus petite,
dans un coin, disparaît sous les papiers. Ragueneau y est assis au
lever du rideau, il écrit.

S 
R, P, puis L
Ragueneau, à la petite table, écrivant d’un air inspiré,
et comptant sur ses doigts.

P , apportant une pièce montée.
615 Fruits en nougat !
D , apportant un plat.
Flan !
T , apportant un rôti paré de plumes.
Paon !

1. Coup de feu : moment où il y a 4. Clayons : petites plaques de paille


le plus d’activité. servant à faire sécher les fromages,
2. Marmitons : cuisiniers. les fruits.
3. Gâte-sauces : mauvais cuisiniers. 5. Quinconces : rangées.
98
Acte II

Q , apportant une plaque de gâteaux.


Roinsoles !
C , apportant une sorte de terrine.
Bœuf en daube !
R, cessant d’écrire et levant la tête.
Sur les cuivres, déjà, glisse l’argent de l’aube !
Étoue en toi le dieu qui chante, Ragueneau !
L’heure du luth viendra, – c’est l’heure du fourneau !
Il se lève. – À un cuisinier.
Vous, veuillez m’allonger cette sauce, elle est courte !
L 
620 De combien ?
R
De trois pieds.
Il passe.
L 
Hein ?
P 
La tarte !
D 
La tourte !
R, devant la cheminée.
Ma Muse, éloigne-toi, pour que tes yeux charmants

1. Roinsoles : beignets. le passage, il s’adresse à ses cuisiniers


2. Ragueneau attend avec impatience en utilisant le vocabulaire technique
qu’à « l’heure du fourneau » (le travail de la poésie, comme si les plats étaient
en cuisine) succède « l’heure du luth » des poèmes.
(c’est-à-dire de la poésie) : dans tout

99
Cyrano de Bergerac

N’aillent pas se rougir au feu de ces sarments !


À un pâtissier, lui montrant des pains.
Vous avez mal placé la fente de ces miches :
Au milieu la césure, – entre les hémistiches !
À un autre, lui montrant un pâté inachevé.
625 À ce palais de croûte, il faut, vous, mettre un toit…
À un jeune apprenti, qui, assis par terre, embroche des volailles.
Et toi, sur cette broche interminable, toi,
Le modeste poulet et la dinde superbe,
Alterne-les, mon fils, comme le vieux Malherbe
Alternait les grands vers avec les plus petits,
630 Et fais tourner au feu des strophes de rôtis !
U  , s’avançant avec un plateau recouvert
d’une assiette.
Maître, en pensant à vous, dans le four, j’ai fait cuire
Ceci, qui vous plaira, je l’espère.
Il découvre le plateau, on voit une grande lyre de pâtisserie.
R, ébloui.
Une lyre !
L
En pâte de brioche.
R, ému.
Avec des fruits confits !

1. Sarments : rameaux de vigne servant 3. Malherbe (1555-1628), célèbre poète


à alimenter le feu du four. français, était soucieux d’harmonie et
2. Hémistiche : chacune des moitiés de clarté.
d’un vers coupé par la césure (pause 4. Lyre : instrument de musique, symbole
à l’intérieur du vers) ; dans l’alexandrin, du chant poétique.
chaque hémistiche compte six syllabes.

100
Acte II

L
Et les cordes, voyez, en sucre je les fis.
R, lui donnant de l’argent.
635 Va boire à ma santé !
Apercevant Lise qui entre.
Chut ! ma femme ! Circule,
Et cache cet argent !
À Lise, lui montrant la lyre d’un air gêné.
C’est beau ?
L
C’est ridicule !
Elle pose sur le comptoir une pile de sacs en papier.
R
Des sacs ?… Bon. Merci.
Il les regarde.
Ciel ! Mes livres vénérés !
Les vers de mes amis ! déchirés ! démembrés !
Pour en faire des sacs à mettre des croquantes…
640 Ah vous renouvelez Orphée et les bacchantes !
L, sèchement.
Et n’ai-je pas le droit d’utiliser vraiment
Ce que laissent ici, pour unique paiement,
Vos méchants écriveurs de lignes inégales !
R
Fourmi !… n’insulte pas ces divines cigales !

1. Croquantes : gâteaux aux amandes. précieuse, Ragueneau reproche à sa


2. Dans la mythologie, les bacchantes, femme d’avoir mis en pièces ses livres
prêtresses du dieu Bacchus, dépecèrent pour en faire des sacs.
le poète Orphée. Par cette métaphore

101
Cyrano de Bergerac

L
645 Avant de fréquenter ces gens-là, mon ami,
Vous ne m’appeliez pas bacchante, – ni fourmi !
R
Avec des vers, faire cela !
L
Pas autre chose.
R
Que faites-vous alors, madame, avec la prose ?

S 
L ,  ,
qui viennent d’entrer dans la pâtisserie.

R
Vous désirez, petits ?
P 
Trois pâtés.
R, les servant.
Là, bien roux…
650 Et bien chauds.
D 
S’il vous plaît, enveloppez-les-nous ?

102
Acte II

R, saisi, à part.


Hélas ! un de mes sacs !
Aux enfants.
Que je les enveloppe ?…
Il prend un sac et, au moment d’y mettre les pâtés, il lit.
« Tel Ulysse, le jour qu’il quitta Pénélope… »
Pas celui-ci !…
Il le met de côté et en prend un autre.
Au moment d’y mettre les pâtés, il lit.
« Le blond Phœbus… » Pas celui-là !
Même jeu.
L, impatientée.
Eh bien ! qu’attendez-vous ?
R
Voilà, voilà, voilà !
Il en prend un troisième et se résigne.
655 Le sonnet à Philis !… mais c’est dur tout de même !
L
C’est heureux qu’il se soit décidé !
Haussant les épaules.
Nicodème !
Elle monte sur une chaise et se met à ranger
des plats sur une crédence.

1. Ulysse et son épouse Pénélope sont le 3. Sonnet : poème à forme xe, composé
couple mythique de l’Odyssée d’Homère. de deux quatrains et de deux tercets.
Au retour de la guerre de Troie, après un 4. Nicodème est un nom propre devenu
long voyage semé d’embûches, Ulysse nom commun pour désigner un homme
nit par retrouver son royaume d’Ithaque grossier et niais.
et Pénélope qui l’y attendait dèlement. 5. Une crédence : un buet.
2. Phœbus (ou Phébus) est le surnom latin
du dieu grec Apollon.

103
Cyrano de Bergerac

R, profitant de ce qu’elle tourne le dos,


rappelle les enfants déjà à la porte.
Pst !… Petits !… Rendez-moi le sonnet à Philis,
Au lieu de trois pâtés, je vous en donne six.
Les enfants lui rendent le sac, prennent vivement les gâteaux et
sortent. Ragueneau, défripant le papier, se met à lire en déclamant.
« Philis !… » Sur ce doux nom, une tache de beurre !…
660 « Philis !… »
Cyrano entre brusquement.

S 
R, L, C, puis  

C
Quelle heure est-il ?
R, le saluant avec empressement.
Six heures.
C, avec émotion.
Dans une heure !
Il va et vient dans la boutique.
R, le suivant.
Bravo ! J’ai vu…

104
Acte II

C
Quoi donc ?
R
Votre combat !…
C
Lequel ?
R
Celui de l’Hôtel de Bourgogne !
C, avec dédain.
Ah !… Le duel !…
R, admiratif.
Oui, le duel en vers !…
L
Il en a plein la bouche !
C
665 Allons ! tant mieux !
R, se fendant avec une broche qu’il a saisie.
« À la fin de l’envoi, je touche !…
À la fin de l’envoi, je touche !… » Que c’est beau !
Avec un enthousiasme croissant.
« À la fin de l’envoi… »

1. Cyrano ignore encore si le cuisinier 2. Se fendant : portant vivement une


évoque son duel de la veille, jambe en avant pour toucher l’adversaire
au théâtre, avec le vicomte, ou le combat (terme d’escrime).
qu’il a mené, plus tard dans la nuit à la
tour de Nesle, pour défendre Lignière.

105
Cyrano de Bergerac

C
Quelle heure, Ragueneau ?
R, restant fendu pour regarder l’horloge.
Six heures cinq !… « … je touche ! »
Il se relève.
… Oh ! faire une ballade !
L, à Cyrano, qui en passant devant son comptoir
lui a serré distraitement la main.
Qu’avez-vous à la main ?
C
Rien. Une estafilade.
R
670 Courûtes-vous quelque péril ?
C
Aucun péril.
L, le menaçant du doigt.
Je crois que vous mentez !
C
Mon nez remuerait-il ?
Il faudrait que ce fût pour un mensonge énorme !
Changeant de ton.
J’attends ici quelqu’un. Si ce n’est pas sous l’orme,
Vous nous laisserez seuls.

1. Estalade : coupure. 3. Si ce n’est pas sous l’orme : si ce n’est


2. Péril : danger. pas un rendez-vous pour rien.

106
Acte II

R
C’est que je ne peux pas ;
675 Mes rimeurs vont venir…
L, ironique.
Pour leur premier repas.
C
Tu les éloigneras quand je te ferai signe…
L’heure ?
R
Six heures dix.
C, s’asseyant nerveusement à la table
de Ragueneau et prenant du papier.
Une plume ?…
R, lui orant celle qu’il a à son oreille.
De cygne.
U , superbement moustachu,
entre et d’une voix de stentor.
Salut !
Lise remonte vivement vers lui.
C, se retournant.
Qu’est-ce ?
R
Un ami de ma femme. Un guerrier
Terrible, – à ce qu’il dit !…

1. Voix de stentor : voix grave et forte.


107
Cyrano de Bergerac

C, reprenant la plume et éloignant du geste Ragueneau.


Chut !…
À lui-même.
Écrire, – plier. –
680 Lui donner, – me sauver…
Jetant la plume.
Lâche !… Mais que je meure,
Si j’ose lui parler, lui dire un seul mot…
À Ragueneau.
L’heure ?
R

ly
on
Six et quart !…
s
C, frappant sa poitrine.
se
… un seul mot de tous ceux que j’ai là !
po

Tandis qu’en écrivant…


r
pu

Il reprend la plume.
dy

Eh bien ! écrivons-la,
tu

Cette lettre d’amour qu’en moi-même j’ai faite


rs

685 Et refaite cent fois, de sorte qu’elle est prête,


Fo

Et que mettant mon âme à côté du papier,


Je n’ai tout simplement qu’à la recopier.
Il écrit. – Derrière le vitrage de la porte
on voit s’agiter des silhouettes maigres et hésitantes.

108
Acte II

S 
R, L,  , C,
à la petite table, écrivant ; les poètes, vêtus de noir,
les bas tombants, couverts de boue.

L entrant, à Ragueneau.
Les voici, vos crottés !
P , entrant, à Ragueneau.
Confrère !…
D , de même, lui secouant les mains.
Cher confrère !
T 
Aigle des pâtissiers !
Il renifle.
Ça sent bon dans votre aire.
Q 
690 Ô Phœbus-Rôtisseur !
C 
Apollon maître-queux !
R, entouré, embrassé, secoué.
Comme on est tout de suite à son aise avec eux !…

1. Vos crottés : vos hommes sales. à un « aigle », puis au dieu Apollon


2. Pour plaire à Ragueneau, les poètes (ou « Phœbus »).
utilisent des métaphores lées. Ils louent 3. Aire : nid de l’aigle.
le pâtissier en le comparant d’abord 4. Maître-queux : cuisinier.
109
Cyrano de Bergerac

P 
Nous fûmes retardés par la foule attroupée
À la porte de Nesle !…
D 
Ouverts à coups d’épée,
Huit malandrins sanglants illustraient les pavés !
C, levant une seconde la tête.
695 Huit ?… Tiens, je croyais sept.
Il reprend sa lettre.
R, à Cyrano.
Est-ce que vous savez
Le héros du combat ?
C, négligemment.
Moi ?… Non !
L, au mousquetaire.
Et vous ?
L , se frisant la moustache.
Peut-être !
C, écrivant à part,
on l’entend murmurer de temps en temps.
Je vous aime…
P 
Un seul homme, assurait-on, sut mettre
Toute une bande en fuite !…

1. Malandrins : brigands, voleurs.


110
Acte II

D 
Oh ! c’était curieux
Des piques, des bâtons jonchaient le sol !…
C, écrivant.
… vos yeux…
T 
700 On trouvait des chapeaux jusqu’au quai des Orfèvres !
P 
Sapristi ! ce dut être un féroce…
C, même jeu.
… vos lèvres…
P 
Un terrible géant, l’auteur de ces exploits !
C, même jeu.
… Et je m’évanouis de peur quand je vous vois.
D , happant un gâteau.
Qu’as-tu rimé de neuf, Ragueneau ?
C
… qui vous aime…
Il s’arrête au moment de signer,
et se lève, mettant sa lettre dans son pourpoint.
705 Pas besoin de signer. Je la donne moi-même.
R, au deuxième poète.
J’ai mis une recette en vers.

111
Cyrano de Bergerac

T , s’installant près d’un plateau de choux à la crème.


Oyons ces vers !
Q , regardant une brioche qu’il a prise.
Cette brioche a mis son bonnet de travers.
Il la décoie d’un coup de dent.
P 
Ce pain d’épice suit le rimeur famélique,
De ses yeux en amande aux sourcils d’angélique !
Il happe le morceau de pain d’épice.
D 
710 Nous écoutons.
T , serrant légèrement un chou entre ses doigts.
Ce chou bave sa crème. Il rit.
D , mordant à même la grande lyre de pâtisserie.
Pour la première fois la Lyre me nourrit !
R, qui s’est préparé à réciter,
qui a toussé, assuré son bonnet, pris une pose..
Une recette en vers…
D , au premier, lui donnant un coup de coude.
Tu déjeunes ?
P , au deuxième.
Tu dînes ?

1. Oyons : écoutons. 4. Le poète fait allusion à la pauvreté


2. Famélique : qui ne mange pas à sa faim. dans laquelle il vit, car l’exercice de son
3. Angélique : plante dont la tige, conte, art ne sut pas à le nourrir.
est utilisée en pâtisserie.

112
Acte II

R
Comment on fait les tartelettes amandines.
Battez, pour qu’ils soient mousseux,
715 Quelques œufs ;
Incorporez à leur mousse
Un jus de cédrat, choisi ;
Versez-y
Un bon lait d’amande douce ;
720 Mettez de la pâte à flan
Dans le flanc
De moules à tartelette ;
D’un doigt preste, abricotez
Les côtés ;
725 Versez goutte à gouttelette
Votre mousse en ces puits, puis
Que ces puits
Passent au four, et, blondines,
Sortant en gais troupelets,
730 Ce sont les
Tartelettes amandines !
L , la bouche pleine.
Exquis ! Délicieux !
U , s’étouant.
Homph !
Ils remontent vers le fond, en mangeant.

1. Cédrat : citron sauvage utilisé en 3. Abricotez : nappez d’abricots et de sucre.


pâtisserie, en conserie, et en parfumerie. 4. Blondines : dorées.
2. Preste : agile. 5. Troupelets : petits troupeaux.
113
Cyrano de Bergerac

Cyrano, qui a observé, s’avance vers Ragueneau.


C
Bercés par ta voix,
Ne vois-tu pas comme ils s’empirent ?
R, plus bas, avec un sourire.
Je le vois…
Sans regarder, de peur que cela ne les trouble ;
735 Et dire ainsi mes vers me donne un plaisir double,
Puisque je satisfais un doux faible que j’ai
Tout en laissant manger ceux qui n’ont pas mangé !
C, lui frappant sur l’épaule.
Toi, tu me plais !…
Ragueneau va rejoindre ses amis.
Cyrano le suit des yeux, puis un peu brusquement.
Hé là, Lise ?
Lise, en conversation tendre avec le mousquetaire,
tressaille et descend vers Cyrano.
Ce capitaine…
Vous assiège ?
L, oensée.
Oh ! mes yeux, d’une œillade hautaine
740 Savent vaincre quiconque attaque mes vertus.
C
Euh ! pour des yeux vainqueurs, je les trouve battus.
L, suoquée.
Mais…

1. Un doux faible : une douce passion.


114
Acte II

C, nettement.
Ragueneau me plaît. C’est pourquoi, dame Lise,
Je défends que quelqu’un le ridicoculise.
L
Mais…
C, qui a élevé la voix
assez pour être entendu du galant.
À bon entendeur…
Il salue le mousquetaire, et va se mettre en observation,
à la porte du fond, après avoir regardé l’horloge.
L, au mousquetaire qui a simplement rendu son salut à Cyrano.
Vraiment, vous m’étonnez !…
745 Répondez… sur son nez…
L 
Sur son nez… sur son nez…
Il s’éloigne vivement, Lise le suit.
C, de la porte du fond,
faisant signe à Ragueneau d’emmener les poètes.
Pst !…
R, montrant aux poètes la porte de droite.
Nous serons bien mieux par là…
C, s’impatientant.
Pst ! pst !…
R, les entraînant.
Pour lire

1. Le ridicoculise : le ridiculise en le faisant cocu (mot inventé par l’auteur).


115
Cyrano de Bergerac

Des vers…
P , désespéré, la bouche pleine.
Mais les gâteaux !…
D 
Emportons-les !
Ils sortent tous derrière Ragueneau,
processionnellement, et après avoir fait une rafle de plateaux.

Xavier Gallais (Cyrano), dans la mise en scène de Cyrano de Bergerac par Jacques
Weber au théâtre de Bobigny, en 2001.

1 Quels sont les personnages représentés


sur cette photographie ?
2 Décris l’attitude de chacun d’eux, notamment
par rapport à Cyrano.

1. Processionnellement : comme une procession.


116
Acte II
As-tu bien lu ?

Acte II, scènes 2 à 4


O pages 102 à 116

1 Barre les adjectifs qui ne correspondent pas


au caractère de Ragueneau.
généreux • avare • méant • amical • indèle • poète • naïf
2 Quand Cyrano arrive chez Ragueneau, il est nerveux
et distrait à cause de la blessure qu’il a à la main.
c vrai c faux
3 Scène 4, vers 697 à 704 : quelles sont les deux actions
qui se déroulent en parallèle ?
c Cyrano écrit une lettre d’amour.
c Ragueneau met une recette en vers.
c Les poètes rapportent un combat qui vient de se dérouler.
c Les poètes s’empirent de pâtisseries.

4 Ta mission
O Enquête sur les mousquetaires.
Dans la scène 3 apparaît
un mousquetaire.
a. Qu’est-ce qu’un mousquetaire ?
b. Quel auteur a mis à l’honneur
les mousquetaires dans un célèbre
roman ?
Stefano Della Bella (1610-1664),
Mousquetaire à cheval,
1642-1645. Eau-forte sur papier.

117
Cyrano de Bergerac

S 
C, R,  

C
Je tire
Ma lettre si je sens seulement qu’il y a
Le moindre espoir !…
Roxane, masquée, suivie de la duègne,
paraît derrière le vitrage. Il ouvre vivement la porte.
Entrez !…
Marchant sur la duègne.
Vous, deux mots, duègna !
L 
750 Quatre.
C
Êtes-vous gourmande ?
L 
À m’en rendre malade.
C, prenant vivement des sacs de papier sur le comptoir.
Bon. Voici deux sonnets de monsieur Benserade…
L , piteuse.
Heu !…
C
… que je vous remplis de darioles.

1. Benserade était un poète mondain 2. Darioles : petits gâteaux à la crème.


du  siècle.
e

118
Acte II

L , changeant de figure.


Hou !
C
Aimez-vous le gâteau qu’on nomme petit chou ?
L , avec dignité.
Monsieur, j’en fais état, lorsqu’il est à la crème.
C
755 J’en plonge six pour vous dans le sein d’un poème
De Saint-Amant ! Et dans ces vers de Chapelain
Je dépose un fragment, moins lourd, de poupelin.
– Ah ! vous aimez les gâteaux frais ?
L 
J’en suis férue !
C, lui chargeant les bras de sacs remplis.
Veuillez aller manger tous ceux-ci dans la rue.
L 
760 Mais…
C, la poussant dehors.
Et n’en revenez qu’après avoir fini !
Il referme la porte, redescend vers Roxane,
et s’arrête, découvert, à une distance respectueuse.

1. J’en fais état : je l’apprécie. 4. J’en suis férue : je les aime beaucoup.
2. Saint-Amant et Chapelain étaient 5. Découvert : son chapeau à la main,
d’autres poètes de l’époque. en signe de respect.
3. Poupelin : petit gâteau au beurre.
119
Cyrano de Bergerac

S 
C, R,  , un instant.

C
Que l’instant entre tous les instants soit béni
Où, cessant d’oublier qu’humblement je respire
Vous venez jusqu’ici pour me dire… me dire ?…
R, qui s’est démasquée.
Mais tout d’abord merci, car ce drôle, ce fat
765 Qu’au brave jeu d’épée, hier, vous avez fait mat,
C’est lui qu’un grand seigneur… épris de moi…
C
De Guiche ?
R, baissant les yeux.
Cherchait à m’imposer… comme mari…
C
Postiche ?
Saluant.
Je me suis donc battu, madame, et c’est tant mieux,
Non pour mon vilain nez, mais bien pour vos beaux yeux.
R
770 Puis… je voulais… Mais pour l’aveu que je viens faire

1. Fat : vaniteux.
2. Vous avez fait mat : vous avez vaincu.
3. Postiche : factice ; c’est-à-dire faux mari, ici.
120
Acte II

Il faut que je revoie en vous le… presque frère


Avec qui je jouais, dans le parc – près du lac !…
C
Oui… Vous veniez tous les étés à Bergerac !…
R
Les roseaux fournissaient le bois pour vos épées…
C
775 Et les maïs, les cheveux blonds pour vos poupées !
R
C’était le temps des jeux…
C
Des mûrons aigrelets…
R
Le temps où vous faisiez tout ce que je voulais !…
C
Roxane, en jupons courts, s’appelait Madeleine…
R
J’étais jolie, alors ?
C
Vous n’étiez pas vilaine.
R
780 Parfois, la main en sang de quelque grimpement,
Vous accouriez ! – Alors, jouant à la maman,

1. Mûrons aigrelets : mûres acides.


2. Grimpement : escalade.
121
Cyrano de Bergerac

Je disais d’une voix qui tâchait d’être dure :


Elle lui prend la main.
« Qu’est-ce que c’est encor que cette égratignure ? »
Elle s’arrête, stupéfaite.
Oh ! C’est trop fort ! Et celle-ci ?
Cyrano veut retirer sa main.
Non ! Montrez-la !
785 Hein ? à votre âge, encor ! – Où t’es-tu fait cela ?
C
En jouant, du côté de la porte de Nesle.
R, s’asseyant à une table,
et trempant son mouchoir dans un verre d’eau.
Donnez !
C, s’asseyant aussi.
Si gentiment ! Si gaiement maternelle !
R
Et, dites-moi, – pendant que j’ôte un peu le sang, –
Ils étaient contre vous ?
C
Oh ! pas tout à fait cent.
R
790 Racontez !
C
Non. Laissez. Mais vous, dites la chose
Que vous n’osiez tantôt me dire…

1. Roxane aperçoit la blessure que Cyrano s’est faite


en arontant les hommes du comte de Guiche.

122
Anne Brochet (Roxane) et Gérard Depardieu (Cyrano), dans l’adaptation cinémato-
graphique de Cyrano de Bergerac réalisée par Jean-Paul Rappeneau, en 1990.

1 Décris les personnages : leurs costumes, leur allure,


l’expression de leur visage.
2 Comment sont-ils placés l’un par rapport à l’autre ?
Quelle relation semble s’établir entre eux ?
3 Nomme deux sentiments exprimés par Roxane et Cyrano
sur ce photogramme.

123
Cyrano de Bergerac

R, sans quitter sa main.


À présent, j’ose,
Car le passé m’encouragea de son parfum !
Oui, j’ose maintenant. Voilà. J’aime quelqu’un.
C
Ah !…
R
Qui ne le sait pas d’ailleurs.
C
Ah !…
R
Pas encore.
C
795 Ah !…
R
Mais qui va bientôt le savoir, s’il l’ignore.
C
Ah !…
R
Un pauvre garçon qui jusqu’ici m’aima
Timidement, de loin, sans oser le dire…
C
Ah !…
R
Laissez-moi votre main, voyons, elle a la fièvre. –

124
Acte II

Mais moi, j’ai vu trembler les aveux sur sa lèvre .


C
800 Ah !…
R, achevant de lui faire un petit bandage avec son mouchoir.
Et figurez-vous, tenez, que, justement
Oui, mon cousin, il sert dans votre régiment !
C
Ah !…
R, riant.
Puisqu’il est cadet dans votre compagnie !
C
Ah !…
R
Il a sur son front de l’esprit, du génie,
Il est fier, noble, jeune, intrépide, beau…
C, se levant tout pâle.
Beau !
R
805 Quoi ? Qu’avez-vous !
C
Moi, rien… C’est… c’est…
Il montre sa main, avec un sourire.
C’est ce bobo.

1. En l’observant, Roxane a compris que celui qu’elle aime l’aime aussi,


même s’il ne lui a rien dit.

125
Cyrano de Bergerac

R
Enfin, je l’aime. il faut d’ailleurs que je vous die
Que je ne l’ai jamais vu qu’à la Comédie…
C
Vous ne vous êtes donc pas parlé ?
R
Nos yeux seuls.
C
Mais comment savez-vous, alors ?
R
Sous les tilleuls
810 De la place Royale, on cause… Des bavardes
M’ont renseignée…
C
Il est cadet ?
R
Cadet aux gardes.
C
Son nom ?
R
Baron Christian de Neuvillette.

1. « Die » est l’ancienne forme de dise, 2. À la Comédie : au théâtre.


subjonctif présent du verbe dire ; on la 3. Place Royale : place de Paris,
trouve souvent au e siècle, notamment désormais appelée place des Vosges.
chez Corneille. Il s’agit sans doute,
pour Roxane, d’une manière précieuse
de s’exprimer et qui permet la rime
avec « Comédie ».

126
Acte II

C
Hein ?…
Il n’est pas aux cadets.
R
Si, depuis ce matin :
Capitaine Carbon de Castel-Jaloux.
C
Vite,
815 Vite, on lance son cœur !… Mais, ma pauvre petite…
L , ouvrant la porte du fond.
J’ai fini les gâteaux, monsieur de Bergerac !
C
Eh bien ! lisez les vers imprimés sur le sac !
La duègne disparaît.
… Ma pauvre enfant, vous qui n’aimez que beau langage,
Bel esprit, – si c’était un profane, un sauvage ?
R
820 Non, il a les cheveux d’un héros de d’Urfé !
C
S’il était aussi maldisant que bien coié !
R
Non, tous les mots qu’il dit sont fins, je le devine !
C
Oui, tous les mots sont fins quand la moustache est fine.

1. Un profane : ici, un ignorant. 2. Honoré d’Urfé (1567-1625) est célèbre


pour son roman-euve L’Astrée.

127
Cyrano de Bergerac

– Mais si c’était un sot !…


R, frappant du pied.
Eh bien ! j’en mourrais, là !
C, après un temps.
825 Vous m’avez fait venir pour me dire cela ?
Je n’en sens pas très bien l’utilité, madame.
R
Ah, c’est que quelqu’un hier m’a mis la mort dans l’âme,
Et me disant que tous, vous êtes tous Gascons
Dans votre compagnie…
C
Et que nous provoquons
830 Tous les blancs-becs qui, par faveur, se font admettre
Parmi les purs Gascons que nous sommes, sans l’être ?
C’est ce qu’on vous a dit ?
R
Et vous pensez si j’ai
Tremblé pour lui !
C, entre ses dents.
Non sans raison !
R
Mais j’ai songé,
Lorsque invincible et grand, hier, vous nous apparûtes,
835 Châtiant ce coquin, tenant tête à ces brutes, –
J’ai songé : s’il voulait, lui que tous ils craindront…

1. Blancs-becs : jeunes gens sans expérience et sûrs d’eux.


2. Châtiant : punissant sévèrement.
128
Acte II

C
C’est bien, je défendrai votre petit baron.
R
Oh ! n’est-ce pas que vous allez me le défendre ?
J’ai toujours eu pour vous une amitié si tendre.
C
840 Oui, oui.
R
Vous serez son ami ?
C
Je le serai.
R
Et jamais il n’aura de duel ?
C
C’est juré.
R
Oh ! je vous aime bien. Il faut que je m’en aille.
Elle remet vivement son masque,
une dentelle sur son front, et distraitement.
Mais vous ne m’avez pas raconté la bataille
De cette nuit. Vraiment ce dut être inouï !…
845 – Dites-lui qu’il m’écrive.
Elle lui envoie un petit baiser de la main.
Oh ! je vous aime !
C
Oui, oui.

129
Cyrano de Bergerac

R
Cent hommes contre vous ? Allons, adieu. – Nous sommes
De grands amis !
C
Oui, oui.
R
Qu’il m’écrive ! – Cent hommes ! –
Vous me direz plus tard. Maintenant, je ne puis.
Cent hommes ! Quel courage !
C, la saluant.
Oh, j’ai fait mieux depuis.
Elle sort. Cyrano reste immobile, les yeux à terre. Un silence.
La porte de droite s’ouvre. Ragueneau passe sa tête.

Illustration de Rébecca Dautremer extraite de son adaptation de Cyrano.


