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Université Mohammed V-Rabat

Année universitaire 2022-2023

Matière : Economie industrielle (S 6, groupe D)

Professeur : MAANINOU AMAL

Présentation des grands axes du cours

L’économie industrielle (EI) est une discipline ancienne, mais qui au fil du temps se
renouvelle sans cesse et s’adapte à l’analyse des situations industrielles les plus diverses. Say
a ainsi créé au Conservatoire des arts et métiers une chaire d’EI en 1819. Marshall est, sans
aucun doute, l’un des premiers économistes qui a posé les bases de cette discipline et ce par
le biais de l’analyse de l’organisation industrielle. D’une part, il critique la position
pessimiste de Ricardo (lois des rendements décroissants dans l’agriculture) en mettant en
avant la dynamique des activités industrielles adossée à des rendements croissants internes.
D’autre part, il met le doigt sur les agglomérations industrielles qui génèrent des externalités
positives (économies externes qui résultent de la dynamique de l’environnement externe de la
firme).

De leur côté de l’Atlantique, des économistes américains (Ely, Veblen, Clark…) ont
également contribué au développement de cette discipline via le constat suivant : l’analyse
statique de la concurrence pure et parfaite ne correspond pas à la réalité des structures des
marchés et aux comportements des firmes, dont certaines sont devenues de véritables
mastodontes jouissant du coup d’une situation de monopole et donc d’un grand pouvoir de
marché et ce à la suite de la crise de 1873. Dans ce cadre, dans lequel la seconde Révolution
industrielle est en marche avec des innovations majeures (électricité, moteur à explosion,
acier, pétrole…), leur contribution est à la source de nouvelles dispositions juridiques et
réglementaires - lois antitrust, les Sherman Act - pour contrer ce type de situation dans
diverses industries (pétrole, transport ferroviaire, acier, tabac…). C’est dans ce contexte que
la Standard Oïl, qui contrôlait 90% du raffinage et de la distribution du pétrole, fut
démantelée en 1911. Cette dissolution donnera naissance à de multiples compagnies
pétrolières indépendantes qui accoucheront des grands noms de l’industrie pétrolière
américaine : Exxon, Mobil, Chevron, Esso… De même, d’autres firmes vont connaître le
même sort, Tobacco ainsi que Du Pont de Nemours. Dans la foulée, la législation américaine
antitrust se renforce, en 1914, grâce au Clayton Act qui interdit la fusion d’entreprises
susceptible d’altérer de manière significative la concurrence, mais également les accords
d’exclusivité clients-fournisseurs…

Plus tard, Mason, Bain, Scherer Ross et bien d’autres économistes vont, entre 1930 et 1960,
dynamiser l’EI en lui donnant de fait ses lettres de noblesse, à la fois en peaufinant ses

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concepts-clé et en mettant en relief le modèle de base de cette discipline : Structure-
Comportement-Résultat. L’apport de ces économistes consiste d’abord à ne pas focaliser
l’attention uniquement sur le cas du monopole, ensuite ils prennent à leur tour leur distance
par rapport à l’hypothèse de la concurrence pure et parfaite et son corolaire, l’optimum des
performances, s’attachent dans la foulée à établir des classifications des différentes structures
de marchés possibles, examinent les différentes stratégies des firmes (qui oscillent entre
concurrence et monopole), et introduisent de nouveaux concepts (barrières à l’entrée,
monopole naturel….), ce qui au final aboutit à la confection dudit modèle.

Dès le début des années 1980, l’EI s’enrichit de nouveaux outils, lesquels ouvrent la voie à de
nouvelles perspectives (la nouvelle EI), lesquelles tournent autour des comportements
stratégiques des firmes dans un contexte économique de plus en plus mondialisé,
déréglementé, chapeauté par l’industrie de la finance et soumis à une incertitude de plus en
plus forte. Ce contexte modifie ainsi la structure et l’organisation des marchés, qui de plus en
plus ouverts à la concurrence, mais également impacte le comportement des firmes et celui
des autorités publiques. L’un des enseignements majeurs de cette bifurcation est le rejet de la
causalité déterministe qui prévaut dans le modèle de base de l’EI, en ce sens que les
comportements stratégiques des firmes modifient la structure des marchés et les conditions de
base.

Ainsi, d’un côté la nouvelle EI s’appuie sur les nouvelles théories de l’entreprise (théorie des
coûts de transaction, théorie de l’agence, théorie évolutionniste) qui apportent de nouveaux
éclairages sur les modes d’organisation industrielle (recours au marché ou à l’organisation,
rôle de l’asymétrie de l’information, concentration, apprentissage et innovation, etc.) et les
stratégies des firmes qui lui correspondent. Ces théories enrichissent ainsi l’EI en mettant en
relief l’importance de l’innovation dans la dynamique industrielle, élaborent des cadres
conceptuels qui reposent sur l’importance des coûts de transaction et d’agence, mais aussi sur
l’asymétrie de l’information…

D’un autre côté, la théorie des jeux donne un nouveau souffle à l’EI moyennant le recours à
la modélisation. De fait, elle propose, entre autres, une nouvelle vision des barrières à
l’entrée, l’importance des négociations bilatérales… Dans cette perspective, les travaux de
Tirole sont une référence de premier plan.

En s’inspirant de Rainelli, on définit l’objet de l’EI comme suit : c’est une discipline qui a
pour but l’étude du système productif et des stratégies de ses composantes, les firmes, il ne se
limite pas à l’analyse des structures des marchés et des variables explicatives de l’existence
de multiples configurations de marché possibles, il s’interroge également sur les
comportements stratégiques des firmes, des industries et des pouvoirs publics.

Sous cet éclairage, cette discipline examine l’interface des comportements des acteurs au sein
d’un secteur industriel donné, des structures de marché (monopole, oligopole, monopsone,
duopole…) et des politiques publiques dédiées à la réglementation. Elle est donc une
discipline de l’économie dont la teneur est loin d’être statique et dont les outils s’avèrent tout
à fait pertinents pour comprendre la dynamique industrielle et concurrentielle, le choix des

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modalités de l’organisation industrielle, et l’élaboration des politiques industrielles et
réglementaires. Son domaine est donc vaste.

Afin d’éviter d’éventuels malentendus, quelques précisions d’ordre essentiellement


méthodologique s’imposent :

-cette discipline s’inscrit largement dans le cadre de la concurrence imparfaite, elle est donc
loin du paradigme de la concurrence pure et parfaite et de la dimension microéconomique de
type néoclassique comme le montre ce tableau.

Principales hypothèses Microéconomie EI


La qualité de l’information Information complète, Information imparfaite et
parfaite et gratuite incomplète
Les caractéristiques des Atomicité de l’offre et de la Plusieurs configurations
marchés demande, concurrence pure possibles de marché
et parfaite (oligopole, monopole…)
La taille des entreprises Egale Différente, accès inégal aux
marchés
La fonction de production Unique avec une technique Multiplicité des techniques,
donnée compétitivité coût et hors-
coût (qualité, service après
vente…)
Le comportement des firmes « Price-taker » : la firme n’a Les entreprises développent
aucun pouvoir sur les prix des stratégies, peuvent
disposer de pouvoir de
marché et donc peuvent être
« price-maker » en fonction
de leur taille ou de la
différenciation de leurs
produits
La régulation Le marché est La régulation est nécessaire
autorégulateur, l’Etat n’a
qu’un rôle secondaire ou de
gendarme
Le coût d’accès au marché Coût zéro Coûts de transaction
existants

- le terme « industrie » est à prendre au sens large, regroupant ainsi aussi bien les activités
industrielles au sens courant que celles qui se rattachent aux services : industrie
agroalimentaire, industrie de la chimie lourde, industrie des télécommunications, industrie
des loisirs, industrie de la grande distribution, industrie aéronautique, industrie hôtelière,
industrie financière, etc.

- le niveau d’analyse privilégié est d’ordre méso-économique, néanmoins la référence aux


niveaux micro et macro-économiques sont à prendre en considération. Le niveau méso-
économique fait donc référence à différents secteurs qui évoluent, qui se distinguent en
termes d’organisation industrielle, d’opportunité technologique, de nombre d’entreprises, de
réglementation spécifique à tel ou tel pays… (Secteur traditionnel versus secteur de pointe ;

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oligopole versus duopole ; intensité de la Recherche&Développement forte versus faible ;
secteur à forte intensité capitalistique (pharmacie, par exemple), versus faible ou moyenne
(Textile-Habillement, par exemple)…).

- le domaine de l’EI est vaste, pour preuve l’ouvrage d’Arena, Benzoni, De Bandt et Romani
comporte plus de 700 pages ! En outre, il ne dit rien ou presque sur les récents
développements de cette discipline, ceux qui ont trait à la modélisation. Il serait donc illusoire
de traiter toutes ses ramifications… Par conséquent, des tris s’imposent. Le plan retenu est le
suivant :

Plan du cours

A-Les concepts fondamentaux de l’EI

B-L’apport des théories de la firme à l’EI

C-Présentation et discussion du modèle de base de l’EI

D-Indications et réflexions conclusives

Le premier axe est dédié aux principaux concepts de l’EI. Cet axe est tout à fait crucial pour
la compréhension des notions de base de cette discipline. Cette compréhension détermine en
quelque sorte le reste et constitue donc une étape incontournable. Le second axe s’arrête sur
le premier versant de la nouvelle EI relatif aux théories de la firme qui ont émergé durant les
années 1970-1980. L’objectif consiste à mettre en lumière l’apport de ces théories à cette
discipline en s’arrêtant sur trois : la théorie des coûts de transaction, la théorie de l’agence et
la théorie évolutionniste ou néo-schumpetérienne.

L’axe qui suit présente les grandes lignes du modèle de base de l’EI et les interactions entre
ses composantes. Il prend comme champ d’investigation deux périodes historiques (1950-
1980 et de 1990 à nos jours) afin d’esquisser les grandes tendances de chacune de ces deux
périodes et de souligner les différences entre elles, notamment en matière des structures des
marchés, des stratégies des firmes et des politiques publiques.

Le dernier axe constitue un prolongement du troisième. Il porte sur l’importance prise ces
deux dernières décennies par l’économie numérique, laquelle pose de nombreuses questions
aux économistes spécialistes de l’EI et constitue un défi pour les autorités publiques. Il est
d’abord de nature factuelle et, à ce titre, met le paquet sur l’émergence et le développement
spectaculaire (accéléré d’ailleurs par la crise sanitaire) des GAFAM. Ensuite, il analyse les
structures des marchés adossés aux plates-formes numériques, puis livre quelques
propositions qui concernent la régulation de ces firmes géantes D’autre part, il établit le lien
avec les secteurs de l’énergie et de l’automobile (voiture électrique) et en tire un certain
nombre d’enseignements sur la transition énergétique et avance des pistes de réflexion sur la
régulation des firmes qui fabriquent et commercialisent les produits connectés.

Liste bibliographique:

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ALTERNATIVES ECONOMIQUES, Pollution. La face cachée du numérique (Dossier), n° 387,
2020.

ALTERNATIVES ECONOMIQUES, GAFA : comment les dompter ? (Dossier), n ° 3185, 2018.

ARENA R. et al. (sous la direction de), Traité d’économie industrielle, Economica, 1991.

BAUDRY B., Les relations interentreprises, La Découverte, 1995.

CHEVALIER J.-M., L’économie industrielle des stratégies d’entreprises, Montchrestien, 2000.

COHEN D., Homo Numericus, Albert Michel, 2022.

