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COURS D’ECONOMIE INDUSTRIELLE

Master en génie industriel

UE ENSPD – MAS – 412

Année académique 2023 - 2024

FGI Dr EWONDO
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Economie Industrielle 2023- 2024
PLAN DU COURS

Introduction à l’économie industrielle


Définition
Méthodes

Chapitre 1 : Introduction à la théorie des jeux


Section 1 Jeux sous forme normale
Section 2 Jeux sous forme extensive
Section 3 Jeux et information
Section 4 Applications

Chapitre 2 : Comportements stratégiques et performance des marchés


Section 1 De la concurrence pure et parfaite à la concurrence imparfaite
Section 2 La concurrence à la Bertrand
Section 3 La concurrence à la Cournot
Section 4 Concentration du marché et performance
Section 5 Fusions et politique de la concurrence

Chapitre 3 : Comportements stratégiques et différentiation des biens


Section 1 Des biens homogènes aux biens différenciés
Section 2 Différenciation horizontale et choix de localisation
Section 3 Différenciation horizontale et stratégie d’entrée
Section 4 Différenciation verticale et choix de qualité

Chapitre 4 : Comportements stratégiques et collusion sur les marchés


Section 1 Des cartels ouverts aux collusions secrètes
Section 2 Les obstacles à la collusion
Section 3 Les facteurs structurels et pratiques facilitant la collusion
Section 4 Collusion et politique de la concurrence

Chapitre 5 : Comportements stratégiques et information imparfaite sur les marchés


Section 1 Introduction à l’économie de l’information
Section 2 Comportements d'achats en information imparfaite
Section 3 Une application au commerce électronique
Section 4 Dissuasion à l'entrée, prédation et information imparfaite
Section 5 Prédation et politique de la concurrence

Chapitre 6 : Analyse stratégique des relations verticales

Références bibliographiques
Carlton D. et Perloff J. (1998), Economie industrielle, Edition Deboeck.
Tirole J. (1995), Théorie de l’organisation industrielle, Economica, Tomes 1 et 2.
Lecaillon J. (1988), Eléments d’économie industrielle, Edition Montchrestien.

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Economie Industrielle 2023- 2024
INTRODUCTION A L’ECONOMIE INDUSTRIELLE

1) Qu’est-ce que l’économie industrielle ?


L’économie industrielle est la discipline qui a pour but l’étude du système
productif et des stratégies de ses composantes. Elle comporte plusieurs
volets, relatifs aux stratégies des firmes, à leurs performances, aux
structurations de l’appareil productifs, mais aussi, aux stratégies des
pouvoirs publics.
Forcément, elle s’intéresse :
- Au fonctionnement des marchés et des industries
- A la façon dont les firmes se font concurrence sur ces marchés.
La microéconomie traditionnelle poursuit les mêmes objectifs, mais
l’économie industrielle approfondit l’analyse de la concurrence entre les
firmes en mettant l’accent aussi sur les variables non tarifaires telles que les
stratégies de publicité, de différenciation, d’investissements en R&D.
L’économie industrielle se concentre sur l’analyse des situations de
concurrence imparfaite, entre la vision utopique de la concurrence pure et
parfaite et le contre-exemple du monopole.
L’économie industrielle adopte une véritable approche, une approche
positive basée sur l’explication des faits, et une approche normative qui
suppose une construction de théories et une analyse du bien-être. Ce qui
permet à cette discipline de répondre aux questions suivantes :
- Quelle politique tarifaire ?
- Quel positionnement de ses produits ?
- Comment entrer ou se maintenir sur un marché ?

2) A quoi sert l’économie industrielle


L’économie industrielle fournit des outils d’analyse conceptuelle pour
analyser les marchés et les stratégies des firmes : il s’agit principalement de
comprendre, évaluer et anticiper. Ces outils sont indispensables pour les
entreprises et les cabinets de conseil en stratégie qui analysent et anticipent
les comportements des entreprises sur les marchés. Ces outils concernent
aussi les autorités de régulation (ART, ARSEL, …) et les autorités de la
concurrence (conseil national de la concurrence) qui interviennent pour

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éviter les conséquences négatives auxquelles peut conduire le pouvoir de
marché.

3) Le développement de l’économie industrielle


La construction de vastes empires industriels dans la deuxième moitié
du 19e siècle a suscité de nombreux mécontentements et des discussions
animées dans le monde politico-économique aux USA. La question majeure
était de savoir quelle forme d’organisation était la meilleure pour la société.
Pour la théorie économique, la réponse était claire : la concurrence pure et
parfaite, un mode d’organisation qui repose que l’existence d’un très grand
nombre de producteurs effectivement en concurrence les uns avec les
autres. L’allocation optimale des ressources était alors assurée. Mais, les
monopoles naturels (examinés plus loin) ne répondaient pas à cette
dynamique, du fait de l’importance des coûts fixe et la présence d’économies
d’échelle.
Toutefois, il fallait éviter que ne survive le capitalisme sauvage,
caractérisé par les moments de concentration, dans une optique
darwinienne de sélection naturelle selon laquelle seuls les meilleurs
survivent (exemple évolution du marché d’Internet au Cameroun). C’est dans
cette optique que sera votée en 1890 la première loi antitrust de l’histoire, le
"Sherman Act" dans le cadre de la pô de la concurrence. Le Sherman Act
prohibe le monopole et la tentative de monopolisation, il interdit toute forme
de collusion, il prévoit que les contrevenants peuvent être condamnés à
verser aux personnes lésées jusqu’à trois fois le montant des préjudices dont
ils sont responsables.
L’objectif des lois antitrust est donc de préserver la concurrence sur
les marchés, de lutter en particulier contre les ententes et les abus de
position dominante.
Ces différentes questions d’économie industrielle seront d’abord
discutées d’une façon très empirique, puis à partir des années 30, selon une
démarche méthodologique codifiée par des auteurs tels que MASON, BAIN,
CHAMBERLIN, dans le cadre de l’école de HARVARD.

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Cette école se développe pour essayer de fournir des lignes directrices
à la politique de la concurrence. Elle cherche à déterminer si on peut inférer
qu’un comportement est illégal à partir de certaines caractéristiques comme
la taille des entreprises. C’est pourquoi elle utilise le paradigme SCP :
structure – comportements – performance. Autrement dit, la structure du
marché (nombre de vendeurs, différenciation, coûts…) influence le
comportement des entreprises (prix, investissements, …) ce qui détermine la
performance du marché (efficacité, variété, …)
La seconde vague du développement de l’économie industrielle se situe
dans les années 70, grâce à l’école de Chicago. Le paradigme SCP est remis
en cause, en raison d’une absence de confirmation empirique concluante.

Notes : explication du triptyque SCP


Le point de départ du raisonnement est le suivant :
L’intérêt général exige de la part des producteurs des B et S la plus
grande efficacité au niveau de la production (en termes de quantités, qualité
et prix), du progrès technique, de l’allocation des ressources et de l’emploi. Si
cet idéal d’efficacité (qui est conforme à ce que donnerait la concurrence pure
et parfaite) n’est pas atteint, c’est qu’il y a des distorsions qu’il faut localiser,
supprimer ou sanctionner, au niveau des comportements ou des structures,
à moins que les conditions de base elles-mêmes n’impliquent une
organisation particulière de l’industrie (cas des monopoles naturels par
exemple).
Difficulté opérationnelle : comment évaluer les performances et
surtout, l’écart qui peut exister entre la réalité et un optimum virtuel,
généralement non mesurable.
Pour les tenants de cette école (Posner, Bork, Peltzman, Stigler…), le
mécanisme régulateur du marché est la libre concurrence entre les
entreprises. Ils prônent peu d’actions sur la structure. Mais l’école de
Chicago manque des outils nécessaires pour décrire les interactions
stratégiques.
Les années 80 vont vois l’avènement de la nouvelle économie
industrielle. D’après Schmalence, la nouvelle économie industrielle a pour

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objet une théorie pure de l’économie industrielle, permettant d’analyser les
marchés réels, mais sans liens avec les faits particuliers. Elle analyse les
conflits stratégiques entre les entreprises à l’aide de la théorie des jeux non
coopératifs. Comportements, structure et performance s’influencent
mutuellement. Elle a donc recours à la modélisation, sur la base des
propositions théoriques et des tests empiriques.

4) Comment fait-on de l’économie industrielle ?


En économie industrielle, on développe des modèles assez généraux et
simples, pour qu’ils puissent s’appliquer à l’analyse d’une grande variété de
cas.
Exemple 1: La publicité sur les chaînes publiques
Le contexte : décision de supprimer la publicité sur les chaînes publiques
d’ici 2012 et de financer la télévision publique par une taxe de 0,9% sur le
chiffre d’affaire des fournisseurs d’accès Internet (FAI) et sur les chaînes
privées.
Après l’annonce faite par Nicolas Sarkozy le 08 Janvier 2008, les cours
de bourse de TF1 et de M6 s’étaient envolées, de 10% et 45 %
respectivement.
Question : cette envolée est-elle justifiée ?
- Pour la presse, TF1 et M6 vont se partager les 800 millions d’euros
environ de recettes publicitaires de France Télévision.
- "L’effet d’aubaine de cette éventuelle réforme pour les deux chaînes
privées n’a échappé à personne. Elles récupéreraient, dans ce cas, une
bonne part des recettes publicitaires engrangées par France Télévision
– 760 millions d’euros en 2007".
Question : Est-ce une bonne analyse de l’économie du marché de la
télévision ?
- Quels pourraient être les effets de la suppression de la publicité sur
les chaînes de télévision publique ?
 D’autres chaînes pourraient attirer les annonceurs ?
 D’autres supports médias ? Presse ? Internet ?
 Effet sur le prix d’un espace publicitaire ?

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 Prise en compte des "contraintes de capacités" (espaces
limités) ?
 Effet de la suppression de la publicité sur l’audience du service
public ?
Conclusion : l’économie industrielle fournit des outils qui permettent
d’analyser ce type de question : modèles de concurrence, de réaction
stratégique, etc.

Exemple 2 : Une 4ème licence mobile


Le contexte : Une quatrième licence mobile n’a pas (encore) été attribuée.
- Un quatrième entrant est vu comme une bonne chose pour stimuler la
concurrence sur le marché des mobiles, un marché souvent considéré
comme "peu dynamique".
- Mais ce quatrième entrant partira en retard par rapport aux trois
premiers.
 Investissements nécessaires
 Réactions des trois opérateurs ?
- En économie industrielle, on considère d’autres dimensions dans la
concurrence que le prix : les investissements en capitaux, en R&D…
- Pour "stimuler la concurrence", on laisse se construire un quatrième
réseau : cette duplication des équipements est-elle souhaitable ?
- Le critère d’efficacité : le bien-être social.

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Chapitre 1 : INTRODUCTION A LA THEORIE DES JEUX
NON COOPERATIFS

Structure → Comportement →Performance


Structure ↔ Comportement ↔Performance

Introduction de la théorie des jeux en vue de tenir compte des comportements


stratégiques
Quelle est la structure de marché qui résulte du comportement non-coopératif des
firmes ?
Non – coopératif : Chaque firme prenant sa décision de manière à obtenir la meilleure
situation pour elle et sans chercher la coordination avec les autres.
Jeux non – coopératifs : Caractéristiques
 un petit nombre d’agents (les joueurs) qui interagissent ;
 les décisions de chaque agent influencent les gains des autres ;
 la prise en compte de l’information dont chaque agent dispose au moment de prendre
sa décision ;
 la prise en compte du déroulement des décisions dans le temps (décisions simultanées
ou séquentielles).

Les décisions simultanées sont en général représentées sous la forme d’un tableau (jeux en
forme normale) et les décisions séquentielles, sous la forme d’un arbre de jeu (jeux en forme
extensive).

1.1 Jeux sous forme normale

1.1.1 Définition d’un jeu

La définition suivante introduit les composants d’un jeu.


Définition 1 Un jeu est décrit par les éléments suivants :

1. Un ensemble de N joueurs : I ={1,2 , … N} .


2. Pour chaque joueur i, i ∈ I, un ensemble de stratégies Ai , qui contient toutes les
stratégies possibles de ce joueur. ai ∈ Ai est une stratégie particulière du joueur i.
Par conséquent, Ai = {ai1 , ai2 , … , aiki } si k i stratégies sont disponibles pour le joueur i.
Si chaque joueur i choisit une stratégie ai nous pouvons représenter le résultat (ou
profil de stratégies) du jeu par un vecteur qui contient toutes ces stratégies : a ≡
(a1 , a2 , … , aN ).
3. Pour chaque joueur i, une fonction de gain, πi , qui donne la valeur pour le joueur i de
chaque résultat du jeu : πi (a) . C’est un nombre réel :

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πi : A = X Ai → R
i∈ I
a ≡ (a1 , a2 , … , aN ) → πi (a).
Exemple 1 : Le dilemme du prisonnier
Deux individus (Jacques et Pauline) sont arrêtés par la police pour complicité dans un
vol à main armée et ils sont enfermés dans deux cellules séparées sans possibilité de
communication.
Chaque individu est interrogé séparément et il a le choix entre nier d’avoir commis le vol ou
avouer l’avoir commis avec son complice.
Nous avons donc un jeu non - coopératif avec :
N = 2 joueurs, I = {1, 2} = { Jacques, Pauline}.
L’ensemble de stratégies de chaque joueur est A1 = A2 = {nier, avouer}.

Il y a donc 4 résultats possibles du jeu


(a1 = nier, a2 = nier), (nier, avouer),
A= { }
(avouer, avouer), (, avouer, nier)

Les gains des individus représentent leur situation qui résulte des années de prisons
auxquelles ils sont condamnés en fonction de leurs aveux et ils sont négativement liés avec
ces années.
 Si jacques et pauline avouent tous les deux leur crime ils sont condamnés à 8 ans de
prison.
 S’ils le nient tous les deux, ils auront 1 année de prison du fait d’absence de preuves
accablantes.
 Si l’un seul avoue, il est relâché en récompense de sa coopération et l’autre est
condamné à 10 ans de prison.
Nous avons donc les gains (symétriques) suivants :
 π1 (nier, nier) = π2 (nier, nier) = −1,
 π1 (nier, avouer) = π2 (avouer, nier) = −10,
 π1 (avouer, nier) = π2 (nier, avouer) = 0,
 π1 (avouer, avouer) = π2 (avouer, avouer) = −8.
Nous pouvons alors représenter ce jeu sous forme normale, sous la forme d’un tableau :

Pauline
Nier Avouer
Nier (−1, −1) (−10, 0)
Jacques
Avouer (0, −10) (−8, −8)

Dilemme du prisonnier

Remarques :

1. Il ne faut pas confondre la stratégie d’un joueur individuel a i et le résultat a qui est une
combinaison particulière des stratégies de tous les joueurs.
2. Dans notre définition d’ensemble de stratégies, il y a un nombre fini k i de stratégies pour
chaque agent mais en économie, les ensembles de stratégies sont en général continus et
contiennent une infinité de stratégies possibles (choix de quantités, de prix, etc…)

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3. Les gains représentent en général des utilités ordinales et non des sommes monétaires. En
économie industrielle, néanmoins, les gains des firmes correspondent souvent à des profits.

La formulation sous la forme d’un jeu permet de clarifier une situation conflictuelle.
Il nous faut en plus comprendre à quel type de solution ce jeu peut nous conduire.
Pour déterminer cette solution, nous devons étudier l’équilibre du jeu.

1.1.2 Concepts d’équilibre


Parmi l’ensemble des résultats possibles nous devons déterminer ceux auxquels le jeu
peut aboutir : les résultats d’équilibre. Nous pouvons alors prédire les situations auxquelles ce
jeu va conduire.
La solution idéale correspond à un équilibre unique. Dans ce cas nous pouvons
précisément prédire la solution de cette situation conflictuelle.
Néanmoins on a souvent des équilibres multiples. Parfois il n’existe même pas
d’équilibre.
Avant de passer à l’étude des concepts d’équilibre, introduisons une notation
supplémentaire.
Considérons le résultat du jeu qui contient les stratégies de tous les joueurs sauf i.
Nous pouvons alors le noter de la manière suivante :
a−i = (a1 , a2 , … , ai−1 , ai+1 … , aN ), a−i ∈ Xj≠i Aj

⇒ a = (ai , a−i ).
Nous pouvons maintenant introduire les concepts d’équilibre que nous allons utiliser.

Equilibre en stratégies dominantes

C’est le concept d’équilibre le plus intuitif mais le plus exigeant.

Définition 2 :
Une stratégie particulière. (â i ∈ Ai ) d’un joueur est une stratégie dominante du joueur i
si, quelles que soient les stratégies choisies par les autres joueurs, â i maximise le gain de i :
πi ( â i, a−i) ≥ πi(a i, a−i), ∀ai ∈ A−i , a−i ∈ A−i .

Dans le jeu de notre exemple :

Pauline
Nier Avouer
Nier (−1, −1) (−10, 0)
Jacques
Avouer (0, −10) (−8, −8)

« avouer » est une stratégie dominante de Jacques et de Pauline.


Un équilibre en stratégies dominante et un résultat où tous les joueurs jouent une
stratégie dominante.

Définition 3 :
Un résultat ( â1, â2,…,âN ) (âi ∈ Ai ,i = 1..N) est un équilibre en stratégies dominantes si âi
est la stratégie dominante de chaque joueur i.

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Dans notre exemple (avouer, avouer) est un équilibre en stratégies dominantes car avouer
est la stratégie dominante de chaque joueur.
Quand il existe et il est unique, ce type d’équilibre nous fournit une prédiction très claire
et intuitive sur le résultat d’un jeu.
En fait il est assez proche de la manière dont les acteurs économiques interagissent dans
le monde réel.
Malheureusement, ce type d’équilibre n’existe que pour très peu de jeu.

Exemple 2 : La bataille des sexes.


Paul et jacqueline doivent décider comment organiser leur soirée.
Ils ont le choix entre aller à un match de football (F) ou au cinéma (C).
Pour les deux, ce qui compte avant tout, c’est d’être ensemble.
Néanmoins, jacqueline a une préférence pour le football et Paul pour le cinéma.
Le tableau suivant représente ce jeu. Les gains correspondent à des utilités.