130
Acte II
As-tu bien lu ?

Acte II, scène 6


O pages 120 à 130

1 Au début de la scène 6, quand Cyrano attend Roxane,


comment se sent-il ? Barre les intrus.
excité • furieux • amoureux • heureux
honteux • rempli d’espoir • triste
2 Quelle est la véritable raison de la venue de Roxane ?
c Elle veut dire à Cyrano qu’elle l’aime.
c qu’Elleelleveutaime.
demander à Cyrano de protéger l’homme

3 Vrai ou faux ? Coche la bonne réponse.


c
a. Cyrano donne à Roxane la lettre qu’il lui
a écrite.
vrai c faux
b. Le vrai prénom de Roxane est Madeleine. c vrai cc faux
c. Roxane aime Christian sans jamais lui
avoir parlé.
c vrai faux
d. Cyrano tentera de protéger Christian. c vrai c faux
4 Ta mission
O Apprends à varier le ton.
a. À partir du vers 792, combien
de fois Cyrano prononce-t-il le mot
« Ah ! » ?
b. Avec un camarade, entraîne-toi
à le dire sur des tons diérents,
en fonction de ce que lui dit Roxane.

131
Cyrano de Bergerac

S 
C, R,  ,
C  CJ,  ,  , etc.,
puis  G

R
850 Peut-on rentrer ?
C, sans bouger.
Oui…
Ragueneau fait signe et ses amis rentrent. En même temps,
à la porte du fond paraît Carbon de Castel-Jaloux, costume de
capitaine aux gardes, qui fait de grands gestes en apercevant Cyrano.
C  CJ
Le voilà !
C, levant la tête.
Mon capitaine…
C, exultant.
Notre héros ! Nous savons tout ! Une trentaine
De mes cadets sont là !…
C, reculant.
Mais…
C, voulant l’entraîner.
Viens ! on veut te voir !
C
Non !

132
Acte II

C
Ils boivent en face, à la Croix du Trahoir.
C
Je…
C, remontant à la porte,
et criant à la cantonade, d’une voix de tonnerre.
Le héros refuse. Il est d’humeur bourrue !
U , au-dehors.
855 Ah ! Sandious !
Tumulte au-dehors, bruit d’épées et de bottes qui se rapprochent.
C, se frottant les mains.
Les voici qui traversent la rue !…
L , entrant dans la rôtisserie.
Mille dioux ! – Capdelious ! – Mordious ! – Pocapdedious !
R, reculant épouvanté.
Messieurs, vous êtes donc tous de Gascogne !
L 
Tous !
U , à Cyrano.
Bravo !
C
Baron !

1. La Croix du Trahoir est le nom d’un cabaret 3. Mille dioux […] sont d’autres jurons
parisien de l’époque. gascons.
2. Sandious est un juron gascon, diou étant
une déformation régionale du mot « dieu ».

133
Cyrano de Bergerac

U , lui secouant les mains.


Vivat !
C
Baron !
T 
Que je t’embrasse !
C
Baron !…
P G
Embrassons-le !
C, ne sachant auquel répondre.
Baron… baron… de grâce…
R
860 Vous êtes tous barons, messieurs ?
L 
Tous !
R
Le sont-ils ?…
P 
On ferait une tour rien qu’avec nos tortils !
L B, entrant, et courant à Cyrano.
On te cherche ! Une foule en délire conduite
Par ceux qui cette nuit marchèrent à ta suite…

1. Tortils : rubans enroulés autour d’une couronne de baron.


134
Acte II

C, épouvanté.
Tu ne leur as pas dit où je me trouve ?…
L B, se frottant les mains.
Si !
U , entrant, suivi d’un groupe.
865 Monsieur, tout le Marais se fait porter ici !
Au-dehors, la rue s’est remplie de monde.
Des chaises à porteurs, des carrosses s’arrêtent.
L B, bas, souriant à Cyrano.
Et Roxane ?
C, vivement.
Tais-toi !
L , criant dehors.
Cyrano !…
Une cohue se précipite dans la pâtisserie.
Bousculade. Acclamations.
R, debout sur une table.
Ma boutique
Est envahie ! On casse tout ! C’est magnifique !
D , autour de Cyrano.
Mon ami… mon ami…
C
Je n’avais pas hier
Tant d’amis !…

1. Le Marais est un quartier du centre 2. Cohue : foule nombreuse


de Paris, habité au e siècle par la et désordonnée.
noblesse, et où se trouve la place Royale.

135
Cyrano de Bergerac

L B, ravi.
Le succès !
U  , accourant, les mains tendues.
Si tu savais, mon cher…
C
870 Si tu ?… Tu ?… Qu’est-ce donc qu’ensemble nous gardâmes ?
U 
Je veux vous présenter, Monsieur, à quelques dames
Qui là, dans mon carrosse…
C, froidement.
Et vous d’abord, à moi,
Qui vous présentera ?
L B, stupéfait.
Mais qu’as-tu donc ?
C
Tais-toi !
U   , avec une écritoire.
Puis-je avoir des détails sur ?…
C
Non.
L B, lui poussant le coude.
C’est Théophraste
875 Renaudot ! l’inventeur de la gazette.

1. Théophraste Renaudot est le fondateur d’un journal à succès,


La Gazette, l’un des premiers journaux français.

136
Acte II

C
Baste !
L B
Cette feuille où l’on fait tant de choses tenir !
On dit que cette idée a beaucoup d’avenir !
L , s’avançant.
Monsieur…
C
Encor !
L 
Je veux faire un pentacrostiche
Sur votre nom…
Q, s’avançant encore.
Monsieur…
C
Assez !
Mouvement. On se range. De Guiche paraît escorté d’ociers.
Cuigy, Brissaille, les ociers qui sont partis avec Cyrano
à la fin du premier acte. Cuigy vient vivement à Cyrano.
C, à Cyrano.
Monsieur de Guiche
Murmure. Tout le monde se range.
880 Vient de la part du maréchal de Gassion !
D G, saluant Cyrano.
… Qui tient à vous mander son admiration

1. Baste ! Peu importe ! 3. Le maréchal de Gassion est un maréchal


2. Pentacrostiche : poème écrit de de France qui, en 1643, se distingua
manière à ce qu’on puisse y lire, à la à la bataille de Rocroi.
verticale, cinq fois le nom d’une personne.

137
Cyrano de Bergerac

Pour le nouvel exploit dont le bruit vient de courre.


L 
Bravo !…
C, s’inclinant.
Le maréchal s’y connaît en bravoure.
D G
Il n’aurait jamais cru le fait si ces messieurs
885 N’avaient pu lui jurer l’avoir vu.
C
De nos yeux.
L B, bas à Cyrano, qui a l’air absent.
Mais…
C
Tais-toi !
L B
Tu parais sourir !
C, tressaillant et se redressant vivement.
Devant ce monde ?…
Sa moustache se hérisse ; il poitrine.
Moi, sourir ?… Tu vas voir !
D G, auquel Cuigy a pa rlé à l’oreille.
Votre carrière abonde
De beaux exploits, déjà. – Vous servez chez ces fous
De Gascons, n’est-ce pas ?

1. Courre : courir. 2. Il poitrine : il bombe le torse.


138
Acte II

C
Aux cadets, oui.
U , d’une voix terrible.
Chez nous !
D G, regardant les Gascons, rangés derrière Cyrano.
890 Ah ! ah !… Tous ces messieurs à la mine hautaine,
Ce sont donc les fameux ?…
C  CJ
Cyrano !
C
Capitaine ?
C
Puisque ma compagnie est, je crois, au complet,
Veuillez la présenter au comte, s’il vous plaît.
C, faisant deux pas vers De Guiche, et montrant les cadets.
Ce sont les cadets de Gascogne
895 De Carbon de Castel-Jaloux ;
Bretteurs et menteurs sans vergogne,
Ce sont les cadets de Gascogne !
Parlant blason, lambel, bastogne,
Tous plus nobles que des filous,
900 Ce sont les cadets de Gascogne
De Carbon de Castel-Jaloux :
Œil d’aigle, jambe de cigogne,
Moustache de chat, dents de loups,

1. « Lambel » et « bastogne » (mot calqué sur baston) sont des termes de « blason »,
ce dernier désignant l’ensemble des armoiries d’une famille noble.

139
Cyrano de Bergerac

Fendant la canaille qui grogne,


905 Œil d’aigle, jambe de cigogne,
Ils vont, – coiés d’un vieux vigogne
Dont la plume cache les trous ! –
Œil d’aigle, jambe de cigogne,
Moustache de chat, dents de loups !
910 Perce-Bedaine et Casse-Trogne
Sont leurs sobriquets les plus doux ;
De gloire, leur âme est ivrogne !
Perce-Bedaine et Casse-Trogne,
Dans tous les endroits où l’on cogne
915 Ils se donnent des rendez-vous…
Perce-Bedaine et Casse-Trogne,
Sont leurs sobriquets les plus doux !
Voici les cadets de Gascogne
Qui font cocus tous les jaloux !
920 Ô femme, adorable carogne,
Voici les cadets de Gascogne !
Que le vieil époux se renfrogne :
Sonnez, clairons ! chantez, coucous !
Voici les cadets de Gascogne
925 Qui font cocus tous les jaloux !
D G, nonchalamment assis
dans un fauteuil que Ragueneau a vite apporté.
Un poète est un luxe, aujourd’hui, qu’on se donne.
– Voulez-vous être à moi ?

1. Vigogne : chapeau en laine de vigogne, 2. Bedaine : ventre ;


petit mammifère vivant dans trogne : gure (termes familiers).
les montagnes d’Amérique du Sud. 3. Sobriquets : surnoms.
4. Carogne : femme hargneuse.
140
Acte II

C
Non, Monsieur, à personne.
D G
Votre verve amusa mon oncle Richelieu,
Hier. Je veux vous servir auprès de lui.
L B, ébloui.
Grand Dieu !
D G
930 Vous avez bien rimé cinq actes, j’imagine ?
L B, à l’oreille de Cyrano.
Tu vas faire jouer, mon cher, ton Agrippine !
D G
Portez-les-lui.
C, tenté et un peu charmé.
Vraiment…
D G
Il est des plus experts.
Il vous corrigera seulement quelques vers…
C, dont le visage s’est immédiatement rembruni.
 Impossible, Monsieur ; mon sang se coagule
935 En pensant qu’on peut y changer une virgule.
D G
Mais quand un vers lui plaît, en revanche, mon cher,
Il le paye très cher.

1. Verve : inspiration, fantaisie. 3. Il s’agit de La Mort d’Agrippine, tragédie


2. Rimé cinq actes : composé une tragédie écrite par le véritable Cyrano de Bergerac.
en cinq actes et en vers.

141
Cyrano de Bergerac

C
Il le paye moins cher
Que moi, lorsque j’ai fait un vers, et que je l’aime,
Je me le paye, en me le chantant à moi-même !
D G
940 Vous êtes fier.
C
Vraiment, vous l’avez remarqué ?
U , entrant avec, enfilés à son épée, des chapeaux
aux plumets miteux, aux coies trouées, défoncées.
Regarde, Cyrano ! ce matin, sur le quai,
Le bizarre gibier à plumes que nous prîmes !
Les feutres des fuyards !…
C
Des dépouilles opimes !
T  , riant.
Ah ! Ah ! Ah !
C
Celui qui posta ces gueux, ma foi,
945 Doit rager aujourd’hui.
B
Sait-on qui c’est ?

1. Dans l’Antiquité, on appelait « dépouilles opimes »


celles que remportait un général d’armée qui avait tué
de sa main le général de l’armée ennemie, d’où, au guré,
le sens de « riches dépouilles ».

142
Acte II

D G
C’est moi.
Les rires s’arrêtent.
Je les avais chargés de châtier, – besogne
Qu’on ne fait pas soi-même, – un rimailleur ivrogne.
Silence gêné.
L , à mi-voix, à Cyrano, lui montrant les feutres,
Que faut-il qu’on en fasse ? Ils sont gras… Un salmis ?
C, prenant l’épée où ils sont enfilés, et les faisant,
dans un salut, tous glisser aux pieds de De Guiche.
Monsieur, si vous voulez les rendre à vos amis ?
D G, se levant et d’une voix brève.
950 Ma chaise et mes porteurs, tout de suite : je monte.
À Cyrano, violemment.
Vous, Monsieur !…
U , dans la rue, criant.
Les porteurs de monseigneur le comte
De Guiche !
D G, qui s’est dominé, avec un sourire.
… Avez-vous lu Don Quichot ?
C
Je l’ai lu.
Et me découvre au nom de cet hurluberlu.

1. Châtier : punir. succès. Son héros, obsédé par les romans


2. Besogne : travail (familier). de chevalerie, se prend pour un chevalier
3. Salmis : ragoût de gibier. errant. Dans un passage célèbre, devenu
4. Don Quichotte est un roman de fou, il prend des moulins à vent pour des
l’Espagnol Miguel de Cervantès. Écrit au géants, et entreprend de les combattre.
début du e siècle, il connut un immense 5. Cet hurluberlu : cet original.
143
Cyrano de Bergerac

D G
Veuillez donc méditer alors…
U , paraissant au fond.
Voici la chaise.
D G
955 Sur le chapitre des moulins !
C, saluant.
Chapitre treize.
D G
Car, lorsqu’on les attaque, il arrive souvent…
C
J’attaque donc des gens qui tournent à tout vent ?
D G
Qu’un moulinet de leurs grands bras chargés de toiles
Vous lance dans la boue !…
C
Ou bien dans les étoiles !
De Guiche sort. On le voit remonter en chaise. Les seigneurs
s’éloignent en chuchotant. Le Bret les réaccompagne. La foule sort.

144
Cyrano (Gérard Depardieu) accompagné des cadets, dans l’adaptation cinémato-
graphique de Cyrano de Bergerac réalisée par Jean-Paul Rappeneau, en 1990.

1 Qui voit-on sur cette image ? À quoi reconnaît-on


ces personnages ?
2 Comment le corps des acteurs traduit-il l’élan du groupe ?
3 Décris le jeu des regards. Quel lien unit Cyrano et les autres ?

145
Cyrano de Bergerac

S 
C, L B,  , qui se sont attablés
à droite et à gauche et auxquels on sert à boire et à manger.

C, saluant d’un air goguenard ceux qui sortent
sans oser le saluer.
960 Messieurs… Messieurs… Messieurs…
L B, désolé, redescendant, les bras au ciel.
Ah ! dans quels jolis draps…
C
Oh ! toi ! tu vas grogner !
L B
Enfin, tu conviendras
Qu’assassiner toujours la chance passagère,
Devient exagéré.
C
Hé bien oui, j’exagère !
L B, triomphant.
Ah !
C
Mais pour le principe, et pour l’exemple aussi,
965 Je trouve qu’il est bon d’exagérer ainsi.

1. Goguenard : moqueur.
146
vers 966 à 1046 Acte II
hatier-clic.fr/8446460d

L B
Si tu laissais un peu ton âme mousquetaire
La fortune et la gloire…
C
Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
970 Et s’en fait un tuteur en lui léchant l’écorce,
Grimper par ruse au lieu de s’élever par force ?
Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? se changer en bouon
Dans l’esprit vil de voir, aux lèvres d’un ministre,
975 Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d’un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? une peau
Qui plus vite, à l’endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?…
980 Non, merci. D’une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l’autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ?

1. Dans cette tirade, Cyrano expose son intérêt ; « marcher sur le ventre »,
idée de l’honneur : il refuse de se mettre au c’est-à-dire ramper, c’est faire preuve
service d’un noble plus puissant, et de renier de soumission ; « atter la chèvre et
ses convictions, ou de devenir un poète le chou », c’est cultiver des amitiés qui
apprécié dans les salons, mais médiocre. vous seront utiles ; « proposer la rhubarbe
2. Circonvient : entoure. (Le lierre est pour avoir le séné », c’est accepter un
une plante grimpante.) compromis ; « donner de l’encensoir »,
3. Dans cette tirade, Cyrano détourne c’est atter de manière excessive ;
plusieurs expressions imagées : « avaler « rendre à César ce qui est à César »,
un crapaud » (ou une couleuvre), c’est c’est reconnaître ce que son succès doit
faire quelque chose à contrecœur, par à un autre.

147
Cyrano de Bergerac

Non, merci ! Se pousser de giron en giron,


985 Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
Non, merci. Chez le bon éditeur de Sercy
Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !
990 S’aller faire nommer pape par les conciles
Que dans des cabarets tiennent des imbéciles ?
Non, merci ! Travailler à se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d’en faire d’autres ? Non,
Merci ! Ne découvrir du talent qu’aux mazettes ?
995 Être terrorisé par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse : « Oh, pourvu que je sois
Dans les petits papiers du Mercure François ? »…
Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,
Préférer faire une visite qu’un poème,
1000 Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais… chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
1005 Pour un oui, pour un non, se battre, – ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !

1. Giron : ici, lieu protecteur. 5. Conciles : assemblées d’évêques.


2. Rond : cercle littéraire. 6. Mazettes : au sens propre, mauvais
3. Madrigaux : petits poèmes précieux. chevaux ; au sens guré, se dit, avec
4. L’éditeur de Sercy éditait des livres à mépris, de personnes maladroites.
compte d’auteur, c’est-à-dire en faisant 7. Gazettes : journaux faisant la
payer les écrivains eux-mêmes qui chronique de la vie de la haute société.
espéraient ainsi se faire remarquer. 8. Placets : lettres dans lesquelles on
demande une faveur.

148
Acte II

N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît,


Et, modeste d’ailleurs, se dire : mon petit,
1010 Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s’il advient d’un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d’en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
1015 Bref, dédaignant d’être le lierre parasite,
Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
L B
Tout seul, soit ! mais non pas contre tous ! Comment diable
As-tu donc contracté la manie eroyable
1020 De te faire toujours, partout, des ennemis ?
C
À force de vous voir vous faire des amis,
Et rire à ces amis dont vous avez des foules,
D’une bouche empruntée au derrière des poules !
J’aime raréfier sur mes pas les saluts,
1025 Et m’écrie avec joie : un ennemi de plus !
L B
Quelle aberration !
C
Eh bien oui ! c’est mon vice.
Déplaire est mon plaisir. J’aime qu’on me haïsse.
Mon cher, si tu savais comme l’on marche mieux
Sous la pistolétade excitante des yeux !

1. « Faire le cul de poule », c’est faire 2. La pistolétade : les coups de pistolets.


une grimace ridicule.

149
Cyrano de Bergerac

1030 Comme, sur les pourpoints, font d’amusantes taches


Le fiel des envieux et la bave des lâches !
– Vous, la molle amitié dont vous vous entourez,
Ressemble à ces grands cols d’Italie, ajourés
Et flottants, dans lesquels votre cou s’eémine :
1035 On y est plus à l’aise… et de moins haute mine,
Car le front n’ayant pas de maintien ni de loi,
S’abandonne à pencher dans tous les sens. Mais moi,
La Haine, chaque jour, me tuyaute et m’apprête
La fraise dont l’empois force à lever la tête ;
1040 Chaque ennemi de plus est un nouveau godron
Qui m’ajoute une gêne, et m’ajoute un rayon :
Car, pareille en tous points à la fraise espagnole,
La Haine est un carcan, mais c’est une auréole !
L B, après un silence, passant son bras sous le sien.
Fais tout haut l’orgueilleux et l’amer, mais, tout bas,
1045 Dis-moi tout simplement qu’elle ne t’aime pas !
C, vivement.
Tais-toi !
Depuis un moment, Christian est entré, s’est mêlé aux cadets ;
ceux-ci ne lui adressent pas la parole ; il a fini par s’asseoir
seul à une petite table, où Lise le sert.

1. Le el : l’amertume. est une sorte de colle qui rigidie le tissu,


2. Cyrano utilise plusieurs termes le « godron » est un gros pli que l’on faisait
techniques liés à la « fraise », large collerette sur les fraises. Cyrano compare la haine que
plissée portée à l’époque par les hommes ses ennemis lui portent à la fraise : les deux
et les femmes : « tuyauter » veut dire sont inconfortables, mais obligent à garder
former des plis avec un fer, « l’empois » la tête haute.

150
Acte II
As-tu bien lu ?

Acte II, scènes 7 et 8


O pages 132 à 150
O Voir aussi
étape 3, p. 284
1 Comment Cyrano réagit-il quand De Guiche
lui propose de l’introduire auprès de Richelieu ?
c c
Il accepte avec joie. Il accepte à contrecœur. c Il refuse.
2 a. Quelle formule Le Bret utilise-t-il pour caractériser
l’état d’esprit de Cyrano ?
c l’âme ère c l’âme guerrière c
l’âme mousquetaire
b. Par quels adjectifs peut se traduire cette expression ?
Raye les mauvaises solutions.
courageux • er • hypocrite • lâche • honnête • orgueilleux
3 Dans la tirade des vers 967 à 1017, quelle expression Cyrano
répète-t-il sans cesse ?
c « Pas question ! » c « Ah non ! » c « Non, merci ! »
Arras
4 Ta mission
Paris
O D’où vient Cyrano ?
a. Qu’est-ce que
la Gascogne ?
océan
b. Situe-la sur cette Atlantique
carte en entourant Bordeaux
approximativement
la zone. Toulouse
mer
200 km
Méditerranée

151
Cyrano de Bergerac

S 
C, L B,  , C  N

U , assis à une table du fond, le verre à la main.
Hé ! Cyrano !
Cyrano se retourne.
Le récit ?
C
Tout à l’heure !
Il remonte au bras de Le Bret. Ils causent bas.
L , se levant et descendant.
Le récit du combat ! Ce sera la meilleure
Leçon
Il s’arrête devant la table où est Christian.
pour ce timide apprentif !
C, levant la tête.
Apprentif ?
U  
Oui, septentrional maladif !
C
Maladif ?
P , goguenard.
1050 Monsieur de Neuvillette, apprenez quelque chose :

1. Apprentif : apprenti, novice. 2. Septentrional : originaire du Nord.


Le cadet se moque de Christian parce
qu’il n’est pas gascon.
152
Acte II

C’est qu’il est un objet, chez nous, dont on ne cause


Pas plus que de cordon dans l’hôtel d’un pendu !
C
Qu’est-ce ?
U  , d’une voix terrible.
Regardez-moi !
Il pose trois fois, mystérieusement, son doigt sur son nez.
M’avez-vous entendu ?
C
Ah ! c’est le…
U 
Chut !… jamais ce mot ne se profère !
Il montre Cyrano qui cause au fond avec Le Bret.
1055 Ou c’est à lui, là-bas, que l’on aurait aaire !
U , qui, pendant qu’il était tourné vers les premiers,
est venu sans bruit s’asseoir sur la table, dans son dos.
Deux nasillards par lui furent exterminés
Parce qu’il lui déplut qu’ils parlassent du nez !
U , d’une voix caverneuse, surgissant de sous la table
où il s’est glissé à quatre pattes.
On ne peut faire, sans défuncter avant l’âge,
La moindre allusion au fatal cartilage !
U , lui posant la main sur l’épaule.
1060 Un mot sut ! Que dis-je, un mot ? Un geste, un seul !
Et tirer son mouchoir, c’est tirer son linceul !

1. Défuncter : mourir.
2. Linceul : drap qui enveloppe les morts.
153
Cyrano de Bergerac

Silence. Tous autour de lui, les bras croisés, le regardent.


Il se lève et va à Carbon de Castel-Jaloux qui,
causant avec un ocier, a l’air de ne rien voir.
C
Capitaine !
C, se retournant et le toisant.
Monsieur ?
C
Que fait-on quand on trouve
Des Méridionaux trop vantards ?…
C
On leur prouve
Qu’on peut être du Nord, et courageux.
Il lui tourne le dos.
C
Merci.
P , à Cyrano.
1065 Maintenant, ton récit !
T
Son récit !
C, redescendant vers eux.
Mon récit ?…
Tous rapprochent leurs escabeaux, se groupent autour de lui,
tendent le col. Christian s’est mis à cheval sur une chaise.
Eh bien ! donc je marchais tout seul, à leur rencontre.

1. Le toisant : le regardant avec attention. 3. Escabeaux : sièges de bois.


2. Méridionaux : originaires du Sud.
154
Acte II

La lune, dans le ciel, luisait comme une montre,


Quand soudain, je ne sais quel soigneux horloger
S’étant mis à passer un coton nuager
1070 Sur le boîtier d’argent de cette montre ronde,
Il se fit une nuit la plus noire du monde,
Et les quais n’étant pas du tout illuminés,
Mordious ! On n’y voyait pas plus loin…
C
Que son nez.
Silence. Tout le monde se lève lentement. On regarde Cyrano
avec terreur. Celui-ci s’est interrompu, stupéfait. Attente.
C
Qu’est-ce que c’est que cet homme-là ?
U , à mi-voix.
C’est un homme
1075 Arrivé ce matin.
C, faisant un pas vers Christian.
Ce matin ?
C, à mi-voix.
Il se nomme
Le baron de Neuvil…
C, vivement, s’arrêtant.
Ah ! c’est bien…
Il pâlit, rougit, a encore un mouvement pour se jeter sur Christian.

1. La métaphore développée dans les vers 1067 à 1071 signie


qu’un nuage a couvert la Lune et que tout est devenu sombre.

155
Cyrano de Bergerac

Je…
Puis il se domine, et dit d’une voix sourde.
Très bien…
Il reprend.
Je disais donc…
Avec un éclat de rage dans la voix.
Mordious !…
Il continue d’un ton naturel.
que l’on n’y voyait rien
Stupeur. On se rassied en se regardant.
Et je marchais, songeant que pour un gueux fort mince
J’allais mécontenter quelque grand, quelque prince,
1080 Qui m’aurait sûrement…
C
Dans le nez…
Tout le monde se lève. Christian se balance sur sa chaise.
C, d’une voix étranglée.
Une dent… –
Qui m’aurait une dent… et qu’en somme, imprudent,
J’allais fourrer…
C
Le nez…
C
Le doigt… entre l’écorce
Et l’arbre, car ce grand pouvait être de force
À me faire donner…

1. Grand : noble de haut rang.


156
Acte II

C
Sur le nez…
C, essuyant la sueur à son front.
Sur les doigts.
1085 – Mais j’ajoutai : Marche, Gascon, fais ce que dois !
Va, Cyrano ! Et ce disant, je me hasarde,
Quand, dans l’ombre, quelqu’un me porte…
C
Une nasarde.
C
Je la pare, et soudain me trouve…
C
Nez à nez…
C, bondissant vers lui.
Ventre-Saint-Gris !
Tous les Gascons se précipitent pour voir ;
arrivé sur Christian, il se maîtrise et continue.
… avec cent braillards avinés
1090 Qui puaient…
C
À plein nez…
C, blême et souriant.
L’oignon et la litharge !
Je bondis, front baissé…

1. Une nasarde : un coup sur le nez. 3. La litharge : l’oxyde de plomb utilisé


2. Avinés : ivres. autrefois pour adoucir le vin.

157
Cyrano de Bergerac

C
Nez au vent !
C
et je charge !
J’en estomaque deux ! J’en empale un tout vif !
Quelqu’un m’ajuste : Paf ! et je riposte…
C
Pif !
C, éclatant.
Tonnerre ! Sortez tous !

ly
Tous les cadets se précipitent vers les portes.
on
s
P 
se
C’est le réveil du tigre !
r po

C
pu

1095 Tous ! Et laissez-moi seul avec cet homme !


dy

D 
tu

Bigre !
rs

On va le retrouver en hachis !
Fo

R
En hachis ?
U  
Dans un de vos pâtés !
R
Je sens que je blanchis,
Et que je m’amollis comme une serviette !

158
Acte II

Éric Ruf (Christian) et Michel Vuillermoz (Cyrano), dans la mise en scène de Cyrano
de Bergerac par Denis Podalydès à la Comédie-Française (Paris), en 2010.

1 Quelle est l’attitude de Christian vis-à-vis de Cyrano


sur cette photographie ?
2 Décris l’attitude corporelle de Cyrano. Quelle est sa réaction ?
3 Que fait le personnage en arrière-plan ?
159
Cyrano de Bergerac

C
Sortons !
U 
Il n’en va pas laisser une miette !
U 
1100 Ce qui va se passer ici, j’en meurs d’eroi !
U , refermant la porte de droite.
Quelque chose d’épouvantable !
Ils sont tous sortis, – soit par le fond, soit par les côtés, – quelques-
uns ont disparu par l’escalier. Cyrano et Christian restent
face à face, et se regardent un moment.

S 
C, C

C
Embrasse-moi !
C
Monsieur…
C
Brave.
C
Ah çà ! mais !…
C
Très brave. Je préfère.

160
Acte II

C
Me direz-vous ?…
C
Embrasse-moi. Je suis son frère.
C
De qui ?
C
Mais d’elle !
C
Hein ?…
C
Mais de Roxane !
C, courant à lui.
Ciel !
1105 Vous, son frère ?
C
Ou tout comme : un cousin fraternel.
C
Elle vous a ?…
C
Tout dit !
C
M’aime-t-elle ?
C
Peut-être !

161
Cyrano de Bergerac

C, lui prenant les mains.


Comme je suis heureux, Monsieur, de vous connaître !
C
Voilà ce qui s’appelle un sentiment soudain.
C
Pardonnez-moi…
C, le regardant, et lui mettant la main sur l’épaule.
C’est vrai qu’il est beau, le gredin !
C
1110 Si vous saviez, Monsieur, comme je vous admire !
C
Mais tous ces nez que vous m’avez…
C
Je les retire !
C
Roxane attend ce soir une lettre…
C
Hélas !
C
Quoi !
C
C’est me perdre que de cesser de rester coi !
C
Comment ?