CORIAT B., WEINSTEIN O., « Les théories de la firme : entre contrat et compétences, une revue
critique des développements récents », Revue d’Economie industrielle, n° 129-130, I, 2010.

COUTINET N., SAGO-DUAREUX D., Economie des fusions-acquisitions, La Découverte, 2003.

DEPRET M-H, HAMDOUCH A, «  Le déploiement des écosystèmes industriels et d’innovation dans


le business vert. Fondements et éclairages à partir du cas des pôles de compétitivité de l’énergie en
France », Revue d’Economie Industrielle, n° 152, 4ème trimestre, 2015.

DOSI G., TEECE D., WINTER S. G, “ Les frontières de la firme”, Revue d’Economie Industrielle, 1er
trimestre, 1990.

EL MOUHOUB MOUHOUD, Mondialisation et délocalisation des entreprises, La Découverte,


2011.

GLAIS J.-J., Economie industrielle, les stratégies concurrentielles des firmes, Litec, 1992.

HANANE L., Firme et marché, Dar Essalam, 2004.

JACQUEMIN A., Sélection et pouvoir en économie industrielle, Economica-Cabay, 1985.

MAANINOU A, Les théories économiques de l’entreprise, Publication de la faculté des SJES-


Souissi, 2016.

MORVAN Y., Fondements d’économie industrielle, Economica, 1991.

LEVET J.-L., L’économie industrielle en évolution, Economica, 2004.

MERINET S., VAUJOUR J-B., Economie de l’énergie, Dunod. 2015.

PITRON G., La guerre des métaux rares, Les liens qui libèrent, 2018.

PITRON G, L’enfer numérique, Les liens qui libèrent, 2021.

RAINELLI M., Economie industrielle, Dalloz, 1998.

RIFKINE J., La troisième révolution industrielle, Babel, 2011.

TIROLE J., Théorie d’organisation industrielle, Economica, 1993.

WILLIAMSON O., Les institutions de l’économie, IinterEdition, 1994.

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A-Les concepts fondamentaux de l’EI

-Les barrières à l’entrée : ce concept remet en cause le cadre de la concurrence pure et


parfaite dans la mesure où il stipule que l’entrée dans un marché n’est pas libre et que donc se
dresse un obstacle ou une barrière à l’entrée. Ce concept constitue un outil de démarcation
par rapport à l’économie néo-classique et, à ce titre, rend compte de la dynamique
concurrentielle dans un secteur donné. Par la même occasion il met en avant les conditions
d’entrée sur un marché et leur impact sur la viabilité des firmes. La nature de ces barrières se
décline au pluriel : - le montant du capital, - l’accès à la technologie,- les avantages en termes
de coût-les économies d’échelle et d’apprentissage, - la différenciation du produit, - la
réglementation.

Ainsi, pénétrer le marché des fournitures scolaires pose, en termes des besoins en capitaux,
moins de problèmes par rapport à celui de l’aéronautique ou de l’aérospatial. L’entrée dans ce
dernier exige des technologies diverses et pointues difficiles à acquérir sur le marché (accès
aux brevets) et qui exigent en outre un long processus d’apprentissage, lequel constitue à son
tour une barrière à l’entrée car une firme qui en dispose a une protection par rapport aux
potentiels rivaux en termes d’expérience, d’accumulation de savoir-faire. La production à
grande échelle constitue également un obstacle pour un prétendu entrant dont les ressources
sont limitées. La différenciation joue un rôle similaire car les consommateurs ne perçoivent
pas les produits des entrants potentiels comme des substituts parfaits. De même la publicité
peut jouer le rôle d’une barrière à l’entrée. Elle donne lieu à d’importantes dépenses en
promotion et en communication qui sont hors de portée des concurrents potentiels, et sert de
support à la persuasion dont bénéficient les entreprises déjà installées dans un secteur donné.
Les pouvoirs publiques constituent également une barrière en fermant certains marchés, jugés
stratégiques ou sensibles, à des entreprises (défense, aérospatial, énergie, transport…) ou à
l’achat d’une entreprise nationale par une entreprise étrangère…

-Les barrières à la sortie : celles-ci concernent de nombreux facteurs qui rendent le retrait
d’un marché fort problématique D’abord, il s’agit d’actifs spécifiques (voir plus loin), comme
des machines que l’on ne peut pas réutiliser ou redéployer pour un autre usage (textile-
habillement versus électronique grand public, par exemple). Ces actifs freinent la mobilité
intersectorielle des ressources et engendrent des coûts de sortie. Ces actifs spécifiques ont
également une dimension immatérielle (marque, réputation de la firme…). Ensuite, il faut
mentionner d’autres facteurs comme le coût associés aux licenciements (indemnités des
salariés), aux reconversions (mobilité, formation…) et aux engagements contractuels de
moyen et long terme avec les clients, les fournisseurs, etc.

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-Les marchés contestables : cette notion vise à montrer que dans quelques situations l’entrée
et la sortie d’un marché ne posent pas de sérieux problèmes, en ce sens que d’une part
l’entrée est libre et que, d’autre part, la sortie se fait sans coût : dans ce cas le marché est dit
contestable (cas, par exemple, des nouvelles compagnies de transport aérien low cost pour les
petites et moyennes distances). Plus exactement, cette notion stipule qu’il n’existe pas de
barrière à l’entrée matérialisée par un désavantage quantitatif et qualitatif aux dépens des
entrants potentiels et que la sortie s’effectue sans coût, dans ce cadre l’entreprise n’a pas à
supporter des coûts irrécupérables.

-L’intégration verticale : ce concept rend compte d’une situation où une firme décide de
maitriser l’essentiel de l’enchainement d’un ensemble d’opérations qui se succèdent au sein
du processus de production, lequel se termine par la mise à la disposition du client un bien
économique. Elle privilégie donc le « faire » (internaliser) que le « faire faire » (externaliser).
Prenons un exemple. Supposons qu’une entreprise produise et commercialise un produit
moyennement complexe, composé de 10 pièces et nécessitant 10 étapes lors de sa fabrication.
Le point de départ est l’accès aux matières premières et autres sources énergétiques ; le point
d’arrivée est sa livraison au client final. Entre les deux, ce produit passe par plusieurs phases
ou étapes dont 7 sont prises en charge par l’entreprise elle-même, alors que les 3 autres sont
assumées par les fournisseurs ou sous-traitants. Dans ce cas, l’entreprise se charge elle-même
de la fabrication de l’essentiel des pièces nécessaires pour la production du bien.

Souvent, l’intégration verticale de type structurelle concerne les firmes à activités


complémentaires et se fait en amont afin de s’assurer de certains approvisionnements,
d’assurer une meilleure coordination dans l’enchainement des opérations, une régularité de la
production, une combinaison technique et productive plus efficace, ce qui entraîne des
économies d’échelle, et donc une réduction des coûts.

Dans le cas contraire, on parle de désintégration verticale lorsqu’une firme se débarrasse de


certaines opérations et se concentre donc sur son métier de base. En interne elle n’intervient
suivant l’exemple cité que dans 3 étapes sur 10, confiant les 7 autres à des fournisseurs de
premier rang. Ici, prime donc le « faire faire » sur le « faire ».

-L’oligopole : Il s’agit d’une structure de marché dans laquelle au moins 3 firmes se partagent
un marché. Cette structure est sans aucun doute la plus fréquente, elle prend trois
configurations : - oligopole homogène au sein duquel la concurrence passe par les prix, -
oligopole différencié, dans cette optique la concurrence passe par la différenciation, -
oligopole avec frange, ici l’oligopole est concentré entre les mains de quelques entreprises
avec une frange concurrentielle constituée par des entreprises de taille plus modeste qui
occupent des niches (les voitures de luxe dans l’industrie automobile, par exemple).

Par nature, un oligopole est instable. Cette instabilité est à mettre du côté des innovations
technologiques, organisationnelles ou encore commerciales et relationnelles comme c’est le
cas du e-commerce, qui sont autant de facteurs qui sont en mesure de remettre en cause la
stabilité concurrentielle dans un secteur donné.

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-Le monopole naturel : ce concept renvoie aux industries de réseau (électricité, gaz, eau,
chemins de fer, télécommunications, routes…) qui se distinguent par de lourdes
infrastructures (rails, poteaux et fils électriques, gazoducs, câbles, pièces annexes, etc.) ainsi
que des entretiens continus. Cette notion suggère donc la présence de coûts fixes élevés quel
que soit le volume de la production, et donc l’impératif de réaliser des économies d’échelle
qu’une seule entreprise ne peut réaliser pour entrer dans ses frais. Aussi, pour ces industries
une taille faible ou moyenne engendre-t-elle des rendements décroissants, et donc une
concurrence libre dans ce type d’industrie est autodestructrice.

La firme qui jouit d’un monopole naturel a un rendement meilleur que n’importe quelle
combinaison de plusieurs firmes, et son acceptation sociale est souvent mentionnée. Mais
cette position dominante peut engendrer des « effets pervers » : prix élevés, inertie en matière
d’innovation et d’entretien des réseaux, clients non satisfaits…, ce qui conduit les pouvoirs
politiques à réglementer ce type de structure de marché.

-Stratégie : Pour la définir, nous faisons référence à A. Chandler : « La stratégie consiste à


déterminer les objectifs et les buts fondamentaux à long terme d’une organisation (entreprise)
puis à choisir les modes d’action et d’allocation des ressources qui permettrons d’atteindre
ces buts et objectifs ».  

Quelques précisions s’imposent. D’abord l’horizon temporel de la stratégie est le moyen et le


long terme. Ensuite, la stratégie mobilise l’ensemble de l’entreprise. Troisièmement, il ne
suffit pas d’avoir une vision stratégique, il importe aussi de mettre en œuvre les moyens
adéquats (dimension tactique) pour atteindre les objectifs stratégiques. Enfin, la stratégie est
potentiellement irréversible.

Les entreprises déploient de nombreuses stratégies qui ne sont pas étrangères au domaine de
l’EI. Parmi lesquelles figurent :

a – stratégie d’impartition ou de coopération : les rapports entre les entreprises au sein d’un
secteur ne sont pas uniquement frappés par le sceau de la concurrence, mais également de la
coopération et ce dans des domaines divers. Gardons à l’esprit que cette coopération laisse
intacte la forme juridique des partenaires et que chacun de ces derniers garde une autonomie
au niveau de la prise de décision et donc ne s’engage que pour une période déterminée avec
des objectifs précis et des ressources adéquates.

Quant aux domaines de ce type de stratégie, ils sont nombreux ; -


Recherche&Développement, ici on cherche à mobiliser des complémentarités, à créer des
synergies entre les partenaires car la R&D est souvent onéreuse, risquée…- production : ici 2
ou 3 firmes, sinon plus, mettent en place des plates-formes pour produire des pièces
communes, ce qui permet de réaliser des économies d’échelle, d’exercer une pression sur les
fournisseurs pour réduire les prix…, - transport et logistique avec utilisation en commun de
moyens de transport, etc. Ce type de stratégie est également d’ordre intersectoriel, liant des
entreprises qui opèrent dans des secteurs différents : chimie, électronique, métallurgie….