Jacqueline
C F
C (2,1) (0, 0)
Paul
F (0,0) (1,2)

Bataille des sexes


On appelle aussi ce type de jeu, un jeu de coordination.
Par exemple le choix de standards de télévision ou de lecteur de disquette des Macs et
des PCs correspondent à ce type de jeux. Chaque constructeur voudrait imposer son propre
standard mais en cas de désaccord, les consommateurs pourraient refuser d’acheter le produit.
Ce jeu ne comporte pas de stratégies dominantes.
Nous devons donc introduire un autre concept d’équilibre pour pouvoir prédire la solution de
ce type de jeux.

Equilibre de Nash (EN) (1951)


John Nash a généralisé le concept d’équilibre de Cournot.
C’est le concept d’équilibre le plus couramment utilisé et il est à la base d’autres concepts
d’équilibre qui ont été développés plus récemment.
Définition 4 Un résultat 𝑎∗ = 𝑎∗1 (𝑎∗1 , … , 𝑎∗N )
(a*i ∈ Ai, i = 1…N) est un équilibre de Nash si aucun joueur n’a intérêt à dévier
unilatéralement de sa stratégie 𝑎∗i quand les autres joueurs continuent à jouer 𝑎∗−i . Par
conséquent, pour tout joueur i = 1 … N, nous devons avoir :
πi (𝑎∗i , 𝑎∗− i ) ≥ πi (𝑎i , 𝑎∗− i ), ∀𝑎i ∈ Ai .

Pour tester si un résultat a est un équilibre de Nash, nous devons vérifier si un des joueurs
au moins n’a pas intérêt à choisir une autre stratégie. Si ce n’est pas le cas alors a et un EN.
Reprenons l’exemple du dilemme du prisonnier :

Pauline
Nier Avouer
Nier (−1, −1) (−10, 0)
Jacques
Avouer (0, −10) (−8, −8)

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(nier, nier) n’est pas un équilibre de Nash car
π1 (nier, nier) = −1 < 0 = π1 (avouer, nier)

Nous savons que (avouer, avouer) est un équilibre en stratégies dominantes. C’est aussi un
EN :
π1 (avouer, avouer)=−8  10 = π1 ( nier, avouer)
π2 (avouer, avouer)=−8  10 = π2 (avouer, nier)

Proposition 1 :
Tout équilibre en stratégies dominantes est aussi un EN mais chaque EN n’est pas
nécessairement un équilibre en stratégies dominantes.

Multiplicité de l’EN
L’équilibre de Nash n’est pas nécessairement unique.
Reprenons l’exemple de la bataille des sexes.

Jacqueline
C F
C (2,1) (0, 0)
Paul
F (0,0) (1,2)

Dans ce jeu (C, C)et (F, F) sont des EN


Dans ce cas, nous ne sommes pas capables, sans aucune information supplémentaire, de
prédire quelle sera exactement la solution du jeu. Les deux résultats sont également
vraisemblables.

Non-existence de l’EN
Il n’existe pas nécessairement un équilibre de Nash pour les jeux où les stratégies sont
des actions directes des joueurs.
Si l’on reprend la bataille des sexes mais après 30 ans de mariage.

Jacqueline
C F
C (2,0) (0, 2)
Paul
F (0,1) (1,0)

Bataille des sexes 2

Dans ce cas, le désir de Jacqueline de passer ses soirées avec Paul a disparu avec le temps,
tandis que Paul a gardé son amour romantique et il préfère toujours être avec Jacqueline à être
seul. Dans ce jeu il n’existe pas d’EN.
Il est possible de déterminer l’équilibre de Nash d’un jeu en utilisant les fonctions de
meilleures réponses des joueurs.

Fonctions de meilleures réponses


Définition 5
Dans un jeu à N joueurs, la fonction de meilleure réponse du joueur i, Ri (a−i ) associe, à
chaque combinaison de stratégies des autres joueurs a−i , la stratégie du joueur i qui
maximise son gain :

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πi (R(a−i ), a−i ≥ πi (ai , a−i ), ∀ ai ∈ Ai , a−i ∈ A−I .

Construisons la fonction de meilleure réponse de Paul et de Jacqueline dans le jeu initial


de Bataille des sexes.

Jacqueline
C F
C (2,1) (0, 0)
Paul
F (0,0) (1,2)

2
 Pour Paul : R1 (a2 ) = { 0 si a2 = 0
F si a = F

1
 Pour Jacqueline : R2 (a1 ) = { C si a1 = C
F si a = F

Proposition 2
si a∗ et un EN, a∗i = Ri (a∗ −i ), ∀i = 1 … N.

Dans un duopole de Cournot, les fonctions de réactions sont les fonctions de meilleures
réponses des firmes dans un jeu où les stratégies sont des quantités produites.
L’équilibre de Cournot (et de Nash) correspond à l’intersection des courbes de réaction
où chaque firme produit de manière à maximiser son profit étant donnée la quantité de son
concurrent.
La recherche de l’équilibre de Nash est donc équivalente à la recherche d’un point
d’intersection entre les fonctions de meilleures réponses de tous les joueurs.
Dans l’exemple précédent, nous avons
a∗1 = C = R1 (C), a∗2 = C = R2 (C),
a∗1 = F = R1 (F), a∗2 = F = R2 (F).
Par conséquent (C, C) et (F, F) sont des EN de ce jeu.

1.1.3 Résultats du jeu et bien-être social


Les concepts d’équilibre correspondent à des mécanismes particuliers de coordination des
stratégies individuelles.
Dans les jeux non-coopératifs, chaque joueur cherche unilatéralement à améliorer sa
situation individuelle.
Est-ce que la solution qui est donnée par l’équilibre est un mécanisme de coordination
efficace ?
Pour répondre à cette question nous allons utiliser le concept d’efficacité parétienne et le
concept d’optimum de Pareto.
Nous pouvons définir ces concepts dans le cadre de nos jeux.

Définition 6 : Efficacité au sens de Pareto.


1. Le résultat 𝑎̂ Pareto-domine le résultat 𝑎 si :
𝜋 𝑖 (𝑎̂) ≥ 𝜋 𝑖 (𝑎) ; ∀𝑖 et ∃𝑗, 𝜋 𝑗 (𝑎̂) > 𝜋 𝑗 (𝑎)

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2. Un résultat a* est un optimum de Pareto s’il n’existe pas un autre résultat qui le
Pareto-domine.
3. Les résultats 𝑎̂ et 𝑎 ne sont pas Pareto-comparable si
∃𝑖, 𝜋 𝑖 (𝑎̂) > 𝜋 𝑖 (𝑎) et ∃𝑗 ≠ 𝑖, 𝜋 𝑗 (𝑎̂) < 𝜋 𝑗 (𝑎).
Dans le dilemme du prisonnier (avouer, avouer) et un EN mais le résultat (nier, nier)
Pareto-domine cet équilibre.
Un EN n’est pas nécessairement un optimum de Pareto.
Dans la bataille de sexes, les résultats (C, C) et (F, F) ne sont pas Pareto-comparables.

1.2 Jeux sous forme extensive


La forme normale est surtout adaptée à la représentation des jeux simultanés.
Nous allons maintenant nous intéresser à des jeux séquentiels où les décisions sont prises à
des moments différents et chaque peut être amené à jouer plusieurs fois.
Pour représenter ces jeux où le déroulement du temps est important, nous allons utiliser la
forme extensive ou l’arbre du jeu.

Exemple 3 : Le pilot et le terroriste


Un terroriste monte sur l’avion Strasbourg-Paris.
Après 10mn de vol, quand le terroriste s’approche du pilot et le menace de faire exploser
l’avion s’il ne n’atterrit pas à Damas.
Le pilote a le choix entre continuer le vol vers Paris ou d’adopter la direction de Dames : aP =
{ P, D}.
Après avoir observé le choix du pilote, le terroriste a le choix entre faire exploser la bombe ou
abandonner : aT {B, N}.
L’arbre suivant représente ce jeu : Joueur :
Le pilote

IID IIP Le
nntterrorist
e

πP = −1 πp = 1 πP = −1 πP = 2
πT = −1 πT = 1 πT = −1 πT = 0

Le premier nœud de cet arbre représente la décision du premier joueur.


A la suite de chacun de ses choix, la possibilité est donnée au joueur suivant d’effectuer son
choix.
Une fois que tous les joueurs ont pris leurs décisions, on arrive à un résultat du jeu auquel les
gains correspondants sont associés.
Ainsi l’arbre permet-il de faire apparaître les gains associés aux différents résultats possibles.

Définition 7
Un jeu en forme extensive est donné par :

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1. Un arbre de jeu contenant un nœud initial, des nœuds de décisions, des nœuds terminaux et
des branches reliant chaque nœud à ceux qui lui succèdent.
2. Un ensemble de N ≥ 1 joueurs, indicés par i = 1,2 … N.
3. Pour chaque nœud de décision, le nom du joueur qui a le droit de choisir une stratégie à ce
nœud.
4. Pour chaque joueur i, la spécification de l’ensemble des stratégies permises à chaque nœud
où il a le droit de prendre une décision.
5. La spécification des gains de chaque jeu à chaque nœud terminal.

1.2.1 Définition des stratégies et des résultats dans les jeux en forme extensive
Comme chaque peut être amené à prendre de décisions plusieurs fois (donc à des nœuds
différents) nous devons préciser le concept de stratégie pour en tenir compte.
Une stratégie du joueur i (notée s i ) est un plan d’action complet qui spécifie une action
pour chaque nœud où le joueur doit adopter une décision.
Retour à l’exemple
Le pilote n’a qu’un seul nœud de décision.
Ses stratégies contiennent alors une action unique :
s P = {D, P}.
Le terroriste a deux nœuds de décisions : un après le choix de Dames par le pilote (IID ) et un
après Paris(IIP ) .
Ses stratégies doivent donc préciser une action à chacun de ces nœuds :

S T = {(B(IID) ,B(IIP) ), (B, N), (N, B), (N, N)}

Un résultat du jeu est la combinaison des stratégies des différents joueurs de manière à nous
permettre de faire dérouler totalement le jeu :
S = {(D, BB), (D, BN), (D, NB), (D, NN),
(P, BB), (P, BN), (P, NB), (P, NN)}
Nous pouvons alors associer un nœud terminal et les gains correspondants pour chaque
résultat.
πP (D, BB) = 1, πT = (D, BB) = 1,
πP (P, NN) = 2, πT = (P, NN)= 0.

1.2.2 La représentation en forme normale d’un jeu en forme extensive


La définition des stratégies que nous venons d’introduire nous permet de représenter aisément
ce jeu sous une forme normale :

Terroriste (T)
(BB) (BN) (NB) (NN)
Pilote (P) D (1, 1 ) (1, 1 ) (1, 1 ) (1, 1 )
P (1, 1 ) (2,0 ) (1, 1 ) (2,0 )

Nous pouvons alors examiner les équilibres de ce jeu :


 le pilote n’a pas de stratégie dominante.
 Le terroriste a une stratégie faiblement dominante : (NN)
 La meilleure réponse du pilote face à cette stratégie est P
 Une issue possible du jeu est donc (P, NN).

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C’est aussi un équilibre de Nash
Malheureusement ce n’est pas le seul.
(P, BN) et (D, NB) sont aussi des équilibres de Nash
Nous ne pouvons donc pas prédire précisément l’issue du jeu. Nous devons trouver un
moyen de discriminer parmi ces équilibres de Nash et d’affiner nos prédictions, en
nous concentrant sur l’issue la plus probable.
Un nouveau concept d’équilibre va permettre ce résultat.

1.2.3 Sous-jeux et équilibre parfait en sous-jeux (EPSJ) – Selten (1975)


L’équilibre de Nash (D, NB) est soutenue par la menace du terroriste de faire exploser
l’avion si le pilote décide de prendre la direction de Paris. Est-ce raisonnable ?
En effet, si le pilote décide effectivement d’aller à Paris le terroriste a les gains suivants :
πT = (N) = 0, πT = (B) = 1.
Devant le fait accompli, le terroriste choisira donc de ne pas exploser la bombe.
Par conséquent, s’il était amené d’exécuter effectivement sa menace (suite au choix de Paris),
il n’aurait pas intérêt à le faire.
Par conséquent, cet équilibre de Nash est basé sur une menace non-crédible.
Nous ne devons donc pas tenir compte de cet équilibre de Nash.
Le concept d’EPSJ vise justement à éliminer ce type d’équilibre basé sur des actions qui ne
seront jamais adoptées si le joueur concerné est effectivement confronté à ce choix.
En fait, chaque fois que le terroriste doit choisir entre faire éclater la bombe et
abandonner, il aura intérêt à abandonner pour obtenir un gain plus élevé.
Nous devons donc éliminer tous les équilibres qui contiennent cette action (P, BN) et (D,
NB). Le seul EPSJ de ce jeu est donc (P, NN).
Pour éliminer cette menace non-crédible, nous avons étudié le choix optimal de
terroriste chaque fois qu’il devait prendre une décision (donc à chacun de ses nœuds de
décisions).
Nous pouvons généraliser cette démarche en introduisant le concept de sous-jeu.
Un sous-jeu et l’ensemble formé par un nœud de décision du jeu original et tous les nœuds
qui en découlent directement. Quand ce sous-jeu est différent du jeu original, on l’appelle un
sous-jeu propre.
Le jeu de notre exemple possède clairement trois sous-jeux : le jeu original et deux
sous-jeux propres.

πP = 1 πP = 2 πP = −1 πP = 1

πT = −1 πP = 0 πT = −1 πT = 1

Un résultat est un équilibre parfait en sous-jeux (EPSJ) s’il correspond à un équilibre


de Nash dans chaque sous-jeu du jeu original.
Par conséquent, un EPSJ doit être un équilibre de Nash du jeu original car ce dernier
correspond à un des sous-jeux.

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Naturellement, chaque équilibre de Nash du jeu original n’est pas nécessairement un
EPSJ comme l’a montré notre exemple. Le seul EPSJ est (P, NN).
Pour chercher les EPSJ d’un jeu on utilise l’induction vers l’amont (backward induction).
 On commence par chercher les équilibres de Nash des sous-jeux les plus proches des
nœuds terminaux et on remplace ces sous-jeux par les résultats d’équilibre correspondant.
 On remonte alors vers les sous-jeux qui contiennent ces sous-jeux terminaux et on
recommence l’opération jusqu’à ce que l’on atteint l’équilibre de Nash du sous-jeu qui
découle du nœud initial.
 Dans l’exemple, nous devons remplacer chaque sous-jeu par le résultat correspond au
choix d’abandonner par le terroriste car cela correspond à son action optimale.

πP = 1 πP = 2

πT = 1 πT = 0

Le pilote choisit alors de continuer vers Paris et nous avons l’équilibre (P, NN)

1.3 Jeux et information

Parfois un joueur qui doit prendre une décision ne connait pas les choix effectués par
les joueurs qui ont joué avant lui.
Dans ce cas, il ne connaît pas parfaitement le nœud auquel il se situe.
Si dans le jeu de notre exemple le terroriste n’est pas capable de déterminer la direction prise
par le pilote, il n’est pas capable de distinguer le nœud II D du nœud IIP.
Nous dirons alors que ces deux nœuds appartiennent au même ensemble
d’information.
Un ensemble d’information d’un joueur est la collection de tous les nœuds pour
lesquels il doit choisir une action. Quand le joueur atteint un de ces ensembles d’information,
il connaît parfaitement à quel ensemble il se situe. Mais si cet ensemble contient plus d’un
nœud, il n’est pas capable de distinguer entre ces nœuds.
On représente un ensemble d’information en reliant par une courbe en pointillée les nœuds
qui appartiennent à cet ensemble.
Dans le cas de notre exemple :

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πP = 1 πP = 1 πP = 1 πP = 2
πT = 1 πT = 1 πT = 1 πT = 0

Nous avons alors un jeu en information imparfaite.

Définition 8
Un jeu en forme extensive est :

1. un jeu avec information imparfaite si au moins un ensemble d’information contient plus


d’un nœud.
2. Un jeu en information parfaite si chaque ensemble d’information est réduit à un seul
nœud.
Pour pouvoir analyser des jeux en information imparfaite, nous devons adapter le
concept de stratégie pour tenir compte de l’incapacité des joueurs à distinguer entre les nœuds
d’un même ensemble d’information.
Dans un jeu avec information imparfaite, une stratégie d’un joueur doit préciser une
action à choisir pour chaque ensemble d’information de ce joueur.
Dans un jeu avec information parfaite, cette définition de la stratégie coïncide avec
celle que nous avons déjà introduite, car dans ce cas, chaque ensemble d’information
correspond à un nœud de décision du joueur.
La présence d’une information imparfaite modifie aussi la définition des sous-jeux.
En fait, le terroriste ne pouvant plus distinguer II D de IIP, on ne peut plus considérer que nous
avons des sous-jeux différents à résoudre séparément.
Un sous-jeu est un ensemble d’information qui contient un seul nœud et tous les
nœuds qui en découlent, tant que ces nœuds n’appartiennent pas à un ensemble d’information
contenant un autre nœud qui ne peut être atteint à partir du nœud initial.
Dans notre exemple IIP appartient à un ensemble d’information qui contient aussi II D
et ce dernier ne peut découler de IIP.
Dans le jeu suivant A, D et G sont des nœuds à partir desquels démarrent des sous-jeux.

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B, C, E et F ne sont pas des nœuds initiaux de sous-jeux car l’ensemble d’information qui
contient E contient aussi F et F ne découle pas de B et E ne peut découler de C.
Dans le jeu en information imparfaite du pilote et du terroriste, les stratégies du pilote
contiennent de nouveau une seule action
S P = {D, P}.
Pour le terroriste, chaque stratégie doit spécifier une action pour chaque ensemble
d’information.
Mais maintenant, il n’a plus qu’un seul ensemble d’information et donc chaque stratégie doit
spécifier une seule action pour IID et IIP
S T = {B, N}.
L’ensemble de stratégies du jeu ne contient plus que quatre éléments.