1. Coi : muet.
162
Acte II

C
Las ! je suis sot à m’en tuer de honte !
C
1115 Mais non, tu ne l’es pas, puisque tu t’en rends compte.
D’ailleurs, tu ne m’as pas attaqué comme un sot.
C
Bah ! on trouve des mots quand on monte à l’assaut !
Oui, j’ai certain esprit facile et militaire,
Mais je ne sais, devant les femmes, que me taire.
1120 Oh ! leurs yeux, quand je passe, ont pour moi des bontés…
C
Leurs cœurs n’en ont-ils plus quand vous vous arrêtez ?
C
Non ! car je suis de ceux, – je le sais… et je tremble ! –
Qui ne savent parler d’amour.
C
Tiens !… Il me semble
Que si l’on eût pris soin de me mieux modeler,
1125 J’aurais été de ceux qui savent en parler.
C
Oh ! pouvoir exprimer les choses avec grâce !
C
Être un joli petit mousquetaire qui passe !
C
Roxane est précieuse et sûrement je vais
Désillusionner Roxane !

1. Las : hélas.
163
Cyrano de Bergerac

C, regardant Christian.


Si j’avais
1130 Pour exprimer mon âme un pareil interprète !
C, avec désespoir.
Il me faudrait de l’éloquence !
C, brusquement.
Je t’en prête !
Toi, du charme physique et vainqueur, prête-m’en :
Et faisons à nous deux un héros de roman !
C
Quoi ?
C
Te sens-tu de force à répéter les choses
1135 Que chaque jour je t’apprendrai ?…
C
Tu me proposes ?…
C
Roxane n’aura pas de désillusions !
Dis, veux-tu qu’à nous deux nous la séduisions ?
Veux-tu sentir passer, de mon pourpoint de bue
Dans ton pourpoint brodé, l’âme que je t’insue !…
C
1140 Mais, Cyrano !…
C
Christian, veux-tu ?

164
Acte II

C
Tu me fais peur !
C
Puisque tu crains, tout seul, de refroidir son cœur,
Veux-tu que nous fassions – et bientôt tu l’embrases ! –
Collaborer un peu tes lèvres et mes phrases ?…
C
Tes yeux brillent !…
C
Veux-tu ?…
C
Quoi ! cela te ferait
1145 Tant de plaisir ?…
C, avec enivrement.
Cela…
Se reprenant, et en artiste.
Cela m’amuserait !
C’est une expérience à tenter un poète.
Veux-tu me compléter et que je te complète ?
Tu marcheras, j’irai dans l’ombre à ton côté :
Je serai ton esprit, tu seras ma beauté.
C
1150 Mais la lettre qu’il faut, au plus tôt, lui remettre !
Je ne pourrai jamais…
C, sortant de son pourpoint la lettre qu’il a écrite.
Tiens, la voilà, ta lettre !

165
Cyrano de Bergerac

C
Comment ?
C
Hormis l’adresse, il n’y manque plus rien.
C
Je…
C
Tu peux l’envoyer. Sois tranquille. Elle est bien.
C
Vous aviez ?…
C
Nous avons toujours, nous, dans nos poches,
1155 Des épîtres à des Chloris… de nos caboches,
Car nous sommes ceux-là qui pour amante n’ont
Que du rêve soué dans la bulle d’un nom !…
Prends, et tu changeras en vérités ces feintes ;
Je lançais au hasard ces aveux et ces plaintes :
1160 Tu verras se poser tous ces oiseaux errants.
Tu verras que je fus dans cette lettre – prends ! –
D’autant plus éloquent que j’étais moins sincère !
– Prends donc, et finissons !
C
N’est-il pas nécessaire
De changer quelques mots ? Écrite en divaguant,
1165 Ira-t-elle à Roxane ?

1. Épîtres : lettres. 3. Caboches : têtes (familier).


2. Chloris est le nom donné à la femme 4. Feintes : ctions.
aimée dans la poésie précieuse.

166
Acte II

C
Elle ira comme un gant !
C
Mais…
C
La crédulité de l’amour-propre est telle,
Que Roxane croira que c’est écrit pour elle !
C
Ah ! mon ami !
Il se jette dans les bras de Cyrano. Ils restent embrassés.

S 
C, C,  ,
 , L

U , entrouvrant la porte
Plus rien… Un silence de mort…
Je n’ose regarder…
Il passe la tête.
Hein ?
T  , entrant et voyant Cyrano et Christian
qui s’embrassent.
Ah !… Oh !…

1. Ils restent embrassés : ils se serrent dans les bras l’un de l’autre.
167
Cyrano de Bergerac

U 
C’est trop fort !
Consternation.
L , goguenard.
1170 Ouais ?…
C
Notre démon est doux comme un apôtre !
Quand sur une narine on le frappe, – il tend l’autre ?
L 
On peut donc lui parler de son nez, maintenant ?…
Appelant Lise, d’un air triomphant.
– Eh ! Lise ! Tu vas voir !
Humant l’air avec aectation.
Oh !… Oh !… c’est surprenant !
Quelle odeur !…
Allant à Cyrano, dont il regarde le nez avec impertinence.
Mais monsieur doit l’avoir reniflée ?
1175 Qu’est-ce que cela sent ici ?…
C, le souetant .
La giroflée !
Joie. Les cadets ont retrouvé Cyrano ; ils font des culbutes.

RIDEAU

1. Carbon compare Cyrano à un « apôtre », 2. Le souetant : le giant.


c’est-à-dire à l’un des disciples du Christ. 3. Giroée : plante aux eurs très
Il poursuit la métaphore en détournant odorantes. Au sens guré et en langage
un passage de l’évangile de Matthieu : familier, gie qui laisse la marque
« Si quelqu’un te gie sur la joue droite, des cinq doigts.
tends-lui aussi l’autre. »

168
Acte III
L   R

Une petite place dans l’ancien Marais. Vieilles maisons. Perspectives
de ruelles. À droite, la maison de Roxane et le mur de son jardin que
débordent de larges feuillages. Au-dessus de la porte, fenêtre et balcon.
Un bac devant le seuil. Du lierre grimpe au mur, du jasmin enguirlande
le balcon, frissonne et retombe.
Par le banc et les pierres en saillie du mur, on peut facilement
grimper au balcon.
En face, une ancienne maison de même style, brique et pierre, avec
une porte d’entrée. Le heurtoir de cette porte est emmailloté de linge
comme un pouce malade.
Au lever de rideau, la duègne est assise sur le banc. La fenêtre est
grande ouverte sur le balcon de Roxane.
Près de la duègne se tient debout Ragueneau, vêtu d’une sorte de
livrée : il termine un récit, en s’essuyant les yeux.

1. Heurtoir : petit marteau xé à la 2. Livrée : vêtement porté


porte des maisons, dont on se sert par un domestique.
pour y frapper.

169
Cyrano de Bergerac

S 
R,  , puis R,
C et  

R
… Et puis, elle est partie avec un mousquetaire !
Seul, ruiné, je me pends. J’avais quitté la terre.
Monsieur de Bergerac entre, et, me dépendant,
Me vient à sa cousine orir comme intendant.
L 
1180 Mais comment expliquer cette ruine où vous êtes ?
R
Lise aimait les guerriers, et j’aimais les poètes !
Mars mangeait les gâteaux que laissait Apollon :
– Alors, vous comprenez, cela ne fut pas long !
L , se levant et appelant vers la fenêtre ouverte.
Roxane, êtes-vous prête ?… On nous attend !
L   R, par la fenêtre.
Je passe
1185 Une mante !
L , à Ragueneau, lui montrant la porte d’en face.
C’est là qu’on nous attend, en face.

1. Ragueneau raconte ici les causes de sa ruine : le mousquetaire, amant de sa femme


(représenté par Mars, le dieu de la guerre), et les poètes qu’il entretenait (représentés
par Apollon, le dieu de la poésie) ont vécu à ses frais, et l’ont dépouillé de ses biens.

170
Acte III

Chez Clomire. Elle tient bureau, dans son réduit.


On y lit un discours sur le Tendre, aujourd’hui.
R
Sur le Tendre ?
L , minaudant.
Mais oui !…
Criant vers la fenêtre.
Roxane, il faut descendre,
Ou nous allons manquer le discours sur le Tendre !
L   R
1190 Je viens !
On entend un bruit d’instruments à cordes qui se rapproche.
L   C, chantant dans la coulisse.
La ! la ! la ! la !
L , surprise.
On nous joue un morceau ?
C, suivi de deux pages porteurs de théorbes.
Je vous dis que la croche est triple, triple sot !
P , ironique.
Vous savez donc, Monsieur, si les croches sont triples ?
C
Je suis musicien, comme tous les disciples

1. Clomire est un surnom précieux. est une représentation allégorique des


2. Le Tendre est un pays imaginaire, étapes de la vie amoureuse. Voir l’encadré
imaginé par la précieuse Madeleine « Deux écrivains précieux », p. 318.
de Scudéry dans son roman Clélie, histoire 3. Théorbes : sortes de luths.
romaine (1654-1660). La « carte du Tendre » 4. Croche : note de musique.
171
Cyrano de Bergerac

De Gassendi !
L , jouant et chantant.
La ! la !
C, lui arrachant le théorbe et continuant la phrase musicale.
Je peux continuer !
1195 La ! la ! la ! la !
R, paraissant sur le balcon.
C’est vous ?
C, chantant sur l’air qu’il continue.
Moi qui viens saluer
Vos lys, et présenter mes respects à vos ro… ses !
R
Je descends !
Elle quitte le balcon.
L , montrant les pages.
Qu’est-ce donc que ces deux virtuoses ?
C
C’est un pari que j’ai gagné sur d’Assoucy.
Nous discutions un point de grammaire. – Non ! – Si !
1200 Quand soudain me montrant ces deux grands escogries
Habiles à gratter les cordes de leurs gries,
Et dont il fait toujours son escorte, il me dit :
« Je te parie un jour de musique ! » Il perdit.

1. Gassendi (1592-1655) est un philosophe 2. Charles d’Assoucy est un célèbre


matérialiste dont le vrai Cyrano philosophe et musicien du e siècle.
de Bergerac était le disciple. 3. Escogries : hommes de grande taille
(l’expression est moqueuse).

172
Acte III

Jusqu’à ce que Phœbus recommence son orbe,


1205 J’ai donc sur mes talons ces joueurs de théorbe,
De tout ce que je fais, harmonieux témoins !…
Ce fut d’abord charmant, et ce l’est déjà moins.
Aux musiciens.
Hep !… Allez de ma part jouer une pavane
À Montfleury !
Les pages remontent pour sortir. – À la duègne.
Je viens demander à Roxane
1210 Ainsi que chaque soir…
Aux pages qui sortent.
Jouez longtemps, – et faux !
À la duègne.
… Si l’ami de son âme est toujours sans défauts ?
R, sortant de la maison.
Ah ! qu’il est beau, qu’il a d’esprit et que je l’aime !
C, souriant.
Christian a tant d’esprit ?…
R
Mon cher, plus que vous-même !
C
J’y consens.
R
Il ne peut exister à mon goût
1215 Plus fin diseur de ces jolis riens qui sont tout.
Parfois il est distrait, ses Muses sont absentes ;

1. Jusqu’à ce que Phœbus recommence 2. Une pavane : une danse lente


son orbe : jusqu’au lendemain. très en vogue à l’époque.

173
Cyrano de Bergerac

Puis, tout à coup, il dit des choses ravissantes !


C, incrédule.
Non ?
R
C’est trop fort ! Voilà comme les hommes sont :
Il n’aura pas d’esprit puisqu’il est beau garçon !
C
1220 Il sait parler du cœur d’une façon experte ?
R
Mais il n’en parle pas, Monsieur, il en disserte !
C
Il écrit ?
R
Mieux encore ! Écoutez donc un peu :
Déclamant.
« Plus tu me prends de cœur, plus j’en ai !… »
Triomphante, à Cyrano.
Hé ! bien ?
C
Peuh !…
R
Et ceci : « Pour sourir, puisqu’il m’en faut un autre,
1225 Si vous gardez mon cœur, envoyez-moi le vôtre ! »
C
Tantôt il en a trop et tantôt pas assez.
Qu’est-ce au juste qu’il veut, de cœur ?…

174
Acte III

R, frappant du pied.


Vous m’agacez !
C’est la jalousie…
C, tressaillant.
Hein !
R
… d’auteur qui vous dévore !
– Et ceci, n’est-il pas du dernier tendre encore ?
1230 « Croyez que devers vous mon cœur ne fait qu’un cri,
Et que si les baisers s’envoyaient par écrit,
Madame, vous liriez ma lettre avec les lèvres !… »
C, souriant malgré lui de satisfaction.
Ha ! ha ! ces lignes-là sont… hé ! hé !
Se reprenant et avec dédain.
mais bien mièvres !
R
Et ceci…
C, ravi.
Vous savez donc ses lettres par cœur ?
R
1235 Toutes !
C, frisant sa moustache.
Il n’y a pas à dire : c’est flatteur.
R
C’est un maître !

1. Devers : devant. 2. Mièvres : fades, sans esprit.


175
Cyrano de Bergerac

C, modeste.
Oh !… un maître !…
R, péremptoire.
Un maître !
C, saluant.
Soit !… un maître !
L , qui était remontée, redescendant vivement.
Monsieur de Guiche !
À Cyrano, le poussant vers la maison.
Entrez… car il vaut mieux, peut-être,
Qu’il ne vous trouve pas ici ; cela pourrait
Le mettre sur la piste…
R, à Cyrano.
Oui, de mon cher secret !
1240 Il m’aime, il est puissant, il ne faut pas qu’il sache !
Il peut dans mes amours donner un coup de hache !
C, entrant dans la maison.
Bien ! bien ! bien !
De Guiche paraît.

1. Péremptoire : catégorique, sûre d’elle.


176
Acte III

S 
R, D G,  , à l’écart.

R, à De Guiche, lui faisant une révérence.
Je sortais.
D G
Je viens prendre congé.
R
Vous partez ?
D G
Pour la guerre.
R
Ah !
D G
Ce soir même.
R
Ah !
D G
J’ai
Des ordres. On assiège Arras.
R
Ah !… on assiège ?…

1. Prendre congé : faire mes adieux. En 1640, Louis XIII décide d’assiéger
2. Arras, ville du Nord de la France, la ville pour la rattacher au royaume
était sous domination espagnole. de France.

177
Cyrano de Bergerac

D G
1245 Oui… Mon départ a l’air de vous laisser de neige.
R, poliment.
Oh !…
D G
Moi, je suis navré. Vous reverrai-je ?… Quand ?
– Vous savez que je suis nommé mestre de camp ?
R, indiérente.
Bravo.
D G
Du régiment des gardes.
R, saisie.
Ah ! des gardes ?
D G
Où sert votre cousin, l’homme aux phrases vantardes
1250 Je saurai me venger de lui, là-bas.
R, suoquée.
Comment !
Les gardes vont là-bas ?
D G, riant.
Tiens ! c’est mon régiment !
R, tombant assise sur le banc – à part.
Christian !

1. Mestre : maître.
178
Acte III

D G
Qu’avez-vous ?
R, tout émue.
Ce… départ… me désespère !
Quand on tient à quelqu’un, le savoir à la guerre !
D G, surpris et charmé.
Pour la première fois me dire un mot si doux,
1255 Le jour de mon départ !
R, changeant de ton et s’éventant.
Alors, – vous allez vous
Venger de mon cousin ?…
D G, souriant…
On est pour lui ?
R
Non, – contre !
D G
Vous le voyez ?
R
Très peu.
D G
Partout on le rencontre
Avec un des cadets…
Il cherche le nom.

1. De Guiche croit que Roxane parle de lui, alors qu’elle pense à Christian.
La jeune femme entretient volontairement le malentendu tout le reste de la scène,
en utilisant des expressions ambiguës, c’est-à-dire pouvant être interprétées
de deux manières diérentes.
179
Cyrano de Bergerac

Ce Neu… villen… viller…


R
Un grand ?
D G
Blond.
R
Roux.
D G
Beau !…
R
Peuh !
D G
Mais bête.
R
Il en a l’air !
Changeant de ton.
1260 Votre vengeance envers Cyrano, – c’est peut-être
De l’exposer au feu, qu’il adore ?… Elle est piètre !
Je sais bien moi, ce qui lui serait sanglant !
D G
C’est ?…
R
Mais si le régiment, en partant, le laissait
Avec ses chers cadets, pendant toute la guerre,
1265 À Paris, bras croisés !… C’est la seule manière,

1. Piètre : très médiocre.


180
Acte III

Un homme comme lui, de le faire enrager :


Vous voulez le punir ? privez-le de danger.
D G
Une femme ! une femme ! il n’y a qu’une femme
Pour inventer ce tour !
R
Il se rongera l’âme,
1270 Et ses amis les poings, de n’être pas au feu :
Et vous serez vengé !
D G, se rapprochant.
Vous m’aimez donc un peu !
Elle sourit.
Je veux voir dans ce fait d’épouser ma rancune
Une preuve d’amour, Roxane !…
R
C’en est une.
D G, montrant plusieurs plis cachetés.
J’ai les ordres sur moi qui vont être transmis
1275 À chaque compagnie, à l’instant même, hormis…
Il en détache un.
Celui-ci ! C’est celui des cadets.
Il le met dans sa poche.
Je le garde.
Riant.
Ah ! ah ! ah ! Cyrano !… Son humeur bataillarde !…
– Vous jouez donc des tours aux gens, vous ?…

1. Au feu : sur le champ de bataille. 2. Cachetés : fermés avec de la cire.


181
Cyrano de Bergerac

R, le regardant.
Quelquefois.
D G, tout près d’elle.
Vous m’aolez ! Ce soir – écoutez – oui, je dois
1280 Être parti. Mais fuir quand je vous sens émue !…
Écoutez. Il y a, près d’ici, dans la rue
D’Orléans, un couvent fondé par le syndic
Des capucins, le Père Athanase. Un laïc
N’y peut entrer. Mais les bons Pères, je m’en charge !
1285 Ils peuvent me cacher dans leur manche : elle est large.
– Ce sont les capucins qui servent Richelieu
Chez lui ; redoutant l’oncle, ils craignent le neveu. –
On me croira parti. Je viendrai sous le masque.
Laissez-moi retarder d’un jour, chère fantasque !
R, vivement.
1290 Mais si cela s’apprend, votre gloire…
D G
Bah !
R
Mais
Le siège, Arras…
D G
Tant pis ! Permettez !
R
Non !

1. Capucins : ordre religieux.


2. Fantasque : qui change brusquement d’humeur.
182
Acte III

D G
Permets !
R, tendrement.
Je dois vous le défendre !
D G
Ah !
R
Partez !
À part.
Christian reste.
Haut.
Je vous veux héroïque, – Antoine !
D G
Mot céleste !
Vous aimez donc celui ?…
R
Pour lequel j’ai frémi.
D G, transporté de joie.
1295 Ah ! je pars !
Il lui baise la main.
Êtes-vous contente ?
R
Oui, mon ami !
Il sort.
L , lui faisant dans le dos une révérence comique.
Oui, mon ami !

183
Cyrano de Bergerac

R, à la duègne.
Taisons ce que je viens de faire :
Cyrano m’en voudrait de lui voler sa guerre !
Elle appelle vers la maison.
Cousin !

S 
R, L , C

R
Nous allons chez Clomire.
Elle désigne la porte d’en face.
Alcandre y doit
Parler, et Lysimon !
L , mettant son petit doigt dans son oreille.
Oui ! mais mon petit doigt
1300 Dit qu’on va les manquer !
C, à Roxane.
Ne manquez pas ces singes.
Ils sont arrivés devant la porte de Clomire.
L , avec ravissement.
Oh ! voyez ! le heurtoir est entouré de linges !…
Au heurtoir.
On vous a bâillonné pour que votre métal
Ne troublât pas les beaux discours – petit brutal !
Elle le soulève avec des soins infinis et frappe doucement.

184
Acte III

R, voyant qu’on ouvre.


Entrons !…
Du seuil, à Cyrano.
Si Christian vient, comme je le présume,
1305 Qu’il m’attende !
C, vivement, comme elle va disparaître.
Ah !…
Elle se retourne.
Sur quoi, selon votre coutume,
Comptez-vous aujourd’hui l’interroger ?
R
Sur…
C, vivement.
Sur ?
R
Mais vous serez muet, là-dessus ?
C
Comme un mur.
R
Sur rien !… Je vais lui dire : Allez ! Partez sans bride !
Improvisez. Parlez d’amour. Soyez splendide !
C, souriant.
1310 Bon.
R
Chut !…

1. Sans bride : librement.


185
Cyrano de Bergerac

C
Chut !…
R
Pas un mot !…
Elle rentre et referme la porte.
C, la saluant, la porte une fois fermée.
En vous remerciant !
La porte se rouvre et Roxane passe la tête.
R
Il se préparerait !…
C
Diable, non !…
T  , ensemble.
Chut !…
La porte se ferme.
C, appelant.
Christian !

S 
C, C

C, vite, à Christian.
Je sais tout ce qu’il faut. Prépare ta mémoire.
Voici l’occasion de se couvrir de gloire.
Ne perdons pas de temps. Ne prends pas l’air grognon.
1315 Vite, rentrons chez toi, je vais t’apprendre…
186
Acte III

C
Non !
C
Hein ?
C
Non ! J’attends Roxane ici.
C
De quel vertige
Es-tu frappé ? Viens vite apprendre…
C
Non, te dis-je !
Je suis las d’emprunter mes lettres, mes discours,
Et de jouer ce rôle, et de trembler toujours !…
1320 C’était bon au début ! Mais je sens qu’elle m’aime !
Merci. Je n’ai plus peur. Je vais parler moi-même.
C
Ouais !
C
Et qui te dit que je ne saurai pas ?…
Je ne suis pas si bête à la fin ! Tu verras !
Mais, mon cher, tes leçons m’ont été profitables.
1325 Je saurai parler seul ! Et, de par tous les diables,
Je saurai bien toujours la prendre dans mes bras !…
Apercevant Roxane, qui ressort de chez Clomire.
– C’est elle ! Cyrano, non, ne me quitte pas !
C, le saluant.
Parlez tout seul, Monsieur.
Il disparaît derrière le mur du jardin.

187
Cyrano de Bergerac

S 
C, R,   et ,
et  , un instant.

R, sortant de la maison de Clomire avec une compagne
qu’elle quitte : révérences et saluts.
Barthénoïde ! – Alcandre ! –
Grémione !…
L , désespérée.
On a manqué le discours sur le Tendre !
Elle rentre chez Roxane.
R, saluant encore.
1330 Urimédonte !… Adieu !…
Tous saluent Roxane, se resaluent entre eux, se séparent et
s’éloignent par diérentes rues. Roxane voit Christian.
C’est vous !…
Elle va à lui.
Le soir descend.
Attendez. Ils sont loin. L’air est doux. Nul passant.
Asseyons-nous. Parlez. J’écoute.
C s’assied près d’elle, sur le banc. Un silence.
Je vous aime.
R, fermant les yeux.
Oui, parlez-moi d’amour.

1. Barthénoïde, Alcandre, Grémione


et Urimédonte sont des surnoms précieux.

188
Acte III

C
Je t’aime.
R
C’est le thème.
Brodez, brodez.
C
Je vous…
R
Brodez !
C
Je t’aime tant.
R
1335 Sans doute. Et puis ?
C
Et puis… Je serais si content
Si vous m’aimiez ! – Dis-moi, Roxane, que tu m’aimes !
R, avec une moue.
Vous m’orez du brouet quand j’espérais des crèmes !
Dites un peu comment vous m’aimez ?…
C
Mais… beaucoup.
R
Oh !… Délabyrinthez vos sentiments !

1. Brodez : développez.
2. Du brouet : de la bouillie.
189
Cyrano de Bergerac

C, qui s’est rapproché et dévore des yeux


la nuque blonde.
Ton cou !
1340 Je voudrais l’embrasser !…
R
Christian !
C
Je t’aime !
R, voulant se lever.
Encore !
C, vivement, la retenant.
Non ! je ne t’aime pas !
R, se rasseyant.
C’est heureux !
C
Je t’adore !
R, se levant et s’éloignant.
Oh !
C
Oui… je deviens sot !
R, sèchement.
Et cela me déplaît !
Comme il me déplairait que vous devinssiez laid.
C
Mais…

190
Acte III

R
Allez rassembler votre éloquence en fuite !
C
1345 Je…
R
Vous m’aimez, je sais. Adieu.
Elle va vers la maison.
C
Pas tout de suite !
Je vous dirai…
R, poussant la porte pour entrer.
Que vous m’adorez… oui, je sais.
Non ! non ! Allez-vous-en !
C
Mais je…
Elle lui ferme la porte au nez.
C, qui depuis un moment est rentré sans être vu.
C’est un succès.

S 
C, C,  , un instant.

C
Au secours !

191
Cyrano de Bergerac

C
Non, Monsieur.
C
Je meurs si je ne rentre
En grâce, à l’instant même…
C
Et comment puis-je, diantre !
1350 Vous faire à l’instant même, apprendre ?…
C, lui saisissant le bras.
Oh ! là, tiens, vois !
La fenêtre du balcon s’est éclairée.
C, ému.
Sa fenêtre !
C, criant.
Je vais mourir !
C
Baissez la voix !
C, tout bas.
Mourir !…
C
La nuit est noire…
C
Eh ! bien ?

1. Si je ne rentre en grâce : si je ne regagne


l’estime de Roxane.

192
Acte III

C
C’est réparable !
Vous ne méritez pas… Mets-toi là, misérable !
Là, devant le balcon ! Je me mettrai dessous…
1355 Et je te souerai tes mots.
C
Mais…
C
Taisez-vous !
L , reparaissant au fond, à Cyrano.
Hep !
C
Chut !…
Il leur fait signe de parler bas.
P , à mi-voix.
Nous venons de donner la sérénade
À Montfleury !…
C, bas, vite.
Allez vous mettre en embuscade,
L’un à ce coin de rue, et l’autre à celui-ci ;
Et si quelque passant gênant vient par ici,
1360 Jouez un air !
D 
Quel air, monsieur le gassendiste ?

1. Sérénade : concert donné le soir 2. Gassendiste : disciple de Gassendi.


sous le balcon de la femme aimée.

193
Cyrano de Bergerac

C
Joyeux pour une femme, et, pour un homme, triste !
Les pages disparaissent, un à chaque coin de rue.
– À Christian.
Appelle-la !
C
Roxane !
C, ramassant des cailloux qu’il jette dans les vitres.
Attends ! Quelques cailloux.

S 
R, C, C,
d’abord caché sous le balcon.

R, entrouvrant sa fenêtre.
Qui donc m’appelle ?
C
Moi.
R
Qui moi ?
C
Christian.
R, avec dédain.
C’est vous ?

194
vers 1364 à 1493 Acte III
hatier-clic.fr/8446460e

C
Je voudrais vous parler.
C, sous le balcon, à Christian.
Bien. Bien. Presque à voix basse.
R
1365 Non ! Vous parlez trop mal. Allez-vous-en !
C
De grâce !…
R
Non ! Vous ne m’aimez plus !
C, à qui Cyrano soue ses mots.
M’accuser, – justes dieux ! –
De n’aimer plus… quand… j’aime plus !
R, qui allait refermer sa fenêtre, s’arrêtant.
Tiens, mais c’est mieux !
C, même jeu.
L’amour grandit bercé dans mon âme inquiète…
Que ce… cruel marmot prit pour… barcelonnette !
R, s’avançant sur le balcon.
1370 C’est mieux ! – Mais puisqu’il est cruel, vous fûtes sot
De ne pas, cet amour, l’étouer au berceau !
C, même jeu.
Aussi l’ai-je tenté, mais… tentative nulle :

1. De grâce ! Je vous en prie ! 3. Une barcelonnette : un berceau


2. Marmot : petit garçon, enfant suspendu.
(familier).

195
Cyrano de Bergerac

Ce… nouveau-né, Madame, est un petit… Hercule.


R
C’est mieux !
C, même jeu.
De sorte qu’il… strangula comme rien…
1375 Les deux serpents… Orgueil et… Doute.
R, s’accoudant au balcon.
Ah ! c’est très bien.
– Mais pourquoi parlez-vous de façon peu hâtive ?
Auriez-vous donc la goutte à l’imaginative ?
C, tirant Christian sous le balcon et se glissant à sa place.
Chut ! Cela devient trop dicile !…
R
Aujourd’hui…
Vos mots sont hésitants. Pourquoi ?
C, parlant à mi-voix, comme Christian.
C’est qu’il fait nuit,
1380 Dans cette ombre, à tâtons, ils cherchent votre oreille.
R
Les miens n’éprouvent pas diculté pareille.

1. Dans son discours, Christian multiplie encore au berceau, deux serpents qu’Héra,
les références à la mythologie. Le « cruel la femme de Zeus, lui avait envoyés pour
marmot » évoque Cupidon, le dieu de le tuer.
l’amour, représenté sous les traits d’un 2. Strangula : étrangla.
petit enfant portant dans son carquois 3. Goutte : maladie provoquant
les èches qui percent le cœur. Hercule, la paralysie des membres inférieurs ;
ls illégitime de Zeus et d’une mortelle, à l’imaginative : à l’imagination.
doué d’une force surhumaine, étrangla,

196
Acte III

C
Ils trouvent tout de suite ? Oh ! cela va de soi,
Puisque c’est dans mon cœur, eux, que je les reçoi ;
Or, moi, j’ai le cœur grand, vous, l’oreille petite.
1385 D’ailleurs vos mots à vous descendent : ils vont vite,
Les miens montent, Madame : il leur faut plus de temps !
R
Mais ils montent bien mieux depuis quelques instants.
C
De cette gymnastique, ils ont pris l’habitude !
R
Je vous parle, en eet, d’une vraie altitude !
C
1390 Certes, et vous me tueriez si de cette hauteur
Vous me laissiez tomber un mot dur sur le cœur !
R, avec un mouvement.
Je descends.
C, vivement.
Non !
R, lui montrant le banc qui est sous le balcon.
Grimpez sur le banc, alors, vite !
C, reculant avec eroi dans la nuit.
Non !
R
Comment… non ?