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b – stratégie de croissance interne ou externe : à cet égard dans le premier cas la firme se
développe par ses propres moyens (achat ou location du terrain, construction du site
industriel, achat et installation des machines, embauche et formation des salariés, choix des
fournisseurs…) ; dans le second cas elle procède autrement : achat ou acquisition d’une
entreprise concurrente ou complémentaire, fusion, participations croisées (A qui achète 15%
du capital de B, et B qui achète 10% de celui de A), etc. Les stratégies de croissance externe
peuvent être horizontales (entre des entreprises ayant le même métier), verticales (entre des
firmes complémentaires) ou conglomérales (des entités ayant des activités totalement
différentes les unes des autres : exemple, agroalimentaire et télécommunications).

c- stratégie d’intégration ou de désintégration verticale…. (voir plus haut)

d- stratégie de réduction des coûts, laquelle se déploie par le biais de la chasse continue aux
gaspillages, de l’élimination des redondances, de l’amélioration des modes opératoires et des
modalités de coordination intra et interentreprises…, ce qui permet d’augmenter la
productivité, et donc de baisser les coûts.

e- stratégie d’innovation : il s’agit ici de chercher à avoir un avantage concurrentiel par


rapport à ses rivaux en jouant la carte de l’innovation. Plusieurs configurations avec des
combinaisons diverses sont possibles. Ainsi, à l’instar de Schumpeter nous citons :

- proposer aux consommateurs un produit et ou un service nouveau, ou du moins une qualité


nouvelle d’un bien économique,

- utilisation de nouvelles matières premières, de nouvelles sources énergétiques (charbon,


pétrole, électricité… versus énergies renouvelables, lithium, fibres de Carbonne, etc.),

- recours à de nouvelles méthodes de production qui combinent organisation et technologie


(« Organisation Scientifique du Travail », les méthodes de production fordistes, toyotistes),

- utilisation de nouvelles innovations commerciales comme la vente-achat par internet…

L’innovation est donc comprise comme une nouvelle combinaison, associant des innovations
radicales ou majeures (électricité, moteur à explosion, acier….TIC..) à des innovations
mineures, d’amélioration ou incrémentales qui jouent un rôle centrale lors de la diffusion de
l’innovation.

f- stratégie de délocalisation

La stratégie de délocalisation est l’un des maillons ou composantes de la mondialisation. Elle


consiste à un redéploiement des activités économiques de la FMN (production, montage,
assemblage final, R&D..) de son pays d’origine vers un autre pays ou plusieurs autres pays.
Elle peut se traduire par deux configurations majeures : soit absolue, soit relative. Dans la
première, la firme supprime une unité de production dans un pays A pour la transférer vers un
pays B. Dans l’autre, la suppression n’est pas systématique, l’enjeu pour la firme consiste
alors à assurer sa présence internationale via la croissance de la production, de

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l’investissement ou des emplois dans des filiales installées à l’étranger plutôt que dans le pays
de la maison mère de la firme.

Une analyse plus fine suggère que les motivations qui poussent à la délocalisation sont
nombreuses : - délocalisation défensive (redressement de la compétitivité prix via la
délocalisation d’une partie de la production et le maintien de la R&D dans le pays d’origine,
exemple le groupe Lafuma), - délocalisation induite, forcée ou d’accompagnement
(délocalisation en cascade des fournisseurs de premier rang pour suivre leur clients (TH,
Automobile…)), - délocalisation offensive : logique de gestion de portefeuille des sites des
FMN via la pression des actionnaires, la production de proximité, la dynamique des marchés
émergents…(Industrie allemande de l’habillement, délocalisation vers les PECO), -
délocalisation dérivée ou itinéraire : hausse des coûts salariaux dans les premiers sites de
délocalisation et donc re-délocalisation vers d’autres pays dans lesquels ces coûts sont
moindres ou vers le pays d’origine à automatisation.

B-L’apport des nouvelles théories de la firme à l’EI

Nous examinons trois approches théoriques de la firme qui sont au cœur de la nouvelle EI, à
savoir la théorie des coûts de transaction, la théorie de l’agence et la théorie évolutionniste.
On commence par la théorie des coûts de transaction.

Dans un célèbre article qui date de 1937, « La nature de la firme », Coase pose cette
question : si le marché est le mode de coordination économique le plus efficace, pourquoi
existe-t-il des firmes ? Réponse : le recours au marché (régi par le système des prix dans la
tradition néo-classique) n’est pas gratuit, il engendre des coûts que l’analyse néo-classique
ignore, les coûts de transaction. Coase rejette ainsi l’hypothèse de la transparence et soutient
que l’accès à l’information n’est ni gratuit ni librement disponible. Il faut donc engager des
dépenses pour réaliser des transactions :- coûts de découverte de prix d’équilibre ou adéquats,
- coûts de découverte de partenaires fiables, - coûts de négociation, de rédaction et de suivi
des contrats.

Pour mieux fixer les idées, prenons un exemple. Un entrepreneur veut se lancer dans la
production et la commercialisation de jus d’orange. Il a besoin de 1500 kilos d’orange par
semaine. Il doit donc faire le tour des entreprises aptes à lui fournir de manière régulière cette
quantité, il ne va pas s’arrêter à la première, et donc se déplace de l’une à l’autre pour trouver
celle qui à la fois lui propose un prix intéressant et semble être crédible, et donc avec qui il
peut s’engager de manière contractuelle pour une longue durée. Durant sa quête,
l’entrepreneur est ainsi amené à supporter des coûts (de nombreux déplacements qui
occasionnent moult frais, d’incessantes négociations et autres dépenses annexes, payer des
juristes pour la rédaction du contrat…). Par conséquent, pour Coase le recours au marché
induit des coûts, en outre il nécessite une inscription sociale qui se manifeste par des
engagements contractuels, et le marché exclut l’idée de contrat à long terme.

Dans ce cadre, Coase stipule que ces coûts jouent un rôle central pour départager entre
« faire » (internaliser) ou « faire faire » (externaliser), et donc s’interroge sur les
« frontières » de l’entreprise : si les coûts de transaction sont élevés, il serait préférable de

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recourir à la première option, s’ils sont faibles, il vaudrait mieux recourir au marché. La
justification de l’existence de la firme réside donc dans le fait que cette dernière réduit les
coûts de transaction. Etant imparfait, le marché n’est pas l’unique mode de coordination
économique.

Plus tard, durant les années 1970-1980, s’appuyant sur les travaux de Coase Williamson
élabore la théorie des coûts de transaction. Il insiste sur le caractère essentiel des choix des
formes organisationnelles alternatives au marché, en fonction des coûts de transaction, il
retient à cet égard les hypothèses suivantes :

a- l’acteur économique est doté d’une rationalité limitée : suite à H. Simon, Williamson
admet que le comportement du décideur économique n’est pas aiguillonné par une rationalité
substantive qui le conduit à prendre la meilleure décision (optimisation), et ce pour les
raisons suivantes ; - il n’a pas accès à toutes les informations, - sa capacité de réception, de
stockage et de traitement de l’information est étriquée, - il a aussi des limites au niveau
cognitif, ne peut pas tout calculer, tout anticiper, - il ne peut maîtriser parfaitement les
conséquences de ses décisions, - il ne sait pas comment vont réagir les concurrents... En
conséquence, le décideur vise, compte tenu de ces limites, un niveau de satisfaction et non
d’optimisation, compte tenu des informations dont il dispose.

b-l’acteur économique peut se comporter de manière opportuniste : Williamson écrit à ce


propos : « Par opportunisme j’entends une recherche d’intérêt personnel qui comporte la
notion de tromperie. Cette dernière inclut les formes les plus apparentes tels que le mensonge,
le vol et la tricherie ». En arrière-plan se pose la question de l’asymétrie de l’information
entre les acteurs économiques, il s’agit selon Williamson de divulgation d’informations
erronées, fausses, incomplètes, etc. Ce type de comportement peut se produire avant la
rédaction du contrat, on parle dans ce cas d’opportunisme ex post ou sélection adverse
(exemple : un candidat qui met dans son CV qu’il a effectué un stage de 6 mois dans une
entreprise, alors qu’il ne s’agit en vérité que de 3 mois). Il se manifeste également pendant
l’engagement contractuel (le contrat stipule que les oranges sont de qualité A, le fournisseur
se comporte d’abord de manière régulière, et un an après il mélange des oranges de qualité A
et de qualité B) : il s’agit d’un opportunisme ex ante ou aléa moral. 

c-la spécificité des actifs : cette spécificité, écrit Williamson, « se définit en référence au
degré avec lequel un actif peut être redéployé pour un autre usage ou d’autres utilisations
sans perte de sa capacité de production ». Comme nous l’avons souligné plus haut, une
machine, par exemple, qui coupe du bois ne peut pas être réemployée pour couper de l’acier.
Cette spécificité a une portée plus générale : - ressources humaines spécifiques ayant de
l’expérience, - actifs localisés spécifiques (exemple : une usine d’agroalimentaire localisée
dans une région agricole ou près d’un port), - actifs dédiés (exemple : relation contractuelle
avec un seul client), - attachement à la clientèle (marque, réputation…).  

d-l’incertitude : celle-ci renvoie à divers aléas et autres perturbations auxquels doit faire face
l’entreprise : comportement inattendue des partenaires, manque d’informations, retournement
de la conjoncture économique, décision gouvernementale…, cela provient en partie du fait

11
que par nature le contrat est souvent incomplet : on ne peut prévoir d’avance toutes les
éventualités possibles.

e-la fréquence des transactions : cette fréquence peut prendre trois configurations (unique,
occasionnelle, récurrente ou répétitive). Chaque configuration a des implications sur le
comportement d’autrui (l’opportunisme) et peut donc assouplir ou au contraire aggraver
l’incertitude.

Williamson se penche ensuite sur les modalités de la coordination économique et estime


qu’elles sont de l’ordre de 3 : au marché et à la firme, il ajoute une troisième qu’il désigne par
forme hybride. Celle-ci revoie à des arrangements contractuels inscrits souvent dans la durée
et qui se caractérisent par le partage de certaines ressources et la prise de certaines décisions
communes afin de réaliser des objectifs précis : franchise, sous-traitance, concession….

Enfin, Williamson élabore un arsenal des contrats qui régissent les transactions entre les
partenaires :

-contrat classique : ce type de contrat est unique ou ponctuel, son contenu est formel et est
parfaitement délimité, les réparations y sont inscrites dans le cas de défaillance de l’une des 2
parties. La présence d’une autorité (un juge) est exclue. Dans ce cas, l’opportunisme est
supposé faible, la spécificité des actifs est sans importance le degré d’incertitude est faible, et
la transaction est standardisée. Le recours au marché est donc indiqué.

-contrat néo-classique : ce genre de contrat est soumis à de fortes incertitudes liées en partie à
l’éventuel opportunisme des partenaires, en conséquence la présence d’une autorité externe
(tribunal) s’impose afin d’arbitrer dans le cas d’un conflit. Ici, la spécificité des actifs est
prise en compte, de même en est-il de la fréquence qui est occasionnelle, l’opportunisme et le
degré d’incertitude sont supposés forts. Ce type de contrat s’impose donc comme c’est le cas,
par exemple, pour un consultant ou un contrat de mission qui peut déboucher sur un conflit,
et donc fait intervenir un tiers ou une autorité externe.

-contrat évolutif ou personnalisé : ce contrat renvoie également à des situations soumises à


l’incertitude, mais de manière contractuelle les deux parties fixent les règles générales qui
cadrent les transactions et s’accordent à déléguer à l’une d’entre elles le soin d’interpréter
l’évolution du contrat et à trouver des issus quand un problème sérieux se pose. A ce niveau,
la spécificité des actifs joue un rôle capital, l’incertitude est forte étant donné la durée de la
fréquence, ce qui peut engendrer des comportements opportunistes. La spécificité des actifs
peut engendrer un « monopole bilatéral » entre deux entreprises, dont l’une est dépendante de
l’autre. En cas de conflit, le recours à un tribunal peut s’avérer coûteux, long et incertain.