S = {(D,(II B
), (D, N), (P, B), (P, N)}.
D +IIp )

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Chapitre 2 : COMPORTEMENTS STRATEGIQUES
ET PERFORMANCE DES MARCHES

Section 1 : De la concurrence pure et parfaite à la concurrence


imparfaite
Le modèle de concurrence pure et parfaite (CPP) développé par les classiques et les
néoclassiques est la condition du bon fonctionnement du marché. COURNOT (1801 – 1877)
va d’ailleurs démontrer que l’écart entre prix et coût de production est d’autant plus réduit que
le nombre de producteur tend vers l’infini. Le modèle CPP nécessite 5 conditions :

 Atomicité des acheteurs comme des vendeurs ;


 Homogénéité : production échangée identiquement, bien parfaitement substituables ;
 Libre entrée sur le marché ;
 Transparence : information complète et parfaite (symétrique) ;
 Mobilité des facteurs de production.
Mais, le modèle CPP aboutit à une impasse théorique. En effet, ces 5 critères ne sont
presque jamais réunis ensembles. La seule liberté qui est laissée aux entreprises est celle de
produire ou non. L’optimum est réalisé par les forces du marché. Il n’y a plus de
comportement de l’entrepreneur, le prix étant donné par le marché, et donc n’y a plus de
rivalité. Enfin, cette théorie ne prend pas en compte la notion d’efficacité technologique
pouvant fonder une tendance monopolistique, alors que tout le monde cherche à montrer que
l’on ne peut aboutir qu’à un modèle de concurrence.
Alfred MARSHALL va tenter d’affiner cette théorie, en inscrivant l’analyse des prix
dans un cadre plus large, au niveau d’une branche industrielle et non plus d’un produit. La
notion de produit substituable est remplacée par celle de produits standardisés. De plus, il
intègre la notion d’innovation technologique.
Malgré cet apport de Marshall, le modèle de CPP va être complètement dépassé, grâce
à 3 critiques majeures

 P. SRAFFA et la notion de concurrence monopolistique


Pour lui, le modèle CPP ne prend pas en compte le problème de la demande et des
débouchés. Les critiques qu’il formule concernent la loi des rendements décroissants : une
grande Entreprise peut apporter des aménagements dans l’organisation de la production et
finalement, obtenir de meilleurs résultats indépendamment des facteurs de production (baisse
des coûts). Pour lui, il y a un lien entre les différentes branches d’une industrie. Enfin, les
Entreprises sont toujours à la recherche d’économies d’échelle, ce qui implique une tendance
à la monopolisation et non à la concurrence.

 CHAMBERLIN et la notion de différenciation des produits


Contrairement au modèle CPP où les produits sont homogènes, Chamberlin introduit
la notion de différenciation des biens, ce qui implique une fragmentation des marchés et une
tendance monopolistique. Ce n’est pas l’existence du marché qui assure la concurrence, mais
l’entreprise qui est actrice ou non par son comportement de concurrente.

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 J.A. SCHUMPETER et la vision dynamique de la concurrence
Il part de la logique selon laquelle le capitalisme est un jeu permanent de mort et de
naissance c'est-à-dire de supprimer ce qui est vieux et peu rentable, en vue de créer
continuellement du neuf productif, d’où son expression de « destruction créatrice ». Il justifie
ainsi la création de situation monopolistique temporaire.

Ces trois contributions sont donc les fondements théoriques de la concurrence


imparfaite.

Section 2 : La concurrence imparfaite


Il y a concurrence imparfaite lorsque des vendeurs individuels peuvent influencer le
prix de leurs produits. Il existe 3 types de concurrence imparfaite : le monopole, l’oligopole et
la concurrence monopolistique.

Paragraphe 1 : Le monopole
Un monopoleur est un producteur ou une entreprise qui est le seul offreur d’un produit
sur le marché.
La principale caractéristique d’une entreprise en situation de monopole est qu’elle est
seule sur un marché en un lieu donné et en temps donné pour offrir un produit ou un service.
La conséquence principale portera sur l’existence d’un équilibre qui sera la plupart du temps
différent de celui de la CPP.

1) Typologie des monopoles


On distingue dans la littérature économique trois types de monopoles :
 Le monopole classique : Il s’explique par les coûts d’entrée élevés c'est-à-dire
une seule entreprise a les compétences techniques pour produire un bien ou un service.
 Le monopole naturel : Il est caractérisé par les coûts moyens décroissants. La
dernière unité produite coûte moins chère que la précédente. Le producteur a donc intérêt
à la produire car elle baisse les coûts moyens et augmente les profits. Ce monopole
regroupe toutes les entreprises fonctionnant en réseau (AES SONEL, CAMTEL,
CAMRAIL…).
 Le monopole légal : C’est celui de l’intervention des pouvoirs publics, le
gouvernement peut créer un monopole légal soit par nationalisation d’une entreprise, soit
en accordant un monopole d’exploitation à une entreprise qui reste dans le domaine privé.

2) La gestion du monopole
Un monopole peut être géré de plusieurs manières. Chaque méthode a un impact sur la
structure du marché.

 La maximisation du profit
De même qu’une entreprise concurrentielle, un monopole choisit le niveau de
production qui maximise son profit. Contrairement à l’entreprise en CPP, le monopole est
price-maker et non price-taker. Il décide du prix de vente. Cette caractéristique est
fondamentale dans la mesure où le prix n’est plus une constante mais une fonction des
quantités produites par le monopole.

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Il en résulte une fonction de 𝜋 telle que :

π = RT − CT = P (y) × y − CT (y).

La condition de maximisation du profit en situation de monopole est donc l’égalité


entre la recette marginale et le coût marginal.

R m = Cm

 La maximisation du chiffre d’affaire.


Les objectifs des dirigeants peuvent ne pas être la maximisation du profit. A certaines
périodes, il peut être, plus commode de conquérir de nouveaux marchés géographiques ou de
nouveaux produits. L’objectif est alors la maximisation du chiffre d’affaire ou de la recette
totale. L’équilibre se situera au point où la recette marginale sera nulle. R m = 0.

Paragraphe 2 : La concurrence monopolistique


Un marché de concurrence monopolistique est caractérisé par une multitude de
vendeur et d’acheteur et une différentiation des produits.
C’est E. Chamberlin (1933) qui est le premier a étudié la concurrence monopolistique.
Une telle structure de marché combine à la fois les caractéristiques du monopole et de la
concurrence. Une situation de concurrence monopolistique correspond à la libre- entrée et au
fait que chaque entreprise soit face à une demande résiduelle qui lui est propre.
Ainsi, lorsqu’une entreprise augmente son prix, elle ne perd pas la quantité de sa
demande car la variété qu’elle produit possède des caractéristiques uniques pour les
consommateurs. Chaque entreprise se comporte face à sa courbe de demande comme un
monopole c'est-à-dire qu’elle suppose qu’elle pourra modifier son prix sans que cela incite ses
concurrents à la suivre.
Une situation de concurrence monopolistique correspond à la libre entrée et au fait que
chaque entreprise fait face à une demande résiduelle qui lui est propre. Si une entreprise entre
sur le marché en raison du profit élevé, les profits à long terme de chacune d’elle seront nuls.
La concurrence monopolistique permet bien aux entreprises d’accroître leur prix par rapport à
la CPP et ceci en raison d’un pouvoir de marché. Mais cette situation ne leur permet pas de
faire un profit positif. On peut alors conclure qu’en concurrence monopolistique, les
consommateurs sont toujours prêts à payer les produits plus chers, ceci à cause de la demande
résiduelle et de la différentiation des produits de chaque entreprise.

Paragraphe 3 : L’oligopole
Un oligopole est une structure de marché constituée d’un nombre limité d’entreprise.
Ce nombre limité de firmes peut s’expliquer par les coûts d’entrée énormes : on
parlera alors de barrières à l’entrée. Celles-ci permettent aux oligopoleurs de gagner des
bénéfices importants à long terme, en empêchant d’autres producteurs de s’introduire sur le
marché. On a l’exemple de Coca – cola et Pepsico dans le monde, les industries d’automobile,
le duopole MTN et Orange au Cameroun.
Tous les modèles d’oligopole peuvent être vus comme des exemples d’application de
la théorie des jeux. Les joueurs sont des entreprises qui développent des stratégies et attendent

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des paiements positifs, c’est-à-dire des profits. Ces derniers dépendent fortement des
stratégies jouées par les entreprises.

A) La concurrence par les quantités : l’oligopole selon Cournot et


Stackelberg.
Deux cas de figure peuvent se présenter :
Soit les deux agents sont interchangeables ; on dit qu’ils ont un rôle symétrique sur le
marché et acceptent d’avoir le même poids sur le marché.
Soit ils ont un rôle asymétrique et l’une des entreprises va avoir un rôle dominant.
Pour simplifier, nous prendrons leçon d’un oligopole formé de deux entreprises : le
duopole.

A-1) Rôle symétrique des firmes : le duopole de Cournot


Considérons deux firmes qui produisent un produit homogène en quantité q1 et q2 et
qui ont des fonctions de coûts identiques C i (qi ) avec i = 1, 2.

La production totale étant Q = q1 + q2 .

 Les hypothèses du modèle


H1 : La demande est de type concurrentiel pure et parfaite (atomicité des
∂Q
demandeurs). Le niveau de demande est fonction du prix et est décroissant ∂P < 0.

H2 : La variable stratégique de chacune des firmes sur le marché est la quantité


d’output produite et pas le prix.
H3 : Le bien produit dans la branche est parfaitement homogène c’est-à-dire
parfaitement substituable.
H4 : Chaque firme a pour objet la maximisation de son profit en s’adaptant aux
conditions du marché.
L’objectif de chaque firme est de maximiser son profit en fonction de la quantité
qu’elle choisit de mettre sur le marché. Ces deux firmes fonctionnent de manière non
coopérative.

 Formalisation mathématique
Max π1 (q1 , q2 ) = P(q1 , q2 ). q1 - C1 (q1 ).

Conditions de 1er ordre :


∂ π1 (q1 , q2 ) ∂ P(𝑞1 , 𝑞2 ) ∂ C1 (q1 )
= . 𝑞1 + P (q1 , q2 ) − =0
∂ q1 𝜕 𝑞1 ∂ q1
⇒ q1 = R1 (q2 ) ⇒ fonction de réaction de la firme 1.

∂ π1 (q1 , q2 ) ∂ P(𝑞1 , 𝑞2 ) ∂ C2 (q2 )


= . q2 + P (q1 , q2 ) − =0
∂ q2 𝜕 𝑞2 ∂ q2

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⇒ q2 = R 2 (q1 ) ⇒ fonction de réaction de la firme 2

A-2) La relecture du modèle de Cournot par la théorie des jeux.


 L’intégration de l’équilibre dynamique
L’analyse moderne des interactions stratégiques par la théorie des jeux a permis de
clarifier certains concepts (par exemple, ne pas expliquer l’équilibre par le processus
d’apprentissage).
On a vue que chaque firme devait deviner le choix de l’autre comme dans un jeu à un
coup du type « ciseaux – feuilles – cailloux ». La théorie des jeux analyse les interactions
entre des joueurs rationnels, décidant individuellement. Il faut donc tenir compte de trois
éléments : les joueurs, les stratégies et les paiements. Les deux firmes sont les deux joueurs,
les gains sont représentés par les profits respectifs de chaque firme et les stratégies sont
constituées par les quantités que chaque firme peut produire.
Un équilibre de Cournot-Nash en stratégie pure est alors un ensemble de quantités
(𝑞1∗ , 𝑞2∗ ), tel que chaque entreprise choisit la quantité qui maximise son profit compte tenu de
ses conjectures sur le choix de l’autre entreprise et tel que les suppositions sur le choix de
l’autre entreprise soient effectivement correctes.

Exemple de représentation matricielle

Produire (𝐪𝟐 )1 = 𝟏𝟎 Produire (𝐪𝟐 )2 = 𝟓


Produire (𝐪𝟏 = 𝟏𝟎 )1 0,0 4,3*
Produire (𝐪𝟏 )2 = 𝟓 *3,4 *5,5*

Dans le modèle de Cournot, la quantité, le prix et les profits à l’équilibre auront des
valeurs intermédiaires entre celles qui interviennent sur un marché monopolistique et celles
qui interviennent sur un marché de CPP. Et la théorie des jeux amène à la conclusion que
l’équilibre de Cournot n’est pas seulement réaliste, il est le seul envisageable dans un jeu à
une seule période (Friedman, 1983), éliminant les discussions sur la convergence de
l’équilibre de Cournot.

A-3) Rôle asymétrique des entreprises : le duopole de Stackelberg


Heinrich von Stackelberg est un économiste allemand qui a étudié l’organisation des
marchés et les interactions stratégiques entre firmes. Il proposa le concept de leader-follower
pour l’analyse des marchés duopolistiques dans son ouvrage Theory of Market Economy, paru
en 1952. Le modèle de duopole de Stackelberg est une extension du modèle de Cournot mais
tient compte d’un comportement asymétrique de la part des deux firmes sur un marché
duopolistique.

La description du modèle
Comme chez Cournot, considérons deux firmes (i = 1, 2) qui produisent des quantités
𝑞1 et 𝑞2 avec Q = q1 + q2 et des fonctions de coût identiques : Ci (qi ).

 Les hypothèses

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(H1) La demande est de type concurrentiel pure et parfaite (atomicité des
demandeurs). La fonction de demande globale est supposée monotone décroissante et connue
à l’avance, 𝑄 = 𝑄 (𝑃). Par conséquent, la distribution des prix que sont prêts à payer les
demandeurs est connue pour chaque quantité totale offerte sur le marché. La fonction de
demande inverse est 𝑃 = 𝑃(𝑄).

(H2) Par conséquent, la variable stratégique de chacune des firmes sur le marché est la
quantité d’output produite.
(H3) Le bien produit dans la branche est parfaitement homogène (parfaitement
substituable).
(H4) Chaque firme a pour objectif la maximisation de son profit.
(H5) La firme « leader » a une information complète sur la courbe de réaction de
l’autre firme. La firme « follower » cherchera à maximiser son profit compte tenu de la
situation qui a été créée par la firme « leader ».
Le modèle se Stackelberg suppose qu’une firme joue un rôle actif sur le marché (le
« meneur » ou « leader ») et l’autre firme joue un rôle passif (le « suiveur » ou « follower »).
Le « leader » choisira en premier son niveau de production. Il fixera une quantité qui
maximise le profit en prenant en considération la quantité qu’il escompte que le « follower »
fixera en réaction à son propre choix. Le « leader » suppose que le « follower » voudra aussi
maximiser son profit mais qu’il acceptera le choix de production du « leader » comme une
donnée. Cette supposition permet au « leader » de prévoir le choix de production du
« follower » et de le prendre en compte quand il choisira son propre niveau de production.
L’objectif de chaque firme est de maximiser son profit en fonction de la quantité
qu’elle choisit de mettre sur le marché. Les deux firmes choisissent leurs quantités vendues de
façon non coopérative. Les programmes de maximisation sont donc :

Max Π1(q1 ,q = P (Q) . q1 − C1 (q1 ) = P (q1 + q2 ). q1 − C1 (q1 )


2)

Max Π2(q1 ,q = P (Q) . q2 − C2 (q2 ) = P (q1 + q2 ). q2 − C2 (q2 )


2)

 Calcul de l’équilibre
Pour déterminer l’équilibre, on doit calculer la fonction de réaction de la firme
« follower » et maximiser le profit de la firme « leader » sachant comment la firme
« follower » va réagir.
Fonction de réaction de la firme « follower » :
δ π2 (q1 , q2 )
=0
δ q2
D’où il vient :
δP(q1 + q2 ) δ C2(q2 )
. q2 + P (q1 + q2 ) − =0
δ q2 δ q2

Ou sous une autre forme :

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δP(q1 + q2 ) δ C2 (q2)
. q2 + P (q1 + q2 ) =
δ q2 δ q2

On a donc une fonction de réaction pour la firme «follower » : q2 = R 2 (q1 )


Maximisation du profit de la firme « leader » : détermination de (𝑞1 ). Maintenant que nous
connaissons la fonction de réaction de la firme « follower », il faut maximiser le profit de la
firme « leader » :

II1(q1 ,q = P (Q) . q1 − C1 (q1 ) = P ( P1 + R 2 (q1 )). q1 − C1 (q1 )


2)

Remarque
Nous pouvons utiliser cette expression pour tracer les courbes d’isoprofit. Il s’agit de
courbes représentant les combinaisons de q1 et de q2 qui engendrent un niveau constant de
profit pour l’entreprise 2. En d’autres termes, ces courbes d’isoprofit sont constituées de tous
les points (q1 , q2 ) qui donnent le même niveau de profit.

D’où, pour la maximisation :


δπ1 (q1 , R 2 (q1 ))
=0
δ q1
δP (q1+ R2 (q1 )) δR2 (q1 ) δC1 (q1)
( ). (1 + ) . q1 + P (q1 + R 2 (q1 )) = =0
δ q1 δ q1 δ q1

D’où :
δP (q1+ R2 (q1 )) δR2 (q1 ) δC1 (q1)
( ). (1 + ) . q1 + P (q1 + R 2 (q1 )) =
δ q1 δ q1 δ q1

On obtient ainsi directement q∗1 .

Réponse de la firme follower


En reportant cette valeur dans la fonction de réaction de la firme « follower » on
obtient q∗2 .

L’équilibre sur le marché est un équilibre de b Stackelberg et il sera représenté par


(Q∗ . P ∗ ) avec : Q∗ = q∗1 + q∗2 et P ∗ = P(q∗1 + q∗2 ).

On va calculer l’équilibre de Stackelberg où la firme 1 est leader. La firme 1 va


chercher à maximiser son profit connaissant la fonction de réaction de la firme 2. Elle va donc
choisir d’offrir une certaine quantité, compte tenu de la quantité offerte en réaction par la
firme 2. Et cette quantité offerte par la firme 1 sera forcément celle qui maximise son profit.
Elle se situera donc sur la courbe d’isoprofit la plus basse, ce qui représente le maximum de
production de la firme 1 sachant la production de la firme 2. C’est par ce mécanisme que l’on
arrivera au point de tangence entre la courbe d’isoprofit de la firme 1 et la fonction de la
réaction de la firme 2.
L’équilibre de Stackelberg n’est généralement pas le même que l’équilibre de Cournot.