197
Cyrano de Bergerac

C, que l’émotion gagne de plus en plus.


Laissez un peu que l’on profite…
De cette occasion qui s’ore… de pouvoir
1395 Se parler doucement sans se voir.
R
Sans se voir ?
C
Mais oui, c’est adorable. On se devine à peine.
Vous voyez la noirceur d’un long manteau qui traîne,
J’aperçois la blancheur d’une robe d’été :
Moi je ne suis qu’une ombre, et vous qu’une clarté !
1400 Vous ignorez pour moi ce que sont ces minutes !
Si quelquefois je fus éloquent…
R
Vous le fûtes !
C
Mon langage jamais jusqu’ici n’est sorti
De mon vrai cœur…
R
Pourquoi ?
C
Parce que… jusqu’ici
Je parlais à travers…

R
Quoi ?
C
… le vertige où tremble

198
Acte III

1405 Quiconque est sous vos yeux !… Mais, ce soir, il me semble…


Que je vais vous parler pour la première fois !
R
C’est vrai que vous avez une tout autre voix.
C, se rapprochant avec fièvre.
Oui, tout autre, car dans la nuit qui me protège
J’ose être enfin moi-même, et j’ose…
Il s’arrête et, avec égarement.
Où en étais-je ?
1410 Je ne sais… tout ceci, – pardonnez mon émoi, –
C’est si délicieux… c’est si nouveau pour moi !
R
Si nouveau ?
C, bouleversé, et essayant toujours de rattraper ses mots.
Si nouveau… mais oui… d’être sincère :
La peur d’être raillé, toujours au cœur me serre…
R
Raillé de quoi ?
C
Mais de… d’un élan !… Oui, mon cœur,
1415 Toujours, de mon esprit s’habille, par pudeur :
Je pars pour décrocher l’étoile, et je m’arrête
Par peur du ridicule, à cueillir la fleurette !
R
La fleurette a du bon.

1. Raillé : moqué.
2. Cueillir la eurette : tenir des discours galants.
199
Cyrano de Bergerac

C
Ce soir, dédaignons-la !
R
Vous ne m’aviez jamais parlé comme cela !
C
1420 Ah ! si, loin des carquois, des torches et des flèches,
On se sauvait un peu vers des choses… plus fraîches !
Au lieu de boire goutte à goutte, en un mignon
Dé à coudre d’or fin, l’eau fade du Lignon,
Si l’on tentait de voir comment l’âme s’abreuve
1425 En buvant largement à même le grand fleuve !
R
Mais l’esprit ?…
C
J’en ai fait pour vous faire rester
D’abord, mais maintenant ce serait insulter
Cette nuit, ces parfums, cette heure, la Nature,
Que de parler comme un billet doux de Voiture !
1430 – Laissons, d’un seul regard de ses astres, le ciel
Nous désarmer de tout notre artificiel :
Je crains tant que parmi notre alchimie exquise
Le vrai du sentiment ne se volatilise,
Que l’âme ne se vide à ces passe-temps vains,
1435 Et que le fin du fin ne soit la fin des fins !

1. Carquois : étuis contenant les èches ; 3. Cyrano évoque un poème d’amour


autre allusion au dieu de l’amour. (« billet doux ») composé par Vincent
2. Le Lignon est une rivière du Massif Voiture, célèbre poète précieux
central, mise à l’honneur par L’Astrée, de l’époque.
le roman d’Honoré d’Urfé. 4. Alchimie : ici, entente parfaite.
200
Acte III

R
Mais l’esprit ?…
C
Je le hais dans l’amour ! C’est un crime
Lorsqu’on aime, de trop prolonger cette escrime !
Le moment vient d’ailleurs inévitablement,
– Et je plains ceux pour qui ne vient pas ce moment ! –
1440 Où nous sentons qu’en nous un amour noble existe
Que chaque joli mot que nous disons rend triste !
R
Eh bien ! si ce moment est venu pour nous deux,
Quels mots me direz-vous ?
C
Tous ceux, tous ceux, tous ceux
Qui me viendront, je vais vous les jeter, en toue,
1445 Sans les mettre en bouquets : je vous aime, j’étoue,
Je t’aime, je suis fou, je n’en peux plus, c’est trop ;
Ton nom est dans mon cœur comme dans un grelot,
Et comme tout le temps, Roxane, je frissonne,
Tout le temps, le grelot s’agite, et le nom sonne !
1450 De toi, je me souviens de tout, j’ai tout aimé :
Je sais que l’an dernier, un jour, le douze mai,
Pour sortir le matin tu changeas de coiure !
J’ai tellement pris pour clarté ta chevelure
Que comme lorsqu’on a trop fixé le soleil,
1455 On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil,
Sur tout, quand j’ai quitté les feux dont tu m’inondes,
Mon regard ébloui pose des taches blondes !

1. Vermeil : rouge.
201
Cyrano de Bergerac

R, d’une voix troublée.


Oui, c’est bien de l’amour…
C
Certes, ce sentiment
Qui m’envahit, terrible et jaloux, c’est vraiment
1460 De l’amour, il en a toute la fureur triste !
De l’amour, – et pourtant il n’est pas égoïste !
Ah ! que pour ton bonheur je donnerais le mien,
Quand même tu devrais n’en savoir jamais rien,
S’il se pouvait, parfois, que de loin, j’entendisse
1465 Rire un peu le bonheur né de mon sacrifice !
– Chaque regard de toi suscite une vertu
Nouvelle, une vaillance en moi ! Commences-tu
À comprendre, à présent ? voyons, te rends-tu compte ?
Sens-tu mon âme, un peu, dans cette ombre, qui monte ?…
1470 Oh ! mais vraiment, ce soir, c’est trop beau, c’est trop doux !
Je vous dis tout cela, vous m’écoutez, moi, vous !
C’est trop ! Dans mon espoir même le moins modeste,
Je n’ai jamais espéré tant ! Il ne me reste
Qu’à mourir maintenant ! C’est à cause des mots
1475 Que je dis qu’elle tremble entre les bleus rameaux !
Car vous tremblez, comme une feuille entre les feuilles !
Car tu trembles ! car j’ai senti, que tu le veuilles
Ou non, le tremblement adoré de ta main
Descendre tout le long des branches du jasmin !
Il baise éperdument l’extrémité d’une branche pendante.

1. Une vaillance : un courage.


2. Rameaux : branches nes.
202
Acte III

R
1480 Oui, je tremble, et je pleure, et je t’aime, et suis tienne !
Et tu m’as enivrée !
C
Alors, que la mort vienne !
Cette ivresse, c’est moi, moi, qui l’ai su causer !
Je ne demande plus qu’une chose…
C, sous le balcon.
Un baiser !
R, se rejetant en arrière.
Hein ?
C
Oh !
R
Vous demandez ?
C
Oui… je…
À Christian, bas.
Tu vas trop vite.
C
1485 Puisqu’elle est si troublée, il faut que j’en profite !
C, à Roxane.
Oui, je… j’ai demandé, c’est vrai… mais justes cieux !
Je comprends que je fus bien trop audacieux.
R, un peu déçue.
Vous n’insistez pas plus que cela ?

203
Cyrano de Bergerac

C
Si ! j’insiste…
Sans insister !… Oui, oui ! votre pudeur s’attriste !
1490 Eh bien ! mais, ce baiser… ne me l’accordez pas !
C, à Cyrano, le tirant par son manteau.
Pourquoi ?
C
Tais-toi, Christian !
R, se penchant.
Que dites-vous tout bas ?
C
Mais d’être allé trop loin, moi-même je me gronde ;
Je me disais : tais-toi, Christian !…
Les théorbes se mettent à jouer.
Une seconde !…
On vient !
Roxane referme la fenêtre. Cyrano écoute les théorbes,
dont l’un joue un air folâtre et l’autre un air lugubre.
Air triste ? Air gai ?… Quel est donc leur dessein ?
1495 Est-ce un homme ? Une femme ? – Ah ! c’est un capucin !
Entre un capucin qui va de maison en maison,
une lanterne à la main, regardant les portes.

204
Françoise Gillard (Roxane), Michel Vuillermoz (Cyrano) et Éric Ruf (Christian),
dans la mise en scène de Cyrano de Bergerac par Denis Podalydès à la Comédie-Française
(Paris), en 2010.
205
Cyrano de Bergerac

Maud Wyler (Roxane), Philippe Torreton (Cyrano) et Adrien Cauchetier (Christian),


dans la mise en scène de Cyrano de Bergerac par Dominique Pitoiset au théâtre
de l’Odéon (Paris), en 2013.
1 Qui sont tous ces personnages ?
2 Où sont-ils placés ?
3 Décris l’attitude de chacun d’eux.

206
Acte III
As-tu bien lu ?

Acte III, scènes 5 à 7


O pages 188 à 204
O Voir aussi
étape 4, p. 286
1 Où était Roxane avant sa première conversation
avec Christian ?
c chez elle c au théâtre c chez une précieuse
2 a. Au début de la scène 7, quelle est l’attitude de Roxane vis-
à-vis de Christian ?
c Elle est impatiente de le voir.
b. Qu’est-ce qui la fait changer d’attitude ?
c Elle est fâchée contre lui.

............................................................................................................................................
3 Que se passe-t-il à partir du vers 1378 ?
c Cyrano se met à parler à la place de Christian.
c Roxane aperçoit Cyrano et Christian à la lumière de la lune.
c Christian arrive à trouver les mots justes.
4 Ta mission
O La carte d’un pays imaginaire.
Au début de la scène 5, la Duègne
est déçue d’avoir « manqué le
discours sur le Tendre » (v. 1327).
Fais une recherche :
a. Qu’est-ce que la carte de Tendre ?
b. Que te dit-elle du personnage
de Roxane ? Carte du Pays de Tendre, Paris,
1856. BnF.

207
Cyrano de Bergerac

S 
C, C,  

C, au capucin.
Quel est ce jeu renouvelé de Diogène?
L 
Je cherche la maison de madame…
C
Il nous gêne !

ly
on
L  s
Magdeleine Robin…
se
po

C
r
pu

Que veut-il ?…
dy

C, lui montrant une rue montante.


tu

Par ici !
rs

Tout droit, – toujours tout droit…


Fo

L 
Je vais pour vous – merci :
1500 Dire mon chapelet jusqu’au grain majuscule.
Il sort.

1. On raconte que Diogène, célèbre 2. Chapelet : sorte de collier sur lequel


philosophe de la Grèce ancienne, parcourait sont enlés des « grains », qu’on égrène
en plein jour les rues d’Athènes avec une en récitant des prières.
lanterne à la main, et répondait à ceux qui
l’interrogeaient : « Je cherche un homme. »

208
Acte III

C
Bonne chance ! Mes vœux suivent votre cuculle !
Il redescend vers Christian.

S  vers 1502 à 1535


C, C hatier-clic.fr/8446460e

C
Obtiens-moi ce baiser !
C
Non !
C
Tôt ou tard…
C
C’est vrai !
Il viendra, ce moment de vertige enivré
Où vos bouches iront l’une vers l’autre, à cause
1505 De ta moustache blonde et de sa lèvre rose !
À lui-même.
J’aime mieux que ce soit à cause de…
Bruits des volets qui se rouvrent. Christian se cache sous le balcon.

1. Cuculle : capuchon de moine.


209
Cyrano de Bergerac

S 
C, C, R

R, s’avançant sur le balcon.
C’est vous ?
Nous parlions de… de… d’un…
C
Baiser. Le mot est doux.
Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l’ose ;
S’il la brûle déjà, que sera-ce la chose ?
1510 Ne vous en faites pas un épouvantement :
N’avez-vous pas tantôt, presque insensiblement,
Quitté le badinage et glissé sans alarmes
Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes !
Glissez encore un peu d’insensible façon :
1515 Des larmes au baiser il n’y a qu’un frisson !
R
Taisez-vous !
C
Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ?
Un serment fait d’un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer ;
1520 C’est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille,

1. Le badinage : la conversation galante.


210
Acte III

Une communion ayant un goût de fleur,


Une façon d’un peu se respirer le cœur,
Et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme !
R
1525 Taisez-vous !
C
Un baiser, c’est si noble, Madame,
Que la reine de France, au plus heureux des lords,
En a laissé prendre un, la reine même!
R
Alors !
C, s’exaltant.
J’eus comme Buckingham des sourances muettes,
J’adore comme lui la reine que vous êtes,
1530 Comme lui je suis triste et fidèle…
R
Et tu es
Beau comme lui !
C, à part, dégrisé .
C’est vrai, je suis beau, j’oubliais !
R
Eh bien ! montez cueillir cette fleur sans pareille…

1. Lords : nobles anglais. d’Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires,


2. Cyrano fait ici allusion à l’histoire auquel il est fait plusieurs fois allusion
d’amour qui lia l’épouse de Louis XIII, dans Cyrano de Bergerac.
Anne d’Autriche, et le duc de Buckingham. 3. Dégrisé : désenivré, revenu à la réalité.
Cette histoire sert de trame au roman

211
Cyrano de Bergerac

C, poussant Christian vers le balcon.


Monte !
R
Ce goût de cœur…
C
Monte !
R
Ce bruit d’abeille…
C
Monte !
C, hésitant.
Mais il me semble, à présent, que c’est mal !
R
1535 Cet instant d’infini !…
C, le poussant.
Monte donc, animal !
Christian s’élance, et par le banc, le feuillage,
les piliers, atteint les balustres qu’il enjambe.
C
Ah ! Roxane !…
Il l’enlace et se penche sur ses lèvres.
C
Aïe ! au cœur, quel pincement bizarre !
– Baiser, festin d’amour dont je suis le Lazare!

1. « Ce goût de cœur », « Ce bruit 2. Dans l’Évangile de Luc, Lazare


d’abeille » et « Cet instant d’inni » est le pauvre qui se nourrit des restes
sont des métaphores précieuses. du banquet du mauvais riche.

212
Acte III

Il me vient de cette ombre une miette de toi, –


Mais oui, je sens un peu mon cœur qui te reçoit,
1540 Puisque sur cette lèvre où Roxane se leurre
Elle baise les mots que j’ai dits tout à l’heure !
On entend les théorbes.
Un air triste, un air gai : le capucin !
Il feint de courir comme s’il arrivait de loin, et d’une voix claire.
Holà !
R
Qu’est-ce ?
C
Moi. je passais… Christian est encor là ?
C, très étonné.
Tiens, Cyrano !
R
Bonjour, cousin !
C
Bonjour, cousine !
R
1545 Je descends !
Elle disparaît dans la maison. Au fond rentre le capucin.
C, l’apercevant.
Oh ! encor !
Il suit Roxane.

1. Se leurre : s’illusionne.
2. Feint : fait semblant.
213
Cyrano de Bergerac

S 
C, C, R,
 , R

L 
C’est ici – je m’obstine –
Magdeleine Robin !
C
Vous aviez dit : Ro-lin.
L 
Non : bin. B, i, n, bin !
R, paraissant sur le seuil de la maison,
suivie de Ragueneau, qui porte une lanterne, et de Christian.
Qu’est-ce ?
L 
Une lettre.
C
Hein ?
L , à Roxane.
Oh ! il ne peut s’agir que d’une sainte chose !
C’est un digne seigneur qui…
R, à Christian.
C’est De Guiche !
C
Il ose ?…

214
Acte III

R
1550 Oh ! mais il ne va pas m’importuner toujours !
Décachetant la lettre.
Je t’aime, et si…
À la lueur de la lanterne de Ragueneau, elle lit,
à l’écart, à voix basse.
« Mademoiselle,
Les tambours
Battent ; mon régiment boucle sa soubreveste ;
Il part ; moi, l’on me croit déjà parti : je reste.
Je vous désobéis. Je suis dans ce couvent.
1555 Je vais venir, et vous le mande auparavant
Par un religieux simple comme une chèvre
Qui ne peut rien comprendre à ceci. Votre lèvre
M’a trop souri tantôt : j’ai voulu la revoir.
Éloignez un chacun, et daignez recevoir
1560 L’audacieux déjà pardonné, je l’espère,
Qui signe votre très… et cætera… »
Au capucin.
Mon père,
Voici ce que me dit cette lettre. Écoutez.
Tous se rapprochent, elle lit à haute voix .
« Mademoiselle,
Il faut souscrire aux volontés
Du Cardinal, si dur que cela vous puisse être.
1565 C’est la raison pourquoi j’ai fait choix, pour remettre

1. Une soubreveste : un long vêtement sans en changeant le contenu : elle fait dire
manche que portent les mousquetaires. à ce dernier qu’il souhaite qu’elle épouse
2. Vous le mande : vous en informe. Christian. Elle n’oublie pas, au passage,
3. Simple : bête. de atter le religieux, et de lui promettre
4. Pour tromper le capucin, Roxane une récompense.
lit la lettre écrite par De Guiche 5. Souscrire aux volontés : obéir aux ordres.

215
Cyrano de Bergerac

Ces lignes en vos mains charmantes, d’un très saint,


D’un très intelligent et discret capucin ;
Nous voulons qu’il vous donne, et dans votre demeure,
La bénédiction
Elle tourne la page.
nuptiale sur l’heure.
1570 Christian doit en secret devenir votre époux ;
Je vous l’envoie. Il vous déplaît. Résignez-vous.
Songez bien que le Ciel bénira votre zèle,
Et tenez pour tout assuré, mademoiselle,
Le respect de celui qui fut et qui sera
1575 Toujours votre très humble et très… et cætera. »
L , rayonnant.
Digne seigneur !… Je l’avais dit. J’étais sans crainte !
Il ne pouvait s’agir que d’une chose sainte !
R, bas à Christian.
N’est-ce pas que je lis très bien les lettres ?
C
Hum !
R, haut, avec désespoir.
Ah !… c’est areux !
L , qui a dirigé sur Cyrano la clarté de sa lanterne.
C’est vous ?
C
C’est moi !
L , tournant la lumière vers lui,
et, comme si un doute lui venait, en voyant sa beauté.
Mais…
216
Acte III

R, vivement.
Post-scriptum :
1580 « Donnez pour le couvent cent vingt pistoles. »
L 
Digne,
Digne seigneur !
À Roxane.
Résignez-vous !
R, en martyre.
Je me résigne !
Pendant que Ragueneau ouvre la porte au capucin que Christian
invite à entrer, elle dit bas à Cyrano :
Vous, retenez ici De Guiche ! Il va venir !
Qu’il n’entre pas tant que…
C
Compris !
Au capucin.
Pour les bénir
Il vous faut ?…
L 
Un quart d’heure.
C, les poussant tous vers la maison.
Allez ! moi, je demeure !
R, à Christian.
1585 Viens !…
Ils entrent.

1. Pistoles : sous d’une ancienne monnaie.


217
Cyrano de Bergerac

S 
C, seul.

C
Comment faire perdre à De Guiche un quart d’heure ?
Il se précipite sur le banc, grimpe au mur, vers le balcon.
Là !… Grimpons !… J’ai mon plan !…
Les théorbes se mettent à jouer une phrase lugubre.
Ho ! c’est un homme !
Le trémolo devient sinistre.
Ho ! ho !
Cette fois, c’en est un !…
Il est sur le balcon, il rabaisse son feutre sur ses yeux, ôte son épée,
se drape dans sa cape, puis se penche et regarde au-dehors.
Non, ce n’est pas trop haut !…
Il enjambe les balustres et attirant à lui la longue branche d’un
des arbres qui débordent le mur du jardin, il s’y accroche des deux
mains, prêt à se laisser tomber.
Je vais légèrement troubler cette atmosphère !…

S 
C, D G

D G, qui entre, masqué, tâtonnant dans la nuit.
Qu’est-ce que ce maudit capucin peut bien faire ?

218
Acte III

C
1590 Diable ! et ma voix ?… S’il la reconnaissait ?
Lâchant d’une main, il a l’air de tourner une invisible clef.
Cric ! crac !
Solennellement.
Cyrano, reprenez l’accent de Bergerac !…
D G, regardant la maison.
Oui, c’est là. J’y vois mal. Ce masque m’importune !
Il va pour entrer. Cyrano saute du balcon en se tenant à la branche,
qui plie et le dépose entre la porte et De Guiche ; il feint de tomber
lourdement, comme si c’était de très haut, et s’aplatit
par terre, où il reste immobile, comme étourdi.
De Guiche fait un bond en arrière.
Hein ? Quoi ?
Quand il lève les yeux, la branche s’est redressée ;
il ne voit que le ciel ; il ne comprend pas.
D’où tombe donc cet homme ?
C, se mettant sur son séant, et avec l’accent de Gascogne.
De la lune !
D G
De la ?…
C
Quelle heure est-il ?
D G
N’a-t-il plus sa raison ?

1. Il est fait ici allusion au roman du véritable Cyrano de Bergerac,


l’Histoire comique des États et Empires de la Lune (vers 1650), qui raconte
un voyage imaginaire sur la Lune.

219
Cyrano de Bergerac

C
1595 Quelle heure ? Quel pays ? Quel jour ? Quelle saison ?
D G
Mais…
C
Je suis étourdi !
D G
Monsieur…
C
Comme une bombe
Je tombe de la lune !
D G, impatienté.
Ah çà ! Monsieur !
C, se relevant, d’une voix terrible.
J’en tombe !
D G, reculant.
Soit ! soit ! vous en tombez !… c’est peut-être un dément !
C, marchant sur lui.
Et je n’en tombe pas métaphoriquement !…
D G
1600 Mais…
C
Il y a cent ans, ou bien une minute,

1. Dément : fou. la lune, autre allusion à l’Histoire comique


2. Métaphoriquement : de façon imagée ; des États et Empires de la Lune.
Cyrano arme qu’il tombe réellement de
220
Acte III

– J’ignore tout à fait ce que dura ma chute ! –


J’étais dans cette boule à couleur de safran !
D G, haussant les épaules.
Oui.– Laissez-moi passer !
C, s’interposant.
Où suis-je ? Soyez franc !
Ne me déguisez rien ! En quel lieu, dans quel site,
1605 Viens-je de choir, Monsieur, comme un aérolithe ?
D G
Morbleu !…
C
Tout en cheyant je n’ai pu faire choix
De mon point d’arrivée – et j’ignore où je chois !
Est-ce dans une lune ou bien dans une terre,
Que vient de m’entraîner le poids de mon postère ?
D G
1610 Mais je vous dis, Monsieur…
C, avec un cri de terreur qui fait reculer de Guiche.
Ha ! grand Dieu !… je crois voir
Qu’on a dans ce pays le visage tout noir !…
D G, portant la main à son visage.
Comment ?
C, avec une peur emphatique.
Suis-je en Alger ? Êtes-vous indigène ?…

1. La poudre de safran est jaune. 4. Cheyant, chois : gérondif et présent


2. Choir : tomber. du vieux verbe choire, tomber.
3. Un aérolithe : une pierre tombée 5. Postère : postérieur.
du ciel. 6. Emphatique : exagérée.
221
Cyrano de Bergerac

D G, qui a senti son masque.


Ce masque !…
C, feignant de se rassurer un peu.
Je suis donc dans Venise, ou dans Gêne ?
D G, voulant passer.
Une dame m’attend !…
C, complètement rassuré.
Je suis donc à Paris.
D G, souriant malgré lui.
1615 Le drôle est assez drôle !
C
Ah ! vous riez ?
D G
Je ris,
Mais veux passer !
C, rayonnant.
C’est à Paris que je retombe !
Tout à fait à son aise, riant, s’époussetant, saluant.
J’arrive – excusez-moi – par la dernière trombe.
Je suis un peu couvert d’éther. J’ai voyagé !
J’ai les yeux tout remplis de poudre d’astres. J’ai
1620 Aux éperons, encor, quelques poils de planète !
Cueillant quelque chose sur sa manche.

1. Venise, Gênes (ou Gêne) sont des villes 2. Une dame m’attend / Je suis donc à
d’Italie célèbres pour leur carnaval. Paris : Paris est considéré comme la ville
de la galanterie par excellence.
3. Éther : air des espaces célestes.
222
Acte III

Tenez, sur mon pourpoint, un cheveu de comète !…


Il soue comme pour le faire envoler.
D G, hors de lui.
Monsieur !…
C, au moment où il va passer, tend sa jambe
comme pour y trouver quelque chose et l’arrête.
Dans mon mollet je rapporte une dent
De la Grande Ourse – et comme, en frôlant le Trident,
Je voulais éviter une de ses trois lances,
1625 Je suis allé tomber assis dans les Balances, –
Dont l’aiguille, à présent, là-haut, marque mon poids !
Empêchant vivement de Guiche de passer
et le prenant à un bouton du pourpoint.
Si vous serriez mon nez, Monsieur, entre vos doigts,
Il jaillirait du lait !
D G
Hein ? du lait ?…
C
De la Voie
Lactée !…
D G
Oh ! par l’enfer !
C
C’est le ciel qui m’envoie !
Se croisant les bras.

1. La Grande Ourse, le Trident, les Balances et, plus bas, la Petite


Ourse (« l’autre Ourse », v. 1632) et la Lyre sont des noms
de constellations. Sirius est une étoile.

223
Cyrano de Bergerac

1630 Non ! Croiriez-vous, je viens de le voir en tombant,


Que Sirius, la nuit, s’auble d’un turban ?
Confidentiel.
L’autre Ourse est trop petite encor pour qu’elle morde !
Riant.
J’ai traversé la Lyre en cassant une corde !
Superbe.
Mais je compte en un livre écrire tout ceci,
1635 Et les étoiles d’or qu’en mon manteau roussi
Je viens de rapporter à mes périls et risques,
Quand on l’imprimera, serviront d’astérisques !
D G
À la parfin… je veux…
C
Vous, je vous vois venir !
D G
Monsieur !
C
Vous voudriez de ma bouche tenir
1640 Comment la lune est faite, et si quelqu’un habite
Dans la rotondité de cette cucurbite ?
D G, criant.
Mais non ! je veux…
C
Savoir comment j’y suis monté ?
Ce fut par un moyen que j’avais inventé.

1. Roussi : brûlé. 3. Cucurbite : courge.


2. À la parn : à la n.
224
Acte III

D G, découragé.
C’est un fou !
C, dédaigneux.
Je n’ai pas refait l’aigle stupide
1645 De Regiomontanus, ni le pigeon timide
D’Archytas!…
D G
C’est un fou – mais c’est un fou savant.
C
Non, je n’imitai rien de ce qu’on fit avant !
De Guiche a réussi à passer et il marche vers la porte de Roxane.
Cyrano le suit, prêt à l’empoigner.
J’inventai six moyens de violer l’azur vierge !
D G, se retournant.
Six ?
C, avec volubilité.
Je pouvais, mettant mon corps nu comme un cierge,
1650 Le caparaçonner de fioles de cristal
Toutes pleines des pleurs d’un ciel matutinal,
Et ma personne, alors, au soleil exposée,
L’astre l’aurait humée en humant la rosée !
D G, surpris et faisant un pas vers Cyrano.
Tiens ! Oui, cela fait un !

1. Regiomontanus et Archytas sont deux 2. L’azur : le ciel.


savants qui ont imaginé des machines pour 3. Avec volubilité : en parlant beaucoup
monter sur la Lune. Le premier, au e siècle, et vite.
aurait inventé un aigle en fer, le second, au 4. Caparaçonner : recouvrir d’un caparaçon,
e siècle av. J.-C., une colombe en bois. housse d’ornement pour les chevaux.

225
Cyrano de Bergerac

C, reculant pour l’entraîner de l’autre côté.


Et je pouvais encor
1655 Faire engourer du vent, pour prendre mon essor,
En raréfiant l’air dans un core de cèdre
Par des miroirs ardents, mis en icosaèdre !
D G fait encore un pas.
Deux !
C, reculant toujours.
Ou bien, machiniste autant qu’artificier,
Sur une sauterelle aux détentes d’acier,
1660 Me faire, par des feux successifs de salpêtre,
Lancer dans les prés bleus où les astres vont paître !
D G, le suivant, sans s’en douter, et comptant sur ses doigts.
Trois !
C
Puisque la fumée a tendance à monter,
En souer dans un globe assez pour m’emporter !
D G, même jeu, de plus en plus étonné.
Quatre !
C
Puisque Phœbé, quand son arc est le moindre,
1665 Aime sucer, ô bœufs, votre moelle… m’en oindre !
D G, stupéfait.
Cinq !

1. Icosaèdre : corps solide à vingt faces. 3. Phœbé : la Lune.


2. Salpêtre : poudre. 4. M’en oindre : m’en frotter.
226
Acte III

C, qui en parlant l’a amené jusqu’à l’autre côté de la place,


près d’un banc.
Enfin, me plaçant sur un plateau de fer,
Prendre un morceau d’aimant et le lancer en l’air !
Ça, c’est un bon moyen : le fer se précipite,
Aussitôt que l’aimant s’envole, à sa poursuite ;
1670 On relance l’aimant bien vite, et cadédis !
On peut monter ainsi indéfiniment.
D G
Six !
– Mais voilà six moyens excellents !… Quel système
Choisîtes-vous des six, Monsieur ?
C
Un septième !
D G
Par exemple ! Et lequel ?
C
Je vous le donne en cent !…
D G
1675 C’est que ce mâtin-là devient intéressant !
C, faisant le bruit des vagues
avec de grands gestes mystérieux.
Houüh ! houüh !
D G
Eh bien !

1. « Cadédis » est un juron gascon. 3. Ce mâtin-là : ce drôle.