Dans Les institutions de l’économie, Williamson estime que la théorie des coûts de
transaction apporte de nouveaux éclairages pour expliquer le recours à l’intégration verticale,
il avance à ce sujet l’exemple suivant :

1-en 1919, General Motors (GM) conclut un avec Fisher Body (FB) un accord contractuel par
lequel GM acceptait d’acheter à FB en quantité tous ses habitacles (carrosseries) en bois;

12
2-le prix de livraison était établi sur une base « coûts plus marge » et comprenait des clauses
selon lesquelles GM ne serait pas facturé au-dessus de ses rivaux. Les conflits de prix
devraient être résolus par un arbitrage ayant valeur exécutoire ;

3-la demande de production d’habitacles d’automobile s’accrut substantiellement pour GM


au-dessus ce qui avait été prévu, et ce dans un contexte dans lequel le métal remplace le bois
dans la fabrication des carrosseries, ce qui implique des investissements spécifiques de la part
des deux partenaires. En conséquence, GM exprima son mécontentement vis-à-vis des termes
qui fixaient les ajustements des prix. Il pressa en outre FB d’installer ses usines de
carrosseries en sorte qu’elles soient adjacentes aux usines d’assemblage de GM. Il serait alors
possible de réaliser des économies de transport et de stockage. FB s’y opposa.

4-GM commença à acquérir le capital de FB.

On observe d’abord que la relation entre GM et FB est marquée par l’incertitude et le


comportement des deux entreprises relève de la rationalité limitée qui impacte le contrat,
lequel est forcément incomplet. En effet la demande d’habitacles augmente, ce qui n’est pas
été prévu lors de la rédaction du contrat entre les deux firmes et par ailleurs le métal remplace
le bois, ce qui à son tour montre l’incapacité des acteurs à prévoir toutes les éventualités.
Ensuite, ce remplacement exige des investissements dans des actifs spécifiques pour chacune
de ces deux entreprises, ce qui engendre une relation de dépendance, l’une a besoin de
l’autre. Quant à la fréquence, elle est durable, ce qui pourrait engendrer des comportements
opportunistes. En ce qui concerne ce dernier point, suite à l’augmentation de la demande, en
principe il y a réalisation des économies d’échelle, et donc baisse des coûts de production,
mais pour GM FB se comporte de manière opportuniste car elle n’a pas voulu ajuster les prix
à la baisse (GM exprima son mécontentement …). Mais FB estime de son côté que GM se
comporte de manière opportuniste : installer ses usines à proximité des siennes entraîne des
investissements en termes d’actifs spécifiques que FB doit supporter et donc renforcer sa
dépendance vis-à-vis de GM, qui pourrait se comporter encore une fois de manière
opportuniste. Face à ce double refus, GM décide d’acheter le capital de FB, et donc de
recourir à la croissance externe.

GM pouvait chercher un autre partenaire, mais cela exige des informations difficiles à
acquérir et surtout une telle option force GM a engagé de nombreuses dépenses et maintes
négociations pour se mettre d’accord avec l’éventuel partenaire sur les prix, s’assurer, dans
certaines limites, qu’il est fiable, et engager des juristes pour rédiger les contrats, et. Le
recours au marché engendre donc des coûts de transaction que GM peut économiser en optant
pour l’intégration verticale.

Passons à présent à la théorie de l’agence. Cette approche est la version moderne de la théorie
néo-classique. Pour l’essentiel les économistes qui lui sont affiliés (Meckeling, Alchian,
Jensen, Fama …) admettent que le marché est efficient, que l’agent économique est
parfaitement rationnel et est capable de faire des anticipations rationnelles (Jensen et
Meckling parlent de rationalité calculatoire). Quant à l’entreprise, elle est présentée comme
un nœud de contrats entre des agents économiques libres et rationnels. L’importance de cette
théorie vient en premier chef du fait qu’elle sert de support et de justification à la thèse sur la
13
gouvernance d’entreprise qui a pris de l’ampleur depuis les années 1980 et qui, selon
laquelle, il faut développer le principe de la valeur actionnariale qui fait la part belle aux
actionnaires au détriment des autres parties prenantes.

Dans cette perspective, la firme est comprise comme une « fiction légale » : « Les relations
contractuelles, écrivent Alchian et Desmetz, sont l’essence de la firme, non seulement avec
les employés, mais également avec les fournisseurs, les clients, les organismes de crédit (…)
La firme est une fiction légale ». En conséquence, seuls les individus ont des intérêts à
défendre, et non l’entreprise en tant que telle. D’autre part, la question des « frontières » de la
firme ne se pose pas comme chez Coase et Williamson …

La différence fondamentale avec la théorie néo-classique standard réside dans l’asymétrie de


l’information : l’agent économique A a plus d’informations que l’agent économique B, et
donc peut se comporter de manière opportuniste en utilisant pour son propre compte les
informations dont il dispose. Cette relation asymétrique coiffe des situations diverses entre :-
le manager ou le DG et l’actionnaire, -le manager et le trader,-le médecin, l’avocat, le
garagiste.et le client,-l’assureur et l’assuré, -l’Etat et une entreprise privée engagée, par
exemple, pour construire un pont, ou une route…-une entreprise et un sous-traitant, -etc.

La théorie de l’agence s’intéresse plus particulièrement au premier cas, elle a donc comme
champ d’investigation les grandes entreprises cotées en bourse ayant donc le statut de société
anonyme, société dans laquelle il y a séparation entre le manager qui dirige l’entreprise et qui
dispose donc plus d’informations que l’actionnaire, et ce dernier qui est propriétaire du
capital ou d’une partie du capital de l’entreprise.

Cette asymétrie d’information génère de potentiels conflits d’intérêt, et pour faire face à cette
divergence, des mécanismes de contrôle et d’incitation sont mobilisés afin de rendre la
relation entre les deux convergente. Dans ce cadre, on définit une relation d’agence comme
suit : « Il y a relation d’agence lorsque deux ou plusieurs agents nouent un contrat pour lequel
une partie, le principal (l’actionnaire) engage une autre, l’agent (le manager), pour exécuter
en son nom une tâche qui implique une délégation d’un certain pouvoir de décision » (on
parle aussi de relation entre mandant et mandataire). Il s’agit en somme de décisions
stratégiques, et non routinières, qui impactent la performance de l’entreprise et donc le
revenu du propriétaire ou l’actionnaire.

Or l’asymétrie d’information peut accoucher de comportements opportunistes, et donc peut


nuire aux intérêts de l’actionnaire, d’où la nécessité de mettre en place lesdits mécanismes
(voir tableau).

t-1 sélection adverse t : signature du contrat t+1 aléa moral


Opportunisme précontractuel Opportunisme post-contractuel

Le principal non informé doit Inciter l’agent qui dispose


sélectionner un bon partenaire d’une information privée à
(agent) ou un bon produit prendre une décision optimale
(détenu par l’agent) du point de vue du principal

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Trouver une procédure pour Trouver une procédure
obtenir l’information incitative

Comment contrer l’éventuel opportunisme de l’agent ?

Les modalités sont diverses, elles reposent d’abord sur des mécanismes de contrôle et de
surveillance qui engendrent des coûts d’agence qu’il convient de limiter. Dans le cas des
entreprises cotées en bourse, les informations financières sont capitales car elles reflètent la
« santé » de la firme, il s’agit ainsi de multiplier les canaux informationnels afin d’évaluer la
valeur de l’entreprise en les mettant à la disposition des actionnaires, des investisseurs, des
analystes financiers, des agences de notation, etc. : dans ce cas la transparence
informationnelle est fortement exigée, elle sert à mettre en avant l’objectif lié à l’optimisation
des placements financiers. Sous cet éclairage, l’analyse financière devient le pivot au niveau
du pilotage de l’entreprise.

Dans cette optique, le manager met à la disposition des uns et des autres de nombreux
documents financiers de manière régulière pour attester de son intégrité et de sa volonté à ne
pas léser l’actionnaire (rapports financiers mensuels, trimestriels…, publications des comptes,
projections des résultats, mode de rémunération des managers, etc.). D’autres modalités sont
également utilisées : audit interne et/ou externe afin de faire des comparaisons, utilisation de
nouveaux critères de gestion ou des indicateurs d’efficience financière. Dans le cas d’une
relation entre un médecin et un patient, ce dernier peut consulter d’autres médecins pour
vérifier le diagnostic du premier…

Ensuite, ces modalités renvoient à des mécanismes incitatifs dont le but est faire converger
l’intérêt du principal et de celui de l’agent. Ces mécanismes se traduisent par :-paiement de
primes, de bonus… lorsque le manager atteint ses objectifs, - et, surtout, versement d’actions
ou de stock-options que le manager, pour faire vite, achète à un prix inférieur à celui du
marché, et qu’il pourra vendre quand le prix augmente (réalisation d’une plus-value).Dans ce
deuxième cas, cette modalité incite le manager à faire de son mieux pour doper la valeur de la
firme et, in fine, optimiser la rémunération des actionnaires et, par la même occasion la
sienne.

Aussi, dans un contexte économique de plus en plus mondialisé et déréglementé, ouvert à la


concurrence et porté par l’industrie de la finance, les options stratégiques adossées à des
considérations financières impactent-elles les structures des marchés. Le rôle des managers
est donc tout à fait crucial au niveau de la prise de décision stratégique, il leur importe de
justifier leurs options auprès des actionnaires en mettant, en principe, à leur disposition tous
les documents comptables et financiers afin de les convaincre du bienfondé de leur choix.

Ces options s’inscrivent souvent dans une logique à court terme qui vise à maximiser la plus-
value en multipliant les fusions-acquisitions afin de booster la valeur actionnariale des firmes,
surtout dans un contexte dans lequel les taux d’intérêt sont bas, ce qui favorise l’endettement.
A cet égard, la logique financière l’emporte sur la logique productive, dès lors il n’est pas
étonnant que bon nombre de ces fusions se soldent par un échec.

15
D’un autre côté, ces options jouent aussi la carte de la désintégration verticale afin de
minimiser les coûts d’agence liés au contrôle et à la surveillance des fournisseurs et de là
poussent les firmes à nouer avec eux des contrats incitatifs pour divulguer l’information,
partager le risque…, ce qui leur octroie plus de visibilité.

Les formes de relations entre le principal et l’agent occupent ainsi une place centrale dans
l’analyse des structures des entreprises, leurs stratégies, et leur performance. En présence
d’un marché d’occasion de capitaux (marché financier secondaire), souvent l’effet de levier
lié à un taux d’intérêt bas encourage ou incite à l’endettement des firmes. De fait, l’influence
grandissante de la création de la valeur pour l’actionnaire a renforcé la tendance à la
concentration et à la financiarisation des stratégies, à la multiplication d’indicateurs reliés au
cours de la bourse, et à la recherche de performance financière.

Quant à la théorie évolutionniste, dont les fers de lance sont Dosi, Freeman, Teece, Winter…,
elle est aux antipodes des théories contractuelles de la firme. Dosi, Teece et Winter notent à
ce sujet : « Nous sommes strictement en désaccord avec les théories de l’entreprise qui la
considèrent comme un système de contrat ». S’inspirant librement des travaux de
Schumpeter, adoptant l’hypothèse de la rationalité limitée et utilisant de manière
métaphorique des concepts de la théorie de l’évolution, Winter écrit à ce propos : « Les
firmes établissent des règles de décision et les appliquent de manière routinière de période en
période. Les firmes conservent les mêmes routines tant que celles-ci donnent satisfaction ».
Les auteurs affiliés à cette approche théorique offrent ainsi un autre cadre articulé autour du
triptyque : « diversité-mutation-sélection ».