B- La concurrence par les prix : l’oligopole selon Bertrand et


Edgeworth

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Dans le modèle de Cournot, on a supposé que les firmes se concurrencent sur un
marché en choisissant les quantités d’un bien qu’elles produiront. Mais le modèle de Cournot
n’est pas le seul modèle possible de comportement d’un oligopole. Notre perception
habituelle est que les firmes rivalisent à travers les prix qu’elles font payer pour leur bien.
Dans le modèle de Bertrand, la variable stratégique est le prix, le comportement des
firmes est symétrique et les firmes ont une capacité de production suffisante pour couvrir la
totalité du marché. Si cette dernière hypothèse ne semble pas réaliste concernant certains
marchés, le modèle d’Edgeworth va prendre en compte les contraintes de capacité des
firmes.

a) Description du modèle
On considère deux entreprises qui proposent respectivement les prix p1 et p2 .

 Les hypothèses

(H1) La demande est contingente, c’est-à-dire qu’elle est dépendante du niveau de


prix décidé par l’autre firme. Ainsi, si une firme fait payer un prix supérieur au prix fixé par
son concurrent, la demande pour son produit sera nulle ; si elle fait payer un prix inférieur au
prix fixé par son concurrent, elle s’emparera de toute la demande du marché. Si les deux
firmes fixent le même prix pour le produit, elles se répartiront équitablement la demande sur
le marché.

La firme 𝑖 fixe son prix de vente à Pi . La fonction de demande totale est D (P). Quelle
est la demande de l’entreprise 𝑗 ?

𝐷𝑗 (𝑃𝑗 ) = 𝐷 (𝑃𝑗 ) 𝑠𝑖 𝑃𝑗 < 𝑃𝑖 (j capte toute la demande)

𝐷𝑗 (𝑃𝑗 ) = 𝐷𝑖 (𝑃𝑖 ) = 1⁄2𝐷 (𝑃) 𝑠𝑖 𝑃𝑖 = 𝑃𝑗 = 𝑃(i et j se partagent la demande)

𝐷𝑗 (𝑃𝑗 ) = 0 (𝑃𝑗 ) 𝑠𝑖 𝑃𝑗  𝑃𝑖 (j n′ a aucune demande)

En conséquence, la fonction de demande est une fonction discontinue


(et donc la fonction de profit).
(H2) On suppose que toutes les firmes ont assez de capacité de production pour
fournir la totalité du marché.
(H3) La variable stratégique de chacune des firmes sur le marché est le prix.
(H4) Le bien produit dans la branche est parfaitement homogène (parfaitement
substituable).

(H5) Chaque firme va chercher à maximiser le profit contingent qu’il pourrait


réaliser dans les circonstances créées par le duopoleur.
La plus importante des hypothèses du modèle de Bertrand est que si deux firmes
vendent un produit identique, les consommateurs achèteront à la firme qui fait payer le
prix le plus bas. Par conséquent, les firmes fixent les prix et laissent au marché le soin de
déterminer les quantités. On suppose que les firmes ont les mêmes structures de coûts.

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Supposons que les deux entreprises vendent le bien à un prix supérieur au coût
marginal. Elles font donc les profits. Si la firme 1 diminue son prix d’un petit montant, et que
l’autre firme maintient son prix inchangé, tous les consommateurs préféreront acheter au prix
de la firme 1 : elle peut donc récupérer tous les clients de la firme 2. La firme 1 aura donc
toujours intérêt à pratiquer un prix légèrement inférieur au prix de la firme 2. Mais celle-ci
peut raisonner de la même façon. Dès lors, un prix supérieur au coût marginal ne peut pas
constituer un équilibre, et le seul équilibre est l’équilibre concurrentiel : prix = coût
marginal où les profits sont nuls.
Théorème de Bertrand (1883) : Sous les hypothèses 1 à 5, il n’existe qu’un seul
équilibre de prix : P1∗ = P2∗ = Cm.

 L’équilibre
Il en résulte que l’équilibre est celui de la concurrence pure et parfaite. Le profit de
chaque firme est représenté par : πi = Pi × (Di (Pi )) − Ci (Di (Pi )) avec i = 1,2.

Supposons que les deux prix soient supérieurs ou égaux au coût marginal (noté Cm),
alors :

− si 𝐏𝟏 > 𝐏𝟐 > 𝐶𝑚, la firme 1 ne vendra pas de bien et fera donc un profit nul. Or en
fixant un prix P1 = P2 − 𝜀, la firme 1 peut s’emparer de la totalité du marché et faire un
profit positif. C’est la même chose pour la firme 2 qui répondra en fixant un prix encore plus
bas. Par conséquent, une telle situation ne peut pas être un équilibre car les deux firmes
continueront simplement à pratiquer les réductions de prix jusqu’à ce que le prix atteigne le
coût marginal Cm.

− si 𝐏𝟏 = 𝐏𝟐 > 𝐶𝑚, les deux firmes vont se partager le marché, cependant un tel
arrangement n’est pas stable car si l’une des deux réduit son prix, elle s’emparera de la totalité
du marché et donc des profits encore plus élevés. Ce n’est donc pas non plus un équilibre :

− si 𝐏𝟏 > 𝐏𝟐 = 𝐂𝐦, c’est la seule possibilité d’obtenir un équilibre (équilibre de


Bertrand). Dans cette situation, les deux firmes ne feront pas de profit mais seront
indifférentes entre rester sur le marché ou en sortir.

L’équilibre de Bertrand comme l’équilibre de Cournot est aussi un équilibre de Nash.


Paradoxe de Bertrand : Alors qu’elles sont deux, les entreprises agissent comme si
elles étaient un nombre infini. Elles se comportent ainsi conformément à l’hypothèse
d’atomicité de la concurrence pure et parfaite.
En changeant simplement la variable stratégique, le modèle de Bertrand produit un
résultat fondamentalement différent pour les marchés duopolistiques par rapport au modèle
de Cournot. Il est étonnant de converger vers un équilibre concurrentiel quand on n’a que
deux firmes sur le marché.

Représentons sous la forme d’un jeu ce paradoxe :

Coopération (prix élevé) Trahison (casse les prix)


coopération (prix élevé) 5,5 - 5,7*
Trahison (casse les prix) *7,-5 *0,0*

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La stratégie « trahison » est une stratégie dominante pour les deux firmes : l’équilibre
est (T,T) qui amène des profits nuls. En changeant simplement la base de la concurrence de la
quantité au prix, le modèle de Bertrand produit un résultat fondamentalement différent pour
les marchés duopolistiques par rapport au modèle de Cournot et de Stackelberg. A l’équilibre
de Bertrand, les prix sur de tels marchés sont rabaissés vers le coût marginal, à un niveau
largement inférieur aux deux modèles énoncés. L’équilibre de Bertrand est un équilibre de
Nash (Grossman, 1981)1. Ce résultat s’appuie sur la menace représentée par les entrants
potentiels. Toutefois, il apparaît difficile de croire que les firmes ne vont pas essayer
d’influencer le prix en s’entendant (collusions en prix). Un autre paradoxe du modèle
concerne l’entrée sur le marché : on se demande pourquoi les firmes prendraient la peine
d’entrer sur le marché pour ne faire aucun profit. Avec un tel équilibre, le bien-être dans
l’économie est maximal : les deux producteurs ont un surplus maximal (= recette totale –
coûts variables) ainsi que les consommateurs (car le prix est au maximum).

Section 3 : Concentration des marchés et performance


I- La structure de marché
1) Définition de la concentration
La concentration est toute opération de croissance externe d’une entreprise qui se
traduit par la diminution du nombre d’offreurs opérant sur un marché et par l’augmentation de
la taille des entreprises restantes.
Ce phénomène est généralement dû à l’ouverture des marchés, l’internationalisation
des firmes et se traduit par l’accroissement de la taille critique des entreprises qui s’affrontent
aujourd’hui à l’échelle mondiale.
Il existe un rapport entre le degré de concentration d’un marché et sa structure ; plus
un marché est concentré, plus il est caractérisé par une structure oligopolistique. De même, le
degré de concentration d’un marché est un bon indicateur de son intensité concurrentielle car
plus un marché est concentré, plus les risques d’entente sont forts et moins la concurrence
risque d’être importante entre les offreurs.
Dans la plupart des études SCP, la variable structurelle centrale est la concentration
des entreprises du marché.
Il existe des indicateurs de mesure de la concentration d’un marché. Parmi ces
indicateurs, on note :

 Le ratio de concentration des quatre premières entreprises (CR4) ou des 10


premières entreprises (CR10) : il est égal à la part des ventes réalisées par les quatre plus
grosses entreprises.
 L’indice de Herfindhal – Hirschman (IHH) : il est égal à la somme du carré des
parts de toutes les entreprises du marché.
Les études empiriques donnent généralement les mêmes résultats, qu’on utilise l’IHH
ou le CR4. Il est aussi à noter que l’IHH est l’indice approprié lorsque la fixation des prix est
conforme au modèle de Cournot.
Par ailleurs, deux conclusions émergent de l’analyse des indices de concentration :

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Economie Industrielle 2023- 2024
- IHH diminue avec le nombre de firmes sur le marché ;
- IHH augmente lorsque le marché devient plus asymétrique.

2) Les problèmes posés par les indicateurs de concentration.


Les indicateurs de concentration sont influencés par de nombreux facteurs qui sont :

 La profitabilité : Elle influence le degré de concentration par l’intermédiaire


de son impact sur le nombre d’entreprises qui entrent sur le marché.
 Le problème d’exogénéité : La plupart des indicateurs ne sont pas exogènes
car ils dépendent de la profitabilité de l’industrie. C’est le cas du nombre d’entreprises qui
entrent sur le marché.
 La mauvaise définition de la structure du marché : Pour que le degré de
concentration d’une industrie soit un indicateur fiable de la performance, il faut que cette
industrie soit définie de façon à prendre en compte le marché économique qui lui correspond
sinon le degré de concentration n’a pas d’incidence sur la fixation des prix.
 Le problème d’importation et d’exportation : Les indicateurs sont souvent
faussés par ce qu’ils ne tiennent pas compte ni des exportations, ni des importations.

II- L’analyse du comportement

Le comportement des acteurs et son impact sur les performances peuvent être
appréhendés à travers deux facteurs principalement : les barrières à l’entrée et la
syndicalisation.

1) Les barrières à l’entrée

L’un des facteurs essentiels des performances d’une industrie est sans doute la liberté
d’entrée sur le marché. Là où les barrières à l’entrée à long terme sont élevés, les prix peuvent
rester durablement supérieurs à leurs niveaux concurrentiels.
Les indicateurs les plus fréquemment utilisés pour mesurer les barrières à l’entrée sont
la taille minimale optimale d’une entreprise, les dépenses de publicité, l’intensité
capitalistique et divers informations subjectives sur la difficulté d’entrer dans une industrie.

2) La syndicalisation

Certaines études font intervenir le taux de syndicalisation dans l’explication des


performances. Plus ce taux est important, plus les syndicats peuvent exiger des salaires élevés
et capter ainsi une partie des profits de l’industrie. L’élévation des salaires se répercuterait
alors sur les prix, ce qui fait que l’on pourrait observer simultanément des profits bas et des
prix élevés. Il se peut aussi que l’existence des syndicats favorise non seulement l’élévation
des salaires et des prix, mais aussi celle des profits de l’industrie.
En effet, lorsque les syndicats élèvent le coût de la main d’œuvre, ils empêchent
l’augmentation de la production et donc les profits de baisser. Si la préférence de syndicats
favorise l’élévation des profits, alors le taux de syndicalisation ne peut plus être considéré
comme exogène.

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Economie Industrielle 2023- 2024
III- Relation entre structures de marché et performances
La théorie économique distingue trois mesures de performance : le taux de rendement,
la marge prix-coût et le 𝑞 de Tobin.

1) Structures industrielles et taux de rendement

Cette relation est due à Joe BAIN en 1951. Les travaux de cet auteur reposent sur
l’hypothèse suivant laquelle le profit devrait être plus élevé dans les industries très
concentrées et protégées par d’importantes barrières à l’entrée.
Les preuves empiriques rassemblées par Bain vont d’ailleurs confirmer cette
hypothèse.
Des travaux d’autres auteurs à l’instar de Weiss (1974) vont également établir qu’il
existe une relation significative entre les profits, la concentration et les barrières à l’entrée.

2) Structures industrielles et marge prix-coût

A la suite du travail de Collins et Preston (1969), de nombreux travaux vont étudier la


relation prix-coût moyen variable d’une industrie à l’autre, à travers la relation suivante :

𝑝−𝑣 𝑝𝑘 𝐾
= 0,16
⏟ + 0,10
⏟ 𝐶𝑅4 + 0,08
⏟ + 𝑎𝑢𝑡𝑟𝑒𝑠 𝑣𝑎𝑟𝑖𝑎𝑏𝑙𝑒𝑠
𝑝 (0,01) (0,02) (0,02)
𝑝𝑄

Où :
𝑝−𝑣
est la marge prix-coût moyen variable,
𝑝
𝑣 un indicateur du coût moyen variable,
𝐶𝑅4 le ratio de concentration des quatre premières entreprises ;
𝑝𝑘 𝐾
le ratio de la valeur (comptable) du capital à la valeur de la production.
𝑝𝑄

La sensibilité du prix à l’augmentation de la concentration peut se déduire de cette


équation. D’après la formulation, si le rapport entre la valeur du capital et celle de la
production est de 40% (valeur moyenne pour toutes les industries), le CR4 est de 50%. Et si
𝑝−𝑣
les autres variables sont nulles, la marge est de :
𝑝
𝑝−𝑣
= 0,16 + (0,10 ∗ 0,5) + (0,08 ∗ 0,4) = 0,24
𝑝

Ainsi, 𝑝 = 1,3𝑣.
Autrement dit, le prix est supérieur de 30% au coût moyen variable.
Si le CR4 double, passant de 50% à 100%, l’augmentation de la marge prix-coût moyen
variable sera de :

𝑝−𝑣
= 0,16 + (0,10 ∗ 1) + (0,08 ∗ 0,4) = 0,29
𝑝

C'est-à-dire 𝑝 = 1,4𝑣.

Autrement dit, le prix augmente approximativement de 1,4 fois le coût moyen variable,
ce qui représente une augmentation de prix d’environ 7%.

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Même si la concentration s’élève fortement, le prix augmente assez peu.

3) Le 𝒒 de Tobin et les structures industrielles

Le 𝑞 de Tobin est le ratio de la valeur de marché d’une entreprise au coût de


remplacement de ses actifs.
Si le 𝑞 de Tobin est supérieur à 1, le taux de rendement de l’entreprise est supérieur au
taux qui devrait normalement rémunérer ses actifs. Un tel taux de rendement ne peut perdurer
que s’il existe des barrières à l’entrée à long terme.
C’est un résultat important obtenu par des auteurs tels que Thomadakis (1977),
Lindenberg et Ross (1981), Salinger (1984), etc.

Section 4 : Fusion et politique de la concurrence


Définition :
On parle de fusion entre deux entreprises A et B, lorsque A apporte à l’entreprise B
l’ensemble de son actif et disparait sur le marché.
Autrement dit, c’est la coalition entre les entreprises pour réduire la concurrence et se
partager la part de marché.
Là où des opportunités de profit existent, de nouvelles entreprises sont créées afin d’en
tirer parti. Une entreprise mal gérée et qui ne fait pas de profit laisse bientôt sa place à une
nouvelle entreprise qui la concurrence, ou bien qui tente d’en prendre le contrôle afin de la
gérer de façon plus rentable.
Il existe trois façons principales de prendre le contrôle d’une entreprise en difficulté :
 On peut contacter les dirigeants, négocier et obtenir d’eux qu’ils persuadent les
actionnaires d’accepter la proposition de rachat.
 On peut faire une offre publique d’achat directement adressée aux
actionnaires, au terme de laquelle l’on s’engage à leur acheter leurs actions à un prix
déterminé.
 On peut essayer de convaincre les actionnaires que vous êtes capables de
mieux gérer l’entreprise que les dirigeants actuels.
L’interdiction de la fixation des prix en commun n’aurait que peu d’effet en l’absence
des lois limitant les fusions. Ces lois ont pour but d’empêcher les entreprises d’augmenter leur
pouvoir de marché par le jeu des fusions. La question qui est généralement posée dans les
affaires de fusion n’est donc pas de savoir si l’industrie concernée est concurrentielle ou pas,
mais si la fusion projetée aura pour effet de la rendre moins concurrentielle.

I- Fusion et amélioration de l’efficience


Les fusions et acquisitions qui augmentent l’efficience sont socialement
bénéfiques. Plusieurs raisons laissent penser que la prise de contrôle d’une entreprise par une
autre peut améliorer son efficience. Ces raisons sont :
 L’accroissement de la taille optimale : La fusion d’entreprises peut permettre
de réduire les doublons et de bénéficier d’autres effets liés à l’augmentation de la taille. Par

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Economie Industrielle 2023- 2024
exemple, on peut économiser sur les frais de gestion en n’utilisant qu’une seule équipe de
cadre pour diriger les deux entreprises.
 Les synergies : Les entreprises ayant des activités différentes mais
complémentaires peuvent fusionner pour bénéficier d’économie de multi-production. Il est
moins couteux pour une entreprise de développer deux activités que pour deux entreprises de
développer chacune une activité.

 L’amélioration de la gestion : Le fait d’acquérir une entreprise mal gérée et


d’y installer une équipe de cadres compétents est bénéfique.

II- Fusions entre concurrents existants et fusions entre concurrents


potentiels.
A- Fusions entre concurrents existants sur le marché
L’argument de l’entreprise en difficulté implique que la part de marché actuelle d’une
entreprise ne reflète pas nécessairement l’importance future de l’entreprise qui va se fondre au
sein se la nouvelle entité. Lorsqu’une entreprise est menacée de faillite à moins de fusionner
avec d’autres, sa part de marché actuelle, qu’elle soit élevée ou faible, ne doit pas intervenir
dans la décision d’autoriser la fusion. Pour donner le feu vert a l’opération, les autorités
doivent apprécier avant tout le potentiel concurrentiel de l’entreprise fusionnée. Pour mesurer
ce potentiel, les économistes et juristes utilisent les indicateurs pour définir les marchés et
mesurent leur concentration.