2. Je vous le donne en cent ! :
Vous ne devinerez jamais !

227
Cyrano de Bergerac

C
Vous devinez ?
D G
Non !
C
La marée !…
À l’heure où l’onde par la lune est attirée,
Je me mis sur le sable – après un bain de mer –
Et la tête partant la première, mon cher
1680 – Car les cheveux, surtout, gardent l’eau dans leur frange ! –
Je m’enlevai dans l’air, droit, tout droit, comme un ange.
Je montais, je montais, doucement, sans eorts,
Quand je sentis un choc !… Alors…
D G, entraîné par la curiosité et s’asseyant sur le banc.
Alors ?
C
Alors…
Reprenant sa voix naturelle.
Le quart d’heure est passé, Monsieur, je vous délivre :
1685 Le mariage est fait.
D G, se relevant d’un bond.
Çà, voyons, je suis ivre !…
Cette voix ?
La porte de la maison s’ouvre, des laquais paraissent
portant des candélabres allumés. Lumière.
Cyrano ôte son chapeau au bord abaissé.
Et ce nez !… Cyrano ?

1. L’onde : la mer. 2. Candélabres : grands chandeliers.


228
Acte III

C, saluant.
Cyrano.
– Ils viennent à l’instant d’échanger leur anneau.
D G
Qui cela ?
Il se retourne. – Tableau. Derrière les laquais, Roxane et Christian
se tiennent par la main. Le capucin les suit en souriant.
Ragueneau élève aussi un flambeau. La duègne ferme la marche,
ahurie, en petit saut-de-lit.
Ciel !

S 
L , R, C,
L , R, L, L 

D G, à Roxane.
Vous !
Reconnaissant Christian avec stupeur.
Lui ?
Saluant Roxane avec admiration.
Vous êtes des plus fines !
À Cyrano.
Mes compliments, Monsieur l’inventeur des machines :
1690 Votre récit eût fait s’arrêter au portail

1. Saut-de-lit : peignoir.
229
Cyrano de Bergerac

Du paradis un saint ! Notez-en le détail,


Car vraiment cela peut resservir dans un livre !
C, s’inclinant.
Monsieur, c’est un conseil que je m’engage à suivre.
L , montrant les amants à de Guiche,
et hochant avec satisfaction sa grande barbe blanche.
Un beau couple, mon fils, réuni là par vous !
D G, le regardant d’un œil glacé.
1695 Oui.
À Roxane.
Veuillez dire adieu, Madame, à votre époux.
R
Comment ?
D G, à Christian.
Le régiment déjà se met en route.
Joignez-le !
R
Pour aller à la guerre ?
D G
Sans doute !
R
Mais, Monsieur, les cadets n’y vont pas !
D G
Ils iront.

1. Encore une allusion à l’Histoire comique 2. Sans doute : sans aucun doute.
des États et Empires de la Lune, de l’écrivain
Cyrano de Bergerac.

230
Acte III

Tirant le papier qu’il avait mis dans sa poche.


Voici l’ordre.
À Christian.
Courez le porter, vous, baron.
R, se jetant dans les bras de Christian.
1700 Christian !
D G, ricanant, à Cyrano.
La nuit de noce est encore lointaine !
C, à part.
Dire qu’il croit me faire énormément de peine !
C, à Roxane.
Oh ! tes lèvres encor !
C
Allons, voyons, assez !
C, continuant à embrasser Roxane.
C’est dur de la quitter… Tu ne sais pas…
C, cherchant à l’entraîner.
Je sais.
On entend au loin des tambours qui battent une marche.
D G, qui est remonté au fond.
Le régiment qui part !
R, à Cyrano, en retenant Christian qu’il essaie
toujours d’entraîner.
Oh !… je vous le confie !
1705 Promettez-moi que rien ne va mettre sa vie
En danger !

231
Cyrano de Bergerac

C
J’essaierai… mais ne peux cependant
Promettre…
R, même jeu.
Promettez qu’il sera très prudent !
C
Oui, je tâcherai, mais…
R, même jeu.
Qu’à ce siège terrible
Il n’aura jamais froid !
C
Je ferai mon possible.
1710 Mais…
R, même jeu.
Qu’il sera fidèle !
C
Eh oui ! sans doute, mais…
R, même jeu.
Qu’il m’écrira souvent !
C, s’arrêtant.
Ça – je vous le promets !

RIDEAU

232
Résumé de l’acte IV
L   G

L’acte IV met en scène le siège d’Arras. Cyrano, fidèle à sa promesse,
écrit tous les jours de longues lettres d’amour à Roxane au nom de
Christian. Celui-ci voudrait avouer la vérité à la jeune femme mais
Cyrano l’en dissuade. C’est alors que le jeune homme est blessé au
combat, le jour même où Roxane parvient à le rejoindre. Il meurt
dans ses bras en pensant qu’elle l’aime pour sa beauté. Roxane ignore
toujours que Cyrano est l’auteur des lettres.

Mise en scène de Cyrano de Bergerac par Denis Podalydès


à la Comédie-Française, en 2010.
233
Acte V
L   C

Quinze ans après, en 1655. Le parc du couvent que les Dames de la
Croix occupaient à Paris.
Superbes ombrages. À gauche, la maison ; vaste perron sur lequel
ouvrent plusieurs portes. Un arbre énorme au milieu de la scène, isolé
au milieu d’une petite place ovale. À droite, premier plan, parmi de
grands buis, un banc de pierre demi-circulaire.
Tout le fond du théâtre est traversé par une allée de marronniers qui
aboutit à droite, quatrième plan, à la porte d’une chapelle entrevue
parmi les branches. À travers le double rideau d’arbres de cette allée,
on aperçoit des fuites de pelouses, d’autres allées, des bosquets, les
profondeurs du parc, le ciel.
La chapelle ouvre une porte latérale sur une colonnade enguirlandée
de vigne rougie, qui vient se perdre à droite, au premier plan, derrière
les buis.
C’est l’automne. Toute la frondaison est rousse au-dessus des
pelouses fraîches. Taches sombres des buis et des ifs restés verts.
Une plaque de feuilles jaunes sous chaque arbre. Les feuilles jonchent

1. Dames de la Croix : religieuses. 4. La frondaison : le feuillage.


2. Perron : escalier à l’entrée d’un bâtiment. 5. Ifs : arbres décoratifs à fruits rouges.
3. Buis : arbustes ornementaux à feuilles
persistantes.

234
Acte V

toute la scène, craquent sous les pas dans les allées, couvrent à demi
le perron et les bancs.
Entre le banc de droite et l’arbre, un grand métier à broder devant
lequel une petite chaise a été apportée. Paniers pleins d’écheveaux et
de pelotons. Tapisserie commencée.
Au lever du rideau, des sœurs vont et viennent dans le parc ; quelques-
unes sont assises sur le banc autour d’une religieuse plus âgée. Des
feuilles tombent.

S 
M M,  M,
 C,  

S M, à Mère Marguerite.
Sœur Claire a regardé deux fois comment allait
Sa cornette, devant la glace.
M M, à sœur Claire.
C’est très laid.
S C
Mais sœur Marthe a repris un pruneau de la tarte,
1715 Ce matin : je l’ai vu.

1. Un métier à broder : une machine servant à broder.


2. Écheveaux et pelotons : pelotes de l et de laine.
3. Cornette : coie des religieuses.
235
Cyrano de Bergerac

M M, à sœur Marthe.


C’est très vilain, sœur Marthe.
S C
Un tout petit regard !
S M
Un tout petit pruneau !
M M, sévèrement.
Je le dirai, ce soir, à Monsieur Cyrano.
S C, épouvantée.
Non ! il va se moquer !
S M
Il dira que les nonnes
Sont très coquettes !
S C
Très gourmandes !
M M, souriant.
Et très bonnes.
S C
1720 N’est-ce pas, Mère Marguerite de Jésus,
Qu’il vient, le samedi, depuis dix ans !
M M
Et plus !
Depuis que sa cousine à nos béguins de toile
Mêla le deuil mondain de sa coie de voile,
Qui chez nous vint s’abattre, il y a quatorze ans,

1. Béguins de toile : coies de toile.


236
Acte V

1725 Comme un grand oiseau noir parmi les oiseaux blancs !


S M
Lui seul, depuis qu’elle a pris chambre dans ce cloître,
Sait distraire un chagrin qui ne veut pas décroître.
T  
Il est si drôle ! – C’est amusant quand il vient !
– Il nous taquine ! – Il est gentil ! – Nous l’aimons bien !
1730 – Nous fabriquons pour lui des pâtes d’angélique !
S M
Mais enfin, ce n’est pas un très bon catholique !
S C
Nous le convertirons.
L 
Oui ! Oui !
M M
Je vous défends
De l’entreprendre encor sur ce point, mes enfants.
Ne le tourmentez pas : il viendrait moins peut-être !
S M
1735 Mais… Dieu !…
M M
Rassurez-vous : Dieu doit bien le connaître.

1. Après la mort de Christian, Roxane a 2. Angélique : plante dont la tige est


rejoint le couvent des Dames de la Croix. utilisée en conserie.
Elle y vit désormais depuis quatorze ans.

237
Cyrano de Bergerac

S M
Mais chaque samedi, quand il vient d’un air fier,
Il me dit en entrant : « Ma sœur, j’ai fait gras, hier ! »
M M
Ah ! il vous dit cela ?… Eh bien ! la fois dernière
Il n’avait pas mangé depuis deux jours.
S M
Ma Mère !
M M
1740 Il est pauvre.
S M
Qui vous l’a dit ?
M M
Monsieur Le Bret.
S M
On ne le secourt pas ?
M M
Non, il se fâcherait.
Dans une allée du fond, on voit apparaître Roxane, vêtue de noir,
avec la coie des veuves et de longs voiles ;
De Guiche, magnifique et vieillissant, marche auprès d’elle.
Ils vont à pas lents. Mère Marguerite se lève.
Allons, il faut rentrer… Madame Madeleine,
Avec un visiteur, dans le parc se promène.

1. J’ai fait gras : j’ai mangé de la viande, alors que les chrétiens
doivent jeûner le vendredi.

238
Acte V

S M, bas à sœur Claire.


C’est le duc-maréchal de Gramont?
S C, regardant.
Oui, je crois.
S M
1745 Il n’était plus venu la voir depuis des mois !
L 
Il est très pris ! – La cour ! – Les camps !
S C
Les soins du monde !
Elles sortent. De Guiche et Roxane descendent en silence
et s’arrêtent près du métier. Un temps.

S 
R,    G,    G,
puis L B et R

L 
Et vous demeurez ici, vainement blonde,
Toujours en deuil ?
R
Toujours.

1. Le véritable comte de Guiche fut en 2. Les soins du monde : les occupations


eet promu duc-maréchal de Gramont. de ceux qui vivent dans le « monde »,
c’est-à-dire en dehors du couvent.

239
Cyrano de Bergerac

L 
Aussi fidèle ?
R
Aussi.
L , après un temps.
Vous m’avez pardonné ?
R, simplement, regardant la croix du couvent.
Puisque je suis ici.
Nouveau silence.
L 
1750 Vraiment c’était un être ?…
R
Il fallait le connaître !
L 
Ah ! Il fallait ?… je l’ai trop peu connu, peut-être !
… Et son dernier billet, sur votre cœur, toujours ?
R
Comme un doux scapulaire, il pend à ce velours.
L 
Même mort, vous l’aimez ?
R
Quelquefois il me semble
1755 Qu’il n’est mort qu’à demi, que nos cœurs sont ensemble,
Et que son amour flotte, autour de moi, vivant !

1. Scapulaire : petit morceau d’étoe que les religieux


portent à leur cou.

240
Acte V

L , après un silence encore.


Est-ce que Cyrano vient vous voir ?
R
Oui, souvent.
– Ce vieil ami, pour moi, remplace les gazettes.
Il vient ; c’est régulier ; sous cet arbre où vous êtes
1760 On place son fauteuil, s’il fait beau ; je l’attends
En brodant ; l’heure sonne ; au dernier coup, j’entends
– Car je ne tourne plus même le front ! – sa canne
Descendre le perron ; il s’assied ; il ricane
De ma tapisserie éternelle ; il me fait
1765 La chronique de la semaine, et…
Le Bret paraît sur le perron.
Tiens, Le Bret !
Le Bret descend.
Comment va notre ami ?
L B
Mal.
L 
Oh !
R, au duc.
Il exagère.
L B
Tout ce que j’ai prédit : l’abandon, la misère !…
Ses épîtres lui font des ennemis nouveaux !
Il attaque les faux nobles, les faux dévots,

1. Gazettes : journaux. 3. Faux dévots : personnes faussement


2. Épîtres : lettres. pieuses.

241
Cyrano de Bergerac

1770 Les faux braves, les plagiaires, – tout le monde !


R
Mais son épée inspire une terreur profonde.
On ne viendra jamais à bout de lui.
L , hochant la tête.
Qui sait ?
L B
Ce que je crains, ce n’est pas les attaques, c’est
La solitude, la famine, c’est Décembre
1775 Entrant à pas de loup dans son obscure chambre :
Voilà les spadassins qui plutôt le tueront !
– Il serre chaque jour, d’un cran, son ceinturon.
Son pauvre nez a pris des tons de vieil ivoire.
Il n’a plus qu’un petit habit de serge noire.
L 
1780 Ah ! celui-là n’est pas parvenu ! – C’est égal,
Ne le plaignez pas trop.
L B, avec un sourire amer.
Monsieur le maréchal !…
L 
Ne le plaignez pas trop : il a vécu sans pactes,
Libre dans sa pensée autant que dans ses actes.
L B, de même.
Monsieur le duc !…

1. Plagiaires : auteurs qui copient 3. Une serge : un tissu léger.


les écrits des autres. 4. N’est pas parvenu : n’a pas fait fortune.
2. Spadassins : tueurs à gages. 5. Sans pactes : sans compromis.
242
Acte V

L , hautainement.
Je sais, oui : j’ai tout ; il n’a rien…
1785 Mais je lui serrerais volontiers la main.
Saluant Roxane.
Adieu.
R
Je vous conduis.
Le duc salue Le Bret et se dirige avec Roxane vers le perron.
L , s’arrêtant, tandis qu’elle monte.
Oui, parfois, je l’envie.
– Voyez-vous, lorsqu’on a trop réussi sa vie,
On sent, – n’ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal ! –
Mille petits dégoûts de soi, dont le total
1790 Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure ;
Et les manteaux de duc traînent, dans leur fourrure,
Pendant que des grandeurs on monte les degrés,
Un bruit d’illusions sèches et de regrets,
Comme, quand vous montez lentement vers ces portes,
1795 Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes.
R, ironique.
Vous voilà bien rêveur ?…
L 
Eh ! oui !
Au moment de sortir, brusquement.
Monsieur Le Bret !
À Roxane.
Vous permettez ? Un mot.

1. Grandeurs : titres de noblesse.


243
Cyrano de Bergerac

Il va à Le Bret, et à mi-voix.
C’est vrai : nul n’oserait
Attaquer votre ami ; mais beaucoup l’ont en haine ;
Et quelqu’un me disait, hier, au jeu, chez la Reine :
1800 « Ce Cyrano pourrait mourir d’un accident. »
L B
Ah ?
L 
Oui. Qu’il sorte peu. Qu’il soit prudent.
L B, levant les bras au ciel.
Prudent !
Il va venir. Je vais l’avertir. Oui, mais !…
R, qui est restée sur le perron, à une sœur
qui s’avance vers elle.
Qu’est-ce ?
L 
Ragueneau veut vous voir, Madame.
R
Qu’on le laisse
Entrer.
Au duc et à Le Bret.
Il vient crier misère. Étant un jour
1805 Parti pour être auteur, il devint tour à tour
Chantre…
L B
Étuviste…

1. Chantre : chanteur. 2. Étuviste : qui tient un établissement de bains.


244
Acte V

R
Acteur…
L B
Bedeau…
R
Perruquier…
L B
Maître
Du théorbe…
R
Aujourd’hui, que pourrait-il bien être ?
R, entrant précipitamment.
Ah ! Madame !
Il aperçoit Le Bret.
Monsieur !
R, souriant.
Racontez vos malheurs
À Le Bret. Je reviens.
R
Mais, Madame…
Roxane sort sans l’écouter, avec le duc. Il redescend vers Le Bret.

1. Bedeau : employé laïque d’une église, 2. Maître du théorbe : professeur


chargé du service matériel. de musique.

245
Cyrano de Bergerac

S 
L B, R

R
D’ailleurs,
1810 Puisque vous êtes là, j’aime mieux qu’elle ignore !
– J’allais voir votre ami tantôt. J’étais encore
À vingt pas de chez lui… quand je le vois de loin,
Qui sort. Je veux le joindre. Il va tourner le coin
De la rue… et je cours… lorsque d’une fenêtre
1815 Sous laquelle il passait – est-ce un hasard ?… peut-être ! –
Un laquais laisse choir une pièce de bois.
L B
Les lâches !… Cyrano !
R
J’arrive et je le vois…
L B
C’est areux !
R
Notre ami, Monsieur, notre poète,
Je le vois, là, par terre, un grand trou dans la tête !
L B
1820 Il est mort ?

1. Tantôt : ce matin.
2. Choir : tomber.
246
Acte V

R
Non ! mais… Dieu ! je l’ai porté chez lui.
Dans sa chambre… Ah ! sa chambre ! il faut voir ce réduit !
L B
Il soure ?
R
Non, Monsieur, il est sans connaissance.
L B
Un médecin ?
R
Il en vint un par complaisance.
L B
Mon pauvre Cyrano ! – Ne disons pas cela
1825 Tout d’un coup à Roxane ! – Et ce docteur ?
R
Il a
Parlé, – je ne sais plus, – de fièvre, de méninges !…
Ah ! si vous le voyiez – la tête dans des linges !…
Courons vite ! – Il n’y a personne à son chevet ! –
C’est qu’il pourrait mourir, Monsieur, s’il se levait !
L B, l’entraînant vers la droite.
1830 Passons par là ! Viens, c’est plus court ! Par la chapelle !
R, paraissant sur le perron et voyant Le Bret s’éloigner
par la colonnade qui mène à la petite porte de la chapelle.
Monsieur Le Bret !

1. De méninges : du cerveau.
247
Cyrano de Bergerac

Le Bret et Ragueneau se sauvent sans répondre.


Le Bret s’en va quand on l’appelle ?
C’est quelque histoire encor de ce bon Ragueneau !
Elle descend le perron.

S 
R seule, puis  , un instant.

R
Ah ! que ce dernier jour de septembre est donc beau !
Ma tristesse sourit. Elle qu’Avril ousque,
1835 Se laisse décider par l’automne, moins brusque.
Elle s’assied à son métier. Deux sœurs sortent de la maison
et apportent un grand fauteuil sous l’arbre.
Ah ! voici le fauteuil classique où vient s’asseoir
Mon vieil ami !
S M
Mais c’est le meilleur du parloir !
R
Merci, ma sœur.
Les sœurs s’éloignent.
Il va venir.
Elle s’installe. On entend sonner l’heure.
Là… l’heure sonne.
– Mes écheveaux ! – L’heure a sonné ? Ceci m’étonne !

1. Parloir : dans un couvent, salle où sont reçus les visiteurs.


248
Acte V

1840 Serait-il en retard pour la première fois ?


La sœur tourière doit – mon dé ?… là, je le vois ! –
L’exhorter à la pénitence.
Un temps.
Elle l’exhorte !
– Il ne peut plus tarder. – Tiens ! une feuille morte ! –
Elle repousse du doigt la feuille tombée sur son métier.
D’ailleurs, rien ne pourrait. – Mes ciseaux ?… dans mon sac ! –
1845 L’empêcher de venir !
U , paraissant sur le perron.
Monsieur de Bergerac.

S 
R, C, et, un moment,  M

R, sans se retourner.
Qu’est-ce que je disais ?…
Et elle brode. Cyrano, très pâle, le feutre enfoncé sur les yeux, paraît.
La sœur qui l’a introduit rentre. Il se met à descendre le perron
lentement, avec un eort visible pour se tenir debout,
et en s’appuyant sur sa canne. Roxane travaille à sa tapisserie.
Ah ! ces teintes fanées…
Comment les rassortir ?
À Cyrano, sur un ton d’amicale gronderie.
Depuis quatorze années,

1. Sœur tourière : religieuse s’occupant 2. L’exhorter à la pénitence : le convaincre


des relations avec l’extérieur. de se confesser.

249
Cyrano de Bergerac

Pour la première fois, en retard !


C, qui est parvenu au fauteuil et s’est assis d’une voix gaie
contrastant avec son visage.
Oui, c’est fou !
J’enrage. Je fus mis en retard, vertuchou !…
R
1850 Par ?
C
Par une visite assez inopportune.
R, distraite, travaillant.
Ah ! oui ! quelque fâcheux ?
C
Cousine, c’était une
Fâcheuse.
R
Vous l’avez renvoyée ?
C
Oui, j’ai dit :
Excusez-moi, mais c’est aujourd’hui samedi,
Jour où je dois me rendre en certaine demeure ;
1855 Rien ne m’y fait manquer : repassez dans une heure !
R, légèrement.
Eh bien ! cette personne attendra pour vous voir :
Je ne vous laisse pas partir avant ce soir.

1. « Vertuchou » est une exclamation. et « faucheuse », surnom de la Mort


2. Cyrano fait allusion à la mort, en faisant en littérature.
un jeu de mots entre « fâcheuse »

250
Acte V

C, avec douceur.


Peut-être un peu plus tôt faudra-t-il que je parte.
Il ferme les yeux et se tait un instant. Sœur Marthe traverse le parc de
la chapelle au perron. Roxane l’aperçoit, lui fait un petit signe de tête.
R, à Cyrano.
Vous ne taquinez pas sœur Marthe ?
C, vivement, ouvrant les yeux.
Si !
Avec une grosse voix comique.
Sœur Marthe !
1860 Approchez !
La sœur glisse vers lui.
Ha ! ha ! ha ! Beaux yeux toujours baissés !
S M, levant les yeux en souriant.
Mais…
Elle voit sa figure et fait un geste d’étonnement.
Oh !
C, bas, lui montrant Roxane.
Chut ! Ce n’est rien ! –
D’une voix fanfaronne. Haut.
Hier, j’ai fait gras.
S M
Je sais.
À part.
C’est pour cela qu’il est si pâle !
Vite et bas.

1. Fanfaronne : qui se vante.


251
Cyrano de Bergerac

Au réfectoire
Vous viendrez tout à l’heure, et je vous ferai boire
Un grand bol de bouillon… Vous viendrez ?
C
Oui, oui, oui.
S M
1865 Ah ! vous êtes un peu raisonnable, aujourd’hui !
R, qui les entend chuchoter.
Elle essaie de vous convertir ?
S M
Je m’en garde !
C
Tiens, c’est vrai ! Vous toujours si saintement bavarde,
Vous ne me prêchez pas ? C’est étonnant, ceci !…
Avec une fureur bouonne.
Sabre de bois ! Je veux vous étonner aussi !
1870 Tenez, je vous permets…
Il a l’air de chercher une bonne taquinerie, et de la trouver.
Ah ! la chose est nouvelle ?…
De… de prier pour moi, ce soir, à la chapelle.
R
Oh ! oh !
C, riant.
Sœur Marthe est dans la stupéfaction !
S M, doucement.
Je n’ai pas attendu votre permission.
Elle rentre.

252
vers 1884 à 2045 Acte V
hatier-clic.fr/8446460f

C, revenant à Roxane, penchée sur son métier.


Du diable si je peux jamais, tapisserie,
1875 Voir ta fin !
R
J’attendais cette plaisanterie.
À ce moment, un peu de brise fait tomber les feuilles.
C
Les feuilles !
R, levant la tête, et regardant au loin, dans les allées.
Elles sont d’un blond vénitien.
Regardez-les tomber.
C
Comme elles tombent bien !
Dans ce trajet si court de la branche à la terre,
Comme elles savent mettre une beauté dernière,
1880 Et, malgré leur terreur de pourrir sur le sol,
Veulent que cette chute ait la grâce d’un vol !
R
Mélancolique, vous !
C, se reprenant.
Mais pas du tout, Roxane !
R
Allons, laissez tomber les feuilles de platane…
Et racontez un peu ce qu’il y a de neuf.
1885 Ma gazette ?

1. Blond vénitien : blond tirant sur le roux.


2. Mélancolique : triste.
253
Cyrano de Bergerac

C
Voici !
R
Ah !
C, de plus en plus pâle, et luttant contre la douleur.
Samedi, dix-neuf :
Ayant mangé huit fois du raisiné de Cette,
Le Roi fut pris de fièvre ; à deux coups de lancette
Son mal fut condamné pour lèse-majesté,
Et cet auguste pouls n’a plus fébricité !
1890 Au grand bal, chez la Reine, on a brûlé, dimanche,
Sept cent soixante-trois flambeaux de cire blanche ;
Nos troupes ont battu, dit-on, Jean l’Autrichien ;
On a pendu quatre sorciers ; le petit chien
De madame d’Athis a dû prendre un clystère…
R
1895 Monsieur de Bergerac, voulez-vous bien vous taire !
C
Lundi… rien. Lygdamire a changé d’amant.
R
Oh !

1. Raisiné de Cette : conture de raisin. 6. Clystère : lavement eectué à l’aide


2. Lancette : instrument de chirurgie, d’une seringue.
bistouri. 7. Lygdamire est le surnom précieux de la
3. Lèse-majesté : crime commis contre le roi. duchesse de Longueville, sœur du Grand
4. N’a plus fébricité : n’a plus de èvre. Condé, commandant des armées du Nord
5. Il s’agit de don Juan d’Autriche, vice-roi contre les Espagnols.
des Pays-Bas, vaincu par Turenne en 1658
à la bataille des Dunes.

254
Acte V

C, dont le visage s’altère de plus en plus.


Mardi, toute la cour est à Fontainebleau.
Mercredi, la Montglat dit au comte de Fiesque :
Non ! Jeudi : Mancini, reine de France, – ou presque !
1900 Le vingt-cinq, la Montglat à de Fiesque dit : Oui ;
Et samedi, vingt-six…
Il ferme les yeux. Sa tête tombe. Silence.
R, surprise de ne plus rien entendre se retourne,
le regarde, et se levant erayée.
Il est évanoui ?
Elle court vers lui en criant.
Cyrano !
C, rouvrant les yeux, d’une voix vague.
Qu’est-ce ?… Quoi ?…
Il voit Roxane penchée sur lui et, vivement, assurant son chapeau
sur sa tête et reculant avec eroi dans son fauteuil.
Non ! non ! je vous assure.
Ce n’est rien. Laissez-moi !
R
Pourtant…
C
C’est ma blessure
D’Arras… qui… quelquefois… vous savez…
R
Pauvre ami !

1. S’altère : se dégrade. 2. Marie Mancini fut la maîtresse de


Louis XIV, lequel songea à l’épouser. Mais
Mazarin, dont elle était l’une des nièces,
s’y opposa.
255
Cyrano de Bergerac

C
1905 Mais ce n’est rien. Cela va finir.
Il sourit avec eort.
C’est fini.
R, debout près de lui.
Chacun de nous a sa blessure : j’ai la mienne.
Toujours vive, elle est là, cette blessure ancienne,
Elle met la main sur sa poitrine.
Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant
Où l’on peut voir encor des larmes et du sang !
Le crépuscule commence à venir.
C
1910 Sa lettre !… N’aviez-vous pas dit qu’un jour, peut-être,
Vous me la feriez lire ?
R
Ah ! vous voulez ?… Sa lettre ?
C
Oui… Je veux… Aujourd’hui…
R, lui donnant le sachet pendu à son cou.
Tenez !
C, le prenant.
Je peux ouvrir ?
R
Ouvrez… lisez !…
Elle revient à son métier, le replie, range ses laines.

256
Acte V

C, lisant.
« Roxane, adieu, je vais mourir ! »
R, s’arrêtant, étonnée.
Tout haut ?
C, lisant.
« C’est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée !
1915 J’ai l’âme lourde encor d’amour inexprimée,
Et je meurs ! Jamais plus, jamais mes yeux grisés,
Mes regards dont c’était… »
R
Comme vous la lisez,
Sa lettre !
C, continuant.
« … dont c’était les frémissantes fêtes,
Ne baiseront au vol les gestes que vous faites ;
1920 J’en revois un petit qui vous est familier
Pour toucher votre front, et je voudrais crier… »
R, troublée.
Comme vous la lisez, – cette lettre !
La nuit vient insensiblement.
C
« Et je crie :
Adieu !… »
R
Vous la lisez…
C
« Ma chère, ma chérie,

257
Cyrano de Bergerac

Mon trésor… »
R, rêveuse.
D’une voix…
C
« Mon amour !… »
R
D’une voix…
Elle tressaille.
1925 Mais… que je n’entends pas pour la première fois !
Elle s’approche tout doucement, sans qu’il s’en aperçoive,

ly
passe derrière le fauteuil, se penche sans bruit, regarde la lettre. –

on L’ombre augmente.
s
se
C
po

« Mon cœur ne vous quitta jamais une seconde


r
pu

Et je suis et serai jusque dans l’autre monde


Celui qui vous aima sans mesure, celui… »
dy
tu

R, lui posant la main sur l’épaule.


rs

Comment pouvez-vous lire à présent ? Il fait nuit.


Fo

Il tressaille, se retourne, la voit là tout près, fait un geste d’eroi,


baisse la tête. Un long silence. Puis, dans l’ombre complètement
venue, elle dit avec lenteur, joignant les mains :
1930 Et pendant quatorze ans, il a joué ce rôle
D’être le vieil ami qui vient pour être drôle !
C
Roxane !
R
C’était vous.