Par diversité, ce courant avance l’idée selon laquelle les entreprises sont totalement
différentes les unes des autres, y compris dans un même secteur économique. Cette diversité
fait que chaque entreprise développe des routines spécifiques ou endémiques et que ces
routines renvoient à des éléments d’hérédité constituant ainsi la « mémoire
organisationnelle » de l’entreprise. Ces routines sont intimement liées aux processus
d’apprentissage intra-firme, et à son évolution. Dit autrement, ce courant s’interroge :
pourquoi les firmes différent-elles durablement les unes des autres dans leurs caractéristiques,
leurs comportements et leurs performances ?

Ainsi, pour l’approche théorique évolutionniste les firmes mobilisent des connaissances
codifiées, standardisées, répétitives (comment encaisser un chèque, comment répondre à la
demande d’un client, comment fabriquer un produit….) et, d’un autre côté, mobilisent des
connaissances tacites ou « cachées » : prenons l’exemple d’un père qui veut apprendre à sa
fille à rouler à vélo, il lui explique qu’il faut s’assoir sur la selle, tenir fermement le guidon,
pédaler en conservant son équilibre, ne pas voir en bas…Il lui communique donc des
connaissances codifiées, or elles sont largement insuffisantes pour que l’enfant réussisse du
premier coup, la fille tombera à maintes reprises, essayera encore et encore, et ce n’est qu’à
terme d’un processus d’apprentissage que l’expérience sera concluante via l’accumulation de
connaissances tacites, connaissances qu’elle ne pourra pas transmettre à son fils ou à sa fille.

Prenons un autre exemple : un étudiant est pour la première fois contraint de préparer un
tajine, il consulte un livre ou son Smartphone et note la recette. Il est peu probable qu’il
16
réussisse du premier coup. La succession de tajines ratés et de tajines réussis constituera les
connaissances tacites accumulées lors du processus d’apprentissage. L’exécution rapide des
opérations, la dextérité, le doigté … sont autant de manifestations des connaissances tacites.
Bref ces routines dites statiques garantissent la régularité et la prévisibilité du comportement
des acteurs économiques, et donc réduisent l’incertitude.

Par mutation, ce courant théorique fait appel à d’autres routines dites dynamiques ou méta-
routines orientées principalement vers l’apprentissage, la résolution de problèmes et le
développement de nouveaux produits ou services. Entrent ici en jeu des routines marquées
par le sceau d’aptitude à la recherche qui accouchent d’innovations en fonction des
opportunités technologiques qui émanant de l’environnement de l’entreprise.

Ces méta-routines renvoient donc à des comportements dynamiques aptes à changer les
routines existantes, comportements qui via un processus d’essai-erreurs mettent au point de
nouvelles innovations (on ne peut pas, par exemple, mettre au point un nouveau médicament
en quelques jours ou semaines, cela exige un long processus d’apprentissage, une série
d’essai-erreurs, de nombreux tests, des protocoles…, processus qui peut durer jusqu’à 10 ans,
sinon plus) (voir tableau).

Type de la routine Individuelle Organisationnelle


Nature de la routine (Statique) Savoir-faire Procédure opératoires, standard
et règle d’application large
Nature de la routine Aptitude à la recherche Méta-routines
(Dynamique)

Ainsi, sur la base de ces deux types de routine, les économistes évolutionnistes définissent les
compétences distinctives de la firme, c’est-à-dire ce qu’elle sait faire et pourrait faire. D’une
part, il s’agit de compétences foncières ou principales (technologiques et organisationnelles)
de la firme qui sont articulées autour des routines statiques.

D’autre part, il s’agit de compétences secondaires ou auxiliaires animées par les méta-
routines (innovations). Ce courant soutient ainsi l’idée selon laquelle la mutation s’opère
quand la firme parvient à transformer ses compétences secondaires en compétences
foncières : la mutation se fait donc de manière endogène.

Supposons, par exemple, que les compétences foncières d’une firme sont relatives à la
fabrication et la commercialisation de fournitures scolaires (cahiers, livres, stylos…). La
firme en question investit dans les Nouvelles Technologies de l’Information et la
Communication et commence à vendre ses fournitures via internet (compétence secondaire).
Petit à petit, grâce à un processus d’apprentissage, elle développe ce nouvel axe, parvient à le
maîtriser et change donc de compétence, délaissant du coup la fabrication de fournitures
scolaires pour s’engager dans la vente par internet d’autres biens économiques.

Reste la question de la sélection. A ce sujet, Dosi, Winter…refusent l’idée selon laquelle seul
le marché, via la maximisation du profit, est capable de sélectionner les firmes, en
conséquence ils admettent une pluralité d’environnement de sélection : technologique,

17
financier, institutionnel…, aussi écrient-ils : « La viabilité des entreprises dépend de
l’environnement de sélection, et en particulier du niveau de la concurrence, de la politique
publique, et des fréquences des discontinuités technologiques ». Cet environnement de
sélection joue donc le rôle d’un filtre au sein duquel les barrières à l’entrée, concept-clé de
l’EI, occupent une place de choix :

-accès aux ressources financières,

-structure du marché (monopole, oligopole…),

-degré d’ouverture des marchés aux nouveaux entrants,

-opportunités technologiques,

-effets des politiques publiques (fiscalité, réglementation, etc.),

-processus d’apprentissage,

-etc.

Au total, ce courant met le doigt sur la capacité des entreprises à évoluer dans un
environnement mouvant et complexe, à faire face à la concurrence en misant sur l’innovation
et l’acquisition de nouvelles connaissances, autant d’atouts pour avoir un avantage
concurrentiel. C’est une approche dynamique, qui place les processus d’apprentissage et de
l’innovation au cœur du comportement des firmes, par ce biais ces dernières recomposent les
structures des marchés et dressent par la même occasion des barrières d’entrée marquées par
l’importance de la technologie et des capitaux.

C-Présentation et discussion du modèle de base de l’EI

Comme le suggère la figure qui suit, le modèle de base de l’EI est composé de plusieurs
blocs : Conditions de base (1), Structures des marchés (2), Comportements ou stratégies (3),
Politiques gouvernementales (4) et Résultats (5).

Ce modèle a au fil du temps fait l’objet de plusieurs réaménagements afin de l’adapter par
rapport à l’évolution des activités et des politiques industrielles (structures des marchés, rôle
des pouvoirs publics, comportements des entreprises). Schématiquement, c’est en 1937 que
Mason a introduit les relations descendantes entre les structures de marché et les
comportements. Ensuite, en 1956 Bain rajoute le bloc Performances ou Résultats. Scherer et
Ross rajoutent en 1980 le bloc Conditions de base et introduisent les relations de rétroactions
entre comportements, structures de marché et conditions de base, On a par la suite rajouté le
bloc Politiques gouvernementales, mais aussi introduit de nouveaux éléments. A titre
d’exemple, dans le bloc 1 figure le coût de l’information ; dans le bloc 3, figurent Quantité-
Qualité-Prix ...

A l’origine ce modèle était déterministe, s’effectue de manière descendante, en ce sens que le


bloc 1 détermine le bloc 2, qui à son tour détermine le bloc 3 (il faut imaginer des flèches à
sens unique entre ces blocs). Par la suite, on a introduit des effets de feed-back, en ce sens

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que : - le bloc 2 a des effets sur le bloc 1 du côté de l’offre, par exemple l’intégration
verticale peut influencer l’accès aux matières premières, - le bloc 3 a des effets sur les blocs 1
et 2, exemples : la publicité a des effets sur les barrières à l’entrée, la politique de R&D
impacte le nombre de vendeurs et d’acheteurs, la politique de production a des effets sur la
structure des coûts… - le bloc 4 a des effets sur les autres blocs, exemples : la politique
macro-économique a des effets sur la politique de R&D via les subventions, l’investissement
public a des effets sur les résultats en termes d’emploi…. En conséquence, il existe des effets
réciproques, qui vont dans les deux sens. Le cadre n’est plus rigide, déterministe, mais souple
et flexible.

Conditions de base : côté Offre (1) Conditions de base : côté Demande (1)

Matières premières Elasticité-prix


Technologie Taux de croissance
Durée de vie des produits Possibilité de substitution
Rapport valeur-poids Conditions de commercialisation
Règles de la profession Méthodes d’achat
Conditions syndicales Caractéristiques cycliques ou saisonnières

Structures des marchés (2)

Nombre de vendeurs et d’acheteurs


Différenciation des produits
Barrières à l’entrée
Structure des coûts
Intégration verticale
Structure conglomérale

Comportement (3)

Politique des prix


Politique de production
Politique de R&D
Publicité
Moyens juridiques

Politiques gouvernementale (4)

Politiques macro-économiques

19
Réglementation-régulation
Investissement public
Incitations investissement-emploi
Zone-contrats programmes

Résultat (5)

Efficacité dans :
-la production
-l’allocation des ressources
-le progrès technique
-l’emploi

Il importe à présent d’examiner l’évolution sous-jacente aux blocs constitutifs de ce modèle.


Il ne s’agit pas de traiter secteur par secteur, pays par pays, ce qui est un travail titanesque,
presque impossible. L’objectif consiste seulement à survoler deux périodes historiques et,
chemin faisant, à mettre le doigt sur les tendances lourdes qui animent chacune d’entre elles
en s’arrêtant sur quelques composantes desdits blocs et donc souligner les différences entre
elles.

La première période correspond plus ou moins aux « Trente glorieuses » (1950-1980). Elle
s’inscrit dans un contexte historique bien particulier postérieur à la seconde guerre mondiale
et animé par le rôle de l’Etat stratège pour mettre en place des politiques industrielles via la
création de filières nationales protégées de la concurrence internationale.

En ce qui concerne les structures des marchés, la concurrence oscille entre les monopoles
naturels et les oligopoles. L’importance des monopoles naturels s’inscrit dans un contexte
historique dans lequel les pouvoirs publics jouent un rôle important dans l’organisation de
nombreux secteurs de réseaux jugés stratégiques, comme l’énergie, les transports, l’eau…,
avec comme arrière-plan l’objectif de sécurité d’approvisionnement, de prévision de la
demande à long terme, et d’indépendance énergétique (énergie nucléaire en France, charbon
et gaz en Grande-Bretagne, charbon en Espagne, RFA…).

A l’autre extrême, d’autres secteurs (automobile, électronique grand public, agroalimentaire,


grande distribution…) sont animés par des oligopoles plutôt homogènes, répondant aux
exigences de la production et la consommation de masse. La différenciation ne pèse pas lourd
dans un marché porteur, l’industrie de luxe demeure par conséquent marginale. Les barrières
à l’entrée sont relativement fortes, d’autant plus que chaque Etat des pays industrialisés
(USA, Canada, Grande-Bretagne, Italie, France, RFA, Japon…) défend ses « champions
nationaux » de la concurrence étrangère (interdiction de l’achat de ces champions par des
entreprises étrangères, par exemple) et encourage le renforcement des filières sur son
territoire. L’Etat est également actif dans la R&D compte tenu des tensions géopolitiques de
l’époque (« la guerre froide »).