B- Fusions entre concurrents potentiels


Supposons que deux entreprises qui ne sont pas actuellement en concurrence sur le
même marché souhaitent fusionner. La fusion peut-elle être bloquée par le gouvernement s’il
pense que les deux entreprises auraient été en concurrence par la suite ?.
Logiquement, il semble envisageable de bloquer une fusion dans le but d’améliorer la
concurrence future.
Cependant, en pratique, il est très difficile d’identifier des concurrents potentiels, la
jurisprudence sur ce point a évolué et les fusions entre concurrents potentiels sont de plus en
plus remises en question.

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Economie Industrielle 2023- 2024
Chapitre 3 : COMPORTEMENT STRATEGIQUE ET
DIFFERENCIATION DES BIENS

Pour Chamberlin, dans les années 1930, les firmes vendent sur la plupart des
marchés des produits relativement substituables sans pour autant être homogènes, comme
le suggérait le modèle de CPP. L’idée sous jacente est que chaque entreprise va chercher à
recréer une situation de monopole dans un environnement concurrentiel. L’entreprise va
chercher à établir une niche et à exploiter le pouvoir de monopole sur cette niche.
Si Cournot et Bertrand ont posé les premiers jalons d’une analyse des marchés
oligopolistiques, cette dernière concerne toujours des marchés pour un bien identique où la
rivalité entre les marchands s’exerce à propos de la vente d’un produit parfaitement
homogène. Il revient à Hotelling (1929), Chamberlin (1933 ; 1951) et Lancaster (1966) d’avoir
attiré l’attention des économistes sur les conséquences de la violation de la troisième
hypothèse clé de la CPP : l’hypothèse d’homogénéité des produits.

I- Des biens homogènes aux biens différenciés

Si l’hypothèse d’homogénéité des produits était vérifiée et si chaque entreprise était


spécialisée dans la fourniture d’un seul produit, l’économie serait composée de groupes
d’entreprises produisant des biens aisément identifiables ‘ciment, acier, chocolat) ; chaque
groupe constituerait une branche ou une industrie dont le produit s’échangerait sur un
marché bien défini. Dans la réalité, chaque entreprise fournit des produits qui, dans une
certaine mesure, diffèrent de ceux des firmes concurrentes : les biens sont rarement
homogènes, mais le plus souvent différenciés (PC DELL et PC Toshiba sont des produits
différenciés). En outre, la plupart des firmes sont appelées à diversifier leur activité et à
vendre des produits différents qui s’adressent à des marchés différents (une automobile et
un avion sont des produits différents bien qu’ils répondent au besoin de transport pris au
sens large).
En principe, les produits différenciés appartiennent à la même catégorie de produits ;
ils s’échangent sur un même marché et les entreprises qui les offrent appartiennent à la
même branche d’activités. En revanche, les produits différents proviennent des branches
différentes, ce qui implique qu’une entreprise multi-produits fasse simultanément partie de
plusieurs branches.

1-1- Les caractéristiques des biens et la demande de produits différenciés

Les caractéristiques d’un bien peuvent permettre de le différencier par rapport aux
autres biens proposés par les concurrents. Même si les produits ont le même usage, leurs
caractéristiques peuvent être différentes. Il peut s’agir de différences intrinsèques (qualité,
couleur proposée, …), de différences dans les services liés à la vente (service après vente,
livraison, …), de différences de localisation géographique ou de différences subjectives
créées dans l’esprit des clients (emballage, publicité, …).
On distingue classiquement deux grands types de modèle de différenciation : la
différenciation horizontale, qui renvoie à des différences de goût subjectives entre les
consommateurs (il n’y a pas de caractéristiques objectives du produit) ; et la différenciation

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Economie Industrielle 2023- 2024
verticales, où tous les consommateurs sont d’accord pour classer les produits de la même
façon.
Les produits différenciés sont perçus par le consommateur comme des substituts plus
ou moins proches (substituts imparfaits) en fonction de leur degré de différenciation.
A titre d’exemple, une automobile Clio et une Toyota 100 sont des substituts
proches, alors que la Clio et la Mercedez 200 sont deux substituts plus éloignés.
La demande d’un produit spécifique, dans un éventail de produits différenciés, va
donc dépendre des préférences des consommateurs, le prix n’étant plus le seul critère de
choix. Comme les consommateurs reconnaissent généralement qu’il existe des différences
réelles entre les produits différenciés, ils optent souvent pour une fidélité à un produit en
particulier.

1-2- Les objectifs de la différenciation : le pouvoir de marché

La différenciation des produits est utilisée par les entreprises comme stratégie pour
avoir un pouvoir de marché. Pour ce faire, elles fidélisent une partie de la demande en lui
vendant des produits répondant spécifiquement à ses besoins. La segmentation du marché
et la réponse à certaines niches sont parfois une clé du succès.
Ainsi, l’entreprise qui réussit à différencier ses produits et donc qui fait de la
différenciation maximale, aura un pouvoir de marché, et pourra augmenter ses prix ou
s’écarter de la concurrence en prix à laquelle se livrent ses concurrents.
Mais la différenciation n’a pas toujours pour objectif de s’éloigner des produits des
concurrents. Il peut être parfois intéressant au contraire de créer des similitudes soit réelles,
soit dans l’esprit des consommateurs. On parlera alors de différenciation minimale.
Il est donc essentiel de rechercher les conditions pouvant pousser soit dans le sens de
la différenciation maximale, soit dans celui de la différenciation minimale.
La question que se posent toutes les entreprises est de savoir s’il faut proposer un
nouveau produit proche de celui de ses concurrents pour profiter peut-être d’une
sensibilisation plus grande des consommateurs, ou alors lancer un produit innovant, pour
surprendre, intéresser une clientèle captive. Autrement dit, doit-on choisir la différenciation
maximale ou minimale ? L a réponse à cette question dépend du modèle de différenciation.

II- Les modèles de différenciation

Les modèles que nous allons développer sont souvent présentés comme des modèles
de localisation. On parle alors de différenciation spatiale et la différenciation correspond à
une distance physique : la distance qui sépare les consommateurs de chacune des
entreprises. Les consommateurs sont localisés en des points différents et payent des coûts
de transport qui dépendent de la distance qu’ils doivent parcourir lorsqu’ils vont acheter un
produit.
Toutefois, la distance peut être une distance psychologique, car quand chaque
entreprise, en se positionnant en un point de la ville, choisit de fournir un produit qui plaira
davantage aux consommateurs proches d’elle, la différenciation mesure alors la distance
entre cette entreprise et une autre concurrente.

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Economie Industrielle 2023- 2024
2-1- Le modèle de différenciation horizontal : la ville linéaire
(Hotelling, 1929)
Les consommateurs sont placés de façon uniforme le long d’un axe de circulation
d’une ville linéaire (segment de longueur ℓ). Pour acquérir le bien, les consommateurs
doivent payer d’une part, le prix du bien P et d’autre part, un coût de transport T qui dépend
de la distance ℓ à parcourir. Le coût étant proportionnel à la distance (T=t. ℓ), plus le bien
sera proche du consommateur et plus il sera satisfait. Les entreprises vont donc chercher la
localisation optimale, c'est-à-dire la localisation qui leur permettra d’avoir une demande
maximale.

a) Duopole et stratégies de part de marché

Considérons deux entreprises en concurrence. Supposons dans un premier temps


qu’elles se partagent le marché sur lequel les politiques de prix ne peuvent être appliquées
en raison, par exemple de la maturité de la demande : le prix est fixé et identique pour les
deux entreprises. Elles vont en conséquence adopter une stratégie de part de marché. Selon
la localisation choisie, elles vont attirer chacune une partie de la demande. On suppose
qu’elles ne peuvent pas observer la localisation de leur concurrent lorsqu’elles choisissent
leur localisation, mais elles connaissent l’ensemble des localisations possibles. La question
qui se pose est celle de savoir : où vont-elles choisir de s’installer ou quel produit vont-elles
choisir de vendre pour avoir une demande maximale ?
Autrement dit, si A et B sont les deux entreprises, qui choisissent de se situer en a et
b, avec a<b : quelle va être leur demande respective dans le cas où les coûts de transport
sont linéaires, T(ℓ)=t. ℓ et que le prix P est fixé ?

Entreprise A Entreprise B

0 a b 1
Fig. : modèle de la ville linéaire

L’entreprise A va obtenir tous les clients entre 0 et a ; l’entreprise B ceux situés entre
b et ℓ. Elles vont se partager les clients entre a et b.

Entreprise A Entreprise B

0 a b 1
Part de marché de A Part de marché de B
Fig. : Détermination des parts de marché dans le modèle de la ville linéaire

Pour déterminer le choix de l’emplacement sur le segment [0, 1], les entreprises vont
étudier la demande correspondante. Le consommateur X situé en x est indifférent entre
l’entreprise A et l’entreprise B si ce qu’il devra payer (prix du bien + coût de transport) est le
même pour les deux entreprises.

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Economie Industrielle 2023- 2024
Consommateur
Indifférent x

Entreprise A Entreprise B

0 a b 1
x
Part de marché de A Part de marché de B

Fig. : consommateur indifférent chez Hotelling

𝑎+𝑏
𝑃 + 𝑡 (𝑥 − 𝑎 ) = 𝑃 + 𝑡 (𝑏 − 𝑥 ) ⇔ 𝑥 =
2

Le consommateur indifférent se situe donc en x. Dans ce cas, la zone d’attraction de


A, qui correspond à sa demande Da, est x et la zone d’attraction de l’entreprise B est (1-x).
𝑎+𝑏 𝑎+𝑏
𝐷𝑎 = 𝑥 = 2 ; 𝐷𝑏 = 1 − 𝑥 = 1 − 2
Une fois les demandes déterminées en fonction des emplacements choisis, les
entreprises vont chercher à maximiser leur profit.
Comme le prix est fixé, le profit 𝜋𝑖 = 𝑃. 𝐷𝑖 (𝑎, 𝑏). Pour les deux entreprises, on a :
𝑎+𝑏 𝑎+𝑏
𝜋𝐴 = 𝑃. 𝐷𝑎 (𝑎, 𝑏) = 𝑃. 2 ; 𝜋𝐵 = 𝑃. 𝐷𝑏 (𝑎, 𝑏) = 𝑃(1 − 2 ).
𝜕𝜋 𝑃
Pour l’entreprise A, supposons que b soit fixé : 𝜕𝑎𝐴 = 2 > 0 .
Plus 𝑎 augmente, plus le profit de l’entreprise A est important. L’entreprise A a donc
intérêt à se rapprocher de l’entreprise B. Elle conserve sa part de marché à gauche mais
empiète sur le territoire de B.
𝜕𝜋 𝑃
Pour l’entreprise B : 𝜕𝑏𝐵 = − 2 < 0.
Plus 𝑏 diminue, plus son profit augmente. L’entreprise B va donc avoir intérêt à se
rapprocher de A.
A l’équilibre, les deux entreprises vont avoir la même localisation : a = b. cette
stratégie s’appelle « différenciation minimale ». Cela explique donc le fait que les
entreprises choisissent souvent des produits proches.

Mais où vont-elles choisir de se situer ?


1
A l’équilibre, les deux entreprises vont se situer au milieu du segment : 𝑎 = 𝑏 = 2.
1
Supposons que 𝑎 = 𝑏 < 2, si l’une des entreprises se déplace vers la droite elle gagne
1
des parts de marché. Elle a donc intérêt à se déplacer. Même raisonnement pour 𝑎 = 𝑏 > .
2
Pour des prix fixés et des coûts de transport linéaires, les deux entreprises se
localisent à l’équilibre au milieu de la ville (différenciation minimale). Chaque entreprise se
localise à cet endroit car en l’absence de concurrence par les prix, elle cherche à avoir le
maximum de part de marché.

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b) Duopole et stratégies de prix : Gabszewicz et Thisse (1979)

On suppose maintenant que les entreprises choisissent aussi le prix du bien (il y a
également concurrence en prix). On suppose alors que plus les entreprises sont proches,
plus les prix diminueront. Le consommateur choisit une entreprise si le fait de s’y rendre
et de payer le prix proposé est plus avantageux.

Le problème à résoudre ici s’apparente à un jeu en deux étapes, dans lequel


 Les firmes choisissent simultanément les prix P1 et P2 pour des localisations
fixées,

 Etant donnée la concurrence en prix qui va s’installer et les parts de marché


correspondants, elles vont choisir leur localisation a et b.

Considérons la variante du modèle dans lequel les coûts de transport sont quadratiques :
T(ℓ) = t. ℓ2 .

Consommateur
Indifférent x

Entreprise A Entreprise B

0 a
x b 1
Pa Pb
Fig. : Différenciation et politiques de prix

1ière étape : Cherchons tout d’abord où se situe le consommateur indifférent et


déduisons-en la fonction de demande de chaque entreprise.
 Consommateur indifférent :
𝑃𝑏 − 𝑃𝑎 𝑎+𝑏
𝑃𝑎 + 𝑡(𝑥 − 𝑎)2 = 𝑃𝑏 + 𝑡(𝑏 − 𝑥)2 ↔ 𝑥 = +
2𝑡(𝑏 − 𝑎) 2
 Fonction de demande :

𝐷𝑎 (𝑃𝑎 , 𝑃𝑏 ) = 𝑥 𝑒𝑡 𝐷𝑏 (𝑃𝑎 , 𝑃𝑏 ) = 1 − 𝑥

2ième étape : Equilibre en prix lorsque les localisations sont fixées en (a, b)

 Profit des entreprises : 𝜋𝐴 = 𝑃𝑎 . 𝐷𝑎 (𝑃𝑎 , 𝑃𝑏 ) = 𝑃𝑎 . 𝑥

𝜋𝐵 = 𝑃𝑏 . 𝐷𝑏 (𝑃𝑎 , 𝑃𝑏 ) = 𝑃𝑏 . (1 − 𝑥)
 Maximisation du profit :
𝜕𝜋𝐴 𝑎+𝑏+2
=0 ∗
𝜕𝑃𝑎 𝑃𝑎 = 𝑡(𝑏 − 𝑎)
⟺ (𝑃𝑎 ∗ , 𝑃𝑏 ∗ )𝑎𝑣𝑒𝑐 { 3
𝜕𝜋𝐵 4 − 𝑎−𝑏
=0 𝑃𝑏 ∗ = 𝑡(𝑏 − 𝑎)
𝜕𝑃𝑏 } 3

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L’équilibre en prix (𝑷𝒂 ∗ , 𝑷𝒃 ∗ ) est constitué d’une paire de prix qui ne laisse
inexploitée aucune possibilité d’accroitre la recette des deux entreprises par le choix
unilatéral d’un autre prix, étant donné le prix choisi par le concurrent.

3ième étape : cherchons les localisations optimales a et b

D’après les équations de demande, la demande de l’entreprise A augmente avec le


prix du bien offert par l’entreprise B et décroît avec P a. Plus l’entreprise augmente ses prix,
plus elle perd en parts de marché, étant donné que les localisations sont fixées.
Rappelons tout d’abord l’impact que les localisations ont sur les prix d’équilibre.
 Si les entreprises sont localisées au même endroit 𝑎 = 𝑏, les prix d’équilibre
sont nuls. Les entreprises font de la différentiation minimale et la concurrence est à son
maximum. On appelle cet effet, l’effet centripète ;

 Si les entreprises sont chacune à un bout du segment 𝑎 = 0 𝑒𝑡 𝑏 = 1, alors


les prix sont élevés. Les entreprises font de la différenciation maximale et l’effet de
concurrence est diminué mais les parts de marché baissent à cause des prix élevés. On
appelle cet effet, l’effet centrifuge.

La localisation des entreprises à l’équilibre se fait en fonction de l’interaction des


effets centrifuge et centripète.
Intuitivement, lorsque les entreprises choisissent à la fois les produits et les prix, elles
font face au dilemme suivant :
- Soit elles choisissent une forte différenciation de leur produit et elles
diminuent l’impact de la concurrence sur leur prix de vente. Elles gagnent sur les prix, mais
perdent sur les parts de marché donc sur leur volume de vente;

- Soit elles choisissent une faible différenciation et elles augmentent leurs parts
de marché, mais l’impact de la concurrence est pus fort. Elles gagnent sur les volumes de
vente mais perdent sur les prix.

Dans le cas où les coûts de transport sont quadratiques, l’effet centrifuge est
supérieur à l’effet centripète : les deux entreprises choisissent les localisations 𝑎 =
0 𝑒𝑡 𝑏 = 1.
Elles répondent au principe de différenciation maximale. Les entreprises s’éloignent
l’une de l’autre en vue de constituer des monopoles locaux qui atténuent la concurrence en
prix qu’elles se livrent.

2-2- Le modèle de différenciation horizontale : la ville circulaire

Lorsque les hypothèses de la ville linéaire ne peuvent s’appliquer, il est possible de


disposer d’un autre filtre d’analyse : le modèle de la ville circulaire proposé par Salop (1979).
L’idée est que le centre du cercle n’est pas accessible. Dans la réalité, cela peut correspondre
à un centre-ville qui est interdit pour certaines activités économiques par la réglementation
(par exemple, les stations services, etc.).

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Economie Industrielle 2023- 2024
Les consommateurs sont situés sur un cercle de circonférence égale à 1, de façon
uniforme. Dans ce cas, l’espace produit est totalement homogène (aucune localisation n’est
a priori meilleure qu’une autre). Tous les déplacements se font le long du cercle (imaginons
des supermarchés dans une banlieue circulaire, la ville étant coûteuse à traverser).

a) Stratégies de parts de marché

Les consommateurs souhaitent acheter une unité du bien ; ils ont tous un coût de
transport. Chaque entreprise ne peut retenir qu’une seule localisation. Quel que soit le
nombre n d’entreprises, l’équilibre s’obtient lorsqu’elles sont placées de façon équidistante
sur le cercle. Le principe de différenciation maximale s’applique donc. Pour illustrer cette
idée, supposons trois entreprises placées sur le cercle. Si elles se placent de façon
équidistante, elles ont chacune un tiers de la demande.