258
Acte V

C
Non, non, Roxane, non !
R
J’aurais dû deviner quand il disait mon nom !
C
Non ! ce n’était pas moi !
R
C’était vous !
C
Je vous jure…
R
1935 J’aperçois toute la généreuse imposture :
Les lettres, c’était vous…
C
Non !
R
Les mots chers et fous,
C’était vous…
C
Non !
R
La voix dans la nuit, c’était vous.
C
Je vous jure que non !

1. Imposture : tromperie.
259
Cyrano de Bergerac

R
L’âme, c’était la vôtre !
C
Je ne vous aimais pas.
R
Vous m’aimiez !
C, se débattant.
C’était l’autre !
R
1940 Vous m’aimiez !
C, d’une voix qui faiblit.
Non !
R
Déjà vous le dites plus bas !
C
Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas !
R
Ah ! que de choses qui sont mortes… qui sont nées !
– Pourquoi vous être tu pendant quatorze années,
Puisque sur cette lettre où lui n’était pour rien
1945 Ces pleurs étaient de vous ?
C, lui tendant la lettre.
Ce sang était le sien.
R
Alors, pourquoi laisser ce sublime silence
Se briser aujourd’hui ?

260
Acte V

C
Pourquoi ?
Le Bret et Ragueneau entrent en courant.

S 
L , L B et R

L B
Quelle imprudence !
Ah ! j’en étais bien sûr ! il est là !
C, souriant et se redressant.
Tiens, parbleu !
L B
Il s’est tué, Madame, en se levant !
R
Grand Dieu !
1950 Mais tout à l’heure alors… cette faiblesse ?… cette ?…
C
C’est vrai ! je n’avais pas terminé ma gazette :
… Et samedi, vingt-six, une heure avant dîné,
Monsieur de Bergerac est mort assassiné.
Il se découvre ; on voit sa tête entourée de linges.
R
Que dit-il ? – Cyrano – Sa tête enveloppée !…
1955 Ah ! que vous a-t- on fait ? Pourquoi ?

261
Cyrano de Bergerac

C
« D’un coup d’épée,
Frappé par un héros, tomber la pointe au cœur ! »…
– Oui, je disais cela !… Le destin est railleur !…
Et voilà que je suis tué dans une embûche,
Par-derrière, par un laquais, d’un coup de bûche !
1960 C’est très bien. J’aurai tout manqué, même ma mort.
R
Ah ! Monsieur !…
C
Ragueneau, ne pleure pas si fort !…
Il lui tend la main.
Qu’est-ce que tu deviens, maintenant, mon confrère ?
R, à travers ses larmes.
Je suis moucheur de… de… chandelles, chez Molière.
C
Molière !
R
Mais je veux le quitter, dès demain ;
1965 Oui, je suis indigné !… Hier, on jouait Scapin,
Et j’ai vu qu’il vous a pris une scène !

1. Railleur : moqueur, ironique. Le Pédant joué. Le valet Scapin, qui veut


2. Une embûche : un piège. obliger son maître à lui verser une forte
3. Moucheur de chandelles : au théâtre, somme d’argent, lui fait croire que son
employé chargé d’allumer et d’éteindre ls a été enlevé par les Turcs et qu’il est
les bougies. prisonnier sur une galère. Toute la scène
4. Une scène des Fourberies de Scapin, est ponctuée par la célèbre exclamation
la comédie de Molière, s’inspire d’une scène du père qui cherche à gagner du temps :
écrite par le vrai Cyrano dans sa comédie « Que diable allait-il faire dans cette galère ? »

262
Acte V

L B
Entière !
R
Oui, Monsieur, le fameux : « Que diable allait-il faire ?… »
L B, furieux.
Molière te l’a pris !
C
Chut ! chut ! il a bien fait !…
À Ragueneau.
La scène, n’est-ce pas, produit beaucoup d’eet ?
R, sanglotant.
1970 Ah ! Monsieur, on riait ! on riait !
C
Oui, ma vie
Ce fut d’être celui qui soue – et qu’on oublie !
À Roxane.
Vous souvient-il du soir où Christian vous parla
Sous le balcon ? Eh bien ! toute ma vie est là :
Pendant que je restais en bas, dans l’ombre noire,
1975 D’autres montaient cueillir le baiser de la gloire !
C’est justice, et j’approuve au seuil de mon tombeau :
Molière a du génie et Christian était beau !
À ce moment, la cloche de la chapelle, ayant tinté, on voit tout
au fond, dans l’allée, les religieuses se rendant à l’oce.
Qu’elles aillent prier puisque leur cloche sonne !

1. Au seuil de mon tombeau : tout près de la mort.


263
Cyrano de Bergerac

R, se relevant pour appeler.


Ma sœur ! ma sœur !
C, la retenant.
Non ! non ! n’allez chercher personne.
1980 Quand vous reviendriez, je ne serais plus là.
Les religieuses sont entrées dans la chapelle, on entend l’orgue.
Il me manquait un peu d’harmonie… en voilà.
R
Je vous aime, vivez !
C
Non ! car c’est dans le conte
Que lorsqu’on dit : Je t’aime ! au prince plein de honte,
Il sent sa laideur fondre à ces mots de soleil…
1985 Mais tu t’apercevrais que je reste pareil.
R
J’ai fait votre malheur ! moi ! moi !
C
Vous ?… au contraire !
J’ignorais la douceur féminine. Ma mère
Ne m’a pas trouvé beau. Je n’ai pas eu de sœur.
Plus tard, j’ai redouté l’amante à l’œil moqueur.
1990 Je vous dois d’avoir eu, tout au moins, une amie.
Grâce à vous une robe a passé dans ma vie.
L B, lui montrant le clair de lune qui descend
à travers les branches.
Ton autre amie est là, qui vient te voir !

264
Acte V

C, souriant à la lune.


Je vois.
R
Je n’aimais qu’un seul être et je le perds deux fois !
C
Le Bret, je vais monter dans la lune opaline,
1995 Sans qu’il faille inventer, aujourd’hui, de machine.
R
Que dites-vous ?
C
Mais oui, c’est là, je vous le dis,
Que l’on va m’envoyer faire mon paradis.
Plus d’une âme que j’aime y doit être exilée,
Et je retrouverai Socrate et Galilée !
L B, se révoltant.
2000 Non ! non ! C’est trop stupide à la fin, et c’est trop
Injuste ! Un tel poète ! Un cœur si grand, si haut !
Mourir ainsi !… Mourir !…
C
Voilà Le Bret qui grogne !
L B, fondant en larmes.
Mon cher ami…

1. Opaline : de la couleur laiteuse de de la Renaissance. Plus bas, Cyrano


l’opale, pierre semi-précieuse. évoque aussi Copernic, qui a le premier
2. Socrate est un célèbre philosophe grec démontré que la Terre tourne autour
de l’Antiquité, et Galilée, un savant italien du Soleil.

265
Cyrano de Bergerac

C, se soulevant, l’œil égaré.


Ce sont les cadets de Gascogne…
– La masse élémentaire… Eh oui !… voilà le hic…
L B
2005 Sa science… dans son délire !
C
Copernic
A dit…
R
Oh !
C
Mais aussi que diable allait-il faire,
Mais que diable allait-il faire en cette galère ?…
Philosophe, physicien,
Rimeur, bretteur, musicien,
2010 Et voyageur aérien,
Grand riposteur du tac au tac,
Amant aussi – pas pour son bien ! –
Ci-gît Hercule-Savinien
De Cyrano de Bergerac
2015 Qui fut tout, et qui ne fut rien .
… Mais je m’en vais, pardon, je ne peux faire attendre :
Vous voyez, le rayon de lune vient me prendre !
Il est retombé assis, les pleurs de Roxane le rappellent à la réalité,
il la regarde, et caressant ses voiles :

1. Amant : amoureux. 3. Cyrano fait le bilan de sa vie sous


2. Ci-gît : ici repose ; c’est l’inscription forme d’épitaphe, c’est-à-dire l’inscription
que l’on trouve traditionnellement sur qu’il souhaite voir écrite sur sa tombe.
les tombes.

266
Acte V

Je ne veux pas que vous pleuriez moins ce charmant,


Ce bon, ce beau Christian, mais je veux seulement
2020 Que lorsque le grand froid aura pris mes vertèbres,
Vous donniez un sens double à ces voiles funèbres,
Et que son deuil sur vous devienne un peu mon deuil.
R
Je vous jure !…
C est secoué d’un grand frisson et se lève brusquement.
Pas là ! non ! pas dans ce fauteuil !
On veut s’élancer vers lui.
– Ne me soutenez pas ! – Personne !
Il va s’adosser à l’arbre.
Rien que l’arbre !
Silence.
2025 Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
– Ganté de plomb !
Il se raidit.
Oh ! mais !… puisqu’elle est en chemin,
Je l’attendrai debout,
Il tire l’épée.
et l’épée à la main !
L B
Cyrano !
R, défaillante.
Cyrano !
Tous reculent épouvantés.

1. Elle : la mort.
2. Défaillante : sur le point de s’évanouir.
267
Cyrano de Bergerac

C
Je crois qu’elle regarde…
Qu’elle ose regarder mon nez, cette Camarde !
Il lève son épée.
2030 Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
– Qu’est-ce que c’est que tous ceux-là ! – Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
2035 Le Mensonge ?
Il frappe de son épée le vide.
Tiens, tiens ! – Ha ! ha ! les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés !…
Il frappe.
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! – Ah ! te voilà, toi la Sottise !
– Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;
N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
Il fait des moulinets immenses et s’arrête haletant.
2040 Oui, vous m’arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
2045 J’emporte malgré vous,

1. L’adjectif camard, camarde signie 3. À bas : à terre.


« qui a le nez plat et écrasé ». Le nom la 4. Moulinets : grands mouvements d’épée.
Camarde désigne la mort, par référence 5. Le laurier et la rose : la gloire et l’amour.
aux squelettes qui n’ont pas de nez.
2. Que je pactise : que je fasse un pacte,
un compromis.

268
Acte V

Il s’élance l’épée haute.


et c’est…
L’pée s’échappe de ses mains, il chancelle,
tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau.
R, se penchant sur lui et lui baisant le front.
C’est ?…
C rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant.
Mon panache.

RIDEAU

1. Dans son discours de réception à l’Académie française,


Edmond Rostand dénit le panache comme « l’esprit de bravoure »,
« la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse
d’être sublime ».

269
Cyrano de Bergerac

Anne Brochet (Roxane) et Gérard Depardieu (Cyrano), dans l’adaptation


cinématographique de Cyrano de Bergerac réalisée par Jean-Paul Rappeneau,
en 1990.

1 Décris les personnages : à quoi vois-tu que le temps a passé ?


2 Qu’est-ce qui montre, dans l’attitude des personnages,
que leur relation a soudain changé de nature ?
3 Comment se traduit l’amour de Roxane pour Cyrano ?

270
Acte V
As-tu bien lu ?

Acte V, scènes 5 et 6
O pages 249 à 269
O Voir aussi
étape 5, p. 288
1 Où le dénouement a-t-il lieu ?
c chez Cyrano
c dans un couvent
c dans un théâtre
2 Que fait Cyrano pour distraire Roxane ?
c IlIl luilui raconte les nouvelles de la cour.
c Il lui litparleun des
poème d’amour qu’il a composé.
c il a assisté. dernières pièces de théâtre auxquelles
3 Quel objet joue un rôle central ?
c une lettre c un livre c un ruban
4 Qu’est-ce qui provoque la mort de Cyrano ?
c IlIl aa une crise cardiaque.
c Il reçoit
une indigestion à cause des pâtisseries de Ragueneau.
c une poutre sur la tête.
5 Ta mission
O Une pièce en vers.
a. Quel type de vers Edmond Rostand utilise-t-il dans la pièce ?
b. Trouve des passages, dans ces deux scènes, où les personnages
se partagent les vers. En quoi est-ce particulièrement émouvant ?

271
Défi lecture

Connais-tu bien Cyrano de Bergerac ?


1 Qui suis-je ?
Associe chaque dénition au personnage correspondant.
Je suis une précieuse, • • Christian
qui aime l’élégance.
Je me trouve trop laid • • Cyrano
pour mériter le grand amour.
Je suis un comte jaloux et possessif. • • Le Bret
Je suis un cadet de Gascogne, • • Roxane
beau mais peu intellectuel.
Je suis un pâtissier amoureux • • De Guiche
de la poésie.
Je suis le condent de Cyrano. • • Ragueneau
2 Numérote dans l’ordre les diérents épisodes de l’histoire.
.…… Or, Roxane lui révèle qu’elle est amoureuse de Christian.
.…… Alors, Cyrano lui propose d’écrire à sa place et de l’aider
à conquérir le cœur de Roxane.
.…… De Guiche, jaloux, fait envoyer les cadets de Gascogne
à la guerre.
.…… Grâce à Cyrano, Christian et Roxane se marient.
.…… Christian, lui aussi, est amoureux de Roxane.
.…… Cyrano, quinze ans plus tard, mourant, révèle son amour
à Roxane.
.…… Christian meurt au siège d’Arras.
.…… Mais il n’est pas doué pour déclarer son amour…
.…… Cyrano est amoureux de Roxane mais n’ose pas le lui avouer.

272
3 Parmi ces vers, coche les deux que prononcent Cyrano.
c «« TuAhtenonmets! c’esurst unlespeubras,court, jeune homme ! »
c « Moi, c’est moralement que vraiment, trop d’ennemis ! »
c « Les roseaux fournissaient lej’abois i mes élégances. »
c pour vos épées… »
4 Trouve le mot correspondant à chaque dénition,
puis place-le dans la grille.
1. Région d’où sont originaires Cyrano et ses hommes.
2. Endroit où meurt Christian.
3. Lieu entouré par la mer auquel Cyrano compare son nez.
4. Commerce tenu par Ragueneau.
5. Dame chargée de surveiller Roxane.
6. Militaires au service du roi Louis XIII.
7. Dernier mot prononcé par Cyrano dans la pièce.
6
7
1

2 3

273
Henriot (1857-1933), illustration extraite
des Aventures prodigieuses de Cyrano de Bergerac,
Pellerin (Épinal), 1900 (détail).
LE PARCOURS DE LECTURE

Une comédie
entre rire et larmes
1 LES REPÈRES
Quel est le genre de la pièce ? 276
La pièce fait-elle rire ou pleurer ? 278

2 LES ÉTAPES
Étape 1 • Étudier une scène d’exposition 280
Étape 2 • Analyser la scène de la « tirade du nez » 282
Étape 3 • Observer un dialogue argumentatif 284
Étape 4 • Étudier la « scène du balcon » 286
Étape 5 • Caractériser le dénouement 288
Étape 6 • Analyser le personnage de Cyrano 290
Étape 7 • Étudier le thème du théâtre 292
Étape 8 • Analyser des mises en scène de la pièce 294

3 LES ATELIERS
Expression • Une tirade à la manière de Cyrano 296
Lexique • Le vocabulaire des sensations 297
Théâtre • La tirade du nez 298
Métier • La mise en scène 299
Une comédie entre rire et larmes
REPÈRES

Quel est le genre de la pièce ?


Edmond Rostand présente sa pièce comme une « comédie
héroïque », mais son écriture dramatique subit aussi
les inuences du drame romantique.

• La comédie héroïque, un genre né au XVII siècle e

O Au e siècle, la comédie héroïque1 est adoptée par Corneille


avec Don Sanche d’Aragon (1650), ou Molière avec Dom Garcie
de Navarre (1661).
Elle obéit à plusieurs règles :
– elle met en scène des personnages de haut rang ;
– l’intrigue se noue autour d’une situation individuelle
qui met en cause des intérêts d’État ;
– elle se nit bien ;
– elle utilise un niveau de langue soutenu.
O Mais elle laisse aussi une grande liberté au dramaturge,
qui peut emprunter des éléments à des genres très diérents.

• L’influence du drame romantique


Au e siècle, la comédie héroïque se renouvelle sous l’inuence
du drame romantique2. Dans Cyrano de Bergerac, on retrouve
plusieurs traits : l’absence d’unité de lieu et de temps, la dimension
d’une fresque historique, l’alternance du comique et du sérieux,
le mélange des niveaux de langue.

1. Les comédies héroïques françaises trouvent leur origine dans le drame espagnol
(comedia). Dans ce genre apparu au e siècle en Espagne, l’amour, l’honneur
et la violence jouent un rôle de premier plan.
2. Le drame romantique, genre théâtral né dans le premier quart du e siècle,
se caractérise par le refus des règles classiques mises en place au e siècle, fondées
sur les bienséances et la vraisemblance. Il fut théorisé par Victor Hugo dans la préface
de sa pièce Cromwell, en 1827.

276
LE PARCOURS DE LECTURE

• Le genre de Cyrano de Bergerac


Cyrano de Bergerac est une comédie héroïque qui comprend
des emprunts à d’autres genres.

au roman courtois du au drame romantique


Moyen Âge et à la littérature du e siècle,
précieuse du e siècle pour le mélange
pour la description des tonalités et
de la relation amoureuse des niveaux de langue

Les emprunts
dans Cyrano à la farce italienne
au drame espagnol de Bergerac du e siècle, pour
du e siècle, les personnages
pour l’arrière-plan et certaines
politique situations

La farce italienne
Dans la farce italienne, chaque comédien se spécialise
dans un personnage-type : le soldat fanfaron, le vieillard amoureux,
le couple d’amoureux, le valet rusé. On reconnaît chacun à des éléments
visuels : masque, costume, accessoire. Les mêmes gags (ou lazzi)
se retrouvent de pièce en pièce.

As-tu bien lu ?

Pourquoi peut-on dire qu’il est dicile


de dénir le genre de la pièce Cyrano
de Bergerac ?

277
Une comédie entre rire et larmes
REPÈRES

La pièce fait-elle rire ou pleurer ?


Comme dans le drame romantique dont il est l’héritier,
Edmond Rostand mêle constamment les éléments comiques
et les éléments pathétiques pour émouvoir le spectateur.

• Comment la pièce nous fait-elle rire ?


Le comique de situation :
situations décalées Le comique de gestes :
(par exemple, quand Cyrano mimiques expressives
prétend être tombé et mouvements
de la Lune !) grotesques

Les procédés Le comique


comiques dans de caractère :
Le comique Cyrano de Bergerac comportement
de mots : jeux ridicule de certains
de mots de Cyrano, personnages
virtuose du langage (tel Monteury)

La visée satirique
La satire dénonce, par le rire, un comportement ridicule ou immoral.
Cyrano évoque la société française du e siècle, raillée par Molière.
Rostand y glisse plusieurs allusions critiques à la société de son époque.
La parodie
On reconnaît dans Cyrano de Bergerac la parodie1 de genres
typiques du e siècle (pastorale, poésie précieuse)
ou d’autres formes littéraires (le roman de cape et d’épée,
tel qu’illustré par Les Trois Mousquetaires, d’Alexandre Dumas).

1. La parodie est l’imitation, dans une intention comique ou satirique, d’un genre
sérieux (comme l’épopée ou la tragédie), du style d’un auteur, d’une œuvre…
278 L’objectif de la parodie est de créer une complicité avec le lecteur.
LE PARCOURS DE LECTURE

• Comment la pièce provoque-t-elle l’émotion ?


Des situations pathétiques
Le pathétique1 naît des diérentes situations évoquées :
– Cyrano soure de ne pas être aimé ;
– Christian meurt en pleine jeunesse ;
– Roxane comprend les sentiments de Cyrano seulement quand
il meurt. La mise en scène peut prendre le parti d’accentuer
le pathétique ou, à l’inverse, de l’atténuer.
L’expression des sentiments amoureux
La tonalité lyrique consiste à susciter l’émotion du lecteur/spectateur.
Les lettres d’amour écrites par Cyrano sont empreintes de lyrisme.
Dans la scène du balcon, on sourit de voir Christian s’empêtrer
dans une tentative de lyrisme, et on s’émeut de la sincérité de Cyrano.
Un héros qui suscite l’admiration
En faisant alterner le comique et le pathétique, Edmond Rostand
suscite l’empathie2 des spectateurs pour les personnages, en
particulier pour Cyrano. Celui-ci apparaît comme un être exceptionnel
qui incarne à son plus haut degré la droiture et la générosité.

As-tu bien lu ?

1 Explique en quelques phrases en quoi la pièce Cyrano


de Bergerac est à la fois drôle et émouvante.
2 Donne un exemple de situation tirée de la pièce qui peut illustrer
chacun de ces registres : lyrique, pathétique, comique, satirique.

1. Le mot « pathétique » vient du grec pathos, qui signie « sourance ». La tonalité


pathétique cherche à susciter, chez le lecteur ou le spectateur, des sentiments intenses
(compassion, pitié, douleur, terreur…).
2. L’empathie (du grec en, « dedans », et pathos, « sourance ») est la faculté de se mettre
à la place de quelqu’un, de ressentir ce qu’il ressent.

279
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 1

Étudier une scène d’exposition


Support Acte I, scène 2, pages 26 à 40.
Objectif Repérer comment cette scène présente
les personnages et met en place l’intrigue.

Analyse l’extrait

1 La présentation des personnages


a. Qu’apprend-on sur Christian (aspect physique, caractère,
région d’origine…) ?
b. Cyrano n’est pas là mais on parle de lui ! Le portrait
qu’en fait Ragueneau est-il mélioratif ou péjoratif ? (v. 100 à 121)
c. Montre que le nez de Cyrano est décrit avec tendresse
par Ragueneau.
d. À quel personnage secondaire correspondent les portraits
suivants ?
Cet ami de Christian est un ivrogne. • • Lignière
Ce cuisinier est amateur
de poésie et de théâtre. • • De Guiche
Cet aristocrate est
aussi puissant que sournois. • • Le Bret
Cet ami de Cyrano s’inquiète pour lui. • • Ragueneau
2 La mise en place de l’intrigue
a. Parmi les informations que Christian obtient sur Roxane,
entoure celles qui risquent d’être des obstacles à son amour :
ne • précieuse • libre • orpheline • cousine de Cyrano
b. Pourquoi Cyrano apparaît-il d’emblée comme
un personnage extravagant ?

280
LE PARCOURS DE LECTURE

Donne ton avis

3 Un spectacle mouvementé
À l’époque de Cyrano, les salles de spectacle n’étaient pas aussi calmes
qu’aujourd’hui ! On s’y rendait aussi bien pour se montrer et observer
le public que pour regarder le spectacle.
Apprécierais-tu d’assister à un spectacle dans une ambiance
si mouvementée ?

Fais le bilan

4 Complète le texte avec les mots suivants :


Christian • De Guiche • Roxane • extravagant
redoutable • début • maîtresse • Cyrano
Cette scène est une scène d’exposition car elle est située
au ……………………… de la pièce ; elle présente les personnages,
et met en place l’intrigue. On y apprend que ………………………
est amoureux de la belle ………………………, qui est la cousine
de ……………………… . Roxane est persécutée par ………………………, qui
veut en faire sa ……………………… . Cyrano, quant à lui, a promis
d’empêcher le comédien Monteury d’entrer en scène : les
commentaires des spectateurs présentent le héros comme
un personnage ……………………… et ……………………… .

Écris à ton tour

5 Sur l’amitié
Ragueneau porte un regard bienveillant sur son ami
Cyrano. Penses-tu que l’amitié puisse eacer les
défauts de l’autre ? Rédige un paragraphe argumenté.

281
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 2

Analyser la scène
de la « tirade du nez »
Support Acte I, scène 4, pages 52 à 80.
Objectifs Mettre en évidence les aspects comiques de la scène
et analyser la maîtrise oratoire de Cyrano.

Analyse l’extrait

1 Les diérentes formes de comique


Associe chaque phrase à la forme de comique correspondante.
Monteury disparaît du plateau comique
sous les rires de la foule, • • de situation
après avoir été humilié publiquement.
Cyrano donne un coup de pied comique
dans le derrière du fâcheux. • • de caractère
Le vicomte de Valvert est à la fois comique
arrogant et dénué d’esprit. • • de gestes
Cyrano le « mouche » comique
avec une tirade pleine d’esprit. • • de mots
2 Cyrano et Valvert (vers 310 à 436)
a. Cyrano invente souvent des mots : relève ces néologismes.
Quel est l’eet produit par leur emploi ?
b. La scène est ponctuée de nombreux jeux de mots :
lequel trouves-tu le plus drôle ?
c. Relis les répliques de Valvert dans la scène, et les didascalies
qui le concernent : en quoi est-il ridicule ?
Pourquoi peut-on parler, à son propos, de satire ?

282
LE PARCOURS DE LECTURE

Donne ton avis

3 Un « morceau de bravoure » (v. 313-366)


Quelles qualités le comédien interprétant Cyrano doit-il mettre
en avant pour jouer cette tirade culte ?

Fais le bilan

4 Un virtuose du langage
La scène 4 de l’acte I présente Cyrano comme un personnage plein
de verve et maîtrisant parfaitement l’art du discours.
Complète le texte avec les mots suivants :
scène • Valvert • tirade • Monteury
ballade • public • spectacle
Cyrano déteste le comédien ……………………… et fait tout pour le
faire sortir de ……………………… , provoquant le mécontentement du
……………………… .
Les spectateurs oublient vite leur insatisfaction car Cyrano
se donne lui-même en ……………………… . Il improvise une grande
……………………… sur son nez, provoque le vicomte de ……………………… en
duel et arrive à se battre tout en composant une ……………………… .

Écris à ton tour

5 Une scène de comédie


Cyrano refuse de dire la deuxième raison
pour laquelle il en veut à Monteury :
imagine l’événement qui a pu déclencher
sa colère et raconte-le sous la forme
d’une scène de comédie mettant en scène
Cyrano et Monteury. Tu utiliseras le comique
de mots et le comique de gestes.
283
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 3

Observer un dialogue
argumentatif
Support Acte II, scène 8, pages 146 à 150.
Objectifs Repérer la dimension argumentative du passage
et analyser les arguments de Cyrano et les valeurs
qu’ils expriment.

Analyse l’extrait

1 Vers 967 à 1017 : l’argumentation de Cyrano


a. Colorie en rouge les choses que Cyrano refuse de faire,
et en vert celles qu’il accepte.
se préoccuper de sa réputation
ignorer les critiques se soumettre à un protecteur
louer des auteurs qu’il n’estime pas être à la mode
rester modeste dans ses ambitions faire des rêves fous
avoir des relations sincères
b. Relis les vers 969-971 : quelle gure de style emploie Cyrano
et quel est son sens ?
2 Vers 1018 à 1046 : la discussion avec Le Bret
a. Quelle expression permet d’articuler la tirade de Cyrano
et la réponse de Le Bret ?
b. Quelle formule paradoxale permet à Cyrano
de balayer les arguments de son ami ?
c. Quelle est la dernière réplique de Cyrano ?
Comment comprends-tu sa réaction ?
Quelle image donne-t-elle du héros ?

284
LE PARCOURS DE LECTURE

Donne ton avis

3 Tu es comédien
Tu dois passer une audition : choisis-tu d’interpréter la tirade
du nez (v. 313-366) ou la tirade du lierre (v. 967-1017) ?
Réponds de manière argumentée, en t’appuyant sur les eets
produits par chacun des deux passages, et les qualités d’acteur
que tu préférerais mettre en avant.

Fais le bilan

4 Valeurs héroïques
À l’aide du schéma suivant, récapitule les valeurs défendues par Cyrano
et les procédés qu’il utilise pour amener Le Bret à les partager.
Cyrano répond à Le Bret
avec éloquence

Il s’exprime en une Il défend Il utilise des gures


longue ............................ les valeurs : de style frappantes :
............................................ ............................................ ............................................
............................................ ............................................ ............................................
............................................ ............................................ ............................................

Écris à ton tour

5 Défendre ses principes au risque d’être impopulaire ?


Accordes-tu beaucoup d’importance au fait d’être à la
mode, d’être populaire ? Serais-tu prêt(e) à renoncer
à tes principes pour cela ?
Réponds par un paragraphe, dans lequel tu utiliseras
au moins deux arguments.
285
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 4

Étudier la scène de la déclaration


d’amour ou « scène du balcon »
Support Acte III, scène 7, pages 194 à 204.
Objectif Repérer les procédés utilisés par le dramaturge*
pour rendre cette scène émouvante.

Analyse l’extrait

1 La mise en scène du trio amoureux


a. Le spectateur est complice
de Cyrano et Christian. • Un quiproquo est
c vrai c faux
b. Pourquoi peut-on parler
une situation où l’on prend
une personne pour une autre,
où l’on comprend de travers.
de quiproquo* dans cette scène ? Cela génère des eets comiques,
c. Cyrano, pour plaire à Roxane, parfois en cascade.
utilise un langage précieux : • Une métaphore est une gure
relève les métaphores* de style qui consiste à comparer
qui servent à évoquer l’amour. deux éléments sans utiliser
d. Quelle est la réaction d’outil de comparaison.
de Cyrano quand Christian
demande un baiser à Roxane ?
2 Une scène riche en émotions
a. Quelle est la tonalité qui domine dans cette scène ?
c lyrique c tragique
c pathétique c polémique
b. Nomme les émotions ressenties par Roxane, Cyrano
et Christian, en t’aidant des didascalies.
c. Quel est le personnage dont les émotions sont le mieux
décrites ? Comment peux-tu l’expliquer ?
286
LE PARCOURS DE LECTURE

Donne ton avis

3 Dire l’amour
Christian a du mal à exprimer ses sentiments, alors que Cyrano
est un virtuose du langage. Selon toi, la maîtrise du langage
est-elle un atout de séduction, ou n’est-ce pas l’essentiel ?
Réponds à cette question par un paragraphe argumenté,
dans lequel tu donneras au moins deux raisons.