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Dans moult secteurs, l’intégration verticale est dominante (aéronautique, automobile, produits
électroménagers, industrie pétrolière…). Les dépenses en publicité sont à géométrie variable,
fortes aux USA, relativement faibles ailleurs. Les supports sont : journaux, affichage,
dépliants, radio, cinéma….

Dans un même mouvement, les structures conglomérales s’intensifient. Aux USA, les
concentrations s’opèrent via des fusions-acquisitions regroupant des activités diverses :
Tenneco, firme spécialisée au départ dans l’hydrocarbure, se lance dans l’emballage, le
matériel agricole, la chimie, les assurances…De même en est-il de ITT (téléphonie) qui fait
des acquisitions dans l’assurance, l’hôtellerie, l’équipement automobile…En France, les
pouvoirs politiques sont derrière des fusions-acquisitions qui donneront lieu à des
« champions nationaux » : Usinor-Wendel-Sidelor, Aérospatial-CGE-Alsthom …

Quant aux résultats, dans le cadre d’une croissance forte et régulière adossée à des politiques
macroéconomiques keynésiennes, dans beaucoup de pays de l’OCDE le chômage est presque
inexistant, la production est considérable compte tenu de l’essor démographique, de
nouveaux produits et services sont proposés aux consommateurs qui disposent d’un pouvoir
d’achat conséquent. Bref, c’était la « Belle époque » ou l’âge d’or du fordisme.

La période suivante, qui grosso modo démarre à partir des années 1980, s’inscrit dans un
contexte historique différent marqué par la mondialisation, l’ouverture commerciale sous
l’égide de l’Organisation Mondiale du Commerce, la constitution de blocs régionaux (UE,
ALENA, MERCOSUR…), la déréglementation tous azimut et l’hégémonie de l’industrie de
la finance, sans oublier la chute du mur de Berlin qui atteste du tournant néolibéral dont le
« crédo » est : moins d’Etat, plus de marché. Dans ce cadre, le rôle de l’Etat stratège recule et
les filières nationales sont petit à petit démantelées dans de nombreuses industries.

Ces mutations affectent donc le comportement ou les stratégies des firmes, conduisant ainsi à
une refonte des structures des marchés, à un affaiblissement des barrières à l’entrée et à une
réorganisation des relations interentreprises et interindustrielles. Dans ce contexte, marqué de
plus en plus par l’incertitude, les monopoles naturels n’échappent pas à la déréglementation.
Les secteurs concernés s’ouvrent à la concurrence, des entités de taille petite ou moyenne
entrent en compétition avec des entreprises déjà installées de taille plus robuste. L’enjeu
consiste à introduire la concurrence partout où c’est possible dans la séquence production-
transport-distribution. Plus exactement, les infrastructures restent en situation de monopole,
mais à en autoriser l’accès à plusieurs entreprises afin de promouvoir la concurrence dans les
services. Cette ouverture est de nature à améliorer la qualité du service et à l’abaissement des
prix. Mais les résultats sont contrastés.

On assiste aussi à la déstabilisation des oligopoles nationaux qui font face à une concurrence
de plus en plus rude orchestrée par les rivaux étrangers, y compris les firmes émergentes. De
même, les filières ou chaînes de valeur sont de plus en plus éclatées sur le plan géographique,
ce qui rend difficile la mise en place de véritables politiques industrielles, notamment du côté
des pays industrialisés (USA, Allemagne, G-B, France…). Etant donné la relative saturation
de certains marchés historiques (Amérique du Nord, Europe à 15, Japon, Corée du Sud…)
pour de nombreux produits de grande consommation, la recherche de nouveaux débouchés
21
devient le point de mire des grandes firmes. Ces dernières tirent également profit de la
situation économique, institutionnelle et sociale de nombreux pays, comme ceux des Pays de
l’Europe Centrale et Orientale, la Turquie, la Chine, l’Inde… (Salaires bas, fiscalité
généreuse, infrastructures, protection sociale faible …). La baisse des coûts de transport
aidant- les coûts de transport internationaux chutent entre 1985 et 1992 de 40%... -, les
échanges des biens intermédiaires et finals explosent.

Dans ce cadre, les stratégies de délocalisation se multiplient, non seulement pour produire de
manière compétitive, mais également dans le domaine de la R&D (voir le tableau qui suit,
lequel retrace une typologie des logiques de globalisation des activités de R&D par les firmes
multinationales).

Transferts de technologie Production de connaissances


directement à l’étranger
Objectif de la mondialisation de 1-Laboratoires de soutien local 2-Laboratoires d’innovation de
la R&D proximité
Accès au marché
Objectif de la mondialisation de 3-R&D imitatrice ou siphonage 4- Centre d’excellence
la R&D technologique (veille Réseaux intégrés de production
Accès à la technologie technologique) de technologie au niveau
mondial

Ces stratégies ont un impact sur les structures industrielles des pays avancés (Amérique du
Nord, UE…). Cet impact se traduit par la fermeture de nombreux sites de production
localisés dans ces pays, ce qui conduit à l’augmentation du chômage et à leur
« désindustrialisation ». Le cas de l’industrie automobile nous sert ici d’exemple (voir
tableau).

Evolution des effectifs de 159608 en 1999 130740 en 2003


Renault
Evolution des effectifs chez 112,9 en 199O 89,5 en 2005
les équipementiers
automobiles français (en
milliers)
Evolution du nombre 355000 en 1975 201900 en 2007
d’emplois dans l’industrie
automobile et chez les
équipementiers

Par contraste, émergent d’autres pays à vocation industrielle qui ne cessent depuis deux
décennies à progresser en la matière, la Chine - qu’on désigne par « l’atelier du monde » - en
premier chef. Les autorités publiques Chinoises ont depuis les années 1980 entrepris de
22
nombreuses réformes (dans l’agriculture, l’industrie, le réaménagement territorial, les
infrastructures, l’organisation des entreprises publiques, etc.) avec comme arrière plan un Etat
stratège qui tout en jouant la carte de l’ouverture (la Chine adhère à l’OMC en 2001) protège
au mieux certains secteurs via des dispositifs institutionnels qui obligent les FMN étrangères
qui veulent s’implanter dans l’empire du Milieu à créer des co-entreprises avec des acteurs
chinois pour bénéficier de transfert de technologie, d’apprentissage également d’ordres
organisationnel, managérial… Cette dynamique a ainsi profité à des acteurs chinois déjà
installés et a permis l’émergence de nouveaux acteurs. Le cas de l’industrie automobile
l’atteste. Des firmes à capitaux privés se sont lancées dans la fabrication de voitures,
électriques, comme BYD, Chery…

Par ailleurs, la différenciation gagne du terrain, c’est une arme pour faire face à la
concurrence, mais étant donné que le pouvoir d’achat stagne, voire baisse, des produits à bas
prix (low cost) entrent également en jeu (produits alimentaires, voitures, services de transport
aérien…). Par contraste, l’industrie du luxe gagne du terrain grâce à de multiples acteurs :
LVMH, Oréal, Hermès, Kering, Dior, Chanel… avec de nombreux produits : mode, bijoux,
maroquinerie, montres, parfums, etc. Outre l’Amérique du Nord et l’UE, la Chine, I’Inde, le
Moyen Orient…deviennent ainsi des espaces où ce type d’industrie se développe à grande
vitesse.

Parallèlement, les stratégies de croissance externe pullulent via d’incessantes opérations de


fusion-acquisition (F&A), d’abord aux USA, ensuite en Europe, conduisant ainsi au
développement d’entreprises de grande taille (mais des échecs ne sont pas à exclure) (voir les
deux tableaux suivants : l’un est relatif aux caractéristiques des F&A Américaines selon les
périodes ; l’autre présente quelques opérations de F&A transfrontalières 1998-2000).

Période 1973-79 1980-89 1990-98


Nombre d’opérations 789 1427 2040
Fusions entre 29,9% 40,1% 47,8%
entreprises du même
secteur

Entreprise Pays Secteur Entreprise Pays Secteur


ciblée acquérante
MAG Allemande Telecom VAP RU Télecom
Amoco Cop EU Pétrole et gaz British Petro RU Pétrole et
Co PLC gaz
Astra AB Suède Pharmacie ZENECA RU Pharmacie
Orange Pic RU Télecom MAG Allemagne Télecom
Hoechst AG Allemagne Agroalimentaire Rhône RU Chimie
Chimie Poulenc SA France

Dans l’industrie automobile, par exemple, les positions changent sous l’impact de
nombreuses F&A : en 1998, Hyundai absorbe Kia et Asia, Renault s’allie à Nissan, et dans la
foulée met la main sur Dacia et Samsung, GM « avale » Saab, en 2000 Daimler- Chrysler

23
entre dans le capital de Mitsubishi à hauteur de 34%, GM se sépare de sa filiale
équipementière Delphi, de même en est-il de Ford qui se débarrasse de Visteon… , plus
récemment on assiste à une alliance qui regroupe PSA, Fiat et Chrysler, etc., mais nous
assistons également à l’entrée en jeux de nouveaux acteurs majoritairement asiatiques comme
FAW, Dongfeng motor, GAZ, Tata, Mahindra …, et de nouveaux arrivants qui misent sur la
voiture électrique comme BYD et Tesla. Ces deux nouveaux constructeurs ne sont pas des
acteurs historiques de l’automobile, mais par leur comportement et les subventions étatiques
ils impactent la structure des marchés, (re)tracent une autre trajectoire technologique qui se
démarque de celle adossée au moteur thermique ou à combustion interne (essence, diesel).

En ce qui concerne l’intégration verticale, celle-ci cède, dans de nombreux secteurs, la place
à la désintégration verticale. Globalement, les firmes donneuses d’ordre ou firmes-pivot se
recentrent sur leur métier de base, s’occupent d’une (bonne) partie de la R&D, produisent les
pièces qui génèrent le plus de valeur ajoutée et assurent parfois le montage final. La sélection
des fournisseurs de premier rang devient drastique. Les partenaires doivent avoir des
compétences en R&D, organisation, management …, et une assise financière solide en vue
d’accompagner la firme donneuse d’ordre dans la quête de nouveaux marchés. Les relations
interentreprises et intersectorielles font ainsi l’objet d’une réorganisation baptisée
« Partenariat industriel » dont les grands axes sont : - participation au niveau de l’innovation,
- respect des délais et des normes relatives à la qualité (juste-à-temps), - relations
contractuelles en fonction du cycle de vie du bien économique (voir tableau).

Type de relation Sous-traitance traditionnelle Partenariat industriel

Modifications
Durée de l’engagement Court terme (1 an) Allongement de la durée (en
fonction du cycle de vie du
produit ou du modèle)
-Tâches confiées au vendeur -Une pièce -Un sous-ensemble
-Innovation du vendeur -Nulle -Sollicité
Délais Gestion par les stocks Système du JAT
Qualité des produits Fondée sur le contrôle du Fondée sur des signes visibles
donneur d’ordre
Nombre de vendeurs Nombreux Sous-traitance de premier
niveau

Dans ce cadre, les efforts en matière de R&D sont devenues intenses, y compris dans des
secteurs dits traditionnels comme le textile habillement (habits connectés…) (voir le tableau
qui suit relatif aux dépenses de R&D par secteur en 2008, en % du chiffre d’affaires).