B C

Figure 1 Parts de marché dans le modèle de Salop

Supposons que l’entreprise A se déplace, elle continuera à avoir un tiers. Elle n’a
donc pas intérêt à se déplacer.
Néanmoins, si A se déplace vers C, B va y gagner mais C va perdre. C va donc se
déplacer. Mais si C se déplace B va se déplacer. Elles ont donc intérêt à se déplacer de façon
équidistante. C’est la seule solution d’équilibre.

b) Stratégies de prix

Salop considère le jeu à deux étapes : à la première, les entreprises choisissent


d’entrer simultanément ou non. Soit n le nombre de firmes qui entrent. Ces firmes se
placent à la même distance les unes des autres sur le cercle. L’important ici, c’est l’entrée sur
le marché. A la deuxième étape, ces localisations étant données, elles se font concurrence
en prix.
Lorsque les n entreprises sont localisées de façon équidistante, le prix d’équilibre va
augmenter avec le coût du transport. Lorsque le coût de transport est élevé, le principe du
monopole local s’applique. L’impact de la concurrence des autres entreprises est atténué :
chaque entreprise a la possibilité de vendre son produit à un prix excédent son coût
marginal. A l’inverse, quand la valeur de t est faible, les prix d’équilibre sont proches du prix
concurrentiel. De plus, on remarque que plus le nombre d’entreprises présentes augmente,

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Economie Industrielle 2023- 2024
plus le prix d’équilibre va diminuer : en l’absence de coût d’entrée (coûts fixes d’installation),
l’entrée sur un marché différencié n’est jamais impossible.

2-3- Le modèle de différenciation verticale

La différenciation verticale tient compte de la qualité des produits. Dans ce cas, et à


l’encontre de la différenciation horizontale, tous les consommateurs ont les mêmes
préférences pour le produit. Ils sont tous d’accord pour dire qu’un produit est de meilleure
qualité, c'est-à-dire que sa distance psychologique par rapport à d’autres produits de moins
bonne qualité est moindre : la qualité d’un produit est donc la variable stratégique.

a) Pourquoi les produits de mauvaise qualité se vendent-ils ?

Les produits de bonne qualité sont toujours plus chers que ceux de moins bonne
qualité. C’est une évidence dont les raisons tiennent à des considérations techniques
(longévité), ergonomiques (confort), etc.
Mais d’après les tenants de ce modèle [Gabszewicz, Thisse (1979), Shaked et Sutton
(1982)], c’est parce que les produits de mauvaise qualité sont plus éloignés que ceux de
bonne qualité dans la perception psychologique que les agents seront prêts à payer moins
chers ces produits. En fait, l’existence simultanée de produits de bonne qualité et de
mauvaise qualité peut favoriser la vente des produits de mauvaise qualité.
En effet, l’existence d’un étalon de valeur qui aide à prendre conscience qu’un
produit est de bonne qualité permet d’en augmenter un peu plus son prix. A l’inverse, les
agents n’ayant pas un usage important de ce produit, achèteront celui de mauvaise qualité
en raison du prix de celui de bonne qualité. De plus, le gain tiré de la consommation de ce
bien n’est pas compensé par les coûts supplémentaires liés à l’achat du bien de bonne
qualité.
La résolution de ce modèle montre que les firmes préfèrent une différenciation aussi
grande que possible. Les entreprises choisissent les qualités qu’elles veulent offrir en
fonction des prix, qui maximisent leurs profits. Elles vont essayer d’atténuer la concurrence
en prix : la différenciation maximale s’appliquera.
Dans ce cadre d’analyse, les agents vont supporter un coût supérieur en choisissant
le produit de mauvaise qualité. L’entreprise qui pratique la différenciation verticale devra
vendre moins cher les produits de mauvaise qualité. Les coûts de transport ou
d’éloignement psychologique pour les produits de bonne qualité n’étant pas élevés,
l’entreprise pourra les vendre à des prix élevés et faire des marges importantes.

b) Les limites de la différenciation verticale

Deux critiques peuvent être formulées. La 1ère repose évidemment sur la perception
de la qualité qui est parfois subjective. La différence doit être faite entre les biens
d’expérience, dont la qualité apparaît à l’usage, et les biens dont la qualité est
immédiatement perceptible. Mais quel que soit le bien, deux personnes donneront une
évaluation sur la qualité du produit souvent différente, cela dépend de leur propre vécu, de
leurs habitudes de consommation, des groupes sociaux auxquels ils appartiennent.
La seconde critique porte sur la notion de qualité/prix. Les échelles de grandeur sont
elles aussi, fortement subjectives.

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Economie Industrielle 2023- 2024
2-4- La publicité et la demande des consommateurs

Nous avons vu que la différenciation est un outil stratégique permettant


l’augmentation des profits des entreprises. Elles se créent des niches et exploitent le pouvoir
de monopole qu’elles ont sur ces niches. Dans certains cas, la différenciation présente des
limites. Sur certains points, il y a peu de diversité possible (par exemple, le carburant
automobile, la lessive). Dans ce cas, les entreprises cherchent

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Economie Industrielle 2023- 2024
Chapitre 4 : COMPORTEMENTS STRATEGIQUES ET
COLLUSION SUR LES MARCHES

La presse économique et financière relate chaque jour les prises de contrôle et les
accords de coopération et livre fréquemment au public les tumultueuses relations inter-
firmes ; Acquisitions géantes, accords entre firmes « foncièrement » concurrentes ou ruptures
d’alliances sont autant d’occasions d’offrir à la théorie de très intéressantes illustrations et au
chercheur une mine d’informations. La littérature concernant les stratégies de croissance
externe et d’alliance s’est largement développée ces dernières années. Une des premières
contributions concernant les accords de coopération fut celle de P.Mariti et R. Smiley. Ils
mirent en évidence les formes structurelles et les motivations des accords. De même, les
chercheurs s’intéressèrent davantage à la croissance externe et particulièrement aux stratégies
de fusions-acquisitions.
La littérature concernant la coopération inter-firmes a pris forme très tôt, dès le début
de vingtième siècle. À travers un plaidoyer pour les trusts fédérés, C. Gide indique déjà dans
les années 1910 que de telles structures présentent des avantages car elles préservent
l’indépendance des entreprises. Trusts et cartels seront aussi défendus en 1924 par R.
Liefman, lequel insistera sur le caractère informel de ces coopérations, suggérant déjà que les
contrats signés sont beaucoup plus souples que les structures juridiques classiques.
Cependant, la plupart des contributions théoriques assimileront pendant de longues années
alliances et ententes. Il est vrai que de nombreuses situations correspondent alors à une
coopération sur le prix ou sur les quantités ; le cas u marché pétrolier est à ce titre
emblématique. Bien avant que ne naisse l’OPEP, le marché international du pétrole fut en
effet régi par les accords d’Achnacarry (1928) qui instituaient une association entre les sept
plus grandes compagnies pétroliers, appelées les « Majors ». Cette association se transforma
très vite en cartel. Aujourd’hui, la nature des alliances est différente ; les variables qui
intéressent les entreprises ne sont plus uniquement les prix ou les quantités.
Ainsi, les fusions-acquisitions ou les accords de coopération concernent la mise en
commun de la recherche-développement, de la production, de la commercialisation ou de
l’ensemble de ces services. Il n’est cependant pas exclu qu’au travers d’alliances, se forment
des ententes au sens classique du terme. Mais c’est finalement assez rare. La richesse du tissu
économique s’exprime aussi par l’importance des relations de sous-traitance. Aucune
entreprise, aussi puissante soit-elle, n’est vraiment autonome ; beaucoup s’emploient donc à
tisser de véritables réseaux autour d’elles, afin de bénéficier d’externalités ou dans le but de
transformer son produit en un standard du marché.
Objectifs du chapitre : Les relations qui peuvent se nouer entre les firmes,
concurrentes ou non, ainsi que leurs caractéristiques, sont nombreuses et d’une grande
complexité. Outre la compréhension du fonctionnement d’un cartel et de sa stabilité, nous

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Economie Industrielle 2023- 2024
tenterons de faire le point sur les différentes modalités des relations inter-firmes. Le paysage
économique européen se transforme depuis plusieurs décennies sous l’effet des grandes
alliances et des opérations de fusions-acquisitions, mais aussi à cause de l’évolution
favorable de la sous-traitance. À l’aide de nombreux exemples d’actualité, de recherches
empiriques personnelles et de théories économiques, nous nous proposons de mieux
comprendre ces différentes stratégies.
I- Le cartel, l’entente parfaite ?
Sur un marché, des entreprises peu nombreuses peuvent avoir intérêt à conclure une
entente, autrement dit, à former un cartel. On aborde alors les stratégies dites coopératives,
par opposition aux modèles précédents appelés non coopératifs (cf. chapitres 2 et 4). Un cartel
peut naître d’un accord formel ou d’un accord tacite, chaque firme réduisant sa production
avec l’idée que les concurrents adopteront la même stratégie ; on parle alors de collusion
tacite ou encore de parallélisme de comportement.
A- La solution algébrique

À la place de maximiser individuellement leur propre profit, les entreprises un


oligopole coopératif peuvent décider de maximiser les profits du cartel ou encore appelés
« profits joints ».
Pour simplifier ce qui pourrait être généralisé à n firmes, imaginons que trois firmes A,
B et C d’un même marché décident de s’entente pour former un cartel. Dans ce cas,
l’oligopole se comporte comme un monopole, qui approvisionnerait à lui seul la totalité du
marché. L’objectif consiste donc à maximiser les profits joints :
πCartel (qA , qB , qc) = RT(qA , qB , qc) − CTA − CTB − CTC
Condition du premier ordre :

∂π cartel ∂RT ∂RT


=0 − CmA = 0 = CmA
∂qA ∂qA ∂qA
∂π cartel ∂RT ∂RT
=0 ⇔ − CmB = 0 ⇔ = CmB système (1)
∂qB ∂qB ∂qB
∂π cartel ∂RT ∂RT
=0 − CmC = 0 = CmC
∂qC ∂qC ∂qC

Or, comme le cartel fixe un prix de vente unique, chaque unité supplémentaire
fabriquée rapportera la même recette marginale, quelle que soit la firme qui produit cette
unité. Cela nous permet d’écrire l’égalité des recettes marginales :
∂RT ∂RT ∂RT
= =
∂qA ∂qB ∂qC
Cette égalité permet de résoudre le système (1) ; il vient alors :

CmA = C mB = CmC

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Ainsi, les quantités qA , qB et qC qui maximisent les profits joints sont elles que les
coûts marginaux des membres du cartel sont tous égaux entre eux. Ce résultat se généralise
lorsque le cartel est composé de n firmes. Sur les marchés où règnent des cartels, on observera
en règle générale un prix élevé et des quantités faibles.
Dans la plupart des cas, la solution à laquelle on aboutit doit donner lieu à des
transferts de profits, d’une entreprise à l’autre, afin de respecter les sacrifices que certaines
entreprises ont consentis en respectant les quotas imposés par le cartel.

B- L’instabilité naturelle du cartel


Le risque généralement reconnu du cartel, c’est son instabilité. En effet, une fois que
l’équilibre est défini par l’organisme centralisateur, il peut être payant pour une entreprise
d’avoir un comportement opportuniste (ou déviant) et de profiter du prix élevé pour vendre
une quantité plus forte. Comme le cartel a imposé des quotas (production plus faible à cause
d’un prix élevé), la firme opportunisme a toutes les chances de vendre la production
supplémentaire. Il suffit pour cela qu’elle la vende à un prix juste inférieur au prix imposé par
le cartel. Elle recueillera alors un profit bien supérieur à celui qui lui a été imposé par le
cartel. Mais cette attitude frauduleuse peut provoquer une dynamique instable, les autres
firmes pouvant adopter la même stratégie. De plus, pour vendre davantage, la seconde
entreprise opportuniste devra baisser encore le prix de vente. On aboutit progressivement à
une situation proche de la concurrence. Le cartel peut ainsi éclater. Ce raisonnement est
d’autant plus vrai que le cartel est composé d’un nombre important de firmes et que les
représailles sont peu crédibles.
Le cartel dispose cependant d’un certain nombre de moyens pour faire respecter les
accords passés entre les membres. L’organisme central peut, par exemple, infliger des
sanctions financières aux « fraudeurs » et même prononcer leur exclusion. Le cartel peut aussi
fixer la part e marché affectée à chaque membre du cartel (lorsqu’elles sont facilement
calculables), et décider de représailles si elle augmente sans accord, suite à une baisse
opportuniste du prix.
Enfin, sur le modèle de Green et Porter, des représailles généralisées utilisant la
technique du « prix de déclenchement » peuvent être décidées à l’avance. Comme il est
difficile de savoir si le prix baisse à cause d’une baisse subite de la demande, ou à cause d’une
tricherie de l’un des membres qui a produit plus que son quota, le cartel peut fixer un prix
planché de rétorsion. Si une firme du cartel baisse son prix au-dessous d’une valeur appelée
prix de déclenchement, le cartel autorise tous les autres membres à baisser leur prix, de façon
à retrouver les niveaux de production antérieurs à la formation du cartel. Ainsi, le cartel
s’appuie sur cette menace pour discipliner les firmes qui pourraient, sans cela, avoir un
comportement opportuniste. Après une période de guerre des prix, elles reviendront à des
comportements plus coopératifs.
Le cartel de l’OPEP

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L’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole a été créée le 14 septembre 1960, à
Bagdad, entre l’IRAK, l’IRAN, le Koweit, l’Arabie Saoudite et le Venezuela. Comme nous le
disions en introduction, son objectif initial était de réagir à l’agressivité croissante de grandes
compagnies pétrolières. C’est-à-dire lutter contre l’érosion continue des cours du brut,
imposée par les « 7 sœurs ». Au début, l’OPEP demande donc une simple stabilisation des
cours. Très vite, les membres du cartel sont incités à durcir leur position face au changement
de structure de la consommation d’énergie : du « tout charbon » jusqu’à la fin des années 50,
les pays industrialisés passent progressivement au « tout pétrole » dans les années 60.
D’autres pays rejoignent le cartel de l’OPEP : en 1961, le Qatar ; en 1962, l’Indonésie et la
Libye ; en 1969, l’Algérie ; en 1971, le Nigeria et en 1973, l’Equateur et le Gabon. Un
ressentiment contre les anciens pays colonisateurs et plus globalement contre les pays
occidentaux, ainsi que les guerres des Six jours (1967) et du Kippour (1973) expliquent les
nationalisations des avoirs étrangers par certains pays de l’OPEP et les continuelles hausses
du prix du brut : le baril passe de 3 dollars en octobre 1972 à 12 dollars en 1973, puis à 35
dollars en 1980.
Pourtant, dès 1975, certains pays tels que la Libye, le Nigéria, ou l’Équateur,
commencent à accorder d’importantes remises sur les prix. En septembre 1985, pour faire
pression sur ces pays qui ont pris l’habitude de vendre moins cher que le prix officiel,
l’Arabie Saoudite menace de déclencher une guerre des prix, en vendant un supplément de
1 million de barils par jour à un prix largement inférieur au prix officiel. En mars 1986,
l’OPEP se réunit à Genève afin de mieux définir les quotas et de réfléchir sur les méthodes
pour stopper la baisse du prix. Cette réunion n’atteint pas vraiment ses objectifs.
On remarque ainsi que les premiers comportements de free riders sont apparus dès
que le cartel est devenu puissant, c’est-à-dire, dès qu’il est devenu intéressant pour certains
pays de profiter des prix officiels élevés pour vendre à des prix légèrement moins élevés, mais
cependant bien plus élevés que si le cartel n’existait pas. Ce comportement peut cependant
s’expliquer par des motivations autres qu’opportunistes. En effet, l’effritement de la
puissance de l’OPEP est lié à plusieurs facteurs. Tout d’abord, à la forte concurrence des
pays non OPEP, tant sur le plan même du pétrole que sur le développement d’importants
programmes nucléaires et d’économies d’énergie. Ensuite, du fait des caractéristiques en
opposition des pays membres : certains sont peu peuplés et peuvent accepter des réductions
de leurs livraisons alors que d’autres, à la démographie galopante, ne le peuvent pas ; certains
doivent financier des guerres (Iran, Irak) ou compenser le coût d’une industrialisation
indispensable.
En mars 2000, à l’occasion d’une réunion de l’OPEP, le cartel avait adopté un
mécanisme d’intervention, qui devait être en théorie automatique : dès que le cours du baril
dépassait 28 dollars en moyenne sur 20 jours, la production du cartel devait augmenter de
500 000 barils par jour. Ce seuil a été franchi en juin 2000 sans que l’OPEP ne modifie sa
production. Le 21 juin 2000, à Vienne, l’OPEP a décidé de modifier ses quotas, afin de faire

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Economie Industrielle 2023- 2024
baisser le prix, jugé trop élevé par les pays membres qui craignent de trop freiner la
consommation des pays riches.
Selon P. Chalmin, « au cours de ses 40 années d’existence officielle, l’OPEP n’aura connu
que 12 années de ‘’vraie vie’’, entre 1973 et 1985. Pendant cette période, l’OPEP a fixé le
prix du pétrole. Depuis 1985, elle n’est parvenue qu’à de très rares moments à influer le
marché. Elle a passé l’essentiel de son temps à courir après son unité, en tentant d’assurer un
minimum de discipline entre des membres aux intérêts opposés, regroupés autour de deux
sensibilités : les faucons, soucieux de la seule défense des pays producteurs, et les colombes,
sensibles aux intérêts des pays occidentaux. Et a se prémunir de la concurrence, de plus en
plus forte des pays non OPEP.
- Tout d’abord, certains cartels internationaux où les membres sont des pays,
fonctionnent légalement ;
- Certains cartels illégaux fonctionnent en pensant qu’ils ne seront pas détectés et/ou
que la punition sera de toute façon bien plus faible que des bénéfices tiers de
l’entente ;

- Certaines entreprises sont enfin capables de coordonner leurs activités sans créer de
structure, ou sans qu’il y ait collusion explicite.