Fais le bilan

4 Une scène émouvante


En mettant en scène le trio amoureux, le dramaturge crée
une scène particulièrement émouvante.
Complète le texte avec les mots suivants :
sacrice • Christian • précieuse • éloquence
impossible • renoncement • procuration
Cyrano possède les qualités d’…………………… qui font défaut à
…………………… . Croyant son amour pour Roxane ……………………, il aide
le jeune homme à séduire la ……………………, et vit cet amour par
…………………… . Son …………………… et son …………………… sont très émouvants.

Écris à ton tour

5 Le récit de Roxane
Une fois Christian parti, Roxane raconte
la scène à sa duègne, telle qu’elle l’a vécue,
et lui fait part des émotions qu’elle a ressenties.
Écris son récit en une vingtaine de lignes.

287
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 5

Caractériser le dénouement*
Support Acte V, scènes 5 et 6, pages 249 à 269.
Objectifs Mettre en évidence le caractère pathétique
du dénouement et montrer comment Cyrano
reste maître du jeu jusqu’à la n.

Analyse l’extrait

1 Les ultimes péripéties


a. Montre comment Cyrano cherche à cacher la vérité
à Roxane dans ces trois occurrences :
– quand sœur Marthe voit qu’il est gravement blessé ;
– quand il s’évanouit ;
– quand Roxane découvre qu’il est l’auteur de la lettre.
b. Quel est le dernier ennemi contre lequel Cyrano dégaine
son épée ?
2 Le pathétique
a. Dans la scène 5, quels échos peut-on voir entre le texte
de la lettre et la situation de Cyrano ?
b. Repère, dans les didascalies de la scène 5, les indications
sur la lumière. Que remarques-tu ?
c. Explique cette réplique de Roxane :
« Je n’aimais qu’un seul être et je le perds
deux fois ! (v. 1993) ». • Une allégorie est
d. Dans les didascalies de la scène 6, une gure de style
observe les indications sur la réaction qui consiste
des personnages qui assistent à la mort à représenter
de Cyrano. Quels sentiments éprouvent-ils ? une idée abstraite
e. À partir du v. 2028-2029, quelle allégorie* sous les traits
sert à désigner la mort ? Pourquoi, selon toi, d’une personne.
le dramaturge a-t-il fait ce choix ?
288
LE PARCOURS DE LECTURE

Donne ton avis

3 La dramaturgie
En quoi le fait que cette n se déroule quinze ans plus tard renforce-
t-elle le pathétique ? Que se serait-il passé, selon toi, si Roxane avait
découvert la vérité beaucoup plus tôt ?

Fais le bilan

4 Un dénouement pathétique
Les deux dernières scènes de Cyrano constituent un dénouement
pathétique. Complète le texte avec ces mots :
humour • pleurent • quinze • anecdotes
Roxane • duels • batailles • amour
Après avoir connu de nombreux ………………………… et de nombreuses
……………………………, Cyrano meurt blessé par une pièce de bois.
Jusqu’au bout, il cherche à cacher son état à ……………………………. .
Il fait preuve d’……………………………, raconte des ………………………… de la
cour pour distraire sa bien-aimée. Tous ……………………………… à l’idée
de sa disparition prochaine. La vérité sur son …………………………… est
découverte, après ……………………………… ans, mais il est trop tard.

Écris à ton tour

5 La lettre d’un lecteur


Tu viens de nir la lecture de Cyrano de Bergerac.
Tu écris à un ami qui n’a pas lu la pièce, et tu lui
expliques ce que tu as ressenti lors du dénouement.

289
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 6

Analyser le personnage
de Cyrano
Support L’ensemble de la pièce et le dossier.
Objectif Comprendre ce qui fait la richesse du personnage
de Cyrano.

Analyse l’œuvre

1 De la réalité à la ction
a. Fais une petite recherche sur Savinien de Cyrano de Bergerac
(voir enquête p. 315). Trouve quatre points communs
entre ce personnage historique et le Cyrano de la pièce.
b. Relis les passages suivants et trouve les clins d’œil de l’auteur
à l’œuvre du vrai Cyrano.
– Acte III scène 13 : Cyrano retarde l’arrivée du comte de Guiche
pour permettre le mariage de Roxane et Christian.
– Acte V scène 6 : la mort de Cyrano.
2 Un héros plein de panache
a. Quelles caractéristiques et quel goût Cyrano partage-t-il
avec ses camarades de la compagnie des Cadets ?
b. Quel défaut peut-on lui reconnaître ?
c l’avarice c l’orgueil c la paresse
c. Que demande Cyrano à Roxane, après qu’elle a découvert
la vérité, dans la scène 5 de l’acte IV ? Quel adjectif convient
le mieux pour qualier son attitude ? Justie ta réponse.
c arrogante c mesquine c noble
d. Montre, de manière argumentée et en prenant appui
c ridicule

sur des exemples, que Cyrano incarne les valeurs suivantes :


l’altruisme, la bravoure, l’indépendance, la loyauté.
290
LE PARCOURS DE LECTURE

Donne ton avis

3 Cyrano trop sévère avec lui-même ?


À la n de la pièce, Cyrano arme : « J’aurai tout manqué,
même ma mort » (V, 6, v. 1960). Partages-tu ce point de vue ?

Fais le bilan

4 Montre comment Edmond Rostand s’est inspiré de la vie


d’un personnage réel pour en faire l’incarnation du panache.
Complète le texte avec les mots suivants :
mariage • vraisemblance • modèle • panache
Rostand prend des libertés avec son ………………………… : ainsi l’histoire
de l’amour impossible avec sa cousine Roxane, et du …………………………
de celle-ci avec le beau Christian, est inventée par le dramaturge*,
qui ne cherche pas ici la ………………………… . Cette histoire lui permet
de faire du protagoniste* de la pièce un personnage haut en
couleur, plein de verve et de « ………………………… ».

Mène l’enquête

5 Le choix d’un héros


Si tu devais choisir un personnage célèbre
ayant réellement existé pour en faire le héros
(ou l’héroïne) d’une comédie héroïque, lequel
choisirais-tu ? Justie ta réponse en précisant
au moins deux valeurs que cette personne
incarne à tes yeux, et en utilisant à chaque
fois un exemple.

291
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 7

Étudier le thème du théâtre


Support L’ensemble de la pièce, le dossier et l’enquête.
Objectif Comprendre que la pièce est à la fois un hommage rendu
au théâtre et une réexion sur les pouvoirs du théâtre.

Analyse l’œuvre

1 Un hommage au théâtre sous toutes ses formes


Relie chaque élément de la pièce au genre théâtral
auquel il est emprunté.
commedia • Les combats ont lieu sur scène,
dell’arte • les décors sont multiples,
les sentiments exaltés.
drame Cyrano est comparé à Scaramouche,
romantique • • menaçant ses ennemis de coups de
bâton et de coup de pied au derrière.
pastorale • • Monteury joue dans La Clorise.

2 Le théâtre dans le théâtre


a. Au début, les personnages s’installent pour regarder
La Clorise. De même, les spectateurs réels s’installent
pour regarder Cyrano de Bergerac. Quel est l’eet produit ?
b. Dans la première scène de la pièce, pourquoi peut-on dire
que les aristocrates se donnent en spectacle ?

3 Cyrano, incarnation du théâtre


a. Dans la « tirade du lierre » (v. 967-1017), quel « rôle » Cyrano
refuse-t-il de jouer dans la société ?
b. Dans la scène du duel (I, 4), pourquoi peut-on dire que Cyrano
est à la fois auteur, interprète et metteur en scène* ?
292
LE PARCOURS DE LECTURE

c. Dans la scène du balcon (III, 7), associe quatre actions


de Cyrano à un emploi propre au théâtre :
soueur • metteur en scène • auteur • spectateur
– Il compose le texte de la déclaration d’amour : .................................
– Il parle à la place de Christian : ...................................................................
– Il indique à Christian où il doit se placer : .............................................
– Il assiste au baiser entre Christian et Roxane : ..................................

Donne ton avis

4 Peut-on dire de Cyrano qu’il est victime du rôle qu’il interprète ?

Fais le bilan

5 Un thème central
Complète le texte avec les mots suivants :
genres • rôles • comédie • puissance • hommage
Edmond Rostand rend ………………………… au théâtre. La pièce
emprunte à de nombreux ………………………… théâtraux ; elle est une
réexion sur la ………………………… du théâtre. Cyrano est présenté
comme un homme refusant la ………………………… sociale. Par amour, il
doit cependant jouer des ………………………… qui le rendent malheureux.

Mène l’enquête

6 Des interprètes sur scène ou à l’écran


a. Cite quelques comédiens célèbres qui ont incarné le rôle
de Cyrano, sur scène ou à l’écran. Pour t’aider, reporte-toi
au site : Les archives du spectacle (hatier-clic.fr/8446460g)
b. Quel acteur imaginerais-tu, toi, dans ce rôle ? Pourquoi ?

293
Une comédie entre rire et larmes
ÉTAPE 8

Analyser des mises en scène


de la pièce
Support Photographies et extraits de mises en scène
de la scène du balcon (acte III, scène 7).
Objectifs Analyser et comparer trois mises en scène de la pièce.

Analyse les mises en scène

1 Le Cyrano lyrique de Denis Podalydès hatier-clic.fr/8446460h


(photos pages 69 et 205, extrait vidéo de la mise en scène)
a. Observe les lumières. Pourquoi peut-on parler de clair-obscur ?
Quelle ambiance est ainsi créée ?
b. Où les personnages sont-ils placés, pour permettre le quiproquo ?
c. Quelles émotions les acteurs traduisent-ils par leur jeu ?
2 La mise en scène brechtienne1
de Dominique Pitoiset
(photo page 206, extrait vidéo de la mise hatier-clic.fr/8446460i
en scène)
a. En quoi la mise en scène du quiproquo est-elle originale ?
b. Montre que le metteur en scène s’arrange pour que le spectateur
voie tout (costumes, corps, accessoires, lumières).
3 Le Cyrano de rue du Collectif Chapitre XIII
(interview p. 12-13)
a. Où la scène est-elle lmée ? hatier-clic.Fr/8446460e
Que ressent-on, à entendre ce texte dans ce décor brut
et quotidien ?
b. Comment Cyrano fait-il croire qu’il est Christian ?
1. Bertolt Brecht invente la théorie de la distanciation. Le jeu, la mise en scène, tout est
fait pour provoquer un eet d’étrangeté, et rappeler au spectateur qu’il est au théâtre.

294
LE PARCOURS DE LECTURE

Donne ton avis

4 Un metteur en scène peut-il prendre des libertés par rapport


à un texte culte ou doit-il y rester extrêmement dèle ?

Fais le bilan

5 Du texte à la mise en scène


Complète le texte avec ces mots :
mise en scène • psychologique • enjeux • spectateur • actuelle
poésie • metteur en scène • Comédie-Française
Le théâtre est un art vivant : chaque nouvelle ……………………………………
est une création et le ……………………………………… a, à chaque fois,
l’impression de redécouvrir la pièce. Chaque ………………………………………
a sa vision des ……………………………………… de la pièce. Ainsi, D. Podalydès
veut traduire la ……………………………………… de la pièce, et son héritage
dans une salle historique, la ……………………………………… . D. Pitoiset
insiste sur la dimension ……………………………………… du personnage
de Cyrano. Le Collectif Chapitre XIII montre la résonance très
……………………………………… de ce texte.

Écris à ton tour

6 Deviens critique de théâtre


Tu es journaliste, critique de théâtre pour un grand
journal, et tu viens de voir l’une de ces mises en scène.
Rédige un article qui présentera celle-ci, et qui donnera
ton avis personnel argumenté.

295
Une comédie entre rire et larmes
ATELIER 1

Atelier expression
Une tirade à la manière
de Cyrano
Objectifs
• S’interroger sur ses valeurs, dénir ses motifs d’indignation.
• Écrire une tirade à la manière de Cyrano.

1 Relis le texte
À la maison, relis la « tirade
du lierre » (vers 967 à 1017).
$ Une tirade est
une longue réplique
Liste 4 ou 5 attitudes qui te prononcée par
choquent, et que tu refuses un personnage.
absolument. Trouve ensuite Les tirades de Cyrano
4 ou 5 autres attitudes qui sont cultes !
correspondent à tes valeurs.

2 Rédige ta tirade
À la manière de Cyrano, rédige ta tirade. Pour chaque motif
d’indignation, formule une question avec un verbe à l’innitif,
qui sera suivie d’un « Non merci ! ». Puis, après un « mais... »,
poursuis la tirade, avec les attitudes que tu as choisi de
valoriser.

3 Présente ta tirade
Illustre ton texte par une photo ou un dessin, et organise
avec tes camarades une exposition dans la classe.
Vous pouvez aussi lire chacun votre texte, à voix haute,
en essayant de transmettre vos sentiments.

296
LE PARCOURS DE LECTURE
ATELIER 2

Atelier lexique
Le vocabulaire des sensations
Objectifs
• Connaître le vocabulaire des sensations.
• Travailler sa mémoire sensorielle.

1 Fais une liste de pâtisseries


a. Relis la scène 4 de l’acte II et fais la liste des pâtisseries
de Ragueneau.
b. Ajoutes-en d’autres que tu aimes ou que tu détestes !

2 Trouve des adjectifs de sensation N’hésite pas


En lien avec les diérents sens (vue, à consulter les recettes
toucher, odorat, goût), décris deux de ces pâtisseries
des pâtisseries que tu as listées. pour enrichir
ta description.
3 Joue des sensations
a. En classe, avec un ou une camarade, imagine que tu tiens
dans tes mains l’une de ces pâtisseries.
Prends le temps de sentir son poids, sa forme, sa consistance,
son parfum. Goûte-la !
b. Puis, en utilisant les mots qui traduisent tes sensations,
ore-la à ton ou ta partenaire qui la goûte à son tour et
exprime ce qu’il ressent.

297
Une comédie entre rire et larmes
ATELIER 3

Atelier théâtre
La tirade du nez
Objectifs
• Jouer les émotions de la tirade du nez.
• Mettre en scène une tirade culte.

1 Travaillez sur le texte


Partagez le texte en 5 ou 6 parties, Sur scène, on vous voit
et la classe en autant de groupes. même si vous ne parlez
Chaque groupe apprend par cœur pas ! Restez « neutres »,
une partie de la tirade, ne faites pas de gestes
en se répartissant la parole parasites, écoutez
comme il le souhaite. vos camarades !
Repérez les émotions évoquées
par Cyrano dans le passage choisi. Cherchez les dénitions
des mots diciles. Ensemble, cherchez la voix et le corps
du personnage, au moment où il dit sa réplique. Plus vous
en ferez, plus vous serez convaincant !

2 Organisez-vous pour le spectacle


En classe, choisissez ensemble la date de la représentation
et votre public. Dessinez une ache et des cartons
d’invitation. Consacrez 1 à 2 heures à des répétitions,
pour que les vers s’enchaînent de manière uide.

3 Proposez une mise en scène simple


Asseyez-vous sur des chaises disposées en U. Au moment
voulu, votre groupe se lève et dit ses vers au public. À la n,
tous les élèves sont debout et saluent.

298
LE PARCOURS DE LECTURE
ATELIER 4

Atelier métier
La mise en scène
Objectifs
• Découvrir le métier de metteur en scène.
• Mettre en scène la scène du balcon (III, 7, début de la scène,
du v. 1363 à 1395).

1 Eectuez des recherches


À la maison, faites une recherche individuelle sur le métier
de metteur en scène : quand ce métier est-il apparu ?
En quoi consiste-t-il ?

2 Préparez une mise en scène


• En classe, formez des groupes Vous trouverez
de 4 à 5 élèves. des informations sur
Chaque groupe désigne un les sites de l’Onisep
metteur en scène, les autres
seront les comédiens.
• Le metteur en scène dirige hatier-clic.fr/8446460j
les comédiens : il leur propose et d’Artcena.
une façon de représenter
l’espace de la scène (le balcon,
la place des acteurs sur scène) hatier-clic.fr/8446460k
et d’exprimer les intentions
et sentiments des personnages.

3 Présentez votre mise en scène


Chaque groupe présente sa version à ses camarades.
Vous pouvez soit apprendre le texte par cœur, soit jouer
avec vos propres mots (évitez de jouer texte à la main).

299
Eleanor Fortescue-Brickdale (1872-1945),
Romeo and Juliet Farewell – One kiss, and I’ll descend (détail).
Huile sur toile, 81,5 × 112 cm. The Maas Gallery, Londres.
LE GROUPEMENT TEXTES  IMAGES

« Scènes de balcon »
ou l’amour empêché
Documents
DOC. 1 Un manuscrit du cycle
du Lancelot-Graal 302
DOC. 2 William Shakespeare, Roméo et Juliette 304
DOC. 3 Victor Hugo, Ruy Blas 306
DOC. 4 Robert Wise et Jerome Robbins,
West Side Story 307
Questions sur les documents 308
« Scènes de balcon » ou l’amour empêché

« Scènes de balcon »
ou l’amour empêché
Objectif
Travailler, à travers diérents documents, sur le motif
de la « scène du balcon », symbole de l’amour inaccessible.

DOC. 1 Un manuscrit du cycle du Lancelot-Graal


Pour parvenir au château où Méléagant retient captive la reine
Guenièvre, Lancelot doit aronter l’épreuve du Pont de l’épée.
Le roi Baudemagu assiste avec Guenièvre à ses prouesses
depuis une tour du château.

Lancelot passant le pont de l’Épée, dans Lancelot du lac (tome 3 du cycle


du Lancelot-Graal). Manuscrit enluminé par Évrard d’Espinques, vers 1475.

302
LE GROUPEMENT TEXTES  IMAGES

Quand ses compagnons l’eurent solidement équipé, Lancelot


leur demanda de partir, ils le quittèrent donc et traversèrent la
rivière en emportant son cheval. Lancelot alla droit à la lame,
regarda vers la tour où la reine était emprisonnée et s’inclina
5 vers elle. Après, il se signa, et mit son écu derrière son dos pour
qu’il ne le gêne pas. Il monta alors à califourchon sur la lame,
avec tout son équipement, car il ne lui manquait ni haubert, ni
épée, ni chausses, ni heaume. Ceux qui l’observaient de la tour
en étaient tout ébahis. Et aucun vraiment ne savait qui il était
10 mais ils virent bien qu’il se traînait sur l’épée tranchante à la
force des ses bras et en la serrant de ses genoux. Les fils de fer
ne manquèrent pas de faire jaillir le sang de ses pieds, mains et
genoux, mais il ne s’arrêta ni pour le péril de l’épée sur laquelle
il se traînait, ni pour le danger que constituait l’eau mugissante
15 et sombre. En eet, il regardait plus vers la tour que vers l’eau
et il ne se souciait ni de ses blessures ni de ses douleurs, car s’il
pouvait atteindre la tour, il guérirait de tous ses maux.
Cycle du Lancelot-Graal: III. Roman de Lancelot (vers 1475),
traduction par Irene Fabry-Tehranchi,
© Bibliothèque nationale de France.

303
« Scènes de balcon » ou l’amour empêché

DOC. 2 William Shakespeare, Roméo et Juliette


Quand Roméo Montaigu et Juliette Capulet, enfants de deux
familles ennemies, se rencontrent, le coup de foudre est réciproque.
Une nuit, Roméo pénètre dans le jardin des Capulet et aperçoit
Juliette au balcon de sa chambre.

J
Comment es-tu venu, dis, et pourquoi ?
Les murs de ce verger sont hauts, durs à franchir,
Et ce lieu, ce serait ta mort, étant qui tu es,
Si quelqu’un de mes proches te découvrait.
R
5 Sur les ailes légères de l’amour,
J’ai volé par dessus ces murs. Car des clôtures de pierre
Ne sauraient l’arrêter. Ce qui lui est possible,
L’amour l’ose et le fait. Et c’est pourquoi
Ce n’est pas ta famille qui me fait peur.
J
10 Ils te tueront, s’ils te voient.
R
Hélas, plus de périls sont dans tes yeux
Que dans vingt de leurs glaives. Souris-moi,
Et je suis à l’épreuve de leur colère.
J
Je ne voudrais pour rien au monde qu’ils te trouvent.
R
15 J’ai le manteau de la nuit pour me dérober à leurs yeux.
Mais qu’ils me trouvent, si tu ne m’aimes !
Sous les coups de leur haine plutôt mourir
Que d’attendre une lente mort sans ton amour.
J
Qui t’a guidé jusqu’ici ?

304
LE GROUPEMENT TEXTES  IMAGES

R
20 L’amour, qui m’a d’abord fait m’enquérir.
Il me donna conseil, je lui prêtai mes yeux.
Je n’ai rien du pilote. Et pourtant, vivrais-tu
Aux rives les plus nues des plus lointaines des mers,
Pour un bien tel que toi je me risquerais.
J
25 Sur mon visage
Je porte, tu le vois, le masque des ténèbres,
Sinon l’idée que tu m’as entendue, ce soir,
Empourprerait mes joues de jeune fille.
Que je voudrais être convenable, que je voudrais,
30 Ce que j’ai dit, le détruire ! Mais adieu, mes bonnes manières,
M’aimes-tu ? je sais bien que tu diras oui,
Et je te croirai sur parole. Mais si tu jures,
Tu peux te parjurer. Des parjures d’amants
On dit que Jupiter se moque... Ô Roméo,
35 Si tu m’aimes, proclame-le d’un cœur bien sincère,
Et si tu m’as trouvée trop aisément séduite,
Je me ferai dure et coquette, je dirai non,
Mais pour que tu me courtises, car autrement
J’en serais incapable... Beau Montaigu,
40 Je suis bien trop éprise, et c’est pourquoi
Tu peux trouver ma conduite légère,
Mais, crois-moi, âme noble, je serai
Plus fidèle que d’autres qui, plus rusées,
Savent paraître froides. […]
William Shakespeare, Roméo et Juliette, acte II, scène 2, 1594-1595.
Traduit de l’anglais par Yves Bonnefoy
© Mercure de France 1968 et 1992.

1. Glaives : épées de combat à deux tranchants.


2. M’enquérir : me renseigner.

305
« Scènes de balcon » ou l’amour empêché

DOC. 3 Victor Hugo, Ruy Blas


Ruy Blas est un drame romantique écrit par Victor Hugo en 1838.
Don Salluste veut se venger de la Reine, qui a ordonné sa disgrâce.
Il demande à son valet Ruy Blas, amoureux de la Reine, de devenir
l’amant de celle-ci, sous les traits de don César, son cousin.
Commence alors un jeu de séduction qui intrigue et charme la Reine,
délaissée par son époux.

L , seule.
Rêvant.
Oh ! Cette main sanglante empreinte sur le mur !
Il s’est donc blessé ? Dieu ! – mais aussi c’est sa faute.
Pourquoi vouloir franchir la muraille si haute ?
Pour m’apporter les fleurs qu’on me refuse ici,
5 Pour cela, pour si peu, s’aventurer ainsi !
C’est aux pointes de fer qu’il s’est blessé sans doute.
Un morceau de dentelle y pendait. Une goutte
De ce sang répandu pour moi vaut tous mes pleurs.
S’enfonçant dans sa rêverie.
Chaque fois qu’à ce banc je vais chercher les fleurs,
10 Je promets à mon Dieu, dont l’appui me délaisse,
De n’y plus retourner. J’y retourne sans cesse.
– Mais lui ! Voilà trois jours qu’il n’est pas revenu
– Blessé ! – Qui que tu sois, ô jeune homme inconnu
Toi qui, me voyant seule et loin de ce qui m’aime,
15 Sans rien me demander, sans rien espérer même,
Viens à moi, sans compter les périls où tu cours ;
Toi qui verses ton sang, toi qui risques tes jours
Pour donner une fleur à la reine d’Espagne ;
Qui que tu sois, ami dont l’ombre m’accompagne,
20 Puisque mon cœur subit une inflexible loi,
Sois aimé par ta mère et sois béni par moi !
Vivement et portant la main à son cœur.
– Oh ! Sa lettre me brûle !
306
LE GROUPEMENT TEXTES  IMAGES

[…]
Oui, je vais la relire
Une dernière fois ! Après, je la déchire !
Avec un sourire triste.
Hélas ! Depuis un mois je dis toujours cela.
Elle déplie la lettre résolument et lit.
25 « Madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là
Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;
Qui soure, ver de terre amoureux d’une étoile ;
Qui pour vous donnera son âme, s’il le faut ;
Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut. »
Victor Hugo, Ruy Blas, acte II, scène 2, 1838.

DOC. 4 Robert Wise et Jerome Robbins, West Side Story


L’action de cette comédie musicale se passe à New York,
dans les années 1950. Tony, un Américain d’origine polonaise,
et Maria, une jeune Portoricaine, sont amoureux, mais leurs familles
respectives appartiennent à des clans rivaux, les Jets et les Sharks.
Un soir, Tony rejoint Maria au pied de son balcon.

Natalie Wood (Maria) et Richard Beymer (Tony) dans le lm West Side Story,
réalisé par Jerome Robbins et Robert Wise en 1961.
307
« Scènes de balcon » ou l’amour empêché

Questions sur les documents


Lis les documents

Document 1
1 a. Quelles sont la nature et l’époque du document ?
Qui sont les personnages en présence ? Où se trouvent-ils
l’un par rapport à l’autre ?
b. Quels éléments rendent la conquête amoureuse périlleuse
et presque irréalisable ?
c. Fais une petite recherche : qu’est-ce que l’amour courtois ?
En quoi ce texte et cette image sont-ils l’illustration de cette
conception de l’amour ?
Document 2
2 a. À quel endroit et à quel moment Roméo et Juliette
se rencontrent-ils ?
b. Quels obstacles a dû franchir Roméo ? Quels dangers
court-il, selon Juliette ?
c. Que lui avoue Juliette, à la n de l’extrait ?
Document 3
3 a. La Reine parle seule. Comment appelle-t-on ce type
de réplique ?
b. De qui la Reine parle-t-elle au début de sa réplique ?
Qu’a fait ce personnage mystérieux pour elle ?
c. Quels sentiments contradictoires la Reine éprouve-t-elle ?
À quel moment a-t-on l’impression qu’il s’agit d’un véritable
dialogue avec elle-même ?
Document 4
4 a. Comment s’expriment les sentiments des personnages ?
Observe en particulier leur position et leur expression.
b. À ton avis, quel est le sujet de leur conversation ?

308
LE GROUPEMENT TEXTES  IMAGES

Compare les documents

5 a. Montre que, pour chacun de ces quatre couples, un élément


physique symbolise la séparation des deux amants.

Lancelot et Guenièvre ………………………………………………………………………………


Roméo et Juliette ………………………………………………………………………………
Ruy Blas et la Reine ………………………………………………………………………………
Tony et Maria ………………………………………………………………………………

b. De quoi cette séparation physique est-elle symbolique ?


c. Quels sont les obstacles principaux à l’accomplissement
de l’amour dans les quatre documents ?

À ton avis

6 Dis en quoi la déclaration d’amour de Ruy Blas à la Reine


est particulièrement touchante, en t’appuyant sur les images,
les gures de style…

Écris maintenant

7 Imagine, sous la forme d’un dialogue de théâtre,


l’échange entre Maria et Tony dans la scène représentée
sur le document 4.

Utilise toutes les ressources de l’écriture théâtrale ! Tu peux


écrire des tirades*, des apartés*, des stichomythies (les amoureux
peuvent se partager les répliques*). Ajoute aussi des didascalies
pour donner quelques indications de jeu.

309
Louis XIII et Richelieu menant les troupes pendant la guerre de Trente Ans.
Maurice Leloir (1853-1940), illustration extraite de Richelieu, 1901 (détail).
Collection privée.
LENQUÊTE

La vie quotidienne
sous Louis XIII
L’intrigue de Cyrano de Bergerac se déroule sous le
règne de Louis XIII, et met en scène des personnages
appartenant à la haute société parisienne. Pourtant,
sur plusieurs points, la vie quotidienne sous Louis XIII
était bien diérente de ce que nous montre Edmond
Rostand dans sa pièce.

1 Comment la société est-elle organisée


sous Louis XIII ? 312
2 Quels sont les divertissements à la mode ? 314
3 Comment se bat-on à l’époque de Louis XIII ? 322
4 L’amour et l’argent : comment se marie-t-on ? 324
La vie quotidienne sous Louis XIII

Comment la société est-elle


1 organisée sous Louis XIII ?
Au e siècle, la société est répartie en trois catégories aux
fonctions symboliques : le clergé prie, la noblesse se bat et
le tiers état travaille. Mais, au sein de chacun ces « ordres1 »,
existent de grandes disparités.
•sesLasubtiles
noblesse et
hiérarchies
•bourgeois
L’ascension des grands
Les membres de l’aristocratie Les diérences sont encore
sont distingués selon l’origine plus grandes au sein du tiers
de leur noblesse : les uns sont état, qui regroupe aussi bien
nobles de naissance, d’autres des paysans fort pauvres que des
ont été anoblis par le roi. Aux bourgeois qui se sont enrichis,
nobles d’origine plus ancienne notamment grâce au commerce.
sont accordés des privilèges Ainsi, la haute société est
symboliques plus importants, formée à la fois d’aristocrates
tel celui de porter des titres2. de très haute naissance (les
Les nobles qui cultivent leurs « grands »), de nobles moins
terres à la campagne sont puissants, qui font carrière dans
souvent méprisés par ceux l’armée ou l’administration, et de
vivant à Paris, notamment dans grands bourgeois qui adoptent
le riche quartier du Marais, les valeurs et le mode de vie
qui fréquentent la cour du roi. de la noblesse qu’ils fréquentent.