Santé 12,0%
Logiciels et internet 11,4%
Ordinateurs et électronique 7,1%
Aérospatial et défense 4,5%
Automobile 4,1%
Produits de grande consommation 2,0%
Télécommunications 1,4%
Chimie 0,9%

24
Ces efforts sont de plus en plus orientés vers de nouvelles activités industrielles dites vertes
qui ont trait aux énergies renouvelables (voir tableau suivant qui présente un panorama de la
localisation des principaux clusters et réseaux d’innovation « verts » dans le monde (2015)).

Localisation des Green Cluster Principaux domaines de compétences


USA et Canada
-Californie -Solaire, éolien, biomasse, recyclage…
-Texas -Piles à combustible, énergies propres…
-Nouvelle-Angleterre -Biocarburants, géothermique, éolien…
-Floride -Batteries, biomasse, solaire…
-Colorado -Solaire, éolien, batteries…
-New York -Piles à combustible, bâtiments
-Washington -Biocarburants, biomasse…
-Colombie-Britannique -Hydrogène et piles à combustible
Japon
-Kansai -Recyclage, purification…
-Kyushu -Gestion des déchets, éco-matériaux..
-Chagoku -Environnement, recyclage et énergie…
UE
-Allemagne -Transports, mobilité, chimie
-Espagne -Energies propres
-G-B -Energies propres
-France -Bio-ressources, transports, énergies…
-Danemark -Technologies et énergies propres
-Finlande -Energies propres
-Autriche -Energies propres

Soulignons au passage que les activités de R&D sont dans certains cas le fruit de coopération
interentreprises. Les TIC aidant, elles s’organisent à distance et reposent sur des échanges
d’informations, mais également sur des interactions personnalisées au sein d’un réseau,
comme c’est le cas, par exemple, du laboratoire virtuel d’Hitachi. Les chercheurs sont
répartis en quatre centres : Dublin, Dallas, Cambridge et Sophia Antipolis. Ce type de
coopération concerne aussi la production, la logistique…Ainsi, des constructeurs peuvent-ils
créer des co-entreprises et mettre en place des plates-formes communes. Le tableau qui suit
nous en donne une idée.

Région Partenaires Partenaires Partenaires japonais


américains européens
Amérique du Nord Ford Mazda
GM Toyota
GM Suzuki
Chrysler Mitsubishi
UE Ford Volkswagen Mitsubishi
Fiat, PSA
Volvo
Autres GM Volkswagen Toyota

25
Australie Ford Mazda
Nouvelle-Zélande Ford
Amérique du Sud

Sur un autre plan, les firmes émergentes descendent dans l’arène (AliBaba, Dongfeng, Haier,
Huawei, China Unicom, Tata, Relance Industrie, AdilyaBirla…), et mettent la main ou
« avalent » des entreprises européennes, américaines… : le groupe chinois Lenovo achète la
division micro-informatique d’IBM, l’indien Mitta Steel achète l’européen Areclor, Tata
(voir encadré), conglomérat indien, « avale » Jaguar et Land Rover, Dongfeng, constructeur
automobile chinois, acquiert 13% du capital de PSA, Oil and Natural Gas Corp, firme
chinoise, achète Imperial Energy du groupe américain Exxon Mobil, etc.

La galaxie Tata regroupe (en 2011) sept grands secteurs d’activité, quatre-vingt-dix entreprises
opérationnelles dont vingt-huit cotées en bourse :

- Automobile Tata Motors,


-Sidérurgie Tata Steel,
-Chimie Tata Chemicals,
-Energie Tata Power,
-TIC (Services informatiques),
-Services Indian Hôtels,
-Biens de consommation Tata Global Beverages (thé, café, boissons).

L’essor spectaculaire des TIC fait émerger de nouveaux acteurs, les GAFAM, qui sont
devenus au fil du temps de véritables mastodontes jouissant d’une situation de quasi-
monopole et donc d’un pouvoir de marché défini par Jacquemin comme suit : « la capacité
d’une firme de modifier au fil du temps les conditions du marché à son avantage ». La
cotisation boursière de ces géants est impressionnante, en 2018 celle de Google était de 714
milliards de dollars, d’Apple (840), d’Amazon (731)… Parmi ces géants, certains optent pour
la croissance externe, achètent à tour de bras des dizaines et dizaines de start-up. En plus, ces
mastodontes s’attaquent de front à la grande distribution, la santé, l’énergie, l’intelligence
artificielle, la voiture autonome, la presse…. Elles sont multi produits et multiservices. Au
départ, Amazon, par exemple, vendait en ligne des livres, puis a intégré la vente de produits
électroniques, l’équipement de la maison, les produits frais…Cet essor donne lieu à de
nouveaux modèles d’affaires articulés autour de la dynamique des réseaux et des plates-
formes numériques. Bref, l’idée de les démanteler ou du moins de les encadrer gagne du
terrain.

Dans de nombreux pays industrialisés, le chômage est (relativement) élevé, et dans le cas où
il est bas, au nom de la flexibilité du marché du travail les jobs mal rémunérés courent les
rues, avec comme arrière plan un marché de travail à plusieurs vitesses et un creusement des
inégalités sociales. La croissance subit les effets des crises financières, notamment celle de
2008. Et dans une économie déréglementée, affranchie de règles de jeu claires, portée par

26
l’industrie de la finance, des scandales et des faillites se succèdent, comme on atteste, par
exemple, la faillite historique d’Enron en 2001.

Les considérations écologiques pointent leur nez, ouvrant du coup de nouvelles perspectives
pour faire face à la dégradation de l’environnement, la pollution, la déforestation, la
disparition d’écosystèmes…. De nouveaux acteurs s’engouffrent dans la brèche, des secteurs
se développent à l’instar de celui des énergies renouvelables.

Au total, de nombreuses différences entre ces deux périodes sautent aux yeux. Durant la
première période, l’Etat stratège est actif, les barrières à l’entrée d’ordre, entre autres,
institutionnel sont de mise, les pouvoirs publics développent et protègent les « champions
nationaux » de la concurrence internationale, les structures des marchés sont pour l’essentiel
animées par des monopoles naturels et des oligopoles homogènes, faisant souvent le recours à
l’intégration verticale, et le cadre analytique est fondamentalement national.

Par contre, durant la seconde, le cadre analytique se décline au pluriel : national, régional
(l’UE par exemple) et international. Les barrières à l’entrée s’affaiblissent dans de nombreux
secteurs, le rôle des pouvoirs publics change, recule en matière de politique industrielle et ce
aux USA et UE. La concurrence devient mondiale, de plus en plus favorisée par l’ouverture
des marchés et la circulation des capitaux. La privatisation des entreprises publiques et la
déréglementation des monopoles naturels accentuent cette concurrence via des stratégies de
croissance externe qui déstabilisent les structures des marchés avec l’arrivée de firmes de
grande taille qui bénéficient d’une marge de manœuvre non négligeable sur le plan
stratégique. Ces structures sont ainsi diverses. Quelques exemples l’illustrent. Dans le cas des
transports aériens de longue portée, nous avons affaire à un duopole mondial composé de
Boeing et d’Air Bus. Pour des portées moyennes, nous avons affaire à des marchés
contestables avec l’entrée en jeu de nouveaux acteurs. Dans d’autres industries
(agroalimentaire, distribution, automobile, etc.) nous assistons à l’émergence d’un oligopole
mondial hétérogène qui change en fonction des opérations de F&A, opte pour la
désintégration verticale et à l’organisation de la chaîne de valeur au niveau mondial. Dans ce
cadre, les FMN déploient des stratégies de délocalisation, créent par conséquent des filiales,
établissent des relations contractuelles avec les fournisseurs de premier niveau, nouent parfois
des stratégies de coopération technique avec leur concurrents…L’arrivée de nouveaux acteurs
déstabilisent les structures de marché, les modes de distribution et de commercialisation.
C’est le cas, par exemple, d’Amazone dans la grande distribution. Le e-commerce gagne ainsi
du terrain, favorisé d’ailleurs par la crise sanitaire.

D’autre part, la situation des pays émergents, la Chine en particulier, nous livre d’autres
enseignements parmi lesquels figure celui-ci : le rôle de l’Etat stratège est à prendre en
considération dans la dynamique de l’émergence.

Par ailleurs, la crise sanitaire et les tensions militaires en cours accentuent la rivalité entre
l’oncle Sam et l’empire du Milieu via des mesures protectionnistes (taxes sur des produits
importés : acier, aluminium...). Un retour à des politiques industrielles plus ambitieuses se
dessine aux USA, avec des subventions massives afin de favoriser le « Made in USA » : les

27
secteurs concernés sont ceux des semi-conducteurs, des énergies renouvelables, de
l’automobile électrique… Ce retour se matérialise par le programme Inflation Reduction Act.

C-Indications et réflexions conclusives

L’essor spectaculaire de la nouvelle économie articulée autour des TIC ou économie


numérique pose de redoutables questions aux chercheurs spécialistes de l’EI et constitue un
défi pour les pouvoirs publics. Si durant longtemps l’idée de la réguler était taboue, depuis
quelques années le verrou a sauté. Mais cette régulation est complexe, elle dépend de
plusieurs facteurs, pas uniquement d’ordres technologique, économique et commercial, mais
aussi géopolitique (rivalité entre les USA et la Chine, l’empire du Milieu a aussi ses
GAFAM : les BATX, Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaom), institutionnel, réglementaire,
social…

Google, Facebook… proposent aux consommateurs toute une gamme de services qui, au fil
du temps, sont devenus incontournables dans la vie professionnelle et privée de milliards
d’individus. Dans ce cadre, le développement des GAFAM repose largement sur les « effets
de réseau », c’est-à-dire que ces effets engendrent un mécanisme inhérent à l’univers
numérique selon lequel l’utilité d’un service s’accroît avec son nombre d’utilisateurs : par
exemple l’utilité d’un moteur de recherche s’améliore avec le nombre de requêtes qu’il traite,
car ils les outillent pour affiner sans cesse ses résultats et donc afin attirer d’autres usagers.

Le développement des géants du numérique est construit sur un marché dit biface qui
regroupe deux types de clientèle. Exemple : les chaînes de télévision (téléspectateurs) d’un
côté, et de l’autre les annonciateurs chargés de la publicité pour financer la gratuité des
programmes. De par leur taille et leur dynamisme, ces mastodontes jouissent d’une situation
de quasi-monopole, mais ne se contentent pas pour autant de dormir sur leurs lauriers et
d’encaisser la rente liée à leur position hégémonique, elles investissent massivement dans la
R&D en s’attaquant à plusieurs domaines : domotique, biotechnologies, appareils connectés,
médecine, mass média, sport, loisir, Bâtiments et T&P… De ce point de vue, les TIC
s’identifient à une innovation radicale, transversale, combinatoire et évolutive. D’un autre
côté, ces firmes achètent des start-up innovantes afin de réduire la concurrence : Google a
racheté You Tube pour 1,65 milliards de dollars, Facebook a d’abord « avalé » en 2012
Instagram pour un milliard de dollars, ensuite qui a mis 19 milliards de dollars, en 2014, pour
absorber WhatsApp, etc.

Le modèle économique de ces firmes, Facebook et Google en particulier, repose sur la


monétisation des données personnelles des usagers auprès des annonciateurs. En 2018, 86%
des revenus du moteur de recherche et la quasi-totalité de ceux du réseau social sont issus de
la publicité numérique. Mais les données personnelles servent aussi à faire des
« targetpricing », autrement dit à cibler les consommateurs en adoptant le prix à leur
consentement à payer ou bien à personnaliser leur offre.