De nos jours, l’entente sur les prix et les quantités est loin d’être la « formule »
coopérative la plus fréquemment utilisée par les entreprises, essentiellement pour trois
raisons. Tout d’abord, elle est interdite et légalement risquée ; ensuite, elle n’est envisageable
que dans les secteurs oligopolistiques ; enfin ; les éventuels participants sont conscients de sa
fragilité organisationnelle. Aussi, il n’est pas étonnant de voir exister d’autres types de
« relations » inter-firmes, aux caractéristiques bien différentes de celles u cartel.

II- Les différentes formes de relations inter-firmes


Commençons cette section par quelques points de vocabulaire, fort utiles dans une
période où les termes qui évoquent les relations inter-firmes, d’une part sont nombreux et
d’autre part, ont souvent des contours assez mouvants selon vous lisez la presse économique
et financière ou des articles de recherche universitaires. Dans un cadre qui ne se veut pas
innocent, sous-traitance, impartition, quasi-intégration, accords de coopération, alliances
stratégiques, joint venture, entreprises communes, fusions-acquisitions, font référence à des
pratiques relationnelles plutôt « coopératives » que nous avons jugées bon de définir. À
l’issue de cette présentation, nous apporterons un éclairage théorique sur ces différentes
orientations, notamment à l’aide de la théorie de coûts de transactions.

A- De la sous-traitance à la quasi-intégration

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Le Conseil économique et social, dans son avis n°7 du 21 mars 1973 avait définit la
sous-traitance comme « l’opération par laquelle une entreprise confie à une autre le soin
d’exécuter pour elle et selon un cahier des charges préalable une partie des actes de
production ou de services dont elle conservé la responsabilité économique finale ». L’Afnor
limite la définition précédente en indiquant « qu’un preneur d’ordre qui assume la
responsabilité technique d’un produit spécifique est considéré comme un fournisseur et non
plus comme un sous-traitant, même si certaines performances et/ou contraintes lui ont été
fixées par le donneur d’ordres ». Aujourd’hui, faisant référence à la sous-traitance, on parle
volontiers d’externalisation (outsourcing), ou encore d’infogérance lorsqu’il s’agit de sous-
traiter tout ou partie d’un service informatique. En France, le premier prestataire
d’infogérance est IBM Global Services, avec près de trois milliards de francs de chiffres
d’affaires en 1999.
Outre ces définitions, il est classique de distinguer deux formes de sous-traitance. La
sous-traitance de capacité correspond au cas où le donneur d’ordres, équipé pour effectuer
une production donnée, fait appel à une autre entreprise soit de façon occasionnelle pour faire
face à une pointe de charge ou à des difficultés techniques, soit de façon plus ou moins
habituelle afin de conserver une capacité propre dans une production donnée.
La sous-traitance de spécialité apparaît lorsque le donneur d’ordres utilise les
compétences et ses équipements d’une entreprise spécialisée. Les motivations de la firme
principale peuvent être nombreuses : elle n’est pas équipée, ou ne souhaite pas investir dans
de nouvelles installations ou encore espère bénéficier des économies liées à la spécialisation
du sous-traitant. La sous-traitance de spécialité correspond davantage à une décision
stratégique, résultant d’un calcul économique de long terme. Elle est qualifiée de
« structurelle » et domine dans la plupart des secteurs où elle représente en moyenne 70% du
total.
Pour marquer la volonté de créer une certaine égalité dans une relation d’échange, de
nouveaux termes sont apparus tels que la quasi-intégration, ou l’impartition. Ils désignent des
situations où les rapports de force se veulent plus équilibrés, où la confiance prend le pas sur
la surveillance, l’interdépendance sur la dépendance.
S’inspirant des travaux de François Perroux, Jacques Houssiaux a développé le
concept de quasi-intégration, qu’il définit ainsi : « Relation suivie des marchés conclus par
des entreprises indépendantes situées à des stades de production différents. » La quasi-
intégration se situe entre l’intégration et le marché. Proche de l’intégration du fait de la
stabilité des liens, elle n’emprunte pas moins certains éléments au marché : indépendance
juridique, négociations périodiques, etc. M. Aoki indique, au sujet de la stabilité, qu’entre
1973 et 1984, seulement trois firmes ont quitté l’association des fournisseurs de premier rang
de Toyota. Un peu plus loin, il rejoint Houssiaux lorsqu’il dit que la quasi-intégration est une
relation de sous-traitance, présentant à la fois des caractères d’intégration et d’autonomie. Au
début des années 90, avant que la crise asiatique ne vienne perturber certains équilibres, une

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autre étude a montré qu’au Japon, 60% des PMI sous-traitantes disent n’avoir jamais changé
de donneur d’ordres depuis le début de leurs relations de sous-traitance. Il est donc indéniable
que la quasi-intégration présente des avantages sur la sous-traitance pure ; s’appuyant sur la
confiance, elle permet de bénéficier des atouts de l’intégration sans subir ses inconvénients.
Malgré cela, la dépendance ne s’efface pas totalement ; paradoxalement, la durée qui
caractérise une relation quasi intégrée, peut conduire à un renforcement de la dépendance,
pour toutes les parties en présence.
Il est en effet plus aisé pour une firme de s’extraire d’une relation brève que d‘une
relation de longue durée où des habitudes ont été prises, et où il est probable que les liens avec
des sous-traitants de substitution n’ont pas été maintenus. Comme on peut le constater, la
dépendance est réciproque, mieux maîtrisée, mais toujours présente.
Selon C. Altersohn, « le terme d’impartition fut conçu pour jouer un rôle de concept
unificateur entre les différentes formes de coopération fondées sur la confiance ». C’est à P-
Y. Barreyre que l’on doit ce terme, associé par l’auteur aux notions de partage, de délégation
et de confiance. Plus large que la sous-traitance, qui est un choix économique (faire ou faire-
faire), l’impartition est aussi et surtout un état d’esprit : l’entreprise ne doit pas considérer
seulement son intérêt à court terme mais, en se plaçant dans une perspective stratégique, doit
considérer l’autre comme un partenaire avec lequel il faut s’attacher à développer une
collaboration susceptible de produire des effets de synergie où chacun trouve son avantage ».
Barreyre et Bouche donnent à l’impartition un sens encore plus englobant que celui
donné à la quasi-intégration, puisqu’elle rassemble la sous-traitance, la fourniture spéciale, le
mandat, la concession, la licence, le franchisage, la coproduction ou co-traitance (pour
laquelle « les partenaires se partagent la responsabilité d’une réalisation »). Nous avons tenu à
terminer cette énumération par la coproduction parce qu’il s’agit du type d’impartition qui se
rapproche le plus de la coopération. Selon les termes mêmes de l’auteur, il y aurait dans ce
cas un partage des responsabilités, absent des autres formes d’impartition. Malgré cette
proximité et parce que l’impartition inclut aussi la sous-traitance classique, la franchise etc., il
n’est pas possible e l’assimiler stricto sensu à la coopération ou à la stratégie d’alliance.
B- Accords de coopération, alliances stratégiques et entreprises communes
Contrairement ç certains abus de langage, et à l’usage qu’en fait souvent la presse
économique et financière, ces termes ne devraient pas être totalement considérés comme des
synonymes.
Un accord de coopération est un mode de croissance réfléchi et limité dans le temps,
qui crée des liens d’interdépendance entre deux ou plusieurs entreprises, concurrentes ou non,
sans généralement aboutir à des situations de contrôle juridique fort et direct. Ainsi, un accord
de partenariat entre une entreprise et son fournisseur, ou une alliance stratégique pourront être
qualifiés d’accord de coopération, ce qui ne sera pas le cas d’une fusion ou d’une acquisition.
Le terme d’alliance stratégique est généralement admis pour désigner des accords de
coopération entre firmes concurrentes. Nous retiendrons la définition de P. Dussauge :

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« Une coopération ou une alliance stratégique est un accord conclu et géré
conjointement par plusieurs entreprises concurrentes, ou potentiellement concurrentes, qui
choisissent de mener à bien un projet, un programme ou une activité spécifique en
coordonnant les compétences, les moyens et les ressources nécessaires plutôt que :
 De mettre en œuvre ce projet ou cette activité sur une base autonome, en affrontant
seule la concurrence des autres firmes engagées dans la même activité ;
 De mettre en commun de manière définitive et sur l’ensemble de leurs activités, la
totalité des ressources dont elles disposent (en fusionnant ou en procédant à
l’absorption de l’une par l’autre) ;
 De transférer entièrement l’activité concernée d’une firme à une autre ».

Concrètement, une alliance peut se traduire par un certain nombre « d’arrangements »


juridiques et/ou organisationnels. Une équipe de recherche commune peut être créée et
travailler dans le laboratoire de l’une des firmes ; l’accès à un marché peut être favorisé en
échange d’un transfert de technologie, etc. il est aussi possible que l’alliance se matérialise
par la création d’une entreprise commune.
Une entreprise commune ou joint-venture, est une firme juridiquement indépendante,
généralement créée par deux entreprises, qui en partagent la propriété selon une répartition
donnée. Nous avons vu dans le chapitre trois que les filiales communes pouvaient être
qualifiées de coopératives ou de concentratives. Les joint-ventures sont souvent le fait
d’entreprises de nationalités différentes, comme le montre les quelques exemples suivants
(tableau 6.1)
Les alliances entre firmes concurrentes offrent pour le chercheur un domaine d’étude
particulièrement riche du fait du double aspect des relations entre ces entreprises. Relations
marquées à la fois par le sceau de la coopération, à l’intérieur du domaine de l’alliance, et par
celui de l’affrontement à l’extérieur du domaine de l’alliance où les firmes redeviennent
concurrentes. De plus, l’association de rivaux ouvre le champ à des manœuvres stratégiques
subtiles où l’opportunisme peut permettre à un partenaire de renforcer sa position aux dépens
d’un autre. Ainsi, on est surpris de constater que Boeing s’allie avec Matra Bae Dynamics
dans le domaine des missiles. Boeing facilite l’adaptation des missiles européens sur les
avions américains dans le but de contourner le quasi-monopole de la firme Raytheon dans la
fabrication de missiles pour l’US Air Force.
C. Les fusions- acquisitions
L’article 371 alinéa 1 de la loi du 24 juillet 1966 précise qu’une fusion est
« l’opération par laquelle deux ou plusieurs sociétés se réunissent pour n’en former plus
qu’une seule, soit par l’absorption d’une ou de plusieurs sociétés par une autre, soit par la
réunion des sociétés objets de la fusion dans une société nouvelle créée à cet effet ». La
législation fait peser de lourdes obligations sur les sociétés qui fusionnent. Ces dernières
doivent en effet préciser dans le Traité de fusion de nombreux éléments, tels que les dates, les

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Economie Industrielle 2023- 2024
buts ou les modalités de l’échange des droits sociaux. L’importance des changements
provoqués dans la répartition des droits de propriété ne doit cependant pas dissimuler un
second élément, essentiel à la réussite d’une opération de croissance externe : les
restructurations et les « recompositions » organisationnelles.
Les fusions permettent e restructurer les secteurs au niveau mondial. Le nombre
d’opérations ainsi que les montants moyens en jeu sont globalement en augmentation depuis
une vingtaine d’années. Voici une liste non exhaustive des opérations majeures de ces
dernières années (cf. tableaux 6.2 et 6.3)
Pour des raisons de place et parce que cela ne nous semble pas indispensable par
rapport aux objectifs fixés, nous n’aborderons pas les caractéristiques des différentes types de
fusions (fusion pure, fusion absorption, fusion scission, etc.), ni les aspects techniques ou
financiers associés à ces opérations aux montages souvent complexes.
III- Les motivations des stratégies de fusions-acquisitions et d’alliances
À la suite d’une étude statistique portant sur la période 1985-1992, achevée en 1994 et
recensant 6 112 opérations, nous avons pu mettre en évidence les principales motivations des
stratégies de fusions-acquisitions et d’alliances. La plupart des résultats « classiques » relatifs
aux motivations communes se sont confirmés au fil des années ( § A) ; certains résultats plus
« originaux » en ce début de décennie 90 sont aujourd’hui parfaitement admis et ont fait
l’objet de nombreux développements théoriques ( § B).

A- Les motivations communes des fusions-acquisitions et des alliances


1) Les synergies
L’existence de synergies est souvent considérée comme le facteur explicatif
fondamental des fusions-acquisitions et des alliances stratégiques. Elles correspondent au
« supplément de valeur consécutif à un regroupement d’entreprises et qui ne peuvent être
obtenues que par la réalisation effective du regroupement ». Les synergies peuvent s’exprimer
de plusieurs façons. Tout d’abord, il peut s’agir de complémentarités, chaque partenaire
recherchant chez l’autre ce qu’il ne possède pas. Dans les années 80, l’alliance entre Toyota et
General Motors, deux entreprises en concurrence frontale, avait fait grand bruit. Mais les
deux firmes y trouvaient chacune un intérêt : Toyota souhaitait faciliter et accentuer sa
présence aux États-Unis, alors que GM désirait bénéficier du savoir-faire organisationnel de la
firme nipponne, dont les résultats de l’époque faisaient pâlir européens et américains.
Les résultats chiffrés confirment aussi l’importance de la recherche d’économies
d’échelle, tant industrielles que commerciales, qui expliquent pour environ 55% (en
moyenne sur la période 1986-1992) les opérations de fusions ou les alliances. Comme
d’autres chercheurs, J. Bain s’est intéressé à déterminer l’existence d’une taille minimale
optimale (TMO) pour certaines industries. La moyen d’arriver à ces niveaux élevés de
production consiste à utiliser fusions ou alliances. Selon l’avis de hauts dirigeants interrogés
lors d’une enquête : par le passé, la minimisation des coûts était nécessaire à la maximisation

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Economie Industrielle 2023- 2024
du profit alors qu’aujourd’hui, elle est nécessaire à la survie de l’entreprise. Il existe une
multitude d’exemples de fusions-acquisitions et d’alliances entre firmes concurrentes,
réalisées dans le but d’accroître la taille et de profiter d’économies d’échelle. Le récent
accord de coopération entre les constructeurs automobiles européens Fiat et PSA concernant
la production d’un monospace au sein d’une société commune est l’exemple même d’une
alliance ponctuelle entre firmes concurrentes, réalisée dans le but de profiter d’économies
d’échelle dans la production.
Cependant, les deux modalités de regroupement ne doivent pas s’interpréter de la
même façon sur le plan industriel. La fusion réunit la totalité des fonctions des firmes
concernées. Il s’agit donc d’une opération lourde qui affecte toute la structure d’ l’entreprise,
qui est de plus susceptible d’être bloquée par les autorités antitrust (cf. encadré ci-après).
L’accord de coopération permet les mêmes économies d’échelle techniques ou commerciales
en ne regroupant que ce qui est vraiment nécessaire. Seule la fonction que l’on souhaite
élargir fait l’objet de l’alliance. Cela s’explique par le fait que toutes les fonctions ne
connaissent pas la même dimension optimale et que différents niveaux d’indivisibilité
coexistent à l’intérieur de la firme recherche, production, commercialisation).
Concernant les alliances stratégiques, P. Dussauge et B. Garrette, s’appuyant pour
partie sur la distinction scale joint venture/link joint venture proposée par J.-F. Hennart,
constatent l’existence de trois configurations possibles. Leur typologie est construite sur la
base d’une double distinction : d’une part les éléments mis en commun à l’occasion de
l’alliance sont identiques ou complémentaires ; d’autre part les résultats sont communs aux
firmes ou propres à chaque firme.

Les firmes alliées apportent des


actifs…

De même nature pour mettre De même nature différente


sur le marché…

Un même produit Des produits propres à


commun chaque allié

Alliance de complémentarité
Alliance additive Alliance conjointe

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Economie Industrielle 2023- 2024
Figure 6.2  La typologie de Dussauge et Garrette

2) Barrières à l’entrée et pouvoir de marché.


Les avantages industriels liés à l’obtention de la taille minimale optimale sont
indéniables (économies d’échelle, d’apprentissage). Mais cette taille, souvent obtenue grâce à
une fusion ou à une alliance, place aussi l’entreprise dans une position e force face à la
concurrence potentielle. Pour être compétitif, il faudrait que l’entrant puisse disposer d’une
capacité de production identique, ce qui impose soit de très lourds investissements soit e
trouver à son tour un partenaire, avec sous-jacent, un risque de surproduction. De plus, la
grande taille permet en théorie e profiter des avantages liés à l’obtention d’un pouvoir de
marché. Comme nous le rappelions à l’occasion du chapitre consacré à la firme dominante, il
s’agit d’élever le prix au dessus du coût marginal de production. Cependant, dans beaucoup
d’oligopoles, les luttes concurrentielles sont tellement après que les fusions et les alliances ne
sont pas réalisées dans un but d’élever le prix à un niveau « non concurrentiel ».
3) Pénétration des marchés et globalisation
L’entrée sur de nouveaux marchés peut fournir une motivation puissante pour
les firmes cherchant à étendre leur production. Cet avantage est d’ailleurs sanctionné par un
coût financier supérieur. Ainsi, une firme européenne paiera environ 10% à 20% de plus
qu’une firme américaine pour acheter une firme implantée aux États-Unis.
En 1990, l’acquisition d’Uniroyal-Goodrich (États-Unis) par Michelin permet
d’illustrer le cas des motivations stratégiques. Michelin était présent aux États-Unis, mais
confiait lors d’un entretien que sa taille était trop faible pour être efficace. Cet achat a permis
à Michelin d’obtenir environ 30% du marché américain de la première monte et 25% du
marché américain total. Cependant, l’importance des synergies doit être minimisée dans la
mesure où Michelin a fait part de son intention de ne pas modifier l’indépendance structurelle
d’Uniroyal (sauf dans la révision à la hausse de ses programmes d’investissements). Il ne
devrait donc pas découler de cette acquisition un supplément notable d’économies d’échelle.
C’est d’ailleurs le cas de nombreuses fusions-acquisitions transfrontalières où les possibilités
de restructuration sont souvent minimes car très délicates à envisager concrètement à cause
des problèmes liés aux distances géographiques et culturelles. C’est onc surtout la volonté de
s’implanter sur un nouveau marché qui a guidé le choix de Michelin.
Pénétrer de nouveaux marchés s’effectue aujourd’hui de plus dans le cadre d’une
stratégie globale. Cette dernière s’applique notamment à éviter les doubles emplois, souvent
considérés comme le principal inconvénient de la multinationalisation. Afin d’obtenir de
fortes économies d’échelle et d’amortir plus vite les frais de recherche sans cesse croissants,
la firme globale rationalise sa structure. Les unités nationales seront spécialisées de façon à
fournir une zone de marché beaucoup plus vaste que le marché national où elles se sont
implantées.