1. Ordres : c’est ainsi qu’on appelle, sous l’Ancien Régime, les divisions de la société.
On parle aujourd’hui de catégories ou de classes sociales.
2. Duc est le titre de noblesse le plus élevé après celui de prince. Prennent rang ensuite
ceux de marquis, de comte, de vicomte, et enn de baron.

312
LENQUÊTE

• Vaillance et esprit favorise l’éclosion de valeurs


nouvelles. Outre le courage,
Sous l’Ancien Régime,
la noblesse est associée faire preuve d’« esprit » est
à un certain nombre de valeurs. désormais fortement valorisé.
Ainsi, un « homme de qualité » Il faut être d’une intelligence
est à la fois un noble de haute vive, briller par des réparties
naissance et quelqu’un pour qui cinglantes, et posséder une
honneur et vaillance sont les grande connaissance des arts,
valeurs principales. Cependant, en particulier de la poésie,
sous le règne de Louis XIII, an de pouvoir composer
l’essor de la vie mondaine des œuvres brillantes.

L’éducation
d’un gentilhomme1
Pour pouvoir briller à la
cour, les jeunes aristocrates
doivent apprendre les arts
et les techniques qui leur
permettront de s’associer aux
loisirs dusouverain : la danse,
pourparticiper aux ballets,
et surtout l’équitation, pour Philippe de Champaigne, portrait
de Louis XIII, e siècle (détail).
participer à la chasse, activité Huile sur toile. Musée du Château
favorite de Louis XIII. de Chambord.

1. Gentilhomme : homme d’origine noble.

313
La vie quotidienne sous Louis XIII

Quels sont les divertissements


2 à la mode ?
À la cour comme dans les théâtres ou les salons,
les divertissements de l’aristocratie sont nombreux.
Ils permettent aux nobles de briller au cœur de la petite
société qu’ils fréquentent.

•enUne vie de cour riche


divertissements
Sous Louis XIII, dans les
somptueux palais du
Louvre, de Saint-Germain
et de Fontainebleau, les
festivités ne manquent pas.
Deux bals sont organisés
chaque semaine au Louvre.
Le roi organise aussi des
carrousels, jeux équestres
permettant aux nobles de
montrer l’étendue de leur
talent de cavaliers. Enn,
le souverain raole des
ballets de cour, qui mêlent
chorégraphies et chants,
avec parfois des dialogues.
Le roi en personne s’y met Un bal à la cour (sous Louis XIII).
en scène dans sa fonction Maurice Leloir (1853-1940),
symbolique de souverain : illustration extraite de Richelieu, 1901.
en 1615, il interprète le rôle du Soleil, qui illumine les hommes
et leur transmet ainsi la vertu céleste.1

1. Autres divertissements fort appréciés à l’époque : les jeux, tels le palemail


(ancêtre du golf) ou la paume (ancêtre du tennis).

314
LENQUÊTE

Le vrai Cyrano
de Bergerac
Savinien Cyrano de Bergerac
fait ses études à Paris, puis
s’engage comme cadet dans
l’armée. Après une blessure,
il quitte l’armée et fréquente
1
les cercles libertins de
Paris. Sa vie dissipée a
raison de son patrimoine, il
doit trouver des protecteurs.
En 1653, sa tragédie La Mort
d’Agrippine fait scandale
en raison de ses idées
antireligieuses. En sortant de
chez son dernier protecteur,
le duc d’Arpajon, il est blessé
à la tête. Il meurt des suites
de sa blessure en 1655. Son
ami Le Bret fait publier, en
1657, l’Histoire comique des Cyrano de Bergerac (1619-1655). Gravure
États et Empires de la Lune, de la n du e siècle, extraite de L’Autre
récit d’un voyage ctif Monde ou Histoire comique des États
dans la lune. et Empires de la Lune (1657).

1. Cercles libertins : cercles intellectuels de penseurs pour qui le monde n’est pas
organisé par Dieu, dont ils nient l’existence, mais selon des lois que l’homme peut
comprendre avec sa raison.

315
La vie quotidienne sous Louis XIII

• Le théâtre
Le théâtre est un plus récent. Ces salles sont
divertissement prisé par de mieux en mieux équipées.
la cour, qui assiste à des Le Théâtre du Marais se
représentations à Paris comme spécialise dans les « pièces
dans les résidences royales à machines ». Le public
de province. C’est l’époque de la y est composé aussi bien
professionnalisation du théâtre. d’aristocrates que de bourgeois,
Les comédiens se rassemblent et même de gens fort modestes.
en troupes, autour d’un acteur Mais la disposition des lieux
vedette qui en est le chef. permet à chacun de rester
Ces compagnies sont souvent « à sa place » : les aristocrates
itinérantes. À Paris, elles ne de haut rang assistent ainsi
disposent que de deux salles : aux spectacles soit dans
l’historique Hôtel de Bourgogne de luxueuses loges, soit sur
et le Théâtre du Marais, la scène même du théâtre.

Le « monopole »
En 1402, Charles VI accorde aux Confrères de la Passion
le monopole du théâtre à Paris. Ils jouent en plein air, ou dans
des salles de jeu de paume, puis font construire une salle sur
le modèle de ces salles de sport : c’est l’Hôtel de Bourgogne.
Toute troupe qui veut se produire à Paris doit obtenir l’accord
des Confrères et payer une redevance énorme. À Paris, vers
1630, on ne compte qu’un seul théâtre alors que Madrid en
compte 40 ! Richelieu est le premier à rompre ce monopole
et ainsi permettre l’ouverture du Théâtre du Marais (1634)
puis du Théâtre du Palais-Royal (1661).

316
LENQUÊTE

L’Hôtel de Bourgogne
dans Cyrano de Bergerac
Le premier acte de Cyrano de Bergerac se déroule lors d’une
représentation à l’Hôtel de Bourgogne. Écrite en 1897, la pièce
comporte des anachronismes : alors que la scène est censée
se dérouler en 1640, on y évoque Bellerose, qui fut un célèbre
directeur de l’Hôtel de Bourgogne… à partir de 1642. L’auteur,
qui prend soin de décrire la salle dans une longue didascalie,
ne se soucie pas d’une dèle reconstitution historique. Pourtant,
il réussit à faire revivre l’atmosphère des spectacles de l’époque,
durant lesquels le silence des spectateurs n’était pas de mise.

L’Hôtel de Bourgogne dans l’adaptation cinématographique


de Cyrano de Bergerac par Jean-Paul Rappeneau, en 1990.
© Collection Christophel.

317
La vie quotidienne sous Louis XIII

• Les salons
Sous Louis XIII se développe de maison se fait appeler
la mode des « salons », « Arthénice », sa lle Julie
lieux privés dans lesquels la « Mélanide ».
maîtresse de maison invite un
petit cercle de personnalités
– nobles de haute naissance, Deux écrivains
hommes politiques, écrivains précieux
à succès – qui s’emploient à
rivaliser d’élégance et d’esprit. Honoré d’Urfé (1575-1625) :
C’est là que se développe le son œuvre la plus célèbre
mouvement de la préciosité1, est le roman-fleuve L’Astrée
qui se caractérise par la (plus de 5 000 pages !),

ly
recherche du ranement dans qui raconte dans un récit très
le langage et les manières.
on
complexe les amours idéales
s
Le salon le plus célèbre d’Astrée et Céladon, deux
se

est celui de Catherine de bergers. Il est fait plusieurs fois


po

Rambouillet, qui reçoit aussi allusion à ce roman dans Cyrano


r
pu

bien le cardinal de Richelieu de Bergerac.


que le célèbre dramaturge Mlle de Scudéry (1607-1701) :
dy

Pierre Corneille. Dans Cyrano maîtresse de l’un des salons


tu

de Bergerac, Roxane incarne littéraires les plus à la mode,


rs

ces valeurs. Son vrai nom est elle est l’auteur du roman
Fo

Magdeleine Robin. Comme Clélie, dans lequel apparaît


elle, les précieuses choisissent la « Carte de Tendre », carte
parfois un nom d’emprunt allégorique des rapports
romanesque. À l’hôtel de amoureux.
Rambouillet, la maîtresse

1. On appelle « précieuses » les femmes


qui apprécient et pratiquent la préciosité.

318
LENQUÊTE

Les Précieuses, dessin de Nina Luec (née en 1984), 2014.

Roxane, une précieuse ridicule ?


En 1659, Molière crée Les Précieuses ridicules. Dans cette
comédie, les précieuses, ridiculisées, apparaissent comme
des femmes prétentieuses et naïves, qui préfèrent les métaphores
emphatiques de poètes hypocrites à l’expression simple
de sentiments vrais.
Cette pièce est évidemment une référence pour Rostand.
Toutefois, s’il reprend quelques traits de la satire de Molière,
il ne ridiculise pas la spirituelle Roxane.

319
La vie quotidienne sous Louis XIII

Portrait
du Cardinal
de Richelieu
(autour de 1640)
par Philippe
de Champaigne
(1602-1674).

320
LENQUÊTE

Arrêt sur image n° 1

• Présentation
Né en 1602 à Bruxelles, le peintre Philippe
de Champaigne choisit de s’installer
à Paris. Il entre au service de la famille
royale en 1628. Il est le seul peintre
autorisé à représenter le Cardinal
de Richelieu en habit de cardinal. Philippe de Champaigne,
Il le représente onze fois. autoportrait. Musée de Grenoble.

• Description « RAGUENEAU
Certes, je ne crois pas que
Armand Jean du Plessis, Cardinal
de Richelieu (1585-1642), est le jamais nous le peigne
principal ministre de Louis XIII Le solennel monsieur
à partir de 1624. Son inuence Philippe de Champaigne »
Cyrano de Bergerac (v. 104-105).
politique est grande. Intellectuel,
théologien, auteur de nombreux
écrits, grand lecteur, docteur en Sorbonne,
il fait reconstruire cette université dans laquelle il reposera.
Ce portrait en pied est destiné à la galerie des hommes
illustres du Palais-
Cardinal, que le ministre
t édier sur la place
As-tu bien observé ?

du Palais-Royal. 1 Montre que Richelieu tient


à donner de lui l’image
d’un homme puissant.
2 Que symbolise la couleur rouge
de sa robe, d’après toi ?

321
La vie quotidienne sous Louis XIII

Comment se bat-on
3 à l’époque de Louis XIII ?
Par bien des aspects, la vie sous Louis XIII est bruyante
et violente : les guerres y sont fréquentes, tout comme
les combats entre gentilshommes.

• La guerre
Au e siècle, les guerres entre la logistique s’améliore
la France et les autres États et le soldat manque plus
européens sont nombreuses. rarement de vivres, aux dépens
L’armée, dirigée par le roi, du tiers état (le peuple),
est formée de professionnels. soumis à de lourdes taxes pour
Elle est organisée en corps récolter les fonds nécessaires
d’eectifs réduits, comprenant à la vie quotidienne de l’armée.
des cavaliers et des fantassins.
À leur tête, des nobles Les mousquetaires
sont chargés de recruter et La compagnie des
de payer les soldats. Souvent, mousquetaires du roi,
l’approvisionnement vient qui sert de garde rapprochée
à manquer. La troupe doit alors au souverain, est créée
vivre des ressources du pays par Louis XIII en 1622. Ces
qu’elle occupe, allié ou ennemi. hommes portent un mousquet
Or, les armées sont le plus (arme à feu, ancêtre du fusil)
souvent accompagnées de et un uniforme particulier :
civils : vivandiers et charretiers un habit rouge et une casaque
transportant les vivres et les bleue ornée d’une grande croix
armes, valets au service des d’argent sur la poitrine
ociers, ou encore prostituées. et sur le dos.
À la n du règne de Louis XIII,

322
LENQUÊTE

Un duel célèbre
Le 12 mai 1627, François
de Montmorency-Bouteville,
un jeune aristocrate de 27 ans
qui compte déjà 22 duels à son
actif, se bat en duel avec
le marquis Bussy d’Amboise,
qu’il tue d’un coup d’épée au
cœur de la capitale, en plein
jour et en pleine rue. Bouteville
prend la fuite mais il est
arrêté et jugé. Condamné à la Duel de François de Montmorency-
Bouteville le 12 mai 1627 sur la place
peine capitale, il est décapité Royale, à Paris. Illustration de Maurice
devant une foule nombreuse. Leloir (1901). Collection privée.
Le cardinal de Richelieu venait de publier un édit punissant le duel
de la peine de mort, il s’agit donc d’une exécution pour l’exemple.

• Les duels d’honneur


À la cour du roi, les querelles futile2, de tuer ou d’être
entre gentilshommes sont tué, est considéré comme
nombreuses. Et lorsque un crime de lèse-majesté,
l’honneur est mis en jeu, ils un dé envers Dieu. L’Église
le défendent en recourant au prévoit l’excommunication3
duel1, qui ne se clôt qu’avec des duellistes, des témoins, et
la blessure ou la mort de l’un même des simples spectateurs.
des deux adversaires. Cette Louis XIII tente lui aussi de
pratique est sévèrement mettre n au duel par des édits
condamnée par l’Église : le (des lois), car c’est une façon
fait de décider, de sang-froid pour les nobles de passer outre
et pour un motif souvent son autorité.

1. Duel : combat à l’épée entre deux adversaires, soumis à des règles strictes.
2. Voici quelques motifs de duel : « préséance pour monter en carrosse », « souet »
(gie), « réclamation d’un chapeau prêté et non rendu », « traité d’ivrogne »…
3. Excommunication : exclusion de la communauté de l’Église. 323
La vie quotidienne sous Louis XIII

L’amour et l’argent :
4 comment se marie-t-on ?
Dans Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand met en scène
un mariage très romantique mais fort éloigné des pratiques
courantes de l’époque.

• Une aaire de famille


La plupart des mariages sont est d’éviter une mésalliance,
préparés de longue date par les l’union avec une personne
familles des ancés. Le mariage de rang inférieur, qui risque
est l’alliance de deux familles de compromettre le rang
plus que l’union de deux et la fortune de la famille.
individus. Le mariage du roi est le fruit
Pour les aristocrates, l’un des d’un accord entre les familles
principaux enjeux du mariage royales française et espagnole.

À quel âge peut-on


se marier ?
Depuis 1556, un édit royal fixe la majorité
matrimoniale (c’est-à-dire l’âge auquel
on peut se marier librement) à 30 ans
pour les hommes, et 25 ans pour les
femmes. Promis dès son enfance à Anne,
l’Infante d’Espagne, Louis XIII n’a que
12 ans quand le contrat de mariage est
signé et 14 lorsque le mariage est célébré.

Jean Chalette, Mariage de Louis XIII


avec Anne d’Autriche, Infante d’Espagne.
Huile sur toile, vers 1615. Musée des Augustins (Toulouse).

324
LENQUÊTE

• La célébration du mariage d’un arrangement entre les


familles et fait également
Le mariage est d’abord
un contrat, dans lequel est l’objet d’un contrat établi chez
notamment stipulé le montant le notaire. La dot y est tout
de la dot1. La cérémonie est aussi obligatoire, bien que
uniquement religieuse : les sommes versées soient
il est célébré par un prêtre moins élevées. Le mariage
en présence des époux et est également un enjeu
de quatre témoins. Le prêtre économique : à la campagne,
inscrit les noms, prénoms et les hommes attendent la mort
âges des nouveaux mariés sur de leurs parents pour se marier,
le registre paroissial. Le mariage an de pouvoir continuer à
est considéré comme un mener à bien les travaux des
sacrement, un engagement champs. De même, en cas de
des hommes devant Dieu, décès de leur épouse, ils se
que rien ne peut rompre. remarient rapidement. Ainsi,
malgré l’interdiction du divorce,
• Le mariage des roturiers les familles que l’on dirait
Le mariage des roturiers2 aujourd’hui « recomposées »
résulte lui aussi le plus souvent sont fréquentes.

Mariage et théâtre
28 pièces de Molière concernent le mariage forcé.
Dans Le Mariage forcé justement, le vieux Sganarelle,
bourgeois en mal de noblesse, veut épouser la belle
Dorimène. Il comprend trop tard qu’elle espère
être veuve très vite, et il se retrouve marié de force.
Dans les comédies-ballets, le père de famille dispose
librement de ses filles et veut les marier à l’homme
de son choix, pour progresser dans l’échelle sociale.

1. Dot : somme d’argent que la famille de la jeune lle s’engage à verser lors du mariage.
2. Roturiers : sous l’Ancien Régime, tous ceux qui ne sont pas nobles.
325
La vie quotidienne sous Louis XIII

Pierre Paul Rubens, L’Échange des deux princesses de France et d’Espagne sur la Bidassoa
à Hendaye, le 9novembre1615.
326 Huile sur toile, vers 1622. Musée du Louvre.
LENQUÊTE

Arrêt sur image n° 2

• Présentation
Marie de Médicis commande à Pierre
Paul Rubens un cycle de 21 tableaux
sur sa vie, en 1621. Le peintre a deux ans
pour réaliser cette œuvre imposante,
à la gloire de la veuve d’Henri IV.
L’un de ces tableaux représente
« l’échange » de deux princesses : Portrait de Marie de Médicis
par Rubens, 1622. Musée
Anne d’Autriche, Infante d’Espagne, du Prado.
qui épouse Louis XIII, et Isabelle de France,
sœur de Louis XIII, qui épouse Philippe IV d’Espagne.

• Description
Louis XIII et Anne d’Autriche se marient à 14 ans à peine.
Leur mariage est une aaire d’alliance politique.
Marie de Médicis veut asseoir le pouvoir de la France
en Europe. L’échange des princesses est organisé sur le pont
d’un bateau, sur la rivière d’Andaye, le 9 novembre 1615.

As-tu bien observé ?

1 Retrouve dans le tableau les éléments suivants :


a. la France vêtue d’un habit bleu eurdelisé, qui attrape
la nouvelle reine de France par le bras ;
b. l’allégorie de l’Espagne, symétrique à l’allégorie de la France ;
c. Anne d’Autriche, déjà vêtue d’une robe à la française ;
d. Élisabeth de France, vêtue d’une robe à collerette
espagnole.
2 Quels éléments suggèrent la gaité et l’abondance ?
327
Lexique
littéraire et dramatique
Acte Didascalie
Nom donné à chacune des Indication, gurant en
grandes parties d’une pièce italique dans le texte de
de théâtre. Le plus souvent, la pièce, sur le décor, les
le changement d’acte costumes, le ton ou les gestes.
correspond à un changement
de lieu. Dramaturgie
Art de composer des œuvres
Adresse théâtrales, choisir l’ordre
Étudier les adresses des péripéties, les enjeux,
au théâtre revient à se les relations entre
demander à qui est destinée les personnages.
une réplique : à un autre
personnage ? à soi-même ? Exposition
au public ? Début d’une pièce de
théâtre, où l’on présente
Allégorie les personnages et les
Figure de style qui consiste circonstances de l’action.
à représenter une idée
abstraite sous les traits Improviser
d’une personne. Jouer spontanément, sans
avoir appris de texte,
Aparté une situation donnée.
Réexion d’un personnage Les spectacles de la
prononcée à voix haute commedia dell’arte sont
qui n’est entendue que toujours improvisés.
des spectateurs.
Intrigue
Dénouement Ensemble des événements
Fin de la pièce, moment où qui constituent le nœud
tout s’explique et se résout. d’une pièce de théâtre.

328
Métaphore un hommage, ou avoir
Figure de style qui consiste une visée humoristique.
à comparer deux éléments
sans utiliser d’outil Péripétie
de comparaison. Changement de situation.
Mise en scène Protagoniste
Action de diriger Personnage important
les acteurs (mouvements, d’une pièce de théâtre,
intonations), choisir les d’un lm, d’un roman.
décors et les costumes pour
la représentation. Celui qui Quiproquo
dirige la mise en scène Situation où l’on prend
est le metteur en scène. une personne pour une autre,
où l’on comprend de travers
Monologue et qui génère des eets
Passage où un personnage comiques, parfois en cascade.
parle seul sur scène.
Réplique
Parodie Ce qu’un acteur doit dire
Une parodie reprend en une seule fois.
les personnages, les
situations, le cadre et Satire
le style d’une autre œuvre Écrit qui s’attaque
pour s’en moquer. à quelqu’un, à quelque
chose, en s’en moquant.
Pastiche
Imitation du style d’un Tirade
auteur, d’un artiste. Longue réplique, dans
Le pastiche peut être laquelle un personnage
développe une idée
un simple exercice de style, importante.

329
À lire et à voir
Situer Cyrano dans l’histoire du théâtre
André Degaine, Le Théâtre raconté aux jeunes
Nizet, 2006
Une histoire du théâtre passionnante, riche,
ludique et vivante.

Connaître Edmond Rostand


Alexis Michalik, Edmond
Albin Michel, 2016
Cette pièce de théâtre s’inspire de la vie réelle d’Edmond
Rostand. Alexis Michalik en a fait aussi une BD
(avec Léonard Chemineau, éd. Rue de Sèvres, 2018)
et un lm (2019).

D’autres pièces classiques à découvrir


William Shakespeare, Roméo et Juliette (1595)
L’histoire de deux amoureux légendaires.

Théophile Gautier, Regardez mais ne touchez pas (1847)


Le cheval de la Reine d’Espagne s’est emballé. Personne
ne se précipite à son secours, et pour cause ! Un homme
qui ose toucher la reine est puni de mort. Mais Béatrix,
sa suivante, promet sa main au sauveur, quel qu’il soit.
Une comédie de cape et d’épée au rythme étourdissant !

330
Victor Hugo, Ruy Blas (1838)
Don Salluste veut se venger de la reine d’Espagne qui l’a
humilié. Il met tout en œuvre pour qu’elle tombe amoureuse
de son laquais, Ruy Blas. Ce dernier, justement, est fou d’elle…

Duels en tous genres


Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires (1844)
D’Artagnan et ses trois amis, Athos, Aramis et Porthos,
se battent contre les agents de Richelieu, pour l’honneur
du roi et de la reine…
Théophile Gautier, Le Capitaine Fracasse (1853)
Sous le règne de Louis XIII, un jeune aristocrate, le baron
de Sigognac, s’engage dans une troupe de comédiens
ambulants et parcourt la France.
Jean-Philippe Arrou-Vignod et François Place,
Olympe de Roquedor
Gallimard Jeunesse, 2021
Olympe de Roquedor est en fuite. On veut la marier
contre son gré et s’emparer du domaine dont elle
est héritière…
Jean-Michel Payet, Mademoiselle Scaramouche
Folio Junior, 2014
Au e siècle, Zinia assiste à la mort de son père
tué en duel. Depuis ce jour, sous le masque
de Mlle Scaramouche, elle tente de percer le mystère
de son identité.

331
Cyrano au cinéma
Cyrano de Bergerac, télélm de Claude Barma (1960) avec Daniel
Sorano, Françoise Christophe, Michel Le Royer.
Cyrano de Bergerac, lm de Jean-Paul Rappeneau (1990) avec
Gérard Depardieu, Anne Brochet, Vincent Perez.

La pièce en DVD
Cyrano de Bergerac, mise en scène de Denis Podalydès (2006)
pour la Comédie-Française, avec Michel Vuillermoz et Éric Ruf.

Des films de cape et d’épée


Le Bossu, d’André Hunebelle (1959), avec Jean Marais ; autre
version de Philippe de Broca (1997), avec Daniel Auteuil.
Les Trois Mousquetaires a fait l’objet de très nombreuses
adaptations, dont le lm classique d’André Hunebelle (1953),
avec Bourvil et Georges Marchal.
Le Masque de fer, lm d’Henri Decoin (1962), inspiré des Trois
Mousquetaires et du Vicomte de Bragelonne, avec Jean Marais.
La Fille de d’Artagnan, de Bertrand Tavernier (1994), avec Philippe
Noiret, Claude Rich, Sophie Marceau.
S’inspirant des romans Les Trois Mousquetaires et Vingt ans après,
ce lm raconte les aventures de la lle du héros, aussi douée que
lui au maniement de l’épée.
Le Capitaine Fracasse (1961), lm de Pierre Gaspard-Huit, avec
Jean Marais, Louis de Funès, Philippe Noiret.
Fanfan la Tulipe, de Christian-Jaque (1952), avec Gérard Philipe ;
nouvelle version de Gérard Krawczyk (2003), avec Vincent Perez
et Penélope Cruz.

332
Table des crédits iconographiques
3h ph © Leonard de Selva / Bridgeman Images
3m ph © The Maas Gallery, London / Bridgeman Images
3b ph © Josse / Bridgeman Images
4 ph © Leonard de Selva / Bridgeman Images
5 Coll. Archives Hatier
9 Doc. Percy Anderson
12 ph © Sidonie Boiron
13 ph © Collectif Chapitre XIII, Conrad Allain
14-15 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
40 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
41 Coll. The Royal Academy of Arts, Londres
49 ph © Brigitte Enguerand / Divergence
51 ph © AGIP / Bridgeman Images
69 ph © Brigitte Enguerand / Divergence
75 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
81 © The Trustees of the British Museum, released as CC BY-NC-SA 4.0
116 ph © Pascal Victor / ArtComPress / Bridgeman Images
117 ph © M. Johnston coll. Davison Art Center, Wesleyan University
123 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
130 © Illustration de Rébecca Dautremer extraite de Cyrano © 2005 Gautier-Languereau /
Hachette Livre
131 ph © LightFieldStudios / iStock / Getty Images Plus
145 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
159 ph © Brigitte Enguerand / Divergence
205 ph © Pascal Victor / ArtComPress / Bridgeman Images
206 ph © Brigitte Enguerand / Divergence
207 Coll. Bibliothèque Nationale de France / Archives Hatier
233 ph © Brigitte Enguerand / Divergence
270 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
273 ph © matiasdelcarmine – stock.adobe.com
274-299 ph © Leonard de Selva / Bridgeman Images
300-309 ph © The Maas Gallery, London / Bridgeman Images
302 ph © PVDE / Bridgeman Images
307 ph © Bridgeman Images
310-311 ph © Josse / Bridgeman Images
313 ph © G. Dagli Orti / De Agostini Picture Library / Bridgeman Images
314 ph © Leonard de Selva / Bridgeman Images
315 ph © Granger / Bridgeman Images
317 Coll. Christophel © Camera One / CNC / DD Productions
319 © Nina Luec
320 ph © Archives Charmet / Bridgeman Images
321 Coll. Musée de Grenoble
323 ph © Josse / Bridgeman Images
324 ph © Bridgeman Images
326 ph © Josse / Bridgeman Images
327 ph © Boltin Picture Library / Bridgeman Images
330 h © Nizet, 2006
330 hm © Albin Michel, 2016
330 mb © Hatier Œuvres & thèmes, 2020
330 b © Hatier Classiques & Cie Collège, 2015
331 h © L’École des Loisirs, 2018
331 hm © Collection Folio Junior Textes classiques (n° 1690), Gallimard Jeunesse
331 mb © Gallimard Jeunesse, 2021
331 b © Collection Folio Junior (n° 1681), Gallimard Jeunesse

333
hatier-clic.fr/8446460

Distribution du lm pour l’adaptation de Cyrano par le Collectif Chapitre XIII :


– Cyrano : Younès Boucif – Valvert : Alex Dey
– Roxane : Marie Benati – De Guiche : Romé Tillier
– Lignière : Guillaume – Flanquin : Nicolas Monsavane
Villiers-Moriamé – Monteury : Guillaume
– Ragueneau : Samuel Labrousse Villier-Moriamé
– Le Bret : Anthony Martine – La duègne : Louise Hinderze
– Christian : Vincent Kambouchner

Direction éditoriale : Véronique Cabon-Tournier


Conception et coordination éditoriale : Adeline Ida
Édition : Éva Baladier
Relecture : Léonie Favier
Iconographie : Hatier Illustrations
Direction artistique : Nadia Fernandes
Illustrations : Camille Corbetto (p. 8-9 et 10-11)
et Patrick Deubelbeiss (p. 6-7)
Frise chronologique (p. 6-7) : Vincent Landrin
Cartographie : Légendes Cartographie (p. 151)
Principe de maquette : Marie-Astrid Bailly-Maître
Prépresse : Sandra Fauché
Mise en pages : Facompo
Fabrication : Olivier Rouyer
335
« CHRISTIAN, avec désespoir. – Il me faudrait de l’éloquence !
CYRANO, brusquement. – Je t’en prête !
Toi, du charme physique et vainqueur, prête-m’en :
Et faisons à nous deux un héros de roman !
Aussi habile à manier l’épée que les mots, Cyrano de Bergerac
»
aime en secret sa cousine, mais se juge trop laid pour en être aimé.
Dès lors, il se sacrifie au profit de Christian, auquel il prête
sa vivacité d’esprit pour charmer la précieuse Roxane.

a n s c e l i v r e ?
t r o u v e r d
Q u e va s - t u
 un AVANT-TEXTE
pour découvrir les personnages,  le TEXTE
l’auteur, son époque de la pièce illustré,
avec des missions
à accomplir
 une ENQUÊTE au fil de ta lecture
sur la vie
quotidienne
au temps
de Louis XIII  un PARCOURS
DE LECTURE
avec des repères,
 un GROUPEMENT des questionnaires,
TEXTES & IMAGES des ateliers
« Scènes de balcon
ou l’amour empêché »

i q u e e t le cata logue
guide pé d a g o g
Le
u e s - e t - cie - college
n s -hatie r.fr/classiq
www.editio

Illustration de couverture : Xavier Coste


Conception couverture : cedricramadier.com

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