D’une manière générale, ces données sont le principal « ingrédient » de l’économie


numérique, et la protection de ces données fait ces dernières années l’objet d’une attention
toute particulière de la part des autorités publiques comme c’est le cas de celle de l’UE,

28
notamment après le scandale de Cambridge Analytica. Les dernières révélations sur
Facebook, baptisé dernièrement Meta, soulèvent d’autres interrogations sur les enjeux
économiques, sociaux et éthiques des algorithmes. Ces derniers constituent une « boîte
noire » pour les autorités de régulation. Enfin, suite à la crise sanitaire en cours, l’idée
d’instaurer une taxe sur les profits des GAFAM fait son chemin.

Bref, cadrer l’évolution des géants du numérique n’est plus un tabou et rappelle un
antécédent, plus ou moins récent, celui du démantèlement d’ATT en 1982. L’une des pistes
prône un démantèlement progressif de certaines positions dominantes. L’accent est mis sur
l’infrastructure - considérée comme un bien commun - qui doit obéir à certaines règles
d’intérêt général qui dépassent le prisme consumériste.

Il s’agit donc de mettre en place une dissolution progressive des points de concentration
d’internet qui permettent de redistribuer les cartes du pouvoir du marché dans le réseau et des
alternatives d’émerger, comme les logiciels libres. L’enjeu est d’établir une neutralité du Net,
d’assurer à l’utilisateur une liberté de choix vis-à-vis de son terminal et qu’il ne soit
prisonnier d’un silo : que le consommateur soit en mesure d’acheter un Smartphone A, de
choisir le moteur de recherche B, l’assistant vocal C, le navigateur D…

D’autre part, la fascination qu’exercent les TIC sur les comportements des usagers ne doit pas
faire oublier, leur participation dans la pollution, ce qui permet d’établir le lien avec un autre
secteur, celui des énergies renouvelables. Au fond, là aussi les enjeux sont complexes car la
question de l’énergie est multidimensionnelle. Elle a en effet plusieurs facettes : -
économique (le fonctionnement normal de l’économie, les prix, les taxes, la compétitivité), -
politique (sécurité, indépendance), - militaire (approvisionnement des armées), -
diplomatique (relations avec les fournisseurs), - sociale (inégalité et conflit).

La transition énergétique n’est donc pas simple, bien au contraire. Elle a en effet une
dimension sociopolitique forte dans la mesure où elle réoriente les modes de production, de
distribution et de consommation. L’acceptabilité sociale voudrait que les consommateurs
soient prêts à changer de comportement en achetant des produits moins polluants, ce qui n’est
pas sans incidences sur les inégalités socio-économiques. Cette réorientation conduirait
potentiellement à une réorganisation plutôt décentralisée des nouvelles filières énergétiques
(solaire, éolienne, géothermique…), avec l’arrivée de nouveaux acteurs : - nouveaux usagers,
- ONG, - plate-forme collaboratrice, - producteur d’électricité, - start-up … Aux réseaux
centralisés, se substitueraient progressivement des réseaux moins hiérarchisés, latéraux,
locaux et régionaux.

Au-delà de ce scenario, force est de constater que l’économie numérique est énergivore. Le
fichier numérique qui transporte une information traverse des milliers de kilomètres via des
câbles sous-marins qui sont en tension électrique, et si vous le conserver sur le cloud, le
fichier se retrouve stocker dans un centre de données qui est branché et climatisé 24 h sur 24
h. A Ces câbles et Big Data, il faut ajouter les antennes, les relais électriques, les satellites …

L’emprunte énergétique des TIC est donc conséquente. Ainsi, on estime que ce secteur
représente 10% de la consommation électrique mondiale, avec 45% du côté des utilisateurs et

29
55% du côté de la production des équipements, et que son bilan énergétique est le suivant :
les technologies numériques représentent 4% des émissions mondiales de gaz à effets de serre
et ce chiffre risque de passer à 8% en 2025, compte tenu de la diffusion des produits
numériques, notamment du côté des BRIC et des pays en développement.

Sur ce plan, on peut envisager une solution analogue à celle qui concerne le secteur de
l’automobile. En effet, en UE les constructeurs automobiles sont contraints de s’aligner sur
une norme lors de la fabrication des véhicules neufs - la moyenne des émissions de CO 2 ne
doit pas dépasser 95 g par km-, sinon ils sont exposés à des amendes. La même chose peut
être faite aux fabricants des produits connectés sur plusieurs paramètres : la moyenne
d’emprunte carbone des Smartphones ne devrait pas dépassée tant de grammes de CO 2, les
fabricants devraient garantir une réparabilité de leurs appareils pendant au moins cinq ans,
incorporer 25% ou 50% de produits recyclés dans la composition de leurs matériels à tel ou
tel horizon. Ces obligations sont nécessaires pour dépasser les bonnes intentions et les
injonctions adressées au seul consommateur à qui on cache les impacts environnementaux du
numérique.

La connexion entre ces deux secteurs et celui de l’automobile est révélatrice des
ambivalences de la transition énergétique. Dans différents sommets internationaux (Rio en
1992, … Paris en 2015, … Glasgow en 2021, Charm El-Cheikh en 2022) de nombreux
engagements non contraignants ont été pris par les Etats, mais les avancées sont timides. Des
pays comme la Chine, l’Inde, l’Australie l’Afrique du Sud … n’hésitent pas à exploiter de
nouvelles mines de charbon. La conquête de nouveaux gisements de pétrole et de gaz se
poursuit au Canada, USA, Afrique... Les tensions militaires en cours ont contraint certains
pays à ré-ouvrir des centrales de charbon, l’Allemagne par exemple. On estime, d’après
plusieurs sources que sur le plan mondial les énergies renouvelables représentaient, en 2021,
20%. L’énergie nucléaire certes ne rejette pas lesdits gaz, mais il y a de gros bémols : - la
question du stockage des déchets nucléaires, - les accidents nucléaires et leur impact sur
l’environnement, - la sécurité des centrales face aux tremblements de terre, tsunamis....

Or, le développement de ces secteurs nécessite le recours à des ressources minières tels que le
cobalt, le lithium…, mais aussi à ce qu’on appelle les terres rares (les tableaux suivants en
donnent des exemples), ou métaux stratégiques (vanadium, germanium, antimoine, niobium,
etc.), ressources indispensables dans la fabrication et le fonctionnement des voitures
électriques et hybrides, des tablettes, des PC, des Smartphones…, mais aussi des éoliennes,
des panneaux photovoltaïques, etc. Et pour le moment, la Chine est le grand producteur d’une
large partie de ces métaux.

Prenons le cas d’un Smartphone équipé de caméra, de micro, de capteurs de gestes


infrarouges, de détecteurs de proximité, de multiples antennes GPS, WiFi, 4G, Bluetooth…il
contient du cobalt, lithium, aluminium, zinc…mais aussi du brome, du graphite…pour
fabriquer les batteries, les coques, les écrans… de même que le néodyme qui permet de le
faire vibrer, de l’indium qui rend l’écran tactile….La concentration géographique de ces
métaux rares laisse présager des tensions géopolitiques, surtout que la Chine a décidé, en
2015, de restreindre ses exportations avec comme conséquence la flambée des prix. Cette

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dernière s’est accentuée à cause de la pandémie sanitaire et la guerre entre l’Ukraine et la
Russie et touche les produits agricoles, les matières premières et énergétiques, les
transports…De même cette pandémie a perturbé les chaînes de valeur mondiale à cause de la
raréfaction de certains composants comme les semi-conducteurs…Et les tentatives de
relocalisation sont dans l’air.

Ressource Utilisation industrielle


Béryllium Télécoms et électronique, industrie spatiale,
nucléaire civil et militaire
Cobalt Portables, ordinateurs, véhicules hybrides,
aimants
Germanium Photovoltaïque, fibres optiques, catalyse,
optique infrarouge
Indium Puces électroniques, écrans LCD
Holmium Lasers, composés supraconducteurs
Lutécium Emetteur de rayons bêta
Yttrium Piles à combustible, aimants
Graphite Véhicules électriques, aérospatiale
Silicium métal Circuits intégrés, isolateurs électriques
Tantale Condensateurs miniaturisés, superalliages

Nickel Indonésie Philippines Russie (11%) Autres (44%)


(33%) (12%)
Cuivre Chili (28%) Chine (12%) Pérou (8%) Autres (52%)
Lithium Australie (52%) Chine (22%) Chili (13%) Autres (13%)
Cobalt République Australie (4%) Russie (4%) Autres (23%)
démocratique du
Congo (69%)
Terres rares Chine (60%) USA (13%) Birmanie (11%) Autres (16%)

Souvent, on présente la voiture électrique comme un produit « propre », décartonné. Certes,


ce genre de véhicule a des atouts en termes de lutte contre la pollution locale et sonore (bruit),
néanmoins sa contribution dans la lutte contre le réchauffement climatique est discutable.
D’une part, en amont l’exploitation et la transformation des terres rares mobilisent beaucoup
d’eau, exigent l’utilisation de produits chimiques, du mercure…, ce qui donne lieu à des
externalités négatives locales et régionales (pollution des ruisseaux, des nappes phréatiques,
des écosystèmes avoisinants…) : chassée par la porte, la pollution revient par la fenêtre !
D’autre part, il faut s’interroger sur l’origine de l’énergie qui alimente la voiture électrique :
pour le moment le mix énergétique est dominé par le pétrole, le charbon, le gaz naturel :
chassée par… Enfin, en aval se pose la question du recyclage du produit lors de la fin de son
cycle de vie et de ses liens avec l’économie circulaire. Ce point est loin d’être anodin car avec
l’évolution démographique le recours à ces métaux aura des conséquences néfastes sur
l’environnement, c’est pourquoi recycler les produits a du bon sens. Or, pour le moment les
efforts en R&D n’ont pas encore accouché de résultats probants. De même, pour les produits
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connectés on estime que 20% des déchets numériques sont colletés, mais collecter ne signifie
pas systématiquement recycler. Bref, il s’agit de favoriser la sobriété numérique qui conduit à
plus d’économie en matières premières et en énergie, et donc de limiter l’obsolescence
programmée. C’est dire que le basculement vers une « économie verte » entraîne
incontestablement une refonte des relations interentreprises et intersectorielles. Dans le
secteur automobile, la position de certains acteurs comme les firmes qui opèrent dans la
mécanique, la sidérurgie, la métallurgie…, est de nature à s’affaiblir face à des acteurs
comme les fabricants de batterie, les fournisseurs d’énergie renouvelable, ceux qui opèrent
dans les TIC…En outre, d’autres acteurs risquent d’être déstabilisés, comme les garagistes,
les vendeurs de pièces de rechange, les distributeurs….Le basculement est de nature à mettre
dessous-dessus les positions des acteurs, mobilise également des mécanismes d’incitation
(dans le domaine fiscal par exemple), la mise en place d’une infrastructure appropriée (les
bornes de rechange par exemple), de nouvelles réglementations…Cet exemple montre donc
que la transition énergétique n’est pas un long fleuve tranquille, elle est multidimensionnelle
et donc n’est pas à l’abri de tensions diverses. Et de nouvelles perspectives innovatrices
(fusion nucléaire, hydrogène) pourraient dans les années à venir changer la donne. Mais elles
peuvent donner lieu à des effets rebond… Prenons le cas de l’automobile : entre 2005 et
2018, sa consommation moyenne à essence est passée de 8,8 litres à 7,2 pour 100 km, soit
une réduction de 22%, mais dans le même temps, la vente annuelle de véhicules neufs dans le
monde est passée de 66 à 95 millions, soit une hausse de 44% !

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