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Economie Industrielle 2023- 2024
La stratégie globale est onc une solution efficace pour réduire au maximum les coûts
de production. Seule la hausse des coûts de transport et de coordination des activités semble
pouvoir freiner la mondialisation. Cependant, les coûts unitaires de transport baissent avec
l’accroissement des quantités et la coordination des activités s’améliore avec les progrès
réalisés dans les technologies de l’information et des télécommunications. De ce fait, afin de
profiter des avantages dus à la grande dimension, mais sans compromettre l’identité nationale,
les firmes utilisent fréquemment les accords de coopération. De nombreuses motivations sont
donc communes aux accords de coopération et aux fusions-acquisitions. Néanmoins, une
analyse plus fine met en évidence des différences et des motivations spécifiques.
B- Les motivations spécifiques des fusions –acquisitions
Si l’on se réfère aux statistiques, les motivations purement financières représentent
en moyenne 23% des explications des fusions et 48% de celles des acquisitions majoritaires.
Bien sûr, l’aspect financière est loin d’être absent de la logique industrielle présentée plus
haut, dans la mesure où la baisse du coût unitaire grâce aux possibles synergies est un élément
essentiel. Cependant, il existe de nombreux cas où seuls des motifs financiers guident
l’opération de fusion-acquisition. C’est le cas lorsqu’une firme acquiert la majorité des titres
d’une autre firme, simplement dans le but de s’approprier les bénéfices réalisés.
De nombreuses opérations n’aboutissent pas au rapprochement industriel et ne sont
réalisées que dans le but de réaliser « une bonne affaire » ou d’éliminer un concurrent gênant.
Dans certains cas, l’achat purement spéculatif, par rapport aux cours boursiers, est susceptible
de conduire au démantèlement de la firme. Ces dernières années, les stratégies de
diversification étant moins présentes, au profit des stratégies dites de recentrage sur le métier
de base, nous pouvons noter que cette pratique se fait plus rare.
La théorie managériale précise que les fonctions d’utilité des propriétaires et des
gestionnaires sont différentes. Ces derniers peuvent donc être tentés de privilégier les
acquisitions ou les fusions qui procurent une croissance rapide, afin de satisfaire leur goût
pour le pouvoir. Bien des dirigeants ont développé des stratégies d’acquisitions qui se sont
révélées par la suite très coûteuses et peu rentables. Ceci est d’autant plus vrai que le métier
des cibles était éloigné des compétences et l’acquéreur.
Les fusions-acquisitions se produisent aussi à cause de dirigeants incompétents qui
réduisent la valeur boursière de la firme à tel point qu’il devient profitable pour des firmes
concurrentes d’en prendre le contrôle. Après l’opération, les nouveaux managers espèrent
gérer la firme plus efficacement. Le corollaire de cette hypothèse est l’existence d’un marché
financier inefficient. Les informations concernant la cible ne sont pas complètes et parfaites.
De plus, les acquéreurs potentiels ne disposent pas tous du même niveau d’information.
C- Les motivations spécifiques des alliances
Nos recherches statistiques de 1985 à 1992, corroborées aujourd’hui par de nombreux
spécialistes, nous permettent de conclure à la spécificité industrielle et stratégique des accords
de coopération et des alliances stratégiques. C’est le cas des nombreuses alliances visant à

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Economie Industrielle 2023- 2024
promouvoir la recherche-développement, la flexibilité et la réversibilité, ainsi que la
« normalisation privée ».
1) Alliances stratégiques et R&D
Les résultats de nos enquêtes montrent que la R &D occupe une place croissante dans
les motivations de la coopération. Selon nous, l’importance de la R & D coopérative est due à
un double phénomène : le poids des coûts fixes et l’appropriabilité (possible ou non) des
résultats de la recherche.
 La R & D implique des coûts fixes de plus en plus élevés

Dans de nombreux secteurs de l’économie, deux phénomènes expliquent la croissance


et l’importance des investissements en R & D. Il s’agit de la sophistication des produits et
des processus, et de la rapidité avec laquelle on constate leur obsolescence. Aujourd’hui,
même les innovations mineures requièrent de très lourds investissements car la technologie
qu’elles incorporent est souvent complexe. Ainsi, tant à cause des coûts fixes élevés qu’à
cause de la rapidité des évolutions technologiques, les accords de coopération sont devenus un
instrument privilégié de mise en œuvre des projets de R&D. En effet, les alliances permettent
à des entreprises de s’associer sur des programmes ponctuels, à durée limitée, et ‘en partager
les coûts et les risques.
 Les possibilités d’appropriabilité des résultats de la R&D

Devant les difficultés et les coûts élevés des projets de R&D, nous savons que les
autorités antitrust ont assoupli les contraintes pesant sur les accords de coopération en R&D.
En effet, ces dernières se trouvaient devant un dilemme. Soit elles interdisaient l’exploitation
commune des résultats de la R&D coopérative, étant conscientes que les firmes ne
trouveraient alors guère d’avantages à la coopération (car les bénéfices tirés de la R&D en
commun seraient vite amoindris par la concurrence intense au niveau de la
commercialisation). Soit les autorités concurrentielles permettaient l’extension de la
coopération aux stades avals, ce qui favorisait les firmes mais contribuait à la création de
pratiques anti-concurrentielles dommageables (fixation conjointe des prix de vente, paiements
multilatéraux compensatoires, exclusion d’entrants potentiels…). Le règlement n° 418/85 de
la Commission tente d’assurer un compris en rendant inapplicable aux accords e coopération
l’article 85 § 1 du traité de Rome, sous certaines conditions (le travail est accompli dans le
cadre d’un programme défini, toutes les parties ont accès aux résultats, le savoir-faire et les
brevets résultant de la recherche contribuent de manière substantielle au progrès technique et
économique, etc.). Cependant, afin de limiter l’usage abusif de ce règlement, la commission
impose des conditions restrictives quant à la durée de l’accord et aux parts de marché (cf.
chapitre 3).
Ainsi, l’importance croissante des frais de recherche et l’assouplissement de la
législation sur les accords concernant la R&D et ses résultats, se conjuguent pour rendre les

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Economie Industrielle 2023- 2024
coopérations dans le domaine de la R&D de plus en plus intéressantes et expliquent le trend
ascendant constaté lors de l’étude des motivations.
2) Les alliances stratégiques : des relations industrielles souples et réversibles
La recherche d’un certain niveau de flexibilité et de réversibilité est aujourd’hui une
des principales motivations spécifiques des alliances stratégiques. La réflexion autour de la
flexibilité est pourtant ancienne puisque déjà en 1978, J. Pfeffer et G. Salancik remarquaient
que, « la coopération à l’avantage d’être plus flexible que la gestion de la dépendance passant
par la propriété. Les relations issues de la coopération peuvent être établies, renégociées et ré-
établies avec beaucoup plus de facilité que ne le permet l’intégration par la fusion ».
Le degré de flexibilité d’un programme est une fonction croissante du nombre de
possibilités offertes après accroissement e l’information. Cela implique que la flexibilité a un
coût. K. Arrow, A. Fisher et C. Henry se sont intéressés à la valeur qu’un décideur est prêt à
payer pour maintenir dans le futur sa liberté de choix. Ce prix à payer, appelé « valeur
d’option », trouve sa source dans l’obtention d’informations ; il entre dans le processus de
décision des agents chaque fois que le futur est incertain et que ces derniers anticipent une
meilleure information. Selon cette définition, la flexibilité associée à un mode de croissance
(fusion ou accord) dépend des opportunités laissées libres à l’issue de l’opération. Or un
accord de coopération n’empêche pas la formation d’autres alliances, même dans un délai très
bref. Il est cependant nécessaire de prévoir l’élargissement éventuel lors de l’élaboration du
contrat. Ainsi, la flexibilité dynamique d’un mode de croissance réside essentiellement
dans la nature du contrat liant les entreprises ; plus ce dernier est précis, plus les possibilités
futures sont réduites. Lors de l’accord initial entre Renault et Volvo, il était stipulé que les
accords avec des tiers seraient limités à ceux déjà en cours ou bien devraient recevoir
l’approbation du partenaire. Cette clause visait à protéger chaque constructeur d’une tentative
de comportement déloyal, pour chacune des firmes, cela représentait une diminution la
flexibilité.
Sur le plan de la réversibilité, plus les relations entre deux firmes concernent un
domaine précis et limité, plus il sera aisé de rompre sans grands changements par rapport à
l’état de départ. Les accords de coopération sont donc par définition plus réversibles que les
fusions-acquisitions. Le principal problème d’un dirigeant n’est pas de choisir entre un acte
irréversible et davantage d’informations, mais de choisir entre deux actes à degrés
d’irréversibilité différents. Lorsque le retour à la situation antérieure s’impose, le choix « le
moins mauvais » sera le choix le plus réversible.
Le cas de l’échec de la fusion BMW-Rover montre qu’il est souvent très coûteux de
revenir en arrière. Selon H. Panke, directeur financier de BMW, « Rover nous aura coûté 9
milliards marks ». Cette valeur n’inclut d’ailleurs par la somme de 500 millions de livres que
BMW a accepté de verser au consortium anglais Phoenix à titre d’avances remboursables,
pour que ce dernier accepte d’acheter Rover au prix symbolique de 10 livres. D’après le

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président du directoire de BMW, « nous avons surestimé la valeur de la marque Rover ; nous
avons appris que les fusions peuvent être paralysantes ».
Ainsi, dans des situations d’incertitude et de complexité (technologique, par
exemple) l’entreprise devrait plus volontiers se tourner vers des modes d’organisation
flexibles et réversibles, afin d’être à même de se réorienter plus facilement vers des domaines
porteurs dans la mesure où ses choix antérieurs se sont révélés infructueux
3) Les alliances stratégiques : structure organisationnelle privilégiée dans la création de
standard
La volonté de participer à la création d’une norme (d’un « standard »), de préférence
acceptée au niveau européen ou mondial, est une motivation spécifique qui prend aujourd’hui
une place croissante dans les stratégies des firmes. Lorsque ces stratégies réussissent, elles
peuvent engendrer de durables effets d’irréversibilité, en condamnant l’émergence et la
diffusion de nouveaux produits ou même de standards alternatifs.
Ainsi, la plupart des projets technologiques relatifs à des infrastructures et qui
impliquent une compatibilité avec d’autres techniques ou entre différents utilisateurs,
présentent des phénomènes d’enfermement sur des orientations technologiques particulières,
autrement dit, donnent naissance à des irréversibilités. Lorsque la valeur d’un produit est
fonction du nombre d’utilisateurs, on dit qu’il bénéfice d’externalités de réseau.
Aujourd’hui, un nombre croissant de produits, notamment ceux liés aux technologies de
l’information et de la communication, bénéficient de ce type d’externalités.
Les entreprises sont donc contraintes de développer des stratégies adaptées à ce nouvel
environnement : nouer des alliances en vue de promouvoir une norme semble être le meilleur
moyen. Le système d’exploitation Windows de Microsoft est devenu un standard, notamment
parce que Microsoft a su convaincre la plupart des fabricants de micro-ordinateurs de
l’utiliser. Une fois que la majorité des utilisateurs sont convaincus, l’inertie devient si grande
qu’un produit concurrent a forcément beaucoup de mal à trouver sa place. Même lorsque son
prix est faible, les coûts de changement (temps de formation sur le nouveau produit,
investissement dans des équipements complémentaires, problèmes d’incompatibilité, tec.)
sont tels qu’entreprises et utilisateurs sont réticents. On dit que le marché est verrouillé.
Mais heureusement, le verrouillage n’est pas éternel et une nouvelle technologie ou un
nouveau produit peut changer la donne, à la condition que de nombreuses entreprises
« alliées » dans ce combat s’opposent au standard de façon ferme.
C. Shapiro et H. Varian développent largement cette question dans un ouvrage très
intéressant consacré à l’économie de l’information. Ils illustrent leurs propos par l’étude de la
téléphonie mobile. Dans ce secteur en forte croissance, trois standards se partagent jusqu’à
présent le marché : le système GSM, le système TDMA et le système CDMA. Le premier
s’est imposé en Europe (150 millions d’abonnés) ; il est aussi dominant au plan mondial
(280 millions d’abonnés). En revanche, les États-Unis ont connu une « guerre de
standards » dans la mesure où les trois systèmes sont présents, et obligent l’utilisateur à

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acheter un nouveau téléphone lorsqu’il souhaite passer d’un système à l’autre
(l’incompatibilité s’arrête là car il est cependant possible de téléphoner entre systèmes).
Complétons cette illustration par l’actuelle migration vers le nouveau standard UMTS
(Universal Mobile Télécommunication System). Il s’agit de la troisième génération de la
téléphonie mobile, permettant un accès à haut débit à Internet.
4) Les alliances stratégiques : unique structure organisationnelle permettant de fédérer
un nombre important d’entreprises
Les alliances, indépendamment ou non de la création d’une norme, permettent aussi à
un grand nombre d’entreprises, concurrentes ou non, de se réunir dans le cadre d’un projet
commun. Cela ne serait pas envisageable par le biais de fusions-acquisitions. De plus, les
entreprises ne souhaitent coopérer que sur des aspects très précis de leurs activités, et non sur
la totalité.
Ainsi, environ 60% du trafic aérien mondial est logé sous la bannière d’une grande
alliance, dite globale, qui coiffe les pavillons traditionnels de chaque compagnie. Dans ce
secteur, pour des raisons réglementaires, les fusions sont assez difficiles, c’est pourquoi
presque toutes les compagnies ont développé des partenaires stratégiques. Ainsi, Star
Alliance regroupe une quinzaine de compagnies, dispose de 1 858 appareils et offre plus de
9 000 vols par jour à 750 000 passagers par jour. La plupart des alliances se construisent
autour d’un élément fondamental : le hub (plate-forme de correspondance). Les connexions
entre hubs permettent de démultiplier le nombre des correspondances. Ainsi, les compagnies
peuvent offrir un très grand choix de destinations à leurs adhérents.
A l’heure actuelle, on note une forte croissance des alliances de « grand nombre »
suite au développement rapide du commerce électronique, d’entreprises à particuliers (B-to-
C, Business to Cosummer), mais surtout d’entreprises à entreprises (B-to-B, Business to
Business).
Remarque
Certaines plates-formes ne sont pas encore opérationnelles à l’heure où nous écrivons
cet ouvrage, mais nous ne doutons pas que très rapidement, elles le deviennent, avec un taux
d’échec très faible. C’est le cas de CPGmarket.com, première place de marché électronique
européenne dite de e-procurement créée par Danone et Nestlé, deux entreprises concurrentes
dans les produits de grande consommation. CPGmarket.com permettra d’améliorer l’efficacité
de la chaîne logistique tout en réduisant les coûts d’approvisionnements des entreprises qui
fabriquent, distribuent et vendent des produits. Le site sera opérationnel en juillet 2000 et
d’autres entreprises sont déjà invitées à rejoindre les fondateurs, ce qu’à fait Henkel.
Normalement, ces plates-formes ne doivent pas permettre aux industriels
partenaires de regrouper leurs commandes, comme le ferait une super-centrale d’achat,
respectant ainsi le droit de la concurrence. Elles n’ont pour seul objectif que de simplifier les
procédures de passation de commande. L’acheteur met « en ligne » les spécificités techniques,
le volume et la date de livraison des produits ou composants qu’il recherche ; les fournisseurs

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Economie Industrielle 2023- 2024
intéressés transmettent leurs propositions. Ainsi, les acheteurs peuvent sélectionner la
meilleure offre. Le développement de ces plates-formes pose cependant quelques problèmes
aux autorités antitrust américaines et européennes. Ainsi, une enquête vient récemment d’être
ouverte par la Federal Trade Commission sur l’entreprise commune Covisint. La question
majeure que se posent les spécialistes de la FTC et de la Commission européenne, à laquelle il
semble assez difficile de répondre dans la mesure où cette activité est toute récente, est la
suivante : ces plates-formes sont-elles des concentrations ou des coopérations ?:

 Elles seront considérées comme des concentrations si « elles accomplissent de façon


durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome », exerçant une
véritable activité de service et fonctionnant de façon indépendante ;
 Si ces plates-formes ne sont que des « outils » perfectionnés permettant d’améliorer la
gestion des achats (présentation des cahiers des charges et réception des offres), alors,
elles peuvent être considérées comme des coopérations entre firmes concurrentes.

Dans les deux cas, les risques sont d’une part, de voir naître des abus de position
dominante, liés à une puissance d’achat considérable, et d’autre part, qu’une trop grande
transparence conduise à des collusions tacites ou à des coordinations plus ou moins
explicites des stratégies commerciales et des stratégies de prix. Enfin, ces plates-formes
peuvent constituer des sortes de barrières à l’entrée, lorsque les initiateurs n’acceptent pas
qu’un nouvel entrant les rejoigne.
Conclusion
Aujourd’hui, bien que des comportements collusifs soient toujours à craindre, les
alliances ne sont généralement pas créées pour augmenter les prix et fixer des quotas. En
revanche, elles permettent aux entreprises de réduire leurs coûts d production, de mener à
bien de lourds programmes de recherche, dans un cadre plus souple et plus adaptatif que
celui permis par des opérations de fusion-acquisition. Certes, les alliances stratégiques n’ont
pas que des avantages ; ainsi, la coordination des activités est souvent difficile, notamment
lorsque le nombre de participants est élevé. Les principales difficultés rencontrées par Airbus
Industries furent effectivement (et sont encore) liées à la répartition et à la coordination des
tâches de production et d’assemblage au sein du consortium. Cependant, le développement
rapide des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment à
travers la création de standards, contribue d’une part à faciliter la coordination des activités et
d’autre part à renforcer le rôle des alliances stratégiques.

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Chapitre 5 : COMPORTEMENTS STRATEGIQUES ET
INFORMATION IMPARFAITE SUR LES
MARCHES

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